4
2. Les stratégies métropolitaines et les enjeux de la ville durable Jeudi 13 décembre 2012 Avec Jean Haëntjens Jean Haëntjens, économiste et urbaniste, est aujourd'hui conseil en stratégies urbaines (Urbatopie). Il intervient pour des villes, administrations et universités, en France et en Europe, sur des missions liées à la prospective territoriale, à la stratégie ou la conception de projets urbains. Il a, auparavant, exercé des responsabilités opérationnelles dans les champs de l’urbanisme et du développement territorial. Il a publié plusieurs livres et articles qui font référence sur la question de l’urbanisme durable, dont «Crises : la solution des villes » (FYP, 2012), « La ville frugale » (FYP, 2011), « Urbatopies » (L’aube, 2010) et « Le pouvoir des villes » (L’aube, 2008). Site internet : www.lasolutiondesvilles.com Il revient sur la notion de ville durable et sur les stratégies des grandes villes dans les « solutions durables » à travers une équation : une ville doit être à la fois durable, désirable, et abordable. En illustrant son propos avec les réponses techniques des grandes villes face à ces défis, Jean HAENTJENS nous rappelle cependant que « l’équation de la ville durable » n’est pas seu- lement d’ordre technique, elle implique, pour être résolue, une méthode politique. Cette méthode, appliquée par les métropoles européennes les plus innovantes, est fondée sur les notions de transversalité des approches, de cohérence opérationnelle, de désir collectif et d’ambition partagée. Le défi à relever est de l’appliquer à toutes les échelles de ter- ritoires.

Synthèse conférence Jean Haetjens

  • Upload
    agam

  • View
    218

  • Download
    2

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Les stratégies métropolitaines et les enjeux de la ville durable dans le cadre du Cycle de conférences de l’exposition « Marseille, de la ville à la métropole »

Citation preview

Page 1: Synthèse conférence Jean Haetjens

2. Les stratégies métropolitaines et les enjeux de la ville durable

Jeudi 13 décembre 2012

Avec Jean Haëntjens

Jean Haëntjens, économiste et urbaniste, est aujourd'hui conseil en stratégies urbaines (Urbatopie). Il intervient

pour des villes, administrations et universités, en France et en Europe, sur des missions liées à la prospective

territoriale, à la stratégie ou la conception de projets urbains. Il a, auparavant, exercé des responsabilités

opérationnelles dans les champs de l’urbanisme et du développement territorial.

Il a publié plusieurs livres et articles qui font référence sur la question de l’urbanisme durable, dont «Crises : la solution des villes » (FYP, 2012), « La ville frugale »

(FYP, 2011), « Urbatopies » (L’aube, 2010) et « Le pouvoir des villes » (L’aube, 2008).

Site internet : www.lasolutiondesvilles.com

Il revient sur la notion de ville durable et sur les stratégies des grandes villes dans les « solutions durables » à travers une équation : une ville doit être à la fois durable, désirable, et abordable.

En illustrant son propos avec les réponses techniques des grandes villes face à ces défis, Jean HAENTJENS nous rappelle cependant que « l’équation de la ville durable » n’est pas seu-lement d’ordre technique, elle implique, pour être résolue, une méthode politique. Cette méthode, appliquée par les métropoles européennes les plus innovantes, est fondée sur les notions de transversalité des approches, de cohérence opérationnelle, de désir collectif et d’ambition partagée. Le défi à relever est de l’appliquer à toutes les échelles de ter-ritoires.

Page 2: Synthèse conférence Jean Haetjens

Les rendez-vous du jeudiLes rendez-vous du jeudi

La notion de développement durable n’a été réellement prise en compte dans les politiques d’aménagement urbain qu’à partir des années 90, et plus nettement à partir des années 2000 (création, en France, des Schémas de Cohérence Territoriale). Au cours des quinze dernières années, les villes françaises et européennes ont beaucoup investi dans des « solutions durables » comme les transports collectifs (tramways), les pistes cyclables, l’aménagement d’espaces publics, ou les projets urbains exemplaires (écoquartiers).

