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Ta deuxième vie commence quand tu comprends …1 Les gouttes, de plus en plus grosses, s’écrasaient sur mon pare-brise. Les essuie-glaces grinçaient et moi, les mains crispées

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RaphaëlleGiordanoPréfacedeChristineMichaud

TADEUXIÈMEVIECOMMENCEQUANDTUCOMPRENDSQUETUN’ENAQU’UNE

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Infographie:ChantalLandry

Illustrationdelacouv erture:MariiaSniegirov a©Shutterstock

Couv erture:StudioEy rollesadaptéeparJulieSt-Laurent

ISBN:97 8-2-924402-67 -2

Dépôtlégal–BibliothèqueetArchiv esnationalesduQuébec,201 5

Dépôtlégal–BibliothèqueetArchiv esCanada,201 5

Titreoriginalfrançais:Tadeuxièmeviecommencequandtucomprendsquetun’enasqu’une

©GroupeEy rolles,Paris,France

©Gallimardltée–Édito,201 5pourlaprésenteédition

Tousdroitsréserv és

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Jerêvequechacunpuisseprendrelamesure

desestalentsetlaresponsabilitédesonbonheur.

Cariln’estriendeplusimportantquedevivre

unevieàlahauteurdesesrêvesd’enfant…

Belleroute,

Raphaëlle.

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Préface

Combiensommes-nousàavoiradoptéunmodedevieautomatique?Nousvivonslaroutine

duquotidiensanstropnousposerdequestions.Pireencore,nousnouscontentonsd’unpetit

malheurdevenuconfortable…

Etsinousnousdonnionsuncoupdepep?Voilàcequirisquedeseproduirelorsquevous

découvrirezCamille,l’héroïnedecettehistoire.Commeelle,sansêtretoutàfaitmalheureux,

ilnousarrived’être incapablesd’affirmerquenoussommespleinementheureux.Quefaire

alorspoursortirdecemarasme?

Ehbien,nousaurionsparfoisbesoind’unroutinologue!AttendezderencontrerClaudeet

d’enapprendredavantagesursaprofession.Vousrêverezd’avoirquelqu’uncommeluidans

votrevie.Unroutinologue,çavoussortde laroutine,maissurtoutçavousréenchanteune

vie en vous permettant d’y faire un bon ménage, de vous libérer pour vous lancer à la

poursuitedevosrêvesetdecequivoustientvraimentàcœur.

Alors, si je peuxmepermettrede vousdonnerun conseil, vivez ce livre!Entrezdans la

peau de Camille et livrez-vous à votre tour aux exercices qui lui sont proposés. Vous en

récolterezdenombreuxbénéfices,etvotreexistencecommenceraàse transformer.Cesera

mêmeprobablementledébutdecette«deuxième»vie.

Personnellement, je n’ai jamais lu un roman qui soit aussi interactif, libérateur et

transformateur.Dèslespremièrespages, j’aiététouchéepar lepersonnagedeCamilleet je

suis encore impressionnée par cette capacité qu’a Raphaëlle Giordano de dépeindre l’état

intérieurdebiendespersonnes. Surtout, c’est avecbeaucoupd’originalité, de finesse etde

sensibilitéqu’elle saitnous raconterunehistoirequinon seulementpourrait être lanôtre,

maisnousapporteégalementdespistesdesolution,descheminsd’évolution.

Ce roman constitue une formidable expérience. Je souhaite vivement que vous soyez

nombreux à le lire et que vous ayez du plaisir à suivre le parcours deCamille. Invitez vos

amis à embarquer dans l’aventure, et créons ensemble une grande vague de joie et de

réalisationdesoi.

Attention!Quandvous aurez tourné ladernièrepagede ce roman, votre viepourraitne

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plusêtrelamême…etceseralameilleurechosequipuissevousarriver.

En terminant, notez que la fin risque de vous surprendre. Parce que commedisait Paul

Éluard,«iln’yapasdehasards,iln’yaquedesrendez-vous».

Bonnelecture,etheureusetransformation!

ChristineMichaud

Admiratrice,etfutureamie

deRaphaëlleGiordano!

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Les gouttes, de plus en plus grosses, s’écrasaient sur mon pare-brise. Les essuie-glaces

grinçaient etmoi, lesmains crispées sur le volant, je grinçais tout autant intérieurement…

Bientôt,lestrombesd’eaufurenttellesque,d’instinct,jelevailepied.Ilnemanqueraitplus

quej’aieunaccident!Lesélémentsavaient-ilsdécidédeseliguercontremoi?Toc,toc,Noé?

Qu’est-cequec’estquecedéluge?

Pouréviter letraficduvendredisoir, j’avaisdécidédecouperpar lespetitesroutes.Tout

plutôt quede subir les grands axes sursaturés et les affresd’une circulation en accordéon!

Mesyeuxessayaientvainementdedéchiffrerlespanneaux,tandisquelabandededieux,là-

haut, s’en donnait à cœur joie en jetant unmaximum de buée surmes vitres, histoire de

corsermondésarroi.Et commesi cen’étaitpas suffisant,monGPSdécida tout à coup, en

pleinmilieud’unsous-boisobscur,queluietmoineferionsplusrouteensemble.Undivorce

technologique à effet immédiat: j’allais tout droit et lui tournait en rond. Ou plutôt ne

tournaitplusrond!

Ilfautdirequelàd’oùjevenais, lesGPSnerevenaientpas.Oupasindemnes.Làd’oùje

venais, c’était le genre de zone oubliée des cartes, où être ici signifiait être nulle part. Et

pourtant… Il y avait bien ce petit complexe d’entreprises, ce regroupement improbable de

SARL* (Sociétés Assez Rarement Lucratives) qui devait représenter pour mon patron un

potentielcommercialsuffisantpourjustifiermondéplacement.Peut-êtreyavait-ilaussiune

raison moins rationnelle. Depuis qu’il m’avait accordé mon temps partiel, j’avais la

désagréableimpressionqu’ilmefaisaitpayercettegrâceenmeconfiantlesmissionsdontles

autresnevoulaientpas.Cequiexpliquaitpourquoijemeretrouvaisdansunplacardàroues,

àsillonnerlesroutesdesgrandesbanlieuesparisiennes,occupéepardumenufretin…

Allez,Camille…Arrêtederumineretconcentre-toisurlaroute!

Soudain, un bruit d’explosion…Un bruit effrayant qui propulsamon cœur à cent vingt

pulsationsminuteetmefitfaireuneembardéeincontrôlable.Matêtecognacontrelepare-

briseetjeconstataicurieusementque,non,l’histoiredelaviequidéfiledevantlesyeuxen

deuxsecondes,cen’étaitpasunefable.Aprèsquelquesinstantsdanslesvapes,jereprismes

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espritsetmetouchai le front…Riendevisqueux.Justeunegrossebosse.Check-upéclair…

Non,pasd’autresdouleurssignalées.Plusdepeurquedemal,heureusement!

Jesortisdelavoitureenmecouvrantcommejepouvaisdemonimperméablepouraller

constaterlesdégâts:unpneucrevéetuneailecabossée.Passéelapremièregrossefrayeur,la

peurcédalaplaceàlacolère.Bonsang!Était-ilpossibledecumulerdansuneseulejournée

autant de problèmes? Jeme jetai surmon téléphone comme sur une bouée de sauvetage.

Évidemment, il ne captait pas! J’en fus à peine surprise, c’est dire si j’étais résignée àma

poisse.

Les minutes s’égrenèrent. Rien. Personne. Seule, perdue dans ce sous-bois désert.

L’angoissecommençaàmonter,desséchantplusencoremonarrière-gorgedéshydratée.

Bouge,aulieudepaniquer!Ilyasûrementdesmaisons,danslecoin…

Jequittaialorsmonhabitacleprotecteurpouraffronterrésolumentleséléments,affublée

dutrèsseyantgiletdesécurité.Àlaguerrecommeàlaguerre!Etpuis,pourêtretoutàfait

franche,vulescirconstances,montauxdeglamouritudem’importaitassezpeu…

Auboutd’unedizainedeminutesquimesemblèrentuneéternité,jetombaisurunegrille

depropriété.J’appuyaisurlasonnetteduvisiophonecommeoncomposele15**.

Un hommeme répondit d’une voix de judas, celle-de-derrière-les-portes, qu’on réserve

auximportuns.

—Oui?C’estpourquoi?

Je croisai lesdoigts: pourvuque les gensdu coin soienthospitaliers et un tant soit peu

solidaires!

—Bonsoirmonsieur…Désoléedevousdéranger,maisj’aieuunaccidentdevoituredans

lesous-bois, derrièrechezvous…Monpneuaéclatéetmoncellulairenecaptepasleréseau…Jen’aipaspuappelerlessec…

Lebruitmétalliqueduportailentraindes’ouvrirmefitsursauter.Était-cemonregardde

cockerendétresseoumonalluredenaufragéequiavaitconvaincuceriveraindem’accorder

l’asile?Peu importe. Jemeglissai à l’intérieur sansdemandermon reste, etdécouvrisune

magnifique bâtisse de caractère, entourée d’un jardin aussi bien pensé qu’entretenu. Une

véritablepépitedansdelaboueaurifère!

*EnFrance,acronymedésignantunesociétéàresponsabilitélimitée.

**EnFrance,équivalentdu911.

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Leperrons’alluma,puislaported’entrées’ouvritauboutdel’allée.Unesilhouettemasculine

de belle stature s’avança versmoi, sous un immense parapluie. Lorsque l’homme fut tout

près,jeremarquaisonvisagelongetharmonieux,auxtraitsplutôtmarqués.Maisilétaitde

ceuxquiportentbien la ride.UnSeanConneryà la française.Jenotai laprésencededeux

fossettesenvirgulesautourd’uneboucheenappositionponctuéedecommissuresjoyeuses,

cequi,dans lasyntaxedesaphysionomie, luidonnaitd’embléeunairsympathique.Unair

quiinvitaitaudialogue.Ildevaitavoiratteintlasoixantainecommequelqu’unquirejointla

case«Ciel»àlamarelle:àpiedsjointsetserein.Sesyeuxd’unbeaugrisdélavébrillaientd’un

éclatespiègle, semblablesàdeuxbilles tout juste lustréesparungamin.Sabellechevelure

poivreetselétaitétonnammentfourniepoursonâge,neprésentantqu’unlégerreculsurle

devant,unefineaccoladecouchéesursonfront.Unebarbetrèscourte,aussibientailléeque

les jardins alentours, ouvrait les guillemets d’un style soigné qui s’étendait à toute sa

personne.

Ilm’invitaàlesuivreàl’intérieur.Troispointsdesuspensionàmonexamenmuet.

—Entrez!Vousêtestrempéejusqu’auxos!

— M… Merci! C’est vraiment gentil à vous. Encore une fois, je suis désolée de vous

déranger…

—Nelesoyezpas.Iln’yapasdeproblème.Tenez,asseyez-vous,jevaisvouschercherune

serviettepourvoussécherunpeu.

Àcemoment-là,unefemmeélégante,quejedevinaiêtresafemme,s’avançaversnous.La

grâce de son joli visage se trouva momentanément altérée par le froncement de sourcils

qu’elleréprimaenmevoyantpénétrerdanssonfoyer.

—Chéri,toutvabien?

—Oui,oui,çava.Cettedameaeuunaccidentdevoitureetellen’arrivaitpasàcapterde

réseaudanslesous-bois.Elleajustebesoindetéléphoneretdeseremettreunpeu.

—Ahoui,biensûr…

Mevoyantglacée,ellemeproposaaimablementune tassede théque j’acceptai sansme

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faireprier.

Tandisqu’elles’éclipsaitdanslacuisine,sonmaridescendaitlesescaliers,uneservietteà

lamain.

—Mercimonsieur,c’esttrèsgentil.

—Claude.Jem’appelleClaude.

—Ah…Moi,c’estCamille.

—Tenez,Camille.Letéléphoneestlà,sivousvoulez.

—Parfait.Jeneseraipaslongue.

—Prenezvotretemps.

Jem’avançaivers letéléphoneposésurunjolimeubleenboisraffiné,au-dessusduquel

trônaituneœuvred’artcontemporain.Cesgensavaientmanifestementdugoûtetunebelle

situation…Quelsoulagementd’êtretombéesureux(etnondansl’antred’unogre-mangeur-de-beautés-désespérées-en-détresse)!

Jedécrochai lecombinéetcomposai lenumérod’assistancedemonassureur. Incapable

degéolocalisermonvéhicule, jeproposaique le remorqueurmerejoigne toutd’abordchez

mes hôtes, avec leur accord. On m’annonça une intervention dans l’heure. Je respirai

intérieurement:lesévénementsprenaientbonnetournure.

J’appelaiensuitelamaison.Pardiscrétion,Claudes’emparadutisonnieretallas’occuper

du feu qui crépitait dans la cheminée, à l’autre bout de la pièce. Après huit interminables

sonneries, mon mari décrocha. À sa voix, je devinai qu’il avait dû s’assoupir devant un

programme télé. Malgré tout, il ne semblait ni surpris ni inquiet de m’entendre. Il était

habitué àme voir rentrer parfois assez tard. Je lui expliquaimes déboires. Il ponctuames

phrases d’onomatopées agacées et de claquements de langue contrariés, puisme posa des

questions techniques. Dans combien de temps allait-on venirme dépanner? Combien cela

allait-ilcoûter?J’avaislesnerfsàvifetsoncom portementmedonnaitenviedecrierdanslecombiné! Il ne pouvait pas montrer un peu d’empathie pour une fois? Je raccrochai,

furibonde,enluidisantquej’allaismedébrouilleretqu’ilnem’attendepaspourdormir.

Mesmains tremblaientmalgrémoi et je sentaismes yeux s’embuer. Je n’entendis pas

Claudes’approcherdemoi,sibienquesamainsurmonépaulemefittressaillir.

—Çava?Vousvoussentezbien?demanda-t-ild’unevoixbienveillante,lavoixquej’aurais

aiméentendredemonmari,unpeuplustôt.

Ils’accroupitpourêtreàlahauteurdemonvisageetrépéta:

—Çava,vousvoussentezbien?

Etlà,quelquechoseenluimefitbasculer:meslèvressemirentàtrembloter,etjenepus

contenirleslarmesquisebousculaientsousmespaupièresdepuisunmoment…Mascarade

de mascara sur mon visage, je laissai alors s’échapper le trop-plein de frustrations

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accumuléescesdernièresheures,cesdernièressemaines,cesderniersmois,même…

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Audébut, il ne dit rien. Il resta juste ainsi, immobile, samain chaude surmon épaule, en

signed’empathie.

Quandmeslarmessetarirent,safemmequi,entretemps,avaitdéposédevantmoilatasse

dethéfumant,m’apportaaussiquelquesmouchoirs,puisdisparutàl’étage,pressentantsans

doutequesaprésencerisquaitd’interrompreuneconfessionsalutaire.

—Ex…Excusez-moi,c’estridicule!Jenesaispascequim’arrive…Encemoment,jesuisà

vif,etlà-dessus,cettejournéeeffroyable,vraiment,c’esttrop!

Claude était allé se rasseoir sur le fauteuil en face demoi etm’écoutait attentivement.

Quelque chose, en lui, appelait la confidence. Il plongea son regard dans le mien. Pas un

regardscrutateur,niintrusif.Unregardbienveillant,grandcommedesbrasouverts.

Mesyeuxrivésauxsiens,jesentaisquejen’avaispasàtricher.Quejepouvaismelivrer

sansmasque.Mespetits verrous intérieurs lâchaient lesuns après les autres.Tantpis.Ou

tantmieux?

Je lui confessai les grandes lignes de mon vague à l’âme, lui expliquai comment des

microfrustrations accumulées avaient fini par gangrénerma joie de vivre alors que j’avais

tout,apriori,pourêtreépanouie…

—Vousvoyez,cen’estpasquejesuismalheureuse,maisjenesuispasvraimentheureuse

nonplus…Etc’estaffreux,cettesensationquelebonheurm’afiléentrelesdoigts!Pourtant,

je n’ai aucune envie d’aller voir un médecin; il serait capable de me dire que je fais une

dépressionetdemegaverdemédicaments!Non,c’estjustecetteespècedemorosité…Rien

degrave,maisquandmême…C’estcommesilecœurn’yétaitplus.Jenesaisplussitoutçaa

unsens!

Mesparolessemblèrentl’émouvoir,aupointquejemedemandaisiellesnelerenvoyaient

pasàquelquechosedetrèspersonnel.Alorsquenousnousconnaissionsdepuismoinsd’une

heure,ils’étaitinstalléentrenousunsurprenantclimatdeconnivence.Étrangèreuninstant

plustôt,voilàque je franchissaisavecmaconfessionplusieursdegrésd’intimitéd’uncoup,

créantuntraitd’unionprécoceentrenoshistoires.

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Ce que j’avais livré de moi avait visiblement touché chez lui une corde sensible qui

l’animaitd’uneauthentiquemotivationàmeréconforter.

— «Nous avons autant besoin de raisons de vivre que de quoi vivre», affirmait l’Abbé

Pierre. Alors, il ne faut pas dire que ça n’a pas d’importance. Ça en a énormément, au

contraire!Lesmauxdel’âmenesontpasàprendreàlalégère.Àvousécouterparler,jecrois

mêmesavoirdequoivoussouffrez…

—Ahoui,vraiment?demandai-je,enreniflant.

—Oui…

Ilhésitauninstantàpoursuivre,commes’ilessayaitdedevinersij’allaisêtreréceptiveou

nonàsesrévélations…Ildutjugerqueoui,carilenchaîna,surletondelaconfidence:

—Voussouffrezprobablementd’uneformederoutiniteaiguë.

—Unequoi?

—Une routinite aiguë. C’est une affection de l’âme qui touche de plus en plus de gens

danslemonde,surtoutenOccident.Lessymptômessontpresquetoujourslesmêmes:baisse

de motivation, morosité chronique, perte de repères et de sens, difficulté à être heureux

malgréuneopulencedebiensmatériels,désenchantement,lassitude…

—Mais…Commentvoussaveztoutça?

—Jesuisroutinologue.

—Routino-quoi?

C’étaitsurréaliste!

Il semblait habitué à ce genre de réaction, car il ne se départit pas de son flegme et

bienheureuxdétachement.

Il m’expliqua alors en quelques phrases ce qu’était la routinologie, cette discipline

novatrice encore méconnue en France, mais déjà bien répandue dans d’autres parties du

monde.Commentleschercheursetscientifiquess’étaientrenducomptequedeplusenplus

de gens étaient touchés par ce syndrome. Comment, sans être en dépression, on pouvait

ressentirmalgré toutunesensationdevide,unvraivagueà l’âmeet traîner ladésagréable

impressiond’avoirtoutpourêtreheureux,maispaslaclépourenprofiter.

Je l’écoutais avec des yeux ronds, buvant ses paroles qui dépeignaient si bien ce que je

ressentais,cequil’engageaàpoursuivre:

—Vous savez, la routiniteparaîtunmalbéninàpremière vue,mais ellepeut causerde

véritables dégâts sur la population: entraîner des épidémies de sinistrose, des tsunamis de

vagueàl’âme,desventsd’humeurnoirecatastrophiques.Bientôt, lesourireseraenvoiede

disparition! Ne riez pas, c’est la vérité! Sans parler de l’effet papillon! Plus le phénomène

s’étend,plusiltoucheunelargepopulation…Uneroutinitemalendiguéepeutfairebaisserla

coted’humeurd’unpaystoutentier!

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Au-delà de son ton grandiloquent, je sentais bien son souci d’en rajouter pour me

redonnerlesourire.

—Vousn’exagérezpasunpeu,là?

— Si peu! Vous n’imaginez pas le nombre d’analphabètes du bonheur! Sans parler de

l’illettrismeémotionnel!Unvéritablefléau…Nepensez-vouspasqu’iln’yariendepireque

cetteimpressiondepasseràcôtédesaviefauted’avoireulecouragedelamodeleràl’image

de ses désirs, faute d’être resté fidèle à ses valeurs profondes, à l’enfant qu’on était, à ses

rêves?

—Mmm,mmm…Sûrement…

— Malheureusement, développer ses capacités à être heureux n’est pas quelque chose

qu’onapprendàl’école.Ilexistepourtantdestechniques.Onpeutavoirbeaucoupd’argentet

êtremalheureuxcommelespierres,ouaucontraireenavoirpeuetsavoirfairesonmielde

l’existencecommepersonne…Lacapacitéaubonheursetravaille,semusclejouraprèsjour.

Ilsuffitderevoirsonsystèmedevaleurs,derééduquerleregardqu’onportesurlavieetles

événements.

Il se leva et alla chercher sur la grande table une coupelle remplie de confiseries, puis

revintm’enproposerpouraccompagnermonthé.Ilenpicoradistraitementquelques-unes,

toutenreprenantnotreconversationquisemblait lui tenirparticulièrementàcœur.Tandis

que je l’écoutaismeparlerde l’importancede revenirà soi,des’aimermieuxpourpouvoir

être capable de trouver sa voie et son bonheur, de le faire rayonner autour de soi, je me

demandaiscequ’ilavaitbienpuvivrelui-mêmepourêtreaussiconcerné…

Tout son être s’enflammait pour tenter de me faire partager sa conviction. Il marqua

soudain une pause, etme scruta de son regard bienveillant qui semblait lire enmoi aussi

facilementqu’unaveuglelitlebraille.

—Voussavez,Camille,laplupartdeschosesquivousarriventdanslaviedépendentdece

quisepasselà-haut,enchaîna-t-il,setapotantlecrâne.Dansvotretête.Lepouvoirdumental

n’a pas fini de nous surprendre! Vous n’imaginez pas à quel point votre pensée influence

votreréalité…C’estunpeulemêmephénomènequeceluidécritparPlatondanssonMythe

delacaverne:enchaînésdansunegrotte,leshommessefontuneimagefaussedelaréalité,

carilsneconnaissentd’ellequelesombresdéforméesdeschosesqu’unfeualluméderrière

euxprojettesurlemur.

Jegoûtaiensilencelecocassedelasituation.Ilfautdireaussiquejenem’attendaispasà

philosopherdansunsaloncosy,uneheureaprèsunaccidentdelaroute!

—Vousfaitesunparallèleentrelemythede Platonetlemodedefonctionnementdenotremental?Waouh…

Ilsouritdemaréaction.

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—Maisoui!J’yvoisunparallèleavec lespenséesquiplacentun filtreentre laréalitéet

nous-mêmesetlatransformentaugrédescroyances,desapriorietdesjugements…Etqui

fabrique tout ça? Votre mental! Uniquement votre mental! J’appelle ça «la fabrique à

pensées». Une véritable usine! La bonne nouvelle, c’est que vous avez le pouvoir de les

changer, ces pensées. Broyer du rose ou broyer du noir n’est pas indépendant de votre

volonté…Vous pouvez travailler votremental pour qu’il arrête de vous jouer desmauvais

tours:ilsuffitd’avoirunpeudeconstance,depersévéranceetdeméthode…

J’étaisabasourdie.J’hésitaisentre leprendrepourunfouetapplaudiràdeuxmainsson

incroyable discours. Je ne fis ni l’un ni l’autre, etme contentai de hocher la tête en signe

d’assentiment.

Ildutsentirquepourl’heurelajauged’informationsàdigérerétaitatteinte.

—Pardonnez-moi,jevousembêtepeut-êtreavectoutesmesthéories?

—Pasdutout,pasdutout!Jelestrouvetrèsintéressantes.Jesuisjusteunpeufatiguée,il

nefautpasfaireattention…

—C’estbiennormal.Uneautrefois,sivouslesouhaitez,jeseraisravidevousreparlerde

cetteméthode…Elleavraimentfaitsespreuvespouraiderdespersonnesàretrouverdusens

etàremettresurpiedunprojetdevieépanouissant.

Ilselevaetsedirigeaversunjolipetitsecrétaireenboisdecerisier.Ilensortitunecarte

qu’ilmetendit.

—Passezmevoiràl’occasion,dit-ilavecundouxsourire.

Jelus:

ClaudeDUPONTEL

Routinologue

15ruedelaBoétie

75008Paris

0678475018

Jeme saisis de la carte sans savoir encore quoi en penser. Par politesse, je lui dis que

j’allais y réfléchir. Il n’insista pas, en apparence peu préoccupé par ma réponse. La

professionnelle de la vente que j’étais n’arrivait pas à comprendre: une personne à son

comptenecherchait-ellepasàtoutprixàdécrocherunnouveauclient?Sonpeud’agressivité

commercialesemblait indiqueruneconfianceensoirare.J’eusalors laconvictionquesi je

refusaiscetteopportunité,laseulequiavaitquelquechoseàperdre,c’étaitmoi.

Mais pour l’heure, j’étais encore sous le joug des émotions de la soirée, cet accident

stupide,cetoragestupide,commeundébutdemauvaisfilmd’épouvante…Etmaintenant,un

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routinologue! J’hallucinais… Dans cinq minutes, les caméras allaient sortir et quelqu’un

crierait:«Surprisesurprises!»

Lasonnetteretentit.À laporte,nicaméra,ni journaliste, juste leremorqueurquivenait

d’arriver.

—Vousvoulezqu’onvousaccompagne?medemandaaimablementClaude.

— Non, vraiment, merci… Ça va aller. Vous avez déjà été tellement gentil. Je ne sais

commentvousremercier…

— Il n’y a pas de quoi. C’est bien normal d’aider en pareil cas! Envoyez-nous un texto

quandvousserezrentréechezvous.

—C’estpromis.Aurevoir,etmerciencore!

Je montai à l’avant avec le remorqueur pour lui indiquer le chemin jusqu’au lieu de

l’accident.Jejetaiundernierregardàtraverslavitreetvit lecoupletendrementenlacéme

faireunpetitaurevoirdepuisleperron.Ilémanaitd’euxunetelleimpressiond’amouretde

complicité!

C’est avec cette image de bonheur paisible flottant dans mon esprit que je me laissai

emporter dans le noir, cahotée dans cet engin qui me ramenait à la réalité de mes

problèmes…

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4

Le lendemain matin, je me réveillai avec une migraine terrible. Et les marteaux piqueurs

allaient malheureusement jouer les Woody Woodpecker dans ma tête toute la journée!

J’avaispasséunenuit agitée à repenser auxparolesdeClaudeDupontel.Étais-je vraiment

atteinte de routinite aiguë? Le vague à l’âme qui me tenaillait depuis quelques semaines

méritait-ilquejem’engagedansunetelledémarched’accompagnement?Parceque,dequoi

jemeplaignais, en fait?J’avaisunmarietun fils formidables,un travailquim’offraitune

situationstable…Peut-êtrefallait-ilsimplementquejemesecoueetquej’arrêtederuminer?

Pourtant,monpetitspleendebobopré-quadragénaireavaitladentdure.J’avaisbiententéàmoultreprisesdemettremonmouchoirpar-dessus,envain…

Parmoments,j’essayaismalgrétoutderemettreleschosesenperspective.De«prendrede

la hauteur», comme ils disent dans les magazines psycho. Je passais en revue tous les

échelons de lamisère humaine. Les gens sous les bombes. Ceux qui avaient unemaladie

grave.Lessans-abri,lessans-travail,lessans-amour…Àcôté,mesproblèmessemblaientbien

minimes!Maiscommel’avaitditClaudeDupontel,ilnefallaitpascomparercequin’étaitpas

comparable. L’échelle du bonheur ou du malheur n’est pas la même pour tous. Je ne

connaissaispascethommeetpourtant,ilsemblaitsiéquilibré,si…posé!Oui,posé,c’étaitle

mot.Biensûr,jenecroyaispasauxrecettesmiraclesquitransformentvotrevied’uncoupde

baguettemagique.Maispourcequiétaitdechangerleschoses,ilavaitl’airsiconvaincant!Il

affirmaitquelaroutineetlamorositén’étaientpasunefatalité,qu’onpouvaitchoisird’être

de ceux qui ne subissent pas leur quotidien et arrivent à vivre pleinement leur existence.

Faire de sa vie une œuvre d’art… Un projet qui paraissait a priori assez irréaliste, mais

pourquoinepasessayer,aumoins,detendreversça?

Enthéorie,l’envieétaitlà.Maisenpratique?«Unjour,j’iraivivreenThéorie,parcequ’en

Théorie tout se passe bien…» Alors, comment passer à l’action et franchir l’étape du

yakafaucon?Cettequestionentête,jemelevaipéniblement,avecladésagréableimpression

d’avoirétérouéedecoupstoutelanuit.Pournerienarranger,jeposaisanslefaireexprèsle

piedgaucheenpremiersurlesol.Superstitionstupide,maisj’yvisillicounsignedemauvais

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augure, réaction instantanée de mon cerveau asphyxié d’ondes négatives: la journée

s’annonçaitmal…

Sébastien,monsupposécher-et-tendre,meditàpeinebonjour.Ilsemblaitauxprisesavec

unecravaterebelleetjecomprisvaguement,entredeuxjuronsétouffés,qu’ilétaitenretard

poursaréunion.Cen’étaitpasencorecematinqu’ilallaitemmenerAdrienàl’école.Soupir

etre-soupir.

Adrien,monfils,neufans,sixmois,douzejoursethuitheures,aurait-ilpuvousexpliquer.

Sahâte d’être grandm’émouvait etm’effrayait parfois; tout allait si vite! Trop vite.Adrien

faisaitd’ailleurstoujourstoutavecuntempsd’avance.Pourveniraumonde,ilavaitfrappéà

laportebienavant l’heure.D’unevitalitéhorsnorme, ilétaitdéjàaussiremuantdansmon

ventrequ’unlâcherdeballessurunterraindesquashminiature.Leseulmoyende le faire

tenir enplace aurait été de le ficeler surune chaise. Peineperdued’avance.Très tôt, nous

avions dû nous rendre à l’évidence: notre fils appartiendrait à la catégorie des «enfants

Duracell»:infatigables.

Ceque jen’étaispas.J’avaisbeau l’aimerplusque toutaumonde, certains jours, jeme

disaisqu’ildevaitavoirunmini-aspirateuràénergiecachésoussonT-shirt,qu’ilutilisaitàsa

guise,selonsonbonplaisirdepetittyranlégitime.

Bienqueparentsmodernesélevésaubiberondoltoïenetnousétantappropriéànotretour

lecredodeFrançoiseDolto***«l’enfantestunsujetàpartentière»,nousnousétionsrendu

comptequenotresystèmed’éducations’étaitpartropimbibédepermissivité.Sousprétexte

defairelapartbelleaudialogueetaurespectdelapersonnalitédel’enfant,nousavionstrop

lâchélabride…

—Lecaaaadre!n’avaitcessédemerépétermamère.

Biensûr,elleavaitraison.

Lecadre:voilàdonccequej’essayaisd’installerdepuisquelquesmoispourendiguernotre

dérive laxiste. J’avais même amorcé un virage complet, et j’étais passée d’un extrême à

l’autre.Tropbrutal, incontestablement…Mais on fait commeonpeut, hein? Jehouspillais

constammentAdrienpourluiposerdeslimites.Ilrâlait,maisfinissaitparobéir.Malgréson

plitrès«enfantlibre»,ilavaitheureusementunvraibonfond.

J’avais conscience d’être beaucoup sur son dos – pour son bien, pensais-je, avec la

sensation,parinstants,demetransformerenmoulinàmessagescontraignants.Unrôleque

jenevivaispastrèsbien.«Rangetesaffaires,vaprendretadouche,éteinsleslumières,fais

tesdevoirs,baisselalunettedestoilettes…»J’avaisrangéauplacardmoncostumedemère-

copine pour celui de mère-je-structure. Et ce que j’avais gagné en chaussettes rangées, je

l’avais clairement perdu en qualité de relation. Il s’était instauré entre nous un rapport de

force,unetension.Chienetchat.Çagrattait.Commesionn’arrivaitplusàsecomprendre.

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Maisaussi, commentpouvait-ilavoirdescomportementsdepréadolescentàmêmepasdix

ans?

J’enétaislàdemesréflexions,lorsquej’entraidanssachambre.Àdixminutesdudépart,

il était en train de jouer au ping-pong contre le mur, à moitié habillé. Il avait enfilé des

chaussettesdecouleurdifférente,s’étaitcoifféavecunevadrouilleetlaissait,sans-le-début-

du-commencement-d’un-scrupule,sachambreressemblerauBeyrouthdesannéessoixante-

dix…

Il levasurmoisesgrandsyeuxmarronglacéauxcilsétonnamment longs,dans lesquels

brillaittoujoursunelueurespiègle.Jem’arrêtaiuninstantsurcevisagerondauxtraitsfins,

surcettebouchejolimentdessinée,marquéeparunemouevolontaire.Mêmeenbataille,ses

cheveuxavaientunsoyeuxirrésistiblequiattiraitlamain.Ilétaitbeau,lebougre!Jerésistai

à la tentation de venir l’embrasser pourmettre bon ordre dans ce grand nawak. Àmoi la

casquetted’adjudant-chefdesmauvais-jourspourlerecadrer.—Maismamannnnn!Pourquoi tu t’énerves?Cool, déstresse!me répondit-il, soulignant

sesparolesd’ungestederappeurzenpêchédanssonclipfétichedumoment.

Lepetitcôtéfrondeurdecetteattitudemefaisaitsystématiquementsortirdemesgonds.

Onentendaitencoremessemoncesetautresrouspétances, tandisque jerefermais laporte

de la salle de bain pour une douche expéditive. Jeme savonnai sansménagement, l’esprit

déjàassombriparmato-dolistdelajournée.

Lorsquejesortisdelacabine,monimage,danslemiroir,mefitfroncerlessourcils.Une

belleridedulionmarquaitmonfront.Jepréféraisletempsoùj’étaisgazelle…

Jeregardaicevisagequiavaitétéjoli,quipourraitpeut-êtrel’êtreencore,sij’avaisleteint

moinsblafard,silescernesétaientmoinsbleutéssousmesyeuxverts,quiavaienttantséduit

autrefois.Toutcommemescheveuxblondsetsoyeux,quandjeleuroffraisencoredutemps

et une coupe stylée pour encadrer mon visage rond. Trop rond aujourd’hui. La faute aux

quelques kilos accumulés aprèsma grossesse, puis au fil des années et des échappatoires

sucrées.Maussade, j’empoignaimespetitesbouéesdeplaisirs tropviteavalésenregardde

leurduréedestockage,pourmesurerl’ampleurdesdégâts.Dequoimegâterl’humeurpour

lajournée!

Je repassai dans la chambre en hâte pourm’habiller et bousculai parmégarde le cadre

photosurnotretabledechevet.Jeleramassaipourleremettreenplace.Unejoliephotode

notrecoupleautempsoù,lanuit,noussavionsencorefairelacourseaveclaluneetrireavec

les étoiles…Où était-il passé, ce bel homme au regard brillant qui savait si bienme faire

chavirer, roulant lesmotsdouxdansmoncou?Depuisquandn’avait-il pas fait lamoindre

esquissed’ungestedeséduction?Pourtant,ilétaitgentil.Sacrémentgentil.Àl’évocationde

cettetendressetiède,decetteamicalitéquiavait insidieusementremplacé la fouguedenos

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débuts,jeressentisunevaguenausée.Autrefoisjunglesauvageetluxuriante,nossentiments

amoureuxs’étaienttransformésaufildessaisonsenunjardinàlafrançaise:prévisible,lisse,

sansunbrind’herbequidépassait.

Or,l’amour,ilfautqueçadéborde,queçacrépite,queçabouillonne,queçajaillisse,non?

Entoutcas,c’étaitainsiquenousvoyionsleschoses.Àquelmomentcelaavait-ilbasculé?

Avecl’arrivéed’Adrien?QuandSébastienavaitétépromu?Allezsavoir…Quoiqu’ilensoit,le

résultatétaitlemême:enliséedansnotregadoueconjugale,étriquéedansuneexistencetrop

bienhuilée,jefaisaisleconstatd’uneviedecoupleinsipidequiavaitfini,telunegommetrop

mâchée,parperdretoutesasaveur…

Jechassaicespenséesdésagréablesd’ungestebrusqueetjefisdisparaîtremoncorpssous

lespremièresaffairesquimetombèrentsouslamain.Audiablelagrâceetl’élégance!Pour

qui,pourquoi,de toute façon?Depuisque j’étaisencouple, jen’intéressaispluspersonne.

Alors,leconfortavanttout…

Je déposai mon fils à l’école à la va-vite en le houspillant sur le chemin pour qu’il se

dépêche.Viteétaitlemotgrandmanitoudenosexistences.Ildictaitsaloi,sévissaitcomme

untyrantout-puissantetnoussoumettaitàl’écrasantpouvoirdelapetiteaiguille.Iln’yavait

qu’àobservercesgensprêtsàenécraserd’autrespourmonterdansuneramedéjàbondée,

parcequ’ilsneveulentpasattendretroisminutes letrainsuivant,ouàgrillerunfeurouge

pourgagnerquelquessecondesquitteàrisquerunaccidentgrave,oucapablesdetéléphoner

enpianotantsurunécran,toutenfumantetenmangeant…

Jen’échappais pas à la règle. Faute de voiture, je courus jusqu’aumétro etmanquai de

faireunvolplanédanslesescaliers.

Trèsbonneidéedesecasserunejambepournepasratersarame,Camille!

Essoufflée, en nage malgré le froid, je m’affalai sur un siège, tout en me demandant

commentj’allaisfairepoursurvivreàcettejournée.

***Pédiatreetpsychanalystefrançaisespécialiséeenpsychanalysedesenfants.

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5

EnpartantdechezClaudeDupontel,huit joursauparavant, j’avaisglissésacartedansmon

manteau.Depuis, tous les jours, je la triturais, la tournais et la retournais dansmapoche,

sans me décider à l’appeler. Ce ne fut que le neuvième jour, en sortant d’une réunion

houleuseaubureaudurantlaquellemonbossm’avaitpubliquementrabrouée,quejedécidai

que ça ne pouvait plus durer: il fallait que les choses changent! Je ne savais pas vraiment

comment,niparoùcommencer,maisjemedisaisqueClaude,lui,lesauraitpeut-être…

Je profitai de la pause déjeuner pour passer mon coup de fil. J’avais encore l’estomac

retournédelaréuniondumatin.

Auboutdequelquessonneries,ildécrocha.

—MonsieurDupontel?

—Lui-même.

—C’estCamille,vousvoussouvenez?

—Ah,oui.BonjourCamille.Commentallez-vous?

—Bien,bien,merci.Enfin…Passibienqueça,enfait.C’estjustementpourçaquejevous

appelle.

—Oui?

— Vous m’avez proposé de me parler un peu plus de votre méthode. Ça m’intéresse

vraiment.Alors,sivousavezunedisponibilité…

—Jevaisregarderça.Voyons…Vendredi,19h,çavousirait?

Je réfléchis enhâte à ceque j’allais faired’Adrien…Puismedisqu’il pourrait resterun

momenttoutseul,letempsquesonpèrerentredutravail.

—C’estd’accord,jem’arrangerai…Mercibeaucoup!Alors,àvendredi…

—Oui,àvendredi,Camille.D’icilà,prenezsoindevous!

Prenezsoindevous…Lesmotsrésonnaientencoreàmesoreilles,tandisquejemarchais

pour regagner le bureau. Cela faisait tellement de bien, quelqu’un d’un peu attentionné!

Quelquesgrammesdebienveillancedanscemondedebrutes!Unmondequejeconnaissais

bien,étantlaseulefemmedansungroupedehuitcommerciaux…Lesmoqueriesfusaientà

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longueur de journée, un humour potache qui tournait parfois à l’ironie mordante. Cela

m’épuisait à la longue. J’avais vraiment envie d’autre chose… Plus d’authenticité dans les

relations,peut-être.Biensûr,j’étaistrèscontented’avoircetravail.Unemploipermanent,de

nosjours,c’étaitdéjàunluxe,commemel’avaitrépétémamère.

Ah,mamère…Mon père l’avait quittée peu de temps aprèsma naissance, etmême s’il

n’avaitpascomplètementdisparudupaysage,luiapportantdetempsàautreunepetiteaide

financière,elles’étaitdébrouilléeseulepourassumerlasituation,etm’avaittoujoursdonné

l’impressiondetirerlediableparlaqueue.Sibienquequandarrivapourmoilemomentde

choisiruneorientationprofessionnelle, ilne futpasquestiondechoisirunevoieautreque

cellequi, selonelle,pourraitoffrir lesmeilleursdébouchés.Cellequimèneraitàunmétier

lucratif,pourque jepuisse êtreautonome financièrement,quoiqu’ilm’arrivedans la vie…

Moiqui avaisunepassionpour ledessindepuis toujours, jedus rangermesbeauxprojets

dans les cartons, et m’engager à regret dans des études de commerce. Je filai droit. En

apparencedumoins.Car, enmoi,quelquechose s’étaitdistordu.Un rêved’enfantquipart

auxoubliettes,c’estlascolioseducœurassurée!

Lejouroùjedécrochaimondiplômefutsansdoutepourmamèreleplusbeaujourdesa

vieaprèsceluidemanaissance.J’allaisavoirunavenirmeilleurquelesien.Sa joiemitun

peudebaumesurmon invisibleblessure, et je finisparmepersuaderquecen’étaitpas si

mal. Mon début de carrière fut très prometteur. J’avais des dispositions pour le contact

humain.Puismonmariageetl’arrivéed’Adrienmirentunfreinàmesambitions.N’ayantpas

enviede ressembleràunemèrecourantd’airdont lacarrièrepassaitavant tout le reste, je

décidaideprendreuntempspartielpourpouvoirprofiterdemonfils.Jepensaisnaïvement

avoirchoisilameilleuresolution.Jen’avaispasévaluécequecestatutavaitdebâtard:outre

la difficulté de faire en quatre jours ce que les autres faisaient en cinq, j’avais la nette

impression d’avoir perdu un peu de l’estime demes collègues et supérieurs. Une sorte de

dévaluationquejevivaiscommeuneinjustice.

Monemploiavaitcommencéenmêmetempsquemarelationamoureuse.Douzeannées

plutôtsereines,avecdeshautsetdesbas,biensûr,maissansgrosnuages.Àl’aubedemes

quaranteans–trente-huitansetquartpourêtreprécise(Dieu,pourquoilesgrainsdusablier

medonnaient-ilsl’impressiondes’écoulerdeplusenplusviteaufildesannées?)–,lebilan

n’était pas simal: unmari qui était resté àmes côtés– j’avais apparemment échappé à la

malédiction familiale de la femme quittée, mais j’y pensais parfois comme à une épée de

Damoclès –, un enfantmagnifique – certes remuant,mais n’était-ce pas là le signe d’une

belle vitalité? – et un travail qui remplissait à merveille sa fonction pécuniaire, avec la

gratification,parfois,dedécrocheruncontratclient.

