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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles Technique et agriculture en pays trévire et rémois Author(s): Marcel Renard Source: Latomus, T. 18, Fasc. 1 (JANVIER-MARS 1959), pp. 77-109 Published by: Societe d’Etudes Latines de Bruxelles Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41519070 . Accessed: 15/06/2014 14:05 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Societe d’Etudes Latines de Bruxelles is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Latomus. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.126.55 on Sun, 15 Jun 2014 14:05:41 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Technique et agriculture en pays trévire et rémois

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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles

Technique et agriculture en pays trévire et rémoisAuthor(s): Marcel RenardSource: Latomus, T. 18, Fasc. 1 (JANVIER-MARS 1959), pp. 77-109Published by: Societe d’Etudes Latines de BruxellesStable URL: http://www.jstor.org/stable/41519070 .

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Technique et agriculture en pays trey ire

et remois

Le hasard est souvent le fauteur d'heureuses decouvertes : ainsi, le 16 mai 1948, l'amenagement du site de Buzenol-Montauban amena la mise au jour inopinee, a l'extremite nord-ouest de Yagger k muraille interne du Bas Empire, d'un mur de soutenement con- stitue par une quarantaine de blocs de calcaire dit de Longwy, dont dix-huit sont ornes de reliefs (1). Parmi ces elements d'architec- ture remployes, qui ont appartenu a des monuments funeraires de la region - essentiellement a des piliers - , un document a retenu au premier chef l'attention, a savoir la representation d'une moissonneuse montee sur roues.

(1) Grace k Tobligeance de M.Fouss, Conservateur du Mus6e Gaumais, k Vir- ton, j'ai pu presenter ces reliefs et en sugg6rer une chronologie provisoire k la stance du 30 janvier 1959 de TAcademie des Inscriptions et Belles-Lettres. Depuis lors, les documents - sur lesquels il y a encore beaucoup k dire - ont 6t6 edit6s par M. J. Mertens, Sculptures romaines de Buzenol dans Le Pays Gaumais , t. 19, 1958, pp. 17-53, 35 pll. et 3 plans. - Sur le site de Montauban k Buzenol, cf. notamment : E. Rahir, Musies roy. du Cinquantenaire. Vingt - cinq annies de recherches..., Bruxelles, 1928, p. 190 sqq. ; Id., Le refuge proto- historique et romain de Buzenol dans Comptes rendus du congrbs national des sciences , Bruxelles, 1930, p. 978 sqq. ; J. Breuer, Monuments lapidaires de Buzenol , ibid., p. 987 et Ann. de VAcad. Roy. d*Arch. de Belgique , t. LXXVII, 1930, p. 43 sq. ; A. de Loe, Mustes roy. d'art et d*hist. de Bruxelles , Belgique ancienne , t. II, Bruxelles, 1931, p. 235 sq., 217, 252 sq. et t. Ill, 1937, p. 51 et 348 sqq. ; Ch. Dubois, Le Luxembourg prthist. et protohist . dans Ann. de Ulnst. Arch, du Luxembourg , t. LXX, Arlon, 1939, p. 33 sq. ; E. P. Fouss, Images de Montauban-sous- Buzenol dans Le Pays Gaumais , t. 3, 1942, p. 116 sqq. ; M.-E. Marien, Les monuments funeraires de Buzenol , Bruxelles, 1944 (r^impression de TStude publiSe dans le Bull, des Musses Roy. d'Art et d'Hist., 1943 et 1944) ; Id., Oud Belgie van de eerste landbouwers tot de komst van Caesar , Anvers, 1952, p. 421 sqq. ; J. Mertens, Buzenol-Montauban dans Pares Nationaux , t. VIII, 1953, p. 93 sqq. ; Id., Le refuge antique de Montauban- Buzenol dans Le Pays Gaumais , t.15, 1954, p. 3 sqq. ; Esperandieu-Lantier, Recueil... des bas-reliefs ... de la Gaule romaine, t. XIV, Paris, 1955, p. 26 sqq. ; S.-J. De Laet, The Low Countries , Londres, 1958, p. 148.

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A la verite, cette machine agricole nous etait d6j k connue par les textes.

Pline l'Ancien Tavait bri&vement mais clairement decrite en traitant des di verses fa^ons de moisssonner :

« Dans les vastes domaines des Gaules, de grandes moisson- neuses ( ualli ), sur le bord desquelles s'ins&rent des dents, sonf poussSes sur deux roues k travers la moisson par un bceuf attel6 en sens contraire ; ainsi arrach^s, les 6pis tombent dans la moissonneuse » (x).

Quelque trois sifecles plus tard (2), Palladius depeint k son tour la machine k l'occasion des travaux champetres du mois de juin :

« La partie des Gaules qui est assez en plaine recourt pour moissonner k la mSthode expSditive que void et qui, tout en Spargnant la main-d'ceuvre, d^pouille T6tendue de toute une moisson avec la journSe de travail d'un seul bceuf. Ainsi done, on construit un vShicule ( uehiculum ) qui est ports par deux petites roues. La surface carrSe de celui-ci est munie de planches dont rinclinaison vers TextSrieur donne plus de largeur k la partie supSrieure. Sur le devant de ce chariot ( carpentum ), la hauteur des planches est moindre. A cet endroit, des dents nombreuses et 6cart6es sont dispos6es en ligne k la hau- teur des 6pis et elles sont recourses vers leur partie su- pSrieure. A l'arrifcre de ce meme vShicule sont adaptges deux flfcches tr&s courtes, semblables aux brancards des litifcres. On y attelle k un joug et avec des courroies un bceuf dont la tete est tournde du c6t6 du v6hicule : il faut assur&nent un animal paisible pour qu'il ne dgpasse pas Tallure de celui qui le pousse. Quand le bceuf se met k pousser le v6hicule k travers les moissons, tous les 6pis, saisis par les dents, s'en- tassent dans le chariot, la paille 6tant arrachge et restant en arri&re, tandis que le bouvier, derrifcre l'attelage, 61&ve ou abaisse parfois la machine. Et ainsi, moyennant un petit nombre d'allSes et venues, en Tespace de quelquesheures, toute la moisson est achevSe. Cette m&thode est utile pour les en- droits en plaine ou unis et pour ceux oCi Ton ne tient pas la paille pour nScessaire » (8).

Ces deux notices n'ont pas ete sans retenir Tattention des mo- dernes, surtout la description dStaillee de Palladius. D&s 1519,

(1) Pline, N.H., XVIII, 30, § 296 (Mayhoff) : Galliarum latifundis ualli praegrandes, dentibus in margine insert is, duabus rotis per segetem inpelluntur, iumento in contrarium iuncto ; ita dereptae in llallum cadunt spicae.

(2) Cf. infra , p. 104. (3) Palladius, Agric., VII, 2, 2-4 (J, C. Schmitt) : 2 « Pars Galliarum planior

hoc conpendio utitur ad metendum et praeter hominum labores unius bouis opera

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nous retrouvons celle-ci dans la traite d'agriculture de Piero Cres- cenzio. En voici le texte dans la saveur de son italien archaique :

« Et il modo conosciuto & vsato inuerita di mietete e la parte di gallia con piu piana solennita vsa amieterlo : & per le fatiche delli homini dun opera dun bue in spatio dit utta la biada prende. Et fassi vna carretta bessa che con due ruote breue- mente si porta : la cui superficie di tauole si cuopre che difori sono inchinate : & nel sommo rendono spatii piu larghi della sua testa pigliante piu breue& lalteza delle tauole e qui son piu denti & radi a misura delle spighe si ponghono : & pongonsi per ordine delle superior parte torti inchinati del dosso della detta carretta. Et doi breuissimi timoni si figurano doue li bue col capo alia carretta riuolto al giogo saconcia. El bue sia mansueto in modo che non auanzi il modo del guidator. Questi poi che la carretta per la biada incominciera a inframettere tutte le spigne nellintramento de dentegli compresa si ragunera las- ciando la paglia in altitudine o inbasseza spesse volte temperando il bifolco che seguita : & cosi per poche percosse & ritornamenti in spatio di puoco tempo tutta la biade si compie di corre. Et questo ne campi & luoghi vguali cioe impiani & maximamente doue la paglia non e altrui bisognio » (x).

Le uallus est aussi mentionne en bonne place dans des ouvrages plus recents : commentaires au texte de Pline et de Palladius, trai- tes consacres a Tagriculture antique, histoires de la Gaule inde- pendante et romaine, traites d'archeologie, encyclopedies, etc. (2).

Harduin a decrit cette moissonneuse comme un vehicule trapu ressemblant a un van ( uannus ), d'assez grandes dimensions (3)

spatium totius messis absumit. Fit itaque uehiculum, quod duabus rotis breuibus fertur. 3. Huius quadrata superficies tabulis munitur , quae forinsecus reclines in summo reddant spatia largiora. Ab eius fronte carpenti breuior est altitudo tabu - larum. Ibi denticuli plurimi ac rari ad spicarum mensuram constituun'ur in ordine , ad superiorem partem recurui. A tergo uero eiusdem uehiculi duo breuissimi temones figurantur uelut amites basternarum. Ibi bos capite in uehiculum uerso iugo aptatur et uinculis, mansuetus sane , qui non modum conpulsoris excedat. 4. Hie ubi uehiculum per messes coepit inpellere , omnis spica in carpentum denti- culis conprehensa cumulatur abruptis ac relictis paleis altitudinem uel humili- tatem plerumque bubulco moderante, qui sequitur. Et ita per paucos itus ac reditus breui horarum spatio tota messis inpletur. Hoc campestribus locis uel aequalibus utile est et his , quibus necessaria palea non habetur. - Sur denticuli plurimi ac rari (§ 3), cf. infra , p. 98 sqq.

(1) Piero Crescientio, De agricultura uulgare, Venise, 1519, pp. 50 v° et 51 r°. (2) Le relev6 qui suit ne vise pas tfcre k exhaustif. (3) D'aprfcs Schneider, cit6 & la note suivante. L'^dition de Pline par

Harduin a publtee k Paris en 1685.

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Par contre, J. G. Schneider, a cause des dents garnissant l'avant, a

propose une etymologie fondee sur le rapprochement avec uallumQ). Des la fin du xvine siecle, des projets furent elabores pour rea-

liser d'apres les textes antiques une version nouvelle de la machine :

signalons les tentatives de Capel Lloft et de William Pitt (2). En 1820, le comte de Lasteyrie proposa un dessin de la machine

antique (3). Les descriptions de nos auteurs furent glosees comme suit par

A. Dickson : ... « II est vraisemblable... que les dents en etoient etroites a leur extremite, larges vers leur insertion dans le bois, et tranchantes sur les c6tes ; lorsque la machine etoit poussee en avant, ces dents etant tenues un peu au-dessus de la hauteur des epis, on con^oit que les tiges du bled entroient dans les intervalles ; que les epis, etant plus gros, se coupoient vers leur naissance ; et que les dents etant relevees et inclinees vers le dedans de la caisse, les

epis coupes, pousses par ceux qui continuoient a entrer entre les dents, glissoient naturellement dans la caisse » (4).

De son c6te, L. Reynier, qui attribue la machine aux Celtes, a

justement caracterise comme « un peigne a dents de fer » le dispo- sitif destine a sectionner les epis a leur base. II ajoute que Palladius

parle de cette moissonneuse comme d'une machine anterieure a son temps et dont l'usage avait du etre rapidement abandonne en raison des inconvenients qu'elle presentait : les epis s'egrenaient, certains echappaient au peigne et la paille etait abimee (5).

