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POLITIQUE AFRICAINE 34 Juin 2989 ISSN 0244-7827 États et sociétés nomades André Bourgeot et Henri Guillaume M’Hamed Boukhobza André Bourgeot Salmana Cissé John G. Galaty Aden M. Dilleyta Emmanuel Fauroux Henri Guillaume 2 .Des nomades en devenir ? 7 Société nomade et État en Algérie 19 Le ‘lion et la gazelle : États et Touaregs 30 Pratiques de sédentarité et nomadisme ar! Mali. Réalité .sociologique ou slogan politique ? Afrique de l’Est 39 Pastoralisme, sédentarisation et État en 51 Les Afars : la ifin du nomadisme 63 Bœufs et pouvoirs : les éleveurs du sud- ouest et de l’ouest malgaches 74 (( L’État sauvage ... )) : Pygmées et forêts d’Afrique centrale I DOCUMENT I Kel Taddak 83 (( Le chez soi pour nous, c’est l’eau )) I PISTES Bernard Game et E.K. Ilboudo 89 quotidien L‘aménagement urbain à l’épreuve du -. -. -- i - MAGAZINE - Jean Philippe 103 Le Nigeria au milieu du gué Jean-Pascal Daloz 109 De l’importance des calendriers François Constantin 111 Massacres à la tronçonneuse René Otayek 115 Les études africaines en République fédé- rale d’Allemagne Françoise Raison-Jourde 119 Tabataba Filip Reyntjens 121 Cooptation politique 1 l’envers : les législa- tives de 1988 au Rwanda Cyprian F. Fisiy 127 La sorcellerie au banc des accusés I CHRONIQUE SCIENTIFIQUE I Émile Le Bris et Christian Coulon 133 Les noces d’or de I’IFAN François Constantin 136 Informations LA REVUE DES LIVRES Collectif 141 Notes de lecture Résumés 155 Abstracts

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POLITIQUE AFRICAINE 34 Juin 2989 ISSN 0244-7827

États et sociétés nomades André Bourgeot

et Henri Guillaume M’Hamed Boukhobza

André Bourgeot Salmana Cissé

John G. Galaty

Aden M. Dilleyta Emmanuel Fauroux

Henri Guillaume

2 .Des nomades en devenir ? 7 Société nomade et État en Algérie

19 Le ‘lion et la gazelle : États et Touaregs 30 Pratiques de sédentarité et nomadisme ar!

Mali. Réalité .sociologique ou slogan politique ?

Afrique de l’Est 39 Pastoralisme, sédentarisation et État en

51 Les Afars : la ifin du nomadisme 63 Bœufs et pouvoirs : les éleveurs du sud-

ouest et de l’ouest malgaches 74 (( L’État sauvage ... )) : Pygmées et forêts

d’Afrique centrale

I D O C U M E N T I Kel Taddak 83 (( Le chez soi pour nous, c’est l’eau ))

I PISTES

Bernard G a m e et E.K. Ilboudo 89 quotidien

L‘aménagement urbain à l’épreuve du

- . -. - -

i - MAGAZINE -

Jean Philippe 103 Le Nigeria au milieu du gué Jean-Pascal Daloz 109 De l’importance des calendriers

François Constantin 11 1 Massacres à la tronçonneuse René Otayek 115 Les études africaines en République fédé-

rale d’Allemagne Françoise Raison-Jourde 119 Tabataba

Filip Reyntjens 121 Cooptation politique 1 l’envers : les législa- tives de 1988 au Rwanda

Cyprian F. Fisiy 127 La sorcellerie au banc des accusés

I CHRONIQUE SCIENTIFIQUE I Émile Le Bris

et Christian Coulon 133 Les noces d’or de I’IFAN François Constantin 136 Informations

LA REVUE DES LIVRES

Collectif 141 Notes de lecture Résumés 155 Abstracts

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A VANT-PROPOS

Des nomades en devenir ?...

ANS de très nombreuses cultures, les sociétés nomades sont l’objet d’une vision dévalorisante reproduite de génération en génération. Elles sont présentées comme résiduelles et connotées

par des caractéristiques négatives : errance, laxisme, prédation ... Or ces sociétés ont joué un rôle important dans l’histoire des sociétés humai- nes et notamment dans l’histoire de l’Afrique : place dans l’évolution des techniques et des formes d’exploitation des espaces (chasse-collecte, pastoralisme, élevage, agropastoralisme) ; rôle économique, politique et r$igieux (commerce transsaharien, formation de pouvoirs centralisés - Etats sahélo-soudaniens et djihad peuls, émirats maures, N confédéra- tions D touarègues - diffusion de l’islam...).

A l’encontre du large éventail d’idées reçues, le nomadisme s’illus- tre par une très grande diversité: des activités de production et des milieux écologiqaies dans lesquels elles s’exercent ; des systèmes sociaux et économiques (rapports hiérarchiques prononcés ; Touaregs à forte ten- dance égalitaire - Pygmées).

Mais par delà ces diversités, les sociétés nomades présentent des traits communs constitutifs de leur originalité mais aussi de leur margina- lité : systèmes de mobilité et de flexibilité, coilfrontations aux expan- sions coloniales marquées par les contacts avec les sociétés européennes, période charnière, à partir du X F siècle, dans leur évolution.

Génbratrices d’un nouveau système économique introduisant la logique capitaliste, les sociétés eairopéennes ont fondé leurs actions sur la con- quête qui visait à contraler le commerce et à exploiter des ressources naturelles jusque-là peu ou prou utilisées par les populations locales. Ce contrôle passait par celui des populations elles-mêmes (impôt, recen- sement, introduction de l’agriculture, scolarisation, action sanitaire) ; mais leurs modes de vie, leurs capacités de déplacement rendaient ce contrôle plus aléatoire que dans le cas des sociétés sédentaires. Ces pra-

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A VANT-PROPOS

tiques coloniales ont trouvé leur justification niorale dans la mission civilisatrice que s’est donnée l’Occident dont le système de valeurs devient un rqérent implicite et permanent.

L’instauration du pouvoir colonial dans les sociétés noinades a obli- téré ou entravé leurs dynamiques internes à travers notamment : Pélar- gisseinent ou I’introduction de nouvelles activités économiques et les tram- formations successives des structures foncières ; la désorganisation des pouvoirs établis tant au niveau des structures politiques internes qu’à celui des rapports de force inter-ethniques qui s’exerçaient sur d’autres sociétés nomades ou sur des sociétés agricoles ; l’instauration de fron- tières administratives encore relativement souples et perméables au sein des empires coloniaux, mais plus rigides pour celles qui les délimitaient. L’ensemble de ces pratiques visait à réduire, dissiper ou éliminer les résistances à l’implantation coloniale afin de mettre en place les rami- fications des structures étatiques.

La mise du nonaadismt; bie? amorcée à l’époque coloniale, s’est accé- lérée dans les contextes des Etats-nations contemporains.

Qu’en est-il aujourd’hi de ces sociétés dont l’actualité n’émerge qu’à la faveur de conflits arnaés frontaliers, de sécheresses et de fanzines? Quels peuvent être les devenirs d’environ 30 millions d’individus pra- tiquant pour la plupart le pastoralisme nomade ?

L’ensemble des textes de ce dossier met en relief des situations de crise et de déstructuration. Les nomades dans les Etats-nations voient leurs territoires nzutilés par Ia multzplication et la rigidgication de fron- tières, remaniés par le développement et la diversification des formes d’utilisation du milieu naturel (extension de l’agriculture, prospection et exploitation des ressources minières et forestières ...) et de gestion de l’espace (ranches, coopératives, unités et codes pastoraux ...) ainsi que par les aménagements d’infrastructures et l’essor du tourisme. Ces fac- teurs conduisent à une compétition sur le foncier pouvant déboucher sur des affrontements physiques. Ces enjeux recouvrent souvent des aspects raciaux qui peuvent être constitutifs de rapports de force poli- tiques nationaux ou internationaux, sources de conflits meurtriers comme en témoigtzent les événements récents survenus entre le Sénégal et la Mauritanie.

Cette remise en cause des territoires, accow~pagnée d’un relâchement des liens sociaux, a largement contribué à perturber I’équilibre souvent précaire des écosystèmes. Dans ces conditions, les capacités de. ces sociétés à répondre aux aléas divers (climats, épizooties, acridiens.. .) ont été considérablement réduites (dernières sécheresses de 1969-1973 et 1984-1986). Ces mutations ont provoqué Pintroduction des rapports sala- riaux et monétaires. Désormais, aucune société nomade ?t’éChappe, à des degrés divers, aux normes de la rentabilité des sociétés industriel- les. Mais il y a généralement peu d’investissements dans le foiicier et/ou dans l’immobilier et dans ce contexte de ré-orientation des finalités de la productìon, le comportement des éleveurs révèle l’imbrication de deux

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d VANT-PROPOS

rationalités économiques. Celles-ci combinent la production marchande (viande, produits laitiers, laine - incluant les exportations) à l’utili- sation du bétail à des fins de stockage (réserves) associé à des valeurs sociales de prestige. De nombreux exemples montrent que les élevem s’insérent dans les réseaux marchands en fonction d’intérêts conjoncturaux.

Les situations actuelles se caractérisent par un tissu d’interactions qui combinent les politiques étatiques aux stratégies économiques et poli- tiques des sociétés nomades dont les fiTialités renvoient souvent fonda- mentalement à leurs propres intérêts. Pourtalit en dépit de leurs capa- cités d’adaptation et de flexibilité, des pans entiers de la société peu- vent disparaître (A. Bourgeot).

Une situation particulièrement originale concerne le détozrrnement des pratiques de vols de bétail à Madagascar (E. Faziroux). Compte tenu des carences de I’État et des besoins nationaux en viande, les vols prennent en certaines périodes une ampleur considérable, s’institution- nalisent et deviennent des éléments constitutifs du marché économique, allant même jusqu ’iì mettre en péril l’existence des troupeaux.

Les sociétés nomades s’inscrivent aujourd’hui dans des réseaux éco- nomiques et politique,s de plus en plus vastes qui accentuent leur dépen- dance face iì leurs Etats-nations et aux rapports inter-étatiques domi- nés par les rapports entre pays industrialisés et pays du Tiers-monde.

Quelles sont les politiques qui sous-tendent ces évolutions ? La séden- tarisation est mise en relief par tous les textes. La nécessité pour [’État du contrôle sur les individus est confortée par les représentations domi- nantes qui assimilent les sociétés nomades et leurs environnements natu- rels à des (( Barbaries D (H. Guillaume).

Les processus multiples de sédentarisation vont des a actes de séden- tarité n (S. Cissé) avec pour objectif le retour au nomadisme, à des formes achevées (M. Bozikhobza). Accélérées à {a faveur de périodes critiques (sécheresses, guerres.. .), les politiques des Etats prônent la séden- tarisation comme seule réponse possible au nomadisme en crise. Or le (( dilemme pastoral N s’explique plus par la sédentarisation que par le nomadisme (J. Galaty). Ces politiques, unilatérales, ignorent les poten- tialités régionales, les intérêts et désirs des populations ( M A . Dilleyta, E. Fauroux). L’extension de la sédentarisation (développement de l’agri- culture, camps de la famine, déplacements de population ...) par le biais de politiques implicites ou explicites émane directement des autorités étatiques, ou d’l;nstitutions internationales et d’ONG, y compris par le relais d’ONG nationales (S. Cissé).

Toutefois, en fonction des orientations politiques des États et de leur puissance, les projets de sédentarisation peuvent n’être qu’un des aspects des transformations qui touchent l’ensemble des structures sociales et politiqpes de ces sociétés (M. Boukhobza).

Les Etats développent des stratégies qui visent l’intégration écono- mique, politique et cultiirelle et peuvent aboutir à l’assimilation. E n

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A VAN T-PROPOS

fonction de leurs forces et des enjeux constitués par ces sociétés, les États peuvent s’appuyer sur des individus issus du milieu nomade, partici- pant ainsi à la constitution d’une élite et d’une classe politiques (A. Bourgeot).

Contrôle, sédentarisation, intégration conduisent à des phénomènes de prolétarisatioiz, de paupérisation, d’exode avec formation de bidon- villes. Nombre de nomades deviennent alors des (( assistés 2) dépendant de l’aide internationale ou de familles urbanisées bénéficiant d’occupa- tions rémunbées (A. M. Dilleyta). Ces nouvelles situations peuvent engen- drer des procpus d’autonomisation de la. culture, celle-ci étant récupé- rée par les Etats sous des formes folklorisées ou transformée en cul- ture marchande.

Dans ces conditions, quels sont les devenirs potentiels des sociétés nomades ?

Par-delà les cas particuliers d’aléas divers, les nomades assurent une part non négligeable de leur auto-suffisance alimentaire, mot d’ordre prôné par tous les décideurs politiques. Leurs activités peuvent encore contribuer aux équilibres économiques nationaux et constituer une force susceptible de pondérer les micanismes de dépendance.

Accélérer leur disparition.’ ou leur transformation radicale revien- drait alors à préczpiter des processus globaux de déséquilibres (H. Guillaume).

De surcroît, à l’encontre des idées reçues, le nomadisme, notam- ment sous sa forme pastorale, demeure le meilleur garant contre la dégradation de l’environnement et la désertisation. E n effet, ses tech- niques d’exploitation des ressources. naturelles, ses capacités d’occupa- tion humaine et animale de l’espace, témoignent de leur adéquation aux contraintes des zones arides, semi-arides et forestières (J. Galaty).

E n fait, les politiques unilatérales qui touchent les sociétés noma- des, posent avec acuité le bien-fondé des types de développemeFt actuels. Leur deve?tir, mais aussi les conditions d’indépendance des Etats, pas- sent par d’autres stratégies ’ de développement.

Dossier thématique établi par André Bourgeot et Henri Guillaume I

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AUX ÉDITIONS DU CNRS

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l’ordre des Presses du CNRS

O Mandat-lettre

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M. BOUKHOBZA

Société nomade et État en Algérie

ES relations entre la société nomade (1) et les pouvoirs publics présentent en Algérie une histoire particulière dont L un bref rappel des grands moments paraît nécessaire pour

comprendre la situation actuelle. I1 est en effet difficile de parler des sociétés nomades et de leur

évolution indépendamment du long processus de déstructuration et de destruction de tous les supports du nomadisme, consécutif au choc violent du fait colonial.

Très schématiquement, on peut dire que les modes de vie nomade (2) et semi-nomade prédominaient en Algérie à la veille de son occupation. Celle-ci ne pouvait renforcer ses assises politique et matérielle qu’en détruisant ces modes de vie dont l’existence éco- nomique, socioculturelle, voire politique s’organisait sur ce qui allait devenir, dans une très large mesure, les terres de la colonisation.

L’agropastoralisme semi-nomade ou (( nomadisme humide )) (3) du Tell a été complètement détruit à la fin du siècle dernier. Le (( nomadisme sec D des Hauts-Plateaux steppiques s’est trouvé pro- gressivement coupé de sa zone de mouvance traditionnelle dans le nord du pays.

La pauvreté des terres et le caractère aléatoire du climat ont dissuadé l’administration coloniale d’initier le développement d’une agriculture moderne. L’activité alfatière, seule richesse exploitable sans investissement significatif, a constitué le cadre d’intervention privilégié de la colonisation. I1 s’ensuit que durant toute la période coloniale, les relations entre l’administration et les nomades étaient animées par une concurrence conflictuelle dont l’enjeu était l’utili- sation d’un même espace. Cette concurrence a donné lieu à l’éli- mination des communautés nomades du nord du pays et à leur can- tonnement dans la steppe et le sud.

En 1962, lors du recouvrement de l’indépendance, le nomadisme en Algérie revêtait deux formes principales.

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ALGERIE

La première, la plus significative, qui couvrait et qui couvre encore la steppe (nomadisme sec), a vu son amplitude de déplace- ment relativement réduite et consistait en un agropastoralisme exten- sif avorté. Ce type de nomadisme, profondément rongé par plu- sieurs décennies d’une crise latente, était inexorablement voué à une disparition progressive.

La seconde forme correspondait. au nomadismle saharien (noma- disme aride). Elle présentait encore une certaine vitalité en dépit de signes de désorganisation chronique face à une économie de mar- ché triomphante.

La société nomade à l’indépendance

I1 faut préciser que le développement de la colonisation sur les hautes plaines céréalières a entraîné une coupure quasi définitive des échanges entre les éleveurs de la steppe et la partie nord du pays. I1 en a résulté trois conséquences majeures.

En premier lieu, l’impulsion de l’activité agricole et son exten- sion générale sur les terres réservées jusqu’alors exclusivement au pâturage. Cette évolution constitue une réaction des éleveurs pour tenter d’assurer leur survie, en produisant sur leurs propres aires de parcours les céréales nécessaires à leurs besoins. I1 est bien évi- dent qu’en raison du caractère aléatoire du climat et de la fragilité des sols, pour ne citer que ces deux contraintes, la steppe ne pou- vait produire suffisamment et régulièrement les quantités de céréa- les nécessaires. C’est ainsi que plus d’un million d’hectares dans cette zone du pays ont été soumis au soc, réduisant d’autant les superfi- cies des bonnes terres de parcours et obligeant les agropasteurs à réviser complètement leurs habitudes de déplacement. Une relative sédentarisation a progressivement remplacé le mouvement plus ou moins pendulaire nord/sud qui a toujours caractérisé leur activité.

En second lieu, un séjour prolongé des troupeaux sur les ter- res steppiques a entrainé leur surexploitation et finalement leur désertification progressive.

(1) En raison de l’approche développée dans les analyses qui suivent, il nous a sem- blé plus à propos de considérer les commu- nautés nomades comme animées fondamen- talement par la même contrainte et la mtme logique dans les rapports qui les lient à I’Etat moderne. C‘est dans ce sens que l’utilisation du singulier se justifie.

I1 est évident que les communautés nomades appréhendées de l’intérieur (mode

i d’organisation sociale, rapports au sol, valeurs culturelles, exercice et reproduction du pou- voir, type d’élevage, cycles migratoires ...) pré- sentent des diErences parfois très importan-

tes montrant que le nomadisme est un mode de vie d‘une extrême richesse. Dans cette perspective, parler de sociétés nomades (au pluriel) serait plus indiqué.

(2) Le mode de vie nomade, à la veille de la colonisation, embrassait pratiquement

: toute l’Algérie; il se manifestait sous des for- i mes différentes allant du grand nomadisme

saharien (Rguibat, de la région de Tindouf) au semi-nomadisme à vocation agropastorale du Tell.

(3) M. Boukhobea, L’agropastoralisme tra- ditionnel en Algérie, Alger, OPU, 1982, 458 pages.

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M. BOUKHOBZA

En troisième et dernier lieu, un accroissement inconsidéré de la taille du cheptel a rompu définitivement l’équilibre écologique en vigueur. A titre d’illustration, la taille du cheptel steppique, qui oscillait autour de trois millions de têtes au début de la colo- nisation, était probablement au moins trois fois plus élevée quel- ques années après l’indépendance. I1 faut signaler qu’un tel accrois- sement était favorisé par la politique d’exportation massive vers la France, initiée dès la fin du XIXe siècle (un million de têtes annuellement en moyenne) ainsi que par le développement de la logique de l’économie de marché au cœur de l’économie pasto- rale.

Par ailleurs, à peine sorti de la sécheresse terrible des années 1944-1947, le pastoralisme a été de nouveau durement éprouvé au cours de la guerre de libération nationale (1954-1962). Non seule- ment le troupeau a subi des destructions massives pour diverses raisons, mais on a également assisté durant cette, période à l’accé- lération du rythme de sédentarisation de tous ceux qui disposaient de suffisamment de moyens pour mener une vie décente. Ainsi donc la société nomade connaissait, à la veille de l’indépendance, un état économique et socioculturel particulièrement déstructuré.

Néanmoins, le niveau atteint par le processus de déstructura- tion était inégal d’une partie à l’autre du pays, en raison de l’ampleur différenciée de la répression subie par les éleveurs nomades lors de la décennie qui a précédé l’indépendance.

Au début des années soixante, le poids démographique des noma- des était relativement significatif, puisqu’il oscillait autour de 600 O00 personnes. La majeure partie de cette population était située dans l’Algérie centrale, c’est-à-dire les Hauts-Plateaux steppiques. Au plan économique, cette région concentrait plus des deux-tiers du troupeau ovin du pays. Quant au sud, son poids dans l’élevage était relativement faible, si l’on en exclut la production cameline (4).

Dès lors, la domination du fait nomade dans la production ovine aurait dû logiquement conduire à initier une politique active vis- à-vis de cette forme d’organisation de la société. En fait, la seule action de 1’État à l’égard du nomadisme a eu lieu incidemment ä l’occasion de la mise en œuvre de la révolution agraire (5).

Nomades et pouvoir

Un autre aspect relatifà la situation de la société nomade, plus particulièrement celle de la steppe, concerne ses caractéristiques

(4) L’élevage camelin ne présentait plus l’intérêt stratégique qu’il avait jadis dans les échanges et dans le déplacement des

populations. (5) Cf. infra

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socioéconomiques. En-effet, il était important de savoir si à la vieille de l’indépendance, 1’Etat algérien allait être confronté à une société organisée, structurée, consciente de ses intérêts spécifiques ou, au contraire, s’il allait se trouver en présence d’une poussière d’indi- vidus ou de familles, à l’égard desquels il serait difficile de définir une politique active prenant en charge les différents intérêts et con- traintes exprimés. Nous pouvons à ce sujet relever un certain nom- bre de facteurs importants qui ont participé à la lente érosion de la société nomade, situation plus ou moins inconsciemment occul- tée par les pouvoirs publics.

Parmi ces facteurs, il faut accorder une place essentielle à la décapitation de la société nomade de ses élites et à la concentra- tion du troupeau, consécutive à la soumission de la société pasto- rale à la logique du marché. Cette concentration a entraîné, entre autres, la paupérisation partielle ou totale d’un nombre toujours plus important de pasteurs, la rupture de l’équilibre économique entre les capacités du milieu écologique et les besoins croissants de la population nomade et enfin un transfert progressif de la posses- sion du troupeau et donc des terres de pacage au profit des éle- veurs sédentaires.

Dans les zones à présence nomade significative, les relations entre les pouvoirs publics et les nomades ont toujours été empreintes d’une contestation latente et réciproque. I1 faut préciser à ce sujet que cette région du pays (Hauts-Plateaux-Sud) a été jusqu’à la fin du XIX~ siècle sous l’emprise totale du nomadisme. Celui-ci con- cernait les 9/10 de la population et dominait directement ou non toutes les activités économiques.

L’encadrement administratif d’une population mobile et tout à fait hostile à toute forme de sujétion s’est imposé comme un impé- ratif absolu à l’administration coloniale. D’oÙ l’insertion de la société nomade dans un réseau de commandement caïdal aussi dense que destructeur.

Toute contestation de la part des élites nomades était durement et parfois violemment étouffée. Or ce réseau de commandement, généralement issu des tribus influentes, a fini par se trouver coupé de ses bases sociologiques. Les principaux hommes riches en moyens et en influence (Alyan) ont fini par se sédentariser et donc aban- donner progressivement leur milieu social et le mode de vie qui en était le support.

De ce fait, le nomadisme a été pratiquement dépourvu d’une élite représentative de ses intérêts spécifiques. Plus grave encore, ces élites en se sédentarisant se sont progressivement désolidarisées de leur milieu d’origine, à l’exclusion de relations à finalité utili- taire, d’ordre essentiellement économique. L’Algérie indépendante a hérité de cette situation et, de par la politique nouvelle instituée en direction des collectivités locales, l’a démesurément amplifiée.

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M. BOUKHOBZA

En effet, si le caïdat (6) a été supprimé dans les zones à domi- nante nomade, l’organisation territoriale nouvelle, formalisée et ins- titutionnalisée en 1967, a enserré le pays, d’une manière indiffé- renciée, dans un système de représentation électif moderne qui éva- cue toute référence à la société nomade. La commune remplace les tribus constitutives d’une entité ìnomade, l’Assemblée populaire com- munale remplace la Djamaa (7), 1 et le président de l’Assemblée popu- laire communale le caïd.

La différence fondamentale entre les deux systèmes réside dans le fait que si durant la période coloniale, tous les responsables étaient désignés, souvent imposés à la tribu, dans le système post- indépendance, la nomination des responsables a lieu par voie élec- torale. Dans la réalité et du point de vue de l’intérêt de la société nomade, cette démocratisation ne se traduit pas nécessairement par une prise en charge de ses spécificités, notamment celles liées à ses conditions d’existence. Les nomades constituent, à l’instar des sédentaires, un enjeu électora1 pour ceux qui sont appelés à les administrer.

Les candidats aux élections ne sont représentatifs a priori ni des clivages tribaux ni des clivages liés à l’appartenance sociale. Ce sont des affinités de nature politique qui sont privilégiées. Dans une commune cohabitent en général plusieurs tribus ou fragments de tribus, souvent démographiquement minoritaires, et des séden- taires. Par la force des règles de la démocratie, les élus doivent leur promotion aux voix des sédentaires, même s’ils ont fait par- tie, eux ou leurs ascendants, de l’élite nomade.

Dès lors, le système d’encadrement politique, administratif ini- tié par 1’Etat algérien, même s’il ne présentait aucune analogie avec les pratiques antérieures, n’a jamais été mû par un souci explicite de prendre en charge les contraintes des spécificités de la vie nomade. Une telle situation procède de l’approche idéologique du pouvoir politique sur la manière de gérer la société. La commune est conçue comme la cellule de base de l’organisation administra- tive. I1 n’y a pas d’entités infracommunales. Dans ces conditions, aucune référence à la composition sociale de la commune n’est poli- tiquement concevable.

Au plan organisationnel, on est en présence de deux modèles. Le premier est lié à 1’État ou à l’administration, le second relève de l’encadrement politique (8). Dans l’un comme l’autre, il n’est

(6) Système d‘exercice du pouvoir sur les tribus initié par l’administration coloniale et qui consistait à accorder des pouvoirs de con- tröle de police, de prélèvement fiscal, d’admi- nistration ... à des chefs autochtones nommés et révoqués (caïd).

(7) Assemblée de notables ayant un rôle consultatif.

(8) La restauration de 1’État algérien a donné lieu à une imbrication systématique de l’administration et de l’appareil du parti au pouvoir ; il en a résulté un double encadrement.

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pas question de structure socioéconomique ou politique prenant en charge les contraintes du nomadisme. La société nomade est donc dissoute dans la communauté nationale et est soumise à toutes les règles et dispositions générales destinées à l’encadrer, la gérer, l’orga- niser ou la promouvoir.

La première de ces conséquences, et sans doute la plus déci- sive, est le double transfert des troupeaux et donc de l’exploitation des parcours au profit de sédentaires.

L’élite nomade s’étant progressivement installée en ville, la con- centration du troupeau s’est d’abord réalisée au profit de cette élite. Cette concentration a engendré un processus de paupérisation et de salarisation remettant en cause les fondements des valeurs liées au nomadisme. I1 en résulta fatalement l’apparition et le dévelop- pement d’une nouvelle vision du monde et des rapports sociaux qui l’organisent.

Ainsi en 1966, le salariat avait déjà largement pénétré la société nomade. En 1977, on a dénombré 55 O00 salariés contre 37 O00 éleveurs. En 1987, le niveau de salarisation avait encore sen- siblement augmenté.

La concentration se traduit également par une dépossession des pasteurs de leurs terrains de parcours traditionnels.

En laminant systématiquement toute capacité économique et cul- turelle de résistance, la colonisation a fragilisé le système de nor- mes et de valeurs autour duquel s’organisait la vie nomade. Ainsi, l’administration des nomades par un pouvoir ou une administra- tion sédentaire ne pouvait structurer les relations liant les pasteurs entre eux et avec l’extérieur, qu’au travers d’une logique où les intérêts de la société nomade sont plus ou moins évacués.

Ces relations ne sont pas médiatisées par la présence ou l’exis- tence du groupe d’appartenance. La commune, par exemple, n’entre- tient pas de relations avec une tribu à travers ses représentants, sauf si ces derniers ont la double légitimité, à savoir celle, légale, de l’État et celle, sociale, de la communauté nomade d’appartenance. Mais dans ce cas, ce sont les fractions et familles dont sont issus les responsables locaux qui exercent une espèce de prééminence de fait sur les autres composantes de la tribu. Une telle situation ren- force les nouveaux clivages au sein de la société nomade, partici- pant ainsi à accélérer son éclatement et à intégrer dans la vie de cette société de nouveaux éléments de polarisation.

Par ailleurs, là où la population nomade présente un poids signi- ficatif, on relève une compétition intense pour le contrôle du pou- voir local. I1 en résulte que le nouveau jeu de la démocratie mobi- lise périodiquement aussi bien nomades que sédentaires d’une même commune, créant des alliances et des intérêts d’un nouveau ge-nre dans lequel la fonction de redistribution des institutions de 1’Etat joue un rôle central.

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Une autre conséquence, non moins importante, concerne, comme on l’a évoqué, le transfert de fait du patrimoine pastoral et de l’uti- lisation des parcours au profit des sédentaires. D’abord en termes d’effectifs, les nomades des Hauts-Plateaux steppiques sont deve- nus une minorité dont le poids ne cesse de diminuer avec le temps. Ensuite, la sédentarisation, de plus en plus accélérée depuis la fin des années quarante, des pasteurs les plus aisés et les plus influents a donné lieu à un transfert progressif du troupeau des nomades vers les citadins. En s’installant en ville, les gros éleveurs ont élargi leur activité à d’autres secteurs et ont exploité toutes les occasions pour permettre à leur descendance une mobilité sociale en dehors de l’activité pastorale (profession libérale, commerce, administra- tion...). C’est ainsi qu’à la fin des années soixante, début des années soixante-dix, presque la moitié du cheptel ovin était contrôlée par des éleveurs pour lesquels le nomadisme avait cessé d’être un mode d’existence. Le poids des sédentaires dans l’appropriation du chep- tel n’a cessé depuis d’augmenter..

La concentration pastorale aidant, une nouvelle division du tra- vail a commencé à voir le jour et à se renforcer. Le pasteur nomade tend à devenir un salarié, tandis qu’une nouvelle catégorie de pro- priétaires installés en ville s’adonnent en général à d’autres activi- tés, n’entretenant avec le nomadisme que des relations strictement utilitaires. Dès lors, la nouvelle configuration de la société pasto- rale procède davantage des déplacements du troupeau à la recher- che de bons pâturages que de celui des pasteurs socio- économiquement organisés.

Cette situation va exacerber d’une manière latente les rapports des nomades avec le pouvoir. I1 s’agit là d’un autre processus d’écla- tement et de parcellisation de l’univers nomade conditionné par la densification des relations de dépendance structurelle entre l’élevage nomade comme activité professionnelle et le propriétaire sédentaire comme détenteur du capital ovin.

Le processus est bien sûr lent. I1 n’exclut en aucune manière l’existence des gros éleveurs encore nomades, ni encore moins une résistance de la société nomade au processus de déstructuration interne à laquelle elle est soumise. Néanmoins, la tendance fonda- mentale est à la disparition du nomadisme en tant que forme d’exis- tence, de production et de reproduction de tout un art de vivre et du système de relations qui en est solidaire.

La politique d’intégration latente

Les quelques remarques ci-dessus montrent qu’il est difficile d’évoquer une politique explicitement formalisée en direction de la société nomade. Néanmoins, on peut considérer à certains égards

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ALGERIE

qu’une non-politique est aussi une politique. En fait, tous les efforts consentis par les pouvoirs publics ont consisté à œuvrer au renfor- cement de l’intégration sociale de ces populations. La participation des nomades à la vie politique lors des élections locales ou natio- nales en est un exemple.

A cet égard, quels sont les axes de cet effort d’intégration? I1 s’agit de la politique de scolarisation, de la tentative avortée de réor- ganisation du système de production pastorale à l’occasion d: la mise en œuvre de la révolution agraire et de l’intervention de 1’Etat dans le déroulement du procès de réalisation de l’activité pastorale.

S’agissant du premier point, 1’Etat algérien, dès sa restauration en 1962, a décidé de faire de la scolarisation massive un axe cardi- nal de sa politique sociale. I1 était évident que la scolarisation des enfants nomades posait la question cruciale de la reproduction de la force de travail pastorale et donc $e la survie du nomadisme. Pour concilier les deux impératifs, 1’Etat avait opté pour une cer- taine souplesse. Tout a été mis en ceuvre, grâce à un système d’internat gratuit, pour assurer une scolarisation normale aux enfants de nomades. Cependant, il n’y avait pas obligation impérative d’ins- crire tous les enfants scolarisables à l’école communale.

L’étude comparée des taux de scolarisation dans les wilayate con- cernées des Hauts-Plateaux montre l’absence de corrëlation nette entre le poids démographique des nomades et le niveau de scolari- sation. Outre l’insuffisance de cohérence de la politique scolaire des enfants nomades, une telle situation illustre l’ampleur des destruc- tions potentielles qui minent la société dont ils sont issus.

Wilayate

El Bayadh Naama D j elfa Laghouat M’sila

Moyenne nationale

Taux des nomades dans la population

30 Yo 22,2 Yo 11,6 90 7’8 Yo 3,8 Yo

Taux de scolarisation (6113 ans)

61 Yo 84 70 75- 70 85 Yo 85 Yo

84 Yo

En effet, la généralisation de la scolarisation des enfants des nomades signifiait l’arrêt de mort du nomadisme. I1 aurait fallu sans doute imaginer d’autres formes de scolarisation, dans ‘l’hypothèse d’une politique active visant le maintien du fait nomade. Cette forme aurait consisté à imaginer des écoles itinérantes de façon à conci-

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M. BOUKHOBZA

lier les contraintes de l’activité pastorale et les exigence: de la sco- larisation nécessaire. Mais telle n’a pas été la logique développée après l’indépendance.

La scolarisation n’a pu, en tout état de cause, que contrarier la logique de fonctionnement de la société nomade. En effet, cette scolarisation procède d’une rationalité moderne qui n’a rien à voir avec le système pastoral traditionnel. La scolarisation des enfants exclut ces derniers de leur appartenance à la société nomade au triple plan social, culturel et économique.

Le second axe d’intervention de 1’Etat a eu une dimension essen- tiellement technico-économique. Malgré son échec, cette action mérite d’être schématiquement rappelée.

La mise en œuvre de la réforme agraire (dite révolution agraire), déclenchée en 1972, a donné lieu à plusieurs phases dont l’une con- cernait explicitement une réorganisation totale de l’activité pasto- rale. La steppe avait été découpée en zones pastorales dans lesquelles les éleveurs, regroupés en coopératives, devaient organiser leurs acti- vités. Ces coopératives, appelées CEPRA (Coopératives d’élevage de production de la révolution agraire), devaient progressivement être généralisées et donc intégrer tous les pasteurs.

Dans cette nouvelle approche, le regroupement devait s’effec- tuer sur une base individuelle occultant ainsi complètement les struc- tures familiales et a fortiori les structures tribales. L‘expérience allait vite être abandonnée en raison des résistances locales multiples qu’elle soulevait. I1 fallait en effet libérer les espaces sur lesquels devaient être installées les nouvelles unités de production, trouver les candidats qui acceptent le nouveau système et régler les rap- ports avec les éleveurs en place. Autant de questions qui n’ont pu trouver de solutions adéquates sans créer de tensions sociales incontrôlables.

Si l’expérience n’a pas-perduré, elle a néanmoins donné lieu à une appropriation par 1’Etat de toutes les terres de la steppe à vocation pastorale. Ces terres appartenaient depuis toujours aux com- munautés nomades qui les explqitaient à des fins pastorales ou agri- coles. Cette appropriation par 1’Etat du patrimoine foncier des noma- des des Hauts-Plateaux a provoqué la rupture de la dernière rela- tion qui liait encore la société nomade à son espace d’expression. D’un bien privé à usage communautaire (terre ’arch), les parcours sont devenus un bien public. L’éleveur qui, au cours de la crise qu’il subissait depuis très longtemps déjà, entretenait encore l’illu- sion de détenir un territoire pour y organiser sa vie active, est devenu du jour au lendemain un simple usufmitier d’un patrimoine (( étranger n. Au regard dq la loi, sa présence était simplement tolé- rée. Or, parallèlement, 1’Etat n’a pas développé de politique visant à rationaliser l’utilisation des terres de parcours, à les protéger, à renforcer leurs capacités fourragères. I1 s’en est suivi le redouble-

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ALGERIE

ment de l’anarchie en matière d’utilisation des terres steppiques et l’exacerbation des mécanismes de déstructuration déjà en œuvre : accroissement inconsidéré de la taille du troupeau, activité pasto- rale spéculative, mouvement désordonné des troupeaux et des hom- mes, exploitation systématique de pâturages de bonne qualité par de nouveaux gros éleveurs équipés en moyens mécaniques ... Une telle situation a accentué tous les défauts du système pastoral en détruisant l’ensemble des nelations nécessaires à une vie nomade organisée et en soumettant: la1 steppe à une exploitation qui n’a pas tardé à remettre en cause ses capacités de reproduction fourragère et à la condamner à un véritable processus de désertification.

Le troisième type d’intervention de I’État a été plus ou moins une réaction à ce processus. I1 a porté sur un transfert massif d’orge et de fourrage vers la steppe pour faire face à l’incapacité des par- cours à assurer la survie du troupeau.

Cette pratique, commencée en 1972 et généralisée depuis, a été qualifiée à tort (( ’achaba (9) inversée )). Cette appellation pouvait laisser croire que la démarche s’inscrivait dans la logique de la ’achaba traditionnelle (10). En fait, cette pratique a eu les effets opposés aux objectifs visés.

Alors que la ’achaba traditionnelle permettait à la steppe de se reposer à l’occasion d’une mise en défense régulière de trois à quatre mois, la ’achaba inversée, en maintenant un troupeau volumineux sur des terres pauvres en pâturages, a participé à l’accélération de la désertification. Alors que la ’achaba traditionnelle exigeait une organisation du mouvement des troupeaux et des familles ainsi que les relations avec les agriculteurs des zones d’accueil, la ’achaba inversée a éliminé toute forme de relations entre nomades et entre ces derniers et les agriculteurs, soumettant ainsi les pasteurs à l’action de l’administration pourvoyeuse d’aliments de bétail. La ’achaba inversée a en fait soumis le pastoralisme à la logique de l’administration, à la bureaucratisation de l’activité pastorale.

Aujourd’hui cette pratique a cessé d’être une action localisée dans le temps (lors des années de sécheresse). Elle s’intègre dans l’activité quotidienne des structures spécialisées de distribution d’orge et de fourrage, implantées dans toutes les zones à vocation d’éle- vage ovin, soulignant une emprise permanente des représentants de l’administ ation sur la vie économique et socioculturelle de la société

Cette analyse succincte montre que les relations entre 1’État et la société nomade sont à sens unique. Le nomade n’avait ni la capa- cité ni les moyens de (( négocier )) sa place. Il devait donc se sou-

pastorale. rl

(9) Transhumance des troupeaux du sud (10) Migration d‘été des troupeaux et des hommes vers les zones céréalières du nord. du pays vers le Tell.

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M. BOUKHOBZA

mettre à la logique induite par la mise en œuvre du projet natio- nal de développement.

Les mécanismes du marché, la salarisation, la concentration, l’encadrement de la société nomade par l’administration à des fins diverses constituent autant de facteurs d’aliénation et de destruc- tion du nomadisme. A cet égard, les données du dernier recense- ment illustrent bien cette tendance à la disparition. I1 ne reste plus dans toute l’Algérie que quelque 250 O00 personnes plus ou moins nomades, alors que vingt années plus tôt, on en dénombrait plus d’un demi-million. Cela signife une régression moyenne absolue de 4,3 Yo l’an.

I1 résulte de ce processus une marginalisation évidente de la société nomade ou tout simplement de la présence nomade en Algérie.

Néanmoins, dans certaines wilayate, la part de la population nomade demeure encore significative : 30 Yo de la population dans la wilaya d’el Bayadh, 22,2 Yo dans celle de Naama, ‘11,6 Yo dans celle de Djelfa, 7,s Yo dans celle de Laghouat, mais uniquement 3,s Yo dans la wilaya de M’sila et à peine un peu plus de 1 YO dans la wilaya de Tébessa, wilaya steppique ayant connu un rythme de sédentarisation bien plus accéléré.

* * *

Les relations entre l’État et les communautés nomades se posent en termes ge coexistence de deux logiques différentes. La première, celle de l’Etat, s’inscrit dans une perspective d’intégration sociale, d‘encadrement administratif et de développement économique et cul- turel. La seconde, celle de la société nomade, se limite à des réac- tions défensives de préservation. Le nomade reste nomade, non pas par identification à un projet de société, mais parce qu’il n’est pas en situation de changer de condition sans accepter sa déchéance, c’est-à-dire sans renoncer à son système de normes et de valeurs intrinsèques, en s’insérant dans les multiples réseaux de la vie moderne.

La situation algérienne n’est certainement pas représentative du nomadisme au Maghreb. Mais ce qui est certain, c’est qu’elle repré- sente pour les sociétés nomades la perspective la plus probable dans des pays où le nomadisme est encore vivace (Maroc, Mauritanie, Libye, voire les sociétés nomades du Sahel).

Le nomadisme est par essence une organisation globale. I1 ne peut survivre si l’un de ses principes de fonctionnement est remis en cause. Or la logique des Etats du Maghreb contemporain s’ins- crit dans un contrôle et une gestion de l’espace et des groupements sociaux qui y vivent. Nombre de facteurs, tels que la soumission

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ALGERIE

à la loi et aux forces du marché, le doids démographique et éco- nomique parfois dérisoire que représentaient les nomades, le déve- loppement des catégories normatives citadines, participent à l’éro- sion permanente de la société nomade. Et là où le nomadisme est encore actif, on peut postuler que cela est dû au retard dans la formation du nouvel Etat moderne.

La disparition certaine du nomadisme, dans son expression pre- mière, à savoir le mode de vie qui le sous-tend, laisse cependant une place privilégiée à une structuration spécifique des valeurs cul- turelles qui traversent toute- notre société. Et c’est peut-être en cela, que l’on peut dire que les Etats du Maghreb sont loin d’avoir réglé leurs rapports avec les communautés nomades, tant que ces valeurs n’auront pas généré d’autres manières de percevoir le monde et d’entretenir des relations de dépendance, d’alliance ou d’opposition.

Au regard de ces tendances, les perspectives paraissent relati- vement simples. Deux hypothèses peuvent être envisagées. Soit les éleveurs nomades seront sédentarisés après un rétablissement explicite de leurs relations avec ce qui fut leur aire d’expression, tout en développant les conditions d’une révolution technique dans leurs activités et leurs rapports à l’économie moderne. Soit ils seront hap- pés par la logique destructive des mutations de la vie urbaine et du mouvement spéculatif du marché, jusqu’à leur réduction totale à la condition de salariés. Les réformes enclenchées dernièrement en direction du monde agricole permettent d’espérer une approche visant à sauvegarder le savoir-faire pastoral, en réconciliant l’homme à la terre et en donnant à l’éleveur l’autonomie nécessaire pour assu- mer un rôle actif dans la promotion de la société.

M’Hamed Boukhobza

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A. BOURGEOT

Le lion et la gazelle : États et Touaregs

EPUIS une vingtaine d’années, les sociétés touarègues de l’ensemble saharo-sahélien (Algérie, Niger, Mali) connaissent D des transformations sensibles conditionnées par les situations

politiques issues des intjépendances respectives, selon des orienta- tions propres à chaque Etat, parades processus économiques et poli- tiques visant à la formation des Etats-nations délimités par des fron- tières héritées de la colonisation française.

Ces frontières, flexibles et formelles à l’époque coloniale, per- mettaient toutefois la reproduction du système pastoral sur de très larges espaces nécessaires aux activités de transhumance, à l’élevage extensif et aux échanges caravaniers sahariens et transsahariens. Elles se sont rigidifiées depuis les indépeqdances pour finalement abou- tir à un récent bornage entre les Etats riverains.

La totalité de ces sociétés touarègues septentrionales évoluent dans des sites montagneux d’altitude variée et sur des écosystèmes spécialisés, voire hyperspécialisés dans le cas de l’Ahaggar (1). Ces écosystèmes, extrêmement vulnérables, supportent mal des modifi- cations d’ordre territorial (frontières nationales, interdictions d’accès à des pâturages) ou des variations climatiques trop brutales (séche- resses, inondations). C’est au sein de cet ensemble écologique rela- tivement homogène que le pastoralisme-nomade touareg a été dés- tabilisé conséquemment aux réorganisations sociales insuflées à l’épo- que coloniale et au déclin irréversible du trafic caravanier transsaharien.

Les révélateurs et accélérateurs essentiels de cette crise appa- raissent pendant les sécheresses de 1969-1973 et de 1984-1986 ; elles soulignent la fragilité de ces sociétés qui constituent une unité cul- turelle assortie de diversités notoires (2). Cette fragilité révélée a per-

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TOUAREGS

m i s aux États, aux institutions internationales, aux organisations non- gouvernementales, de se saisir de ces opportunités climatiques et politiques pour induire leurs logiques et intérêts dans ces groupes sociaux réputés (( indépendants )), peu contrôlables et quelquefois turbulents.

Qu’en est-il des Touaregs Kel Ahaggar de l’extrême-sud algé- rien, des Kel Air du Niger septentrional et des Kel Adar de l’extrême-nord malien ?

Ils sont tous situés dans des espaces sahariens frontaliers et ont tous assuré les échanges caravaniers transsahariens. A l’époque pré- coloniale, ils étaient affiliés, à des (( confédérations )) politiquement autonomes, circonscrites par des mouvances territoriales condition- nées par des rapports de force militaires. Elles évoluaient sous l’auto- rité politique et morale d’un Amézokal qui ne disposait pas réelle- ment d’un pouvoir coercitif institutionnalisé ou spécialisé, l’autori- sant à un contrôle efficient sur l’ensemble de ses dépendants. La période coloniale a transformé l’essence politique des U confédéra- tions )), en les utilisant comme relais aux politiques de la colonisation.

Du Touareg à l’Algérien : le Touareg algérien

Les processus d’assimilation dans PÉtat-nation

Peut-on parler de politiques étatiques spécifiques au nomadisme en Algérie et, singulièrement, à l’égard de celui des Touaregs ? Si la troisième phase de la révolution agraire fut consacrée au pastoralisme-nomade, il n’y a pas eu de politique particulière mise en Oeuvre à l’égard des Touaregs, soumis aux mêmes orientations économiques et politiques que les autres citoyens algériens.

Pourtant, les spécificités locales (organisation sociale des Kel Ahaggar, idéologie touarègue, zone montagneuse très aride) ont engendré un type de transition particulier qui a débouché sur une série de mutations mais pas sur des transformations radicales achevées.

a) au plan économique: Les principaux secteurs économiques dans lesquels prennent

forme ces mutations relèvent essentiellement du tourisme, des tra- vaux de construction divers (travaux publics, chantiers privés), du gardiennage et du développement de l’agriculture.

(1) C . Kilian, Au Hoggar, Paris, Socié- tés d’éditions géographiques, maritimes et coloniales, 1925, 186 p., cartes, photos, plan- ches h.t.

(2) E. Bernus, Touaregs nigériens. U d é culturelle et diversité régimale d’un peuple pas- teur, ORSTOM, 1981, 507 p., index, cartes, mémoire ORSTOM, no 94.

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A. BOURGEOT

Une typologie de ces activités salariées s’appuyant sur les repré- sentations du travail socialement valorisé ou déconsidéré par l’idéo- logie touarègue, conduit à distinguer deux catégories. L’une res- sort du tourisme et du gardiennage domestique ou d’entreprises, l’autre concerne les travaux manuels (chantiers et agriculture).

L’essor du tourisme à Tamanrasset (11 agences en octobre 1988 et 33 dépôts de dossiers depuis cette date) a permis une insertion non négligeable des Touaregs (guides, chameliers) dans les rapports monétaires à travers les locations de dromadaires et de véhicules tout-terrain.

Le dromadaire assure actuellement plusieurs fonctions qui ’ agis- sent à trois niveaux imbriqués, mêlant les intérêts de certains Kel Ahaggar à ceux de 1’Etat.

Au niveau économique, le (( dromadaire-marchandise )) atteste une fonction commerciale qui s’inscrit dans des réseaux de circulation ancrés au Niger et au Mali septentrionaux, régions productrices de camelins. Ces réseaux ne sont pas sans rappeler les axes carava- niers transsahariens d’antan. En revanche, la diversité des produits autrefois acheminés se rétrécit au profit d’une spécialisation qui répond à des finalités non plus d’échange mais commerciales, géné- ratrices de la formation d’une nouvelle couche socilale dont les inté- rêts correspondent à celle issue des appareils d’Etat.

Au plan psychologique, l’utilisation du dromadaire à des fins de déplacements touristiques confirme les repères identitaires, réac- tivés par les touristes. Ceux-là viennent pour l’Ahaggar et pour les Touaregs, eux-mêmes indissociables, dans l’imagerie occidentale, du dromadaire, des méharées et des caravanes. L’ensemble compose le tissu de l’imagerie touarègue, assortie de la traditionnelle pano- plie : voile de tête, source de (( mystère )), glaive du (( seigneur féo- dal du désert )) etc., autant de clichés qGi satisfont l’imaginaire d’occidentaux en mal d’exotisme.

Le Touareg et sa panoplie deviennent ainsi des objets-marchands vendus dans des sites fabuleux par des agences touristiques prolifi- ques. Le Touareg, quand il le peut, se prête à ce jeu, ce qui illus- tre un comportement qui n’est pas antithétique à une approche (( progressiste 1)) ou pour le moins marchande.

Enfin, au plan des valeurs intrinsèques aux Kel Ahaggar, le dro- madaire continue à assurer sa valeur de prestige social, notamment aux moments des festivités (mariages, courses, etc.). I1 est toute- fois sérieusement concurrencé par la présence de véhicules tout- terrain. Des mécanismes d’analogie-substitution s’instaurent, y com- pris dans les valeurs économiques et de prestige social, entre le dro- madaire et le véhicule. Ce dernier est intégré dans les poésies et les chants locaux glorifiant les qualités de couleur, de forme, (( d’yeux )) (les phares) des voitures, d’habileté et de prestance du

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TOUA REGS

chauffeur, tout comme celles recélées par le dromadaire et son cha- melier dont les valeurs sont toutefois en perte de vitesse.

Cette intégration des véhicules dans la littérature orale est, au plan identitaire, parfaitement rassurante, soulignant ainsi des capa- cités à intégrer et à assimiler, sur leurs valeurs intrinsèques, ce qui vient de l’extérieur, provoquant simultanément une course à l’argent.

Quant au gardiennage domestique ou celui qui s’exerce dans les entreprises d’État ou privées, il s’inscrit également dans des rap- ports salariaux. Ils confèrent un certain pouvoir, celui de garder, donc de protéger, ce qui renvoie directement à l’idéologie de la protection singulièrement vivante dans la mentalité touarègue. Les activités de gardiennage ne sont pas antithétiques aux valeurs sociales internes aux Kel Ahaggar : elles les corroborent en leur donnant un contenu nouveau tout en confirmant une nature identique à celle de la protection passée et fondée sur un pouvoir guerrier.

Cette confirmation est, à l’évidence, illusoire. Elle repose fon- damentalement sur des présupposés idéologiques confortés par la répulsion à l’égard des travaux manuels qui s’inscrivent dans un ensemble d’activités salariées idéologiquement très hiérarchisées (tou- risme, gardiennage, travaux manuels), ce qui renvoie à une société autrefois très stratifiée.

Les deux autres activités appartiennent aux travaux manuels exer- cés sur les chantiers communaux, étatiques ou privés et dans l’agri- culture. Celle-ci touche immédiatement la structure sociale, l’idéo- logie (( traditionnelles )) des Kel Ahaggar, et résulte directement des politiques étatiques dans ses rapports avec le pastoralisme nomade.

En effet, dans l’organisation sociale touarègue qui précède l’indé- pendance, les travaux agricoles étaient l’exclusive des affranchis (har- rutin ; sing. hurtanz), sédentaires noirs, mêtayers des Q hommes- libres )) (aristocrates et tributaires), pasteurs-nomades.

Certains esclaves se livraient également à ces travaux qui sont encore, au regard des Touaregs (< hommes-libres D, assimilés à des activités serviles réalisées par des hommes de couleur noire.

Le renversement des rapports sociaux issu de la période révo- lutionnaire et le slogan (( la terre à ceux qui la cultivent )) contri- buèrent à promouvoir l’agriculture et à privilégier les populations d’agriculteurs au détriment des- pasteurs-nomades touaregs qui répu- gnent à ce type de labeur. L’Etat algérien offrit à ceux-là les pos- sibilités d’exercer des travaux agricoles dans des centres de culture préexistants, ou créés, sur leurs terrains de parcours habituels, péren- nisant ainsi l’organisation territoriale sur laquelle se superposent les structures communautaires composées de lignages.

