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Les cahiers de l’ARCEP n°2 avril - mai - juin 2010 LA REVUE TRIMESTRIELLE DE L’ L ’enjeu pour une autorité qui régule un secteur économique issu d’un monopole, c'est d'abord et avant tout de réussir à construire un marché puis de veiller à ce qu’il fonctionne de façon équili- brée. Il en est ainsi dans les secteurs des communications électroniques et postales. Mais certains secteurs qui n’ont jamais été en situation de monopole sont aussi régulés : c’est le cas des marchés financiers ou des activités bancaires. Les outils du régulateur sont divers : asymétriques lorsqu'il faut réguler un opérateur puissant, symétriques lorsque tous les opérateurs sont concernés ; ex ante ou ex post. L'ARCEP exerce ce métier de « constructeur de marché » depuis treize ans : l’ouvrage est très avancé dans le secteur des télécoms, mais encore balbutiant dans le secteur postal. L’Autorité veille, à travers la définition de règles, précises et impératives mais aussi plus souples (bonnes pratiques, recommandations), à ce que le marché fonc- tionne bien, c'est à dire qu'il présente un niveau de concur- rence optimal, et non pas forcément maximal. La concurrence optimale doit être suffisante dans l’intérêt du consommateur mais non excessive, car des marges trop faibles freineraient l’innovation et les investissements des opérateurs. Depuis quelques années et de façon accélérée, nous défi- nissons ces règles dans un environnement en plein boule- versement, celui de l'économie numérique. C’est, sans doute, avec le développement durable, un des axes détermi- nants de la nouvelle économie qui se construit. Nouvelle économie, nouvelle société aussi, car l'économie et la société interagissent l'une sur l'autre, d’où sans doute la nécessité d'une nouvelle régulation. Edito par Jean-Ludovic Silicani, président de l’Autorité Quelques fondamentaux de la révolution numérique Qui me cède me détient encore. Plus on m’use et plus je vaux. Je suis partout et je suis tout de suite ! Qui suis-je ?» Je suis… je suis l’information, bien-sûr ! Et qu’est-ce que la révolu- tion numérique, sinon l’alchimie qui transmute le plomb dérisoire de cette devinette en l’or précieux d’une réalité observable ? Toute alchimie repose sur des « fondamentaux », ici révélés… pour partie. Numérisation et dématérialisation de l’information La numérisation, c’est-à-dire la transcription de données de toute nature sous la forme de séquences de bits d’information, reconnaissa- bles, stockables et traitables par les machines informatiques, transpor- tables et distribuables par les réseaux de communication électronique, admet deux conséquences : d’une part, la gestion homogène des données tout au long de la chaîne qui conduit de leur création à leur livraison ; d’autre part, la « dématérialisation » Par Nicolas CURIEN, membre de l’Autorité ••• Suite page 2 ••• Suite page 3 Dossier LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE. Nouveaux usages, nouveaux modèles, nouvelles régulations ? Tel un tsunami, la révolution du numérique se déploie chaque jour un peu plus sous nos yeux. Elle entraîne des ruptures. Huit ont ici été identifiées : l’explosion des débits (notamment mobiles) ; le consommateur devient un acteur ; les nouveaux usages (mobilité, ubiquité, ergonomie) ; la dématérialisation ; la délinéarisation des contenus ; les interfaces ; la géolocalisation ; le e-commerce. Toutes ont un impact sur les acteurs traditionnels du marché des télécoms – opérateurs et équipementiers –, et du secteur postal. Mais aussi sur l’ensemble des segments économiques : la publicité, la musique, le cinéma, l’audiovisuel, les jeux en ligne, la presse, l’édition, le goût esthétique, la création artistique, l’éducation, la médecine, l’aide au développement, la citoyenneté… Sans parler de notre façon de vivre en société… Revue de détail. L'ARCEP exerce le métier de « constructeur de marché » dans un environnement en plein bouleversement, celui de l'économie numérique

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  • Les cahiers de lARCEPn2 avril - mai - juin 2010

    LA REVUE TRIMESTRIELLE DE L

    Lenjeu pour une autorit qui rgule un secteurconomique issu dun monopole, c'est d'abord etavant tout de russir construire un march puisde veiller ce quil fonctionne de faon quili-bre. Il en est ainsi dans les secteurs des

    communications lectroniques et postales. Mais certainssecteurs qui nont jamais t en situation de monopole sontaussi rguls : cest le cas des marchs financiers ou desactivits bancaires. Les outils du rgulateur sont divers :asymtriques lorsqu'il faut rguler un oprateur puissant,symtriques lorsque tous les oprateurs sont concerns ;ex ante ou ex post.

    L'ARCEP exerce ce mtier de constructeur de march depuis treize ans : louvrage est trs avanc dans le secteurdes tlcoms, mais encore balbutiant dans le secteurpostal. LAutorit veille, travers la dfinition de rgles,prcises et impratives mais aussi plus souples (bonnespratiques, recommandations), ce que le march fonc-tionne bien, c'est dire qu'il prsente un niveau de concur-rence optimal, et non pas forcment maximal. Laconcurrence optimale doit tre suffisante dans lintrt duconsommateur mais non excessive, car des marges tropfaibles freineraient linnovation et les investissements desoprateurs.

    Depuis quelques annes et de faon acclre, nous dfi-nissons ces rgles dans un environnement en plein boule-versement, celui de l'conomie numrique. Cest, sansdoute, avec le dveloppement durable, un des axes dtermi-nants de la nouvelle conomie qui se construit. Nouvelleconomie, nouvelle socit aussi, car l'conomie et lasocit interagissent l'une sur l'autre, do sans doute lancessit d'une nouvelle rgulation.

    Editopar Jean-Ludovic

    Silicani, prsidentde lAutorit

    Quelques fondamentaux de

    la rvolution numriqueQui me cde me dtient encore.Plus on muse et plus je vaux.Je suis partout et je suis tout de suite ! Qui suis-je ?

    Je suis je suis linformation, bien-sr ! Et quest-ce que la rvolu-tion numrique, sinon lalchimie qui transmute le plomb drisoire decette devinette en lor prcieux dune ralit observable ? Toutealchimie repose sur des fondamentaux , ici rvls pour partie.

    Numrisation et dmatrialisation de linformationLa numrisation, cest--dire la transcription de donnes de toute

    nature sous la forme de squences de bits dinformation, reconnaissa-bles, stockables et traitables par les machines informatiques, transpor-tables et distribuables par les rseaux de communication lectronique,admet deux consquences : dune part, la gestion homogne desdonnes tout au long de la chane qui conduit de leur cration leurlivraison ; dautre part, la dmatrialisation

    Par Nicolas CURIEN, membre de lAutorit

    Suite page 2

    Suite page 3

    Dossier

    LA RVOLUTION NUMRIQUE.Nouveaux usages, nouveaux

    modles, nouvelles rgulations ?

    Tel un tsunami, la rvolution du numrique se dploie chaque jourun peu plus sous nos yeux. Elle entrane des ruptures. Huit ont icit identifies : lexplosion des dbits (notamment mobiles) ; leconsommateur devient un acteur ; les nouveaux usages (mobilit,ubiquit, ergonomie) ; la dmatrialisation ; la dlinarisation descontenus ; les interfaces ; la golocalisation ; le e-commerce.

    Toutes ont un impact sur les acteurs traditionnels du march destlcoms oprateurs et quipementiers , et du secteur postal.Mais aussi sur lensemble des segments conomiques : la publicit,la musique, le cinma, laudiovisuel, les jeux en ligne, la presse,ldition, le got esthtique, la cration artistique, lducation, lamdecine, laide au dveloppement, la citoyennet Sans parlerde notre faon de vivre en socit Revue de dtail.

    L'ARCEP exerce le mtier de constructeur de march

    dans un environnement en plein bouleversement, celui

    de l'conomie numrique

  • ARCEP7, square Max Hymans - 75730 Paris Cedex 15www.arcep.fr - 01 40 47 70 00Abonnement : [email protected] : 1290-290XResponsable de la publication : Jean-Ludovic SilicaniDirecteur de la rdaction : Philippe Distler

    Rdaction : Ingrid Appenzeller, Audrey Briand et Jean-Franois Hernandez (mission communication)Ont contribu ce numro : Frdric Audibert, Louis-PhilippeCarrier, Edouard Dolley, Christian Gunod, Guillaume Lacroix,Julien Mourlon et Daniel Nadal.Crdit photo : Sarah Jonathan (p. 30), Didier Cocatrix (p. 49),Union europenne (p.57), Dominique Simon (p. 64).

    Maquette : Emmanuel ChastelImpression : Corlet Imprimeur

    Suite de la page 1

    des contenus, quisont en effet dsormaisaccessibles ltatlibre , sans ncessit

    dinscription sur un support matriel, tel un livre ou un disque. Cephnomne de dmatrialisation est lultime tape dun mouve-ment multisculaire qui, de Gutenberg Gates, a peu peurendu plus tnu le lien entre linformation et ses marqueursphysiques, en facilitant la rplication de ces derniers avant depermettre leur total effacement.

    La numrisation bouleverse le modle conomique tradi-tionnel de la fourniture et de la commercialisation des biensculturels littrature, musique ou cinma qui reposait jusquicisur la vente lunit des marchandises supports : livres, CD ouDVD. Lorsquun contenu est numris, sa valeur ne disparatvidemment pas, mais elle nest plus attache une marchan-dise et doit donc tre recueillie autrement, par exemple traversune facturation forfaitaire de laccs aux bibliothques num-riques ou par la publicit. Certains biens, comme les logiciels oules jeux vido, nativement numriques, donnent lieu desschmas de distribution et de valorisation originaux, couplant legratuit et le payant, le tlchargement dune version de basetant par exemple gratuit mais les options ncessaire usagevolu, attractif et personnalis, tant payantes.

    Par ailleurs, la numrisation permet de prolonger certainsservices dans lunivers virtuel, comme dans le cas du tourisme oude limmobilier, o lexploration visuelle en ligne vient complter,voire remplacer, lexploration physique. Enfin, des biens mat-riels, comme aujourdhui lautomobile, et peut-tre demain le rfri-grateur ou la machine laver, sont et seront de plus en plusrichement quips de composants lectroniques leur permettant,non seulement de mieux fonctionner localement, mais encore derecevoir, de traiter et dmettre des informations ; ces machinessont ainsi transformes en terminaux communicants : linternetdes ordinateurs se gnralisera en un internet des objets.

