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THÈME 3 : STRATIFICATION SOCIALE ET INÉGALITÉS Vous avez vu en classe de première que les sociétés, toutes les sociétés, sont constituées de groupes sociaux (aucune société n'est donc parfaitement « homogène ») et que ce sont les liens, aussi bien entre membres d'un même groupe qu'entre membres de groupes différents, qui constituent la vie sociale. Ces groupes ne sont pas juxtaposés les uns à côté des autres, ils sont hiérarchisés et entretiennent donc des relations marquées par la domination de certains et par le fait qu'il existe des inégalités et des différences entre les membres des différents groupes. Dans les sociétés modernes, ces groupes ne sont pas étanches (il y a toujours une certaine circulation d'individus entre les groupes). De même, au cours du temps, les groupes et leur hiérarchie (et donc les inégalités) se transforment. C'est un des aspects manifestes du changement social (ou de la dynamique sociale). Nous allons donc partir de ce constat et nous demander comment et en quoi la stratification sociale se transforme au cours du temps (chapitre 1). Puis nous nous demanderons dans quelle mesure les individus peuvent circuler entre les groupes sociaux : c'est la question de la mobilité sociale (chapitre 2). En effet, vous savez bien que les privilèges ont été abolis en France à la Révolution et qu'on n'hérite plus automatiquement de la position sociale de son père. Mais y a-t-il pour autant une réelle mobilité sociale ? La persistance des inégalités et la difficulté de la mobilité sociale posent une question fondamentale à nos démocraties : comment assurer l'égalité des citoyens, l'égalité réelle et non l'égalité formelle des droits (qui est inscrite dans la Constitution) ? Mais avant de répondre à cette question, il faudra réfléchir au contenu même de la notion d'égalité : la société recherche-t-elle l'égalité ou la justice, n'y a-t-il pas des inégalités justes ? Mais alors, qu'est-ce que nos sociétés appellent le « juste », quels sont les critères de ce qui est ressenti comme « juste » dans notre société ? Vous le voyez, on est ici dans le domaine des valeurs. Nous aborderons toutes ces questions dans le troisième et dernier chapitre, quand nous nous référerons à ce que l'on appelle « l'idéal égalitaire » dans les sociétés démocratiques. CHAPITRE 1 : LA STRATIFICATION SOCIALE ET SA DYNAMIQUE Nous avons vu dans notre dernier chapitre que les mutations de l'économie, provoquées par le progrès technique et la mondialisation, n'étaient pas profitables à tous : il y a ceux, qualifiés, qui profitent de la modification du marché du travail ; et il y a les autres, non qualifiés, qui sont au chômage ou acceptent des emplois précaires. Il y a les insiders, qui profitent des contrats de travail stables du « marché interne » du travail (CDI, temps plein, salaire croissant) ; et il y a les outsiders, qui subissent la précarité des contrats de travail flexibles du « marché externe » du travail » (CDD, intérims, temps partiels). Ainsi, la société évolue, notamment avec les mutations de l'économie ; elle n'est pas statique. Et les salariés qui ne l'ont pas compris, et qui par exemple ne satisferaient pas à l'exigence de formation continue, risquent fort de dégringoler l'échelle sociale, de quitter les marchés internes du travail pour les marchés externes. Mais toutes les évolutions de la société vont-elles dans le sens de cette dualisation du marché du travail ? La stratification sociale évolue-t-elle vers plus d'égalité entre individus, ou vers plus d'inégalités ? C'est la question que nous nous poserons dans ce premier chapitre. Pour y répondre, nous devrons tout d'abord nous attarder sur ce qu'est une inégalité. Puis nous détaillerons les inégalités que connaît la société française. Nous nous attarderons sur les outils qui permettent d'analyser la structure sociale, à savoir les classes sociales et les PCS. Enfin, nous étudierons la dynamique de la stratification sociale, en nous demandant si la société évolue vers une « moyennisation » ou vers une « polarisation ». 1. Une inégalité est une différence particulière.............................................................................................1 1.1. Nous vivons dans une société où les individus sont égaux en droit.....................................................2 1.1.1. Tous les individus appartiennent à des groupes sociaux..............................................................................2 1.1.2. Les groupes sociaux obéissaient à des hiérarchies de droit, les castes et les ordres.................................2 1.2. Mais il subsiste des différences qui peuvent devenir inégalités............................................................2 2. Des inégalités qui font système et qui créent une structure sociale......................................................3 2.1. Les inégalités économiques se mesurent grâce à divers outils : médiane, déciles, courbe de Lorenz, coefficient de Gini.........................................................................................................................................3 2.2. Les inégalités économiques ne se limitent pas aux inégalités de salaire.............................................4 2.2.1. Des inégalités de salaire aux inégalités de revenus......................................................................................4 2.2.2. Des inégalités de revenus aux inégalités économiques................................................................................5 2.2.3. Derrière la notion d'inégalités se trouve l'idée de richesse et de « pauvreté ».............................................5 2.3. Les inégalités économiques « font système » et se cumulent avec d'autres inégalités.......................6 2.3.1. Les conséquences des inégalités sont multiples... .......................................................................................6 2.3.2. ... Et les causes d'inégalités sont multiples... ................................................................................................ 7 2.3.3. ... Si bien que l'on parle d'inégalités « cumulatives »....................................................................................8 3. Des outils pour analyser la stratification sociale : classes sociales et PCS.........................................9 3.1. Les classes sociales, un outil théorique parfois remis en cause..........................................................9 3.1.1. Les classes sociales dans la pensée de Karl MARX..................................................................................... 9 3.1.2. Les classes sociales pour Pierre BOURDIEU...............................................................................................9 3.1.3. Les classes sociales dans la lignée weberienne.........................................................................................10 3.1.4. La remise en cause des classes sociales : la vision « cosmographique » de la société...........................10 3.2. Les PCS, un outil empirique................................................................................................................10 4. Les inégalités se transforment : vers une moyennisation ou vers une polarisation ?.......................12 4.1. La dynamique de la moyennisation, ou la baisse séculaire des inégalités.........................................12 4.1.1. Les inégalités se sont globalement réduites au XXè siècle... ....................................................................12 4.1.2. ... Ce qui a conduit à l'émergence d'une vaste classe moyenne................................................................12 4.2. Cependant on peut craindre aujourd'hui une remontée des inégalités..............................................13 4.2.1. Une « repolarisation » de la société ?..........................................................................................................13 4.2.2. Des frontières de plus en plus floues entre les groupes sociaux................................................................13 4.2.3. La thèse de Louis CHAUVEL sur « le retour des classes sociales »..........................................................14 1. Une inégalité est une différence particulière « Liberté, égalité, fraternité », « Tous différents, tous égaux » : autant de slogans qui nous rappellent que nos idéaux sont éloignés de notre réalité. Nous verrons tout d'abord que notre société est caractérisée par une égalité juridique entre individus, ce qui n'est pas le cas dans toute société. Mais il y subsiste des différences, qui deviennent inégalités et créent une structure sociale.

T 3 : SOCIALE ET IN à é HÈME STRATIFICATION ÉGALITÉS€¦ · différents groupes sociaux, existe pourtant toujours : il existe des rapports inégaux entre les individus et les

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Page 1: T 3 : SOCIALE ET IN à é HÈME STRATIFICATION ÉGALITÉS€¦ · différents groupes sociaux, existe pourtant toujours : il existe des rapports inégaux entre les individus et les

THÈME 3 : STRATIFICATION SOCIALE ET INÉGALITÉS

Vous avez vu en classe de première que les sociétés, toutes les sociétés, sont constituées de groupes sociaux (aucune société n'est donc parfaitement « homogène ») et que ce sont les liens, aussi bien entre membres d'un même groupe qu'entre membres de groupes différents, qui constituent la vie sociale. Ces groupes ne sont pas juxtaposés les uns à côté des autres, ils sont  hiérarchisés et entretiennent donc des relations marquées par la domination de certains et par le fait qu'il existe des inégalités et des différences entre les membres des différents groupes. 

Dans les sociétés modernes, ces groupes ne sont pas étanches (il y a toujours une certaine circulation d'individus entre les groupes). De même, au cours du temps, les groupes et  leur hiérarchie (et donc les inégalités) se transforment.  C'est un des aspects manifestes du  changement social  (ou de la dynamique sociale). 

Nous allons donc partir de ce constat et nous demander comment et en quoi la stratification sociale se transforme au cours du temps (chapitre 1). Puis nous nous demanderons dans quelle mesure les individus peuvent circuler entre les groupes sociaux : c'est  la question de la mobilité sociale (chapitre 2). En effet, vous   savez   bien   que   les   privilèges   ont   été   abolis   en   France   à   la   Révolution   et   qu'on   n'hérite   plus automatiquement de la position sociale de son père. Mais y a­t­il pour autant une réelle mobilité sociale ? 

La persistance des inégalités et la difficulté de la mobilité sociale posent une question fondamentale à nos démocraties : comment assurer l'égalité des citoyens, l'égalité réelle et non l'égalité formelle des droits (qui  est   inscrite  dans   la  Constitution) ?  Mais  avant  de   répondre  à   cette  question,   il   faudra   réfléchir  au contenu même de  la notion d'égalité :   la société   recherche­t­elle  l'égalité  ou la justice, n'y a­t­il  pas des inégalités justes ? Mais alors, qu'est­ce que nos sociétés appellent le « juste », quels sont les critères de ce qui est ressenti comme « juste » dans notre société ? Vous le voyez, on est ici dans le domaine des valeurs. Nous aborderons toutes ces questions dans le troisième et dernier chapitre, quand nous nous référerons à ce que l'on appelle « l'idéal égalitaire » dans les sociétés démocratiques. 

CHAPITRE 1 : LA STRATIFICATION SOCIALE ET SA DYNAMIQUENous avons vu dans notre dernier chapitre que les mutations de l'économie, provoquées par le progrès 

technique et  la mondialisation,  n'étaient  pas profitables à   tous :   il  y  a ceux,  qualifiés,  qui  profitent  de  la modification du marché du travail ; et il y a les autres, non qualifiés, qui sont au chômage ou acceptent des emplois précaires. Il y a les insiders, qui profitent des contrats de travail stables du « marché interne » du travail (CDI, temps plein, salaire croissant) ; et il y a les outsiders, qui subissent la précarité des contrats de travail flexibles du « marché externe » du travail » (CDD, intérims, temps partiels). 

Ainsi,  la société évolue, notamment avec les mutations de l'économie ; elle n'est pas statique. Et  les salariés qui ne l'ont pas compris, et qui par exemple ne satisferaient pas à l'exigence de formation continue, risquent fort de dégringoler  l'échelle sociale,  de quitter   les marchés internes du travail  pour les marchés externes.

Mais  toutes   les évolutions  de  la  société  vont­elles dans  le sens de cette dualisation du marché  du travail ? La stratification sociale évolue­t­elle vers plus d'égalité entre individus, ou vers plus d'inégalités ? C'est la question que nous nous poserons dans ce premier chapitre. 

Pour   y   répondre,   nous  devrons   tout   d'abord   nous  attarder   sur   ce   qu'est   une   inégalité.  Puis  nous détaillerons   les   inégalités   que   connaît   la   société   française.   Nous   nous   attarderons   sur   les   outils   qui 

permettent d'analyser la structure sociale, à savoir les classes sociales et les PCS. Enfin, nous étudierons la dynamique de la stratification sociale, en nous demandant si la société évolue vers une « moyennisation » ou vers une « polarisation ».

1. Une inégalité est une différence particulière.............................................................................................11.1. Nous vivons dans une société où les individus sont égaux en droit.....................................................2

1.1.1. Tous les individus appartiennent à des groupes sociaux..............................................................................21.1.2. Les groupes sociaux obéissaient à des hiérarchies de droit, les castes et les ordres.................................2

1.2. Mais il subsiste des différences qui peuvent devenir inégalités............................................................2

2. Des inégalités qui font système et qui créent une structure sociale......................................................32.1. Les inégalités économiques se mesurent grâce à divers outils : médiane, déciles, courbe de Lorenz, coefficient de Gini.........................................................................................................................................32.2. Les inégalités économiques ne se limitent pas aux inégalités de salaire.............................................4

2.2.1. Des inégalités de salaire aux inégalités de revenus......................................................................................42.2.2. Des inégalités de revenus aux inégalités économiques................................................................................52.2.3. Derrière la notion d'inégalités se trouve l'idée de richesse et de « pauvreté ».............................................5

2.3. Les inégalités économiques « font système » et se cumulent avec d'autres inégalités.......................62.3.1. Les conséquences des inégalités sont multiples... .......................................................................................62.3.2. ... Et les causes d'inégalités sont multiples... ................................................................................................72.3.3. ... Si bien que l'on parle d'inégalités « cumulatives »....................................................................................8

3. Des outils pour analyser la stratification sociale : classes sociales et PCS.........................................93.1. Les classes sociales, un outil théorique parfois remis en cause..........................................................9

3.1.1. Les classes sociales dans la pensée de Karl MARX.....................................................................................93.1.2. Les classes sociales pour Pierre BOURDIEU...............................................................................................93.1.3. Les classes sociales dans la lignée weberienne.........................................................................................103.1.4. La remise en cause des classes sociales : la vision « cosmographique » de la société...........................10

3.2. Les PCS, un outil empirique................................................................................................................10

4. Les inégalités se transforment : vers une moyennisation ou vers une polarisation ?.......................124.1. La dynamique de la moyennisation, ou la baisse séculaire des inégalités.........................................12

4.1.1. Les inégalités se sont globalement réduites au XXè siècle... ....................................................................124.1.2. ... Ce qui a conduit à l'émergence d'une vaste classe moyenne................................................................12

4.2. Cependant on peut craindre aujourd'hui une remontée des inégalités..............................................134.2.1. Une « repolarisation » de la société ?..........................................................................................................134.2.2. Des frontières de plus en plus floues entre les groupes sociaux................................................................134.2.3. La thèse de Louis CHAUVEL sur « le retour des classes sociales »..........................................................14

1.  Une inégalité est une différence particulière« Liberté,  égalité,   fraternité », « Tous différents,  tous égaux » : autant de slogans qui nous rappellent 

que nos idéaux sont éloignés de notre réalité. Nous verrons tout d'abord que notre société est caractérisée par une égalité juridique entre individus, ce qui n'est pas le cas dans toute société. Mais il y subsiste des différences, qui deviennent inégalités et créent une structure sociale.

