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1 Frédéric Mathieu La religion de Socrate Montpellier, 2017

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1

Frédéric Mathieu

La religion de Socrate

Montpellier, 2017

2

3

Sommaire

Introduction ......................................................................... 5

I. Le philosophe prêtre : le Socrate privé ............................ 7

Le missionnaire Socrate .................................................. 7 Le signal démonique ....................................................... 9 Socrate sorcier, chaman, guérisseur ............................. 11 Le Socrate d’Aristophane .............................................. 14 Socrate et les mystères d’Éros ....................................... 16 Socrate prophète ........................................................... 22

II. L’expérience socratique du religieux ............................ 25

Le contresens de l’ironie ............................................... 25 Bipolarité inscience / dispensation divine ................... 26 Le modèle de l’initiation ............................................... 31 Rendre raison de traditions .......................................... 37 Le message eudémoniste ............................................... 40

Conclusion .......................................................................... 45

4

5

La religion de Socrate1

Cependant je ne me rebutai point ; je sentais bien quelles haines j’assemblais sur moi ; j’en étais

affligé, effrayé même : malgré cela, je crus que je devais préférer à toutes choses la voix du dieu.

Apologie de Socrate, 21e 2

Introduction

De 470 à la prononciation de son exécution en 399 av. J.-C.

par l’assemblée d’Athènes, vécut un personnage haut en

couleur dont l’influence allait profondément marquer la

pensée occidentale pour les siècles à venir. Le « père de la

philosophie », selon les mots de Cicéron 3, fut l’épicentre

1 Cet article, écrit en vue d’une adaptation en film documentaire,

est né d’une discussion avec Jean-Luc Périllié, professeur de

philosophie ancienne à l’université Montpellier III et spécialiste de

la question socratique. 2 Nous retenons uniquement pour cet exergue la leçon de Victor

Cousin, sacrifiant la rigueur à l’élégance. 3 Sur la nature des dieux I, 34, 93. Ce n’est pas là dire qu’il fut le

premier penseur, mais qu’il est le premier enregistré par la

tradition à se détourner de l’étude de la nature pour s’intéresser

aux affaires humaines. Cf. E. Boutroux, « Socrate fondateur de la

science morale » (1883), dans Études d’histoire de la philosophie,

6

d’un séisme culturel d’une ampleur comparable à celle

qu’aurait le christianisme dans l’empire romain. Avoir été le

maître de Platon y contribue incontestablement ; mais à

Socrate rendons ce qui lui revient : nul avant lui n’avait fait

de sa quête de vérité une mission de salut public, ni ne

l’avait conduite de manière aussi obstinée, sinon troublante.

Notre époque scientifique, fille des Lumières, fait de Socrate

un penseur qui aurait substitué aux préoccupations

physiques de ses prédécesseurs des inquiétudes morales, un

artisan du basculement du mythe (muthos) au discours

rationnel (logos). Qu’en est-il véritablement ? Le séisme

socratique ne serait-il que le résultat d’un processus de

laïcisation ? Et si la pensée socratique n’était pas si

areligieuse qu’on s’est plu à le dire ? De quel message a-t-il

été le véhicule ? Quel a été, en somme, le fin mot de sa

condamnation ? De quelle forme de révolution a-t-il été

l’instigateur ?

Platon composa vingt dialogues mettant en scène son maître

sous des reliefs souvent poignants, parfois grotesques, mais

toujours déroutants, dont la période de rédaction s’étend sur

plus de 50 ans. Il s’agira pour nous de retrouver dans

l’économie des œuvres du fondateur de l’Académie le

portrait d’un Socrate baroque et fascinant, sous la patine des

Paris, 1897, p. 12-93. Ce désintérêt pour l’étude de la nature qui

valut aux présocratiques le label de « physiciens » procède aussi de

la conviction que l’on ne peut pas déduire de la physique mécaniste

une norme de comportement éthique. Savoir sur quoi fonder cette

norme sera tout l’enjeu de la philosophie morale.

7

commentaires qui en ont voulu faire l’esquisse de son

disciple, une ébauche de Platon.

I. Le philosophe prêtre : le Socrate privé

Socrate est une figure vivante du paradoxe. Voilà donc un

penseur à l’apparence ingrate, sévissant revêtu de son

éternel manteau, pieds nus, humbles parmi les humbles, en

biens comme en esprit, mais pourtant fascinant à plus d’un

titre, et dont le dieu semble avoir fait un interlocuteur

privilégié. On expliquera difficilement que le défenseur de

la rationalité ait perdu la raison. Ce n’en est pas moins un

missionnaire, une figure inspirée que trahissent les

descriptions de Platon.

Le missionnaire Socrate

L’événement fondateur de la vocation de Socrate, Platon le

livre dans son Apologie, une reconstitution qu’on a toute

légitimité à tenir pour fidèle des minutes du procès :

Vous savez bien aussi quelle sorte d’individu était

Chéréphon, quelle impétuosité il mettait dans tout

ce qu’il entreprenait. En particulier, un jour qu’il

s’était rendu à Delphes, il osa consulter l’Oracle

pour lui demander – et n’allez pas, je le répète,

m’interrompre par vos cris, citoyens – si, en fait, il

pouvait exister quelqu’un de plus savant que moi.

Or la Pythie répondit qu’il n’y avait personne de

plus savant. Et sur ce point, c’est son frère qui

8

portera témoignage devant vous, puisque

Chéréphon est mort.4

Socrate, abasourdi, se donnera alors pour tâche de révéler le

sens caché de la parole du dieu5. S’il n’est en effet pas permis

au dieu de mentir 6 , la signification de l’oracle reste à

élucider. Artisans, politiciens, devins, sophistes sont mis à la

question. Lui ne sait rien, mais que savent-ils ? Le résultat de

l’enquête est édifiant. Ils croient savoir, et tous autant qu’ils

sont, se leurrent. Socrate lui seul ne prétend pas savoir ce

qu’il ne sait pas : il sait qu’il ne sait rien. Et c’est

précisément, nous le verrons, cette sagesse d’ordre supérieur

qui le rend disponible aux incursions de la divinité, au rôle

de moyen terme entre la science divine et l’opinion. De là sa

réinterprétation en termes de mission sacrée de la réponse

du dieu : Socrate affirme lui prêter main forte7, se dit son

serviteur8 ; il est son don à la cité d’Athènes 9 , appelé à

traduire l’ignorance de ses contemporains, qui les empêche

4 Apologie de Socrate, 21a. Nous reprenons les traductions de

référence issues des Œuvres complètes de Platon, publiées sous la

direction de Luc Brisson aux éditions Flammarion en 2011. 5 La procédure de la réfutation (elenchos) trouve son premier objet

en ces paroles oraculaires, auquel devra décidément se rendre un

Socrate incrédule. « J'allais trouver un de ceux qui passent pour

être des savants, en pensant que là, plus que partout, je pourrais

réfuter la réponse oraculaire et faire valoir ceci à l’Oracle […] »

(Apologie de Socrate, 21c). 6 Ibid., 21b. 7 Ibid., 23b, 30a. 8 Ibid., 28e, 30a, 33c. 9 Ibid., 30e, 31a.

9

de devenir meilleurs. Tout porte à croire que philosopher se

confond pour Socrate avec un acte de piété.

Le signal démonique

Pour le moins intrigante est l’aide pour cette mission que

Socrate reçoit de son signal démonique (daimonion sêmeion) 10 . Chose étonnante pour un penseur mis au

fondement de la pensée rationnelle, Socrate se heurtait de

son propre aveu, chaque fois qu’il s’apprêtait à perpétrer une

injustice, à une forme de veto providentiel. C’est à propos de

son désengagement de l’institution politique que Socrate

pour la première fois mentionne cet octroi bien particulier :

Cela tient à ce que, comme vous me l’avez maintes

fois et en maints endroits entendu dire, se

manifeste à moi quelque chose de divin, de

démonique, dont précisément fait état Mélétos dans

l’action qu’il a intentée, en se comportant comme

un auteur de comédie. Les débuts remontent à mon

enfance. C’est une voix qui, lorsqu’elle se fait

entendre, me détourne toujours de ce que je vais

faire, mais qui jamais ne me pousse à l’action. Voilà

ce qui s’oppose à ce que je me mêle des affaires de la

cité, et c’est là – pour ma part je le crois – une

opposition particulièrement heureuse. Car

sachez-le, Athéniens, si j’avais entrepris de me

mêler des affaires de la cité, il y a longtemps que je

10 République VI, 496c-e.

10

serai mort et que je ne serais plus d’aucune utilité ni

pour vous ni pour moi-même.11

Signe divin qui non seulement détourne Socrate de prendre

activement part aux affaires politiques, mais qui – précise

l’intéressé – l’empêche d’agir à mal. Et le préserve ainsi du

mal… quoi qu’il ne l’a pas empêché de provoquer ses juges

au cours de son procès. Comment comprendre cette

occasion manquée ? Socrate nous donne lui-même la clé de

cette énigme :

C’est que ce qui m’arrive a des chances d’être un

bien pour moi, et que tous, tant que nous sommes,

nous nous trompons quand nous nous imaginons

que mourir est un mal. Ceci en est pour moi une

preuve décisive : il n’eût pas été possible, en effet,

que le signe qui m’est familier ne se fût point

opposé à moi, si ce que j’allais faire n’eût pas été

une bonne chose.12

Socrate n’était peut-être pas d’ailleurs le seul à « entendre

des voix » ; et de citer Théagès comme autre candidat

probable à cette visitation divine13, puis, de manière plus

allusive, ses précurseurs :

11 Apologie de Socrate, 31c-d. 12 Ibid., 40a-b. 13 « Peut-être le frein qui retient encore notre compagnon Théagès

est-il susceptible d’en retenir quelques autres ; car tous les autres

facteurs ont été mis en œuvre pour tenir Théagès à l’écart de la

philosophie, alors même que la préoccupation de ses malaises

physiques le retient, le gardant éloigné des affaires politiques »

(République VI, 496b-c). On note que le nom Théagès signifie

11

Mon cas personnel – le signe démonique – ne

mérite pas qu’on en parle ; parmi ceux qui m’ont

précédé, il ne s’est produit que rarement, et

peut-être même chez personne. Or, ceux qui font

partie de ce petit nombre, ceux qui ont goûté la

douceur et la félicité d’un tel trésor, ils ont

pleinement pris conscience de la folie de la

multitude […] 14

Socrate sorcier, chaman, guérisseur

Il n’y a pas loin du daïmon aux esprits invoqués par la

tradition chamane occidentale ; ni du Socrate médecin de

l’ignorance au sorcier guérisseur. Et ce n’est pas sans raison

que cette filiation a fait l’objet de travaux orientalisants15.