    Abondance et gratuit lacteDans la transition menant de lconomie pr-numrique

    lconomie numrique, les cots et les utilits se dforment : lapart variable en fonction des quantits se contracte, tandis quela part fixe se dilate. Sagissant des cots, les rseaux lectro-niques de nouvelle gnration engendrent des frais trs impor-tants dinstallation des capacits, mais une fois consentis cesinvestissements initiaux, des volumes de trafic considrablespeuvent tre couls sans cot supplmentaire notable. Demme, les contenus vhiculs sur les rseaux lectroniques sontcertes onreux crer, mais une fois produit les moules origi-nels, leur rplication et leur distribution numriques sopre cot variable ngligeable. Et, sagissant des utilits, le besoindun consommateur ne rside plus tant dsormais dans lenombre de ses minutes de communication que dans la varitdes services, applications et contenus auxquels il peut accder

    via son abonnement un rseau : le bien achet nest plus unvolume dusage monoservice, comme au temps du bon vieuxtlphone , mais plutt une option dusage multiservice, telleque la proposent dj les offres triple play des oprateurs.

    Lenvironnement pr-numrique, o cots et utilits dpen-daient significativement des quantits, tait un monde de raret,dans lequel il tait pertinent de contenir le volume du trafic tl-phonique un niveau infrieur au seuil de saturation du rseau,par le biais dune tarification au volume. Le futur environnementnumrique, aprs rsorption des problmes transitoires decongestion accompagnant la monte en puissance des nouveauxrseaux, est au contraire un monde dabondance, dans lequel levolume de trafic est potentiellement illimit et la tarification perti-nente essentiellement forfaitaire, revtant ainsi logiquement lamme structure fixe que celle des cots et des utilits. Onentrera alors dans lre dune conomie de lattraction , ainsinomme par vocation des parcs de loisir o, une fois paye len-tre, les manges sont gratuitement accessibles.

    Remarquons ici que, de mme que la gratuit lacte nestpas synonyme dune gratuit absolue, de mme la facturationforfaitaire des internautes nest pas exclusive dune rmunrationdes crateurs proportionnelle leur audience. Les rseaux lec-troniques permettent en effet des comptages plus prcis que lesmesures statistiques pratiques pour les mdias traditionnels, sibien quune collecte de revenus via des forfaits daccs auxrseaux ne signifie en rien que les auteurs et les artistes ne puis-sent continuer, grce une redistribution approprie, de perce-voir une rmunration indexe sur leur succs auprs du public.

    Infomdiation et communautsLes biens numriques, tels les biens culturels et, par exten-

    sion, de nombreux biens et services incorporant une composanteinformationnelle croissante, sont des biens dexprience : leurutilit nest que trs imparfaitement connaissable avant leurconsommation et nest rvle qu travers leur usage mme.Dans un tel contexte, le consommateur potentiel doit monter encomptences afin deffectuer des achats aviss et, cet gard,le corpus des informations disponibles sur la toile, notamment viale web relationnel (web 2.0), lui fournit une aide prcieuse : lesconsommateurs pionniers, ayant fait en premier lexprience dunbien y postent en effet des avis et critiques propres clairerceux qui les suivront. Symtriquement, aprs lacte dachat,certains biens complexes, linstar des logiciels ou des jeuxvido, ncessitent un paramtrage et une personnalisation, lesadaptant des usages diffrencis. L encore, des clubs enligne aident chaque utilisateur mieux conformer le bien acquis ses besoins particuliers. Ce phnomne de bouche oreille lec-tronique, par lequel des changes dinformation entre consom-mateurs clairent ex ante les dcisions dachat et facilitent expost les pratiques dusage, est ici appel infomdiation .

    Dans une conomie o foisonnent biens dexprience et bienscomplexes, et o le rythme rapide de linnovation renouvelle enpermanence les caractristiques de ces biens, linfomdiation, tellequelle se dveloppe sur les communauts du web, devient un qui-pement essentiel du march, une sorte de mta-march o lesinteractions, pour tre non marchandes, nen sont pas moins indis-pensables au bon droulement des transactions un peu lamanire dont, dans certaines socits primitives, lchange gracieuxdobjets rituels entre tribus est lutile complment des relationscommerciales, quil prpare et rend possibles.

    La rvolution numriqueNouveaux usages, nouveaux modles,

    nouvelles rgulations ?

    Ralisation

    Dossier

    Les Cahiers de lARCEP sont imprims sur du papier couch compos de 60 % de fibres recycles et de 40 % de fibres vierges.

    Cette publication est galement accessible aux dficients visuelssur le site de lAutorit (www.arcep.fr) depuis la page daccueil.

    LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010 32 LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010

    Les ruptures Quelques fondamentaux de la rvolution numrique........................1-3

    Nouveaux usages, nouvelle conomie des mdias ......................4-5

    Lexplosion des dbits branle les modles conomiques des oprateurs ..................6-7

    Le consommateur au centre du jeu................8-9

    La rvolution des usages ....10

    Communauts en ligne et rseaux sociaux ..............11

    Internet et la formation du got ......12

    La rvolution des interfaces 13

    La dlinarisation des contenus ................14-15

    Lconomie quaternaire ............16-17

    Mobilit, golocalisation et ralit augmente ....18-19

    Pourquoi parler de nouveaux modles daffaires ?....................20-21

    Analyse conomiqueCriton sveillant lconomie numrique....................22-24

    Les impactsLe e-commerce ..................25

    Les quipementiers........26-27

    Le modle Apple ................28

    Histoire : Tltel et la fonction kiosque ........29

    La musique ..................30-31

    Le cinma et laudiovisuel ..............32-33

    La publicit ..................34-35

    La presse et ldition......36-37

    La politique de la ville ..........................38

    La citoyennet....................39

    Linvestissement dans les start-up ................40

    La sant ............................41

    Les jeux en ligne............42-43

    Le m-paiement ..................44

    Le spectre hertzien..............45

    La cration artistique ....46-47

    Les oprateurs ..............48-53

    Le secteur postal ................55

    Paquet Tlcom 56-58

    Vie de lARCEP 59

    Actualits 60-61 et 64

    Postal - Consommateurs 62-63

    DossierLa rvolution numrique : nouveaux usages, nouveaux modles, nouvelles rgulations ? 1 55

    Sommaire

    Suite page 54

    parNicolas Curien, membre de lAutorit

    Suite de la page 1

    Car lorsque l'conomie change en profondeur, lesmodes de rgulation doivent aussi voluer. C'est lerle mme dune autorit de rgulation que d'adapter

    en permanence ses outils de supervision du march aux transforma-tions mmes de ce march, tout du ct de l'offre que de la demandequi constituent les deux versants de tout march. Meilleure est notreconnaissance de notre environnement et de son volution, meilleuresseront nos dcisions. Par ailleurs, notre but est galement de donnerde l'information aux acteurs pour qu'ils travaillent en faisant desanticipations conomiques plus rationnelles.

    Sagissant de l'offre, les technologies voluent continment etprofondment. Lors de mes visites de terrain sur les sites deplusieurs oprateurs de tlcoms, jai pu constater que certainsquipements qui, il y a 20 ans, occupaient un immeuble et il y a 5 ans,une pice entire, occupent aujourdhui une armoire et noccuperontdemain quune valise.

    Par ailleurs, la convergence progressive des curs des rseauxfixe et mobile, via le protocole Internet (IP), va multiplier leur produc-tivit de faon considrable. La fibre optique permet aussi de trans-mettre linformation de faon presque infinie. Ces technologiesbouleversent le march sans commune mesure avec aucun autreexemple dans l'histoire. Les services offerts aux utilisateurs, eux-aussi, voluent extrmement rapidement avec des offres de plus enplus larges, de plus en plus diversifies et de plus en plus concur-rentielles.

    Sagissant de la demande, on peut distinguer les besoins indivi-duels et les besoins collectifs.

    Les besoins individuels voluent eux-aussi beaucoup. Tous lesconsommateurs nont pas, et auront de moins en moins dapptencepour les mmes offres de services. Il semble ainsi que les jeunessoient plus adeptes du mobile que du fixe. En vrit, toute une sried'lments lis la sociologie, la dmographie ou la vie urbainedterminent lvolution des besoins.

    Sagissant des besoins collectifs, l'conomie du trs haut dbitfixe ou mobile va transformer profondment nos socits, que ce soitdans les domaines de l'ducation, de la sant, des transports, ouencore de ladministration.

    Dans ces circonstances, on ne peut se limiter faire des prvi-sions et prolonger des tendances, en se demandant si elles serontplus ou moins rapides, si elles vont un peu s'inflchir. Il faut pluttimaginer des scnarios de trs forte inflexion, voire de rupture, etdonc concevoir ce que l'on ne connat pas : cest--dire faire de laprospective.

    Je citerai volontiers une phrase de Paul Champsaur dans l'dito-rial de la Lettre de l'ARCEP de la fin 2008, Prvision et pros-pective, des postures contrastes face l'avenir : d'un ct, laprvision, projection du prvisionniste enracine dans l'examen dupass. De l'autre le projet visionnaire du prospectiviste rsolumenttourn vers le futur .

    Cest dans cet esprit que nous avons mis en place au sein delARCEP, en novembre 2009, un comit de prospective, qui sest djruni deux fois depuis le dbut de lanne 2010, et que nous avonsorganis un grand colloque international, le 13 avril dernier, et misen consultation publique, le 20 mai, des orientations sur le thme dela neutralit des rseaux et de linternet, cest--dire, en dfinitive,sur lavenir de linternet.

    Ce nouveau numro des cahiers de lARCEP permettra dalimenterla rflexion de tous, en prsentant les caractristiques de la rvolutionnumrique qui sengage et les ruptures qui vont laccompagner.

    Jean-Ludovic Silicani, prsident de l'Autorit

    Edito

    http://www.www.arcep.frmailto:[email protected]://www.www.arcep.frhttp://www.e-accessibility.info/

  • Dossier

    LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010 54 LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010

    En une gnration, trente ans, le paysage, lenvironnement commu-nicationnel des citoyens et consommateurs sest mtamorphos.Jamais lhistoire humaine na connu une si rapide et profonde muta-tion. Le simple tlphone est pass de la pnurie fixe lexubrancemobile ; la correspondance crite, de la lettre au courriel et au SMS, latlvision et la radio, de quelqueschanes et stations des dizaineset centaines. En dix ans, lesservices en ligne ont bouleversla vie de chacun. Enfants, adoles-cents, juniors et de plus en plusseniors sinforment, sinstruisent,agissent, travaillent, jouent ensurfant sur la toile, le Web. Si laconcurrence a transform lesmonopoles des oprateurs histo-riques de tlcommunications enoligopoles trs restreints, unenbuleuse dacteurs fournisseursde contenus, dapplications, plateformes de recherche, de mdiation,organisateurs de relations sociales, intermdiaires de paiement lectro-nique est apparue. Ce monde en cration un peu chaotique est loin davoirtrouv une stabilit conomique.

