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Table des mat ières

Note de l’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Première partieLes racines de la révolte

Chapitre 1. Le pays de nulle part . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

Chapitre 2. Le rock’n’roll . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

Chapitre 3. Au secours ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

Deuxième partie Une longue nuit obscure et cynique

Chapitre 4. Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

Chapitre 5. L’Amour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

Chapitre 6. La méditation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

Chapitre 7. Le cynisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

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Troisième partieLa vie en tant qu’œuvre d’art

Chapitre 8. La renaissance de l’artiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113

Chapitre 9. Le pacifi ste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127

Chapitre 10. Le militant social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139

Chapitre 11. L’homme au foyer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155

Quatrième partieL’idéalisme cynique

Chapitre 12. Les superstars . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169

Chapitre 13. Psy-jeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179

Chapitre 14. Imagine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187

Chapitre 15. Pour briller encore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195

Épilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207

Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211

Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227

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Int roduc t ion

L ’agent catalyseur qui a transformé le rêve que j’avais d’écrire ce

livre en projet sérieux a été la réponse que m’ont donnée deux

étudiants d’université à la question que je leur posais. Je leur ai de-

mandé quelle perception les jeunes avaient de John Lennon

aujourd’hui. Leur réponse : tout le monde sait, bien sûr, qu’il était

un des Beatles, mais, comme c’est le cas de toutes les superstars, il

ne mérite sans doute pas l’adulation dont il est l’objet.

Le temps a peut-être obscurci l’image de John Lennon. Si les

nouvelles générations se croient libres de le classer parmi les célé-

brités ordinaires, il importe de leur rappeler à quel point c’était un

homme exceptionnel.

À la fi n des années 1960, ce monstre sacré de la musique po-

pulaire a été honoré du titre de « Man of the Decade », ou Homme

de la décennie, aux côtés des hommes d’État John F. Kennedy et Ho

Chi Minh. Lennon a été la première vedette rock à avoir avec un

chef d’État un entretien axé sur les grandes questions de l’heure.

L’infl uence de son opinion était telle qu’un commentaire spontané

proféré lors d’une interview en Angleterre a déclenché des manifes-

tations religieuses d’un bout à l’autre des États-Unis. En fait, Len non

était tenu en si haute estime lorsqu’il a quitté l’Angleterre pour s’ins-

taller aux États-Unis, que le secrétaire à la Justice, John Mitchell, le

sénateur républicain Strom Thurmond et les têtes dirigeantes du FBI,

de la CIA et du Immigration and Naturalization Service (Service

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John Lennon, l’idéaliste

d’immigration et de naturalisation) ont uni leurs efforts pour tenter

de le déporter avant le début de la campagne présidentielle de 1972.

Sa mort n’a pas mis fi n à son infl uence ; la charge politique de certaines

des chansons qu’il a écrites lorsqu’il était une grande vedette de la

musique pop est jugée telle qu’elles sont encore aujourd’hui bannies

des ondes en période de crise.

Ce livre n’est cependant pas un panégyrique. John Lennon avait

ses défauts, comme le savent très bien tous ceux qui ont lu quelque

chose à son sujet. Pendant la majeure partie de sa vie, il a abusé de

l’alcool et des drogues, il a été porté à la violence verbale et physique,

et il a été obnubilé par son égocentrisme au point de rester indifférent

aux sentiments des personnes de son entourage. Ce qu’il a défi ni

comme étant un lourd sujet d’amertume (« a chip on my shoulder

that’s bigger than my feet ») était surtout le résultat des diffi cultés de sa

jeunesse, et pour être juste, Lennon n’a jamais hésité à avouer fran-

chement ses défaillances dans ses interviews (son culte de la vérité le

démarquait de presque tous ses contemporains célèbres).

Bien qu’il soit loin d’avoir été un modèle de vertu, la ténacité

dont il a fait preuve en s’efforçant de l’être mérite notre admiration.

Il n’a jamais cessé de chercher à transcender le genre d’adulte qu’il

était pour évoluer et devenir meilleur. Il a toujours tendu vers la per-

fection, laissant en cours de route tout un ensemble de réalisations

artistiques qui trouvent un écho chez ceux qui, comme lui, luttent

pour se dépasser.

Le présent livre s’articule autour de ces réussites artistiques et sur

les commentaires et les confi dences de Lennon en interview. Mon

but est d’y détecter la structure sous-jacente de sa vision du monde

et de présenter avec méthode les notions que John Lennon a tirées

de l’existence, les valeurs qui ont compté pour lui et les principes

auxquels il a adhéré. Bref, cet ouvrage tente de résumer la philosophie

personnelle qui a guidé sa conduite.