Cette première séquence de l’urbanisme durable s’est inventée en marchant. Elle disposait de peu de bases théoriques dans la mesure où les premiers écologistes, ceux des années 1970, s’étaient plus intéressés à la protection de la nature qu’à la transformation du cadre urbain. En effet, il pensait que la ville était un concept dépassé.

Les villes se trouvent aujourd’hui positionnées en première ligne sur les trois piliers du développement durable :

• ce sont elles, et particulièrement les métropoles, qui tirent le développement économique . L’économie de la connaissance s’implante de préférence dans les régions

urbaines offrant un large potentiel de rencontres et de compétences ;

• les consommations d’énergie liées à l’organisation urbaine (bâtiments, transports, éclairage) représentent plus de 60% des consommations d’énergie finale et des émissions de CO2 ;

• c’est également dans les espaces urbains que les tensions sociales (le coût du logement, les banlieues) sont les plus fortes.

Un large consensus se forme aujourd’hui autour du constat suivant :

• cet « urbanisme durable » a permis d’améliorer significa­tivement la situation dans les centres, mais peu dans les périphéries, où elle s’est plutôt dégradée ;

• les coûts urbains se sont envolés (doublement de l’im­mobilier en dix ans, augmentation des distances parcourues, augmentation de 50% du prix des carburants) ;

• les villes n’ont plus les moyens de financer les « solutions durables » tout azimut. Elles doivent hiérarchiser les priorités et apprendre à raisonner en termes de « systèmes de solutions » cohérents ;

• seuls les initiés peuvent se retrouver dans le dédale des concepts – ville durable, ville post carbone, ville post Kyoto, écoquartier, écodensité, Cittàslow, ville en transition, ville fertile, ville intelligente – qui se réclament tous du durable mais qui se traduisent par des formes urbaines radicalement différentes. Ajoutons que le green washing (procédé qui consiste à « repeindre en vert » des solutions classiques) n’a pas épargné le monde de l’urbanisme et de l’architecture.

La question qui se pose aujourd’hui aux villes est d’être à la fois durables, désirables, et abordables. Posée ainsi, l’équation conduit à résoudre quatre défis, qui sont étroitement liés entre eux :

• Comment concilier compacité urbaine et désir d’espace ?

• Comment concilier mobilité et sobriété énergétique ?

• Comment concilier rayonnement métropolitain, équité territoriale et vivabilité ?

• Comment concilier ces trois premiers défis avec une modération des coûts urbains ?

LA notIon dE « vILLE dUrAbLE »

LES EnJEUx dE LA vILLE dUrAbLE

«La notion de ville durable n’est pas stabili-sée, elle est floue et foi-

sonnante»

MOBILITE

SOBRIETE

COMPACITE

DESIR D’ESPACE

ATTRACTIVITE

COUT URBAIN GLOBAL

RAYONNEMENT METROPOLITAIN

VIVABILITE EQUITE TERRITORIALE

Page 3: Synthèse conférence Jean Haetjens

Les rendez-vous du jeudiLes rendez-vous du jeudi

LES réPonSES tECHnIqUES

L’IndISPEnSAbLE « métHodE PoLItIqUE »

Pour relever chacun de ces défis, les villes ont déployé de très nombreuses réponses techniques. Mais aucune d’elles n’est capable, isolément, de résoudre l’équation.

ConCILIEr ComPACIté UrbAInE Et déSIr d’ESPACE

Agir à la fois sur l’architecture des bâtiments, l’organisation des îlots et des stationnements, le dessin des voiries, les équipements et l’organisation des proximités.

La notion de compacité ne se réduit pas à celle de densité, même s’il existe un seuil en deçà duquel un tissu urbain devient totalement dépendant de l’automobile. Les notions de masse critique, de mixité fonctionnelle et de courtes distances sont également essentielles.

Le bourg traditionnel, avec ses maisons de ville, ses commerces et services regroupés autour d’une place centrale accueillant la station de transport commun, reste une référence qui est aujourd’hui revisitée par de nombreux projets d’écoquartiers.

déFI « mobILIté SobrIété »

Jouer sur une palette très large de modes, incluant la marche à pied, la famille vélo (qui s’élargit chaque jour), les modes

ludiques (skates, rollers, patinettes), les transports collectifs, les deux roues, les véhicules urbains légers, et, surtout, les interfaces entre ces différents modes.