    Des usages multi-services, multi-rseaux, multi-fonctions

    Les usages ont beaucoup chang. Le chiffre daffaires des mobiles adj largement dpass celui du fixe. Les e-mail, les SMS ont supplantla boite aux lettres. Si, en moyenne, le temps pass devant les crans detlvision reste majoritaire, il est concurrenc par les crans dordina-teurs, de tlphones portables. Dans le budget temps des individus, lescommunications interpersonnelles sont minoritaires malgr leur crois-sance, la communication rceptive diffuse reste dominante, mais ladynamique de croissance se fait sur les services interactifs.

    Conversationnels, rceptifs, interactifs, tous les services sont acces-sibles par de multiples rseaux : fixe en cuivre boost par lADSL, cblspour la tlvision, de deuxime et troisime gnration pour les mobiles,de diffusion hertzienne terrestre ou par satellite pour laudiovisuel. Avec

    les dbits levs, les rseaux sont devenus multiservices. Pour un mmeservice, le consommateur a le choix entre plusieurs rseaux. Tlphonersur rseau fixe, cbl, ou mobile, regarder la tlvision sur lADSL, sur lecble, par satellite ou avec une antenne rteau. Simultanment, ildispose dune panoplie de terminaux multiservices : tlphones porta-bles, micro-ordinateurs, consoles diverses, y compris tlviseurs. Lenouvel environnement communicationnel de chaque individu se caract-rise par une joignabilit permanente ; en sdentaris comme en noma-dicit, en direct et en diffr, en mode multilangage (vocal-crit-visuel),avec des services personnaliss adapts au profil.

    Plusieurs tendances fortes vont marquer lvolution lhorizon 2025.La croissance restera toujours porte par les services en ligne. Elle seraacclre par la gnralisation de limage de qualit toujours meilleure HDet 3D, et la banalisation de terminaux portables Smartphones, Netbookspour surfer sur le Web travers les rseaux pour les mobiles. Lesservices de donnes et dimages sur les mobiles nen sont qu leur toutdbut. La golocalisation va engendrer de nouveaux services tlma-tiques associant profil individuel et environnement local. Par ailleurs, luti-lisateur deviendra producteur, metteur dinformations combinant imagescrits et sons ; les flux de communications vont se resymtriser. Pourcela, les couvertures de lensemble des territoires par la 3 G puis la 4 Gsont dterminantes. Une vague de nouvelles techniques est prte. Il fautrefaire ou moderniser tous les rseaux : fibres optiques laccs du fixe,nouvelles gnrations pour les mobiles, diffusion numrique de la tlvi-sion et la radio, et repenser les curs de rseaux pour assurer la qualitpour des services aux exigences trs diffrentes en dbit et temps rel.

    Avec la numrisation progresse ladmatrialisation dans tous lessecteurs dactivits ; les processusindustriels sont tlcommands, tl-surveills, les services deviennent deslogiciels tl-activs comme dans lecommerce lectronique, les rserva-tions, les actes administratifs. Photos,musiques, films et maintenant livresstocks sur des mmoires num-riques sont tlchargeables et dupli-cables, instantanment. Commentfinancer les crateurs et fournisseursde services, la numrisation des patri-

    moines culturels et les rseaux pour les distribuer ? Llasticit la haussedes budgets de communication lectronique des mnages a des limites.Les modles conomiques de type un service, un rseau ont vcu.

    Une nouvelle rpartition de la valeur entre les acteurs Jusqu larrive en ce dbut de vingt et unime sicle, des rseaux

    haut dbit capables de transmettre des services multiples et lexplosiondes services en ligne qui combinent stockage et traitement des contenuset des applications informatiques sur des plateformes, les quations definancement des services et rseaux taient simples. Lutilisateur payait loprateur, quil soit fixe ou mobile, le prix des communications tlpho-niques et ses services annexes. Ces recettes finanaient les investisse-ments dans les rseaux. La publicit finanait les tlvisions dites gratuiteset les stations radios, avec aussi la redevance pour le service public. Pourla tlvision payante, cest labonnement souscrit par le tlspectateur.Ainsi, chaque diteur de programme avait charge les frais dinvestisse-ment dans les metteurs. Lutilisateur, le consommateur bnficiait de tarifsidentiques quelque soit sa localisation sur le territoire, en agglomration, enville moyenne, en zone rurale. Les tarifs taient prqus.

    Numrique : nouveauxusages, nouvelle conomiedes mdias*

    Par Michel Feneyrol, consultant, ancien membre de l'ARCEP

    La rvolution numriqueNouveaux usages, nouveaux modles, nouvelles rgulations ?

    * Les mdias au sens de Mac Luhan, c'est--dire ds quun message circule entre un metteur et un rcepteur sans contact physique.

    Avec les rseaux haut et trs haut dbits, plusieurs faits remet-tent en cause ces modles. Les rseaux transportent plusieurs services.Les acteurs intermdiaires moteurs de recherche, rseaux sociaux,comparateurs de cots, sites denchres, sites hbergeurs de photos, demusique, de mails, clubs thmatiques, etc entre le consommateur et leproducteur du service ont augment et se sont diversifis. Enfin, les diff-rents maillons de la chaine de valeur sont placs sous des rgimes deconcurrence htrognes (ex ante, ex post, concentration, intgrationverticale, exclusivit). Actuellement, lessentiel des revenus des acteursqui concourent fournir les services au consommateur final vient desfactures aux utilisateurs,essentiellement du trans-port, et de la publicit.

    En un quart de sicle,le chiffre daffaires desoprateurs de tlcom-munications a t multi-pli par prs de trois etreprsente plus de 2,5%du PIB. Dans le budgetdes mnages, il fautajouter la redevanceaudiovisuelle, les ven-tuels abonnements latlvision payante etsurtout les multiples terminaux du PC liPod. Les contenus payants tl-chargs demeurent encore marginaux. Au total, les dpenses lies auxcommunications lectroniques avoisinent 7 % de la consommation et serapprochent de celles consacre lhabillement. Cest dans ce contexteque devront stablir les nouveaux modles conomiques.

    Une bataille en cours : laccs direct au consommateur final

    Concernant la publicit, les ressources obtenues par les nouveaux inter-mdiaires de la nbuleuse autour du Web se sont faites plus par substitutionau dtriment des mdias traditionnels (presse, tlvision et radios) que paraugmentation des budgets des entreprises. La toile tant devenue un lieu dechalandise en pleine expansion, elle va continuer attirer naturellement lesbudgets publicitaires dautant plus quelle permet de cibler les clients poten-tiels sur leurs profils, leur comportement et, avec les mobiles, leur environ-nement local. Nanmoins, la question cruciale reste la rmunration en lignedes contenus et applications. A budget total du consommateur peu las-tique, elle va entrainer une pression la baisse des prix du transport desinformations et des batailles pour facturer directement les consommateurs.

    Avec les services en ligne, le transport devient accessoire loffre dap-plications et de contenus, comme il lest souvent pour les livraisons debiens de consommation. Un certain nombre doffres rcentes montre biencette tendance. Apple verrouille terminal iPhone et boutique dapplications(Appstore) ; ce qui nest quune reconduction du modle de la tlvisionpayante avec ses dcodeurs propritaires. Moteurs de recherche, rseauxsociaux financs par la publicit adjoignent leur prestation de base desapplications, des contenus payants spcifiques. Partant du terminal, desquipementiers comme Nokia ont dvelopp des partenariats pour asso-cier des offres de musique en ligne.

    Pour se prmunir contre les pertes de revenus sur le transport, voire derelation directe avec le consommateur final, les oprateurs sefforcent,outre la technique des forfaits multiservices, dattirer et retenir leurs clientspar des contenus, des terminaux exclusifs. Il faut aussi noter des rappro-chements avec les organismes bancaires pour les systmes de paiement

    comme la fait NTT au Japon et comme China Mobile vient de lannoncer.Ainsi, trouver un modle conomique qui rsiste moyen terme est biendiffrent suivant la position sur la chaine de valeur qui va des applicationset contenus jusquau consommateur travers les services en ligne.

    Les oprateurs incits augmenter leurs tarifs avec les dbits pourfinancer les nouveaux rseaux subissent les pressions des fournisseurs decontenus et des consommateurs pour les baisser. Les diteurs de presse,de programmes audiovisuels, dstabiliss par la migration de la publicitet de certains de leurs clients sur le Web, tentent de compenser par desoffres en ligne (News internet, tlvision de rattrapage). Les difficults pour

    financer cette offre complmentaire par la publi-cit les conduit des modes payants. Lesnouveaux mdiateurs de la nbuleuse tlma-tique cherchent aussi trouver un mix gratuitpayant qui les rende en partie indpendants desalas de la publicit. Quant aux diteurs et distri-buteurs de contenus crits ou gravs sur des

    supports physiques,avec limmatrialit, lamajorit des cots estdans la cration et laconception ; ceux deproduction et de distri-bution deviennent margi-naux. Quels espacesconomiques trouver

    entre crateurs et consommateurs ? A lvidence, les modles adapts auxchangements de base conomique provoqus par la numrisation, lesservices en ligne et les hauts dbits sont loin dtre stabiliss.

    Des choix de rgulation conomique dterminantsCependant, quelques caractristiques fondamentales demeurent dans

    lconomie des rseaux de communications lectroniques que les servicessoient conversationnels, en ligne ou de diffusion. Cest une conomie deservice trs capitalistique ; les gains dchelle sont normes, ce qui pna-lise les zones de faible densit et les petits trafics ; les maillons de ceschanes de valeur sont trs interdpendants ; lessentiel des cots sontdans les rseaux daccs alors que la valeur pour le consommateur et lecitoyen est lie lloignement des correspondants, la puissance desapplications et la richesse des contenus.

    Le dveloppement des multiples services et de leurs usages quap-porte le passage aux hauts dbits dpend dun tissu dacteurs viables moyen terme sur lensemble de la filire. Les choix de rgulation cono-mique auront des incidences dterminantes sur les dploiements sansfracture des nouveaux rseaux, sur la qualit et les cots de transport desmultiples services, sur la convergence fixe-mobile-audiovisuel et ses rela-tions avec les crateurs, distributeurs et nouveaux mdiateurs tablis etmergeants dans la nbuleuse des plateformes de services en ligne.