Socrate aurait été, selon des spécialistes, l’un des

introducteurs en Grèce de schèmes de pensée hyperboréens.

Témoignent dans ce sens la personnalité schizophrénique et

bipolaire du philosophe, ses aptitudes d’ensorceleur, sa

faculté de communication avec les êtres invisibles, ses

fulgurances, ses moments d’enthousiasme fiévreux… et

contagieux, si l’on en juge aux réactions en chaîne que sa

parole charismatique suscite chez nombre de ses

littéralement « dieu (theos) guide (agein) ». Socrate mentionne déjà

ce personnage au nombre des témoins venus plaider sa cause

devant le tribunal d’Athènes (Apologie de Socrate, 33e). 14 République VI, 496c-e. 15 Sur l’influence possible du chamanisme d’Europe du Nord sur les

cultes à mystères et sur la pensée grecque en général, cf. E. R.

Dodds, Les Grecs et l’irrationnel, chap. V : « Les chamans grecs »,

Berkeley, Champs-Flammarion, 1997, p. 141 sq.

12

interlocuteurs. Tout aussi surprenant est le récit que fait

Socrate dans le Charmide de son initiation auprès de

guérisseurs-chamanes du nord de la Grèce. Socrate n’aura de

cesse ensuite de cette rencontre que de mettre en valeur les

mérites des incantations au détriment de la médecine

rationnelle, hippocratique, qui se développe en Grèce.

Le caractère « déroutant » (atopos) de Socrate 16 revient

comme un leitmotiv dans le fil des dialogues17. Il n’est que

de relire la confession de Ménon dans le dialogue éponyme :

Socrate, j’avais entendu dire, avant même de te

rencontrer, que tu ne fais rien d’autre que

t’embarrasser toi-même et mettre les autres dans

l’embarras. Et voilà que maintenant, du moins c’est

l’impression que tu me donnes, tu m’ensorcelles, tu

me drogues, je suis, c’est bien simple, la proie de

désenchantement, et me voilà plein d’embarras !

D’ailleurs, tu me fais totalement l’effet, pour railler

aussi un peu, de ressembler au plus haut point, tant

par ton aspect extérieur que par le reste, à une raie

torpille, ce poisson de mer tout aplati. Tu sais bien

que chaque fois qu’on s’approche d’une telle raie et

qu’on la touche, on se trouve plongé, à cause d’elle,

dans un état de torpeur ! Or, j’ai à présent

l’impression que tu m’as bel et bien mis dans un tel

état. Car c’est vrai, je suis tout engourdi, dans mon

16 N. Grimaldi, Socrate le sorcier, Paris, PUF, Perspectives

critiques, 2004. 17 Voir, en autres Alcibiade, 106a ; Banquet, 215a, 221c-d ; Phèdre,

229c, 230c ; Thééthète, 149a.

13

âme comme dans ma bouche, et je ne sais que

répondre. Des milliers de fois pourtant, j’ai fait bon

nombre de discours au sujet de la vertu, même

devant beaucoup de gens, et je m’en suis

parfaitement bien tiré, du moins c’est l’impression

que j’avais. Or voilà que maintenant je suis

absolument incapable de dire ce qu’est la vertu.

Aussi je crois que tu as pris une bonne décision en

ne voulant ni naviguer ni voyager hors d’ici. Car si

tu te comportais comme cela, en tant qu’étranger,

dans une autre cité, tu serais vite traduit en justice

comme sorcier !18

Le terme d’« incantation » utilisé pour caractériser les saillies

de Socrate doit être interprété comme une désignation de la

réfutation, comme il ressort explicitement de l’entretien du

Charmide19. Parallélisme étrange si l’on veut faire de celle-ci

une marque du discours rationnel et de celle-là un chant

sacré. C’est que leurs effets sont similaires : elles

hypnotisent, font défaillir l’ensorcelé, le plongent dans

l’embarras le plus épais, le mettent à la merci du récitant20

comme le reptile devient le danseur captif du charmeur de

serpent 21 . Socrate pourrait, selon Ménon, être accusé de

sorcellerie. Prophétique mise en garde qui dit assez l’état

18 Ménon, 79e-80d. 19 Charmide, 157a. 20 Embarras (aporia) maintes fois souligné par Platon. Cf.

Alcibiade, 116e ; Ion, 532b-c ; Euthyphron, 12a, Lachès, 194a-b,

200e ; Charmide, 169c ; Gorgias, 522b ; Lysis, 213c-d ; Ménon, 80c ;

République I, 334b ; Philèbe, 20a ; Théétète, 149a. 21 République II, 358b.

14

d’esprit des Athéniens d’alors à l’égard d’un paria, étranger

dans sa propre cité.

Le Socrate d’Aristophane

Les comédies d’époque prenant Socrate pour cible ne sont

pas moins révélatrices de la réputation de marginal qu’il

s’était taillé. Pas moins de cinq auteurs ont œuvré à le

ridiculiser. Aristophane, dans les Nuées, dresse le portrait à

charge d’un authentique illuminé 22 . C’est l’archétype du

savant fou qui perce derrière un homme que le spectateur

découvre suspendu dans une nacelle, les yeux rivés au ciel.

Ce physicien – selon la dénomination que donnait Aristote

aux théoriciens de la nature – arbore des allures de sophiste,

et son école sobrement dénommée le Pensoir

(phrontisteriôn), accueille des étudiants afin de leur

enseigner l’art de faire triompher l’argument le plus faible.

L’admission de nouveaux disciples présente en outre un

caractère initiatique, et le secret fait loi. Nous ne sommes

pas loin des pratiques ayant cours alors dans le cadre des

cultes à mystères23.

22 Les Nuées ; Les Oiseaux ; Les Grenouilles. 23 Platon aurait lui-même soutenu une philosophie ésotérique dont

il n’a rien laissé paraître par écrit, sinon des allusions éparses (cf.

notamment République, 504c et Timée, 48c). Certains parmi ses

proches ont été plus loquaces : ainsi de Théophraste, d’Hermodore,

de Speusippe et de Xénocrate. Et, bien évidemment, du Stagirite

qui emploie l’expression de « doctrine non-écrite » (ágrapha dógmata), attirant l’attention sur le caractère ininscriptible de ce

savoir à l’intention des initiés. Quelques détails plus substantiels

concernant cet enseignement sont avancés en Physique, IV, 2,

15

En marge du culte officiel de la cité – celui des dieux de

l’Olympe et de la divinité poliade – existait en effet des

cultes parallèles, secrets, teintés d’une forte dimension

initiatique. Les Grecs s’y engageaient à titre personnel,

espérant y trouver une voie de salut et une réponse aux

grandes questions existentielles. Les mystères grecs

promettaient l’éternelle félicité à qui se soumettait à ces

initiations. Platon évoque les plus typiques, les cultes

orphiques, par la voix d’Adimante dans le deuxième livre de

la République. Or, tout se passe comme si les Nuées étayaient l’hypothèse de mystères socratiques sur le modèle

des mystères d’Éleusis.

Autre fait remarquable : la pièce d’Aristophane énumère

point par point les chefs d’accusation adressés à Socrate au

cours de son procès : il méconnaît les dieux de la cité, leur

substitue de nouvelles divinités ici représentées par la triade

des Nuées, du Vide et de la Langue, et corrompt la jeunesse

en la personne de Philippide. Comme en avertissement,

l’école du philosophe est incendiée. Voilà qui porte à

rehausser la valeur de témoignage d’une caricature brossée

du vivant de l’intéressé. Nous avons vraisemblablement

affaire à un Socrate qui tient de l’inquiétant, et que l’auteur

comique a fait le choix de traiter par le ridicule. Nous

sommes décidément bien loin du Socrate lisse et sans

aspérités, parangon de rationalité, dont nous avons retenu

l’image.

209b15. Voir également Aristoxène dans ses Éléments d’harmonie,

II, 10.

16

Socrate et les mystères d’Éros

Et les révélations de l’Alcibiade du Banquet ne feront

qu’aggraver notre état de confusion. La laideur de Socrate

n’empêchait pas qu’il fût un redoutable séducteur. Ivre et

frustré de n’avoir pas su faire plier Socrate à ses désirs

charnels, le jeune homme se livre à des révélations teintées

de mystérisme sur le Socrate privé24 :

C’est en effet qu’il est une chose que j’ai omis de

dire en commençant, à savoir que ses discours aussi

sont tout à fait pareils aux silènes que l’on ouvre.

