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& culture Techniques Des fiches pratiques pour accompagner vos terrains FICHES 1 à 5 Chaîne opératoire Bonus

Techniques culture...C. Renfrew & P. Bahn dir. Archaeology. The Key Concepts. London & New York : Routledge 25‑31. Sigaut, F. 1991 «Un couteau ne sert pas à couper, mais en coupant

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Des fiches pratiquespour accompagner

vos terrains

FICHES 1 à 5

Chaîne opératoire

Bonus

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Retrouvez les fiches sur le site de la revue : journals.openedition.org/tc.Et toutes nos actualités sur le carnet : tc.hypotheses.org, facebook.com/ TechniquesetCulture et twitter.com/Revue_TC.

À lire

Balfet, H. dir. 1991 Observer l’action technique. Des chaînes operatoires, pour quoi faire ? Paris : Editions du CNRS.

Bril, B. 2018 « Action, movement and culture : Does culture shape movement ? » Kinesiology Review 7 (1) : 79‑87. doi : 10.1123/kr.2017‑0060.

Bril, B. & V. Roux dir. 2002 Le geste technique. Réflexions méthodologiques et anthropologiques. Ramonville Saint‑Agne : Editions Erès (Revue d’Anthropologie des connaissances, Technolo-gies /Idéologies / Pratiques, vol. 14 (2)).

Chateau, J.-Y. 2005 Gilbert Simondon. L’Invention dans les techniques. Cours et Conférences. Paris : Seuil.

Coupaye, L. 2015 « Chaîne opératoire, transects et théories quelques réflexions et suggestions sur le parcours d’une méthode classique » in Ph. Soulier dir. André Leroi-Gourhan « l’homme tout simplement ». Paris : Editions de Boccard ‑ Tra‑vaux de la MAE - Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie, René‑Ginouvès : 69‑84.

Cresswell, R. 1983 « Transferts de techniques et chaînes opératoires », Techniques&Culture 2 : 143‑163.

Desrosiers, S. 1991 « Sur le concept de chaîne opératoire » in H. Balfet dir. Observer l’action technique. Des chaînes operatoires, pour quoi faire ? Paris : Editions du CNRS : 21‑25.

Djindjian, F. 2013 « Us et abus du concept de “chaîne opératoire” en archéologie » in S. Krausz, A. Colin, K. Gruel, I. Ralston & T. Dechezlepretre dir. L’Age du fer en Europe. Mélanges offerts a Oli-vier Buchsenschutz. Bordeaux : Ausonius Editions 93‑107.

Dobres, M.-A. 1999 « Technology’s links and chaînes. The processual unfolding of techniques and tech‑nician » in M.-A. Dobres & C. R. Hoffman dir. The Social Dynamics of Technology. Washington & London : Smithsonian Institution Press 124‑146.

Gosselain, O.P. 2018 « Pottery chaînes opératoires as historical documents », Oxford Research Ency-clopedia of African History. Oxford University Press : doi : 10.1093/acrefore/9780190277734.013.208.

Inizan, M.L., Reduron, M., Roche, H. & J. Tixier 1995 Technologie de la pierre taillée. Meudon : Cercle de Recherches et d’Etudes Préhistoriques.

Lemonnier, P. 1992 Elements for an Anthropology of Technology. Ann Arbor : University of Michigan Press.

Lemonnier, P. 2004 « Mythiques chaînes opéra‑toires », Techniques&Culture 43‑44. [En ligne] : journals.openedition.org/tc/1054. doi : 10.4000/tc.1054.

Leroi-Gourhan, A. 1964 Le geste et la parole. 1. Techniques et langage, 2. La mémoire et les Rythmes. Paris : Albin Michel.

Mahias, M.-C. 2002 Le barattage du monde. Essai d’anthropologie des techniques en Inde. Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme.

Martinón-Torres, M. 2002 « Chaîne opératoire : The concept and its application within the study of technology », Gallaecia 21 : 29‑43.

Rodda, N., B. Bril, A-L. Goujon & K-E Shim 2015 « Ethnographier le “tour de main”. Une propo‑sition méthodologique pour un défi toujours actuel », ethnographiques.org 31, numéro spé‑cial « La part de la main ». [En ligne] : ethnogra‑phiques.org/2015/Rodda‑Bril‑Goujon‑Shim.

Schlanger, N. 2005 « The chaîne opératoire » in C. Renfrew & P. Bahn dir. Archaeology. The Key Concepts. London & New York : Routledge 25‑31.