Le mot philosophie est lourd du poids de vingt-cinq siècles. Nous

avons du mal à nous en servir sans évoquer mentalement les grands

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Introduction

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Introduction

sages de l’histoire – de Platon à Sartre en passant par Kant. Nous les

voyons se demander comment défi nir la réalité et nous léguer des

cadres de réfl exion très approfondis pour comprendre la « Vérité ».

Malheureusement, nous avons souvent l’impression qu’il faut un QI

de trois cents pour bien saisir ces balises.

La philosophie de vie de John Lennon était celle d’un homme

de la classe ouvrière qui s’est trouvé à observer le monde avec les

yeux d’un artiste, un homme d’une intelligence inquiète qui n’a pas

hésité à remettre en question tous les fondements de son existence et

de la société dans laquelle il a vécu. Il a tiré ses propres conclusions

et, contrairement aux grands sages de l’histoire, il a su nous trans-

mettre celles-ci sans détours, si bien que nous avons pu les com-

prendre non seulement avec la tête, mais aussi avec le cœur.

Lennon était en harmonie avec son temps ; ainsi, l’isolement et

l’angoisse postmodernes sont inhérents à sa pensée. Mais la bonne

nouvelle est que cette pensée nous propose un moyen de reprendre

contact. Dans les années qui ont précédé son assassinat, il était

parvenu à échapper au labyrinthe de l’absence de signifi cation et à

retrouver un certain bonheur. Ses créations artistiques et ses inter-

views rendent compte de sa démarche. Mon but ici est de suivre cette

démarche et d’analyser la philosophie spontanée que Lennon a su

tirer d’une vie prodigue de confl its et de bouleversements, une phi-

losophie qui exalte l’esprit humain et nous encourage à prendre en

charge nos destinées tant individuelles que collectives.

Un des repères précoces et révélateurs de cette démarche est une

chanson écrite à la fi n de 1965. Après avoir connu pendant deux ans

un succès phénoménal au sommet du monde du spectacle, les Beatles

ont lancé l’album Rubber Soul, dans lequel la critique a vu une percée

créatrice du groupe. Ils avaient maîtrisé les aptitudes requises pour

se maintenir à volonté au faîte des palmarès et ils se sentaient assez

sûrs d’eux pour explorer de nouveaux horizons.

John Lennon a enrichi ce projet de plusieurs chansons mémo-

rables. L’une d’elles fi gure sans conteste parmi les plus personnelles

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John Lennon, l’idéaliste

qu’il ait écrites en tant que Beatle. Le message qu’elle véhicule,

avoue-t-il dans une entrevue accordée au magazine Playboy en 1980,

lui est venu directement de son subconscient. « Ce matin-là, j’avais

passé cinq heures à essayer d’écrire une bonne chanson, une chanson qui

en dit long, et j’ai fi ni par capituler pour aller m’étendre. Tout à coup,

alors que j’étais couché, Nowhere Man m’est venue, les paroles et la mu-

sique, toute la foutue chanson1. » Par la description brutale d’un homme

insignifi ant, désemparé devant la vie, un homme qui ne sait pas où il va

et qui échafaude des projets absurdes, Lennon levait le voile sur un tour-

ment intérieur qu’aucun de ses admirateurs n’avait pu imaginer.

Voilà que ce jeune homme de vingt-cinq ans, jouissant d’une

célébrité et d’une adulation inégalées, respecté dans le monde entier

pour son génie créateur, à quelques jours d’une cérémonie où la

reine Élizabeth II allait le nommer membre de l’Ordre de l’Empire

britannique et lui remettre une médaille très convoitée de l’esta-

blishment, voilà que ce jeune homme, dis-je, se considérait comme

un homme de nulle part, un « Nowhere Man », privé d’horizon et ne

sachant où aller2. Lennon s’était frayé un passage jusqu’au sommet

de la société, et il avait constaté que le zénith n’y était en somme que

le nadir d’un quartier plus huppé. Il avait échappé au « système » qui

façonnait les jeunes cerveaux pour en faire des éléments utiles de la

machine socioéconomique, et il avait compris qu’en se révoltant

contre ce système il avait donné un sens à sa vie, mais qu’en lui

échappant, il s’était égaré. Il s’était libéré de l’angoisse existentielle

due à un père absent et à une mère à temps partiel qui avaient fi ni

par sortir complètement de sa vie, et il s’était jeté dans l’étreinte

froide du néant.