Toutallaitdoncplutôtbien.Plutôt.Etc’étaitprécisémentpource«plutôt»quej’avaishâte

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d’aller voir ClaudeDupontel. Un petit plutôt qui cachait de grands pourquoi, avec tout un

cortègederemisesenquestion,commej’allaisbientôtenfairel’expérience…

Lejourdenotrerendez-vous,j’arrivaiaupiedd’unbelimmeubleàl’impressionnantefaçade

haussmannienne: pierres de taille tout en élégance, balcons en fer forgé, corniches et

mouluresouvragées.Jepénétraiparuneportecochèredansunhallluxueux,sousleregard

oblique d’une cariatide. Un peu intimidée, je me glissai à pas de souris jusqu’à la cour

intérieure,jolimentpavéeetdécoréedeplantesverdoyantesdéployantpourlevisiteurtoute

la palette de leur richesse graphique. Un havre dans la jungle urbaine. «Première porte à

gaucheaufonddelacour»,m’avaitindiquéClaudeDupontel.

À peine eussé-je sonné qu’une petite femme toute menue m’ouvrit, comme si elle

m’attendaitderrièrelaporte.

—C’estvous,Camille?medemanda-t-ellesanspréambule,avecungrandsourire.

—Euh,oui,c’estbienmoi,répondis-je,unpeuinterloquée.

Ellemedemandade la suivredansun longcouloiret ilmesemblaqu’elleme jetaitdes

petitsregardscurieuxetamusés.Passantprèsd’unmiroir,jenepusm’empêcherdevérifier

simonrougeàlèvresn’avaitpasdébordéousiquelquechoseneclochaitpasdansmatenue.

Mais, non, rien. Elle m’installa dans une salle d’attente aux fauteuils aussi moelleux que

luxueux,m’assurantqueM.Dupontelseraitàmoidansuninstant.Jemelaissaicaptiverpar

les œuvres d’art contemporain qui ornaient les murs, leurs entrelacs de formes et leurs

subtils jeux de couleurs. L’assistante reparut quelques instants plus tard et fit entrer une

nouvelle venue. La jeune femme, à qui je ne donnai guère plus d’une trentaine d’années,

s’assitsurunfauteuilàmagauche.Unebrunepiquante.J’enviaisaligneetl’élégancedeson

lookbranché.Surprenantmonexamenmuet,ellemesourit.

—Vousavezrendez-vousavecClaude?

—Oui.

—C’estvotrepremièrevisite?

—Oui.

— Vous allez voir, il est extraordinaire! Avec moi, il a fait des miracles… Bien sûr, sa

méthodeadequoisurprendre,audébut,mais…

Elle se penchait versmoi dans l’intentionmanifeste dem’en dire plus, lorsque la porte

s’ouvritsurClaudeDupontel.

—Ah,Sophie,vousêtes là…BonjourCamille.Nousenavonspourun toutpetit instant,

justeunpapieràéchanger,etjesuisàvous.

Lajeunefemmelesuivitcommeonsuivraitquelqu’unauboutdumonde.J’entendisson

petit rire perler dans le couloir. Ils avaient l’air de s’entendre comme larrons en foire! La

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porteducabinet se ferma.Silence.Puiselle se rouvritpeude tempsaprès, et j’entendisde

nouveaulepetitrire.Çaallaitêtreàmoi…

Discrètement,j’essuyaimamainsurlepandemonmanteau,espérantfairedisparaîtreles

traces de sa coupable moiteur. Quelle stupidité de ressentir du trac pour un rendez-vous

commecelui-là,alorsqu’ils’agissaitd’unesimplevisitedecuriosité!

—Camille?Suivez-moi,c’estparici…

Jemarchaisursespasjusqu’àsoncabinet,quimesurpritencoreparsondécorraffiné.

—Asseyez-vous,jevousenprie.Jesuiscontentdevousvoir,dit-ilavecunsourirequine

démentaitpassespropos.Etsivousêteslà,c’estquevousavezenviedechangerdeschoses

dansvotrevie,n’est-cepas?

—Oui.Enfin,jecrois…Cequevousm’avezditl’autrejouravraimentsuscitémonintérêt

etj’aibienenvied’ensavoirplussurvotreméthode.

—Jevousdiraipour faire courtque cen’estpasuneméthode conventionnelle,dès lors

qu’elle propose une approche plutôt expérientielle que théorique du changement. Nous

partonsduprincipequecen’estpasentre lesmursd’uncabinetquelapersonnequidésire

changer trouvera sa vérité, ni qu’elle comprendra quel sens donner à sa vie! C’est dans

l’action, le concret, l’expérience… Pour le reste, cette méthode puise ses sources dans les

enseignements de divers courants de pensées philosophiques, spirituels et même

scientifiques, et s’inspire des techniques les plus éprouvées de développement personnel à

travers lemonde.Uncondensédeceque leshommesontpensédemieuxpourévolueren

bien.

—Jecomprends…Vousdites«donnerunsensàsavie»…Çameparle,biensûr.C’estce

qu’onveuttous,non?UnpeucommeunGraal…Enrevanche,çameparaîtdifficileàtrouver,

etjenesauraispasparquelboutcommencer!

—Ne vous inquiétez pas! «Donner un sens à sa vie», c’est le fil rouge du changement.

Danslapratique,onprocèdeétapeparétape.

—Étapeparétape?

— Oui, il va de soi qu’on ne devient pas «ceinture noire du changement» du jour au

lendemain. C’est pourquoi j’applique la théorie des petits pas pour faire progresser mes

élèves par paliers. Quand on parle de changement, beaucoup de gens s’imaginent quelque

chosed’énorme,deradical,maisleschangementsdeviedécisifscommencentpardepetites

transformations,enapparenceanodines…Ilsepeutquemesconseilsvousapparaissentpar

momentscommedesévidences,des lapalissadespresque…Nevousy trompezpas:cen’est

pasderéussiràfaireunefoisleschosesquiestcompliqué,c’estd’yparvenirtouslesjours.

«Noussommescequenousrépétonssanscesse»,disaitAristote.C’est sivrai!Devenirune

personnemeilleure, plus heureuse, équilibrée demande du travail et des efforts réguliers.

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Vousverrezqueladifficultén’estpasdesavoircequ’ilfaudraitfairepourallermieux,mais

des’engagerfermementetdepasserenfindelathéorieàlapratique.

—Etqu’est-cequivousfaitcroirequej’ensuiscapable?

—Cen’estpasàmoidelecroire,c’estàvous!Maisplutôtquedevousdemandersivous

enêtes capable, commencezparvousdemander si vousenavezenvie.Enavez-vousenvie,

Camille?

—Euh,oui…Jecrois,oui.

Ilmesouritavecindulgence,puism’invitaàvenirregarderlesdocumentsaccrochéssurle

mur,prèsdesonbureau.Jem’approchai.

Des photos de personnes épanouies, photographiées dans ce qu’on devinait être leur

propre affaire florissante, des cartes postales de remerciements envoyées depuis des

destinationslointainesetluxueuses,destémoignagesdereconnaissanceentoutgenre…

—Euxaussi,quandilsontcommencé,ilsdoutaient.Commevous.C’estnormalaudébut.

Ce qu’il faut, c’est une bonne motivation pour se lancer! Vous sentez-vous motivée pour

changer,Camille?

J’essayaidemesonderlesentrailles.

—Ohoui,oui,plutôt!Mêmesiçamefaitunpeupeur,j’aivraimentenviequeleschoses

bougent!Comment…Là,c’esttrèsflou!

—Classique.Pourvousaideràyvoirplusclair,voulez-vousfaireunpetitexercicesimple

quin’engageàrien,etquineprendraquequelquesinstants?

—Oui,pourquoipas…

—Parfait.Jevousproposedoncdenoternoirsurblanctoutcequevousaimeriezchanger

dansvotrevie.Jedisbientout,deschoseslesplusanodinesauxchoseslesplusessentielles.

Necensurezrien,d’accord?Est-cequeçavousconvient?

—Oui,toutàfait.

Ilm’installasurunpetitbureau-secrétaire,dansunangledelapièce,oùpapiersetstylos

detoutessortesattendaientlespostulants-pour-une-vie-meilleure.

—Jevouslaisse.Jereviensdansunmoment,dit-ilavecunsourireencourageant.

Je trouvai l’exercice assez simple et commençai à noter tout ce quime venait à l’esprit,

passant au crible le filmdema vie. Je fus heureusede voir que les idées fusaient, unpeu

moinsdeconstaterauboutdequelquesinstantsàquelpointmalistes’allongeait.J’étaisen

train de prendre conscience du nombre d’insatisfactions que j’avais accumulées et j’en

éprouvaisunchoc.

QuandClaudeDupontelrevint,ileutladélicatessedenepashausserlessourcilsdevantla

longueurdemaliste.Ilditsimplement:

—C’esttrèsbien.

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Je ressentis alors le bête petit pincement de joie des collégiennes qui obtiennent une

gratificationdeleurprofesseur.

N’importe quoi! Il n’y a vraiment pas de quoi être contente d’avoir une telle liste de

frustrations!

Ildutliredansmespensées,carilreprit,rassurant:

—Soyezfièredevous.C’esttrèsdifficiled’avoirlecouragedecouchersurlepapiertoutce

quinevapasdanssavie!Vouspouvezvousenféliciter.

—J’aiunpeudemalàêtrefièredemoi,d’unemanièregénérale…

—C’estquelquechosequipeutchangerrapidement.

—Difficileàcroire,vud’ici…

—C’estpourtant lapremièrechoseque jevaisvousdemander,Camille:d’ycroire.Êtes-

vousprêteàfaireça?

—O…Oui…Jecrois…Enfin,jeveuxdire,j’ensuissûre!

— À la bonne heure! «Le changement est une porte qui ne s’ouvre que de l’intérieur»,

commedisaitTomPeters.Cequiveutdire,Camille,qu’iln’yaquevousquipouvezdécider

dechanger.Jepeuxvousyaider.Maisj’aibesoindevotreengagementtotal.

— Qu’est-ce que vous entendez par «engagement total»? demandai-je, vaguement

inquiète.

—Simplementquevousvousprêtiezentièrementaujeudecequejevousdemanderaide

faire. Rassurez-vous: rien ne sera jamais ni dangereux, ni hors de votre portée. Noustravaillerons ensembledansun cadre éthique, respectueuxde votre rythmed’évolution.Le

seulobjectifestdecréerenvousdesdéclicspositifspouraccompagnervoschangementsde

vie…

—Etsijamaislaméthodenemeplaîtpas?

—Iln’yaaucuneobligationàpoursuivre.Sivousvoulezarrêter,vousarrêtez.Maissivous

décidezdecontinuer, jevousdemanderaidevous impliquerà400%.C’estcommeçaqu’on

obtientlesmeilleursrésultats.

—Combiendetempsdureunaccompagnement,engénéral?

—Letempsqu’ilfautàlapersonnepourredessinerleprojetdeviequiferasonbonheur…

—Hum.Jevois…Encoreunequestion:vousnem’avezpasparléduprixetjenesaispassi

j’ailesmoyensd’untelsuivi…

—Laroutinologieaunmodedefonctionnementuniqueettrèsparticulieràceniveau-là,

maisquialargementfaitsespreuves:vousnepayerezquecequevousestimerezmedevoir,

et seulement quand vous aurez réussi. Si ma méthode échoue et que vous n’êtes pas

satisfaite,vousnepayerezrien.

—Quoi?C’estcomplètementfou!Commentfaites-vouspourvivre?Etcommentêtes-vous

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sûrquelesgensaurontl’honnêtetédevouspayerunjouroul’autre?

— C’est votre vision dumonde pour l’instant, Camille. Je peux cependant vous assurer

qu’enmisantsurlaconfianceetsurd’autresvaleurscommelepartagedeconnaissances,le

soutieninconditionnel,ceuxquej’aiaidéssesontmontrésplusquegénéreuxavecmoi,une

fois leurs objectifs atteints… Je crois au potentiel de réussite de chacun, pour peu qu’il

respecte sa personnalité et ses valeurs profondes. Il suffit de monter le projet de vie en

adéquation avec ce qu’on est vraiment. Cela demande un véritable engagement, de la

méthodeetbeaucoupd’efforts.Maisquellerécompense!

—Vousavezdéjàeudescasenéchec?

—Jamais.

—…

— Bien. Nous allons nous arrêter là pour aujourd’hui. Je vous laisse réfléchir

tranquillementàtoutça.Vouspouvezaussidéciderdevousengagerdanslapremièreétape

pourvoircequeçadonne…Sic’estconcluant,vouscontinuez,sinon,vousarrêtez!

—Jevaisypenser,merciClaude.

Ilmeraccompagnaàlaporteetmedonnaunepoignéedemainferme,celledequelqu’un

quisaitcequ’ilveutdanslavie.Jel’enviai.

—Jereviensversvoustrèsvitepourvousdire…Aurevoir,Claude.

—Prenezvotretemps,aucontraire.Aurevoir,Camille.

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Jemeretrouvaidanslaruecommeétrangèreàmoi-même:cetentretienm’avaitchamboulée.

Mesmains tremblaientunpeu,et jenesavaispassi c’étaitdepeuroud’excitation.Tandis

que jemedirigeais vers lemétropour rentrer chezmoi, lespensées sebousculaientàune

allure folledansmonesprit.À chaquepas, jeme remémorais lesparolesdeClaude, etma

détermination grandissait: «Chacun a un devoir vis-à-vis de la vie, ne croyez-vous pas?

Apprendreà se connaître soi-même,prendre conscienceque le tempsest compté, fairedes

choixquiengagentetquiontdusens.Etsurtout,nepasgaspillersestalents…Camille,ilest

toujoursurgentdeseréaliser!»

Pendant la soirée, je ressassai ce quema vie était à ce jour: une planque, celle demon

travail, celledemes amours…Des cache-misère… Il était tempspourmoide cesserdeme

voilerlafaceetd’oserreprendreleschosesenmain.«Changeztout,changeztout,pourune

viequivaillelecoup.Changeztout,changeztout,changeztout»,chantaitMichelJonasz.Je

devais,moiaussi,enfairemachanson.

Maviedemèreétaittendue.Entremonfilsetmoi,depuisquelquetemps,latensionétait

mêmeélectrique.Toutmepesait.Entrelaviescolaire,lesactivitésdeloisiretlesrendez-vous

médicaux,j’avaisl’impressiondeneplusm’appartenir,denepasavoiruneminuteàmoi.Dès

quejemettaisunpiedàlamaison,j’étaishappée.Fautedepouvoirm’occuperunpeudemoi,

monseuildetoléranceavaitconsidérablementbaissé.Jem’énervaisd’unrien.Surtoutpour

les devoirs qui, cette année, avaient triplé, sous la coupe d’un professeur trop zélé. Déjà

fatiguédesajournéed’école,Adrienvivaitcesurcroîtdetravailcommeunepunition.Çan’en

finissait pas. J’avais l’impressionde le tirer commeun ânemort. Je criais. Il explosait.En

larmesouencrisedenerfs…

Excédée, je le laissais en roue libre une fois les obligations scolaires expédiées, et il se

ruaitsurlesécrans.Lechoixdelafacilité,j’enavaisconscience,maisj’avaisbesoind’unpeu

depaix,dedécompressercinqminutes.C’esthumain,non?medisais-jepourmerassurer.

Souvent, il voulait que je viennevoir lemonde imaginairequ’il venaitde construire sur

Minecraft,sonjeupréférédumoment,oubienunevidéocoupdecœursurYouTube.

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—Jen’aipastropletemps,monchat,ilfautquejepréparelesouper…

C’étaitainsi.Depuisquelquesmois, jenemesentaispas l’énergiedem’intéresserà son

univers,creusantsansm’enrendrevraimentcompteunfosséentrenous…Ilrepartait,alors,

déçuetvaguementtriste.

—Tunefaisjamaisrienavecmoi!mereprochait-ilparfois.

Jemedébattaisdanslesjustifications.

—Adrien,essaiedecomprendreunpeu.Tuesgrand,maintenant.Leschosesnese font

pastoutesseules!Etpuis,avectouslesjeuxquetuas…

—Oui,maisjen’aijamaispersonneavecquijouer…Pourquoitunemefabriquespasun

petitfrère?

Et voilà, encore la culpabilisation… Pourquoi serait-on obligée, en tant que femme

européenne,defaire2,01enfants?Etsimoi,jen’envoulaisqu’unseul?

La pression sociale… Ça aussi, ça m’énervait! À longueur d’année, on me rebattait les

oreillesavecdesphrasesconvenues.«C’esttriste,unenfantunique!Ildoits’embêter…»

Sébastienavaitétédéçu,quandjeluiavaisavouéquejen’envoulaispasd’autres…Peut-

êtrecelaaussiavait-ilparticipéànotreprisededistance?Çaetlaroutine.Letravaildesape

de lamonotonie,de l’ordinaire.À forcedeneplussesentirobligédeparaître,onneparaît

plusdutout.Lelaisser-allergagneduterrain.Ildevientmêmecriant,sousnotrenez,maison

nes’enrendmêmepluscompte.

J’en étais làdemes réflexions, lorsque je jetaiun coupd’œil àmonmari, étendu sur le

canapé, à regarder la télévisiond’unœil et à jouer sur son téléphone intelligentde l’autre,

indifférent à ma présence, et surtout inconscient de mon agitation intérieure. Ce fut

l’élément déclencheur. Voilà, je voulais sortir de ce bonheur léthargique, réglé comme du

papieràmusique,arrêterdemecontenterd’unegentillepetitevietellementbrosséedansle

sens du poil qu’elle avait fini par perdre tout son sens. Oser bousculer le bien-établi,

l’attendu, le convenu! Troquer le rassurant contre l’exaltant! Bref, appuyer sur la touche

«reset»etrepartirsurdenouvellesbases.

JecomposaiuntextoàClaudeDupontel,etappuyaiaussitôtsurlatouche«envoi»comme

quelqu’un retire sous lui une échelle: pour être sûr de ne plus pouvoir revenir en arrière.

Réfléchirdavantageauraitétéprendrelerisquedereculer.

Je suis décidée à faire un essai, voir ce que votreméthode peut donner. Je n’ai rien à

perdre,n’est-cepas?

Unedemi-heureplustard,jetressaillisenentendantlebipdemoncellulaire.

Bravopourcepremierpas,Camille.C’estceluiquicoûteleplus,maisvousneleregretterezpas,j’en

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suissûr.Guettezvotrecourrier.Vousyrecevrezmespremièresinstructions.Àbientôt,Claude.

J’étaiscontente.Excitée.Inquiète.Lestroisàlafois.

Jepassaiunenuitagitée,rêvantque jedévalaisunepenteàski,àuneallure trépidante,

folle de joie, jusqu’à ce que je me rende compte que malgré toutes mes tentatives, je

n’arrivaisplusàm’arrêter…Jemeréveillaiennageetglacéedefrayeur.

La journéemeparut interminable, tant j’avais hâte de rentrer chezmoi pour ouvrirma

boîteauxlettres.Déception.Elleétaitvide.

Tuestropimpatiente,mapauvreCamille!Tun’espassapriorité.

Lelendemain,elleétaitvideencore.Nouvelledéception.

Bah,çanefaitmêmepasquarante-huitheures…

Lesurlendemain…Vide!

Je rongeaismon frein.Mon excitation s’étaitmuée en frustration.Quand est-ce que ça

allaitenfindébuter?Auboutdehuitjoursd’attentefébrile,jecraquaiettéléphonaiàClaude.

Son assistante me répondit de sa voix charmante, programmée pour calmer toutes les

impatiences.

—Désolée.M.Dupontelestenrendez-voustoutelajournée.Jepeuxluicommuniquerun

message?

—Euh,oui,merci.Jevoudraissavoirquandmonprogrammevacommencer.

—Quevousa-t-ildit,ladernièrefoisquevousl’avezvu?

—D’attendresesinstructionsquiarriveraientparcourrier.

—S’ilvousaditça,alors,iln’yaqu’àattendre.Aurevoir…Excellentejournée.

Cettefois,savoixfleuriem’horripila.Jeraccrochai,dépitée,trépignante,prêteàtorpiller

lepremiermagazinequimetomberaitsouslamainpourleréduireenboulettesdepapier.

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Troisjoursplustard,jereçus–enfin!–lecourriertantattendu.Onzejoursdepatience.Je

tâtai l’enveloppe, légèrement rembourrée, essayant fébrilement de découvrir ce qu’elle

contenait.

Àl’intérieur,jedécouvrisunechaînequejereconnustoutdesuitecommeétantuncollier

Charms.Unadorablepetitpendentifenformedelotusblancyétaitaccroché.

JedépliaivitelepetitmotmanuscritdeClaude,écritsurunefeuillepliéeenquatre.

BonjourCamille,Jesuisheureuxdevotredécisionderepartiràlaconquêtedevotrevie!Jecroisenvouset vous souhaite d’ores et déjà bon courage pour arriver à vos fins. En signe debienvenue et d’encouragement, je vous offre ce premier Charms en forme de lotusblanc. Chaque fois que vous aurez franchi une étape décisive, un «palier dechangement»,vousrecevrezunnouveaulotusCharms,d’unenouvellecouleur.Commeen arts martiaux, le code couleur correspondra à la montée d’un niveau: blanc,débutant,puis jaune, vert, bleu, violet… jusqu’au lotusnoirquimarquera votre stadeultimedechangement.Ilseral’indicationquevousaurezatteinttousvosobjectifs…

Je fis tourner le pendentif entremes doigts, séduite par le principe, puis poursuivisma

lecture:

Ces derniers jours, sans que vous le sachiez, l’initiation a déjà commencé et vous aapprislapremièreleçon:nejamaisresterdansl’attenteetlapassivité.Vousavezpassévotre temps à guetter mes instructions, pour que je vous dise quoi faire. Or, vouspouviezdéjàcommenceràagirparvous-même.Souvenez-vousbien,Camille:vousêteslaseuleetuniquepersonnequipeutfairebougervotreproprevie.Lemouvementdoitpartir de vous. Je serai un guide,mais n’accomplirai rien à votre place.Notez sur unpost-itcettephrasequevousregarderezchaquejour:«Jesuislaseulepersonneresponsabledemavieetdemonbonheur.

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Voici maintenant votre première mission: l’opération «Grand blanc». Vous allezprocéderàunménage in/out intégral.Jem’explique:ménage in,ménage intérieur. Ils’agit d’identifier dans votre environnement tout ce qui vous paraît toxique, néfaste,sclérosant dans vos relations et votre organisation. J’appelle ça de l’écologiepersonnelle! Vous ferez parallèlement un grandménage out, ménage extérieur, chezvous:vous jetterezaumoinsdixobjets inutiles, rangerez, trierezetaméliorerezvotreintérieurdetouteslesfaçonspossibles.Apportez-moilesphotoslaprochainefois.Vousavez quinze jours. Entre-temps, vous pouvez bien sûr me confier, si besoin, vosdifficultéspar courrielou texto. Jeprendrai toujours le tempsdevous répondre.Boncourageetàbientôt!

La lettrem’échappadesmains.Quel programme!L’idéedeme transformer enMadame

Blanchevillenemefaisaitpasvraimentfantasmer.Etvul’étatdelamaison,jepartaisdetrès

loin…Sansparlerdumanquedetemps.Jen’auraijamaisletemps!Jerentraistoujoursassez

tarddutravailpourcompensermeshorairespartiels;quantaumercredi,monsoi-disantjour

libre,c’étaitunvéritablemarathond’activitéspériscolairesetmédicalespourAdrien!Claude

avaitoubliéunpetitdétail:jen’étaispasfemmeaufoyer!Jen’avaispasdesjournéesentières

devantmoi!

Jeluifisaussitôtpartdemoninquiétudepartexto:

Bonjour.MissionGrandBlanctropdifficile.N’auraijamaisletemps!Quefaire?Cordialement,Camille.

Je guettai sa réponse. Elle me parvint dans un courriel que je reçus plus tard dans la

journée:

ChèreCamille,Letemps,ensoi,n’estpasunproblème.Seullementalpeutenêtreun.Sivousvouspersuadezqueletempsestunproblème,ilenseraun.Si,aucontraire,vousêtesconvaincuequevousréussirezàendégager,ilyadeforteschancesquevousyparveniez. Essayez…Vousverrez,votrecerveaucroitcequevousluidites.Maisnevousenfaitespas,nousaborderonslargementcethèmedumentaletdelapenséepositiveprochainement…Pourl’instant,voyezdéjàcommentvousatteleràvotretâcheparquartd’heureoudemi-heure,lesoir,leweek-end.Et

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rappelez-vous:l’énergieappellel’énergie.Lespremiersjours,ceseffortsvoussembleronttrèsdifficiles,puisdemoinsenmoins.Plusvousenferez,plusvousaurezenvied’enfaire!Boncourage,Claude.

Il voulait que je fasse mes preuves en me transformant en Rocky des plumeaux? Ok.

J’allaisluimontrerdequoij’étaiscapable!

Le soir même, sitôt Adrien couché, je m’armai pour une bataille sans merci contre la

poussièreet ledésordre.Enrentrantdubureau, j’avaisachetéunearmadadesacspoubelle

centlitresetdeproduitsménagersentousgenres.L’huiledecoudeallaitcouleràflots,vous

pouvezmecroire!

Sébastiensuivitcemanègedeménageavecdesyeuxrondsoùbrillaitunelueurrailleuse

etoù je lisaisun certain scepticisme.Çam’étaitbienégal!Rienn’auraitpum’arrêterdans

monélandetornademénagère.Enfin,rienjusqu’àcequej’ouvreleplacardducouloir…Là

m’attendaientunmonceaudepapiersdébordantdecartonsécornés,parfoismêmeéventrés,

un bric-à-brac d’objets inutiles dignes des plus improbables brocantes, depuis la poupée

bannie jusqu’à la lanterne photophore de jardin alors qu’on n’a pas de jardin, des piles de

vêtements aussi chancelantes que des châteaux de cartes, des affaires trop petites, trop

grandes,tropusées,deschandailsàtrous,deschandailsàmites,deschandailsàbouloches,

desraquettesdebadmintonencastréesdansunstepperjamaisutilisé,desboîtesàsouvenirs

aveclebriquetd’unconcertoublié,deslettrespasouvertes,deslettresouvertesdegensdont

onaoubliélevisage,deslettresdegensqu’onaimeetàquionaoubliédeledire,unpaquet

demouchoirsmarquésSNIFtrouvédansunmagasindegadgetsàlalointaineépoquedesa

périodefleurbleue,laphotodesonpremierchum,dontonsedemandebiencommentona

puenêtreamoureuse,uncarnetdenotesdusecondaire,unpetit sachetdedragéesdeson

mariage toutescolléesetbaveusesavec le tempsmaisqu’ongardequandmême,parceque

quandmême…

Jesortistoutduplacard,etdevantcetimmensemonticulepleindepoussière,jel’avoue,je

faillis jeter l’éponge. Mais au fur et à mesure que j’élaguai, c’était fou, je récupérais de

l’espacevitaldansmonesprit!Cette«thérapieparlevide»mefaisaitleplusgrandbien.

Soir après soir, je gagnais ainsi du terrain sur le désordre. Je traquais les mauvaises-

surprises-de-derrière-les-meubles,lesrecoinsoubliés,lesobjetsqu’onn’osaitplusjetertant

on était habitué à les voir…Adieupoussière rebelle, indignes poils dans le lavabo, calcaire

récalcitrant et joints pas-la-joie! Sans relâche, sans fléchissement, je finis par obtenir une

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belle récompense.À la finde la semaine, lamaison ressemblaitpresqueàunappartement

témoin.Jejubilais.

—Ehbien,onnet’arrêteplus,commentaSébastienavecunepointed’ironiefeinte,dans

laquelleperçaitmaintenantunecertaineadmiration.

—Çafaitdubien,non?

—Oui, oui, ça faitdubien.C’est justeunpeu…surprenantque ça teprenned’un coup,

commeça!

Quoi?Ilaurait fallu luienvoyerunavisdetransformationavecaccuséderéception?Ily

avait aussi des lenteurs de procédures dans l’art du bonheurménager? Sa tiédeur face au

changement m’agaçait! J’aurais voulu qu’il s’enthousiasme, qu’il participe… Pourquoi me

donnait-il toujours l’impressiond’êtrespectateurdenotrevieconjugale?J’avaisenviede le

secouer,deluidirequ’ilétaiturgentdechangerdeschoses,quecetimmobilismem’étouffait

et effritait mes sentiments pour lui aussi sûrement que la houle grignote les bords d’une

falaise…

Leweek-endsuivant,jedécidaitoutdemêmemeshommesàdonneruncoupdefraisànotre

intérieur.

Directionlecentredebricolage.Jemeréjouissaisdecetteultimeétape,ladéco,cerisesur

legâteaudemonopérationGrandBlanc.Rapidement,néanmoins,jecomprisqueceneserait

paslapartiedeplaisirescomptée.Divergencesabsoluesdemotivations.Tandisquejerêvais

de lambiner devant chaque étal pour débusquer les bonnes idées, Sébastien, lui, avait

l’intentiondeparcourirlemagasinaupasdecourse,afind’enfinirauplusvite.Àl’écouter,le

premier pot de peinture aurait fait l’affaire. Je le traînais donc, soupirant et trépignant

d’impatience à travers les rayons tandis que j’essayais tant bien quemal de jeter un coup

d’œilauxarticles,lemanteaupenduaubrasdroit,Adrienpenduaugauche.Ilnetrouvaitrien

deplusrigoloquedetoucheràtout,àmongranddam.Écumantdechaudetd’énervement,

j’entrevis enfin le rayon peintures. C’était lemoment ou jamais de remotiver les troupes!

J’espérais que les pots de couleurs aux noms évocateurs réjouiraient leur imagination et

qu’ils feraient enfin montre d’un peu d’enthousiasme en choisissant la couleur de leur

chambre.

PourAdrien,çamarchadutonnerre:ilchoisitunvert«jeunespousses»,unespritpelouse

toutàfaitraccordavecsapassionpourlefoot.Sébastiensemontrabeaucoupplushésitant

et,deguerrelasse,finitparopterpourun«caféglacé»etun«nougatsatin».J’étaiscontente

pourdeux,c’étaitdéjàça.

L’étapedelacaissemitsibienmesnerfsàl’épreuvequejemedemandaiuninstantsije

n’allaispasrepartirtoutcomptefaitlesmainsvidesettoutplanterlà.Unepersonnebloquait

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la file à cause de vis achetées au détail dont personne ne retrouvait le prix. Un conseiller

quincaillerie fut demandé à notre caisse. Je m’imaginai avec une certaine délectation ce

monsieur en train demanger une à une ses petites vis.Mais le plus vicieux restait quand

mêmelamachiavéliqueimaginationduservicemarketingquiavaitourdil’installationdeces

satanées tentations de dernièreminute sous le nez des enfants électrisés par l’impatience.

Des bonbons, des piles, des lampes torches…Naturellement, Adrien voulut quelque chose

rienquepour leplaisirdeprendrequelquechose,etme fitunebrillantedémonstrationde

l’utilitéd’untelachat.J’étaispartagéeentreunagacementgrandissantetunecertainefierté

devantlepotentieldesaforcedeconviction.

Pourlapaixdesménages,jecapitulaisurunpaquetdetic-tacàlapomme.

—Yes!fit-ilaveclegesteadéquat.

Enfin, ce fut à nous. Les sacs remplis, la sortie, l’air frais, le stationnement, le bruit du

coffrequi claque,Adrienvoulantqu’onmonte le sonet chantantà tue-tête, enmode I am

TheVoice…Notresilencedanslebruit…

Le resteduweek-endsepassaentrebâches, rouleaux,kilomètresd’essuie-tout, vieuxT-

shirtsmaculés de peinture, pizza party et camping sauvage aumilieu du salon. Et puis, la

récompense:unchez-nousflambantneufetnous-mêmes,lesnarinessaturéesdel’odeurde

lapeinture fraîche, lesmembresendolorisd’avoirdûmultiplier lescouches,maisheureux.

Toutsimplementheureux.

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J’envoyaidans lasemaine lesphotosdemesaménagementsàClaude,quisalua lerésultat.

Puisilm’envoyauncourrielquim’expliquaitcommentpasseràl’étapesuivante:leménage

intérieur, étape qui devaitme permettre d’identifier puis demedébarrasser de tout ce qui

polluaitmonenvironnementetmarelationauxautres.

Voussavez,Camille,lavie,c’estcommeunemontgolfière.Pourallerplushaut,ilfautsavoirsedélesteretjeterpar-dessusbordtoutcequiempêchedenousélever.

Au-delàdelamétaphore,ilmedemandaitd’écrireunélémentdemaviedontjenevoulais

plusparpageA4.

Venezavectoutçamercredià14h,siçavousconvient,auparcAndré-Citroëndansle15e.Bonnesoirée!

Quelle idée est-ce qu’il avait derrière la tête? Quoi que ce soit, j’étais certaine que ça

vaudraitledétour…Parmoments,jemedemandaisoùtoutçaallaitmemener.Jemesentais

assezbousculée,et j’enavaisparfoisdesnœudsdans l’estomac.N’allais-jepasregretterma

petitevietranquille,sansgrossesprisesderisques,certes,maissansremousnonplus?Non.

Définitivementnon.

Jereprislalecturedesonmessagequicomportaitunepiècejointeetunpostscriptum:

Jevousjoinsunschématrèsintéressantpourinspirervotrenouvelétatd’esprit.Ils’agitducerclevertueuxversuslecerclevicieux.Qu’enpensez-vous?

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Jecliquaisurlapiècejointeetdécouvrisdeuxgraphiquesjolimentprésentés:

Cerclevicieux:penséenégative>attitudephysiquevoûtée,mollesse>manqued’énergie,tristesse,découragement,peurs>laisser-aller,incapacitéàprendresoindesoi>mauvaiseestimedesoi,«jesuisnulle,jen’yarriveraipas»>replisursoi,peud’ouvertureauxautres>sensationd’êtredansuneimpasse>visionfloue,perspectivesincertaines.Échec,objectifsnonatteints.

Cerclevertueux:penséepositiveou«fairecommesi»>attitudephysiquedynamique(dosdroit,mentonrelevé,sourire)>entrain,enthousiasmecommunicatif>capacitéàprendresoindesoi(bienmanger,fairedel’exercice,sefaireplaisir)>bonneestimepersonnelle,«j’aidelavaleur,jemérited’êtreheureuse»>ouvertureauxautres,opportunités,réseau,possibilitésderebondir>créativité,regardconstructifsurlasituation,solutions>réussite.Atteintedesobjectifsfixés.

Pensive, je méditai sur ce graphique des plus parlants. Je commençais à saisir l’idée

générale,etjeprisconsciencequejusque-làbeaucoupdemesattitudesmesituaientducôté

ducerclevicieux.Unefaçondemesurerlecheminqu’ilmerestaitàparcourir!

Le mercredi se fit attendre. J’avais hâte de découvrir ce que Claude m’avait préparé et

traversai leparcAndré-Citroënàpasvifspourgagnerlepointderendez-vous,aupieddelaserremonumentale.Direque j’habitaisParisetque jeneconnaissaispascetécrinvégétal!

Tandisquej’empruntaislesallées,jedévoraisdesyeux,ébahie,laluxuriancedelavégétation

etlabeautédesmisesenscèneaquatiques,sansparlerdelamultituded’arbresexotiqueset

deplantesrares…Cettebaladem’enchantaitlessensetmedisaitàquelpointlanatureétait

partropabsentedemavie.UnarticlefortintéressantduDrIanAlcockdel’écoledemédecine

d’Exeter(Royaume-Uni),publiédansEnvironmentalScience&Technology,merevintalors

enmémoire.LeDrAlcockyétudiaitlerapportévolutifdelasantémentaleavectroisfacteurs

indépendants: lemariage (dont la courbede satisfactionpartaitd’unpointélevéetbaissait

avec lesannées), le loto (dont lacourbes’affolaitaudébutpourresterstagnante jusqu’à la

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fin) et la nature (dont la courbe augmentait très nettement dès le départ et n’arrêtait plus

d’augmenter).Saconclusion:plusque lemariageou le loto, lanatureapportaitunbienfait

mentalquotidienetdurableauxpersonnesquilacôtoyaient.Voilàquiallaitm’encouragerà

memettreauvert!

JeguettaisClaudeetreconnusbientôtsasilhouette,grande,élancée,sadémarcheassurée,

sonstyleélégantsansêtreguindé…Maiscequimefrappaittoujours,c’étaitlabienveillance

decevisageouvertetlepétillantdeceregardqueseuleunepersonnehabitéedel’intérieur

peutavoir.

Ilm’impressionnait.

Nous nous serrâmes chaleureusement la main. Il prit de mes nouvelles tout en

m’entraînantàtraversleparc.

—Oùallons-nous?

—Là-bas,vousvoyez?

—Oùça,là-bas?Surlapelouse?

—Non,justederrière.

Je ne voyais pas où il voulait en venir. Je n’apercevais rien, hormis l’énorme ballon

Generali.Jeréalisaisoudain.

—Onnevaquandmêmepas…?

—Si,si.Onva,répondit-ilavecunelueurespiègledansleregard.Vousavezbienprisvos

papiersavectoutcequevousnevouliezplus?

—Oui.Toutestlà.

—Trèsbien.Montrez-les-moi…

Illutchacundemesfeuilletsavecattention.Jeneveuxplusêtretropgentille.

Jeneveuxplusmesuradapterauxautrespourleurfaireplaisir.Jeneveuxplusattendrepassivementquedeschosesm’arrivent.Jeneveuxplusqu’Adrienetmoinousdisputionstoutletemps.Jeneveuxplusavoirquatrekilosdetrop.Jeneveuxplusnégligermonimage.Jeneveuxpluslaissermaviedecouplealleràvau-l’eau.Jeneveuxplusêtrefrustréeparmontravail.Jeneveuxplusfairedépendremesdécisionsimportantesdel’avisdemamère.Jeneveuxpluslaissermesrêvesauplacard.

—Jevoisquevousavezbientravaillé,commenta-t-il.Bravo…Avantdenouséleverdans

les airs, nous allons faire un peu de travaux pratiques. Je vais vous montrer comment

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fabriquerdejolisavionsenpapier…

Décidément,cethommeétaitfou.Maisilcommençaitàbienmeplaire!

Malgrélabizarreriedelatâche,jem’exécutaisansmotdire.

— Et voilà! déclara Claude, quand j’eus terminé. Nous avons une vraie flotte aérienne.

Nouspouvonsmonteràprésent.

Je le suivis dans la nacelle, pas très rassurée, et lorsque le ballon se mit à s’élever, je

m’agrippaiàlui.

—Tranquille,Camille,toutvabiensepasser…

Piquéeauvif, jemeredressaipourchassermonappréhensionet concentraimonregard

surl’horizon.Lapeurmetiraillaitl’estomac,maisj’écarquillaistoutdemêmelesyeuxpour

nerienperdredel’expérience.Jesentaismoncœurbattreplusfortdansmapoitrineetme

demandaiscommentmoncorpsallaitréagir,sij’allaisavoirlevertige.

—Soyezattentiveàtoutcequevousressentezpourpouvoirdécrirevosimpressionstoutà

l’heure,d’accord?

Je ne lâchai pas le bras de Claude pendant toute l’ascension qui se fit sans à-coups ou

presque.Finalement,jefussurprisedevoirquej’avaismoinslevertigequejenelepensais.

Je ressentis bien un léger appel du vide, une sécheresse dans la bouche et les mains

tremblantes,maisj’étaislàetjegérais.

L’expérienceétaitsaisissanteet lavue,àcouper lesouffle.J’enavaispresque les larmes

auxyeux,tantc’étaitbeau.Par-dessustout,jeprenaisconsciencedecequej’étaisentrainde

faire.J’étaiscapabledem’éleveràcentcinquantemètresdusol,dedépassermespeurs!Une

fiertéeuphorisantem’envahit,dessinantunincontrôlablesouriresurmonvisage.

—Ancrez,Camille,ancrez!mesoufflaClaudeàcetinstant.

Voyant que je ne comprenais pas, il m’expliqua le principe de l’ancrage positif, une

techniquequipermettaitderetrouverquandonlevoulaitl’étatphysiqueetémotionnelvécu

lorsd’unmomentheureux.

Ilme fallaitd’abordposermonancre liéeàunmoment fortdemavie.Puisassocierun

mot, une image ou un geste à cet instant de sérénité et de bonheur. Aujourd’hui, dans ce

ballon,jechoisisdemepincerfortementlepetitdoigtdelamaingauche.

Par la suite, avec de l’entraînement, je pourrais réactiver mon ancre quand j’en aurais

besoin, en reproduisant le geste associé à l’ancrage et retrouver ainsi le même état

émotionnelpositif.

Je demandai quand même à Claude plus de précisions pour réactiver l’ancrage, pour

m’assurerquej’avaiscomprisleprocessus.Oui,c’étaitbiença:pourressentirànouveaucette

sensationdesérénité,deconfiance,ilmefaudraitallerrechercherlesouvenirdecetinstant,

de cet intense ressenti. En me replaçant dans un endroit calme et confortable, seule,

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concentrée,détendue,lesyeuxfermésmême,siçapeutaider,jepourraiseffectueralorsune

visualisationmentale,enrepensantàcesouvenirparticulier,enrevoyant lascèneetenme

remettantvraimentdanslessensationsphysiquesetémotionnelles.Àcemoment-là,legeste

associé pourra être réitéré (me pincer fort le petit doigt, pour ce cas), afin d’intensifier la

montéed’émotionspositives.

—Àpratiquersouventpourquel’ancresoitefficace,précisaClaude.

J’étaisencoreunpeusceptique,maisluipromisd’essayer.

— L’heure est venue d’envoyer valser par-dessus bord vos petits avions, annonça-t-il

encore,etdedireadieuàtouscespoids!Lasymboliquedugesteesttrèsimportante…

Sous son regard complice, je lâchai donc un à un mes avions de papier et me sentis

soudain libérée. En jetant toutes ces choses dont je ne voulais plus, je renforçais ma

déterminationàchanger.J’avaisactionnélelevierd’unprocessusdetransformationdontje

nemesuraispasencoretouteslesconséquences.Unechoseétaitcertaine,cependant:ilétait

trop tardpour reculer. J’allaisdevoir assumer!Pour l’heure, je voyais virevoltermespetits

boutsdepapieravecdélectation.Zou,byebye,mespoids!Tremblez!Vousvivezvosdernières

heures.Jem’amusaisfollement.