Sigaut, F. 1991 « Un couteau ne sert pas à couper, mais en coupant. Structure, fonctionnement et fonction dans l’analyse des objets » in 25 ans d’études technologiques en préhistoire. Juan‑les‑Pins : Association pour la promotion et la diffusion des connaissances archéologiques : 21‑34.

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Chaîne opératoire

Toutes les activités techniques – y compris rituelles et artistiques – suivent un déroulement chronologique et impliquent des transformations visibles ou invisibles. La chaîne opératoire est un outil descriptif et analytique per-mettant de représenter ces activités, en vue d’études structurelles ou com-paratives.

Le concept de chaîne opératoire a progressivement émergé dans les travaux de Marcel Mauss, André-Leroi-Gourhan et Marcel Maget, qui notaient tous le caractere processuel et séquen-tiel des activités techniques. Robert Cresswell est le premier à en avoir donné une définition opérationnelle. La chaîne opératoire, écrit‑il, correspond à une « série d’opérations qui trans‑forment une matière première en un produit, que celui‑ci soit un objet de consommation ou outil fini ». Cette définition a été ultérieurement reformulée par Pierre Lemonnier : « série d’opérations impliquées dans toute transformation de matière (y compris nos propres corps) par les etres humains ».

Le développement du concept suit deux trajectoires parallèles, selon qu’il est mobilisé par les anthropologues ou les archéologues.

En anthropologie, la chaîne opératoire concerne avant tout l’occurrence concrète d’un processus technique. Sa documentation sur le terrain implique un protocole d’enquête [fiche 04] permettant de systématiser la collecte d’informations en vue d’une analyse techno‑logique (au sens d’André‑Georges Haudricourt). L’enquete se prolonge généralement par des représentations graphiques [fiche 05] facilitant les comparaisons à différentes échelles.

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PRATIQUE 01

Fiche 1 – Techniques&Culture, juin 2019

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En archéologie, la chaîne opératoire se réfère avant tout à un idéal type de processus tech-nique, inféré à partir d’études archéologiques, ethnographiques ou expérimentales (ex. la chaîne opératoire de fabrication d’un biface Acheuléen). À ce titre, elle constitue surtout un modèle d’analyse des objets archéologiques, c’est‑à‑dire une sorte de « check‑list » des phases et séquences de fabrication qui doivent etre idéalement reconstituées sur bases d’indices matériels. Quelle que soit l’expertise des analystes et la richesse des indices, ce qui est restitué n’est jamais l’occurrence concrète du processus technique, mais une idéali‑sation. Celle‑ci n’en demeure pas moins fondamentale puisqu’elle ouvre sur des questions de cognition, d’identité, de changement, d’adaptation, etc.

Les usages et acceptions différentes du concept de chaîne opératoire entraînent une cer‑taine confusion, puisque celui‑ci désigne selon les cas un processus technique, un outil de collecte d’informations et une représentation plus ou moins idéalisée. Dans le monde anglo-saxon, le terme « chaîne opératoire » désigne même parfois une approche « cultura‑liste » des techniques.

Pour sortir de cette confusion, nous proposons de distinguer :

■ le processus technique : qu’il s’agisse d’une occurrence concrète ou d’une reconstitu‑tion ;

■ l’outil de documentation : protocole d’enquete, check‑list, lecture et interprétation des indices archéologiques, etc. ;

■ la chaîne opératoire : représentation graphique du processus technique observé ou reconstitué.

La « chaîne opératoire » devient ainsi une technographie au premier sens du terme. Quant aux définitions de Cresswell, Hélene Balfet et Lemonnier, elles s’appliquent exclusivement aux « processus techniques ».

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Points de vue et finalités

Pour éviter la confusion entre modèle et réalité, il est préférable de dis-tinguer un domaine vernaculaire (point de vue émique) et un domaine analytique (point de vue étique) dans l’étude des processus techniques. Si ces deux domaines doivent idéalement être pris en compte (du moins en contexte ethnographique), chacun implique des protocoles et des ques-tionnements distincts.