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1.1. Nous vivons dans une société où les individus sont égaux en droit1.1.1. Tous les individus appartiennent à des groupes sociaux

Ce cours  est  écrit  pour  un  groupe,  celui  des  élèves  de  terminale du  lycée des Pontonniers.  Vous, lecteurs,   faites   donc   partie   de   ce   groupe   particulier.   Mais   ce   n'est  a   priori  pas   le   seul   auquel   vous appartenez : en un sens très large, vous faites partie du groupe des Français, en un sens plus restreint, vous faites partie du groupe qu'est votre famille.

Vous   faites  en  premier   lieu  partie  de  groupes  sociaux  auxquels   vous  avez  pleinement   conscience d'appartenir, que l'on nomme groupes sociaux réels, ou encore  réseaux sociaux. On désigne sous ces appellation   les   groupes   qui   existent   dans   la   réalité,   c'est­à­dire   qui   sont   constitués   d'individus   qui   se connaissent   les uns les autres et qui  sont  en  interaction.  Par exemple,  le groupe des  lycéens du lycée international est un groupe réel : vous vous connaissez plus ou moins, et si vous souhaitez faire passer un message à quelqu'un de précis, vous connaissez toujours quelqu'un qui connaît  quelqu'un qui connaît  la personne que vous cherchez.

Vous faites en second lieu partie de groupes sociaux sans forcément vous en rendre compte : vous faites parte de ce que l'on nomme des catégories sociales, ou encore des groupes sociaux nominaux, c'est­à­dire de catégories créées par le sociologue pour les étudier. Ce sont des groupes dont la particularité  est toujours de répondre à un critère particulier : il s'agit par exemple du groupe des jeunes Français de 15 à 20 ans ; ou encore du groupe des individus à lunettes ; ou encore du groupe des personnes dialectophones. Les individus qui sont comptabilisés dans ce groupe ne sont pas forcément en interaction, c'est pourquoi ce groupe est dit nominal et non réel.

Peut­être  enfin   faites­vous  partie  d'un  dernier   type  de groupe social,  bien  plus particulier,  qu'est   la classe   sociale :   il   s'agit   d'un  ensemble   d’individus   partageant   des   caractéristiques   économiques   et  culturelles communes telles que les classes sont hiérarchisées. Par exemple, les « bourgeois » constituent une  classe   sociale  car   ils  ont  des   caractéristiques  communes   (beaucoup  de   ressources   financières  et culturelles) et car ils se situent « au­dessus » des « classes populaires ». La classe sociale se situe entre le concept  de  groupe  social   réel  et  celui   de  groupe  social   nominal :   bien  sûr,   tous   les  bourgeois  ne   se connaissent pas, mais ils ont tous la conscience d'appartenir à la classe des bourgeois (nous reverrons cette particularité plus loin dans ce chapitre).

1.1.2. Les groupes sociaux obéissaient à des hiérarchies de droit, les castes et les ordresCes  groupes  sociaux  ont   toujours   existé :   depuis   l'Antiquité,   les  historiens  décrivent   l'existence  de 

différentes catégories d'individus. Mais ce qui différencie notre situation en Occident depuis deux siècles est la  suppression  des  groupes  juridiquement  supérieurs  aux  autres.  Dans   la  Grèce antique,   il   y  avait  par exemple différentes catégories d'individus qui n'avaient pas les mêmes droits : au sommet de la hiérarchie, on trouvait les citoyens, qui possédaient le plus de droits ; puis les femmes ; puis les « métèques » (les non­Grecs) ; et enfin les esclaves. Deux autres types de ces hiérarchies ont perduré plus longtemps : celle des castes – qui ne sera pas développée ici – et celle des ordres.

Les   trois   ordres   ou   « états »   (clergé,   noblesse,   tiers­état),   abolis   par   la   Révolution   dès   1789, représentaient une classification « idéale » des rapports sociopolitiques, traditionnelle en Europe depuis le régime féodal (XII – XIIIème siècle). Cette répartition juridique en trois groupes organisait une division des tâches et la reproduction indéfinie des statuts de base de croyances sacralisant le pouvoir et les hiérarchies établies.   Les   occidentaux   ont   largement   utilisé   leur   fonds   religieux   pour   distinguer   l’« en­haut » 

aristocratique, composé de ceux qui prient ou combattent, de l’« en­bas » roturier où se classent tous les hommes libres travaillant de leurs mains, à l’exclusion des serfs formant une catégorie à part. 

Dans le système d'ordres tout comme dans le système de castes, c'est la loi qui encadre la place de l'individu dans la hiérarchie sociale. Ainsi, il est impossible à un membre du Tiers­état de devenir noble, sauf  décision   du   Roi,   c'est­à­dire   du   pouvoir   politique.   Par   contre,   il   est   possible   qu'un   noble   soit   déchu, notamment s'il travaille de ses mains (il perd alors son titre nobiliaire).

Aujourd'hui cependant, ces différences juridiques n'existent plus : les hommes sont  libres et égaux en droit. La stratification sociale, qui décrit la manière dont la société différencie et hiérarchise les fonctions des différents groupes sociaux, existe pourtant toujours : il existe des rapports inégaux entre les individus et les groupes. La difficulté est alors de la justifier, de la rendre légitime aux yeux des individus, surtout dans une société ouverte caractérisée par une égalité des individus en droit.

La dynamique sociale nous a donc fait passer d'une société à la structure juridiquement établie à une société dont la structure est juridiquement égalitaire. Cependant, le droit n'a pas toujours des conséquences dans la réalité, car il subsiste toujours des inégalités.

1.2. Mais il subsiste des différences qui peuvent devenir inégalités

Aujourd'hui, en France, il n'existe plus de hiérarchie de droit, ce qui n'empêche pas les individus d'être différents. Or, parfois, une différence se transforme en inégalité.

Dans   les  sociétés  modernes,  à   la   fois  égalitaires  et individualistes,   la   situation   est   très   différente   de   celle présentée précédemment. L’affirmation de l’égalité de droit entre   tous   les   individus   a   entraîné   la   disparition   des groupes sociaux fermés sur eux­mêmes. En droit, rien ne s’oppose plus à  la mobilité sociale des individus, c’est à  dire au changement de position sociale au cours de la vie d’un individu ou entre générations.

La DDHC de 1789 a supprimé les inégalités de droit. Mais cela n'empêche pas certaines personnes d'être blondes et d'autres d'être rousses ; cela n'empêche pas   certaines   personnes   d'avoir   un   salaire   élevé   et d'autres   d'avoir   un   salaire   faible ;   cela   n'empêche   pas certaines personnes d'être des femmes et d'autres d'être des hommes.

Or,  bien  que  ces  différences  soient   le  plus  souvent anodines,   sans   conséquences,   elles   ne   le   sont   pas toujours :   les   différences   se   transforment   parfois   en inégalités.  Prenons  une  différence  contre   laquelle   il   est très difficile de lutter : le « genre » (c'est­à­dire le sexe). En quoi cette différence peut­elle se muer en inégalité ? C'est ce que nous montre le tableau ci­dessus : les femmes ont 

Document   1 :   hommes/femmes,   différences   ou inégalités ?

Hommes FemmesTaux d’activité en 2003 (en %) 75,1 63,4Taux de chômage (en %) 8,7 10,9Personnes en sous­emploi en  2003 (en milliers)* 278 908

Salaires mensuels nets moyens  pour les postes à temps complet en 2005 (en euros)

1982 1599

Temps de loisirs en 1999(en heures par jour) 4h20 3h32

Espérance de vie à la  naissance en 2005 (en années) 76,8 83,8

*  personnes   travaillant   involontairement  moins  que  la  durée normale du travail

Insee, TEF 2004­2005

Document 2 : inégalités et différencesToute   différence   devient   inégalité   à   partir   du 

moment  où  elle  est   traduite  en  termes  d'avantages par   rapport   à   une   échelle   d'appréciations.   Deux idiomes cessent  d'être  simplement  différents  quand l'un   est   celui   d'une   minorité   devant   passer   par   le second pour faire connaître ses idées, défendre ses intérêts, participer à la vie politique et économique de la nation. Deux chevaux de course cessent de n'être que   différents   par   la   couleur,   l'allure,   etc.,   et deviennent   inégaux   si   l'un   se   classe   régulièrement mieux que l'autre.

Roger GIRAUD, Les Inégalités sociales, PUF, 1984.

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un taux d'activité moindre, un taux de chômage plus élevé, elles subissent plus de temps partiels imposés, elles ont des salaires inférieurs,  et ont moins de temps de loisir  quotidien (ce qui revient à dire qu'elles s'occupent plus de la maison). Une seule consolation : elles vivent en moyenne plus longtemps que les hommes.

Nous   pouvons   donc   retenir   que   certaines   différences   deviennent  des   inégalités,   c'est­à­dire   des différences  qui  se   traduisent  en   termes  d'avantage  et  de désavantage  et  qui   fondent  donc une hiérarchie.  Une  inégalité  se  transforme en différence dès   lors qu'elle  est   ressentie  comme tel  par  des individus – c'est une notion subjective – et qu'elle engendre un avantage ou un désavantage. Comme le précise le Programme officiel  de SES, « les inégalités traduisent des différences d'accès aux ressources rares et socialement prisées ».

Or, toutes les sociétés sont inégales, elles sont toutes structurées, ou encore stratifiées. Mais pas dans les mêmes proportions : c'est pourquoi il convient de se poser la question de la nature et de l'ampleur de ces inégalités.

2.  Des inégalités qui font système et qui créent une structure socialeNous  étudierons  en  premier   lieu   les  quelques  outils  mathématiques  qui  permettent  de  mesurer   les 

inégalités, Puis nous nous pencherons sur les principales inégalités que nous rencontrons, les inégalités économiques ; avant de présenter les autres types d'inégalités.

2.1. Les inégalités économiques se mesurent grâce à divers outils :  médiane, déciles, courbe de Lorenz, coefficient de Gini

L'outil   statistique   le  plus  communément  utilisé,   la  moyenne,  ne  nous  est   que  de  peu  d'utilité  pour mesurer les inégalités, car il ne nous renseigne pas sur la position des   différents   individus   autour   de   cette   moyenne.   Ainsi,   si   10 personnes  possèdent  en  moyenne  1000€,   cela  peut   signifier   que l'une d'elle possède 9991€ et les neuf autres 1€, ce qui correspond à une situation  de grande  inégalité ;  ou  bien  cela peut  signifier  que chaque personne possède 1000€. 

Les outils utilisés sont donc tous basés sur sur la médiane, c'est­à­dire   la   valeur   centrale   d'une   population   qui   la   sépare   en   deux parties égales. Pour la calculer, il faut commencer par classer les n valeurs de la population par ordre croissant. S'il y a un nombre impair de valeurs, la médiane est la valeur n°  n1/2 . S'il y a un nombre pair de valeurs, la médiane est égale à la moyenne entre les valeurs n° n /2  et  n /21 . 

Soit cinq personnes qui détiennent respectivement : 100€, 120€, 150€, 160€ et 200€. La médiane de cette population est égale à la (5+1)/2  soit   la   troisième  valeur  de   la  population,   soit   150€.  Cela signifie  que   la  moitié   de   la  population  détient   150€   ou  moins,   la moitié de la population détient 150€ ou plus. En 2005 d'après l'Insee, le Revenu Disponible Brut (RDB) médian en France était de 16.348€ 

par  unité  de consommation et par  an :   la moitié  des « unités de consommation » ont un revenu annuel inférieur ou égal à 16.348 euros (soit 1.362€ par mois). Ce revenu médian nous permet de calculer le seuil de pauvreté, qui se situe à 60% (ou 50%) du revenu médian. On parle bien ici d'inégalités, car la médiane permet de connaître la répartition des richesses au sein de la population.