Car, si l’on se donne la peine d’écouter les discours

de Socrate, ses discours donnent au premier abord

l’impression d’être parfaitement ridicules ; ses mots

et ses phrases qui forment une enveloppe

extérieure, on dirait la peau d’un satyre insolent. En

effet, il parle d’âne bâté, de forgerons, de

cordonniers, de tanneurs, et il a toujours l’air de

dire la même chose en utilisant les mêmes termes,

si bien que n’importe qui, ignorant ou imbécile,

peut tourner ses discours en dérision. Mais une fois

ces discours ouverts, si on les observe et si on

pénètre en leur intérieur, on découvrira d’abord

24 Notre exposé doit beaucoup à la thèse d’habilitation de Jean-Luc

Périllié, publiée sous le titre Mystères socratiques et traditions orales de l'eudémonisme dans les Dialogues de Platon, Academia

Verlag, Sankt Augustin, 2015. L’avoir connu comme professeur et

guide dans les méandres des dialogues platoniciens est une chance

peu commune pour un jeune postulant à philosophie. Nous l’en

remercions chaleureusement.

17

qu’ils sont dans le fond les seuls à avoir du sens, et

ensuite qu’ils sont on ne peut plus divins, qu’ils

recèlent une multitude de figurines de l’excellence,

que leur portée est on ne peut plus large, ou plutôt

qu’ils mènent à tout ce qu’il convient d’avoir

devant les yeux si l’on souhaite devenir un homme

accompli.25

Socrate n’est pas Silène que par son apparence ou son

comportement ; il ne l’est pas que de faciès comme l’entend

Xénophon dans son propre Banquet ; ni par lubricité, lui,

l’amant « platonique » par excellence qui dénia ses faveurs à

l’ardent Alcibiade : il l’est par la parole ; il l’est de l’intérieur.

Socrate apporte à la philosophie quelque chose de nouveau,

de proprement « inouï », de jamais vu auparavant : « Mais

une telle originalité, un tel homme, de tels discours, on

aurait beau chercher, on, ne trouverait rien qui y

ressemblât, ni chez les anciens, ni chez les modernes », se

résigne Alcibiade. Et sitôt d’ajouter : « parmi les hommes du

moins »26… Des hommes, Socrate n’a ainsi ni l’allure ni la

parole. Si bien que la question ne paraîtrait pas si déplacée :

Socrate, pour ses contemporains, n’était-il rien qu’un

homme ? Combien de fois ne s’entend-il pas appeler «

homme démonique » ou « homme divin » (theios aner),

assimilé au hiérophante de Dionysos, voire au daïmon –

divinité intermédiaire 27 – Éros ? 28 Que signifient, à cet

25 Banquet, 221e-222a. 26 Ibid., 221d. 27 La nature des daïmon est révélée dans la théogonie de

l’Épinomis, apostille supposé aux Lois : « Après eux [les

18

égard, les réactions de « conversion spectaculaire » que les

« germes » de ses discours suscitent auprès de leurs auditeurs

– même différés ?

dieux-astres], et immédiatement au-dessous d’eux, viennent les

daïmon […] (Épinomis, 984d). Notons que le Timée assimile la

partie intellectuelle de l’âme à un daïmon : « En ce qui concerne

l’espèce d’âme qui en nous domine, il faut se faire l’idée que voici.

En fait, Dieu a donné à chacun de nous, comme démon, cette

espèce d’âme dont nous disons, ce qui est parfaitement exact,

qu’elle habite dans la partie supérieure de notre corps, et qu’elle

nous élève au-dessus de la terre vers ce qui, dans le ciel, il est

apparenté car nous sommes une plante non pas terrestre, mais

céleste. C'est à cette région, en effet, à partir de laquelle poussa la

première naissance de l’âme, que l’espèce divine accroche notre

tête, c'est-à-dire nous enracine, et maintient ainsi tout notre corps

droit » (Timée, 90a). 28 Banquet, 215e. Ce daïmon-ci a peu à voir avec celui du

proverbial signal rencontré plus avant. Éros n'est pas un dieu, nous

instruit la prêtresse orphique Diotime dans le discours rapporté que

fait Socrate de son initiation aux mystères de l’amour (éros), il est

un « grand démon » (ibid., 202d), un être intermédiaire entre

l'humain et le divin. Éros, déclare Diotime, « n’a pas de gîte,

couchant toujours par terre et à la dure, dormant à la belle étoile

sur le pas des portes et sur le bord des chemins, car puisqu’il tient

de sa mère, c’est l’indigence qu’il a en partage. À l’exemple de son

père en revanche, il est à l’affût de ce qui est beau et de ce qui est

bon, il est viril, résolu, ardent, c’est un chasseur redoutable ; il ne

cesse de tramer des ruses, il est passionné de savoir et fertile en

expédients, il passe tout son temps à philosopher, c’est un sorcier

redoutable, un magicien et un expert » (ibid., 203d). Mais n’est-ce

pas là, en fin des fins, tout le portrait de Socrate ?

19

Qu'on songe au récit de la conversion « érotoïde » qui fut

celle d’Aristippe à la philosophie de Socrate par le

truchement de l’un de ses disciples :

Lorsqu’Aristippe aux jeux Olympiques rencontre

Isomaque, il le questionne sur les discours par

lesquels Socrate se rend la jeunesse si affectionnée ;

et quand il a recueilli quelques petits germes,

quelques échantillons de cette doctrine, il s’y

attache avec tant de passion que son corps

succombe. Il devient tout pâle et tout maigre. Il n’a

pas de repos qu’il n’ait fait voile pour Athènes. Il y

apaise la soif qui le consume, il puise à la source

même. Il approfondit le sage, ses discours, et sa

philosophie qui enseigne aux hommes à connaître

leurs défauts et à s’en débarrasser.29

29 Plutarque, De la Curiosité, dans Œuvres morales, 516c. On lira

également la conversion d’Antisthène rapportée par Diogène

Laerce. Le fondateur de l'école cynique, si l'on en croit le

compilateur, n'aurait pas hésité à parcourir chaque jour une

distance formidable pour rejoindre son maître : « Hermippe

rapporte qu’il avait eu dessein de faire dans la solennité des jeux

isthmiques l’éloge et la censure des Athéniens, des Thébains et des

Lacédémoniens ; mais que, voyant un grand concours à cette

solennité, il ne le fit pas. Enfin il devint disciple de Socrate, et fit

tant de progrès sous lui, qu’il engagea ceux qui venaient prendre

ses leçons à devenir ses condisciples auprès de ce philosophe. Et

comme il demeurait au Pirée, il faisait tous les jours un chemin de

quarante stades pour venir jusqu’à la ville entendre Socrate. Il

apprit de lui la patience ; et ayant conçu le désir de s'élever

au-dessus de toutes les passions, il fut le premier auteur de la

philosophie cynique. Il prouvait l’utilité des travaux par l'exemple

20

Il en va de Socrate comme des Sirènes d’Homère : ses

discours « captivants », dans les deux sens du terme, «

ravissent » aussi dans les deux sens du terme. Ils dépossèdent

leurs auditeurs de toute mesure pour faire plier leur âme, les

soumet à la transe, à l’enthousiasme communicatif d’une

manière de « gourou charismatique » :

Toi [déclare Alcibiade à l’adresse de Socrate], tu te

distingues de Marsyas sur un seul point : tu n’as pas

besoin d’instruments, et c’est en proférant de

simples paroles que tu produis le même effet. Une

chose est sûre ; quand nous prêtons l’oreille à

quelqu’un d’autre, même si c’est un orateur

particulièrement doué, qui tient d’autres discours,

rien de cela n’intéresse, pour ainsi dire, personne.

En revanche, chaque fois que c’est toi que l’on

entend, ou que l’on prête l’oreille à une autre

personne en train de rapporter tes propos, si

minable que puisse être cette personne, et même si

c’est une femme, un homme ou un adolescent qui

lui prête l’oreille, nous sommes troublés et

possédés.

Pour ma part, Messieurs, si je ne risque pas de

passer à vos yeux pour quelqu’un de complètement

ivre, je vous dirai, sous la foi du serment, quelle

impression j’ai ressentie et ressens encore

du grand Hercule parmi les Grecs, et par celui de Cyrus parmi les

étrangers » (Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres VI, 2).

21

maintenant à l’écoute des discours de cet individu.

Quand je lui prête l’oreille, mon cœur bat beaucoup

plus fort que celui des corybantes et ces paroles me

tirent des larmes ; et je vois un très grand nombre

d’autres personnes qui éprouvent les mêmes

impressions. Or, en écoutant Périclès et d’autres

bons orateurs, j’admettais sans doute qu’il s’exprime

bien, mais je n’éprouvais rien de pareil, mon âme

n’était pas troublée, et elle ne s’indignait pas de

l’esclavage auquel j’étais réduit. Mais lui, ce

Marsyas, il m’a bien souvent mis dans un état tel

qu’il me paraissait impossible de vivre comme je le

fais ; et cela Socrate tu ne diras pas que ce n’est pas

vrai. En ce moment encore, et j’en ai conscience, si

j’acceptais de lui prêter l’oreille, je ne pourrais pas

rester insensible, j’éprouverais les mêmes émotions.

En effet, il m’oblige à admettre que, en dépit de

tout ce qui me manque, je continue à n’avoir pas

souci de moi-même, alors que je m’occupe des

affaires d’Athènes. Je me fais donc violence, je me

bouche les oreilles comme pour échapper aux

sirènes, je m’éloigne en fuyant, pour éviter de rester

assis là à attendre la vieillesse auprès de lui.30

Le satyre Socrate est plus, bien davantage que sa bestialité :

il est d’essence divine. Platon sous le masque d’un Alcibiade

désabusé et aviné divulgue sa nature d’homme démonique

(théos anêr) protégé par le secret de quelques initiés. Socrate

est un maître en incantation, un exorciste prosélyte31, un

30 Ibid., 215c-216b. 31 Cf. Phédon, 77e-78a.

22

enchanteur dont l’enthousiasme est communicatif ; il en est

quitte pour susciter de véritables transes ; il fait battre les

cœurs « comme ceux des corybantes ». Lui-même est

« habité », et joue le rôle d’intermédiaire entre le monde des

hommes et les arcanes divins.