Cette superposition permet le développement de stratégies com- munautaires qui se maintiennent, qui recouvrent 1 ’ancienne orga-

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nisation sociale et qui peuvent ainsi s’opposer aux politiques de 1’Etat.

Ne serait-ce pas dans ces stratégies communautaires qui peu- vent être mystificatrices du passé, que pourraient préférentiellement apparaître et s’exprimer des formes de régionalismes et de maxi- malismes divers susceptibles de s’opposer aux pouvoirs étatiques ?

Les politiques de développement agricole en milieu pastoral ont pour objet le mode de vie nomade. Leurs effets engendrés par des processus économiques et politiques beaucoup plus globaux et struc- turaux conduisent à la mi>e en place d’un type particulier d’agro- pastoralisme suscité par 1’Etat et assorti d’une diversité de travaux salariés. Quelles en sont les conséquences sur la production pasto- rale et le mode de vie nomade ?

La diversification des activités salariées et l’agropastoralisme pro- voquent des formes de recomposition économiques et sociales, géné- ratrices de nouveaux clivages.

Au niveau domestique, ces mutations induisent un déplacement du pouvoir domestique de l’homme vers la femme, contribuant au renforcement du rôle de la femme dans la société, notamment dans la production pastorale relative aux petits ruminants (caprins et ovins).

Le maintien de ce pastoralisme-nomade réduit, de plus en plus assuré par les femmes et les personnes âgées, ne sert-il pas de valeur- refuge (y compris dans la littérature orale qui sécurise), ou de refus inconscient du changement et du mouvement social ?

La femme demeure un des pivots de la société a traditionnelle 1))

la gardienne, la dépositaire des valeurs sociales et culturelles liées au pastoralisme. Le renforcement du rôle domestique de la femme crée un nouvel espace social féminin qui s’inscrit dans des proces- sus cathartiques. Ceux-ci vont, paradoxalement, à l’encontre de la nature des rapports hommes-femmes, conditionnée par les valeurs arabo-islamiques sécrétées par l’idéologie de 1’Etat. I1 s’ensuit des processus de redistribution des pouvoirs entre l’homme et la femme.

En revanche, les hommes touaregs insérés dans les rapports sala- riaux et monétaires sont objectivement placés dans des situations d’acculturation liées à l’urbanisation galopante. Ceux-là constatent une mort symbolique des anciennes valeurs maintenues par les femmes.

Ces mutations recèlent des problèmes qui relèvent de l’ordre identitaire soumis à une sorte de (( brouillage culturel )) cependant clarifié par la très grande flexibilité économique et intellectuelle des Touaregs dont les capacités d’adaptation aux évolutions et trans- formations historiques successives ne sont plus à démontrer.

Le développement agricole a aussi pour conséquence l’extension de l’habitat fure incluant des constructions à caractère superféta- toire, recélant de nouvelles formes de prestige et intégrant ainsi des

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TOUAREGS

valeurs sédentaires. Ces facteurs de sédentarisation engagent des modifications sensibles dans les formes de propriété en enclenchant un mouvement vers l’appropriation privative du foncier et de l’immobilier.

b) au plan politique : du chef au représentant du peuple : Pour des raisons qui relèvent de la géo-politique au moment

de l’indépendance, le jeune État algérien, né après huit années de guerre coloniale, a tenté l’intégration des populations du Sahara cen- tral (dFs Touaregs entre autres) dans la nation en formation.

L’Etat a procédé à un transfert du (( pouvoir communautaire ))

(l’dménnokalat : chefferie locale) au sein des appareils #État, tout en conservant dans un premier temps l’institution (( amenokale )), assurant ainsi une traqsition sans heurt et un moyen institutionnel de ramification de 1’Etat.

Actuellement, les populations du Sahara-central, et donc les citoyens algériens touaregs, ont un représentant touareg qui incor- pore trois fonctions recouvrant deux dimensions, étatique et (( corporatiste )) : - une fonction élective en tant que député du département,

ce qui le conduit à être l’élu du peuple et non pas des seuls Touaregs ; - une fonction politique comme membre du comité central du

FLN, contribuant ainsi à l’orientation politique de la nation ; - une fonction informelle d’dmenokal, représentant spécifique

des intérêts touaregs a m yeux de ceux-ci ou tout du moins pour ceux qui continuent à le percevoir comme étant encore le deten- teur d’un pouvoir local, autonome de ceux que lui confère 1’Etat.

Cette dernière fonction caractérise un pouvoir moribond au sein d’une (( institution )) (1’Amézokalat) fantôme et fantasmatique, dans laquelle rôde et plane une autorité morale qui peut, selon les cas, se conjuguer à une influence et à une autorité politiques attribuées grâce au cumul des deux fonctions officielles précédentes. A tra- vers la concentration de ces trois fonctions et de ces deux dimen- sions sur une seule personne, les individus et l’ensemble des popu- lations du Sahara central peuvent se reconnaître selon le degré de conscience sociale et politique de chacun, selon la place qu’ils occu- pent dans la société touarègue et/ou dans la nation algérienne.

I1 en découle que cette troisième fonction ne se réduit pas méca- niquement à une simple survivance du passé. Cependant, sa perti- nence sociale réside dans son imbrication aux deux autres lui con- férant ainsi une efficience politique.

Ce personnage incorporant des référents locaux et nationaux diversifiés incarne les liens que les politiques étatiques ont tissé avec les pouvoirs locaux afin de les contrôler ou les neutraliser. Cette situation particulière débouche sur un jeu politique d’une subtilité

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redoutable, induisant des formes d’immobilisme qui peut permet- tre de préserver l’ancienne influence, surtout quand les rapports protocolaires s’en mêlent.

Dans l’ensemble de ces mutations, les anciennes couches socia- les dominantes peuvent encore trouver une place prépondérante.

Cette série de mutations place la société des Kel Ahaggar dans des situations contradictoires notamment entre les finalités non mar- chandes de la production pastorale pré-révolutionnaire et la péné- tration des rapports marchands et salariaux dans la formation sociale touarègue. Cette contradiction tend à réduire l’économie pastorale à une économie domestique assurte de plus en plus par les femmes.

En outre, les logiques de 1’Etat se heurtent aux dynamiques internes qui perdurent en combinant des systèmes de production aux finalités opposées, en s’appropriant des techniques ou des objets extérieurs qui répondent à leur système de valeurs, créant des pro- cessus de recomposition provisoire et partielle qui génèrent l’appa- rition de nouveaux phénomènes ancrés sur une sorte d’invariance idéologique. En revanche, les oppositions les plus manifestes s’exer- cent essentiellement dans le domaine politico-culturel, un des fon- dements permanents du pouvoir et de ses enjeux.

En définitive, les Kel Ahaggar ont pu disposer d’alternatives sociales et de nouvelles perspectives économiques qui, par delà toute appréciation morale ou politique appartenant à un autre ordre de réflexion, ont permis d’éviter un exode que connaissent d’autres groupes sociaux touaregs constituant une diaspora se réfugiant en Algérie ou en Libye pour de simples raisons de survie.

Du Touareg à la diaspora touarègue : les Kel Adar du Mali

Par-delà les problèmes culturels, les causes et les conséquences des transformations sociales chez les Kel Adar sont tout autres (3).

En effet, l’héritage colonial, incluant la rébellion et la répres- sion qui s’en suivit au début des années soixante, fut destructeur. Les Kel Adar ont évolué dans un (( isolat )) ethnique et géographi- que qui a contribué à les placer actuellement dans une situation particulière (zone pénitentiaire, militaire). A cet héritage, se sont ajoutées les sécheresses de 1969-1973 et 1983-1985 qui ont accé- léré les processus d’éclatement à travers notamment la disparition, par famine ou épizooties, de nombreuses têtes de bétail.

Dans un contexte de pressions économiques nationales et inter-

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(3) A. Bourgeot, (( L’herbe et le glaive : de I’itinérance à l’errance )) (la notion de ter- ritoire chez les Touaregs) in Nomedisme :

mobilité et flexibilité? Bulletin de liaison ORS- TOM, no 8, octobre 1986, pp. : 145-162.

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nationales, de crise généralisée, en l’absence d’alternative de l’État, les sécheresses ont eu des conséquences dramatiques. En effet, une partie des Kel Adar n’a plus ni les capacités matérielles de sa repro- duction sociale ni, a fortiori, les possibilités de disposer d’un pro- cessus de transformation du bétail, ce qui provoque un blocage déva- lorisant. Le bétail lui-même n’est plus le moyen qui permet d’ins- taurer la marchandise en tant que rapport social comme dans le cas des Kel Ahaggar d’Algérie.

En outre, la perte de bétail a (( libéré )) une main-d’œuvre et une force de travail qui sont potentiellement utilisables sous une forme marchande. Mais la non qualification de cette main-d’œuvre conjuguée à l’inexistence d’un marché du travail ne permet pas, son utilisation. Ces phénomènes, en l’absence de politique de l’Etat, ont provoqué un eclatement social qui a placé une partie de cette société dans les réseaux migratoires orientés vers l’Algérie et ins- taurés au moment où la production pastorale et les rapports de pro- tection entre Kel Ahaggar et Kel Adar assuraient une fonction sociale stabilisatrice. Ces réseaux sont actuellement vidés de leur contenu et s’élargissent à d’autres réseaux constitués par une main- d’œuvre à la recherche d’une occupation rémunérée ou d’un tra- vail salarié en Algérie bien sûr, mais aussi en Libye, au Nigeria et en Côte-d’Ivoire.

Cette situation produit une extraversion obligée et dénaturée de la mobilité et de la flexibilité structurelle des Kel Adar qui se mani- feste par une sorte d’errance, illustrant ainsi le résultat d’une mp- ture et de blocages successifs. Cette situation met en jeu la repro- duction du système économique fondé sur les dynamiques internes de ce groupe social et ne favorise pas une insertion dans un autre système.

Cette situation n’est donc plus un processus de transition qui autoriserait à des formes combinées d’interactions entre deux sytè- mes économiques, mais un processus de disparition qui tend à se ramifier dans l’ensemble du corps social. La crise économique géné- ralisée, aggravée par le sous-développement et les aléas climatiques, provoque une série d’effets conjugués dont les conséquences peu- vent mettre en péril cette société.

Dans ce contexte, le système économique (( traditionnel )) devient <( archaïque )) car il ne détient plus les ressources intrinsèques qui lui permettraient de s’insérer dans un nouveau système économi- que. De surcroît, cette insertion n’est pas favorisée par les politi- ques étatiques. Enfin, cette (( archaïsation 1) du système est sécrétée en même temps par les modèles de développement, leurs logiques, leurs finalités et leurs capacités à assimiler ou à rejeter les sociétés qui détiennent ou non les possibilités de satisfaire aux besoins de

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ce (( développement )) (rentabilité, qualification, production mar- chande, etc.).

Ces blocages successifs génèrent la formation d’un (( lumpen- nomade )) qui évolue paradoxalement dans un (( nomad’s land )) sans nomade ni territoire, si ce n’est celui défini par les frontières héri- tées de la colonisation.

A l’inverse du cas des Kel Ahaggar chez lesquels il y a des processus d’assimilation, certains Kel Adar sont placés dans une situation de forclusion.

Caravaniers, pasteurs, agriculteurs : les Kel Kir (Niger)

Les deux exemples précédents constituent des extrêmes. L’un, relatif aux mutations engendrées par les orientations de 1’Etat-nation algérien ; l’autre qui souligne les carences étatiques maliennes à l’égard d’une société déshéritée.

Les agro-pasteurs Kel Owey, et d’une manière plus générale, les Kel kir, tiennent une place à part dans cet ensemble saharo-sahélien.

Le maintien des activités économiques précapitalistes (élevage transhumant, trafic caravanier qui est la clef de voûte de l’écono- mie des Kel Owey), l’agro-pastoralisme originel, ont permis de con- server une certaine stabilité favorable à la reproduction élargie du système, fondée sur l’interdépendance des activités pastorales ou cara- vanières, selon une répartition souple du travail au sein de la famille. Cette diversité des activités économiques assortie d’une division sociale du travail beaucoup plus flexible que dans le cas.du pasto- ralisme nomade des Kel Ahaggar et des Kel Adar, favorise struc- turellement la reproduction du système.

Par ailleurs, il n’y a pas eu de politique frontale émanant de l’État, engageant des mutations économiques visant à satisfaire les intérêts particuliers de celui-ci. Les interventions étatiques se mani- festent par l’instauration d’antennes administratives et techniques assurant un contrôle, ainsi qu’à travers la réalisation de projets de développement mis en œuvre par des institutions internationales ou par des ONG.

L’exemple du projet (( faune Aïr-Ténéré )) initié actuellement par le World Wild Life Fund dans des zones pâturées par des Kel Aïr pasteurs nomades et qui vise à la protection de la faune et de la flore, présente un cas intéressant dans le contexte de lutte contre la dégradation de l’environnement au Sahel (5). I1 est en effet impor- tant qu’un organisme international s’efforce de sensibiliser les popu-

(5) A. Bourgeot, (I Projet faune Aïr sion D, Niamey, novembre 1988, 29 p., Ténéré‘)i (WWFAJICN). Rapport de mis- annexes.

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lations nomades à la préservation de la faune et de la flore. A cet égard, trois conditions paraissent devoir être remplies.

D’abord, ne pas intervenir sur des présupposés d’ordre idéolo- gique qui consistent à imputer aux pasteurs-nomades des techni- ques prédatrices (( naturelles )), sans prendre en considération les cir- constances historiques et climatiques qui les conduisent à mutiler la nature. Ensuite, toute intervention qui ne prend pas en considé- ration les spécificités notoires de ces écosystèmes spécialisés dans ses rapports avec la rationalité économique et les techniques de pro- duction de ces pasteurs et agro-pasteurs, risquerait de provoquer des déséquilibres dommageables pour la société humaine. Il s’ensuit que le rapport écologie-économie doit être pensé au préalable, avant toute intervention concrète.

Enfin, toute modification agissant sur le support matériel de la société et visant à l’interdiction rigoureuse ou souple de l’exploita- tion de certaines essences végétales, doit être assortie de proposi- tions de produits de substitution compensatoires à ces interdictions, en donnant les moyens aux populations de se procurer ces produits.

Lorsque ces trois conditions minimales ne sont pas prises en considération, le projet se caractérise alors par une approche tech- nocratique qui favorise les ramifications étatiques par le biais de services techniques qui fonctionnent sur leur propre logjque et sur des finalités en adéquation avec les orientations de 1’Etat.

En outre, la notion juridique de réserve a-t-elle une validité opé- ratoire et une pertinence écologique dans les pays en voie de déve- loppement soumis à des contraintes multiples ? Par delà les con- notations péjoratives historiquement et géographiquement typées, n’existe-t-il pas d’autres moyens plus appropriés aux réalités saharo- sahéliennes ? Peut-on préserver faune et flore sans poser simultané- ment, dans une’ approche globale des sociétés humaines et anima- les, le problème de la reproduction sociale ? Séparer ces trois élé- ments revient, ipso facto, à privilégier la faune.

Or la mise en place de deux réserves géographiquement déli- mitées instaure de facto et de jure (les textes existent) des zonages, c’est-à-dire des zones de spécialisations intervenant sur un écosystème pituré déjà hyperspécialisé qui risque de ne pas supporter de nou- velles spécialisations artificielles, voire arbitraires. Ce zonage va d’est en ouest vers les spécialisations suivantes :

* réserve intégrale destinée à protéger des antilopes addax hypo- thétiques, interdisant l’accès des pâturages ténéréens aux pasteurs- nomades qui les gardent en réserve lorsque ceux de l’kir monta- gneux ne suffisent plus;

réserve naturelle nationale qui souligne le souci majeur de la conservation-préservation de la flore. Et les hommes ?...

* hors-réserve, c’est-à-dire un espace (( fourre-tout )) non contrôlé qui sera dégradé.

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A. BOURGEOT

Serait4 impossible de concevoir un authentique équilibre entre le maintien de la production pastorale visant à la satisfaction des besoins alimentaires et sociaux, et le développement de l’environ- nement incluant la préservation de la faune, en élaborant une sorte de (( technologie de l’environnement )? appropriée aux réalités loca- les ? Ces trois exemples, à des degrés divers et renvoyant à des réalités contrastées, tendent à montrer que les pasteurs-nomades détiennent des capacités à s’approprier ce qui leur convient. Leur flexibilité stkcturelle leur donne encore une espérance de vie, cer- tes menacée, qui peut être consolidée par leurs tactiques et leurs stratégies de l’esquive, difficiles à contrecarrer.

Le rapport au politique, considéré dans l’idéologie dominante touarègue comme une fonction (( noble )?, facilite l’insertion dans les structures étatiques selon la métaphore (( un pied dedans, un pied dehors D. Ceci témoigne des capacités de flexibilité, d’un sens aigu du politique et du pouvoir, qui renvoient à une structure sociale très hiérarchisée susceptible de se confronter à des rapports de force politique modernes. N’y aurait-il pas de sqrcroît une idéologie com- mune, celle du pouvoir, transmise par 1’Etat et les couches domi- nantes de la société touarègue?

André Bourgeot CNRS

Laboratoire d’anthopologie sociale

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S. GISSE

Pratiques de sédentarité et nomadisme au Mali

Réalité sociologique ou slogan politique ?

ES populations nomades représentent à peine 7 Yo de la population du Mali mais occupent près des 2/3 du pays. L L’une des conséquences de la sécheresse connue au Sahel

depuis 1973 est le bouleversement du mode de vie de ces peuples pasteurs. Ce bouleversement s’est traduit par l’exploitation anarchi- que des ressources pastorales, là où elles existent encore, des fui- tes en avant avec l’amplification des mouvements de transhumance, des manifestations spontanées de sédentarisation à travers l’instal- lation aux abords des villages et des villes, la mise en culture de certaines aires traditionnelles de pacage. Ainsi, 288 sites de séden- tarisation officiellement reconnus existent dans les seules régions de Gao et de Tombouctou (1). Ces deux régions regroupent à elles seules 79,81 Yo de la population nomade du Mali.

Ces manifestations de (( sauve-qui-peut )) ont-elles pu bénéficier de la part des autorités de programmes cohérents dénotant l’exis- tence d’une politique nationale relative aux nomades ? Quelles en ont été les conséquences dans le milieu nomade et ont-elles induit un cadre institutionnel, des mesures sociales et économiques léga- lisant, entérinant, voire provoquant des actes de sédentarisation (2) ?

Processus de sédentarisation et contexte institutionnel

Des structures nationales et des organisations non gouvernemen- tales s’occupent ou se sont occupées des problèmes de sédentarisa-

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MALZ

tion. Ces principales structures nationales sont : le service de l’éle- vage, le service social, le mouvement coopératif. Elles bénéficient généralement de l’appui d’organisations internationales ou intervien- nent à travers des opérations de développement dont plus de la moitié du financement est extérieur.

Certaines ONG maliennes peuvent être reconnues comme struc- tures nationales, ou tout du moins locales, intervenant dans le pro- cessus de mise en place et d’encadrement des sites de sédentarisa- tion; mais elles jouent le plus souvent le rôle de relais des ONG étrangères, permettant ainsi de drainer des fori$ vers telle ou telle population cible (3).

Ainsi, les structures nationales comme les ONG locales s’appuient généralement sur des fonds extérieurs pour intervenir dans les processus de sédentarisation. C’est le cas par exemple du service de l’élevage avec le projet CADE (Centre d’appui et de déve- loppement de l’élevage) à Gao et du projet ODEM (Opération de développement de l’élevage dans la région de Mopti) visant à met- tre en place des unités pastorales. Tel est le cas également des direc- tions régionales des actions coopératives de Tombouctou et de Gao ainsi que celui des Amis du Sahel, une ONG nationale. La direc- tion des Affaires sociales agit généralement de concert avec l’UNICEF.

Des ONG étrangères sont également très actives en la matière ; la création du village de Tin Aïcha (4) sur les bords du lac Fagui- bine, l’obligation faite aux nomades sinistrés du Gourma de se furer aux abords des mares et des puisards pour planter choux et salade contre un sac de semoule de blé par mois, dénotent la multiplicité des approches en la matière. Toutefois, qu’il s’agisse des structu- res locales, nationales ou étrangères, deux cas peuvent se présenter :

-parer au plus pressé en sauvant ce qui peut l’être à travers une aide d’urgence. Dans ces conditions, ce ne sont pas les besoins ressentis par les populations nomades qui comptent, mais ceux per- GUS à travers le prisme déformant de la famine. Le (( food for work H appliqué dans le Gourma par une ONG étrangère illustre ce cas ; - appliquer une technologie pensée et nourrie ailleurs sans en

maîtriser les contextes politique et administratif et sans en cerner les implications sociologiques. La mise en place des associations pas- torales servira d’exemple dans l’illustration de ce deuxième cas.

(1) Cf. l’étude entreprise par 1’OMBEVI (Ofice malien de bétail et de viande) et financée par le CRDI (Centre de recherche pour le développement international), Etude sur la sédentarisation des nomades au Mali, Bamako, OMBEVI, juin 1988,. 76 p. multigr. (rapport provisoire).

(2) Cf. Projet de réhabilitation sociale des

victimes de la sécheresse en zone lacustre, Bamako, OMBEVI, 1978.

(3) Cf. K.A. Mariko, Analyse des activi- tés des organisations noti gouvemeniemales dans les pays membres du CILSS, multigr., 1984.

(4) Le village de Tin Aïcha a été créé par une ONG américaine, American Friends Service Conimittee Quakers.

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MALI

Les mesures d’urgence

Les nomades ayant tout perdu, leurs troupeaux et leur fierté, se trouvent regroupés pendant les dures années de sécheresse dans ce que l’on a pris l’habitude d’appeler des U camps de sinistrés )) où une distribution plus ou moins régulière de vivres permet de maintenir en vie les plus résistants. Pour effacer cette image humi- liante, certains (( sinistrés )) sont interceptés avant d’atteindre ces camps et réinstallés dans des << villages )) créés de toute pièce (vil- lage de Tin Aicha) ou maintenus dans leur aire traditionnelle de pacage (la mare de Ouinerden dans le Gourma central). Les rap- ports du nouveau village avec son environnement physique et social restent souvent mal définis, quand ils le sont, et déterminent donc dès le départ un certain nombre de problèmes insurmontables. Le site du nouveau village comme l’espace environnant, étant inhabi- tés et sans maître, sont tout de suite revendiqués par d’autres grou- pes qui mettent en avant leur droit traditionnel d’usage, encore vivace au Mali. Si, d’aventure, ces derniers ont été consultés pour l’installation du nouveau village, leurs efforts tendront alors à réduire les nouveaux villageois en une clientèle économique (métayage) ou politique. Dans certains sites (Sanfatou, arrondissement central de Gourma Rharous), l’animosité entre les deux groupes peut débou- cher sur des batailles rangées conduisant à la mort d’hommes.

A l’intérieur du village constitué, passée l’euphorie des premiers moments d’installation, les habitants essaient de réinscrire dans leurs différents rapports leur statuts et positions sociales antérieurs. Ainsi, dans l’unité pastorale de Kita, cuiste une tension sourde entre les familles d’origine noble et celles de souche servile. Une telle ten- sion est ravivée par le fait que, dans les nouveaux sites, le travail manuel considéré comme dérogeant par une certaine catégorie sociale est obligatoire pour tout le monde. D’oÙ un certain’ nombre de pro- blèmes dans la désignation de l’autorité représentant le village. Cette représentation est d’autant plus difficile que l’administration malienne considère dans la pratique ces nouveaux sites comme des regroupements temporaires : les différents habitants continuent de recevoir leur feuille d’impôt de leur administration d’origine. Ainsi, le groupe Kel Tamacheq Akotaff, fixé à Kakagnan, dans le Delta intérieur du Niger, continue de dépendre administrativement de l’arrondissement de Léré, à 350 km de là, et non de Djialloubé, sur le territoire duquel il réside.

Par ailleurs, les besoins réels des villageois échappent souvent aux créateurs des nouveaux sites de sédentarisation. Ainsi, la demande d’ânes, qui par leurs multiples fonctions étaient très utiles aux villageois de Tin Aicha, a été refusée, tandis qu’une paire de moutons ou de chèvres, dont l’entretien dépassait les moyens des sinistrés, a été imposée, ce qui a créé d’autres pro- blèmes.

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S. GISSE

La notion de ((food for work )) relève d’une moralité très peu chrétienne mais demeure intéressante si le (( work 1) en question est entrepris dans le but de résoudre un problème réel. Cependant, les jardins potagers qui se sont implantés autour d’un certain nombre de mares du Gourma en 1985-1986 et dont l’existence conditionne l’obtention de sacs de semoule, sont révélateurs de l’impact d’une telle pratique : tous les adultes ayant préféré quitter la zone, quel- ques vieillards et de jeunes enfants étaient obligés de planter des choux et de la salade et de défendre le soir venu, au péril de leur vie, ces plantations contre des troupeaux d’éléphants.

A côté de ces cas de sédentarisation provoqués, encadrés ou sui- vis par des institutions officielles, il en existe d’autres qui sont le fait de chefs charismatiques des fractions ; ceux-ci, par leur ascen- dant, poussent leur entourage à la sédentarisation à travers des pra- tiques agricoles *ou artisanales, une assistance financière pouvant être demandée à 1’Etat et aux ONG.

Les associations pastorales

Les sociétés nomades au Mali étant essentiellement pastorales, l’intervention du service d’élevage apparaît normale dans une crise généralisée de ces sociétés (5). L’idée ayant sous-tendu cette inter- vention remonte à la fin des années soixante-dix et porte sur la mise en place des associations pastorales. Celles-ci, en permettant à des groupes de gérer des unités écologiques déterminées, devaient entraîner à la longue le ralentissement de la mobilité et de la fixa- tion totale ou partielle des campements (6).

Cependant, pour diverses raisons et même si quelques-unes peu- vent paraître solides au plan économique, ces tentatives ont échoué sur un point : la reconnaissance administrative avec tout ce que ceci implique n’a jamais pu être effective (7). La sédentarisation des nomades, pour être réelle, doit bénéficier de cette reconnaissance mais suppose par ailleurs la modification profonde de la manière d’être du nomade et du cadre administratif (8). En fait, les séden- tarisations observées jusqu’à présent ne tirent pas un trait sur un certain nombre d’antagonismes et de contradictions antérieures mais

( 5 ) Cf. Identification d’une opération de réhabilitation d’éleveurs nomades sinistrés dans la région de Gao, Bamako, Direction natio- nale de l’élevage, 1981, multigr.

(6) Cf. A. Bourgeot, (( Pasture in the Malian Gourma : Habitation by Humans and Animals D, in The Future of Pastoral Peoples, Ottawa, CRDI, 1981.

(7) Cf. S. Cissé, (( Les unités pastorales : l’élevage transhumant en question ou les questions posées par l’élevage I), Nomadic

Peoples, no 11, oct. 1982, Montréal, McGill University.

(8) Cf. S . Cissé, (( Sedentarization of Nomadic Pastoralists and Pastoralization of Cultivators in Mali n, in The Future of Pas- toral Peoples, op. cit. , - (I L’avenir du pastoralisme dans le

Delta intérieur du Niger (Mali) : agridture, élevage ou agropastoralisme 1 5 Nomadic Peo- ples, no 8, nov. 1981, Montréal, McGill University.

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au contraire les amplifient. Seule une cpolitique nationale peut en effet en cerner les contours et trouver une solution durable et non pas l’humeur et la bonne volonté des bailleurs de fonds et de quelques acteurs officiels. Ces dispositions se traduisent fina- lement *, par le tâtonnement et la mésaventure.

La J multiplicité des institutions s’occupant de la fixation des nomades, la prolifération de leurs approches en matière de séden- tarisation ne révèlent pas seulement la complexité du problème mais essentiellement l’absence de politique en la matière. Des actes humanitaires d’urgence et de l’aventurisme pragmatique, il ressort d’une part que les données sociologiques et historiques sont igno- rées et d’autre part que l’administration malienne en tant que telle est à la traîne.

L’impact de ,:la sédentarisation

Un certain nombre de contraintes sont inhérentes à la séden- tarisation. Le nouvel espace du nomade sédentarisé ainsi que son temps-‘n’ont plus de fonction sociale mais restent une âpre réa- lité physique mesurée, confinée et hostile. Les hommes et les fem- mes qui s’organisent dans cet espace essaient de reconduire les anciennes hiérarchies, de ressusciter les ancienne? valeurs mais sans les moyens et les objectifs d’antan qui en servaient de support.

.Ainsi, le nouveau cadre socio-territorial :st difficilement inté- gré en ce sens qu’il est en rupture avec tout l’..ié?tage culturel dunomade qui reste néanmoins vivace dans la mental,,’ des gens mais aussi dans leurs relations avec les différentes administrations maliennes (9). Cette contradiction est difficilement vécue par le nomade nouvellement sédentarisé. Qu’il s’agisse par exemple des Kel Tamacheq nobles ou des anciens serviteurs, les rapports avec le nouveau milieu sont ambigus : les anciens rapports de (( ser- vage )) ou même ceux plus récents de clientélisme disparaissent mais de nouveaux rapports ne se mettent pas facilement en

L’unité pastorale de Kita, créée et organisée par l’ODEM, glisse subrepticement en unité agropastorale mais les bâtiments (( administratifs 1) construits en pisé cachent mal les tentes qui sont et demeurent les lieux privilégiés de rencontre des habitants.

... place (10).

(9) Cf. S. Cissé, Gestion intégrée des res- sources de l’élenage dans le Gournia : appro- che tliéorique et problèmes politiques dans la mise en route du processus de gestion, Bamako, CIPEA, 1984, document interne, multigr.

(10) CE Organisation des é levem des frac- tions taniaclieq de Karwassa pour la mise en place d’associations pastorales, Sévaré, ODEM, 1984, multigr.

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Les systèmes de production pastorale pratiqués jusque-là ne peu- vent pas être maintenus dans un espace sédentaire (1 l). Deux ordres de difficultés apparaissent dans la pratique de l’élevage par le nomade candidat à la sédentarisation : - le manque d’animaux et la limitation des capacités de charge des pâturages sont les premiers facteurs conduisant les nomades vers les sites de sédentarisation. Ces problèmes sont rarement résolus dans l’environnement du nouveau site ; - les moyens financiers fournis par le service encadreur sont géné- ralement insuffisants ou soumis à des conditions d’obtention inac- cessibles au nomade sinistré. Le tableau ci-dessous indique la nature et le degré d’importance des contraintes liées à la pratique de l’éle- vage dans les nouveaux sites de sédentarisés.

ENQUÊTE GROUPE-FRÉQUENCE DES CONTRAINTES LIÉES À L’ÉLEVAGE (12)

Nature des contraintes

Manque d’animaux Manque de pâturage Moyens financiers Manque de points d’eau Manque d’encadrement Autres contraintes

30,8 20,8 17,7 9Y6 5 4 7J7

10 26,7 16,7 16,7 13,3 16,7

3

L’adoption d’autres systèmes de production, en l’occurrence%. l’agriculture ou le maraîchage, passe en outre par la maîtrise des techniques culturales et des conditions sociales de la production : la bonne terre étant déjà occupée, le nomade candidat à la séden- tarisation est ou accepté sur des terres de faible valeur agricole ou réduit en un métayer taillable à merci. Par ailleurs, (( néo-

(11) Cf. S. Cissé, Les structures sociales et économiques des systèmes de production ani- male du Gourma, Bamako, CIPEA, 1983, document interne, multigr. - Phase exploratoire d’une étude des systè-

mes de production animale d a m le Gourma inalien : synthèse des étutudes sectorielles et besoins

de recherche future, Bamako, CIPEA, 1983, document interne, multigr. - (i Is a Grazing Association Possible ìn

the Sahel Area of Mal?; West A f i m ? D. Semi- nar Paper, Madison, USA, University .of Wisconsin Ext., december 1983, muitigr.

(12) Ibid., note 1, p. 55.

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MALI

Nature des contraintes

Équipement matériel, intrant Ressources financières Manque d’eau Manque d’animaux Manque de terres fertiles Manque d’encadrement Manque de pâturages Présence de prédateurs Autres contraintes

agriculteurs, les nomades sédentarisés n’ont ni la technicité ni le matériel adéquat pour réaliser des rendements suffisants )) (13).

Le manque de matériel, l’insuffisance d’intrants agricoles et le manque de ressources financières constituent les principales préoc- cupations des groupes nouvellement sédentarisés.

Par ailleurs, d’un point de vue sociodémographique, la famille conjugale nomade - généralement moins étendue que celle d’un sédentaire - peut difficilement répondre aux besoins en main- d’œuvre nécessités par la mise en valeur agricole d’une parcelle.

Ordre d’importance

1 2 ,3

30 23,5 12,9 23,3 17,6 19,4 16,7 19,6 6,5 l6,7 15,7 9,7 3Y3 3Y9 3,2 3,3 11,s 9 s 1Y7 3,9 6,5 1’7 2 9,7 3Y3 2 22,6

Ces contraintes, techniques et économiques, peuvent hypothé- quer pour toujours les chances de réussite d’un candidat à la sédentarisation.

Ces difficultés économiques se rencontrent aussi chez les can- didats à la sédentarisation dans des sites urbains et semi-urbains : l’artisanat, apanage des femmes, et le commerce se heurtent géné- ralement aux mêmes maux : approvisionnement et débouchés. Même des groupes soutenus et encouragés par des opérations de dévelop- pement, Kita par exemple, butent contre ces problèmes ; les pro- duits d’élevage, point de départ de l’artisanat et du commerce, se font rares à cause de la sécheresse qui a réduit considérablement les abattages d’animaux. La gratuité de la matière première ayant

(13) Ibid., note 1, p.58. (14) Ibid., note 1, p. 53.

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disparu, les coûts de production s’élèvent, d’où la réduction des clients potentiels.

Campements ou villages ?

L’absence de maîtrise de cette série de contraintes explique l’échec de plus d’un village de sédentarisés et l’abandon d’un Cer- tain nombre d’aires de pâturages qui avaient été réoccupées par ces derniers d’une manière permanente. En effet, c’est en vue d’attirer l’aide nationale ou internationale que des groupes en difficulté se sont constitués en village et ont réoccupé ces aires de pâturages. La relève n’est jamais assurée d’une manière satisfaisante : la prise en charge et la gestion des actions par les bénéficiaires débouchent le plus souvent sur une baisse de rendement et un abandon de sites par une très grande partie de la population.

En fait, la sédentarisation est généralement envisagée par beau- coup de nomades comme transitoire. Aussi, dès qu’ils parviennent à acquérir quelques chèvres, se retrouvent-ils en brousse derrière elles, ce qui conduit à la cessation de l’aide au groupe. En effet, l’agriculture et le maraîchage qu’on s’est évertué à leur apprendre, l’artisanat qu’on a incité à développer, sont mal maîtrisés sur le plan technique et mal acceptés sur le plan social. Même si ces pra- tiques sont intégrées et adoptées, les contraintes foncières, les dif- ficultés de marché et le vide institutionnel poussent nos nouveaux maraîchers à reprendre le bâton du pâtre derrière quelques têtes de bétail.

Les habitudes de sédentarisation existent au Mali, mais concer-

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MALI

nent essentiellement des individus et rarement des familles. Elles sont généralement imputables à des raisons sociales (mis au ban du groupe d’origine), religieuses (fixation à un point donné en vue d’un rayonnement religieux) ou même économiques (entreprendre une activité lucrative dans un village ou dans un centre commercial).

La sédentarisation en masse a elle aussi historiquement existé ; c’est le cas de la furation des Peuls dans le Delta intérieur du Niger en 1818. Cette sédentarisation était d’ordre politique, même si elle avait été justifiée par l’économie agropastorale de l’époque. La séden- tarisation en masse de ces dernières années est liée quant à elle aux conséquences de la sécheresse et est le résultat de processus différents : reconversion des camps de sinistrés en occupation per- manente, décision concertée de se furer à cause de l’impasse de l’éle- vage nomade et de son impossibilité à satisfaire les besoins du groupe, décision de groupes de s’installer sur un de leurs parcours ou de s’approprier un espace.

Les problèmes - d’oEdre économique, financier mais aussi tech- nique, politique et administratif - rencontrés par les uns et les autres font qu’il s’agit davantage de campements de sédentarité que de villages de sédentarisation. Dans ces conditions, si une politi- que nationale relative à la sédentarisation des nomades existe, il s’agit en fait essentiellement d’une politique de suivi et d’encadre- ment de camps qui se font et se défont suivant l’importance de la pluviosité et des interventions financières extérieures.

Salmana Cissé Ministère de ,l’Environneme?it

et de I’Elevage, Bamako

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,‘J.-G. GALATY /

Pastoralisme, sédentarisation et État en Afrique de l’Est

’ TANT donné les épreuves terribles qu’ont subies les noma- des en Afrique au cours des deux dernières décennies, il E n’étonnerait personne que la sédentarisation soit envisagée

comme une solution viable face à un dilemme d’apparence insolu- ble. Elle est soit un objectif principal, soit une conséquence inévi- table de la plupart des ,programmes et des politiques concernant la population pastorale dans. la majeure partie des pays de 1’Afri- que mientale, y compris I’Ethiopie, le Kenya, la Tanzanie et le Soudan. Toutefois, e’lle représente bien davantage qu’une politique visant la préservation de l’environnement et le développement éCo- nomique, car elle s’#inscrit aussi dans une logique politique présup- posant la (( mise en captivité 1) (1) d’un des paysannats d’Afrique le plus insaississable, indépendant et intransigeant. La sédentarisa- tion, en tant que politique et pratique, représente autant la cause que la réponse au dilemme pastoral.

Contrairement à la plupart des réfugiés africains, pour qui l’ins- tallation dans des camps provisoires ou dans des communautés per- manentes semblerait nécessaire, voire appropriée, les réfùgiés noma-

que le réfugié sédentaire est (( contraint de partir )), le réfugié nomade est (( contraint de rester B, le premier étant (( poursuivi B, le deuxième (( mise en captivité n. La zone aride, et surtout l’élevage extensif rendent la conversion à une vie sédentaire extrêmement difficile.

Les États africains et les organismes de développement ne peu- vent plus ignorer les tragédies que subissent les pasteurs-nomades depuis une vingtaine d’années. Peu d’observateurs fiables ont été surpris lorsque, après les crises récurrentes des années soixante et

- des souffrent moins du déracinement que de l’enracinement. Alors -c

.

.-

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AFRIQUE DE L’EST

soixante-dix, une autre grande tragédie sahélienne s’est produite au milieu des années 80, touchant les populations pastorales du Mali à L’Éthiopie, et du Soudan à la Tanzanie. Les (( camps de la faim D, où l’on subvenait aux besoins immédiats, étaient trop fragiles pour supporter une population fixe. Les sites retenus l’avaient été plus en fonction de leurs facilités d’accès aux réseaux de distribution que de leurs ressources productives.

Considérer la sédentarisation comme la solution au dilemme pas- toral actuel en Afrique provient d’idées reçues relatives aux origi- nes et aux causes de ces crises alimentaires récurrentes en zone aride ou semi-aride. Les symptômes en sont : l’épuisement des pâtura- ges, la détérioration des terres, la décimation des troupeaux et la faim. Les causes ne résident pas pour autant tout simplement dans des facteurs climatiques, démographiques ou économiques. A ceux-ci seraient associés l’imprévoyance des pasteurs qui agrandissent leurs troupeaux pendant les périodes fastes et l’accroissement des popu- lations humaines et animales qui représenteraient une surcharge que l’écologie fragile des terres arides ne supporterait plus dès que la pluviosité et les pâturages font défaut. De ce point de vue, la mobi- lité est mauvaise, car elle permet aux éleveurs de maintenir des troupeaux plus grands que les ressources locales n’autorisent ; la réponse en est la sédentarisation. Mais, les crises des zones arides en Afrique proviennent fondamentalement du dilemme de la séden- tarisation et non pas du nomadisme, car les conditions de la réus- site de la transhumance se trouvent réduites en raison de l’exis- tence des enclos, des frontières administratives de plus en plus rigi- des, et de l’accès restreint aux pâturages et sources d’approvision- nement en eau pendant la saison sèche. La sédentarité avait atteint les terres arides en raison d’un trop-plein de populations dans les régions plus humides, ce qui devait entraîner une concurrence pour les terres à la fois agricoles et pastorales. Peu d’attention a été porté sur la situation tragique que vivent ceux qui tentent de cultiver .sur des terres sèches alimentées par des eaux de pluie et dont les récoltes ne réussissent que trop rarement, sinon cette stratégie n’aurait pas été proposée comme solution aux problèmes du pastoralisme.

Néanmoins, comme S. Sandford l’observe, (( il n’y a pas une seule et unique réponse universellement valable qui pourrait trancher la question pour ou contre la sédentarisation des nomades )) (2). Les

* Les recherches au Kenya ont été con- tured Peasantry, Berkeley et Los Angeles, duites grâce au soutien de la NSF (USA), University of California Press, 1980.

. SSHRC (Canada), FCAR (Québec), et en (2) Stephen Sandford, Management of *relation avec le sureau of Educational P, ’ Development in the Third World, Research )) de l’Université Kenyatta. ChiLester et New York, John Wiley et Sons,

Tanzania : Underdevelopment and an Uncap- (1) Goran Hyden, Beyond Ujamaa in 1983.

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J.-G. GALATY

politiques unilatérales de sédentarisation, qui doivent être distin- guées des processus de sédentarisation, manquent souvent de fon- dement ; l’enjeu est le bien-être des communautés qui sont les plus pauvres parmi les pauvres. Mais, paradoxalement, ces communau- tés apparaissent au regard des pouvoirs publics, de leur voisinage et même à leurs propres yeux, comme étant dans une situation d’aisance, farouchement indépendantes et rarement demandeuses de changements que d’autres pourraient leur infliger.

La sedentarisation : étude de cas et clarification

Lorsqu’il s’agit de mobilité et de sédentarisation, il convient de distinguer trois variables : les pasteurs qui utilisent des pâtu- rages sur leur passage et ceux qui pâturent durablement les res- sources végétales; la mobilité des troupeaux et des foyers; les pasteurs (( purs )) et les agropasteurs qui combinent des activités pastorales et agricoles. Nous reprenons trop souvent les clichés idéalisés : à l’image des nomades se déplaçant constamment avec leurs troupeaux et assurant essentiellement leur survie par des pro- duits animaux s’oppose l’image des paysans cultivant la terre sur laquelle ils habitent, subvenant presque totalement à leurs besoins grâce à leurs récoltes. Ce modèle bipolaire est utilisé pour expli- quer combien les pasteurs dépendent de leurs troupeaux et pour souligner leurs difficultés à se convertir à la production agricole. Cependant, un grand nombre de pasteurs est engagé dans l’agro- pastoralisme caractérisé par la combinaison de l’élevage et d’acti- vités agricoles saisonnières assorties d’obligations relatives au champ cultivé.

S. Sandford a estimé que sur les 500 à 600 millions de person- nes qui évoluent dans les régions arides du monde, il y en a 30 à 40 millions qui vivent dans des économies fondées sur l’animal, la plupart étant des pasteurs nomades. La majeure partie des autres maintiennent des troupeaux en combinaison avec des économies agri- coles. Il se peut que 20 à 25 millions de cette première catégorie pastorale vivent en Afrique,_ la plupart d’entre eux dans les pays d’Afrique de l’Est (Soudan, Ethiopie, Kenya, Somalie) et beaucoup d’autres dans les zones sahéliennes du Tchad, du Niger, du Mali et de la Mauritanie. Au sein de ces pays et d’autres encore nom- breux, des millions de têtes de bétail demeurent entre les mains d’agropasteurs qui subissent les contraintes et les conséquences néfas- tes d’une mobilité du troupeau de plus en plus réduite. En effet, chez les agropasteurs kipsigi, sukuma et kamba, la détérioration des sols est d’autant plus accentuée qu’il y a présence simultanée d’éle- vage et d’agriculture (3).

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AFRIQUE DE L’EST

Par commodité, distinguons les pmcessus de sédentarisation (( spontanée G assistée )), et <( forcée D. L’installation (( spontanée )) n’est pas forcément inopinée, irréfléchie- ou réactionnelle. Au regard de l’histoire, il est possible de voir d i s (( marées montantes et des- cendantes )) de peuples pasteurs et non-pasteurs sur des terres plus arides, et celà, au fur et à mesure que des individus et des grou- pes se mettent à pratiquer des activités sédentaires dans certaines conditions,. .reprenant des activités nomades lorsque ces conditions changent. Certes, l e (( rejet 1) de populations excédentaires vers des communautés sédentaires. devient ainsi historiquement indispensa- ble aux moments de pénurie, mais ces <( laissés pour compte )) seraient plûtot ce que P. Sahman désigne comme des (( nomades en liste d’attente )) (4) qui regrennent la vie pastorale dès que leur propre simation et celle dre leurs confrères s’améliorent. Les for- mes les plus importantes de. sédentarisation spontanée sont carac- térisées par Pautolocalisatitini ã proximité des ressources permanen- tes (eau d’abreuvement, @mages d’altitude, sites agricoles), des cen- tres de commerce où &esl negotiants, des écoles et des cliniques sont souvent installés.. Les., rkfiqjés peuvent être motivés pour cher- cher des zones d’une plus. grande sécurité,., bien des zones où se distribue l’aide alimentaire. Récemment, Hyden estimait qu’en 1982, 300 000 sur un million de réfugiés en Somalie s’étaient installés en dehors des camps de réfugiés auxquels ils étaient censés se ren- dre, pour s’installer chez d‘es parents. En, effet, l’histoire des dislo- cations et des recompositions des groupements pastoraux souligne que ce processus de (( réaffiliation )) spontanke s’est avéré un, méca- nisme décïsif de survie des peuples pasteurs en temps de crise éco- nomique ou politique. Divers cas de processus de sédentarisation (( spontanée P existent comme chez des agrp-pasteurs ursi nouvelle- ment regroupés dans la vallée de l’Omo en. Ethiopie du Sud et subis- sant des pressions de l’environnement ou chez les chameliers Ren- dille, groupement. pastoral plus spécialisé occupant une région très aride du Kenya: septentrional et cherchant d’une past à se protè- ger de l’insécurité militaro-politique et d’autre part à avoir accLs aux services sociaux (6).

La sédentarisation (( assistée )) est une réponse à $es o.pportuni- tés ou des programmes à cour;t terme offerts, par l’Etat, les orga- nismes de développement, les Eglises ou d’autres; mgankations non- gouvernementales. Destinée à parer au plus. urgmt3 raide alimen-

(3) P- Brandstrom, J. Huttin, et J. finds- trom, Aspects of Agropastoralism in East Africa, Uppsala, Institut scandinave d‘études africaines, 1979 (Research Report no 51).

(4) P. Salzman, U Introduction : The Pro- cesses of Sedentarization as Adaptation and Response B, In P. Salzman, ed., When

NOWZQ& Sed‘‘ New York, Psaeger, 1980. @} M. O’Leaq?= w Chmging responses toi

drought in Northern Kenya : The Rendille and Gabra Livestock Producen n, Nairobi, Programme in twt iona t sur 1% zanes s i - des (IPAL), manuscrit.

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J.-G. GALATY

taire est souvent fournie à des centres désignés, qui deviennent les sites de (( camps de la faim )) dans lesquels amuent les réfugiés en proie à la famine. En réalité, ce processus conduit volontairement ou non à la sédentarisation, car ill attire les nomades d’une vaste région à un point de ralliement. Toutefois, lorsque l’aide alimen- taire est insuffisante, ce processus d’attraction peut s’avérer fatal, car les sous-alimentés sont détournés des activités productives et réduits à un statut de quémandeurs et d’assistés. Tandis que les responsables de ces campements tentent souvent de décourager les foules de réfugiés qui peuvent submerger un campement dépourvu de ressources alimenraires suffisantes, une politique qui ne vise, par exemple, qu’à l’alimentation des enfants affamés en bas âge, immo- bilisera en l’occurrence toute une famille obligée ainsi de rester à la périphérie du campement. Mais la plupart du temps, une société propre au campement s’y développe, marquée par des liens de dépendance plus ou moins avouables ou admissibles : d’abord, l’ina- vouable dépendance de la survie du centre sur l’existence de clients affamés ayant besoin d’aide alimentaire, médicale et de sécurité ; ensuite, la tendance normalement avouée des administrateurs de cam- pements à définir leur clientèle, obligeant les individus à se pré- senter au campement en personne et à y rester. Le point critique ici, c’est le processus selon lequel l’approvisionnement en aliments motive le choix de l’installation dans un endroit où la production et le potentiel de développement économique à long terme sont faibles.

Parmi les Turkana du nord-ouest du Kenya, les campements d’aide alimentaire furent délibérément transformés en centres de développement économique dans le cadre d’un programme du type (( travailler pour manger )), organisé par le Programme alimentaire mondial, qui préconisait le travail obligatoire sur des ouvrages d’irri- gation en échange de nourriture. Malheureusement ceux-ci étaient souvent mal-situés et leurs potentiels de production mal-évalués ; il n’y avait souvent pas de nourriture à donner et les revenus des champs irrigués n’étaient distribués qu’irrègulièrement, mettant ainsi le programme dans la position $’un exploiteur involontaire de (( tra- vail forcé )) (7). Néanmoins, 1’Etat et les organismes de développe- ment l’ont considéré d’une valeur inestimable pour promouvoir la sédentarisation locale des nomades turkana, et, en dépit des lacu- nes du programme lui-même, il y eut des ressentisments lorsque des individus s’éclipsaient pour réapparaître plus tard ou reprenaient leurs anciennes activités d’élevage. D’une façon analogue, en So-

(7) R. Hogg, (( Changing Perceptions of Pastoral Development : A Case Study from Turkana district, Kenya D in D. Brokensha

and P. Little, eds., Anthropology o/ Change and Development in East Boulder et London, Westview Press, 1988. ’

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AFRIQUE DE L’EST

malie au cours des années soixante-dix, il fut assigné aux (( camps de la famine )) une mission à long terme de sédentarisation des nomades, qui devaient s’adonner soit à l’agriculture, soit à la pêche. Les hommes en bonne santé disparaissaient un à un des listes d’effectifs des campements, n’y laissant que femmes et enfants. A vrai dire, les hommes partaient reconstituer leurs troupeaux, tan- dis que les autres membres de la famille devaient s’approvisionner autrement en attendant. Dans ces cas-là, les nomades fùrent Q accu- sés )) d’être responsables de l’échec de ces camps proposés, par le biais de la sédentarisation, comme solution à long terme du dilemme pastoral, tandis qu’en réalité, le potentiel d’un développement réussi sur ces sites était minime (8). Mais, ces échecs de la sédentarisa- tion furent bien évidemment autant de succès pour faire revivre les éleveurs ! I1 y a tout de même d’autres cas où la mise à dispo- sition de services, et des opportunités économiques, ont eu des résul- tats positifs. Au cours de ce siècle, les missions implantées en zones pastorales sont immanquablement devenues les lieux où s’installaient les pasteurs démunis qui devaient adopter simultanément (( la houe et le livre )). Chaque comptoir de commerce en zone aride devient ainsi un point d’installation permanente ou provisoire des éleveurs les plus défavorisés, qui entretiennent de petits cheptels à la péri- phérie du village, tout en s’adonnant à des cultures marginales ou au salariat. A. Hjort a relaté comment la croissance d’une commu- nauté de (( squatters )) Turkana installée autour de la petite ville d’Isido au Kenya, a été liée aux possibilités d’embauche offertes par un avant-poste colonial militaire. Des Somalis s’étaient égale- ment installés dans la mêm petite ville, attirés par des possibilités de négoce (9). Les Missions ont également ouverts des centres de développement pastoral dans les régions Maasai du Kenya et parmi les Borana de 1’Ethiopie du Sud, fournissant aux communautés envi- ronnantes des médicaments vétérinaires, des races améliorées, etc ... Dans ces cas-là, les services offerts créent des centres autour des- quels les gen! s’installent de façon plus ou moins durable afin d’y avoir accès. Etant donné la dramatique croissance démographique dans la zone semi-aride de l’Est africain, il y a surpopulation en cours et la sédentarisatipn qu’elle soit spontanée ou rendue possi- ble par l’assistance des Etats ou des agences de développement sera de plus en plus importante. Mais qu’importe la réponse des nomades aux possibilités qu’on leur offre; de tels centres ne représentent pas de modèles universels capables de résoudre l’épineux problème pastoral, mais plutôt des palliatifs pour les membres des commu- nautés en voie de marginalisation.