La même méthode de calcul est utilisée pour ce que l'on nomme les déciles. Au lieu d'être divisée en deux parties égales, la population est divisée en dix parties égales. Lorsqu'on calcule la médiane, on trouve une seule valeur pour une population divisée en deux : lorsqu'on calcule les déciles, on trouve neuf valeurs (les déciles D1 à D9) qui divisent la population en dix. Le premier décile (D1) correspond au revenu en­dessous duquel se situent 10% de la population. Le décile D9 correspond au revenu en­dessous duquel se situent  90% de  la  population.  On peut   le  dire  de   façon   inverse :  90% de  la  population  ont  un   revenu supérieur au décile D1 ; 10% ont un revenu supérieur au décile D9. Attention : la population est divisée en dix, mais il n'y a que neuf déciles, de D1 à D9 (tout comme il n'y a qu'une médiane quand la population est divisée en deux).

Pour aller plus loin, on peut calculer le rapport interdéciles, qui n'est autre que le rapport entre D9 et D1, qui sont  les bornes à  l'intérieur desquelles se trouvent 80% de la population. Il est égal à ......  dans l'exemple ci­contre. Cela signifie que les 10% de la population les plus aisés ont un revenu au moins ...... fois supérieur aux 10% les moins aisés. Mais ce ratio n'est pas parfait, car il ne prend pas en compte ce qui est  à   l'extérieur  de  l'écart  D1­D9,  c'est­à­dire principalement  qu'il  ne prend pas en compte  le degré  de pauvreté  des  10%  les  plus  pauvres   (sont­ils   tous  proches  de  D1 ou  tous  proches  de  zéro ?),  ni  bien évidemment le degré de richesse des 10% les plus riches, qui peuvent être infiniment riches sans que D9 

n'en rende compte (car D9 ne donne le revenu que du plus pauvre des plus riches !). Pour éviter ce problème, il est possible de calculer un autre   ratio,   le   quotient   du   revenu   moyen   du   10è   dixième   de   la population (donc de ceux qui sont au­dessus de D9) et du 1er dixième de la population (donc de ceux qui sont en­dessous de D1). Pour la même période, ce ratio est environ égal à 5,8 : les 10% les plus riches sont  en  moyenne  près  de  6   fois  plus   riches  que   les  10%  les  plus pauvres. 

Les   mêmes   calculs   pourraient   être   effectués   en   calculant   les centiles : au lieu de diviser la population en dix, on la divise en cent parties égales. Il y a donc 99 centiles,  de C1 à C99. On peut de la même façon calculer le rapport intercentiles, C99/C1 [les centiles ne sont pas explicitement au programme].

Une   représentation   graphique   permet   de   représenter   plus précisément   les   inégalités  économiques  au sein d'une population,   il s'agit  de la  courbe de Lorenz. Pour la construire,  il  faut en premier lieu connaître le revenu dont dispose chaque dixième de la population.

Document   3 :   Revenu   sisponible   par unité  de consommation de l'ensemble des ménages en 1999 (en euros)

Décile Valeur du décile

D1 7.194

D2 9.003

D3 10.466

D4 11.790

D5 13.151

D6 14.760

D7 16.660

D8 19.325

D9 23.789

Champ : ménages dont le revenu fiscal est  positif ou nul et le revenu disponible positif. Les  

revenus du patrimoine sont exclus.Source : Insee, enquête « Revenus  

fiscaux »

Document   4 :   éléments   pour construire la courbe de Lorenz

DixièmeRevenu par dixième (en 

%)

Revenu cumulé (en 

%)

1 3,8 3,8

2 5,5 9,3

3 6,6

4 7,5

5 8,4

6 9,4

7 10,6

8 12,0

9 14,2

10 22,0 100

Lecture : le 6è dixième des ménages dispose  de  9,4% du   revenu   total ;   les  20%  les  plus  pauvres disposent de 9,3% du revenu.Souce : op.cit.

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 Attention : ne pas confondre un dixième (le premier dixième est composé des 10% les plus pauvres) et un décile (la borne supérieure du premier dixième) ; il y a dix dixième, mais uniquement neuf déciles (car l'éventuel dixième décile, la borne supérieure des plus riches, c'est­à­dire le revenu le plus élevé de France, n'est   pas   connu   et   n'aurait   pas   de   signification   précise).   On   calcule   ensuite   le   revenu   cumulé,   en pourcentage du revenu total, comme dans le tableau du document 4. On représente ensuite en abscisse les ménages par dixième successif et en ordonnée le revenu cumulé en pourcentage. Dans le cas d'une égalité parfaite  entre  tous  les  individus,   la  courbe est  confondue avec  la diagonale :   les  10% les plus pauvres possèdent 10% du revenu, etc. Et plus on s'éloigne de cette diagonale (vers le bas), plus les inégalités sont importantes. La courbe de Lorenz des données précédentes est représentées ci­dessus.

Grâce   à   cette   représentation graphique,   nous   pouvons   utiliser   un autre  outil,   le  coefficient  de  Gini  [qui n'est pas explicitement  au programme]. Commencez   par   hachurer   sur   le graphique   la  surface  comprise  entre   la courbe de Lorenz et la diagonale. Plus la surface   hachurée   est   importante, plus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Si   l'on   divise   cette   surface   par   la surface   du   triangle   rectangle   inférieur droit créé par la diagonale, on obtient un chiffre compris entre zéro et un. Lorsque ce   chiffre   est   proche   de   zéro,   cela signifie   que   les   inégalités sont . . . . . . . . . . . . . . Si au contraire ce chiffre est proche de 1, cela signifie que les inégalités sont . . . . . . . . . . . . . . . . . Ce coefficient, qui nous fournit un indice global   des   inégalités   dans   un   pays 

donné, est nommé coefficient de Gini.

2.2. Les inégalités économiques ne se limitent pas aux inégalités de salaireLes inégalités les plus visibles sont les inégalités économiques. Mais celles­ci ne se limitent pas aux 

inégalités de salaires : il faut également prendre en compte les autres revenus, et le patrimoine. Enfin, il faut se demander à partir de quand on considère qu'un individu est « pauvre ».

2.2.1. Des inégalités de salaire aux inégalités de revenusIl y a en France, comme dans toutes les sociétés, des inégalités de salaires. Elles sont importantes, 

mais ce sont aussi  les plus faibles et les plus stables. Elles peuvent s'expliquer de deux façon différentes, qui sont propres à nos normes et à nos valeurs.

Elles dépendent  en premier  lieu de  la  « valeur »  que la société  attribue aux différents postes de  la hiérarchie du travail. Par exemple, il est considéré comme « normal », c'est­à­dire qu'il est conforme à nos 

valeurs  que  le  directeur   financier  d'une entreprise  gagne plus  que  les  ouvriers.  Deux  justifications  sont souvent apportées, la responsabilité et la qualification : on estime que le poste est plus important pour la bonne marche de l'entreprise et  impose de plus grandes responsabilités, et qu'il  nécessite plus d'études pour y accéder. 

Les  inégalités de salaire dépendent  en second  lieu du  rapport  de force  entre  les salariés et   leurs employeurs : certaines professions, par exemple parce qu'elles sont, à un moment donné, très demandées, obtiennent des salaires plus élevés (comme, par exemple, les informaticiens). 

Ainsi, en 2000, le salaire mensuel moyen des ouvriers et des employés à temps plein (1200€ environ)  est  2,5   fois  plus  petit   que   le  salaire  mensuel  moyen  des  cadres   (plus  de  3000€).  Les  ouvriers  et   les employés représentent au total environ 58% de la population active et les cadres 12.5% environ (données de Louis CHAUVEL, « Le retour des classes sociales ? », in DEES 127, mars 2002). Au cours du XXème siècle,   les  inégalités de salaires ont  peu varié  du côté  « haut » de la hiérarchie :   l'écart  entre  les hauts salaires et le salaire moyen est resté à peu près le même. Par contre, les inégalités entre les bas salaires et le salaire moyen se sont beaucoup réduites, surtout depuis 1968 grâce à l'instauration et à la revalorisation du SMIC (le rapport interdécile des salaires est ainsi passé de 4 à 3,1 entre 1968 et 2000, ibid.). 

Mais ces inégalités ne suffisent pas à qualifier les inégalités économiques : le revenu des individus ne provient pas uniquement de leur salaire. On rappelle que le salaire est un revenu du travail perçu par un salarié, c'est­à­dire un travailleur lié par un contrat de travail à un employeur. Le revenu est constitué de l'ensemble des sommes perçues à un titre ou à un autre : revenus du travail (salaire et autres revenus du travail  comme les honoraires),  revenus du capital  (loyers perçus,  dividendes par exemples),   revenus de transfert sociaux (prestations sociales, par exemple). Ainsi, pour l'Insee, le « Revenu disponible brut » ou RDB est  égal  aux   revenus  primaires   (revenus  du  travail  et   revenus  du capital,  qui  correspondent  à   la contribution à l'activité économique) auxquels on ajoute les revenus de transferts et auxquels on soustrait les impôts et cotisations sociales.

Revenus primaires = Revenus du travail Revenus du capitalRDB = Revenus primaires Revenus de transfert − Impôts Cotisations sociales

Les   inégalités  de   revenus  sont   plus fortes   que   les   inégalités   de   salaires   et tendent   à   augmenter   avec   la   crise économique. L'écart entre les revenus est toujours   plus   fort   que   l'écart   entre   les salaires,   parce   que   les   revenus   sont moins   « protégés »   que   les   salaires : ainsi,   le   RMI   (Revenu   minimum d'insertion) est deux fois moins élevé que le   SMIC   (Salaire   minimum interprofessionnel   de   croissance).   Les inégalités   de   revenus,   après   s'être  bien réduites au XXème siècle, ont augmenté sensiblement depuis le début des années 1980   (cf.   graphique   ci­contre).   La 

Document 6 :

Document 5 : courbe de Lorenz en France en 1999

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 100

20

40

60

80

100

120

Dixièmes de la population

Reve

nu c

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%

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première  explication  de  ce   retour  des   inégalités  est   le  chômage :  en  perdant   leur  emploi,   les   individus perdent   aussi   leur   revenu,   ce   qui   « tire   vers   le   bas »   la   hiérarchie   des   revenus.   Mais   une   deuxième explication tient au fait que les revenus du travail ont augmenté moins vite que les revenus du capital depuis vingt­cinq ans. Or ces derniers sont surtout perçus par les personnes les plus riches, ce qui a accru l'écart entre elles et le reste de la population. 

2.2.2. Des inégalités de revenus aux inégalités économiquesLes   inégalités  de   revenus  ne  forment  pas   l'ensemble  des   inégalités  économiques  qui   touchent   les 

individus : il  faut y ajouter  les  inégalités de patrimoine.  Le patrimoine est constitué  par  l'ensemble des biens possédés par un individu ou, le plus souvent, par un ménage : il est composé d'immeubles (terres, maisons, appartement, bâtiments de production), de valeurs mobilières (actions et obligations par exemple), de liquidités déposées sur des comptes bancaires, d'objets d'art, de bijoux, etc. 

Les revenus sont donc des flux, alors que le patrimoine est un stock. Le stock augmente lorsque le flux entrant (les revenus) est plus important que le flux sortant (les dépenses). On peut donc acquérir du patrimoine grâce à son revenu, ou bien en héritant. Il peut ainsi être transmis à ses héritiers (mais il faut payer des impôts sur   la succession).  Il  est   logique de penser  que si on a des revenus faibles, on aura souvent  un  patrimoine  faible   (même si  ce n'est  pas  toujours   le  cas :  un  agriculteur  propriétaire  de  son exploitation peut avoir des revenus faibles alors qu'il  détient un patrimoine).  Les inégalités de patrimoine sont   en   effet   les   inégalités   économiques   les   plus   fortes.   On observe   que   20%   de   la   population   ne   disposent   d'aucun patrimoine. Dans ces conditions, il devient difficile de mesurer un écart, il vaut mieux parler de gouffre ! 

Le patrimoine étant le résultat de l'épargne des individus, et la capacité   d'épargne   augmentant   plus   vite   que   le   revenu,   les inégalités  de patrimoines  sont  nécessairement  plus   importantes que les inégalités de revenus. Une personne qui gagne 1000€ par mois en consommera peut­être 950 et aura donc 50€ d'épargne ; tandis qu'une personne gagnant 2000€ par mois, parce que ses besoins sont mieux satisfaits, consommera une moins grande part de   son   revenu   et   pourra   épargner   proportionnellement   plus, mettons 400€. L'écart entre les deux montants d'épargne est de 1 à   8  quand   l'écart   entre   les   revenus  n'est   que  de  1  à   2.  Cela explique   en   partie   pourquoi   les   inégalités   de   patrimoine   sont nécessairement   plus   fortes   que   les   inégalités   de   revenus   (cf. graphique ci­contre).

On peut ainsi estimer que, en ce qui concerne les patrimoines, le rapport inter décile (D9/D1) est au moins de 1 à 70, c'est­à­dire que le patrimoine détenu par le ménage  qui possède le moins de patrimoine parmi les 10% de ménages qui en possèdent le plus est 70 fois plus  élevé que celui du ménages qui possède le plus d'épargne parmi les 10% qui en possèdent le moins. Ces inégalités se sont accrues ces vingt dernières années à cause de la hausse du prix des actifs patrimoniaux (c'est­à­dire les titres ou les biens possédés par les ménages, comme les actions, les obligations, ou les logements). 