Lorsquenous fûmesdenouveau sur la terre ferme,Claudemeproposad’aller boire un

café.

—AlorsCamille,vousêtesfièredevous?

—Jecrois,oui…

—Ahnon,mieuxqueça!

—OUI!Jesuisfièredemoi,m’exclamai-jealorsavecplusdeconviction.

— Voilà qui est mieux, dit-il, tout en allongeant son café avec le carafon d’eau chaude

qu’on lui avait remis. Le meilleur moyen de muscler votre affirmation de soi, c’est

d’apprendreàêtrevotremeilleureamie!Vousdevezvousvaloriser,avoirdelacompassionet

de l’indulgence pour vous-même, et vous donner le plus souvent possible des signes de

reconnaissance…Vousmepromettezdelefaire?

—Jepeuxtoujoursessayer!Maisest-ceque jenevaispasavoir la têtequienfle,après?

plaisantai-je.

—Avecvous,ilyadelamarge,répondit-ildutacautac.Etàcepropos,commeexercice

pourledébutdesemaineprochaine,vousm’enverrezlalistedetoutesvosqualités,detoutce

que vous savez bien faire et de toutes les expériences les plus réussies de votre vie… Ça

marche?

—Rienqueça!Remarquez,lalisterisqued’êtrecourte!

— Ah, Camille… Camille… Si vous recommencez, j’ajoute des gages, attention! Bon,

d’accord… Au début, vous aurez peut-être du mal à trouver, mais plus votre cerveau sera

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entraînéàchercherlepositifenvous,plusilletrouverafacilement.Si,si,vraiment.Oh,etje

voulaisvousdonnerceci…

Il fouilla dans sa poche pour en extraire une petite boîte. Je ris intérieurement en

songeantque,deloin,onpouvaitcroirequ’ilallaitmedemandermamainenm’offrantune

belle bague, ce quim’excitait assez. Ce n’était pas une bague,mais un joli lotus jaune. Le

deuxièmeCharms.Ilconsidéraitdoncquej’avaisfranchiunnouveaupalierduchangement.

J’eusdumalàcacherlaboufféedefiertéquimontaenmoietmechauffalesjoues.Lesyeux

brillants,jeleremerciai,etenfilailependentifsurlachaîne,oùilrejoignitlepremier.

Claude reçutuncoupde filqui l’obligeaàpartir rapidement.Avantdemequitter, ilme

glissa entre les doigts un petit bout de papier et s’en alla sans se retourner. Quel homme

étrange!

«Toutestchangement,nonpourneplusêtre,maispourdevenircequin’estpasencore.»Épictète.EtsivousmedessiniezleportraitdelaCamillequevousvoudriezdevenir?Àtrèsvite,Claude.

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LaCamille-en-devenirbûchaitsec.

Claudeavaitdemandélalistedetoutesmesqualités,detoutcequejesavaisbienfaireet

detouteslesexpérienceslesplusréussiesdemavie…Jepassaidoncmontempslibre,dans

lesjourssuivants,enspéléologieintrospective,etsondailescavitésdemonâmepourtenter

d’enextrairelesmatièrespremièresdemandéesparClaude.

Solidement encordée pour descendre dans le puits étroit des souvenirs, j’avançai à la

lumièreconfusedemamémoire.

Expériences positives, qualités personnelles… Au début, le trou noir! Puis, petit à petit,

ellesrefirentsurface,reprirentformeàmesyeux.

Pourm’aider,jegardaisouslesyeuxlalistedequalitésqueClaudem’avaitenvoyée.Jeme

demandaislesquellesjepouvaism’attribuer…

Accueillante,ambitieuse,audacieuse,autonome,aventureuse,calme,combative,conciliante,confiante,créative,dévouée,diplomate,directe,disciplinée,discrète,douce,dynamique,efficace,empathique,endurante,énergique,espritd’équipe,extravertie,fidèle,flexible,franche,généreuse,honnête,imaginative,indépendante,innovatrice,intelligente,intuitive,joviale,juste,leader,maîtredesoi,méthodique,motivée,observatrice,obstinée,optimiste,ordonnée,organisée,originale,ouverted’esprit,patiente,persévérante,polie,polyvalente,ponctuelle,précise,prudente,pugnace,réservée,résistante,responsable,rigoureuse,rusée,sensible,sérieuse,serviable,sociable,soigneuse,spontanée,stable,stratège,tenace,tolérante,travailleuse,volontaire.

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Accueillante, oui. Ambitieuse, pas assez! Conciliante, un peu trop. Créative, je l’étais

autrefois…Sensible,oui,onneserefaitpas.Sérieuseettravailleuse,parlaforcedeschoses!

Généreuse,empathique…plutôt,oui.

Quant à mes expériences de vie les plus marquantes en termes de réussite, outre la

naissancedemonfils,bienentendu,iln’yenavaitpaseutantqueça.Cettefois,peut-être,où

j’avaisdécrochéun19/20enartsplastiquesetoùmonprofesseurm’avaitsichaleureusement

félicitée, me disant qu’il fallait que je continue, que j’avais du talent… Jem’en souvenais

encoreavecémotion.Oui,là,jem’étaisvraimentsentiereconnue.Ilyavaitaussicejouroù

j’avais décroché mon diplôme supérieur de Commerce, et que j’avais annoncé la bonne

nouvelleàmamèrepartéléphone…Maisétait-cevraimentmajoieoulasienne?Ilfaudrait

quej’enparleavecClaude…

QuantauportraitdelaCamillequej’aimeraisdevenir,ilressemblaitpourl’instantàune

pâleesquisse.J’écrivisbeaucoup,touteslesidéesquimevinrent,etpressentisquemêmesi

toutcelaétaitencoreflou,leprocessusétaitactivéetqueleschosesnemanqueraientpasde

s’éclaircir.

Tandis que je procédais à ce travail identitaire de fond, Claude m’envoyait presque

quotidiennementdestrucsetastucespourm’aideràallerdanslesensducerclevertueux.

Ainsi,unmatin,réveilléedepuisàpeinedixminutes,jenem’étonnaipasd’entendreretentir

lasonneriefamilièredemontéléphone,m’annonçantlaréceptiond’untexto.

BonjourCamille.Aujourd’hui,vousteinterezvotrejournéed’humouretdelégèreté.C’estplusfacilepouraffronterlespetitstracas.:)Testezuneséancedegrimacesdevantlemiroir:c’estbonpourlemoraletcontrelesrides.Tirezlalanguedanstoussens,criezWazaaaa,mimezunegrandetristesseetunegrandejoiecommelemimeMarceau,récitezlesvoyellesenforçantletrait,amusez-vous!@+Claude.

Jesouris.Sonexercicemetentait,maisçameparuttoutdemêmeunpeubizarredefaire

leclowndanslasalledebain.Audébut,jen’yallaipasfranchement,puisaufuretàmesure,

je réussis à me lâcher, jusqu’à m’en donner à cœur joie. Mon fils m’observait dans -l’embrasuredelaporte,stupéfait.

—Maisqu’est-cequetufais,maman?

—Delagymnastiquedezygomatiques,lui répondis-jeavecaplomb.

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Laréponsel’étonnasurl’instant,maislesenfantsontunefacultéétonnanteàs’approprier

trèsvitemêmelesidéesbizarres.

— Ça a l’air drôle, me répondit-il avec un air sérieux de critique chez 50 millions de

consommateurs.Jepeuxessayermoiaussi?

Jel’invitaiàmerejoindredevantlemiroiretnousformâmesunduodemimiquesfaciales

de haute voltige. Adrienmontra une créativité incroyable dans l’exercice et je lui décernai

sans hésitation la palme de clown d’honneur. Ravi de ce titre honorifique, il fut d’une

humeur enjouée pendant tout le déjeuner, que pour une fois nous prîmes ensemble en

papotant,cequinenousétaitpasarrivédepuislongtemps.

Oui,Claudeavait raison.Cela faisaitbeaucoupdebiendecommencersa journéeparun

peuderireetdelégèreté!

Unautrejour,ilm’invitaàtesterlejeudel’appareilphotoimaginaire:unexercicequ’ilavait

inventé pour m’aider à changer de regard sur ma réalité, en changeant mon filtre de

perception.

—Quand vous sortirez, au lieu de vous focaliser sur les choses désagréables, laides ou

contrariantes,voustenterezdefixervotreattentionsurdeschosesjoliesetagréables.Àvous

deprendredes clichés imaginaires réjouissantsdans la rue,dans les transports,partoutoù

vousvousbaladerez.

Ainsi,jedevaism’entraîneràêtreàl’affûtduBeau.L’expérienceserévélasurprenante!Au

lieud’avoir lesyeuxrivéssur lesmendiants, lespassantsgrincheux, lebébéhurleur, jeme

surpris à observer la couleur du ciel, l’oiseau joli en train de faire son nid, un couple

d’amoureuxs’embrasser,unemamanfaireuncâlinàsonenfant,unmonsieurvenirenaideà

une dame pour lui porter sa valise dans les escaliers, à écouter le bruissement doux du

feuillage…

Cette nouvelle façon de voir m’enchanta. J’enrichissais chaque jour davantage ma

collection d’images positives, un album photo imaginaire qui allait me permettre de me

forgeruneautreimagedumonde…

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AU FIL DES SEMAINES, constatant que mes symptômes de routinite aiguë s’estompaient

lentement mais sûrement, je commençai à vraiment croire en la méthode. Ce qui me

séduisaitleplus,c’étaitsonapprochefond/forme,l’idéed’agirtantsurlefondduproblème–

quijesuis,cequejeveuxvraiment–quesurlaforme–l’imagedesoi,larelationaumonde

etauxautres.

N’avez-vouspasremarquéquel’imagequ’onsefaitdumondeestd’autantplusbelleque

l’imagedesoiestbonne?Surcedernierpoint,hélas, j’avaisencorefortàfaire…Àcausede

mesformesmalassumées,questionestimedesoi,jepratiquaislerase-motte.Chaquejour,la

vue de ma silhouette dans le miroir jetait une zone d’ombre sur mon humeur. En juge

implacable, je m’inspectais sous toutes les coutures, devant, derrière, sur les côtés, et

condamnaiscessurplusadipeuxàlaperpétuitédemonmépris…

Debout,çaallaitencore.Leboutonfermait.C’étaitassisequel’assautdelaculpabilitéme

reprenait.Quandlespetitsbourreletstentaientdes’échapperd’un40unpeutropoptimiste…

Alors, parfois, j’essayais de tricher avecma conscience, deme dire que lamatière avait

rétréci au lavage ou que le modèle taillait petit… La preuve était là cependant: l’étau se

resserraitautourdemataille…Etpuis,jel’avaislancé,cepetitavionenpapier,duhautd’un

ballonjuchéàcinquantemètresdusol…J’avaisjurénoirsurblancquejenelesvoulaisplus,

ceskilosdetrop…Çaengage,vouscomprenez!

Jeprisdoncrendez-vousavecClaudepourmettrel’affairesurletapis.

J’attendaisdepuisquinzeminutes,quandlaportes’ouvritsurunClaudeauregardpressé.

—Ah,Camille, suivez-moi…Vousallezbien?Entrez.Désolé, jen’auraipasbeaucoupde

tempsàvousconsacrer,aujourd’hui.Jevousprendsentredeuxrendez-vous.—C’est trèsgentilàvous,Claude.J’ai justebesoindevosconseilspourmonobjectifde

pertedepoids…

Il m’écoutait distraitement, tout en continuant de ranger fébrilement les dossiers qui

jonchaientsonbureau. Il se levapour lesporterdans l’armoireetune feuilleglissade l’un

d’eux.Jemelevaipourlaramasser.Tiens,bizarre…Unplandeconstructionavecuntasde

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cotesetd’annotations…Je la lui tendis.Ilmelapritsèchementdesmainsenmarmonnant

unremerciement.Ilnesemblaitpasdanssonassiette…

—Çava,Claude?Voussemblezpréoccupéaujourd’hui?Jepeuxrepasserunautrejour,si

vouspréférez?

— Non, non, tout va bien, Camille. J’ai plusieurs dossiers en cours et je suis un peu

débordé,voilàtout,merassura-t-ilaimablement.

Iltassalesdossiersdansl’armoirecommeilput,et jem’étonnaideleurnombre.Était-il

possiblequ’ilaitautantdeclients?Laroutinologieavaitdonctantd’adeptes?

Il revint s’assoir et caressa machinalement sa petite barbe poivre et sel, comme une

femmesepasseraitlamaindanslescheveux:pourseredonnerunecontenance.

—Bien…Alors, ça y est, vous êtes à point pour attaquer un petit programmeminceur?

Parfait.Laclé,pouratteindrevotreobjectif,c’estdebienlecadreravantdecommencer.Vous

connaissezlaméthodeSMART?

—Non,je…

—VousdevezvérifierquevotreobjectifestSpourSpécifique(ilnedoitpasresterflou),M

pourMesurable(ici,votreindicateurdesuccèsseraitparexemplemoinsquatrekilos),Apour

Atteignable (défini de manière à pouvoir être réalisé, découpé en une série d’objectifs

accessibles, ilnedoitpasêtre«l’inaccessibleétoile»),RpourRéaliste (pourmaintenirune

motivation forte, votre objectif doit être cohérent par rapport à votre profil et vos

compétences)etTpourTemps(vousdevezvousfixerunedatebutoir).

Tandis qu’il me décrivait la méthode, je me voyais en Camille Claudel de l’objectif, un

burinimaginaireentrelesmains,pourlesculpter,letailler,luidonneruneformeprécise…Je

chassaicetteimagepourmeconcentrersurleréel.

—Toutçavoussembleclair,Camille?

—Oui,oui,toutàfait…

—Jevouslaissequelquesminutesalors,pourquevousécriviezvotreobjectifSMART.Je

reviens…

Tandisqu’ilquittaitlapiècesurunsourire,jemelevaipourattraperunefeuilledepapier

etuncrayondans lemêmebureau-secrétaireque lorsdemapremièreentrevue.Je trouvai

aisémentune feuille,mais lescrayonsavaientétérangés…J’ouvrisalorsmachinalement le

tiroir,ettombaisuruncadrephoto.JereconnusledécordeCentralPark,àNewYork.Deux

hommesposaientdevantl’appareildansuneattitudefraternelle.Lecontrasteentrelesdeux

était saisissant: l’un respirait l’assurance, la force et la réussite, l’autre, malgré sa haute

stature,semblaitpresquefragile.Uncolosseauxpiedsd’argile.Desombresvolaientdansses

yeuxvoilésdetristesse.IlmeparutavoirunairdefamilleavecClaude,maisavecvingtkilos

deplus!Unfrèrepeut-être?

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J’entendisdespasdanslecouloiretrefermaiàlahâteletiroir.

—Çava,Camille?

—Euh,oui,ilmemanquejusteuncrayon…

—Ehbien,ilfallaitvousservir!Tenez,dit-il,enm’entendantun.

—Merci,balbutiai-je,gênéedemonindélicatecuriosité.

Tout en réfléchissant à mon objectif SMART, je me demandai qui était l’homme de la

photo.IlfaudraitquejeposelaquestionàClaudeàl’occasion…

Une demi-heure plus tard, je repartais avecmon objectif sous le bras et quatre kilos à

désagrégersouslaceinture.

Àcestade,lamotivationgonfléeàbloc,jepensaisqueceserait,sijepuisdire,dugâteau.

C’étaitsanscompteraveclaguerrefroidedescuisines…

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Dans les jours qui suivirent, je m’armai de courage pour mettre en pratique mes bonnes

résolutions.

— Rien que lemot régime fait grossir,m’avaitmise en garde Claude. Vous devez donc

apprendreàvousfaireplaisirautrement.

Il en avait de bonnes!Comme si on avait déjà réussi à se faire plaisir avec des brocolis

vapeuroudupoissonbouilli!

—Pensezauxépices,Camille.

Etpourquoipas,aufond?Qu’avais-jeàperdre?Mevoilàdoncentraindefaireunerazzia

au supermarché du coin et demonter dans la cuisine une armée d’épices pour relever les

platset,espérais-je,lemoraldestroupes…Del’ail,delacoriandre,ducurcuma,dupaprika,

ducurry,dumassalé,dupoivregris,dunoir,dublanc,qu’importelacouleurpourvuqu’ily

aitl’ivressedugoût!

L’ennemi,c’est lefade.Danslaguerrefroidedemesplatschauds, jem’initiaiauxarmes

secrètes du manger mieux. La ruse de la papillote en papier sulfurisé, la contribution

stratégiquedelasauceauyaourt0%,laparticipationhéroïquedesviandesblanchesdansmes

platsderésistance…

Résister,toutétaitlà,justement.Carlesennemisguettaientdansl’ombredesplacards!Le

paquet d’Oreo espérait sournoisement son heure de gloire. Les biscuits m’attendaient au

tournant,piétinantd’impatiencesurleurspetitespatteschocolatées…

Leurscomplices?Lachairdemachair:monproprefils!Jenepouvaistoutdemêmepas

sacrifier sa gourmandise sur l’autel de mes bonnes résolutions! Pour lui, je devais donc

continuer àm’approvisionner en produits défendus dont il se délectait innocemment sous

mesyeuxausupplice,tandisquejecroquaisdansunepommeverteirréprochable…

Sicen’étaitpasdustoïcisme!

Maislapiretranchehorairen’étaitpascelledugoûter.Non.Lapirevenaitaveclatombée

de lanuit.Là, l’appelde l’apérose faisantpressant, impérieux, ledangerd’uneattaqueaux

bombescaloriquesatteignaitsonparoxysme.Desrafalesdetentationstentaientdemettreà

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terre mes sages desseins. Et que dire du Syndrome Gratin dauphinois? Son effet pervers,

analogueàceluideStockholm,m’amenaitàsympathiseravec l’ennemi,ànégocieravecma

conscience:oh,justeunecuilleréepourfinirl’assiettedupetit…

Cela étant, ma vaillance finit par payer. En quelques jours, je constatai déjà de nettes

améliorations. Encouragée par ces premières victoires, je m’accrochai de plus belle,

entonnant silencieusement l’hymnedes sommitésde la ligne à la gloiredumoins gras,du

moinssucré,dumoinssalé…

Hélas, à peine les trompettes de la victoire commençaient-elles à sonner, qu’un ennemi

quej’avaissous-estimémontaitàl’assaut:l’ennui.

Au bureau, nous traversions une période de calme plat. Lameute se partageait les os à

ronger, et mon chef donnait les missions en priorité à mes collègues-à-temps-plein. Les

heures duraient trois cent soixanteminutes. Peut-êtremême cinq cents.Des foismille. Je

guettaislapausequatreheurescommeMagellanlaTerrepromise.Bref,jecroupissais.

Alors,biensûr,l’idéedelaredditionmetaraudait.Justeunefois,oublierlerégime…juste

aujourd’hui…Quilesaurait?

Jem’approchaidudistributeur,petiteboutiquedeshorreurscaloriques.Rienqu’unebarre

deriendutout…Oùétaitlemal,aprèstout?J’allaisglissermapiècedanslafentequandmon

téléphonevibra.UntextodeClaude.Était-cepossible?Ilavaitunsixièmesensouquoi?Jele

maudisintérieurement.

Commentçava?Voustenezlecoup?

Jeluirépondisenmentantavecaplomb.

Biensûr.Super.Bonaprès-midi.Cam’.

Iln’ensauraitrien,iln’ensauraitrien,merépétais-je,revenantàlamachinepouryglisser

ma pièce. Mais c’était trop tard. Je sentais sa présence insidieuse partout autour de moi,

commesisesyeuxétaientbraquéssurmapersonne.Bigbrother iswatchingyou!, comme

dansleromandeGeorgeOrwell.Jevivaisle1984durégime.

C’étaitmortpourmonécart.Jejetaiundernierregardtristeàlamachine,etregagnaima

place à pas lents, puis ouvris mon tiroir où m’attendait un paquet d’amandes. Je m’en

autorisaicinq,plusunepommeroyaleGala.Unfestindefourmi.

Et là, sursaut soudain de rébellion. Ses conseils «santé, bien-être» commençaient àme

sortir par les yeux! Rumination, avec la mauvaise foi la plus flagrante. «Prenez les

gnagnagnaescaliers plutôt que l’ascenseur. Allez faire une gnagnagnamarche à l’heure du

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dîner. Vous pouvez aussi gnagnagnamuscler vos fessiers en restant assise: il suffit de les

serrer puis de les relâcher discrètement. Vous vous ennuyez en attendant le métro?

Gnagnagnafaites des petits mouvements sur la pointe des pieds; décollez vos talons puis

relâchez!Quantauxabdos,pourquoinepaslesgnagnagnacontracterchaquefoisquevous

passezuneporte,enrentrantleventre?Nivuniconnu!»

Oui, je sais. J’étais sansdoute enpleinephasede résistance.Maisquin’en aurait pas à

l’idée de renoncer à toutes les tentations gourmandes qu’on nous collait sous les yeux à

longueurdetemps?Quoiqu’ilensoit,j’avaisintérêtàmeressaisir,sijenevoulaispasavoir

une désagréable impression d’échec aumoment de remplirmonCahier des engagements:

encoreuneidéedeClaudepourm’impliquerdavantagedansmesrésolutionsetéviterqueje

flanche!Surchaque ligned’engagement, jedevaiscocher lacase«fait»ou«pas fait».Et je

n’avaisaucuneenviedemeretrouverdansquelquesjoursdevantluiavecunesériede«pas

fait».

J’enétaislàdemesréflexionslorsquemonchercollègueFranck(enréalité,mabêtenoire

aubureau)m’interpella:

—ÇavaCamille?Tufaisunedrôledetête.

—Euh,oui,oui,toutvabien…J’essaiedemeconcentrer,c’esttout…

—Ah…Onauraitditquetuallaispondreunœuf.

Gnarfgnarfgnarf.Trèsdrôle.

Jen’allaisquandmêmepasluidirequej’étaisentraindememusclerlepostérieur!Déjà

qu’iln’enrataitpasunepourmefaireenrager.

—Enmatièred’œuf,regardeplutôtceluiquetuassurlecrâne.

Et toc! Un point partout. À la rougeur qui apparut sur ses joues, je vis que j’avais fait

mouche. Je n’étais pas très fière de cette pique,mais il n’avait qu’à pas commencer! Il ne

perdaitjamaisuneoccasiondemepollueretj’appréhendaistoujoursunpeusescoupsbas.Il

faudraitquej’enparleàClaude.

Commesinousétionsenlienpartélépathie,jereçuspileàcemoment-làunedemandede

clavardageenlignesurmonordinateur.

–Alors,Camille,commentsepassevotreprogramme«jamaissansmoncorps»?–Pasmal…C’estparfoisdurderésisterauxtentations…–Maisvousl’avezfait?–Oui.–Bien!Ilnefaudrapasoublierdelenoterdansvotre

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Carnetdupositif.Jevousenaidéjàparlé?–Non,pasencore…–Ah!Trèsimportant…Achetez-vousunpetitrépertoiretéléphoniqueetnotez-y,parordrealphabétique,vospetitsetgrandssuccès,vospetitesetgrandesjoies.Ainsi,dansquelquetemps,vousaurezàvotredispositionunecollectiond’ancragespositifs!Vousverrez,c’estexcellentpourl’estimedesoietlasatisfactionpersonnelle.

Jerépondisaussitôt:

Intéressant!Ok,Claude,jevaisypenser.

Jevoyaislecurseurenformedecrayons’agiter,signequ’ilétaitentraindem’écrireune

longueréponse.Unpetittintementm’indiquasonarrivée.

–Jecomptesurvouspournepas«fairequeledire».Chaquerésolutionn’estpasanodine.Beaucoupdegensconnaissentlesbonnespratiquespourmenerunevieplusheureuse,maisnepassentjamaisréellementàl’action…Cen’estpastoujoursfaciledetenirsesengagements.Paresse,fatigue,découragement,lesennemisguettent!Maistenezbon:lejeuenvautlachandelle.

Jemeletenaispourdit…

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Plus tard, ce jour-là, en sortant du travail, je passai devant une librairie, et l’histoire du

répertoiremerevintenmémoire.L’idéedeceCarnetdupositifm’avaitplu.Pourquoinepas

essayer?Au pire, celam’occuperait devant la télé… J’entrai, en choisis un de petit format,

facileàglisserdansunepocheouunsac,afinde l’avoir toujourssous lamain.Majournée

avaitétééreintantederien,j’étaisfatiguée,j’avaishâtederentreràlamaisonpourenfinme

détendre.

C’étaitoublierunpeuvitelaréalitédeterrain.

Àpeineeussé-jefranchilaportedechezmoiquejesentispeseruneambiancedeplomb.

Adrienavaitsatêtedesmauvaisjoursetmeditàpeinebonsoir.Lajeunefillequejeprenais

pour la sortie de l’école et l’aide aux devoirs ne semblait guère de meilleure humeur. En

avisant les cahiers étalés en mode champ de bataille sur la table du salon, je devinai les

raisons de ce froid. Charlotte ne se fit pas prier, d’ailleurs, pour se plaindre du manqued’attentionetdemotivationdemonfils.Ilgigotaitsanscesse,selevaitpourunoui,pourun

non, voulaitmanger, boire, semoucher, aller aux toilettes, évoquait un ballet incessant de

prétextes pour retarder l’instant de s’y mettre vraiment. Son discours était ponctué de

battements de cils irrités et de moues désapprobatrices. Je la remerciai pour ce debrief

éclairé,toutensoupirantdelassitudeàlaperspectivedurecadragequis’imposait.

Un quart d’heure plus tard, ma jauge de patience avait déjà perdu dix points. Adrien,

enfermédanssalogiquerebelle,rejetaitlafautesurCharlotte:elles’yprenaitmaletenplus,

ilnel’aimaitpastrop…Voyantquesesargumentsneportaientpas,ilmodifiasastratégieet

tentaceluidudécouragement:toutça,c’étaitàcausedesonprofesseurquidonnaitbeaucoup

tropdedevoirs!

J’aurais dû voir que sa coupe de petit bonhomme était pleine,mais à cemoment-là, la

mienne l’étaitaussi, et jenesusque lepunir, en leprivantdesapause tablette. Il s’enfuit

danssachambreenfaisantclaquerdefrustrationlaportederrièrelui.Jedusalorsdéployer

destrésorsd’imaginationetdediplomatiepourcalmerlejeuetfaireensortequ’ilseremette

àsesdevoirs.

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QuandSébastien rentra, j’enétais àpréparer le souperd’unemain, à tenirde l’autreun

cahierouvert,etfaisaisréciteràAdrienlaleçonrécalcitrante.Sébastienm’embrassadubout

deslèvresetmedemandasimajournées’étaitbienpassée,sansmeregarder.Jecroisquesi

jeluiavaisrépondu:«non,trèsmal,merci»,iln’auraitpasfaitattention…

Je sentis alors venir cette pointe d’agacement familière, mais essayai de passer outre.

Adrienavaitdumalàapprendreparcœur–ilcomprenaitvite,maisfonctionnaitàl’intuitif

plutôtqu’auméthodique–,etàchaquephrasequ’ilécorchait,moncalmes’effritaitunpeu

plus.Sonapproximationblessaitleperfectionnismequej’avaischevilléaucorps.

Sébastienressortitdelachambre,lecolouvertetlachemiseàmoitiésortiedupantalon,

puissedirigeaverslasalledebain.

—Maisjerêve!C’estquoi,cebazar?cria-t-il,àpeineentrédanslapièce.Quiatoutlaissé

enplan,commeça?

—C’estpasmoi!rétorquaaussitôtAdrien.

Phrase-réflexed’autodéfensetrèscaractéristiquechezlesenfants.

Jemesentisobligéed’intervenir.

— Laisse… Ça doit être moi, Séb’. Désolée, mais je n’ai vraiment pas eu le temps, ce

matin…

Grommellementd’oursdanslelointaindel’appartement.

Charmant!

Ilrevintdanslesalon,sonordinateurportableàlamain,ets’énervadenouveau.

—Et cesmiettes sur le canapé?Adrien!Combiende fois je t’aiditdenepasprendre ta

collationlà!C’estpasvrai,ça!

Je lâchai casserole et cahier et le rejoignis, lasse de ces arrivées tendues, distantes, qui

commençaientàdevenirunehabitudechezlui,maisdécidéemalgrétoutàcalmerlejeu.

—Laisse,jevaislefaire,dis-je.

—C’estbon.JEvaislefaire,répondit-ilsèchement.

Çamontait,çamontait…

Il épousseta les miettes en poussant de grands soupirs exaspérés, puis s’installa sur le

canapé,devantsonécranautarcique.

Il avait enlevé ses chaussettes et, je ne sais pourquoi, la vue de ses orteils nus faisant

frotti-frottasousmonnez,surlatablebassedusalon,m’irritaencoreplus.Àmoinsquecene

soitsatotaleindifférenceaucombatdomestiquequej’allais,moi,devoirmener,avantd’avoir

lachancedemeposerunpeu.Laplupartdutemps,jelaissaiscouler,maiscesoir-là,cefut

plusfortquemoi.Ilfallaitquejedisequelquechose.

—Çava,jenetedérangepastrop?

—Qu’est-cequisepasseencore?demanda-t-il,irrité.

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—Jenesaispas,moi…Peut-êtrequej’auraisbesoind’unpetitcoupdemain,parexemple?

—Unreproche,quoi…

—Alorsça,çam’énervevraiment,tusais!Jenet’aipasfaitdereproche, jet’aidemandé

unpeud’attention!

—Tumecriesaprès,maintenant?Merci.Çafaitplaisirquandonrentred’unejournéede

boulot!Tum’enasdonné,toi,del’attention,depuisquejesuisrentré?

—Alorsça,c’estlameilleure!Tumereprochesdem’occuperdetonfils?

—Ah,tuvoisqu’onyvient,auxreproches!

Adrien, sentant l’ambiance se gâter, s’éclipsa dans sa chambre, ravi d’échapper à la

récitation.

—Ehbienoui,allons-y!J’enaimarredetoutmetapertouteseule!

—Ahoui,jevois.Lapetitecrisehabituelle…

—Quoi, lapetite crisehabituelle?Tu rentres, tranquille, tuvaquesà tesoccupations, tu

faismumuseavectespetitsamisvirtuels…

—Tucroispeut-êtrequejemesuisamusé,aujourd’hui?J’aibossécommeundingue,j’ai

enchaînétroisréunions,j’ai…

—Parceque,biensûr,moi,jen’aipastravaillé?

—Oui,ok,tutravailles…,concéda-t-ild’unaircondescendant.

—C’estquoi,ceton?Travailleràtempspartiel,cen’estpaspareil,c’estça?

—Cen’estpasmoiquil’aidit!

—Mais c’est tout comme!hurlai-je, à bout. J’en aimarre, débrouillez-vous sansmoi, je

rendsmontablier!

— C’est ça, pars! On n’a qu’à divorcer aussi, pendant qu’on y est! Tu as l’air de ne

demanderqueça!

Sesparolesme frappèrentcommeunboomerangenpleinvol.En larmes, j’attrapaimon

manteau,etquittail’appartementenclaquantlaporte.

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Unefoisdanslarue,jelevailesyeuxversnosfenêtresetvismonfils,levisagetriste,former

uncœuraveclesdoigtsàmonintention,commes’ilsesentaitresponsabledenotredispute

d’adultes. Son petit geste me fit plus que plaisir et je lui adressai à mon tour un sourire

chargédetendresse,avantdem’éloigner,letempsques’apaisematourmenteintérieure.

J’espéraisnetombersurpersonne.Jen’avaispasenviequ’onmevoiedanscetétatdehargne

et d’énervement. C’est fou, pensai-je, qu’on puisse encore s’inquiéter de son image sociale

dans unmoment pareil! J’évitais de croiser le regard des passants; jeme sentais en vrac,

bouleversée, et jene voulais pasqu’ils lisent le désarroi surmonvisage.Pasde témoinde

monmarasme…

Jemarchaijusqu’àunpetitsquare,etappelaiClaude.

—Claude?C’estCamille…Jevousdérange?demandai-je,enreniflant.

Inutiledeluidirequeçan’allaitpas.Illedevinad’emblée.

— C’est Sébastien, nous avons eu une scène… J’étais à bout… Comme si on était en

completdécalage…

Tandis que je lui racontais, je sentais tout le bien que me procurait la qualité de son

écoute.Quelbonheurd’avoirunetelleoreilleàportéedesonchagrin!

—…Encemoment,ilesttotalementincapabledem’apportercedontj’aibesoin.

—Etdequoiavez-vousbesoin?demanda-t-ildutacautac.

—Jenesaispas…Besoinqu’ilfasseattentionàmoi,qu’ilsoitgentil,tendre…Aulieude

ça,j’ail’impressiondevoirunrobotrentreràlamaison!Àpartrâleretsejetersursonordi

enmodeseulaumonde,ilnefaitrien…J’enarrivemêmeàêtrejalousedesesamisvirtuels!

Pendantcetemps,lerestepeuts’écrouler.Etmoi,jesuislà,àm’activerdanstouslessens,à

gérerAdrien,lesdevoirs,lesouper…Cen’estpasjuste!

—J’entends,Camille…

—Enplus,ilpassesontempsàmedirequejenel’écoutepas.Maisc’estfaux!C’estluiqui

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nem’écoutepas!Jenepeuxpasenplacerune,ilramènetoutàlui…

Jemarchaisdelongenlargedanslesquaredésert,lesnerfstoujoursenpelote.

—Ah!Lejeudu«c’estluiqui»…Trèsmauvais!C’estpourçaquevousnepouvezpasvous

entendre: c’est un dialogue de sourds! Écouter de mauvaise grâce, ce n’est pas écouter…

Écouter vraiment, c’est se mettre à la place de ce que l’autre vit, être en empathie. Vous

n’imaginezpasàquelpointc’estrare,quelqu’unquisaitvraimentécouter!Jemedissouvent

que celui qui sait écouter est le roi dumonde. Dans les disputes,mieux vaut ne pas tout

prendrepourargentcomptant,Camille,maisapprendreàlireentreleslignespourdécelerles

émotions authentiques… Derrière un reproche, il se cache peut-être une peur et derrière

l’agressivité,delatristesseouuneblessureencorevive…

Tout en l’écoutant, je resserrai les pans demonmanteau, gagnée par une sensation de

froidsansdouteexacerbéeparl’émotion…

—C’estdifficiled’êtredans l’écoutebienveillantequevousdécrivez!Vousverriezsatête

quandilmeregarde,danscesmoments-là!J’ail’impressionaffreusequ’ilnem’aimepas!

—Mmm…Intéressant…Etsivousremplaciez«il»par«je»?

—…

—Oui,vousavezbienentendu.

—Je…jenem’aimepas,c’estça?

— Oui, c’est ça, Camille. Vous avez tendance à interpréter les comportements de votre

conjointàtraverslefiltredéformantdevospenséesnégatives.Encemoment,vousnevous

aimezpastellement,parcequevousvousêtesmisentêtequevousétiezmoinsjolieavecvos

petitskilosdetropetvospremièresridules…Inconsciemment,vousprojetezsurvotremari

votre peur de ne plus être aimable. Et tout, dans votre attitude, va faire que ça finisse par

arriver! Vous aurez validé votre scénario noir: vous n’êtes plus désirable, il ne vous aime

plus…

Sesparolesfrayaientleurchemindansmonesprit,maisl’apaisementqu’ellesdistillaient

enmoicommeunegouléed’eaufraîchefutperturbépardeuxhommesquivenaientd’entrer

dans leparc.Ilsavaient latêtecachéesousdescapucheset jesuivis leurdéplacementd’un

regardméfiant.Dansmonagitation,masoifd’entendrelesconseilsdeClaude, ilnem’était

pasvenuàl’idéequ’ilétaitpeut-êtreimprudentdem’attarderàlanuittombéedanscesquare

désert.Jegagnailasortied’unpasrapide,sanstoutefoisavoirl’airdefuirpournepasattirer

l’attentionsurmoi,maisunemains’abattitsoudainsurmonépaule.Jecriai.Pivotaiaussitôt

pourmedégager.L’undesdeuxhommessepenchaversmoi.Unjeune,quisentaitl’herbeà

pleinnez.

—Vousavezperduquelquechose,medit-il,enmetendantlefoulardhabituellementnoué

àl’ansedemonsac.

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—Ah…Merci,balbutiai-je,enleluiarrachantpresquedesmains.

Puisjem’éloignaisansdemandermonreste.

Àl’autreboutdufil,Claudes’inquiéta.

—Allô,Camille?Allô?Vousêtestoujourslà?

Jeregagnaienhâtelesruesdemonquartieréclairéesparlesréverbères.J’attendisqueles

battementsdemoncœursecalmentpourpoursuivrelaconversation.

—DésoléeClaude,unpetitcontretemps.Vousmedisiez?

Pour éclairer le mécanisme de notre dispute, Claude évoqua le principe du triangle

dramatique. Il m’expliqua comment, dans ce scénario relationnel négatif, chacun pouvait

jouertouràtourunrôledevictime,depersécuteuroudesauveur.

—Vouscomprenezdoncquedansuntelschéma,ilnepeutpasyavoird’issuefavorable,à

moinsdesortirdujeu!Dansvotrehistoire,voilàlefilm:luipersécuteur,quandilrâleàtout

bout de champ; vous sauveur, quand vous proposez d’enlever les miettes pour lui, puis

victime,quandvousvousplaignezdemanquerd’aide,persécutrice,quandledialoguetourne

aureproche;luiàsontourvictime,quandilseplaintdesonéprouvantejournée,etc.Chacun

tournedanslesrôlessanstrouverd’autreissuequelecrescendoinévitabledeladispute!Or,

ilexisted’excellentsmoyenspoursortirdutriangle…

—Dites-moivite!

—Déjà,prendreconscienceduscénariopourstopperlejeuetattendreunmomentcalme

et propice pour renouer le dialogue. Ensuite, bien cerner vos besoins pour formuler des

demandes directes à votre conjoint, afin qu’il sache en clair et sans décodeur ce que vous

souhaitez. Si ce sont des attentes légitimes et raisonnables, il n’y a pas de raison qu’il n’y

accèdepas.

—Intéressant…

Jeserraislecombinécontremonoreille,tentantd’ignorerleboutdemesdoigtsgelés.Je

changeaifinalementdemainpourenfournerlapremièrebienauchaudaufonddemapoche.

— Il va falloir aussi apprendre à poser vos limites et à les exposer à votre entourage,

poursuivitClaude.Votreprofildepersonnalitévousconduit trèssouventàchercherà faire

plaisir:uneformedesuradaptationchroniqueauxdésirsdel’autreaudétrimentdesvôtres.

Votre nature vous pousse à être beaucoup en empathie, et c’est une bonne chose de se

soucier du bien-être d’autrui. Encore faut-il ne pas confondre empathie sèche et empathie

mouillée! Avec l’empathiemouillée, vous prenez à votre charge le pathos de l’autre, vous

absorbezses émotionsnégativesetfinissezparallermal,vousaussi!Avecl’empathiesèche,vousarrivezàentendreetcompatiraveclesproblèmesdevotreentourage,sanspourautant

vouslaissercontaminerparsonhumeurnéfaste.Cettesortedebouclierdeprotectionesttrès

utilepournepasse laisseraspirer.Sanscompterqu’auboutd’unmoment,à forcedevous

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sentir«bonnepoire»,vouspétezlesplombs.C’estcequis’estpassé,n’est-cepas?

J’acquiesçai.

—Ne vous inquiétez pas, il faut juste réajuster le tir. Arrêtez d’être trop gentille; soyez

simplementplusauthentiquedansvosémotions.Etpuis,trèsimportant,apprenezàdécoller

vostimbresaufuretàmesure,aulieud’explosercommeunecocotte-minute,ainsiquevous

l’avezfaittoutàl’heure.

—Destimbres?C’est-à-dire?Ilvafalloirquejeluiécrive?

—Non,non!Riendetoutça.Décollersestimbres,c’estuneexpressionimagéequisignifie

qu’il faut dire ce qu’on a sur le cœur au fur et à mesure. Il faut dire à votre mari vos

contrariétésaufuretàmesure.

—Jevois…

— Si vous lui faites passer vos messages avec douceur et bienveillance, il n’y a pas de

raisonpourqu’il ne les écoutepas!Etpuis, à l’avenir, quandvous sentezque lamoutarde

commenceàvousmonteraunez,mettez-vousd’accordavecluisuruncoderouge.

—Uncoderouge?

—Oui.Conveneztouslesdeuxd’unpetitsignequevousvousferezpourprévenirl’autre

qu’ilyadangerdedispute!Nouspratiquonsçaavecmafemmeetçamarchetrèsbien!C’est

unesortedewarning,commeenvoiture.Legesteagitcommeunelumièrequiclignotepour

avertirqu’onavanceenterrainminé!Enétantainsiprévenusl’unetl’autre,vouséviterezla

montéeencascadedel’agressivité.

Unbip.Lesignald’undoubleappel.C’était Sébastien,àcoupsûr.Est-cequejedécrochaisoupas?Pastoutdesuite.Jeluifisenvoyerunmessageautomatique:

Jesuisenligne.

—Camille,vousêtestoujourslà?J’aientenduunbip.

—Oui,oui,undoubleappel,cen’estpasgrave,jerappelleraiaprès…

—C’étaitvotremari?

—Oui.Mais je vous enprie, poursuivez.C’est vraiment important pourmoi d’avoir vos

conseils!

—OkCamille.Mais pas longtemps! Il faut que vous rentriez chez vous,maintenant, et

moi,j’aiunbonjournalquim’attendaucoindufeu!

Je nem’étais pas rendue compte que je l’avais retenu aussi longtemps et je me sentis

toutepenaude.

— Dernière chose très importante, Camille: apprenez à formuler des critiques sans

violence. Pour ça, ne commencez pas vos phrases par des «tu» assassins. J’appelle ça la

mitraillette à reproches: imparable pour faire sortir l’autre de ses gonds! Pour dire ce que

vousavezàdire,faitesplutôtuneF.E.T.E.

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—Jenevoispascequ’ilpeutyavoirdefestifàsedisputer!