Socrate prophète

L’emploi du terme de « prophétisme » ne serait pas abusif

pour caractériser cette médiation. Loin de se contenter de

réfuter les faux savoirs de ses contemporains, tout se passe

comme si Socrate était lui-même le réceptacle des discours

autonomes qui s’humanisent à travers lui ; comme si les

vérités sur la philosophie, l’amour et le divin,

instrumentalisaient Socrate pour se répandre, selon un

procédé semblable à celui de la pierre de magnésie décrit

dans l’Ion.

À propos de la proposition centrale du dialogue du Gorgias, que l’homme juste est heureux, et malheureux l’injuste, le

philosophe précise : « Ne sois donc pas étonné de ce que je

dis, ou sinon, fais que la philosophie, ma bien-aimée, soit

elle aussi empêchée de parler. Car tout ce que tu m’entends

dire, mon cher ami, c’est toujours elle qui me le fait dire […]

»32. Voilà donc la philosophie prenant le statut d’instance, et

possédant Socrate comme la muse le poète.

Le même phénomène semble être à l’œuvre dans le Criton

lors de la prosopopée des Lois qui voit Socrate se faire

32 Gorgias, 482a.

23

répétiteur de discours animés33. Il devient l’instrument de

parole des voix qui le harcèlent : « Voilà, sache-le bien, mon

ami Criton, ce que moi je crois entendre, à l’instar des

corybanthes, qui croient entendre des auloi ; et, en moi, le

son de ces paroles bourdonne et m’empêche d’en entendre

d’autres »34. Corybantique aussi, la « digression » (parerga)

du Théétête n’est rien de moins qu’un discours inspiré,

c’est-à-dire enthousiaste. Si le Criton relate un projet

d’évasion et les raisons de son sabotage par son bénéficiaire,

les dernières heures du condamné font l’objet du Phédon,

autre dialogue empreint de pythagorisme. Et c’est cette fois

un long discours (un logos philosophikos)35, discours divin36,

de facture pythagoricienne qui vient, à travers lui, traiter de

la nécessité de délier l’âme du corps.

Cette position confine dans le Cratyle à une véritable

frénésie verbale ; Platon nous dit Socrate atteint par le

délire, en proie à une crise d’hystérie portée à son degré

d’incandescence clinique. Citons enfin le Banquet, dialogue

le plus caractéristique de l’idiosyncrasie de Socrate. Éros,

lui-même intermédiaire entre les hommes et les dieux, fait

de Socrate le vecteur de ses discours porteurs de theia sophia, sagesse divine37.

33 Criton, 50 a-c. 34 Criton, 54d.

35 Ibid. 66b. 36 Voir l’expression « tis theios logos » en 85d. 37 Banquet, 230a.

24

Et les exemples pourraient être multipliés. Chaque fois qu’il

est question de philosophie ou des messages livrés par la

philosophie, ce n’est pas le personnage de Socrate, mais les

Discours qui parlent. Cette relecture a l’avantage de

démontrer que l’énonciation de paroles de vérité par Socrate

ne contredit pas sa déclaration de non-savoir : de ces

discours, il n’est jamais l’auteur ; ce n’est pas lui qui sait, il

ne fait qu’énoncer, mais c’est à lui de comprendre.

25

II. L’expérience socratique du religieux : dépréciation, inspiration, initiation

Socrate, en effet, ne se prévaut d’aucun savoir. Enjeu

fondamental, en ce que ce « vide » est la condition

nécessaire (non suffisante) à l’inspiration. Cette profession

d’inscience s’exprime à travers la célèbre autant que mal

comprise « ironie socratique ».

Le contresens de l’ironie

« Ce qui est certain, c’est que cette sottise des incapables

[…], Socrate la persécuta, la confondit avec un étonnant

bonheur de paroles et d’exquises façons : soit qu’il affectât de ne rien savoir du tout, soit qu’il camouflât sa science »38.

Ces propos d’Augustin témoignent, au-delà d’un contresens,

d’une mécompréhension rédhibitoire de la psychologie de

Socrate. L’on veut absolument faire un savant du « père de la

philosophie », en oubliant le sens antique d’ironeia : celle-ci

n’est pas une feinte, un stratagème, mais bien chez les

Anciens, comme Aristote, le contraire de la vantardise

(alasoneia). Il s’agit moins d’humilité que

d’auto-dépréciation, de déficit d’ego, aux frontières du

pathologique. Socrate avait d’ailleurs été catalogué dans les

Problemata (pseudo-)aristotéliciens comme un

mélancolique 39 . Prendre au sérieux l’ironie socratique

38 Cité de Dieu VIII, 3 (trad. L. Jerphagnon). Sur l’ironie socratique

interprétée comme ruse et dissimulation, cf. aussi Cicéron, Brutus 293 ; Acad Prior. II, 5, 15-16 ; Des devoirs I 30, 108. 39 Aristote, Problèmes, éd. et trad. Pierre Louis, Paris, 1991-1994,

probl. 30.

26

signifie restituer au personnage une dimension

authentiquement dépressive. Laquelle se manifeste par des «

crises », des « embarras », comme c’est le cas dans

l’Euthydème : Socrate ignore vraiment ce qu’est la science.

De là un rapport au sacré éminemment singulier. Franc

d’opinions, pur en lui-même, Socrate est disponible à la

révélation. Ses crises trouvent une résolution dans l’abandon

à la divinité. Son inquiétude intense est relayée par

l’enthousiasme, au sens de possession par le souffle divin.

Cet enthousiasme, corrélatif de l’extrême humilité de

Socrate, est tributaire d’une dotation qu’il revendique dans

ce qui a toutes les apparences d’une question oratoire : «

Suis-je un animal plus paisible et plus simple, qui participe

naturellement à une destinée divine et qui n’est pas enfumé

d’orgueil ? »40. Cette destinée divine fait signe en direction

de la théia moira. En marge des fonctions parallèles de

sauvetage des discours anciens41 et d’apologétique, bien des

dialogues pourraient être relus à la lumière de cette

alternance entre d’une part, l’inscience (amatia) et, d’autre

part, la sagesse dévoilée via la dispensation divine (théia moira).

Bipolarité inscience / dispensation divine

Cette bipolarité inscience / dispensation divine est placée

sous le signe de la métaphore dans un passage du Théétète

40 Phèdre, 230a. 41 Cf. T.A. Szlezak, Le Plaisir de lire Platon, trad. M.-D. Richard,

Paris, la Nuit surveillée, Paru, 1997.

27

où pour la première fois est divulguée la vocation de

maïeuticien – d’accoucheur d’âme – du philosophe :

[…] J’ai au moins cet attribut, qui est propre aux

accoucheuses : je suis impropre à la conception d’un

savoir, et ce que beaucoup m’ont déjà reproché, à

savoir que je questionne les autres mais que

moi-même je ne réponds rien sur rien, parce qu’il

n’y a en moi rien de savant, c’est un fait véritable

qu’ils me reprochent. Et la cause de ce fait, la voici :

procéder aux accouchements, le dieu m’y force,

mais il me retient d’engendrer. Le fait est donc que

je ne suis moi-même absolument pas quelqu’un de

savant, pas plus qu’il ne m’est survenu, née de mon

âme, de découverte qui réponde à ce qualificatif

[…]42

Il apparaît ici que le même dieu qui permet à Socrate,

contraint Socrate, de faire parler la vérité lui a aussi ôté

toute possibilité de l’engendrer lui-même. Un don ne va pas

sans une malédiction. Traitant de la possibilité de définir et

d’enseigner les vertus, le dialogue du Ménon dégage

explicitement le caractère complémentaire de l’ignorance et

de la « possession » divine, au sens double du terme.

L’impossibilité de trouver une issue au problème formulé,

ajoutée à l’état de confusion dans lequel sont jetés les

protagonistes, sera l’occasion de donner tout son rôle à la

théia moira. Surgit le thème de l’inspiration ; la référence

aux prêtres et prêtresses replace la discussion dans le

paysage de la théologie orphique.

42 Théétète, 150c-150d.

28

Mais qu’est-ce que cette théia moira, qui semble, chez

Socrate, conditionnée par l’ignorance ?

« Part » ou « dispensation divine » 43 sont autant de

traductions possibles de ce qui se manifeste comme un

privilège électif. Ce privilège consiste en l’étincelle

d’extralucidité et de magnétisme contagieux dont ont

bénéficié certains orateurs, hommes politiques, poètes et

musiciens. Il constitue le ressort de l’inspiration, permet de

faire parler la muse44, le dieu ou le daïmon en soi. Il est à

l’origine des intuitions, des fulgurances et des savoirs

inaccessibles à la parole qui font de son bénéficiaire, s’il est

un philosophe, un candidat à la sagesse. On voit par là que la dispensation divine est à différencier du signal démonique,

bien qu’il arrive dans les dialogues que l’interpellation par

43 L'expression theou moira est mentionnée en République VI,

493a. « Une part [venant] d’un dieu » rend compte de l’expression

grecque theou moiran que l'on ne trouve qu’à deux reprises dans

les dialogues : en ce lieu même et dans le Critias, en 121a. On ne

relève en revanche pas moins de 14 occurrences de l’expression

theia moira : Protagoras, 322a ; Ménon, 99e, 100b ; Apologie de Socrate, 33c ; Phèdre, 230, 244c ; Phédon, 58e ; Ion, 534c, 535a,

536c, 536d, 542a ; Lois I, 642c et IX, 875c. 44 L’appel aux muses inspiratrices, aux suivantes d'Apollon (dieu

tutélaire des pythagoriciens) et filles de Mnémosyne (déesse

orphique par excellence) est un trope codifié de la poésie lyrique.