(1) J. G. Schneider, Scriptores rei rusticae ueteres latini, t. I, Leipzig, 1794, p. 359 sq. et t. Ill, ibid., 1795, p. 152. Schneider est d'avis qu'il est question du uallus chez Varron, I, 50, 2 (in Piceno , ubi ligneum habent in- curuum batillum , in quo sit extremo serrula ferrea ; cf. ibid., Ill, 6, 5) sous pr6texte que, d'aprfcs Columelle, III, 3, 2, des terres gauloises avaient &t€ incorporSes au Picenum ! II propose d'ailleurs de substituer le uallus au bat il- ium dans le texte de Varron... - Nous n'avons pas cru devoir consulter tous les vieux commentaires : le profit d'informations utiles 6tait fort alSatoire et peu propre k compenser le manque d'interSt de notices souvent p6rim£es.

(2) Cf. H. Fritz, Hanab. der landwirtschaftl. Maschinen, Berlin, 18SU, p. d7U. (3) Lasteyrie, Collection de machines , d' instrumens, etc., t. II, Paris, 1820,

p. 10 et pl. 8, fig. 52 du chap, sur les Origines des instrumens aratoires . (4) A. Dickson, De Vagriculture des anciens, trad, fran?., t. II, Paris, 1802,

p. 348 sq. (5) L. Reynier, De Viconomie publique et rurale des Celtes , des Germains

et des autres peuples du nord et du centre de V Europe, Geneve et Paris, 1818, p. 427 sq.

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En 1825, J. C. Loudon illustra le texte de Palladius avec le des- sin de Lasteyrie (x) et suggera ainsi a John Rildey la realisation, en 1843, d'une moissonneuse qui fut utilisee en Australie du Sud (2).

Dans son commentaire au passage de Pline, Fee, apres avoir traduit la notice de Palladius, observe en outre que l'irregularite des chaumes devait egalement entrainer la perte d'une partie de la recolte (3).

Fig. 1. - Le uallus d'aprfcs Woodcroft.

En 1853, Bennet Woodcroft s'efforce de restituer l'aspect de la moissonneuse. Le peigne devant s'adapter & la hauteur des epis, Woodcroft semble avoir imagine de le faire mouvoir a l'aide d'une sorte de poignee placee a chacune de ses extremites. Quant a l'ouvrier, il le place non pas derriere l'animal comme le suggerait Palladius, mais vers l'avant de la machine et le munit d'une petite raclette pour faciliter la chute des epis dans le caisson (Fig. 1) (4).

(1) J. C. Loudon, Encyclopaedia of agriculture , Londres, 1825, p. 26 et fig. 16. (2) Cf. A. E. Ridley, A backward glance : the story of John Hidley a pioneer,

Londres, 1904, p. 380 sqq. et fig. p. 94. (3) F£e, Pline. Hist. Nat., Coll. Panckoucke, t. XII, Paris, 1832, p. 124 sq. (4) B. Woodcroft, Appendix to the specifications of English patents of

reaping machines, Londres, 1853. Son dessin est reproduit dans l'£tude de Nachtweh (pl. I) cit6e infra, p. 84, n. 3.

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Le Dictionnaire de Rich decrit le dispositif essentiel de la mois- sonneuse comme une « grande fourche en bois en forme de V, munie de dents, et placee en avant d'un chariot » (x), tandis qu'Emil Perels, dans un ouvrage technique, reprend un peu plus tard le dessin de Woodcroft en remarquant que les dents devaient etre tres serrees (2).

Contrairement a Reynier, Ernest Desjardins estime que la paille n'etait guere endommagee ou du moins gardait toute sa hauteur et pouvait servir a la couverture des maisons (3).

En 1877, Albrecht Thaer reprend Tensemble de la question dans un article tres suggestif (4). Pour lui, le terme uallus employe par Pline - qui ne decrirait la machine que par oui-dire sans

Fig, 2. - Le uallus d'apr&s la Deering Harvesting Company.

l'avoir vue - est le meme qui signifie 'pieu, echalas, dents d'un peigne'. Arrete par l'expression denticuli plurimi ac rari de Pal- ladius, oil il voit une contradiction entre les deux adjectifs, il

(1) A. Rich, Diet, des ant. grecques et rom., Paris, 1859, art. uallus. (2) Em. Perels, Die Mahmaschinen , Iena, 1869, p. 7 et fig. p. 8 ; Id., Ueber

die Bedeutung des Masehinenwesens fur die Landwirtschaft, 2e 6d. ( Sammlung gemeinverstandl. wissenschaftl . Vortrage , Heft 28), Berlin, 1872. d. 21-22 J

(3) E. Desjardins, Giographie de la Gaule rom., t. I, Paris, 1876, p. 451 sq. On pourrait objecter que e'etit 6t 6 faire inutilement double travail de couper les £pis avec la machine pour faucher ensuite les chaumes... C'6tait cependant parfois le cas : cf. Varron, Res rust., I, 50, 2.

(4) A. Thaer, Die Mcthmaschine bei den alten Galliern dans Filhlings land - wirtschaftl . Zeitung, 1877, p. 59 sqq.

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propose une correction et suggere habilement et apti (1). Sub- sidiairement, il ajoute que le boeuf utilise devait etre un animal de la region, a petites cornes (2), portant le joug a celles-ci.

Apres Thaer, Hermann Fritz (3) et August Meitzen (4) rappel- lent a leur tour nos deux textes antiques et traduisent uannus par 'van'.

Fig. 3. - Le uallus d'aprfcs Nachtweh.

En 1900, k l'occasion de l'Exposition universelle de Paris, la Deering Harvester Company de Chicago tenta une nouvelle re- constitution de la moissonneuse (Fig. 2) dont elle offrit la ma- quette au Conservatoire des Arts et Metiers (PI. XV, 1) (5).

(1) Son texte donne ad apti , faute d'impression certaine : il faut lire et apti ou atque apti. Cf. infra , p. 99 sq.

(2) Cf. Tag., Germ., 5, 2. (3) H. Fritz, Handb. der landwirtschaftl. Maschinen, Berlin, 1880, p. 370. (4) Aug. Meitzen, Siedelung und Agrarwesen der Westgermanen und Ost-

germanen , der Kelten, Romer, Finnen und Slaven , t. I, Berlin, 1895, p. 227. (5) Official retrospective exhibition of the development of harvesting ma-

chinery , Paris, 1900, p. 102. Le dessin est reproduit dans l'article de Nachtweh (pl. II), cit6 infra , p. 84, n. 3, et la maquette par E. P. Fouss, Le « vallus » ou moissonneuse des Trivires dans Le Pays Gaumais , t. 19, 1958, fig. 9, p. 134. - Je n'ai pu consulter J. Sain, Expos, univ. de 1900. Musie rttrospectif du groupe VII. Agriculture.

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Holder pense que cette machine etait connue des Celtes (1). Jullian est du meme avis et, k la suite de Palladius, insiste sur le fait que le procede permettait un travail rapide « avec un mini- mum d'hommes et d'attelages » (2).

En 1911, parait Tinteressante etude de l'ingenieur Alwin Nacht- weh, accompagnee d'une nouvelle tentative de reconstitution (Fig. 3) (3). L'auteur, sans se prononcer sur l'origine du terme uallus qu'il rend tantdt par

4 Schneidekamm ' tant6t par 'Wanne', estime que c'est la rarete de la main-d'oeuvre qui a suscite l'in- vention de la moissonneuse. Au sujet de la structure de celle-ci, il souligne avec & propos qu'elle devait basculer en prenant appui sur l'essieu des roues, ce qui permettait de l'adapter a la hauteur des epls. Quant au mode d'attelage, il l'imagine comme un joug de cornes non pas rigidement rattache aux brancards, mais constitue simplement par des cordes. Abordant ensuite

Fig. 4. - Le peigne du uallus d'aprfcs Nachtweh.

le probl£me du peigne (4), il envisage trois possibility theoriques :

1°) des lames pointues disposees a la fa^on de grandes dents de scie redressees obliquement (Fig. 4, 1) ; 2°) un syst&me analogue oil les dents ne sont pas seulement redressees mais en outre recour- bees vers le haut & leur extremite (Fig. 4, 2) ; 3°) une suite de

(1) Holder, Alt-celtischer Sprachschatz, t. Ill, Leipzig, 1907, art. vallus. (2) C. Jullian, Hist . de la Gaule, t. II, Paris, 1908, p. 276. (3) A. Nachtweh, Rekonstruktion der altesten gallischen Mahmaschine dans

Journal fiir Landwirtschaft, 1911, Heft 1, p. 1 sqq. et pl. III. (4) Ibid., p. 7 sq. et fig. 1.

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lames inclinees obliquement, serrees les unes contre les autres de fa$on k ne laisser entre elles qu'une mince fente par ou les epis n'auraient pu tomber, et gardant toute leur largeur jusqu'& leur extremite pourvue d'une pointe affilee et recourbee (Fig. 4, 3). De ces trois systemes, Nachtweh ne retient que le dernier, les deux premiers n' ay ant aucune valeur pratique attendu qu'ils auraient difficilement pu arracher les epls. Enfin il place der- ri&re le vehicule, mais k droite ou a gauche de celui-ci, le con- ducteur reglant la hauteur du peigne.

En vue de cette etude, Nachtweh s'etait documents aupr&s de Wissowa et de Blumner. Le premier lui avait suggere que uallus n'etait pas le mot signifiant 'pieu' mais plut6t le diminutif de uannus ('Futtersahwinge', 'vannette'), ce qu'impliqueraient les termes de Pline : in uallum cadunt ; pour lever la difficulty suscitee

par l'epithete praegrandes se rapportant k ce diminutif, il n'y aurait qu'& traduire : « sehr grosse Behalter in der Form einer Futtersahwinge » (x).

Dans la note qu'il a fait tenir k Nachtweh, Blumner reprend le probleme pose par les termes denticuli plurimi ac rari de Pal- ladius. Rari pouvant signifier « ecartes », Blumner consid&re que ce mot n'est pas necessairement en contradiction avec plurimi ainsi que le voulait Thaer. Cependant, comme les lames n'auraient

pu arracher les epis si elles avaient ete ecartees les unes des autres, il accepte la suggestion de Thaer et ameliore heureusement la conjecture de celui-ci en proposant a<pt>a<t>i (2). Au reste, Blumner a mentionne cette correction dans son ouvrage sur la vie privee des Romains, ou il exprime comme Nachtweh Topinion que ce fut l'insuffisance de la main-d'oeuvre qui provoqua Tutili- sation de ce genre de moissonneuse (3).

Vers la meme epoque, le Saalburgmuseum s'interesse k la re- constitution de la machine (4), mais nous ne savons pas grand' chose de cette initiative sinon qu'elle a sans doute suscite, soit k ce mo- ment, soit un peu plus tard, un dessin de Quilling (6).

(1) G. Wissowa ap. Nachtweh, op. cit ., p. 3, n. 1. (2) H. Bluemner ap. Nachtweh, op. cit., p. 4 sq. Cf. infra , p. 99 sq. (3) H. Bluemner, Die rom. Privatleben, Munich, 1911, p. 569 sqq. (4) Cf. DSchelette, Manuel d'arch , prthist. celt, et gallo-rom ., 2e 6d., t. IV,

Paris, 1927, p. 887, n. 3 (dont la lre Mition date de 1914) : * Une enquSte archdologique vient d'etre ouverte au musde de la Saalburg (Taunus), pour la reconstitution de cette moissonneuse ».