—Cesontdesinitiales:F,vousrappelezlesfaitsquivousontcontrariée.E,vousexprimez

votreémotion,cequevousenavezressenti.TetE,vousproposezunterraind’entente,une

solutiongagnant-gagnantpourlesdeuxparties.Enreprenantlescénariodevotre dispute,çapourraitdonnerceci:«Quandtuassous-entenduquejetravaillaismoinsquetoi(lefait),j’enai éprouvé de la peine, je ne me suis pas sentie valorisée (l’émotion ressentie), or j’ai

vraimentbesoindetesencouragementsetquetusoisfierdemoi,toutcommetoisansdoute.

Jepensequenousdevrionsnousdonnerplussouventdessignesdereconnaissancepourque

chacun de nous se sente valorisé pour tout ce qu’il fait pour la famille (la piste

d’amélioration,constructivepourlesdeuxparties).Ainsi,onéviteraitlesmalentendus.Qu’en

penses-tu?»

—Ah!Pasmal.Maisçanefaitvraimentpasnaturelcommeprocédé.

—Qu’est-cequiestleplusimportant:êtrenaturelouéviterl’escaladedel’agressivité?

Jesouris.

— Ok, Claude, j’ai compris le principe. Mais comment je vais rattraper le coup,

maintenant?Quandjel’aiquitté,ilétaitfurieux.Ilamêmeparlédedivorce!

—Bah,iladitçasouslecoupdelacolère…Jesuissûrquesivousluitendezlamaindela

réconciliation,ilserabiencontentdelasaisir,vousverrez.Faireunpasversl’autre,çaparaît

si simple, et pourtant si peu de gens le font. C’est pour ça qu’il y a tant de divorces.Quel

dommage!Qued’amoursgâchéesalorsqu’avecunpeud’effort, ellespourraient repartirde

plusbelle!Ilfautdireque,dansnotresociétéd’hyperconsommation,onpréfèrejeterplutôt

queréparer.«Lesgrandsbonheursviennentduciel,lespetitsbonheursviennentdel’effort»,

ditunproverbechinois.

—Ah,Claude! Je suis si triste, parfois…J’ai l’impressionque le voile gris a remplacé le

voileblanc…

—Encoreunepenséefabriquéedetoutespiècesparvotrecerveau.C’estunmauvaisfilm

quevousvousjouez.Vouspouvezàtoutmomentdéciderd’enchanger,rappelez-vous!

—Comment?

—Déjàencontinuantdefairecequenousavonscommencéàfaire:enallantbienvous-

même, en prenant soin de vous, en vous recentrant sur vos qualités et atouts, en

redécouvrantvosbesoinsetvosvaleursprofondes.Bref,enrepartantdevouspourrayonner.

Vousnedevezpasfairepesersurvotreconjointlaresponsabilitédevotrebonheur.Ilnedoit

êtredansvotreviequ’unecerisesurlegâteau.

J’imaginaislatêtedeSébastienplantéeaumilieud’ungrosgâteaudégoulinantdecrème.

Unedrôledevision.

—Voustrouvezquej’aitropd’attentesvis-à-visdelui?

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—Ce n’est pas àmoi de répondre à cette question. Je dis simplement qu’il faut savoir

aimer à labonnedistance.C’est commeavecun élastique:ni trop serré, c’est étouffant,ni

tropdistendu,parcequ’onfinitparperdrelelien.Ilfauttrouverlabonnetension.Ilestaussi

nécessairededémêlerlesfilsquinousrelientaupassé.

—C’est-à-dire?

—C’est-à-direcomprendrecommentlesrelationsquevousavezvécuesenfantinfluencent

votreprésent.

—Jenevoispascommentunechosedupassépeutinfluencermavied’aujourd’hui!

—Et pourtant, vousn’imaginezpas à quel point!Nem’avez-vouspas raconté que votre

pèreavaitquittévotremèreavantvosdeuxans?

—Oui,c’estexact.

— Il est possible que certaines situations, dans votre vie d’aujourd’hui, réactivent ces

blessures du passé et libèrent malgré vous une charge émotionnelle disproportionnée par

rapport à l’événement déclencheur. On appelle ça des élastiques. Tout à l’heure,

inconsciemment, vous avez poussé votre conjoint à bout jusqu’à ce qu’il dise, excédé, que

vousalliez finirpardivorcer…Vousavez, sans le savoir, validéunvieux schémanégatif, la

terreurdevotreenfance:êtrequittéeparl’hommequevousaimez…

—C’estterrible,vucommeça!Jen’enavaisvraimentpasconscience…

Complètementgeléeàprésent,j’entraidansunbar-tabacencoreouvertetcommandaiun

chocolatchaudaugarçonquis’étaitapprochédematable.Lecellulairechauffaitentremes

mains.Celafaisaitbienunedemi-heurequej’avaisClaudeauboutdufiletilcontinuaitson

coachingavec lamême ferveurque lapremière fois. Ilavait forcémentéprouvé toutça, lui

aussi;ilnepouvaitenêtreautrement.Ilétaittellementhabitéparcequ’ilracontait!Etmoi,

jen’enperdaispasunemiette.

—Laprisedeconscienceestunexcellentpremierpaspourcouperlesélastiquesdupassé.

Après,c’estencontinuantvotretravailpersonneldeconfianceenvousetdetransformation

positivequevouspourrezvousdébarrasserdéfinitivementdecesvieuxdémons.Vousn’êtes

plus lapetite fille sans ressourcesquevousétiezquandvotrepèreestparti.Vousêtesune

adulte responsable et autonome, capable de faire face aux situations. Cela étant, il est

importantderassurercettepartiedevousquiaeupeuretquiaeumalautrefois…Ainsi,vous

serezréconciliéeaveccemorceaudevous-même!

— Et comment fait-on pour rassurer sa petite fille intérieure? demandai-je, tout en

soufflantsurmonchocolatfumant.

— On se met dans un coin, au calme, et on lui parle gentiment, comme à ses propres

enfants. Vous pouvez lui dire que vous l’aimez, que vous serez toujours là, qu’elle peut

comptersurvous…Maispouruneguérisontotaledecetteblessured’enfance,ilvousfaudra

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passerparl’étapedupardon.

—Quiest?

—Depardonneràvotrepère.

—…

Claudedutsentirqueçacoinçait,carilenchaîna,s’efforçantdetemporiser:

—Vousleferezlemomentvenu,quandvousserezprête…Pourl’instant,agissezdéjàsur

votreviedecouple,devenezmoteurdelarelation,donnezplus!

—Onenrevientunpeuàlacasedépart,vousnetrouvezpas?Pourquoiceseraittoujours

àmoidefairedesefforts?Pourquoipaslui?

—Parcequenourrirpositivement larelationvousreviendraaucentuple!«Fairedubien

auxautres,c’estdel’égoïsmeéclairé»,disaitAristote.Etpuis,pensezquepourl’instant,c’est

vous qui avez un temps d’avance en développement personnel. C’est donc à vous de lui

montrer le chemin. Peut-être aussi vous est-il plus naturel de prendre des initiatives?

D’instinct,voussaurezcommentfaire jaillir l’étincellepourrallumerlefeu…Convenezque

mieux vaut renoncer à être dans le classique duel du «quifaitquoi», cette compétition

négativepourdéterminerlequel,danslecouple,estleplusméritoire…Ilfautenfiniravecça,

vousnepensezpas,Camille?

Si,biensûr…Ilavaitraison.Centfoisraison.

—Partezduprincipequel’autreessaiededonnerlemieuxdecequ’ilpeutdanslarelation

àl’instantT,etretenezcequ’ilapportedepositifaulieudevousconcentrersurcequivous

déçoit,parcequeçanecorrespondpastoutàfaitàvosattentes.Onrécoltecequel’onsème…

Levieiladageadubon.Semezdureproche,etvousrécolterezrancœuretdésenchantement.

Semezdel’amouretdelareconnaissance,etvousrécoltereztendresseetgratitude.

—Mmm…C’est juste.Jem’enrendscompte.Maiscequimerendfolleaussi,c’estcette

tiédeur, cette léthargie amoureuse! Moi qui rêve encore de grands sentiments et de

démonstrationsromanesques!

— Là encore, il faut viser la voie du milieu: pas de fantasmes irréalisables, mais pas

d’ambitionsaurabaisnonplus.Vousavezraisondevouloirraviverlaflamme…tantquevous

ne projetez pas des attentes disproportionnées! Vous devez respecter et accepter la

personnalitéprofondedevotreconjointetnepasattendredeluideschosesqu’ilnepourra

pasvousdonner.L’amour est commeuneplantequidemandebeaucoupd’attentionetqui

granditbienquandonl’arrose.Valorisezvotremaridanstoutcequ’ilfaitdebien,montrez-

luivotregratitude,voirevotreadmiration.Vousleverrezalorschangerets’épanouirdejour

en jour. Il sera probablement beaucoup plus réceptif à vos propositions amoureuses.

Sourires,soutien,tendresse,voilàleterreaudevotrecarteduTendre!

Bipànouveau.

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—C’estencoreSébastien.

—Ehbien,décrochezCamille,qu’est-cequevousattendez?

—Claude?

—Oui?

—Merci.

Sébastienetmoiéchangeâmesquelquesmots,suffisantspourdésamorcerlatension.Etpour

ajouter une touche d’humour à notre réconciliation, je rentrai chez moi en agitant un

mouchoir de poche blanc dans l’embrasure de la porte. La paix fut scellée par un tendre

baiserderetrouvailles.

Adrienenprofitapoursurgirdesacachetteetnoussauteraucou.

—Vousn’allezplusdivorcer,alors?demanda-t-il,vaguementinquiet.

Sébastienetmoinoussondâmesl’unl’autreduregard,àlarecherched’uneréassurance.

Jeperçusalorsdanssesyeux…oui,c’étaitbiença…unelueurd’attachementquimerassura.

—Maisnon!dis-je,enluiébouriffanttendrementlatignasse.

—Eh,maman!protesta-t-il,s’empressantderemettresesmèchesenplace.

Depuis quelque temps, son look le préoccupait beaucoup, et gare à qui touchait à sa

coiffure mouillée-gominée avec le plus grand soin! Profitant de cette ambiance de

réconciliation,lepetitfutéplaidahabilementsacause:

—Commej’aifinitousmesdevoirs, jepeuxfaireunpeudetablette,s’il teplaît,maman

chérie?

Jenesavaispasquelseraitsonmétier,maisjenem’inquiétaispastroppourlui!Ilsavait

si bien vousmener là où il le voulait! Impossible de lui en vouloir très longtemps, ni de

résisteràsesappelsdecharme…

Adrien rivéà sa tabletteavecun sérieuxdegamer aguerri, jem’accordaiunmomentde

tête à tête avec Sébastien, les gestes tendres encore un peu sur la retenue, l’esprit encore

griffépar ladispute.Et tandisqu’ilnousservaitun fonddevinblanc, jeprisconsciencede

l’effort à accomplir pour redonner à nos amours tout le faste d’antan. Pour qu’elles

retrouventlasplendeurd’unVersailles,j’avaisencoreducheminàaccomplir…

Heureusement,questionchemin,Claudesemblaitenconnaîtreunrayon.

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Pourmaleçond’êtresuivante,Claudem’avaitdonnérendez-vousaujardind’Acclimatation.

Celafaisaituneéternitéquejen’yétaispasvenue.Monâmed’enfantfrétillanteserégalaitde

voir tourner lesmanèges et croquer les pommes d’amour. Jeme serais damnée pour des

churros au chocolatmais, dieumerci, Claude arriva à point nommé pourm’éloigner de la

tentation. Il m’invita d’abord à prendre un thé chez Angélina, où je nem’accordai qu’une

seulegourmandise,unerondelledecitron–vuledegrédestoïcismenécessairepourrésister

auxétalsdepâtisseriesfines,celaméritaitd’êtrerelevé.Puisilm’entraînadanslagaleriedes

glacesdéformantes.

—Qu’est-cequevousvoyezlà,Camille?

—Quellehorreur!Moi,enplusgrosseencoreetdéformée,m’esclaffai-je.

—Est-cequecetteimageestvraie?

—Non,heureusement!Jenesuispassigrossequeça.

—Vousn’êtespas sigrossequeçaenvrainonplus,Camille.Laplupartdu temps,vous

vous voyez comme à travers ce miroir déformant à cause de vos pensées négatives qui

transforment la réalité. Votre mental vous joue des mauvais tours. Il vous raconte des

histoiresetvousfinissezparlecroire!C’estunmagiciennoir,maisvousêtesunemagicienne

encoreplus forte: vousavez lepouvoirde stopper votremental, etmêmede lemanipuler!

Regardez-moi,Camille…Quiestmaîtredevospensées?

—Jenesaispas…

—Maissi,voussavez…

—Moi?

—Biensûr.Personned’autrequevous!Leplussouvent,onesttrèsmauvaisjugepoursoi-

même. Aujourd’hui, vous êtes persuadée que vous êtes trop grosse parce que vous avez

quatrekilosdetrop,maisc’estdansvotretêtequeleproblèmeapristropdeplace…Jepeux

vousassurerquecen’estpasça,êtregros!

Jeluiglissaiunregarddebiais,toutenrepensantàl’hommedelaphoto,danssonbureau.

Était-ce un proche? Était-ce lui-même? Je n’osai pas lui poser la question directement. Je

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tentaidoncuneautreapproche.

—J’ail’impressionquevousconnaissezbienlaquestion…

Jevissaridedulionsefronceretlasurprisesepeindresursonvisage.Ilseraclalagorge,

commes’il cherchaitàgagnerdu temps,commesimaquestion l’embarrassait.Sesyeuxse

perdirentdanslevague,etilréponditévasivement:

—Oui,eneffet.Jeconnaisbienleproblème…

—Pourl’avoirvécuvous-même?

Jelusdanssonregardquejel’agaçaisavecmesquestions.

—C’estbienpossible.Maisnousnesommespaslàpourparlerdemoi.

Dommage, pensai-je. Cela m’aurait diablement intéressée d’en savoir plus sur sa vie…

Maisjesentisqu’ilnefallaitpasinsisterpourl’instant.

Ilm’entraînaverslepremiermiroirdelagalerie.Unmiroirnormal.

—AlorsCamille,regardez-vousbien,etdites-moimaintenantcequivousplaîtleplusdans

votrephysique?

Jescrutaimonrefletàlarecherched’élémentsfavorables.

— Eh bien, je crois que j’aime bien mes yeux, ils sont pétillants et d’une assez jolie

couleur…

—Trèsbien!Continuez…

Jedescendisunpeuplusbas,pourévaluermesattributsféminins.

—Mapoitrine n’est pasmal nonplus…Elleme fait un joli décolleté.Mes chevillesme

plaisentassezaussi.J’ailesjambesfinesjusqu’auxgenoux!

—Parfait,Camille.Vousallezdonctoutfairepourmettrevosatoutsenvaleur,etfocaliser

votreattentiondessusplutôtquesurvospetitsdéfauts,donttoutlemondesefiche.Gardez

toujoursà l’esprit l’exempledecertainesfemmespassi joliesqueçaetquionteupourtant

un succès fou. Prenez Édith Piaf, qui a eu les plus beaux hommes, ou Marylin Monroe,

connuepoursesrondeurs!Maiscequicompteleplus,vousl’avezdeviné,c’estcequevous

dégagezde l’intérieur.La confiance en soi est votreplusbel atour.Rayonnez et vous serez

irrésistible!C’estenvousremplissantdebelleschosesquevousserezattirante.Croyez-moi,

la bonté et la bienveillance brillent plus que les bijoux les plus beaux! Ce que vous êtes à

l’intérieursevoitàl’extérieur.

J’avaisenviedeluidemandersic’étaitcequis’étaitpassépourlui…Ilplanaitsursavieun

voiledemystèrequejen’osaispasencoresoulever.Jemecontentaid’uneboutade.

—Çafaitunpeupubdeyaourt,cequevousdites,maisjecomprendsl’idéegénérale…

— Œuvrez chaque jour pour devenir une personne meilleure, véhiculez des ondes

positives,etvousverrezbientôtlesuccèsquevousaurez!

—Etsijen’yarrivepas,Claude?Si,malgrétout,jecontinueàmetrouvermoche?

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—Chut, chut, chut!Arrêtezdenourrirvos rats,Camille.Vos rats, ce sontvospeurs,vos

complexes,vosfaussescroyances,toutecettepartiedevousquiaimebiensefaireplaindreet

jouer lesCaliméro.Est-ceque vous comprenez cequevous recherchez, inconsciemment, à

jouercemauvaisrôle?

—Mmm…Peut-êtrequesi jerestemoche, jen’attirepastrop l’attention,et jenerisque

pasdedécevoir.Oud’êtredéçue!Etpuis,aumoins,lesgensn’attendentpastropdemoi,j’ai

lapaix!

—Etquelseraitlerisqued’attirerlesregards?

— Qui dit plus de regards, dit plus de commentaires, plus de jugements, donc,

potentiellement,plusderisquesd’êtreblessée…

—Oui, sauf qu’on ne peut vous atteindre que si vous êtes atteignable. Plus vous aurez

confiance en qui vous êtes, moins vous serez susceptible d’être blessée par des atteintes

extérieures.Quandvousaurezremusclévotreestimedevous,quevousaurezunprojetdevie

en totale cohérence avec votre personnalité et vos valeurs profondes, vous avancerez

sereinement,fortedevotrevisionpositive,etvousn’aurezpluspeur.Vousserez«alignée»,

enharmonieavecvous-mêmeetl’univers.

—Ditcommeça,çafaitenvie…J’espèrequecegrandjourarriverabientôt.

—Çanedépendquedevous,Camille.

—Maispouraméliorermonimagedemoi…?

Claudem’emmenadevantunmiroiraffinant.

— Déjà, tous les matins, devant votre miroir, vous allez changer de dialogue intérieur.

Vousrépéterezdesaffirmationspositives.Quevousêtesbelle,attirante,quevousaimezvos

formes,quevousavezdejolisyeux,unebellepoitrine,quevousêtesunefemmeformidable

quiréussitcequ’elleentreprend,etc.

—Cen’estpasunpeutrop?

— C’est à peine assez! répondit-il, taquin. Ensuite, vous allez apprendre l’art de la

modélisation.

—C’est-à-dire?

—Quellefemmeadmirez-vousleplusetpourquoi?

—Jenesaispas…J’adoreCatherineDeneuve,jetrouvequ’elleauncharmefou!

—Trèsbien.Alors, étudiezCatherineDeneuve, sesattitudes, samanièredemarcher,de

sourire…Entraînez-vousàreproduiresesgestes.Fermezlesyeux.Visualisez-vousentraindemarcherdanslarueetjouezàêtreCatherineDeneuve.Commentvoussentez-vous?

—Belle,sûredemoi,posée…

—Commentréagissentlesgensautourdevous?

—Ilsmeregardent,m’admirent…

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—C’estagréable?

—Trèsagréable!

—Super!Gardezcessensationsentête,etn’hésitezpasàlefairepourdevrai.Mettez-vous

danslapeaud’undevosmodèles!

—Ok.J’essayerai…Çapeutêtredrôle.

—Etpuisquenousparlonsdemodèles…Jevoudraisquevousvouscherchiezdesmentors.

Quelles personnes admirez-vous le plus? Quelles sont leurs qualités? Leur modèle de

réussite?Étudiezleurvie,lisezleurbiographie…Créez-moiunbeaupatchworkgraphiquede

toutesleursphotos.Vouspouvezmefaireçapourdansquinzejours?

—Mmm…Jevaistâcher…

Envrai,jemesentaisunpeucommel’étudiantàquil’onvientdedonnertropdedevoirs,

mais Claude m’avait prévenue: les petits monstres intérieurs guettent: paresse,

découragement…Ilfallaitquejem’accroche,mêmesilerythmeduchangementmesemblait

intensifetquejenemesentaispasencoretrèsàl’aisedanslessouliersdemonnouveaumoi.

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Je rentrai chez moi, claquée. Les informations se bousculaient dans ma tête. Que de

changementsenclenchésensipeudetemps!J’avaisbesoind’unbonbainpourmedétendre.

Jeversaiunetonnedebainmoussantetmelaissaiglisserdansl’eaubrûlantequimordaitma

chair.Undélice!Jejouaiaveclamoussecommequandj’étaispetite,unvraiplaisirrégressif.

J’avaisletemps:laveilleausoir,aulieuderegarderlatélé, j’avaismitonnéunbonpetit

platpourlelendemain.Nousn’avionsplusqu’ànousmettrelespiedssouslatable.

Onserégala,etj’eusdroitàunconcertd’onomatopéesdepapillesreconnaissantes.

—C’estsuperbon,maman!Tupeuxfairel’émissionLesChefs,moijedis!

Jerissouscapeenvoyantmonfilsseresservirunetroisièmefoisdelatarte,danslaquelle

j’avaisglissédutofusoyeuxetdelacourgetteaumilieud’olivesetdetranchesdefromagede

chèvre.

Ilamangédelacourgette…Ilamangédelacourgette…

C’estsûr,çachangeaitdessurgelés…

Souvent,aprèslesouper,Adrienmeproposaitunjeudesociétéaveclui,maisjenem’en

sentaisjamaislecourage.Etpuis,n’avais-jepaspassél’âge?Quand,cettefois,jeluidisoui,il

enrestabouche-bée.Lalueurdejoiequibrillaalorsdanssesyeux,cettejoiecristallineque

seulslesenfantspeuventressentir,finitdebalayermesréticences.

Claudem’avaitsuggéréça.D’arrêterd’êtretropadulte.Demelaisserdavantagealleràdes

moments complices avecmon fils.«Le secret, c’est departiciper»,m’avait-il glissé avecun

clind’œildeconnivence.Mevoilàdoncenmodegamer(joueur,c’esthas-been),àessayerde

mereconnecteràmonenfant intérieur,cettepartiedemoi ludiqueetcréativetropsouvent

bridéeparmonmoiadulteresponsableetunbrinrabat-joie,m’avaitencoreexpliquéClaude.

Contre toute attente, je m’amusai. Et le visage heureux de mon fils valait toutes les

récompenses. Comblé dans son besoin de jeu et de présence, il se coucha sans faire

d’histoires.Unbonheur!

— Tu viens te blottir unpeu,medemanda Sébastien, installé sur le canapé, quand je lerejoignisdansleséjour.

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—Non,pastoutdesuite,répondis-jegentiment.J’aidutravail.

Ilparutsurpris,unbrindécontenancémême.Il fautdirequed’habitude,c’était toujours

moi qui quémandais de la tendresse. Pour une fois, les rôles étaient inversés. Peut-être

venais-jedetrouverlàlabonnedistancedel’élastique?

Jem’installaisurlatabledusalonavecmonordinateurportable,maisaussidupapieret

des crayons. Je commençai par le plus facile: le portrait chinois des personnalités que je

voulaismodéliser.

J’écrivispêle-mêle:

Jevoudraisavoirlasagessed’unGandhi,lasérénitéd’unbouddha,lagrâced’uneAudreyHepburn,lesensdesaffairesd’unRockefeller,lavolontéetl’abnégationd’uneMèreTeresa,lecouraged’unMartinLutherKing,l’ingéniositéd’unRouletabille,legéniecréatifd’unPicasso,l’inventivitéd’unSteveJobs,l’imaginationvisionnaired’unDeVinci,l’émotiond’unChaplin,etpourfinir,leflegmeetl’humourdemongrand-père!

Contente de mon brainstorming, je cherchai, puis imprimai les photos de toutes ces

personnalitéspourcréermontableaudementors.Jenem’attendaispasàceque l’exercice

mefasseautantdebien:touscesvisagesm’inspiraient,meressourçaient.Enlesregardant,je

tentaidepercerunpeudusecretdeleurtalent,etdem’imprégnerdeleurmodèlederéussite.

Jesentaisquecepetitexercicem’avaitpermisdemettreenlumièrecertainesdemesvaleurs

etd’affinerlavisiondelapersonnequejevoulaisdevenir.

Letableaudemesmodèlesavaitfièreallure!Jedécidaidel’accrocherenbelleplaceprès

demonbureau.Jecontinuaiensuitemesrecherchesdansmondomainedeprédilection, la

mode.J’explorailesbiosdegrandscréateurs,dontmonpréféré:Jean-PaulGaultier.

Jeparcourusavidementl’entréequiluiétaitconsacréesurWikipédia:

Àquinzeans,ildessinelesesquissesd’unecollectiondevêtementspourenfants.C’estaprèsavoirvulefilmFalbalasdeJacquesBecker,pourlequelMarcelRochasadessinétouslescostumes,qu’ilsedécideàfairedelacouturesaprofession.Ilenvoieundossieràl’entrepriseYvesSaintLaurent,maissacandidatureestrejetée.SescroquisvontalorsàPierreCardin.Le

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jourmêmedesesdix-huitans,ilintègrelamaisondecouture,oùilresteraunpeumoinsd’unan,avantderejoindrele«farfelu»JacquesEsterel,puis,en1971,l’équipedeJeanPatou.

Comment un homme aussi génial a-t-il pu être rejeté par la Maison Saint Laurent au

débutdesacarrière?Incroyable!

Cela me rappelait la petite histoire sur la persévérance que me racontait souvent mon

grand-père.

—Sais-tu qui est cet homme, né dans la pauvreté, et qui a dû toute sa vie supporter la

défaite?Ilauraitpuabandonnerdenombreusesfois,setrouvermilleraisonsdelefaire,mais

nelefitpas.Ilavaituneattitudedechampionet,àforce,ilenestdevenuun.Etunchampion

n’abandonnejamais.Enfant,ilaétéchassédesamaison.Ilaperdusamère.Afaitfailliteune

première fois. A été battu aux élections législatives. A perdu son emploi. A fait faillite de

nouveau etmis dix-sept ans à rembourser sa dette. Sa fiancée estmorte. Il a traversé une

gravedépressionnerveuse.Aétébattuà laprésidencede laChambredesReprésentantsde

l’Illinois,éluauCongrès,maispasréélu.Iln’ajamaisobtenul’emploid’agentdesterresde

sonÉtatnatal,pourlequelilavaitpostulé.Ils’estprésentéauSénatdesÉtats-Unisetaété

battu.Aprésenté sa candidaturepour la vice-présidence lorsde la conventionnationaledu

partietaobtenumoinsdecentvotes.Ils’estreprésentéauSénatetaétéencorebattu…Cet

homme,Camille,c’estleprésidentAbrahamLincoln!

Ilmeracontaitcettehistoire,etàlafin,ilavaitlesourireauxlèvres,contentdelachute.

Etmoi,est-ceque j’avaissupersévérertoutau longdemavie,ouest-ceque j’avaistrop

vite renoncé à mes rêves? Cette idée jeta une ombre sur mon humeur. Maussade, je me

dirigeaivers leplacarddufondducouloiretenressortisuncartonàdessins.Ensilence, je

memisàfeuilletermesesquissesd’unautretemps.Jenotai,ébahie,l’aisancedestraits.C’est

quej’avaisunsacrécoupdecrayon,àl’époque!Peut-êtreaurais-jepuenfairequelquechose,

si j’avaissuiviuneécolededessinau lieud’étudesdecommerce…Maismaintenant,c’était

troptard.Àcôtédescroquisacadémiques, jem’amusaisàrevisiterdesvêtementsd’enfants

ordinaires.J’imaginaisdesajoutsde tissus,dematières,demotifsqui leurconféraientune

originalitéindéniable.

— Hou là! Tu te mets la tête dans ces vieilleries? Nostalgie, nostalgie! me taquina

Sébastien,enpassantdanslecouloir.

Jeluijetaiunregardfuribond.

—Excuse-moi!Jeplaisantais!dit-il,enmefaisantunbaisersurlajoue.Ilssonttrèsbien,

tesdessins.Tuvienstecoucher?

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—Non,pastoutdesuite…Jeregardeencoreunpeutoutça.

Je caressai les feuilles de papier comme on caresse un rêve du bout des doigts. Et si je

décidaisdeluiredonnervie,àcerêve?Sébastiencomprendrait-il?Serait-ilàmescôtéspour

prendre le train du changement, ou resterait-il à quai? Cette question n’était pas sans

m’inquiéter…

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JeconfiaiàClaudemesinquiétudesconcernantl’évolutiondemarelationavecSébastien.Il

mefitprendreconsciencedecequecelapouvaitavoirdedéstabilisantpourmonmarideme

voirainsiremettremavieenquestion.Toutescestransformationsdevaientlebousculeren

profondeur.Jedevaisaccepterl’idéequ’unepériodedetransitionétaitnécessaire.Aprèstout,

je lui imposaismapetite révolution,alorsqu’iln’avait riendemandé! Il fallait lui laisser le

temps de s’adapter. Et puis, une telle période demutation s’accompagnait forcément, chez

monmaricommechezmoi,detouteunepaletted’émotions:lesrésistances,lesdeux-pas-en-

avant-trois-pas-en-arrière…

Ma peur était double, en fait: peur que Sébastien neme suive pas dansmon projet de

réorientationprofessionnelle,peurquenotrerelationcontinueàs’essouffler…

—Lapremièrechoseàsavoir,meditalorsClaude,c’estsivousl’aimeztoujours.

—Oui,biensûr,mêmesidesfois,jedoute.

—Souvent,cen’estpas l’autrequ’onn’aimeplus,c’estcequ’estdevenue larelation.Or,

dansuncouple,chacunestco-responsabledelaqualitédeséchanges.Sivousvoulezrallumer

la flamme,provoquezdes étincelles!N’attendezpas toujoursde l’autre l’initiative,nousen

avonsdéjàparlé…

—Maiscommentfaire?

—Endéveloppantvotrecréativitéamoureuseparexemple…

—Amusant!Dequellemanière?

—Vouspourriezluiécrireuntextod’amour3.0pourcommencer.

—3.0?Qu’est-cequec’estqueça?

— Eh bien, à l’heure où tout le monde écrit des messages en phonétique, prenez le

contrepied en lui envoyant des textos créatifs, bien écrits et, comble du chic, sans fautes

d’orthographe!

—Maisencore?

— Suivez votre inspiration! Cela dit, il existe quelques techniques. Vous identifiez les

centresd’intérêtdevotrecherettendreetvousenchoisissezun.Vousécrivezensuite,façon

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brainstorming, tous lesmots et toutes les expressions qui vous viennent, en lien avec ce

thème. Enfin, vous créez des rapprochements improbables de mots, vous inventez des

expressionspourécrireuntextesavoureux.Prenonsunexemple,sivousvoulez,çaseraplus

clair…Qu’est-cequilepassionne,votremari?

—Iladorelezen.Ilfaitduyoga.Etilrêvequ’onailleenInde.

—Parfait.Listonstouslesmotsliésàcethème.

Avecsonaide,jegriffonnaisurunefeuilledepapier:

Zen.Lotus.Fleurdelotus.Équilibre.Respiration,souffle.Paix.Beauté.Bulleintérieure.Jardinzen,méditation…

—Écrivezbientout,insista-t-il,ceseravotrematièrepremièrecréative.Etsouvenez-vous

de la règle du CQFD. C barré, pas de Censure ni de Critique. Q pour Quantité, il s’agit

d’émettreunmaximumd’idées.FpourFarfelu.Bienvenueà lui!Notezmême les idées les

plus folles et improbables. D pour Démultiplication. Une idée en entraîne une autre, ça

s’appellerebondir!

—Jem’ensouviendrai.Merci,Claude.

—Ensuite, croisez le vocabulaire du zen avec le vocabulaire amoureux, secouez bien et

découvrez lestrouvaillesrédactionnellesquienrésultent.Pensezaussiauxfiguresdestyle:

lesassonances–larépétitiond’unmêmesonvoyelle–,lesallitérations–larépétitiond’un

mêmesonconsonne–,lescomparaisons,l’emphase–l’exagérationdansleton–,l’oxymore

– l’alliancedemots au rapprochement improbable, comme la fameuse«obscure clarté qui

tombedesétoiles»deCorneille–,lalitote,quiatténueunedéclaration,comme«iln’estpas

laid» pour dire qu’il est beau, et tant d’autres.Mais plus important que tout: suivez votre

cœur!

—Çanecoûteriend’essayer.

Ce que je fis aussitôt, constatant que ce n’était pas aussi facile que ça en avait l’air.

Concentrée, le stylo suspendu dans les airs, je cherchai l’inspiration en laissant fuir mon

regardau-delàdesvitres…

JemisbienvingtminutesavantdeprésentermonlovtxtàClaude:

Monamour,Dehors,uncielbasetlourd,dedans,unsoleilauzénith:c’estl’effet-bonheurdeteretrouvercesoirdansnotremaison-bulle.Bulledechaleur,bullededouceur,jardinzenquid’unbaiserdevientjardind’Eden.Laisse-moiêtrelaFleurdeLotusdetesjoursetleLoodetesnuits,ceventbrûlantduRajasthan,poursoufflersurtesdésirscommesur

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lesbraisesd’unfeusacréetnousemmenerversdesrivagesoùseull’amouradroitdepassage…TaCamillequit’aime.

Claudelevaversmoidesyeuxébahis.

—Ehbien!Pourunepremière tentative,vous faites fort!Excellent,vraiment…Biensûr,

l’écritureamoureusen’estqu’unetechniqueparmid’autres.Touteautreformedecréativité

est la bienvenue pour river son clou au quotidien! Laissez aller votre imagination et votre

intuition,osezvos idées.Vousverrez:nonseulementvousallezbienvousamuser,maisen

plus,vousaureztôtfaitderaviverlaflamme…

—Vousditesçaparcequevousaveztesté?

—Quisait…

Encouragée par cet essai prometteur, je décidai de lancer dans les jours qui suivirent

l’opérationB.L.:Big Love. Je commençai en douceur, l’air de rien, par un texto quotidien.

Puis j’intensifiaipeuàpeumontravaildereconquêteduterritoireamoureux,enminant la

maison demots doux sur des post-it que Sébastien découvrait entre deux oreillers, ou en

ouvrantleplacardàbiscuits…

Jen’obtinspastoutàfaitlesrésultatsescomptés.Àvraidire,ilsemblaitplussurprisque

séduit. Comme si ces soudaines démonstrations d’amour lemettaient sur la réserve. Bien

sûr,ilmesouriait,m’embrassaitpourmeremercier.Ilavaitmêmel’aircontent,unpeu,mais

pascontent-contentcommejel’espérais.Jesentaisbienquequelquechoselechiffonnait.En

yréfléchissant,jemedisqu’ildevaittrouvermonattitudeunbrincontradictoire…D’uncôté,

je faisais tout pour me rapprocher de lui et raviver la flamme entre nous, de l’autre, je

m’affranchissaischaquejourunpeuplusdelui,denouveauxprojetspleinlatête,luioffrant

l’imaged’unefemmesûred’elleetdesestalents.Àlapoubelle,lamendiantedel’amour!La

nouvelleCamilleavait leventenpoupe.Cetteautonomiesentimentaleauraitdû leréjouir.

Or, il restait circonspect. Il avait l’air d’attendre de voir. J’espérais que, bientôt, mon

changementd’attitudeàsonégardetmesjeuxamoureuxauraientraisondesesréticences…

Enattendantcetheureuxjour,jecontinuaimonlenttravaild’introspectionpourdécouvrir

quiétaitlavéritableCamille,laCamillecréativeetaudacieusequisauraitmeremettresurle

chemin demes rêves. Jem’attelai donc à en dessiner le portrait, créant un photomontage

original: je découpai des photos dans lesmagazines, collait ma tête sur une silhouette de

belle femmedans le vent, lui ajoutaiun cartonàdessins sous lebrasd’où jaillissaientdes

croquisdevêtementspourtout-petits…Jedécoupaides lettresà la typographievariéepour

reconstituerdesmotsetlescollaiharmonieusementsurlaplanchedestyledemavierêvée.

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Confiance,audaceetdéterminationtrouvèrentainsileurplacedanslacomposition.Lajupe

quejeportaissurl’image,jeladessinaiaveclesmots«créativité»et«générosité».J’incrustai

égalementlesphotosdemonfilsetdemonmarisurdessilhouettesdemagazines,dansdes

postures vivantes et rigolotes…Le tout commençait vraiment à être à l’image de ce que je

voulaisdevenir:vivant,créatif,ambitieux,drôleetgénéreux!

Satisfaite,jeprislemontageenphoto,etl’envoyaiàClaude,dontlaréponsenetardapas:

Magnifique!Jevoisquevotrerêveprendforme.Petitàpetit,nouscontinueronsàlepréciser…LanouvelleCamilleestentraind’apparaître!Pourcontinuervotrechemindetransformation,jevousproposedemerejoindrejeudivers12h30aun°59delarueSaint-Sulpice,dansle6e.Bonnenuit…Et…aufait…aulieudecompterlesmoutonsavantdevousendormir,cesoir,repensezàtroischosesagréablesoufavorablesquivoussontarrivéesdanslajournée.C’estradical,vousverrez!Claude.

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Ensortantdumétro,jemedemandaiscequeClaudemeréservaitcommesurprisecettefois.

Ilavaitunefaçonbienàluidemettreenscènesesleçonsd’être,d’illustrergrandeurnature,

maisdefaçonmétaphorique,certainsdesesconseilsoupréceptes.Jeristouteseuledansla

rueenrepensantà la têteque j’avaisdû faire, lorsque j’avaiscomprisqu’ilvoulaitmefaire

monterdansunemontgolfière!Toutçapourquejemedébarrasse,àlafoissymboliquement

etconcrètement,detoutcequimepolluaitl’esprit…Etcesentimentdebien-être,unefoislà-

haut! Métaphore encore d’un bien-être plus grand à venir et gratification immédiate,

concrète.Lagaleriedesmiroirsdéformants…trèsparlant,çaaussi.Etaujourd’hui,qu’est-ce

queçaallaitêtre?JemesurprisàpresserlepasenarrivantrueSaint-Sulpice,pouratteindre

plusvitelen°59,commeunepetitefilleimpatiented’ouvriruncadeau.

J’arrivai devant un établissement tout en vitrines, à la devanturemoderne et claire, au

mobilierintérieurquimesemblatrèsdesign.Jemisquelquesinstantsàcomprendredequoi

ils’agissaitetjepoussailaporte,àlafoisintriguéeetamusée:Claudem’avaitfaitvenirdans

un… bar à sourire! Concept qui me fit… sourire! Je savais que ça existait, bien sûr, mais

c’étaitlapremièrefoisquej’entraisdanscegenredeboutique.

Il m’attendait, perché sur un tabouret haut, à tu et à toi avec la patronne. Ils

m’accueillirenttousdeuxchaleureusement.J’eusl’impressiond’êtreunecandidate,dansune

émissionderelooking. Claude voulaitm’offrir une formule «Éclat». Celame gêna,mais il

insista:pourlui,celafaisaitpartiedelaformationetduprocessusglobal.

La patronne nous installa alors dans une petite cabine, et Claude profita des quelques

instantsd’attentepourmeparler.

— Camille, vous imaginez bien que je ne vous ai pas fait venir ici uniquement pour la

beautédevosdents…

—Jem’endoute!Jecommenceàvousconnaîtreunpeu.

Souriresdepartetd’autre.C’étaitdecirconstance!

—Outre l’importancedesoignersesdents, je suissurtout làpourvousrappelercellede

votreCapitalsourire.Carvotresourirepeutfairevotrerichesseplussûrementqu’unticketde

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loto!

—Vousn’exagérezpasunpeu,là?

Ilnetintpascomptedemaremarqueetpoursuivit:

—Unsourirenecoûterienetilapourtantuneinfluenceconsidérablesurvotreentourage

commesurvotrepropremoral.Lebénéficeestdouble!Vousconnaissezbiensûrlesparoles

de l’Abbé Pierre? «Un sourire coûte moins cher que l’électricité, mais donne autant de

lumière.» Il amêmeétédémontréqu’un sourire sincèreoffert àquelqu’unpeut entraîner,

par réaction en chaîne, jusqu’à cinq cents sourires dans une journée! Sans parler de ses

bienfaitssur lecerveauetsur lecorps!Savez-vousqu’uneétuderécentemenéeauxUSAle

prouve? Des scientifiques ont demandé à des volontaires de tenir une baguette dans la

bouche. Ceux du premier groupe devaient la tenir sans expression sur le visage. Ceux du

deuxième groupe devaient le faire en se forçant à sourire. Ceux du troisième groupe, en

souriantnaturellement.Àpartirdelà,onlesasoumisàdiversexercicesstressantstelsque

plonger les mains dans l’eau glacée. À chaque exercice, on relevait les variations de leur

rythme cardiaque. Dans le groupe dont l’expression devait rester neutre, le rythme s’était

sensiblement accéléré.Dans le groupe au sourire forcé, les relevés attestaient d’un rythme

cardiaque bien moins élevé. Mais c’est dans le groupe au sourire naturel que le rythme

cardiaque était le plus lent… Que retenir de cette expérience? Que le fait de sourire,

naturellementounon,réduitleseffetsdustresssurl’organisme.Là-dessus,lesscientifiquessontformels.L’explication:lecerveauinterprètelesourire,qu’ilsoitnatureloupas,comme

unétatdebonnehumeuretlibèredeshormonesdesérénité.Cen’estpasbeau,ça?

—Si,eneffet!

—Vous voyez, Camille, sourire vous permet non seulement d’être plus aimée des gens,

d’êtreplusheureuse,maisaussidevivrepluslongtempsetenmeilleuresanté!Sansparlerdu

faitquevousêtestellementplusbellequandvoussouriez…Votrevisageenesttout illuminéet vous avez l’air plus jeune. L’étape suivante, c’est d’apprendre à faire vivre votre sourire

intérieur.

—Monsourireintérieur?

— Oui. C’est un sourire tourné vers soi-même, sourire qui apporte la fameuse paix

intérieure. Une quête, un Graal, qui nous semble souvent inaccessible à nous, pauvres

Occidentauxenmalde spiritualité…Il fautdirequ’aujourd’hui,nousn’avonspasvraiment

accès à quelqu’un capable de nous donner ce type d’enseignement, ni sur les bancs d’une

université,entreuncoursdemarketingetundejuridique…Alorsqu’auxtempsanciens,les

maîtrestaoïstesenseignaientl’artdecesourire-làetexpliquaientqu’ilétaitgarantdesanté,

de bonheur et de longévité. Car se sourire à soi-même, c’est commeplonger dans un bain

d’amour. Non seulement le sourire intérieur donne une énergie réconfortante, mais il

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possèdeaussiunpouvoirdeguérisonnonnégligeable!

—Waouh!Etconcrètement,commentjefaispourlecultiver?