Socrate ne laisse pas aussi d’y recourir, le plus souvent lorsqu’il

s’apprête à relater un mythe ou à transmettre la parole des

Anciens. Ainsi en Lois IV, 718a, Lettre VII, 326e et en Sophiste,

216b ; mais également dans le Banquet de Xénophon, I, 11.

29

celui-ci conduise à une évocation de celle-là45. Uniquement

dissuasif, le signal n’apporte aucun contenu dont la raison

aurait à faire l’herméneutique. Car c’est bien là toute

l’entreprise de Socrate, commencée dès l’Oracle rendu à

Delphes : comprendre et faire comprendre le bien-fondé des

vérités divines.

Les origines et les implications de cette notion de théia moira seraient, une nouvelle fois, à rechercher du côté de la

mythologie orphique. Et plus précisément, de la légende

sacrée de la naissance, du meurtre et de la résurrection de

Dionysos, né Zagreus, ce dieu étrange au profil ophidien

sous le patronage duquel se place le Socrate silénique des

mystères du Banquet.

La reconstitution de l’Ancien Récit 46 s’est établie par

addition et recoupement de fragments épars, d’allusions plus

ou moins discrètes et de vers d’initiés (mústês) ayant filtré à

l’extérieur des thiases47. Il met en scène le projet meurtrier

de la jalouse Héra, épouse déshonorée par son époux volage.

Zeus, infidèle, revêt le déguisement d’un animal pour

séduire Perséphone – future reine des enfers – qui en

conçoit un fils, Zagreus. Zagreus est confié à Apollon et aux

Curètes, chargés de sa protection. Héra l’apprend et, dans

45 Socrate est dans le Phèdre interpellé par le signal ; intervient

ensuite le thème de la théia moïra. 46 Il s’agirait du Palaios logos esquissé dans le Phédon. 47 En résulte une version recomposée par C.A. Lobeck dans son

Aglaophamus, régulièrement revisitée à l’aune des nouvelles

découvertes de l’archéologie. Cf. C.A. Lobeck, Aglaophamus. De theologiae mysticae graecorum causis, Borntraeger, 1829, p. 547 sq.

C’est cette version que nous résumons ici.

30

son ire, somme les titans de retrouver l’enfant. Les créatures

n’ont qu’à suivre les jouets abandonnés de Zagreus pour

remonter la piste jusqu’à son refuge au creux du mont

Parnasse. L’enfant est déchiré, dilacéré comme les proies des

ménades ou des bacchantes de la légende d’Orphée ; on le

partage en neuf morceaux, tous dévorés à l’exclusion du

cœur. Zeus découvrant la scène déclenche le premier déluge

et foudroie les titans. Son héritier renaît sous le nom de

Dionysos : le « deux fois né ». Des cendres des titans mêlés

aux restes de Zagreus naissent les premiers mortels.

Le mythe, de souche orphique, a pour fin d’expliquer la

nature composite, à la fois divine et bestiale, intellectuelle et

spirituelle de l’homme. Il rend raison du noûs, cette

étincelle divine qui habite l’homme et l’enracine au ciel. Ce

fragment du divin resté mêlé en l’homme avec les chairs des

titans sacrilèges après que Zeus les a réduits en cendres, ne

serait autre que la « part divine ». Celle-ci, en droit, serait

donc possédée par tous ; mais n’est redécouverte que par

quelques élus, les « purifiés ».

Nul espoir d’échapper à la corruption ambiante et à l’empire

de l’opinion sans le secours de la théia moïra. Si des

individus tels que Socrate ou des poètes peuvent en être

investis naturellement, il est possible à d’autres de l’activer à

leur tour en se laissant contaminer par les premiers. La

transmission du message socratique se fait à la faveur de «

germes de discours » ; ces germes provoquent les symptômes

caractéristiques de la maladie d’amour, suscitent une

conversion des auditeurs qui deviennent les apôtres d’une

véritable Bonne Nouvelle. Nous verrons que ce parallèle

avec les Évangiles n’a rien de gratuit ; et ce n’est pas sans

31

raison que Socrate, l’homme divin (theios aner), fut accusé à

son procès de fomenter une nouvelle religion.

Les vérités énoncées par Socrate le sont ainsi en tant qu’il est

porte-parole (prophète) de la divinité. Il n’y a donc pas de

contradiction avec son aveu d’ignorance. L’ignorance

conditionne la sensibilité de Socrate aux fulgurances sacrées.

Ce glissement de l’ignorance à l’inspiration marque celui du

Socrate personnage public au Socrate des mystères, capable

de paroles inspirées.

Le modèle de l’initiation

L’existence d’un Socrate mystagogue, en retrait du Socrate

public de l’Agora, conduit à voir la conversion à la

philosophie comme une initiation de type religieux. La

reprise des formules consacrées des sectes orphiques, les

références nombreuses aux mystères d’Eleusis, l’énonciation

des membres d’un cercle socratique non officiel, les appels

au secret, les propos d’Alcibiade dans le Banquet, les chefs

d’accusations lancés contre Socrate, les accointances de ce

dernier avec les pythagoriciens48, l’hypothèse d’une lecture

ésotérique possible des dialogues socratiques (sokratikoï logoï) 49 en sont autant d’indications. Nous nous

48 Cf. Phédon, 57a-59d, 59c, 61d-62b ; Criton, 45b et Xénophon,

Mémorables I, 2, 48. 49 Donc penchant vers l’ésotérisme socratique plutôt que vers

l’ésotérisme platonicien. Platon, est en effet suspecté par ses

commentateurs d’avoir pris part à certains cultes à mystères, que ce

soit ceux de Déméter (Dè Mèter : « Terre Mère ») – les mystères

d’Éleusis –, ou ceux d’Orphée revisités par le pythagorisme. La

pléthore d’allusions aux aphorismes, vers, sumbollon, acousmata,

32

doctrines (depuis l’âme-harmonie dans le Phédon à la tripartition

de la République dérivée de la parabole pythagoricienne de la

panégyrie, en passant par le témoignage du guerrier pamphilien et

par la réincarnation des âmes, ou par le bios réservé à la classe des

gardiens, etc.) et découvertes mathématiques récentes des

pythagoriciens (telle celle des incommensurables) qui jalonnent les

dialogues de façon implicite ou explicite semblent abonder dans ce

sens.

Sur Platon et les cultes à mystères, cf. E. Rohde, Psychè. Le culte de l’âme chez les Grecs et leur croyance à l’immortalité, trad. A.

Reymond, Paris, Payot, 1952 ; M.L. Morgan, « Plato and Greek

religion », dans Richard Kraut, The Cambridge Companion to Plato, Cambridge, Cambridge University Press, 1993 ; P. Boyancé,

« Platon et les cathartes orphiques », article en ligne dans Revue des Études Grecques, t. 55, fasc. 261-263, juillet-décembre, 1942, p.

217-235 ; J.K. Feibleman, Religious platonism : the influence of religion on Plato and the influence of Plato on Religion, London,

Allen and Unwin, 1959. Sur les rapports et syncrétismes qui ont pu

s’opérer entre l’orphisme et le pythagorisme, cf. K. Kerényi, «

Pythagoras und Orpheus », dans Humanistishe Seelenforschung,

Munich, 1966, p. 20 sq. Sur l’âme-harmonie dans le Phédon, nous

renvoyons à l’article de J. Figari, « L’âme-harmonie dans le

Phédon », dans J.-L. Périllié (dir.), Platon et les pythagoriciens,

Cahiers de philosophie ancienne, n° 20, Bruxelles, Éditions Ousia,

2008, p. 135 ; D. Bolotin, « The life of philosophy and the

immortality of the soul : an introduction to Plato's Phaedo », dans

Ancient Philosophy, vol. 7, 1987, p. 39-56. Sur la parabole

pythagoricienne de la panégyrie, d’après le récit qu'en faisait

Héraclide de Pont, philosophe formé à l'Académie et peut-être

disciple d'Aristote, cf. C. Mallan, Christine Noel, O. Lahbib, « La

"parabole de la panégyrie" : Platonisme ou pythagorisme ancien ? »,

dans L’Enseignement philosophique 52/4, 2002, p. 20-34. On se

reportera, pour de plus amples informations sur le secret des

incommensurables, à l'analyse de J.-L. Périllié, « Dialogue

33

concentrerons sur un aspect moins commenté des œuvres de

Platon : plusieurs dialogues50 transposent rigoureusement le

déroulement des rites initiatiques typiques des cultes à

mystères 51 . Mort symbolique, épreuve et purgation,

résurrection ou renaissance ont en effet été identifiées dès le

début du XXe siècle comme constituant les phases critiques

des rites d'initiation. L’entretien philosophique

(dialegesthai) mené dans un cadre privé serait à Socrate ce

que les rituels sont aux cultes à mystères, la réfutation une

étape préalable de purification (catharsis), la maïeutique

l’épreuve à traverser pour aboutir à la révélation.

Tous les prétendants ne sont pas dignes pour autant de

recevoir l’initiation. « Nombreux sont les porteurs de thyrse,

rares les bacchants » tenait à souligner Socrate, reprenant les

socratique et divulgation de l’incommensurable », dans J.-L.