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(8) D. Aronson, Kinsmen and Com- Dependency and Change : The Ilgira Sam- rads : Towards a Class Analysis of the bum of Northern Kenya )), in J. Galaty and Somali Pastoral Sector )), Nomadic Peoples, P. Salzman, eds., Change aiid Develop?iient in no 7 , 1980, pp. 14-23. Nomadic aiid Pastoral Societies, Leiden, Brill

(9) A. Hjort, (( Ethnic Transformation, Press, 1981.

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J.-G. GALA TY

Le débat politique porte le plus directement sur les formes de sédentarisation (( planifiée )), puisqu’elles doivent être programmées, approuvées, financées, mises en œuvre et évaluées, c’est-à-dire tout ce qui relève d’une politique explicite à l’égard de communautés (( cibles D. I1 faut cependant distinguer les programmes de (( clôture )), qui requièrent une exploitation plus intensive des pâturages, d’une sédentarisation (( forcée )) dans laquelle il peut y avoir recours à la cœrcition pour empêcher que les unités domestiques se déplacent.

La sédentarisation forcée est habituellement liée à la menace poli- tique que représente souvent les populations nomades ou transna- tionales ainsi qu’à la nationalisation des grandes aires de parcours. Les programmes de sédentarisation forcée ont généralement rencontré de vives résistances de la part des populations locales et ont pro- voqué des chutes dramatiques de productivité. Ils s’inspirent moins du désir de développp le potentiel productif de l’élevage que du motif de consolider 1’Etat et ne représentent que la méthode la plus radicale dans toute une panoplie de mesures visant à assurer le con- trôle politique sur les pasteurs. nomades.

Pour ce qui concerne I’Ethiopie, la nationalisation post- révolutionnaire des grandes aires de parcours n’avait pas toujours conduit à un changement effectif dans l’expression des droits pas- toraux locaux, surtout dans les grandes aires de parcours méridio- nales occupées par les Borana, les Guji et les Arsi, tous oromo- phones. Dans le nord, les ravages de la guerre et de la famine ont conduit à la réimplantation forcée des agropasteurs du Tigre dans de nouveaux villages situés à l’ouest selon un programme qui tient apparemment compte de l’appauvrissement des terres et de l’éco- nomie dans le nord ainsi qu’aux politiques de déplacement de popu- lations soutenant la Résistance au gouvernement éthiopien. En Tan- zanie, les éleveurs ne représentent qu’un cas particulier dans le pro- gramme national de (( villagisation )) entrepris au ccurs des années soixante-dix, pendant lequel des ménages paysans éparpillés et des hameaux furent regroupés dans des centres de négoce, d’adminis- tration et de services sociaux. le regroupement des paysans en vil- lages devenait de plus en plus cœrcitif au fur et à mesure que la participation locale s’avérait loin d’être enthousiaste, les cases des éleveurs étant parfois incendiées. Pour ce qui concerne les Maasai, pasteurs nomades plus spécialisés, des villages densement peuplés étaient particulièrement inappropriés, compte tenu de la difficulté à garder de grands troupeaux dans un seul centre résidentiel. Par la suite, le programme fut modifié pour les éleveurs, les villages étant désormais formés de petits regroupements de foyers voisins distants de 0,8 km les uns des autres (10,ll).

Moins directement cœrcitifs, mais néanmoins exhaustifs, les pro- grammes de clôture des grandes aires de parcours furent effectués au Kenya et au Botswana, la terre étant subdivisée en parcelles de

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AFRIQUE DE L’EST

propriété individuelle ou collective. Dans les deux districts maasai du K,enya, des ranchs (( individuels )) et (( collectifs )) furent délimi- tés aux cours des années 70 et 80 ; les déplacements des troupeaux devaient en principe y être circonscrits (12). Bien que la clôture des ranchs collectifs mesurant jusqu’à 100 000 acres de superficie en moyenne (13) n’implique pas forcément l’installation d’un foyer, le processus a permis la définition des droits fonciers de telle façon qu’il a stimulé le mouvement de sédentarisation. Les (( rancheurs )) .individuels, propriétaires de 2 O00 acres en moyenne chacun, n’ont pas cessé de profiter des avantages des ranchs collectifs auxquels ils sont associés par ailleurs. Dans le même temps, les membres instruits et entreprenants du ranch collectif se sont i( arrogés )) en fait des parcelles individuelles par des investissements en maisons fixes, routes et puits, faisant par la suite la demande de reconnais- sance d’un droit foncier individuel sur leurs portions. Une vérita- ble ruée sur la terre s’en est suivie. C’est ainsi que l’établissement des (( groupements )) s’est transformé petit à petit en enclos indivi- dualisés sédentaires, au fur et à mesure que des demandes ont été présentées lors de la mise en place de foyers permanents ou semi- permanents. Dans la plupart des cas, les troupeaux ont pu conti- nuer à se déplacer selon des accords tacites. Toutefois, la distance qui sépare les foyers du cheptel a conduit à réduire davantage l’accès à une source d’alimentation pastorale, l’ironie déroutante étant que les enfants ayant accès aux écoles et aux cliniques soient plus mal nourris que les jeunes gardiens de troupeaux.

Dans plusieurs des cas précédents, la sédentarisation devrait être envisagée comme le cas extrême des processus de déplacements limi- tés, dans l’espace plûtot qu’un état établi, définitivement achevé QU non. La sédentarisation n’est pas seulement ,un pmcessus qui s’enclenche à la suite d’une intervention de 1’Etat ou d’un ‘orga- nisme dans le monde de vie nomade; elle est en gait ;p.a-rtie inté- ,grante du pastoralisme en tant que processus social en zone aride. Aqjourd’hui, le plus souvent, l’expérience de la sédentarisation c . q m e celle d’ailleurs de la (( renomadisation )) est à la sois volon- take cet spontanée. Elle constitue une réaction à une économïe (défa- vorable, une réponse aux possibilités offertes par la création de cam- pements et de centres de négoce en zones arides urbanisées et par la généralisation de l’agriculture. Tandis que la liberté de choix offert

(10) D. Ndagala, (( Operation Imparnati : The Sedenmization of the Pastoral Maasai D, Nomadic peoples, no 10, 1982.

(11) L. Parkipuny, (( Some Crucial .Aspects of the Maasai Predicament )), in A. Coulson, ed., African Socialism in Practice : the Tanzanian Expenoice, Nottingham, Spo- kesman, 1979.

(12) J. Galaty, ((The Maasai Group

Ranch : Politics and Development in an Afri- can Pastoral Society n, in P. Salzman, ed., Meti Noniads Settle, New York, Praeger, 1980.

(13) J. Galaty, (( Scale, Politics and Co- operation in Organizations for East African Development n, in D. Atwood and B. Bavis- kar, eds., Who Shares? Cooperatives and Rural Developmeiit, Delhi, Oxford University Press, 1988, pp. 282-308. ,

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aux nomades est souvent restreinte en> raison des circonstances, des programmes et de la politique de l’Etat, la cœrcition explicite a eu tendance à rester sporadique et indirecte.

. -.. Mobilité contre sédentarité

Dans le débat sur la sédentarisation, l’enjeu ne réside pas dans le maintien ou l’abandon des pratiques de mobilité des troupeaux : et des hommes car les pasteurs exercent ces deux possibilités selon l’époque et le lieu. I1 faudrait en réalité déterminer quel rôle les agents. du changement devraient jouer pour encourager, faciliter OUP.. . empêcher de tels comportements. Dans quelle mesure les politiques de développement et d’assistance aux pasteurs peuvent-elles servir le but de la sédentarisation, compte tenu des logiques sous-jacentes à la mobilité et à la sédentarité ?

La mobilité sous-tend la pratique du pastoralisme, ce qui.-repré- sente dans un environnement hostile la mise en œuvre d’une stra- tégie de subsistance fondée sur des produits et des apports prove- nant des animaux domestiques. Comme le constate N. Dyson- Judson (14), en soulignant notamment les modalités d’apport en pro- téines, c’est uniquement grâce aux animaux dosmestiques,, rarement à la chasse, que la zone aride devient habitable pour l’espèce humaine.

D’un point de vue technique, le nomadisme comprend la mobi- lité des troupeaux et des foyers. En zone très aride,.il est plus effi- cace dlamener le bétail vers la végétation plutôt que l’inverse, en raison de: la, Faible densité et de la distribution éparse des ressources, sur les. gpnndes aires de parcours. Le bétail fait quotidiennement um cir-. cuit. q G va du foyer aux pâturages en passant par un point d:eau.. Les hyers se déplacent à la suite du bétail pour obtenir ce. dint ils ,, ant besoin, garantir à leurs membres l’accès à la principale source de nutrition (animaux de lactation et d’abattage), fournissmt aussi Ia main-d’œuvre nécessaire à l’entretien efficace du. oroupeau (15). Si Ie déplacement du troupeau est restreint, ils ma,nquem de murri- m e ; si le déplacement des foyers est restreint, ils manquem d‘e nour- riture. En outre, l’immobilité du foyer empêche k rêpartitiorr effi- cace de la force de travail, ce qui influe sur la produaian, De plus, si le déplacement animal est empêché ou restre& h’httilisatian équi- librée des ressources végétales est rompue, provoquant une surex-

(14) N. Dyson-Hudson, (( Strategies of Resources Exploitation among East african Savannah Pastoralists D, in D. Harris (ed.), Human Ecology in Savannah Environments, London, Academic Press, 1980.

(15) L. Sperling, u Labor Recruitment among East mican Herders : The Samburu of Kenya D, Labour, Capitar and Society, 18 (l), pp. 68-86.

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ploitation de certaines aires et la sous exploitation des autres. I1 en est de même pour ce qui concerne la main-d’œuvre humaine, laquelle, en cas de sédentarisation des foyers, pourrait être à la fois sur-exploitée et sous-exploitée, les individus au foyer restant quasi inactifs, tandis que les gardiens de troupeau sont surchargés de travail.

Les droits socialement réglés en ce qui concerne les ressources pastorales sont légitimés par leur exercice régulier. En zone aride, ce n’est que grâce à leurs déplacements périodiques que les com- munautés dispersées arrivent à reproduire les grandes lignes de l’ordre politique. D’une façon analogue, le pastoralisme comporte souvent la mise en commun de la force de travail des parents et des voisins, coopération rendue possible par les déplacements pério- diques et coordonnés des foyers. Cette mobilité des foyers est une stratégie qui permet la création et la consolidation des liens de parenté et des rapports sociaux, la réorganisation spatiale des foyers et la coopération dans le travail, ainsi que le partage des ressour- ces et la redistribution du bétail et de la nourriture (prêts de vaches laitières, dons,. . .).

En somme, le nomadisme à travers sa pratique extensive de l’éle- vage est une stratégie quasi indispensable à l’occupation humaine des zones arides. D’un point de vue économique, chaque déplace- ment des troupeaux et des hommes devrait représenter un gain dans la productivité animale, quantifiable en termes de santé animale, d’engraissement et de production laitière ; en revanche, l’impossi- bilit6 de se déplacer à un moment critique ou approprié provoquera une diminution de la productivité animale, mesurable en termes de santé, de poids et de production laitière. Ces phénomènes por- tent non seulement sur le bien-être des troupeaux mais également sur celui des gens, qui dépendent de leurs animaux pour leur pro- pre santé et leur nourriture. Les arguments en faveur de la séden- tarisation en tant que politique sont essentiellement d’ordre écolo- gique, économique, administratif et social. Les projets de dévelop- pement réalisés sur les aires de parcours en Afrique de l’Est, ont permis la création de nouveaux points d’approvisionnement d’eau, l’ouverture de pâturages sous-exploités et la mise en place d’un pas- toralisme relativement moins mobile. En même temps, la construc- tion des routes et l’extension du commerce à travers toute la zone aride, ont fourni les moyens d’une diversification économique assortie d’une main-d’œuvre salariée et d’un secteur informel grandissant qui s’implante dans chaque interstice de communication et d’habitation.

D’un point de vue écologique, il faut envisager le rapport entre une croissance illimitée des troupeaux, les famines périodiques pro- voquées par des sécheresses épisodiques, et la détérioration progres- sive dans la qualité de l’environnement des aires de parcours. I1 est admis que la seule solution pour préserver les aires de parcours

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J.-G. GALATY

réside dans la modification du système foncier pastoral, la préven- tion de la croissance illimitée des troupeaux, la sédentarisation de nomades au sein d’agglomérations à l’écart de l’économie pastorale, la subdivision des aires de parcours en parcelles privées entrete- nues par les familles afin d’en (( responsabiliser )) la gestion, et enfin le contrôle des déplacements des troupeaux qui favorise leur crois- sance. L’aspect économique de cet argument souligne que les pas- teurs détiennent un mode de subsistance riche en énergie, et que leur orientation non commerciale les amène à entretenir des ani- maux théoriquement non productifs, entraînant une surcharge des ressources limitées des aires de parcours, sans les rendements cor- respondants. De ce point de vue (i clôture )) et sédentarisation con- duisent à une utilisation plus efficace et effective des terres.

I1 est cependant loin d’être évident que les zones de gestion nomade se dégradent plus rapidement que celles de gestion séden- taire, puisque les dégradations les plus importantes de l’environne- ment se rencontrent à la périphérie des centres commerciaux, à proximité des routes , dans les parties défrichées et cultivées des aires de parcours, et dans les pâturages objets d’un agropastoralisme sédentaire. En fait, l’introduction de l’agriculture pluviale en zone aride s’est avérée un élément majeur dans le déclin des aires de parcours, en raison de l’érosion des champs rendus plus vulnéra- bles et de l’obligation des troupeaux à pâturer des terres plus mar- ginales. La commercialisation accrue du bétail, loin de représenter un palliatif par le biais de l’élimination du surplus d’animaux, pro- duit en fait le résultat inverse, c’est-à-dire, l’augmentation du cheptel grâce aux réinvestissements des bénéfices et la satisfaction des besoins de subsistance. Les éleveurs mettent en effet sur le marché un grand nombre de têtes de bétail, destinées à l’approvisionnement des cen- tres urbains des nations de l’Afrique de l’Est, ainsi qu’à l’exporta- tion vers l’Europe (dans le cas du Botswana) et le Moyen-Orient (à partir de la Somalie, du Kenya et du Soudan).

D’un point de vue administratif, les pasteurs et agropasteurs occupent des régions frontalières qui, en raison de leur rattache- ments écJatés, sont receptives aux mouvements sécessionnistes (le cas de l’Erythrée), irrédentistes (le cas de la Som?lie), ou culturels nationaliste (le cas des Oromo), qui menacent 1’Etat. L’argument selon lequel les pouvoirs publics ne peuvent servir les nomades que dans la mesure où ils sont fixés a été avancé de la façon la plus explicite par la Tanzanie ; c’est à cette condition que les pasteurs peuvent bénéficier des services sociaux, commerciaux, médicaux et vétérinaires. Mais trop souvent, la sédentarisation n’apporte guère en réalité d’amélioration dans la qualité de la vie mais plûtot un déclin.

Les conditions de mode de vie nomade en Afrique de l’Est se sont améliorées là où les ressources valorisées par les éleveurs ont

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été disponibles ; par exemple, avec la disponibilité en médicaments vétérinaires et en bains dans le cadre du programme de reconstitu- tion du cheptel chez les Turkana (16), avec l’accès grandissant au.. enchères de bétail et aux marchés en Tanzanie, ainsi qu’avec le récent abandon du contrele des prix de la viande au Kenya. Lors- que les troupeaux se déplacent à leur guise à travers les aires de parcours, les ressources sont exploitées au mieux et la productivité des pâturages est maintenue. Les grandes interrogations sur la vie pastorale restent posées et aggravées par la sédentarisation unilaté- rale. Le défi politique n’est pas d’adapter les nomades à des sytè- mes préconçus de sédentarité, mais de renforcer au mieux la vie pastorale. Cette option exige une participation des pasteurs noma- des à la culture et à l’économie nationales ainsi qu’une latitude de ‘mouvement sur leurs aires de parcours extensives.

Traduit de l’anglais pur Suzun Asch

John G. Galaty Université McGill, Montréal

(16) R. Hogg, 1988, op. c i f .

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A.-M. DILLEYTA

Les Afars : la fin du nomadisme

PPOSITION ville-campagne, conflits de générations, choc des 1 cultures, désordres politiques et calamités naturelles récen- tes ont accentué la marginalisation et l’asphyxie des socié-

tés nomades ou semi nomades. Pourtant l’organisation, la culture et les valeurs de ces sociétés comptent incontestablement, en dépit de certaines apparences, parmi les plus riches.

N A la marginalisation croissante, on peut trouver deux raisons principales. La première est politique : éleveurs et nomades, organi- sés en tribus, ont le plus souvent été assimilés à des rebelles, à des bandits parfois, par les administrations coloniales et celles qui ont suivi. Mobiles, on a tenté de les sédentariser, autonomes, on a tenté de les intéger dans de nouvelles structures nationales c..). La seconde raison de la périphérisation des pasteurs réside dans le déclin écono- nzique d’un élevage dont les produits sont de plus en plus margina- lisés sur le marché mondial )) (1).

En République de Djibouti et en Éthiopie, on veut réduire la problématique des semi-nomades afars à un choix radical entre la modernité et la tradition. Ce choix doit êtr: refusé non pas pour des raisons idéologiques mais à cause d’un Etat moderne qui veut ignorer et transformer des systèmes de production qui ont pu depuis des siècles maintenir un équilibre entre les exigences du nomadisme (transhumance) et les aléas naturels.

S’il doit y avoir changement, il doit partir de l’intérieur et non être greffé sur le corps social intéressé.

Cette démarche s’appuie sur le fait que la société traditionnelle, bien qu’elle doive changer, voire muter, est capable d’assumer les changements sans perdre ses spécificités. . .

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Malheureusement, dans la plupart des pays africains, les politi- ques étatiques visent à la destructuration des sociétés nomades jugées improductives et réfractaires (sédentarisation forcée, grands projets agricoles...).

Les Afars ou Danakil (2)

La population afar, estimée entre 800 O00 et 1 million de per- sonnes, occupe, de la mer Rouge aux pentes des Hauts-Plateaux éthiopiens, un triangle quasi identique géographiquement à la N Dépression dankali )) et dont les sommets sont Massawa (en Eryth- rée), Ankobär (Choa) et Djibouti à l’est, avec une superficie avoisi- nant 160 O00 km2.

Les Afars, dont les 8/10 vivent en Éthiopie et le reste en Répu- blique de Djibouti, constituent à l’origine un peuple de pasteurs nomades entièrement dépendants de l’existence de points d’eau et de pâturages. C’est sur ces données écologiques qu’est édifiée leur structure sociale. Celle-ci implique une forte interdépendance des ménages, des campements et des tribus.

Leur économie et leur organisation sociale sont conditionnées par quatre types de dépendance : - mutuelle entre les différentes composantes sociales ; - à l’égard du bétail, leur seule source de sécurité économique ; - à l’égard des pâturages qui doivent être suffisants; - à l’égard de la mobilité. I1 existe une dimension socioculturelle afar dont l’histoire est

largement autonome. Pendant des millénaires, cette société a fran- chi quelques geuils de changements, notamment le passage d’une société sans Etat à une société avec sultanats.

Contrairement à certains sociologues ou écrivains de passage qui distinguent les Afars du nord et ceux du sud, on trouve chez ce peuple le sentiment aiguisé d’appartenance à une même commu- nauté ethnique : unité de langue, de mode de vie et respect d’une même institution (Mudu).

Le (( triangle afar )) comprend une vingtaine de grandes cheffe- ries ayant une structure politico-sociale qui combine deux types d’organisation : territorial et tribal.

Nous ne prendrons ici que l’exemple de deux chefferies : le Sul- tanat d’Awsa (en Ethiopie) et les Sultanats de Rahayto et Tadjou- rah (en République de Djibouti). Avec le Sultanat d’Awsa - héri- tier historique du (( Royaume d’Adal )) (3), possédant une force poli-

(1) Note du, Comité de rédaction,,Produc-

(2) En arabe (sing : Dankali).

(3) D’o? est partie, au xw siècle, l’inva- . tion pastorale et société, Paris, no 20. - sion de 1’Ethiopie.

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tique réelle et seule chefferie à détenir la plupart des terres culti- vables, nous tenterons dans un premier temps de poser la problé- matique relative aux deux systèmes de production qui se sont trouvés confrontés : celui de la société afar fondée sur le pastoralisme et celui de l’économie éthiopienne, intégrée au système mondial et cal- quée sur le modèle occidental. En fait, hier repliés sur eux-mêmes, ignorés du pouvoir monarchique de Haïlé Selassié, se contentant d’une autonomie pervertie par le sultan Ali Mirah, les Afars de cette région sont restés aux marges de la société moderne.

En second lieu, les exemples des Sultanats de Tadjourah et de Rahayto, les plus anciennement institutionnalisés, serviront de com- plément pour présenter les chocs culturel, politique et juridique qui se sont manifestés entre la société traditionnelle et la société mar- chande de modèle occidental. Un antagonisme est apparu au niveau des structures sociopolitiques fondées sur des règles coutumières ancestrales et très ancrées dans la mentalité de la population. Une dualité de juridiction oppose le droit traditionnel au droit occiden- tal. Un droit adapté aux impératifs du présent peut-il émerger ?

Les nomades afars et lYÉtat éthioDien

En Éthiopie, le rapport conflictuel entre les semi-nomades afars et l’État ne relève pas de l’ordre idéologique mais d’une dualité de systèmes antagonistes qui s’affrontent essentiellement sur la juri- diction de la propriété foncière et sur le mode de vie.

Les Afars ont toujours été tenus à l’écart de la vie politique en partie à cause de leur réputation guerrière. Quelle que soit l’?pi- nion politique du pouvoir central, ils s’y opposent dès que 1’Etat tente d’établir un contrôle plus important sur leur territoire. En outre, ils ont toujours manifesté une résistance active à tout ce qui est susceptible de mettre en péril leur autonomie, c’est-à-dire, à terme, leur mode de vie traditionnel.

En fait, cette opposition illustre fort bien la difficulté à conci- lier l’intérêt de 1’État éthiopien pour le développement rural avec celui des Afars qui visent à conserver l’intégrité de leurs terres ances- trales. Pendant des millénaires, la société afar a dû préserver son identité par la guerre mais, de nos jours, ce moyen ne saurait empê- cher la pénétration, des changements exogènes.

Actuellement, 1’Etat existe et s’impose sans se soucier dy système socioculturel traditionnel. Mais pour asseoir son autorité, 1’Etat éthio- pien a eu les plus randes difficultés à transformer le mode de vie des populations af s, de surcroît dans un pays oül’antagonisme

sées ppr l’ÉtFt (nfonétarisation, utilisation des terres pour l’agriculture

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, religieux est encore + vivace. Les maladresses et ,les ‘méthodes utili-

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sur des sols expropriés), n’ont fait qu’aggraver la situation de ces populations semi-nomades. Cette nouvelle situation a provoqué le repli des Afars sur leurs traditions au lieu de leur intégration dans cette modernité accaparante.

L’Etat éthiopien, n’ayant pas saisi que la structure tradition- nelle n’est pas un frein au développement mais au contraire une force à utiliser, a appliqué des recettes qui se sont déjà révélées néfastes ailleurs : la sédentarisation forcée et le passage brutal de l’élevage à l’agriculture comme seule alternative au développement des nomades. En général, les nomades ne sont guère associés au processus de planification et la conception des projets s’en ressent.

De l’autonomie à l’exclusion

Les relations entre le monde afar et l’Éthiopie impériale sont très anciennes et depuis longtemps conflictuelles. Si le système impé- rial a admis implicitement, depuis le XVF siècle, une large auto- nomie au bénéfice des semi-nomades afars, ces rapports se sont rapi- dement envenimés à partir des années cinquante. Depuis, l’incom- patibilité entre les deux systèmes a trouvé son expression la plus éloquente dans la partie de bras de fer livrée dans la vallée de 1’Awash qui dispose d’un potentiel hydraulique important.

En 1962, le gouvernement créa L’AVA (Awash Valley Authority) qui était (( chargée de coordonner l’activité de divers ministères, de promouvoir l’agriculture industrielle, de prévoir les infrastructures nécessaires, et d’une manière générale, de faire tout ce qui peut être nécessaire à la bonne utilisation et au développement des res- sources de la vallée d’Awash )) (4). Toujours sans tenir compte des semi-nomades afars réticents et incompétents pour les activités agri- coles, les études de faisabilité préconisaient des grandes plantations de coton et de canne à sucre. Les premières entreprises (étrangè- res) s’y installèrent pour pratiquer ,des cultures industrielles (sucre, coton). Ces projets très rentables pour 1’Etat éthiopien ont été con- duits sans se préoccuper des populations régionales, en utilisant une main-d’œuvre allogène originaire des hauts plateaux. Cette exploi- tation agro-industrielle a permis à l’État de repousser de plus en plus les nomades des bords du fleuve Awash et de rendre plus dif- ficiles leurs conditions de vie. Pour atteindre les objectifs de l’AVA, 1’État chercha à séduire le pouvoir en place. I1 réussit à corrompre le Sultan de 1’Awsa (Ali Mirah) qui exergait une forte autorité sur ses sujets, en lui octroyant une part des actions. Celui-ci avait d’abord cherché à s’opposcr à la progression des plantations mais ne pouvant affronter un Etat renforcé par l’empereur Haïlé Sel-

’ (4) L. Bondestam, U People- and Capita- pia P, The Joumal of Modem Afncan Studies, lism in the North-Eastern Lowlands of Ethio- , 12,3 (1974), pp. 423-439.

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A.-M. DILLEYTA

lassié, il avait préféré céder sans se soucier des répercussions de cette politique : éloignement des nomades de leurs points d’eau, interdiction de l’accès aux meilleures terres, introduction d’une éco- nomie monétaire.

On peut remarquer que le Sultan de l’Awsa, contrairement à ceux de Tadjourah et de Rahayto qui sont seulement garants des institutions, détient une autorité absolue jouit d’une réputation de despote car à l’origine son pouvoir s’est établi sur un coup de force. son attitude face à la politique ithiopienne demeurait donc déci- sive car il détenait l’avenir de ces populations : fallait-il continuer à vivre en autarcie et défendre ses terres contre toute pénétration étrangère? I1 est vrai que les semi-nomades afars, qui ont toujours eu une attitude réfractaire à toute tentative de pénétration ayant des visées colonisatrices néfastes pour leur mo.de de vie, ne pou- vaient plus s’opposer à un Etat qui avait réussi une (( amharisa- tion )) des ethnies limitrophes ; fallait-il céder à une politique igno- rant l’avenir des nomades ? Ce n’était pas non plus une solution. Finalement, on vit se développer deux phénomènes sociaux paral- lèles mais opposés : d’une part, une classe- soeiale-, aisée se consti- tua autour du sultan Ali Mirah et des grands propriétaires de plan- tation, qui devinrent: les soutiens actifs de la- politique gouverne- mentale malgré leur opposition d’origine. D’autre part,, se développa un appauvrissement: généralisé de la population, afar de la région dans le contexte da la pollution de l’eau du fleuve Awash et d e l’érosion accélérée des sols, situation qui conduisit à la, grande famine de: 1973. I1 se créa1 en même temps des petits centres urbains dont les. Afars devinrent économiquement dépendants.

Issu de la révolution éthiopienne de 1974, le gouvernement mili- take provisoire slïnterrogpa sur l’attitude à adopter vis-à-vis du Sultan de 1’Awsa. Tou~s: tractations. devait prendre en; compte à la fois ki complexité du, comportement de la chefferie afar et l’importance stratégique d e wm territoire traversé par le seul. axe routier quï relie Addis-Abeba! am port< d’As& et dont 1’intMt slest accru depuis la guerre en Éiythrée.

Ce: goummement, encore faible. et instable, ne chercha pas à présemer: lm particularit,ês. des nomades maïs il commit les mêmes erreurs, que son prédécesseur, laissant à Ali Mirah le soin de faire accepter aux Afars la réforme agraire de 1975, et luï donnant le temps de transhrmer ses propriétés en terres collectives.

Le sultan, constatant qu’il ne pouvait tirer aucun profit de cette situation et conscient de la destructuration irréversible de sa société, s’exiIa en 1976 ; les terres furent nationalisées.

Dès son avènement, le nouveau gouvernement s’est affirmé à l’égard des systèmes juridique et politique désorganisés, en intro- duisant une économie marchande monétarisée qui s’est généralisée et une agriculture utilisant les meilleures terres de la vallée de

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AFARS

1’Awash. Au début, les pouvoirs publics ont tenté une sédentarisa- tion forcée des nomades de la région (Somalis, Afars, Boranas) et un développement intensif des activités agricoles. Mais il semble bien que ce projet, sans nuances, portait les conditions de son propre échec. En effet, au lieu de créer des points d’appuis agricoles à un élevage en difficulté, il érigea en dogme la sédentarisation et accorda la priorité à l’agriculture sur l’élevage.

Sans engager un débat, on peut regretter que le gouvernement militaire éthiopien ait rejeté à priori la vocation pastorale de la région, au lieu de chercher à réorganiser et à rationaliser l’élevage en profitant de la diminution provisoire du cheptel provoquée par la famine de 1973. Les autorités politiques auraient dû compren- dre que la sédentarisation n’est pas l’aboutissement forcé du noma- disme, ni nécessairement la solution immédiate lors des crises climatiques.

Vaincus, les Afars furent contraints d‘accepter un mode d’exploi- tation individualiste qui s’est substitué aux pratiques traditionnel- les collectives régissant la conservation des sols, des pâturages, des arbres et des eaux. Ainsi, les structures de la famille élargie et les pratiques de gestion prudente des ressources se sont en partie effon- drées. L’autorité des collectivités locales, qui auraient pu éventuel- lement prendre des mesures politiques pour lutter contre la mau- vaise exploitation des ressources si les structures familiales n’y avaient pas suffi, a été de plus en plus battue en brèche.

En fait, la politique économique favorise les villes et encourage la fourniture aux consommateurs urbains de produits alimentaires et de combustibles bon marché. La monétarisation croissante entraîna des changements marqués au niveau des institutions sociales puis- que la famille élargie, qui constituait traditionnellement la princi- pale unité de production, fut soumise à des pressions internes. Les jeunes se rendirent compte qu’ils pouvaient subvenir à leurs besoins ou à défaut trouver des emplois relativement lucratifs, ce qui entama progressivement l’autorité par des chefs coutumiers.

Quelle alternative ? Quelles possibilités ?

(< Les Afars savent que,leur survie dépend de leur capacité de s’inté- grer dam la logique de l’Etat sans pqur autant y perdre bur identité. Cela est possible, à condition que PEtut sache se servir et revaloriser leur expérience et leurs structures sociales qui sont encore assez vivantes (...) )) (5).

(5) M. Makahabano, (i Le dernier carré des Danakil n, Actuel Développement, no 71, mars-avril 1986, p. 54.

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A.-M. DILLEYTA

Ce point de vue d’un journaliste illustre la complexité du pro- blème et le corollaire qui en découle. Les semi-nomades afars doi- vent s’adapter et prendre conscience de la conjoncture pour mani- fester leur souci de contribuer au développement économique et social du pays.

Au lendemain de la révolution, les Afars, doutant des consé- quences d’un soulèvement aux finalités incertaines, ont pris les armes pour défendre leurs terres. Après plusieurs années de lutte armée, de destruction et de sabotage des axes routiers par les maquisards afars, le gouvernement prôna le dialogue. Cette guerre ne lui rap- portant rien et consciente- de l’invulnérabilité d’une guérilla évo- luant sur son terroir, l’autorité centrale opta pour un compromis avec de jeunes intellectuels regroupés au sein d’un seul parti. Con- trairement aux caprices et à la démagogie du sultan Ali Mirah, cette élite afar, qui a compris la logique de l’État moderne, a acquis démocratiquement des responsabilités dans la région occupée. Ainsi, présente-t-elle au pouvoir d’Addis-Abeba des revendications sensées et adaptées. Devouée à la cause afar, elle s’efforce d’être l’intermé- diaire entre 1’Etat éthiopien dont elle est la représentation politi- que et les nomades afars qu’elle veut appuyer pour sortir de l’impasse.

En tout état de cause, il faut souligner que tout programme de développement qui ne prend pas en compte les populations con- cernées est vouée à l’échec. D’autant plus que l’approche des pro- blèmes pastoraux et du développement -en zones nomades, a reposé sur une vision paternaliste et un esprit de réhabilitation de popu- lations jugées comme arriérées, défavorisées et qu’il fallait avant tout sédentariser pour les amener sur la voie du progrès.

L’autonomie régionale

Actuellement, avec la Constitution de 1987, le redécoupage admi- nistratif de 1987, et compte tenu de l’importance stratégique de la région, le gouvernement préfére jouer pleinement la (( carte afar D. En fait, Asab a été la première région à bénéficier d’une autono- mie régionale. Au-delàA des visées politiques qui consistent à con- trecarrer l’Érythrée, 1’Etat éthiopien a préféré mettre les Afars de son côté, ceci pour des raisons de sécurité dans une région tam- pon qui verra son importance croître avec l’extension du port d’Asäb et le projet de chemin de fer destiné à le relier à Addis-Abeba.

Les limites politiques de cette autonomie n’étant pas encore con- nues, il apparaît que la responsabilité du développement et du chan- gement reste au niveau des Afars eux-mêmes. Ils doivent pleine- ment profiter de cette situatipn inespérée pour bâtir un programme de développement intégré. Etant les mieux placés pour compren- dre les rouages de l’économie pastorale et les éléments décisifs pour

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l’adapter à la situation actuelle, il leur revient de formuler des objec- tifs qui réconcilient leurs (( particularismes )) et les orientations géné- rales fixées par I’État.

L’émergence de nouvelles structures devra donc s’opérer à par- tir de la société traditionnelle et sous sa tutelle ; le vrai défi con- sistera, en définitive, à mettre en complémentarité les conditions favorisant le développement de l’élevage, activité traditionnelle, avec l’agriculture par : - la mise en place d’infrastructures importantes (puits, cliniques...), - la formation des éleveurs (agriculture, santé vétérinaire, santé humaine, constructions, gestion coopérative, etc.), ’.- - la scolarisation d’une région jusque-là délaissée, - l’amélioration des pâturages, formation aux techniques nouvelles, - commercialisation des produits laitiers, etc.

Les nomades afars à Djibouti

Le mode de vie et les mœy-s des nomades afars de la Républi- que de Djibouti et ceux de I’Ethiopie sont similaires, voire identi- ques. Mais les rapports que le? Afars de Djibouti ont entretenus au cours de l’histoire avec 1’Etat (français au début, djiboutien ensuite) sont très différents du cas éthiopien. Contrairement à 1’Éthiopie où il y a eu tentative de>mainmise de l’État sur les noma- des, à Djibouti, la dualité entre 1’Etat et les nomades est plus sub- tile, car elle oscille entre un mépris manifeste dû à une incompré- hension totale pour ce qui est de la France, et une absence de pro- positions et de planification de la part de la République de Djibouti.

Dès l’installation des Français à Odock en 1862, il s’est ins- tauré entre les nomades afars et les administrateurs métropolitains une incompréhension d’ordre socioculturel, juridique et religieux qui ne s’est, depuis, jamais estompée.

Le colon français qui avait de l’Africain l’image du cultivateur de l’Afrique de l’Ouest ou du berger maghrébin a eu du mal à situer ces nomades (( farouches )), indépendants, ne se pliant à aucun travail manuel et nomadisant entre les territoires éthiopien et dji- boutien au mépris des frontières établies. Les premiers contacts entre les représentants de l’Empire français et les nomades afars furent rudes. Les quelques massacres de marchands aventuriers et d’admi- nistrateurs impétueux (Lambert assassiné le 5 juin 1859, l’adminis- trateur Bernard, en janvier 1935 à Moraito dans le sud-ouest) ont définitivement conféré aux nomades une image de guerriers indis- ciplinés .et farouches. Depuis lors, les Français n’ont jamais plus réellement tenté d’intégrer cette population dans leur système admi- nistratif.

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A.-M. DILLEYTA

De ce fait, le nomade afar qui, depuis des millénaires, a ins- tauré une juridiction, une tradition et un code de vie spécifique et respecté par tous, est resté tel, fidèle à ses mœurs ancestrales. L’exemple le plus frappant de ce fossé est, qu’en plus de deux siè- cles de colonisation, les missionnaires français (et ils furent nom- breux !) ne sont arrivés à christianiser aucun Afar ... Une installation (( déguisée ))

C’est seulement à travers les chefferies traditionnelles que la France s’est imposée et a réussi à attirer progressivement le nomade vers les centres urbains. Dès son arrivée, celle-ci signa un traité d’amitié et de coopération avec les autorités locales, en respectant les structures en place. Dès le début, la politique coloniale visait, en fait, sur le long terme, à réduire la puissance guerri$re et poli- tique des Afars.

Pour ce faire, les Français ont donc joué la carte de la séden- tarisation à travers un programme politique teinté d’humanisme et de paternalisme. La puissance coloniale a institué, en premier lieu, un système de rémunération pour les chefs coutumiers (makaban) et le sultan. Ayant ainsi convaincu tous les notables nomades, elle a progressivement encouragé, après la guerre, la sédentarisation en mettant en place des infrastructures modernes : écoles et dispen- saires qui rendirent les villages plus attrayants pour la jeune géné- ration. Ces mesures s’accompagnèrent évidemment d’une sensibili- sation à la culture occidentale : introduction de nouvelles valeurs telles la liberté individuelle et la monétarisation, adoption des com- portements administratifs, mise en place d’un système politique cal- qué sur le modèle occidental (mais qui, à la Chambre des députés, utilise les structures traditionnelles par la représentation de toutes les tribus), incorporation des nationaux dans les différents corps de l’armée ...

Une faible part de la population a migré vers les villes et les villages, attirée par ces (( bienfaits de la civilisation occidentale n. Les villages antiques, comme Tadjourah dont la population s’est sédentarisée depuis l’époque des denses relations commerciales avec la péninsule arabique, l’Abyssinie et les autres pays, ont vu rapi- dement accroître leur population.

Création de la ville de Djibouti

La future capitale, Djibouti, créée en 1888, était habitée dans ses premières décennies par une population allogène composée de commerçants (yéménites, européens, juifs, asiatiques ...) et des habi- tants de la cité millénaire de Zeila qui l’ont complètement aban- donnée pour cette jeune ville en devenir. Mais les travaux de cons-

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AFARS

truction de la ville, du port et du chemin de fer reliant Djibouti à Addis-Abeba (qui a duré de 1897 à 1917), ont vu converger un nombre croissant de nomades. Pas en très grand nombre, toute- fois, car ce n’est pas en quelques décennies que l’on change un mode de vie ancestral. La preuve la plus significative du refus par le nomade de la vie sédentaire et du travail manuel est la cons- truction du chemin de fer; les Français, ayant en vain tenté d’embaucher des Afars et des Issas, furent obligés de faire appel à une main-d’œuvre étrangère venue de Somalie.

I1 en alla de même pour la scolarisation qui n’a connu de l’ampleur dans le territoire que très tardivement (dans les années cinquante). C’est en effet, à partir de cette période que les noma- des amuèrent très progressivement vers les villages et la capitale, constatant à travers les premiers conquérants des villes, les avanta- ges de l’enseignement, du travail urbain et de la monétarisation. Les premiers bénéfices de la scolarisation se firent ressentir avec les titulaires des diplômes (CEP) gagnant aisément leur vie et ayant acquis des postes de responsabilité aux côtés des (( Blancs I), ce qui incita les parents à mettre leurs enfants (uniquement des garçons) à l’école des colons.

L’autre facteur d’attraction de la ville est que, la société nomade étant très solidaire, l’individu qui y part tenter sa chance envoie à sa famille, restée en brousse, de l’argent utilisé pour accroître le troupeau, acheter des denrées alimentaires d’origines urbaines (huile, conserves, riz...), besoins nouveaux pour le nomade qui se contentait auparavant de sa nourritute de base : lait de son trou- peau, galettes de dourah (échangé en Ethiopie contre le sel) et occa- sionnellement viande. Ainsi, les familles, n’ayant aucun de leurs membres en ville et désirant acquérir ce (( surplus )) émanant des villes, se sentirent obligées d’envoyer le plus jeune ou le plus entre- prenant de leurs enfants à Djibouti. Les Afars, ainsi progressive- ment {( coupés )) de leurs traditions, se trouvèrent donc plus que jamais dépendants de la ville, de l’administration centrale et d’un flux monétaire d’origine urbaine.

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Une urbanisation [c outrancière )J

Mais il faut souligner que le nomade, même sédentarisé, conti- nue à respecter un pouvoir coutumier garant des institutions qui ne manquent ni de cohésion, ni de justice.

L’administration française n’a jamais cherché à transformer cette structure politique dans sa forme d’origine afin de mieux s’en ser- vir comme au temps d’Ali Aref. Au premier exode rural suscité par (( l’attrait du neuf )), suivit à partir des années soixante-dix une seconde phase due aux bouleversements écologiques. La désertifi- cation s’aggravant, la grande majorité des nomades se regroupèrent

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sur les grands axes routiers, formant ainsi des petits villages dissé- minés dans tout le pays. Les pâturages aux alentours des villages étant insuffisants et les troupeaux de plus en plus restreints, ces nouveaux sédentaires étaient désormais entièrement dépendants, pour subsister, de leurs familles urbanisées. Parfois, ce sont les organis- mes de secours internationaux qui alimentent ces communautés transformées en (( assistés D.

La République de Djibouti n’a malheureusement pas pris véri- tablement en charge l’enjeu du nomadisme. Elle s’est limitée à réa- liser un nombre important de forages aux alentours des (( nouveaux villages )) et à assurer un minimum d’infrastructures (dispensaires, écoles, etc.). Après dix ans d’indépendance, aucune politique spé- cifique pour le maintien du mode de vie et de la culture des noma- des, n’a été conçue. Rien n’a été fait non plus pour que la séden- tarisation de ces populations s’effectue dans des conditions favori- sant l’insertion à la vie moderne, en leur proposant des possibili- tés d’activités agricoles ou de pêche.

Ceci est regrettable car l’unique exemple de périmètre agricole, celui de Mouloud où une vingtaine de familles nomades a été prise en charge pour développer l’agriculture, a réussi. A Djibouti, il existe bien un organisme semi-public de prêt à des taux très avan- tageux, destiné notamment aux agriculteurs et aux coopératives (Caisse de développement de Djibouti) et qui a investi depuis 1982 1 600 O00 O00 francs Djibouti (environ 40 O00 O00 FF). Mais 15 Yo seulement sont allés à l’agriculture, contre, par exemple, 38 Yo à l’habitat. De surcroît, ces fonds, souvent investis sans études préa- lables et sans encadrement d’agriculteurs néophytes, ne donnent pas les résultats escomptés, les réalisations ne dépassant pas le stade du petit jardin potager privé.

Ignorant l’agriculture, sans formation et encore moins encoura- gés, les nomades ne travaillent pas la terre; ils embauchent une main-d’œuvre agricole peu coûteuse de réfugiès en provenance d’Éthiopie (Oromos) qui, parallèlement, garde le cheptel survivant. Ainsi, des communautés n’ont aucun statut : ni nomades, ni agriculteurs.

En Éthiopie ou en République de Djibouti, le problème des semi-nomades afars semble être plus celui de la préservation de l’ave- nir que celui d’un développement immédiat bien aléatoire dans les conditions techniques et surtout économiques actuelles. I1 apparaît indispensable d’empêcher toute nouvelle dégradation du potentiel agro-pastoral afin de ne pas créer une situation irréversible, ren- dant vaine toute tentative ultérieure de développement.

L’aide des pays donateurs et des organismes internationaux publics ou privés ne doit plus se limiter à des dons mais évoluer dans le sens d’une politique judicieuse de redressement et de déve-

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AFARS

loppement. Sinon, elle ne fera que se rendre complice d’une poli- tique attentiste coupable qui n’a que trop duré.

Il faut s’appuyer sur les dynamiques traditionnelles des com- munautés nomades pour favoriser les adaptations nécessaires et éviter qu’elles ne deviennent des squatters déchus autour des bidonvilles.

Si l’on ne veut pas rechercher les réponses adéquates aux pro- blèmes politiques et économiques, ainsi qu’aux catastrophes natu- relles et à leurs conséquences, les sociétés nomades et semi-nomades de la région risquent, à terme, d’être totalement détruites et de disparaître.

Aden Mohamed Dilleyta

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E. FAUROUX

Bœufs et pouvoirs

Les éleveurs du sud-ouest et de l‘ouest malgaches

USSI loin que remontent les traditions orales (vers la fin du X V ~ siècle environ) les groupes d’éleveurs de bœufs du A sud-ouest et de l’ouest de Madagascar, au foyer originel

commun dans une région montagneuse du sud-est, ont manifesté une forte propension à l’expansion territoriale et politique. L’accrois- sement du troupeau reposait plus sur le pillage de troupeaux voi- sins que sur la recherche patiente des meilleures techniques de ges- tion du troupeau.

La force expansive de ces petits groupes reposait sur trois fon- dements principaux : - les pratiques guerrières, sous la conduite d’un chef-souverain

au pouvoir absolu, utilisées à des f ins de pillage contre les autres éleveurs ou contre les communautés d’agriculteurs ; - l’efficience magique, marquée par la présence auprès de tous

les chefs importants d’un ombiusy (1) dont le savoir reposait sur des apports islamiques alors récents. Ses pratiques étaient considé- rées comme trè supérieures à celles de tous les (( magiciens-sorciers D locaux ; - une effic cité (( idéologico-politique D. Les ontbiusy semblent

avoir favorisé la mise en place ou l’affermissement d’un système de croyances religieuses, marqué par l’importance de la communi- cation avec les ancêtres lignagers, le sacrifice cérémoniel du bœuf étant l’élément médiateur essentiel de cette communication. Mais, pour agréer aux ancêtres, les bœufs sacrifiés devaient impérative- ment répondre à certains critères concernant la couleur de robe, la forme des cornes ..., ce qui nécessitait un troupeau de dimen- sion considérable. Le troupeau royal assurait cette garantie, main-

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MADAGASCAR

tenant ainsi l’harmonie des rapports entre vivants et ancêtres et, par là même, la prospérité des vivants.

Grâce à ces atouts majeurs, les groupes d’éleveurs, partis du sud-est, essaimèrent d’abord dans le sud et le sud-ouest de Mada- gascar. Les chefs-souverains, initialement liés par d’étroits liens de parenté, tendirent à se partager un espace encore peu encombré, pour donner naissance à des dynasties familiales, souvent antago- niques malgré le souvenir de leurs origines communes. C’est l’évo- lution historique des unités socio-politiques ainsi constituies qui a donné naissance aux groupes (( ethniques )) (2) du sud et de l’ouest malgaches : Antandroy, Bara, Mahafale, Masikoro et Sakalava.

Les systèmes de production mis en œuvre par ces groupes repo- saient pour l’essentiel sur l’élevage.

Mais sur ce schéma commun, de notables différenciations appa- rurent avec le temps. La plus importante concerne la stabilité de l’occupation de l’espace, marquée chez les Mahafale, partielle chez les Bara et plus faible chez les Antandroy.

D’autres groupes, au contraire, choisirent la mobilité et sont réso- lument exogames, tels par exemple les Masikoro, et plus nettement les Sakavala. Au moment même où les Mahafale se fixaient sur leur territoire, les Sakalava entreprenaient un grandiose et lent mou- vement de migration qui devait les conduire à occuper tout l’ouest de Madagascar, jusqu’à l’extrême nord.

Au plan historique, le nomadisme des Sakalava s’exprime par une tendance à migrer sur une longue période vers le nord, à la recherche de nouveaux pâturages dans des régions moins peuplées. Actuellement, il se manifeste de deux façons principales.

D’abord, une courte période de mobilité autour de la résidence principale, qui pousse certains membres du lignage à suivrle le trou- peau vers de nouveaux pâturages. Leur absence peut durer de quel- ques mois à quelques années.

Ensuite, une longue mobilité qui correspond à l’essaimage naturel des lignages. Pour des raisons qui tenaient autrefois à la taille du troupeau et qui tiennent plut6t aujourd’hui à une densité humaine trop grande dans un espace relativement surutiligé, les groupes ligna-

engen- gers sakalava se scindent fréquemment. Ces drent une apparente stabilité de l’habitat

(1) Ombiasy : devin-guérisseur, discrète- ment omniprésent dans tous les actes de la vie économique et sociale rurale à Madagascar.

(2) Ainsi que l’ont signalé plusieurs auteurs, l’utilisation de la notion d’ethnie est particulièrement malencontreuse dans ces cas particuliers. Nous ne nous y sommes rallib ici que par souci de simplification. L’unité

i de ces groupes est idéologico-culturelle (con- ception religieuse partagée d’une communi- cation symbolique avec les ancstres et avec certains éléments de la surnature ; idée que l’harmonie de cette communication est la condition du succès des entreprises humai- nes) et surtout politique (marquée par la reconnaissance de l’autorité absolue du souverain).

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E. FAUROUX

lignages dans les mêmes villages plusieurs décennies après) qui s’accommode d’une certaine instabilité au niveau des individus (peu de personnes naissent et meurent dans le même village).

La marche vers le nord a permis aux Masikoro et aux Saka- lava de constituer d’importantes unités politiques, de grands royau- mes qui, à certaines époques, comptèrent parmi les plus puissants et les mieux organisés de Madagascar (3). Ces systèmes politiques étaient parfaitement adaptés à ce mode de vie pastorale et n’exi- geaient pas de structures répressives. Aucun embryon de bureau- cratie n’existait, la cohésion était fondée principalement sur une idéo- logie cérémonielle totalement reconnue par tous. Ces systèmes garan- tissaient dans une très large mesure la prospérité matérielle du groupe et maintenaient un fort consensus autour du souverain ... Les unités de résidence sakalava vivaient, en fait, dans une totale indépendance, à l’exception de celles qui résidaient à proximité immédiate de la cour.

Ce sont donc des groupes d’éleveurs très peu policés que ren- contrèrent les armées coloniales françaises pacifiant l’ouest malga- che. Les difficultés d’ordre militaire réglées, il fallut tenter de faire rentrer tous les autochtones dans le cadre administratif commun. Les choses se passèrent assez mal et les Sakalava ne tardèrent pas à acquérir une réputation détestable auprès des premiers adminis- trateurs, réputation qui prévaut aujourd’hui encore.

Les Sakalava

Dans tous les rapports administratifs, les Sakalava apparaissent comme porteurs d’à peu près tous les défauts : paresseux (parce que répugnant aux tâches agricoles et ,fuyant les emplois salariés), rebelles à la scolarisation, peu sensibles à l’action des missionnai- res. De surcroît, ce sont de très mauvais contribuables : ils vivent à l’écart des circuits monétaires, n’hésitant pas à disparaître dans la forêt lorsqu’on leur demande de payer ; peu dociles, ils ne par- ticipent pas aux corvées de travaux publics et sont à peine respec- tueux des autorités administratives. Enfin et surtout, ils sont tou- jours prêts à voler des bœufs malgré la sévérité de la répression.

Par ailleurs, après quelques espoirs initiaux précocement déçus, il fut rapidement évident que les immensités du sud-ouest et de l’ouest ne se prêtaient guère à des projets de grande colonisation. Les terres n’y étaient guère fertiles, à l’exception d’un petit nom- bre de vallées où existaient quelques possibilités d’agriculture inten-

(3) Pour l’histoire du royaume Marose- rana, voir J. Lombard, Le Royaume sakalava meriabe. Essai d’analyse d’un système poli-

tique ci Madagascar, Paris, ORSTOM, 1988, 151 p.

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MADAGASCAR

sive, et la sécheresse y était partout menagante. La mauvaise répu- tation des autochtones accroissait encore l’aspect répulsif de la région pour tout effort cohérent de colonisation agricole.

Le Menabe finit cependant par bénéficier d’un début de mise en valeur, notamment à partir des années vingt, lorsque la hausse des cours du pois du Cap rendit cette culture très rémunératrice. L’effort productif fùt massivement accompli par des immigrants venus des hautes-terres ou du sud-est. Cependant, le comportement des Sakalava ne fut pas tout à fait celui que l’on pouvait présager. Ils s’intéressèrent vivement à la culture du pois du Cap, soit en recrutant des métayers, soit en cultivant même directement sur les terres de décrue, le long des cours d’eau. En fait, l’histoire écono- mique des Sakalava montre qu’ils participent au marché dès que celui-ci leur donne les moyens d’acquérir des bœufs en quantité significative. Ils s’en désintéressent dans tous les autres cas.

Les booms agricoles successifs connus par l’ouest de Madagas- car ont cependant fini par avoir des conséquences dommageables pour les éleveurs sakalava autochtones. Peu attachés au sol ou à un terroir agricole, peu disposés à combattre pour la possession de la terre, ils ont fini par céder de larges parties de leur territoire sous la poussée d’immigrants très liés aux valeurs foncières et à la logique marchande.