(5) Sur ce dessin de QuUling, cf. infra , p. 86 et n. 5,

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Dechelette admet que notre moissonneuse existait des les epoques de Hallstatt et de La Tene (1). Jarde rappelle qu'elle exigeait un terrain uni (2) et Heitland remarque a juste titre que le peu d'interet suscite dans l'antiquite par cette machine encore assez rudimen- taire, peut-etre d'invention gauloise, etait du avant tout au regime de Tesclavage (3). Billiard se borne, lui, a noter le rendement de

Fig. 5. - Le uallus d'aprfcs Quilling.

cette moissonneuse (4) : son commentaire est done d'un interet mineur, mais cet auteur nous a heureusement conserve une ten- tative de reconstitution faite par le Dr Quilling du Saalburgmuseum (Fig. 5) (*).

(1) J. Dechelette, Manuel , t. Ill, p. 39 et t. IV, p. 887. (2) Jard£, art. vallus dans Saglio-Pottier, Diet, des ant. gr. et rom. (3) W. E. Heitland, Agrieola. A study of agriculture and rustic life in the

Greco- Rom. world from the point of view of labour, Cambridge, 1921, p. 398. (4) R. Billiard, L'agriculture dans Vantiquiti d'aprbs les Giorgiques , Paris,

1928, p. 132 sq. et fig. 10. Sur Tintuition de Rostovtzeff, en 1926, k propos, d'un relief d'Arlon, cf. infra , p. 90.

(5) Le Dr Schonberger, directeur du Saalburgmuseum, que j'ai interrog6 k propos de ce dessin, n'a pu que me r£pondre ce qui suit : « Auf ihre Anfrage... habe ich sofort alle Arbeiten von Quilling durchgesehen, aber nirgends eine Rekonstruktion einer Mahmaschine finden konnen. Ich habe auch noch einmal bei dem Romisch-Germanischen Zentralmuseum in Mainz nachgefragt, aber auch dort hat Kollege Klumbach nichts entdecken konnen. Wir sind beide der Meinung, dass Herr Quilling die Zeichnung extra ftir Herrn Billiard angefertigt hat und sie an keiner anderen Stelle publiziert worden ist... Ich darf noch darauf hinweisen, dass Herr Quilling bei seinen Arbeiten und Ausktinften nicht immer sehr zuverlassig war ».

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TECHNIQUE ET AGRICULTURE EN PAYS TREVIRE ET REMOIS 87

Vers 1930, le Dr Hoechstetter de Rutland Heights (fitats-Unis) elabore a son tour une maquette dont le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle est extremement sommaire (PL XV, 2) (1).

Jerdme Carcopino met notre moissonneuse au compte de ce que Rome doit a la Gaule (2) tout comme Albert Grenier qui souligne a son propos le fait que le ble, dont il existait de vastes cultures a

l'epoque de l'independance celtique, etait un element essentiel de l'alimentation gauloise (3). C'etait, ecrit de son c6te P.-M. Duval, « une machine de grande culture, dont le perfectionnement atteste des methodes tres evoluees » (4), mais son invention, declare E. A.

Thompson, ne doit pas faire croire a des mobiles altruistes de la

part des grands proprietaires (5). La derniere en date des restitu- tions graphiques a ete celle de l'ingenieur allemand C. Raussen- dorf (Fig. 6) (6). Selon W. Schleiermacher, c'est la ressemblance de certains de ses aspects avec le van qui aurait valu a la machine son nom de uallus (7). Enfin E. M. Jope a souligne a nouveau que l'utilisation de cet appareil est la preuve d'un systeme d'exploita- tion intensive du sol (8).

La moissonneuse en question a done longuement retenu l'at- tention et elle a suscite, de 1853 a 1952, nombre de restitutions

alorsque Schleiermacher ecrivait en 1955 : « Eine Rekonstruktion dieser... Maschine ist mir nicht bekannt geworden » (9) I Si nous laissons de cdte la maquette du Dr Hoechstetter, qui s'avere extremement fruste, ces tentatives ne manquent pas d'interet bien qu'elles comportent des erreurs par rapport aux textes. Ainsi, celle qu'avait imaginee B. Woodcroft, semble suggerer que le

peigne seul etait mobile. Peut-etre aussi son auteur n'a-t-il pas

(1) E. P. Fouss, op. cit., fig. 10, p. 135. (2) J. Carcopino, Points de vue sur V impirialisme romain , Paris, 1934, p. 232. (3) A. Grenier, Les Gaulois , 2e 6d., Paris, 1945, p. 244. (4) P.-M. Duval, La vie quotidienne en Gaule pendant la paix romaine ,

Paris, 1952, p. 177. (5) E. A. Thompson, A Roman reformer and inventory Oxford, 1952, p. 81 sq. (6) C. Raussendorf, Die Mahmaschine und ihre Entwicklung dans Agrar-

techniK , t. 2, Heft 2, tevrier 1952, p. 49 et fig. 1. (7) W. Schleiermacher, art. vallus, 2 dans Pauly-Wissowa, Realenc ., col.

292. (8) E. M. Jope dans Gh. Singer, E. J. Holmyard, A. R. Hall et T. I. Wil-

liams, A history of technology , t. II, Oxford, 1956, p. 96 et fig. 64 (cette illus- tration reproduit le dessin de Quilling public par Billiard, 1. c.).

(9) Art. vallus , 2 dans P.W., R.E. , col. 292.

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88 M. RENARD

retenu reformation de Palladius selon lequel Tavant du vehi- cule, ou etaient fixees les dents, etait moins eleve que les autres parois du chariot. En tout cas, il n'a pas ete tenu compte de cette donnee dans le dessin et le modele reduit presentes par la Societe Deering. Les dessins de Nachtweh et de Quilling paraissent les meilleurs, surtout celui du premier, dont les remarques & pro- pos des lames du peigne sont tres pertinentes. Quant au croquis de Raussendorf, il est plus elementaire que les deux precedents et Ton se demande comment les dents grossieres dont il munit l'avant de son vehicule pourraient arracher des epls. Enfin, une erreur est commune a tous ces dessins : nous verrons que les bran- cards ou prenait place Tanimal et qui assuraient le systeme de bascule, n'etaient pas fixes aux longs cdtes du chariot comme on l'avait suppose.

Fig. 6. - Le uallus d'apr&s Raussendorf.

Ces diverses tentatives de reconstitution sont desormais rele- guees dans l'ombre par la representation de la moissonneuse que vient de nous livrer le site de Montauban (PI. XVI, 1) Q).

(1) Cf. J. Mertens, Le uallus , moissonneuse micanique des Trioires dans Ogam , t. X, 1958, p. 217 sqq., pll. XLIV-XLYI ; A. Bertrang, Un mystkre dissipi : le Musie d'Arlon possMe depuis plus d'un sikcle un fragment de la moissonneuse gauloise dans Bull . Trim . Inst. Arch, du Luxembourg , t. 34, 1958, p. 73 sqq., fig. p. 75 ; J. Mertens, Sculptures romaines de Buzenol dans Le Pays Gaumais , t. 19, 1958, p. 31 sq., fig. 6 et pll. XIV-XV ; E. P. Fouss, op. cit., ibid., p. 125 sqq., figg. 3 et 5 k 8 ; J. Van Ooteghem, La moissonneuse gauloise dans Les Etudes Class., t. XXVII, 1959, p. 129 sqq., fig. et pl.

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La machine, que nous voyons k Touvrage dans un champ de ble, se presente dans 1' ensemble de la fa^on qu'ont indiquee Pline et Palladius. Un essieu, mft par deux roues k dix rayons, soutient un caisson dont l'avant est muni de grandes et larges dents a pointe aiguisee, disposees c6te k cdte sur tout le front du vehicule et des- tinees k couper les epis k leur base. A chaque extremite de cette rangee de dents, une forte planche incurvee emp£che les epis de glisser vers l'exterieur. Dans les brancards, fixes sur Y essieu afin de pouvoir elever ou abaisser les lames, un kne ou un mulet est attele selon la fa^on en usage dans l'antiquite, c'est-&-dire au moyen du collier ; un licou, semble-t-il, attache l'animal k l'essieu. Mais la mutilation du relief vers la droite ne nous permet pas de juger de la maniere dont les courroies etaient disposees : elles devaient relier le collier aux brancards pour permettre k Tanimal d'exercer son effort. Vers l'avant du char et de c6te, un ouvrier en tunique courte, les manches troussees, pousse les epis dans le coffre de la machine k l'aide d'une raclette fixee au bout d'une longue haste.

Ce relief appartient k la fin du ne siecle comme on peut l'inferer d'une scene de repas funeraire (x) decorant une deuxieme face du bloc sur lequel est representee notre moissonneuse.

En fait, pour illustrer les donnees de Pline et de Palladius, on aurait pu songer depuis longtemps k un relief decouvert k Arlon en 1854 (Pl. XVI, 2) si son mauvais etat de conservation n'avait empeche d'en saisir le sens. Roulez, excluant formellement l'hy- pothese d'un faucheur, y voyait, derri^re un cheval, « un homme vetu d'une tunique courte et ayant le corps engage dans un instru- ment (aratoire?) dont la partie visible a la forme d'une echelle renversee, k laquelle on aurait enleve tous les echelons k 1' exception du dernier... » (2). Le document, mal reproduit par G.-F. Prat(s), devait etre objectivement decrit par Sibenaler comme « figurant un homme enferme dans un cadre rectangulaire, les mains posees sur l'encadrement » et qu'un bovin precede dans un champ de ble (4).

(1) Cf. J. Mertens, Sculpt . rom. de Buzenol , pll. XII-XIII. (2) Roulez, Sur une dtcouverte de monuments antiques de Vdpoque rom.

d. Arlon dans Bull. Acad. Roy. de Belg., t. XXI, 2, 1854, p. 682, n° V. (3) G.-F. Prat, Hist, d' Arlon, Arlon, 1873-1874, k la fin de l'atlas de planches

(sans n°). (4) J.-B. Sibenaler, Guide illustri du Musie lapidaire romain d* Arlon dans

Ann. Inst Arch, du Lux., t. XL, 1905, p. 88, n° 50, fig.

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Esperandieu parle (Tun cultivateur portant « sur son epaule droite une sorte de cadre qui l'entoure » et qui parait « attele a deux ani- maux (boeufs ou chevaux) », ce cadre pouvant 6tre, selon lui, une herse (x). Malgre la mise en garde de Roulez, Franz Cumont voyait ici un moissonneur qui « tranche de sa faucille les bles milrs » (2). Plus recemment, A. Bertrang a suggere un cultivateur que precede un cheval ou un boeuf « attele a un cadre, objet de nature indeter- minee, qui entoure le cultivateur » (3). M.-E. Marien, dans la tres utile monographie qu'il a consacree aux reliefs arlonais, se borne a noter prudemment que l'homme « marchant... derriere une bete de somjme, peut-etre un mulet, ... porte sur l'epaule une sorte de cadre en bois » (4). Enfin, Ch. Dubois aper$oit, « dans un cadre rectangulaire, un homme penche, tenant un instrument agricole (faux)... » et precede d'un cheval ou d'un bceuf (5).