    Il faut sattendre de fortes concentrations des oprateurs de tl-communications, en Europe en particulier. Mais in fine, cest dans la nbu-leuse internet que les comportements des citoyens et consommateursvalideront ou exclueront les montages conomiques. Dans leurs usages,dont certains sont essentiels leur vie prive et collective, citoyens etconsommateurs ont, certes, besoin des prix transparents et les plus basmais leurs critres ne sont pas uniquement conomiques. Utilit desservices, relle simplicit dusage, qualit, scurit et aussi matrise de sesliberts et de son intimit, vont pondrer la pure approche conomique.

    Concernant la publicit, les ressourcesobtenues par les nouveaux intermdiaires se sont faites plus par substitution audtriment des mdias traditionnels que paraugmentation des budgets des entreprises.

    In fine, cest dans la nbuleuse internet que lescomportements des citoyens et desconsommateurs valideront ou exclueront lesmontages conomiques.

  • Dossier

    LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010 76 LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010

    Dans un contexte o leurs marchs dorigine, devenus trscomptitifs, arrivent maturit, les oprateurs cherchent desrelais de croissance. Linternet trs haut dbit, fixe et mobile, etles services quil permet, offre des opportunits mais des investisse-ments massifs sont ncessaires pour fournir les bandes passantesadquates. Le paysage concurrentiel volue ; hier matres dunechane dont ils captaient lessentiel de la valeur, les oprateurs ne sontplus dsormais quun maillon dune vaste toile o dautres acteurs,plus agiles et plus cratifs, entendent bien capter ces nouveauxrevenus.

    Le march de la voix arrive maturitDans le monde, en 2009, le march a recul de 3,4%, alors quil

    avait encore cr de 5,6% en 2008 pour atteindre 1.9 trillion (1) dedollars (Source Gartner).

    Cela est d des facteurs conjoncturels, en particulier limpact dela crise conomique sur les usages, mais aussi structurels, tels que lamaturit des marchs, la rgulation (baisse des tarifs de terminaisondappels), et la concurrence.

    Sur le fixe, le dveloppement du triple play a permis aux oprateursde ralentir considrablement la baisse de leur chiffre daffaires, voiremme, dans certains cas, de le faire croitre (en particulier au Portugal,en Sude et en Autriche).

    Sur le mobile, avec un taux de pntration moyen qui a atteint126% fin 2009 en Europe, lARPU (2) continue de baisser. Pour lapremire fois, en 2009, le chiffre daffaires des oprateurs a baiss,relativement la mme priode de lanne prcdente. La baisse sestaccentue au cours de lanne (3) : -1,0% au 1er trimestre, -2,0% au 2etrimestre, -3,2% au 3e trimestre, avec toutefois une lgre amliora-tion au 4e trimestre (-3,0%).

    Ce ralentissement est galement imputable une modification descomportements des utilisateurs, qui exprimentent de nouvellesformes de communication, notamment au travers de rseaux sociaux.Bien que ces nouveaux modes de communication aient permis de

    dvelopper lusage des donnes mobiles, celui-ci ne compense quenpartie la contraction des revenus de la voix.

    La data pse de plus en plus dans le chiffre daffaires des oprateurs

    La part des donnes dans lARPU varie selon les oprateurs et lesdiffrentes rgions du monde.

    Dans le fixe, les services en ligne accs internet et multimdia- reprsentent aujourdhui un peu plus de la moiti de lARPU fixe rsi-dentiel fin 2009, comme chez Orange France (34,2 pour la tl-phonie fixe et 36,2 pour internet). Au Royaume-Uni, internetreprsente 31% du chiffre daffaires tlphone/internet fixe.

    Dans le mobile, fin 2009, les donnes reprsentaient dj 43% delARPU en Asie, 29% aux USA, et 26% en Europe (en moyenne 6 parmois). Ce montant devrait augmenter dans les prochaines annes,pour atteindre probablement 10 par mois, ce qui parat un cotacceptable pour les services offerts.

    Des perspectives de croissance forte pour les services Lacclration de la demande de dbits concerne aussi bien le fixe

    que le mobile.Sur le fixe, la TV payante, la vido la demande, la TV over the top

    (accs via la TV aux contenus sur internet) et les services de TV derattrapage sont les moteurs du march de linternet dans les paysdvelopps. En France, Mdiamtrie rapporte que 10,4 millions depersonnes ont regard la TV de rattrapage et 1,3 million de personnesont utilis des services de VOD. Ces nouveaux usages, combins aunombre croissant dutilisateurs, conduisent une explosion du traficqui ncessite le dploiement de nouvelles capacits de rseau (fibreoptique sur la boucle locale).

    On observe le mme phnomne dexplosion des besoins sur lemobile. Les modems pour PC portables se dveloppent massivementet liPhone a montr le potentiel des smartphones quand lutilisateurdisposait dune interface conviviale et dune gamme de services faci-lement accessibles.

    Le taux de pntration des abonnements spcifiques la donnemobile (cl 3G/cartes/modems pour PC portables) tait de 4,2% enjuillet 2009 en moyenne dans lUE, en augmentation de 54% depuisjanvier. Ce march croit des vitesses diffrentes suivant les pays. EnAutriche, le taux de pntration avoisine les 14% de la population,mais dans la plupart des grands pays, la pntration est encore inf-rieure 5% (1,9% en France par exemple).

    Les smartphones reprsentaient dj plus de 17% du parc mobile fin 2009 en Europe et ils devraient, selon Gartner, reprsenter 45% desventes de tlphones mobiles en 2013. LiPhone a banalis lusage dap-plications en mobilit ; Apple a enregistr plus de 3 milliards

    Par Ccile Roux,ingnieur conseil senior, Crdit Agricole

    La rvolution numriqueNouveaux usages, nouveaux modles, nouvelles rgulations ?

    de tlchargements dapplications sur son App Store fin 2009.De nombreuses plateformes sont aujourdhui en comptition pourdevenir le portail des services mobiles.

    A terme, la possibilit de connecter tout tout, nimporte o et nim-porte quand permettra de dvelopper des services qui devraient modi-fier profondment nos modes de vie, notamment dans la sant(possibilit pour les patients dtre surveills distance en utilisant leurtlphone mobile et leur tlvision), les transports (vhicules connectsen permanence pour des diagnostics, mises niveau et infotainment entemps rel) ou la maison (capteurs permettant de faire diffrents relevsde consommation).

    Selon les scnarios envisags, les trafics devraient tre multiplis parun facteur 10 40 sur les cinq prochaines annes. Les terminaux, deplus en plus sophistiqus et user friendly , offrent des services de plusen plus gourmands en bande passante. A titre dexemple, celle nces-saire pour le streaming dune vido est de lordre de 2 Mbits/s sur uniPhone, et de 8 Mbits/s sur un iPad

    Des choix dinvestissements dcisifs dans le trs haut dbitFournir les dbits demands contraint les oprateurs investir massi-

    vement. AT&T a t lui-mme victime du succs de liPhone dont il estloprateur exclusif aux Etats Unis. Il a rcemment mis fin ses forfaitsmobiles permettant de naviguer sur internet de faon illimite. Pourmieux en mesurer lenjeu, rappelons quelques ordres de grandeur din-vestissements.

    Sur le fixe, les investissements varient suivant la technologie retenue(de lordre de 1 586 $ par foyer pour la fibre optique de Verizon aux Etats-Unis, de 300 par foyer pour la technologie hybride VDSL, de 30 parfoyer pour passer de Docsis 2.0 Docsis 3.0 sur les rseaux cblseuropens, etc.), la densit et le type dhabitat de la rgion considre.Orange a annonc en fvrier 2010 quil relanait ses investissementsdans la fibre optique ; il devrait dpenser 2 milliards deuros dici 2015.

    Sur le mobile, linvestissement moyen pour la prochaine gnrationtrs haut dbit LTE (technologie retenue pour la 4G mobile) est de lordrede 55 par habitant ; pour un pays comme la France, le montant totalpour loprateur, dployer sur plusieurs annes, serait ainsi de lordrede 3,5 milliards deuros.

    Les oprateurs doivent donc plus que jamais faire les bons choix etrester suffisamment flexibles afin de rpondre aux besoins daujourdhuiet ceux de demain.

    Moyennant une gestion minutieuse de la qualit de services et desdbits offerts aux clients, Vodafone a annonc quil pourrait multiplier par20 la capacit de ses rseaux europens en maintenant un ratio inves-tissements/chiffre daffaires de 10%. France Tlcom prvoit un taux de12% pour 2010, incluant le programme de dploiement de fibre optiqueen France. Notons que ces taux sont sensiblement infrieurs ceux quitaient observs dans les annes 1990.

    Construire sa place sur la toile de valeur La chane de valeur traditionnelle dun oprateur tlcom se caractri-

    sait par un environnement totalement contrl : fourniture des quipe-ments et terminaux, dfinition des applicatifs (essentiellement autour de lavoix et du transfert de donnes) et vente de packages aux clients ou auxrevendeurs. Le Minitel sur le fixe en France et liMode sur le mobile auJapon ont t les cosystmes propritaires, entirement contrls parles oprateurs, emblmatiques de lre de la commutation de circuits.

    Dans lunivers IP, les oprateurs de tlcommunications perdent lecontrle. Quelle va tre leur place dans ce nouvel cosystme, o lven-tail des services explose, et quelle part des nouveaux revenus va-t-il leur

    revenir alors que jusquici, mme dans les marchs les plus matures,plus de 50% de lEbitda TMT tait attribuable laccs (4) ?

    La nouvelle toile de valeur, selon le schma propos par Gartner,beaucoup plus complexe que lancienne chane linaire, maille plusieurslments : Infrastructures de rseaux : elle reste indispensable pour fournir

    laccs en haut dbit fixe et/ou mobile, ainsi que le transport des infor-mations. Mais loprateur doit en maintenir lexcellence afin dviter lesengorgements.

    Plateformes de services : devancs par Apple, les plus gros opra-teurs se regroupent pour dvelopper leurs propres plateformes deservices afin d'atteindre rapidement la taille critique et apprhenderune part significative du chiffre d'affaires li aux services qui leurchappe avec liPhone (5).

    Contenus : mme si certains ont t tents par la cration pourdisposer dexclusivits leur permettant de diffrencier leurs offrescommerciales, la plupart des oprateurs se concentrent sur la diffu-sion des contenus.