En conclusion,   les   inégalités  économiques  telles  qu'on  peut   les  mesurer   restent   importantes,  ne se réduisent plus, voire s'accroissent. Cependant, comparativement aux autres pays développés, la situation française n'est pas particulière : du point de vue des écarts de salaire, par exemple, la France se situe dans une position moyenne par rapport aux autres grands pays développés. Et les inégalités se sont beaucoup plus accrues en Grande­Bretagne et aux États­Unis qu'en France depuis le début des années 80. 

Liste des Activités disponibles sur Brises : n°301 (Salaire, revenu et patrimoine), n°275 (Le rapport inter­décile), n°272 (La courbe de Lorenz), n°279 (Le revenu des ménages par décile), n°245 (Comparaison inégalités de Revenu disponible et inégalités de Revenu déclaré), n°262 (Inégalités de patrimoine en 2000), n°254 (Évolution de la pauvreté en France depuis 1970), n°296 (Pauvreté dans l'Union européenne en 1996).Document 8 : inégalités de revenus et inégalités de patrimoine

Les inégalités de patrimoine sont donc plus élevées que les inégalités de niveaux de vie, le ratio D9/médiane étant de 3 à 4 pour les patrimoines (au sein d’une génération donnée) contre 1,8 pour les niveaux de vie. À ceci deux explications.

Tout d’abord, les inégalités de revenus conduisent à des inégalités plus importantes en termes d’épargne. L'épargne est en effet un luxe, au sens de la théorie microéconomique du consommateur : le taux d'épargne augmente avec le revenu. Il passe de 5% environ pour les employés et ouvriers à 20% environ pour les cadres. [...]  Les écarts de richesses sont encore amplifiés par les performances différenciées des placements : les placements financiers des plus riches, orientés vers les actions, rapportent plus sur le long terme que les placements des petits épargnants, tournés vers les livrets et autres liquidités.

Par ailleurs, à âge et à revenu égal, la dispersion des richesses reste élevée compte tenu de l'histoire personnelle de chacun. De multiples facteurs interviennent : le patrimoine transmis (héritages, donations, aides de la famille) ; le statut professionnel (les travailleurs indépendants possèdent plus de patrimoine que les salariés).

Jean­Michel HOURRIEZ, « Les inégalités de revenus et de patrimoine », Les Cahiers Français, n° 314, mai­ juin 2003

2.2.3. Derrière la notion d'inégalités se trouve l'idée de richesse et de « pauvreté »La pauvreté  semble être une notion évidente. Pourtant,   il est bien difficile de définir  à partir  de quel 

moment un individu ou un ménage est pauvre, car cette notion est subjective.On peut considérer la pauvreté comme un aspect des inégalités économiques. Elle est aussi et surtout à 

l'articulation des  inégalités sociales et économiques car  en général,   les « pauvres » cumulent  beaucoup d'inégalités. De plus, la pauvreté est aussi à la source de l'exclusion, même si on peut être pauvre sans être exclu et, éventuellement, être exclu sans être pauvre. Nous nous limiterons ici à la définition de la pauvreté économique.

Il y a plusieurs définitions de la pauvreté : en général, on distingue pauvreté absolue et pauvreté relative. La pauvreté absolue concerne les gens qui ne disposent pas de la quantité minimale de biens et services qui permettent une vie normale. L'ONU va par exemple définir la pauvreté absolue comme la situation dans laquelle un individu n'a pas les moyens de se procurer le panier de biens jugés indispensable à sa survie (estimé à environ 10€ par jour en 2002 en France). La pauvreté relative définit la pauvreté par comparaison avec le niveau de vie moyen du pays considéré. Elle est en général définie par une proportion du revenu médian. En France, un ménage est considéré comme pauvre par l'Insee quand il dispose de moins de 50% du revenu médian français par unité  de consommation ; au niveau européen, cette pauvreté   relative est fixée à 60% du revenu médian. 

Document 7 : une courbe de Lorenz plus accentuée   pour   l'épargne   que   pour   le revenu

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2.3. Les inégalités économiques « font système » et se cumulent avec  d'autres inégalités

Les inégalités économiques sont fondamentales pour comprendre la structure d'une société. Cependant, elles ne sont pas les seules à avoir de l'importance : à ces inégalités s'en ajoutent d'autres. Rappelons que l'on   nomme  inégalités   des   différences   d'accès  aux   ressources   rares   et   prisées :   il   n'y   a  pas   que   les ressources financières qui jouent un rôle. La liste des inégalités est longue, et il est impossible d'en faire un recensement exhaustif. Nous traiterons ici des inégalités liées à la scolarité, à la santé, à la représentation politique, au prestige social. 

Nous  aurons   l'occasion  d'observer   que,   dans   la  plupart   des   cas,   les inégalités sont cumulatives. On dit qu'elles « font système », dans le sens où une inégalité en entraînant une autre, il est très difficile d'en sortir.

2.3.1. Les conséquences des inégalités sont multiples... Subir une inégalité revient à avoir un handicap social : on n'a pas accès 

aux   mêmes   ressources.   Nous   allons   ici   détailler   quelques   unes   de   ces ressources :  il s'agit des inégalités « face » à de nombreuses choses (à  la santé, à l'école, au marché du travail par exemples).Les inégalités face au marché du travail

En   ce   qui   concerne   les   inégalités   économiques,   nous   avons   parlé principalement   des   inégalités   de   revenu   et   de   patrimoine.   Mais   il   faut également citer les inégalités quant à la précarité. En fonction de la PCS à laquelle  on appartient,  on n'a pas la même probabilité  d'obtenir  un emploi stable.

Ainsi,   on   observe   sur   le   graphique   ci­contre   (document   9)   que   non seulement   les ouvriers sont  plus  de six  fois plus   touchés  par  les emplois précaires que les cadres, mais leur proportion croît beaucoup plus vite que pour les cadres.

Ce type d'inégalité   fait  bien partie de celles dont  on dit  qu'elles  « font système », car   elles sont   à   la fois   une conséquence des   inégalités  économiques (avec   un   revenu   faible,   on   est   obligé d'accepter   un   emploi   précaire)   et   une cause   (les   emplois   précaires   entraînent souvent des revenus plus faibles).Les inégalités face à la santé

En   France,   le   système   de   Sécurité sociale permet a priori à chacun d'accéder de   façon   égale   aux   soins.   De   plus,   la Couverture   Maladie   Universelle   (CMU) 

mise en place en 1999 permet  à  ceux qui  ne cotisent  pas à   la  sécurité  sociale d'avoir  une couverture maladie (plus ou moins gratuite selon les cas). 

Pourtant,  on observe dans  le  tableau ci­contre que  l'espérance de vie varie selon  les  individus.  Par exemple,  un cadre vit  en moyenne  jusqu'à  79,5 ans,  alors qu'un ouvrier  meurt  en moyenne à  75 ans : presque cinq années de vie en plus !Les inégalités face à la représentation politique

Le document  11 nous   indique  l'indice de  représentation  à   l'Assemblée nationale :  ces chiffres  nous permettent de savoir si une catégorie particulière est plus présente à l'Assemblée que dans la population totale.  On se rend ainsi  compte qu'il  y a  .  .   .   .   fois moins d'ouvriers  représentés qu'il  n'y en a dans  la population   totale ;   il   y   a   .   .   .   .   fois   moins   d'employés   à l'Assemblée nationale que dans la population française ; par contre,   il  y a  .  .   .   .   fois plus de cadres du secteur  public à l'Assemblée que dans la population française.

Ainsi,   il   est   donc   évident   que   l'on   n'a   pas   la   même probabilité   d'accéder  à   une   fonction  de   représentant   de   la 

nation selon la CSP dont on provient : on n'a pas le même   accès   aux ressources   socialement prisées, on est donc bien en situation d'inégalité.Les inégalités scolaires

Les   inégalités scolaires  sont  également de   celles   qui   font système.   Bien   que   la France ait mis en place depuis une très longue période l'enseignement obligatoire  et  gratuit,   tous  les   individus n'ont  pas   le même accès au système   scolaire.   Plus   encore,   on   peut   dire   que   les   inégalités   de réussite scolaire sont largement liées aux inégalités économiques : les inégalités sont cumulatives, elles se renforcent les unes les autres, elles « font système ».

2.3.2. ... Et les causes d'inégalités sont multiples... La conclusion que  l'on peut   tirer  du paragraphe précédent  est  la 

suivante :   tous   les  Français  n'ont  pas  accès  aux  mêmes ressources rares  et   socialement  prisées   (l'école,   le   contrat   de   travail   stable,   la richesse, la politique). Mais il reste une question fondamentale : qui sont ces gens touchés par ces inégalités ? En d'autres termes, qu'est­ce qui cause ces inégalités ?Les inégalités liées à la profession

Lorsqu'on cherche à mesurer les inégalités, on utilise souvent l'outil créé   spécifiquement   par   l'Insee   pour   faire   des   comparaisons   entre 

Document 9 : part des emplois précaires   (Intérim,   CDD, stages...) selon la PCS

Document 10 : les inégalités devant la mort

Hommes, sur la période 1982 – 1996

Probabilité de décéder entre 35 et 

65 ans (en %)

Espérance de vie à 35 ans (en années)

Agriculteurs exploitants 15,5 43,0

Artisans,   commerçants,   chefs d'entreprise

18,5 41,5

Cadres   et   professions intellectuelles supérieures

13,0 44,5

Professions intermédiaires 17,0 42,0

Employés 23,0 40,0

Ouvriers 26,0 38,0

Ensemble 22,0 40,0

Source : Insee, Données sociales, 1999, page 229.

Document 11 :   indices de représentation à l'Assemblée nationale

Députés en mars 1997 

(%)

Population active en 

mars 1997 (%)

Indice de représen­

tation

Agriculteur exploitant

3,1 2,9 107

Chef d'entreprise

8,8 0,5 1760

Cadre du secteur public

15,9 1,1 1445

Employé 1,6 29,3 5

Ouvrier 0,7 27,1 2,5

D'après   Alain   BIHR   et   Roland   PFEFFERKORN, Déchiffrer les inégalités, Syros, 1999, in Bordas 2003.

Document   12 :   pauvreté   et   échec scolaire

Inégalités   entre   enfants   devant   la formation   initiale :   plus   du   tiers   des enfants   appartenant   aux   20   %   des familles   les   plus   pauvres   redoublent dans le primaire, soit un taux d’échec trois   fois   plus   élevé   que   celui   des enfants des 20% de familles les plus riches. Plus tard, au collège, deux tiers des adolescents des familles parmi les 20%  les plus pauvres sont en échec scolaire   contre   une   toute   petite minorité des adolescents des 20% de familles   les   plus   riches.  Au   fil   de   la scolarité et dès le plus jeune âge, des inégalités   considérables   se   creusent ainsi   entre   les   enfants   les   plus pauvres et  les autres.  Point clef,  une grande   partie   des   difficultés   des enfants des familles pauvres trouvent leur   origine   dans   les   mauvaises conditions   de   logement   et   la ségrégation urbaine dont ils souffrent. Aujourd'hui encore, un adolescent sur cinq vit  dans  un  logement  surpeuplé (au moins 2 enfants par chambre) et le surpeuplement   –   à   origine   sociale égale – augmente d’environ 50 %  le risque d’échec à l'école.

Éric MAURIN, « La métamorphose du salariat », Sciences Humaines,, Mars 2003.

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certaines catégories de la population : les Professions et Catégories Socioprofessionnelles. Les résultats sont alors conformes à ce que l'on cherchait en construisant la nomenclature : les PCS n'ont pas les mêmes « chances sociales ». Certaines sont plus riches, certaines ont plus d'accès à la politique, certaines ont une espérance de vie supérieure, etc.L'immense variété des inégalités

Mais  s'arrêter   là   resterait   simplificateur,  et  cela   reviendrait  à   ignorer   les  nombreuses   inégalités  qui traversent notre société : est­on égal à vingt ans, à quarante ans et à soixante ans ? Louis CHAUVEL, dans Le Destin des générations, défend la thèse contraire : les générations les plus jeunes seraient sacrifiées au profit des générations les plus âgées.

Est­on égal lorsqu'on vit en HLM (Habitat à Loyer Modéré) ou en centre­ville ? Les études sur l'école montrent que ce n'est pas le cas, et que les inégalités scolaires sont fortement liées au lieu de résidence.

Ces exemples pourraient être développés à l'envi. Car toutes les inégalités ne sont pas visibles : le fait de citer l'existence d'une inégalité revient en réalité à la montrer du doigt, à la créer. Et elle ne peut être ainsi décrite   que   si   une   étude   sociologique   porte   précisément   sur   la   question.   Nous   développerons   deux exemples particuliers de ces inégalités mises en avant ces derniers temps : pour les décrire, on parle de « discrimination », ce qui implique que ce sont des inégalités critiquées, qui sont donc socialement rejetées.Les inégalités liées à la discrimination : origine et genre

La première de ces inégalités dites « discriminatoires » car elles sont contraires aux valeurs défendues par la société est la discrimination en fonction de l'origine nationale. 