Cependant des 1926, Michel Rostovtzeff, & la perspicacite duquel il faut rendre hommage, avait vu que le relief mutile d'Arlon repre- sente le fauchage des bles au moyen de la moissonneuse decrite par les auteurs (6). S'il a eu le tort de croire, sous Finfluence de la notice d' Esperandieu, que la machine est tiree par une paire de boeufs, il n'est que de regarder ce qui nous reste de l'image d'Arlon pour y retrouver effectivement le bouvier de Palladius manoeuvrant les brancards de la moissonneuse derriere l^animal qui la fail avan- cer. Cette interpretation exacte du document arlonais, y compris l'erreur subsidiaire, a ete reprise par L. C. West (7) et R. De Maeyer(8). Ajoutons que, de son c6te, A. Bertrang vient de rap- peler Tattention sur le sens de cet interessant relief (9).

(1) Esperandieu, Recueil... des bas-reliefs ... de la Gaule, V, 4036. (2) F. Cumont, Comment la Belgique jut romanisee , 2e ed., Bruxelles, 1919,

p. 85. (3) A. Bertrang, Le Musie Luxembourgeois , Arlon, 1935, p. 52, n° 85 ; 2e 6d.,

1954, p. 84, n° 34. (4) M. E. Marien, Les monuments funiraires de ly Arlon rom. dans Ann. Inst.

Arch, du Lux., t. LXXVI, 1945, p. 92 et fig 38. (5) Ch. Dubois, Orolaunum vicus dans Ann. Inst. Arch, du Lux., t. LXXVII,

1946, p. 33, n° 14. (6) M. Rostovtzeff, The social and economic history of the Roman Empire ,

t. I, Oxford, 1926, pl. XXIX, fig. 4 ; €d. allemande, t. I, Leipzig, 1931, pl. 30, fig. 4 et p. 233 ; 6d. italienne, Florence, 1946 (r6impr.), pl. XXXVII, fig. 4.

(7) L. C. West, Roman Gaul. The objects of trade , Oxford, 1935, p. 33 et n. 15.

(8) R. De Maeyer, De Romeinsche villa's in Belgi'i , Anvers, 1937, p. 48. (9) E. Bertrang, Un mystere dissipi , p. 73 sqq,, fig. p. 75 et pl. ; cf. J. Mer-

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TECHNIQUE ET AGRICULTURE EN PAYS TREVIRE ET REMOIS 91

Ainsi done, si l'on rapprochait, apres les avoir ramenes a la meme echelle, les fragments de Buzenol et d' Arlon, bien qu'ils aient appar- tenu a des monuments differents (x), on pourrait se faire une idee assez exacte de Tensemble de la scene (fig. 7) (2).

Fig. 7. - Le uallus d' apres les reliefs de Buzenol et d' Arlon. (E. P. Fouss, Le « vallus »... des Trivires , fig. 5).

Un troisieme document figure doit entrer en ligne de compte. La voute centrale de La Porte de Mars a Reims est decoree en

son milieu d'une representation de l'Annee tenant une corne d'a- bondance et accompagnee de « putti » porteurs de corbeilles symbo- lisant les Saisons. Cet ensemble s'inscrit dans un encadrement compartimente dont les divers tableaux illustrent les activites

propres a chaque mois ainsi que Flodoard l'avait deja note au xe siecle (3).

Le tableau que nous retiendrons ici a ete dessine par Bence (PL XVII, 1), « de tres pres a une epoque ou la terre remplissait Tare jus- qu'a la hauteur des impostes », nous dit Alexandre de Laborde (4). Ce dernier y voit « un homme tirant une herse » et son interpretation a ete adoptee par Salomon Reinach (5) et par Esperandieu (6),

tens, Le vallus , p. 220 et pl. XLVII ; Id., Sculpt, rom.de Buzenol, p. 32 et fig. 6 ; E. P. Fouss, op.cit., p. 133 et fig. 4-5, p. 129 ; J. Van Ooteghem, op. cit., p. 130 sq., fig. p. 132 et pl.

(1) Les dimensions ne concordent pas. (2) Fouss, op. cit., fig. 4, p. 129 ; cf. egalement J. Mertens, Sculpt, rom. de

Buzenol , fig. 6, p. 32. (3) Flodoard, Historia Remensis Ecclesiae dans Mon. Germ. Hist., t. XIII,

Hanovre, 1881, p. 413 : Medius autem duodecim mensium iuxta Romanorum dispositionem panditur ordinatione desculptus.

(4) A. de Laborde, Les monumens de la France, Pans, 1816, p. 91, repro- duisant, pl. CXIII, le dessin de Bence.

(5) S. Reinach, Ripert. de reliefs ar. et rom., t. I, Paris, 1909, p. 231, fig. 2. (6) Esperandieu, Recueil, V, 3681 (r£teau ou herse).

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92 M. RENARD

ce dernier signalant aussi le cheval « k cdte d'une voiture ». Recem- ment Henri Stern a encore fait sienne cette opinion puisqu'il a regarde la sc&ne comme un « ramassage des chaumes » (x) tandis que J. C. Webster avait suggere une representation de la fenaison (2).

En realite, la comparaison avec le relief de Buzenol ne laisse aucun doute (8) : le tableau de Reims represente lui aussi notre moissonneuse. Malgre les mutilations qu'il avait dej& subies k l'e- poque de Bence, l'honnete transcription de celui-ci (4) permet de reconnaitre le cheval ou le mulet attele k la machine, les roues et peut-Stre mSme le caisson de celle-ci, les dents garnissant le devant, un valet enfin, qui, comme k Montauban, pousse avec une raclette les epis arraches k leur chaume. Le dessin de Bence ne montre pas les bles encore sur pied. Par contre, l'arbre aux branches tordues qu'on aper^oit au second plan atteste un souci de meubler le fond k l'aide d'un element paysagiste qu'on ne retrouve pas k Buzenol (6). Le fait qu'ici le valet se tourne vers la droite tandis qu'k Reims il marche vers la gauche n'est qu'une variante d'importance trfes relative.

Des illustrations remoises des douze mois de l'annee, nous n'avons conserve que celles qui vont de juin k decembre. La moissonneuse se rapporte au mois d'aoftt (6). Or Palladius traite de notre machine k propos des activites du mois de juin. Ce fait qu'k Reims nous la voyons seulement deux mois plus tard revele done un judicieux souci des realites regionales du calendrier agricole.

(1) H. Stern, Reprisentations gallo-rdm. des mois dans Gallia , t. IX, 1951, p. 22 et fig. 1 et Le calendrier de 354 . Etude sur son texte et ses illustrations, Paris, 1953, p. 209 et pl. XXXVIII, fig. 4.

(2) J. C. Webster, The labors of the months in antique and mediaeval art , Princeton, 1938, p. 34 ; p. 120, n° 4 ; pl. II, 4 (dessin de Colin).

(3) A. Bertrang, Un mystbre dissipi, note k la pl. ; cf. J. Mertens, Sculpt, rom . de Buzenol , p. 32, n. 48.

(4) Les conditions dans lesquelles les reliefs ont 6t6 copies infirment l'opinion de Reinach, I. c., pour lequel le dessin de Bence serait « tr&s arrange >. M. Stern, Calendrier , p. 208, a pu en verifier 1' exactitude des reproductions par comparaison avec les originaux ; il ajoute : «L'6tat de conservation des reliefs est & peu pr&s le mgme aujourd'hui que du temps de Bence ».

(5) On l'observe par contre, trfcs analogue, sur une des mosalques d'Orbe : cf. Stern, Reprisentations des mois, fig. 2 et 3, p. 24.

(6) Stern, Reprisentations des mois, p. 22 et Calendrier, p. 209. Le mois de juillet est caract6ris6 non par la moisson (Stern, Calendrier, 1. c.) mais par la fenaison (Id., Reprisentations, I. c.).

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TECHNIQUE ET AGRICULTURE EN PAYS TREVIRE ET REMOIS 93

Ce tableau est egalement tr&s significatif quant k l'esprit qui a

preside k la decoration de la Porte de Mars. Camille Jullian affirme

qu'elle ne comporte que des « scenes mythologiques ou de genre » (*), qu'on n'y voit « que scenes d'ltalie », ajoutant au surplus : « Les scenes et personnages rustiques et autres sont de tenue conven- tionnelle greco-romaine, et ne reproduisent nullement des choses et gens du pays » (2). Or si les themes de la propagande romaine et imperiale sont loin d'etre absents parmi les motifs decorant le monument, k commencer par les divins jumeaux qu'allaite la Louve (3), ce relief, representant k sa juste place la moissonneuse

propre aux grands domaines de la Gaule, demontre que les sujets locaux n'en n'etaient pas exclus pour autant (4).

La chronologie aussi tire quelque profit de cette identification. L' absence d'etude suffisante rend incertaine la date de Tare remois : on Fa assigne naguere a l'epoque d'Auguste, de Probus, de Julien(5), et plus recemment au temps d'Hadrien (6), des Antonins (7), de Caracalla ou aux annees qui ont suivi (8), k la premiere moitie du me siecle (9). Or voici que les trois reliefs k la moissonneuse de Buzenol, d'Arlon et de Reims, s'appuyant mutuellement, sugg&rent une date allant de la fin du ne si&cle au debut du me.

(1) Jullian, Hist . Gaule , t. V, p. 67, n. 7. (2) Ibid ., t. VI, p. 452 et n. 4. (3) Encore ce motif vise-t-il k exalter la 16gende des origines romaines des

Rfcmes k partir de R6mus. (4) Cf. aussi Tabattage du pore (novembre). On a consid6r6 ce motif comme

cr66 seulement au Moyen Age en Occident d'oii il aurait 6t6 introduit k Byzance ; mais sa presence & Reims, comme le remarque H. Stern, Calendrier , p. 209, montre qu'il n'est pas stranger k Tart antique, qui l'a transmis ^l'art byzantin et k Tart carlovingien ; cf. Ch. Picard, Un thhme alexandrin stir un midaillon de Begram : la cuisson symbolique du pore dans Bull. Corr . Hell., t. LXXIX, 1955, p. 509 sqq.

(5) Cf. Esp£randieu, V, 3681. (6) Jullian, t. VI, p. 452, n. 4. (7) EspSrandieu, /. c. - A. Blanchet, Les enceintes romaines de la Gaule,

Paris, 1907, p. 102, opte pour le ne sifecle. (8) A. Grenier, Manuel d'archeologie gallo-rom., t. I, Pans, 19ol, p. obb. -

G. M. A. Hanfmann, The Season sarcophagus in Dumbarton Oaks , t. I, Cam- bridge-Mass., 1951, pp. 178 et 220 et t. II, p. 166, n° 352, h^site entre l'6po- que des Antonins et celle des S6v£res.

(9) Stern, Representations , p. 23 et Calendrier, p. 209. - Webster, op. ciLt p. 120, n° 4, indique les ne-ine sifccles.

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94 M. RENARD

A propos des trois reliefs en cause se pose enfin la question des ateliers. II y a toutes chances que le relief d'Arlon sorte d'une offi- cine locale ou regionale. Ceci a pousse A. Bertrang a soutenir fer- mement que la sculpture de Buzenol provient egalement d'un atelier arlonais (x).

Si la suggestion etait fondee, il faudrait logiquement admettre que le relief remois a la m§me origine.