Après avoir été cruellement affaibli par une succession de dures crises mais prêt à d’importants efforts pour une (( normalisation )),

l’ensemble du monde rural malgache se trouve, à la fin des années quatre-vingts, dans une situation de forte transition. Les sociétés d’agropasteurs de l’ouest malgache, malgré leur marginalisation géo- graphique et sociologique, n’ont pas échappé au mouvement général.

Les transformations de la société sakalava résultent actuellement du jeu d’un ensemble très complexe de dynamiques d’origines diver- ses. Cette complexité permet cependant d’identifier dès à présent deux sous-ensembles.

Le premier résulte de choix politiques effectués au plus haut nivea?, qui vont déterminer les formes d’impacts extérieurs (action de l’Etat, rapports villes-campagnes, pénétration de l’économie moderne.. .) sur les communautés traditionnelles d’éleveurs.

Le second est constitué par les différentes dynamiques dévelop- pées chez les Sakalava pour répondre à ces influences externes.

Pouvoir central et sociktés agro-pastorales de l’ouest : évolution récente

L’attitude de l’État malgache à l’égard des sociétés pastorales de l’ouest paraît se situer en continuité à peu près absolue avec celle des derniers temps de l’administration coloniale. Un sérieux effort de modernisation agricole avait été entrepris dans un petit nombre de vallées alluviales, l’accent étant mis sur le riz et le coton.

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E. FAUROUX

Hors des zones aménagées, la politique a consisté, faute de moyens, à abandonner les gens à leur sort en tentant cependant d’agir sur la production par les prix agricoles. Les effets de cette politique étaient sévèrement biaisés par l’action des collecteurs indo- pakistanais, souvent experts dans l’art de s’approprier les surplus monétaires résultant d’une hausse des cours. Le gouvernement, dès les premières années de l’indépendance, tenta donc de nationaliser le collectage sous diverses formes Syndicat des communes D, puis intervention de grandes sociétés d’Etat). L’échec fÙt à peu près total, notamment à cause d’énormes problèmes de trésorerie et d’un man- que chronique de véhicules aptes à affronter les mauvaises pistes rurales. ..

Dans ce contexte, des facteurs essentiels, mais beaucoup plus conjoncturels, sont apparus au cours des quinze dernières. années.

Tout d’abord, les très graves difficultés affrontées par 1’Etat mal- gache ont été fortement ressenties au niveau local. L’appareil local d’Etat, déjà peu présent à l’époque coloniale, s’est progressivement détérioré au point de quasiment disparaître pendant les années (( noi- res )) (au début des années quatre-vingts). Dans certaines régions isolées, les situations socio-économiques marquées par la quasi- inexistence des rapports avec le pouvoir central ne sont pas sans rappeler celles qui prévalaient à l’époque précoloniale. L’effacement de la force publique a conduit à l’apparition de bandes de pillards, efficaces et dangereux, capables d’attaques frontales contre des vil- lages d’éleveurs. Le butin pouvait parfois être constitué par la totalité du troupeau des parcs du village. L’insécurité, en devenant chro- nique, eut aussi pour effet un recul significatif des surfaces culti- vées, notamment dans les parties les plus éloignées des terroirs villageois.

Cette aggravation de la faiblesse de 1’État a conduit le monde rural de l’ouest (et sans doute aussi de beaucoup d’autres régions isolées) à se transformer, pendant quelques années, en une sorte d’archipel, chaque île étant constituée par une microrégion - voire une simple communauté villageoise - qui tendait à retourner à I’autosuffisance alimentaire et à l’autonomie tout court.

A partir de 1986-1987, pourtant, la tendance s’est inversée et l’existence d’un pouvoir central est devenue moins imperceptible : quelques travaux d’infrastructure ont été entrepris, les fonctionnai- res locaux ont commencé à être payés avec moins d‘irrégularité ... Mais c’est surtout l’organisation d’opérations a coup de poing D, mal- gré (ou à cause) d’énormes B bavures n, qui a contribué à ramener les vols à leur niveau culturellement incompressible (4).

(4) Certains vols de bœufs ne relèvent rage. L’importance quantitative de ces vols pas du banditisme organisé mais constituent est faible et leurs effets tendent à s’annuler : une sorte d’épreuve imposée aux jeunes hom- le volé d’aujourd’hui sera le voleur de mes pour affirmer leur virilité et leur cou demain.

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MADAGASCAR

Par ailleurs, grâce à la libéralisation du système de collectage des produits agricoles, une masse monétaire a été de nouveau injec- tée dans les circuits villageois ; beaucoup de terroirs ont recommencé à étendre leur production au-delà des stricts besoins de l’autocon- sommation. Le paddy en particulier se vend bien et les pouvoirs publics recommencent à recevoir des collectivités locales des deman- des d’aide pour la construJtion d’ouvrages d’hydraulique agricole.

Si l’intervention de 1’Etat demeure très modeste, elle a pour- tant cessé d’être inexistante car des liens très ténus tendent à s’établir entre les diverses îles des archipels d’auto-subsistance et de quasi- autogestion qui s’étaient constitués auparavant.

Dans le même mouvement, l’influence de la ville s’est mani- festée à nouveau. Elle est souvent ressentie négativement par le monde rural régional et encore plus nettement par les groupes d’éleveurs.

L’évolution des rapports ville-campagne

Madagascar connaît un problème majeur dans l’approvisionne- ment de ses villes en viande, et notamment en viande de bœuf. Cela tient principalement au fait que les groupes qui élèvent des bœufs ne le font pas pour le marché, mais seulement pour satis- faire de complexes stratégies sociales communautaires qui reposent sur le sacrifice cérémoniel ostentatoire des bœufs lignagers (5). Quel- ques bêtes sont commercialisées dans des circonstances relativement exceptionnelles (besoins monétaires imprévus, périodes de soudure, bêtes inesthétiques ou volées, etc.). Dans ces conditions, le marché est très irrégulièrement et très insuffisamment approvisionné. Par ailleurs, les variations de cours ne peuvent pas avoir, sur l’offre, l’impact escompté car il n’existe pas un véritable marché. Les vols à grande échelle contribuent ainsi à une sorte de commercialisa- tion forcée. I1 existe de véritables vols à la commande en vue d’approvisionner le marché (6 ) : certains gros intermédiaires béné- ficient des complicités nécessaires pour (( blanchir )) les bœufs volés qui leur sont remis, et adressent périodiquement aux voleurs de leur réseau des commandes détaillées.

En situation (( normale )), cette ponction, malgré ses très graves inconvénients, contribue finalement à adapter, tant bien que mal, l’offre à la demande. En période de crise, d’insécurité aiguë, la machine devient folle et tourne trop vite. Les réseaux parallèles de

(5) Ces aspects sont étudiés par S . Tou- rette dans le cadre d’une thèse de doctorat d’iconomie rurale (Montpellier, Faculté de droit et science économiques) : e La commer- cialisation des bovidés dans le sud-ouest de Madagascar D.

(6) Voir en particulier E. Fauroux (éd.), Le b m f dans la vie économique el sociale de la vullée de Mukurivo, TuléadMontpellier, MRSTDIORSTOM, décembre 1987, 240 p.

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E. FAURQUX

commercialisation deviennent trop efficaces. Ils sont connus de tous et tous y ont recours : les bandits (( professionnels n, le volé qui a besoin de reconstituer son troupeau, le jaloux qui cherche à se venger, le jeune homme qui a besoin d’un peu d’argent pour ses stratégies matrimoniales ... C’est sans doute ce qui s’est produit de 1979 à 1983 avant le début des opérations (( coups de poing )). Les vols ont alors atteint une telle intensité que l’existence même des troupeaux de l’ouest fut mise en péril.

Le système de production pastoral (( traditionnel )) a autrefois sécrété, dans l’ouest malgache, des institutions monarchiques com- plexes et puissantes qui, cependant, n’ont guère eu de prolonge- ments dans les systèmes agropastoraux qui sont apparus ultérieu- rement. ,I1 semble même exister une inadéquation manifeste entre les formes de pouvoir actuellement sécrétées par ces nouveaux systè- mes et les formes modernes,, notamment électorales, que prend le pouvoir politique dans un Etat contemporain.

Dans le Menabe, par exemple, il est patent que les Sakalava ne participent pas activement à la vie politique locale, notamment au niveau des collectivités décentralisées.

D’une part, ils se désintéressent d’instances qui ne gèrent que des problèmes peu importants pour eux, concernant surtout des bourgs ruraux dans lesquels ils sont très minoritaires.

D’autre part, ils n’avaient guère, autrefois, les moyens de cons- tituer des réseaux de clientèle dépassant le cadre de leur groupe (mais, on l’a vu, cette situation est sans doute en train de changer).

Enfin, leur niveau scolaire est en général sensiblement inférieur à celui des Ambaniandro (7) et à celui d’autres groupes locaux qui, à ce titre, accèdent plus aisément aux postes de responsabilité.

La réalité du pouvoir régional dans le Menabe central est très largement détenue par un groupe connu sous le nom un peu péjo- ratif de (( Timangaro )) (traduction libre : (( les malins n). I1 ne s’agit pas à proprement parler d’un clan ou d’un groupe familial mais plutôt d’un réseau contrôlé par un groupe de personnes originai- res du village vez0 (8) de Bosy. Ce groupe a pour caractéristiques communes d’avoir parmi ses ancêtres éloignés des commerçants anta- laotres (9), et parmi les plus proches des traitants étrangers, réu- nionnais (depuis 1850 environ), français ou grecs (depuis la fin du XI= siècle). Habitués aux contacts avec les étrangers, il a consti- tué l’un des premiers points d’appui de la pénétration française dans l’ouest. L’administration coloniale a ainsi été amenée à installer au sein de ce groupe l’une des toutes premières écoles françaises de

(7) Ambaniandro : terme générique pour les habitants des hautes terres, les Merina et les Vakinankaratra.

(8) Vezo : pêcheurs de mer de la côte ouest.

(9) Antalaotres : commerçants islamisés en contact avec les côtes du nord-ouest et de l’ouest malgaches depuis des époques très anciennes.

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MA DA GASCA R

Madagascar. L’éCole de Bosy a été une remarquable pépinière d‘auxi- liaires administratifs (( indigènes )) et le lieu de création d’une tra- dition d’accès à la Fonction publique. Les chefs de canton ou les instituteurs ruraux des ,années 1930-1940 sont devenus des cadres supérieurs de l’administration malgache après l’indépendance. Dans tous les gouvernements successifs, les postes-clés de la région, cer- tains postes ministériels ou de très haute administration, ont été détenus par des Timangaro qui ont ainsi pu tisser un remarquable réseau de clientèle qui leur permet un contrôle efficace sur toute la région de Morondava.

Ce contrôle régional timangaro s’exprime au moins par : une mainmise foncière sur toutes les zones aménagées ou en ins-

tance d’aménagement, notamment dans la périphérie urbaine de Morondava, qui enlève aux Sakalava toute possibilité d’acquisition de bonnes rizières ; 0 l’existence d’un réseau de clientèle structuré qui permet de réser- ver toutes les places importantes, dans la Fonction publique, les sociétés nationalisées et les entreprises locales, à des gens qui accep- tent les conditions d’appartenance à ces réseaux. I1 s’agit essentiel- lement d’occuper des fonctions urbaines subalternes et d’y assurer la diffusion et la réalisation des mots d’ordre émanant des niveaux les plus élevés du réseau. Les éleveurs sakalava, même lorsqu’ils deviennent agriculteurs, ne remplissent jamais ces conditions.

Il n’y a que quelques Sakalava de la région qui occupent une fonction politique notable. Le député sakalava actuel a eu, en fait, un itinéraire très particulier, sa famille ayant quitté sa communauté d’origine pour vivre près de la ville.

Les avancées du monde moderne, sous leurs formes les plus diverses, ont toujours été perçues de façon négative par les éleveurs sakalava et cela par référence à un fait : la prospérité du troupeau est presque toujours mise en péril par les intrusions modernes. L’attribution de concessions, les aménagements hydro-agricoles trop importants, la construction de nouveaux axes routiers impliquent l’apparition de cultures durables sur des superficies importantes et donc de nouveaux enjeux fonciers, ainsi que l’arrivée de nouveaux groupes d’immigrants qui vont mettre en péril la prospérité du trou- peau et provoquer d’inévitables conflits. Par expérience, les Saka- lava savent qu’ils sortent rarement vainqueurs de ces affrontements. En effet, le droit foncier moderne donne toujours la préférence à une mise en valeur effective par des cultures, au détriment de vagues droits de parcours qui ne s’accompagnent d’aucune mise en valeur ostensible.

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E. FAUROUX

Des stratégies difT6rentielles

A la fin des années 1980, face aux nouvelles données qui leur sont imposées, les Sakalava pasteurs mettent en œuvre trois types de stratégies d’adaptation.

Les systèmes de production

Les conditions géographiques de l’ouest malgache laissent encore d’immenses espaces disponibles permettant de trouver de nouveaux pâturages pour les troupeaux, à condition de s’écarter des zones déjà occupées. La migration à courte ou moyenne distance devient ainsi la stratégie la plus simple pour les Sakalava désireux de main- tenir leur mode de vie envers et contre tout. Un tel déplacement permet à la fois de retrouver des pâturages (voués pour des rai- sons écologiques à la dégradation) et de se rapprocher de ce qui reste de la forêt où cueillette et chasse constituent encore des com- pléments alimentaires.

Un autre type d’adaptation concerne la transformation des techniques pastorales relatives notamment au mode de gardiennage et aux formes de transhumances saisonnières (10).

L’insécurité a conduit ces éleveurs à choisir entre deux solu- tions extrêmes pour le gardiennage de leurs ,troupeaux. Quelques- uns ramènent leurs bêtes tous les soirs dams les parcs proches du village où elles sont soigneusement surveillées. D’autres, au con- traire, laissent leurs bœufs en liberté dans la forêt; ces derniers deviennent ainsi trop craintifs et trop rebelles pour se laisser appro- cher et, surtout, pour se laisser conduire en troupeau, par des incon- nus. Ainsi, le risque encouru concerne le vol de quelques unités de bétail et non celui de la totalité du troupeau, comme c’est par- fois le cas dans les parcs villageois. Les villages isolés préfèrent généralement cette seconde solution.

Par ailleurs, la sécheresse croissante oblige souvent les proprié- taires de bœufs à les ramener en saison sèche à proximité d’eaux permanentes, c’est-à-dire près des villages. Autrefois, seules les bêtes destinées au sacrifice ou épisodiquement au piétinage des rizières étaient reconduites au village.

Le récent développement de la riziculture est la principale inno- vation technique des éleveurs sakalava. Contrairement à leur image mythique, ils produisent du riz depuis longtemps, probablement même depuis les temps précoloniaux, grâce à l’assistance techni-‘ que de leurs alliés d’alors, Betsileo ou Antaisaka. Une série de diset- tes, proches de la catastrophe, au début des années 1980 et sur

(IO) Cf. L. Rakatomalala, in E. Fauroux (éd.), op. cit., pp. 67-72 et 160-167.

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M D A GASCA R

tout une très nette hausse des cours du riz les ont conduits à déve- lopper cette production. La vente de leurs surplus en riz demeure actuellement la seule possibilité avouable de se procurer des bœufs.

L’idéologie cérémonielle

Le rôle cérémoniel des bœufs avait été fixé à une époque de grande prospérité, quand l’immense troupeau royal garantissait à tous les sujets de trouver, le moment venu, la bête disposant des caractéristiques requises. En situation de pénurie, quand la plupart des troupeaux lignagers ne dépassent guère une dizaine de têtes, et quand beaucoup n’ont plus de bœufs, il n’est alors plus possi- ble de respecter les règles traditionnelles. Pourtant, la place occu- pée par le bceuf dans l’idéologie sakalava demeure intacte.

Des ajustements ont été opérés dans les cérémonies. Les moins importantes ont purement et simplement disparu ou sont devenues très rares. D’autres s’accomplissent avec un nombre restreint de bêtes sacrifiées, celles-ci pouvant même parfois être remplacées par de la viande achetée dans le commerce, de l’alcool ou de l’argent. Enfin, les plus importantes (la circoncision, par exemple) sont différées afin de laisser au groupe le temps d’accumuler le nombre de têtes indispensable (1 1).

La solution-la plus originale consiste dans la recomposition de rapports de clientèle, selon un schéma peut-être éphémère.

La nouvelle structuration interne des unités villageoises

La diminution des troupeaurr ne frappe pas la totalité des ligna- ges. Dans un village, ou dans une micro-région, on rencontre pres- que toujours un mpanarivo (12) dont la richesse en bœufs n’a pas diminué ou s’est même très sensiblement accrue au cours des der- nières années, Ces mpanarivo tendent souvent à gérer leur trou- peau de façon très (( généreuse D. Ils confient, par exemple, quel- ques têtes à des villageois démunis en autorisant ceux-ci à les uti- liser pour leurs cérémonies lignagères, sans contrepartie immédiate. Les bénéficiaires de ces largesses sont reconnaissants : ils se mobi- lisent spontanément pour protéger le troupeau de leur bienfaiteur contre d’éventuels voleurs, ils accourent pour travailler ses rizières quand 3 en fait la demande. Dans une situation où la force de travail est plus rare que la terre, il s’agit là d’un avantage considé- rable. L’évolution récente a fait apparaître une coïncidence à peu près absolue entre richesse en bœufs et richesse en rizières. Ces

(11) Cf. F. Delcroix, Crise de I’ilevage et transfonnatioiis de I’orguaisatioii cérét?io?zielle dam /a ua//ée de /a Maharivo, Paris, EHESS,

mai 1988, 145 p.

tion péjorative de (I richard n, (1 2) Mpanarivo : riche, avec la connota-

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E. FAUROUX

nouveaux mpanarivo ne sont généralement pas les héritiers directs des anciens riches. Leur émergence semble en corrélation avec les vols de bœufs: ils ne sont pas forcément eux-même des voleurs, mais c’est peut-être grâce à l’appui d’oombiasy redoutés que leurs troupeaux sont moins volés ou pas volés du tout.

L’apparition d’une catégorie de notables (( spontanés )) sakalava semble s’accompagner d’une émergence d’un sentiment de (( saka- lavité )), d’un renouveau de leur identité au niveau politique régional.

Deux voies semblent ainsi ouvertes. Les mpanarivo ont les moyens de manier la corruption, ce qui

leur ouvre de très nombreuses portes autrefois résolument fermées aux Sakalava. On peut sans doute prédire la prochaine apparition de certains d’entre eux à de réelles responsabilités au niveau des collectivités décentralisées.

L’agressivité à l’égard des immigrants, autrefois à peu près nulle ou inopérante, se cristallise dans une résurgence des vieilles insti- tutions sakalava : c’est ainsi que le tromba (13) a connu un (( boom l)

récent et permet aux vivants de recevoir des injonctions provenant B directement 1) de leurs anciens souverains. De même, à la suite du récent fitampoha (14), divers cultes rendus aux tombeaux des premiers souverains sakalava, à Maneva et Ilaza (près de la petite ville de Mahabo), ont connu un soudain regain. A Mahabo, une U association d’intellectuels sakalava 1) (enseignants, fonctionnaires) organise des réunions, regrette ouvertement la marginalisation des Sakalava dans leur propre pays et laisse entrevoir une prochaine expression politique de ses revendications.

Confrontés à une crise générale du monde rural et aux graves difficultés de l’élevage traditionnel, longtemps marginalisés par rap- port à tous les pouvoirs, les éleveurs de l’ouest et du sud-ouest malgaches n’ont cessé d’élaborer des solutions en vue d’assurer la pérennité d’un mode de vie faisant la part la plus large à l’élevage du bœuf.

Emmanuel Fauroux ORSTOM

(13) Tromba : cérémonies de possession (14) Fitampoha : cérémonie au cours de au cours desquelles le possédé (une femme laquelle les souverains de l’ouest malgache le plus souvent) reçoit un esprit et parle en réactualisent leur pouvoir en immergeant son nom. Cet esprit peut ètre un ancètre dans l’eau pure d’un fleuve les reliques des royal, ou un peisonnage, pas forcément anciens souverains. Le dernier Fitampoha du important, mort dans des circonstances tra- Menabe a eu lieu en septembre 1988 près giques, par noyade en particulier. de Belo-sur-Tsiribihina.

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H. GUILLAUME

44 L’itat sauvage ... )) : Pygmées et forets d‘Afrique centrale

ES Pygmées : des populations peu nombreuses - quelques centaines de milliers d’individus (leur recensement restant très L aléatoire) - mais disséminées à travers l’immense f?rêt tro-

picaie humide de l’Atlantique au . grands lacs, dans huit Etats (1). Epiphénomène ? Si l’on peut oser l’emploi d’un tel terme quand

il s’agit du devenir d’hommes, ces sociétés peuvent désormais paraî- tre pour certains d’un intérêt subsidiaire. Chasseurs-collecteurs noma- des pour nombre d’entre eux (2), les Pygmées - ne serait-ce que par l’effet cumulé de leur nombre et de leur archaïsme - ne cons- tituent pas à l’kvidence un enjeu politique ou économique au même titre que de nombreuses sociétés africaines de pasteurs-nomades, sou- vent en prote à de dramatiques crises consécutives à la fois à des bouleversements économiques, politiques et à des aléas climatiques. Mais en dépit de leur aspect résiduel et de leur marginalité, les communautés pygmées sont exemplaires de certaines mutations con- temporaines que cpnnaissent les sociétés nomades, des relations de celles-ci avec les Etats-nations et des finalités de ces derniers. En outre, leur prise en compte ouvre inéluctablement sur la question des politiques globales qui déterminent arrjourd’hui le devenir des vastes régions qu’elles parcourent. I1 existe en effet une étonnante homologie entre ces sociétés humaines et leur milieu naturel, tant dans les représentations qui en sont données que dans leur con- frontation avec le monde environnant et leur destin actuel. Rémi- niscence à certains égards de modes de vie ancestraux, les Pygmées n’en sont donc pas moins pleinement dans le siècle (3).

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PYGMÉES

Des sociétés fluides et à forte tendance égalitaire

Beaucoup de communautés pygmées ont maintenu jusqu’à récem- ment un mode de subsistance original basé sur l’acquisition de res- sources spontanées, c’est-à-dire non domestiquées, par le biais de la chasse, essentiellement masculine, et de la collecte, principale- ment féminine. Leur système de production, fort dépouillé en sup- ports matériels mais riche en savoirs, ne comporte ni l’agriculture ni la métallurgie.

La vie dans son ensemble est caractérisée par diverses formes de mobilité et de flexibilité, éléments structuraux de ces sociétés (4) et capitaux pour comprendre leurs transformations actuelles : - mobilité des campements : quelques huttes éphémères de 20 à

30 individus se déplaçant dans le sous-bois en fonction notamment de la raréfaction des ressources sauvages ; processus de rassemble- ment et de dispersion des campements axé sur les grandes chasses collectives de portée économique et sociale ; flexibilité dans l’occu- pation de l’espace et l’appropriation commune de ses richesses ; flux des individus et instabilité dans la composition interne des grou- pes domestiques,.. .

Ces principes de souplesse et de fluidité dans l’organisation de la société et son inscription dans l’environnement sont liés à deux paramètres fondamentaux : la prégnance limitée des rapports de filia- tion et la combinaison de facteurs relevant des conditions techni- ques, sociales et naturelles de la production que l’on peut schéma- tiser comme suit : la polyvalence technique, entre individus de même sexe et entre familles nucléaires ; la coopération dans le travail, impérative et omniprésente depuis la complémentarité du couple jusqu’au regrou- pement des camps lors des grandes chasses collectives et à l’exé- cution des polyphonies vocales, symbole de cette propension à l’action collective ; l’instantanéité des activités de production, favo- rable à la circulation des individus dont la limitation principale est la nécessité du maintien d’une force de travail sufisante pour la mise en œuvre de la coopération; l’écosystème forestier dont la composition permet aux hommes de retrouver ailleurs, en cas

(1) Gabon, Guinée équatoriale, Came- RCA mais traduisent généralement des ten- roun, RCA, Congo, Zaïre, Burundi, Rwanda. dances rendant compte d’évolutions dans

(2) A l’exception de groupes comme par d’autres pays d’Afrique centrale. exemple les Batua du Burundi, du Rwanda Mobilité et flexibi- et du Zaïre, potiers et sédentarisés depuis lité chez les chasseurs-collecteurs pygmées longtemps. Aka )), in Nomadisme : mobilité et flexibi-

(3) Les situations présentées ici - obli- lité ?, A. Bourgeot, H. Guillaume eds, Bul- gatoirement de manière parfois schématique letin du dépurpartement H, ORSTOM, no 8, - concernent principalement le Congo et la 1986.

(4) H. GuiIlaume,

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PYGMÉES

de départ, des disponibilités matérielles sinon identiques du moins comparables. - Mobilité des hommes et des groupes domestiques, large

faculté de choix individuel combinée à l’impérieuse obligation de coopérer, les sociétés pygmées sont fondées, non sur des structu- res et des ordres rigides et fermés mais sur un continuum de fluc- tuations, des règles d’ouverture et de renouvellement permanents des relations sociales.

Ces processus sont également générateurs de tendances à l’éga- lité sociale. La société ne comporte ni système politique centra- lisé, ni organisation du pouvoir. Seuls existent des pôles de préé- minence (aîné, maître de la grande chasse, devin-guérisseur) dont l’attribution repose plus sur les qualités individuelles que sur un système de dévolution héréditaire contraignant et dont l’autorité qu’ils confèrent est limitée à leur seul champ de compétence res- pectif. Nul ne peut transformer ses savoirs en privilèges ou mono- poles, nul n’est à l’abri de la récusation de ses proches. Le con- trôle social s’exerce en permanence sur les limites et la repro- duction des pouvoirs.

Ainsi, ces sociétés sont, sur plusieurs plans, à l’antithèse des sociétés d’agriculteurs péri-forestières voisines : faible différencia- tion sociale/hiérarchisation, fort clivage aînéslcadets ; entités paren- tales ouvertes et instableslorganisation lignagère, profondeur généa- logique ; atomisation du pouvoir centralisation de l’autorité ; transformation limitée du milieu et opérée dans le moment présentlpratiques agricoles déprédatrices et enracinées dans le temps.

Ce mode de vie de populations ancestralement intégrées à la forêt tropicale est bien évidemment aujourd’hui en pleine déstruc- turation et en crise. Mais les conditions du passage actuel de l’uni- vers forestier à 1’État-nation ne peuvent être comprises sans évo- quer quelques aspects de la longue histoire des contacts entre les sociétés pygmées et leur environnement humain. A l’identique de la perception durablement établie des forêts tropicales comme espa- ces vierges et non transformés par l’action de l’homme (alors que des modes culturaux remontant à plusieurs milliers d’années y sont désormais attestés), les Pygmées ont longtemps été considérés comme des sociétés figées, totalement autarciques, auréolées d’une (( virginité culturelle n, ... le mythe du cocon-forestier. Or le main- tien, pour nombre de communautés, d’un mode de subsistance encore largement basé jusqu’aux années soixante-dix environ sur le nomadisme et la chasse-collecte ne doit pas masquer les chan- gements et les tensions engendrées (antérieurement ou simultané- ment aux influences des administrations coloniales, missions reli- gieuses, entrepreneurs, autorités étatiques) par des relations nouées

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H. GUILLAUME

avec les sociétés d’agro-chasseurs et d’agriculteurs (souvent de civi- lisation bantoue) (5).

L’idéologie de la domination, l’histoire d’une dépendance

Durant une très longue période, sans doute de plusieurs siè- cles dans certaines régions, les relations entre les Pygmées et leurs voisins ont pris la forme d’un rapport d’association reposant sur une réciprocité équilibrée de services : troc de produits de la métal- lurgie et de l’agriculture contre produits forestiers sauvages et actions symboliques sur les puissances surnaturelles de la forêt. Mais ces échanges basés sur l’accord des deux parties compor- tent néanmoins, au détriment des Pygmées, un ferment inégali- taire constitué par la supériorité technologique de leurs partenai- res (maîtrise de la métallurgie principalement) et sa dimension idéo- logique. Le poids de l’idéologie de la domination développée par ces derniers et relative à des systèmes de production antinomi- ques, est déterminant pour comprendre l’histoire des relations exté- rieures des Pygmées, jusqu’aux pratiques même des pouvoirs éta- tiques contemporains. Des habitudes mentales sont profondément enracinées, intériorisées. Les Pygmées se voient conférer dans l’ima- ginaire collectif un statut ambivalent : êtres civilisateurs mais déchus, relégués à la forêt et donc sauvages (du latin silvaticus, de silva, forêt), dans un état intermédiaire entre le monde des humains et celui des animaux (ils seraient associam et immoraux, vagabonds, puisant sans discernement dans le stock des ressour- I

ces naturelles,...). La même ambivalence affecte la forêt tropicale, tant dans les représentations des sociétés d’agriculteurs que dans celles des colonisateurs européens : espace luxuriant, riche en res- sources végétales et animales mais également dangereux, refuge de monstres et de puissances maléfiques. Pygmées et forêts sdnt voués à être socialisés et soumis à l’ordre culturel. Cette finalité mora- lisatrice sous-tendra et justifiera systématiquement toutes les actions entreprises à l’égard des chasseurs-collecteurs nomades, aujourd’hui encore.

La dépendance technique initiale (dans certaines régions, elle sera plus tard amplifiée matériellement et idéologiquement par l’introduction chez les Pygmées d’un nouveau moyen de produc- tion - le filet de chasse - détenu par leurs voisins) s’accompa- gne du maintien d’une large autonomie économique et sociale basée

(5) H. Guillaume, u Les relations exté- cueilleurs de le for& centrafrzcaine )), S . Bahu- rieures des chasseurs-collecteurs pygmées chet et J.M.C. Thomas ,eds, Paris, SELAF, Aka )), in ((Encyclopédie des Pygmées Aka. vol. 3, sous presse. Techniques, langage et société des chasseurs-

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PYGMÉES

sur l’intermittence des relations de troc et leur effet limité sur les finalités de leur économie domestique. Cette dépendance con- naît par la suite un élargissement favorisé par la constitution aux XVIIIC et XI> siècles de réseaux commerciaux liés notamment à l’essor de la traite atlantique. Conjointement aux échanges tradi- tionnels, les Pygmées développent des activités de production déter- minées par l’extérieur et dépassant les seuls prélèvements aléatoi- res sur le fruit des activités quotidiennes. Ils contribuent à la four- niture de ressources naturelles destinées aux nouveaux marchés, soit directement (ivoire, peaux d’animaux, . ..), soit indirectement comme au début du XP si5cle pour le caoutchouc sauvage. A la su ériorité technologique, les sociétés sédentaires ajoutent leur con- trole sur ces nouveaux réseaux d’échange. Elles sont les intermé- diaires obligés pour l’accès des communautés nomades à ces cir- cuits dont l’influence ira grandissante. Ce monopole, qui s’est déve- loppé jusqu’à nos jours, est central pour saisir les conditions actuel- les d’inscription des Pygmées dans leur environnement économi- que et politique.

Forts de cette domination, les sédentaires visent à asservir les chasseurs-collecteurs pygmées en tentant d’institutionnaliser une dépendance sociale et politique. D’associés, ils deviennent <( maî- tres )) et se posent en tuteurs et pères sociologiques ; ils sont pour leurs dépendants les a pères du village D. Mais, excepté quelques situations de fort assujettissement et malgré une réelle dépendance, cette entreprise d’asservissement n’a jamais abouti. En effet, leurs contrepouvoirs (magico-religieux, clefs de l’univers forestier) et leurs capacités de mobilité et de flexibilité inhérents à leur dynamique sociale ont permis aux Pygmées de préserver une liberté organi- quement liée à la vie forestière.

Un seuil décisif est franchi à partir des années soixante avec l’expansion de l’agriculture commerciale (café et cacao principale- ment). Dès lors, les prestations demandées aux Pygmées tendent à reposer de moins en moins sur leurs savoirs et leurs activités sylvicoles. Mais cette évolution continue à s’inscrire dans le cadre de leurs relations directes avec les sociétés sédentaires pour les- quelles ils deviennent une main-d’œuvre nécessaire pour assurer le développement des superficies consacrées aux cultures de rente (abattage et débroussage pour les hommes, aide aux semis et au sarclage pour les femmes, participation de tous auy récoltes). Ce processus s’accompagne de profonds changements, plus ou moins avancés selon les régions, en fonction du degré d’implication dans la production agricole. En particulier : la régression du nomadisme (avec baisse d’efficience de la chasse et de la collecte conduits sur des espaces plus limités), les villages d’agriculteurs devenant le centre de gravité à proximité desquels les campements font des séjours de plus en plus prolongés pouvant aller jusqu’à la fixa-

P

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H. GUILLAUME

tion complète ; l’érosion des mécanismes de coopération sapés par des tendances à l’individualisation consécutive à l’introduction dans l’économie marchande et symbolisée par l’utilisation personnelle de l’argent, contrepartie nouvelle aux travaux sur les plantations ; l’écla- tement des réseaux de dépendance traditionnels, tout agriculteur ten- dant à devenir un (( patron )) potentiel (mais bien souvent ancien- nes et nouvelles formes de dépendance se combinent). Ce glisse- ment des Pygmées dans l’espace agricole n’a pas pour corollaire l’accession à une production autonome. Iì existe des communautés détentrices de cultures vivrières, voire de rapport, comme au Came- roun ou dans le nord-ouest du Congo (situation qui entraînent de profondes acculturations sans pour autant effacer les barrières idéo- logiques), mais c’est avec difficulté généralement, que les Pygmées deviennent propriétaires de plantations. Ce blocage s’explique par l’antinomie déjà évoquée de systèmes de production différents ainsi que par les obstructions d’agriculteurs inquiets de perdre leur mono- pole, notamment pour les cultures commerciales.

Les nouvelles relations fondées sur l’exploitation directe de la force de travail et la dissolution des liens des Pygmées avec leur univers forestier tendent donc à élargir la domination des sociétés sédentaires qui s’opère dans trois domaines majeurs : les techniques, les échanges et désormais la production. Ces évolutions intervien- nent indépendamment d’une emprise directe de l’État car les sociétés sédentaires servent en quelque sorte de relais ou pour le moins d’intermédiaires aux politiques étatiques qui n’ont pas les commu- nautés nomades pour cible mais dont ces dernières subissent les effets par contrecoup.

Le postulat : sédentarisation = libération

Les processus de furation amorcés dans le cadre même des rap- ports chasseurs-collecteurs nomades/agriculteurs sédentaires corres- pondent parfaitement aux objectifs des États dont les autorités (et les citoyens) combinent encore souvent les ancestrales représenta- tions idéologiques dévalorisant les Pygmées avec le principe étati- que de l’étroit contrôle sur les individus. L’État s’accomode mal du nomadisme et des nomades.

Le mobile avancé est que la sédentarisation, symbolisée par l’abandon de la hutte pour la case en pisé, permettra aux Pygmées d’une part de sortir d’une condition primitive, quelque peu désho- norante pour un État moderne, et d’autre part de se libérer du joug de leurs voisins, dépendance inacceptable pour des États qui se veulent démocratiques. Mais le poids de l’idéologie et des habi- tudes mentales profondément ancrées, reste important.. . Le dernier

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recensement général de la population en République populaire du Congo (1984) (6) ne classe-t-il pas les Congolais en deux catégo- ries, à savoir : << non pygmée )) / (( pygmée )) affirmant ainsi la mar- ginalité d’une communauté constituant en même temps un référent identitaire pour le reste de la communauté nationale ! Dans l’évo- cation publique des Pygmées, la distanciation est perceptible sous des formes multiples. Ainsi, (( à plusieurs reprises, le maréchal Mobutu a donné l’exemple en approchant personnellement les Pygmées ... )) (7). Cette marginalité de populations passablement matu- res et nécessitant donc le tutorat n’est-elle pas également illustrée dans l’épitaphe même du faire-part de décès d’un père missionnaire ayant effectivement consacré une grande partie de sa vie à lutter pour les (( déshérités )) : (( le Père des Pygmées ... quarante-huit ans de sacerdoce dont quarante-deux à côté des lépreux et des Pygmées )) (8).

Dans les années 1930-1 940 déjà, l’administration coloniale fran- çaise avait initie dans le Moyen-Congo une i( politique d’apprivoi- sement )) à l’égard des Pygmées perçus comme (( fmstres )) et (( vaga- bonds )) mais aussi (< naïfs )) et {( doux )), à l’image du bon sauvage. Cette entreprise, qui prenait place dans (( l’ceuvre civilisatrice )) que s’octroyaient les colonisateurs mais qui répondaient aussi à la logi- que étatique et au souci de faire participer l’ensemble des popula- tions à la (( mise en valeur )) des territoires, passait par la (( stabili- sation )), la fixation des communautés nomades. Elle se solda par des résultats limités et contraires aux objectifs affichés en favori- sant l’emprise des agriculteurs sédentaires.

Actuellement, il existe plus des actions- symboliques et ponc- tuelles, dénotant néanmoins la finalité des Etats, que de véritables politiques en direction des Pygmées. I1 en est ainsi semble-t-il au Zaïre avec l’insertion des Pygmées dans les appareils d’État (For- ces armées) ou dans les activités politiques (19 au total ont parti- cipé en mai 1984 au Deuxième congrès extraordinaire du MPR). En RCA, (( la campagne d’intégration des Pygmées )) a principale- ment donné lieu en 1988 à l’émission de deux timbres postes por- tant ce mot d’ordre et représentant l’équipe de football des Pygmées de Nola.

A côté d’actions visant la fixation (production agricole, scolari- sation, soins de santé), souvent conduites par des missions religieuses ou des ONG, la sédentarisation croissante est souvent une consé- quence secondaire des politiques d’expansion de l’agriculture com- merciale et d’industrialisation retenues pour les zones forestières et péri-forestières. En RCA et au Congo, les Pygmées commencent

(6) Recensement général de la population et de l‘habitat de l?84, Brazzaville, ministère du Plan et de l’Economie, RP Congo, juin 31.01.85. 1987.

(7) Un courant irréversible pour l’intégra- tion sociale des Pygmées, dépêche AZAP,

(8) Le Monde, 14 septembre 1988.

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H. GUILLAUME

à s’employer dans les huileries et les exploitations forestières où ils occupent des postes non qualifiés et constituent une main-d’œuvre au taux d’absentéisme élevé, trait lié (comme pour le passage à l’agri- culture) aux antagonismes entre le travail salarié et leur ancien système de production. Cette voie leur permet de sortir des cir- cuits économiques contrôlés par les agriculteurs mais au prix d’une rupture radicale de leur mode de vie et de leurs valeurs tradition- nelles. Un peu partout les processus de fixation amènent les Pygmées à bénéficier de possibilités nouvelles et à satisfaire de nou- veaux besoins (accès aux marchés et aux boutiques de commerçants, fréquentation des dispensaires, scolarisation, . . .) mais dans des con- ditions de déracinement et de transplantation brutale. Plus qu’un atout permettant de s’adapter à ces mutations, leur flexibilité struc- turelle, assortie d’un dispositif technique limité et d’une faible dif- férenciation sociale, est peut-être en train de constituer pour les Pygmées un handicap d?ns ce contexte de confrontation directe à des sociétés et des Etats aux logiques et fonctionnements antagoniques.

Dans les meilleurs des cas, la sédentarisation favorise une cer- taine autonomie retrouvée sur le plan économique avec pour con- trepartie l’acculturation et l’uniformisation culturelle en guise d’inté- gration. Dans les pires des situations - elles sont nombreuses - la sédentarisation aggrave la dépendance, transformant les Pygmées en journaliers agricoles ou en manœuvres forestiers intermittents, sous-prolétariat intégrant les communautés nationales par le niveau le plus bas, nouvelle forme de marginalité. Plusieurs exemples démontrent que c’est dans le cadre du maintien d’activités fores- tières combinées à une petite agriculture vivrière que les commu- nautés s’engagent sur la voie d’une libération des rapports de domi- nation et d’une maîtrise économique, tout en préservant leur iden- tité et leur équilibre social.

Mais y a-t-il encore place pour les Pygmées en forêt ? Eux- mêmes ne constituent aucun enjeu véritable ; en revanche ils sont victimes des immenses intérêts représentés par leur environnement naturel. Or les forêts sont l’objet d’un abattage et d’une exploita- tion grandissants et jusqu’à présent systématiques et intempestifs dans la plupart des cas. Certaines sont encore peu exploitées et cons- tituent un riche potentiel économique. Ainsi, celles du nord-Congo dont 8,5 millions d’hectares sont exploitables et qui deviennent une priorité dans le contexte actuel de récession de l’économie pétro- lière (9). Les plans d’aménagement et d’exploitation voient à ce pro- pos de manière révélatrice la participation du Brésil, coopération Sud-Sud s’appuyant sur les liens historiques des deux continents,

(9) La forêt coiplaise, Brazzaville, minis- tère des Eaux et Forêts, 1981. (( Le Congo

à l’épreuve de la crise i), Marchés Tropicaux, pp. 769-773, 24.03.1989.

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PYGMÉES

la similitude de problèmes de développement dans des milieux éco- logiques comparables et le savoir-faire technique maîtrisé à grande échelle notamment en Amazonie ... Du côté centrafricain, le même bloc forestier est progressivement mis en coupe et d’importants tra- vaux d’infrastructure sont en projet comme la (( route du 4‘ paral- lèle )) qui rejoindra Bangui à Kribi sur la côte camerounaise. Or, de surcroît l’on connaît partout la force attractive de l’ouverture d’axes routiers sur les nomades qui tendent à se concentrer et à se fixer à leurs abords.

Devant de tels enjeux et de telles stratégies de développement pour les zones forestières, toute issue alternative pour les Pygmées - autre que la aédentarisation totale - paraît illusoire. Perceptions et finalités des Etats à l’égard de ces sociétés nomades, conception du développement et intérêts économiques actuels se rejoignent. Pygmées et forêts paraissent donc voués, dans un destin commun, à subir inexorablement Q socialisation )) et c domestication )).

\ Henri Guillaume

ORSTOM

Un Document capital pour l’histoire

de l‘Afrique de l’Ouest

Al-Hajj Umar Tal, connu dans la lit- térature sous le nom d’El Hadj Omar, est une des figures dominantes de I’his- toire ouest-africaine au X I X ~ si8cle. De 1852 B 1862, il se tailla un immense empire au Soudan occidental. Avec des troupes recrutées au Fouta-Djalon et surtout en Sénégambie, il lanca un jihad (guerre sainte) contre les royaumes malinké et bambara du Tamba, du Karta et de SBgou.

Éd. Karthala (16 x 24), 424 p. - 230 F

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(< Le chez soi pour nous, c'est l'eau 11

Cet entretien a été réalisé chez les Tamashek par J.-M. Yung le 30 novembre 1988, et traduit U au pied de la dune n. Il nous a impressionné.

Le choix des extraits et leur édition ont également été réalisés par J.-M. Yung : ils illustraient plus particulièrement les conclu- sions des enquêtes réalisées au Mali dans le cadre dyune mission dyévaluation de 1,hydraulique pastorale. Les objectifs de cette mis- sion étaíent dyapprécier les besoins en eau et les possibilités de la participation financière des populations puis d'apporter les garanties foncières et institutionnelles à de tels investissements.

Les conclusions, dyune grande dignité, nous ont interpellés : M on a reçu tellement de missions, tellement de promesses, telle- ment de grands chefs que l'on commence à douter D.

Si nous avons cherché, par les solutions préconisées, à répon- dre aux besoins ainsi révélés, nous avons également voulu ne pas décevoir une telle attente et faire connaître cet appel.

* Extraits d'un entretien effectué dans le Karyassa 'supres de membres d'un clan Tamas- hek, les Kel Taddak. Document présenté par Etienne Le Roy.

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L’EAU

sc Notre préoccupation essentielle c’est l’eau ))

<( Nous croyons que la première préoccupation de l’homme c’est d’avoir un chez soi et chez soi, pour nous, c’est l’eau. Ce sont les puits. C’est à par- tir de là que l’on peut lutter pour notre reconstitution. Notre reconstitution a pour base l’eau et le cheptel. Nous ne pouvons rien pour l‘eau. Le cheptel, on peut le reconstituer avec le temps. C’est cette année, à cause de la pluvio- métrie, que nous avons commencé à croire à nouveau que nous pouvons revi- vre, renouer avec l’espoir. ))

(c Avant quand les choses étaient bien équilibrées ),

<(Avant quand les choses étaient bien équilibrées, on vivait dans une île, satisfaits de notre vie, mais le cours du temps a amené les déséquilibres ... ))

({ Avant, en hivernage au inonleiit du nomadisme, on suivait le plateau du Gurma vers Hombori. On avait des chevaux, des chameaux porteurs, des troupeaux. On se rendait aux cures salies de Insagaran, de Dimamou. En septembre, on se rendait dans les 20nes des lacs Niangaye, Sere Yamou. Puis en février, mars, on descendait dans les bourgouttières de Sindingue, de Mopti et de là on quittait en juin, juillet et on repartait à Honibori. )>

(( Maintenant on ne bouge pas d‘ici. Nous y sommes toute l’année ... ))

(c Quand la catastrophe est venue 2 nous ))

(c Voici la genèse de notre situation. ))

* La sécheresse

<( Quand la catastrophe est venue à nous, la population a éclaté. On est parti en exode vers le sud de Rharous ci ici, nous sommes partis vers le sud. On est allé trouver des peuples chez eux et on a perturbé leurs façons de vivre. Nous avons exploité leurs puits, leurs pâturages, leurs terroirs. Parfois, ça a frisé la bagarre ... Notre bétail est presque complètement mort vers le sud et lorsque l’hivernage est arrivé, nous étions au dernier stade de notre résistance. ))

(( C’est comme quelqu’un qui a un tison entre les mains : l’amour du pays, l’exode. Je vais vous avouer, nous avons perdu la tête. Certains sont partis en exode en Lybye, en Algérie, au Nigeria, en Cote-d”ivoire au sud du Mali. Mais nous sommes revenus ici par amour de notre milieu et de notre élevage. Nous sommes convaincus de pouvoir renouer avec l’élevage ; animal par ani- mal, l’espoir nous est revenu. ))

* La réduction de l’espace pastoral

i( Tout avait commencé par la dégradation de cette vallée du Fleuve, la proliftération des cultures et l’inondation qui ne venait plus. Les piturages ont diminué, de mauvaises plantes se sont développies ... Avant il y avait des espaces vides, maintenant il y a partout des peuplements nouveaux. Des

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DOCUMENT

villages sont apparus, les bourgouttières sont devenues des rizières. Dans le Séno, les gens de la montagne sont descendus et ont pris possession des terres. Alors, on a choisi cet endroit pour l’occuper et ne plus le quitter. ))

(( Nous sommes un peuple en réhabilitation ))

* Vulnérabilité

(( L’inventaire de nos dgficultés serait trop long car nous sonimes un peu- ple en réhabilitation. Mais il y en a une qui tranche : elle s’appelle l’eau - un puits. D

* Maladie

(( Les gens ont atteint un degré de baisse du revenu tel qu’ils sont exposés à tout. Ils ne disposent plus de bêtes pour tirer l’eau, de bêtes pour aller cher- cher des céréales, de revenus pour se vêtir. Ça se nianifeste au niveau des maladies avec le froid. >)

* Défaut d’héritage

(( L’ashiuf (dotation en pré-héritage) a niaintenant disparu. Il est rare. Ça a disparu en 1985. Ça avait déjà diminué en 1972. B

* Difficultés pour se marier

(( La pratique de la taggalt - la dot - est restée mais le fond est parti. Avant on donnait 20 génisses, maintenant 2 ou 3. Il est fréquent que les jeu- nes ne puissent plus se marier car on ne peut plus honorer les engagements. ))

* La résistance - U Nous remercions I’ODEM )) (1)

(( Nous nous sommes refusés à l’éclatement mais nous soinmes à la croisée des chemins. Ceux qui sont partis à l’intérieur du Mali, on les a récupérés. Ceux qui était en niauvaise situation à l’extérieur du Mali sont revenus... >)

(( La communauté du disponible qui reste ici, c’est ce qui nous fait vivre. Par exemple moi j’ai 3 vaches laitières. Je partage le lait avec les familles déniunies. Si je vends un animal, j’achète du grain, je le partage avec des familles démunies sans le vendre ou soumettre les autres à une quelconque récompense. Tout le monde utilise mon chameau de transport. B

(1) Office pour le développement de l’éle- vage dans la région de Mopti, dont le siège est à Sévaré.

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L’EAU

Le projet

* Stabilisation

<( Les cycles de nomadisation auxquels nous étions habitués sont rompus, maintenant iious sommes quasiment stables ici.

* Organisation de l’espace

(( Nous avons partagé notre territoire : l’est est réservé pour la saison chaude, les mois de mars/avril, mai/jziin. L’ouest est pâtziré de novembre à mars. L’hivernage, tout est en pâture, mais en s’éloignant le plus possible jusqu’à 40 kilomètres sauf les laitières qui restent...

i( Nous allons commencer à cultiver car ça aide à conserver le cheptel. ))

* Hospitalité et ouverture de l’espace

N D’autres éleveurs viennent ici, des Tamashek, des Peuls, des Maures. Ce sont les animaux qui ont quitté le delta. Tant qu’il n’y a pas d’eau dans les mares, ils pivotent autour des puits ici. Nous sommes obligés de les accep- ter pour les pâturages et Peau. Ils viennent demander si on les accepte. Cha- cun est accepté s’il n’apporte pas de désordre. II y a un ordre. Chacun doit accepter la place qu’on lui donne, ne pas couper la forzt, respecter l’aire de transhumance, là il est accepté. N

i( Avec nos voisitis en niai/juin on va chez eux car la nappe ici est tarie. Les animaux titubent, n’arrivent plus à aller aux pâturages. Les animaux se couchent, ne peuvent plus se relever. Eux viennent chez nous en juin/jziillet car ils manquent de pâturages. Ce sont nos voisins. Avant de forer le puits on menait la même vie qu’eux. Ils nous ont toujours acceptés au bord du lac. ))

* Hospitalité et impératifs financiers

(( On ne demande rien pour payer l’eau. C’est défendu de vendre l’eau. Ce n’est pas conforme au Coran. On n’a pas le droit de vendre l’eau. On fai t payer pour chaque vache. L à on le fai t car c’est pour pouvoir obtenir un puits. N

* Besoin d’une aide

i( Nous avons rompu avec le noniadisme et décidé de nous implanter défi- nitivement ici. Il fau t que les conditions d‘occupation du territoire soient rem- plies, qu’il y ait des points d’eau. ))

(( Les paysans qui cultivent obtiennent quelque chose de leurs efforts. Pour nous élevezirs qui n’avons presque plus de cheptel, nous savons que la restau- ration est possible et qu’elle sera plus rapide s i nous somines assistés dans cette restauration ... ))

u L a tête de stabilité c’est Peau. Nous et vous réunis et les bonnes volon- tés, nous croyons qu’en résolvant le problème de l’eau, nous parviendrons à restaurer le cheptel. ))

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(( On a fondé tellement d’espoirs. Mais on doute, on a reçu tellement de missions, tellement de promesses, tellenient de grands chefs que l’on co?nzlnence à douter. ))

Les gens croient qu”n a des moyens que l’on ne veut pas mettre à con- tribution. Nous sonimes disposés à laisser dénombrer notre cheptel, ce que nous avons, animal par animal par PODEM et à eux de dire ce que nous som- mes capables de donner comme contribution pour l’eau. ))

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Black African literature in English,

By Bernth Lindfors 1982-1986

This is a continuation of Lindfors’s two earlier bibliographies and lists all the important works produced on anglophone black African literature between 1982 and 1986. It contains almost 6,000 entries and is extensively indexed.

472pp. April 1989 f48.00/$85.00 casebound /SEN 0-905450-61-5

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Ethnic Conflict and Human Rights in Sri Lanka: An Annotated Bibliography By Kumar Rupesinghe & Berth Verstappen A fully annotated bibliography of over 5,000 entries, capturing and recording documents emanating from the violent conflict in Sri Lanka.

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Cuide to Non-Federal Archives and Manuscripts in the United States Relating to Africa By Aloha P. South Published for the National Archives, Washington DC. this wo-volume guide describes textual and non-textual materials relating to the African continent and offshore islands, located in publicand private manuscript and archival depositories in the United States.

ca. 1300pp. 2 vols. May 1989 ca. fl40.00/$250.00 casebound (set 2 vols.) /SEN 0-905450-55-0

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L’aménagement urbain à l’épreuve du quotidien

Retour sur deux opérations-pilotes du PNUD au Burkina Faso

OMME beaucoup de pays africains, et peut-être même plus que d’autres, le Burkina voit survenir sur son terrain une c multitude de projets en provenance de l’aide extérieure, pro-

jets variés aux effets divers qu’il n’est en fait pas très aisé d’appré- cier, surtout sur le long terme, vu le manque de temps ou le man- que de recul accompagnant le plus souvent ce genre d’intervention. Sitôt achevé, sitôt évalué : combien d’e opérations-pilotes )) ou de (( projets expérimentaux )) n’ont-ils pas été pressés de sceller de la sorte leur indubitable rationalité, par crainte de la voir peut-être se dissiper ?