Le document  13 nous montre que  ceteris paribus  (toutes choses égales par ailleurs), une personne immigrée (et si  toutes les choses sont égales par ailleurs, cela signifie qu'on s'intéresse à des Français immigrés, et non à des étrangers) est victime d'inégalités sur le marché du travail.Document 13 : origine et marché du travail

A priori, le développement de l'emploi précaire est associé à une plus faible qualification et à des secteurs d'activité qui  ont   plus   souvent   recours  à   l'intérim  et   aux  emplois  aidés.   La   surexposition  des   immigrés  et   de   leurs  descendants pourraient dès lors s'expliquer par leurs caractéristiques personnelles et par les niches d'emploi auxquelles ils accèdent prioritairement. Une régression logistique, contrôlant notamment le niveau d'éducation atteint, du secteur d'activité et de la catégorie   socioprofessionnelle,   invalide  cette  hypothèse  et  souligne   l'importance  de   facteurs   inobservés   captés  pour l'essentiel par l'origine [cela signifie que contrairement à ce que l'on pourrait penser, à niveau d'éducation identique, les immigrés sont plus touchés par  la précarité,  qui ne s'explique donc pas par  le type d'emplois qu'ils recherchent].  Les immigrés ont ainsi deux fois plus de risque d'occuper un emploi non stable que les natifs, les immigrées ont elles un risque 1,8 fois plus élevé. La même situation prévaut pour les « secondes générations » et bien que la mixité des parents diminue la surexposition à la précarité de l'emploi, surtout pour les hommes, le phénomène reste significatif.

L'analyse   « toutes   choses   égales   par   ailleurs »   menées   par   origines   détaillées   fait   apparaître   des   répartitions comparables à celles identifiées dans l'accès à l'emploi. Les immigrés originaires d'Afrique sub­saharienne, du Maghreb, de Turquie et d'Asie du Sud­Est, hommes comme femmes (à   l'exception notable des femmes immigrées de Turquie),  connaissent   un   fort   risque   d'emploi   instable.   Les   descendants   d'immigrés   d'Afrique   sub­saharienne   et   d'Algérie   ont également une probabilité plus forte d'être en emploi non stable que les natifs. Les femmes des « secondes générations » connaissent des risques d'emploi non stable plus significatifs que les hommes. 

Dominique MEURS, Ariane PAILHE, Patrick SIMON, « Mobilité intergénérationnelle et persistance des inégalités », novembre 2005, 35 (INED, document de travail n°35)

En ce qui concerne le « genre », les inégalités sont également très importantes, au niveau économique, au niveau social, et au niveau des fonctions exercées.

Les écarts de salaire restent globalement de l'ordre de 25% entre hommes et femmes et, toutes choses égales par ailleurs (c'est­à­dire pour des salariés à temps plein ayant la même qualification et effectuant le même travail), l'écart est encore d'environ 20% (d'après Dominique MEURS et S. PONTIEUX, « Emploi et 

salaires : les inégalités entre femmes et hommes en mars 1998 »,  Synthèse DARES 32), si l'on prend en compte  uniquement   les  salariés  des  entreprises   (donc   sans   les   fonctionnaires).   Les   femmes sont  sur­représentées dans les salariés payés au SMIC (17,2% des salariées sont payées au SMIC contre 9,1% des hommes salariés seulement, d'après A. GARCIA, « Le nombre de salariés payés au SMIC a augmenté de 50% en quatre ans », in  Le Monde,  25 août  1999), dans le travail  à  temps partiel  (30.4% des salariées travaillent à temps partiel, contre 5.0% des hommes salariés en mars 2001, d'après l'enquête « emploi » de l'Insee) et bien sûr dans le chômage (en mars 2002, le taux de chômage des femmes était de 10.1% contre 7.9% pour celui des hommes). 

D'après l'Insee (Insee Première  n°675, octobre 1999), les emplois du temps journaliers moyens sont également différents entre hommes et femmes. Pour les personnes de 15 ans et plus, en moyenne, le temps domestique journalier moyen était de 4h23 pour les femmes et de 2h24 pour les hommes en 1999. Si l'on exclut le jardinage, les soins aux animaux et le bricolage, ce temps est de 1h27 pour les hommes et de 4h03 pour les femmes, un écart de 1 à 2.8. Si l'on regarde l'emploi du temps des étudiants et lycéens de plus de 15 ans, les résultats laissent perplexe : les filles passent en moyenne 1h29 par jour aux tâches ménagères et aux soins aux personnes alors  que  les garçons n'y  passent que 41 minutes. C'est encore deux fois plus pour les filles que pour les garçons, un écart assez proche de celui qui existe  pour   les  adultes  engagés  dans   la  vie  active :   le changement social est donc très lent en la matière.

Enfin,   les   femmes sont  sous­représentées  dans   les postes à responsabilité en entreprise, alors que les filles réussissent  mieux   leurs  études  que  les  garçons  et  que leur niveau de diplôme est supérieur (du moins pour les filles   nées   après   1960).   Ainsi,   au   bout   de   10   ans d'expérience professionnelle sans interruption de plus de 6   mois,   les   titulaires   d'un   diplôme   de   2è   ou   3è   cycle universitaire ont 76 chances sur 100 d'occuper un poste de cadre s'ils sont des hommes et 57 chances sur 100 s'ils   sont   des   femmes   (D'après  Le   Monde, « Discrimination : questions ­ réponses », 9 mars 1999). 

2.3.3. ... Si bien que l'on parle d'inégalités « cumulatives »

Si les immigrés ont une probabilité  faible de devenir cadres, si les ouvriers ont une probabilité faible d'avoir un revenu qui leur permette de vivre en centre­ville, si le lieu d'habitation   a   des   conséquences   sur   les   inégalités scolaires,   alors   il   est   fort   probable   que   les   enfants d'immigrés ne puissent pas s'élever socialement. 

De façon générale, on peut dire que les inégalités se cumulent et « font système », c'est­à­dire qu'étant donné qu'une inégalité en entraîne une autre, les individus sont 

Document   14 :   Les   « ghettos »   génèrent   des inégalités cumulatives

La fracture principale apparaît entre les détenteurs d’emploi   et   les   autres.   Le   chômage   frappe majoritairement   certains   groupes   d’individus   ayant une   « mauvaise »   formation   et   un   « mauvais » appariement [adaptation] spatial. La discrimination sur le marché  du  logement et  les différences culturelles impliquent   une   baisse   de   la   mobilité   spatiale   de certaines catégories de population (typiquement, des immigrés   et   des   Français   peu   qualifiés)   et   leur imposent souvent des lieux de résidence éloignés des nouveaux   centres   d’emploi.   A   son   tour,   ce  spatial  mismatch [inadaptation spatiale] réduit leur chance de retrouver  un  travail  et entraîne,  par conséquent,   les populations   concernées   à   ne   pas   changer   de résidence. Graduellement, les individus acceptent les normes  du  ghetto   en   formation :   taux   de   chômage élevé, découragement face à l’inactivité, basse qualité du   logement,   faible   niveau   de   scolarité,   voire constitution d’un sentiment  communautaire  de  rejet. Ces   normes   sociales   induisent   des   comportements individuels qui, à leur tour, favorisent la discrimination sur le marché du travail, accentuant ainsi l’isolement et   la   ghettoïsation   de   ces   populations.   Le   cercle vicieux  est  bouclé :  mauvais  appariement  spatial  et mauvais   accès   aux   écoles   et   aux   logements ; formations   de   réseaux   socioculturels   peu   porteurs pour l’obtention d’emplois ; et participation croissante à l’économie souterraine. On retrouve de nouveau un phénomène de causalité cumulative où les forces en action se renforcent  mutuellement dès qu’un certain seuil est franchi.

Ségrégation urbaine, logement et marché du travail, CESAER, INRA, 2003

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enfermés dans un cercle vicieux d'inégalités. Les femmes sont peu représentées, à la fois en politique et dans les postes à responsabilité en entreprise, c'est­à­dire aux niveaux de prise de décision ; il est donc peu probable que la situation évolue en leur faveur. Elles ont alors tendance à anticiper cette réalité et à planifier leur   carrière   de   cette   façon :   elles   s'investiront   moins   dans   leur   travail,   et   plus   dans   leur   famille.   En conséquence, leur temps domestique sera plus élevé. En retour, il est peu probable que leur entreprise leur propose un poste à responsabilité, car elles ne seront pas assez disponibles.

Ainsi,   les   acteurs   sociaux   anticipent   les   discriminations   qui   pèsent   sur   eux   et   modifient   leur comportement en conséquence. Cela produit une cumulativité des inégalités, qui peut également s'illustrer par le cas des « ghettos » développé dans le document 14.

3.  Des outils pour analyser la stratification sociale : classes sociales et PCSComme le début de ce cours le précisait, tous les individus appartiennent à différents groupes sociaux. 

Mais on en distingue deux types, selon que le groupe représente une certaine réalité pour les individus qui le composent (le groupe social réel ou réseau social) ou selon que le groupe ne prend sens que car il est construit   par  un   chercheur   (la   catégorie   sociale   ou groupe social nominal).

Pour analyser la stratification sociale, on peut se baser sur ces deux types de groupes sociaux. Si par exemple les lycéens des Pontonniers  se sentent faire partie d'un groupe social réel, et qu'ils estiment pour une   raison   ou   pour   une   autre   être   en   situation d'inégalité  par rapport  à un autre groupe de lycéens (disons   par   exemple   que   les   professeurs   des Pontonniers  soient  moins bons  que dans   les autres lycées d'Alsace),  cela crée une structure  sociale  au sein  des   lycéens  alsaciens.  Mais  un  sociologue qui s'intéresse à la question remarquera peut­être que le taux   de   réussite   au   baccalauréat   aux   Pontonniers, plus élevé que la moyenne, est lié à l'origine sociale des élèves : la structure sociale serait alors liée à des catégories créées par le sociologue.

On le voit, deux démarches distinctes permettent de mettre en évidence la structure sociale. Lorsqu'un on  étudie   la  « discrimination »  que  subit   un  groupe social   réel   ou   une   « classe   sociale »   (dont   les membres ont  une  « conscience  de classe »),  on  se fonde sur une vision subjective de la structure sociale. Lorsqu'on étudie  les  inégalités vécues par une PCS 

particulière, c'est le sociologue qui montre objectivement la structure sociale, à l'aide d'outils (de grilles de classification). 

Nous   étudierons   en   premier   lieu   l'outil   théorique   que   sont   les   classes   sociales,   puis   nous   nous pencherons sur l'outil empirique que forment les PCS.

3.1. Les classes sociales, un outil théorique parfois remis en cause3.1.1. Les classes sociales dans la pensée de Karl MARX

Karl MARX développe ce que l'on nomme la vision « réaliste » ou « holiste » des classes sociales. Pour lui, les individus appartiennent à une classe ou à une autre en fonction d'un seul critère, celui de la propriété des moyens de production. Mais une classe n'existe que si trois conditions sont remplies : (1) une position spécifique   dans   les   rapports   de   production ;   (2) l'existence   de   conflits   entre   classes ;   (3) et   enfin   la « conscience de classe ». Cela implique que les classes ont pour Karl MARX les propriétés d'un groupe social réel ; c'est pourquoi on parle de vision réaliste des classes sociales.

À   titre  d'exemple,   on  peut  noter   que  Karl  MARX affirmait   que   les  paysans,   repliés   sur   leur   ferme familiale,   entretenaient   peu   de   relations   entre   eux   et   n’avaient   pas   l’impression   d’avoir   des   intérêts communs.   Ils   forment  une  classe  « en   soi »   (ils  occupent  une  place  déterminée  dans   les   rapports  de production), mais pas une classe « pour soi » (ils n’ont pas conscience du rôle qu’ils pourraient jouer). Pour se faire comprendre, Karl MARX utilise la métaphore du « sac de pommes de terre » : « ainsi, la grande masse de la nation française [les paysans] est constituée par une simple addition de grandeurs de même nom, à peu près de la même façon qu'un sac rempli de pommes de terres forme un sac de pommes de terres. Dans la mesure où des millions de familles paysannes vivent dans des conditions économiques qui les séparent les unes des autres et opposent leur genre de vie, leurs intérêts et leur culture, à ceux des autres classes de la société, elles constituent une classe. Mais elles ne constituent pas une classe dans la mesure où il n'existe entre les paysans [...] qu'un lien local et où la similitude de leurs intérêts ne crée entre eux   aucune   communauté,   aucune   liaison   nationale   ni aucune   organisation   politique »   (Karl   MARX,  Le   18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte, 1852). 

3.1.2. Les   classes   sociales   pour   Pierre BOURDIEU

Document  16 :   la  construction  d'un  « espace  social »  pour analyser la société française

Les   êtres   apparents,   directement   visibles,   qu'il   s'agisse d'individus ou de groupes, existent  et subsistent dans et par  la différence,   c'est­à­dire   en   tant   qu'ils   occupent   des   positions relatives  dans un  espace  de  relations  qui,  quoique   invisible  et toujours difficile à manifester empiriquement, est la réalité la plus réelle et le principe réel des comportements des individus et des groupes.