Le domaine vernaculaire comprend trois aspects :

■ l’activité technique [V1] telle qu’elle advient sur le terrain et est vécue par l’acteur, indé‑pendamment de la personne qui observe. Si cette activité est qualifiée de « technique », c’est parce qu’elle implique des actes efficaces (pour l’acteur) et traditionnels (appris, transmis), suivant la définition de Mauss. Elle inclut de ce fait des actes esthétiques et rituels ;

■ les descriptions et commentaires de l’acteur [V2] sur l’activité technique, ce qui inclut la façon dont il la conceptualise, évalue et explique son résultat (registres techno-fonc‑tionnel, social, rituel) et justifie les échecs et incidents éventuels ;

■ les schémas vernaculaires [V3], c’est-à-dire les regles, doxa, protocoles et recettes mobi‑lisés par l’acteur et établis par lui‑meme, les membres de sa communauté ou une institu‑tion. Ces schémas vernaculaires peuvent prendre une forme orale, écrite ou graphique et permettent parfois d’accéder aux découpages vernaculaires du processus technique (phases, séquences, opérations [fiche 03]).

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Fiche 2 – Techniques&Culture, juin 2019

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Le domaine analytique comprend trois aspects :

■ les données collectées [A1] par l’ethnographe lors de l’observation de l’activité technique. Ces données découlent du protocole de collecte [fiche 04] et prennent la forme de notes, d’enregistrements audio, de photos, de films, de dessins, etc. ;

■ le schéma opératoire 1 [A2], qui correspond à une première modé‑lisation de l’activité sous forme de graphes ou de tableaux. Cette « chaîne opératoire » – au sens où nous l’entendons ici – transcrit l’ac‑tivité technique [V1] en tant que succession de phases et séquences (plus rarement d’opérations), avec mention de leurs éléments consti‑tutifs [fiche 04] et indication des tâches stratégiques [fiche 05] selon le point de vue de l’acteur et de l’ethnographe ;

■ le schéma opératoire 2 [A3], qui est issu de la comparaison de plu‑sieurs occurrences de l’activité technique au sein d’un même contexte. Cette seconde modélisation comprend une indication des variantes, ce qui permet d’identifier plus clairement les tâches stratégiques et les éléments récurrents. Ce second type de chaîne opératoire facilite les comparaisons entre contextes différents et peut être confronté au schéma vernaculaire [V3].

Domaine analytique

Extrait d’un carnet de terrain dans lequel sont enregistrées quelques données relatives aux étapes de plantation d’ignames dans le village de Nyamikum (Papouasie-Nouvelle-Guinée) le 20 novembre 2002. On y trouve une indication des lieux, de la date et de l’heure ainsi que le nom des acteurs (leurs groupes de descendance), celui des culti-vars plantés et de simples diagrammes permettant de décrire les objets et les positions des acteurs. Les séquences et opérations sont représentées sous forme de listes non hiérar-chisées et pourront être retra-vaillées ultérieurement.

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Échelles d’observation

Les faits techniques peuvent être appréhendés à différentes échelles, depuis le système technique jusqu’à l’action élémentaire sur la matière. Choisir la bonne échelle dépend prioritairement de ce que l’on cherche à savoir.

En allant du macro au micro, six unités d’observations sont envisageables :1. le système technique ;2. la filiere ;3. le processus technique ;4. la phase ;5. la séquence ;6. l’opération.

Le système technique englobe l’ensemble des techniques d’une société à un moment donné de son histoire. Si l’on parle de « système » à ce niveau, c’est en raison des interrelations qui existent nécessairement entre les techniques.

La filière articule différents processus techniques, sans que ceux-ci soient nécessairement coordonnés ou menés par les memes acteurs. Si cette articulation permet d’atteindre des finalités particulieres (l’obtention d’une piece de vêtement dans le cas de la filiere textile, par exemple), chaque processus technique impliqué dans la filiere peut avoir des finalités

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Fiche 3 – Techniques&Culture, juin 2019

FICHE PRATIQUE 03

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indépendantes de celle-ci (par exemple l’obtention de viande pour des producteurs qui approvisionnent une filiere textile en laine).

Le processus technique correspond à l’ensemble des phases de production d’un artefact, auquel on associe souvent et de façon erronée le terme « chaîne opératoire » [fiche 01]. Dans le cas d’un outil en fer, par exemple, le processus technique comprend les phases d’extraction, de concentration et de réduction du minerai, puis d’épuration du métal et enfin de forgeage.