Plus facile à intégrer dans un tissu urbain compact : l’écart des consommations d’énergie pour les déplacements est aujourd’hui de 1 à 2 entre les cœurs d’agglomération et les

périphéries.

CoûtS UrbAInS

La mise en place des politiques foncières et des aides au logement social ne suffit plus. Plusieurs villes européennes (Turin, Genève) s’intéressent aujourd’hui au principe d’une organisation polycentrique. Les centralités secondaires ne doivent pas être

trop éloignées de la polarité dominante et doivent être connectées si possible directement entre elles par les réseaux de transports (circulaires). C’est rarement le cas aujourd’hui.

La question du coût renvoie aussi à celle des choix d’habitat. L’habitat intermédiaire (maisons de ville, petits immeubles) est celui qui présente les coûts de construction les plus faibles. L’habitat diffus se traduit par des dépenses très importantes en réseaux. Les constructions de grande hauteur induisent, quant à elles, des surcoûts de construction et de fonctionnement.

1HALBERT Ludovic, L’avantage métropolitain, PUF, 2010

Agir sur de nombreux leviers, cela veut dire mobiliser de nombreux acteurs (résidents, politiques, entreprises, com-pagnies de transports…), dans un temps politique qui reste limité. Un tel défi n’a aucune chance d’être relevé sans méthode politique. Cette méthode existe, bien qu’elle n’ait jamais été théorisée. Elle s’est inventée progressivement, par jeu d’essais et d’erreurs, dans des villes aussi différentes que Barcelone, Nantes, Bordeaux, Hambourg ou Copenhague. Et les approches de ces villes se retrouvent aujourd’hui autour de quatre principes fondamentaux.

CoHérEnCE FonCtIonnELLE Et trAnSvErSALIté

Apprendre à raisonner « ensemble » sur les différents vo-lets des politiques urbaines et jouer sur certains d’entre eux (comme la culture ou l’urbanisme) pour en débloquer d’autres (l’économie, le social). Le cas de Bilbao (la culture au service de l’attractivité l’économique) est le plus connu mais n’est pas isolé. De nombreuses villes ont joué sur les trans-ports pour construire une gouvernance, sur les transports et l’urbanisme pour désenclaver des quartiers d’habitat social ou sur l’espace public pour créer du lien social.

CoHérEnCE oPérAtIonnELLE

Agir simultanément sur des leviers de natures différentes, comme la réglementation, la fiscalité, l’innovation techno-logique, et l’éducation. Les villes ont montré, depuis dix ans, une créativité impressionnante. Exemples d’innovations urbaines parmi cent autres : les autoroutes pour vélo, ima-ginées à Copenhague ou les « low emission zones » (Berlin, Amsterdam). Cette cohérence opérationnelle implique aussi une approche transversale dans les organisations munici-pales.

déSIr CoLLECtIF

Intégrer les notions d’imaginaire, d’attachement, d’identité, dans les stratégies urbaines. Les villes ont compris que pour inviter les habitants à se rapprocher des centres, il fallait leur offrir un supplément symbolique. Ce désir collectif doit se faire en cohérence avec un récit ; exemple : la fête des lumières à Lyon.

«Répartition modale idéale des transports : 1/3 transports en com-mun, 1/3 voiture par-ticulière et 1/3 piéton. La Canebière est exem-

plaire à cet égard »

Page 4: Synthèse conférence Jean Haetjens

Les rendez-vous du jeudiLes rendez-vous du jeudi

❖ Une ville plus durable est techniquement possible autour de quelques principes identifiés : habitat de densité inter-médiaire, courtes distances, répartition modale, véhicules urbains légers, centralités réparties, cœurs d’îlots végétalisés reliés entre eux par des circulations vertes ;

❖ Il faut agir simultanément et en cohérence sur de très nom-breux leviers, et donc mobiliser de nombreux acteurs. Cette méthode existe mais est encore réservée à quelques métro-poles. Un autre défi est de diffuser cette méthode à des collectivités plus petites ;

❖ Il faudra également que l’Etat, qui est actuellement plus observateur qu’acteur dans l’invention de cet urbanisme durable, trouve le bon positionnement.