L'espace social est construit de telle manière que les agents ou les groupes y sont distribués en fonction de leur position dans les distributions   statistiques   selon   les  deux   principes   de différenciation  qui, dans  les sociétés les plus avancées, comme les États­unis, le Japon ou la France, sont sans nul doute les plus 

Document 15 : les classes sociales pour Karl MARXDu côté marxiste, les classes sociales sont des collectifs 

structurés   par   une   position   spécifique   dans   le   système économique, définis notamment au travers de la propriété des moyens de production, marqués par un conflit central (l'exploitation) ;   mais,   au­delà   de   ces   « conditions   de classe »,   il   existe   une   « conscience   de   classe »,   une conscience sociale de leur être collectif, de leur intérêt, de leur dynamique, qui  permet  de passer de  la classe « en soi »  à   la classe « pour  soi ».  Cette   tradition est  parfois qualifiée de holiste (« tout » en grec) parce qu'ici, la totalité est  plus  que  la  somme des  individus,   la classe existant indépendamment et au­dessus de ses membres, en  leur dictant   leur   rôle,   par­delà   la   créativité   des   individus. Prévaut donc l'idée qu'il existe des rapports sociaux, c'est­à­dire des conflits structurant le jeu des oppositions dans le monde social, l'inégalité n'étant pas le fait d'une société amorphe,   mais   de   lutte   sociales  explicites  ou   implicites permanentes. « Même au moment où il n'y a pas de lutte de classes déclarée, il y a lutte de classes latente, par le fait que, dans une hiérarchie, il faut que les rangs les plus élevés maintiennent leur position, et que, d'autre part, ceux qui occupent les rangs les plus bas, se trouvant dans une situation où ils sont sous­estimés, voudraient bien s'élever dans   l'échelle   sociale »   (Maurice   HALBWACHS,  Les  Classes sociales, CDU, 1937). Dès lors, la société « tient » du fait de champs de force contraires que les groupes en conflit  engendrent,  mais  peut  à   force se déchirer.  Cette tradition   est   qualifiée   aussi   de   réaliste,   parce   que   les classes sont  supposées  former  des entités  véritables  et tangibles, et non pas des constructions intellectuelles.

Louis CHAUVEL, « Les transformations de la structure sociale », Nouveau manuel de SES, La Découverte, 2003.

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efficients, le capital économique et le capital culturel. Il s'ensuit que les agents ont d'autant plus en commun qu'ils sont plus  proches dans ces deux dimensions et d'autant moins qu'ils sont plus éloignés. [...]

Plus précisément, comme l'exprime le diagramme de La Distinction dans lequel j'ai essayé de représenter l'espace social, les   agents   sont   distribués  dans   la  première  dimension   selon   le   volume  global   du   capital   qu'ils   possèdent   sous   ses différentes espèces et dans la deuxième dimension selon la structure de leur capital, c'est­à­dire selon le poids relatif des différentes espèces de capital, économique et culturel, dans le volume total de leur capital.

Ainsi, dans la première dimension, sans aucun doute la plus importante, les détenteurs d'un fort volume de capital global comme les patrons, les membres des professions libérales et les professeurs d'université s'opposent globalement aux plus démunis de capital économique et de capital culturel, comme les ouvriers sans qualification ; mais d'un autre point de vue, c'est­à­dire du point de vue du poids relatif du capital économique et du capital culturel dans leur patrimoine, les professeurs (plus riches, relativement, en capital culturel qu'en capital économique) s'opposent très fortement aux patrons (plus riches, relativement, en capital économique qu'en capital culturel). 

Cette deuxième opposition est, tout comme la première, au principe de différences dans les dispositions et, par là, dans les prises de position : c'est le cas de  l'opposition entre les intellectuels et les patrons, ou, à  un niveau inférieur de la hiérarchie sociale, entre les instituteurs et les petits commerçants qui, dans la France et le Japon de l'après­guerre, se traduit, en politique, dans une opposition entre la gauche et la droite.

[Les individus ont alors] des pratiques distinctes et distinctives – ce que mange l'ouvrier et surtout sa manière de manger, le sport qu'il pratique et sa manière de la pratiquer, les opinions politiques qui sont les siennes et sa manière de les exprimer diffèrent   systématiquement  des  consommations  ou des activités  correspondantes  du patron  d'industrie.   [Ils   répondent également à des] schèmes classificatoires, des principes de classement, des principes de vision et de division, des goûts, différents. Ils sont des différences entre ce qui est bon et ce qui est mauvais, entre ce qui est bien et ce qui est mal, entre ce  qui est distingué et ce qui est vulgaire, etc., mais ce ne sont pas les mêmes. Ainsi, par exemple, le même comportement ou le même bien peut apparaître distingué à l'un, prétentieux ou m'as­tu vu à l'autre, vulgaire à un troisième.

Pierre BOURDIEU, « Espace social et champ du pouvoir », Raisons pratiques, Le Seuil, 1994.

3.1.3. Les classes sociales dans la lignée weberienneTous les sociologues ne se placent pas comme Pierre BOURDIEU dans la lignée marxiste concernant la 

vision des classes sociales. En Effet, pour Max WEBER et la tradition sociologique qu'il a engendrée, les classes sociales sont des constructions du sociologue et n'ont pas d'effet de réalité : on parle alors d'une vision « nominaliste » des classes sociales (qui sont des groupes nominaux créés par le sociologue).Document 17 : la vision weberienne des classes sociales

D'un autre côté, au contraire, la tradition weberienne suppose que les différentes classes sociales sont des groupes d'individus similaires, partageant une dynamique probable semblable (Max WEBER parle de Lebenschancen ou « chances de vie »), sans qu'ils en soient nécessairement conscients et sans nécessairement agir en commun. Ces groupes résultent moins, d'ailleurs, d'une répartition conflictuelle des moyens de production que de la division du travail où chaque groupe obéit à une fonction spécifique, dont on peut supposer qu'elle est mutuellement profitable. Ici, la classe sociale n'est pas autre chose,  a priori, que la somme des individus (individualisme contre holisme) que le chercheur décide d'assembler selon ses critères propres ; ainsi, les classes sont des noms plus que des choses (nominalisme contre réalisme), même si, rappelle Weber, a posteriori, peuvent se constituer historiquement des conflits ouverts.

Louis CHAUVEL, « Les transformations de la structure sociale », Nouveau manuel de SES, La Découverte, 2003.

3.1.4. La   remise  en  cause  des  classes  sociales :   la  vision  « cosmographique »  de  la société

Que l'on considère qu'elles sont réelles ou qu'elles ne le sont pas, les classes sociales reposent toujours sur la hiérarchisation pyramidale de la société. Or, quelques auteurs ont montré en quoi la société n'était plus construite selon cette structure. Ainsi, Henri MENDRAS a développé la vision « cosmographique » de la société.

Document 18 : une vision cosmographique de la sociétéSi   l'on   renonce  à   la   vision  marxiste   et  à   la   vision  pyramidale,   on   peut   proposer  une  « vision   cosmographique ». 

Regardons notre société comme un ciel où les étoiles s'organisent en constellations diverses, plus ou moins amples, plus ou moins cristallisées [...].

De nombreuses études ont souligné l'importance des groupes et des individus qui ne se situent plus au même niveau sur l'échelle du revenu et sur celle des diplômes : riches commerçants sans diplôme universitaire, ou professeurs d'université ayant un salaire moyen par exemple. De tels groupes et individus se singularisent par des comportements atypiques de conformisme ou d'anticonformisme qui peuvent les conduire à des positions politiques extrêmes. Il faut donc dissocier ces deux échelles et les utiliser comme des axes orthogonaux qui délimitent un champ. [...] Ces deux axes délimitent bien un champ sur lequel les CSP se distribuent selon un ordre qui n'est pas une hiérarchie unidimensionnelle.

Les groupes ouvriers et employés sont très proches les uns des autres [...] : ces catégories peuvent être regroupées en un ensemble qu'on appellera constellation populaire. Cette constellation réunit environ la moitié de la population. [...] Les cadres, les enseignants et les ingénieurs sont plus dispersés que les groupes populaires, mais assez proches les uns des autres  quant  aux diplômes :   ils   forment  une  constellation  centrale.   [...]  À   la  périphérie  de ces deux constellations se répartissent   différentes   galaxies   mineures,   isolées   (professions   libérales,   grands   entrepreneurs   et   négociants, indépendants, agriculteurs).

[...]La constellation centrale se caractérise par une mobilité sociale intense, très différente de ce qu'elle était autrefois entre 

les classes. Étant beaucoup plus nombreux,   les  individus en mobilité  ne sont plus des exceptions, mais au contraire apparaissent  comme « normaux »,  dans   la  vie  sociale.   [...]  La  « bouffe » autour du barbecue est le rite caractéristique de cette constellation centrale, rite   en   tout   point   opposé   au   repas   bourgeois.   Ni   hiérarchie   affirmée   ni répartition ritualisée des rôles. Tout est inversé : le grillé remplace le rôti, le dehors le dedans, l'égalité la hiérarchie. [...]

Un vrai désordre s'est établi en moins d'une décennie, le corps social n'est plus  parcouru  par   un  courant   hiérarchique,  mais   fragmenté  en  un  grand nombre  de  groupes  différenciés.  Ce  schéma d'une  constellation   centrale structurée et animée par des groupes qui successivement l'entraînent dans le  changement  paraît  mieux rendre  compte  des  transformations  de notre société  que le schéma pyramidal  qui  veut  que  tout changement  ou  toute innovation vienne du haut. Il suppose, à l'évidence, une société mobile, sans cesse changeante, tout en conservant ses structures fondamentales, où  les différents groupes sociaux ont acquis une certaine forme d'autonomie qui leur permet de prendre des initiatives, de lancer des modes. Toute la dynamique de la société est aujourd'hui dans ces mouvements internes.

Henri MENDRAS, La Seconde Révolution française, 1994.

3.2. Les PCS, un outil empiriqueParallèlement  à   l'utilisation  par   les  théoriciens  du  concept  de  classes  sociales  a été  développé  par 

l'Insee l'outil que sont les CSP puis les PCS.Depuis qu'il existe, l'État cherche à connaître sa population. Non pas par profond intérêt pour le peuple, 

mais dans un objectif pratique : connaître sa population signifie (1) savoir de combien d'hommes on dispose pour le combat ; (2) savoir quels impôts on peut « lever ». Depuis le recensement de 1851, l’État cherche à connaître la profession exercée par les Français. L’objectif premier est évidemment financier, puisque cela permet  d’adapter   la  politique  fiscale à   la population :   les   impôts  sont  alors diversifiés en  fonction de  la profession de l'individu. Petit à petit, les classements effectués dans le recensement se sont précisés : on prend en compte (1) la hiérarchie dans le système de production (chefs d’établissement / ouvriers) et (2) le secteur d’activité (bâtiment, textile par exemples). 

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Après la Seconde guerre mondiale, la France cherche à planifier son économie, c’est­à­dire à encadrer les entreprises pour qu’elles répondent à des exigences définies au niveau national : on décide de favoriser tel  ou tel  secteur.  Pour  mettre en œuvre une telle politique,   il  est   important  pour   l’État  de connaître  sa population : une classification encore plus précise de la population devient nécessaire. il s’agissait alors de fournir  à   la  Comptabilité  nationale  des   indications  sur   les  comportements  des  ménages  en matière  de consommation, de démographie, de politique, de sociabilité,  etc. C’est pourquoi en 1954, l’insee (l'Institut nationale de la statistique et des études économiques) établit une nomenclature dite des « catégories socio­professionnelles » ou « CSP ». 

Cette nomenclature est remaniée en 1982 pour mieux prendre en compte les professions des individus, c’est­à­dire leur métier, l’activité qu’ils exercent (dans une boulangerie, on peut vendre le pain, fabriquer le pain, faire le ménage, ce que l’on ne classe plus dans la même catégorie). On parle alors de « Profession et catégories socio­professionnelles », ou « PCS ».

Au départ donc, les PCS sont un outil au service de l'État : on est loin des débats sociologiques autour de la notion de classe et autour de l'individualisme méthodologique ou du holisme. Cette nomenclature ne vise a priori pas du tout à soutenir l'idée qu'il existe dans la société des classes antagonistes qui vont lutter l'une contre l'autre. C'est pourquoi les nomenclatures des CSP puis des PCS ne se fondent, au départ, pas du tout sur une hiérarchie.

Il s'agit donc d'une lecture socioprofessionnelle du social, et non d'une lecture hiérarchique : l'idée est de décrire l'organisation interne de la société française, de montrer quelles en sont les parties et quels rapports elles entretiennent entre elles, sans chercher à montrer une supériorité ou une infériorité.

Cependant, toute entreprise de classement de la population est une action sociale : les CSP puis les PCS   sont   une   « construction   sociale »,   dont   l'objectivité   n'est   pas   plus   grande   que   celle   des   classes sociales. En effet, les acteurs qui l'ont mise en œuvre avaient, tout comme les sociologues qui ont créé les classes   sociales,   des   objectifs   et   des   représentations   (c'est­à­dire   des   visions   du   monde   qui   ont   pu influencer leur travail). 