Périllié (dir.), Oralité et Écriture chez Platon, Cahiers de

philosophie Ancienne n° 22, Bruxelles, Éditions Ousia, 2012. 50 Au nombre desquels il faut compter le Gorgias, l’Alcibiade, le

Charmide, l’Euthydème, le Phèdre, le Cratyle, le Théétète, le

Ménandre et le Banquet. 51 Socrate et son plus illustre disciple étaient tous deux très proches

des cercles orphico-pythagoriciens et de leurs cultes à mystères. Il

n’y a donc rien de surprenant à ce qu’une grande partie des

dialogues socratiques puissent être interprétés comme des

transpositions littéraires de rites initiatiques. Sur les cultes à

mystères en Grèce ancienne, cf. W. Burkert, Les Cultes à mystères dans l’Antiquité, Paris, Vérité des mythes, Les Belles Lettres, 2003 ;

A.S. Rusjaeva, « Orphisme et culte de Dionysos à Olbia », dans

Vestnik Drevnej Istorii (Revue d'histoire ancienne), Moscou, 1978,

p. 87-104.

34

dictons associés aux mystères52. C’est pourquoi nombre de

dialogues sont dits aporétiques : le prétendant ne parvient

pas à la révélation finale. D’autres, comme l’Euthydème la

manquent de peu. Or l’Euthydème a ceci de particulier qu’il

est aussi un protreptique, c’est-à-dire un appel de

conversion, à la philosophie. La mise en scène de

l’intronisation de Clinias dans ce dialogue nous offre ainsi

l’illustration la plus à même de révéler les intentions cachées

du philosophe. Une fois tracé l’espace sacré de l’initiation,

Socrate procède, au gré d’un jeu de questions-réponses, à

une phase essentielle de purification épistémique. Il recourt

dans cette intention à une maïeutique d’avortement,

pratiquée au moyen de la réfutation ou élenchos.

Cette procédure de la réfutation opère la catharsis qui «

ensorcelle », qui « électrise » l’aspirant myste, plonge le

jeune homme dans l’embarras (aporia). Puis, au moyen seul

de la parole (logos), produit l’effet de vertige du kikéon,

breuvage de confusion au cœur du culte d’Éleusis. Si bien

que l’on pourrait émettre l’hypothèse que l’aporia, ce silence

de l'âme terrassée, auquel le Socrate nocturne des dialogues

de Platon réduit ses interlocuteurs en recourant à la

réfutation reproduirait symboliquement ce moment

transitionnel qui sépare la déprise du noviciat et la

révélation par le maître de vérité53. Le jeune Clinias subit

une épreuve angoissante et déstabilisante qui peut

s’assimiler à une mort symbolique. C’est le sophiste

52 Phédon, 69e. 53 Avec Socrate intervient en effet une nouvelle forme d’entretien

fondé sur le dialegesthai, laquelle témoigne tout à la fois d’un effet

cathartique et d’une puissance exhortative.

35

Dionysodore qui, sous couvert d’imputations scabreuses,

dévoile le pot aux roses :

– À présent, demanda-t-il, Clinias est-il savant ou non

? – Lui, en tout cas, il dit qu’il ne l’est pas encore –

mais il n’est pas vantard ! – Et vous, reprit-il, vous

voulez qu’il devienne savant et qu’il ne soit plus

ignorant. Nous étions d’accord. – Ainsi donc, ce qu’il

n’est pas, vous voulez qu’il le devienne, et ce qu’il est

maintenant, qu’il ne le soit plus. Alors moi, en

entendant cela, je me sentis troublé ; et sur mon

trouble, il renchérit en reprenant la parole : – Que

dites-vous donc ? demanda-t-il. Puisque vous

souhaitez qu’il ne soit pas celui qu’il est maintenant,

vous voulez, semble-t-il, qu’il meure. Vraiment, voilà

le genre de gens qui, comme amis et amoureux,

seraient précieux, des gens qui seraient capables de

mettre au-dessus de tout le fait que leur bien-aimé

périsse !54

À la mort symbolique succède, dans tous les rites

initiatiques, une phase de renaissance et de réintégration

dans la communauté55. Si l’on conçoit de relire l’Euthydème

54Euthydème, 283c-d. Dionysodore ne croit pas si bien dire… 55 Mort et résurrection sont des motifs incontournables des rites

initiatiques et des cultes à mystères, dont ceux de Dionysos – le «

deux fois né » (cf. A.S. Rusjaeva, « Orphisme et culte de Dionysos à

Olbia », Vestnik Drevnej Istorii (Revue d’histoire ancienne),

Moscou, 1978, p. 87-104). Leur valeur symbolique associée dans

l’Antiquité à une mise en scène plus ou moins spectaculaire,

dramatise le passage de l’aspirant à son nouveau statut. Sur la

valeur rituelle de l’épreuve, de la mort et de la transfiguration dans

36

comme une parodie d’initiation, ou comme une

crypto-initiation inachevée par Socrate, nous devrions

naturellement retrouver cette étape. Il apparaît de fait que

l’état de perplexité installée par la discussion fait régresser

les dialoguants au statut d’individus nouvellement nés : «

Alors que nous imaginions être déjà au terme, rapporte le

narrateur de l’Euthydème, nous avions bouclé la boucle :

nous nous retrouvâmes une nouvelle fois comme au

commencement de notre recherche »56.

Désormais affranchi des préjugés de la foule, Clinias est mûr

pour recevoir la connaissance. Le « condamné à mort » peut

renaître initié, et naître à la philosophie (faute de l’avoir été

à la « science du bonheur »). Il n’attend plus que lui soit

dévoilé le fin mot de son parcours spirituel. Une telle

épiphanie manque à cet entretien. Celle-ci peut se produire

sous le signe d’une révélation divine (récit, mythe, intuition,

etc.) énoncée par Socrate ou à l’aide de la dialectique. Elle

peut être le fruit de la réminiscence. Elle peut aussi être à

l’initiative de l’aspirant lui-même. À la maïeutique négative

succède alors une seconde maïeutique, la maïeutique

proprement dite, fertile en ce qu’elle permet à ce qui était

latent, enfoui dans les replis de l’âme, d’être « accouché » par

l’âme. Les vérités divines atteintes par ce truchement sont

au-delà des mots, et par-là incommunicables57. Elles sont

l’objet d’une intuition intellectuelle, le fait miraculeux d’une

l’économie des rites d’initiation, cf. Th.G. d’Allon dans, Rites de Passage, rites d’initiation : Lecture d’Arnold Van Gennep, Paris, éd.

Presses universitaires de Laval, 2002. 56 Ibid., 291b. 57 Cf. Lettre VII.

37

saisie immédiate par la raison qui nous habite (sous les traits

d’un daïmon). Le prétendant fait ainsi l’expérience de la

révélation. Ainsi s’éclaire la référence énigmatique de

l’Alcibiade du Banquet aux « figurines divines » et invisibles

cachées dans le Silène.

Cette épopée initiatique peut être rapprochée de celle

qu’endure l’homme libéré de la caverne, exposé au plein

jour – l’allégorie de la République étant elle-même mise en

abyme du méta-rite d’initiation que constitue la République.

Pour les élus, illuminés, il y a confrontation au numineux

qui n’est pas sans douleur. Mais une dernière épreuve attend

encore l’homme libre qui doit s’en retourner, « désadapté »,

dans la caverne – matrice (de l’univers) –, pour initier ses

pairs. N’est-ce pas précisément l’enjeu de la mission

d’évangélisation dont est chargé Socrate ?

Rendre raison de traditions

Pas plus qu’elle ne fait pièce à sa piété, la pratique socratique

du doute ne contredit sa réceptivité aux traditions. Là où

Socrate fait profession de tout remettre en cause, les vérités

de la tradition concernant l’existence et la puissance du

divin ne font jamais l’épreuve de la réfutation58. C’est que

celles-ci ne sont pas affaire de connaissances humaine, mais

de révélations. Il s’agit néanmoins d’en restituer le contenu

originel, dégagé au moyen des outils de la raison.

58 C’est notamment ce que relève, dans la suite de G. Vlastos, L.-A.

Dorion à propos du Charmide, dans Platon, Œuvres complètes, Paris, Flammarion, 2008.

38

De quelles traditions est-il question ? Et de quelle manière

Socrate s’en inspire-il ?

À l’exclusion des nombreuses allusions aux mystères

d’Éleusis qui jalonnent les dialogues, on décèle de multiples

récupérations ressortissant au secret des mystères orphiques

et les pythagoriciens. De proches disciples de Socrate, parmi

lesquels Platon59 et Xénophon60, attestent expressément de

sa fréquentation de ces cercles clandestins. Il y a ainsi tout

lieu de croire que le Socrate historique aurait pu hériter d’un

message religieux de facture orphico-pythagoricienne ;

message dont il se serait fait un interprète, voire un

réformateur.

L’originalité de la philosophie consiste dans la réception

critique qu’elle fait de cet héritage. Socrate n’a eu de cesse

que de les interpréter dans un sens accessible à la raison, de

même que l’on interpréterait un rêve pour découvrir sa

signification. La tradition philosophique enregistre le

passage d’un discours révélé, ésotérique, relevant du

folklore, à un discours capable de rendre raison (didonai logon) de sa véracité. C’est en effet tout ce qui distingue

Socrate des poètes inspirés, dans l’incapacité de rendre

compte rationnellement des paroles qu’ils prononcent sous

le coup de la possession61.