Depuis quelques années, on a certes commencé à réfléchir, y compris au niveau des institutions officielles, sur les limites de ce système d’aide par projet (1). Raréfiant les subsides, la crise et plus encore les réorientations de la Banque mondiale prônant un type d’intervention moins centralisé et public et plus privé et diversi- fié, ont abouti peu à peu à mettre en lumière les blocages inhé- rents à ce type d’opération : logiques trop bureaucratiques plaquées de l’extérieur sur des réalités qui leur échappent ; souci trop grand du bouclage à court terme et de la rentabilité immédiate de l’opé- ration par rapport à sa viabilité à plus long terme ; apports mas- sifs de moyens extérieurs (argent, équipements) décourageant sou- vent le suivi et la prise en charge des interventions par les bénéfi- ciaires laissés seuls face à des montages pensés en un autre con- texte et sur un autre registre, etc. (2).

Peu à peu, s’est ainsi accréditée l’idée, bien relayée par ailleurs par les ONG, qu’il convient de développer des projets moins glo-

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AMÉNAGEMENT URBAIN

baux et moins formellement ambitieux, mais plus concrets et plus proches des réalités, permettant donc une meilleure implication des acteurs directement concernés : n’est-ce pas cette participation qui constitue en fait le meilleur garant de l’utilité des projets et, par conséquent, le meilleur gage de leur pérennité ?

Particulièrement sensible en Afrique en ce qui concerne notam- ment l’aide agricole et rurale (où les échecs étaient, il est vrai, peut- être encore plus flagrants que dans d’autres domaines, ne serait-ce ‘que du fait de la très forte polarisation des projets sur ces secteurs), cette évolution touche maintenant les autres champs d’intervention, et notamment l’urbain. Des grandes villes qui, compte tenu de l’ampleur des développements qu’elles connaissaient, polarisaient pen- dant un temps l’essentiel des projets, on est progressivement passé à des i( établissements humains )) (comme dit le langage (í onusien n) de taille plus restreinte voire franchement petits, peut-être avec le secret espoir, en réduisant la taille des champs d’intervention, de mieux se rapprocher des groupes sociaux qu’il importerait mainte- nant d’impliquer plus directement. La <( participation )) devint ainsi le maître-mot de tout nouveau projet (et, il faudrait ajouter, le sésame de nombre de financements ...) et l’axe majeur de toute une série d’opérations-pilotes chargées de concrétiser ces nouvelles perspectives.

C’est entre autres dans ce cadre que, dès le début des années quatre-vingts, fut développé par le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) via la CNUEH (Centre des Nations unies pour les établissements humains) dans ce qui s’appelait encore la Haute-Volta, une série d’interventions-pilotes sur trois centres secondaires, afin ‘d’expérimenter de nouvelles méthodes d’aména- gement. Le but poursuivi consistait à opérer une certaine amélio- ration de l’habitat par une utilisation plus efficace des ressources locales et une participation effective des populations, tout en met- tant au point de nouveaux instruments de gestion permettant de doter les instances politiques d’une certaine autonomie de moyens dans la poursuite de leur politique d’aménagement. Outre la réali- sation d’un certain nombre d’équipements, un des axes majeur de chacune de ces opérations consistait, entre autres, à intervenir sur d’importantes zones d’habitat spontané imbriquées dans le tissu urbain afin d’aboutir à un espace loti restructuré. A Fada N’Gourma et Gaoua, les deux villes qui retiendront notre attention, ces opé- rations ont été pour l’essentiel réalisées en 1981 et 1982 (les par-

(1) Cf. en particulier B. Lecomte, L’aide (2) Sur ces points, cf. B. Lecomte, ibid., par projet: limites et alternatives, Paris, ch. 5, (( Les cinq dilemmes de la coopéra- OCDE, 1986 et A. Lalau-Keraty et G. Prady, tion : ProjetslProblèmes, Ressources Les petits projets et I’évahtation, une question d’aidelRessources propres, RentabilitéNiabi- d’angle de vue, Paris, AMIRA, 1987, bro- lité, Modèle occidentallStyle propre de déve- chure no 53. loppement, ImmixionlSouveraineté i) .

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B. GANNE E T E.K. ILBOUDO

celles ayant été distribuées respectivement en août 1981 et juin 1982) ; un premier rapport d’évaluation a par ailleurs été réalisé dès 1983.

Passées les premières évolutions, quel bilan tirer en fait de ces opérations ? Au niveau de leur contenu même tout d’abord, ainsi qu’à celui de leurs objectifs ? Et qu’en est-il en particulier du modèle participatif développé ? Quel enjeu avaient représenté ces opérations ? Avec quel impact sur l’habitat, le foncier et l’urbain et quel effet d’entraînement sur les pratiques locales ? Telles sont quelques-unes des questions que l’on peut se poser (3).

Le projet

Lancé dès ‘1978, le projet PNUD (4) visant les trois centres secondaires de Fada N’Gourma, Gaoua et Lé0 entendait dévelop- per un programme d’amélioration de l’habitat en cinq points : res- tructuration d’un quartier populaire d’habitat spontané ; construc- tion d’un certain nombre d’équipements ; établissement de schémas stratégiques d’aménagement ; assistance à la promotion d’organisa- tions populaires de développement communautaire ; promotion et utilisation de méthodes de construction et de matériaux locaux.

On a peu de données concernant le choix même des villes ; les principales raisons techniques avancées concernent l’éloignement de ces centres de la capitale, éloignement doublé d’un relatif isolement vu l’état à l’époque des voies de communication (la route Ouagadougou-Fada, par exemple, ne sera bitumée qu’après). I1 paraissait donc intéressant de tenter de (( revitaliser )) quelque peu ces centres qui, par rapport à d’autres localités parfois même infé- rieures en taille, semblaient particulièrement démunis au niveau notamment de leurs activités.

Avec un peu plus de 13 O00 habitants en 1975, la ville de Fada N’Gourma (9, située à l’est du pays, présentait cette particularité de ne posséder ni structure commerciale très développée, ni activi- tés artisanales très affirmées. L’essentiel du commerce de bétail se passant à l’extérieur de la ville, Fada se cantonnait essentiellement à assurer son rôle de centre administratif et de services, en parti- culier dans les domaines de la santé et de la formation.

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(3) Recherche effectuée en 1986 et 1987 par le Glysi en collaboration avec le CNRST (IRSSH) et l’Université de Ouagadougou dans le cadre du programme M Coopération et développement >) du ministère des Rela- tions extérieures : cf. B. Ganne, E. Ilboudo, J:-B. Ouedraogo, A. Ouattara, G. Compaore, Evolution récente des villes moyennes du Bur- kina Faso : investissements publics et politiques

de &eloppeinent à Koudougou, Banfora, Oua- higouya, Kaya, Fada N’Gounna, Gaoua, rap- port Glysi, mars 1988, 336 p.

(4) No UPV-78-102. (5) Nous reprenons ici les données con-

nues au moment de la mise en œuvre du lotissement. En 1985, la population de Fada se montait à 20 414 habitanrs; soit un taux annuel d’holution de 4,6 70 par an.

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B. GANNE ET E.K. ILBOUDO

Complètement enclavée au sud-ouest du pays, à plus de 400 km de la capitale et ne comptant en 1975 qu’un peu plus de 8 O00 habitants (6), Gaoua, pour sa part, semblait marquée par une double structure de regroupement : constituée d’un c&é par un ras- semblement de type villageois (dans une région où le système d’orga- nisation socialle marqué par une occupation très extensive de l’espace, ne fait pas du village, contrairement en particulier au nord du Bur- kina, l’unité de base organique de la vie sociale) et doublée d’une série d’équipements administratifs, elle ne possédait qu’une struc- turation urbaine élémentaire et très peu d’activités ; les quelques commerces et activités artisanales observées sur place étaient d’ail- leurs essentiellement le fait d’cc étrangers )) à la région.

Le projet i( Habitat )) entendait articuler ses interventions au tra- vers d’une série d’équipements : outre donc la mise en place dans chaque ville d’un lotissement doté de ses assainissements, il pré- voyait à Fada la construction d’une école de 6 classes et de ses annexes, et la réalisation à Gaoua d’un centre de SMI (Santé mater- nelle et infantile) ainsi qu’un réaménagement du marché. Une enve- loppe d’une cinquantaine de millions de f CFA était prévue dans chaque ville pour couvrir ces’ opérations, l’estimation finale du coût du projet s’élevant finalement à Fada à 63 millions de f CFA (dont 43 millions environ pour le lotissement et l’assainissement et 20 millions pour l’école et ses annexes) et à 51 millions à Gaoua (dont 21 millions pour le lotissement-assainissement, 2 1 également pour la rénovation du marché et 9 millions environ pour le centre SMI)(7).

En dépit des problèmes posés, en particulier au niveau du réa- ménagement du marché de Gaoua dont les boxes restent vides faute d’avoir respecté, semble-t-il, le système d’organisation socio-spatial à base de proximité-concurrence des boutiquiers, nous ne repren- drons pas ici le bilan de l’impact de ces autres équipements, pour mieux nous focaliser sur la mise en place des lotissements. Com- ment se présente aujourd’hui chacun des lotissements à l’intérieur de l’espace urbain ? Quel a été l’impact du système de’participa- tion mis en ceuvre? Qu’en est-il des outils expérimentés pour per- mettre une certaine autonomie d’intervention des échelons locaux dans l’aménagement ? En quoi la succession récente de changements politiques a-t-elle interféré sur le déroulement de l’opération et la mise en place des lotissements ?

(6) La population de 1985 était de I’amélioratioii des établissemetits lriiiiiains dans les cetitres zrrbaitis secondaires du Burkiiia Faso )>, monographie de projet réalisée pour l’Année internationale du logement des sans- abri, CNUEH, mai 1986.

9 441 habitants, soit une augmentation en données rectifiées (cf. notre étude, pp. 8 ss.) de 1,4 ‘70 par an.

(7) Source : ((Fonds de roulenient pour

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B. GANNE ET E.K. ILBOUDO

L’état des lieux cinq ans après

Différents de par la taille et de par la situation urbaine qu’ils occupent, les deux lotissements de Fada ”Dori à Fada N’Gourma (798 parcelles) et du quartier <( Chefferie )) à Gaoua (375 parcelles) présentent, cinq ans après la date de remise des parcelles (août 1981 à Fada et juin 1982 à daoua), une physionomie voisine quant à la structure d’ensemble d’occupation des parcelles : lors de nos enquêtes, effectuées précisément fin 1986 à Fada et début 1987 à Gaoua, le taux de mise en valeur, calculé à partir de la proportion de parcelles effectivement construites, se situait seulement dans les deux cas un peu au-dessus de la moitié (415 parcelles construites pour Fada sur 798, soit une proportion de 52 Yo ; 206 sur 375 à Gaoua, soit environ 55 Yo).

Si l’on se souvient de plus que, compte tenu des constructions existant antérieurement (puisque l’opération s’applique à des quar- tiers à rénover et qu’un des objectifs affichés du projet consiste aussi à tenter une opération tenant compte le plus possible de l’exis- tant), environ 15 Yo des parcelles à Fada et plus de 20 Yo à Gaoua avaient pu conserver leur ancien bâti lors de la redistribution offi- cielle des lots, on constate que, dans les deux cas, ce sont seule- ment 35 Yo environ de toutes les parcelles - et moins de la moitié des parcelles vides effectivement distribuées - qui ont reçu en fait de nouvelles constructions depuis le début du lotissement. Les deux projets n’apparaissent pas ainsi au cœur de mouvements urbains d’envergure et restent marqués, cinq ans après, par un taux d’occu- pation finalement faible.

Par ailleurs, pratiquement 80 Yo de ces constructions nouvelles ont été effectuées au cours des deux ou trois premières années sui- vant le lancement de l’opération et 20 Yo seulement au cours de la période équivalente suivante (8). Passée si l’on peut dire la phase de mise en service, le rythme de construction et d’occupation sem- ble donc s’être presque comme effondré ; il conviendra de dire un mot sur les causes de ce phénomène qui ne sont effectivement pas uniquement locales.

Quoi qu’il en soit, ces similitudes d’ensemble ne doivent pas cacher les différences importantes marquant chacune des deux opérations.

(8) Un pointage effectué en novembre 43 Yo de parcelles construites à Fada et 48 Yo 1984, soit pratiquement à mi-période entre à Gaoua, soit 28 Yo de nouvelles parcelles le début de l’opération et nos propres enquê- construites sur les 35 Yo observées tes, dénombrait une proportion totale de aujourd’hui.

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AMÉNAGEMENT URBAIN

La rhovation du quartier U Chefferie ~b à Gaoua

Jouxtant pratiquement le centre-ville de Gaoua, le quartier B Chefferie )), - c’est son nom et tout un symbole - a certes été choisi, comme il a été dit, pour répondre aux importants problè- mes de ruissellement et, partant, d’assainissement qui marquaient cette zone, située entre deux collines, peut-être plus fortement que d’autres parties de la ville. Dans une région connue de plus pour son indépendance et sa grande méfiance face aux interventions des pouvoirs centraux, quels qu’ils soient, l’évidence de ces contrain- tes avait l’intérêt de permettre d’intervenir sur le quartier le plus ancien de la ville, peuplé essentiellement de vieilles familles autoch- tones sans l’aval desquelles il aurait peut-être été difficile d’inter- venir ailleurs ... Le choix du quartier en quelque sorte B historique )) de la ville comme support de l’intervention-pilote à mener ne devait pas, à notre sens, s’avérer sans implication : dans le contexte de faible dynamisme d’ensemble de la ville, n’est-ce pas là en effet que réside une partie des causes des blocages enregistrés ? Simple- ment parce que l’on intervenait en fait sur une zone en partie (( réservée D... Une série d’indices semble en tout cas converger en ce sens.

Que l’on considère en effet les systèmes d’occupation aussi bien que les types d’occupants ou les diverses stratégies de mise en valeur (ou de non-mise en valeur...), tous ces différents traits semblent bien renvoyer au même type de caractère finalement très contrôlé de cette zone.

On constate en tout cas que, hormis la réorganisation de l’exis- tant et l’aménagement de quelques équipements, la restructuration du quartier N Chefferie )Y n’a pas entraîné localement de mouvements très importants ni contribué à impulser de dynamiques particuliè- res au niveau de l’habitat et du logement. Le quartier semble en effet plutôt marqué par une absence d’enjeux ; ou peut-être l’enjeu est-il précisément de préserver le statu-quo d’occupation. ..

On remarquera tout d’abord que c’est essentiellement dans les ilôts situés en périphérie du lotissement, de l’autre côté d’une route séparant traditionnellement cette zone du quartier (+ Chefferie B pro- prement dit, que les constructions nouvelles, ainsi d’ailleurs que les quelques locations (on n’en compte qu’une vingtaine sur toute l’opération) se sont concentrées. La zone centrale quant à elle reste l’apanage des grandes familles résidant là antérieurement. Peu de nouvelles constructions i( étrangères )) semblent en tout cas s’être risquées là ... même si l’on remarque par ailleurs dans cette zone la part importante de parcelles non mises en valeur.

I1 est à cet égard intéressant de noter que ces parcelles sont effectivement non occupées par le fait soit d’attributaires autochto-

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B. GANNE ET E.K. ILBOUDO

nes habitant sur les parcelles directement contiguës ou situées à proximité dans le quartier, soit carrément d'ce inconnus D ou d'ce étrangers D. Sur les 169 parcelles non construites que comptait en effet l’opération lors de nos enquêtes début 1987, 52 étaient directement le fait d’habitants du quartier (dont 30 résidant sur les parcelles contiguës), 5 1 relevaient d’attributaires (( extérieurs )) rési- dant en Côte-d’Ivoire ou dans d’autres régions du Burkina, et 49 d’attributaires déclarés (( inconnus ))., tant au niveau des sources orales que des documents écrits. Tout semble se passer un peu dans ce cas comme si l’ancien quartier, une fois pris ses propres garanties d’occupation, n’avait finalement toléré à l’intérieur de lui-même que des attributaires plutôt lointains.. .

Ce sont bien en effet la pression et les stratégies familiales qui semblent avoir prévalu là, pour garantir en quelque sorte le fon- cier. Les entretiens réalisés montreront clairement comment, pour obtenir le maximum de lots, tous les membres d’une grande famille, y compris parfois les invalides ou ceux n’ayant pas les moyens de mettre en valeur leur parcelle, s’étaient entendus pour déposer cha- cun une demande. Certains groupes familiaux se retrouvent ainsi avec cinq ou six parcelles sans avoir d’ailleurs pour autant modifié l’organisation des concessions pour tenir compte de la trame imposée par le lotissement (des cheminements prévus continuent ainsi par exemple de se heurter ... à des habitations). Et, au contraire de ce que l’on observera par exemple dans certaines zones de Fada, il ne s’agit pas là d’accumuler pour revendre. La stratégie de ces attri- butaires semble plus simplement de garantir le regroupement de la famille dans le quartier et d’éviter son éparpillement. Et, a con- trario, peu d’attributaires de cette zone possèdent d’autres parcel- les dans d’autres quartiers de la ville même de Gaoua.

Prépondérance donc des grandes familles défendant en quelque sorte leur espace à l’intérieur d’un contexte local ne semblantf-pas vouloir remettre en question cette situation. La faible dynamique d’ensemble du projet semble en tout cas bien trouver une bonne part de son explication dans le choix du quartier et le mode d’attri- bution des parcelles. Le faible niveau de mise en valeur des par- celles renvoie moins ici à quelque manque d’initiatives ou de moyens qu’à une stratégie tout à fait active de préservation ... Pour n’être pas comme dans d’autres centres un enjeu actif direct de spécula- tion (au contraire de Fada par exemple, on est frappé à Gaoua par le faible nombre de transactions ayant eu lieu sur les parcelles depuis le lancement de l’opération), l’espace n’en constitue pas moins dans le cas du quartier (( Chefferie )) un enjeu social important. Ça n’est pas par manque d’enjeu que l’opération (( Chefferie )) semble avoir très tôt marqué le pas à Gaoua (d’autres nouveaux lotissements n’ont-ils d’ailleurs pas été réalisés sur la ville pratiquement juste après ?). La réforme agro-foncière de 1984-1985 paraît en tout cas

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AMÉNA GEMEN T UR BAIN

avoir peu contribué là à freiner une opération déjà aussi fortement régulée. Qu’en est-il de la situation observée à Fada?

Le lotissement de Fada ”Dori

D’une taille pratiquement double de celui de Gaoua, le lotisse- ment de Fada ”Dori connaît, ainsi qu’on l’a noté, un taux de mise en valeur global des parcelles de 52 90, taux encore inférieur à celui de Gaoua. Compte tenu de l’écart existant entre parcelles construites et parcelles habitées, c’est vraisemblablement moins d’une parcelle sur deux du lotissement qui, en 1987, se trouvait réellement habi- tée, le ralentissement des constructions nouvelles ayant par ailleurs été là aussi considérable (200 parcelles construites entre 1981 et 1984, contre 74 seulement au cours des deux années suivantes, soit une moyenne annuelle tombant d’environ 70 mises en valeur par an à 37 ...). I1 est vrai que la situation de départ était relativement différente.

I1 ne s’agissait pas en effet comme dans le cas de Gaoua d’un vieux quartier central, mais plutôt d’une zone périphérique occu- pée de façon seulement très extensive. Situé en bordure du bar- rage, mais de l’autre côté de la ville, ce secteur constituait de plus comme une sorte de pôle d’attraction pour une série de quartiers spontanés en train de se développer dans toute cette autre partie de la ville. C’était donc en fait l’occasion de canaliser ainsi l’exten- sion urbaine, les 800 parcelles de l’opération représentant à elles seules près de 60 90 d’augmentation de tout le secteur loti urbain existant.

Vu donc la fonction d’accueil assignée à l’opération et l’impor- tance du nombre de nouvelles parcelles créées - lequel dépassait cette fois largement les besoins en espace des seules familles déjà installées sur le site -, il fut décidé d’adopter un double type de procédure dans l’attribution des lots. On distingue ainsi d’une part les résidents ou anciens propriétaires des terrains à qui devait être automatiquement attribuée une parcelle (ou même deux si leur famille dépassait dix personnes), au prix unitaire de 25 O00 f CFA (mais seulement 20 O00 si la famille avait participé aux travaux col- lectifs) ; d’autre part, les autres candidats habitant à Fada dans le non-loti, qui, inscrits sur une liste, seraient finalement tirés au sort (la redevance étant alors de 75 O00 f CFA).

Ce double système d’attribution n’est pas sans importance pour comprendre la suite des événements. En effet, si la stratégie d’occu- pation de certains résidents - et en particulier des familles réelle- ment installées sur le site - peut reprendre certains des traits enre- gistrés précédemment à Gaoua, celle des nouveaux attributaires

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B. GANNE ET E:K. ILBOUDO

venus de l’extérieur pourra s’avérer tout autre. Une des grandes différences entre les deux opérations sera l’importance - en dépit même des interdictions formelles - des cessions et reventes inter- venues depuis la distribution des parcelles, à des prix pouvant attein- dre de 6 à 10 fois la redevance perçue (laquelle restait dans bien des cas toujours impayée). L’opération de Fada se situe ainsi dans un contexte autrement spéculatif que celle de Gaoua ; les raisons de la non-mise en valeur des parcelles devront également être autres. Disons un mot des diverses stratégies qui semblent s’entrecroiser.

Nous ne parlerons que peu des anciennes familles résidentes qui, comme à Gaoua, et compte tenu du fait que le plan d’organi- sation entendait respecter le plus possible l’existant, ont pu opérer sans peine un certain redéploiement, quitte à s’étendre et à se réor- ganiser. Certes, un certain nombre de familles ont pu, comme dans le quartier B Chefferie )), profiter de l’occasion pour (( arrondir 1) leur espace en faisant attribuer des parcelles aux membres de la famille démunis ou émigrés depuis longtemps ailleurs. Certes aussi, ces nou- veaux espaces ainsi gagnés sont loin d’être toujours réellement occu- pés et peuvent aboutir à voir perdurer dans certains îlots du lotis- sement nombre de parcelles vides à côté de zones toujours plus fortement densifiées. I1 n’en reste pas moins que si les familles rési- dentes peuvent ainsi contribuer à un certain (( gel )) des terrains à leur profit, elles semblent l’avoir fait ici dans une proportion plu- tôt moindre qu’a Gaoua ; d’autant que certaines n’ont pas hésité à rétrocéder quelques-unes des nouvelles parcelles acquises pour financer par exemple une partie des nouvelles constructions. Ce der- nier cas est loin d’être isolé. C’est d’ailleurs la stratégie adoptée par d’anciens propriétaires non résidents quelque peu démunis, mais attributaires de parcelles sur le lotissement au titre de leurs anciens droits, et amenés, lorsqu’ils recevaient par exemple deux parcelles du fait de leur nombreuse famille, à vendre l’une pour équiper l’autre ; quitte d’ailleurs à louer ensuite la nouvelle habitation et à continuer de résider en non-loti ...

C’est ce même type de démarche qui semble avoir animé de façon générale les attributaires de parcelles tirées au sort ; très peu de parcelles ainsi attribuées seraient en tout cas au moment de l’enquête de résidence à leur nouveau propriétaire : - soit que celui-ci, ne disposant pas de moyens suffisants, ait

été effrayé à l’idée d’acquitter une redevance trois fois plus élevée que pour les résidents et se soit immédiatement (( débarrassé )) de la parcelle en la rétrocédant de façon avantageuse avant même que d’en avoir acquitté les droits ; - soit qu’ayant réussi à y investir, il ait préféré réserver cette

nouvelle construction à la location. La tendance générale pour les attributaires non résidents con-

nus (car là aussi comme à Gaoua, mais dans une proportion cepen-

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AMÉNAGEMENT URBAIN

dant nettement inférieure, on ignore qui sont certains attributai- res, voire où sont certains autres) consiste à rester sur la parcelle qu’ils occupent à l’extérieur de la zone, en particulier en non-loti, afin de préserver les droits ainsi acquis de fait, surtout dans la pers- pective de nouvelles opérations : les projets ne sont-ils pas précisé- ment amenés à tenir compte en premier lieu des occupants des sites à aménager ? Nombre d’attributaires de parcelles de Fada N’Dori continuent ainsi d’habiter les secteurs non lotis en bordure immé- diate de l’opération, bénéficiant des quelques équipements réalisés tout en préservant leur double chance au niveau foncier. Dans un tel contexte, loin de canaliser vers le lotissement une partie de la population urbaine éparse, le système d’attributilon des parcelles sem- ble opérer un effet inverse, amenant plutôt à perpétuer le problème qu’à le résoudre.

Une troisième série de facteurs, plus conjoncturels cette fois, va également contribuer à freiner le développement du lotissement : la suspension des loyers en 1985 suivie de la mise en œuvre de nouvelles réformes concernant le foncier, le tout aggravé par ce que l’on nommé la (( conjoncture )) (ou la crise).

On a noté plus haut, en effet, l’importance des cessions et acqui- sitions de parcelles ayant de fait, et en dépit des interdictions, mar- qué le lotissement de Fada : un travail entrepris sur un échantil- lon restreint nous a montré que pratiquement 1/4 des parcelles avaient fait l’objet de transactions (dont environ’ 1/3 des parcelles tirées au sort et 1/5 de celles attribuées au titre de résidents), ce qui est loin de représenter un phénomène marginal. L’essentiel de ces transactions avait été effectué au cours des trois premiitres années du lotissement, dont certaines très rapidement, à des prix oscillant entre 100 000 f et 200 000 f CFA. 2/5 des acquéreurs se trouvaient déjà installés sur l’opération et se procuraient ainsi une parcelle indépendante de leur résidence en vue de la location; 3/5 étaient constitués d’acquéreurs complètement extérieurs à la zone, essen- tiellement fonctionnaires ou commerçants, visant également à investir en vue de la location, quitte comme on l’a vu à rester eux aussi en non-loti 2 certains se trouvent même avoir acquis de la sorte à Fada N’Dori plusieurs parcelles. Compte tenu cependant des inves- tissements à opérer, un certain nombre d’acquéreurs prévoyaient

/ de réaliser progressivement leurs investissements. Les mesures éCo- ’ nomiques adoptées en 1985 concernant la suspension des loyers puis

le contrôle et l’imposition de ceux-ci à partir de 1986 (U4 devant être directement reversé à I’État selon une procédure spéciale impli- quant que l’on se déplace chaque mois pour acquitter cette rede- vance), ceci sans même parler de l’incertitude économique et poli- tique de la période, virent quasiment aussitôt sombrer tous ces pro- jets. La mise en place de la nouvelle législation foncière et les incer- titudes créées autour des notions de U proprieté )) ou de (( conces-

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B. GANNE ET E.K. ILBOUDO

sion )) des terrains (1’État restant seul propriétaire dui sol et les usa- gers ne pouvant être que des Q concédants ))) ne semblent pas avoir contribué depuis à relancer les opérations.

Problèmes cumulés donc pour le lotissement de Fada ”Dori voyant se conjuguer les dificultés liées à la mise en place même du lotissement et au manque de contrôle des diverses stratégies fon- cières locales avec les incidences des nouvelles mesures politico- économiques dans le domaine du foncier et de l’habitat. Si le système de contrainte relativement lâche de mise en place du lotis- sement n’a pas permis d’attirer sur la zone, comme il était visé, les populations attributaires des parcelles, en alimentant plutôt toute une série de transactions, les nouvelles rigueurs de la législation semblent bien avoir contribué à dissuader ceux qui envisageaient de construire de donner suite à leurs projets d’investissement, les deux mouvements se cumulant successivement pour contribuer en quelque sorte à (( geler )) davantage l’opération.

Impact urbain limité donc de ces deux lotissements-pilotes n’ayant finalement pas réussi à se développer autant qu’il était espéré ni à fixer comme souhaité les populations des quartiers spontanés auxquelles le projet s’adressait.

Qu’en est-il des deux autres axes principaux du projet, la par- ticipation populaire et la mise en place d’un fonds de roulement devant doter les collectivités territoriales locales d’une certaine auto- nomie d’intervention dans les opérations d’aménagement ?

Participation populaire et mise en place du fónds de roulement

Ces deux points peuvent, être traités simultanément dans la mesure où le projet prévoyait que la participation des familles aux travaux des lotissements devait se traduire par un moindre coût de la redevance à verser pour obtenir le permis urbain d’habiter (9). Nous ne reprendrons ici que quelques aspects de ces montages. Disons d’un mot que la multiplication des systèmes d’incitation, ne semble pas avoir précisément contribué à emporter l’adliésion, con- tribuant même à brouiller davantage le recouvrement des contri- butions et la mise en place du fonds de roulement.

De toute façon, la B participation populaire )) proposée consis- tait moins en une association aux objectifs ou au montage même du projet qu’en une demande de contribution directe. aux travaux de terrassement, de bornage ou d’assainissement. Compte tenu de -.

(9) Une réduction de 850f CFA par journée de travail devait ainsi être comptée à Gaoua, la redevance perçue à Fada étant

pour sa part ramenée de 25 O00 à 20000f CFA pour les familles ayant participé aux travaux.

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AMÉNAGEMENT URBAIN

plus des ambiguïtés entretenues au départ, ayant pu, par exemple, . laisser croire que, pour les familles participant aux travaux, les par- celles pourraient être obtenues gratuitement, on ne saurait être étonné de la désillusion qui s’empara très vite des premiers volon- taires lorsqu’il fut clair que ce seraient d’autres règles du jeu qui prévaudraient. Face à la désaffection qui se faisait jour, les promo- teurs de l’opération tentèrent alors de continuer de mobiliser l’intérêt en mettant parallèlement sur pied un autre système d’incitation basé sur la distribution de vivres du Programme alimentaire mondial. Mais, exclusif du premier (soit l’on optait pour le décompte des journées sans prendre de vivres, soit l’on prenait les vivres sans que la journée soit alors décomptée), ce système acheva en fait d’embrouiller des calculs qui s’avéraient déjà loin d’être clairs ... Si l’on ajoute à cela la perte des carnets de décompte, l’on réalisera sans peine combien le système de (( participation )) a pu tourner court, même si l’on met parfois en avant le cas unique de cette famille de Gaoua qui a pu, en 52 journées de travail ainsi don- nées, couvrir pratiquement le coût de la redevance. ..

La collecte de la redevance (et donc la mise en place du fonds de roulement) n’a pas été non plus sans souffrir de ces ambiguï- tés. Après avoir tout juste commencé de s’amorcer un peu dans chacune des deux villes, le système de recouvrement s’est en effet assez rapidement arrêté de fonctionner. Jusque fin 1986, date de nos enquêtes, environ 11 Yo seulement des sommes totales à perce- voir ont été recouvrées à Gaoua et 15 Yo à Fada. Si l’on analyse ces versements, on remarque qu’à Gaoua, 7 Yo seulement des béné- ficiaires de parcelles ont ainsi acquitté en totalité la redevance et 20 Yo de façon partielle : ce sont donc 80 % des attributaires qui n’ont rien versé du tout. .. Cette dernière proportion semble sensi- blement du même ordre à Fada. Très faible taux de recouvrement donc de la redevance parcellaire avec cependant un point intéres- sant à noter à Gaoua dans la mesure où une partie des 2 millions de f CFA perçus a effectivement servi à la mise en place d’un nou- veau lotissement dans la ville ; mais sans que le même type de pro- cédure se trouve là reconduit, voyant du même coup disparaître le début d’autonomie acquise.

Les raisons de 17échec des recouvrements et de la mise en place du fonds de roulement sont multiples, la contestation de fait de la redevance se cumulant avec la série de litiges développés par les systèmes de décompte successifs liés à la (( participation popu- laire )) ainsi qu’avec l’absence de gestion claire, et ce, tant au plan financier que politique du système mis en place.

On constate ainsi - et cela se comprend - que ceux qui n’ont pas payé la redevance se situent en particulier parmi les attributai- res résidant déjà sur le terrain avant la mise en œuvre du lotisse- ment. Parmi ceux qui ont payé la redevance, on trouve par contre

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dans les deux cas une part non négligeable d’attributaires de par- celles encore vides résidant hors de la région ; sans doute ces attri- butaires (( extérieurs )), plus au fait d’ailleurs des nouvelles règles du jeu dans la mesure où il s’agit souvent de fonctionnaires, entendaient-ils de la sorte mieux U s’assurer )) dès le départ des ter- rains ainsi obtenus. Quant aux résidents antérieurs, forts de leurs droits acquis de premiers occupants, ils se soucient assez peu en effet d’avoir à s’acquitter maintenant de droits leur octroyant le per- mis d’habiter ... Dans ces conditions, la contestation ne peut qu’être encore plus forte de la part des familles ayant commencé à partici- per aux travaux.. . Les incertitudes du système de gestion ont fait le reste, la fluctuation des interlocuteurs institutionnels chargés des recouvrements (Trésor, Mairie, Domaines.. .) ne permettant pas d’assurer un suivi tant des dossiers que des rentrées : documents disparus, listes égarées, voire fonds détournés comme à Fada, n’ont en tout cas pas contribué à clarifier la question des sommes dues pas plus d’ailleurs que celle de la destination des fonds ... Le pro- blème de la maîtrise et du contrôle du fonds de roulement appa- raît en tout cas comme un problème loin d’être réglé. Les fluctua- tions politiques venues donc s’ajouter aux contradictions propres développées dans la mise en œuvre de l’opération semblent bien avoir ainsi parachevé le blocage de la situation.

* * *

Au terme de ces quelques points de bilan sur les deux lotisse- ments de Fada et Gaoua, on comprend peut-être mieux l’intérêt qu’il y a à pouvoir revenir après un certain temps sur des opéra- tions présentées globalement comme sans problème lors des pre- mières évaluations.

Opération-pilote, les deux lotissements de Fada ”Dori et du quartier Chefferie entendaient l’être à plus d’un titre, ainsi que nous l’avons vu, en tentant de mieux associer les populations à la réali- sation même du lotissement, en tenant compte autant qu’il était possible dans les aménagements de la trame d’occupation existante ; en táchant surtout d’initier un système de recouvrement devant don- ner aux communes les moyens de développer ultérieurement une politique d’aménagement autonome ; ceci tout en permettant une rénovation importante de certains quartiers qui, sans s’apparenter purement et simplement à de l’habitat spontané, s’avéraient jusque-là non lotis, et en favorisant l’instauration de toute une nouvelle trame urbaine capable de canaliser le développement urbain, modéré mais réel, de ces centres secondaires.

Cinq ans après la distribution des parcelles, on remarque en tout cas que ces divers objectifs sont loin d’être atteints. Manque

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AMÉNAGEMENT URBAIN

de prise en compte des stratégies des acteurs sociaux, poids spéci- fique de la conjoncture liée aux incertitudes politiques du moment, en sus des contradictions mêmes de l’opération au niveau de ses propres montages : sans que ceci s’avère irréversible, les opérations de Fada et Gaoua paraissent en tout cas plutôt en voie de s’enli- ser. La conjoncture politique propre du Burkina et la mise en place de la réforme agro-fonciere semblent bien dans ce cas n’avoir joué qu’a la marge dans le faible développement d’opérations déjà fort ralenties par le jeu de forces et de processus mal contrôlés. Conçu comme un nouveau mot d’ordre censé exorciser peut-être ces diffi- cultés, l’cc impératif participatif )) ne paraît en tout cas pas avoir per- mis l’amorce de nouveaux systèmes d’organisation plus induits. L’intérêt des opérations-pilotes n’est41 pas précisément de permet- tre de manifester ce type de blocage plutôt que de le dissimuler? Et l’intérêt des villes moyennes où, sur d’autres registres, les inter- ventions d’aménagement n’en demeurent pas moins problématiques que dans les grands centres, de mieux le révéler?

/ Bernard Ganne

CNRS - Groupe lyonnais de sociologie industrielle

E.K. Ilboudo ESSEC - Ouagadougou

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NIGERIA

AFRIQUE ORIENTALE

AFRICAN ISM E

MADAGASCAR

RWANDA

CAMEROU,N

Le Nigeria au milieu du gut5 ?

OUTE crise économique mar- T que la fin d’une époque et permet l’émergence de nouvelles règles du jeu. Le Nigeria n’éChappe pas i cette loi : l’acuité des problè- mes dans lesquels il se débat depuis bientôt cinq ans, ne doit pas mas- quer l’importance des changements que l‘économie de ce pays connaît depuis la mise en place du PAS (Programme d’ajustement ,structurel) en 1986. Ce programme lancé au moment où la Fédération était dans un état de quasi banqueroute sem- ble être entré dans sa phase ultime, celle où sa réussite se joue.

L’inflexion libérale de la politi- que économique, timide au début de la prise de pouvoir du président Babangida, en raison de l’hostilité de l’opinion publique, s’est nette- ment accentuée. Après le relatif des- serement de la dette extérieure, le gouvernement s’est attaqué aux pro- blèmes de fonds de la société et de l’économie nigérianes en optant en effet pour une dérégulation libérale. Ses interlocuteurs dans les négocia-

tions internationales reconnaissent ses efforts. Les discussions concer- nant le rééchelonnement de la dette, dramatiques en 1986, sont presque devenues désormais une opération routinière ; des accords viennent d’être signés récemment avec le Club de Paris et avec le Club de Londres. La Banque mondiale et le FMI se sont engagés à accorder- de nouveaux prêts. De son côté, 1’Etat nigérian a commencé 4 rembourser sa dette; la Banque centrale a honoré les échéances des billets i ordre qu’elle avait émis. Plus de 2 milliards de dollars ont ainsi été remboursés. I1 est vrai aussi que depuis 1986, cette dette était passé de 23 à 29 milliards de dollars.

Le rééchelonnement conditionne le retour à l’éqdibre des paiements extérieurs, mais n’apporte pas de solution à la question du finaqce- ment des investissements. L‘Etat nigérian n’a plus la possibilité de poursuivre sa politique ambitieuse de développement car il consacre ses moyens réduits au colmatage des déficits, à l’entretien des infras-

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tructures et à l’achèvement des grands projets de la décennie passée.

L’inflexion libérale

Le secteur privé est donc solli- cité. L’appel aux capitalistes nige- rians, les mesures d’encouragement au rapatriement des fonds illégale- ment placés à l’étranger n’ont pas produit de vague d’investissements. Cet attentisme était prévisible car la difficulté du contexte économique actuel n’est pas un facteur favora- ble pour l’investissement productif. Pour les Nigérians désireux d’inves- tir, l’investissement foncier urbain, interdit aux étrangers, est actuelle- ment le meilleur placement car il offre la meilleure couverture contre la dépréciation de la monnaie et permet de prendre position en cas de reprise de la construction. La relance de l’investissement produc- tif dépend donc des investisseurs étrangers. Ce constat explique l’accentuation de la politique libé- rale. Après la mise en place du marché des devises et 1s suppres- sion des licences d’importation, la libéralisation des prix industriels, la suppression des offices de produits agricoles et le retour de la commer- cialisation internationale des denrées au secteur privé, le gouvernement a annoncé d’autres mesures de déré- gulation. Certaines sont mineures, mais d’autres constituent de vraies révolutions pour la société nigériane.

Au rang des mesures mineures, il faut citer la réunification des taux de change entre le marché interban- Caire des fonds de devises autono- mes (appelés ainsi parce que, gagnés en exportant, leurs déten- teurs peuvent en disposer libre-

ment) et le marché officiel des changes. La dépréciation de la naira est plus accentuée sur le premier marché que sur le marché officiel en raison de la pénurie de devises. Le gouvernement a cherché à plu- sieurs reprises à uniformiser les taux entre ces deux marchés en pla- fonnant la marge des banques inter- venant sur le marché des fonds autonomes. Cette mesure a provo- qué l’asséchement du marché inter- bancaire et la réanimation du mar- ché noir, devenu alors plus lucra- tif. Le gouvernement a réagi en mettant en place un autre système selon lequel le marché interbancaire (Interbank ForeZgn Exchaiige Market) fournit la quotation journalière de la monnaie entre deux séances d’enchères sur le marché officiel. Ce système a provoqué l’alignement des taux sur le marché interbancaire et a donc accentué la dévaluation de la naira. L’activiti de changeur de devises a été aussi réglementée dans un esprit libéral pour officialiser l’activité des changeurs de rues et éviter les passages illégaux de devi- ses entre marchés.

Au rang des mesures adminis- tratives typiquement nigérianes, il faut citer la double tarification du carburant selon le caractère (( privé )) (0,60 naira le litre de super) ou a commercial )) du véhi- cule (0,42 naira le litre pour les taxis et les bus). Trois compagnies : Unipetrol, African Petroleum et National ont été désignées pour dis- tribuer le super (( commercial )). Cette mesure qui a pour objectif de ne pas augmenter outre mesure le coût des transports pour la popula- tion apparaît à priori difficile à faire observer au Nigeria. Outre les car- burants, le réajustement des tarifs publics s’est poursuivi selon des formules modulées afin d’éviter de faire payer (trop) le consommateur

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final. Ont été concernées les com- munications téléphoniques interna- tionales (700 ‘30 de hausse), la loca- tion de lignes de communications internationales spécialisées (1 500 à 2 400 Yo), les billets d’avion inter- nationaux (65 à 100 Yo). Le tarif douanier a été réaménagé pour diminuer les taxes sur les pièces des véhicules assemblées au Nigeria. L’interdiction d’importer des pro- duits alimentaires est maintenue.

Certains organismes publics vont être supprimés ou rendus au secteur privé partiellement ou tota- lement. Le décret, du 5 juillet 1988 précise .le périmètre de privatisa- tion : 67 sociétés seront privatisées, 11 sociétés seront rendues à un fonctionnement concurrentiel total, 14 sociétés à un fonctionnement concurrentiel partiel. La participa- tion de 1’Etat sera réduite dans les banques, les cimenteries et dans de nombreuses sociétés publiques. Le gouvernement a déjà mis en vente une société de distribution pétro- lière et une industrie agro- alimentaire. La liste des entreprises ne comporte pas, loin s’en faut, que des entreprises aussi profitables et attractives : il faut donc s’attendre à ce que le programme s’étende au- delà du délai de 12 mois que s’est fixé le gouvernement pour privati- ser ces entreprises. Depuis 1970, l’accent était mis sur l’étatisation de l’activité économique. Ce décret y met un terme et enclenche un mou- vement inverse.

La mesure majeure, spectacu- laire, annoncée le 14 janvier 1989 par le président Babangida, con- cerne la suppression de la règle de l’indigénisation du capital des entre- prises instituée par la loi de 1977. Mis à part 40 secteurs à (( basse technologie )) appartenant principa- lement au secteur tertiaire, Nige- rians et étrangers pourront créer des

sociétés (( selon la composition du capital qui leur conviendra B. Le statu quo demeure pour les ban- ques, les assurances, la prospection pétrolière et minière. Le gouverne- ment a inauguré aussi une nouvelle procédure en offrant à des entrepri- ses désireuses d’investir au Nigeria dans les secteurs productifs la pos- sibilité de racheter une partie de la dette publique libellée en devises (Debt Equities Swap). Cette procé- dure par le jeu de la décote et de la dévaluation de la naira donne une prime à l’investisseur étranger.

Cette libéralisation est un réel signe d’encouragement pour les investissements étrangers. Le gou- vernement l’a différée jusqu’au moment où son evidence pour le succès de la privatisation du secteur public est apparue.

La marche forcée vers la nou- velle société nigériane

Cette nouvelle politique écono- mique modifie considérablement la position des acteurs de l’économie nigériane. La population rurale et l’agriculture retrouvent un contexte de production plus favorable puiqu’il n’y a pratiquement plus d’arrivage de produits alimentaires importés en raison de la dévaluation de la monnaie et des interdictions d’importation. Les paysans engagés dans des cultures de rente bénéfi- cient d’excellents prix pour leurs produits car ceux-ci sont recherchés en raison des devises qu’ils procu- rent. Mais après deux années excel- lentes pour toutes les productions agricoles, les récoltes de l’année 1988 ont été moins bonnes en rai- son d’une pluviométrie moins favorable.

Le Plan d’ajustement structurel

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affecte principdement la classe moyenne urbai’ne car il a provoqué rapidement des. effets négatifs sur le revenu et la consommation de cette population sans susciter encore d‘effets positifs. Pendant l’année 1987, la population urbaine nigé- riane s’est montrée relativement dis-- ciplinée. Cannée 1988 a vu des troubles sociaux violents que. le gouvernement a réprimé durement : fermeture des universités en février et en avril à la suite de manifesta- tions ëtudantes contre la hausse des produits pétroliers, grè.v.ve des employés de banques et dt8ssuran- ces en avril, grève des enseignants en juillet et interdiction du syndi- cat des enseignants, licenciement de 4 O00 employés de la Nigerian Rail- ways Company, grève des cheminots de Lagos en août, grève des cadres de la Nigerian Elecm~ Pbwer Azitho- rity en octobre, licenciement de 5 O00 salariés. des Nigerian Telecom- mzinicatio,ns en novembse, en décembre grève des dockers de Lagos; et licenciement de 2 500 salariés de Nigeria Airways.

Le gouvernement a réussi cha- que fois à contrôler l’agitation sociale en faisant très peu de con- cessions et en se montrant très ferme sur le service public. Des mesures symboliques ont été prises : condamnation à la prison à vie de onze cadres grévistes de la Nigerian Electric Power Authority à l’origine de la grève qui avait privé Lagos d’électricid. I1 faut rappeler aussi que le president Babangida a fait exécuter les officiers qui avaient projetés un coup d’état contre lui. Lors bu 3’ anniversaire de son arri- vée au pouvoir, le Président a décrit l’opposition à son gouverne- ment et Ies manifestations contre sa politique comme des tentatives de sabotage du programme économique.

Cette fermeté se manifeste aussi dans la conduite de la procédure du retour du pouvoir aux civils. Les hommes politiques de l’ancien régime demeurent exclus de candi- dature. L’Assemblée constituante qui a commencé à débattre de la future constitution s’est vu assigner un,cadre de travail précis et inter- dire de discuter d’un certain nom- bre de thèmes. Prévu pour 1992, ce retour témoigne de la volonté de donner de nouvelles institutions aux pays et de susciter une nouvelle génération d’hommes politiques non impliqués dans les délices de l’éco- nomie mixte pétrolière. Libéralisa- tion économique et regénération politique vont ainsi de pair car la société nigériane doit être capable de sélectionner une élite sur sa compétence. Sans trop le faire savoir, le président Babangida a ainsi lancé une véritable révolution sociale pour le pays. La fermeté dont il fait preuve ne pourra être longtemps maintenue que si la population commence à apercevoir les signes tangibles de la réussite des réformes économiques.

Le fardeau moral de la dette commence à changer d’épaules

Depuis 1985, la plupart de ces réformes ont été mises en œuvre pour satisfaire les exigences du FMI et de la Banque mondiale. Des crilnditions. très dures ont été impos&s à des pays comme le N i g , h en raison de leur mauvaise gesäon. Ces réformes étaient certai- nement nécessaires pour apurer la situation économique et corriger les comportements spéculatifs d’une grande partie de la population. Si l’impéritie passée de l’administra- tion nigériane est indéniable, on

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commence cependant à mieux analyser les causes réelles de l’endettement.

Les conséquences de l’effondre- ment du système de Bretton Woods en 1971 ont été masquées par le choc pétrolier. Le recyclage des pétro-dollars a permis aux grandes banques internationales de faire croître leurs prêts de 20 à 30 Yo par an à des États n’accordant qu’une attention distraite à leur gestion, notamment à leur déficit intérieur et à leur secteur public pléthorique. Le Nigeria était dans ce cas. Les banques prêtaient car le pétrole était un produit dont le prix ne pouvait que monter. Le FMI demandait aussi aux banques de faire leur devoir en prêtant des fonds acquis essentiellement sur le marché de l’Eurodollar alimenté par les déficits du budget américain.

Les responsabilités de cette crise financière sont donc multiples et ceux qui crient le plus fort sur la scène internationale contre les retards de paiement de la dette nigériane oublient souvent les pro- fits considérables qu’ils ont réalisés avec le recyclage des pétro-dollars. Les milieux économiques internatio- naux commencent à s’en rendre compte d’autant plus vivement que les potentialités de développement du pays ne pourront être mis en valeur si celui-ci épuise toutes ses ressources pour honorer ses engage- ments passés. Remettre purement et simplement les dettes de cette période serait cependant un acte contraire à la morale des affaires et à la sécurité du crédit, mais un réé- chelonnement plus souple consenti en fonction des efforts faits par le Nigeria s’impose.

Le retournement du marché pétrolier devrait faciliter l’évolution des opinions sur l’économie nigé- riane. Ces dernières années, les bas

prix du brut l‘avaient fait oublier, mais le pétrole revient maintenant sur la scène internationale. La demande mondiale est repartie, timidement en 1986 et 1987, plus vite en I988 (+ 4 Yo au dernier tri- mestre 1988). La production des USA n’est plus à un niveau suffi- sant pour satisfaire la croissance de la demande intérieure du premier marché mondial. La concurrence des autres énergies s’est émoussée ; la part de marché des pays NOPEP stagne alors que celle de i’OTEP a cru de 6 Yo par an depuis un an. La conjoncture pétrolière se retourne et les pays NOPEP sont en passe de s’entendre avec les pays OPEP sur un prix de référence.

Pour le Nigeria cela a plusieurs conséquences positives : - les cours se stabilisent à un

bon niveau, - son quota OPEP a augmenté

(il passe de 1,301 à 1,355 millions de barilsljour), - il bénéficie de ses efforts

d’investissements dans le raffinage et la pétrochimie, - ses réserves de pétrole et de

gaz sont considérables; le gaz jusque-là peu développé est là pour prendre le relais des hydrocarbures liquides car le projet de liquéfaction du gaz (Bonny Light) avance.

L’économie du Nigeria entre- t-elle en phase de retourne- ment .?

L’insuffisance de la production intérieure par rapport à la demande est une donnée essentielle de l’éco- nomie nigeriane depuis son ’indé- pendance. La politique d’investisse- ments publics massifs de la période 1975-1980 a essayé d’y remédier en voulant jeter les bases amont d’un système industriel puissant et inté-

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gré (acièrie, sidérurgie, raffinage et pétrochimie). Ces investissements n’apportent pas à court terme de solution au déséquilibre de la demande ; ils l’accentuent même car ils insufflent des revenus supplé- mentaires. Ce contexte éclaire la politique industrielle des années 75-80 et celle appliquée actuelle- ment : la volonté de clantrôler toute la production industrilelle d’amont en aval a été néfaste pour le Nige- ria parce que les Nigérians n’avaient ni la capacité technique ni la volonté d’investir. Les industries aval capables de satisfaire la demande finale ne sont pas créées parce que les Nigérians ne s’y, sont pas intéressés et parce que les socié- tés étrangères n’ont pas voulu par- tager le pouvoir et la gestion des entreprises comme l’entendait la loi de nigérianisation du capital. L’inflexion libérale est certainement le résultat des pressions de la Ban- que mondiale et du FMI, mais elle est aussi l’acceptation lucide de la réalité économique nigériane. Par tradition historique, l’élite de ce pays se tourne plus volontiers vers le commerce, I’intermédiation avec le pouvoir politiqule que vers l’industrie. Jusqu’à présent, ce com- portement exprimait une certaine rationalité économique car les retours sur investissement étaient plus forts dans le négoce des influences que dans les entreprises de production !

Les réformes pratiquées visent à faire changer ce contexte. Les industriels étrangers, surtout ceux

qui sont déjà implantés au Nigeria, commencent à s’en rendre compte. Le coût de la main-d’œuvre y est devenu un des moins élevé d’Afri- , que de l’Ouest. La dévaluation de la naira a atteint un niveau tel que le risque de change pour les inves- tissements étrangers disparaît. L’inflation s’est accélérée en 1988 mais a cependant été contenue. Depuis la mise en place du Plan d’ajustement structurel et en dépit de toutes les difficultés rencontrées, la somme cumulée des devises ven- dues aux enchères ou puisées dans les fonds autonomes dépasse 10 milliards de dollars. A cela s’ajoute le remboursement. de la dette. Sur le plan des échanges internationaux, l’économie du Nigé- ria compte toujours.

L’analyse de l’emploi des devi- ses achetées sur le marché des chan- ges montre une légère augmentation de l’achat des matières premières, une stabilité de ceux des machines et des produits finis et une régres- sion des transferts d’invisibles. Cet indice comme c e u des productions sectorielles ne peuvent pas encore nous faire conclure à une reprise économique, mais nous pouvons dire que la phase d’assainissement du système industriel et de dispari- tion des entreprises non viables tou- che à sa fin. La nouvelle donne économique en place, l’année 1989 révèlera les stratégies de chacun. Le Nigeria demeure plus que jamais le laboratoire économique de l’Afrique de l’Ouest.