    Service provisioning : loprateur peut, selon les profils et lesbesoins de ses clients, faire des offres de services diffrencies, entermes de qualit notamment, avec des barmes de tarificationadapts. Cest un lment cl de diffrenciation pour les oprateursvis--vis en particulier de leurs clients entreprises.

    Paiements : la facult de grer les paiements des clients est un actifcl des oprateurs. Les oprateurs peuvent facturer des clients finaux,ou des tiers. Ils pourraient galement jouer le rle de clearing house .

    Terminaux daccs : ils voluent pour supporter plusieurs canauxdaccs (haut dbit mobile, rseaux sans fil, accs la tlvision, etc.).Ils deviennent un lment cl de la toile de valeur dans le processusde rtention du client, avec ici encore pour loprateur, le choix dencontrler la diffusion ou de laisser des tiers sen charger.

    Neutralit des rseauxDans ce nouvel environnement, loprateur devra se construire un

    nouveau modle, faire des choix pour se positionner sur les services oil pourra au mieux exploiter ses atouts, notamment sa proximit avec sesclients, et viter de se voir rduit un simple fournisseur de capacits.

    Comment va se rpartir la valeur entre les diffrents acteurs de latoile ? Comme souvent dans les tlcommunications, une grande partiede la rponse est dans la rglementation, et dans les dcisions quiseront finalement prises sur la neutralit des rseaux.

    Aux Etats-Unis, le rgulateur (FCC), sensible aux arguments desgrands acteurs nationaux de linternet, a fait un ensemble de propositionsqui visent privilgier une totale neutralit des rseaux daccs, avecquelques exceptions. En Europe, le rgulateur a dcid lui, dautoriser lesoprateurs proposer diffrentes qualits de services diffrents prix,moyennant une information satisfaisante des consommateurs. La trans-position du cadre europen la loi franaise, qui sera propose auParlement lissue de la consultation publique lance par lARCEP dbutavril, devra tre quitable et crer un cercle vertueux pour encouragerlinnovation et linvestissement tous les niveaux de la chane.

    (1) un Trillion au sens US reprsente un million de millions.(2) Average Revenue Per User/ Revenu Moyen Par Abonn(3) Source : Bank of America / Merrill Lynch, Avril 2010(4) Source : Arthur D. Little, Exane, donnes Europe 2006.(5) En particulier l'initiative Wholesale Applications Community qui regroupe les 24 oprateurs sui-

    vants : Americain Mobile, AT&T, Bharti Airtel, China Mobile, China Unicom, Deutsche Telekom,KT, Mobilkom Austria Group, MTN Group, NTT DoCoMo, Orange, Orascom Telecom, SoftbankMobile, Telecom Italia, Telefonica, Telenor Group, TeliaSonera, SingTel, SK Telecom, Sprint, Ve-rizon Wireless, Vimpelcom, Vodafone, and Wind.

    Lexplosion des dbitsbranle les modles conomiques traditionnelsdes oprateurs

    Base installe de tlphones mobiles et pourcentage des smartphones

    dans les ventes annuelles

  • Depuis lin-v e n t i o ndu libre-service alimentaire ou bancaire, lesclients sont impliqus dans lesprocessus de production desmarques. Avec le dveloppementdu canal internet, canal de libre-service par dfinition, force est deconstater que ce phnomne deco-production du service entre lesclients et les marques na cess dese dvelopper.

    Les marques ont investi le canalinternet avec plusieurs objectifs :dvelopper leur chiffre daffaires,renforcer la relation avec leursclients, optimiser les cots de larelation clients et dvelopper leurnotorit en ligne. Pour cela, ellesont dvelopp des techniques quivisent impliquer leurs clientsdans leurs propres processus deproduction, dinnovation et decommunication. Partie prenantede ces processus, le client se mutealors en oprateur, ingnieurmarketing, producteur de contenuou publicitaire pour lentreprise.

    Exprience client enrichie

    Les processus de vente mis enuvre par les marques sur internetsont de plus en plus complexes :choix dune offre, dun tarif, duneoption ou dune promotion. Lesmarques transforment les clientsen experts de lachat en ligne :design de sa propre chaussure

    (Nike ID), conception sur logicielde sa cuisine (Ikea) ou mise envente de ses propres biens sur dessites denchres en ligne (Ebay).Ces techniques enrichissent lexp-rience client loccasion dunachat en ligne et maintiennent ladiffrenciation de la marque pourfidliser les clients et en conqurirde nouveaux.

    Via les services dassistance enligne ou selfcare, les marquesimpliquent les clients dans laproduction de tches qui taienthistoriquement rserves aux sala-ris de lentreprise dans le cadre deprestations de service : enregistre-ment par les clients de leurs billetssur internet et mme choix de leurplace en cabine (Air France),renouvellement de mobile surinternet (SFR). Les clients accep-tent ainsi de devenir des opra-teurs de lentreprise conditionque leur contribution ou le travailquils consentent leur apporte aminima un bnfice de temps oudargent conomis.

    Marketing participatifConscientes quelles gagnent

    en frquence de contacts avec lesclients sur les selfcare ce quellesperdent en intensit relationnelle,les marques utilisent aussi lin-ternet pour gnrer des co-productions qui dveloppentlattachement des clients.

    Via le marketing participatif,les marques font intervenir lesclients dans toutes les phases dedveloppement des produits :dveloppement de leurs gammesde produits et services(LabOrange), dveloppementdun nouveau design (Colissimode La Poste) ou identification denouvelles saveurs (Tropicana).Dans ces phases de dveloppe-

    ment, ce sont gnralement lesclients les plus fidles qui sontsollicits par les marques pourjouer ce rle dingnierie.Lobjectif est alors de tirer profit deleur intelligence collective et de lesvaloriser pour dvelopper leurattachement allant jusqu enfaire des avocats de la marque.

    Linternet remet enfin en causeles modles traditionnels de rela-tion entre les clients et lesmarques en leur donnant locca-

    sion dchanger entre eux sur leurperception des marques et deleurs produits. L o un clientdisposait dun cercle dinfluencerestreint (famille, amis, collguesde travail), il dispose aujourdhuide la capacit dinteragir avecdautres clients sur internet et degnrer du buzz positif oungatif sur une marque au gr deses prises de parole sur les forumsde consommateurs ou les blogs.

    Rle actif du client dans la communication

    Les marques sappuient sur cephnomne pour transformerleurs clients en producteurs decontenu pour elles-mmes. Quece soit sur des espaces de conver-sation dvelopps par les marquesou dans la sphre internet endehors du contrle des marques,les internautes produisent ducontenu sur les marques et celles-ci ne se privent pas de leur laissercette tribune : plate-forme den-traide o le contenu est produitpar les clients sur le selfcare(Bouygues Telecom), recomman-

    dation sur les bons plans loisirs parles voyageurs ariens (Bluenity) ;sur Facebook, certaines marquestelles que Coca-Cola ou Adidascomptent plusieurs millions defans qui sexpriment pour soutenirla marque. Au global, les marquesse servent de ces prises de parolepour matriser leur stratgie din-fluence sur la toile.

    Les internautes vont mmejusqu la cration de publicitspour les marques. Ces crations

    permettent aux marques dtrerfrences sur les sites de vidosen ligne avec des spots publici-taires de qualit sans cot deproduction pour la marque.Certaines entreprises rmunrentleurs clients pour la production deces spots publicitaires et les diffu-sent la tlvision loccasiondvnements sportifs majeurs(Doritos Crash the Superbowl).

    Nous vivons les prmices delimplication des clients dans lesprocessus dinnovation, de produc-tion et de communication desentreprises sur internet. Lesmarques les plus performantesseront celles qui sauront piloter larentabilit conomique, lattache-ment la marque et la matrise deleur rputation online via de telsdispositifs. Pour cela, elles pour-ront continuer sappuyer sur lin-ternet mais aussi sur leurs canauxdinteraction traditionnels avec lesclients canaux physiques et tl-phoniques en crant les syner-gies les plus fortes entre le onlineet le offline.

    www.vertone.com

    Les rapports entre offre etdemande sont, depuis plus dedeux sicles, au cur de lvo-lution des systmes dinformation etde communication. Les dynamiqueset les quilibres stablissant entreces deux ples se sont entrelacs enfonction de multiples paramtresrythmant bien des gards lhistoiredu secteur. La dynamique des grandssystmes techniques, comprise dansle cadre dune construction socialedes techniques apparait commelun des facteurs majeurs dvolutionde ces rapports entre offre etdemande. La toute premire phasede dveloppement des tlcommu-nications s'est appuye uniquementsur des techniques mcaniques (tl-graphe Chappe). A partir des annes1830, l'utilisation de l'lectricitdmultiplie les possibilits dusystme d'information (tlgraphielectrique puis tlphone (1876).Llectronique bouleverse ensuite ladonne. Tout dabord avec la gnra-tion des tubes vide (premiremoiti du XXe sicle) puis avec lessemi-conducteurs (depuis les annes1950).

    Rle des consommateurs Les transitions dun systme

    technique un autre se sont effec-tues de manire lente et progressiveen raison de lvolution des savoirsscientifiques et en lien troit avec lademande sociale, exprime oulatente, qui a stimul linnovation,selon une intensit variable. Cesinteractions entre offre technique etdemande sociale ont donc faitvoluer les dispositifs en place maisont galement provoqu des chan-gements radicaux portant lmer-gence dun nouveau systme

    technique permettant daller bien audel de la simple rsolution desproblmes initialement poss. Ainsi,au tournant des XIXe et XXe sicles,les recherches aboutissant la miseau point des premiers composantslectroniques avaient-elles t susci-tes par la difficult construire desmetteurs ou des rcepteurs de tl-graphie sans fil fond sur les seulestechnologies lectriques. Il en rsultalinvention de la triode par Lee deForest (1906) dont lapport dpassalobjectif premier en suscitant lappa-rition de domaines radicalementnouveaux comme les medias lectro-niques (radio, tlvision), la tld-tection et plus tard linfor matique.Un peu plus tard, le rle jou par lesradio-amateurs dans lmergence dela radiodiffusion montre que symtri-quement le rle de consommateurspionniers savre essentiel lors desphases de renouvellement despratiques et de mise jour dupotentiel encore cach des nouvellestechnologies.

    Ce phnomne dappropriationinnovante de la technologie par lasocit, sil nest pas spcifique auxtechnologies de linformation et de lacommunication, nen est pas moinsparticulirement important pour leurdveloppement spcifique et sinscritde manire trs ancienne dans leurhistoire, bien avant le user turn dudernier quart du XXe sicle.