—Vous pouvez vous entraîner quelques instants, tous les jours…Chaque fois que vous

avezunpetitmomentdelibre,asseyez-voustranquillement,relâchezbientouteslestensions

de votre corps, desserrez les mâchoires en entrouvrant légèrement la bouche. Prenez

conscience de votre respiration et de la profonde relaxation qu’elle vous apporte,

physiquement.Chérissezcesoufflevitaletimaginezqu’ilagitcommeunmassageintérieur.

C’est à ce moment-là que vous pourrez commencer à sentir le sourire intérieur: vous

éprouverez un bien-être profond, un lâcher-prise bienfaisant, une douce sérénité. Vous

pouvezaussivisualiserunefleurquis’épanouitauniveaudevotreplexus…

—Franchement, Claude, je ne sais pas si j’arriverai à être suffisamment détendue pour

fairecegenredechose.Jesuistellementspeed!

—Neprésupposezpas!Faitesl’expériencequelquesjours.Vouspourriezêtreétonnéedu

résultat!Audébut, c’estnormald’avoirdumal à tenir enplace.Puis au fil des jours, vous

prendrezunréelplaisiràretrouvercetétat.C’estunpeucommelecielbleu…Vousaimezle

beaucielbleudesjoursd’étéenborddemer?

—Ah,çaoui!C’estmerveilleux!Maisici,onestdanslagrisailletoutl’année…

—Ehbien,retrouver lesourire intérieur,c’estunpeucommeretrouvervotrebeaucarré

decielbleu,etceladèsquevousledésirez.Mêmequandlecielestchargédenuages, ilest

toujoursaussibleu!Demême,quandvotrehumeurestmaussade,àl’intérieurdevous,ilya

toujourscemagnifiquecielbleuquivousattend.Ilfautjusteapprendreàs’yreconnecter…

—C’estbienvendu!Bravo!Çadonneenvie…

Unejeunefemmepénétraàcetinstantdanslacabine.Monsoinallaitcommencer.Claude

s’éclipsa.Jemelaissaifaire,impatientedevoirlerésultat.Puisjepusadmirermonnouveau

souriredanslaglace.Impressionnant!Lesoinavaitététrèsefficace!Enchantée,jerejoignis

Claudequiavaitreprisplacesursontabouretetdiscutaitavecunclientquiattendaitqu’une

cabine se libère, selon toute vraisemblance. Il le salua dès qu’il me vit, et s’avança à ma

rencontre.

—Vousvoilàmaintenantparéepoursourireàpleinesdents,Camille!Maisrappelez-vous:

ilestencoreplusbeauquandilvientdel’intérieur…

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Dans l’après-midi qui suivit, j’expérimentai les enseignements de Claude dans la rue. Je

décidaidememettredans lapeaudeCatherineDeneuve.J’étrennaimonsourire toutneuf

surleshommesquejecroisais,toutenaffichantl’affriolantedésinvolturedelafemmesûre

desoncharme.Jem’évertuaiàfairerimerconfianceetélégance,enhommageàmonmodèle

féminin.

Les résultats furent surprenants: quatre interpellations en vingt minutes! Les deux

premiersmessieurspourmedirequej’avaisuntrèsjolisourire.Letroisièmepourm’inviter

à boire un café. Le quatrième pour me donner sa carte en vue d’un rendez-vous galant…

Inutile de dire que mon estime personnelle était remontée en flèche! Je savourai ce

sentimentnouveau,cettegriseriedeconstatermonpouvoirdeséduction.Etdiscrètement,je

posaiunepetiteancre.Pourlesjoursgris.

Aubureau,monchangementd’attitudenepassapasnonplus inaperçu.Pourm’amuser,

j’entrais dans la peau demesmentors au gré des circonstances. Ici, dans celle d’un Steve

Jobs,etj’étaisalorsincroyablementplussûredemoi.Là,danscelled’unGeorgesSt-Pierre,

habitée toutà coupd’une force tranquilleà touteépreuve.C’étaitdevenuun jeuavecmoi-

même et je m’émerveillais de ses effets sur mon mental et mon environnement

professionnel.J’avais l’air tellementplusposéequecela semblait imposer le respectàmes

collègues, d’habitude toujours prompts à l’humour potache, voire aux sarcasmes. D’autant

que cette transformation s’accompagnait d’un enthousiasme inhabituel pour ce qui avait

constituépourmoi, cesderniersmois,uneactivité ennuyeusepournepasdirenauséeuse.

Cela suite au conseil de Claude, bien entendu, qui m’avait convaincue d’adopter le «faire

commesi».Uneposturepsychologiquequiconsistaitàfairecommesicetravailétaitleplus

passionnantdumonde.«Prenez toutcequ’il yad’intéressantàprendre,vivez leschosesà

400%,aulieudevivoteretd’attendreenruminantqu’unprovidentielchangementtombedu

ciel»,m’avait-ildit.

Depuisquelques jours,donc, jem’impliquaisà fond,souriaisà toutva,cequin’échappa

pasàmonboss.

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—Camille,çafaisaitlongtempsquejenet’avaispasvuecommeça…Tuesenformeence

moment,etçameplaît!Tuessûrequetuneveuxpasrepasseràtempsplein?Réfléchis…Ça

pourraitêtrevraimentbien.

Je n’en revenais pas! Je sortais du placard et j’étais portée aux nues dans le même

mouvement. Incroyable! J’étais flattée et éprouvais secrètement un petit sentiment de

triomphe.Est-cequeçaneressemblaitpasàunerevanche,ça?Enmêmetemps,était-cede

celadontj’avaisenvie?

Quoiqu’ilensoit,madéferlantepositivecontinuaitàs’étendredans lesbureaux.Même

Crâned’œufmeregardaitd’unœilneuf,etl’idéequejeluienbouchaisuncoin,aprèstoutes

lesremarquesdoucereusespournepasdireperfidesque j’avaisessuyéesdesapart,n’était

passansmeréjouir!MaislanouvelleCamillen’avaitpasdetempsàperdreaveccegenrede

satisfactionsnégativesetstériles.LanouvelleCamilles’étaitengagéeauprèsdeClaudepour

jouerlejeudetouslesexercicesqu’illuiproposait,etl’und’eux,commemelerappelaitun

desesmessages,m’invitaitàallerau-delàdesapparences:

Chacunméritequ’onluidonneunechanced’êtreconnu.Encorefaut-ilbaisserlagardedujugement,desapriorietdesinterprétations.Jevousmetsaudéfidevousrapprocherdequelqu’unquevousn’aimezpastroppourfaireplusampleconnaissance…

Franchement?J’avaisautantenviedemieuxconnaîtreFranckqued’allermependre!En

repensantauxnombreusesfoisoùilm’enavaitfaitvoirdetouteslescouleurs,j’étaisplutôt

tentéedeletenirbienàl’écart…Cependant,mieuxleconnaîtreétaitl’unedescasesàcocher

dansmonCahierdesengagements,et«pasfait»n’étaitpasuneoptionenvisageable!

Unjeudimatin,jeprisdoncmoncourageàdeuxmainsetm’approchaidesonbureau.

—Dis-moi,Franck,tufaisquelquechosepourlelunch?Çafaitlongtempsquejeveuxte

proposerqu’onmangeensemble,histoiredeprendreletempsdediscuterunpeu…

Jesentisunfrémissementdestupeurdanstout lebureau.Lesautresn’enperdaientpas

unemiette.Franckglissaunregardobliqueverssescamarades,commepourlessondersurla

réponsequ’ildevait fournir.Dansunbeaumouvementdesolidarité, touspiquèrentdunez

surleurclavier.

—Euh,oui,pourquoipas,lâcha-t-ilenfin,encoretoutdéstabiliséparmademande.

Nous nous retrouvâmes donc pour le repas de midi, lui devant son steak tartare, moi

devantmasaladeniçoise,dansunjeuderôlesinversé.Ilgigotaitsursachaise,visiblement

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malàl’aise.Luiqui,d’habitude,mefaisaitenrageretmeraillaitavecunaplombbiencampé,

il était complètement dérouté par ma gentillesse inattendue. Le coup des masques qui

tombent…

J’entreprisdedétendre l’ambiance enmettantde l’huilepourque ça glisse: bonspetits-

sourires-des-famillesetfleurssursestalentsdecommercial.—Jenetel’aijamaisdit,maisj’admiretatechniquedevente.Çanem’étonnepasquetu

soisnuméroundansl’équipe!

Ilrositsouslecompliment.Jenel’avaisjamaisvucommeça!

—Camille,dit-ilalorsd’unairgrave,jen’aipastoujoursététendreavectoi…Jevoudrais

m’enexcuser…Tusaiscequec’est,onveutfaire lemalindevant lescopainsetonfinitpar

êtreprisàsonproprejeu.Envérité,jet’aitoujourstrouvéetrèscourageusedetravaillertout

ent’occupantdetonfils…Vraiment!

Cefutàmontourderosir.Oneffaçanotrelignedéfensived’unfrancsourireetlerestedu

dînerfutbeaucoupplus léger.Ilavaitunepassionpour l’aéromodélismeet faisaitvolerses

propresenginsminiatures.Sesyeuxbrillaientcommeceuxd’unenfantquandilenparlait.Il

meconfiaaussisalassitudedeceboulot,parfois.Sonimpressiond’enavoirfaitletouretson

manque d’ambition, cependant, pour oser en changer. Nous finîmes par parler de nos

famillesrespectivesetj’apprisavecsurprisequ’ilavaitdivorcél’annéeprécédenteetcombien

celaavaitétédurpourlui,surtoutd’êtreséparédesesenfants…

—Jesuisdésolée,jenesavaispas…

—Jen’enaiparléàpersonneaubureau.

C’étaitmoi,àprésent,qui leregardaisd’unœilneuf,unpeuhonteusedemonjugement

hâtifetpeunuancésurlui.Sansdoutequesonhumoursarcastiqueluiavaitservidebouclier

pour nous tenir à distance et ne rien laisser transparaître de sa blessure à vif. Comme on

pouvaitsetrompersurlesgens,quandmême,fautedeleurprêterunevéritableattention,de

prendreletempsdelesconnaîtremieux!Engrattantunpeu,jedécouvraisencecollèguede

bureauquimefaisaitl’effetd’unhérissontoujoursprêtàdardersurmoil’undesespiquants,

unhommesensibleetplutôtattachant.

Nousquittâmeslerestaurantrepusdeparoles.

—Çam’afaitdubiendeteparler,medit-ilsimplement.

—Oui,c’étaitunbonmoment.Àrefaire?

—Oui,àrefaire.

Ilmedécochaungrandsourire.

Çaaussi,cefutunechosequejedécouvris,cejour-là:lesouriredeFranck.

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Jen’avais pas eu lesmains aussimoites depuismes orauxde fin d’études. J’avais rendez-

vousau cabinetdeClaudepour lebilandesquatremois.Oui,quatremoisdéjàque j’avais

commencémonprogrammePapillon,commejel’appelais.Pourl’instant,j’avaislachrysalide

encorecolléeaucorps.Mais lamétamorphoseétait encourset,déjà, jemesentaisunpeu

une autre. J’avais l’impression d’avoir vécu ces quatremois plus intensément que les cinq

dernièresannées!Jemetrouvaisun incroyableregaind’énergieetuneacuité intellectuelle

accrue.Claudeexpliqueraitpeut-êtrelephénomèneparunaccroissementdesendorphineset

autreshormones,dont letauxaugmenteaveclapenséepositive, lesourire, lesentimentde

redevenirmaîtredesavie…

Ilmereçutchaleureusement.

—Vousallezbien?

—Oui,çava,Claude.J’ail’impressionqueleschosesavancent!

—Bien.Nousallonsfairelebilandevosavancéesdansvosobjectifs.Vousêtesd’accord?

—Oui,oui.

—Voyonslesobjectifsphysiques,pourcommencer.Vousm’avezapportévotreCahierdes

engagements?

—Oui,levoilà.

Jeluitendisnerveusementlepetitcahieràspirales.

Danslescasescochées,leschosesfaites:

Sourireàaumoinsdixpersonnesparjour.Prendreplussoindemoi(soinscorporelsetesthétiques)etdemonallurephysique.Choisirunlookpourmettreenvaleurmapersonnalité.

—J’airemarquéquevousaviezparfaitementdéveloppécepoint,Camille,félicitations!

Perdrequatrekilos.

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Casenoncochée.

—Voyonsçatoutdesuite…

Ilmemontraunpèse-personneetm’invitaàmonterdessus.Jedéglutis,appréhendantle

résultat.

— 54,8 kilos. Vous avez perdu 4,2 kilos. Bravo, Camille! Vous pouvez cocher la case,

maintenant!

Joie!J’avaisenfinperdumeskilosdetrop!

Claudecontinuaàexaminermaliste.

Faireunegyminvisibleentouslieux.

Casecochée.

Expérimenterlacréativitéamoureuse.

—Vousaveznoté«encours»?

Jemeraclaiunpeulagorge,puisluiexpliquai:

—Oui,jesuisentraind’essayerdifférenteschoses.MaisSébastiennesemblepasencore

réceptifàcentpourcent…

— C’est normal. Tous ces changements doivent lui faire une drôle d’impression.

Persévérezendouceur,jesuissûrqueçaporterasesfruits…

—Nousverronsbien!

—EtleCarnetdupositif?Vousavezpuleteniraufuretàmesure?

—Oui,levoilà.

Claudefeuilletalerépertoiredanslequelj’avaisinscritmesrécentssouvenirsagréables:

D:DéjeunerréussiavecFranck,monanciennebêtenoiredubureau.R:Régalpourtoutelafamilleavecundélicieuxplatcuisiné.

S:Séduction,quatremessieursm’abordentparcequ’ilsmetrouventcharmante.J:JeudesociétéavecAdrien,unvraimomentdecomplicité!F:Floraison,monrosierm’afaitunenouvellefleur!

—Camille,jetiensàvousdirequejesuisfierdevous!Jecroisquevousavezméritéceci…

Il ouvrit un tiroir et me tendit la jolie boîte enrubannée, dorénavant familière. Avec

émotion, j’y découvris un nouveau Charms: un lotus vert, cette fois, que j’accrochai àma

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chaîne,où il rejoignit lesdeuxautres.Encoreunnouveaupalier franchi!Ceinturevertedu

changement…Çacommençaitàdevenirsérieux.J’offrisàClaudeunsourirecalmeetposé–

lesourired’unepersonnequiauraitbeaucoupmûrienpeudetemps–,maisàl’intérieurde

moi,c’étaitRio.J’avaisenviedecourirdanslarue,desauteraucoudespassants,desortirles

vuvuzelas! Je ressentais la même joie que mon fils quand il décrochait un A en dictée.

J’auraispucourirm’acheterunsacdebillesousablerunebouteilledeChampomy…

Claudemeramenasurterre.

—Vousavezfaitunjoliboutdechemin,maisvousn’êtespasencoreauboutdelaroute!

Sivouslevoulezbien, jevousproposedetravaillerunmomentsurvosprochainsobjectifs.

D’accord?

J’acquiesçai.

Uneheureplustard,nousrelisionsensemblelalistequis’étirait:

Continueràinstaurerdebonnespratiquespourplusdezénitudeetd’harmonie.PoursuivrelareconquêteamoureusedeSébastien.DécrisperlesrelationsavecAdrien.Poserducadretoutendéveloppantunerelationharmonieuse.Clarifiermonnouveauprojetdevieprofessionnelle. Étudiersafaisabilitéetlespistesdesamiseenœuvre.Passeràlaréalisation.

Puisjepoussaiunprofondsoupir.Direquequelquesinstantsauparavant,jebondissaisde

joie!Claudeperçutmondécouragement,carilreprit:

—Confiance,Camille.Avecletempsetlapatience,lafeuilledumûrierdevientdelasoie.

Continuezàvousconcentrer,tâchepartâche,missionparmission.

—Merci,Claude.Mercivraimentpourtoutcequevousfaitespourmoi!

Il me serra chaleureusement la main, visiblement heureux de suivre ma progression.

Combiendegensétaientmotivéscommeill’était,pouraideruneautrepersonneàfaireson

chemin et miser sur une hypothétique réussite pour espérer être payé en retour? Je le

trouvaisunbrinutopiquemaisaufond,admirable…

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Courageusement, je continuai, jour après jour, à appliquer les conseils de Claude. Je

connaissais maintenant par cœur les «bonnes pratiques» pour être du côté du cercle

vertueux.Maiscommeilmeledisaitsouvent,leplusimportantn’étaitpasdesavoir,maisde

faire!Ilneselassaitjamaisdevanterlesavantagesdelarégularitéetdelaténacité…

À la fin de ce quatrième mois, j’eus l’impression d’avoir passé un seuil critique: je

commençaisréellementàappréciermanouvellefaçondevivre,manger,bouger,penser…Je

touchaisdudoigt cette fameuse réconciliation corps/espritdontparlent tant lesdisciplines

orientales. Mes quelques minutes quotidiennes de gymnastique et d’étirements m’avaient

définitivement reconnectée à mon corps. Corps que, pour ainsi dire, je n’habitais pas

vraimentauparavant.Jefinisparlesapprécier,ces mouvements,etmêmeparrechercherlessensationsqu’ilsprovoquaientenmoi.

Lorsque je marchais dans la rue, je m’appliquais par instants à imaginer mon corps

commeuntraitd’unionentrelecieletlaTerre,àmesentirreliéeàungrandtoutetnonplus

àme considérer comme un élément isolé, perdu dans la nature. Je pris conscience à quel

point j’avaispuêtrecoupéedemessensations.Mais j’étais résolueàhabiterdorénavant le

présent.Finiletempsperduàruminerlepasséouàmetourmenterpourl’avenir.Quec’était

reposant!

Jeme rendis compte également du rôle que pouvaient jouer la nature et l’oxygénation

dansl’améliorationdemasantéphysiqueetpsychique.Moiquiavaisgrandidanslebétonet

la pollution, jem’étais persuadéeque jen’aimais pas lanature: jem’en étais fait une idée

erronée,imaginantdesmillionsdepetitesbestiolesrampantesouvolantes,cachéesdansde

vastes étendues vertes et silencieuses, d’un ennui mortel. Renouer avec Dame Nature

m’apporta un réconfort insoupçonné. Jamais je n’aurais pensé pouvoir retirer une telle

énergiedesmerveillesqu’ellemetànotredisposition!

Unjour,Claudedécidadem’initierà l’Ikebana,art floral japonaisquiprocuredétenteet

apaisement, en instaurant un dialogue silencieux avec la nature.Nous partîmes donc pour

une balade champêtre, sécateur à la main, afin de cueillir des végétaux inspirants. Puis,

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guidéeparlui,jem’amusaiàcomposerune«poésievégétale»,cherchantunsubtiléquilibre

deformesetdecouleurs.

Moiquineprenaisjamaisletempsdemeposer,jepassaisdorénavantplusieursminutes

parjouràméditerdevantmonâtrezenaménagé,inspiréduTokonomajaponais,cetteniche

décoréed’unkakémonoquiabriteunecompositionfloraled’Ikebanaainsiquediversobjets

symboliques,chandelier,statue,objetd’art…J’avaistrouvélepetitcoinidéaldanslamaison,

unanglemortdanslefonddusalon,jusque-lànoninvesti.Parterre,jeposaiunvaselonget

épurépourymettremes créations floralesd’Ikebana.Aumur, je fixai trois cases cubiques

designdetaillesdifférentes.Chacuned’ellesrecueillaitdesobjetssymboliquesinspirantset

ressourçants: lapremière,unbouddharieuràcôtéd’unejoliecartepostalecomportantune

citation–«Fairecequetuaimes,c’estlaliberté;aimercequetufais,c’estlebonheur»–,la

deuxième,unebellebougieetmestrois livrespréférésdumoment, latroisième,unephoto

de famille nous représentant tous les trois et une statuette de Shiva, bon et vénéré dieu

hindou, souvent présenté comme «celui qui porte bonheur». Quelques coussins colorés

jolimentdisposésausolinvitaientàunepausemoelleuseetcontemplative.

Ainsi,quandjemesentaisstressée,jem’offraisquelquesinstantsdepaixdanscetendroit,

fixantlaflammedemabougiejusqu’àmesentirhypnotisée.

Ce changement de philosophie de vie me nourrissait de l’intérieur et, semaine après

semaine,jemetrouvaisbeaucoupmoinsanxieuse,moinsagitée.Jeprisaussiconscienceque

j’avais tendance, avant, à focaliserma pensée surmes insatisfactions…De quoi entretenir

unemorositéchronique!

Claude m’avait donné un antidote à cette morosité: pratiquer tous les jours quelques

instantsdegratitude.Jeme levaisdoncchaquematinavecunremerciemententête,etme

couchais chaque soirdemême.Mercid’avoirun fils enbonne santé,d’avoirun toit,d’être

dansunpaysenpaix…Mercid’avoiruncompagnonàmescôtéspourm’aimeretm’épauler.

Jeprismêmel’habitudederemercierpourdeschosesplusinsignifiantes:unetassedecafé

fumantaupetitmatin,unetarteauxpommespartagéeaveclesmiens,unrayondesoleilprès

d’unlac…

Jegardaisaussiàl’espritl’idéedeprendresoin,touslesjours,desobjetscommedesgens

autourdemoi.Prendresoind’uneplante,d’unanimal,desoi,desesêtreschers,maisaussi

detoutepersonnecroiséesursoncheminquienauraitbesoin.«Onn’avécuqu’àlahauteur

de ceque l’onadonné»,m’avait souffléClaude,une fois, à juste titre. Ilm’avaitd’ailleurs

envoyé un livre de pensées duDalaï Lama pour nourrirmon changement dementalité. Il

avaitprissoind’ensurlignerquelquespassages.

Certainesphrasesmemarquèrentplusparticulièrement,dontcelle-ci:

«Endéveloppantl’altruisme,l’amour,latendresseetlacompassion,onréduitlahaine,le

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désirou l’orgueil.»Cesvaleursfaisaientéchoenmoi,maisparfacilité,parnégligence,jelesavaisdélaissées

cesdernièresannées…Lesecret,c’étaitdene jamaiss’arrêterdepratiquer.D’ypensertous

lesjours.Sansça,lenaturelrevenaitaugalop!Etlesmauvaiseshabitudesaussi…

J’aimaisbienégalementcettecitation:

«Certainsregardentlavaseaufonddel’étang,d’autrescontemplentlafleurdelotusàla

surfacedel’eau,ils’agitd’unchoix.»

Unebelleillustrationdelavisionquelesunsetlesautrespeuventavoirdelavie.Petità

petit, je pris conscience de ce qui construisait le bonheur: le fait de s’engager, dans une

relationamoureuse,unefamille,untravail,peuimporte!

Quantàcequidonnedusensàlavie,ilmesemblaitàprésentquec’étaitdesavoirdonner

lemeilleurdesoienseservantdesesqualitésprofondes,cellesquifondentnotrevéritable

identité. Être bon dans ce qu’on fait et être bon avec les autres… N’était-ce pas la clé de

l’épanouissement?

Certainspourraientobjecterqu’ilsnesontbonsàrien.Qu’ilssontmêmemauvaisentout.

J’avaismaintenantlaconvictionqueceuxquipensentainsiontsimplementtropdetoxines

danslemental.Labonnenouvelle,c’estqu’ilesttoutàfaitpossiblededétoxifiersonesprit

pour que se révèle son potentiel de développement. Tout le monde possède des qualités

propres.Ilsuffitdelesidentifier,puisdelesfaireprospérer.Onobtientalorsl’essencemême

decequifaitlemeilleurdesoi,ungisementbienplusprécieuxquetoutl’ornoirdumonde.

J’enétais làdemesréflexions, lorsque je reçusunmessagedeClaudequi faisaitéchoà

mesproprespensées:

BonjourCamille!Auprogrammedestroisprochainessemaines,penséepositive,autosuggestionetméditation…Vousallezavoirdupainsurlaplanchepourcontinueràinstallerlesbonnespratiquesquotidiennesdereprogrammationdevotremental!Maisc’estpourlabonnecause,n’est-cepas?

Jedemandai:

Pourquoitroissemaines?

Ilmeréponditaussitôt:

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C’estleminimumdetempsqu’ilfautpourqu’unchangementsemetteenplaceetcommenceàdevenirunehabitude…

Il m’avait envoyé parallèlement un petit colis. Je défis fébrilement l’emballage, et

débarrassaienhâte l’objetdesacoquedepapier-bulle.C’étaitunesortedebonbonnièreen

verretransparent,assezjolie,maisquimelaissacirconspecte!Claudeavaitglisséàl’intérieur

unrouleaudepapier.Jedévissai lecouvercleetmesaisisdumessage.Le textecourait sur

deuxlonguespages.

Camille,Voici votre rumignotte…Ce sera votre cagnotte anti-ruminationetpenséesnégatives.Leprincipe?Vousmettrezuneurodedanschaquefoisquevousaurezdespenséesoudesparolesnégativesoustériles.Jenepeuxquevoussouhaiterdenepasdevenirricheparcebiais!Je ne vous le répéterai jamais assez: lapenséepositive a un réel impact sur votrecorpset votrepsychisme.Desétudes très sérieuses leprouvent!Tenez,unexemple…Uneexpériencemenéepardes scientifiques… Ils remplirentd’unemêmequantitédeterre deux contenants à peu près de la grosseur d’une assiette à dessert. Puis ilsplantèrent vingt-trois semences de gazon dans chacun des récipients, avec la mêmequantité d’engrais. Ils les installèrent dans une serre, non loin l’un de l’autre, pours’assurer que chacun recevrait exactement la même quantité de soleil par jour, etjouiraitdesmêmes conditionsde températurependant lapériodedegerminationdesgraines.La seule variante était la suivante: chacun à leur tour, et trois fois par jour, leschercheurs s’installaient devant chaque contenant. Devant le premier, ils proféraientdesmotstrèsnégatifs,desattaquesverbales…«Jamaisriennepousseraici,riennevase passer, ça ne donnera jamais du gazon, je doute vraiment que cette terre-là soitfertile et puis,même si çapousse, je suis sûrque ça va finirpar sécher etmourir…»Devant le second pot, leur attitude était au contraire confiante et leurs proposagréables. Ils ne disaient que des choses très positives sur la germination et lapossibilitédevoirlegazonpousser.«J’aitellementh^atedevoircegazonpousser,çava être extraordinaire! Il fait beau, la chaleur est parfaite, ça va aider les graines àgermer.J’ailespoucesverts,toutcequejesèmeréussit…»Troissemainesplustard,unephotodesdeuxcontenantsaétépubliéedanslecélèbreTimeMagazine.Inutiledevousdirequedupremier,exposéauxcommentairesnégatifs,n’étaientsortiesquedeuxou troispetitespousses,contrairementausecond,quiétaitremplidegazon,ungazonvertetfoncé,profondémentenracinédanslesol,solide,fort,haut.Vousl’avezcompris,Camille:nosparolesontunevibration.Notreattitudeaussi.

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Si elles ont une telle influence sur des semences, imaginez l’effet qu’elles peuventproduire sur des êtres humains! Voilà pourquoi il faut faire attention à son dialogueintérieur autant qu’à ses propos extérieurs. Pourquoi ne pas commencer dèsaujourd’hui?Àbientôt…Claude.

Jefusimpressionnéeparcettedémonstrationettouteprêteàessayerdechanger.Maisje

subodorais la difficulté pour moi qui avais pris depuis si longtemps le pli de voir et

d’exprimer le négatif plutôt que le positif. Claude m’avait prévenue: tout comme

l’haltérophile doit s’entraîner quotidiennement, la reprogrammation mentale demande

ténacitéetefforts.Sansparlerde lavigilance.Car l’esprita tôt faitde retrouversesvieilles

mauvaiseshabitudes,sionbaisselagarde!Jemepromisdoncderedoublerdevigilance,et

plaçaima rumignotte bien en vue sur la bibliothèque, dans le salon, enme disant que ce

seraitamusantdeproposeràmeshommesdeparticiper.

L’idéeplutbeaucoupàAdrien.

Le lendemainmatin, tandis qu’il émergeait d’une nuit trop courte, Sébastien se dirigea,

maussade,verslafenêtre…

—Ohnon!Queltempspourri,c’estdéprimant!

Jen’eusmêmepasbesoind’intervenir.Adrienlefitàmaplace.

—Papa!Uneuro!s’exclama-t-il,ravidesurprendresonpèreenflagrantdélitdenégativité.

Sébastien commença par bougonner, puis s’arrêta net, prenant conscience que plus il

râlerait,plusildevraitmettredepiècesdanslarumignotte.

—Non,non,non!D’accord,j’arrête!Jen’aipasenviedefinirsurlapaille!

Etilvintembrassertendrementsongardien-du-positif.Quant à moi, tous les jours, je m’évertuais à pratiquer la pensée et l’autosuggestion

positives.Àchangermestournuresdephrases.Àlesformulernonplusdemanièrenégative,

maispositive.Nonplusà laformepassive,maisactive.Unevraiegymnastiquedeplasticité

cérébrale!

Jem’étais imprimé une courte fable que Claudem’avait envoyée et la relisais souvent.

C’estl’histoired’unhommequivatrouverunsagepourapprendreauprèsdelui.

–Dites-moi,vousquiêtessage,qu’est-cequ’ilyadansvotreesprit?–Dansmonesprit,ilyadeuxchiens,unnoiretunblanc.Lenoirestlechiendelahaine,delacolèreetdupessimisme.Leblancestceluidel’amour,delagénérositéetdel’optimisme.Ilssebattenttoutle

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temps.Lediscipleestunpeusurpris.–Deuxchiens?Quisebattent?–Oui,pratiquementtoutletemps.–Etlequelgagne?–Celuiquejenourrisleplus.

Ilétaitclairquedepuisdesannées,mespenséesavaientdûbienplusressembleràunnoir

Cerbèrequ’àunjolipetitbichonmaltais!Mais j’étaisrésolueàchanger leregistrecaninde

monesprit.Comprennequipeut.

Claudeajoutaàmalistedéjàlongueunautreprincipeàsuivre,inspirédel’adagefavoride

l’empereurAuguste: festina lente,hâte-toi lentement. J’avais, semblait-il, commebeaucoup

d’autres personnes, la fâcheusemanie de confondre vitesse et précipitation. Ces dernières

années,j’avaispassémontempsàtoutfaireviteetmal,àvivrecommeunemouchecoincée

danssonbocal,àm’exciteràtout-va,àmecognerlatêtecontrelesvitresdel’existence,faute

dem’accorderletempsdemeposeretdeprendreunreculsalutaire.

Je m’exhortais donc à tout vivre un cran moins vite. Ne plus céder à la dictature de

l’urgence. Agir oui, mais sans pressions inutiles. Toute la différence entre bon stress et

mauvaisstress.

J’étais en train de m’agiter tranquillement au bureau, lorsque je reçus un nouveau

messagedeClaude. Ilmedonnaitun rendez-vousmystère–encoreun!–, lemercrediqui

venait.UneadresseàCharenton-le-Pont.Ilmedisaitjusted’emporterunmaillotdebainune

pièceetuneserviette.

Maillotdebain?Maisc’estquejen’avaispasvraimentenvied’exécuterquinzelongueurs

dansunepiscine,moi!

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C’estdoncunpeucontrariée–mais,fair-play,j’avaismisuneurodanslarumignotte–que

j’arrivai lemercrediau lieudenotrerendez-vous.Contrairementàmoi,Claudesemblaiten

pleineformeetassezexcité.Quellesurprisem’avait-ilencoreréservée?

Jene tardaipasà ledécouvrir. Ilnem’avaitpasattiréedansunepiscineordinaire,mais

dans un centre spécialisé enplongée sous-marine. Lorsque je compris,mon cœur semit à

battretrèsvite.Oh,lepiège!Iln’allaitquandmêmepas…

Si,ilallait!

Je tentai de protester, deme défiler, arguant que je n’avais pas l’habitude de pratiquer

l’apnée,quejenesavaismêmepassij’arriveraisàtenirdixsecondesdesuite,maisilbalaya

d’ungestemonappréhensionetmefituntoposurl’exercice:sonbutétaitquejecomprenne

l’importancedema respirationpour canalisermes émotions et restermaîtresse demoi entoutescirconstances.

Bon…Jevoyaisbienl’idéegénérale,maisfallait-ilvraimentenpasserparcetteexpérience

extrême?Apparemmentoui,carunmoniteurnousrejoignitbientôtavectoutlematériel,et,

enmoins de temps qu’il nem’en aurait fallu pour dire «stop», jeme retrouvai harnachée

d’un équipement très lourd, dont l’usage était àmesmains ce que le chinois était àmon

esprit.Unemontéedestressmeparasitalecerveau;j’eusleplusgrandmalàcomprendreet

retenirlesconsignesdumoniteur,surtoutlesgestesdecommunicationàutilisersousl’eau.

SiClaudes’étaitimaginéquej’allaisjouerlessirènes,ilsetrompaitdutoutautout!Question

grâceetagilité,j’avaisplutôtl’aird’unéléphantdemerquiauraitgrandiauSahara.Quantà

maphysionomie,entreledétendeurquim’étiraitlaboucheetmescheveuxhirsutescomme

destentacules,elleévoquaitplusMéduseetsacheveluredeserpentsque ladouceArieldu

dessinanimé.

Entoutcas,monallurefitbienrireClaude.J’essayaideluidonnerunpetitcoupdepied,

pourvengermadignitéoffensée,maisl’eauralentissaittousmesmouvements.Ildutvoirma

ridedulions’accentuersouslemasque,maisnerelevapas.Ilmedemandasimplementpar

signesi toutétaitok.Jehaussai lesépaulespourmanifestermadésapprobation.Mais très

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vite, lemoniteurm’entraîna vers le fond et l’expériencem’absorba tout entière. Au début,

moncœurbattaittrèsvite,àcausedel’appréhension.Jedusmeforceràrespirercalmement

pourmestabiliseretnepasrisquerl’hyperventilation.Puisjecompris–j’expérimentai–que

la respiration étaitmaîtressedu jeupour guidermon évolution sous l’eau.Aprèsquelques

essaisinfructueuxoupeuconvaincants,jecommençaiàmieuxgérerl’affaire.Jefinismême

par faire le poulpe: et que jemonte et que je descends rien qu’en contrôlantmon souffle,

captivéeparlasensationd’apesanteur!Jevérifiailebien-fondédecequelemoniteurm’avait

dituninstantplustôt,àsavoirqu’enfaisantvariersonvolumepulmonaire,onmodifiaitsa

flottabilité,devenantàloisirpluslourdouplusléger.Jepouvaisainsifacilementcorrigerma

positionsousl’eau,auprixd’unmoindreeffort.

Enfindeséance,jemesentaisvraimentàl’aiseetosaismêmequelquesfollescabriolesen

rebondissantsurlesparoisdelafosse.Était-celetrop-pleind’oxygène?J’étaiseuphorique!

—Alors,c’étaitbien?medemandaClaudeàlasortiedesvestiaires.

—Génial!Maisvousauriezpumeprévenir!

Jeluidonnaiuncoupdecoudepoureffacerdesonvisagesonexpressiongoguenarde.

— Ouille! fit-il, en riant. Ça aurait été dommage de rater ça! Vous étiez charmante en

sirènedespiscines!

Jeluifisunegrimacepourluirendrelamonnaiedesapiècedetaquinerie.

—Si je vous avais dit ce que j’avaismanigancé, est-ce que vous seriez venue?Non, pas

vrai?

Si,vrai…

Jesortisdel’établissementplusfièrequej’yétaisentrée.Unmomentuniquequiviendrait

grossirlesrangsdessouvenirsfortsnotésdansmonCarnetdupositif…

TandisquenousattendionslebuspourretourneràParis,Claudeproposaunpoint.

—Revenonsdeuxminutessurlaleçonàtirerdecetteexpérience:quandvousêtesdansun

momentdestress,concentrez-voussurvotrerespirationetsouvenez-vousdecemomentde

plongée sous-marine. Le calme sous l’eau, la tranquillité, le contrôle de la respiration, la

maîtrise de soi… Même au cours d’une journée normale, prenez conscience de votre

respiration.Gardezàl’espritqu’unebonnerespirationnevientpasseulementdel’inspiration

mais tout autant de la qualité de l’expiration. Si vous expirez bien à fond, vous donnez la

possibilité à vospoumonsde se remplir ensuited’un airneuf, doncplusprofitable à votre

organisme!

—Effectivement,ilfautlesavoir…

—Maintenant,voussavez!

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Nourrie des enseignements de Claude, je m’appliquais, jour après jour, à devenir plus

présente àmoi-même, quitte àme surprendre dans des gestes quotidiens.Me brosser les

dents ou mâcher en pleine conscience constituaient des expériences nouvelles fort

intéressantesetaugmentaientsensiblementmonacuitésensorielle.Jecomprenaismieuxà

présent l’expression «être à côté de la track». C’est vrai qu’on pouvait passer son temps

commeabsentàsoi-même,avec la fâcheuseconséquencedene jamaisêtreauseulendroit

quicomptevraiment:l’icietmaintenant.

La veille, Claude m’avait d’ailleurs envoyé un message avec une formule qui m’avait

beaucoupplu:

Aujourd’huiestuncadeau.C’estpourçaqu’onl’appelle«présent».

Maisplusjedevenaisconsciente,plusilm’étaitdifficiledevoirmonentouragecontinuer

àvivredanscequimesemblaitdésormaisêtrelamauvaisefaçon.

C’estainsiqu’unsoir,jecraquai.

—Ah,non,Sébastien!Paslecellulaireàtable!C’estinsupportableàlafin!Déjàqu’onne

tevoitpasbeaucoup,simêmequandtueslà,tun’espaslà…

— Mais si, je suis là! Excuse-moi. J’attends simplement une réponse urgente pour le

boulot,net’énervepas.

—Autantdirequetufaisàpeineattentionàcequetumanges…

—Cen’estpasvrai!Quiest-cequitemetcesidéesentête?C’esttongourou?

Respirer calmement. Ne pas entrer dans le jeu… Ne pas s’énerver… Être dans la

bienveillance…

—Exactement!Jesuismêmeentraindetravaillersurlapleineconscience,figure-toi!Et

çachangelavie.

—Jenedemandequ’àvoir,ironisa-t-il.

—Ok, je teprendsaumot.J’allais justement teproposerprochainementuneexpérience

intéressante…

—Ahoui?Etqu’est-cequec’est?

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—Tuverrasbien!

Jenedisriendeplus.Jevoulaisquelasurprisesoittotale.

Je m’étais inspirée de la méthode de Claude, qui reposait sur l’expérimentation et sa

valeurhautementpédagogique, et j’avaisdénichédansParisun endroit trèsparticulier qui

allaitmepermettre de faire comprendre à Sébastien, demanière concrète et empirique, ce

qu’était la pleine conscience, ainsi que les bienfaits que l’on pouvait en tirer. J’étais toute

contentedemoietmeréjouissaisd’avancedel’effetdesurprise,imaginantdéjàsatêteetson

petitairamuséquejetrouvaissisexy.

Mais le jour dit, quand il découvrit le concept du lieu où je l’avais conduit, il fut surtout

inquiet.

— C’était ça, ton idée?murmura-t-il avec unemoue si dubitative que j’eus un brusque

accèsdepanique.

Et si cette soirée en tête à tête qui devait être une petite fête tournait au fiasco, avant

mêmed’avoircommencé?

Non!Pasquestion!

Jem’employaialorsàremonterlemoraldestroupes:

—Allez,Séb’,fais-moiconfiance!Çavaêtresuper,tuverras!Onvabienrire.

Pasconvaincue,latroupe!Alorsquenousattendionsnotreserveurattitré,jelevoyaisqui

détaillaitd’unœilsceptique l’entréeoùnouspatientions,cherchantàpercer lemystèredes

lourdes tentures qui occultaient la salle de nos futures «réjouissances», tentures qui

n’étaientpassansrappelercellesdestunnelsoùs’engouffrent lestrainsfantômesdesfêtes

foraines…

Vincent,quiallaits’occuperdenous,arrivaenfin.IlmeplaçaderrièreSébastien,etmefit

mettrelesmainssursesépaules,façonchenille.PuisilpritlesmainsdeSéb’etl’engageaàle

suivreau-delàdesrideaux.

Nouspénétrâmesalorsdansunesalleplongéedanslenoirtotal.Etquandjedis«total»,le

mot est encore faible. Soulages, le peintre connu pour ses compositions monochromes

noires,auraitparlé«d’ultra-noir».Jegloussai,toutensentantdestressaillementsdansledos

deSébastienquin’enmenaitpaslarge.

Nous trouvâmes à tâtons nos dossiers de chaises et nous installâmes pour ce dîner à

l’aveugle. Je l’avoue, les premiers instants,moi non plus, je neme sentis pas très à l’aise.

Enveloppée par ce noir complet, avec pour seul repère spatial la profondeur des sons qui

résonnaient autour de nous, j’étais gagnée par une certaine angoisse. Allais-je tenir deux

heures ainsi, privée de toute image, accrochée à cette table comme à un radeau dans

l’obscurité?

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Danscenoir,nousavonsalorscommencéàcomblerlesblancsdeparolesdécousues,aussi

déboussolés l’un que l’autre par cette situation insolite, gauches et maladroits avec cette

nouvelle grille de lecture sensorielle. Mais aux paroles et aux rires animés des autres

convives,j’endéduisisquecemalaisenedureraitsansdoutepas.

Heureusement, l’arrivée du premier plat nous détendit. Vincent, non-voyant, semontra

aux petits soins, et nous servit une surprenante entrée. Dans cet univers inédit, nous

goûtionsautantavecnosdoigts,devenusnosyeux,qu’avecnotrepalais.Nousredécouvrions

l’antregustatifdenotrebouche,d’ordinairehumblechaumière,devenue,encetteoccasion,

palaisdesmilleetunepapilles, templedesaveurs inconnues.Lefaitd’êtreprivésde lavue

semblaitdécuplerlespouvoirshabituelsdenoscapteurssensoriels.

—Alors?Tuvoiscequeçafaitdedégusterenconsciencecequetumanges?

—Unpointpourtoi.

—Avouequec’estplutôtunebellesurprise,non?

—J’avoue.Tuasfaitfort!

Nosvoix,nosparolesaussi,avaientuneautrerésonance.Sanslevisageetsesmimiques,

lavibrationdenossoufflesetnosintonationsprenaientunesignificationaccrue…

Le repas se poursuivit d’exploration gustative en exploration gustative, ponctué de

dégustations œnologiques, subtils nectars dont le bouquet nous explosait en bouche. Nos

autres sens révélaient leurs talents cachés. Dire qu’en temps ordinaire, nous les utilisions

probablementàmoinsde10%deleurspossibilités!Toutcommenotrecerveau…

Aufinal,jesentisSébastienconquis.Ilcommentaitavecenthousiasmecequ’ilressentait,

essayait de définir au plus précis les nuances des aliments, des vins, de deviner quels

aromatesouquelles épices relevaient les sauces.Cetteprisede conscience le touchaitbien

plusque jene l’avaisescompté,etcetteséanced’éveilsensorielsemblait luiavoirdonné le

goûtdureviens-y.