A rEtEnIr Le point de vue de... Christian brunner

• Particulièrement importante sur notre territoire, la dimension sociale a plus de mal à être prise en compte dans la mise en œuvre des politiques de développement durable ;

• Le modèle économique du développement durable est à inventer. Beaucoup d’outils sont mal adaptés et le retour sur investissement est souvent trop long ;

• En termes d’intensification urbaine, on se heurte aux individualismes. La notion de densité fait peur. On observe que de très nombreuses observations concernent l’intensité urbaine sur l’enquête publique du PLU. Les enjeux de pédagogie et d’adhésion sont essentiels pour changer les habitudes des acteurs : citoyens et élus.

Retrouvez le programme des conférences et des autres manifestations et événements qui sont organisés dans le cadre de l’exposition sur notre blog : www.marseilledelavillealametropole.com

AmbItIon PArtAgéE

Nouvelles pratiques de gouvernances : la plupart des villes qui ont réussi à changer de destin se sont dotées de struc-tures transversales (cellules prospective, SEM de projets, agences d’urbanisme) pour tisser de la cohérence entre leurs grande directions opé-rationnelles.

Pour construire une culture du projet, de très nombreux outils existent : maquettes, concours d’architectes, revues métropolitaines et sites internet. Les démarches de pros-pective (Lyon, Bordeaux, Nantes, Strasbourg…) s’inscrivent pleinement dans cette logique et permettent de bâtir col-lectivement un scénario de développement de la ville. Ce n’est pas tant le résultat qui est important que la démarche d’acculturation elle-même.

Extraits d’échanges avec la salle

 Cette dynamique de ville durable s’inscrit sur les centres-villes. Il existe peu de leviers sur la périphérie ?C’est un champ de réflexions ouvert pour les architectes et les urbanistes où les formes urbaines sont à réinventer.

 Quelle peut être l’efficacité du marketing territorial ? Est-ce qu’il amplifie un développement déjà en place ? L’exemple de Copenhague est marquant : elle s’est autoproclamée « première écométropole », cela n’a fait rire personne car elle

investit depuis plus de 10 ans dans des solutions durables. Le marketing « bling bling » n’a aucun sens. Si on veut construire une image, il faut s’appuyer sur le réel.

 Le territoire d’Aix-Marseille est multipolaire ? Est-ce un modèle exemplaire de métropole ? Effectivement c’est une chance. Tout seul, on ne peut rien faire. Cela permet d’atteindre une masse critique en terme d’emplois. Tout en préservant une qualité de vie dans chacun des deux pôles.

 La mixité fonctionnelle pour les acteurs économiques ne peut pas exister. En économie, la tendance est à la concentration des fonctions : est-ce contradictoire avec la compacité ? Est-il nécessaire de changer les pratiques des acteurs économiques ? Il faut associer des fonctions complémentaires. On réfléchit par exemple à mettre des étudiants dans les quartiers d’affaires. Ils peuvent faire du bruit le soir sans que cela gêne personne ! Mais aujourd’hui, le quartier d’affaires accueille peu de logements.

 Echanges autour de la rénovation urbaineIl est important d’éviter les projets trop complexes et de gar-der une partie du projet « adaptable », un projet qui permette à l’espace public d’évoluer. Cette souplesse est essentielle pour accueillir de nouvelles idées, expérimenter des choses, favoriser l’innovation et l’initiative pour penser d’autres formes d’habitat.

Développement de la notion de classe créative qui prend en main leur destin et un site. Des micro-communautés s’organisent pour devenir acteurs de l’organisation urbaine. On ne planifie plus la ville comme avant. Des initiatives privées sont aujourd’hui deve-nues des projets.

«En urbanisme, l’in-térêt général n’est jamais la somme des intérêts

particuliers »