Jean Philippe

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De l’importance des

a fonction première d’un calendrier est évidemment

d’indiquer la succession des jours, des mois, voire des Etes à souhai- ter. I1 peut de plus avoir une voca- tion esthétique, être un élément de décoration.

Nous avons toujours été frappés par la surabondance des calendriers au Nigeria, que ce soit dans les bureaux ou dans les habitations pri- vées. I1 est ainsi fort courant d’en trouver une demi-douzaine, accro- chés aux cloisons d’une même pièce et nous avons pu en compter jusqu’à dix-sept, pas moins, dans le salon d’un homme d’affaireslchef traditionnel. Cette profusion, cet étalage semblent suggérer qu’ils remplissent un rôle autre que stric- tement utilitaire.

I1 faut dire que dans ce pays, toute institution, compagnie, asso- ciation, tout syndicat, mouvement religieux ou club qui se respecte fait imprimer son calendrier. Même au plus profond de la brousse, dans un village difficile d’accès, l’Oba (monarque) vous montrera et qui sait vous donnera - si vous êtes considéré comme un visiteur impor- tant - son calendrier de l’année en cours, un rien maculé peut-être mais où figurent sa photographie et celle de ses principaux chefs ...

En fait, exhiber un grand nom- bre de calendriers revient surtout pour les Nigérians à montrer osten- siblement, â afficher le capital rela- tionnel dont ils disposent. Tel qui, entre un tableau le représentant en

calendriers

train de recevoir une distinction quelconque et la photographie de sa fille en toge, le jour de sa ((gradua- tioiz )), placera le (( superbe )) calen- drier offert par une ambassade étrangère ou une multinationale, fera savoir à ses visiteurs qu’il entretient peu ou prou des rapports avec celle-ci.

L’on mettra systématiquement sur les murs de son échoppe ou de sa salle de séjour les calendriers des sociétés auxquelles on appartient ou que l’on dirige et l’on sera comblé si l’on peut y ajouter ceux des prin- cipales industries de l’endroit, des banques, des compagnies d’assu- rance, celui - officiel - de l’un des Vingt-et-un Etats ou mieux encore (si toutefois l’on n’est pas hostile au régime militaire en place), celui de la Fédération qui vante les bienfaits de la politique du (( Conseil gouvernemental des forces armées n.

Pour certaines élites, déployer toute une série de calendriers d’ori- gines variées (secteur économique, Eglises, université, administration, têtes couronnées, milieu sportif, presse, etc.), est un bon moyen de marquer la - pluralité de leurs intérêts.

Le nec plus ultra est assurément d’avoir sa propre image ou celle .de son patron sur le calendrier. La plu- part des cercles, des communautés font reproduire la photographie de leurs membres les plus éminents et il est toujours de bon ton de mon- trer à votre hôte que vous l’avez

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reconnu sur le calendrier qui trône derrière lui. La disposition des éfi- gies de chacun et leur taille respec- tive peuvent d’ailleurs susciter une véritable compétition. Un jour que nous faisions remarquer à un chef traditionnel que son portrait côtoyait heureusement celui d’un roi très important et très connu sur le calendrier d’un club philanthro- pique, ‘il répondit qu’il regrettait amèrement qu’on n’ait pas fait à 1’(( Oba )) les honneurs de la place centrale et de l’agrandissement. On avait préféré mettre en vedette le plus généreux bienfaiteur du club (en l’occurrence une riche femme d’affaires de Lagos, gratifiée de l’appellation obligeante de (( CZub Matron ))) et il s’était plaint, d’ail- leurs sans grand résultat, de ce qu’il tenait pour une scandaleuse erreur de préséance, l’argent paraissant plus apprécié que le titre tradition- nel, aussi prestigieux soit-il.

Le goût pour les calendriers se retrouve dans toutes les couches de la société. Ainsi un ouvrier sera fier de rapporter à la maison celui de (( sa )) firme, laquelle, en lui versant un salaire régulier contribue à [aire de lui un dominant chez les domi- nés, a fortiori en ces temps de crise économique aiguë. De même, nous observons chaque année avec quelle impatience les employés subalternes de l’université attendent la distribu- tion des calendriers qui prouveront à leur entourage qu’ils font eux aussi partie, tout comme ses ensei- gnants et ses plus hauts dignitaires, de la célèbre institution. Quant aux domestiques, nous avons remarqué qu’ils devaient bien souvent se con- tenter des calendriers des années écoulées, que leur ({ Master )) aura bien daigné finalement leur céder, pour la décoration de leur (( boy’s quarter D. Certains chercheront par- fois à revendre ceux qui leur sont

donnés et ils trouveront acquéreur car c’est un article relativement convoité.

Mais si accumuler les calen- driers et les mettre en évidence par- ticipe d’une stratégie plus ou moins consciente de mise en scène de soi- même, d’auto-valorisation, le fait pour certains d’en offrir peut aussi répondre à des buts bien précis et intéressés. Beaucoup d’institutions l’ont bien compris, qui distribuent généreusement en janvier les éphé- mérides estampillés de leur image de marque à leurs clients privilégiés ou à des personnalités dont ils pourraient avoir à requérir le sou- tien ou les services.

Alors que nous faisions récem- ment la tournée des (( notables ))

d’une ville moyenne de l’ouest du Nigeria, nous fimes étonnés de retrouver presque systématiquement chez ces derniers le calendrier offi- ciel de l’une des universités les plus importantes du pays. Interrogés à ce sujet, nos hôtes nous apprirent que c’était le Vice-chancelier (Pré- sident) de l’université qui le leur avait personnellement envoyé et ils s’en montraient d’autant plus flat- tés, que la plupart d’entre eux n’entretenaient pas ordinairement de rapports très poussés avec le monde académique, toujours auréolé d’un certain prestige. Il faut dire que l’on prête à ce Vice-chancelier l’intention de se présenter à l’élec- tion au poste de gouverneur de l’Etat, prévue en principe au début de l’an prochain ...

Nous ferons, pour terminer, mention d’une attitude assez atypi- que qui consiste à dénigrer les calendriers et à les considérer comme absolument indignes de par- ticiper à la décoration d’un inté- rieur. On la trouve chez une bour- geoisie très aisée, sans doute influencée par les salons européens

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et qui préfère garnir ses murs de cette perpétuelle question : mais tableaux, de gravures ou de batiks. comment peut-on ne pas avoir de

En tout cas, nous qui n’avons calendrier ? jamais cru indispensable d’orner notre living-room d’un calendrier quelconque, échappons rarement à Jean-Pascal Daloz

Massacres à la tronGonneuse

NTRE 100 et 500 éléphants E ont été abattus au Tsavo de février à septembre 1988 ; les opti- mistes disent qu’il reste encore 500 rhinocéros au Kenya (d’autres disent moins d’une centaine) ; il y en avait environ 20 O00 en 1969 ; on en avait dénombré 2500 dans une réserve tanzanienne en 1976, mais seulement 51 en 1988 (Weekly Review, 16/9/88, 23/9/88, 411 1/88).

(( L’ivoire est cruel. )) Les ron- deurs de la force tranquille de Babar sont semble-t-il plus atten- drissantes aux âmes pures européen- nes que les allures de vieux tank rapiécé du ((rhino D, plus encore menacé, mais pas assez esthétique sans doute pour susciter ((une- action-de-mobilisation-médiatique- ciblée B. Sont encore moins porteurs (de ce point de vue), mais tout aussi menacés d‘extinction, quelques peuples pasteurs ou chasseurs- cueilleurs, comme ces Iks inconnus dont C. Turnbull a porté témoi- gnage ambigu.

La politique de conservation de la faune en Afrique orientale et aus- trale repose encore pour une part sur l’expulsion de leur espace vital (au sens premier du terme) de quel-

ques populations dont le mode de (sur)vie a été décrété incompatible avec l’intérêt supérieur de la zoo- logie et de l’industrie du tourisme. Bovins trop herbivores, lances et escopettes meurtrières ont été expulsés; éléphants et rhinos ont eu assez d’herbe, mais trop de 4 x 4, de Kalachnikov, et de Mac Cul- loch. D’ici peu, il y aura beaucoup trop d’herbe dans les réserves ... Cadavres et os s’accumulent dans les savanes et dans les politiques de (( protection 1) élaborées par les experts de la conservation, les auto- rités publiques et les gestionnaires du tourisme international.

L’héritage colonial

Dans la continuité de la période coloniale, la politique des parcs nationaux et réserves est la résul- tante de la rencontre de l’indiscu- table autorité de la Parole scientifi- que, parfois associée à une prospec- tive humaniste maladroite (protéger un patrimoine naturel pour les générations futures en sautant par- dessus les générations immédiate- ment présentes), de la quête

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AFRIQUE ORIENTALE

anxieuse du profit, si possible en devises (par une gestion commer- ciale intensive des réserves) et du besoin de repos des guerriers des temps modernes (les cadres dynami- ques stressés par le béton de la City). A l’époque, l’hédonisme d’une minorité (blanche) fortunée trouvait son exutoire dans la jouis- sance cynégétique ou visuelle d’espaces étendus décrétés (selon les normes fLxées par le colonisateur lui-même) (( vacants )), dans la dis- ponibilité d’une main-d’œuvre (afri- caine) décrétée (( non civilisée D et donc peu rémunérée, dans la séré- nité de celui qui sait pouvoir comp- ter sur l’autorité publique pour faire respecter l’ordre (colonial). Cela signifie notamment expulser les irréductibles (( indigènes )) qui persistent à parcourir les lieux comme s’ils étaient chez eux avec des troupeaux d’une indécente mai- greur broutant l’herbe des grands herbivores qu’ils vont même parfois jusqu’à tuer pour les manger sans demander la moindre permission (c’est-à-dire sans payer la moindre taxe). Le savant s’indigne, le ges- tionnaire verbalise, tandis que le client applaudit, mais n’écarte pas l’idée de voir quelqu’indigène, pourvu qu’il soit entre Meryl

. Streep et Robert Redford.

L’exDroDriation

Le principe ayant été posé de l’incompatibilité en matière d’usage des terres entre paysan ou pasteur et faune sauvage, on déduisit que la conservation des richesses de la Nature passait par l’élimination de l’homme ordinaire. I1 avait suffi que le bilan empirique de quelques siè- cles de coexistence de fait (certes pas toujours pacifique) soit nié par quelques experts dont l’assurance

était à la mesure des incertitudes de leur science écologique. Et puis, poser la question de savoir pour- quoi c’est avec l’apogée de la colo- nisation que la situation se révèle tellement précaire qu’il apparaît nécessaire de créer des (( réserves )) eût été faire preuve d’impertinence subversive ; on préféra y voir une nouvelle preuve de la supériorité du (( civilisé )) qui sait prévoir à long terme, sans s’attarder sur le fait que le problème apparaît à court terme, que parce qu’avec l’homme blanc, des moyens de destruction de masse ont été introduits dans ces espaces, bouleversant des équilibres précai- res. En fait de prévision, on en était déjà aux remèdes. Et comme pour les élites de la société colo- niale, le mal ne pouvait venir d‘elles, elles décidèrent en toute logique (et sauf rares exceptions) d’expulser l’autochtone et d’attirer toujours plus de clients ({ civilisés D. Le bilan aujourd’hui est éloquent : le déclin de la faune accompagne le développement de la réglementation répressive.

I1 est encore difficile de faire admettre que dans des espaces ouverts, une politique de conserva- tion n’a de chances de réussir que si elle rencontre un soutien popu- laire sur le terrain. La politique d’expulsion empêchait une telle adhésion ; celui qui est exproprié ne devient pas spontanément l’auxi- liaire du système ou de la cause qui l’a opprimé, au contraire. Or il est celui qui connaît le mieux les lieux ; associé à la politique de pro- tection, il aurait pu en devenir le surveillant efficace ; mais ceci a été trop souvent oublié. Bien plus, le sentiment d’aliénation a été encore accentué par les exigences suppo- sées de la rentabilité. Sous prétexte d’améliorer le rendement commer- cial, l’autorité publique nationale

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s’est affacée au profit d’entrepre- neurs privés expatriés, plus experts en gestion hôtelière qu’en gestion faunistique, mais capable de drainer par des circuits multinationaux une clientèle privilégiée pour qui l’aven- ture n’exclut pas le confort. Dou- ble contradiction car à côté du lodge doté d’un confort et de services par- faits où consomment et paressent des émanations d’un monde capita- liste (et parfois sud-africain) quoti- diennement vilipendé par des poli- ticiens nationaux, la population du village voisin attend toujours l’adduction d’eau, l’électricité, l’hygiène publique, le minimum de survie parfois, services dont la pres- tation est toujours ajournée au nom de la nécessaire austérité dans un contexte global de pénurie.

Ici, on interdit à la population de clôturer (ça gêne les migrations), là, on s’oppose à l’éradication de la mouche tsé-tsé (les troupeaux domestiques pourraient se dévelop- per au détriment de la faune sau- vage), partout, on lui restreint son territoire alors que la pression démographique locale et nationale s’accroît (d’où des problèmes d’espace et d’approvisionnement), partout, on lui fait des histoires parce qu’il a tué quelque fauve qui détruisait ses champs. Les dieux sont tombés sur la tête.

Banditisme et destabilisation

Le ridicule a fini par tuer, par- fois avec des raffinements d’abjec- tion : des grands herbivores, des Iks, des gardes trop zélés, quelques hommes de main de trafiquants sans scrupules (pléonasme), pas encore des gouvernements, même si (( l’autorité publique )) est en sérieuse dificulté. Chacun à sa façon constate que la conservation

du milieu cède devant la Loi du Milieu, stimulée par la répression (interdiction de la chasse, de la vente de trophées ...) ; comme sou- vent, la prohibition sur fond de fra- gilité de l’autorité augmente la valeur de la demande, doublée par le prix du risque, et aiguis: l’ima- gination des affairistes ; 1’Etat n’a pas les moyens matériels d’un con- trôle strict; parfois aussi sa déter- mination est affectée par l’implica- tion de notabilités influentes ((( le député de Songea a été condamné à neuf ans de prison, le juge l’ayant reconnu coupable de détention illé- gale de 105 défenses d’éléphants d’une valeur totale de 2,490 mil- lions de shillings. )) - Da@ News, 22/4/88) et de réseaux internatio- naux élaborés, puisque l’on retrouve ouvertement à l’étranger (pays du Moyen et d’Extrême-Orient) les produits des entreprises de bracon- nage industriel ((( les autorités de Dar es Salaam ont intercepté 184 défenses d‘éléphants sur le point d’être exportées illégalement par l’ancien ambassadeur d’Indonésie. ))

- Daily News, 19/1/89). On en arrive même à formuler

l’hypothèse que ce braconnage industriel est une stratégie non seu- lement affairiste, mais aussi politi- que, l’objectif pouvant être le finan- cement d’une action subversive (l’UNITA et la filière sud-africaine du (( blanchissement )) [!I de l’ivoire), la déstabilisation discrète d’un gouvernement contesté par des factions revanchardes, quand ce ne serait pas une forme nouvelle de subversion internationale (filières somalis au Kenya - Africa Analy- sis, 30/9/88). Les succès ponctuel- lement remportés amènent à penser que l’autorité peut être efficace ((( Au cours des trois dernières années, 39 braconniers venant de Zambie ont été tués au cours

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d‘escarmouches avec les gardes zim- babwéens. )) - Southern African Economist, 113, 6/7/88) ; ce qui con- duit à se demander pourquoi il n’en est pas toujours ainsi. La crédibi- lité de 1’Etat à l’impuissance sélec- tive est donc menacée d’extinction ; le chef ou le notable qui ne res- pecte pas la règle qu’il a eu le loi- sir d’élaborer n’est plus respecta- ble; les forces de l’ordre sont des lions de papier ((( Massacre à Meru. Des braconniers attaquent l’enclos gardé des rhinos blancs du Parc national de Meru et tuent les 5 ani- maux. )) - Weekly Review, 4/11/88).

Retour aux sources : autoges- tion locale et responsabilité collective

Toute politique volontariste suppose pour réussir un groupe social porteur puissant et influent. Face à l’internationale du bracon- nage, ni le Wildlife Lobby élitiste, ni les entrepreneurs voyagistes, ni les administrations de l’environne- ment ne font le poids.

I1 faut chercher ailleurs la solu- tion et peut-être revenir au point de départ, au temps où la société fai- sait de la conservation sans le savoir, c’est-à-dire spontanément, localement, (( populairement N. L‘imagination recréatrice est ainsi à l’œuvre, par exemple au Zimbabwe. Outre les mesures d’urgence aux effets aléatoires (ramassage et par- cage sous surveillance étroite des rhinos) et (comme cela se fait aussi au Kenya) les élevages expérimen- taux traitant la faune sauvage en ressource alimentaire et donc à valeur nutritionnelle et marchande (N mangez du lion ! D) dont les effets à long terme sont mal connus (impact écologique, transformations génétiques - le buffle aux hormo-

nes !), les bases d’une politique de décentralisation de la gestion ont été posées. Organisées en coopéra- tives à participation individuelle volontaire, les communautés de base deviennent propriétaires de la faune, en assurent la gestion dans la perspective de la réalisation (et donc du partage entre coopérateurs) des bénéfices tirés de l’exploitation touristique et commerciale (pro- gramme Campfire, adopté au Zim- babwe en 1986). Les résultats de cette politique d’intéressement sus- ceptible de garantir la reproduction du cheptel se font toutefois atten- dre au Zimbabwé (sur des bases dif- férentes, des résultats ont pu être obtenus au Kenya, à Amboseli) ; il y a des résistances à la mise en place du dispositif, tenant autant de l’inertie bureaucratique que de con- flits d’intérêts et des difficultés de la mobilisation populaire.

L’imagination à domicile ne constitue cependant qu’une partie de la réponse. Le trafic d’ivoire est une activité internationale millé- naire. La lutte contre le banditisme qui en dérive aujourd’hui doit être à cette mesure. La responsabilité des Etats où entrent librement les produits du braconnage est directe- ment impliquée ; au premier rang d’entre eux, le Japon et les (( qua- tre dragons )) marient assez bien technologies de pointe, artisanat tra- ditionnel et absence de scrupules écologiques pour faire des affaires. Mais il serait encore trop facile de transférer la seule responsabilité du trafic sur les champions du libéra- lisme débridé ou sur les artisans exploités qui travaillent l’ivoire dans les échoppes extrêmes orientales. Cet artisanat, semble-t-il, prospère parce que de génération en généra- tion, de Tartarins en Bidochons, se reproduit dangereusement l’espèce des aventuriers en charters dont les

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terrains de chasse de prédilection sont les étalages des (( Curios )) ou (( Souvenirs 15 où, armés de billets verts, ils pistent le bibelot exotique qui, du haut du guéridon du vesti- bule, attestera, pour les générations futures, de leur atavique médiocrité (1).

Franqois Constantin

(1) I1 serait bon de relire (et pas seule- ment de regarder les images) sur ces problèmes :

- ARHEM (K.) Pastoral Man in the Garden of Eden. The Maasaï of the Ngoron- goro Convertion Area, Tanzania, Uppsala, SIAS, 1985. - MAVENEKA (L.) ed. nNoah, Noah,

where are you now )) (Cover Story), Southem African Economist, 1 (3)’ 6-7/1988. - PARKER (I.), AMIN (M.) Zvoy Crisis,

Londres, Chatto & Windus, 1983. - PENNY (M.) Rhinos, endangered Spe-

cies, Londres, Christopher Helm, 1987. - ROSS (K.) Okavango, Jewel of the

Kalahari, Londres, BBC Books, 1987. - YEAGER (R.), MILLER (N.M.) Wild-

lije, Wild Death. Land Use and Survival in Eastern Africa, Albany, SUNY Press, 1986.

Les études africaines en République fédérale d‘Allemagne

A PRÈS celui de Christian Coulon sur l’Espagne, cet article traitant de l’Allemagne fédérale est la poursuite de la série d’études que

Politique africaine entend comacrer aux recherches africanistes dans les pays où celles-ci, pour diverses raisons, sont peu développées ou mal connues à Pexté- rieur. Au gré des circonstances et des rencontres, notre revue souhaite ainsi contribuer à la connaissance de travaux et de problématiques qui méritent d’être mieux connus par la communauté africaniste.

De tous les pays de l’Europe de l’Ouest, l’Allemagne fédérale est peut-être celui où l’on a le plus de difficultés à se faire une idée relati- vement précise des recherches afri- canistes qui y ont cours. Réelle, la barrière que constitue la langue n’ex- plique pas tout. Le problème tient sans doute davantage au manque de (( visibilité 1) de ces recherches d’une part, et, d’autre part, à la dispersion des structures qui s’intéressent à l’Afrique d‘un point de vue scienti- fique. Quoi qu’il en soit, prévaut l’impression que l’africanisme (?) allemand est en crise. Les facteurs qui y concourent sont nombreux.

Sur un plan de politique géné- rale, l’Afrique est d‘un intérêt rela- tivement mineur pour la diploma- tie allemande. A d’inverse de soe qui s’est passé en France, la colonisa- tion allemande - beaucoup plus limitée dans le temps et dans l’espace que la française ou la bri- tannique - n’a pas engendré un intérêt scientifique soutenu pour l’Afrique noire (1). Une exception est toutefois à faire en ce qui con-

(1) Que cet intérét ait, en France et en Grande-Bretagne, suivi parfois des desseins politiques et idéologiques est incontestable, mais cela ne change rién à la question qui nous préoccupe ici.

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- AFRICANISME

cerne la linguistique; nous y reviendrons. Aujourd’hui, en dépit d’un effort culturel, par le biais notamment des instituts Goethe, l’Afrique occupe encore une posi- tion assez marginale dans la politi- que extérieure de la RFA.

Cette marginalité se reflète dans le champ scientifique. En Allema- gne, l’africanisme jouit d’une légi- timité scientifique encore plus fai- ble qu’en France, surtout dans le domaine de la science politique. Non seulement est-il dévalorisant de s’affirmer africaniste, mais en plus, une telle spécialisation, très aléatoire compte tenu du poids de la tradi- tion universitaire allemande, débou- che très souvent sur une voie de garage, avec tous les problèmes d’ordre professionnel que l’on ima- gine. Pour pouvoir s’intéresser légi- timement à l’Afrique, il faut donc faire preuve, au préalable, d’une compétence scientifique (( généra- liste )) et travailler prioritairement sur les systèmes politiques occiden- taux, le fédéralisme allemand, l’Europe ou les démocraties popu- laires. Alors, accessoirement, on peut faire de l’africanisme ...

Pourtant, des structures qui s’intéressent à l’Afrique, il en existe ; elles sont cependant, sinon nombreuses, du moins très éparpil- lées. L’éclatement est une des con- séquences *de la structure fédérale de l’État. Etant libre dans une assez grande mesure de sa politique scien- tifique, chaque Land dispose, dans le cadre universitaire, d’une (( ouverture )) sur l’Afrique ; mais, compte tenu de la faiblesse des effectifs mobilisables, il en résulte une dispersion des potentialités dommageable à un réel développe- ment de l’africanisme. La consé- quence en est que chaque univer- sité, ou presque, a (( son )) africa- niste (ou présumé tel) mais qu’il n’y

a pas (hormis le cas de Bayreuth dont nous reparlerons) un pôle uni- versitaire africaniste et, à plus forte raison, une coordination des recher- ches entreprises.

Parallèlement aux structures universitaires, il existe des organis- mes, en nombre élevé, orientés tota- lement ou partiellement sur 1’Afri- que noire. Dans le premier cas, il convient de ranger l’Institut für Afrika-Kutzde (Institut d’études afri- caines), fondation publique relevant de la double tutelle ,du gouverne- ment fédéral et de 1’Etat de Ham- bourg et liée au ministère fédéral des Affaires étrangères. Seule fon- dation allemande travaillant sur l’Afrique noire selon une approche d‘Area Studies, l’Institut für Afrìka- Kunde est l’un des nombreux dépar- tements qui forment l’imposant Ins- titut d’Outre-Mer (übersee Institut), organisme doté de moyens assez considérables et qui, outre l’Afrique noire, s’intéresse de très près au Maghreb par le biais du Deutsches Orient-Institut. A mi-chemin entre le public et le privé figurent ensuite les quatre fondations émanant des quatre grands partis politiques alle- mands (en attendant la cinquieme, celle des Verts, en cours de créa- tion). Leur but est de promouvoir le rayonnement international du parti et, dans cette perspective, elles disposent d’un département de recherche et de publications dont l’Afrique n’est pas absente, même si elle n’est pas prioritaire. Relevant enfin totalement du privé, il y a les instituts de prospective. Très liés aux milieux d’affaires, ils s’essayent, à la demande, aux analyses de con- joncture et donc, occasionnellement, travaillent sur l’Afrique.

Pour en revenir au domaine universitaire qui nous intéresse ici, force est de reconnaître,. à la lumière de ce qui précède, que

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l’africanisme y est réduit à la por- tion congrue. Dans des universités renommées (Hambourg, Hanovre), son existence se limite à une chaire d’histoire; en ce qui concerne la science politique, une mention spé- ciale doit être décernée à 1’Univer- sité libre de Berlin qui dispose d’une section à vocation africaniste longtemps animée par Franz Ans- prenger, connu pour ses travaux sur l’Afrique francophone, mais les moyens dont celle-ci est dotée sont nettement insuffisants pour lui per- mettre de se développer vraiment ; à l’Institut d’études politiques de Heidelberg (la plus ancienne univer- sité allemande), c’est un enseignant, par ailleurs spécialiste de l’Europe de l’Est avant tout, qui trouve le temps de travailler sur la vie poli- tique en Afrique francophone.

Cette situation s’est par ailleurs aggravée ces dernières années. La RFA aussi connaît la disette bud- gétaire. Les universités en pâtissent, l’africanisme étant encore moins prioritaire. Au cruel manque de postes s’ajoute la faiblesse des moyens nécessaires à la recherche. Les travaux de terrain se font rares et plus difficiles. Mais, plus grave encore, mettre en œuvre des recher- ches collectives se transforme en un exercice (très) périlleux. Les initia- tives, quand elles existent, sont le plus souvent individuelles.

A cela correspond une égale désaffection des étudiants. N’offrant pas de débouchés, l’africanisme n’est guère attrayant pour eux. D’autant que l’Afrique ne les fait plus rêver : dans les années soixante, soixante-dix, l’expérience tanzanienne, associée à l’espoir d’un socialisme villageois, avait fait naî- tre parmi eux un élan pour 1’Afri- que ; aujourd’hui ... (2).

Le pessimisme de ce tableau est heureusement tempéré par l’activité

africaniste qui se développe à l’uni- versité de Bayreuth, l’une des plus jeunes d‘Allemagne, puisque fondée au début des années soixante-dix, par souci d’équilibre régional. Dynamique, novatrice, l’équipe d’enseignants-chercheurs qui s’y est constituée s’affirme comme le pôle africaniste en RFA. Les moyens dont elle dispose pour cela sont importants : deux chaires d’anthro- pologie africaine, une chaire d’his- toire, une autre sur l’islam, sans compter la chaire de littérature romane du professeur Riesz, dans le cadre de laquelle celui-ci s’intéresse de très près aux littératures africai- nes. La vocation africaniste de Bay- reuth s’est renforcée grâce au sou- tien massif que la DFG (l’équiva- lent allemand du CNRS) apporte à son important projet de recherche sur le thème de l’identité en Afri- que, projet étalé sur quinze ans et doté d’un budget extrêmement important (3). Bayreuth s’enorgueil- lit en outre d’accueillir une Maison de l’Afrique, lieu de rencontres et d’exposition permanent ; elle est enfin liée par des accords de coo- pération avec plusieurs universités africaines et entretient des échanges suivis avec plusieurs d’entre elles au Nigeria. C’est l’université où l’arti- culation entre l’enseignement et la recherche africanistes est la plus évidente.

La jeunesse de l’université de Bayreuth fait sa force ; grâce à elle, la recherche africaniste s’est affran- chie des tendances, disons classi- ques, qui dominaient l’africanisme

(2) Lire ce que dit à ce sujet F. Anspren- ger, in G Bilan der politikwissenschaftlichen Regionalforschung. Afrika. Utopia oder Abs- tellgleis der politischen Wissenchaft ? )> PVS, Sonderheft 1611985. Texte aimablement tra- duit par Véronique Dimier.

(3) Environ 2 millions de DM annuelle- ment, selon le professeur Riesz.

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allemand. A Bayreuth, on fait beau- coup de linguistique africaine, mais dans une perspective théorique qui n’a plus rien à voir avec celle du début du siècle. On peut parler à ce propos d’une véritable rupture épistémologique. Le problème est désormais abordé de façon pluridis- ciplinaire, dans le cadre, précisé- ment, du programme sur l’identité : celle-ci est envisagée dans un sens dynamique et pluriel, évitant toute réification. L’étude de la linguisti- que y est associée à celles de l’his- toire, de I’économie, de la religion et de l’anthropologie, le tout visant à formuler une théorie générale de l’identité en Afrique.

L’un des plus importants cen- tres européens d’étude des littératu- res africaines et caribéennes, Bay- reuth souffre malgré tout d’une lacune : celle de la science politique (( africaniste D. Cela est d’autant plus regrettable que nulle part ail- leurs, il n’y a une telle concentra- tion de ressources humaines et matérielles au service de la recher- che africaniste. L’absence de la science politique à Bayreuth souli- gne d’ailleurs la précarité de la dis- cipline Outre-Rhin. Historiquement, l’africanisme allemand s’est dévelop- pée autour de la linguistique, dis- cipline longtemps très en vogue, largement enseignée (à Hambourg, Francfort, Cologne) et à laquelle l’appellation d’cc africanisme D était annexée. Les années d’après-guerre puis les indépendances africaines ont entraîné un déclin relatif de cette tendance, en même temps qu’un développement, relatif aussi, de la sociologie politique appliquée à l’Afrique noire. Actuellement, la science politique N africaniste )) en

Malheureusement, répétons-le, les recherches entreprises ne donnent lieu le plus souvent qu’à des initia- tives individuelles, ce qui souligne, à contrario, l’intérêt des activités initiées à Bayreuth.

Cette situation est d’autant plus regrettable qu’il existe un potentiel africaniste, sous la forme de fonds documentaires impressionnants (4). Chaque bibliothèque universitaire, ou presque, s’enrichit d’une littéra- ture de valeur sur l’Afrique noire ... souvenir des années de vaches gras- ses (1960-1975). A l’Institut fiir Afrika-Kunde, ce sont plus de 30 O00 volumes qui garnissent les rayons, toutes disciplines confon- fies. Idem en ce qui concerne le Deutsches Orient-Institut. La biblio- thèque de 1’IEP de Heidelberg ne manque pas d’intérêt non plus, tout comme celle de Bayreuth qui se flatte de posséder sans doute le plus important fonds de littérature afri- caine. Ceci sans parler des organis- mes semi-publics ou privés, au pre- mier rang desquels la Société Max Planck pour la recherche scientifi- que qui a mis en place, à Heidel- berg, l’Institut Max Planck de droit public comparé et de droit interna- tional, avec une bibliothèque com- portant plus de 230 O00 volumes, dont une partie se rapporte à 1’Afri- que noire. @

S’ajoute à ce potentiel non négligeable un certain nombre de publications qui témoignent malgré tout d’un intérêt pour l’Afrique. Ainsi, de 1980 à aujourd’hui, ce sont plus de 300 ouvrages de scien- ces sociales consacrés à l’Afrique subsaharienne qui ont été publiés. Ce dynamisme est accentué par le système universitaire allemand qui

AllemagAe s’intéresse aux grands (4) Deux chiffres iloquents : il y aurait

ques universitaires en RFA, contre 17 mil- sujets ‘OnnuS : la de les 61 millions de volumes dans les biblioth& politiques de privatisation, l’ajuste- ment structurel, la démocratie ... lions en France.

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prévoit la publication systématique des thèses tant de doctorat (l’équi- valent *de notre Troisième Cycle) que d’Etat soutenues, ce dont béné- ficient les thèses - rares, il est vrai - traitant de l’Afrique noire. I1 y a ensuite les annuaires publiés par l’Institut f ü r Afrika-Kunde (sur l’Afrique subsaharienne) et par le Deutsches Orient-Institut (dont une partie traite de l’Afrique du Nord). L’Institut f ü r Afrika-Kunde publie par ailleurs la célèbre revue tri- annuelle Afrika Spectrum, unique dans son genre en RFA, qui com- porte assez fréquemment des arti- cles en anglais et, systématique- ment, des résumés. Autres publica- tions de cet institut, décidément très dynamique dans le domaine de l’édition, 1’Aktueller Information- dienst, recueil de coupures de la presse africaine, très utile, parais- sant deux fois par mois ainsi que deux séries de monographies. De

son côté, l’équipe d’africanistes de Bayreuth a longtemps publié un bulletin (African Studies Series) dont la parution est aujourd’hui stoppée, en attendant qu’un nouveau titre s’y substitue. Signalons enfin Inter- nationales Afrikaforum, recueil de brèves chroniques politiques des Etats africains publiées par un col- lectif d’institutions, ainsi que les bulletins émanant des ONG et des organisations caritatives, souvent très actives.

Cette énumération ne doit cependant pas masquer la réalité de la crise qui affecte les études afri- caines en Allemagne. Les africanis- tes allemands en sont conscients, qui se sont groupés en une associa- tion ; celle-ci tiendra son deuxième congrès en 1989. Sera-t-il l’occasion d’une relance de l’africanisme Outre-Rhin ?

René Otayek

Tabataba, un ’ film malgache

ABA TABA, du réalisateur T R. Rajaonarivelo, est un film délibérément non tiers-mondiste, qui marque ses distances par rap- port à Ils tsy very, sorti pour la commémoration des (( événements de 1947 D. Financé par le ministère de la Culture malgache, ce premier film avait échappé à son réalisateur pour être monté par L. Amina dans une perspective clairement nationa: liste, à Alger. Rajaonarivelo insiste sur le fait qu’il n’entendait pas fournir une version argumentée

d’un soulèvement sanglant (au moins 70 O00 morts), et dont l’évo- cation s’est trouvée censurée jusqu’à la.. (( deuxième indépendance 1) de Madagascar, en 1972 (1). I1 a fait oeuvre de sensibilité.

L’essentiel du .dilemme de 1947 est restitué dans l’ouverture du film, avec la visite d’un envoyé du MDRM, parti nationaliste légaliste, fondé en 1946, enraciné très rapi- dement sur toute l’île. L’homme (complet, chapeau, cartable), est un (( étranger au village 2) qui veut

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<( parler à la communauté )). Notre pays, explique-t-il, a un parti. Ses revendications sont soutenues par la Charte des Nations Unies. Nous obtiendrons l’indépendance dans le cadre d’un vote démocratique n. Les paysans, émangers à l’idée de parti, sont persuadés que les colons ne rendront pas les terres accaparées. i( Préparons-nous ci la guerre, dit Lehidy, le jeune homme qui pousse à constituer un maquis. I1 y aura de la violence, car on ne peut l’évi- ter. Mais les Américains nous aide- ront )). Les villageois sont divisés. Le chef se laisse peu à peu entraî- ner, annonçant que (( cette guerre est la guerre de tous les Malgaches N. ii Cesse de parler conime un étranger )) s’entend-il répondre. La brève orga- nisation d’un maquis local se tra- duit par l’occupation du village, la fuite des femmes et des enfants en forêt où ils dépérissent, la mort ou la capture des hommes.

Ce film n’est certes pas voué à la fabrication de héros nationalistes. Rajaonarivelo s’en est défendu pour plusieurs raisons. I1 ne croit pas que le premier mouvement des Français ait été de tuer. Le chef de canton vient au village pour faire voter, même s’il arrive sans les bul- letins du MDRM, i( illégal n. D’autre part, 1947 fut un phéno-

(1) Depuis est paru l’ouvrage de J. Tron- chon, L’insurrection malgache de 1947, Paris Maspéro, 1974, réédité par Karthala en 1990. On le complètera par S. Randrianja, Le parti conmuniste de la région de Madagascar (1936-1939), Thèse de troisième cycle, Uni- versité de Paris VII, 1983 (le PCRM cons- titue le (( maillon manquant )) préludant à la constitution des sociétés secrètes) et par B. Ramanantsoa-Ramarcel, Les sociétés secrè- tes narionalistes à Madagascar dans la première moitié du xxt siècle : VVS, Pananla, Jiny, Thèse de troisième cycle, Université de Paris VII, 1986, sur le rôle déclencheur des socié- tés visant un soulèvement violent, inflitrées au cœur de l’organisation légaliste du MDRM.

mène complexe où (( toutes les vic- times ne fiirent pas d‘un côté )).

Le film prend délibérément de la distance par rapport au cœur du séisme en choisissant un village tanala, proche d’Ifanadiana, Sur la Falaise de la côte Est, brûlé, sans plus, en 1947. La vision se cmcen- tre sur l’imaginaire de la révolte, fausses nouvelles, messages trouvés dans des arbres, contre-messages de l’administration flottant au fil du fleuve, annonces de l’arrivée des troupes américaines. (i Je reviendrai quand je serai général, avec les Amé- ricains )), a dit Lehidy en quittant le village. i( Lehidy a des canons maintenant n, dit la rumeur, quand le jeune homme n’a qu’un similaire de fusil en bois. Ces images nous suggèrent que beaucoup de gens ont été trompés ou se sont trompés eux-mêmes. La question posée est embarrassante : le monde rural de la côte Est, avec ses plantations de café, incapables de nourrir les hom- mes, ses corvées redoublées, fut un lieu de violences, de famine intena- ble pendant la Seconde guerre. Le soulèvement qui y répondit en 1947 était-il si éloigné de la réalité, voué à la dimension de l’échec et du dérisoire comme le suggère l’escar- mouche finale entre deux vieux et quelques soldats ? La conscience historique des acteurs du mouve- ment se situait à mi-chemin entre l’appréciation réaliste du rapport de forces et le recours au soutien ima- ginaire d’acteurs internationaux qui ne bougèrent d’aucune manière. Le film accentue cette part de l’image- rie, d’autant plus que le jeu des Européens, tres distancié, est un peu caricatural et que la transcrip- tion cinématographique de la durée n’est pas totalement acquise.

I1 est vrai que peut-être le regard du cinéaste est celui de l’enfant, jeune frère de Lehidy. I1

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nous guide ainsi sur un versant oni- rique que renforce le p:nchant allé- gorique de la langue. Ecoutant des acteurs dignes, pudiques, authenti- ques s’expliquer, bien plus qu’il ne nous les explique, le réalisateur nous épargne tout didactisme. I1 nous laisse sur un proverbe, le même qui avait ouvert le récit, sug- gérant que la destinée villageoise est recommencement. La mère de Lehidy s’assied sur le fauteuil Louis XVI donné jadis par Gallieni

à une vieille femme (fascinant per- sonnage) qui trônait tout le jour sur la place et s’était gaussée du départ des hommes au maquis. Personne ne l’écoutait. Elle représente pour- tant la mémoire. Le film suggère que les villageois sont projetés hors d’une existence cyclique, brutale- ment, dans l’histoire, sans jamais avoir les moyens de maîtriser sa rencontre.

Françoise Raison-Jourde

Cooptation politique à l‘envers : les législatives de I988 au Rwanda

ES élections législatives du L 26 décembre 1988 furent les troisièmes à être organisées sous la Deuxième République, qui s’était dotée d’une constitution en 1978. L’expérience de scrutins successifs (en 1981, 1983 et 1988) permet de tenter un examen de constantes au- delà de l’analyse d’un seul exercice. A un moment où l’on constate un intérêt accru pour les fonctions que peuvent remplir les élections même dans des régimes monolithiques, il peut être utile de s’interroger sur le sens des élections législatives au Rwanda.

J’ai décrit ailleurs le contexte politique et constitutionnel général, ainsi que la procédure électo- rale (1) ; il n’est donc pas nécessaire d’y revenir dans le cadre de cette note. Nombre de constatations fai- tes dans mon article de 1984 valent d’ailleurs également pour les élec-

tions de 1988. Rappelons seulement que le Rwanda est un Etat à parti unique, où tout Rwandais est de plein droit membre du MRND (Mouvement révolutionnaire natio- nal pour le développement). Afin de garantir un certain choix lors des élections législatives (2), la loi élec- torale prévoit la présentation d‘un nombre de candidats égal au dou- ble du nombre de sièges à pourvoir dans chaque circonscription électo- rale (qui est la préfecture).

Les résultats des élections

De prime abord, on relève un fait remarquable. Dans une préfec- ture, celle de Gisenyi, il s’est avéré impossible d’intéresser le nombre de candidats requis par la loi électo- rale : treize au lieu de quatorze can- didats se sont alignés pour les sept

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sièges à pourvoir. C’est un phéno- mène qui s’annonçait déjà lors des élections de 1983 (3). Face au pres- crit très clair de la loi, on est en droit de se poser des questions sur les conséquences de pareil état de choses ; en effet, si l’entorse signa- lée est tolérée, on pourrait à la limite aboutir à une situation où le nombre de candidats ne dépasse pas celui des sièges à pourvoir.

Tous les ministres, sauf un (4), s’étaient portés candidat. On compte deux candidats tutsi et un candidat twa ; les 136 autres candi- dats appartenaient donc à l’ethnie majoritaire hutu. En outre, vingt candidats ‘(environ 14 Yo du total)

étaient des femmes. Enfin, 51 candidats étaient des députés sortants.

On constate qu’il n’y a que deux préfectures (Gikongoro et Kibuye) où les candidats proposés en ordre utile ont été élus (bien que dans un ordre différent de la liste- modèle). Dans trois préfectures (Cyangugu, Ruhengeri et Kibungo), un candidat a fait le (( saut )) à par- tir d’une place (( inéligible )) (5). Dans les cinq autres préfectures, deux candidats ont réussi à se glis- ser à une place éligible. De la sorte, treize candidats (183 Yo du total) ont ainsi pu bouleverser l’ordre pro- posé. Par ailleurs, certains de ces

RÉSULTATS ÉLECTIONS 1988

Préfecture Nombre de Ordre d’élection (O)

sièges

Kigali Gitarama Butare Gikongora

Kibuye Gisenyi Ruhengeri Byumba Kibungo

C Y a W W

9 9 9 6 5 5 7 8 7 5

1, 2, 3, 17, 7, 4, 6, 10, 5 1, 7, 3, 4, 2, 14, 5, 9, I6 1, 2, 3, 4, 12, 15, 7, 6, 8 1, 4, 2, 6, 3, 5 2, 1, 3, 4, 9 4, 1, 5, 3, 2 1, 2, 3, 8, 7, 9, 6 1, 2, 3, 5, 6, 4, 8, 9 1, 6, 14, 2, 3, 11, 7 1, 2, 9, 3, 5

( O ) Le chiffre indique la place du candidat sur la liste; l’ordre est celui de l’élection.

(1) Pour les généralités, voir F. Reynt- jens, i( La nouvelle constitution rwandaise du 20 décembre 1978 i ) , Penant, 1980, pp. 117-134 ; F. Reyntjens, (( La deuxième république rwandaise : évolution, bilan et perspectives n, Afrika Focus, 1986, pp. 273-298 ; sur les élections, voir F. Reynt- jens, (( Les élections rwandaises du 26 décembre 1983 : considérations juridiques et politiques n, Le Mois en Afrique, 1984, no 223-224, pp. 18-28.

(2) Le parlement rwandais s’appelle Con- seil national de développement.

(3) F. Reyntjens, Les élections rwandai- ses ..., op. cit., p. 21.

(4) Le lieutenant-colonel Augustin Ndin- diliyimana, ministre de la Jeunesse et du Mouvement associatif, s’était également en 1983 abstenu de poser sa candidature.

inéligibles U les candidats qui ne sont pas classés sur une place qui garantirait leur élection si la liste proposée était adoptée telle quelle par la population.

(5) J’appelle

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sauts sont considérables : ainsi, à Kigali une candidate (de surcroît d’ethnie tutsi) classée 17‘ fix élue à la quatrième place ; à Byumba, le candidat classé dernier s’arrogea la troisième place. Comparés à’ 1983, les bouleversements de listes ont été globalement un peu plus impor- tants.

Sur les 51 candidats qui sié- geaient déjà au CND (Conseil national de développement - nom du parlement rwandais), 42 ont été réélus (c’est-à-dire 82 Yo de ceux qui se présentaient pour un nouveau mandat); 42 sur 70 (60 Yo) sont donc d’anciens députés. En outre, 32 députés (environ 45 Yo) sié- geaient déjà au CND de 1981. Pourtant, le taux de mobilité m e r e considérablement d’une préfecture à l’autre : aux extrêmes, si Kibuye a toujours les mêmes députés qu’en 1981, à Gisenyi il n’en reste plus qu’un seul. On remarque en outre les cas assez frappants de deux députés (à Kigali et Kibuye) qui avaient d’abord siégé en 1981, ensuite échoué en 1983, mais qui ont réussi à revenir en 1988.

Des vingt candidats féminins, onze ont été élus (6), c’est-à-dire deux de plus qu’en 1983 ; les fem- mes constituent donc 15,7 90 des membres du CND.

Si les deux candidats tutsi ont été élus, le candidat twa a échoué. I1 faut dire qu’il était placé dernier sur la liste et qu’il a gagné cinq places à la faveur du vote. Lorsque l’on connaît le rôle traditionnel de paria marginalisé qu’occupe le Twa au Rwanda, les 46 159 voix obte- nues à Gitarama par M. Mugabo portent l’espoir d’une évolution significative.

(6) Ce chiffre tient compte du fait que l’élection d’une femme à Kigali a été annu- lée par le Conseil #Etat ; ce siège est occupé par un homme.

La composition du nouveau CND

Les quinze ministres qui avaient posé leur candidature onr tous été élus. Sauf quelques rares excep- tions, ils arrivent d‘ailleurs en tête de liste. A l’issue du remaniement gouvernemental du 15 janvier E489, il reste dix députés-minime, c’est- à-dire environ 14 Yo du total.

Le niveau de formation du CND est élevé : 47 députés détien- nent un diplôme universitaire (67 90 du total). Cela constitue une évolu- tion considérable par rapport au Parlement de 1983 où 37 députés (environ 5.0 Yo du total} avaient fait des études supérieures. La plupart des députés ayant suivi un ensei- gnement secondaire possèdent un diplôme de moniteur (D4); ceci constitue par ailleurs un mínimum, puisque la loi électorale prfivoit comme condition d’éligibilité que le candidat ait fait au moins quatre années d‘études secondaires. Si l’on peut se féliciter du niveau élevé de formation des membres du CND, celui-ci fait évidemment planer des doutes sur la représentativité de cette assemblée dans un pays où moins de 10 Yo des élèves de I’école primaire ont accès au secondaire et où il n’y a qu’environ deux mille étudiants (sur une population dépas- sant les 7 millions) dans l’enseigne- ment supérieur.

L’âge moyen des députés est de 42,5 ans, en augmentation par rap- port à la moyenne de 39ans du parlement de 1983. D’une part, les candidats de moins de 30 ans ont été systématiquement boudés par les électeurs; d’autre part, le relatif succès des députés briguant une réélection a spontanément résulté en un certain vieillissement. Les tren- tenaires et les quadragénaires se partagent le gros des sièges, avec

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N LA COOPTATION A L’ENVERS ))

Numéro Gouv. 81 Élect. 81 Gouv. 82 Élect. 83 Gouv. 84 Élect. 88 Gouv. 89

- - - 1 + + + + 2 3 + + + +

+ + + + 4

+ 5 + + + + 6

7 + t + + + + + + + + 8

9 + + + + + + 10

12

14 15 16 + + + + + + 17 + t + + + + 18 19 2 + +

- + + + + + - - - - - - -

+ - + - + - - - -

- - - - -

+ + + + +

- + +

- - - - - - 11 + + + + +(a) -

13 + + + + +(a) - - - - -

- +

+ + + - - - - - - -

- - - + +(a) - - - - -

- + + + +

- - - - - -

Notes : + signifie élu au CND ou nommé au gouvernement ; - signifie pas élu au CND ou nommé au gouvernemenr;(a) a quitté le gouvernement avant les élecrions de décembre 1988.

29 députés (environ 41,5 YO) pour chaque classe d’âge.

J’avais déjà en 1984 attiré l’attention sur ‘le fait que le CND était en train de devenir un vérita- ble (i Parlement de fonctionnai- res )) (7). Cette caractéristique s’est encore accentuée à la suite des élec- tions de 1988, puisqu’il ne reste plus guère que deux députés issus du secteur privé (contre six en 1983).

Je ne répéterai pas les raisons de cet état de choses et les sugges- tions pour y remédier que j’avais formulées en 1984. Disons seule- ment que la quasi-absence de dépu- tés venant du secteur privé met en cause tant la représentativité que l’indépencance du Parlement. Par

(7) F. Reyntjens, (( Les élections rwandai- ses.. . I), op. cit., p. 25.

ailleurs, une plus grande présence de députés ne faisant pas partie de l’appareil étatique permettrait une certaine expression de la société civile, d’autant plus nécessaire dans u? pays comme le Rwanda où 1’Etat est omniprésent.

La cooptation à l’envers

Les élections dans un régime politique monolithique comme celui du Rwanda peuvent notamment permettre un certain renouvellement et une structuration de la classe politique périphérique. A l’issue de trois élections étalées sur sept ans, force est de constater que ce rôle n’est que très partiellement joué et qu’il l’est en outre au niveau d’une périphérie très éloignée du cen- tre.

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, . . . .-

Cette constatation s’impose de façon très claire lorsqu’on examine le rôle du processus électora1 pour la sélection des membres du gouver- nement. En effet, comme le mon- trent les données qui suivent, au Rwanda on ne devient pas minis- tre parce qu’on est élu, mais on est élu parce qu’on est devenu minis- tre. Le tableau 2 retrace la carrière parlementaire de tous les ministres qui, pendant la période 1981-1989, ont soit rejoint soit quitté le gouvernement (8).

On constate que la logique du système est extrêmement claire. Première constatation : on est d’abord nommé ministre, et ensuite élu lors des élections qui suivent cette nomination à condition que l’on soit toujours membre du gou- vernement (cas nos 2, 10, 12, 14, 15, 19). L‘exception du lieutenant- colonel A. Ndindiliyimana (cas no 5) n’est qu’apparente, puisque ce ministre a lui-même préféré ne pas être candidat aux législatives de 1983 et 1988. Deuxième constata- tion : celui qui a quitté le gouver- nement n’est plus proposé comme candidat aux législatives. Cela res- sort clairement des cas nos 1, 3, 4, 7, 11 et 13 ; le cas no 18 est très frappant : M. Muganza est entré au gouvernement en janvier 1984, après les élections de décembre 1983, mais il l’a quitté avant les élections de décembre 1988 ; selon la logique du système, il n’a jamais été député. Le cas no 20 n’est qu’une exception apparente, puis- que M. Ntahobari fùt élu président du CND lorsqu’il quitta le gouver-

(8) J’ai remplacé les noms des ministres par un numéro d’ordre.

nement au début de 1982 ; or nous verrons que les membres du bureau du CND occupent une position analogue à celle des ministres dans le contexte qui nous intéresse ici. Une seule exception réelle pour- tant : même après avoir quitté le gouvernement à l’occasion du rema- niement de janvier 1984, M. Musa- fili (cas no 6) a pu poursuivre sa carrière parlementaire.

Grâce à un timing devenu de routine (élections législatives en décembre, remaniement gouverne- mental en janvier-Février suivants), ce mouvement du personnel politi- que peut se faire en douceur: en effet, avant de quitter le gouverne- ment, le ministre est élu au CND ce qui lui donne une sorte de préa- vis de cinq ans (durée du mandat parlementaire). Sauf situation excep- tionnelle, les cas nos 8, 9, 12, 16 et 17 savent donc dès à présent qu’ils ne seront pas présentés comme candidat aux élections légis- latives de 1993. En revanche, les six nouveaux ministres nommés le 15 janvier 1989 savent qu’ils entre- ront au Parlement, à condition évi- demment qu’ils soient toujours au gouvernement en automne 1993.

Une dernière constatation cerne de plus près encore le mécanisme décrit. On observe en ‘effet que, chacun dans sa préfecture, le minis- tre nouvellement nommé prend tout simplement la place de l’ancien ministre sur les listes des élections législatives. On peut ainsi identifier cinq cas. A Byumba, M. Nkurun- ziza (cas no 3) fut élu en première place en 1983 ; en 1984, il fut rem- placé au gouvernement par M. Mugemana (cas no 10); aux élections de 1988, ce dernier fut élu en première place, alors que M. Nkurunziza ne fut même plus présenté comme candidat. Exacte- ment le même scénario eut lieu à

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- . . . , - .-

Gikongoro, à Gisenyi, à Butare et à Ruhengeri.