—Trèsbelle initiation,ma chérie,merci!Mais tun’aspaspeurque tout cecimedonne

d’autresidéesd’expériencesdepleineconsciencetoutaussiintéressantesàpartager,mmm?

demanda-t-ild’unevoixchaude,enattrapantmonpainplutôtquemamain,puismamainen

renversantmonvin.

Jeris.

Je comprenais très bien de quoi il voulait parler. Et, personnellement, je n’y voyais pas

d’inconvénient!

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J’étaisheureusedemesprogrèsetdesentirqu’enfin, j’avançaissur lebonchemin.Jen’en

ressentais pas moins, par moments, une fébrilité pénible, un état d’euphorie bizarre qui

chahutait mon sommeil et troublait ma quiétude. Autrement dit, j’étais stressée! La

bonzitude n’était pas encore d’actualité. L’effervescence des changements m’ébouillantait

l’esprit. Mes nerfs en surchauffe n’allaient pas tarder à faire sauter les résistances. Il me

fallaitrelâcherlessoupapes,souspeined’imploser.Jenepouvaispasresterdanscetétatde

hautetensionetenparlaidoncàClaude.Ilyvituneexcellenteoccasiondemesensibiliser

auxbienfaitsdelaméditationetdelacohérencecardiaque.Desconceptsovnispourunepile

électriquecommemoi…

—Resterimmobileànerienfaire,j’aihorreurdeça!Jemetrouvenulleetj’ail’impression

deperdremontemps.Non,vraiment,laméditation,cen’estpasfaitpourmoi…

—Vousditesça,maisc’estcommelereste,Camille,vousyviendrez.Ilyaencorequelques

semaines, l’idée de faire dix minutes de gym par jour vous semblait impossible. Manger

autrementaussi!

—Oui,maislà,c’estdifférent:cen’estpasdansmanatured’êtrezen!

— Personne ne vous demande de changer votre nature. Juste de créer quelques

aménagementsdansvotrequotidienpourplusdebien-êtreetdesérénité.

—Çadoitêtreformidablepourceuxquilepeuvent,jenedispaslecontraire,maismoi,je

netienspasenplace,j’aitoujoursétécommeça…

— Toujours, jamais! Et si vous en finissiez avec ces absolus? Voulez-vous, oui ou non,

vousdonnerunechanced’essayer?

J’acquiesçai,unpeuhonteuse,toutàcoup,defairetantd’histoires.

— Ne vous inquiétez pas, Camille! Vous allez y arriver. C’est un pli à prendre, tout

simplement. Après, vous ne pourrez plus vous en passer. Savez-vous que des études très

sérieuses ontmontré que lesmoines et autres adeptes de laméditation ont unemeilleure

santéetunmeilleursystèmeimmunitaire?Çavautlapeine,non?

—Sûrement,maispourl’instant,çamesemblesurtouttrèscompliquéàmettreenplace…

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—Unequestion:est-cequevoustrouvezagréabled’êtrestressée,soustensioncommeça?

—Non,pasdutout!

—Pourtant,çadoitvousplaireplusquevousnelecroyez,puisquevousvousaccrochezà

cepointàvotrefaçondevivre,danslaquellevouslaissezzéroplaceaucalmeetauretoursur

soi.

Jevoyaisbienqu’ilcherchaitàmepousserdansmesretranchements.

—Ok,ok!cédai-je,alors.Jevousprometsd’essayer.

—J’aitouteconfianceenvoscapacités,medit-ilavecunbonsourire.Vousverrez,cen’est

pasplussorcierqueça.Ils’agitjustedes’entraîneràfairelecalme,lesilence,etàapprendre

àregardercequisepasseensoi.Commencezdéjà,deuxoutroisfoisparjour,paruneséance

de respiration profonde: six respirations par minute, pendant cinq minutes. C’est à ce

rythme-là que la physiologie s’apaise. Vous pouvez le faire n’importe où, même dans le

métro!

—Ilfautvoir…

—Unautreexercicetrèsintéressantestceluiquej’appellel’harmonisateur:ilmélangeles

principesdecohérencecardiaqueetdevisualisationpositive.

—Çadevientunpeucompliqué,non?

—Pas du tout! Le principe de base est lemême…Vous vous créez dans la journée une

bulledetranquillité,envousisolantdansunepièceoùvousneserezpasdérangée.Vousvous

asseyez confortablement, le dos droit, et vous installez une respiration paisible. Puis vous

portezlamainàvotrecœuretrespirezenlevisualisantquisegonfleàchaqueinspirationet

se vide à chaque expiration. Une fois le calme bien installé en vous, vous ajoutez une

visualisation positive: un souvenir qui vous «fait chaud au cœur», et vous essayez d’en

revivreintensémentlesémotionsetlessensations.C’estsimple,non?

—Ets’ilnemevientaucuneimage?

—Jereconnaisqu’audébut,çapourravoussemblerunpeudifficile.Maisjevousconseille

devous constituerpetitàpetituncatalogue intérieurd’imagesetdesouvenirspositifs.Unalbumphotomentalisé…Plusvousy travaillerez,plus ilsera fourni,etplusvouspourrezy

accéderfacilement.

—Ahoui,pasmal!

—Mais je crois qu’à ce stade, ce qui vous sera le plus utile, c’est de rencontrer un vrai

grandmaîtredelaquestion…

—…?

—MaîtreWu.Jevaisvousconduireauprèsdelui.Vousverrez,aprèscettevisite,toutvous

semblerabienplusclair…

Nousfîmestroisquartsd’heurederouteavantd’arriverchezM.Wu.J’étaisimpatientede

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connaîtrecetexpertenméditation!Tandisqu’unpaysagederasecampagnedéfilaitsousmes

yeux,jem’entraînaisdiscrètementàlarespirationcontrôléeetàlavisualisationpositive.

—Vu,Camille!s’écriasoudainClaude.

—Quoi?

Ilaffichaunpetitsouriregoguenard.

— Voilà quelques minutes que je vous observe discrètement, et je vous vois vous

entraîner!

—Et…?

—Rien,rien!C’esttrèsbien!Continuez…Nevousoccupezpasdemoi.

Enfin,nousarrivâmesàdestination.Lespneuscrissèrentsur legravier, tandisquenous

pénétrionsdanslacourdelamaison.Deschiensaccoururentànotrerencontreenaboyantde

leurgrossevoixgraveenrouéedegicléesdebave.Lamaîtressedeslieuxlesrappelaàl’ordre.

Leschiensobéirentaudoigtetàl’œil.Sansdouteaurait-ellepunousfairecroquerlemollet

oulécherlamaind’unsimplehaussementdevoixoud’unclaquementdelangue.Unetelle

assurance naturellem’impressionna. Claude l’avait prévenue de notre arrivée. Son sourire

nousouvritlesbras.

—BonjourClaude.Commentvas-tu?

— Très bien, Jacqueline, et toi? C’est vraiment gentil de nous accueillir. Je te présente

Camille,dontjet’aiparlé…

Au-delàdesoncôtématrone,jedécouvrisen Jacquelineunefemmeauvisagepoupin,auxformes généreuses et au tempérament jovial. Bizarrement, je ne m’attendais pas à cette

allure.J’imaginaisquelqu’undeplus…oriental!

—Ravie de faire votre connaissance, Camille. Vous voulez donc rencontrerMaîtreWu?

demanda-t-elle,enmefixantdesesyeuxmalicieux.

—Euh,oui.

—Jecomprends!Beaucoupdepersonnesveulentfairesaconnaissance!Suivez-moi…

Nous traversâmes alorsun grand salon, joliment typé avec sa cheminée ancienne et ses

poutresapparentes,etbaignantdansledouxsoleild’hiverquifiltraitàtraversdelargesbaies

vitrées.

—J’adorevotresalon.

—Merci, réponditnotrehôtesseensouriant,apparemmentravieducompliment.Voilà…

MaîtreWuestdanslacour.Jevouslaissealleràsarencontre.Jeseraidanslacuisine.Àtout

àl’heure…

Claudeme fit passer la première. J’arborais déjà un sourire chaleureux, avenant, tandis

que mes yeux balayaient la cour. Puis mon sourire s’affaissa. Je ne voyais personne.

Déception.MaîtreWuétaitpeut-êtreparti?

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Devantmonairdépité,Claudeprécisa:

—Levoilà…

Maisjenevoyaistoujourspersonne.

—Là,Camille!m’indiqua-t-ild’ungeste.

Je suivis la direction de son doigt. Confortablement installé sur un coussin brodé, un

splendidechatpersansomnolaittranquillement,allongédetoutsonlong.Ilsedégageaitde

luiunmélangedemajestéetdepaixabsolue.J’accusailecoup,puis,retrouvantmesesprits,

metournaiverslejoyeuxplaisantin.Troisquartsd’heurederoutepourça?

—Vousalors!dis-jed’unevoixlourdedereproches.

LevisagedeClaudeaffichaitunmélangedesatisfactionetdecontrition.Ilétaitsansdoute

contentetconfustoutàlafoisdesablague.

—Pardonnez-moicepetittour,Camille.Mais jen’aipastrouvédemeilleurexempleque

MaîtreWupourvousmontrercequepouvaitêtre larelaxation!Vousquiavez l’impression

quevousnesaurezpasméditer,commencezparapprendreàfairelechatquelquesminutes

parjour!Luin’apassonpareilpourêtrepaisibleetcalme,bienancrédansl’instantprésent!

Je lui lançai un regard furibond qui le motiva à se réfugier dans la cuisine, auprès de

Jacqueline.

Restée seule avec Maître Wu, je pris quelques instants pour le regarder vivre et fus

surprisedemesentirenvahieparuneagréablesensationdepaix.Ilécrivait,desespaisibles

battementsdequeue,uneinvisibleprosesurl’élogedelalenteur.Unhymneaucarpediemà

luitoutseul.Ilnebronchapaslorsquejeplongeailamaindanssafourrurechaudepourune

longuecaresse.

JesusdèslorsquejenepourraisplusenvouloiràClaudedem’avoirconduiteici.Apaisée,

je les rejoignis, Jacqueline et lui,dans la cuisine. Ilsbavardaient gentiment,dégustantune

tassedethéàlamenthe«dujardin»,meprécisanotrehôtesse.JevisqueClaudeguettaitsur

monvisagel’étatdemonhumeur.Ilylutmonremerciementmueteteneutl’aircontent.

L’après-midi s’achevaparunenote gourmande, avecune tarte auxprunesqui neme fit

pasregretterledéplacement…

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DepuismarencontreavecMaîtreWu,jem’amusaisàjouerleplussouventpossibleauchat,

pourleplusgrandbonheurdemesterminaisonsnerveuses.

Bizarrement, plus je gagnais en sérénité, plus je sentais mon énergie vitale revenir en

force.Etavecelle,jedoisl’avouer,unerecrudescencedelibido!Honnêtement,j’enétaisun

peudéboussolée.Embarrasséedecesnouvellespulsions,j’essayaid’aborddelesignorer.Je

n’osaisenparleràClaude…Nemejugerait-ilpasunpeutrophardie?

Finalement,n’ytenantplus,jeprovoquaiunediscussionsurcethème.

—Jenesaispascommentvousenparlermais…voilà:depuisquelques jours, jeressens

unesortede…regaindelibido,etçamelaisseperplexe.Jevoulaissavoirsiçaavaitunlien

avecnotreprogrammedetransformation.

Il se racla la gorge, manifestement surpris par ma question, mais me répondit quand

même.

— Ça ne me surprend pas plus que ça, Camille. Oui, bien sûr, ça va de pair avec les

changementsquevousavezmisenœuvre: le faitd’agir,dereprendrevotrevieenmain,de

travailler votre physique et votremental contribue à générer d’excellentes énergies.Ce qui

vousmetforcémentdansdebonnesdispositionspourvivreàfondvotreviedefemme.C’est

plutôtunebonnenouvelle,non?

—Oui…maisjenesaispourquoi,jemesensmalàl’aise.C’estpourçaquej’aieubesoin

devousenparler…

—Mmm… Je comprends. Peut-être que vous êtes étonnée de découvrir une facette de

vous-même jusque-là inexplorée? Une autre Camille, en quelque sorte. Une femme plus

audacieuse,assumantmieuxsesdésirsetsasensualité.

Jerougis.

—C’estque…jenesuispasencoresûred’aimerl’imagequeçapourraitrenvoyerdemoi…

—C’estbiennormal.Encoredenosjours,lepoidsdupatrimoineéducatifbien-pensantse

faitsentir.Desmillénairesdesexualitépasséeàlamoulinettedelamoraleetdestabous,ça

laisse des traces! Et les femmes commencent à peine à assumer pleinement une sexualité

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libéréeetdesdésirsaussi fortsqueceuxdeshommes…Ilne resteplusque tout lemonde

acceptecettenouvelledonneérotique!

—Justement,j’aimeraisbieninsufflercesnouvellesénergiesàmoncouple.Êtreforcede

proposition,innover,sivousvoyezcequejeveuxdire…Vouscroyezquejedoismelancer?

Claudemesourit,lesyeuxpétillants.

—Sansaucundoute.Votremarinepourraqu’apprécier!

Passisûrqueça…

Jeme lançai toutdemême…Durant toute lasemainesuivante, jecomplotaipourpréparer

masurprise.Adriencaséchezmamèrepourlasoirée.Larobenoireauchicéternel,avecce

qu’ilfallaitd’audacedansledécolletépourtroublermêmeuncompagnondelonguedate.Les

escarpinsauxtalonsdedixcentimètresréservésauxgrandesoccasions.Lechampagneprêtà

êtreservidansdescoupesgivrées,pourréserverunaccueildignedecenomàmoncheret

tendre.

Underniercoupd’œildanslemiroir:assurément, j’étaissublime!Celafaisait longtemps

que jenem’étaisvuunesibelle ligne,desyeuxaussipétillantset le teintaussi lumineux.

Sébastienallaitfondre…Nepouvaitquefondre…

Quand il rentra, il mit quelques secondes à s’acclimater à la pénombre avant que son

regardnetombesurmoi.Jeluienvoyaialorsmonsourirelepluscharmeur,quilestatufia.Je

profitai secrètement de cet instant suspendu où je lisais dans ses yeux l’effet escompté: la

surprise,letrouble,l’intérêt.

Enfin!

Je décidai alors d’entrer de plain-pied dans le théâtre dema reconquête et de lui jouer

directementlagrandescèneduII,celledubaiserdecinémasouslesspotlightsdel’halogène

dusalon.

Mesbrassefirentlianesautourdesesépaules.

—Hellobeaubrun,dis-je,enempruntantunevoixrauqueetsensuelle,jeuderôleoblige.

Celam’amusaitdelesentirbousculé,presqueintimidé.

—Waouh,quelaccueil!souffla-t-il.Tuesmagnifique!

Jejubilaiintérieurement.

—Et vousn’avez encore rien vu!dis-je, le vouvoyant àdessein, complètement absorbée

parmonrôlededéesseglamour.

Rideauxsurnospaupières.Planrapprochésurunbaisersuaveettorride.

J’écrasaima bouche contre la sienne, prise àmon propre jeu de sensualité.Mon corps

cambrépressécontrelesien,unemainappuyéesurlebasdesesreins,l’autreglisséesoussa

chemise, jeprojetaisdéjà la scène sur l’écrannoirdenotrenuitblanche.J’étaisgrisée.Ma

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mains’aventuraitdéjàlelongdesacuisse,lorsqueSébastienm’arrêta.

Jenecomprispaspourquoi.

— Ça va, chéri? Qu’est-ce qui se passe?murmurai-je d’une voix déjà engourdie par les

prémicesduplaisir.

—Oui,oui,çava,c’estjusteque…

Montéléphonesonnaàcemoment-là.Jemaudislesnouvellestechnologies.Allonsbon!

Mamère…

J’avais oublié de mettre l’antihistaminique d’Adrien dans son sac. Petit nœud de

culpabilité.Jelarassurai:pourunsoir,cen’étaitpastrèsgrave.Oui,ilpourraits’enpasser.

Non,paslapeined’alleràunepharmaciedegarde.Tandisquejel’écoutaisdistraitement,je

jetaisdesregardsobliquesàSébastien,pourtenterdesondersonhumeur.

— Oh, oh! gloussa ma mère. À ta voix, j’entends que je dérange! Dis-moi, ta soirée

s’annonceplutôtbien,non?

Jedétestail’idéequ’elleessaiedes’imaginercequiétaitentraindesepasseràlamaison.

—Maman!protestai-je.

Puisjemeradoucis.C’étaitquandmêmegrâceàellequejepassaiscettesoiréetranquille.

Enfin, j’espérais qu’elle ne serait pas que tranquille! Quoi qu’il en soit, je la remerciai

chaleureusementavantderaccrocher.

Sébastien s’était levé et se tenait à présent près de la fenêtre, me tournant le dos. Je

m’approchaisansbruit,leprisdansmesbras,etluimurmuraiàl’oreille:

—Eh!Qu’est-cequinevapas?

Pournepasavoiràrépondre,ilsemitàmedonnerunepluiedepetitsbaisersdanslecou,

surlesjoues,surlabouche.

—Sébastien,arrête,dis-jedoucement.Dis-moi.

Sesyeuxfuyaientlesmiens.D’unemaintendre,jel’obligeaiàmeregarder.

— Excuse-moi, Cam, lâcha-t-il, c’est absurde. Je ne sais pas ce qui m’arrive. Tu es là,

superbe,sexy,entreprenanteetd’uncoup,çame…

—Çatequoi?

—Jenesaispas,çamefaitbizarre!

Jerelâchaimonétreintepourm’éloignerd’unpas.

—Ok.Tun’aimespas,quoi?

—…

Sonsilencemeblessaetjesentismonterenmoiuneboufféed’énervement.Déçueautant

qu’agacée, je saisis les coupes de champagne vides pour les rapporter à la cuisine, faisant

claquerbruyammentmes talons sur leparquet en signedeprotestation.Je rangeai tout ce

quimetombaitsouslamainavecleplusdebruitpossible.

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Luis’étaitapprochéensilence,etsetenaitaussi immobilequejem’agitaisdanstousles

sens.Jesentaissurmoisonregardtristeetconfus.Auboutd’uninstant,n’ytenantplus,je

m’arrêtaidevantlui.

—Quoi?Parle!Vas-y!Qu’est-cequinevapas?

Ilhésitaitàseconfier.Jelevoyaisàseslèvresquiremuaientdanslevide.

Puis,soudain,iléclata.

—Jesuiscon,jesuistropcon,pardon!Depuisquelquetemps,tuestellementdifférente,

tellementplus…Etmoi…moi…

Maintenant,c’étaitluiquis’agitait,parcourantlapiècedelongenlarge,faisantdegrands

gestesaveclesbrascommepourmieuxtrouversesmots.

Sagaucheriem’attendrit.Jem’approchaietluienserrailatêteentremesmains.

—Quoi,toi?dis-jedoucement.

—Moi…J’aipeur,jecrois.

—Peur!?

— Oui, peur. Tous ces changements dans ta vie… Ta manière d’aller de l’avant, de

bousculerteshabitudes,d’oserêtrepleinementtoi…

—Ehbien?C’estplutôtpositif,non?

—Oui…C’estbien,mais…

Il gardait sa confidence sur le bout des lèvres, sans doute inquiet de ce que j’allais en

penser.

—Maisquoi,Sébastien?

— Et si je ne changeais pas assez vite à ton goût? Si je n’étais pas à la hauteur de la

nouvelleCamille?

C’étaitdoncça?Jen’auraispascru.Jeletrouvaitouchantdanssescraintes.Jeplantaiun

regardbienassurédanslesienetluisourisavecamour.

—Jamaisdelavie!Qu’est-cequetuvasimaginer?Jet’aimeSébastien,commejamais.Et

tousceschangements,c’estaussipourtoiquejelesfais,pourquetusoisfierdemoi,quetu

metrouvestoujoursdésirable!

—…

Ilapprochases lèvresdesmiennesenguisede réponseetmuselamesdoutesd’un long

baisertroublant.Etcettefois,riennipersonnenel’interrompit…

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Depuiscettenuit-là, l’ambianceàlamaisons’était transforméeradicalement.Unsiroccodecomplicitésoufflait surnosamours,dont lesbraises ravivéesnedemandaientqu’àprendre

deplusbelle.Quantàmonfils,j’avaisdécidéd’adopterlesprincipessuggérésparClaudeafin

deneplusstresserpourunouipourunnon:arrêterd’enfairetropetdem’enfairetrop!Bref,

m’offrirplusdelégèretédanslamanièred’accomplirlestâchesquotidiennes.«Descendsde

tacroix,onabesoindubois»,m’avaitditClaudeunjourenriant,pourmefairecomprendre

qu’il fallaitquej’abandonnemonrôledemèreauborddelacrisedenerfpourm’yprendre

différemment.

Tout d’abord, je pris le temps de m’intéresser un peu plus à l’univers d’Adrien. En

catimini,jememisàlapagedesdernièresgrandesactualitésfootballistiques.J’apprismême

parcœurlenomdesplusgrandsjoueursetlesprincipalesrèglesdujeu.Lasoirée«match»

suivante, au lieu d’être pour moi un morne temps mort, fut réjouissante: la tête de mes

hommesébahisparmesconnaissancesvalaitledétour!Ducoup,Adrienm’interpellaautant

quesonpèrependantlematch.«T’asvucetteaction,maman?»criait-ilàtoutboutdechamp,

enmedonnantdesbourradesviriles.Etaupremierbutdesonéquipefavorite,c’estdansmes

brasqu’ilsautapourcrier«Goal!»Poursûr,moiaussi,j’avaismarquédespoints.

J’entreprisaussidem’initierà sonuniversmusical enécoutant seshitspréférés.Bruno

Mars,ArianaGrande,NickiMinaj, JacksonDerulo,DavidGuetta…Lapremière fois que je

memis à entonner lesparolesd’unede ses chansonspréférées enmême tempsque lui, il

n’enrevintpasetjecrusliredanssesyeuxquelquechosequiressemblaitàdel’admiration

teintéederespect.

Ces nouvelles dispositions changèrent considérablement la couleur de nos relations. La

portedudialogues’ouvraitgranddenouveau.

Surcettelancée,jem’attaquaiaupointnoirdesdevoirs.

— Tu sais, Adrien, je déteste quand jememets en colère, que je te crie après pour les

devoirs et qu’on se dispute… Je me sens très mal… J’ai vraiment envie que les choses

changent.Pastoi?

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Ilfitouidelatête.

— Est-ce que tu saurais expliquer, toi, pourquoi tu trouves si difficile, parfois, de t’y

mettre?

Ilpritletempsderéfléchiretjetrouvaisonsérieuxàchoisiraumieuxlesmotspourme

répondreattendrissant.

— Je sais pas. Déjà, c’est pas drôle, les exercices, et puis il y en a trop. Surtout, j’ai

l’impressionqueçat’énervetellementqueçamestresse.J’aipeurdemetromperetquetu

megrondes…Ducoup,j’aimêmeplusenvied’essayer.

J’accusai le coup et repensai au conseil de Claude: laisser de côté la mitraillette à

reprochesetparlerdesonressenti,dire«je».

—Quandjem’énerve,luiexpliquai-jealors,c’estquejesuisinquiètepourtoi.Jepenseà

ton avenir et j’ai peur que tu ne prennes pas assez tes études au sérieux. C’est tellement

importantpourplustard,debientravailleràl’école!Cequejeveux,c’estquetupuissesavoir

lameilleureviepossiblequandtuserasgrand.

—Jesaismaman.Maistut’inquiètestrop!Tunemefaispasassezconfiance.

—C’estpossible,concédai-je,ensouriant.J’essaiejusted’êtreunemamanacceptable.

—Arrête!T’esunesupermaman!

—Tucrois?

—Maisoui,m’assura-t-il,enprenantmamaindanslasienneavecunsourireespiègle.

Mon cœur se gonfla de gratitude. Je songeai aux techniques de pédagogie positive que

Claudem’avaitdonnées.

—Quedirais-tusionessayaitdechangerlafaçondefairelesdevoirs?suggérai-jealors.

—Comment?

—Ehbien,onpourraitfaireensortequecesoitplusamusant,parexemple…

—Çam’iraitbien!

—Tope-là!

On topa de troismanières différentes, avant de se prendre dans les bras l’un de l’autre

pourungroshug.

—Jet’aimemaman,murmura-t-ildansmoncou.

Jeleserraiplusfort.

—Moiaussi,jet’aime,monchéri.

C’estainsiquejemisenplaceuneméthoded’éducationmoinsorthodoxemaisôcombien

plus amusante. J’utilisai par exemple le principe du 1,2, 3, soleil pour les récitations: tu

avancesd’unpasverslatableàchaquebonneréponseettureculesdedeuxquandc’estfaux.

Ou bien l’apprentissage des leçons en chansons. Un vrai succès! Non seulement Adrien

apprenaittroisfoisplusvite,maisenplus,ils’amusaitcommeunfou.

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J’appliquai la même approche pour les corvées de table et de cuisine. Au lieu de

m’égosilleràdemandercinquante foisdesuiteuneaidequimettaitdesheuresàarriver, je

trouvai une astucepourmotiverAdrien: je le convainquis de créer avecmoi un restaurant

imaginairedontilseraitlechef.Safaçondes’impliqueretdeseprendreaujeumesurprit.Je

nem’attendaispasàcequeçamarchedanscesproportions.

Ilpritsiausérieuxcetteentreprisequ’ilcréaunerecettetoutàfaitoriginaledeboulettes

deviandeauxseptépices,àl’indienne.Jecoupailaviandeendés,illahachaaveclerobot.Je

coupaide l’ail, ilbroyaaupilonunechapeluremaison.Luiquid’habitudenejuraitquepar

les écrans, semblait s’en donner à cœur joie avec ces travaux manuels! L’étape finale de

rouler les boulettes dans l’œuf puis dans la chapelure aux graines de sésame fut pour lui

carrémentjubilatoire.Jelerevis,cinqansplustôt,quandiljouaitencoreàlapâteàmodeler

avec cette grâce enchantée de la petite enfance…Nousn’échangeâmes que peude paroles,

durantcetteséanced’intensecréationculinaire,maisnossouriresetnosgestessynchronisés

endisaient longsur l’harmoniede l’instant.Engrandchefétoilé, il s’amusaitàmedonner

des ordres comme si j’étais son commis, rôle auquel je me pliais volontiers, tant j’étais

heureusedevoirmastratégiefonctionner…

Ces changements me permirent ainsi de dégager du temps et de l’énergie pour me

consacreràunetâched’envergure:construiremonnouveauprojetprofessionnel.Carc’était

décidé, je ne voulais plus continuer à exercermonmétier de commerciale,mais revenir à

monrêveinitial:travaillerdanslestylismeetlacréationpourenfants.

Commeme ledisaitClaude, ilétait tempspourmoide fairecoïncidermonprojetdevie

avecmapersonnalitéetmesvaleursprofondes.

Jecommençaiparmelancerdansdesrecherchesexploratoires.Mondésirprofondn’était

pas de prendre une franchise, mais de créer ma propre marque, mon propre concept.

Rapidement, néanmoins, je dus me rendre à l’évidence: le marché du prêt-à-porter pour

enfantssemblaitsaturéetlesdébouchésbienminces…

Autre constat sans appel: avec la crise, les gens ne dépenseraient jamais des sommes

importantes pour acheter des vêtements de bébés qui, un mois après, seraient déjà trop

petits…

Dèslors,quelcréneautrouver?

L’inspiration me vint en «googlestormant». Une technique de créativité inspirée du

brainstorming dontm’avait parlé Claude et qui permettait de trouver des idées grâce aux

recherchesparinternet.

C’est ainsi que je tombai sur une marque néerlandaise qui proposait un principe de

fashion leasing: louer ses vêtements à l’année, comme son véhicule ou son appartement!

Moyennantunabonnementmensuelde cinqeuros, le client avait l’assurancedeporterun

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vêtement demarque toujours à la dernièremode, tout en étant acteur du développement

durable,aveclapossibilité,aufinal,d’acheterlevêtementoudelerendrepourprofiterd’un

autreenlocation!

Mon cerveau s’emballa aussitôt: pourquoi ne reprendrais-je pas ce principe pour des

vêtementsdetout-petits?Desvêtementsbioéthiquespourles0-3ans,auxquelsj’apporterais

une véritable valeur ajoutée par le biais d’ajouts de matières et de motifs qui rendraient

chaquepièceunique.Jen’auraisqu’àm’associeravecdesfournisseursdevêtementsdebase

bioéthiques, bodys, T-shirts, pantalons, pour ensuite les personnaliser. Du prêt-à-porter

hautecoutureaccessibleàtouteslesbourses…Oh,oui…Jetenaislàquelquechose!

Mon esprit s’échauffait, emporté par l’enthousiasme. Tous les parents adorent créer un

lookàleurbébé.Quin’ajamaisgagatisédevantleshabitsminiatures,sicraquants?Seulhic:

le prix prohibitif de tenues originales dont il faut changer trop souvent…Mais avec mon

concept, ils pourraient renouveler autant qu’ils le voudraient la garde-robe de leurs petits

mignonsgrâceausystèmedelalocation!Rapidement,j’établisunebasedecalcul:jepourrais

proposeruncontratdelocationdechaquepetitvêtementàcinqeurosparmois,enmoyenne.

Je travaillai sans relâche pour peaufiner mon projet, commençai à créer mes premiers

prototypespouravoirdequoidémarcherdespartenaires.

Sur le conseil de Claude, je pris contact avec une pépinière d’entreprises, structure

d’accompagnement de tout porteur de projet de création, et préparai un solide dossier de

présentation.Puisjecroisailesdoigtspourobtenirl’accordducomitéd’agrément…

Leschosesprenaientune tournureplutôt convaincante.Je sentaisdebonnesvibrations.

Quinze jours plus tard, lorsque je reçus une réponse positive de la pépinière, j’en tombai

presque à genoux de bonheur! Sébastien, malgré des inquiétudes somme toute bien

légitimes,avaitdécidédemesoutenir.Nerestaitplusmaintenantqu’àannoncerla«bonne»

nouvelle à ma mère… Cette idée m’enchantait beaucoup moins. Pour elle, un poste

permanentétait,professionnellement,laseuleoptionrecevable.Laconnaissantcommesije

l’avais faite – et non l’inverse –, j’appréhendais de lui révéler les bouleversements dema

vie…Àjustetitre.

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Je sonnai à la porte du petit appartement qui m’avait vue grandir avec un mélange

d’excitationetd’appréhension.Mamèrem’accueillitavecungrandsourireetmeserradans

ses bras, en une tendre accolade. J’étais nouée à l’idée de ce que j’allais lui annoncer,me

demandant comment elle réagirait. Je savais que d’ici quelques instants peut-être, cette

harmonietoutmielvoleraitenéclats…

— Installe-toi, ma chérie. J’arrive. Il faut juste que je voie où en estma blanquette de

veau…

—Maman!Tut’esencoredonnétropdemal!Jet’aiditunpetitsoupertoutsimple.

—C’esttroisfoisrienetçamefaittellementplaisir!

Jecapitulai.Commetoujours.

Jem’installai sur le canapé du petit salon, les jambes croisées, les battements demon

cœur serré réglés sur ceux de la grande horloge design qui trônait dans la pièce, trophée

rapportéd’unpéripleàNewYork.

Mamèremerejoignit,fringanteàl’idéedecetête-à-têteentrefilles.

—Voilà!Jesuistouteàtoi!

Jemeraclai lagorge.Elles’aperçutdemonmalaiseetuneombrepassaaussitôtsurson

visage.

—Çava,machérie?Tuasl’airtoutchose…

—C’estque…j’aiunenouvelleimportanteàt’annoncer.

—OhmonDieu!TuquittesSébastien?

—Maisnonmaman…

—C’estluiquitequitte?

— Maman! m’agaçai-je. Pourquoi faut-il que tu projettes toujours sur moi tes pires

angoisses?

Sonvisageserembrunitplusencore.

—Jeneprojettepas,machérie.Jesuisjustelucidesurlaréalitédelavie…Regardeceque

tonpèrenousafait…

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—Ça, c’est ton histoire,maman! Ça ne veut pas dire que les choses se passeront de la

mêmemanièrepourmoi!

—Tuasraison,excuse-moi…Alors,cettegrandenouvelle?Oh,jesais!Tuesenceinte!

Pourquoi fallait-il toujours qu’elle revienne à la charge sur ce point? Ne pouvait-elle

respecterlefaitquejenedésiraispasd’autreenfant?

—…

—Non?Bon…Dis-moi,alors,m’encouragea-t-elle,enmeprenantlamain.

—Jevaisquittermontravail.

Elleretiraaussitôtsamain.

—Cen’estpasvrai?

— Si maman, c’est vrai. Tu sais, il y a quelque temps, j’ai rencontré un homme

formidable…

—TutrompesSébastien!s’indigna-t-elle.

—Maman!Arrêtedefinirmesphraseset laisse-moiteraconter!Biensûrquenon, jene

trompe pas Sébastien… L’homme que j’ai rencontré m’accompagne depuis quelque temps

afindem’aideràfairelebilandemavieetàretrouverlechemindemonbonheurperdu…

— Comment ça, perdu? Je croyais que tu étais heureuse! Pourquoi tu ne m’en as pas

parlé?Jenecomprendspas…Tuasuntravail,unmariquit’aime,unenfantmagnifique…

—Ouimaman,j’aitoutçaetjecroyaisquej’étaisheureuse,moiaussi…Maisunmatin,je

me suis réveillée complètement vide, submergée par un vague à l’âme terrible… Grâce à

Claude,jesuisentrainderetrouverunsensàmavie.

—Claude?Ils’appelleClaude?Qu’est-cequ’ilfait,cetype,danslavie?

—Ilest…routinologue.

—…

—C’estunenouvelleapprochededéveloppementpersonnel, très forte…, tentai-jedeme

justifier.

—Qu’est-cequec’estquecetruc?s’alarma-t-elleaussitôt.Tusaisqu’ilfautseméfier…Ily

a tellement de charlatans, maintenant! Sous prétexte de te vendre du rêve et une vie

meilleure,ilstefonttombersousinfluence…

Jesavaisqueçatourneraitcommeça…

—Maman!Cen’estpasdutoutça!Quandest-cequetuarrêterasd’avoirpeurpourmoiet

demetraitercommeunepetitefille?Jesaiscequejefais.

—…

Etmaintenant,lemutisme.Ellememettaitlesnerfsàvif.

—Jevaisenfinréalisermonrêve,maman:monterunprojetpourtravaillerdanslamode

pourenfants.

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—Tuesconscientequec’estbouché,commesecteur?

Jelasentaisoscillerentrel’anxiétéetl’offuscation.

—Oui,maislà,j’aiimaginéunconceptuniqueetoriginal!Tuconnaisleleasing?

—Leleasing?Non…

—C’estunsystèmepratique,économiqueetécologiquequipermetauxgensdelouerdes

produits,avecoptiond’achat.C’estdéjàtrèsrépanduchezlesconcessionnairesautomobiles

etdanslesecteurdujouet.Encettepériodedecrise,lesgensn’achètentpasdevêtementsde

luxepourlesbébés.Tropcherpoursipeudetempsd’usage.Parcontre,jeleurproposeraide

leslouermoyennantcinqàquinzeeurosparmois.Jesuissûrequeçavaêtreunsuccès!

Jem’emballai.Maismamère,detouteévidence,étaitloindepartagermonenthousiasme.

— Et tu quittes ton emploi pour ça? Moi qui, toute ma vie, ai essayé de t’inculquer

l’importancede la stabilité financière…Tu te rendscompteque tupourraismettreenpéril

tonéquilibrefamilialetleconfortmatérield’Adrien,sijamaisçanemarchaitpas?

— Pourquoi faut-il toujours que tu envisages le pire? J’ai besoin que tu croies enmoi,

maman!Pasqueturuinesmesprojetsàcoupsd’inquiétudeetdepessimisme!

—EtSébastien,ilenpensequoi?

—Ilmesoutient.Nousavonsfaitnoscalculspourtenirlecouplespremierstemps…

—Quederisques!Quederisques!

— Oui, mais la vie elle-même est un risque! Il faut que tu comprennes que ce projet

représente pour moi une immense bouffée d’oxygène. J’ai l’impression de revivre, d’être

enfinmoi!

—…

Autantparleràunmur!

—Bon,jecroisquejevaisyaller.Jevoisbienquetun’espasencoreprêteàacceptercette

idée.

—…

Ellenecherchapasàmeretenir.Ellesemblaitassommée!

Une fois dans la rue, je fus saisie d’émotions contradictoires. Triste de me sentir

incomprise parma propremère. Agacée qu’elle neme fasse jamais confiance quant àma

capacitéàm’ensortir,maisaussi libéréed’avoirétémoi-même, fidèleàmes rêvesetàma

personnalitéprofonde.Enfin,j’avaismisunstopau«faireplaisir»systématique.J’osaisvivre

la vie qui me ressemblait et non une vie que ma mère avait imaginée pour moi. J’étais

néanmoinsencoreunpeumalàl’aisedansmanouvellepeau;jeressentaisdel’inconfort…Je

m’exaltais sur mon nouveau projet, mais que se passerait-il si, au bout du compte,

j’échouais?Simamèreavaitraison,avecsesmisesengarde?Cespenséesmegâchèrentun

peuleplaisir…Jeressentisalorsunvifbesoind’enparleràClaude.J’avaishâted’avoirson

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avissurlesujet.

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Claudem’avait de nouveau donné rendez-vous pour une de ces séances aussi inattendues

dansleurformeetleurcontenuquerichesd’enseignements.Maiscettefois,j’enconnaissais

précisément le lieu: lemuséeduLouvre. Jene voyais cependant pas pourquoi ilm’y avait

entraînée,ettandisquenousarpentionslesinnombrablesgaleries,jemedemandaiscequ’il

allaitbienpouvoir tirerdesongrandchapeaudemagicien.Enattendantde lesavoir, je lui

contaimon face-à-face avecmamère.Mais je le trouvai distant, ce qui ne lui ressemblait

guère. À quoi songeait-il? M’écoutait-il vraiment? Je m’évertuais à essayer de lui fairecomprendremesémotions,àquelpointlescepticismedemamèrem’avaitébranlée,etluine

sourcillaitmêmepas,poursuivantsacalmedéambulationparmilestableaux…

—Claude,vousnem’écoutezpas!m’impatientai-jeàlafin,énervéedesondétachement,

alorsquejevivaisunvéritabletsunamiintérieur.

Aprèstout,c’étaitluiquim’avaitdemandédelerejoindreauLouvre!Sic’étaitpourlevoir

agirexactementcommes’ilyétaitvenuseul,àquoibonm’êtredéplacée?

Ilnemeréponditpas,etmit ledoigtsur labouchepourm’enjoindrede fairesilence.Je

fussurlepointd’exploserd’indignation.Ilaccéléracependantlégèrementlepaset,avecun

sourireénigmatiquedecirconstancedansletempledelaJoconde,meconduisitdanslasalle

du grandMaître, Léonard de Vinci. Toujours sans un mot, il me fit asseoir sur l’une des

banquettes,faceàsonultimechefd’œuvre:LaVierge,l’EnfantJésusetsainteAnne.Etnous

restâmeslàunelonguepoignéedesecondes,faceàlatoile.

—Quevoyez-vous,Camille?medemanda-t-ilenfin.

Perplexe,jelaissaimesyeuxcourirsurletableau,essayantd’enpercerlasignification.

—Ehbien,jevoislaViergequisemblevouloirprendrel’EnfantJésusdanssesbras,mais

enmême temps, j’ai l’impression que l’enfant essaie de lui échapper, plus intéressé par le

petitagneauqu’ilveutlui-mêmeattraperqueparlatendreinvitedesamère…Quantàsainte

Anne,jeluitrouveunairdedétachementetdebienveillance.

Claudesouritàmespropos.

—Enfait,Camille,jevousaiamenéeicipourvousmontrercetableauetvousexpliquerce

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qu’ilreflèteàmesyeuxdelarelationmère-enfant.

Larelationmère-enfant…L’image furtived’Adrienmurmurantdansmoncou«je t’aime

maman» traversamonesprit, et j’eus enmême temps la sensationphysiquede sa chaleur

contremoi.Puisjemerevisdanslesalondemamère,essayantdeluiparlerdemesprojets

professionnels,souslejetconstantdesesinterruptions.

—L’agneausymbolise le sacrifice,poursuivitClaude, et le faitqueJésus leprennedans

sesbrassignifiequ’ilacceptesondestinfuneste.Marie,entantquemère,chercheàl’éloigner

decedestinde souffrance.Cequedit songesteprotecteur.Quantà sainteAnne, elle reste

dans une attitude de retenue; elle regarde sans intervenir, ce qui montre qu’elle accepte

symboliquementledestindesonpetit-fils.

Cette analyse éclairante de ce qui n’était encore pour moi, quelques instants plus tôt,

qu’unecharmantescènepastorale,mesouffla.Suspendueàsesparolesetlesyeuxfixéssur

letableauavecunintérêtrenouvelé,j’attendislasuiteavecimpatience.

—Toutemèreapeurpoursonenfantetcherchepartouslesmoyensàlepréserverdela

souffrance,Camille.C’estnaturel, intrinsèqueàl’amourmaternel.Maiscepeutêtreparfois

unfreinpourl’enfantquidoitaccomplirsondestinetfairesavie.Vousétiezjusqu’àprésent

dansunequêteconstanted’approbationvis-à-visdevotremère.Vousavezétouffévosdésirs

pourluifaireplaisiretnepasdécevoirsesattentes.C’estcommesivousaviezmarchétoutce

temps dans des chaussures trop étroites. Et maintenant que vous lui annoncez que vous

suivezvotreproprevoie,çaluifaitpeur.C’estnormal.Maisvousdevezapprendreàluilaisser

sa peur, à ne pas la prendre pour vous et à poursuivre votre chemin, en vous faisant

confiance. Quand elle vous verra épanouie et heureuse, croyez-moi, elle se réjouira pour

vous!