Socrate, encore une fois, jamais ne s’attribue les mythes et

les paroles de vérité qui ne lui sont que « transmises »,

59 Cf. Phédon, 57a-59d, 59c, 61d-62b ; Criton, 45b. 60 Cf. Mémorables I, 2, 48. 61 Cf. Apologie de Socrate, 22c.

39

livrées entre initiés par voie de bouche-à-oreille (akoué). Il

ne sait rien lui-même, mais propage une parole62 « reçue »

immédiatement ou par ouï-dire de la divinité. Il met l’outil

nouveau de la dialectique au service de la tradition ; cela

moyennant des habiletés de « secours » (boethein) portant

sur les discours anciens (palaioï logoï). Combien de fois

Socrate par ailleurs n’est-il mis en demeure de prendre la

défense des principes, traditionnels ou religieux, mis en péril

par le relativisme et le cynisme ambiant ? Il s’agit là de l’une

des structures récurrentes dans l’œuvre de Platon63, et qui

consiste pour l’auteur à mettre en scène un Socrate justicier

se précipitant au secours de certains discours (justice,

science, vérité, lois, utilité de la philosophie, éléments de

pythagorisme, oralité et transmission, idée de l’immortalité

de l’âme, principes de la république, etc.) malmenés par ses

interlocuteurs ; plus largement, d’un héritage qu’il sauve, en

le rationalisant, du nihilisme et des assauts de la sophistique

afin de le transmettre à son tour64.

62 Le Socrate de Platon condamne l’écrit, lui-même ne s’y étant

jamais prêté. L’écrit n’a vocation ni aptitude à rendre compte de la

science véritable, saisie par intuition : « […] car il s’agit là d’un

savoir qui ne peut absolument pas être formulé de la même façon

que les autres savoirs, mais qui, à la suite d’une longue familiarité

avec l’activité en quoi il consiste, et lorsqu’on y a consacré sa vie,

soudain, à la façon de la lumière qui jaillit de l’étincelle qui bondit,

se produit dans l’âme et s’accroît désormais tout seul […] » (Lettre VII, 341d sq). Voir aussi Phèdre, 274c-275b. 63 Identifiée comme telle par T.A. Szlezak. Voir son ouvrage Le Plaisir de lire Platon, trad. M.-D. Richard, Paris, la Nuit surveillée,

Paru, 1997. 64 Le philosophe est coutumier de ce sauvetage analysé par T.A.

Szlezak, partisan déclaré de l’école de Tübingen, qui s’appuie sur le

40

Le message eudémoniste

Portant sur la question de la connaissance et de

l’enseignement de la vertu, l’entretien du Ménon dévoile le

noyau doctrinaire du message religieux

orphico-pythagoricien, qu’il articule à l’hypothèse

platonicienne de la réminiscence. Le déroulement

initiatique est là encore de mise. Les deux protagonistes se

reconnaissent jetés dans « un état de torpeur »65. Alors que

tout semble perdu, Socrate les déclare prêt à entamer une

Phèdre pour soutenir l’authenticité de l’ésotérisme de Platon. Au

commencement est une situation : celle de la mise à mal d’une

valeur, ou d’une idée, ou d’un principe, ou d’un « discours ancien »

(palaios logos) discrédité par les interlocuteurs de Socrate, et que

Szlezak caractérise comme étant celle de la « boêtheia » : « situation

où un logos est attaqué et où son auteur est mis en demeure de lui

porter secours » 64 . Loin d’être une péripétie, la boêtheia se

présenterait comme un principe structurant des dialogues de

Platon. Il est ainsi question dans le Phédon (88e) de savoir si oui ou

non Socrate est parvenu à « sauver le logos » (« boèthein tôi logôi »)

– le palaios logos – ; de la même manière qu’il s’agit dans la

République (II, 362d) de se porter au secours de la justice

(« boèthein dikaiosunèi ») ou bien encore, dans le Banquet, de

mandater Diotime pour venir au renfort de la première prise de

parole du philosophe. Socrate, dans l’Euthyphron, vient encore

soutenir son interlocuteur qui peine à produire un discours capable

de convaincre du bien-fondé de la thèse des idées : « Voilà assez

raillé : puisque tu crains si fort la peine, je veux aller à ton secours,

et te montrer comment tu pourras me conduire à la connaissance

de ce qui est saint, et ne pas me laisser en route » (11e). 65 Ménon, 80a.

41

authentique recherche de vérité 66 . Il fait état d’un récit

consacré que tiennent communément les poètes de la

tradition et les gardiens des temples mis dans la confidence

des dieux67 :

Ce langage, ce sont ceux des prêtres et prêtresses

qui s’attachent à rendre raison des choses

auxquelles ils se consacrent, qui le tiennent. C’est

aussi Pindare qui parle ainsi, comme beaucoup

d’autres poètes, tous ceux qui sont divins. Ce qu’ils

disent, c’est ceci. Voyons, examine s’ils te semblent

dire la vérité. Ils déclarent en effet que l’âme de

l’homme est immortelle, et que tantôt elle arrive à

un terme – c’est justement ce qu’on appelle

« mourir » –, tantôt elle naît à nouveau, mais qu’elle

n’est jamais détruite. C’est précisément la raison

pour laquelle il faut passer sa vie de la façon la plus

pieuse possible68.

66 Ibid., 80d. 67 Ibid., 81b-c. 68 Il est tentant de lire en cette déclaration de foi eschatologique

une reprise de thèmes orphiques. « Pieusement » traduit le grec

hosiôtata : nous sommes au cœur de la matière religieuse, dans les

essarts de la sotériologie. Socrate, prophète de l’eudémonisme, est

un homme pieux (hosios) jusqu’à la mort, qu’il dira préférer à une

apostasie qui le mettrait en porte-à-faux au regard de sa mission

que lui a confiée le dieu. On se rappellera au demeurant que

l’entretien de l'Euthyphron portait sur la définition du « pieux (to hosion) » et de l'« impie (to anosion) ». C’était pourtant bien

d’impiété que les sycophantes Anytos et Mélétos ont accusé Socrate

: « Voici quels furent les chefs d’accusation, écrit Diogène Laërce,

confirmés par serment ; Phavorinus dit qu’on les conserve encore

42

En effet, les êtres dont Perséphone a accepté compensation d’un ancien mal 69 , vers le soleil d’en haut, à la neuvième année, elle envoie de nouveau leurs âmes, et de ces âmes croissent de nobles rois, des hommes impétueux par la force ou très grands par le savoir. Pour tout le temps futur, ils sont honorés par les hommes, comme des héros sans tache. 70

Si l’on s’en tient au mythe, enlevée par son futur époux

Hadès à sa mère Déméter, Korè (ou Perséphone) devient

effectivement la déesse tutélaire des au-delà orphiques. Le

culte de ces deux dernières était placé au centre des

dans le temple de la mère des dieux : "Mélétos de Lampsaque, fils

de Mélétos, accuse, sous la foi du serment, Socrate d’Alopèce, fils

de Sophronisque, des crimes suivants : Socrate est coupable de ne

pas croire aux dieux reconnus par la ville et d’en introduire de

nouveaux ; il est également coupable de corrompre la jeunesse.

Pour ces crimes, la mort" » (Diogène Laërce, Vies et doctrines de philosophes illustres, II, 5, 40). 69 On note la référence à Perséphone, déesse investie reine de

l’au-delà, surpassant même, selon les hymnes orphiques, l’autorité

souveraine de son époux. La référence à l’« expiation », au « deuil

ancien », pourrait faire allusion au mythe étiologique orphique de

la naissance des hommes, mêlés de chair titanique et d’étincelle

divine. 70 Pindare, Œuvres complètes, tome IV: « Isthmiques et

Fragments », trad. A. Puech, Paris, Budé, Collection des universités

de France, Série grecque, 1923, fr. n° 21. Cf. aussi M.L. West, The Orphic Poems, Oxford, Clarendon Press, 1983 et M. Detienne,

L'écriture d’Orphée, Paris, Gallimard, 1989.

43

mystères d’Éleusis, eux-mêmes au centre de la vie religieuse

d’Athènes. L’allusion faite à ces mystères dans le Ménon 71,

laisse à penser que notre échange entre Socrate et le fameux

aristocrate d’origine pharsalienne 72 , dans un dialogue

introduisant le thème de la palingénésie psychique de pair

avec celui de la réminiscence, serait concomitant des

grandes célébrations éleusiniennes de la cité73.

Tout laisse donc à penser que le contenu de l’Évangile

socratique, que le message disséminé dans les dialogues,

71 « Du reste je crois que tu serais de cet avis s’il ne te fallait,

comme tu le rappelais hier, partir avant les Mystères, et si tu pouvais rester ici pour te faire initier » (Ménon, 76e ; nous

soulignons). 72 Selon Diogène Laërce (op. cit., II, 50), Pharsale était connue

pour être l’un des principaux viviers de l’orphisme. Nombre de

lamelles d’or qui nous sont parvenues proviennent des fouilles

conduites dans les sous-sols de cette cité du sud de la Thessalie. Cf.

E. Rohde, Psychè. Le culte de l'âme chez les Grecs et leur croyance à l'immortalité, trad. A. Reymond, Paris, Payot, 1952 ; W.K.C.

Guthrie, Orphée et la religion grecque : étude sur la pensée orphique, trad. S.M. Guillemin, Paris, Payot, 1956 ; M.L. West, «

Graeco-oriental orphism in the third century RC », dans

Assimilation et résistance à la culture gréco-romaine dans le monde ancien, Paris, Les Belles Lettres, 1976 ; W. Burkert, Greek Religion. Archaic and Classical, Oxford, Basil Blackwell, 1985 ; P.