Or, tandis que les documents de Buzenol et d'Arlon ont appar- tenu k des monuments funeraires, celui de Reims decore un monu- ment d'un tout autre caractere et fait partie d'un vaste ensemble decoratif dont l'ampleur mSme exclut que les elements en aient pu etre travailles ailleurs que sur place.

Si Tinfluence des monuments funeraires et de la sculpture des regions trevires s'est exercee, comme il apparait, en pays remois, on admettrait done bien plut6t qu'il y a eu sans doute des prati- ciens itinerants et certainement qu'ont existe des cahiers de mo- dules (2) dont les motifs n'etaient pas seulement ceux du repertoire greco-romain mais comportaient aussi des themes locaux : de tels cartons sont certifies par les similitudes que Ton constate entre les deux reliefs de Buzenol et de Reims.

La confrontation des textes et des documents archeologiques prete & diverses remarques.

Pour l'essentiel, ceux-ci sont d'accord avec ceux-li en ce qui concerne l'ensemble de la machine : comme le montrent les reliefs de Buzenol et de Reims, il s'agit d'unvehicule ( uehiculum : Palla- dius) de grandes dimensions ( ualli praegrandes : Pline), d'une sorte de chariot (carpentum : Palladius), monte sur deux roues (duabus rotis inpelluntur : Pline ; duabus rotis... fertur : Palladius), dont Tavant est muni de dents (dentibus in margine insertis : Pline ; ibi denticuli... constituuntur in ordine: Palladius) et dans lequel s'entassent les epis (in uallum cadunt spicae : Pline ; omnis spica in carpentum ... cumulatur : Palladius).

II importe par ailleurs de souligner que le relief de Buzenol repre- sente notre moissonneuse non seulement de fa$on tr&s claire mais encore avec beaucoup d'exactitude dans les proportions. M. Fouss

(1) Bertrang, op. cit., p. 76. (2) E. P. Fouss, op. cit, p. 133, n. 7, a signal^ mon opinion sur la

question.

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TECHNIQUE ET AGRICULTURE EN PAYS TREVIRE ET REMOIS 95

Fa fort bien vu lorsqu'il s'est preoccupe d'en presenter une recon- stitution graphique (fig. 8) et une maquette (PI. XVII, 2) : « Le sculpteur de l'image de la moissonneuse, ecrit-il, a execute son oeuvre avec une precision suffisante pour en faire un dessin tech- nique. C'est en comparant les proportions de l'homme, de Fanimal et de certaines parties de la machine que Ton a pu determiner les dimensions de la moissonneuse. Celle-ci, sur le front d'attaque des dents, devait mesurer entre 1 m. 20 et 1 m. 30 » (1).

Fig. 8. - Le uallus de Buzenol. Plan et 616vation. (E. P. Fouss, Le « vallus »... des Trivires , fig. 6).

A premiere vue, une telle precision pourrait sembler ne devoir etre admise que sous reserve et on serait plut6t tente d'accueillir les chiffres de M. Fouss comme des estimations. Pourtant, cer- tains faits, comme nous Tallons montrer, paraissent bien les con- firmer.

(1) Fouss, op, cit., p. 130.

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96 M. RENARD

Un element essentiel k la structure de la machine est constitue par l'essieu monte sur roues qui la porte. Si nous acceptons k titre d'hypothese la suggestion de M. Fouss aux termes de laquelle le front d'attaque des dents mesurait de 1 m. 20 k 1 m. 30 (1 m. 18 = 4 pieds ; 1 m. 33 = 4 pieds et demi), il est aise de calculer sur le plan de notre auteur la largeur du vehicule roues comprises : nous obtenons un ecartement variant entre 1 m. 44 et 1 m. 54 (1 m. 47 = 5 pieds ; 1 m. 55 = 5 pieds et quart ; 1 m. 62 = 5 pieds et demi). Or ces chiffres coincident etrangement avec ceux qu'on nous donne pour l'ecartement des orni&res des voies antiques : 1 m. 44 au Lautaret (*), 1 m. 50 k Saint-Blaise (2), 1 m. 65 a Alesia (3), 1 m. 65 k Vaison (4).

Une autre methode de calcul aboutit k des resultats analogues. A la largeur assignee au front d'attaque des dents, il suffit d'ajouter celle des j antes et celle de la partie des moyeux faisant saillie vers Tinterieur. Les ornieres du Lautaret sont larges de 6 cm (6) et en ce qui concerne les moyeux on ne s'eloigne pas fort de la verite en admettant qu'ils pouvaient saillir de quelque 6 cm. egalement. II y a done lieu d'ajouter 24 cm. k la distance de 1 m. 20- 1 m. 30 supposee pour le peigne, ce qui nous donne k nouveau une largeur

(1) Jullian, t. V, p. 109, n. 1. (2) H. Rolland, Fouilles de Saint-Blaise , Paris, 1951, p. 30. (3) Pour ces ornieres <r Alesia, D£chelette, Manuel , t. IV, p. 472 et n. 1,

donne 1 m. 40 entre les bords internes et 1 m. 65 entre les bords externes, ce qui laisse 25 cm. pour les deux rainures ; Jullian, t. V, p. 109, n. 1, donne 1 m. 54.

(4) Gallia , t. XII, 1954, p. 461 et fig. 7, p. 460 (J. Sautel) : « 1 m. 65, comme dans les grandes voies de Seyssel ou d'A16sia ». Les ornifcres de Pomp6i ont un Ecartement de 1 m. 35 (Jullian, t. V, p. 54, n. 4) et celles de Saint-Remy sont distantes de 1 m. 30 (H. Rolland, Fouilles de Glanum, Paris, 1946, p. 11). - Dans les chars marniens de La Tfcne, l'Ecartement des roues variait de 1 m. 25 & 1 m. 35 (D£chelette, t. IV, p. 692). Dans le char des Jogasses (HaUstatt II b), il 6tait de 1 m. 10 (R. Joffroy, Les sipultures d. char du pre- mier Age du Fer en France, Paris, 1958, p. 132).

(5) Jullian, t. V, p. 109, n. 1. - Les bandages de fer garnissant les roues des chars marniens mesuraient en g£n£ral 3 cm. de large (D£chelette, t. IV, p. 692). Ceux des chars hallstattiens n'avaient souvent que de 2 cm. 3 & 2 cm. 5 et m&me moins (D£chelette, t. IV, p. 692, n. 2 et Joffroy, op. cit.9 passim). II est vrai qu'il s'agit soit de chars d'apparat soit de chars de guerre, done de v6hicules relativement 16gers. II y avait d'ailleurs des exceptions : le bandage d'une roue de La T&ne est large de 5 cm. (D£chelette, t. IV, p. 692, n. 4) et une autre, de la fin de Hallstatt, provenant du tumulus de la Butte k Sainte-Colombe, mesure 3 cm. 9 (Joffroy, op. cit., p. 80).

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TECHNIQUE ET AGRICULTURE EN PAYS TREVIRE ET REMOIS 97

totale de 1 m. 44 a 1 m. 54. Si nous raisonnons de m6me en prenant pour base les ornieres d'Alesia, qui ont environ 12 cm. Q), nous obtenons une largeur de 1 m. 56 pour un caisson mesurant 1 m. 20.

Ces considerations chiffrees, meme si on ne leur attribue - comme il se doit - qu'une valeur approximative, confirment done que les dimensions assignees k la machine sont bien proches d'une exactitude complete.

D&s lors on estimera que les roues pouvaient avoir de 70 a 75 cm. (74 cm. = 2 pieds et demi) de diametre (2). Elles sont evidemment plus petites ( rotis breuibus : Palladius) que celles de beaucoup de vehicules destines a des courses rapides, car il importait ici, pour maintenir les dents a la portee des epis, de ne pas exhausser outre mesure le vehicule. Leur diametre reduit leur assure d'autre part une robustesse necessaire, renforcee encore par le nombre eleve de rayons : ceux-ci sont au nombre de dix (3). Quant au moyeu, il est du type habituel a clavette (4) et devait etre muni d'une frette.

II s'en faut toutefois que l'identite soit totale entre les infor- mations textuelles et les representations archeologiques. Palla- dius nous dit que le plateau de la machine est carre (quadrata super -

fides) et pourvu de planches inclinees s'evasant vers l'exterieur (tabulis munitur, quae forinsecus reclines in summo reddant spatia largiora), celles de devant etant moins hautes que celles des autres parois (ab eius fronte carpenti breuior est altitudo tabularum). Son vehicule a done tres nettement l'apparence d'un tombereau. Or ce n'est pas exactement Taspect que presente la moissonneuse de Buzenol. Sans doute le coffrage en est moins haut sur le devant que sur les cdtes, mais k rencontre de ce que dit notre agronome,

(1) Cf. supra , p. 96, n. 3. (2) La roue de La Tfcne cit6e p. 96, n. 5, avait un diamfctre de 1 m. Les

roues des chars marniens avaient de 80 k 95 cm. (Dechelette, t. IV, p. 692 et n. 4). Celles des chars hallstattiens de France mesuraient entre 75 et 94 cm. et le plus souvent 85 cm. (R. Joffroy, op. cit.9 passim et p. 155).

(3) La roue du uallus de Reims, si le relief n'est pas mutilS, n'aurait toutefois que six rayons. Le cisium represents sur un autre relief de Buzenol (cf . J. Mer- tens, Sculpt, rom. de Buzenol , pl. XXXII), a des roues k huit rayons. Le nombre de ceux-ci est trfcs variable dfcs TSpoque de Hallstatt : les chars des tumulus du Fourr6 et de Vix (Hallstatt II b) avaient des roues a dix rais (Joffroy, op. cit.f p. 12 et 106) et il en est de m&me de la roue de La Tfcne d£j& rappel^e (Deche- lette, t. IV, p. 692, n. 4).

(4) Cf. Le cisium cit6 k la note pr6c£dente.

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98 M. RENARD

il est beaucoup plus allonge que large (*) et ses parois, loin de s'evaser, sont verticales. L'agencement est au reste complete par des elements subsidiaires dont Palladius ne dit mot : une forte planche fixee en surplomb k Tarriere du coffre evite que les epis sautent hors de la caisse de meme que des planches lateralis, taillees en sifflet, visent egalement a les contenir.

Ces differences entre le texte de Palladius et notre document ne sont pas essentielles, mais elles attestent de leg&res variantes dans Fequipement de la machine.

La partie la plus originale de celle-ci est evidemment constitute par les dents qui garnissent l'avant du coffre (dentibus in margine insertis : Pline ; ibi denticuli plurimi ac rari ad spicarum mensuram constitauritur in ordine , ad superiorem partem recurui : Palladius).

II ne faut probablement pas attacher trop d'importance au fait que Palladius emploie le diminutif denticuli et ce serait sans doute une erreur de considerer que, dans la langue du ive siecle, ce mot signifie autre chose que dentes chez Pline (2). D'autre part, si les reliefs de Buzenol et de Reims representent un dispositif de dents absolument plates & leur extremite tandis que Palladius assure qu'elles sont recourbees & la pointe, il ne s'agit, 'k encore une fois, que d'une variante mineure.

Mais les mots plurimi ac rari de notre auteur ne font-ils pas difficulty? Peut-on ecrire tout bonnement comme Piero Cres- cenzio : « e qui son piu denti & radi » (3) ? Car on ne peut escamoter la difficulty comme Font fait par exemple Saboureux de la Bon- netterie :

« Sur ces planches sont distributes par ordre de petites dents clair-semtes, dont le nombre est proportion^ k la quantity des 6pls. Ces dents sont recourbees par en haut » (4).

et H. Fritz :

An dem Yorderbrette befindet sich in der Hohe der Getrei- deahren eine dichte Reihe von Spitzen und scharfen Klingen, welch e vorn etwas aufgebogen sind (5).