    Rle du politiqueDans cette conjonction dl-

    ments o le rle des citoyens, desconsommateurs et des entreprisessest avr essentiel, le rle de lapuissance publique ne doit pas trenglig. Linformation nest pas un produit comme un autre et ce

    secteur a longtemps t considrcomme relevant directement dupouvoir rgalien des Etats. EnEurope, le monopole public a ainsimarqu lhistoire des tlcommuni-cations, des origines aux annes1980. Confi des administrations,il fut instaur ds ltablissement despremires lignes (Allemagne), oubien instaur aprs une premirephase de concession des entre-prises prives comme en France parexemple de 1879 1889. Aux Etats-Unis, si lon excepte une priodetout fait exceptionnelle comme lepremier conflit mondial, les tlcom-munications ont toujours tconfies des entreprises prives.Hors une brve interruption entre1894 et les annes 1910, cetteexploitation sinscrivit dans le cadredun monopole priv exerc parAT&T.

    Cette situation, peu conformeaux principes libraux suppossrgir lconomie amricaine, futapprouve plusieurs reprises parlEtat dans le cadre dun compromisentre lentreprise et la puissancepublique. La drglementation etlouverture la concurrence sontdevenues partir des annes 1980-1990 le nouveau cadre dactivitpour les acteurs des tlcommunica-tions, le modle de lentreprise priveen situation de concurrence deve-nant universel. Il a t impos par lesgouvernements travers des proc-dures dites de drglementation qui furent en fait la mise en uvre denouvelles rglementations, destines assurer le dveloppement et lemaintien dun march concurrentiel.

    Le rle du politique ne sestcependant pas limit la fixationdun cadre rglementaire. Par ses

    dcisions, lEtat ajou maintes

    reprises un rle crucial en crant unedemande spcifique, largementfinance et stimulant linnovation.Les grands programmes stratgiquesamricains des annes 1960 (projetArpanet ou programme Apollo) ontainsi grandement favoris lmer-gence de nouveaux dispositifs exploi-tant pleinement les possibilits dessemi-conducteurs.

    Les dynamiques reliant offre etdemande marquent donc de manireprgnante lhistoire des tlcommu-nications. Leurs variations en intensitrvlent des phases courtes de fortedstabilisation correspondant lmergence dun nouveau systmetechnique, et des priodes pluslongues permettant la stabilisationdes dispositifs et des relations entreles acteurs. Cette respiration sesttrouve acclre depuis les annes1970-80 par la numrisation et laplace prise par linnovation logicielledans les nouveaux dispositifs.Dautres logiques en dcoulent. Ellesrestent nanmoins inscrites dans unsystme fond sur le numrique et lesilicium. Lorsque celui-ci rencontreratrop de limites, il sera alors temps depasser un nouveau systme tech-nique o bio et nano joueront sansdoute un rle clef pour surmonter leslimites apparues et rvler despratiques encore insouponnes.

    Lavnement du client expert Offre et demande dans les tlcoms : une perspective de longue dure

    Le consommateur au centre du jeuAvec internet, la capacit du consommateur obtenir et transmettre de linformation a considrablement progress. Non seulement, il amplifie le bouche--oreille, mais il participe aux processus de production. Ce phnomne d'appropriation innovante de la technologie par la socit s'inscrit de manire trs ancienne dans leur histoire.

    Dossier La rvolution numriqueNouveaux usages, nouveaux modles, nouvelles rgulations ?

    LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010 98 LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010

    par Alexandre Bocris, partner, cabinet Vertone

    par Pascal Griset, historien de lconomie et des techniques de linformation, professeur la Sorbonne

    Les marques transforment les consommateursen ingnieurs de leur dveloppement deproduits. L'un des objectifs est de tirer profitde leur intelligence collective.

    http://www.vertone.com

  • En mme temps quinternetdevient grand public, leweb sinvente. Dix ans, etc'est le web2 et avec lui le cloudcomputing. A peine les rseauxsociaux se rpandent-ils que lesmondes virtuels apparaissent.Internet en mobilit merge, etavec lui, le web temps rel.Demain, la ralit augmente,les nanotechnologies, la biologiede synthse, les green technolo-gies, les robots humanodes, lesordinateurs quantiques Destechnologies qui ne se transfor-meront en usage que grce internet.

    Faut-il considrer internetcomme une rupture technolo-gique qui a engendr desusages ? Lanalyse de la nais-sance et de la gouvernance delinternet (1) nous montre unprocessus qui nest pas causal etune innovation par percolation. Ilny a pas de projet, donc pas dechef de projet. Surtout, la dialec-tique matrise douvrage /matrise duvre est remplacepar un constant aller-retourentre des lments de technolo-gies et des embryons dusagesqui, lorsque tout se passe bien,se renforcent mutuellement.

    De nouvelles formes sociales

    De tous temps, les entre-prises ont dpens beaucoupdnergie pour essayer de

    dvelopper des nouveauxservices. Elles lont tout dabordfait en mode techno-push,sappuyant sur la croyance dansle pouvoir universel de la tech-nologie, puis en mode market-pull, en pensant que le client aucentre serait plus satisfait.Internet est l pour prouver lect inoprant de cesmthodes : quelle tude demarch aurait prdit Google,Dailymotion, Facebook, Secondlife, Twitter, tous ces servicesdont peu sont issus de R&Ddentreprise traditionnelle pr-internet ? Certains ne reposentmme pas sur des technologiesen rupture ; Google, parexemple, reproduit le mca-nisme trs connu des citationsuniversitaires, en se reposant, ilest vrai, sur 2 millions deserveurs rpartis dans le nuage.

    Toute technologie enrupture permet des formessociales de se librer. Cellesquinternet accompagne sontau nombre de trois : la monteen puissance de la commu-naut, lexplosion de lco-nomie de limmatriel et lecodesign.

    Internet, en amplifiant lesrelations horizontales, a permisau modle communautaire degagner en puissance. Plus quedans les rseaux sociaux, c'estdans les forums de discussion,surtout ceux qui sont lieuxd'entraide, que ce phnomneest vident et lisible. Lorsqu'unforum est bien structur, cest--dire qu'il se situe dans lacouche usage, les internautess'changent du savoir faire qui,lorsque les entreprises savent lecapter, leur permettent dam-liorer leurs produits et services.

    Le succs, cest le modle

    Ce que nous apprend l'co-nomie de l'immatriel, c'est que lesuccs d'un service sur internet estson modle conomique. Altavistatait technologiquement aussipuissant sa cration que Google,mais ni Digital, ni Compaq, nontt capables d'en driver unmodle conomique. Google, endonnant gratuitement son curde mtier, et en montisant desservices annexes, sest montrbien plus innovant.

    Leffet longue traine (que lonconfond souvent avec la loi dePareto) permet de gonfler lesventes dans la queue de distribu-tion ; c'est la grande forced'Amazon. Aux Etats-Unis, en2009, trois milliards de dollars ontt dpenss en biens virtuels.Depuis peu de temps, les servicesen mobilit se dveloppent ; laraison n'est pas technologique :c'est grce la disponibilit d'of-fres tarifaires de data illimitsqu'enfin les usages se dbloquent.La Killer app , qui amplifie lesusages, cest le business model.

    Lintelligence est collective

    Mais surtout, le client, lecitoyen, le "consomm'acteur", neveut plus de produits et servicestout fait, et souhaite faire partiede leur design.

    e codesign regroupe L len-semble des activits qui sont effec-tues conjointement entre desentreprises et des particuliers. Cecipeut se produire de plusieursmanires : Lentreprise ralise, et le client

    customise. Les chaussures, lesvoitures, en sont des exemplesclassiques.

    Lentreprise offre des briques, etle client assemble. Cest lemodle "Lego design by me"ou Ikea.

    Lentreprise et le client co-crentensemble. Mystarbuck, ou bienDell Ideastorm, ont pouss trsloin ce modle, tous deux basssur des systmes de e-voting.

    Le client spcifie et lentrepriseralise, et aide parfois le client vendre. Cest le modle Zazzle,ou bien FreeBeer.Dans tous les cas, lentreprise a

    besoin de dtecter, au sein de sesclients, les passionns aveclesquels elle peut codesigner.Cest justement dans les commu-nauts sur internet quelle lestrouvera, et quelle pourra alorscommencer un processus inno-vant de transformation de tech-nologies en usages, puisdintgration des usages dans sestechnologies, tout en s'appuyantsur des modles conomiquesinventifs.

    Le marketing moderne n'est nide masse, ni en one to one, il esten codesign. Ce qui est vrai pourles entreprises lest aussi pourlducation, la sant, la politique,etc. La philosophie opendata, quiconsiste pour une administration fournir des API sur ses donnes,et laisser le public crer desapplications, est la quintessencedu codesign. Pour que cettealchimie entre les technologies etles usages s'effectue efficace-ment, nous avons besoin d'unrseau internet fiable, trs hautdbit, et de dcideurs qui pensent intelligence collective .

    www.almatropie.org

    (1) Cf. http://blog.almatropie.org/2010/

    03/introduction-a-lhistoire-de-

    linternet/

    Depuis plus de dix ans, commu-nauts en ligne et rseauxsociaux se sont installs dansle paysage conomique. Les commu-nauts dchanges de fichiers ontacclr la dmatrialisation desproduits de contenus et fragilis leursmodles daffaires traditionnels, inci-tant ainsi leur renouvellement. Lescommunauts dexprience, commeon peut en trouver sur Amazon, eBayou encore TripAdvisor, jouent un rledinfomdiaire en renseignant lesconsommateurs sur la qualit dunproduit, dune marque ou dunvendeur, par des commentairesposts par des internautes les ayantdj expriments.

    Selon Mdiamtrie, le site deBaytait le plus visit des sites de e-commerce en France en 2009. Lescommunauts dutilisateurs, gnra-lement focalises sur une marque ouun produit spcifique (Lego, Nikon,Apple, etc.), permettent de diss-miner le savoir ncessaire lutilisa-tion de biens complexes etpermettent tout internaute deprofiter des comptences et de lex-prience dexperts ou dadopteursprcoces de nouveaux produits ou denouvelles technologies. Le succs deWikipedia qui, comme toute commu-naut pistmique, labore des biensinformationnels de manire collabo-rative, a pouss Britannica cderaux sirnes de la production collabo-rative. De mme, Microsoft contribuedsormais Linux, le systme dex-ploitation libre dvelopp demanire collaborative par des milliersdinformaticiens travers le monde.