Suivant Balfet, trois unités d’observation sont envisageables au niveau du processus technique :

■ la phase, qui regroupe un ensemble de séquences et corres‑pond « aux grandes étapes “logiques” » de la production ;

■ la séquence, qui correspond à un ensemble organisé d’opérations ;

■ l’opération, qui constitue la base de l’action technique et correspond à un geste isolé ou à une répétition de gestes identiques. L’opération est partiellement assimilable aux « moyens élémentaires d’action sur la matiere » de Leroi‑Gourhan, en particulier les préhensions et percus‑sions.

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Filière

L’exploitation contemporaine des ressources cotonnières est un bon exemple de filière. En Afrique de l’Ouest, la production de fibres pour l’exportation articule différents sec-teurs d’activité et processus techniques : culture et collecte du coton dans les zones rurales, puis acheminement routier vers les usines d’égrenage et les zones de fret (avec une implication saisonnière des transpor-teurs). Les fibres sont ensuite exportées vers les filatures – essentiellement en Asie – dans lesquelles peuvent aussi être transformées des fibres d’origine animale ou synthétique. Enfin, les bobines de fil sont expédiées vers les usines de confection (surtout en Asie) ou vers l’Afrique, où les utilisent tisserands, bro-deurs et couturiers. Cette filière contempo-raine du coton intègre encore des acteurs et des processus techniques qui appartenaient à la version préindustrielle de la filière. Ainsi, quelques vieilles femmes glanent au bord des routes le coton tombé des camions et le filent comme elles le faisaient autrefois, « pour s’occuper les mains ».

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Dans certains contextes, une attention particuliere doit être accordée à la façon dont les opérations s’articulent au sein de la séquence. Les préhistoriens distinguent à cet égard les techniques et les méthodes ; les premières correspondant à une action élémentaire sur la matière – ce que nous désignons plus haut comme opération –, les secondes à un agencement raisonné et prédéterminé de techniques. L’intéret est ici de dépasser le caractère souvent convergent et largement partagé de l’action élé‑mentaire sur la matiere pour en examiner les articulations singulieres et la mise en œuvre, beaucoup plus parlantes du point de vue social et historique.

Opération

Les opérations correspondent à des unités d’action minimales qui rapprochent fonctionnelle-ment l’acteur de son but. Présentes dans toute activité technique, elles sont généralement insérées dans une séquence, ce qui demande de tenir compte de leur place dans le déroulement du processus. Elles peuvent à leur tour être décomposées en éléments plus petits pour les besoins de l’analyse, mais ceux-ci ne forment pas un tout fonctionnel.

Les unités d’action minimales sont définies par des principes mécaniques de causalité. Dans le cas du portage de charge, l’opération « pas » est l’action fonctionnelle minimale. Son principe fonctionnel consiste en forces propulsives antéropostérieures qui engendrent un déplacement du corps vers l’avant. Ceci nécessite que le marcheur produise et gère de manière dynamique une distance entre le centre de gravité de l’ensemble corps + charge et le centre des pressions qui résultent des forces au sol. On peut alors enregistrer l’opération « pas » et calculer les forces en jeu à partir de différents types d’enregistrements tels que : [1] le mouvement des différents segments corporels, [2] le mouvement du centre des pressions et du centre de gravité de l’en-semble corps + charge, [3] l’accélération du centre de gravité de l’ensemble corps + charge.

Les mouvements et postures impliqués dans les opérations peuvent varier d’une personne ou d’une communauté à l’autre, mais tout en offrant de grandes possibilités de variations ces postures et mouvements du corps doivent satisfaire aux contraintes mécaniques des actions caractérisant l’opération.

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Fiche 3 – Techniques&Culture, juin 2019

Quelle échelle choisir ?

Le choix de l’échelle d’observation ou d’analyse dépend avant tout de la probléma‑tique posée, mais parfois aussi des données disponibles. S’il est évidemment crucial de conserver les mêmes niveaux analytiques dans les comparaisons, il faudra s’interroger sur la capacité de l’échelle choisie à fournir des données pertinentes dans le temps imparti, et ne pas hésiter à en changer.

■ Les comparaisons spatiales ou diachroniques se focalisent habituellement sur le processus technique, l’enquete/l’analyse visant à documenter chaque phase de production d’un artefact, depuis le projet initial jusqu’à la mise en circulation.

■ Pour aborder les conceptions vernaculaires ou les principes physiques impliqués dans le traitement des matériaux, l’opération constitue un niveau crucial. Tou‑tefois, la séquence peut aussi renseigner sur le rôle particulier d’une opération, surtout lorsque celle-ci s’inscrit dans un contexte rituel (penser à l’abattage rituel hallal ou kasher).