Tel le personnage éponyme du poème de Edwin A. Robinson,

Richard Cory, en même temps que des millions de personnes l’en-

viaient, Lennon se sentait de plus en plus marginal. Il se confi a à son

ami intime Pete Shotton : « Plus je m’enrichis, plus je vois de choses

et plus j’acquiers de l’expérience, moins je sais qui je suis et à quoi

diable ça rime, la vie3. »

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Introduction

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Introduction

Un autre Beatle, George Harrison, s’était pris de fascination pour

les religions orientales et, à la suggestion de ce dernier, Lennon cher-

cha des réponses dans deux des grands livres sacrés de l’Orient : la

Bhagavad-Gitâ, un abrégé des grands principes de l’hindouisme, et

Le Livre tibétain des morts, un texte du bouddhisme tibétain où sont

décrits les états intermédiaires entre la mort physique et la réincar-

nation. Il se mit également à une étude approfondie de la Bible4.

Enfant, il avait été indifférent au christianisme, se contentant de

chanter dans la chorale pendant les services religieux jusqu’à en être

chassé pour son humour irrévérencieux et son comportement tur-

bulent. Mais il avait maintenant besoin de croire à quelque chose, il

avait besoin d’un encadrement pour pouvoir donner un sens à sa

vie.

En lisant l’évangile de Matthieu, Lennon s’attarda sûrement aux

versets 5 et 6 du chapitre 6 qui précèdent le Notre Père : « Quand

vous priez, ne faites pas comme les hypocrites qui aiment à prier

debout dans les synagogues et aux coins des rues pour être vus des

hommes. En vérité je vous le dis, ils ont leur récompense. Quand tu

veux prier, entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie ton Père dans

le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. » Un soir

d’hiver de 1966, incapable de se débarrasser de la chape de vide qui

s’était posée sur lui en même temps que son succès, Lennon décida

de suivre à la lettre ce conseil de Jésus. Il s’enferma dans la salle de

bains de sa maison de Weybridge, aux environs de Londres, puis il

tomba à genoux et supplia Dieu, Jésus, ou toute autre forme que la

divinité voulait bien prendre, de se manifester, de lui donner une

révélation, de lui montrer par un signe quelconque qu’il entendait

sa prière, et de lui indiquer ce qu’il devait faire5.

Mais il n’obtint pas de réponse.

Cet appel resté sans réponse a marqué le début pour Lennon d’une

quête longue de dix ans, la recherche anxieuse d’un autre fondement,

d’une autre orientation à sa vie. Un des aspects les plus déterminants

de son caractère était une très grande ouverture d’esprit, si bien que sa

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John Lennon, l’idéaliste

vaste quête existentielle a engendré les nombreux portraits qui nous

sont parvenus de lui : le défenseur de l’amour au regard rêveur, le dis-

ciple couvert de fl eurs auprès de son maître spirituel, le pacifi ste gueu-

lard, l’extrémiste furieux, l’ivrogne désespéré, le féministe. Ce libre-

penseur, cet iconoclaste ne pouvait pas ne pas déranger ceux qui ne

doutaient jamais des croyances qu’on leur avait transmises dans leur

jeunesse. Ils pouvaient diffi cilement s’opposer à la paix et à l’amour

planétaire dont il avait fait son objectif, mais ils reculaient devant son

comportement, son mépris des conventions sociales et son franc-

parler quant à la religion, au sexe, au mariage, à la nudité, au racisme,

et à d’autres sujets délicats. Pour plusieurs, il n’était qu’un imbécile

qui avait laissé un succès sans précédent lui monter à la tête.

John Lennon était loin d’être un imbécile, même s’il feignait

parfois de l’être si cela pouvait attirer l’attention sur ses projets. Il

était tout simplement quelqu’un qui posait sur le monde un regard

différent de celui de la plupart de ses contemporains – un génie. Il a

suivi son propre chemin, il en a payé le prix, et il nous a laissé un

remarquable corpus créateur.

Durant sa quête, et particulièrement à compter de son union

avec Yoko Ono, Lennon n’a jamais accepté les étiquettes simplistes

dont le public aimait l’affubler, soit celles de superstar ou de compo-

siteur de musique populaire. Il visait beaucoup plus haut. D’autres

auteurs-compositeurs de son temps se contentaient de pondre de

bonnes chansons très commerciales ; Lennon, lui, voulait écrire des

odes. Les autres écrivaient des paroles de chansons en vue d’un suc-

cès de masse, mais Lennon s’efforçait d’exprimer la vision profon-

dément personnelle qu’il tirait de son expérience de la vie. Il disait

ouvertement vouloir se mesurer à Shakespeare, à Van Gogh et aux

autres géants de la culture dont le message transcende l’espace et le

temps – et il se tenait pour un philosophe6.