Comme le précise l’INSEE, « la définition des CSP a pour objet de classer l’ensemble de la population en un nombre restreint de catégories présentant chacune un certaine homogénéité sociale ». Pour cela, « le classement doit être conçu de manière à faire apparaître le mieux possible les différences de situation, de comportement et d’aptitudes… ». C’est dire que l’activité professionnelle, si elle constitue un point de départ, n’est pas suffisante. On peut exercer l’activité de chauffeur de taxi à son compte ou être employé par une compagnie. Un ingénieur en matériel  électrique peut être ou non titulaire du diplôme d’ingénieur,  il  peut exercer   son   « métier »   comme   salarié   d’une   grande  entreprise  ou   comme  prestataire   indépendant  de services. Un exploitant agricole peut travailler sur ses terres ou en louer (fermage), il peut employer ou non des salariés ;  un directeur du personnel  peut   faire partie  du staff  d’un entreprise privée ou exercer  ses fonctions dans un service de l’administration publique, etc.

De fait,   la nomenclature de  l’INSEE est multidimensionnelle  en ce sens qu’elle  est  le  résultat  de  la combinaison de plusieurs critères discriminants : profession individuelle (métier), statut (position juridique de l’actif), qualification, place dans la hiérarchie, importance de l’entreprise, éventuellement secteur d’activité et opposition fonction publique/entreprise privée. Si donc la profession est le critère dominant, c’est dans son acception complexe, c’est à dire dans ses différents aspects.

Document 19 : les trois premiers niveaux de la nomenclature des PCSNiveau 1 ­ Liste des catégories 

socioprofessionnellesNiveau 2 ­ Liste des catégories 

socioprofessionnelles de publication couranteNiveau 3 ­ Liste des catégories socioprofessionnelles détaillées

1 Agriculteurs exploitants 10 Agriculteurs exploitants 11 Agriculteurs sur petite exploitation

12 Agriculteurs sur moyenne exploitation

13 Agriculteurs sur grande exploitation

2 Artisans, commerçants et chefs d'entreprise

21 Artisans 21 Artisans

22 Commerçants et assimilés 22 Commerçants et assimilés

23 Chefs d'entreprise de 10 salariés ou plus 23 Chefs d'entreprise de 10 salariés ou plus

3 Cadres et professions intellectuelles supérieures

31 Professions libérales et assimilés 31 Professions libérales

32 Cadres de la fonction publique, professions intellectuelles et artistiques

33 Cadres de la fonction publique

34 Professeurs, professions scientifiques

35 Professions de l'information, des arts et des spectacles

36 Cadres d'entreprise 37 Cadres administratifs et commerciaux d'entreprise

38 Ingénieurs et cadres techniques d'entreprise

4 Professions Intermédiaires 41 Professions intermédiaires de l'enseignement, de la santé, de la fonction publique et assimilés

42 Professeurs des écoles, instituteurs et assimilés

43 Professions intermédiaires de la santé et du travail social

44 Clergé, religieux

45 Professions intermédiaires administratives de la fonction publique

46 Professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises

46 Professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises

47 Techniciens 47 Techniciens

48 Contremaîtres, agents de maîtrise 48 Contremaîtres, agents de maîtrise

5 Employés 51 Employés de la fonction publique 52 Employés civils et agents de service de la fonction publique

53 Policiers et militaires

54 Employés administratifs d'entreprise 54 Employés administratifs d'entreprise

55 Employés de commerce 55 Employés de commerce

56 Personnels des services directs aux particuliers 56 Personnels des services directs aux particuliers

6 Ouvriers 61 Ouvriers qualifiés 62 Ouvriers qualifiés de type industriel

63 Ouvriers qualifiés de type artisanal

64 Chauffeurs

65 Ouvriers qualifiés de la manutention, du magasinage et du transport

66 Ouvriers non qualifiés 67 Ouvriers non qualifiés de type industriel

68 Ouvriers non qualifiés de type artisanal

69 Ouvriers agricoles 69 Ouvriers agricoles

7 Retraités 71 Anciens agriculteurs exploitants 71 Anciens agriculteurs exploitants

72 Anciens artisans, commerçants, chefs d'entreprise

72 Anciens artisans, commerçants, chefs d'entreprise

73 Anciens cadres et professions intermédiaires 74 Anciens cadres

75 Anciennes professions intermédiaires

76 Anciens employés et ouvriers 77 Anciens employés

78 Anciens ouvriers

8 Autres personnes sans activité professionnelle

81 Chômeurs n'ayant jamais travaillé 81 Chômeurs n'ayant jamais travaillé

82 Inactifs divers (autres que retraités) 83 Militaires du contingent

84 Elèves, étudiants

85 Personnes diverses sans activité professionnelle de moins de 60 ans (sauf retraités)

86 Personnes diverses sans activité professionnelle de 60 ans et plus (sauf retraités)

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Il convient de noter que, bien que les PCS cherchent à se distinguer des analyses en termes de classes sociales, cette nomenclature est tout de même « partiellement hiérarchisée ». Ainsi, les 8 CSP (première colonne)   sont   fortement   hiérarchisées :   les   cadres   sont   ainsi   nettement   supérieurs   aux   ouvriers ;   les « professions intermédiaires » se définissent uniquement par leur position intermédiaire entre les employés et les cadres. Cependant, plusieurs critères discriminants renvoient à des oppositions à deux termes que l’on  ne peut  pas  ordonner  sur  une échelle  graduée :  salariés/non salariés,  secteur  public/secteur  privé, cadres techniques/cadres administratifs, etc.

La nomenclature des PCS comporte quatre niveaux.   Le   niveau   4,   le   plus   détaillé, comporte   la   liste   des   « professions »   des individus.   On   y   trouve   par   exemple   les professions   suivantes :   « éleveurs   d'herbivores sur   moyenne   exploitation »,   « viticulteurs, arboriculteurs   fruitiers,   sur   grande exploitation »,   « artisans   de   l'habillement,   du textile   ou   du   cuir »,   « artisans   du   travail mécanique  du  bois ».   Ce niveau comprend 497 « postes » (il  y a 497 professions prises en compte par l'Insee). 

Le niveau 1, le plus « agrégé », comprend les huit « Catégories socioprofessionnelles » ou CSP :   agriculteurs   exploitants   (ce   sont   les agriculteurs   qui   possèdent   leur   propre exploitation,   à   ne   pas   confondre   avec   les ouvriers   agricoles) ;   artisans,   commerçants   et   chefs   d'entreprise ;   cadres   et   professions intellectuelles supérieures (les cadres sont la catégorie supérieure des salariés d'une entreprise) ; les professions   intermédiaires   (entre  les  employés  et  les  cadres) ;   les employés   (ce sont   les salariés employés à un travail plutôt intellectuel mais sans rôle d’encadrement ou de direction) ; les ouvriers (ce sont les personnes qui exécutent un travail manuel ou mécanique impliquant un salaire) ; les retraités ;  les autres inactifs. Attention :  les chômeurs sont des actifs,  ils ne sont donc pas classés dans la catégorie 8 ; ils sont au contraire dans la PCS à laquelle ils appartenaient avant d'être au chômage. 

4.  Les inégalités se transforment : vers une moyennisation ou vers une polarisation ?Inégalités et stratification sociale sont liées, nous l'avons déjà vu. Si les inégalités s'affaiblissent ou se 

transforment, il est logique de penser que c'est en lien avec des transformations de la stratification sociale. Ainsi   tout   un  courant   de  pensée   relie   l'atténuation  des   inégalités   visible  au  cours  du  XXè   siècle  à   la constitution d'une vaste classe moyenne.  Et   les arguments  ne manquent  pas pour soutenir  cette  thèse. 

Cependant, nous montrerons qu'on peut observer l'apparition de nouvelles inégalités, brouillant les frontières traditionnelles entre les groupes sociaux, mais les recomposant plus qu'elles ne les supprimeraient. 

4.1. La dynamique de la moyennisation, ou la baisse séculaire des  inégalités

4.1.1. Les inégalités se sont globalement réduites au XXè siècle... Le  rapprochement  des  modes  de vie a été  permis  par   la   réduction  des   inégalités  économiques  et 

sociales   traditionnelles.  Si   l'on  prend   l'ensemble  du  XXè   siècle,   on  ne  peut   pas  nier   la   réduction  des inégalités  économiques :   les  bas   revenus  ont  progressé  nettement  plus  vite  que   les  hauts   revenus,   la consommation s'est  beaucoup accrue (spécialement  après  la seconde guerre mondiale)  pour   toutes  les catégories   sociales,   rendant   possible   l'accès   quasi   généralisé   aux   biens   de   consommation   durables (automobile, réfrigérateur, télévision, lave­linge, etc). Parallèlement, la sécurité devant les aléas de la vie a beaucoup progressé pour tous grâce au développement de l'État providence : la Sécurité sociale a permis à tous les Français de se soigner convenablement et de bénéficier de retraites permettant de vivre dignement, ce qui était très loin d'être le cas auparavant. La très grande sécurité de l'emploi durant les Trente glorieuses a également permis à beaucoup de ménages de faire des projets et d'emprunter pour acquérir leur logement (l'accession   à   la   propriété   s'est développée   dans   toutes   les couches   sociales).   Enfin,   la scolarisation de tous  les enfants s'est allongée. Résultat : on peut soutenir l'idée que les modes de vie   se   ressemblent   de   plus   en plus,   quel   que   soit   le   groupe social auquel on appartient. Ainsi, l'habillement est beaucoup moins typé  socialement  qu'il  ne   l'a  été (tout  le monde porte des  jeans), les   départs   en   vacances concernent   un   nombre grandissant   de   Français,   on retrouve  sur   les  bancs  du   lycée des enfants de tous les groupes sociaux, etc. 

4.1.2. ... Ce qui a conduit à l'émergence d'une vaste classe moyenneLa constitution d'une vaste classe moyenne, regroupant les professions intermédiaires, certains cadres, 

les   ouvriers   qualifiés,   une   bonne   partie   des   employés,   serait   la   conséquence   de   cette   réduction   des inégalités, mais aussi de l'uniformisation des modes de vie. C'est ce que Henri MENDRAS explique dans le document cité plus haut.

Dans le monde du travail, les différences se sont aussi beaucoup atténuées : les agriculteurs sont de moins en moins nombreux  et   leurs  tâches de gestion   les  font  de plus en plus ressembler  à  des chefs d'entreprise de l'artisanat ou de l'industrie, les ouvriers travaillent de moins en moins souvent directement la 

Document 21 :la moyennisation par la consommation

Document 20 : les PCS sont­elles des classes sociales ?Les CSP (ou les PCS) ne doivent pas être confondues avec 

une   analyse   en   termes   de   classes   sociales.   En   effet,   la nomenclature   s'appuie   sur   des   données   empiriques   et,   s'il s'agit   de   dresser   des   catégories   sociales   homogènes, l'homogénéité   en   question   est   mesurée   par   le   revenu,   le diplôme, la situation hiérarchique, la nature d'activité, etc. Au contraire,  une classe sociale  est  un regroupement  d'acteurs sociaux   unis   par   une   même   communauté   de   destin,   donc d'intérêts.   Et   cette   communauté   de   destin   produit généralement un regard particulier sur  la société,   regard qui influe   sur   le   comportement,   la   culture,   les   formes d'organisation,   etc.   Il   est   donc   possible,   à   travers   ces indicateurs   extérieurs   ­ langage,   vêtements,   habitudes culturelles, vote politique, etc. ­ de tenter de repérer l'existence de   classes   sociales.   Mais   la   partition   en   classes   sociales distinctes repose toujours sur une façon d'analyser la société, ce qui n’est en rien le cas des PCS.. 

D’après Alternatives Economiques, CD­Rom, Edition 2004

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matière, ils ont le plus souvent des fonctions de contrôle sur des opérations de production de plus en plus souvent automatisées. Certains cadres doivent se passer de secrétaire et tapent eux­mêmes leurs rapports ou leur courrier, de même qu'ils gèrent seuls leur agenda. L'autonomie dans le travail est plus grande à tous les échelons de la hiérarchie. Donc, là aussi, les différences (et donc les inégalités) s'atténuent.

On note de plus une diminution des affrontements de classes : les individus cherchent de plus en plus à accroître leur consommation et donnent la priorité à l'amélioration de leur situation personnelle et de celle de leurs enfants sur la défense de leur groupe social. Le résultat est que les conflits sociaux collectifs diminuent en nombre au profit d'une compétition entre individus (même si vous n'avez pas du tout cette impression, il y a beaucoup moins de grèves à   la   fin du XXè  siècle que dans  les années  1970,  par  exemple,  nous   le reverrons dans un prochain chapitre). 

Enfin, on observe un rapprochement des modes de consommation : l'enrichissement durant les Trente Glorieuses a permis au plus grand nombre d'accéder à un même type de consommation (logement, voiture, électroménager, télévision, téléphone). Par ailleurs, la relative démocratisation scolaire et le développement des médias ont permis la constitution d'éléments de culture communs. Ainsi, certains événements sportifs ou certains films ont une audience qui transcende les groupes sociaux traditionnels. 

Cette idée de moyennisation de la société est donc fondée sur des réalités difficilement contestables. Cependant, aujourd'hui, nombreux sont les sociologues qui remettent en cause cette analyse : la diminution de certaines   inégalités,   réelle,  ne signifie  pas   la  disparition  des   inégalités.  D'abord,  certaines   inégalités traditionnelles augmentent à nouveau. Ensuite, on voit apparaître de nouvelles inégalités qui dessinent un nouveau paysage de la stratification sociale en France. 