Le mécanisme s’étend, au-delà des membres du gouvernement, aux membres du bureau du CND (10). Le parallélisme va même très loin, puisque la pratique au Rwanda veut que les députés élisent leur prési- dent, vice-président et secrétaire sur proposition du président de la République ; dans la pratique, c’est donc le chef de 1’État qui désigne les membres du bureau du CND au même titre que les ministres.

Cette analyse mène à une con- clusion inévitable. Si les élections peuvent servir à la cooptation et au renouvellement du pessonnel poli- tique, elles ne remplissent cette fonction qu’à l’extrême périphérie. A l’intérieur de -cette périphérie, c’est le chef de 1’Etat et non l’élec- teur qui coopte et qui recrute. Ce phénomène est une excellente illus- tration du caractère bureaucratique de la vie publique au Rwanda, trait qui est encore accentué par le fait que la quasi-totalité des députés sont issus du secteur public. Les ministres n’émergent donc pas d’un recrutement à caractère politique ; au contraire, ce sont des fonction-

naires, transformés en politiciens pendant la durée de leur mandat gouvernemental, et remis à la fonc- tion publique à l’issue de celui-ci. Dès lors, la fonction des élections comme instrument de recrutement dans des rôles politiques est subver- tie. C’est ce qui m’a fait parler de G cooptation politique à l’envers n.

Au demeurant, cette situation comporte une menace considérable pour le MRND auquel le proces- sus électora1 devrait permettre de se profiler comme une force identifia- ble et d’établir des rapports avec la population. Cela ne saurait être que marginalement le cas dans le con- texte bureaucratique décrit ici. Déjà le Mouvement se confond large- ment avec l’administration, et s’il ne peut jouer son rôle politique à l’occasion du moment privilégié que sont les élections, il risque la mar- ginalisation et, au bout de la route, l’atrophie. Les difficultés que ren- contrent certains responsables pré- fectoram à susciter des candidatu- res pourraient être un signe dans cette direction.

Filip Reyntjens

(9) Mais pas, semble-t-il, comme on aurait pu le penser, aux membres du comité central du MRND.

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La sorcellerie au banc des accusés

L est indéniable que beaucoup I d’Africains croient dur comme fer en la sorcellerie et en d’autres phénomènes paranormaux. Sur la base de cette constatation, et con- trairement aux pratiques juridiques coloniales, les juges camerounais exerçant dans la province de l’Est appliquent depuis 1981 l’article 251 du ,Code pénal, article qui spécifie que ceux qui se livrent à des actes de sorcellerie, de magie ou de divi- nation susceptibles de perturber l’ordre public ou de nuire à autrui seront condamnés à des peines de prison allant de 2 à 10 ans et à des amendes de 5 O00 à 100 O00 f CFA.

Notre but, dans cet article, est d’examiner, sur la base d’une tren- taine d’affaires jugées entre 1981 et 1984 par la Cour d‘appel de Ber- toua, comment les manifestations de sorcellerie sont Sraitées par les COUS de justice de 1’Etat. Quelles sont la nature et la provenance des accusa- tions de sorcellerie ? Comment et sur quelles bases les juges établissent-ils la culpabilité des accusés et quelles sont les peines infligées ? En conclusion, nous nous poserons la question de savoir si les cours de justice modernes sont bien placées pour juger des affaires dont les manifestations se situent en dehors du domaine des phénomènes scientifiquement observables ?

La sorcellerie c( nouvelle manière ))

Sur les trente affaires étudiées, vingt-sept concernaient des accusa- tions à l’encontre de sorciers et de leurs pratiques néfastes (1).

Un premier point est à noter ici : dans aucune de ces affaires, la partie lésée n’avait essayé de se faire justice elle-même. Ce respect de la loi est surprenant. On se serait attendu à ce que des affaires de ce genre soient traitées par des procédures traditionnelles sans que l‘qn fasse appel à la justice de l’Etat, comme c’est encore le cas dans les sociétés hautement centra- lisées des provinces de l’Ouest et du Nord-Ouest. Est-ce parce que les institutions traditionnelles locales se sont atrophiées à tel point qù’elles ne peuvent plus servir de cadre approprié pour régler des affaires de sorcellerie ? Est-ce que la mar- ginalisation virtuelle des institutions anti-sorcellerie traditionnelles (comme celle de l’épreuve par le poison) amène les gens à solliciter l’intervention de 1’Etat plutôt que d’avoir recours aux procédures traditionnelles ?

Ce raisonnement est intéressant étant donné le nombre de cas de sorcellerie dont sont saisis les tribu-

(1) Les trois cas restants concernaient des féticheurs accusés de U fautes professionnel- les )) graves.

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CAMEROUN -

naux dans la province de l’Est. I1 y a plus cependant. I1 faut d’abord se rendre compte de la transforma- tion des conceptions concernant la sorcellerie sous l’influence de la modernisation. Alors que la sorcel- lerie, en milieu traditionnel, s’exerçe en principe exclusivement au sein de la famille, elle est employée aujourd’hui également à l’encontre d’amis ou de proches associés. Les mécanismes tradition- nels contrôlant les conduites dévian- tes ne s’appliquant pas dans ces cas, les affaires de sorcellerie ne peuvent plus être résolues au sein $e la famille, d’où le recours à 1’Etat.

En l’absence d’autorités tradi- tionnelles bien implantées, les accu- sations de sorcellerie sont portées devant des cadres du parti ou des chefs néo-traditionnels qui, à leur tour, saisissent les gendarmes ou la police. En agissant ainsi, ils se con- duisent comme des représentants de 1’Etat central au sein de leur com- munauti: et non pas comme les. porte-parole de leurs ladministrés. C’est leur loyauté B 1’Etat - base de leur pouvoir - qui explique que la plupart des affaires de sorcelle- rie traitées en public dans les com- munautés de base finissent par être jugées par la justice de 1’Etat.

I1 faut dire aussi que la pro- vince de l’Est est réputée héberger des sorciers particulièrement puis- sants et malveillants et que le pro- blème de la sorcellerie y est jugé particulièrement préoccupant. Même les fonctionnaires de l’Etat, y compris certains juges, en ont peur.

Le rôle des féticheurs

En posant maintenant la ques- tion de savoir sur quelles preuves les juges se basent pbur établir la

culpabilité des accusés, il convient de souligner le rôle important des féticheurs. Neuf des trente cas jugés en appel par la Cour de Bertoua se fondaient sur la hantise qu’avait toute une communauté d’être vic- time d’actes de sorcellerie. Des décès fréquents et inexplicables, des échecs nombreux d’élèves aux exa- mens avaient amené des chefs de village et/ou des responsables du parti à faire appel à un féticheur pour découvrir les causes de ces malheurs persistants. Aucune accu- sation de sorcellerie n’avait été pro- noncée avant l’intervention des féti- cheurs. Ce sont eux qui, après avoir procédé à un acte de divination, accusèrent certains membres de la communauté de s’opposer au pro- grès par la sorcellerie, et qui, dans certains cas, s’efforcèrent de trouver des preuves (( matérielles )) contre les accusés pour les soumettre aux tribunaux pour appréciation. Ces preuves - à savoir des objets appe- lés (( les brindilles de bois )) ou (( les moustaches de panthère )) - sont découvertes le plus souvent par le féticheur lors d’une fouille du domicile de l’accusé.

Or, le témoignage du féticheur devant les tribunaux est primordial pour obtenir une condamnation, et ceci d’autant plus si celui-ci produit des preuves matérielles ((( brindilles de bois )) ou (( moustaches de pan- thère ))) de la culpabilité de l’accusé. Les dossiers examinés montrent, en effet, que. les féticheurs sont deve- nus l’Clément-clé dans la lutte con- tre la sorcellerie et que leur té- moignage équivaut à une condamnation.

Les juges ont-ils raison d’accep- ter comme preuves des éléments relevant des croyances traditionnel- les? Dans quelle mesure les féti- cheurs sont-ils dignes de foi et dans quelle mesure sont-ils neutres ?

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Leur rôle devant les tribunaux Les aveux remésente Dour eux une sorte de rkonnaissake officielle dont ils tirent profit pour faire imprimer des cartes de visite impressionnan- tes et augmenter leur chiffre d’affai- res. N’ont-ils pas intérêt, alors, à fabriquer de toutes pièces des accu- sations de sorcellerie ? Pendant la période coloniale, les féticheurs n’étaient jamais considérés comme des témoins valables, mais ris- quaient plutôt une condamnation pour diffamation en accusant quelqu’un de sorcellerie. Cette pra- tique persiste encore ailleurs au Cameroun. Dans la province du Sud, certains féticheurs sont encore poursuivis par la loi pour avoir organisé des sessions publiques con- tre la sorcellerie. Accepter leur témoignage, sans examen critique, comme le font les tribunaux dans la province de l’Est, peut être néfaste aux droits des accusés.

D’autre part, les communautés locales croient dur comme fer en la sorcellerie et elles sont convaincues que les féticheurs peuvent les aider à la combattre. Pourquoi les juges ne suivraient-ils pas alors le senti- ment populaire en soulignant 1” africanité 1) de ces croyances et en faisant céder la logique carté- sienne devant leur conviction per- sonnelle que le mal supposé a été réellement fait ? Un juge de Ber- toua ne disait-il pas que l’apprécia- tion de tels phénomènes dépend de (( l’intime conviction du juge D ? Malheureusement, les juges ne sem- blent pas réaliser que les féticheurs sont, au fond, eux-mêmes des sor- ciers, et qu’ils appartiennent ainsi au camp que la justice se propose de combattre.

Dans certains cas, mais pas tou- jours, les gens accusés de sorcelle- rie lors de réunions publiques reconnaissent assez rapidement d‘eux-même leurs fautes, comme dans l’exemple suivant :

(( Inutile de nie poser des ques- tions. Je reconnais avoir fait noyer le jeune L. dans le fleuve Lom par la sorcellerie. Je pratique la sorcellerie. C’est dans le but de me venger con- tre la population de Lorn qui nie déteste que j’ai agi ainsi.

Or, la confession équivaut, devant les tribunaux, à une con- damnation, car il n’y a aucun exem- ple d’un accusé acquitté après avoir reconnu sa (( faute B. Prenons le cas de cet individu, lui-même féticheur, qui fut accusé par un de ses con- frères d’avoir tué plusieurs mem- bres de sa propre famille. Au lieu de tout nier, l’accusé avoua sur-le-champ :

((J’ai tué mon père et mon fils pour augmenter mon pouvoir de gué- risseur (...). Mon travail passe très bien quand je tue quelqu’un. 1)

Ces aveux lui coûtèrent une condamnation de dix ans de prison assortie d’une amende de 5 O00 f CFA.

De nouveau, des questions se posent. Les juges doivent-ils tenir compte de tels aveux ? Sont-ils dignes de foi ? Pourquoi les accu- sés passent-ils si facilement aux aveux ? Ne s’attendent-ils pas, en se montrant coopérants, à bénéficier de circonstances atténuantes ? Jadis, quand une personne se confessait en public, le féticheur procédait à une cérémonie destinée à neutrali- ser les pouvoirs néfastes mis à. jour et à resocialiser la personne déviante. Or, aujourd’hui, passer aux aveux est interprété par les tri- bunaux comme une preuve de cul-

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pabilité, sans que les juges en tien- même. Dans ce cas précis, la nent compte à titre de circonstan- femme accusée s’était effectivement ces atténuantes. Les Cours ‘moder- ,livrée à des actes et des gestes sup- nes se montrent donc insensibles :posés, dans les croyances populai- aux motivations profondes de ces aveux et notamment à la quête de réhabilitation selon les procédures traditionnelles qu’ils expriment.

L’exemple suivant montre bien ce dilemme. Quatre personnes furent accusées d’appartenir à une confrérie de sorciers et d’avoir (< mangé 1) le fils de l’un d’entre eux. Lors du palabre villageois, trois des accusés supplièrent le féti- cheur présidant les débats de neu- traliser en e m les forces maléfiques auxquelles ils étaient incapables de résister. Au lieu de cela, ils furent traînés devant le tribunal et con- damnés à cinq ans de prison et de lourdes amendes.

On peut noter aussi que certains aveux sont obtenus sous la torture, par les féticheurs, ou sous la con- trainte morale : lors d’un palabre villageois il peut en effet être dan- gereux de ne pas avouer devant une foule excitée et qui suit aveuglé- ment l’avis du féticheur officiant. Comment déterminer alors si des aveux sont sincères quand une affaire est portée devant le tribu- nal ? De nouveau, le guide ultime est (( l’intime conviction du juge n.

Les preuves circonstancielles

Les affaires examinées par la Cour d’appel de Bertoua montrent, en dernier lieu, que les juges se prononcent parfois uniquement sur la base de preuves circonstancielles. L’un des cas avait trait à un homme supposé avoir été rendu impuissant par une femme jalouse qui lui aurait jeté un sort l’empê- chant d’avoir des relations sexuel- les avec des femmes autres qu’elle-

res, avoir comme effet de rendre un homme impuissant. Le tribunal s’appuyait effectivement sur ces preuves circonstancielles et établis- sait donc une relation de cause à effet entre l’impuissance de l’homme et les actes et gestes mena- çants de sa concubine qui fut con- damnée à‘.huit ans de prison, une amende de 100 O00 f CFA et 300 0 0 0 f CFA de dommages- intérêts au profit du plaignant. Citons les attendus de la cour :

w,que la sorcellerie est scientifique- ment ‘non démontrable, que le recours à un médecin n’est pas détermiiiant dans le cas d’espèc5 que seule l’intime conviction du juge peut guider les débats objectifs à l’audience )>. (C’est nous qui soulignons.)

I1 est évident que les juges, dans ce cas, n’ont ’fait qu’entériner le jugement de l’homme de la rue pour qui la femme en question, de toute évidence, était coupable.

Un autre cas d’impuissance, provoquée par la première femme d’un homme ayant pris une deuxième épouse, fut porté devant le tribunal. Dans ce cas, la première femme avait prédit au nouveau cou- ple une vie de chien pendant loans, à moins que l’homme ne revînt à des sentiments meilleurs. Or, il a suffi que des témoins décla- rent à la barre que ces paroles avaient bel et bien été prononcées

,pour que la femme-fit condamnée ‘ià cinq ans de prison.

La jurisprudence de la Cour d’appel de .Bertoua représente un tournant dans le traitement des affaires de sorcellerie devant les tri- bunaux. Ces cas renversent complè- tement la i pratique antérieure qui était d’acquitter systématiquement

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. - MAGAZINE

les sorciers faute de preuves et de condamner pour diffamation. des @ticheurs accusant autrui de sorcel- lerie. Aujourd’hui, les tribunaux dans la province de l’Est sont impi- toyables pour les sorciers en se fon- dant parfois, comme nous l’avons vu, sur des preuves douteuses.

Cette déviation des pratiques antérieures s’explique par le fait que les tribunaux, dans l’Est, com- prennent aujourd’hui des juges qui, eux-mêmes, craignent la sorcellerie. Au cours de nos recherches sur le terrain, alors que nous manifestions notre scepticisme à l’égard de la façon dont on établissait la culpa- bilité des accusés, un procureur de Bertoua nous répliqua :

(( Nous soinines tous des Africains. NOES ne deaoris pas prétendre que la sorcellerie n’existe pas. Elle est bien vivante ici. Nous ne pouvons pas per- mettre à ces villageois primitifs de menacer des agents -,publics travaillant dans la province de l‘Est. C’est! la sorcellerie qui retarde le développement dans cette province. N

Tout est dit dans ces phrases.

(Traduit de I’aitglais par Robert Buijtenhutjs)

Cette ferveur missionnaire ressem- ble beaucoup ’ au (( fardeau de l’homme blanc )) de Rudyard Kipling - la (( mission civilisa- trice )) des premiers colonialistes.

Malheureusement, les procès en sorcellerie ne s’attaquent pas aux racines du mal. Comment certains gens acquièrent-ils des pouvoirs occultes et pourquoi les utilisent-ils de façon négative? Ces pouvoirs, s’ils existent, ne peuvent-ils pas être canalisés vers des activités plus pro- ductrices ? Ces questions dépassent le cadre de cet article. Les tribu- naux ne s’attaquent à ces phénomè- nes que quand du mal a été fait à la communauté et quand ils ont été portés à l’attention des autorités. D’autre part, les sanctions infligées ne prévoient pas la réhabilitation des sorciers après leur séjour en prison. Au contraire, elles créent des rancunes qui peuvent susciter de nouveaux actes de sorcel!erie. La machine judiciaire de l’Etat, de toute évidence, n’est pas le méca- nisme le plus approprié pour com- battre la sorcellerie.

Cyprian F. Fisiy

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REVUE TIERS MONDE REVUE TRIMESTRIELLE

publik par L'I" D'ÉRIDE DU DBVELOPPEMENT NOM MI QUE m socut

No 117 - Janvier-Mare 1989 DE L ' t " U W & DE PARIS I

POLITIQUES D'AJUSTEMENT ET RECOMPOSITIONS SOCIALES

EN AMERIQUE LATINE sous la direction dei Bruuo LAUTLER et Pierre SALAMA

PrCsentation par Bruno h u t i e r et Pierre Salama B m o Lautier : L'ajusteur justifiC 7 Politique d'ajustement, emploi et dCr6gulation en Amtrique

Pierre Salama : Les effets pervers des politiques d'ajustement dans les Cconomies semi-indus-

Philippe Hugon : Incidences sociales dcs politiques d'ajustement Jaime Maques-Pereira': La ltgitimité introuvable d'une politique Cccnomique : politique d'ajus-

Wrona-lhar.fa Psnizzl : L' a illtgalitd I) des pratiques sociales d'acc¿s au sol et au logement dans

R d g o Uprimy : Croissance, rentes et violences : IC cas sui generis de la Colombie Jean Masini : Le PCrou, de I'orthedoxie B l'orthodoxie en passant par I'hélCrodoxie Jean Cartier-Bresson et Pierre Kopp : Croissance. exclusion sociale et instabilit6 de la politique

Mo'* Ilrodeoff : Ajustement structurel et dksagrtgation sociCtale en Argentine JeamMarc Fontaine : Diagnostics et r e d d e s proposts par IC Fonds monttaire pour l'Afrique.

DOCUMEh'TATlO N Hem4 Diata : Ajustement structurel au Congo Jean de Crpodsljw : La politique extCrieure du BrCsil en Afrique noire : essai de synth¿se Jean-Paul Courthhm et Guy Tchlbou, : Quelques observations sur la rtglementarion des prix

en tconomit sous-dbveloppdc Serge Latouche : Les paradoxes de la (( normalisation )) de I'tconomie informelle

CHRO NIQ LIE INTERNAT10 NALE

latine

trialis&s

tement, exclusion sociale et citoyennetd au Brtsil

un contexie de crise

tconomique au Brtsil

Quelques points critiques

RIBLIOG RAPHIE - NOTES BIBLIOGRA PHIQ LIES ~~ ~~~ ~~ -~ -~ -~

RÉDACITON ET ADMINISTRATION INSTITUT D'l?KlDE DU

DEVELOPPEMENT RCONOMIQUE ET SOCML 58, boulevard Arago, 75013 Paris - TCI. : 43-3623-55

ABONNEMENTS ET VEMTE PRESSES UNIVERSITAI.RE§ DE FRANCE

Departement des Revues : 14, avenue du Boisde-I'Epine, BP 90, 91003 Evay Cedex TCI. (1) 60 77 82 05 - TCIhpie ( I ) 60 79 U) 45

TClex : PUF 600 474 F - Compte Ch¿qucr Postaux : Paris 1302 69 C

Abomuemsnb 8nuuela pour h'annao 1989. - France : 34d F; Etranger : 445 F

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Les noces d’or de I‘IFAN : de l‘africanisme au panafricanisme (Dakar, 27 février-3 mars 1989)

Eh oui, cinquante ans déjà, cinquante ans (cinquante et un en réalité) que fut crée à Dakar l’Institut français d’Afrique noire, devenu avec la décolonisation Institut fondamental d’Afrique noire, puis Institut fonda- mental d’Afrique noire-Cheikh Anta Diop, depuis la mort du célèbre his- torien sénégalais, chercheur éminent de cette institution.

De tous les IFAN de l’Afrique française (un par territoire), celui de Dakar fut incontestablement le fleuron. I1 fut un lieu d’initiative et de promotion de la recherche africaniste, grâce, entre autres, ä celui qui en fut longtemps l’infatigable directeur et animateur, Théodore Monod.

L’IFAN avec ses nombreuses publications (Bulletin de I’IFAN, Notes ufricaiiies), ses trente-huit chercheurs, son importante bibliothèque et ses trois musées (dont Je dernier né, celui de Gorée, fut inauguré lors des manifestations du cinquantenaire) demeure, essentiellement dans les scien- ces sociales, un pôle majeur de la recherche en Afrique. Cependant, la <( crise )) que connaît depuis plusieurs années le Sénégal, ainsi que certai- nes pesanteurs intellectuelles et un manque d‘impulsion, avaient quelque peu émoussé le dynamisme de cette prestigieuse institution qui n’avait plus son rôle attractif d’antan. Un second soume s’imposait. Et c’est à cette tâche difficile qui consiste à susciter des projets et à asseoir la cré- dibilité nationale et internationale de cette institution que s’est attelé l’actuel directeur, le sociologue Abdoulaye Bara Diop , auteur réputé d’ouvrages sur la société wolof.

Dans ce contexte, le symposium du cinquantenaire : (( l’Afrique à l’aube du XXI= siècle B qui s’est tenu à Dakar du 27 février au 3 mars avait au fond une double finalité : réfléchir sur l’état et l’organisation de la

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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE

recherche africaine en général et tirer tous les enseignements de ce bilan et de ces perspectives pour 1’IFAN lui-même, qui entend s’attacher à mieux articuler ses travaux aux problèmes prioritaires de développement et à porter davantage son attention sur les dimensions spcio-politiques de ceux-ci (d’où un intérêt marqué pour la question de YEtat). Les respon- sables de I’IFAN ont également profité de ce forum international pour faire pression auprès des autorités présentes (ministre de l’Enseignement supérieur, ministre du Plan et de la Coopération) sur deux points essen- tiels : le statut des chercheurs et la place de la recherche en sciences socia- les dans les priorités gouvernementales.

Une cinquantaine de délégués avaient été invités à ces manifestations, notamment des représentants de centres de recherche d’Afrique, d’Europe et d’Amérique du Nord.

Les communications et discussions étaient organisées autour de trois grands thèmes : - Obstacles socioculturels au développement : aspects historiques. - La recherche scientifique africaine : héritage, état actuel et avenir. - Recherche et développement : recherche appliquée et entreprises,

recherche fondamentale. Sans avoir la prétention de tirer des conclusions globales de ces jour-

nées, nous voudrions souligner les points forts que l’on peut en retenir.

Le sens d’une commémoration

Le mélange des classes d’âge, voulu par les organisateurs, permit des évocation,s et des retrouvailles parfois émouvantes, mais jamais le sympo- sium ne tourna à la réunion d’anciens combattants. Le regard jeté sur le passé colonial ne fut empreint ni de complaisance ni d’une volonté de disqualification à priori.

Ces quatre journées très denses ont mis en évidence la volonté de dépasser le niveau de la simple commémoration et de s’interroger avec une grande liberté de ton sur les causes du retard de l’Afrique en matière de recherche, perçue comme une nécessité de survie dans le monde actuel.

Le problème fut également posé de l’effet du développement scienti- fique tel qu’il est conçu dans le modèle occidental sur les cultures afri- caines. L‘idée même du +retard de l’Afrique )) fix mise en doute par Cer- tains ; l’Afrique apparaissant à certains égards comme (( un coureur de fond )), pour reprendre la bëlle expression du professeur J. Ki-Zerbo.

Faire de la recherche une priorité politique

L’absence de volonté politique des gouvernants à promouvoir la recher- che a été unanimement constatée. Sj les chercheurs sont en parti respon- sables de ce manque d’intérêt de 1’Etat (individualisme, coupure du pays réel et de ses problèmes, cloisonnements disciplinaire et institutionnel), celui-ci n’a rien fait pour améliorer la situation. La lrecherfhe est consi- dérée comme un luxe par les dirigeants. En moyenne, les Etats africains ne consacrent que 0,5 Yo du PIB à la recherche. L’absence de démocratie est par ailleurs néfaste aux débats scientifiques surtout dans les sciences sociales. Si l’Etat, comme l’a remarqué l’un des intervenants, P. Sane,

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,CHRONIQUE SCIENTIFIQUE

(( enveloppe plus qu’il ne développe 1)) on comprend (que la liberté scien- tifique l’effraie. Mais lorsque les dirigeants politiques poussent les cher- cheurs, comme l’a fait le ministre du Plan sénégalais, à (( apporter des réponses à des questions pratiques )), il faut peut-être les prendre aux mots...

La balkanisation de 1)Afrioue

La dénonciation du morcellement de l’,A&ique a, a-t-on entendu, des conséquences dramatiques sur la détérioration de la recherche. D’où l’idée exprimée avec force par plusieurs participants de construire des espaces régionaux de recherche. Et l’historien B.. Barry a proposé que 1’IFAN devienne (( un centre de compétence sur ,l’Afrique de l’Ouest D.

LWricanisme en question

L’africanisme, connoté comme produit de l’Occident, a été l’une des cibles privilégiée des participants. J. de Medeiros, notamment, l’a analysé comme le lieu d’un rapport de force qui marginalise les chercheurs afri- cains ; et P. Houtongi a mis l’accent sur l’extraversion, dont les consé- quences idéologiques sont patentes (exotisme), qu’il porte. D’autres inter- venants s’en prirent aux privilèges des africanistes européens ou améri- cains, tant pour ce qui est du financement de la recherche que des facili- tés de publication. Mais jamais ces débats ne tournèrent à la croisade. Le souci de tenir compte des évolutions actuelles des études africaines, joint à un humour africain dénué d’agressivité mais corrosif, comme celui de A.A. Dieng qui s’en prit aux économistes africains qui ont été (t les perroquets ou les singes de leurs maîtres européens D, ont créé un climat de dialogue dont tous les participants se sont félicités.

Ce colloque s’est tenu dans une université en grève (enseignants), ce qui a quelque peu perturbé le déroulement de l’inauguration de la stèle en l’honneur de Cheikh Anta Diop. Le ministre de l’Enseignement supé- rieur a vu sa voiture secouée et les autorités ont dû renoncer aux dis- cours d’usage devant la pression de manifestants, par ailleurs très cour- tois avec les invités de 1’IFAN. Le professeur P. Fougeyrollas, ex-directeur de I’IFAN, et l’un des tribuns les plus appréciés à la fin des années soixante de toute une génération d’étudiants contestataires, s’en est trouvé tout ragaillardi. Et il retrouva sa flamme dakaroise d’antan pour pronon- cer sa conférence sur (( les sciences sociales et la civilisation africaine D.

En ouvrant ce symposium, le directeur de I’IFAN pressait les cher- cheurs de (( faire preuve d’imagination D. Tout au long de ces journées, les idées n’ont pas fait défaut. Le problème est maintenant de les organi- ser. En matière de recherche comme dans d’autres domaines, l’Afrique doit se doter de pôles d’excellence et de réseaux. Le panafricanisme scientifique passe par là. L‘IFAN est bien placé pour jouer cette carte.

E. Le Bris et Ch. Codon

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INFORMATIONS

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INFORMATIONS

Il faut toujours regarder dans le rktroviseur. .. On y voit par exemple que les 17 et 18 mars derniers, un colloque

quelque peu original par la nature de ses participants s’est tenu à Chan- tilly à l’initiative de l’Académie des Sciences dyOutre-Mer, en liai- son avec Marchés tropicaux et le Centre culturel des Fontaines sur le thème (( Cultures africaines et développement industriel n. On y trouvait en effet réunis, sous la présidence d’un Ambassadeur de France, des universitaires, des prêtres et des techniciens de grands établissements publics et privés, pour discuter de traditions, de psychologie individuelle et collective, de (( comportements traditionnels )), d’entreprises et de mana- gement. I1 n’est pas évident qu’il en soit resté des traces publiées, mais an peut toujours s’en enquérir auprès du Centre culturel Les Fontaines D, BP 205, 60501 Chantilly Cedex.

0 Du côté du Centre dyétudes et de recherches internationales, le groupe (( Trajectoires du politique en Afrique et en Asie )), d e u ses- sions ont été programmées, l’une avec nos amis Zaki Laïdi et Olivier Val- lée, consacrée aux (( Nouveaux rapports de la Banque mondiale sur l’ajustement structurel n, (le 18 mai), l’autre animée par le directeur d’Africa Confidential, S. Ellis, sur la situation politique en Afrique australe m y le 15 juin. Tout ceci se passe au CERI, 4, rue de Chevreuse, 75006 Paris (45 49 51 30).

Pour sa part, le Centre dyétude dyAfrique noire a organisé du 25 au 27 mai trois journées de séminaire international associant chercheurs français (aquitains et parisiens), espagnols et catalans, britanniques et belges autour de trois thèmes : Etat, langue et ethnicité, la Guinée équato- riale (NDLR : aucun Helvète n’était annoncé au programme), et Reli- gions en Afrique australe. Ceci s’inscrit dans le cadre d’échanges inter- nationaux suivis entre le CEAN, SOAS et le Centre d’études africaines de Barcelone. CEAN, IEP, BP 101, 33405 Talence-Cedex (56 $4 42 $2).

,Le séminaire périodique Travail et travailleurs du Tiers-Monde de 1’Ecole des hautes études en Sciences sociales s’est poursuivi, la séance de clôture pour 1988-89 étant fmée le 19 juin avec une communi- cation de B. Fall et T. Lulle sur les classes ouvrières en Afrique noire ; les perspectives 1989-90 doivent être examinées à l’issue de cette séance. EHESS, 131, bd Saint-Michel, Paris.

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INFORMATIONS

Préparez votre rentrée ...

0 Au cas où certains n’auraient pas reçu les documents pourtant lar- gement distribués, il faut rappeler que 1’African Research Program de l’université Eötvös (Budapest), organise du 27 août au 3 septem- bre 1989 un congrès international sur le thème (( Tradition et moder- nisation en Afrique dyaujourdyhui n. Si vous avez égaré le programme très détaillé de ce congrès totalement pluridisciplinaire, préparez quelque 400 francs suisses pour l’inscription .et écrivez à 1’African Research Pro- grani, Université Lorànd Eötvös, H-1536 B P 387, Budapest (Hongrie).

Sur le chemin du retour, restez à Paris, où le Centre de perfec- tionnement de l’Institut national dyagronomie Paris-Grignon orga- nise une session consacrée aux (t Réalités agraires et programmes de développement agricole BB centrée sur les problèmes de l’analyse scien- tifique des situations dans le tiers monde tant dans la perspective de l’éla- boration que de l’évaluation des politiques agricoles. Ceci est prévu du 11 au 15 septembre 1989. S’adresser à l’ADEPRIMA, IS, rue Claude- Bernard, 75005 Paris (43 37 96 34, 43 37 15 50). Un détail : la fiche pré- cise : (( Prix TTC 5 300 F. (Déjeuners non compris) D. I1 s’agit de for- mation continue ...

Si l’agraire vous paraît hors de portée, notre collègue T. Mwayila et l’Institut panafricain de géopolitique vous proposent, apparemment sans frais, du 12 au 14 septembre, à l’université de Paris I, un colloque sur le thème (( Problèmes et perspectives de Pindustrie minière en Afrique B. Les aspects juridiques, technologiques, économiques, commer- ciaux nationaux et internationaux doivent être traités. S’adresser à Insti- tut panafricain de géopolitique, Bibliothèque universitaire/Droit, ll, place Car- not, 54042 Nancy-Cedex (83 55 35 94).

Si vous n’aimez pas la mine, si vous n’aimez pas la campagne, fai- tes donc du droit, les 14-15 septembre du côté de Leiden, à l’initiative de Gerti Hesseling, de l’Afrika-Studiecenty de E. Le Roy, du Labo- ratoire dy anthropologie juridique de Paris I. I1 s’agit de travailler sur le pluralisme juridique en Afrique noire. I1 semblerait qu’au- delà des problèmes conceptuels, les non-juristes pourront participer et com- prendre. Demandez donc à Etienne Le Roy, Politique Africaine, on fera suivre.

0 Si votre réserve d’énergie est inépuisable, rendez-vous la semaine suivante (du 19 au 21, ou même au 24 si vous voulez participer au ((.sur- prise trip ))) à Ljubljana (Yougoslavie) pour la conférence de l’Associa- tion européenne des instituts de recherche et des formations en matière de développement (EADI) consacrée à la coopération avec les pays du Tiers-Monde dans le domaine de la documentation. S’adresser au Centre for International Cooperation and Development, 61109, Ljubljana, Yougoslavie. Kardeljeva Ploscad 1.

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INFORMATIONS

Un peu plus au sud, à Bujumbura (Burundi), un peu plus tard (du 17 au 24 octobre 1989), le Département dyhistoire de l’Université du Burundi organise son colloque consacré à M Histoire sociale et déve- loppement en Afrique de l’Est : XM-XX= siècles n. La perspective retenue intéresse tous les aspects des sciences sociales et humaines, les communications étant regroupées autour de trois thèmes : pouvairs poli- tiques e t sociétés, économie et réseaux d’échanges, changements culturels et influences extérieures. Le secrétaire du comité d’organisation est G. Feltz, Département d’histoire, Université de Bujumbura, B P 427, Biljum- bura.

0 Retour à la méthodologie et à Paris, où l’Institut de recherche sur les sociét6s contemporaines (IRESCO) propose une session sur le thème La recherche comparée internationale >B. Ouverte en pré- sence notamment de B. Badie et E. Lisle, elle doit se développer en forme d’ateliers thématiques variés traitant d’économie sociale, d’entreprise, de loisirs, de migrations, etc., dans des perspectives où le facteur culturel doit être activement intégré. IRESCO, 59/61, rue Pouchet, 75849 Paris Cedex 17 (40 25 10 25).

Les migrations sont au cœur même d’une autre manifestation scien- tifique, cette fois du 4. au 9 décembre 1989 à Nairobi (Kenya). L’Union pour les études de démographie en Afrique (UAPS) y a prévu sa première codérence. Une dizaine de thèmes couvrant les Merentes moda- lités des phénomènes migratoires sont regroupés sous le titre U Confe- rence on Migration in African Development : Issues and Policies for the 9Os,n. On peut encore proposer des contribuer en écriwant soit à UAPS, BP 21007, Dakar-Ponty, Dakar (Sénégaal), soit à Population Stu- dies et conimercial Research Institute, University of Nairoby, PO Box 30197, Nairobi (Kenya).

0 Catherine Coquery-Vidrovitch est toujours très organisée : grâce à elle, il est possible de bien prévoir la programmation des colloquies. C’est ainsi qu’elle nous annonce pour novembre ou décembre 1990 une confé- rence internationale consacrée à c( la jeunesse en Afrique : encadre- ment et rôle dans la société à lyépoque contemporaine, XM- xxc siècles )B, Le Laboratoire Tiers-Monde, Afrique de l’université de Paris VII oriente les contributeurs éventuels vers une treizaine d’axes privilégiés devant réunir chercheurs et acteurs. On peut écrire au Labo- ratoire Tiers-Monde, Afrique, UFR GHSS, Université de Paris VI& ¿’, place Jzusiezc, 75005 Paris.

Et si on parlait argent ?...

0 Le ministère de la Recherche et de la Technologie :a diffusé une circulaire relative à un programme d’aide à la publication dyouvra- ges scientifiques et techniques comportant une aide à la rédaction (mise en forme du manuscrit définitif) et une aide à l’édition couvrant 30 à 40 ’70 du coût de fabrication. Les propositions doivent correspondre à des

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INFORMATIONS

enseignements universitaires de second ou troisième cycle, ou réaliser une synthèse de qualité dans une spécialité déterminée. La prochaine échéance pour le dépôt des dossiers est fHée au 15 se~tembre 1989. S’adresser au MRT, Bureau de l’édition, 1, rue Descartes, %231 Paris Cedex 05, (46 34 35 55).

Pour publier, il faut écrire. L’Association internationale de sociologie vous y incite au travers de son concours mondial cc Jeunes sociologues n, ouvert jusqu’au ler septembre 1989. Les candidats (âgés de moins de 35 ans) doivent rédiger un essai de 6 O00 mots développant une approche sociologique sur un problème social, économique, politique ou culturel important. Plus de détail sont disponibles auprès de Daniel Ber- taux, Centre d’étude des mouvements sociaux, 54 bEd Raspail, 75006 Paris, qui est chargé de collecter les (( copies D.

Informations documentaires et autres

Faute de place, et pour ne pas empiéter sur les compétences du res- ponsable de la chronique bibliographique, limitons nous à deux indica- tions utiles pour les néophytes :

Chaque trimestre, l’université d’Oxford publie le livret des ensei- gnements, séminaires et activités diverses consacrés à l’Afrique. I1 est dis- ponible sur place ; une adresse parmi d’autres : Africanists Offices, 66 Woodstock R4 Oxford.

0 Pour sa part, l’Institut africain de l’Académie des Sciences d’URSS a publié l’inventaire des livres, brochures et articles consacrés à l’Afrique et publiés en URSS en 1984185. Xzstitute for African Studies, 30/1 Alexey Tolstoy Str. Moscow, K-1, 103001, URSS.

Le Centre d’étude d’Afrique noire de l’Institut d’études politi- ques de Bordeaux (Unité de recherche associée au CNRS) souhaite recru- ter, à compter de la rentrée 1989, un chargé de recherche stagiaire (poste Fondation nationale des sciences politiques) pour une période de deux ans.

Les candidats devront être titulaires d’un doctorat ou de travaux équi- valents et spécialisés sur l’Afrique dans le domaine des sciences sociales.

Toute personne intéressée est priée d’adresser un dossier de candida- ture à l’adresse suivante : Centre d’étude d’Afrique noire, BP 101, 33405 Talence Cedex, avant le 15 juillet 1989.

Le dossier comprendra un curriculum vitae, la copie des ’ diplômes, les articles et ouvrages publiés, trois lettres de recommandation et un pro- gramme de recherche et d’activités pour les deux années à venir.

N.B. : Pour apparaître dans cette rubrique, il suffit d’adresser vos pro- jets, vos annonces de manifestations scientifiques au nouveau (!) respon- sable de la chronique: F. Constantin, CREPAO, Université de Pau et des pays de l’Adour, avenue Poplawski, 64000 Pau.

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DANS LES COLLECTIONS ÉDITÉES PAR LE MINISTÈRE DE LA COOPÉRATION

ET DU DÉVELOPPEMENT

Vient de paraître :

In collection (( Analyses )>

Hydraulique villageoise en eau souterraine en Afrique occidentale et centrale B. HUMBAIRE, D. PETER, P. PRUDHOMME - 1989 - 130 F

ouvrage bilingue. L’édition séparée en microfiches des docu- ments analysés dans ce livre est disponible à la Société Tomi, 38, avenue Franklin-Roosevelt, B.P. 67, 7721 1 Avon Cedex.

Les Villes d’Afrique noire entre 1650 et 1960 Politiques et opérations d’urbanisme J. POINSOT, A. SINOU, J . STENARDEL - 1989 - Les Organisations régionales africaines : recueils de textes M. et Mme GHERARI - 1989 - 195 F

160 F

In collection (( Études et Documents ))

Politiques de change et ajustement en Afrique CCCE-P. JACQUEMOT - E. ASSIDON - A.H. AKANNI 1989 - 218 p., tabl, graph. 100 F

En vente à :

LA DOCUMENTATION FRANçAISE 29-3 1 , quai Voltaire

75007 Paris

Catalogue sur demande à La Documentation française

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Chronique bibliographique sous la responsabilité de René Otayek, avec la collaboration de Robert Buijtenhuijs, Fravçois Constant&, Bernard Con- tamin, Georges Courade, Gert i Hesseling, Emile le Bris, Etienne Le Roy, Alain Ricard.

MASSIAH (Gustave), TRIBILLON (Jean- François) - Viles en développe- ment. - Paris, La Découverte, 1987, 320 p. (Cahiers libres).

Ce livre vient à point enrichir l’abondante production monographique de ces dernières années sur les villes des pays en développement. I1 manquait en effet 1 cette production une réflexion stratégique sur les politiques urbaines qualifiée, non sans humour, par les auteurs de (( merveilleuse envolée de la pensée urbanistique n.

L’humour n’interdisant pas l’ambi- tion, ils prétendent transcender les cou- pures appauvrissantes entre disciplines et réduire l’écart qui sépare le techni- que du social. A travers un propos généralement inspiré d’expériences afri- caines, ils visent des publics très divers, généralement informés à des sources qui ne communiquent guère entre elles.

Gageons qu’une même irritation sai- sira ceux à qui l’on peut instiller plus d’intelligence technique et ceux que l’on convie à un questionnement plus poli- tique. Les premiers chercheront en vain dans ces pages le renouvellement d’un cadre théorique ; les seconds seront sevrés des recettes que nécessite la tâche ingrate de mise en ordre quotidienne

des hommes et des choses dans la ville. Au fil d‘un propos exigeant et parfois déroutant, les uns et les autres ne trou- veront ni un corpus de données de ter- rain prédigérées ni des réponses toutes faites aux problèmes que pose l’urbani- sation du tiers monde.

Villes en aZueIoppement est un livre de parti pris : l’urbain n’est pas seulement objet de politiques, il est aussi objet politique. La réflexion sur les logiques du développement urbain éclaire l’iden- tification des grands choix politiques à opérer j vient ensuite l’analyse des ins- truments mis au service de ces politiques.

Sous prétexte d’urgence, les techni- ciens de la ville ne prêtent que très rarement attention à la superposition des logiques qui sont à l’œuvre dans la production de l’espace urbain. La logi- que coloniale, solidement charpentée en doctrine cohérente et contraignante, a été fondatrice de villes surtout en Afri- que noire. Cette logique n’a pas perdu toute son actualité dans un urbanisme du symbole et du monument ne s’inté- ressant qu’à la ville légale et dans les pratiques urbanistiques qui, au-delà des indépendances, sont restées fortement répressives et ségrégatives. Les Etats nouvellement créés se trouvaient cepen- dant confrontés 1 des régularités nou-

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RE VUE DES LIVRES

velles tenant à leur situation de dépen- dance et au type de rapports qu’ils entretiennent avec la’ société civile. Ils ont subi, ces demières années, une nou- velle logique de (( mondialisation des vil- les )) découlant à la fois du redéploie- ment des activités productrices à I’échelle planétaire, de l’inscription de la migration sur le territoire du monde et de l’universalisation des modèles de consommation. Si puissantes que soient ces déterminations, il y a une spécifi- cité de l’urbain et de l’aménagement spatial qui rend hasardeuses les extra- polations systématiques. Le coup de chapeau des auteurs à la démarche anth- ropologique est, à cet égard, bien ve- nu.

Pour éclairer les grands choix poli- tiques qu’implique le développement urbain, les urbanistes doivent s’astrein- dre à deux démarches préalables : faire de constants détours par le rural et accepter de prendre en considération les clivages sociaux pour concevoir un ordre spatial adapté. Est-ce faire un mauvais procès aux urbanistes que de signaler qu’ils respectent rarement ces préalables ? Nous y voyons plutSt un vibrant appel à la lucidité et à l’ambi- tion. L’ensemble de ce chapitre se pré- sente comme un démenti argumenté adressé à tous ceux que tenterait l’a urbano-dictature D...

Face à la cris& le droit à la ville est moins que jamais le droit fondateur des politiques urbaines et l’urbanisme con- temporain que décrivent G. Massiah et J.-F. Tribillon n’est guère en position de faire des choix. Placé sous la stricte dépendance d’ordres étatiques parfois contradictoires, il n’est guère incité à s’inspirer d‘une réflexion stratégique sur la relation au marché mondial, les rap- ports entre développement et démocra- tie ou les alliances de classes pourtant inséparables de toute action d’aménage- ment. Enfermé dans un économisme sommaire (la solvabilité, la récupération des coûts...), il a tendance à se réfugier dans ce que les auteurs appellent une (( amnésie de l’habiter )) alors même que l’habitat est plus que jamais le noyau dur des politiques urbaines.

A l’effacement théorique s’ajoute le dépérissement de l’instrument urbanis-

tique. Les chapitres sur l’instrumenta- tion sont sans doute les plus stimulants duilivre. Rejetant (( l’inventaire de boîte à outils )), les auteurs posent a priori que le choix des systèmes d’opérateurs est plus important que celui des instru- ments techniques. Ils se refusent, non sans provocation, à charger un peu plus le panier de l’aménageur dans les trois domaines qu’ils considèrent comme décisifs : le foncier, le locatif et les filiè- res d’habitat.

S’agissant du foncier, la croyance prévaut qu’en assurant la sécurité fon- cière, on contribue à libérer les initia- tives et l’épargne. Or l’expérience prouve que la sûreté foncière ne découle pas forcément de l’accession à la pro- priété. Si l’on ajoute qu’en particulier en Afrique, on est très loin de dispo- ser d’une assiette foncière stable, il faut bien passer par l’identification précise des rapports mutuels de domination et d’exclusion qu’entretiennent entre elles les filières de production et s’orienter vers la reconnaissance d’un (( droit inter- médiaire )) collant aux pratiques réelles des citadins.

On ne peut pas plus se contenter d‘un simple encadrement administratif des rapports entre propriétaires et loca- taires ; ces rapports structurent forte- ment les formations sociales des villes du tiers monde (voir Abidjaii côti cour, Karthala, 1987) et ils doivent faire l’objet d’un traitement spécifique impli- quant une connaissance fine des négo- ciations à I’échelle locale.

Dans le domaine essentiel des filiè- res d‘habitat, la nécessité d’une gestion sociale de l’urbain est encore plus mani- feste. Va-t-on persévérer dans I’impos- sible recherche d‘une adéquation entre les revenus et les coûts ? Est-il réaliste de prétendre gérer les villes prolétaires à coups de permis de construire et de bornages au centimètre ? Doit-on con- tinuer à céder au fétichisme de la domi- ciliation du salaire et de la garantie hypothécaire ?

Le démontage préalable des logiques, des filières et des systèmes d’opérateurs est indispensable pour comprendre les vrais enjeux de la construction et suivre les mille ruisseaux de l’épargne.

L’urbaniste, ou plutôt l’équipe

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d’urbanisme (comprenant des juristes, des ingénieurs, des sociologues, etc.) devrait être au centre d’un processus politique de prise de décision quoti- dienne. Au lieu de cela, elle soliloque, trop empressée à projeter une ville en dehors de toute expression des citadins. Par les effets conjugués d’une informa- tion déficiente et de l’extrême pauvreté de la réflexion doctrinale, les urbanis- tes en sont réduis à considérer les vil- les du tiers monde comme des formes primitives de la ville industrielle dont il suffirait d’appauvrir jusqu’au dénue- ment les techniques classiques.

Mais que l’on n’attende pas des auteurs un plaidoyer en faveur de 1 ’ ~ urbaniste aux pieds nus )), apologue de la misère préoccupé d’évacuer la question du politique à travers l’instau- ration d’un illusoire dialogue direct entre le peuple et les techniciens. La question de la (( participation popu- laire )) est traitée sans naïveté. D’autres travers naïfs de l’urbaniste populiste sont en revanche épinglés : le progres- sisme de la ligne politique ne suf i t pas à garantir le progressisme de la ligne urbanistique mais, à l’inverse, ce n’est pas l’éloignement de la règle qui garan- tit la qualité sociale et politique de la gestion urbaine.

I1 demeure que l’on doit gérer sous contrainte, par approximations et com- promis, des cités que l’on ne sait plus planifier. Le meilleur cadre pour ce pilotage à vue est-il le cadre commu- nal ? Le (( retour des communes 1) pro- nostiqué par les auteurs mériterait d’autres développements, mais il est vrai que germent, en particulier en Afrique noire, des projets communaux qui désarçonnent les opérateurs étrangers mal préparés à situer judicieusement la technique et le droit par rapport aux savoirs et aux savoir-faire des usagers.

Mettre tous les acteurs de l’urbain en situation de débat, telle est l’immense ambition de ce livre qui ne se contente pas de dénoncer les dangers d‘une toute- puissance de l’idéologie urbanistique. On y trouvera aussi quelques clés pour s’occuper enfin de la (( ville réelle )) et analyser sérieusement les puissants méca- nismes d‘exclusion dont les villes du tiers monde sont le cadre. [E.L.B.]

PEAN (Pierre) - L’argent noir : Cor- ruption et sous-développement. - Paris, Fayard, 1988, 278 p.

Quand P. Péan, en 1983, a publié Affaires africaines, le n’ai pas cru la moi- tié de ce qu’il disait et je pense toujours qu’il s’est avancé à cette occasion avec un peu trop de légèreté dans le monde opaque des services secrets. L’argent noir, son nouveau livre, est d’un niveau bien supérieur. I1 s’agit d’un dossier en béton, bien ficelé, bien argumenté, écrit avec toute l’indignation que mérite le sujet. I1 y a de quoi, en effet.

I1 est indéniable, d’abord, qu’une partie de l’argent prêté par les pays riches aux nations pauvres s’est envo- lée en commissions et autres (( arrosa- ges )) et dort aujourd’hui tranquillement dans des comptes numérotés en Suisse. Mais il y a pire : beaucoup de projets de (( développement 1) ont été jugés prin- cipalement en fonction des pots-de-vin qu’ils permettaient de dégager, alors que les banquiers et les industriels occiden- taux, dans leur hâte de recycler les pétrodollars arabes, ne se sont point préoccupés de la rentabilité économique des (( éléphants blancs )) qu’ils ont réussi à placer un peu partout, et notamment en Afrique noire. Résultat : la dette des pays du tiers monde dépasse aujourd’hui les 1200 millards de dol- lars et rien, ou très peu, de solide n’a été construit pour permettre de rem- bourser ces sommes colossales.

Tel est, en résumé, le propos de P. l’éan. Certes, la plupart des faits cités par l’auteur étaient connus, à l’exception peut-être des mécanismes parisiens ayant permis à quelques gros- ses boîtes françaises de faire des super- profits sur le dos de leurs concitoyens contribuables ; mais l’auteur a eu l’immense mérite de mettre le tout ensemble et d’en faire une analyse glo- bale qui n’épargne personne. En Ce qui concerne plus particulièrement l‘Afrique noire, il consacre des chapitres excel- lents au Zaïre et à la Côte-d’Ivoire qui sont des modèles du genre. D’autres chapitres (sur la Sierra Leone) sont un peu maigres, mais dans l’ensemble P. Péan a fait Oeuvre utile et - espérons-le - salutaire. [R.B.]

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DADI (Abderahman) - Tchad : PÉtat retrouvé. - Paris, L‘Harmattan, 1987, 222 p.

J’avoue que j’ai commencé à lire ce livre avec un préjugé. Peut-on mener, quand on est tchadien, une double car- rière de chercheur et d‘administrateur, comme prétend le faire A. Dadi dans la présentation de son livre ? N’est-ce pas se condamner automatiquement à la complaisance à I’égard des autorités en place? Eh bien, non! L’auteur nous présente en effet une analyse de l’évo- lution politique du Tchad depuis l’indé- pendance qui ne fait pas la part trop belle à Hissein Habré et qui se distin- gue généralement par un ton neutre, détaché. Reproduisant pour l’essentiel une thèse soutenue en mars 1984 pour l’obtention du doctorat de 3‘ cycle de science administrative (soulignons (( administrative )), car cela se sent), A. Dadi a eu, par exemple, l’honnêteté de publier son texte dans sa version ori- ginale, bien qu’allégée, sans céder à la tentation de réécrire certains passages ou d’édulcorer certains jugements à la lumière des événements des dernières années. Ce qui le met parfois en porte- à-faux par rapport à la doctrine officielle de son président, comme quand il défend courageusement des solutions fédéralistes pour son pays (pp. 127-128).

De plus, ce livre est clair, bien écrit, relativement court et le texte ne s’encombre pas des lourdeurs habituel- les des travaux universitaires. C’est donc un bon exemple de vulgarisation scien- tifique qui sera tout à fait utile au Tchad.

Cela dit, on peut émettre quelques réserves. L’une des thèses centrales de l’auteur est qu’à l’indépendance rien ne prédestinait le Tchad .aux malheurs du début des années quatre-vingts et que les pays africains étaient tous dans des situations relativement proches les unes des autres, la plupart des handicaps étant de même nature. Je ne partage pas cette idée - ce qui n’est pas grave en soi - mais il me semble que l’auteur, au cours de sa démonstration, n’apporte pas de preuves sufisantes pour fonder son hypothèse et qu’il se contredit d’ail-

leurs lui-même (p. 128). A. Dadi me semble aussi trop enclin à privilégier les aspects ethniques et régionaux des dif- férents conflits tchadiens et à occulter leurs dimensions politiques qui existent dans bien des cas. En ce qui concerne les critiques de détail, on doit signaler les cas trop fréquents d’affirmations hâtives ou même carrément erronées qu’il serait fastidieux d’énumérer, mais qui montrent que l’auteur n’a pas pris la peine de faire relire son texte avant publication. Dernière remarque : les pages consacrées à l’action du Comité permanent dans la zone méridionale de 1979 jusqu’en 1982 sont vraiment trop partisanes et feront hurler, à juste titre, plus d’un Sudiste. [R.B.]