Peut-on considérer que John Lennon était un philosophe ?

Si être un philosophe signifi e systématiser ses idées et ses conclu-

sions en un tout unifi é, il ne remplit pas les conditions requises. Et

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Introduction

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Introduction

à tout prendre, Socrate non plus. Si Platon n’avait pas réaménagé

en dialogues écrits les pénétrantes discussions de son maître avec

ses concitoyens d’Athènes, il ne nous resterait de la philosophie de

Socrate que quelques bribes des éclairs de génie qui ont ébloui ses

disciples et excédé ses adversaires.

Pas plus que Socrate, Lennon n’a laissé de grand projet philo-

sophique tels ceux d’Aristote, Kant, Hegel, Wittgenstein ou Sartre ;

il était un philosophe en ce sens qu’il était un libre-penseur, et qu’il

n’hésitait pas à mettre en doute les certitudes héritées de la société

où il vivait, à formuler d’autres conclusions et à contester les précon-

ceptions de ses concitoyens. En outre, tel Socrate, il préférait pousser

les gens à penser par eux-mêmes plutôt que leur apprendre ce qu’ils

ne savaient pas.

Il avait pu constater par expérience que la civilisation contem-

poraine ne favorise guère l’autonomie intellectuelle sur les bancs

de l’école. Dans l’ensemble, le but visé est la transmission, aux

nouvelles générations, des mécanismes traditionnels de leur so-

ciété et la formation de membres productifs du système, non pas

la création d’individus de la classe ouvrière qui prendront plaisir

à ruer dans les brancards et à remettre en question le statu quo.

Selon Lennon, la plupart des adultes persistent dans leur apathie,

« drogués de religion, de sexe et de télé », adhérant aux croyances

qui leur ont été transmises sans jamais chercher à se forger des

valeurs propres. Ainsi que le formule crûment Stephen Holden,

ils vont leur petit bonhomme de chemin, « méprisés et terrorisés

par les institutions, jusqu’à se laisser berner à n’être plus que des

pions transis de peur7 ». La plupart des gens ne voient qu’une issue

vers la liberté, et elle suit une trajectoire ascendante ; autrement dit,

c’est la voie de la réussite sociale et fi nancière, celle qui conduit au

sommet.

Se décrivant sardoniquement comme « un héros de la classe

ouvrière », Lennon a fait la lumière sur ce processus et affi rmé avoir

trouvé une autre voie vers l’émancipation bien qu’il ait chèrement

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John Lennon, l’idéaliste

payé son rejet du conformisme. Mais peut-on dire qu’il a beaucoup

souffert, lui qui était multimillionnaire et l’un des hommes les plus

célèbres et les plus choyés de son temps ? N’oubliez pas qu’au mo-

ment où il a enregistré Working Class Hero (Un héros de la classe

ouvrière), motivé par les médias qui le tournaient en ridicule et le

public qui le critiquait vertement pour son mode de vie marginal et

ses tentatives quichottesques de faire régner la paix dans le monde,

Lennon venait de subir l’insoutenable sevrage de son héroïnomanie

et quatre mois de thérapie primale. Faisant écho à Jésus (« [...]

charge-toi de ta croix et suis-moi ») sans doute en toute conscience

et de propos délibéré, il termine sa chanson en invitant ceux qui

acceptent de payer le prix de l’héroïsme à l’imiter et à le suivre.

Qu’a découvert John Lennon sur cette voie où il incite ceux qui

l’écoutent à s’engager ? À ses yeux, Dieu n’est pas une divinité an-

thropomorphique qui se préoccupe de notre vie quotidienne, qui

sourit quand nous marquons un but ou qui fait les gros yeux quand

nous trompons notre femme. Il ou elle est une énergie universelle

neutre et naturelle à laquelle nous puisons pour le meilleur ou pour

le pire. Nous sommes par conséquent livrés à nos propres moyens,

si bien que la vie de tous les jours et les questions d’ordre mondial

doivent être axées sur le facteur humain.