■ En ce qui concerne le rôle des objets techniques, la séquence permet d’identifier les cas où la fabrication de l’outil/instrument est intégrée au cours de l’action (par ex., certains « bâtons-à-fouir »), la polyvalence de ses usages ou, au contraire, son caractère spécialisé.

■ En principe, les savoir-faire peuvent se révéler à tous les niveaux d’un processus technique : dans l’opération (skills, vélocité, dextérité), dans l’organisation de la séquence, ou dans la façon de moduler la présence ou la succession de certaines phases suivant le contexte. L’opération reste néanmoins le niveau privilégié pour appréhender le geste technique efficace et les idiosyncrasies.

■ L’ancrage spatial des processus techniques se donne surtout à voir au niveau des phases, celles-ci pouvant être menées sur des sites distincts ou à différents postes de travail dans un atelier.

■ Les relations économiques, sociales – comme les rapports de genre – et les com-plémentarités écologiques sont souvent bien visibles au niveau des filières et des systemes techniques.

■ Les logiques et conceptions vernaculaires transparaissent parfois dans les discours ou dans les choix et agencements effectués au niveau des opérations, séquences et phases. C’est néanmoins dans les interrelations qui se nouent entre techniques au niveau du système technique qu’elles se révèlent et se comprennent le mieux.

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Protocole de collecte

En contexte ethnographique, chaque phase ou séquence du processus technique doit être documentée au moyen d’une grille à plusieurs entrées. Celle-ci permet une collecte systé-matique des éléments constitutifs des actions techniques en vue d’analyses et de comparai-sons ultérieures.

Parmi les éléments généralement visibles de l’action technique, il s’agira d’identifier et de documenter :

■ le lieu où elle se déroule ; ■ les personnes impliquées directement ou indirecte‑

ment ; ■ les matériaux et leurs différents états de transforma‑

tion ; ■ les outils ; ■ les gestes (maniements des outils et actions directes

sur les matériaux) ; ■ les postures corporelles.

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Fiche 4 – Techniques&Culture, juin 2019

Lieu et personnes impliquées

Documenter le lieu d’une action technique implique non seulement d’en préciser la localisa-tion exacte et la topographie, mais aussi d’en iden-tifier le/les propriétaire(s), les autres usages, les raisons de son choix, les possibilités de relocalisa-tions, le positionnement par rapport à d’autres lieux d’activité (liés ou non à l’action technique étudiée), etc. Les personnes présentes seront aussi systématiquement identifiées. On cherchera à connaître leurs relations, la raison de leur présence et leur niveau de connaissance et de compétence.

Dans cette concession du Niger, la potière princi-pale a installé son atelier en fonction de l’espace disponible dans la cour de son habitation et de l’ombre apportée par un mur mitoyen. Ce lieu est réservé à l’activité de la poterie durant la saison sèche et utilisé à d’autres fins durant le reste de l’année. La séquence observée réunit une mère, sa fille et une amie de cette dernière, qui envisage d’apprendre le métier. Récemment mariée, la fille réside dans un autre quartier du village. Elle revient néanmoins travailler chez sa mère, car elle estime ne pas encore avoir une maîtrise suffisante de la méthode de façonnage.

FICHE PRATIQUE 04

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Des éléments moins explicites, voire implicites, devront également etre documentés :

■ savoirs et savoir-faire sur lesquels s’appuie chaque action technique (origine, degré de spécialisation, mobilisation systématique ou non) ;

■ relations avec d’autres domaines (du point de vue des acteurs, des matériaux, des recettes, des outils, des gestes, des postures corpo‑relles, etc.) ;

■ conceptions développées par les acteurs (sur les matériaux, les pro‑cessus de transformation, les outils, etc.) ;

■ termes vernaculaires (éléments énumérés ci‑dessus, y compris les gestes et états des matériaux).

Qu’il soit explicite ou implicite, chaque élément comporte plusieurs dimen‑sions, comme l’illustrent les « focus » figurant sur cette fiche. Ces dimensions ne peuvent etre documentées qu’en interrogeant les acteurs dans le cours de l’action ou hors contexte.

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Savoirs et savoir-faire

L’observation minutieuse des séquences et opérations offre un premier accès aux savoirs et savoir-faire des personnes impliquées et permet d’en identifier le niveau d’expertise. Cette observation doit néanmoins être complétée par des entretiens visant d’une part, à en déterminer l’origine (généalogie de la pratique) et d’autre part, à identifier d’éventuels savoirs et savoir-faire alternatifs (répertoire dormant).