(1) S'il fallait continuer les supputations m6triques, un calcul toit d'aprfes les bases indiqu^es plus haut lui assignerait, pour une longueur de 1 m. 20 k 1 m. 30, une largeur de 27 k 29 cm., soit un pied romain environ.

(2) Cf. Stoltz-Schmalz, Lat. Grammatik, 4e £d., Munich, 1910, p. 674. (3) Cf. supra , p. 79. (4) Dans les Agronomes latins de la Collection Nisard, Paris, 1877, p. 604. (5) H. Fritz, cit6 supra, p. 83, n. 3.

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TECHNIQUE ET AGRICULTURE EN PAYS TREVIRE ET REMOIS 99

Ne faudrait-il pas admettre avec Thaer (*) et Blumner (2) que le texte doit etre corrige et accepter la conjecture denticuli plu- rimi a<pt>a<t>i ad spicarum mensuram (3) (« de nombreuses dents correspondant k la hauteur des epis »), en considerant que les lames n'auraient pu arracher les epis si elles avaient ete ecar- tees les unes des autres?

Nous ne le pensons pas. Plusieurs notices permettent de lever la difficulty . Columelle, evoquant les diverses fa$ons de moissonner ecrit en effet : ... alii pectinibus spicam ipsam legunt , idque in rare segete facillimum, in densa difficillumum est (4). De son cdte, Pline, k la fin du paragraphe meme ou il traite du uallus , nous dit : panicum et milium singillatim pectine manuali legunt Gal - liae (5). II existait done, et notamment en Gaule, un outil agricole manie k la main, qui avait l'aspect d'un peigne. Pour que cet instrument permit la cueillette non seulement des epis mais en- core de graminees comme le panic et le millet, il fallait necessaire- ment que les dents en fussent a la fois ecartees les unes des autres et rapprochees (6). Aux deux textes precedents s'ajoute ce pas- sage d'Ovide decrivant certains travaux du paysan :

Temporibus certis desectas alligat herbas et tonsam r a r o pectine uerrit humum (7).

Et Ton peut meme invoquer la notice d' Isidore sur le r&teau : rastra quoque aut a radendo humum aut a raritate dentium dicta (8).

(1) Cf. supra, p. 82. (2) Cf. supra , p. 85. (3) La faute pourrait s'expliquer dans un manuscrit en minuscules, plurimi

ayant entrain^ et (ou atque) rari au lieu d 'aptati par une association toute m£canique.

(4) Columelle, II, 20, 3. (5) Pline, N.H. , XVIII, 30, § 297. (6) G. Lafaye, art. pecten dans Saglio-Pottier, Diet, des ant., p. 365, a

raison d'6crire : « Ce devait 6tre une sorte de peigne & dents serries ». (7) Ov., Rem. Am., 191-192. Henri Bornecque, Ovide. Les remhdes d. V amour,

Paris, 1930, traduit : * A gpoque fixe, il lie les herbes couples [= les dpis], et d'un r£teau aux dents espac6es, balaye la terre tondue ». Je comprend plutCt qu'il s'agit d'une part de la fenaison, de l'autre de la moisson faite au moyen du « peigne ».

(8) Isid. de Sev., XX, 14, 6. - Sur l'acception agricole de rarus, cf. par exemple Virg., G6org., II, 227 sq., ot une terre peu dense ( rara ) est mise en parall&le avec une terre compacte (densa) ; Columelle, II, 20, 3 (cit6 supra, n. 4) et 5-6, oft Ton retrouve un parall&le analogue entre rarus et densus & pro- pos de la moisson et des semailles. - Ernout-Meillet, Diet, itym. langue

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L' existence de cet outil agricole auquel son aspect avait valu le nom de « peigne k main » nous explique d'autre part Forigine du uallus : le principe a consiste a fa^onner un « peigne » de dimen- sions beaucoup plus grandes et k l'adapter a l'avant d'un chariot.

II y a done lieu de maintenir tels quels les termes de Palladius : denticuli plurimi ac rari. II a probablement voulu, non sans peut- £tre quelque recherche, le rapprochement des deux adjectifs. Le sens est clair si l'on considere que ac n'est pas un simple equivalent de et mais signifie exactement : 'et avec cela, et d'autre part'. II fallait que les dents de la machine fussent espacees tout en ne l'etant point de fa$on excessive, il fallait entre les lames une fente qui ne pouvait etre qu'un mince interstice : e'est bien ce que montre le relief de Buzenol.

Sur le relief de Montauban, huit de ces lames pointues sont visibles tandis qu'il y a tout juste place pour six autres derri^re les epis de l'avant-plan. Si le sculpteur a ete soucieux d'exacti- tude scrupuleuse, la machine aurait ainsi comporte un total de quatorze dents.

Le mode de fixation des dents k l'avant du caisson (dentibus in margine insertis : Pline ; ibi denticuli ... constituuntur in ordine : Palladius) n'apparait pas nettement (x). On pourrait imaginer que le peigne etait solidement cloue et sans doute mainteiiu en outre par une planche etroite ou par une tringle de fer.

Palladius complete sa description en mentionnant, k Tarrifere du vehicule, deux brancards fort courts qu'il compare & ceux des litieres (a tergo uero eiusdem uehiculi duo breuissimi temones figu - rantur uelut amites basternarum). La notice de Pline, dans sa brifr- vete, ne les mentionnait pas. Mais nous les retrouvons nettement sur les reliefs de Buzenol et d'Arlon. Alors que la traction des vehicules antiques se faisait normalement par le moyen d'un timon tire par une paire d'animaux, des brancards etaient ici indispen- sables attendu que Tattelage ne comportait qu'une seule b£te. II est significatif de constater k ce propos que ce systeme assez exceptionnel (2) - l'utilisation de deux chevaux exigeant un ecarte-

lat 3« 6d., Paris, 1951, art. rarus , ont 6videmment raison de donner k cet adjectif le sens premier 'qui prSsente des intervalles ou des insterstices ' en invoquant l'exemple p£remptoire rarum cribrum, le sens 'clairsemd, espacg ' ne venant qu'apr&s.

(1) Cf. notre fig. 4, 3, p. 84. (2) Lefebvre des Noettes, L'attelage, le cheval de selle d. trovers les dges,

Paris, 1931, p. 83 sq., cf. la fig. 73.

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TECHNIQUE ET AGRICULTURE EN PAYS TREVIRE ET REMOIS 101

ment considerable des brancards - se rencontre egalement k Igel (*) et k Buzenol meme (2). Sur le relief d'Arlon, ceux-ci, dont les extremites sont reliees par une barre transversale, apparaissent plus longs que ce que pouvait faire croire le texte de Palladius, et c'est comprehensible puisqu'ils devaient menager la place neces- saire k l'animal qui poussait la machine et meme au bouvier.

Le relief de Buzenol nous montre par ailleurs que le caisson recueillant les epis n'etait pas fixe par le fond sur l'essieu. On comprend aisement que, s'il en eut ete ainsi, les dents eussent de- passe de beaucoup les epls. C'est done par sa paroi arri&re que le coffre etait attache k la face laterale de l'essieu, ce qui permettait de l'y placer aussi bas qu'il etait necessaire (3). Quant aux bran- cards, ils etaient solidement adaptes a la face superieure de l'es- sieu. Caisson, essieu et brancards formaient ainsi un ensemble solide et rigide, mais dont la maniabilite etait grande.

La manoeuvre consistant k relever et a abaisser les dents etait commandee par le conducteur qui tant6t pesait sur les brancards tantdt les soulevait comme le montre le fragment arlonais et comme

Tindique Palladius ( altitudinem uel humilitatem plerumque bubulco moderante qui sequitur ) : dans ce systeme de bascule, l'essieu de bois

qui soutenait les roues constituait le point d'appui dont la mobi- lity etait assuree grace aux moyeux (4).

Alors que nos deux auteurs nous disent que l'animal utilise pour le travail estunbovin ( iumento ... iuncto : Pline ; bouis opera : Palla-

dius), le hasard veut qu'au lieu de celui-ci nous trouvions un equide sur nos documents archeologiques : un ane ou un mulet a Buzenol, un cheval ou plutdt un mulet a Reims et sans doute un mulet ou un kne a Arlon, car il est difficile de voir ici Tarriere-train et la

queue d'un boeuf. II n'est evidemment pas surprenant qu'on ait utilise differentes sortes d'animaux. Mais si Ton tient compte de la recommandation faite par Palladius d'utiliser un bceuf paisible pour qu'il ne depasse pas Failure du conducteur (bos..., mansuetus sane , qui non modum conpulsoris excedat), on sera fonde de rappeler au sujet de nos monuments qu'il y avait en Gaule des mules d'une

grande docilite : on en signalait, dans la region du Rh6ne, que la voix humaine suffisait k conduire (5).

(1) Esp£randieu, VI, 5268, p. 451. (2) Cf. J. Mertens, Sculpt, rom. de Buzenol , pl. XXXII. (3) Cf. supra , p. 97, ce qui a 6t6 dit au sujet du diamfctre rSduit des roues. (4) Nachtweh, op. cit.9 p. 6. (5) Claudien, Carm . min., XVIII (LI), 6d. J. Koch, De mulabus gallicis.

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102 M. RENARD

Bien que le vehicule s'avan$&t par poussee ( inpelluniur : Pline ; inpellere : Palladius), Teffort de Tanimal place derri&re le caisson (iumento in contrarium iuncto : Pline ; capite in uehiculum uerso : Palladius) s'exer^ait neanmoins par traction.

S'il s'agissait d'un bceuf mis sous le joug, comme le dit Palladius ( bos ... iugo aptatur), on peut songer a un joug de cornes (*) ou a un joug de garrot.

Le relief de Buzenol nous montre un equide, sans frein, attele selon le systeme antique du collier de gorge. La mutilation du document ne nous permet pas de dire si le systeme etait complete par une sangle et par un joug de garrot, le seul possible en l'oc- currence.

L'emploi du collier de gorge etait, comme on sait, un procede tr&s defectueux : ne posant pas sur les epaules, il comprimait la trachee de T animal et lui enlevait beaucoup de ses ressources. C'etait surtout le cas pour le cheval (2). Aussi n'est-il pas surpre- nant que notre moissonneuse ait ete attelee non d'un cheval mais d'un mulet ou plutdt d'un ane que son encolure basse permettait de munir a la fois du joug de garrot et du collier de gorge tout en lui gardant une efficience superieure a celle du cheval (8).

La transmission de la force motrice devait se faire au moyen de courroies ( uinculis : Palladius) reliant le collier aux brancards. Le maniement de ceux-ci pouvait parfois tendre les courroies, ce qui n'etait pas non plus de nature k faciliter l'effort de 1' animal.