—Jel’espère,Claude,jel’espère…

Tout en lui répondant, je me demandai quelle sorte de mère j’étais exactement pour

Adrien.Est-cequejefaisaisbienleschoses?Est-cequej’avaislabonneattitude,cellequilui

permettrait de s’épanouir aumieux de ses capacités? Il était encore jeune, ses désirs, ses

besoins ceux d’un enfant… Mais quand il grandirait? Quand il devrait faire ses choix,

construiresonchemind’homme?Saurai-je l’accompagnersansprojetersur luidesattentes

qui ne seraient pas les siennes, commemamère l’avait fait pourmoi? Saurai-je l’écouter

vraimentetl’aiderdanssaréalisationdesoi?Oncroitfairepourlemieux,maisparfois,nos

craintes,notreamourmêmenousaveuglent…

Claude s’était tu, commepourmieux laisser le champ libre àmespensées. Je lui fisun

petitsourirepourluiindiquerquej’étaisànouveautoutouïe,etilreprit:

—Aujourd’hui,Camille,votremèreapeurquecechangementd’orientationvousapporte

son lot de souffrance.Or, il va bien falloir qu’elle comprenne qu’au bout d’unmoment, la

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vraiesouffrance,pourvous,seraitderestersansagir!Leplusgrave,cen’estpasd’échouer.

C’estdenepasavoiressayé.Detoutefaçon,onnepeutjamaisseprémunirdeséventuelles

souffrances,carellesfontpartiedelavie.Vouloiryéchapperestimpossible.Lavieestfaite

depainnoiretdepainblanc.Chacundoitl’acceptercommepartentièredesrèglesdujeude

l’existence!Résisteràcetteréaliténefaitquerenforcerlemal-être.C’estpourquoilessages

apprennent à agir sur ce sur quoi ils ont prise, non sur le cours extérieur des événements

maissurlafaçondelesappréhender.

Ses paroles me faisaient l’effet d’un filet d’eau fraîche un jour de canicule. Elles

renforçaientmadéterminationàpoursuivredanslavoietouteneuvequejem’étaistracée,et

medonnaientdugrainàmoudrepourplustard,lorsqu’àmontour,jeseraisconfrontéeaux

choixfondamentauxqueferaitmonfilspourforgersonavenird’adulte.

Aussi,lorsqu’ungroupedetouristesétrangers,nombreuxetbruyants,fitirruptiondansla

salle, interrompant notre passionnant échange, je grommelai et ne pus réprimer des

claquementsdelanguedésapprobateurs.

Claude,lui,restaimpassibleetsouriant.Riennel’énervaitdoncjamais?

Ilm’entraînadansuneautresalle,toutenpoursuivantsesexplications:

—Voyez,Camille,l’impactqu’ontencoresurvousdesélémentsextérieursperturbateurs.

Vouslaissezvotrebien-êtreàleurmerci.Laréalité,c’estquevousn’aurezjamaisvraimentla

mainsurlecoursdeschoses,etvousrisquezd’êtreéternellementcommeunpetitbouchon

de liège ballotté sur des flots capricieux. Pour le sage, la tempête peut bien faire rage en

surface,enprofondeur,lecalmerègnetoujours…Lesecret,c’estdereprendrelecontrôlede

votrementaletdedéciderquemêmeleschosesdésagréables,vouslesvivrezbien.Devoirdu

positifmêmedans le négatif.Vous verrez, c’est une façond’aborder l’existence qui change

tout.

—Ouimaisquandmême…Cen’estpassisimpledecontrôlersespensées!Nosréactions

nesontpastoujoursrationnelles.Moi,parexemple,çafaitplusieursjoursquejedoute,que

jenesuisplussûrederienpourmonprojet…J’aipeur.Jetrouveçatellementrisqué!Sans

compterquemamèren’estpas laseuleàémettredesréserves.Mameilleureamieetmon

oncle aussi m’ont dit qu’ils trouvaient que c’était fou de se lancer dans un concept aussi

incertainenpleinecrise!Jemedemandesijenevaispastoutarrêter…

Claudeposalamainsurmonavant-bras,etmeparlacommeàunepetitefillequiapeur

dunoir,d’unevoixchaudeetrassurante.

—Camille,etsi,pourcommencer,vousremplaciez«j’aipeur»par«jesuisexcitée»?Cette

astuce marche plutôt bien. Oscar Wilde disait: «La sagesse, c’est d’avoir des rêves

suffisammentgrandspournepas lesperdredevue lorsqu’on lespoursuit.»C’est vous qui

avez raison d’oser. Laissez-moi vous conter une petite histoire qui devrait vousmettre du

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baumeaucœuretvousredonnerconfiance…

Unefoisparan,auroyaumedesgrenouilles,unecourseétaitorganisée.Elleavaitchaque

foisunobjectifdifférent.Cetteannée-là,ilfallaitarriverausommetd’unevieilletour.Toutes

les grenouilles de l’étang se rassemblèrent pour assister à l’événement. Le top départ fut

donné.Lesgrenouillesspectatrices, jugeant lahauteurde la tour,necroyaientpaspossible

quelesconcurrentespuissentenatteindrelacime.Etlescommentairesfusaient:

«Impossible!Ellesn’yarriverontjamais!»

«Jamaisleurphysiqueneleurpermettrad’yarriver!»

«Ellesvontsedessécheravantd’êtreenhaut!»

Lesentendant,lesconcurrentescommencèrentàsedécouragerlesunesaprèslesautres.

Toutes, sauf quelques-unes qui, vaillamment, continuaient à grimper. Et les spectatrices

n’arrêtaient pas: «Vraiment pas la peine! Personne ne peut y arriver, regarde, elles ont

presquetoutesabandonné!»

Lesdernières s’avouèrentvaincues, saufune,qui continuaitdegrimperenverset contre

tout.Seule,etauprixd’unénormeeffort,elleatteignitlacimedelatour.

Les autres, stupéfaites, voulurent savoir comment elle y était arrivée. L’une d’elles

s’approchapour lui demander comment elle avait réussi l’épreuve.Et elle découvrit que la

gagnante…étaitsourde!

Prenez donc garde, Camille, de ne pas vous laisser influencer par l’opinion de votre

entourage.Ne lesécoutezpas.Nevous laissezpasdécourager.Mêmeceuxquivousaiment

projettent parfois sur vous leurs peurs et leurs doutes. Repérez vos pollueurs et faites en

sortequ’ilsnevouscontaminentpasparleurvisionnégative,désapprobatriceousceptique…

LesmotsdeClauderésonnèrentencorelongtempsàmesoreillesetfirentleurœuvre.Je

nepouvaispaset,surtout,jenevoulaispasfairemarchearrière:ceprojetprofessionnelme

tenaittropàcœur,etjesentaiscombienilétaitimportantquejelemènejusqu’aubout.Ilen

allaitdemonaccomplissementpersonnel.Jem’armaidoncpsychologiquementd’œillèreset

deboulesQuiès,biendécidéeàcontinuermaroute…

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Mon pot de départ à l’agence m’emplit d’un sentiment mitigé, mélange de libération

jubilatoire et d’une certaine anxiété. Est-ce que j’avais vraiment fait le bon choix? Ma

décision avait surpris tout le monde. La plupart demes collèguesme prenaient pour une

gentille mère de famille, installée sur les rails d’une vie bien rangée, et voilà que je me

transformaisenuneentrepreneuseaudacieuse,auprojetprofessionnelimprobable!

Lasallederéunionavaitdumalàcontenir tout lemonde,carmonchefavaitconvié les

autres équipes,profitantdemondépartpour créerdu lien entre les services.D’unepierre,

deuxcoups.

Certains, totalement indifférentsàmondépart,voireàmapetitepersonne,gobaientdes

cacahuètesetprofitaientduchampagnegratuitsansmêmeavoirl’idéedemesaluer.D’autres

venaientmedireunmot,cachantmalunepointedejalousie.

—Uneboutiqueencemoment?J’aiunamiquia faitça; iln’apaspusepayerpendant

cinqans.Cen’estplusdutravail,c’estdubénévolat!

—Entrepreneur?Mmm…Ilfautaimertirerlediableparlaqueue…

Après m’avoir dispensé leur bonne parole, ils partaient avec un «bonne chance» qui

sonnaitunpeucomme«bondébarras».

Leursargumentsme faisaientbouillir.Pourquoi toujours tout rapporter à l’argent?Cela

m’agaçaitprodigieusement.Unrêve,mêmeausalaireminimum,restaitunrêve!Jamaisjene

m’étaissentieaussivivantequ’encemoment,etça,çan’avaitpasdeprix!

Heureusement, certaines personnes s’étaient montrées vraiment adorables. Mélissa

notamment,quitravaillaitàl’accueil,m’avaitoffertunjolibouquetdefleurs.EtCrâned’œuf

s’était occupé deme trouver un cadeau au nomde l’équipe: un trèfle en cristal qui faisait

officedepresse-papiers,unmagnifiqueobjetdécoratifsignéLalique!J’eusdumalàcacher

monétonnement.

— Pour qu’il te porte chance dans tes projets…, m’expliqua-t-il. Tu le mettras dans ta

boutique,hein?

Jel’embrassaichaleureusement.Tantdedélicatessevenantdelui,j’étaissidérée!

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Mon boss s’approcha de moi à son tour, et je crus lire dans ses yeux une pointe

d’admirationetd’envie.

—Bonneroute,Camille!J’espèresincèrementquevosprojetsvontaboutir.Vousêtestrès

audacieusedevouslancerdansunetelleaventure,surtoutparlestempsquicourent…Avec

lacrise,lesgensn’osentplusrien!Enfin,sijamaisçanemarchaitpas,n’hésitezpasàrevenir

frapperàlaporte.Ilyauratoujoursuneplacepourvous.

—Mercimonsieur.Jen’oublieraipas.

Mêmesij’espéraisbiennejamaisavoiràrevenirenarrière…

Mon carton fut vite fait.Dix ans dema vie de travailleuse dansunmouchoir de poche!

J’avais l’impressiond’être enplein rêve.Mais impossible de savoir si c’était unbonouun

mauvais.

Tandis que je longeais les rues pour rentrer chez moi avec mon petit baluchon de

démissionnaire, je me sentais comme étrangère à moi-même, secouée par un cocktail

d’émotions contradictoires, soulagement, joie, sentiment de liberté, mais aussi, trac, peur,

anxiété,vertige…

Dans les jours qui suivirent, je m’activai de plus belle pour peaufiner mon montage

financier. Jem’étais renseignée sur l’apportpersonnelque j’étais censée fournir… Ildevait

représenteraumoins30%dumontantglobal.Mêmeengrattanttousmesfondsdetiroirs,je

nelesatteignaispastoutàfait…Serait-cequandmêmesuffisantpourconvaincreunebanque

etobtenirunfinancementcomplémentaire?

Aidée par les gens de la pépinière, je préparai un dossier en béton armé. Du moins,

l’espérais-je.Monpland’affairesbienficelé,jepartisàl’assautdesbanques.

Lematindupremierrendez-vous,monestomacjouaitaugrandhuit.Jeregardaisl’heure

touteslestrente-sixsecondes.Puisenfin,ilfuttemps.Etquandfautyaller,fautyaller…De

toutefaçon,jen’avaisplusd’onglesàronger.

Jem’étaispréparéuneplay-listdePowerSongs,desmusiquesquidonnentdelaforce.Ce

n’estpaspourrienquel’onpartaitàlaguerreenchansons.

J’écoutais à fond No surprises, de Radiohead, une chanson, selon moi, sur laquelle

n’importequipouvaits’écrireundestin.Jemarchaisdans larue,mesentantdifférentedes

autres,plongéedanslefilmseize-neuvièmedemasuccess-story.Est-cequeçasevoyaitsur

mon visage, ce qui était en train de m’arriver? J’essayais de lire la réponse sur celui des

passants;euxtrouvaientsansdoutejusteétrangequejelesregardedelasorte.Qu’importe!

J’avaislesmainsmoites,maisdesailesblanchesdansledos:finprêteàmelancer.

Malheureusement,monenthousiasmefutdecourtedurée.

Lebanquiermereçutfroidement.Jetaàpeineuncoupd’œilàmondossier.Tiquasurmon

mince apport financier et abrégea notre entretien, qui dura à peine dix minutes, en me

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promettant une réponse rapide. Effectivement, sur ce point, il tint parole. Quarante-huit

heuresaprès,jerecevaisuneréponsenégative.

Mon rendez-vous suivant dans une autre banque eut un malheureux air de déjà-vu. La

réponsenégativemecueillitenpleinerue,alorsquejerentraischezmoi,lesbraschargésde

courses.Àl’inconfortdelasituations’ajoutal’amèredéception.Unedeplus.Jesentaismon

rêveprendresesjambesàsoncou.Lapeuretladésillusionmepiquaientlagorge,lesyeux,le

nez.

QuandAdrienm’ouvritlaporte,jeluidisàpeinebonsoir,traçantjusqu’àlacuisinepour

qu’ilnepuissepasliresurmonvisagemadéconfiture.C’étaitoublierquelesenfantsontdes

capteursgéants:ilssententtout.

—Çava,maman?Tuveuxquejet’aideàrangerlescourses?

—Çava,çava,monchéri,jevaismedébrouiller…,dis-jeenfeignantdem’affairerdevant

lesplacards.

Jeluitournaisledosvolontairement,pourqu’ilnevoiepaspoindremeslarmes.

Peineperdue.

—Maismaman,tupleures?demanda-t-il,ensepenchantpourmieuxvoirmesyeuxety

constaterl’effractiondelatristesse.

—Maisnon,çava,jetedis!Allez,vajouerdanstachambre.

—Jenepartiraipastantquetunem’auraspasditcequinevapas!

Quelaplomb!Celaluiarrivait,parfois,dejouerl’hommedelamaisonetdemepaterner.

Sentantqu’ilnemelâcheraitpastantquejeneluiauraispasditcequimechiffonnait,jelui

expliquailerefusdelabanque.

— Tu comprends, il memanque encore un peu de sous pourmontermon projet, et la

banquen’apasvoulumelesprêter,alors,cesoir,jesuistriste.Maisnet’enfaispas,jen’ai

pasditmonderniermot!

Je m’efforçai de lui sourire à travers mes quelques larmes, pour ne pas l’inquiéter

davantage.

Ilmeserradanssesbraspourmefaireungroscâlinetmeditd’untonassuréd’homme

quiconnaîtlavie:

—T’inquiètepas,maman,çavas’arranger!

Puisiltournalestalonsetallajouerdanssachambre.Sonattitudem’arrachaunsourire.

Quelphénomène!medis-jeavectendresse.

Après avoir rangé les courses, je passai à la vaisselle enm’attaquant aux poêles que je

n’avaispaseulecouragedenettoyerlaveilleausoir.Jegrattaiàl’épongeavecl’énergiedu

désespoir, espérant que ce geste basique du quotidien arriverait à calmer mes nerfs

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malmenés.

Alorsque je commençais àmettre la table, appelantAdrienpourunpeud’aide, il arriva

danslesalonavecunairdeconspirateurravi.

—Maman?Tiens,prends.

Ilmetendituneenveloppeenkraft.

—Ouvre!m’exhorta-t-il.

Jem’exécutaietdécouvrisàl’intérieuruneliassedebilletsetunebonnecinquantainede

piècesdemonnaie.

—C’est pour toi,m’annonça-t-il, rayonnant de fierté. J’ai tout compté: il y a cent vingt-

troiseurosetquarante-cinqcentimes.Etsicen’estpasassez, jerevendraimaPS3.Comme

ça,tupourraslefairetonprojet,hein,maman?

Une boule d’émotionme serra la gorge. Dieu que je l’aimais en cet instant! Qu’il était

beau,avecsesyeuxbrillantsetsafouguenaturelle,àvouloirmesauverdeladéroute!

Jeleprisdansmesbraspourl’embrassertrèsfort.

—Mercimonamour,c’estadorablede tapart.Maisgarde tessouspour l’instant…Je te

prometsque,sij’enaibesoin,jeviendraitelesdemander…

—Promis?

—Promis,luiassurai-je.

Ilsemblaitàlafoiscontentettoutdemêmesoulagédepouvoirconserverseséconomies.

Voyant lesourirerevenusurmonvisage, ildutestimerqu’ilavaitréussisamissionets’en

allarangersonbutindanssachambre,lecœurléger.

Cetteinitiativesiadorablemitdubaumesurlemien.Ilnefallaitpasquejebaisselesbras.

Pourmoi,pourmonfils,pourtousceuxquicroyaientenmonprojet,jedevaism’accrocher!

C’est dans cet état d’esprit que je repartis à la conquête d’un financement, et présentai

mondossieràunetroisièmebanque…

À nouveau, quelques jours passèrent, et j’attendis, le moral gonflé à l’hélium de

l’espérance.Espérancequi,unefoisencore,explosaenvol.

Cetroisièmerefusvintcommeuncoupdemassue.

Troisbanques!Etaucuned’ellesn’avaitvouludevenirpartenairedemonprojet!Rienn’y

avait fait. Ni mon super sourire à la Catherine Deneuve, ni mon air sage et confiant à la

Gandhi,nimafouguedepromotricefaçonMichaelDouglasdansWallStreet…

Ledésespoirme gagna. L’angoisse aussi. J’avais quittémonposte, engagé des dépenses

pourfairefabriquermesmodèles…Siaucunebanquenemesuivait,j’étaisfinie!Jen’aurais

plusqu’àramperauxpiedsdemonancienbosspourlesupplierdemeredonnerunposteet

m’estimerheureusedereprendremapetitevierégléecommedupapieràmusique.

Ah,non,ça,jamais!

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Alors jemeretournai contreClaude.Ruminai.C’estvraiquoi, c’étaitbienà causede lui

quejem’étaislancéedansceplaninsensé!C’étaitluiquim’avaitencouragéedanscettevoie!

Etmaintenant,j’allaismecasserlafigure…Sébastiennemelepardonneraitjamais…Siçase

trouve,cette foutuehistoireallaitaussiemportermoncoupleetdétruirema famille.Déçu,

outragé,Séb’mequitterait,emmenantAdrienaveclui.Ruinée,dépressive,jefiniraisàlarue!

Le bad trip s’en donnait à cœur joie avec mes méninges survoltées. J’étais en pleine

catastrophe-stratégie!

Mamèreavaitraison,c’estdelafolie!Jen’yarriveraijamais…

Galvanisée par ma furpeur (il y a toujours de la peur dans la fureur), je débarquai en

trombeaucabinetdeClaude.Luietsafoutueméthode…J’allaisluidiremafaçondepenser!

Le mettre face à ses responsabilités, l’obliger à… à… je ne savais pas encore quoi, mais

l’obliger.

Jepassailebarragedelasecrétairesansm’arrêter.

—Madame,non,vousnepouvezpas…

J’allaismegêner!

J’ouvris sans ménagement la porte du bureau. Claude suspendit sa conversation

téléphoniqueenmevoyantdébarquer.

—Madame,s’ilvousplaît,tentaencorelasecrétaire.

—Laissez,Marianne.Jem’enoccupe.Uninstant,Camille.

Il termina sa conversation tranquillement. Son calmem’irritadavantage; il était trop en

contraste avec ma tourmente. Pourquoi fallait-il que cet homme ait l’air toujours si

souverain,etmoitellementenvrac?

—AlorsCamille,quesepasse-t-il?

— Comment ça, ce qui se passe? Il se passe que c’est la Bérézina! Que je viens d’avoir

aujourd’huiunetroisièmeréponsenégative!Quec’estlafindesharicots!

J’éructaiscommeunvieuxcoqcourroucé.

—Calmez-vous,Camille,ilyatoujoursunesolution…

—Ah non, alors là, stop! J’en aimarre de votre attitude positive! Regardez où ellem’a

menée,votre attitudepositive!Oui,vous,là,avecvosconseilsàlacon!Jesuisvulgaire?Tantmieux! Je vous ai cru, je vous ai fait confiance… J’ai envoyé valser mon emploi et voilà,

maintenant,vioup,plusrien!Àlarue,ladame!Non,mais,franchement…Oùest-cequevous

avezvuque j’avais l’étoffed’unentrepreneur?C’étaitcourud’avanceque j’allaism’ycasser

lesdents!

Claudemelaissadéversermabilesansintervenir.Ilsemblaitdésolédemevoirdanscet

état.Enentendantmesvitupérations,sonassistanterevintfrapperàlaporte.

—Toutvabien,monsieurDupontel?

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—Oui,toutvabien,Marianne,merci.

—MmeTheveniauds’impatiente…Vousaviezrendez-vousàlademie.

— Pouvez-vousm’excuser auprès d’elle et lui demander si elle peut revenir la semaine

prochaine?MerciMarianne.

Ildécommandaituneclientepourmoi?Étantdonnémonhumeur,çamefaisaitplaisirde

venirperturbersonaprès-midibienhuilée.Ilm’avaitpousséeàprendredesrisquespourme

lancerdansuneaventureprofessionnellecomplètementdélirante,etj’estimaisqu’ilavaitsa

partderesponsabilitéencasd’échec.

—Camille,calmez-vous!Troiséchecs,çaneveutpasdirequetoutestperdunonplus.Une

banque,deuxbanques,dixbanques…Ilfautpersévérer!Etsicen’estpaslebontiroir,ilfaut

enouvrird’autres!

— Persévérer, persévérer! Vous en avez de bonnes. Ce n’est pas vous qui avez tous les

joursàlirel’inquiétudeouladésapprobationdanslesyeuxdevosproches!

— «Face à la roche, le ruisseau l’emporte toujours, non pas par la force mais par la

persévérance.»H. JacksonBrown…— Vous commencez à m’énerver avec vos citations! Ce n’est pas avec ça que je vais

décrocherunprêtbancaire!

—Peut-êtrepas.Maiscen’estpasnonplusenvousmettantdansunétatpareil…Quelle

heureest-il?

—Commentça,quelleheureilest?18h15,pourquoi?

—Parfait,onajusteletemps…

—Letempspourquoiencore,Claude?demandai-je,énervéedesesincessantsmystères.

—Vousverrezbien!Allez,prenezvotremanteau!

—Mais…

Jenepusm’opposerdavantage.Claudemepritparlamanche,etm’entraînadehorsaupas

decourse.Sonautoriténaturellenesediscutaitpas.Outresavoiturequejeconnaissaisdéjà

–entreparenthèses,çadevaitsacrémentbienmarcherpourlui,pourqu’ilrouleenJaguar–,

ilpossédaitunscooterquiattendaitdevant soncabinet. Ilmeplanta sansménagementun

groscasquesurlatête,étouffantainsimesdernièresprotestations.

Nous fonçâmesdansParis.Jem’agrippaià sa taille,à la foisgriséeetapeurée.Ledéfilé

desrues, lesvisagesanonymesfloutésparlavitesse, lesconcertsdeKlaxon,lepanachedes

monuments,l’orclinquantàleursommet,laprofondeurimpénétrabledelaSeineetsesrives

charmantes, les mariés japonais posant devant les appareils photo pour l’éternité, lesvendeurs à la sauvette, les badauds, les pressésmontés sur ressorts…Tout cemanègeme

donnaitletournis.

Lebrusquearrêtduscooter,queClaudegarasuruntrottoir,mitfinàmarêveriecitadine.

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Devantmoi,unebâtissedepierresgrises:laparoisseSaint-Julien-le-Pauvre.

—Noussommespileà l’heure,déclaraClaude,visiblement satisfaitde sonpetit tourde

force.

—Claude,franchement,jenesuispasd’humeur…

Ilnemelaissapasterminermaphrase.Ilmefitpresserlepaspourentrerdansl’égliseet

noustrouvadeuxplacesautroisièmerang.

—Chut!Taisez-vousmaintenant.Etécoutez.

J’aurais volontiers protestémais déjà, une femme s’avançait sur la scène, accompagnée

d’unhommeencostumesombrequis’installacérémonieusementaupiano.

Les deux premiers airs me calmèrent. Les notes voluptueuses, dans un déplacement

invisible, venaient caresser mes tympans, créant dans tout mon corps des vibrations

apaisantes.

Ce fut au troisième air que l’émotion me saisit, lorsqu’un Ave Maria d’une pureté

cristallines’élevadanslanef.J’eneuslachairdepoule.Tantdeferveurmetransperçait.Les

larmesmemontèrentauxyeux…

Claude me jetait des petits regards en biais, heureux sans doute de voir que la magie

opérait.

Des frissonsme parcouraient tout le corps. Jeme sentais comme connectée à quelque

chosede«supérieur»sansvraimentpouvoirdirequoi…Maiscette sensationmeremplissaitdeforceetdeferveur.

Jepassaileresteduconcertsurunnuage.

Àlasortie,nousdécidâmesd’allerboireunverreauCaveaudesOubliettes.

— Claude, je suis désolée de m’être emportée tout à l’heure… C’était vraiment injuste.

Vousfaitestoutcequevouspouvezpourm’aider, jelesaisbien…Etsi j’échoue,cenesera

pasdevotrefaute.

—«Lesuccèsestlacapacitéd’allerd’échecenéchecsansperdresonenthousiasme»,disait

WinstonChurchill…

—Vousrecommencezavecvosphrases!

—Oups, désolé! Je voulais juste vous dire une fois encore que ce que vous vivez en ce

momentavecvotrerecherchede financementn’estpasunéchec.Ça faitpartiedesaléaset

déboires d’un parcours de réussite. Je vous ai amenée dans cette église pour vous faire

ressentirlaforcedelaferveur.Ilfautquevousgardiezlafoi!Faites-vousconfiance.Moi,je

croisenvous!

—Mmm…,grommelai-je,encoreunpeusurlaréserve.

—Alors,c’estreparti?medemanda-t-il,enmetendantlamain.

J’hésitaideuxsecondes,puisluitenditlamienne.

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—C’estreparti.

Quelques joursplus tard, jedécrochaiun rendez-vousavec labanquePopulis. J’avais lusurunmagazinequ’ilsavaientlaréputationdesoutenirlespetitsentrepreneursdélaisséspar

lescircuits financiersclassiques…Jeneprojetaiaucuneattente,cettefois,pournepasêtre

déçue.

Quand un coup de filme donna une réponse positive, huit jours plus tard, je tombai à

genouxd’émotiondansmonappartement.J’attendisd’avoirraccrochépourpousser–hurler!

–uncride joieà fairepâlirunecraiesuruntableaunoir.J’étaisàdeuxdoigtsdesoulever

mon T-shirt sur ma tête et de courir partout comme une dingue en hurlant:

«goaaaaaaaaaaaaaaal!»

J’avaisenfindécrochémonpasseportpourunenouvellevie.

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Ma victoire me valut un quatrième lotus Charms, violet celui-là, que je caressais

machinalement à mon cou, comme un grigri porte-bonheur. Je n’aurais jamais cru gravir

ainsileséchelonsduchangement,maisforceétaitdeconstaterquelaméthodefonctionnait.

Maintenant que j’avais les fonds, je pouvais enfin mettre en œuvre ce qu’il fallait pour

concrétisermonconceptdelocationdevêtementshautecouturepourtout-petits,àdesprix

trèsaccessibles.

Lelancementdelaboutiqueétaitprévusixmoisplustard.Etiln’yauraitpasunjourde

trop,d’icilà,pourquetoutsoitprêt!Parmoments,j’avaisl’impressiondemetransformeren

robotbioniquemultitâches.Jedevaisêtrepartoutàlafois:àlacréation,àlaréalisation,àla

logistique…

Il devenait impératif que je me fasse seconder. Point de salut sans bras droit! En la

matière,jepoussaimêmeleluxejusqu’àm’enoffrirquatre,enfinhuitencomptantaussiles

brasgauches.Bref,quatrepairesdemainshorspairtrouvéeschezdejeunescouturièresqui

mefirent l’honneurdevoirenmonprojetuntremplinpour leurcarrière.Ellesacceptèrent

doncdejouerlejeud’êtretrèspeurémunéréesjusqu’aulancementofficieldemonaffaireet

demisersurmaréussite.Notrefineéquipes’installadansuneboutiquedelarueLeGoffque

j’avais louée, à deux pas du Luxembourg. Ce n’était pas immense, mais cela suffirait

amplementpourundébut.Etlelocalavaitbeaucoupdecharme.Despoutresapparentes,une

mezzanine,unearrière-boutiquetrèslumineuseetmêmeunsous-solaménageablepourdes

vestiairesetuncoincuisine.

J’emmenaiAdrienvisiter.

—C’esttropstylé,maman!

Cequiletaraudaitleplus,c’étaitdesavoirsij’allaisdevenirriche.Iljouaitàénumérerce

quenouspourrionsnousoffrir,sijedevenaiscélèbregrâceàmaboutique.Ilsevoyaitdéjàà

bord des plus belles voitures, Porsche rouge un jour, Bugatti noire le lendemain… Il était

tellementmignonavecsesyeuxquibrillaientd’excitation!Jemerégalaisdelevoirprofiter

dutempsdel’insoucianceetdesplaisirssimples…

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Rêve,monfils,rêve,medisais-jeavecunsourireattendri.Etquetoujourslaréalitétesoit

douce!

J’avaiségalement remuéciel et terrepour trouverdespartenairesquime fourniraientà

moindrecoûtlesvêtementsdebaseencotonetchanvrebiologiques,certainsmêmeenlaine

d’alpaga,lainedeyaketbambou.

Lorsquejereçusenfinmescommandes,jecaressailonguementcesmatièresincroyables,

jubilantàl’idéedecequej’allaisenfaire.

Durant cette période, j’étais gagnée par une irrépressible effervescence créative. Je

dormaispeu,mais, bizarrement, sans en ressentird’effets indésirables. Jem’étonnais.Moi

quid’ordinaireressemblaisàunescargotneurasthéniqueaumoindremanquedesommeil…

On aurait pu croire que j’étais dopée. Et dans un sens, je l’étais, dopée à l’enthousiasme!

Réaliserainsimesdésirslesplusprofondsmenourrissaitcommeaucuneautresèven’aurait

pulefaire.Jamaisjen’avaisétéhabitéeparunetelleénergie!

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Claudesuivaitmesavancéescommeunpapa-poule.Etenparlantdepapa,ilnemanquapas

demerappelerquedanslalistedesobjectifsqu’ilmerestaitàaccomplirfiguraitcelui-ci:me

réconcilieravecmonpère.

Là,jeprotestai.

—Claude, cen’est vraimentpas lemomentdemedemanderça.Vousvoyezbienque je

suiscomplètementdébordée!Jen’aidéjàpasuneminutepourmoi…

—Iln’y apasdemeilleurmoment, au contraire,Camille.Etpuis, vous sentezbienque

cettechosevoustrottedanslatêtedepuisdesannéesetvousgênecommeuneépinedansle

pied… Pourquoi rester un jour de plus avec cette douleur? Vous serez tellement soulagée

d’avoirfaitunpaspourréglercettesituation.LanouvelleCamillenelaissepaslesproblèmes

ensuspens,n’est-cepas?

—Bon,bon,çava…Jeverraisijepeuxtrouverunmoment…

Çam’énervaitqu’ilm’imposecelamaintenant…Maismel’imposait-ilvraiment?Jesavais

qu’ilavaitraison,toutaufonddemoi.Jenepouvais laisser lasituationperdurer.Jedevais

faireface.Cettehistoire,jel’avaisglisséed’uncoupdebalaisousletapisdemaconscience,

pensant qu’elle se ferait oublier. Que nenni! Elle n’avait cessé, toutes ces années, de me

grignoter insidieusement lemoral. La culpabilitémêlée de rancœur, tapie dans l’ombre de

mon cœur, faisait son travail de sape.Mais comment pardonner à celui que je ne pouvais

appelerautrementque«mongéniteur»denousavoirquittéesavantquej’aieaccomplimes

premierspas?

Sixansquejen’avaispasrevumonpère.Depuiscettescèneaffreuseaucoursdelaquelle

j’avaisvouluréglermescomptesaveclui,décollermestimbresauraitditClaude.Àl’époque,

c’étaitcarrémentunekalachnikovàreprochesquej’avaisbrandie!J’avaisdéversésurluimes

munitions,sansluilaisserlamoindrechancedes’expliquer.Labileavaitenvahimesveines

aussisûrementquedelaciguë.Jetapaispourluifairemal.Unecolèredepetitefille,çapeut

renverser des tables et casser des chaises. Toute la partie obscure en moi avait explosé

commeunvolcan en éruption.Les émotionsnégatives emmagasinéespendant ses longues

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absencesétaientremontéesàlasurface.Jevoulaisluifairepayersonéloignementàcoupsde

motsmeurtriers…Pourquoiavait-ilquittémaman?Étais-jeunbébétropbruyantqu’iln’avait

pusupporter?Oùétait-il,quandj’avaispeur,quandj’avaismal?

Malheureusement,monrèglementdecomptesm’avaitéclatéenpleinvisagecommeune

grenade dégoupillée, et j’avais abouti à un résultat que je ne souhaitais pas vraiment: une

rupturepureetsimple.

Les semaines, les mois, les années avaient passé sans que j’ose le premier pas de la

réconciliation… Je craignais sa réaction et, pire encore, un nouveau rejet. Avec le recul, je

comprenaismieuxpourquoi ilavaitquitté le foyer.J’étaisunaccidentsurvenudanssavie,

alorsqu’ilétaitbeaucouptropjeune.À23ans,iln’avaitnilamaturiténilamotivationpour

assumerunenfant.Ilavaitnéanmoinsaidémamèreàlahauteurdecequesesrevenuslui

permettaient,etvenaitmerendrevisitede tempsen temps.Ces instants, raresetprécieux,

melaissaientunsouvenirmémorable,ungoûtsucrédebarbe-à-papa.

Jemis unmoment à retrouver le précieux petit répertoire téléphonique, poussiéreux et

écorné,enfouisousunamoncellementdepapiersstockésaufinfondd’unplacard.

Ilétaitlà…Sonnuméro…

Je restai de longues minutes devant le combiné, le cœur battant, les mains moites, la

bouchesècheàl’idéedenepastrouverlesmots.Puis,enfin,jemelançai.

Lessonneriesretentirent,puisildécrocha:

—Allo?

—…

—Allo??

—Papa?

—…

«Lepardonnefaitpasoublierlepassé,maisélargitlefutur»,disaitPaulBoese.C’étaitvrai.

Après ce coupde fil àmonpère, jeme sentisplus légère.Ce fut commesi j’avais coupé la

corde qui retenait dans le sillage de mon navire de lourds barils et l’empêchait d’aller de

l’avant. Au début, bien sûr, lesmots s’étaient étranglés, avaient peiné à sortir, entre nous.

Puis nous avions trouvé la voix du cœur, sincère et juste, pour jeter un pont entre nous.

Émus,nousavionsalorsconvenudedînerensemble.Cemomentcomplicefutuneoccasion

unique de déposer le fardeau de nos meurtrissures respectives et nous apporta une belle

rédemption.Làoù iln’yavaitplusdenotrehistoirequepointillésetpointsdesuspension,

nousvenionsderouvrirdesguillemets…

J’enrestaislecœurbaba.

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Étrangement, depuis que je m’étais réconciliée avec mon père, je me sentais également

apaisée dans ma relation de couple. Peut-être étais-je en train de prendre conscience des

amalgamesquejefabriquaisdepuislongtempsentrelescomportementsdemonpèreetcelui

demon conjoint? À quel pointma peur d’être quittée commemamère l’avait étém’avait

intoxiquée, jetant un voile d’ombre sur ma relation avec Sébastien? Mais c’était fini

aujourd’hui. Je ne laisserais plus jamais le passé interagir avec le présent, ni conditionner

mesrelations!

Bien sûr, je ne pourrais empêcher que mon mari parte avec une autre, si le destin en

décidaitainsi.Maisj’étaismaintenantsereine:jesavaisque,quoiqu’iladvienne,jepourrais

compter surmes ressources intérieures pour faire face. Et cette certitudeme donnait une

forceincroyable,forcequejen’auraisjamaiscruposséder.

J’avaisdoncfaitlapaix,semblait-il,aveclagentmasculine.

Je savourai cette pensée en dégustant une bonne tasse de thé vert, lorsqu’un matin,

Sébastienentradanslacuisineenmetendantuneenveloppe.

—Tiens,pourtoi,unelettreaucourrier.

Àl’intérieur,unecourtemissive:

Rendez-vousjeudiàl’EspaceMilleetcentciels,pouruneréunionausommet!Soyezàl’heure:14hprécises.Àjeudi,Claude.

Quemanigançait-ilencore?

Sébastien, qui s’était beurré une tranche de pain, me fixait du coin de l’œil, tout en

mâchantunetartine.

—Encoredutravail?

—Euh…oui!Queveux-tu…

—Onnet’arrêteplus!

Jelesentisunpeupréoccupé,fébrile–jen’auraissudireexactement–,etm’approchaide

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luipourluivoleruntendrebaiser.

—Net’inquiètepas.Lejeuenvautlachandelle!Etbientôt,tuverraslesrésultats!

—Jen’endoutepas…

Lejeudi,j’abandonnailesfillesàl’atelier,laissantmesinstructionspourl’après-midi,etfilai

àmonrendez-vous,nonsansavoirpasséune tenuechicetglamourquimevalutquelques

sifflets et quolibets dans la rue. Je rosis,mais vu l’adressedu lieude rendez-vous, dans le

XVIearrondissement,jem’étaisditquemieuxvalaitêtredansleton.Etn’était-cepasaussi

uneoccasionparfaitedevoircommentjem’ensortaisdanslapeaudelanouvelleCamille?Si

j’encroyaislesregardsflatteursquejerécoltais,celasemblaitmarcherplutôtbien.

Enpoussantlaportedel’EspaceMilleetcentciels,j’euslesoufflecoupé.Lehallàluitout

seulsemblaitchanterunhymneàlabeautédespalaisd’Orient.Matièresraffinées,mobilier

aux formesélégantes, fragrances subtiles, couleurs chatoyantes…J’eus l’impressiond’avoir

faitunvoyagedansl’espace-temps.Quelbonheur!Etceslustres!Ceslanternesanciennes!Et

ces tapis profonds et moelleux posés, ici sur des parquets anciens, là sur des mosaïques

artisanales! Jeme sentis aussitôt captivée par l’atmosphère envoûtante de clair-obscur qui

projetaitsurchaquevisagedesombresdemystère.

Mais leseulvraimystèredemeurait:pourquoiClaudem’avait-il faitvenir ici?C’estavec

cettequestionentêtequejemedirigeaid’unpasfermeversl’hôtessed’accueil.

—Lebar,s’ilvousplaît?J’airendez-vous.

—Aufonddel’allée,toutdesuiteàvotregauche.

Jeparcouruslecheminindiqué,lecœurbattantplusfortdansmapoitrine.Qu’est-ceque

c’étaitencorequecettemiseenscène?

Arrivée dans le bar, aussi magnifiquement décoré que le hall d’entrée, je scrutai les

personnes présentes. Aucune silhouette ne me rappelait celle de Claude… Je le maudis

intérieurement de son retard: j’avais horreur de poireauter toute seule dans ce genre

d’endroit. Les hommes avaient si tôt fait de seméprendre sur les intentions d’une femme

seule! J’essayai donc d’adopter un air détaché et sûr demoi, répétant dansma têtemon -mantra devenu habituel depuis quelques semaines: «Je suis Catherine Deneuve, je suis

CatherineDeneuve…»

Monvoisindecomptoirmetournait ledosetm’offrait lavisionmassivedesoncomplet

bleumarine, audemeurant fortbien coupé.Belle carrure,medis-je, avantdem’apercevoir

avectroublequeledosétaitentraindeseretourner.

—Vousici!meditalorsl’hommeavecunsouriredésarmant.

—Mais…Mais…Qu’est-ce…

—Ehbien,tuvois,iln’yapasquetonClaudequisacheorchestrerdessurprises!

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Sébastienencadramonvisagedesesmainscommeilauraitsaisiunegravureprécieuse,et

m’embrassa langoureusement.Jem’enflammaiplusquederaison,délicieusementtroublée

parl’inconvenanceetl’incongruitédecebaiserdansuntellieu.Heureusement,leserveurfit

minederegarderailleurs.Sébastiens’écartademoietplantasesyeuxdans lesmienspour

observer leseffets jolimentravageursdesonaudace.MaboucheétaitsaBastilledu jouret

sonregardbrillantsemblaitappeleràlarévolutiondenosamours.

J’enbalbutiai.

—Incroyable!Maiscommentas-tufaitpour…

—Tsit,tsit,tsit!IlsetrouvequetonClaudeestfinalementbeaucouppluscoolquejene

l’avais imaginé! Iln’apashésitéà jouer les complicespourm’aideràmettre surpiedcette

petitemiseenscène: ilaécrit lemotpourtefairecroirequelerendez-vousétaitavec lui…

Amusant,non?

—Ilvam’entendre!dis-je,mais j’étaisbientropraviedurésultatpour luienvouloir.Et

alors?Que comptes-tu fairedemoi qui vaille la peinedem’arracher à quelquesheuresde

précieuxtravail?

—Mmm…Deschosesquineteferontpasregretterd’êtrevenue!Etpuis,unmomentde

détenteneterendraqueplusproductive,n’est-cepas,mabusinesswomanpréférée?

Ilnousavaitconcoctéunprogrammed’enfer.Hammam,sauna,piscine,gommagedouxau

savonnoir à l’eucalyptus.Nousnous abandonnâmes en duo auxmains expertes de jeunes

masseuses balinaises, qui nous amenèrent proche du septième ciel. Tout mon corps se

délassait,tandisquejetenaislamaindeSébastien,tendrecontactquiajoutaitencore,s’ilen

étaitbesoin,àlasensualitédecettedélicieusepausekinesthésique…Quandnousquittâmes

lacabine,jenetouchaisdéjàplusterre.

Le dîner aux chandelles qui suivit fut l’apogée de cette journée et expédiames papilles

directement au nirvana. Ce lieu flattait les sens commenul autre ailleurs.Mais ce quime

ravit le plus, ce fut de constater que Sébastien me regardait de nouveau avec ses yeux

d’autrefois,enShéhérazade…

Etça,c’étaitplusqu’unobjectifatteint.C’étaitunvœuexaucé!

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LapauseidylliqueofferteparSébastienm’avaitgalvanisée.Etheureusement,carlapériode

quisuivitfutterriblementéprouvante.Jedustenirdesdélaisimpossibles,négocieravecdes

fournisseurs avides, manager une équipe encore inexpérimentée, effectuer des démarches

administrativesrocambolesques,créerlanuit,organiser le jour…Bref, jen’étaispasloinde

craquer. Par bonheur, je disposais d’un comité de soutien hors normes. Famille et amis

défilaientdansl’atelierpourmanifesterhautetfortleursencouragements.Etcelamefaisait

chaudaucœur.Jevoulaistantqu’ilssoientfiersdemoi!