La généalogie de la pratique – ou du moins sa réalité émique – est approchée en tenant compte à la fois des modalités du premier apprentissage (où ? quand ? auprès de qui ? comment ? combien de temps ?) et d’éléments biographiques rela-tifs à la trajectoire postérieure (lieux de vie, déplacements, confrontation avec d’autres façons de faire, transformations/ajustements éventuels du répertoire et justifications). Cette double prise en compte permet d’ancrer les dynamiques de constitution et de transformation des connaissances dans un cadre social et géo-graphique dont les caractéristiques nourrissent aussi bien l’analyse que les com-paraisons.

Il n’est pas très courant que les personnes interrogées mentionnent spontanément l’existence de répertoires dormants ; ceux-ci se révèlent en général de façon acci-dentelle ou suite à des questionnements précis. On cherchera alors à savoir dans quel contexte ces savoirs et savoir-faire alternatifs ont été acquis, s’ils sont effecti-vement maîtrisés, dans quelles circonstances ils sont susceptibles d’être mis en œuvre et pourquoi ils ne le sont pas dans l’action observée.

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Outils, instruments, machines

Les objets qui interviennent dans un processus technique opèrent toujours une médiation entre intentions, gestes et matières. Leur documentation requiert donc que l’on tienne systématiquement compte de ces aspects. Quelles transformations sont souhaitées par les acteurs ? Quelles actions sont jugées appropriées et efficaces pour y parvenir ? Quels résultats concrets sont atteints grâce au maniement de l’objet ?

L’objet lui-même sera abordé du point de vue de :

■ sa structure (matériau, forme, dimensions, principe) ;

■ son fonctionnement (façon dont il est utilisé et effets résultants sur la matière) ;

■ sa ou ses fonction(s) (étendue des possibilités d’utilisa-tion) ;

■ son origine (fabricant, lieu de fabrication, utilisateurs pré-cédents) ;

■ son statut (utilisation spécialisée ou non spécialisée, per-sonnelle ou partagée).

Par ailleurs, un objet technique permet de prolonger, trans-former, isoler et/ou protéger les gestes et les sens selon dif-férentes modalités. Ceci permet de distinguer :

■ les « outils », qui affectent la vélocité, puissance ou direc-tion du geste initial (couteau, tour, pinces de forgeron) ;

■ les « instruments », qui affectent les sens (sonde, stéthos-cope, thermomètre, lunettes de protection) ;

■ les « machines », qui présentent diverses formes d’auto-nomisation du fonctionnement.

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L’identification de liens explicites ou implicites avec d’autres domaines – en particulier ceux qui participent du système technique – facilite l’iden-tification de logiques historiques, économiques ou symboliques. Ces relations concernent notam-ment le statut et les autres activités menées par les personnes impliquées dans l’action technique, les utilisations primaires et secondaires du lieu où elle se déroule, les autres usages des matières pre-mières et des outils (avec attention particulière aux fonctionnements et aux postures), ainsi que les domaines d’application des savoirs et savoir-faire.

Dans le domaine de la poterie, des relations sont souvent observées entre la préparation de l’ar-gile et la préparation des aliments. Ici, par exemple, argile et dégraissant sont malaxés dans un vieux récipient en terre cuite, avec un bâton que la potière fait pivoter à l’aide d’une ou des deux mains. Localement, la préparation de la pâte de mil – nourriture de base, confectionnée par les femmes, comme la poterie – implique les mêmes outils, les mêmes gestes et la même pos-ture corporelle.

Relation avec d’autres domaines

Fiche 4 – Techniques&Culture, juin 2019

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Matières

Tous les matériaux utilisés dans la chaîne opératoire doivent être documentés du point de vue de leurs caractéristiques physiques (type, composition, condition), de leur origine (naturelle ou humaine, état brut, sous-produit d’une autre activité ou recy-clage), du lieu et des conditions de leur acquisition [voir « Lieu »], des modes de sélec-tion (critères et justifications ; tolérance aux variations) et de l’existence de choix alternatifs (identification émique et étique d’autres matériaux potentiellement utili-sables). Les critères de sélection combinent en général des représentations de divers ordres et un engagement physique mobilisant tous les sens.