    Derniers ns de ces commu-nauts en ligne, les rseaux sociaux.Facebook, MySpace ou encore

    Twitter facilitent les interactions entredes individus appartenant unemme communaut et entretenantdes relations en ligne et/ou relles.Facebook comptait en 2010, six ansseulement aprs sa cration, un demimilliard dadeptes, se hissant ainsi audeuxime rang des sites les plusvisits au monde aprs Google.

    Des modles conomiques fragiles

    La rapidit de ces succs nest paspour autant un gage de prennit.Le premier souci de la plupart de cescommunauts est videmment deprvenir leur dgnrescence en limi-tant les comportements de passagersclandestins des internautes et donc,en maintenant suffisamment dinci-tations la contribution. Mais audel, la menace provient surtout dela fragilit de leurs modles cono-miques, gnralement bass sur lapublicit et la valorisation de lexploi-tation des donnes personnelles.

    La publicit en ligne ne repr-sente quune part minime dumarch publicitaire mdia et horsmdia (autour de 4% en France) etles recettes publicitaires sont forte-ment concentres sur certainsacteurs, notamment sur Googlegrce aux liens sponsoriss. Ainsi, en2009, les revenus publicitairesamricains de Google taient plusde dix fois plus levs que ceux deFacebook. Il est vrai que, sur lesrseaux sociaux, refltant la faiblesensibilit la publicit de leurs utili-sateurs, le cost-per-mille (cpm) estparticulirement faible, trois quatre fois infrieur celui pratiqusur les sites dinformations finan-cires par exemple.

    Donnes personnelles :la rvolte gronde

    Lexploitation des donnes person-nelles, fournies volontairement ounon par les internautes lors de leursdiffrentes visites, nen est que pluscruciale. Historique de navigation,golocalisation, profils ou encoreapprciation sur des produits ouservices via le bouton jaime rv-lent prcisment les prfrences et lespratiques de consommation des inter-nautes. Dun point de vue marketing,ces donnes sont prcieuses et unepublicit peut dsormais cibler lesconsommateurs bien au del de leurprofil socio-dmographique. Demme, les modes de tarificationpeuvent tre affins en personnalisant lextrme la discrimination par lesprix. Amazon a ainsi tent, par lepass, de faire payer plus cher pourun mme produit les clients les plusfidles, supposs avoir les cots dechangement les plus levs.

    Contractuellement, le fait dint-grer une communaut commeFacebook revient autoriser cedernier exploiter ces donnespersonnelles. Mais, depuis l'introduc-tion, il y a quelques mois, du systme Instant Personalization , quipermet au site de partager avec desentreprises partenaires les donnespersonnelles de ses utilisateurs, larvolte gronde. Les enjeux de protec-tion de la vie prive (privacy) sont enpasse de devenir une priorit pour lesinternautes. Non sans paradoxe dail-leurs, compte tenu de lampleur delexposition de soi souvent consentiepar les adeptes des rseaux sociaux. Siles appels au boycott de Facebookrestent encore limits, cette menacenen est pas moins prise au srieux.

    Des recettes proportionnelles laudience

    Pourquoi une tellesensibilit aux ractionsde leurs utilisateurs de la part deFacebook, dAmazon ou encoredeBay, qui a galement renonc rformer son systme de tarificationface au toll provoqu, pourtant enposition fortement dominante surleurs marchs respectifs ? Sans douteparce que ces entreprises ont pleine-ment conscience du caractreprcaire de leur succs. Les externa-lits de rseau, la base de leur essor,rendent simultanment leur domina-tion hautement contestable. Si linci-tation de nouveaux utilisateurs rejoindre une communaut est unefonction croissante de sa taille, dole caractre cumulatif de leur succs,la rcession peut tre tout aussibrutale. Un nombre rduit de mcon-tents peut facilement fdrer unnombre bien plus important desuiveurs qui anticipent une perte devitesse de la communaut, et ne fontainsi que la prcipiter. Or, tant lesrecettes publicitaires que celles lies lexploitation des donnes person-nelles sont proportionnelles lau-dience. Les communauts en ligne etautres rseaux sociaux ne seraient-ilspas finalement des colosses aux piedsdargile ?

    [email protected]

    Internet et la rvolution des usages Communauts en ligne et rseaux sociaux : des colosses aux pieds dargile ?

    Les usagesEn amplifiant les relations horizontales, internet a permis au modle communautaire de gagner en puissance. En dix ans, les communauts en ligne et les rseaux sociaux se sont installs dans le paysage conomique. La rapidit de ces succs n'est pourtant pas un gage de prennit. Les modles conomiques bass sur la publicit et l'exploitation des donnes personnelles peuvent s'avrer fragiles, surtout si les enjeux de protection de la vie prive deviennent une vraie priorit pour les internautes.

    Dossier La rvolution numriqueNouveaux usages, nouveaux modles, nouvelles rgulations ?

    LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010 1110 LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010

    par Serge Soudoplatoff, enseignant, chercheur, crateur dentreprise

    par Franois Moreau, matre de confrences au Conservatoire national des arts et mtiers, chercheur au GREG / Laboratoire dconomtrie

    http://[email protected]://www.almatropie.orghttp://blog.almatropie.org/2010/03/introduction-a-lhistoire-de-linternet/

  • Dossier La rvolution numriqueNouveaux usages, nouveaux modles, nouvelles rgulations ?

    LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010 1312 LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010

    Les conomistes prfrent parler de besoins plutt que de dsirs.En effet, pour qu'un march libre soit efficace, il est ncessaire(mais pas suffisant) que l'utilit de chaque consommateur (c'est--dire ce qui le fait agir) soit purement individuelle, qu'elle prexiste auxbiens et services offerts et qu'elle ne dpende pas des interactionssociales. Bien videmment, ceux qui ont vendre des produits saventqu'il n'en est pas ainsi : il faut crer la demande aussi bien que l'offre ; ilest mme souvent bien plus onreux de prparer les consommateurs des innovations formant systme, que de dessiner les produits et d'or-ganiser leur distribution.

    Miroir magique des contesLa numrisation des informations a transform les mcanismes de

    production de la demande et c'est sans doute l l'innovation conomiquemajeure depuis vingt ans, depuis qu'internet est devenu un quipementaussi essentiel que le rseau de distribution lectrique ; par l'un nous rece-vons l'nergie, par l'autre, dsirs et savoir-faire.

    Auparavant, les nouvelles consommations dpendaient, pour leur adop-tion, d'acteurs publics ou privs, qui se chargeaient de l'organisation detout l'cosystme ncessaire. La socit Michelin entre les deux guerresa jou ce rle pour le dveloppement de la voiture de tourisme ; le Salondes Arts Mnagers dans les annes 50, pour l'lectromnager ; la FNACdans les annes 60, pour les quipements audiovisuels ; plus rcemment,Apple, pour l'informatique grand-public. De tels agents jouaient un rle decatalyseurs : ils induisaient et formaient des dsirs du ct de lademande ; ils aidaient au dessin des produits de sorte que ceux-ci s'adap-taient, plus ou moins, aux attentes des consommateurs.

    Aujourd'hui, la production de la demande repose de plus en plus surdes interactions entre les consommateurs eux-mmes. De telles interac-tions, parfois directes dans une sorte de face--face en ligne, le plussouvent indirectes et formant cette grande conversation dont parlaitJohn Perry Barlow, constituent le web interactif (dit web 2.0 ou web social).C'est le creuset des dsirs, la source des savoir-faire, la matrice desnouvelles demandes. Internet n'est pas seulement un circuit de distributionou un mdia d'information, qui remplacerait, sans les transformer, lesmcanismes du commerce rel ou de la promotion publicitaire. Ons'adresse au web, comme au miroir magique des contes, pour savoir ol'on est, ce qu'on veut, o l'on va.

    Induction sociale de la demandeEn s'intressant internet, l'conomie dcouvre l'importance de ce

    qu'elle a tenu longtemps pour ngligeable : la synthse sociale des dsirs.Le web interactif rend ainsi de moins en moins pertinente l'hypothse lib-rale de l'homme conomique compltement isol et parfaitement goste.Les mcanismes de l'influence sociale en ligne doivent tre tudis,comme l'ont t en leur temps, le marketing (pour la vente en magasin) etles marchs deux versants (pour la promotion publicitaire).

    Il serait extrmement rducteur de n'aborder la synthse sociale desdsirs que sous l'angle de l'imitation, de l'instinct moutonnier, de l'entrai-nement de la mode ou du dsir mimtique. Les conomistes, comme lessociologues d'ailleurs, ont tt fait d'interprter l'induction sociale de lademande partir de simples mcanismes d'ostentation, ce qui la disqua-lifie.

    Aujourd'hui, internet fournit non seulement une base de donnesimmense mais des outils logiciels et sociaux sophistiqus pour laparcourir, l'entretenir et en tirer parti. On mentionnera ici, titre d'exemple,trois processus originaux de traitement social : les communauts, caractrises par des interactions anonymes et descommentaires la cantonade ; elles servent au partage des savoir-faire, l'exploration de gots nouveaux, sous la protection de l'anonymat et dela virtualit, l'acquisition d'une culture commune, pralable l'tablisse-ment d'un cosystme nouveau ; les forums, les sites marchands quiouvrent des espaces de discussions et de recommandations, les commu-nauts de pratique o s'changent des conseils, les collectifs d'criture(comme Wikipedia) permettent la confrontation, parfois violente maisvirtuelle, d'opinions et de gots en cours de formation ;

    le rseautage (social networking), caractris par des identits relles etdes relations interindividuelles ; de tels sites permettent d'adapter ce quia t acquis dans l'univers virtuel, aux contraintes de la ralit : c'est lelieu, parfois rellement conflictuel, o deux logiques s'affrontent, l'explo-ration irresponsable et l'exploitation efficace ; le monde rel, sonconomie et ses rgles juridiques, se trouvent parfois pris contrepied ;depuis les lois contre le piratage jusqu'aux apritifs Facebook, le relrsiste maladroitement aux dynamiques inventives du virtuel ; la srendipit , ou si l'on veut la flnerie, la recherche active de l'ignoret de l'inimaginable, se caractrise par le parcours au hasard de l'immense base d'informations laquelle internet donne accs ; on a long-temps cru que les liens entre les sites allaient constituer le labyrinthe oles internautes se perdraient pour se retrouver ; on s'aperoit aujourd'huique les moteurs de recherche comme Google sont bien plus efficacespour conduire l'internaute l o il ne sait pas qu'il va ; il est d'ailleurs ton-nant que les moteurs gnraux, qui traitent l'ensemble du web, fournissentun chemin tout la fois vers ce qu'on croit chercher et vers ce qu'onignore dsirer.