Claude, mon cher Claude, ne ménageait pas non plus ses efforts: il m’avait promis de

contacterdesrelationsdepresse.Ildisaitconnaîtredumonde…Aumoinsunechosedontje

n’auraispasàm’occuper!Commentferais-jepourleremercierunjour?

Pour l’heure,mon nouveau bébé prenait de plus en plus de vigueur. La naissance était

pour bientôt. Il était donc temps de lui trouver un nom. J’organisai une séance de

brainstormingdansl’arrière-boutique.Claudem’avaitconseillédeconvoquerdespersonnes

d’horizons différents. Ce serait plus riche ainsi et la matière première créative serait plus

intéressante. En plus de mes couturières, je conviai donc ma coiffeuse et mon

kinésithérapeute, qui acceptèrent gentiment de se prêter au jeu. Je leur annonçai la règle

préalable à toute séancede créativité, leCQFD:pasde critiquenide censure;des idées en

quantité; de la fantaisie, du farfelu; les suggestions qui se font écho, rebondissent…Nous

devions cependant garder en tête les points clés: notre cible – les petits de 0 à 3 ans– et

l’offrespécifique–desvêtementsbioéthiques,uneapprochehautecoutureauprixduprêt-à-

portergrâceauleasing.

Pournouschaufferlesneurones,nouscommençâmesparjeterpêle-mêlesurunefeuille

de papier tous les mots qui nous venaient à l’esprit, puis nous décidâmes d’explorer plus

précisémentlevocabulairepropreàlapetiteenfance:

Boutdechou,brindille,cigogne,cacabouda(onabienditpasdecensure!),hautcommetroispommes,abracadabra,patapoum,mini,bambin,miaou,123soleil,pirouette,

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cacahouète,bébécadum,berceau,petitsdoigts…

Nousnotâmesaussiquelquesmotsliésàl’universdelacoutureetdelamode:

Defilenaiguille,boutonsd’or,doigtsdefée,création,lacomptineÀlamodedecheznous…

Claude nous aida à faire une carte de positionnement. Sur le graphique, deux axes se

recoupaientetformaientquatrepôles:l’universbébépratique,l’universbébé«enchanté»,le

bio équitable, la mode à louer. Ainsi, nous pourrions «classer» nos trouvailles, ce qui

faciliteraitnotrechoix.

Puislarondedesnomscommença…

— Fashionimo! jeta ma coiffeuse. C’est bon ça, les noms qui se terminent en «imo»?

Némo,Géronimo,Pinocchio?OuMinimode?

—Bien!Jenote…

—Etpourquoipas:LesPetitsDoigtsd’or?proposaGéraldine,l’unedemescouturières.

—OuMaillesetMalices?s’exclamaLucie,illuminéeparsatrouvaille.

—LesBBverts!ditFabienne.Benquoi?OnabienlesBBbrunes!C’esttendance.

—Biomode!lançamonkiné.

—Ahnon!Çafaittropmédical!

—Pasdecritique,onadit!

—Et3pommes,çasonnebien,non?

—Génial!Saufqueçaexistedéjà…

—Oh…

Aprèsavoir évincé lesnomsdéjàpris, lesnoms trop longs, lesnomspasbeaux, les trop

tordus, nous arrivâmes à une liste de quatre possibilités: BBécot, Vert Bambin, Les Fées

modeetP’tittrousso.Chacunportaitunmessage,disaitquelquechoseduprojet.

BBécot… Le nom contenait le mot «bébé». On entendait aussi «éco» pour écologique,

«bécot», synonyme de tendre petit baiser, allusion à ces petits moments précieux que

partagentunemamanetsonbébé.

VertBambin parlait avec«Vert»du côté écolo/équitable et rappelait, avec«Bambin», laciblevêtementspourbébés.

LesFéesmodeouvraientd’embléesurl’universdelamagie,séduisanteetattractivepour

le public de la petite enfance. Le fait de parler demode était important aussi, puisque les

vêtements créés sevoulaient fashion.Onentendait également«l’effetmode», clind’œil au

leasingquipermetdecraquerpourunvêtementàlamode,puisd’enchangertrèsvite.

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P’tit trousso… le nom évoquait la notion de «trousseau» et sa connotation de

transmission.Autrefois, le trousseauétaitquelquechosedeprimordialque l’onconstituait

aufildesans.Ainsi,cenomdonneraitdel’importanceauconceptensuggérantauxparents

qu’ilsoffraientàleurenfantdesvêtementsd’importance,despiècesuniques.

Lestergiversationsallèrentbontrainpendantencoredeuxheures.Puisladécisiontomba:

ceseraitLesFéesmode.Uneeuphoriegagnaalorslegroupe,contentdelâcherlessoupapes

aprèscettelongueséancedecréativité.

—Champagne!

J’enavaisplacéunebouteilleaufrigoenprévision.Tandisquenoustrinquionsensemble

joyeusement,jenepusm’empêcherdefixerlenominscritengrossurlepaperboard,etdéjà

monimaginations’enflammaitpourluicréeruneidentitévisuelle…

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Etpuis…etpuis,legrandjourarriva.L’inauguration,enfin!

Laboutiqueétaitpleineàcraquer.Touslesinvitéssetenaientautourdemoi,uneflûtede

champagneàlamain.Pourl’occasion,monpetitcomptoirdemodeavaitrevêtuseshabitsde

fête:ici,unbuffetdrapédeblanc,avecunmaîtred’hôtelauxgantsnonmoinsblancsetàl’air

solennelderigueur,là,uneravissantehôtessed’accueil…

Mamère me couvait d’un regard admiratif. À côté d’elle, mon père, qui avait fait tout

spécialement le déplacement, ne pouvait cacher son émotion et, assez peu discrètement,

m’adressaitdesclinsd’œiloutranciersetlevaitlespoucespourmeféliciter.Voirmesparents

côte à côte, la hache de guerre enterrée, en train de bavarder comme de vieux amis, me

comblait.SébastienetAdrien,aupremierplan,mimaientdesapplaudissementstriomphants

etme faisaient rire.Mon filsavait racontéà toussescopainsquesamèreallaitouvrirune

boutique de haute couture pour enfants et qu’elle allait devenir célèbre! Cette vision

fantasméedemoi,quiseulepouvaitnaîtred’unimaginaireenfantin,metouchait.Maiscequi

m’émouvaitleplus,c’étaitdelirelafiertédanssonregard…

Maseuledéception:Clauden’étaitpasencorelà.Ilallaitratermondiscours,danslequel

j’avais bien entendu prévu de lui rendre un bel hommage. Qu’est-ce qu’il pouvait bien

fabriquer?Cen’étaitpassongenred’arriverenretard,etj’étaisvaguementinquiète.Lecœur

unpeuserré,jeprislaparoleetcommençaiàremerciertousceuxquiavaientprisunepart

active,àquelquetitrequecesoit,àlamiseenœuvreetlaréalisationdemonrêve.

Soudain,unbrouhahasefitentendreauniveaudelaported’entréeetunegrosseagitation

sembla gagner l’assemblée. Une meute de gens s’engouffra dans la boutique, semant un

certaintrouble.Jenecomprenaispascequisepassait,tropsecouéeparletam-tamdemon

propre cœur. Crépitements de flashs, de cris… Telle la mer rouge de la Bible, le flot des

visiteurs s’ouvrit petit à petit jusqu’àmoi, offrant le passage à une stupéfiante apparition:

Jean-PaulGaultierenpersonne!Etjustederrièrelui,Claude,goguenard,éclatantd’unejoie

complice,mesouriaitàbellesdents,heureuxdevoirsasurprisefairetoutsoneffet.

Jen’enrevenaispas!

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À plusieurs reprises, déjà, ce projetm’avait apporté de grandsmoments de satisfaction.

Lorsque l’imprimeurm’avait téléphoné, toutd’abord,pourm’annoncerquemesplaquettes

publicitairesetmescartesdevisitesétaientprêtes.Puislorsquej’avaisassistéauxdernières

finitionsà ladevanturedemaboutique.Cette émotion, cette jubilation,quand les artisans

avaientdonnél’ultimecoupdepinceauauxtroismotssésamesdemanouvellevie:LesFées

mode! J’enavais écraséquelques larmesdiscrètes.Tantde cheminparcouru en seulement

quelques mois! La réussite serait-elle au rendez-vous? Je comptais sur cette soiréed’inaugurationpourmedonnerundébutderéponse,mais là…Là,çadépassait toutceque

j’avaispuimaginer.Jean-PaulGaultier!Lui-même!Dansmaboutique!

Je tendis à mon idole une main tremblante qu’il serra chaleureusement. Je l’entendis,

commeà traversunbrouillard enchanté, expliquer à l’assembléequ’il était heureux et fier

d’être leparraindemaboutique,dont leconcept l’avaitbeaucoupséduit.QuandClaude lui

avaitenvoyé laprésentationduprojet, iln’avaitpashésité longtempspouroffrirsonimage

médiatique,afindedonneràmesFéesmodeuneplusgrandevisibilité.

—Camilleaungrandtalentdestyliste,poursuivit-il.Sesmodèlespetiteenfancepossèdentune véritable originalité. Et offrir la possibilité aux familles d’accéder à des vêtements

uniqueshautdegammeàpetitsprix,grâceauleasing,c’estincroyablementmalin.Vraiment,

bravo,Camille!

Jen’encroyaisnimesyeux,nimesoreilles.Jean-PaulGaultierm’applaudissantàbâtons

rompus!Jesentisleslarmesmemonterauxyeux,tandisqu’ilconcluait:

—Jeseraiheureuxdeluioffrirmonsoutienetsiellelesouhaite,mesconseils!

J’étaisaucombledubonheur!

Les journalistes prirent ensuite des photos de nous deux. Puis ils me posèrent des

questions pour pouvoir écrire leur article. Grâce à l’incroyable démarche de Claude, mon

conceptallaitêtrejolimentmédiatisé!Plusqu’uncoupdepouce:unvéritabletremplin…

Verslafindesoirée,Claudes’approchademoi.Jen’hésitaipasuninstantetleserraidans

mesbras.Jeluidevaistellement!

—Claude!Jenesaiscommentvousremercierpourtoutcequevousavezfaitpourmoi…

—Jesuisheureuxdevotresuccès,Camille,ettrèsfierdevous!Jecroisquevousavezbien

méritéça…

Il me tendit alors la fameuse petite boîte entourée, cette fois, d’un joli ruban doré. Je

devinaiaussitôtcequ’ellecontenait:lelotusnoir.Ledernierdestalismans.

Les yeux humides, je l’embrassai chaleureusement et le Charms rejoignit sur la chaîne

ceuxquej’avaisdéjàgagnés.

—Jedoisyaller,maintenant,dit-il.Encoretoutesmesfélicitations.

Avant de partir, ilme glissa une petite enveloppe blanche dans le creux de lamain. Je

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l’ouvrisaprèssondépart.

Lemotdisait:

MachèreCamille,Permettez-moi de vous fixer un ultime rendez-vous. J’ai quelques révélations à vousfaire. Puis j’aurai fini ma mission auprès de vous et vous pourrez continuer votrechemin,enétantsûred’êtresurleBONchemin!Rendez-vousdoncaprès-demainà14h,enhautdel’ArcdeTriomphe.Encorebravo,etbellenuit,votredévoué,Claude.

Quellesurprisemeréservait-ilencore?

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J’avaisdoncrendez-voustoutenhautdel’ArcdeTriomphe…JereconnaissaisbienlàClaude

et son goût desmétaphores: pour cette entrevue destinée àmarquer la fin de samission

auprèsdemoi,quelmeilleurendroiteneffet?Carpouruntriomphe,son«enseignement»en

avaitétéun!Maisjelesoupçonnais,comptetenudelamodestiedontilavaitfaitpreuveetde

son souci de mettre en avant mes avancées et mes réussites plutôt que ses succès de

«mentor»,devouloircélébrermonpropretriomphe,celuiquis’incarnaitdanstantdepetites

chosesauquotidien,commedansdeplusgrandes,dontLesFéesmodeétaientl’emblème…

J’approchaidumonument,admirantsursesflancslesallégorieséclatantesdelavictoire.

Oui,quelmeilleurendroit,vraiment,pourcélébrerl’achèvementdemonprojetpersonnelet

rendrehommageaubrillant accompagnementmenéparClaude?J’avaislementonglorieuxet l’œil fier, tandis que je passais à côté du soldat inconnu et jeme sentais habitée d’une

mêmeflamme.

Parvenue tout en haut de l’édifice, j’observai la vie au-dessous demoi, tous ces points

minusculesquis’agitaientdanstouslessens,cesvoituresdelatailled’autos-tamponneuses,

ceshumainsgroscommedespixelscolorés…Leventfaisaitdansermescheveuxetj’inspirais

àpleinspoumons lesparticulesde libertéetd’ambitionquisemblaient flotterautourdece

lieuchargéd’histoireetdeconquêtes.

Claudesetenaitlàetm’accueillitàbrasouverts.

—Claude!Quelplaisirdevousvoir!

—MoiaussiCamille.Alors,remisedevosémotionsdel’autresoir?

— Pour ça oui. C’était merveilleux! Merci encore pour tout ce que vous avez fait. Et

l’arrivée de Jean-Paul Gaultier, c’était dingue! Jeme demande encore comment vous avez

réussicemiracle.

—Ah,ah!Petitsecretdefabrication…Mais,voussavez,sileconceptneluiavaitpasplu,il

neseraitpasvenu.Leméritevousrevientdoncentièrement.Avez-vousvu leshauts-reliefs

de ce monument, Camille? C’est magnifique, n’est-ce pas? Je ne voyais pas de meilleur

endroitpourachevercettemission.Toutecettesymboliquedevictoire,de liberté,depaix…

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C’est ce que vous avez réussi à gagner, grâce à vos efforts, à votre volonté et à tous les

changementspositifsquevousavezmisenœuvredansvotrevie…

—Jen’yseraisjamaisarrivéesansvous!

—Toutlemondeabesoind’unguideàunmomentouunautre,etjesuisheureuxd’avoir

puvousaider…

Nousnoustûmesuninstant,émus,leregardrivésurl’exceptionnelpanoramaqu’offraitla

terrasseoùnousnoustrouvions.

—Voussavez,Camille, j’aimeàpenserquenoussommes touscitoyensdumonde,mais

peudegensenontvraimentconscience.Chacunpourraitdevenir«ambassadeurdelapaix»

rien qu’en agissant à son niveau, en œuvrant à sa sérénité intérieure et à son bonheur.

Imaginezl’impact,sideplusenplusdegenschoisissaientlecerclevertueuxaulieuducercle

vicieux…

—C’estvrai.C’estpourçaquejesuisbiencontented’êtrerevenuedansleboncercle.Vous

m’avez tellement appris!Même si votremission auprèsdemoi s’achève, j’espère vraiment

quenouspourronscontinuerànousvoir.

—…

—Claude?

Sonvisages’étaitbrusquementassombri.

—Peut-êtrequequand jevousaurai faitmesrévélations,vousn’aurezplusenviedeme

voir…

—Dequoimeparlez-vous?Quellesrévélations?

—Jedoisvousdireunsecretquivapeut-êtrevousbouleverser.

—Vousmefaitespeur…

—Alorsvoilà…

J’étaissuspendueàseslèvres.

—Jenesuispasdutoutroutinologue.

—…

Jeleregardaisanscomprendre.

—En vrai, je suis architecte. D’ailleurs, lamaison que vous avez vue, c’estmoi qui l’ai

dessinée!C’étaitmonrêve…Devenirungrandarchitecte.Vousm’auriezconnuilyaquinze

ans, j’étaisungarspaumé,complètementdéprimé,gros, sansavenir…J’habitaisauxÉtats-

Unisàcetteépoque.Jetravaillaiscommeserveurdansunepizzéria,àdesannéeslumièresde

mes idéaux. C’est là que j’ai pris vingt kilos…Une fuite en avant dans la nourriture pour

oublieruneblessureencoreàvif…Toutçaàcaused’unehistoired’amourquiamalfini…

Claudehachaitsesphrasesetjelisaissursonvisageàquelpointcetépisodeavaitdûêtre

douloureuxpourlui.Lestraitscrispésàl’évocationdecesouvenirpénible,ilpoursuivit:

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—J’ai quitté la France à la suite d’une rupture brutale et douloureuse avec celle que je

pensaisêtre la femmedemavie.Elleestpartieavecmonmeilleurami…Une trahisonqui

m’acomplètementmisparterre.Nousallionspasserentroisièmeannéed’Archietprojetions

denousmarionsàlafindenosétudes.Jenepouvaispasresterdanssonsillage.J’airessenti

le besoin de m’en aller loin, très loin, de tout laisser tomber, y compris mon rêve

professionnel,pour l’oublier.Unocéanentreelleetmoinesemblaitpasde trop!Maisune

foisauxStates,madépressionn’afaitqu’empirer.Jemesuistotalementlaisséaller,jusqu’à

devenirénorme.

Jem’écriaidansundéclicsoudain:

—Maisalors,l’hommedelaphoto,c’étaitvous!

Cefutàsontourdenepascomprendre.

Ilmefallutexpliquerl’indélicatessequim’avaitvaludedécouvrirleclichédanssontiroir.

—Oui,c’étaitbienmoi.L’autrehomme,c’estJackMiller.C’estluiquis’estoccupédemoi

et m’a remis sur les rails pour m’aider à devenir ce que je suis aujourd’hui. Sans lui, je

n’aurais jamais repris l’architecture, je ne croyais plus en moi. C’est mon mentor, mon…

routinologue!

—Commentça,votreroutinologue?

Leventfaisaitvolersamèchepoivreetseletsesyeuxsefirentpluspétillants.Ilpoussaun

grossoupir,puissedécidaàtoutmeconfier.

—Camille,ilesttempsquejevousexplique…Laroutinologie,ensoi,estuneinvention.Il

s’agitenréalitéd’unesortedechaîned’entraide,derelaisdelaréussite:celuiquiaétéaidé

devientroutinologueàsontouretdoittransmettrecequ’ilaappris,envenantenaideàune

autrepersonnedesonchoix.

—Mais…Mais…Cen’estpaspossible…C’est…C’estincroyable!

—C’estlavérité.

— Et votre cabinet? Votre assistante? Et cette jeune femme qui me disait avoir été

accompagnéeparvous?

— Une mise en scène montée de toutes pièces. En réalité, ce cabinet est mon bureau

d’architecteetMariannemonassistantehabituelle.J’aidûlamettredanslaconfidenceetla

convaincre de jouer le jeu. Cette femme qui a accepté de témoigner comme étant une

anciennecliente,c’estmapetite-nièce…Pourlereste,ilmesuffisait,àchacunedevosvisites,

decachertoutcequiauraitputrahirmonvraimétieretdemettreenévidencequelquesfaux

dossiersderoutinologue…

—C’étaitdoncpourça,leplandemaisonaveclescotesetlesdossiersempilés?

Ilacquiesçaensilence,guettantmaréaction.

— Mais alors, vous n’avez pas vraiment de compétences ni de légitimité pour jouer le

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coachavecmoi?

Iltoussota.C’étaitlapremièrefoisquejelevoyaisperdredesacontenance.

— Oui et non, Camille. Car chaque nouveau «routinologue» a reçu, comme vous, un

apprentissage,qu’ilreproduitensuitescrupuleusement.Pourvous,çaamarché,non?

Jesentaisqu’ilattendaitdemoiuneformed’absolution.Jen’étaispasencoretoutà fait

prêteàlaluidonner.Ilallaitd’abordfalloirquejedigèretoutça.Ildutliredansmespensées,

carilreprit:

—Necroyezpasquejenesaispascequevousressentez,Camille.Pourmoiaussi,çaaété

unchoc,quandj’aiapprisqueJackMillern’étaitpasroutinologue…Certes,laméthoden’est

pasclassique,pastrèsorthodoxemême,maisellevautlapeine,vousnecroyezpas?

Nousnousregardâmesintensément.Uninstantsuspendu,fort,complice…

Jecapitulai.

—Oui.Çaenvautlapeine.

Ilrespiraànouveau.Souriant,ilfarfouilladanssasacochepourenextrairequelquechose.

—Alors,vousêtesprêteàrecevoirceci…

Il me tendit un épais cahier. À l’intérieur, je retrouvai toutes les étapes de mon

programme,lesexpériences,lesapprentissages,lesinstructionsdétaillées.Jeparcourusavec

émotioncespagesrempliesdenotes,deschémas,dephotos…Quelrecueilimpressionnant!

—Je l’ai tenupour vous tout au longde votre parcours.C’est un support qui vous sera

précieuxpouraccompagner,plus tard,celuioucellequevouschoisirez.Surunregard,une

parole,voussaurezquec’estlabonnepersonne…

—Ças’estpassécommeçapourmoi?

—Oui.Çafaisaitquatreansquej’attendaisdetrouverquij’auraisenvied’accompagner!

J’enrestaisbouchebée,flattéeaussi.

Puisilmetenditdescartesdevisitederoutinologueimpriméesàmonnom–commes’il

n’avait pas douté un seul instant que je dise oui –, ainsi que des fausses pochettes de

dossiers,desphotosetdestémoignagesderemerciementsquej’auraisàafficheraumurde

monfuturcabinetdeconsultation…Toutelapanoplieduparfaitroutinologue!

—Jevous enprie.Prenez-les.Àvotre tourde transmettre tout cequevousavezappris.

Vousleferez,n’est-cepas?Vousnelaisserezpaslachaînedesroutinologuesserompre?

Savoixavaitprisl’accentdelasupplication.

J’étaischamboulée.Sonregardsoutint lemienavec insistance.Toutcequenousavions

vécu me revint en mémoire. L’émotion me serra la gorge. Je tendis le bras et pris le

matériel…Jeluidevaisbiença,non?

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Les gouttes, de plus en plus grosses, s’écrasaient sur mon pare-brise. Les essuie-glaces

grinçaient,maisenmoi,toutétaitcalme.Malgrélapluie,lagrisaille,lesembouteillagesetla

marerougeque lespharesrépandaientdans lanuit.Pour lapremière foisdemavie, jeme

sentaispleinementenpaix,«alignée»commeauraitditClaude.Fini le tempsoù lavieme

chahutaitcommeunevulgairebrindilleprisedansletumulteduvent.Jouraprèsjour,jene

cessaisdem’émerveillerdemesressources intérieuresetmesentaisconnectéeàune force

dontjenesoupçonnaispasjusque-làl’existence.Jemesentaisprêteàfairefaceàtoutesles

situations.J’avaisenfincompriscommentprendrelesrênesdemavieetpourrienaumonde

nelesauraislaisséess’échapperdemesmains.

Autour de moi, à l’arrêt dans les voitures, empêtrés dans un collé-serré de taules, des

visagesrembrunis, agacés,fatigués.J’avaisenvied’ouvrirmesvitresetdecrieràtue-têtelemode d’emploi de Claude pour se rabibocher avec le bonheur. Au lieu de cela, je me

contentaisdesourirebéatement,enattendantquelefeupasseauvert.

Vert! Jedémarrai en trombe,presséede libérer la voie,maisunvéhicule, grillant le feu

rouge,m’emboutitviolemmentsurladroite…

Off.

Grosblanc.

Puisbientôt,lessirènes.

Oh,unjolipompier,medis-je,tandisqu’onm’extrayaitdemonvéhicule.

Quelques instantsplus tard, assisedans le camiondes secours, jeme remettaisdemon

choc.Unefemmefitalorsirruption:lachauffarde.Ellefonditsurmoi,serépanditenexcuses

larmoyantes,semaudit,sefustigea,s’admonesta,seplus-bas-que-terra…

Je l’écoutaisans l’interrompre.Je l’auraisvouluque jen’auraispuréussir:quand il faut

queçasorte,fautqueçasorte.Touteslesdeux,nousn’avionsrien,àpartquelquesbleuset

égratignures.Plusdepeurquedemal.Malgrétout,elleneseremettaitpasd’avoirprovoqué

l’accident.

Aprèsleconstatd’usageetdifférentesformalitésadministrativo-policières,nousgarâmes

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nos voitures sur le bas-côté pour libérer la chaussée. Elles seraient enlevées par nos

assureursrespectifs.

Pour nous remettre du froid et du choc, je proposai alors àmon emboutisseuse encore

toutecontrited’allerboireunchocolatchaud,enattendantlesdépanneuses.Ellesemblaàla

foisreconnaissanteetincrédulequejeluitémoignecettedélicateattention.

Elledéversasurmoiautantderemerciementsqued’excusesuninstantauparavant.Jene

meformalisaipasdecedébordementverbal:ellesemblaitvraimentàbout,lapauvre.

Nous commandâmes des chocolats chauds – viennois pourmoi, le réconfort d’un petit

monticuledechantillys’imposait!Jevoyaissalèvreinférieuretrembloter,lasentaisaubord

d’unflotdeconfidencestroplongtempscontenues.

Jeposaimamainsursonavant-brasensigned’encouragement.

—Nevous inquiétezpas! luidis-je.Cen’estpas si grave!Etpuis, ils commencentàme

connaître,mesassureurs.J’ai euaffaireàeux il yaquelquesmois.Aveccequ’on lespaie,

autantqu’ilsserventàquelquechose!

Deslarmescommençaientàperleraucoindesesgrandsyeuxbleusagités,perdusdansun

visagelargeetrond.

—Mer…Merci!Vous…Vous êtes si gentille!À votreplace, je crois que j’auraispété les

plombs!

—Çan’auraitpasserviàgrand-chose.

— Je suis si… si… désolée! Je ne sais pas ce qui m’arrive, ces derniers temps, rien ne

tourne rond! Je suis à vif, j’ai envie de tout envoyer balader… Et là-dessus, cette journée

effroyable,vraiment,c’esttrop!

Elle s’effondra devant moi dans une explosion de sanglots. Ce qui ne fut pas sans me

rappelerdeschoses…

Lesbattementsdemoncœurs’accélèrent.Lemomentétaitpeut-êtrevenu?Sheistheone,

pensai-jeavecunecertaineémotion.

Allais-jeêtreàlahauteurdelatâche?Inconsciemment,jemeredressaidansmonfauteuil

debistrot,etprisuneprofonde inspirationavantdeplonger lamaindans lapochedemon

manteauetdecaresserlepetitboutdecartonquis’ytrouvait.

—Commentvousappelez-vous?demandai-je.

—Isabelle.

Jeluitendismapetitecarte.

—TenezIsabelle.Prenez.Ilsetrouvequejepourraipeut-êtrevousêtreutile…

Elle se saisitdemacartedevisiteavec l’air incréduledequelqu’unquinevoitpasbien

commentonpourraitluivenirenaide.

—Jesuisroutinologue.

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—Routino-quoi?

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Petitlexiquederoutinologie

Ancragepositif

C’estunetechniquequivouspermettradevousmettredansunbon«étatressource»,c’est-à-

diredansdesconditionsphysiquesetémotionnellesfavorables.Comment?Enréactivantces

mêmessensations,ressentieslorsd’unmomentheureux.

Pour cela, créez votre ancre: dans un endroit calme, visualisez bien lemoment heureux

dont vous voulez vous souvenir, ressentez intensément l’état émotionnel que vous voulezpouvoirretrouver,etassociez-luiunstimulus:mot,imageougeste.Avecdel’entraînement,vous réactiverez l’ancre en reproduisant le geste, lemot, ou en évoquant l’image associée,

afinderetrouverl’étatémotionnelsouhaité.

Appareilphotoimaginaire

Pouractionnervotre«appareilphotoimaginaire»etmodifierlefiltredeperceptiondevotre

réalité, il vous faut être à l’affût du beau, focaliser votre attention sur des choses jolies,

agréables, réjouissantes, dans la rue, dans les transports, partout où vous allez. Vous

constituerezainsiuncatalogued’images intérieurespositives:extrêmementbénéfiquepour

reprogrammervotrecerveauenpositif!

Artdelamodélisation

Il s’agitdevous trouverdesmodèlesparmi lespersonnalitésou lespersonnagesde fiction

dontvousadmirezunequalité,unaspectde leurvie.CommeCamille,vouspouvezdresser

leur portrait chinois («J’aimerais avoir la sagesse d’un Gandhi, la grâce d’une Audrey

Hepburn,etc.»),faireunpatchworkdeleursphotosetl’afficheràunendroitoùvouspourrez

le voir souvent, ou encore imaginer que vous êtes telle ou telle personne, et agir en

conséquence pour gagner en confiance en vous. Prenez le meilleur de vos mentors –

attitudes, bonnes pratiques, philosophie –, et construisez ainsi votre propre modèle de

réussite!

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Cahierdesengagements

Cecahiervousserviraànoterlesobjectifsquevousvousêtesfixés,lesengagementsprisvis-

à-vis de vous-même, afin de vous impliquer complètement dans vos résolutions. Et pour

chacund’eux, indiquez ensuite s’il est atteint ou pas.Rappelez-vous que le plus important

n’estpasde«savoircequ’ilfaudraitfaire»,maisdelefaire.Justdoit!

Carnetdupositif

Ils’agitd’unrépertoiresurlequelvousnoterez,parordrealphabétique,vospetitsetgrands

succès,vospetitesetgrandesjoies.Laméthode?Pourchaquelettre,pensezàdesmots-clés

qui évoquent desmoments forts et positifs. Exemple: A commeAmour (décrivez vos plus

beauxmomentsamoureux),ouArthur(lesbonsmomentsavecvotreenfant),ouAntibes(si

l’endroitévoquedesvacancesmémorables),ouArtsmartiaux(silesouvenird’unemédaille

vousaempli(e)dejoie),etc.Décrivezlesouveniravecprécision–l’environnement,lesgens

–,etdétaillezégalementvossensationsphysiquesetémotionnelles.

Catalogueinterned’imagespositives

Ilvadepairavecl’appareilphotoimaginaire!Vousconstituezunalbumphotomentaliséde

moments agréables, paisibles, à convoquer régulièrement pour retrouver ces bonnes

vibrations.Toutcelacontribueàrenforcerunmentalfortetunevisiondumondepositive.

Changerdedialogueintérieur

Pouryparvenir,unetechniquequiafaitsespreuves:répétezchaquematindevantlemiroir

des affirmations positives sur vous-même.Même si vousn’y croyez pas encore tout à fait,

votrecerveau, lui, lesentendet lesenregistre!Vousygagnerezenbien-être, et restaurerez

uneimagevaloriséedevous-même.

Chansonsénergisantes

Composez-vousunelistedelecturedemusiquesquivousdonnerontdesailesdansledos.

Coderouge

Il s’agit d’un petit signe dont vous pourrez convenir avec votre conjoint(e) (ou avec un

enfant)pourle(la) prévenirqu’ilyadangerdedispute.C’estunesortedewarning, commeenvoiture.Legesteagitcommeunelumièrequiclignoteetmetl’autreengarde.Lamontée

encascadedel’agressivitépourraainsiêtreévitée.

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Couperlesélastiques(dupassé)

Les«élastiques»dupassésontdesévénementsquivousontaffecté(e)etdontvousn’avez

pas conscience de l’influence sur votre présent. Certaines circonstances de votre vied’aujourd’hui réactivent ces blessures et libèrent malgré vous une charge émotionnelle

disproportionnée par rapport à l’événement déclencheur. Pour vivremieux le quotidien, il

convient d’identifier ces «élastiques» et de les «couper», en en prenant conscience tout

d’abord, puis en entreprenant certaines actions, par exemple en travaillant sur des colères

refouléesd’autrefois,oubiendesdeuils inachevés(libérer laparoleet lesressentissoitpar

l’écriture,soitauprèsd’unthérapeute).

Créativitéamoureuse

Osezlacréativité!Faitesdesbrainstormingsamoureux:noteztoutesvosidéesensuivantla

règleduCQFD.Cbarré:pasdecensurenidecritique.Qpourquantité:émettezunmaximum

d’idées.Fpourbienvenueaufarfelu:notezmêmelesidéeslesplusfollesetimprobables!D

pourdémultiplication:uneidéevousfaitpenseràuneautreidée,celas’appellerebondir!Que

vous imaginiez des lovtxt (des textos d’amour créatifs), ou que vous cherchiez des lieux

insolites de rendez-vous pour surprendre votre amoureux(se), la créativité reste votre

meilleurealliéeanti-routine.

Décollersestimbres

Vous«décollerezvostimbres»enosantdirecequevousavezsurlecœur,enexprimantvos

contrariétés au fur et àmesure qu’il y a gêne, conflit – latent ou non. Vous éviterez ainsi

l’effetcocotte-minuteetl’explosion.

Empathiemouillée

Vous pratiquez l’empathie mouillée lorsque vous prenez à votre charge les problèmes de

l’autre,quevousabsorbezsesémotionsnégatives.C’estainsiquevousfinissezparallermal,

vousaussi.

Empathiesèche

Vouspratiquezl’empathiesèchelorsquevousadoptezuneattituded’écoutedistancée,écoute

quivouspermetd’entendreetdecompatiraveclesproblèmesdevotreentourage,sansvous

laissercontaminerpar leshumeursnéfastes.C’estunbouclierdeprotectiontrèsutilepour

nepasvouslaisseraspirer.

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Faire«commesi»

La techniquementale du «faire comme si» consiste à agir comme si la situation qui vous

embarrasseou lachosequevousavezà faireetpour laquellevousrenâclezunpeuétait la

situation ou l’activité la plus passionnante du monde. Vivez-la à 400%; ne vivotez pas,

n’attendezpasenruminantqu’unchangementprovidentieltombeduciel.

Fairelechat

Vous«ferez le chat» en vous accordant unpetitmoment rien qu’à vous, un petitmoment

paisible et calme, bien ancré dans l’instant présent, où vous pourrez vous étirer, bâiller,laisser vos idées flotter comme une méditation. Faire le chat, c’est tout simplement se

contenter«d’être»,sanscéderàlapressiondu«faire»…

FaireuneF.E.T.E.

Plutôtqued’utiliser la«mitrailletteàreproches»,parlezposémentdevotreressenti,encas

de situation tendue ou blessante, formulez une demande claire à votre interlocuteur. Pour

cela, rappelez lesF/Faitsquivousont contrarié(e).PuisexprimezvotreE/Émotion, ceque

vous avez ressenti. Proposez ensuite unT/Terrain d’E/Entente, c’est-à-dire une suggestion

d’amélioration,unesolutiongagnant-gagnantpourlesdeuxparties.

Instantsdegratitude

Chaquejour,ayezentêteunremerciementpourtoutcequevotrejournéevousaapportéde

positif,duplusinsignifiantauplusgrandbonheur(dubienfaitd’unetassedecaféauréveil,à

l’incommensurablejoied’unaccomplissementpersonnel).

Listedevosexpériencespositivesetlistedevosqualités

Établissezlalistedesévénementspasséslesplusmarquantspourvousentermesderéussite

et celle de vosqualités et savoir-faire.Cela vouspermettrade vous focaliser sur les points

positifs de votre vie ou de votre personne, et de regagner ainsi du terrain sur le plan de

l’estimedesoi.

MéthodeSMART

Cetteméthodevousaideraàdéfinirlesobjectifsquevoussouhaitezatteindreetàobtenirles

meilleures chances de les atteindre. Il vous faut vous assurer que votre objectif est

S/Spécifique (clairement cerné et adapté), M/Mesurable (un indicateur de succès doit

pouvoir établir qu’il est atteint), A/Atteignable (défini de manière à pouvoir être réalisé,

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découpé en une série d’objectifs accessibles; il ne doit pas être «l’inaccessible étoile»),

R/Réaliste(pourmaintenirunemotivationforte,votreobjectifdoitêtrecohérentparrapport

àvotreprofiletvoscompétences)etT/Temporellementdéfini(vousvousêtesfixéunedate

butoir).

Mission«Grandblanc»

C’estlegrandménageinetout.

Le ménage in ou ménage intérieur: vous allez identifier tout ce qui vous paraît toxique,

néfaste, sclérosantdansvotre relationauxautres,votreorganisation,votreenvironnement.

CommeCamille,vouspouvezétablirunelistede«jeneveuxplus…»

Leménageout,ménageextérieur:vousallezvousconcentrersurvotrecadredeviepour

l’améliorerdetouteslesfaçonspossibles,envousdébarrassantdesobjetsinutilesouabîmés,

enfaisantdutri,durangement,enrafraîchissantladécoration…

Mitrailletteàreproches

C’est«l’arme»dontnoususons,lorsquenousfaisonscommencernosphrasesparle«tu»du

reproche(«Tunepensesjamaisà…Tuteplongesdanstonordisansmedemandersi…»).À

proscrireabsolumentpour éviterdemettre lepieddans l’engrenagede l’agressivité.Mieux

vautapprendreàformulersesressentisenutilisant«je».

Nourrirsesrats

Vous«nourrissezvosrats»sivousencouragezlapartiedevous-mêmequiaimebiensefaire

plaindreetjouerlesCaliméro.Cequiestsouhaitable,donc,c’estd’arrêterdelesnourrir,ces

rats,etd’essayerdecomprendreenquoicemauvaisrôlenourritcertainesdevospeursoude

vos blessures secrètes. Vous deviendrez ainsi moins atteignable, parce que plus sûr(e) de

vous.

Penséeetattitudepositives

Vos paroles ont une vibration. Votre attitude physique aussi. Les deux influencent

grandementvotrementalet,parextension,votreréalité.Voilàpourquoiilestbond’adopter

unepenséeetuneattitudepositives.Se tenirdroitplutôtquevoûté, sourireversus faire la

tête,voirlepositifentoutechoseplutôtqueseplaindreetsedécourager…Entraînez-vousà

laformulationpositive:employezdansvosphraseslatournurepositiveplutôtquenégative,

laformeactiveplutôtquepassive.Dire«jen’yarriveraijamaisdanslestemps»,cen’estpas

pareil que dire «je fais face aux difficultés en m’organisant et en mobilisant mes

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ressources»…Àvousdejouer!

Respirationprofonde

Deux à trois fois par jour, prenez le temps de respirer profondément. Asseyez-vous

tranquillement,relâchezbientouteslestensionsdansvotrecorps,desserrezlesmâchoiresen

entrouvrant légèrement la bouche. Inspirez jusqu’à quatre, bloquez deux, expirez quatre,

bloquezdeux.Progressivement,vousaméliorerezvoscapacitésrespiratoiresetpasserezàdes

rythmesinspiration-apnée/expiration-apnéetelsque8-4/8,12-6/12,16-8/16.

À savoir: la qualité de votre expiration est primordiale, car mieux vous expirez, mieux

vousremplissezensuitevospoumonsd’airneuf!Or,cetapportenoxygènevaressourcertout

votrecorps,sansparlerdevotrecerveau…

Chérissezcesoufflevitaletimaginezqu’ilprocèdecommeunmassageintérieur.

Rumignotte

C’estvotrecagnotteanti-rumination!Pourcréervotrerumignotte,recyclezunbocalouune

bonbonnière.L’idée:chaquefoisquevousvoussurprenezàruminerunepenséenégativeou

stérile, glissez un euro ou un dollar dans la rumignotte. Une pratique ouverte à toute la

famille!

Sourireintérieur

Lesmaîtrestaoïstesenseignaientl’artdusourireintérieur–oul’artderetrouverlasérénité

intérieure –, garant de santé, de bonheur et de longévité. C’est un état de bien-être et de

calme qui s’obtient par des exercices réguliers de relaxation, de respiration profonde. Le

sourire intérieur, c’est aussi la capacité à développer acceptation, bienveillance, générosité,

amourpoursoietpourautrui.Êtrehabitéparcetétatd’espritestcequiapportelafameuse

«paixintérieure».

Théoriedespetitspas

Cette théorie nous dit qu’il est sage d’envisager le changement comme une succession de

petites étapes, de petites transformations, plutôt que comme une montagne immense à

franchir d’un coup. Il apparaît ainsi moins effrayant et son résultat n’en sera que mieux

atteint!

Triangledramatique

Le triangle dramatique est un principe qui décrit les trois rôles symboliques que nous

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pouvonsoccuper tourà tour,plusoumoinsconsciemment,dans le scénariod’unerelation

négative:celuidelavictime,dupersécuteuroudusauveur.Dansuntelschéma,ilnepeuty

avoird’issuefavorable,àmoinsdesortirdujeu.

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Remerciements

Un immensemerci à Stéphanie Ricordel et Élodie Dusseaux, éditrices chez Eyrolles, pouravoircruenmonprojetetluiavoirpermisdevoirlejour.

Merci à Erwan Leseul d’Édito et à Christine Michaud d’avoir choisi de le défendre au

Québec.

MercitoutaussigrandàStéphanie,masœurjumelle,etàmamèrequim’onténormément

aidée et soutenue de leur avis bienveillant et constructif tout au long de l’écriture de cet

ouvrage.

MerciàRégis,moncréatifbien-aimé,quim’asouffléletitredecelivre.

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RaphaëlleGiordano

Écrivain, artiste peintre, coach en créativité… La création est un fil rouge dans la vie de

Raphaëlle.Diplôméedel’ÉcolesupérieureEstienneenArtsappliqués,ellecultivesapassion

desmots et des concepts pendant quelques années en agences de communication à Paris,

avant de créer sa propre structure dans l’événementiel et le coaching créatif

(www.emotone.com).

Quant à la psychologie, tombée dedans quand elle était petite, formée et certifiée à de

nombreux outils, elle en a fait son autre grande spécialité. Ainsi, ses premiers livres

proposentuneapproche résolument créativedudéveloppementpersonnel, tant sur le fond

que sur la forme. Les secrets du docteur Coolzen: (une collection de quatre titres),Mon

carnetdecoaching100%bonheur,J’aidécidéd’êtrezen…

Avecsonpremierroman,Tadeuxièmeviecommencequandtucomprendsquetun’enas

qu’une,elleseconsacreàunthèmequiluiestcher:l’artdetransformersaviepourtrouverle

chemindubien-êtreetdubonheur.

Etlaroutinologie?

Constatant qu’un nombre croissant de personnes possédant tout pour être heureuses sans

finalement parvenir à l’être se trouvaient en proie à une forme de morosité chronique,

Raphaëlle a créé un métier essentiel. Ni psy, ni coach, le routinologue est un expert en

accompagnementdansl’artderetrouverlebonheurperdu!

Poursuivrel’actualitédeRaphaëlleGiordano(datesdeconférences,séminaires,webinars), -rendez-voussurwww.routinologue.com

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