Au Caire, certains ramasseurs (Zabbalîn) sont spécialisés dans la récupération des matières issues des déchets ménagers, qu’ils remettent dans les circuits de produc-tion, sous forme de matières dite « secondaires ». Leurs connaissances et leur expertise se concrétisent et se donnent à voir dans le cours de l’action, notamment pour iden-tifier différentes matières plastiques. Ces « chimistes autodidactes » ont établi un protocole expérimental, où s’éprouvent, à partir de fragments hétérogènes, les pro-priétés optiques, mécaniques et chimiques des polymères synthétiques : la densité par flottaison (ou non) dans l’eau, la ductilité par étirement ou sonorité du sac froissé entre les mains, la composition chimique par spectrométrie de la flamme en brûlant un échantillon (couleur de flamme, couleur et parfum de la fumée). Les Zabbalîn déploient un indispensable laboratoire de matériaux à ciel ouvert permettant de déterminer ceux auxquels ils ont affaire et donc les températures de fusion requises pour les extruder ou les possibilités de déformation et de bris par pression.

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La chaîne opératoire comme représentation

Nous réservons le terme de chaîne opératoire à la repré-sentation graphique d’un processus technique [fiche 01], fondée sur les données collectées grâce au protocole de collecte [fiche 04]. Cette représentation varie suivant ce que l’on souhaite montrer et comparer.

Une chaîne opératoire peut prendre la forme d’une liste hiérarchi‑sée, d’un tableau ou d’un diagramme à fleches. Quelle que soit la forme de représentation choisie, on veillera à y faire figurer clai‑rement l’enchaînement des actions techniques, qu’il s’agisse de phases, de séquences ou d’opérations [fiche 03]. L’échelle choisie et la nature des données que l’on souhaite faire apparaître justifient le choix de certains modes de représentation, mais ne le contraignent jamais : il n’y a pas de formule « clé en main », mais un ajustement continu aux données disponibles et aux finalités de l’analyse. Aux deux extrêmes du spectre, on trouvera des schémas se restreignant aux phases essentielles du processus technique (souvent focalisés sur les changements d’état de la matière) et des schémas détaillant minutieusement le cours d’une action technique singulière, telle qu’elle se donne à voir sur le terrain. Dans les deux cas, on peut y ajouter des informations telles que les tâches stratégiques (que l’on ne peut ni supprimer ni postposer), les variantes ou les modes d’enchaînement.

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Fiche 5 – Techniques&Culture, juin 2019

Confection du pain

En anthropologie comme en archéolo-gie, l’enchaînement des activités dans une filière (ici, du blé au pain) ou des gestes dans une activité (ici, la confec-tion du pain) sont à distinguer avec le plus de netteté possible.

La confection du pain comprend au moins quatre phases : [1] la mouture, qui transforme les grains de céréale panifiable en farine ; [2] le pétrissage de la farine additionnée d’eau, de levain et d’éventuels autres ingrédients ; [3] la formation des pâtons ; [4] la cuisson. Ces phases connaissent d’éventuelles variations liées au contexte local et à l’évolution technique et peuvent être entrecoupées de phases facultatives.

En utilisant des couleurs et symboles différents pour représenter les phases essentielles, leurs variantes et les types d’enchaînement, ce diagramme simple permet de faire f igurer plusieurs niveaux d’information. Un symbole spécifique indique par ailleurs un éven-tuel changement de lieu.

Phase

Phase cruciale

Changement de lieu potentiel

Variante facultative

Variante alternative

05FICHE PRATIQUE

Page 16: Techniques culture...C. Renfrew & P. Bahn dir. Archaeology. The Key Concepts. London & New York : Routledge 25‑31. Sigaut, F. 1991 «Un couteau ne sert pas à couper, mais en coupant

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Allumage de l’ordinateur

Cette chaîne opératoire est une représentation graphique de l’allumage d’un ordinateur d’un auteur basé en Grande-Bretagne se préparant à une journée d’écriture, enregistrée le 23 août 2017 lors du séjour de celui-ci en France. On y repère les grandes phases, mais la représentation inclut aussi les émotions qui émergent lors de la découverte de l’oubli d’un adaptateur de prise et quelques-unes des opérations automatiques effectuées par l’ordinateur et ses logiciels en parallèle de celles de l’acteur. Ici, on a utilisé un jeu de couleurs et de formes variées pour indiquer les différents types de tâches stratégiques et les différents éléments constitutifs (gestes, objets, énergies).

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