Lennon pensait que nous sommes tous aptes à refaçonner la so-

ciété et les événements planétaires si nous nous donnons la peine de

reconnaître que nous en sommes capables et d’agir tant individuelle-

ment que collectivement. Le premier secret de ce pouvoir réside dans

la transformation de soi. Lorsqu’ils se demandent que faire pour créer

un monde meilleur, la plupart des gens se concentrent sur des facteurs

extérieurs à eux, ce qui conduit le plus souvent à de la résistance, à des

confrontations, à des frustrations et à l’échec. En fait, nos propres atti-

tudes et nos comportements sont tout ce que nous pouvons contrôler.

Si nous nous efforçons avant tout de nous changer nous-mêmes, en in-

tériorisant l’amour plutôt que la pulsion d’emprise et la violence, nous

faisons un pas, petit mais important, vers quelque chose de positif.

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Introduction

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Introduction

La bonté engendre la bonté et la violence engendre la violence.

Quand nous sommes conscients des répercussions de nos compor-

tements et de nos actions sur notre entourage, nous pouvons, par

un effet de contagion, en venir à infl uencer le monde, à nous dis-

tinguer, à « briller8 ». Lennon était en outre persuadé qu’en nous

rassemblant, en agissant de concert tels des individus animés des

mêmes idées, et en imaginant collectivement la société à laquelle

nous aspirons – cet idéal qu’il appelait « l’ailleurs absolu » –, nous

pouvons la faire émerger.

Devant des idées aussi romantiques, il est facile de caricaturer

Lennon sous les traits d’un idéaliste fou. La description lui convient, à

un détail près. John Lennon était un idéaliste cynique. Si l’on excepte

quelques hommes politiques et quelques milliardaires, en tant de Beatle

et ex-Beatle Lennon a été en butte à plus d’hypocrisie, de tromperie et

d’arrière-pensées que la plupart des habitants de la planète. Il était tout

à fait conscient de l’intérêt personnel spontané qui entrave notre progrès

vers un monde meilleur et plus pacifi que. En dépit de cela, il croyait avec

optimisme que nous pouvions y arriver si nous partagions le même rêve

et si nous pouvions garder celui-ci dans notre mire – en d’autres termes,

si nous pouvions l’« imaginer » en tant que société.

Indépendamment des sentiments de Lennon et des conclusions

auxquelles il est arrivé lui-même, si nous nous penchons attentive-

ment sur sa quête et ses réalisations nous pouvons y déceler trois

principaux fi ls conducteurs :

1. Nous nous devons de remettre en question les « vérités » que la

société nous transmet et d’accueillir avec méfiance les motifs

qui font agir les spécialistes et les représentants de l’autorité.

Nous avons tous le droit d’évaluer chaque situation à la lumière

de nos connaissances et de nos points de vue.

2. Nous nous devons de faire de notre vie une œuvre d’art au

moyen des ressources qui nous ont été dévolues à la naissance.

C’est en consacrant le temps qui nous est consenti à des

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John Lennon, l’idéaliste

occupations agréables et à des relations aimantes que nous

pouvons trouver le bonheur.

3. Nous nous devons et nous devons à nos descendants d’aspirer

à nous transformer, à prendre conscience de l’effet contagieux

de nos paroles et de nos actes. Nous devrions participer à la

création d’un monde que nous convoitons et non pas à celle

d’un avenir redoutable.

John Lennon a consacré une grande partie de son énergie à ten-

ter de nous réveiller, d’ouvrir nos yeux à de nouvelles possibilités et à

nos propres potentialités. Certes, ce n’est pas ainsi qu’il le défi nissait

lui-même, mais il est permis de penser qu’il aspirait à un nouveau

siècle des Lumières.

Le mot Lumières défi nit un mouvement intellectuel européen

dont les membres croyaient que la plupart des gens vivaient toute

leur vie dans une forme d’oppression mentale en raison des cer-

titudes que leur inculquaient la famille, la société, la nation et la

religion. Ces intellectuels déclarèrent que le moment était venu de

se secouer du joug de l’obscurantisme. Leur objectif était d’élever

l’être humain au rang d’architecte et de juge de son propre destin au

moyen de la science et de la raison.

À sa façon, John Lennon a fait écho à leurs valeurs et partagé

leurs ambitions. Libre-penseur irrépressible, il est parvenu à sortir

du cocon de sa culture pour observer celle-ci avec recul et objectivité.

Il a su forger son propre point de vue sur son époque et sur la vie hu-

maine en général, et il a ardemment souhaité que les autres agissent

comme lui. Enthousiaste à l’idée que l’être humain puisse se dégager

de son carcan mental, il a pleinement assumé, dans ses chansons et

dans ses interviews, un rôle de catalyseur dans le perfectionnement

du monde.

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