(1) Gf. Thaer et Nachtweh, cit6s supra , p. 82, n. 4 et p. 84, n. 3. (2) Cf. Lefebvre des Noettes, op. cit.f p. 13 sq. : « Le collier plaquait sur

la gorge, et g&nait ainsi la respiration du cheval, principalement s'il baissait la t&te, car dans cette position les muscles du cou d6tendus et flasques ne protfcgent pas la trachee. G'est pourquoi T animal redressait instinctivement T encolure prenant ainsi T attitude caract^ristique du cheval de trait sur les documents figures antiques. Or cette attitude relev^e est la plus d6fectueuse que 1' animal de trait puisse prendre, car elle rejette son centre de gravity en arrifcre et l'em- pfiche d'utiliser son poids pour tirer... II est ais6 de se rendre compte, et nos experiences l'ont d6montr6 en 1910, que dans ces conditions la force motrice du cheval ne se trouvait capt£e qu'en infime partie ».

(3) Cf. Lefebvre des Noettes, op. cit.9 p. 87 : «... GrAce k son encolure basse, T&ne peut 6tre attel£ comme le boeuf au moyen du joug de garrot... Gela donnait k cet animal une force de traction superieure k celle du cheval et per- mettait aux Romains de 1' employer exceptionnellement pour le labour, sur des sols particuH&rement lagers ». Geci d'aprds Varron, Res rust., I, 20,4 : Vbi terra leuis, ut in Campania , ibi non bubus grauibus, sed uaccis aut asinis quod arant, eo facilius ad aratrum leu? adduci possunt t

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TECHNIQUE ET AGRICULTURE EN PAYS TREVIRE ET REMOIS 103

Enfin Palladius insiste sur Teconomie de main-d'ceuvre (praeter hominum labores) que permettait notre moissonneuse : les repre- sentations que nous en trouvons a Buzenol et a Reims nous montrent que deux hommes suffisaient a son maniement : outre le conducteur, un auxiliaire charge depousser avec une raclette fixee au bout d'un long manche les epis qui s'accumulaient sur les dents sans tomber dans le caisson et qui, surtout, se coin^aient entre elles.

Cette moissonneuse nous apparait done comme une tentative extremement interessante, procedant d'une initiative originale et dont la realisation temoigne d'un savoir-faire certain. Ce n'est

pas trop de dire avec M. Fouss : « Les belles proportions, l'equi- libre de l'ensemble, Tadaptation parfaite des formes a la fonction font de cette machine non seulement un chef-d'oeuvre de technique elementaire mais aussi d'elegance rustique » (*). La comparaison entre les tentatives de restitution faites naguere et le dessin ori-

ginal que nous a conserve le relief de Buzenol est tout en faveur de la machine authentique.

Palladius en a bien vu les avantages economiques, qui etaient essentiellement d'epargner la main-d'eeuvre et d'assurer la rapidite d'execution du travail. Mais elle avait aussi de grands defauts : les epis etaient arraches (< direptae ... spicae: Pline ; abruptis... paleis : Palladius) plutdt que fauches. lis se coingaient souvent, comme nous venons de le dire, entre les dents au point qu'il fal- lait un valet pour les degager (2). En outre, comme Font observe

Reynier (3) et d'autres apres lui, des epis s'egrenaient ou echap- paient a cause de Tinegalite des chaumes et la paille etait endom-

magee. C'etaient la des inconvenients certains meme si Ton consi- dere que le pays etait fertile, que les pertes de ble etaient com-

pensees par le gain de temps et que la paille, meme abimee, pouvait tou jours servir a la fumure.

Si Temploi de cette machine resta localise a certains endroits de la Gaule oil elle avait ete imaginee, e'est sans doute a cause de ces defauts. Mais elle aurait pu 6tre amelioree. Son utilisation limitee ne peut done s'expliquer uniquement par les inconvenients qu'elle presentait ni par le fait qu'elle etait difficilement utilisable en pays accidente : il y a des plaines en bien d'autres regions.

(1) Fouss, op. cit ., p. 131. (2) Les dessins de Woodcroft et de Raussendorf montrent que ces auteurs

ont pressenti cette n^cessitd. (3) Reynier, De Vicoriomie... des Celtes..., p. 428,

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104 M. RENARD

La raison essentielle pour laquelle cette moissonneuse ne suscita pas un interSt plus general reside bien plutdt dans le syst&me eco- nomique de l'antiquite base en grande partie sur l'esclavage (1). Celui-ci assurait une main-d'ceuvre abondante et d'un cofit si peu eleve que le recours au machinisme n'offrait, sauf exception, que peu d'avantages financiers. Si le profit materiel etait exclu, le souci d'epargner la peine des hommes n'etait pas alors un stimulant suffisant pour favoriser certains progres techniques.

L. Reynier, nous l'avons dit, estimait que l'emploi de notre mois- sonneuse avait dti Stre rapidement abandonne et que Palladius aurait moins parle d'un procede de son epoque que d'un usage ancien (2). Rien cependant dans le texte de notre auteur ne permet une telle affirmation. D'ailleurs nos trois reliefs attestent qu'a la fin du ne siecle et au debut du me la moissonneuse etait toujours en usage. Et durant l'epoque qui s'ecoula depuis ce moment jus- qu'a l'epoque de Palladius, l'agriculture gauloise resta prospere (3) malgre certains malheurs des temps.

Les precisions de notre agronome permettraient-elles au con- traire de penser qu'il a vu fonctionner la machine (4) ? La suggestion est seduisante. Ne pourrait-on croire que notre Palladius Rutilius Taurus Aemilianus est ce jeune Gaulois qui etudiait le droit k Rome en 417 et pour lequel son parent Rutilius Claudius Nama- tianus avait beaucoup d'affection (5) ? On comprendrait ainsi qu'en ecrivant quelques annees plus tard son traite d'agriculture, il ait parle de la moissonneuse en connaissance de cause. Mais il n'y a pas de preuve formelle que notre agronome ait vecu au ve siecle plutdt qu'au ive. On pourrait tout aussi bien admettre- qu'il a trouve sa documentation dans les ouvrages qu'il compi- lait (6). Nous demeurerions done dans le domaine de l'hypoth&se en raison de notre manque d'informations sftres au sujet de notre agronome...

(1) Cf. Heitland, Agricola , p. 398. (2) Reynier, op, cit., p. 428. (3) Cf. infra . (4) Comme le pense E. P. Fouss, op. cit., p. 126. (5) Rutil. Namat., I, 207 sqq. - Cf. Schanz-Hosius, Gesch. rdm. Lit .,

t. IV, 1, 2e 6d., Munich, 1914, p. 190 ; P.W., R.E. , art. Rutilius , 13, col. 1250 (Vollmer) et art. Palladios, 7, col. 209 (Svennung). - Mais les Palladii sont nombreux tant au ive qu'au ve si&cle.

(6) Cf. Schanz-Hosius, op. cit., p. 191 et Svennung, I. c.

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PLANCHE XV

1. - Reconstitution du uallus d'aprfcs la Deering Harvesting Company. (E. P. Fouss, Le « vallus »... des Trivires , fig. 9).

2. - Reconstitution du uallus d'aprfcs le Dr Hoechstetter. (E. P. Fouss, op. cit fig. 10).

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PLANCHE XVI

1. - Le uallus de Buzenol. ( Photo du Musie Gaumais ).

2. - Le uallus d'Arlon. Fragment. (Marien, Mon. fun . Arlon , fig. 38).

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PLANCHE XVII

1. - • Le uallus de Reims. (Laborde, Mon. de la France , pl. CXIII).

2. - Maquette du uallus de Buzenol. (E. P. Fouss, op. cit., fig. 7).

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TECHNIQUE ET AGRICULTURE EN PAYS TREVIRE ET REMOIS 105

Quant k Pline, il a servi comme officier sur les bords du Rhin en 47 de notre ere (*). Peut-etre meme, si certaines notices de son Histoire Naturelle se rapportent a des faits dont il a eu la connais- sance personnelle et non pas appris par oui-dire, est-il revenu ulte- rieurement dans la region en qualite de procurateur de Belgique (2). Auquel cas, il eut reside a Treves dont dependaient les regions de Buzenol et d'Arlon. Quoi qu'il en soit, le fait bien assure de sa milice de 47 en pays rhenan permet a lui seul de croire qu'il avait vu la machine dont il parle (3).

Sa notice nous ramene ainsi a Tepoque de Claude au plus t6t. Aucun texte ne nous permet de remonter plus haut, car il n'y a sans doute pas lieu de tenir compte du mot de Ciceron declarant que les Gaulois moissonnent, les armes au poing, les champs d'au- trui parce qu'ils estiment deshonorant de recueillir le ble de leurs mains (4).

II est done difficile de dire si notre moissonneuse existait deja a Tepoque de Tindependance gauloise comme on l'a souvent admis (5). En faveur d'une telle opinion, on ne peut guere invoquer que des arguments de vraisemblance. Mais ils ne laissent pas d avoir un certain poids.

De la fin de la conquete a Tepoque de Claude, moins d'un siecle s'est ecoule. Durant ce laps de temps, la Gaule, meurtrie d'abord, bouleversee ensuite par sa reorganisation, troublee aussi parfois, et notamment en pays trevire lors du soulevement de Julius Forus sous Tibere (6), n'eut vraisemblablement pas Toccasion de songer aux progres techniques.

D'autre part, on considerera que Talimentation des Gaulois etait

(1) Cf. W. Kroll, art. Plinius, 5 dans P. W., R. E., col. 273 sq. ; von Rohden et Dessau, Prosop . Imp. Rom., t. Ill, Berlin, 1898, p. 51, n° 373. Cf. le disque de bronze de Xanten, C/L, XIII, 10026" : Plinio praefec[to].

(2) Cf. Kroll, op. cit ., col. 277 et Rohden-Dessau, PI R, I. c. (3) Contre Thaer, cit£ supra , p. 82, n. 4. (4) Cic., De rep., Ill, 9, 15 : Galli turpe esse ducunt frumentum manii quae -

rere; itaque armati alienos agros demetunt. Jullian, t. II, p. 277, n. 6, considfcre qu'il s'agit d'un « mouvement oratoire » et d'« un d&veloppement banal sur les gotits militaires des Gaulois ». II est cependant curieux que cette reflexion, pr£t6e &L. Furius Rufus par Ciceron, apparaisse dans le De republica dat6 d'entre 54 et 51, e'est-^-dire de l'Spoque mSme de la conquSte de la Gaule et au moment de la lieutenance (54-52) du frfere de Torateur auprfcs de C6sar.

(5) D'autres perfectionnements techniques de caractfcre agricole sont donnas comme r^cents par Pline, N. H., XVIII, 18, § 172-173 : cf. infra.

(6) Tac., Ann., Ill, 40 sqq.

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106 M. RENARf)

essentiellement a base de pain et que la culture du ble avait pris chez eux, d&s l'epoque de l'independance, une extension consi- derable. Polybe, qui insiste sur le bon marche de ces grains (*), l'atteste deja pour le Midi de la Gaule. Pour les regions plus sep- tentrionales, nous avons ulterieurement le temoignage de Cesar dont les informations nous permettent de saisir dej& les specula- tions des negotiatoresrom&inssur les bles gaulois (2). L'abondance de ceux-ci sera d'ailleurs notee un peu plus tard par Strabon (3). Ces donnees prouvent des cultures intensives notamment dans les grands domaines qu'etaient les aedificia (4), oil on pourrait admettre que certaines machines avaient deja leur place (5).

Enfin on invoquera surtout que les Gaulois etaient plus que tous autres des maitres en matiere de charronnage (6).