4.2. Cependant on peut craindre aujourd'hui une remontée des inégalités4.2.1. Une « repolarisation » de la société ?

Depuis une vingtaine d'années environ, il est de plus en plus difficile de parler de moyennisation de la société.   D'abord   parce   que   les   inégalités   traditionnelles   ne   se   réduisent   plus,   ensuite   parce   que   se développent de nouvelles inégalités. Tant et si bien que beaucoup de sociologues parlent aujourd'hui plutôt d'une  « polarisation »  de   la  société,   c'est­à­dire  d'une   fragmentation  de   la  population  en  deux  groupes distincts, très éloignés, chacun à une extrémité de l'échelle sociale. 

La tendance à la réduction des inégalités traditionnelles semble stoppée. On a vu plus haut que, si les inégalités économiques se sont globalement réduites sur le long terme (depuis la seconde guerre mondiale ou  depuis   le  début  du  XXè   siècle),   les   inégalités  de   revenus  et  de  patrimoine  augmentent  sous   l'effet conjugué   de   la   hausse  du   chômage  et   de   la  montée  du   prix   des  actifs   patrimoniaux   (de   l'immobilier principalement).  Par ailleurs,   les inégalités de consommation n'ont pas complètement disparu non plus : certains biens restent socialement sélectifs (lave­vaisselle, ordinateurs, etc.) et les vacances ne sont pas du tout  les mêmes selon les groupes sociaux. Enfin,  la scolarisation s'est bien allongée pour tous, mais les études restent très différentes selon le groupe social d'origine. Ainsi, il y a proportionnellement plus d'enfants de  cadres  et  professions   intellectuelles  supérieures  dans   les  classes  préparatoires  aux  grandes  écoles aujourd'hui qu'il n'y en avait il y a trente ans (où ils étaient déjà très surreprésentés). 

Les inégalités de patrimoine se sont fortement accrues depuis 1980. D'abord parce que le prix des actifs patrimoniaux (les biens ou les titres possédés par un ménage) ont augmenté beaucoup plus vite que les revenus du travail depuis 1984 : par exemple, le prix du mètre carré dans l'immobilier a progressé 4 à 5 fois plus vite que le salaire moyen depuis 1980. Ensuite parce que les revenus tirés du patrimoine on progressé 

beaucoup plus vite que les revenus du travail (pensez à la modification du partage de la valeur ajoutée au bénéfice des détenteurs de capitaux, sous formes de dividendes par exemple). 

La remontée des inégalités se conjugue avec un phénomène de cumul des inégalités. Les inégalités font système, c'est­à­dire qu'elles s'entraînent mutuellement les unes les autres. On peut en donner quelques exemples : un travailleur au chômage aura du mal à trouver un logement car il ne pourra pas disposer de suffisamment de feuilles de paie pour prouver sa capacité à payer le loyer (sa « solvabilité »). Mais s'il n'a pas d'adresse à donner à un éventuel employeur, il est certain de ne pas trouver d'emploi Dans la réalité,  notre homme n'aura ni  logement, ni emploi. Sans prendre ces extrêmes, on sait bien que si un ménage dispose de revenus faibles, il partira moins en vacances, se soignera moins bien, etc. 

4.2.2. Des frontières de plus en plus floues entre les groupes sociauxUne autre conséquence de la transformation des inégalités à  la fin du XXè siècle est  l'apparition de 

nouvelles inégalités qui ne séparent plus les groupes sociaux traditionnels les uns des autres, mais créent au contraire des hiérarchies à l'intérieur de ces groupes, entre les individus qui les composent. Le résultat est que la stratification sociale est brouillée : les groupes ne sont plus aussi homogènes qu'autrefois. Des inégalités de salaires liées à l'histoire personnelle de chaque individu

Pour un même niveau de diplôme, par exemple, les inégalités de salaires se sont beaucoup accrues. En fonction de quoi ? De plus en plus en fonction des aléas de la vie de chacun : si l'individu a été embauché au bon moment par une entreprise qui se développait, il a pu bénéficier d'opportunités de carrière que d'autres titulaires  du même diplôme n'auront  pas eues s'ils  habitent  dans une région en déclin  économique,  par exemple. On observe la même fragmentation au niveau du groupe des ouvriers. Quoi de commun entre un ouvrier  qualifié   travaillant dans une grande entreprise comme EDF, par  exemple, ayant  pu acquérir  son logement  dans des conditions  très avantageuses et  disposant  d'une énergie  peu coûteuse (les salariés d'EDF  paient   l'électricité   très  peu  cher),   et   un  ouvrier   qualifié   du   textile  vosgien,   secteur  en  complète déconfiture, qui a été licencié successivement de plusieurs entreprises et se retrouve sans emploi avec une qualification qui n'a plus de valeur sur le marché français du fait de la mondialisation ? Pas grand­chose, assurément.  On peut  donc dire que la  trajectoire individuelle  compte de plus en plus pour expliquer  les inégalités, en particulier économiques, observées. De nouvelles inégalités apparaissent, liées aux transformations du salariat

La précarisation  du contrat  de travail  d'un certain nombre de salariés engendre une  inégalité  qui  a d'importantes conséquences pour la vie quotidienne entre ceux qui ont un emploi stable, sûr (pas seulement les fonctionnaires) et les autres qui craignent pour leur emploi, quand ils en ont un. Ainsi, il est beaucoup plus difficile d'acheter un logement, et même d'en louer un, quand on a un emploi précaire (un CDD, par exemple) que quand on a un emploi stable. D'autre part, on constate une personnalisation croissante de la relation d'emploi : c'est la compétence personnelle de l'individu qui lui permet d'exercer cet emploi, pas, ou de moins en moins, sa simple force de travail qui pouvait auparavant être interchangeable avec celle de son voisin. Des inégalités « transversales »

Des inégalités « transversales » (qui traversent les groupes sociaux) sont apparues en tant que telles. On a déjà parlé des inégalités entre hommes et femmes, on peut parler aussi des inégalités en fonction de l'âge : toutes les générations n'ont pas et n'auront pas accès aux mêmes avantages. Ainsi, les jeunes ont­ils aujourd'hui des difficultés majeures pour accéder à un emploi stable, comme s'il y avait une sorte de « droit d'entrée » à payer (petits boulots, travail quasi non rémunéré lors des stages, etc.). 

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4.2.3. La thèse de Louis CHAUVEL sur « le retour des classes sociales »Le  texte  ci­dessous  est  extrait  de  Louis  CHAUVEL,  « Les   transformations  de   la structure  sociale », 

Nouveau manuel de SES, La Découverte, 2003 :L'idée que les classes sociales disparaissent a connu une expansion considérable en France au cours 

des vingt dernières années. Cette fin proviendrait :• dans la sphère politique, de la diffusion du pouvoir (politique et syndical) au sein de l'ensemble des 

catégories  de   la  population  et  de   la  déstructuration  des   comportements  politiques   selon   les   strates sociales ;• dans la sphère économique, d'une part de l'augmentation du secteur tertiaire, dont les emplois ne 

correspondaient  pour   la  plupart  à  aucun système de classe parfaitement  clair,  et  d'autre  part  de   la diffusion de la propriété dans toutes les couches sociales ;• de   l'élévation   du  niveau  de   vie   et   de   consommation  qui   conduit   à   la   disparition  de   strates  de 

consommation   nettement   repérables,   rendant   peu   vraisemblable   l'intensification   de   la   lisibilité   des différentes strates.À  ces arguments  classiques sont venus s'en ajouter  d'autres :   la croissance scolaire et   l'entrée des 

classes populaires au lycée puis à   l'université,   le   flou   croissant des   échelles   de   salaire,   la diffusion   de   la   propriété   de valeurs   immobilières,   la généralisation   d'une   culture « moyenne »,   la complexification   induite   par l'entrée   massive   des   femmes dans   le   monde   du   travail ; l'exclusion   des   pauvres   et   la précarisation   des  outsiders pourraient   prendre   le   pas   sur les inégalités traditionnelles (les ouvriers   stables  étant   dès   lors au   nombre   des  insiders) ;   la multiplication de différenciations et   de   conflits   fondés   sur   des enjeux   symboliques,   la revendication   de   la reconnaissance des différences religieuses,   de   genre,   d'ordre culturel, régionalistes, ethniques ou d'orientation sexuelle ; enfin, plus   généralement,   dans   les théories   postmodernes, l'existence de « styles  de  vie » mouvants,   choisis   par   les 

individus au gré du temps, pourrait tout autant disqualifier les approches en termes de classes. Le schéma général de ce type d'argumentation est le plus souvent une ligne causale qui va d'une baisse des inégalités économiques jusqu'à celle de la conscience de classe.

Dans une perspective de long terme, sur le demi­siècle passé, c'est une évidence, mais il convient d'en saisir   les   limites  pour  échapper  aux   risques  du  dogmatisme.  Une   lecture  attentive  des  vingt   dernières années montre en effet que l'on a peut­être un peu vite anticipé la permanence de ces évolutions. Si l'on passe en revue l'ensemble des indicateurs disponibles, on constatera que :

• La « disparition » des classes populaires (employés plus ouvriers) est très contestable, puisque cet ensemble représente 60% de la population active, tout autant que dans les années 1960.• Même si les inégalités statiques (le rapport entre le salaire ou le revenu des classes supérieures et 

des classes populaires) ont diminué, les « inégalités dynamiques » (le temps de rattrapage des mieux situés  par   les  autres)  se  sont  considérablement  accrues  du   fait   du   ralentissement  économique,  qui interrompt mécaniquement l'effet d'ascenseur social que la croissance suscitait ; dès lors, des frontières que l'on croyait périmées se reconstituent.• Alors que la société salariale avait assis sur le salaire tout un ensemble de droits sociaux (retraite, 

santé, etc.), le recours accru à l'épargne et à la dépense volontaire pourrait amplifier l'effet des inégalités de patrimoines [...].• Par ailleurs, alors que les sociologues postmodernes affirment que nous sommes entrés dans une 

ère d'abondance qui permet le libre choix des référents de consommation et de culture, on constate au contraire le maintien de très rigides frontières sociales dans l'accès aux biens les plus élaborés [...].• si   la   mobilité   sociale   structurelle   s'est   accrue   avec   la   croissance   des   cadres   et   professions 

intermédiaires,   les   nouvelles   générations   qui   connaissent   une   moindre   expansion   bénéficient   de moindres progrès en la matière. [...] Les générations nées dans les années 1970, qui ont connu jusqu'à 30% de taux de chômage sur les deux premières années après les études, connaissent de plus forts risques de mobilité descendante.• Concernant la mobilité « nette », s'il existe bien un surcroît de fluidité, le phénomène dominant reste 

bien celui de la reproduction sociale où  les enfants de cadres ont relativement à ceux d'ouvriers des probabilités 70 fois plus importantes d'accéder à la catégorie cadre plutôt qu'à celle d'ouvrier...

On   peut   dire   en   conclusion   que   les   inégalités   se   transforment   plus   qu'elles   ne   disparaissent, accompagnant les transformations économiques liées à la croissance. Ces transformations contribuent à ce que les inégalités soient davantage vécues sur le mode individuel que collectif. La frontière des groupes sociaux  est  de ce  fait  beaucoup moins claire.  Cela ne signifie  pas que  la hiérarchie entre  les groupes n'existe plus. Et la réduction des inégalités devient également moins simple dans la mesure où celles­ci ne sont pas clairement attachées à tel ou tel groupe. La question centrale devient, plus que jamais, celle de l'égalité   des   chances :   comment  assurer  à   chaque   individu  dans  une  société  qui   se   veut  égalitaire  et démocratique les mêmes chances d'accès aux ressources valorisées par la société ? La réponse à cette question n'est évidemment  pas simple :  nous réfléchirons à cette question de l'égalité  dans une société démocratique dans le dernier chapitre de cette partie. Un aspect central de la question est de savoir dans quelle mesure la position sociale des parents détermine la position sociale des enfants : s'il y a une forte « hérédité » sociale, les inégalités se reproduisent sans que le mérite des individus soit réellement pris en compte. C'est la question de la mobilité sociale qui est ainsi posée et que nous aborderons dans le chapitre suivant. 

Document 22a :  le « temps de rattrapage » du pouvoir d’achat du salaire des cadres par les ouvriers.

La croissance économique permettait à chacun d’espérer en quelques années un niveau de vie caractérisant les catégories situées au­dessus de lui, dans un jeu de rattrapage perpétuel. Il est ainsi possible de mesurer en années le temps  de rattrapage  du salaire moyen des cadres par celui des ouvriers.  [...]  Plus  le temps de rattrapage est court, plus sont relatives les frontières économiques. Si ce temps est de l’ordre de 30 ans, un jeune ouvrier peut espérer en fin de carrière un revenu proche de celui des cadres, et un ouvrier plus âgé peut attendre pour ses   enfants   un   sort   bien   préférable   au   sien ;   si   au   contraire   ce   temps   de rattrapage avoisine le siècle, les écarts qu’il observe aujourd’hui sont appelés à persister aussi loin que ce que l’horizon théorique de sa vie et de celle de ses enfants lui permet d’entrevoir.

Document 22b : l’évolution du temps de rattrapage

Documents extraits de Louis CHAUVEL, « Le retour des classes sociales ? », Revue de l’OFCE, 2001.