LE BRIS (Émile), MARIE (Alain), OSMONT (Annik), SINOU (Alain) - Famille et résidence dans les villes africaines. Dakar, Bamako, Saint- Louis, Lomé. - Paris, L’Harmattan, 1987, 268 p. (Villes et Entreprises).

Paru au cours de l’Année interna- fonale des sans-abris, cet ouvrage aborde les problèmes liés 1 la (( bouli- mie d’espace dans les villes africaines d‘une façon absolument saisissante. Rehsant de se laisser enfermer dans une dichotomie figée du type tradi- tionlmodernité et essayant de briser le préjugé selon lequel l’intégration à la ville se traduit par la destruction des solidarités familiales, les auteurs ont apporté une contribution importante à la compréhension des processus d‘urba- nisation en Afrique. Le livre comporte quatre contributions individuelles (pré- cédées d‘une introduction et terminées par une conclusion collectives) qui reprennent les résultats d’une recherche menée par une équipe pluridisciplinaire sur les pratiques de l’espace habité à Dakar, Rufisque et Saint-Louis (Séné- gal), Bamako (Mali) et Lomé (Togo). Sur le plan de la présentation, on cons- tate d’abord le travail soigné des illus- trations (photos, dessins, cartes, schémas généologiques). I1 faut regretter pourtant

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l’absence de notes (il est vrai qu’il s’agit là d’une prédilection personnelle) et d’un index (négligence blâmable, mais quasi générale dans les ouvrages français).

La ville de Lomé fait l’objet de deux contributions. Dans la périphérie loméenne, E. Le Bris analyse les prati- ques diverses utilisées par la population pour trouver un ((chez soi )) et créer ainsi l’espace quotidien. Sur la base d’études de cas, l’auteur réussit à mon- trer de façon animée la complexité et la dynamique des structures familiales résultant de l’intégration à la ville. A. Marie situe son étude dans quelques quartiers anciennement urbanisés de Lomé. L’analyse des structures lignagè- res lui permet d‘aboutir à une des conclusions-clés de l’ouvrage, à savoir que la réalité urbaine impose souvent, entre la famille étendue et la famille élé- mentaire, une figure de compromis très souple : la famille élargie.

Les recherches comparatives d’A. Sinou menées à Bamako et à Saint- Louis montrent deux processus oppo- sés : un quartier (( spontané )) de Bamako où, malgré l’absence de pro- grammation, l’espace tend à se régula- riser, tandis que dans un quartier anciennement loti de Saint-Louis, l’espace habité continue à subir toutes sortes de transformations ; là, l’espace programmé a tendance à se démodéli- ser. La conclusion de cette contribution est spectaculaire et la leçon que l’auteur en tire - abandonner la recherche d’un modèle passe-partout de l’habitation et favoriser les adaptations inventées par les utilisateurs - mérite toute l’atten- tion. Une seule remarque critique pour- tant : les références à la situation urbaine dans l’Europe du Moyen-Age ou d u XIXC siècle m’ont donné l’impression peut-être erronée d’une approche évolutionniste des phénomènes urbains en Afrique. Dans la conclusion générale, les auteurs se défendent d‘ail- leurs expressément d’une telle intention.

L’étude monographique par A. Osmont d’un segment de lignage dont les membres sont dispersés en plu- sieurs lieux de résidence à Dakar et à Rufisque témoigne d’une grande richesse historique et anthropologique.

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Elle met en évidence le rôle primordial de la solidarité familiale dans les stra- tégies spatiales ainsi que dans les stra- tégies de promotion sociale et économique.

En reprenant les deux mots-clés du titre de l’ouvrage, il est frappant de constater dans quelle mesure ceux-ci résument la méthode de recherche uti- lisée et les conclusions principales de I’étude. Dans le contexte urbain afri- cain, les auteurs définissent la famille - élargie ou étendue - comme un réseau, c’est-à-dire un système identifiable de relations sociales et économiques fon- dées sur les relations de parenté. La résidence n’est pas assimilée à un seul lieu d’habitation, mais est considérée comme un système résidentiel, c’est- à-dire un ensemble de plusieurs unités d‘habitation où les membres d’une même famille se sont installés. Ces pré- cisions ont obligé les chercheurs à des- cendre à l’échelle microsociale, à afi- ner les unités d‘enquête et à utiliser les données de la méthode anthropologique. La corrélation observée entre la famille comme réseau et la résidence comme système résidentiel a abouti à une analyse fine et à caractère prospectif des problèmes liés à l’espace urbain.

Cela ne veut aucunement dire que l’ouvrage nous offre des recettes (( clés en main )) pour résoudre les besoins des citadins africains en matière de loge- ment et d’aménagement de l’espace. Mais en mettant en valeur les stratégies et les pratiques des différents acteurs sur l’échiquier urbain, cette étude ouvre une piste de recherche qui s’inscrit dans un mouvement actuel dans le milieu des recherches sociales où l’on essaye de développer une théorie permettant de comprendre le sens des dynamiques sociales dans le domaine de l’espace urbain et de mieux analyser la situation mouvante et conhse résultant du pro- cessus en cours. Sur le plan des politi- ques urbaines, il est à espérer que l’admiration réconfortante et justifiée des auteurs pour l’aptitude des citadins africains à chercher eux-mêmes des adaptations optimales à la nouvelle réa- lité urbaine éveillera des résonances auprès des décideurs. [G.H.]

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REVUE DES LIVRES

BOESEN (Jannik), HAVNEVIK (Kjell J.), KOPONEN (Juhani), ODGAARD (Rie) (éd.) - Tanzania. Crisis and Strug- gle for Survival. - Uppsala, Scandi- navian Institute of African Studies, 1986,’325 p.

Malgré la crise et l’association des organismes d’aide nordiques aux pres- sions exercées par le FMI, la filière aca- démique scandinave reste fidèle à la Tanzanie. Bien plus, la morosité ambiante de la décennie Iquatre-vingts a incité les chercheurs danois, norvégiens, finlandais et suédois à tirer parti de leur expérience de terrain (et de leurs publi- cations antérieures) pour tenter un état des lieux susceptible de faire mieux comprendre comment le rendez-vous du développement a été manqué, comment la situation de crise s’est diffisée et, ce faisant, d‘aider à y trouver des issues.

L‘unité de l’ensemble est placée par le groupe éditorial dans le thème du mal-développement, dont l’analyse exige incontestablement un travail pluridisci- plinaire. Les différentes contributions traitent donc des problèmes sociaux (démographie, femmes, santé), économi- ques (d’un point de vue macro- économique, mais aussi sectoriel : indus- trie, agriculture, artisanat), technologi- ques (mécanisation, gestion de l’eau) et écologiques (protection des sols, pasto- ralisme, faune sauvage). Le politiste ne trouvera pas son compte en lisant la table des matières, ce qui peut paraître en soi étrange et, même si en défini- tive on en saisit quelque raison, tout à fait regrettable. Mais comme les auteurs ne sont pas naïfs, et comme le politiste est curieux de tout et sait lire, y com- pris ce qui n’est pas écrit, il constatera qu’en fait, l’objet de sa recherche est présent tout au long des chapitres qui sont autant de facettes des politiques sectorielles tanzaniennes.

Davantage frustré sera celui qui attendait quelque analyse replaçant la Tanzanie dans le système international. Certes, le groupe éditorial annonce bien qu’il privilégie les aspects internes ))

du développement ; ce choix initial est quand même sérieusement discutable à partir du moment oh la problématique

est, nous dit-on, centrée sur le dévelop- pement et que, dans le cas de la Tan- zanie, celui-ci a suscité de multiples flux internationaux publics et privés aux- quels les pays scandinaves ont abondam- ment contribué (à moins que cela ne vienne donner l’explication du silence des chercheurs ?). Bien sûr, l’impasse n’est pas totale et l’on trouve, au tra- vers des contributions, des références aux filières et implications étrangères.

Manque aussi à l’appel ce qui est souvent présenté dans les discours of€ì- ciels ou (un peu trop) rapides comme un des (trop rares) fleurons de la poli- tique tanzanienne : l’action éducative et culturelle. I1 eût été pourtant nécessaire de disposer d‘une analyse précise sur ce thème qui constitue une des conditions fondamentales de toute politique de développement, et ce n’est que de manière très dif€ùse que certains aspects sont évoqués dans différents chapitres.

La plupart des contributeurs sont connus par leurs travaux antérieurs ou contemporains de cette publication ; ils n’innovent donc guère, mais condensent plutôt leur argumentation, ce qui n’est pas sans intérêt pour qui veut (( entrer ))

dans l’étude de la Tanzanie. On retrouve les qualités de précision pro- pres à l’(( école scandinave )), s’appuyant sur des microanalyses de terrain. On n’en regrettera que davantage le fait que les auteurs n’aient pas cru nécessaire de se concerter pour proposer une réflexion de synthèse sur l’état de l’expérience tanzanienne (l’introduction générale porte seulement sur l’identification de la situation de crise).

Sans négliger les réserves qu’il sus- cite du fait de certains silences, il n’en demeure pas moins que l’on a ici un ouvrage doublement essentiel : d’une part pour connaître certains aspects de la Tanzanie, d’autre part pour avoir une illustration des modalités et de la per- tinence du travail de terrain. [F.C.]

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SHIVJI (Issa G.) - Law, State and the Working Class i d a n i a . 1920-1964. - LondreslPortsmouth N.H./Dar es Salaam, J. Currey/Heine- mann, Tanzania Publishing House, 1986, 268 p.

Que I. Shivji, quoique juriste, se démarque radicalement du positivisme juridique traditionaliste ne saurait sur- prendre. Qu’il place son analyse sous les auspices du matérialisme historique et de latlutte des classes n’étonnera pas davantage (d’ailleurs, au cas où on l’oublierait, l’éditeur rappelle sur la jaquette de couverture que Shivji est l’auteur de Class Struggles iiz Tailzania. Assumant donc avec une vivacité intel- lectuelle inaltérée et un appareillage théorique inébranlable sa fonction de contestataire institutionnalisé, l’auteur présente ici une sorte $’histoire sociale du Tanganyika, de 1’Etat colonial )ri- tannique aux premiers pas de 1’Etat postcolonial qui, révélant sa nature de classe, va faire ce que le pouvoir colo- nial n’avait pas fait, à savoir mettre au pas le mouvement syndical.

L‘intérêt majeur de cette étude n’est pas dans ce qui fait son ambition théo- rique. La fidélité aux modèles-idéaux de structures et de conflits de classes ima- ginés par Marx, Engels ou Lénine n’emporte pas la conviction, surtout lorsqu’on s’efforce de les transposer dans une formation sociale essentielle- ment paysanne, peu industrialisée et qui, bien que placée en position de subordination dans un système de domi- nation impérialiste, n’a pas (pas encore ?) sécrété un véritable prolétariat, mais seulement un salariat, groupe social relativement exigu, sans doute aliéné (mais peut-être pas dans le sens que souhaiterait Shivji), mais certaine- ment pas le plus exploité. L’auteur est d’ailleurs bien obligé de reconnaître son caractère composite et incertain, oscil- lant entre une forme de ((semi- prolétariat )) et diverses formes de (( petite bourgeoisie )), peut-être nationa- listes, mais certainement pas révolution- naires. La quasi-indifférence dans laquelle 1’Etat postcolonial met fin à l’indépendance du mouvement syndical

ne pouvant s’expliquer par la seule force répressive de l’Etat, ainsi que le reconnaît l’auteur, le lecteur peut res- ter sceptique sur l’importance effective d’un mouvement social (la classe ouvrière, incarnée par les syndicats) qui disparaît de la scène sociopolitique par le jeu du simple retournement de quelques-uns de ses dirigeants et l’arres- tation temporaire de quelques autres ; ceci tendrait à prouver que l’auteur a quelque tendance à idéaliser à sa façon une réalité sociale complexe, conflic- tuelle certes, mais où les concepts-clés de toute lutte de classes dans un système capitaliste (bourgeoisie, proléta- riat, appropriation privée de moyens de production, mobilisation, conscience de classe, pour ne pas ajouter aussi Etat) apparaissent singulièrement évanescents, sinon totalement absents.

Quant à la théorie critique du Droit (premier terme du titre), elle est pré- sente en ouverture (p. 1) et en conclu- sion (p. 242) et ne pourrait bouleverser que quelques attardés qui ne veulent pas encore reconnaître que la norme juridique est produite par la société, et plus particulièrement par les groupes sociaux dominants de cette société (G classes )) ?). Poser, comme le fait l’auteur, que U le droit n’a pas d’histoire propre )) n’en est pas moins, une fois encore, réducteur : Marx avait écrit cela de l’idéologie en 1846; les marxistes contemporains reconnaissent qu’il s’était peut-être laissé prendre au goût de la formule auquel Shivji semble avoir aussi cédé.

I1 ne faudrait cependant pas se lais- ser prendre au piège de la controverse théorique, car l’ouvrage contient une fort intéressante histoire des conflits sociaux et de la trajectoire du syndica- lisme au Tanganyika. L‘analyse est alors assortie d’abondantes données factuelles et quantitatives qui, sans être toujours inédites, n’en viennent pas moins uti- lement illustrer l’argumentation et font de cette étude un ouvrage de réfërence. Mais pour ce qui est effectivement de la Tanzanie contemporaine, il faudra se reporter à d’autres sources, comme P. Mihyo, Industrial Conflict and Change in Tanzania (TPH, 1983). [F.C.]

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REVUE DES LIVRES

HESSELING (Gerti) - Histoire politi- que du Sénégal. Institutions, Droit et société - Paris, Karthala et ASC 1985, 437 p. (Hommes et sociétés).

MATHIEU (Paul) - Agriculture irri- guée, réforme foncière et stratégies paysannes dans la vallée du fleuve Sénégal (1960-1985) - Arlon, Fonda- tion universitaire luxembourgeoise, 1987, 414 p. (multigraphié).

ENGELHARD (Philippe) (sous la direc- tion de) - Enjeux de l’après- barrage, vallée du Sénégal - Dakar, ENDA et Paris, République française, ministère de la Coopération, 1986, 632 p.

Le livre de G. Hesseling, a pour objet immédiat de faire un bilan de la réception du droit constitutionnel de l’ancien colonisateur. Ce bilan, dit en conclusion G. Hesseling en 1985, (( ne peut se qualifier ni de choquant ni de sensationnel. Le processus de réception s’est déroulé sans grands événements dramatiques )) (p. 379). Quels sont donc les facteurs qui ont provoqué une implosion au sein du système politique en février 1988 ?

A la complexité des faits à analyser s’ajoute l’extrême sensibilité des élites sénégalaises à tout ce qui touche la théorie du transfert de modèle (remar- quablement traitée en introduction) et le mimétisme. Pour se faire compren- dre de ses interlocuteurs, l’auteur élar- git l’échelle temporelle pour dégager dans les mutations politiques les (( ten- dances lourdes )) qui éclairent la période contemporaine. A la différence de nom- bre #Etats où l’unité de la lutte pour l’indépendance (( fut brisée après que le but eût été atteint et fit place à des guerres civiles, le Sénégal n’a pas connu ce triste sort )) (p. 379). Entre 1947 et 1956, s’est en effet opéré un compro-# mis historique entre systèmes hégémo- niques, compromis dont L.S. Senghor fut le chef d’orchestre et dont l’enjeu

fut l’appareil de I’État à construire puis à exploiter.

Replacé dans son contexte histori- que, ce transfert recherché du modèle d’Etat éclaire certaines attitudes au moins pluricentenaires des élites séné- galaises qui ont subi la fascination de modèles plus performants, le modèle (( impérial )) de l’empire de Ghana jusqu’au XVI~ siècle, puis le modèle (( maraboutique D de l’islam berbère, enfin le modèle (( démocratique s de la “

IIIe République française, favorable au poids des notables et au jeu des clientèles.

Mais au perfectionnement croissant du système de domination dont les deux figures centrales sont, dans la langue wolof qui est véhiculaire, d’une part le borom (responsable, maître, chef, patron) et d‘autre part le bodolo (de bu et do& (( sans force socialement D) correspond une idéologie soufi qui fut pendant un siècle fondée sur un évitement, un refus de la confrontation. Mais, faute d’un Gandhi, et sans doute en raison d’inté- rêts très matériels dans la production arachidière, aucune contestation morale sérieuse n’avait entouré le monolithe étatique.

I1 n’en est plus ainsi maintenant : les dominants (plutôt que les possédants, qui ont pris leurs précautions) sont préoccupés. Quelle voie adopter, celle de l’extraversion qui est, à terme, celle de l’américanisation ou celle de I’endo- généité avec le risque fondamentaliste ?

Si G. Hesseling ne va pas aussi loin, c’est à la fois en raison de sa problé- matique et par prudence, non sans, au passage, et à propos de la question, sen- sible entre toutes, de la (( participation et de l’information )) (pp. 301 et s.), s’être interjogée sur la (( croissance sau- vage de 1’Etat )) (p. 356) et sur le déca- lage entre les prétentions et l’interven- tion réelle.

Ce décalage fait, entre autres, l’objet des recherches et des conclusions de la thèse de P. Mathieu, soutenue en sep- tembre 1987 à Arlon. Le sous-titre de l’ouvrage ((( une analyse des effets de la modernisation agricole sur les transfor- mations des espaces ruraux ))) éclaire la portée de travaux concernant une étude minutieuse des stratégies paysannes dans

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cette zone test : la vallée du fleuve Sénégal.

Sous réserve de mutations à venir dont on parlera dans Les Enjeux de Z’après-barrage, la vallée, côté sénégalais, a fait depuis 1960 l’objet de transfor- mations considérables qu’on examine le plus souvent dans la seule perspective de l’intervention de l’aménageur, la SAED. Depuis 1980, ces transforma- tions se sont accélérées comme le mon- tre l’auteur (pp. 104-125) et ont donné naissance à des contradictions sensibles, renforcées par l’application, dans la région, de la loi sur le domaine natio- nal de 1964 et de la réforme adminis- trative de 1972. Or, ces contradictions n’ont pas donné naissance à des réac- tions violentes. I1 y a des (( aspects para- doxaux )) (p. 227) qui mettent en évi- dence deux légitimités qui doivent trou- ver de multiples (( arrangements )) (p. 229) et nécessitent un élargissement de la problématique : considérer (( les paradoxes comme des éléments consti- tutifs et nécessaires de la réalité étudiée, éléments qu’il faut réinterpréter, dont il faut étudier la rationalité effective )) (p. 231).

Au terme d‘une- étude remarquable des ambiguftés de l’Etat, étude dominée méthodiquement par un des premiers exemples maîtrisés d’analyse de proces- sus, (( de mise en valeur marchande ... formellement démocratique et ... enca- drée et orientée par 1’Etat )) (p. 294), l’auteur montre qu’il y a (( du jeu ))

(slack), des opportunité! à saisir, dans la durée (dont dispose 1’Etat) et enfin un mouvement irréversible dans l’affirma- tion du projet de développement ... et ... une adaptation souple aux situations sous la forme d’une (( déstabilisation sociale induite et contrôlée )) (p. 310). Citant les analyses foncières de Sidy Seck, l’auteur montre qu’il y a donc transition ménagée sans rupture socio- culturelle brusque grâce à un on-dit eff i - cace et qui repose sur <( l’euphémisation comme opérateur de transition )) (p. 312). (( Si rien ne sera plus jamais comme avant )) (p. 316), les ajustements s’opè- rent à des rythmes actuellement suppor- tables, en tenant à distance le juridisme des réformes mais (( en respectant en dernier recours la loi de l’Etat )) (p. 318).

Dans les pratiques d’acteurs, der- rière l’ambiguïté, le flou, les décalages et la confusion plus ou moins volontaire émergent (( les anticipations, les interac- tions et les stratégies des acteurs et (...) se font en douceur des ajustements ponctuels et locaux dont la somme réa- lise une transformation sociale globale )) (p. 320) dominée par la généralisation du capitalisme. Même si les enjeux de l’après-barrage vont peser sur les finan- ces sénégalaises pour les rembourse- ments à venir des prêts contractés, c’est à l’échelle régionale qu’il faut en appré- cier la virtualité.

Enjeux de l’après-barrage est un ouvrage triplement original. Tout d‘abord il fait honneur à la-probité intellectuelle d’un homme d’Etat (au sens original), le président Diouf, qui préface un ouvrage qui évalue sa poli- tique sans griotisme. C’est également un ouvrage qui met en évidence la qualité du travail que réalise ENDA-Tiers- Monde à Dakar: Réunir un grand nombre de chercheurs et assurer une écriture homogène et relativement peu technique (ce dont on doit remercier l’éditeur scientifique). Enfin son élabo- ration et son édition ont été possibles grâce à l’appui du ministère français de la Coopération, appui financier mais aussi technique et pratique qui illustre les potentialités d‘une intelligente poli- tique de coopération.

Dans cet ouvrage, il y a d’abord un collectif de chercheurs, majoritairement sénégalais, ayant accepté de se plier à une commune méthodologie qui (( tente de concilier le poids des tendances lour- des, le jeu des acteurs et la prise en charge du changement à l’a état nais- sant )). I1 y a également un souci cons- tant de réponses concrètes et d’élabora- tion de scénarios pour maîtriser certai- nes incertitudes qui affectent le dévelop- pement au Sénégal et singulièrement savoir si la sécheresse persistera ou non.

En effet les barrages de Manantali (au Mali) et de Diama (en amont de Saint-Louis du Sénégal) ont été conçus dans le cadre d’une (( stratégie de maî- trise totale de l’eau )) du fleuve (p. 29) et dans un contexte où, des trois objec- tifs assignés aux barrages (production

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d’energie hydroélectrique, navigabilité du fleuve, cultures irriguées), c’est le troisième qui prédomine.

L’enjeu principal est donc de réus- sir une irrigation contrôlée de superfi- cies (250 O00 ha) pour lesquelles il con- viendra de financer de nouvelles inter- ventions. Aux contraintes financières il faut ajouter d‘autres facteurs : le foncier (( euphémisé )) avons-nous vu avec P. Mathieu, mais lourd de blocages à venir ; la démographie qui peut, para- doxalement, constituer un goulot d’étranglement ; l’irrigation et la rizicul- ture, qui ne vont pas de soi, et les rythmes d’aménagement qui conduisent à proposer (p. 230) trois scénarios de base qui conduisent à quelques conclu- sions de bon sens. L’option riz ne peut être ni généralisée (ce qui implique un partage de l’espace), ni intégralement assurée selon des méthodes modernes. Ceci implique une économie agricole villageoise et familiale, un plan général d’aménagement de l’espace et, vraisem- blablement, une nouvelle politique fon- cière, dans le cadre général d’une logi- que de la transition que détaille la deuxième partie de l’ouvrage.

Après avoir examiné la place de l’élevage et les réponses écologiques et sanitaires, dans les deux dernières par- ties, l’ouvrage reprend l’ensemble des conclusions partielles dans un diagnos- tic général (p. 627 à 632) que l’on résu- mera ainsi : si l’option pour l’irrigation est réaliste, ses coûts sont élevés et la performance rizicole restera modeste, sinon médiocre. I1 serait donc souhai- table qu’au terme d’un partage des espaces et des responsabilités, l’essentiel de la production paysanne soit consa- cré (( à des spéculations mieux valorisées sur le marché )) (p. 629). Mais cette stratégie de (( minimisation des risques ))

contradictoire avec (( la logique du sur- plus poursuivie par 1’Etat )) exige, pour survivre, une véritable autonomie pay- sanne : (( substituer à la logique de l’encadrement une logique de soutien ))

(p. 630). Or, s’interroge finalement l’ouvrage, (( le problème consiste donc à savoir à quelles conditions politiques ces germes favorables d‘autonomie pour- raient produire leurs effets )) (ibid.).

Plaidant pour privilégier l’espace, le temps et la famille I), l’ouvrage fait l’économie des déterminations politiques à l’échelle nationale et des effets du plan d’ajustement structurel. I1 ne peut donc que poser le diagnostic, non pro- poser une posologie. Or, la solution est bloquée tant qu’on n’accepte pas de remettre en cause les systèmes de domi- nation et le modèle d‘Etat légué par la colonisation. A suivre, donc, selon la formule des feuilletons. [E.L.R.]

DURUFLÉ (Gilles) - L’ajustement structurel en Afrique (Sénégal, Côte-dyIvoire, Madagascar). - Paris, Karthala, 1988, 205 p.

Ancien expert de la SEDES, G. Duruflé nous présente une synthèse d’études sur les déséquilibres structurels et les politiques d’ajustement en Afri- que, menées sous sa direction de 1984 1 1986, dans le cadre des travaux du Bureau des évaluations du ministère français de la Coopération.

Le corps de l’ouvrage est consacré à la présentation et à l’analyse des ori- gines des déséquilibres, du contenu et des effets des politiques dites d‘ajuste- ment, tant macroéconomiques que sec- torielles, successivement au Sénégal, en Côte-d’Ivoire et à Madagascar. Dans l’introduction et la conclusion, l’auteur nous livre sa philosophie de l’ajuste- ment structurel et pèse les conditions internes et externes de sortie de crise.

La force de ce travail réside d‘abord dans la rigueur méthodologique, qui consiste à passer la masse impression- nante d’informations au crible d’une analyse économique systématique, mais qui sait ne pas tomber dans I’écono- misme. I1 en résulte un texte très dense, peut-être trop dense parfois (on sent la griffe de l’expert). Mais c’est le prix à payer, nous semble-t-il, pour éviter les pièges de l’idéologisme conquérant et de l’empirisme paralysant.

L’une des hypothèses fortes de l’analyse est d’affirmer que les déséqui- libres économiques (notamment des finances publiques et des paiements

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extérieurs), qui ont donné naissance aux politiques d‘ajustement des années quatre-vingts, se sont manifestés dès le début des années soixante-dix. Plus pré- cisément, l’origine principale de ces déséquilibres doit être trouvée dans l’épuisement du modèle de développe- ment sur lequel fonctionne la quasi- totalité des pays de l’Afrique subsaha- rienne, modèle que l’auteur qualifie de (( néocolonial )) et dont les limites prin- cipales sont : le plafonnement de la croissance (de type extensif) des pro- duits agricoles d’exportation, l’étroitesse des marchés des produits industriels d’import-substitution, !es largesses et la faible efficacité d’un Etat omniprésent.

Les prévisions de S. Amin de la fin des années soixante sont donc confir- mées. Et en affirmant que le modèle néocolonial de développement n’est pas durable, l’auteur met en évidence la nécessité de profondes réorientations.

La démonstration, abondamment illustrée sur les trois pays étudib, est convaincante mais ambiguë. En effet, elle peut conduire à conclure que la crise est tout simplement le fruit d’un aveuglement des difErents intervenants (gouvernements, bailleurs de fonds, entreprises), accusés d’avoir cru dans la pérennité du modèle. Seraient ainsi sous-estimés les efforts fournis pour pro- mouvoir un autre type de développe- ment, allant dans le sens notamment d’une intensification du processus de production. I1 faut donc rappeler que le maintien du modèle néocolonial s’explique également par la dificulté de mise en Oeuvre d’un nouveau modèle. Les modifications de l’environnement international qui ont suivi les deux chocs pétroliers ont rendu ce passage à la fois plus urgent et plus délicat.

G. Duruflé est parfaitement cons- cient des difficultés de cette transition. A propos de la Côte-d‘Ivoire, il souli- gne que (( le problème posé est celui de l’intensification de l’agriculture villa- geoise. Les efforts déployés dans ce sens ont eu jusqu’ici des effets extrêmement réduits )) (p. 99). (( Celle-ci (l’intensifica- tion) ne pourra se faire du jour au len- demain )) (p. 101). Sur cette question, comme sur toutes propositions de solu- tion, la prudence est de rigueur.

L’auteur estime néanmoins qu’il y a une certitude : les politiques actuel- les ne débouchent que sur une (( gestion de l’enlisement )) (p. 14), et contribuent à renforcer la marginalisation des éco- nomies africaines. Toute reprise d’une croissance soutenue et plus équilibrée suppose qu’un certain nombre de préa- lables soient levés, en particulier (( le laminage du fardeau de la dette (d‘une façon ou d’une autre) et l’apport d’argent frais N (p. 15).

S’il n’est donc pas possible de défi- nir à priori un programme idéal, se dégagent malgré tout certaines orienta- tions souhaitables, et notamment : - éviter tout dogmatisme, et trou-

ver des solutions équilibrées, adaptées aux potentiels locaux j ainsi, en matière de réglementation des échanges avec l’extérieur, une trop grande ouverture des frontières peut conduire à la dispa- rition pure. et simple de certains sec- teurs de production (risque très réel en Côte-d’Ivoire), mais par ailleurs, une trop forte (( déconnexion )) peut ètre sui- cidaire (cas très explicite de Madagascar) ; - favoriser une baisse des normes

de consommation, ce qui suppose une remise en cause de la répartition des revenus ; - promouvoir une meilleure alloca-

tion des ressources, par le renforcement simultané du rôle du marché e t de l’efficacité des interventions de l’Etat.

Certes, ces politiques se heurtent aux résistances des groupes privilégiés, résistances d‘autant plus fortes (( qu’on ne repère pas clairement d’autres grou- pes qui soient favorisés par le proces- sus d’ajustement )) (p. 17). On peut néanmoins se demander si l’aggravation de la situation financière ne va pas entraîner un bouleversement des don- nées du jeu politique, allant notamment dans le sens du redorcement du carac- tère répressif de 1’Etat. Mais par ail- leurs, certaines mesures d’ajustement, et en particulier la libéralisation des mar- chés, constituent de nouvelles ressour- ces politiques.

(( Ce sont fondamentalement les dynamiques lbcales qui construisent l’avenir )) (p. 18). Cette affirmation, qui s’apparente à une profession de foi, a

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le mérite de rappeler les limites d’une politique économique (( par le haut D. Dans cette perspective, le livre de G. Duruflé est à la fois une leçon de modestie et un puissant outil de travail. [B.C.]

HOUNTONDJI (Paulin J.) (sous la direc- tion de) - Bilan de la recherche philosophique africaine, Ire partie, 1900-1985, vol. I, (A à M). - Conseil interafricain de la philosophielInter- African Council for Philosophy (dispo- nible BP 1268, Cotonou, R.P. du Bénin), 339 p.

Le travail effectué par P. Houn- tondji et son équipe est tout à fait pas- sionnant. I1 s’agit d’une carte d‘un domaine souvent mal défini: celui de la philosophie en Afrique, et non comme on le sait, celui de la philoso- phie africaine. Nous avons ici, en somme, le corpus de textes qui relèvent de la pratique universelle de philoso- pher, c’est-à-dire de réfléchir sur la logi- que des processus intellectuels et leurs rapports aux grandes questions jamais épuisées que sont Dieu, la vérité, la science, etc. Pourtant, malgré le cadre précis que souhaite délimiter l’auteur fidèle à ses propres travaulr, cette biblio- graphie laisse un sentiment étrange : pourquoi filtrer chez certains penseurs ce qui relèverait de cette définition et ce qui y échapperait ? Ne serait-il pas plus opératoire de conserver, comme le faisait naguère V. Mudimbe, la notion de pensée africaine, d’extension certes plus large, et d’une compréhension plus réduite ?

A vouloir mêler les plans synchro- niques (position d’une discipline) et diachroniques (constitution progressive d‘un champ scientifique), à tracer les contours du domaine, tout en cherchant les origines de propriété, l’auteur embrouille un peu les cartes ! Ces quel- ques réserves n’enlèvent rien de notre estime à un travail de pionnier qui a sa place dans toutes les bibliothèques de recherche sur l’Afrique. [A.R.]

EQUIANO (Olaudah) - La véridique histoire par lui-même d’Olaudah Equiano, Africain, esclave aux Caraiies, homme libre. - (traduit de l’anglais par Claire-Lise Charbon- nier), Paris, Ed. caribéennes, 1987, 167 p. (. Précurseurs noirs D).

1789 devrait être l’occasion de célé- brer le 200‘ anniversaire de la littéra- ture nigériane. C’est en effet en cette année, assez mouvementée chez nous, plus calme de l’autre côté de la Man- che, que parut le livre d’Olaudah Equiano.

Vendu tout jeune à des trafiquants d’esclaves, Olaudah Equiano était devenu marin et avait fmalement acquis sa liberté. Le souvenir des épreuves endurées lui fit composer un récit vivant et précis, à tel point que l’on a pu situer exactement le lieu de nais- sance et l’ethnie d’origine de notre auteur : il était ibo et cela fait de lui le premier écrivain nigérian anglo- phone ...

Olaudah Equiano fit fortune, épousa une Anglaise, et devint une personna- lité des campagnes anti-esclavagistes. L’Abbé Grégoire lui consacre quelques pages dans De la littérature des Nègres. Pourtant, ce récit n’avait curieusement jamais été traduit en français ! Saluons donc les éditions caribéennes pour leur excellente initiative j regrettons cepen- dant de ne pas disposer de la traduc- tion intégrale de ce texte qui est .à la fois l’histoire d‘une aventure vécue et un document politique. [A.R.]

.

CURTIS (Donald), HUBBARD (Michael), SHEPERD (Au) et al. - Preventing Famine : Policies and Prospects for Africa. - LondonINew York, Rout- ledge, 1988, 250 p.

En 1988, on s’interroge encore sur les moyens de prévenir les famines, une réalité vieille comme la planète. On s’aperçoit que dans ce domaine rien n’est simple, d’autant que le débat est

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occulté par la médiatisation des argu- ments et les querelles idéologiques. Les auteurs empruntent trois directions dans leur recherche des déterminants et des solutions : les facteurs macro- économiques, les (( leçons )) de l’expé- rience indienne chères à la fondation (( Liberté sans frontières )) (ici, B. Har- riss relève ce qui n’est pas applicable à l’Afrique), le rôle des ONG et des gouvernements. Sur un sujet sensible, des auteurs impliqués apportent une moisson de réflexions pertinentes sur les enchaînements de circonstances *qui ont entraîné au Soudan comme en Ethiopie la venue de catastrophes, au Botswana et au Gujarat, la maîtrise des pénuries accidentelles, dans des régions toutes vulnérables.

Les auteurs distinguent bien les effets à long terme des mesures struc- turelles et la question de la gestion ,administrative de l’urgence qui, dans ce domaine, est loin d’être maîtrisée comme il convient par les Etats ou l’assistance technique ou humanitaire. A chaque cas étudié - Bangla Desh ou Soudan -, les auteurs relèvent les pro- blèmes de réplation, domaine par exel- lence du politique, qui devrait permet- tre de faire face aux accidents souvent prévisibles. Gérer des stocks, redistri- buer des surplus ou de l’aide, mettre en œuvre une réglementation précise con- tre la famine, maintenir un réseau de

boutiques de produits de base subven- tionnés ne s’improvise pas. De plus, la faim est une arme que l’on n’hésite pas à utiliser en Afrique. Cela s’explique-t- il par l’absence d‘opinion publique, opi- nion qui s’exprime fortement en Inde sur de tels sujets ?

Au-delà de ces aspects conjoncturels, les auteurs abordent la question cruciale de la recherche technologique et de la liaison recherche-développement. Ils plaident pour une (( révolution )) en ce domaine : la (( révolution verte )) ne marchera pas comme en Asie et la recherche agronomique doit s’intéresser tout autant aux zones marginales qu’aux régions plus avantagées ; l’appareil de recherche doit être inséré dans la vie nationale et développé. A l’énoncé de ces recommandations, on voit qu’il y a un long chemin à parcourir dans les instances du Groupe consultatif de la recherche agronomique internationale qui domine le secteur (les instituts fran- çais correspondants ayant abandonné toute velléité de faire entendre leur dif- férence) comme dans les élites nationales.

Voici un livre nuancé qui, sans être complet, fait le point sur cette question controversée et dont on peut recomman- der la lecture à ceux qui veulent y voir plus clair sur les causes... mais surtout les types d’action souhaitables et possi- bles. [G.C.]

ERRATUM Dans l’article de J.-P. Daloz sur l’administration locale au

Nigeria, paru dans le Magazine du numéro 32, il fallait lire page 94 : ((les seconds reprochent aux premiers de se réser- ver le monopole de l’allocation des contrats, comme à Ilorin. On peut observer parfois dans les zones rurales des opposi- tions entre de jeunes chairmen très diplômés ... B

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ORSTOM

INSTITUT FRANçAIS DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE POUR LE DÉVE~LOIPPEMENT EN COOPBRATION

GAILLARD J. - Les chercheurs des pays en dévelop- pement. Origines, formations et pratiques de la recherche.

BARBIER J.-C. - Migrations et développement. La région du Mongo au Cameroun. [et CHAMPAUD J., GEN- DREAU F.], 1983, 372 p., 27 cartes, (TD, 170) (0712-7). BARRAL H. - Les populations nomades de 1,Oudalan et leur espace pastoral. 1977, 120 p., 37 photogr., 8 cartes ann. n. (TD, 77) (0467-5) BENOIT M. - Oiseaux de mil. Les Mossi du Bwamu (Haute-Volta), 1982, 120 p., 18 fig. (MEM, 95) (0626-0) BOUTRAIS J. - Mbozo-Wazan. Peul et montagnards au bord du Cameroun. 1987, 154 p., 9 pl. photogr. 7 cartes ann. n. et coul. (ASAS, 22) (0840-0). BOUTRAIS J. - Des Peul en savanes humides. Déve- loppement pastoral dans l’ouest centrafricain. 1988, 392 p., 20 photogr., 1 carte ann. n. (Et. Th.) (0824-7). DUPRE G. - Les naissances dkne société. Espace et his- toricité chez les Beembé du Congo. 1985, 418 p., 19 photogr.

FIELOUX M. - Les sentiers de la nuit. Les migrations rurales lobi de la Haute-Volta vers la Côte-d’Ivoire. 1980, 200 p., 4 pl. photogr., 21 fig. (TD, 110) (0479-9) MINVIELLE J.-P. - Paysans migrants du Fouta Toro.

Nord (le) du Cameroun, des hommes, une région. 1984, 554 p., 81 fig., 37 photogr., 3 cart. ann. (MEM, 102) (0689-9).

1988, 184 p. (Et. Th.) (0878-6).

(MEM, 101) (0688-0).

1985, 282 p., 38 fig. (TD, 191) (0771-2)

ÉDITIONS DE L’ORSTOM LibrairielDiffusion

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70-74, route d’Aulnay - 93143 Bondy Cedex Tél. : 48.47.31.95

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RÉSUMÉS

M’Hamed BOUKHOBZA : SOCIÉTÉ NOMADE ET ÉTAT EN ALGÉRIE

La colonisation a détruit le nomadisme en Algérie générant une crise aggra- vée par les- sécheresses de 1944-1947 et la guerre d’indépendance. La vision moder- niste de 1’Etat-nation algérien évacue le fait nomade. Socialement décapité de ses élites, économiquement amoindri, le nomadisme tend à devenir une relique dans un projet de société mÛ par une dynamique de transformation sans précédent.

André BOURGEOT : LE LION ET LA GAZELLE : ÉTATS ET TOUAREGS

Trois cas (Algérie, Mali, Niger) illustrent le devenir des touaregs saharo- sahéliens, conditionné par des circonstapces historiques et climatiques, et par les orientations politiques et le poids des Etats considérés. Des capacités de flexibi- lité sociale, un sens aigu du politique et du pouvoir, des tactiques d’esquive per- mettent à ces pasteurs-nomades d’être partie prenante de rapports de force poli- tique moderne.

Salmana CISSE : PRATIQUES DE SÉDENTARITÉ ET NOMADISME AU MALI. RÉALITÉ

Les nomades maliens représentent 7 ‘-70 de la population évoluant sur les 2/3 du pays. Trois exemples analysent des actions de sédentarité. La sédentarisation, entérinée à partir du moment ou l’administration recense les nomades sur leur lieux de fmation, n’est envisagée par beaucoup de pasteurs que comme transi- toire. Il existe en fait une politique de suivi et d’encadrement de camps de séden- tarité qui se font et se défont en fonction des aléas climatiques et des interven- tions financières étrangères.

SOCIOLOGIQUE OU SLOGAN POLITIQUE ?

John G. GALATY : PASTORALJSME, D DEN TAR IS AT ION ET ÉTAT EN AFRIQUE DE L’EST

Considérer la sédentarisation comme la solution aux problèmes actuels des socié- tés pastorales provient dyidées reçues relatives aux causes des crises alimentaires récurrentes en zones arides et semi-arides. En réalité, ces crises proviennent du dilemme de la sédentarisation et non pas du nomadisme. Face aux politiques de fmation, le nomadisme, par le biais de l’élevage extensif, reste une stratégie quasi indispensable à l’occupahon humaine des zones arides. Le défi politique n’est pas d’adapter les nomades à des systèmes préconçus de sédentarité mais de renfor- cer au mieux la vie pastorale.

Aden M. DILLEYTA : LES AFARS ET LES POUVOIRS ÉTATIQUES DANS LA CORNE DE L’AFRIQUE

Les Afars sont confrontés à l’extensio-n des grandes plantations irriguées aux dépens de leurs terrains de parcours en Ethiopie et aux progrès de l’urbanisation à Djibouti. Après une période de résistance, les Afars, déstabilisés par la répéti- tion des sécherqsses, sont en voie de sédentarisation. La création d’une région auto- nome afar en Ethiopie sauvera-t-elle l’originalité culturelle de ces populations ?

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Emmanuel FAUROUX : BCEUFS ET POUVOIRS, LES ÉLEVEURS DU SUD-OUEST ET DE L’OUEST MALGACHES

Les agropasteurs du sud-ouest et de l’ouest malgaches ont affronté des profon- des transformations qui touchent actuellement le monde rural dans de mauvaises conditions : ils sont mal placés par rapport aux nouveaux pouvoirs régionaux et sont mis en dfiiculté par les avancées de l’économie moderne. Mais le bœuf reste au centre de l’idéologie cérémonielle et de toutes les stratégies. Les rares pro- priétaires de grands troupeaux se servent de leur richesse pour créer des réseaux de clientèle qui leur permettent d’étendre leur prospérité à d’autres activités éco- nomiques, notamment la riziculture.

Henri GUILLAUME : t, L’ÉTAT SAUVAGE... ), : PYGMÉES ET FORÊTS D’AFRIQUE CENTRALE

En dépit de leur aspect résiduel et de leur marginalité, les sociétés pygmées sont exemplaires de mutations contemporaines que connaissent les sociétés nomades.

Y a-t-il encore place pour les’pygmées en forêt ? Compte tenu des intérêts éco- nomiques représentés par les zones forestières et des stratégies de développement en œuvre, toute issue autre que leur sédentarisation, généralement source de désé- quilibres aigus, paraît illusoire.

ABSTRACTS

M’Hamed BOUKHOBZA : STATE AND NOMADIC SOCIETY IN ALGERIA,

Colonialism in conjunction with the 1944-1947 drought and the war of inde- pendence has destroyed nomadism in Algeria. In addition, the modernist vision of the Algerian nation-state has no place for nomadic society, a society that is deprived of its elites and economically subdued. Nomadism therefore tends to be a relic left behind by a conception of society undergoing the dynamics of unpre- cedented transformation.

André BOURGEOT : THE LION AND THE GAZELLE : STATES AND TOUAREGS

Three examples (Algeria, Mali, Niger) show that the future of Saharo-Sahelian Touaregs is conditioned by historical and climatic conditions as well as the politi- cal orientations of the states. However, the capacity for social flexibility, a keen sense of politics and power and avoidance tactics permit these nomadic pastora- lists to remain a political force in the modern equation.

Salmana CISSE : SEDENTARY PRACTICE AND NOMADISM IN MALI : SOCIOLOGICAL REALITY OR POLITICAL SLOGAN ?

Malian nomads constitute 7 9’0 of the population and are spread over 2/3 of the country. Three examples that analyse sedentary life are presented. Sedentari- sation, organised by the Administration is considered by the nomads as a transi- tory measure. There is a follow up policy on the adequacy of the sedentarisation camps but permanency is ruled out by the vagaries of weather and foreign finan- cial aid.

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ABSTRACTS

John s. GALATY : PASTORALISM, SEDENTARISATION AND STATE IN EAST AFRICA

To consider sedentarisation as a solution to current problems of recurrent food crisis in pastoral societies located in arid and semi-arid zones is a preconceived notion. In reality, the crisis is caused by sedentarisation rather than nomadism. Confronted with settlement policies, nomadism, thanks to extensive grazing, remains an indispensable strategy for the human occupation of arid zones. The political challenge is not to adopt nomads to preconceived sedentary systems but to improve pastoral life.

Aden M. DILLEYTA : THE AFARS AND STATE POWER IN THE HORN OF AFRICA

The Afars are confronted by the expansion of irrigated plantations on their grazzing grounds in Ethiopia and rapid urbanisation in Djibouti. After a period of rebellious resistance, the Afars are destabilised by repeated drought and are now constrained to sedentarisation. Would the creation of an autonomous Afar region in Ethiopia save the cultural specificity of its populations ?

Emmanuel FAUROUX : CATTLE AND POWER : HERDSMEN OF SOUTHWESTERN AND WESTERN MADAGASCAR

The agricultural pastoralists of Southwestern and Western Madagascar are affronted by profound transformations affecting the already dEicult conditions in the mal world. They are boddy placed in relation to the new regional power struc- ture and their dEiculties are worsened by the progress of the modern economy.

However, cattle remains central to ceremonial ideology and all strategies. The few proprietors of large herds use their wealth to create a network of clients there by enabling them extend their prosperity in other economic activities, in particu- lar rice cultivation.

Henri GUILLAUME : (I THE SAVAGE STATE... B, : PYGMIES AND FORESTS IN CEN- TRAL AFRICA

Apart from their residuality and their marginality, pygmies societies are good examples of contemporary changes confronting nomadic societies. Is there st i l l space for pygmies in the forest ? Taking into account economic interests represented by forest zones and current development strategies, all outcomes except sedentarisa- tion - a destructive factor - remain illusory.

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Olivier Vallée

Le prix de l’argent CFA Heurs et malheurs de la zone franc

Longtemps raillée par les contempteurs du néo-colonialisme, la zone franc semblait bénéficier d’une légitimité croissante au sud du Sahara et en était venue à exercer son pouvoir d’attraction sur des Etats qui n’appartenaient pas historiquement au pré carré de l’influence française. Et pourtant, alors même qu’elle est de moins en moins contestée - sinon, peut-être, par les institutions multi- latérales de Washington -’ elle paraît de plus en plus menacée.

A l’heure oÙ le franc CFA entre dans la zone des tempêtes, l’urgence d’une réflexion et d’un débat se fait sentir. D’autant que l’un et l’autre ont été jusqu’à présent étouffés par le dogmatisme des militants anti-impérialistes, par la complaisance intéressée des bénéficiaires de la chasse gardée franco-africaine et par la manie du secret d’un Trésor français sûr de sa compétence et de ses prérogatives.

Olivier Vallée, l’un des meilleurs experts des questions moné- taires et financières africaines, propose une lecture avertie et acerbe du devenir de la zone franc, resituée dans son environnement inter- ,national, mais aussi saisie dans ses effets sociaux internes : à l’approche de l’Acte unique européen, sous les coups de boutoir des nouvelles politiques monétaires du Nigeria et du Ghana et dans le contexte des programmes d’ajustement structurel, ce ne sont pas seulement les relations franco-africaines ou l’hypothétique dévelop- pement du continent qui sont en cause ; ce sont également l’ave- nir d’un modèle de consommation et le statut d’une classe domi- nante qui se jouent.

Olivier Vallée, né à Madagascar, a résidé dans dgférents pays d’Afrique pour mener des études éconorniques et sectorielles. De 1983 à 1988, il s’est plus spécialement occupé des activités afri- caines d’une grande banque française et des problèmes de la dette. II est actuellement consultant et travaille sur les modalités finan- cigres du développement du secteur privé dans les PVD. II a col- laboré à plusieurs publications, dont Politique africaine, et à I“ouvrage Nigeria, un pouvoir en puissance, paru aux éditions Karthala.

(format 13’5 x 21’5) - 272.p. - 120 F KARTHALA, 22, bd Arago, 75013 PARIS

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NOUVEAUTÉS D~AVRIL A JUIN 1989

J. ADDA et M. C1. SMOUTS, La France face au Sud. Le miroir brisé, 368 pages .......................................

Catherine BELVAUDE, La Mauritanie, 192 p. . . . . . . . . . . . . . . . Didier BIGO, Pouvoir et obéissance en Centrafrique, 340 p.

Collectif, Projets productifs au Sénégal. Guide d’évaluation, 232 p . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

D. LEMONNIER et Y. INGENBLEEK, Carences nutritionnelles dans les pays en voie de développement, en coédition avec l’ACCT, 624 p. .......................................

Jacques GIRI, Le Sahel au XXI= siècle, 340 p . . . . . . . . . . . . . . .

Marie MONIMART, Femmes du Sahel. La désertification au quotidien, en coédition avec l’OCDE/Club du Sahel, 264 p.

Denis et Alain RUELLAN, Le Brésil, 180 p. . . . . . . . . . . . . . . . . . Yves-J. SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le second Empire

(850-1871), 680 p . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Olivier VALLÉE, Le prix de l’argent CFA. Heurs et malheurs de la zone franc, 272 p. ..............................

Abdoulaye WADE, Un destin pour lYAfrique, 192 p . . . . . . . . .

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La crise d’août 1988 au Burundi, par J.-P. CHRÉTIEN, A. GUI- CHAUVA et G. LE JEUNE, no 6 des Cahiers du CRA, 200 p. 110 F

Pour plus de précisions sur ces ouvrages ainsi que sur les nouveaux ouvrages en diffusion, deniaiidez Je catalogue 1989 de Karthala en écri- vant au 22-24, boulevard Arago, 75013 Paris. Ces ouvrages peuvent éga- lenient être commandés par correspondance, en ajoutant 15 F par livre pour les frais d’expédition.

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L'ARGENT DE DIEU Le prochain numéro de Politique africaine, à paraître en

octobre 1989, traitera des Églises et de l'argent en Afri- que

Numéros parus :

1. La politique en Afrique noire : le haut et le bas . . . 2. L'Afrique dans le système international (épuisé) . . . . . 3. Tensions et mptures en Afrigue noire.. . . . . . . . . . . . . 4. La question islamique en A f i q u e noire . . . . . . . . . . . . 5 . La France en A f i q u e (épuisé, sauf en série). . . . . . . . 6 . Le pouvoir d'dtre riche.. ......................... 7. Le pouvoir de tuer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8. Discours populistes, mouvements popdaires . . . . . . . . . 9. L ' A f r i p e sans fiontière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

11. Quelle delinocratie pour l'Afri$ue ? . . . . . . . . . . . . . . . . 12. La politique afnkaine des Etats-Unis . . . . . . . . . . . . . . . 13. Litte?ature et socidé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14. Les paysans et le pouvoir en Afrique noire . . . . . . . . . 15. Images de la duspora noire.. ..................... 16. Le Tchad. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17. Politìques urbaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18. Gaspillages technologiques ........................ 19. L'Ajhque australe face a' Pretoria.. . . . . . . . . . . . . . . . . 20. Le Burkina Faso (épuisé, sauf en série). . . . . . . . . . . . . 2 1. Politiques foncières et tem2onàles. . . . . . . . . . . . . . . . . . 22. Le réveil du Cameroyz.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23. Des langues et des Etats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24. C6te d'Ivoìre : la socie%?*au quotiden . . . . . . . . . . . . . 25. Afriqzce u$ Sud ambkuë . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26. Classes, Etat, marche3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27. Togo authentique.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28. Politiques de sante/ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29. Mozambique : guerre et nationalismes. . . . . . . . . . . . . . 30. Noirs et Arabes : une histoire tourmenteé . . . . . . . . . . 31. Le Congo, banlieue de Brazzaville.. . . . . . . . . . . . . . . . 32. Nigana, le fede?alisme dans tous ses États. . . . . . . . . . 33. Jetour au Burkina.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34. Etat et socìétk nomades.. ........................

. 10. Les pzcissances moyennes et l'Afrique . . . . . . . . . . . . . .

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Achevé d'imprimer par U Corlet, Imprimeur, S.A. 141 10 CondB-sur-Noireau (France)

/morimé en C.E.E. No d'Imprimeur : 13393 - Dépôt legal : juin 1989