Borgeaud, Orphisme et Orphée en l'honneur de Jean Rudhardt, Genève, Librairie Droz, 1991 ; G.P. Carratelli, Les lamelles d’or orphiques. Instructions pour le voyage d’outre-tombe des initiés grecs, Paris, Les Belles Lettres, Vérité des mythes, 2003. 73 Cf. R.S. Bluck, « Nos sujets de perplexité devant le Ménon »

(1961), trad. A. Soulez, dans Les Paradoxes de la connaissance,

1991, p. 153-161.

44

serait celui de l’eudémonisme. Le fondement de cet

eudémonisme s’énonce en une formule canonisée par

Socrate devant l’assemblée des juges d’Athènes, le jour de

son procès. Le philosophe tient pour certain « qu’aucun mal

ne peut toucher un homme de bien ni pendant sa vie, ni

après sa mort, et que les dieux ne se désintéressent pas de

son sort »74. L’eudémonisme affirme qu’il est possible pour

l’homme juste, moyennant une pratique éclairée des vertus,

de s’affranchir du corps (soma), tombeau pour l’âme (sêma) ;

de rompre pour jamais avec le cycle des métempsychoses et

d’accéder à une félicitée suprahumaine (eudaimonía). C’est

le message paroxystique déployé dans l’Apologie de Socrate,

le Gorgias, le Phédon, le Banquet, la République, le Phèdre,

le Timée, les Lois et le Philèbe, sinon la toile de fond de

l’ensemble des sokratikoï logoï.

La multiplicité des œuvres et des contenus traités aussi bien

que les différentes périodes de rédaction de ces dialogues

n’effacent en aucun cas la permanence de ce qui a toutes les

caractéristiques d’une parole d’Évangile, et dont il y a lieu

de supposer qu’elle était socratique avant d’être

platonicienne, et même orphico-pythagoricienne dans sa

formulation originelle, comme en témoignent les lamelles

d’or. On en vient à penser qu’une lecture authentique des

œuvres de Platon tiendrait pour clef de lecture non pas

l’hypothèse des idées, mais le message eudémoniste de salut

individuel, avec son pan ésotérique se traduisant par les

initiations aux mystères socratiques.

74 Apologie de Socrate, 41 c-d.

45

Conclusion

Force est d’admettre que le prosélytisme du missionnaire

Socrate devait présenter quelque chose de subversif en

matière religieuse et politique ; ou l’on ne comprendrait pas

que l’acte d’accusation l’ait inculpé de ne pas croire aux

dieux de la cité, d’introduire de nouvelles divinités et de

corrompre la jeunesse. Or, il semblait acquis que Socrate ne

considérait pas son ministère philosophique autrement que

comme un commandement divin :

Vous avez entendu toute la vérité, Athéniens, car la

vérité, je vous l’ai dite : c’est qu’il leur [les dieux]

fait plaisir de voir soumettre à un examen ceux qui

se figurent être savants, alors qu’ils ne le sont pas ;

certes, cela n’est pas sans agrément, mais pour moi,

je le répète, c’est quelque chose que m’a prescrit de

faire le dieu par l’intermédiaire d’oracles, de songes,

et par tous les moyens enfin que prend une

dispensation divine pour prescrire à un homme de

remplir une tâche, quelle qu’elle soit.75

C’est donc que les implications de la religion de Socrate

représentaient pour la cité une menace imminente. Laquelle

? En quoi ? Et de quelle sorte ? Il faut, pour le comprendre,

renouer avec l’esprit de la religion de l’époque.

Par distinction d’avec les religions d’extraction sémitique

appelées à triompher sous la commune appellation de «

monothéismes », le cœur des religions polythéistes antiques

75 Apologie de Socrate, 24a.

46

n’est pas de nature dogmatique ou doctrinaire, mais

ritualiste et politique. Ces religions ne requièrent pas de

l’aspirant qu’il embrasse un credo déterminé, mais qu’il

souscrive à des pratiques socialisantes. Le culte des dieux

poliades en Grèce ancienne était, dans cet esprit, un culte

politique. Il s’exprimait en fêtes au cours desquelles était

réaffirmée la cohérence de la collectivité, elle-même mise

en spectacle par des cérémonies, des processions, des jeux

sportifs ou des concours de tragédie 76 . Il s’agissait de

désamorcer régulièrement de manière collective les

dissensions sociales, de régénérer le corps politique.

Les religions monothéistes tendent, au contraire, à être des

religions du recueillement, des cultes de l’intériorité. Elles

encouragent la retraite acétique dans le « for intérieur » et, à

l’extrême, le renoncement au monde ; elles peuvent ainsi se

pratiquer, tels les cultes à mystères, hors de l’espace public,

en marge de la société civile. Le « connais-toi toi-même »

revendiqué par Socrate exprime cette dimension de culte de

l’intériorité et de salut individuel. Le signal démonique

dissuadait par ailleurs Socrate de prendre part aux affaires

politiques. Et il est tout sauf anodin que le reproche

liminaire de ne « pas reconnaître les dieux de la cité »

produit par Mélétos le sycophante à l’ouverture de

l’Apologie se soit vu détourné en suspicion d’athéisme,

permettant à Socrate de passer outre la véritable question…

Socrate n’est pas irréligieux ; personne, au vrai, ne le

conteste. Pour suspicieux qu’il soit envers les traits humains,

76 Sublimation et sacrifice trouvent une synthèse dans la catharsis de la tragédie grecque, mise sous le patronage des dieux.

47

par trop humains, prêtés aux dieux par les poètes, le Socrate

de Platon n’avait rien d’un penseur athée77. Socrate aurait

été à ce point obéissant à la divinité qu’il aurait consacré son

existence à la mission qu’elle lui aurait confiée à la faveur de

manifestations de différentes natures, n’hésitant pas à

sacrifier ses intérêts personnels78. Sa pauvreté parlait pour

lui. Mais ce n’était pas exactement aux dieux de la cité qu’il

vouait un culte. Et ce n’était pas un culte – beaucoup s’en

faut – au bénéfice de la cité.

Il se pourrait que la « religion de l’âme » de cet homme

envoyé du dieu delphique pour porter la nouvelle de

l’eudaïmonia ait menacé directement la cohésion de la cité.

Les mystères socratiques constituaient en effet un culte

clandestin et marginal qui, à rebours d’autres cultes à

mystères, n’était pas soluble dans la religion civile

d’Athènes. À un culte public et citoyen, il oppose un culte

exclusif et personnel du daïmon intérieur. Il se pourrait que

la religion de Socrate – privée et recueillie – n’ait pas été

conciliable avec les pratiques collectives de la cité, et

qu’au-delà des raisons politiques qui auraient pu valoir au

77 Non plus que Platon. Plotin, Augustin, Ficin et Pascal ne s’y sont

pas trompés. Cf. M.L. Morgan, Platonic Piety, Philosohpy and Ritual in Fourh Century Athens, Yale, Yale University Press,

1990 ; R. Hackforth, « Plato's Theism », dans Classical Quarterly, vol. 30, 1936, p. 439-447 ; H.E. Ronald, « Katharsis and the platonic

reconstruction on mystical terminology », dans Philosophia, vol. 4,

1974, p. 168-179 ; L.-B. Mcminn, « Plato as a philosophical

theologiam », dans Phronesis, vol. 5, 1960, p. 23-31. 78 Mission que seul un homme divin, prophète, charismatique, et

pourtant profondément humble pouvait accomplir, au péril de sa

vie.

48

philosophe des représailles de la part de ses concitoyens (on

pense aux accointances d’un philosophe peu démocrate avec

la tyrannie des Trente), ce soit principalement la crainte de

sa contagion et de la désagrégation civile qui s’en suivrait

qui ait conduit les juges à prendre une décision fatale.

Le caractère messianique du philosophe ressort autant par sa

condamnation que par le rapport qu’il entretenait avec son «

thiase », son cercle d’initiés. La secte socratique croissant

inexorablement avec son influence sur la jeunesse, la

surprenante harangue provocatrice prononcée par Socrate à

la face de ses juges peut être interprétée comme une habile

manière de concentrer sur lui, de contenir et d’assouvir une

fois pour toutes, la colère de ses juges, les dissuadant de s’en

prendre à ses disciples. Écoutons attentivement le discours

des Lois dans la conscience du philosophe résolu à son sort :

« Et subissant ton arrêt, tu meurs victime honorable de

l'iniquité, non des lois, mais des hommes ; mais, si tu fuis, si

tu repousses sans dignité l'injustice par l'injustice, le mal, par

le mal, si tu violes le traité qui t'obligeait envers nous, tu

mets en péril ceux que tu devais protéger »79. Socrate se

serait-il délibérément perdu pour protéger les siens ? Que le

daïmon censeur ne soit pas intervenu pour prévenir l'accusé

contre sa megallegoria de l’Apologie se comprendrait alors

dans une tout autre perspective – une perspective christique,

qui ne serait pas d’ailleurs inconciliable avec l’absence de

mal que représenterait la mort80.

79 Criton, 54c. Nous reprenons sciemment ici la leçon de Victor

Cousin. 80 Apologie de Socrate, 40a-c.

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Du même auteur

Édités chez TheBookEdition

Le Dernier Mot (2008)

Kant et la Subjectivité (2008)

Les Texticules t. I, II, III (2009-2012)

Somme Philosophique t. I (2009-2012), II (2013-2014)

Révulsez-vous ! (2011)

D’un Plateau l’Autre (2012)

Sociologie des Marges (2012)

Le Cercle de Raison (2012)

Apologie de Strauss-Kahn (2012)

Platon, l’Égypte et la question de l’Âme (2013)

Une brève Histoire de Mondes (2013)

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Le Miroir aux Alouates (2013)

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Jamais sans ma Novlangue ! (2014)

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Annuaire de philosophie des sciences (2015)

Le Phénomène (2015)

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Février 2015

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Frédéric Mathieu

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