Une bonne douzaine de tumulus de la fin de l'epoque de Hall- statt, localises en Bourgogne, en Franche-Comte et jusqu'en Cham-

pagne et en Alsace (7),ont livre les restes de chars d'apparat montes sur quatre roues, k commencer par ceux de Vix (8) et d'Ohnenheim (9), qui attestent le savoir-faire des charrons celtes des la deuxieme moitie du vie siecle avant notre ere (10). Un peu plus tard, les chars de l'epoque de La Tene - plus nombreux que partout ailleurs dans la region de la Marne oil se developpera la cite des Kernes - mon-

(1) Polybe, II, 15, 1 et III, 49, 5 ; cf. cependant Posidonius ap.ATH^N^E, IV, 151e : fj TQoq>ij d' iariv agroi fiev okiyoi, xgia de noXXa.

(2) C£sar, B , G., I, 39, 1 (en 58, & Besan<?on) ; VII, 3, 1 (en 52, k Orleans) ; VII, 42, 3-5 et 55,5 (en 52, chez les HSduens). II est question de bU en bien d' autres endroits : cf. infra.

(3) Strabon, IV, 1, 2 : 77 d'aAArj naaa alrov (psqsi noXvv. (4) Cf. H. d'ARBOis de Jubainville, Recherches sur I origine de la propriete

foncikre et des noms de lieux habiUs en France , Paris, 1890, p. 77 sqq. ; Grenier, Manuel , t. II, 2, p. 783 ; Id., La vie romaine en Luxembourg dans Annuaire de la Soc. des Amis des Musies dans le Grand- DucM-de- Lux., 1937, p. 11 : « Durant T6poque gauloise, la vie du peuple tout entier 6tait dirig^e par la campagne, * c'est-&-dire par Faristocratie maitresse de la terre. Comme nous l'indique G6sar, ces grands seigneurs vivaient sur leurs domaines, habitant des aedificia9 c'est- &-dire des demeures en charpente, la plupart du temps entour^es de forfets ou situ6es sur la berge des rivifcres. lis etaient 1^ compl^tement ind£pendants et maitres absolus de leurs clients ».

(5) Cf. infra. (6) Cf. Jullian, t. II, p. 186 sqq., 234 sq. et 325 sq. ; t.V, p. 154 sq. (7) Cf. Joffroy, op. cit.y p. 152, fig. 38 et D£chelette, t. Ill, p. 255 sqq. (8) Joffroy, op. cit.9 p. 103 sqq. (9) Ibid., p. 123 sqq. (10) Ibid., p. 156,

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trent la meme habilete technique (*). Ce type de Yessedum , char a de guerre a deux roues, tire par deux chevaux, se voit encore sur les monnaies des Remes (2). Par ailleurs, Posidonius a evoque Luern, roi des Arvernes, lan^ant aux siens or et argent du haut de son char (3) et Rome avait garde le souvenir de Tequipage somptueux de son fils Bituit(4). A l'epoque de la conquete, le char de combat n'etait plus en usage en Gaule alors qu'il etait encore employe chez les Celtes de Bretagne (5), mais le souvenir en restait lie au nom des Beiges (6). Le charronnage gaulois perpe- tuait cependant ses traditions de solide ouvrage avec les voitures de voyage et les chariots de transport ; il suffit de se reporter a Cesar pour s'en convaincre (7).

L'epoque gallo-romaine nous montre pareillement a Buzenol (8), a Arlon (9), comme en bien d'autres endroits, des vehicules varies

qui ne doivent guere differer de ceux qui les avaient precedes : « un train de deux ou quatre roues, un plancher compact et assez

peu eleve, et, dans l'ensemble, un fardiertres solide, pouvant rece- voir, pour peu qu'elles fussent bien disposees et bien attachees, des charges lourdes et nombreuses » (10).

Cette maitrise des charpentiers gaulois, dont le metier a parfois donne un nom a l'endroit de leur travail (u), nous est aussi assuree

par les tres nombreux emprunts que le latin a faits dans ce domaine

(1) Dechelette, t. IV, p. 686 sqq. (2) Ibid., t. IV, p. 694, fig. 504. (3) Posidonius ap. Athen£e, IV, 152d. (4) Florus, I, 37, 5 (III, 2, 5). (5) CSsar, B. G., IV, 24, 1 et 33. Cf. Dechelette, t. IV, p. 690 et n. 2.

V. Tac., Agr ., 35 sq. et Ann., XIV, 35, 1, cf. 34, 4. (6) Cf. Lucain, I, 426 :

et docilis rector monstrati Belga couinni. Le texte est difficile : les corrections proposes et les notes des comment aires

en t6moignent : cf. Jullian, t. II, p. 187, n. 2. (7) C6sar, B. G., I, 3, 1 ; 6, 1 ; 24, 4 ; 26,1 et 3 (chez les Helvfctes) ; VI, 30, 2

(chez les iSburons) ; VII, 18, 3 (au moment d'Avaricum) ; VIII, 14,2 (chez les Bellovaques).

(8) Esp£randieu-Lantier, XIV, 8386, 2 ; J. Mertens, Sculpt . rom. de Buzenol, pl. XXXII.

(9) EspSrandieu, V, 4031, 4041, 4043, 4044, etc. (10) Jullian, t. II, p. 234. (11) Cf. G. Dottin, Manuel pour servir d. Vitude de Vant. celt., 2e 6d., Paris, 1915, p. 86 et 119, rapproche de carpentum le toponyme Carbanto-rate , var. Qarpentovate , en l'expliquant comme un endroit oft Ton construit des chars.

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108 M. RENARD

au celtique (*) : la multiplicity de ces termes est le temoignage d'une diversite de types telle qu'on a justement pu dire que « nul peuple de TAntiquite n'eut une carrosserie plus variee » (2).

Cette longue tradition dans le domaine du charronnage est done bien faite pour soutenir Thypoth&se de Tinvention dans la Gaule encore independante de la machine agricole qui retient ici notre attention.

Cependant le terme propre, uallus , qui designe la moissonneuse, semble bien latin. II ne se rencontre que chez Pline ( ualli praegrandes, in uallum ), Palladius se contentant d'appellations plus vagues ( uehiculum , carpentum). Le mot est susceptible de deux explica- tions entre lesquelles il est difficile de choisir.

Comme Harduin, Fritz, Meitzen, Wissowa (3) et Walde-Hof- mann(4), W. Schleiermacher (5) voit dans ce terme le meme mot que uallus , i, f. (et -urn, -z, n.), le 'van', diminutif de uannus, -f, f., par Tintermediaire de *uanno-lo-s (6). L' equivalence de uallus dans le sens de 'van' est par exemple attestee par Servius dans sa note a propos de la mystica uannus Iacchi de Virgile, Georgi -

ques9 I, 166: legimus tamen et ' uallus 9 secundum Varronem... quod idem nihilominus significat. Et Schleiermacher conclut que la moissonneuse a pris son nom de sa ressemblance avec le van. M. Fouss considere egalement que le van d'osier ( uallus ) « a bord releve a l'arriere, qui s'abaisse insensiblement sur les deux cdtes et se termine en plan horizontal a l'avant » a donne son nom a la

(1) Cf. les ouvrages traitant des realia , les dictionnaires 6tymologiques d'Eii- nout-Meillet et de Walde-Hofmann, les index de G. Dottin, op. cit., et La langue gauloise, Paris, 1920, et surtout A. Holder, Alt-Celt. Sprachschatz , art. benna, cantus, carpentum , carros, carruca, cisium , colisatum , couinnus, esse- dum , petorritum , ?ploum , ploxenumt reda , serracum ; v. aussi Fr. Schoell, Zur lat. Wortforschung dans Indogerm. Forsch., t. XXXI, 1912-13, p. 317 sqq., et k ce propos J. Vendryes dans Rev. Celt ., t. XXIV, 1913, p. 240 ; J. Ven- dryes, Gallo-latin cisium ( cissum ) dans M6m. Soc. Lingu. Paris , t. XIX, 1916, p. 60 sqq. ; cf. Id. dans Comptes rendus Acad. Inscr. et Belles-Lettres , 1933, p. 376 sq.

(2) Jullian, t. II, p. 326. (3) Cf. supra , p. 80 sqq. (4) Walde-Hofmann, Lat . etym. Worterb ., 3e 6d., 1957, art. uallus , 1 :

'Getreide- oder Futterschwinge ' (5) W. Schleiermacher, art. vallus , 2 dans P. W., R. E., col. 292- (6) Cf. Ernout-Meillet, Diet. itym. langue lat., 3e 6d., Paris, 1951 et Walde-

Hofmann, op. cit., art. uannus ; v. H. Keil, Commentarius in Varronis rerum rust . libri tres , Leipzig, 1891, ad I, 22, 1.

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machine dont « la caisse armee de dents dans sa partie anterieure rappelle, dans sa forme generate, l'aspect du van » (1).

Pour mieux soutenir cette explication, on pourrait rappeler que les noms des vehicules gaulois sont plus d'une fois apparentes k des termes evoquant la vannerie, noms du panier ou tressage de Tosier : cisium-cissum tire son origine du gaulois cisso -, auquel on rattachera l'irlandais cess (ciss), f., 'panier* et 'claie' en vannerie, cisse, 'tresse' ; benna vient de *bendh- 'lier* ; ploxenum appartient sans doute a la meme racine que plectere et on a propose de rap- procher le gaulois carbanto - et le latin corbis , vieil islandais hrip 9 ' corbeille, panier' (2). Parfois les documents figures nous mon- trent encore les coffrages de certaines voitures faits de la sorte en osier tresse ou au moyen des lattes entrelacees (3).

S'il etait assure que le terme uallus designant la moissonneuse est du feminin, l'explication qui vient d'etre presentee aurait l'a- vantage de tenir compte de certains faits techniques. Mais rien n'est moins sur : le texte de Pline ne permet pas de decider du

genre du mot. Rien n'empeche done de croire qu'il s'agit de uallus, -i, m., 'pieu' comme l'admettent Schneider, Thaer (4) et Ernout-Meillet (5). De fait,l'element le plus caracteristique de notre machine est constitue par la rangee de lames dont elle est munie k l'avant. Or la forme de ces dents placees c6te a c6te suggere la comparaison avec les pieux tailles en pointe d'une palissade. L'ex-

pression d'Ovide pour designer les dents du peigne, uallus pecti- nis (6), comporte une metaphore analogue. Reynier, qui n'avait cure du probleme etymologique, faisait involontairement la com- paraison lorsqu'il ecrivait que la partie anterieure de la machine etait pourvue d'« un peigne a dents de fer » (7).

(A suivre). Marcel Renard.

(1) Fouss, op. cit.f p. 128 sq. - En pareil cas, on pourrait suggSrer que la signification mystique du van justifierait la representation du uallus sur un monument fundraire : mais cette hypothfcse demeurerait fragile eu 6gard k tant de scenes agricoles parfaitement r^alistes...

(2) J. Vendryes, Gallo-latin cisium ( cissum ), p. 61. (3) Esp£randieu, IV, 3522 (Dijon) ; V, 4031 et 4092 (Arlon) ; VI, 5159

(Neumagen) ; XIV, 8386,2 (Buzenol). (4) Cites supra , p. 80, n. 2 et p. 82, n. 4. (5) Ernout-Meillet, op.cit., art. uallus : 'pieu,£chalas ;fourche&moissonner'. (6) Ov., Am., I, 14, 15. (7) Reynier, op. cit., p. 427. - Cf. les textes relatifs au pecten cit6s supra,

p. 99.

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