    Si l'on admet que l'motion esthtique se caractrise souvent par le faitque la satisfaction se dveloppe en mme temps que le dsir qu'elle initie,le web interactif peut tre rapproch d'un art nouveau, d'une nouvelleforme de synthse sociale du got.

    Par Michel Gensollen,chercheur associ, dpartement des Sciences conomiques et sociales, Telecom ParisTech

    Le web interactif rend de moins en moinspertinente l'hypothse librale de l'hommeconomique compltement isol etparfaitement goste.

    Internet& la synthse sociale des dsirs

    Mon fils apprend lire sur mon iPhone. Les crayons et le papierresteront son medium majeur dapprentissage mais les enfantsns en 2010, eux, ne seront plus programms par limprimerie,mais par les crans. Leur OS psychologique et social sera construitautour des nouvelles interfaces.

    Les interfaces ont envahi nos viesSelon Wikipedia : interface : dispositif qui permet des changes et inter-

    actions . Les interfaces sont vraiment nes avec Windows 3.0, qui a intro-duit la premire confusion entre le monde rel et lcran en dessinant desboutons en relief. Auparavant, linterface-cl tait le clavier, et lcran affichaitle rsultat de lignes de commande. Puis, on sest mis toucher lcran ou,mieux, le caresser : liPhone. Aprs, lcran nous a mis en relation avec unrseau social et non plus la mmoire dune machine : Facebook. Enfin, nouscommenons dtre connects avec du sens et de lintelligence collective,dans les expriences utilisateur du web 3.0 et de linternet smantique.

    En sautant du clavier lcran, les interfaces ont envahi nos vies. Alorsque les 3 heures de TV quotidiennes taient le standard des dcenniesprcdentes, une large part de la population passe maintenant 5 8 heurespar jour devant des crans, dont de moins en moins de TV pure. 500 millions de personnes passent 30 minutes par jour sur Facebook et unmilliard visite Google quasiment tous les jours. Une majorit dados amri-cains change plus de 10 fois dcran par jour. Il y a quatre ans, un mobileservait tlphoner 10 minutes par jour ; aujourdhui, son cran est utilis2 heures par jour pour surfer, poster des messages et regarder des vidos.

    Depuis 500 ans, avec limprimerie, notre il a programm notre cerveau

    Depuis cinq sicles, notre OS mental tait analytique, linaire, squen-tiel, comme les lignes dimprimerie. Notre il, en suivant ces lignes, aprogramm notre cerveau : le monde est comprhensible, lil est notresens principal et la dduction notre outil le plus puissant. Notre vie socialeintgrait des notions comme le point de vue , la perspective ou la distance , qui sont nes avec limprimerie et qui mourront avec elle.Mme la production de masse est ne avec le livre imprim et notreconcept de standardisation avec les caractres dimprimerie.

    Ce nest pas linformation vhicule par limprim, mais limprim lui-mme la technologie qui a construit nos mentalits, notre structuresociale, nos arts, et nos dmocraties. Passer du papier imprim lcranest un changement radical de technologie, qui est en train dentraner unchangement radical dans la psychologie individuelle et la structure sociale.

    Lorsque limprimerie a chamboul les socits du XVIe sicle, les clercslont condamne : elle fait perdre la mmoire (les textes taient apprispar cur et toujours lus haute voix), ou lont bnie : nous allons imprimerplus de bibles (qui tait le seul texte de masse, avant que limprimeriefasse natre le mtier dauteur). Ces jugements de valeur taient hors-sujet :la perte de mmoire na pas eu de consquence, alors que limprimerie en

    grande srie a entran, entre autres, la Rforme, puis lmergence desauteurs, des systmes politiques modernes, puis de lindustrie.

    aujourdhui, le toucher et loue redeviennent importantsQuand notre doigt passe sur lcran dune fentre lautre, le monde

    devient simultan et synthtique. Le toucher et loue redeviennent impor-tants. La distance sestompe, au profit de limplication et du rseausocial : public is the new default , le mode par dfaut nest plus le modepriv. Quand un rectangle sur fond blanc nous donne accs plus deconnaissances que toutes les bibliothques, notre rapport au savoirchange. Linformation ne voyage plus du haut vers le bas, mais horizon-talement, entre les membres du rseau. Chemin faisant, au travers desinterfaces, nous croyons que le logiciel se rapproche de nous, alors quecest nous qui devenons logiciel.

    Il ny pas moyen de dcider si ces changements sont bons ou mauvais , car comme les clercs du XVIe sicle, nous sommesimmergs dans la rvolution technologique et nous ne pouvons pas voirau-del. Pourtant, comme au XVIe sicle, toutes nos conversations sur lanouvelle technologie dbouchent sur des jugements de valeur.

    Ces jugements ne sont ni vrais ni faux, mais hors-sujet : le grand publicne fera jamais ses achats en ligne , le papier ne disparatra pas , onne saura plus lire , les artistes sont menacs , le rseau social nestpas la vie relle , lanonymat des blogueurs doit tre supprim Direaujourdhui que le contenu est roi , cest une croyance du mme type que limprimerie, cest du manuscrit pas cher . On pense toujours que lesnouvelles technologies se contentent dacclrer les anciens usages.

    Le propre dune rvolution, cest de confondre laccessoire, parexemple linformation et les contenus, avec lessentiel, par exemple leurmode de circulation et dinterfaage avec nos cerveaux et nos socits.Nous nous inquitons du contrle pris par Google et Apple sur la presse,mais nous devrions nous pencher davantage sur la prise en main de noscerveaux et de nos structures sociales par les outils technologiques quiencapsulent les contenus. Par exemple, ce nest pas tant la baisse de lau-dience, et du financement, des journaux papiers, qui transforme linfor-mation que la nouvelle chane de traitement technique : Google Facebook Twitter cran. Les spcialistes qui crent ces interfaces, qui nous dlguons la structuration de nos esprits, sont remarquablementpeu nombreux (entre 10.000 et 100.000 ingnieurs et designers), et peudiversifis (ils travaillent en majorit moins de 50 km de Stanford).

    Aprs les mobiles et la presse, cest la tlvision qui va exploser. Lessmart TV vont changer brutalement des usages tablis depuis 50 ans. Lafamille regardant le journal tlvis sur le canap sera bientt une imagedu pass. L encore, cest la technologie, et non des nouveaux modesdcriture ou de cration de contenus, qui va briser lancien media.Comme toute rvolution technologique, nous ny sommes pas prts, etelle se fait sans nous.

    www.orange.com/fr_FR/innovation/creer/Orange_Vallee/

    Par Jean-Louis Constanza,prsident dOrange Valle

    la rvolution des interfaces

    http://www.orange.com/fr_FR/innovation/creer/Orange_Vallee/

  • Depuis larrivedinternet, quelles sont lesgrandes ruptures que vousobservez danslaudiovisuel ?Deux ruptures ont lieu en mmetemps : la dlinarisation et lamobilit, c'est dire laconsommation des contenusquand on veut, o on veut etcomme on veut. La dlinarisation progresse plusvite qu'on ne le croit. Pourcertaines chanes, prs de 30%de la consommation des abonnsse fait dj en consommation la demande.

    Quelles sont les questionsposes par ladlinarisation ?La dlinarisation des contenus,cest l'mergence de ce qu'onappelle, dans notre jargon, lesservices de mdias audiovisuels la demande (SMAD), cest--direla tlvision de rattrapage et lavido la demande. La premire question souleveest celle de limpact de cesnouveaux services sur le

    financement de la cration, tantcinmatographiquequaudiovisuelle. En effet, enFrance, le financement ducinma, mais galement desfictions audiovisuelles ou desdocumentaires, est notammentassur par les chaines detlvision, qui doivent yconsacrer un pourcentage deleur chiffre d'affaires, fix pardcret. Ce pourcentage est lemme pour le chiffre daffairesde la tlvision de rattrapage.En revanche, les rgles ne sontpas encore fixes pour la vido la demande. Et un dcret est enprparation pour prciser lestaux de contribution aufinancement de la cration. Le sujet fait dbat : certainssouhaitent que ces services aientdes obligations fortes. Dautresestiment qu'il faut leur laisser letemps de se dvelopper.Quoiquil en soit, la question dufinancement de la cration nepourra tre esquive : si lesconsommateurs se tournentprogressivement vers ces servicesau dtriment des services

    linaires, le chiffre d'affaires deces derniers va diminuer.Comment compensera-t-on alorsle manque gagner pour lacration ? Noublions pas que les servicesde vido la demande sontfacilement dlocalisables, ce quileur permettrait dchapper auxobligations nationales definancement. Cest un vraiproblme.

    Est-ce enfin laconvergence entre tlcomet audiovisuel ?La fourniture de ces services lademande constitue en effet uneacclration de ce phnomnede convergence. Ainsi, lesoprateurs tlcoms et lesfournisseurs daccs internet(FAI) ditent presque tous desservices de vido la demande,et remontent dans la chane devaleur en devenant des acteursdu monde audiovisuel. Certainsdcident par ailleurs d'diter deschaines de tlvision, commeOrange. Cette interpntrationpose la question de lintgrationverticale des acteurs, et celle dela distribution exclusive descontenus (citons lexemple des

    chanes dOrange uniquementaccessibles aux abonns internetdOrange). Le rgulateur na pas toutes lesrponses, mais les questions sedessinent clairement : commentfaire en sorte qu'il y ait

    financement de la cration sansdlocalisation ? Commentfavoriser une concurrencedurable dans le secteur de latlvision payante, sans qu'il y aitdes effets ngatifs sur le marchdu haut dbit ? Il faut que lesrgulateurs l'Autorit de laconcurrence, l'ARCEP et le CSA adoptent des positionscohrentes qui, mon avis,doivent aussi tre coordonnesavec le Gouvernement et lelgislateur. Nous y travaillonstous.

    Et la mobilit ? La mobilit est une rupture plusdiffuse, mme si elle nousconcerne de plus en plus. Lesgens veulent pouvoir consommerdes contenus vido quand ils sedplacent, mais le modleconomique est trs difficile trouver. Cest toute la questionde la tlvision mobilepersonnelle (TMP). Faut-il crerun rseau spcifique pour latlvision mobile, ou les rseaux3G sont ils suffisants ?On constate que les rseaux 3Gdes oprateurs mobiles saturent,en raison de lexplosion du traficdes donnes, explosion

    principalement due laconsommation de vido. Est-ce la consommation dechanes de tlvision ou devidos sur des sites tels queYouTube ou DailyMotion qui vaprimer en mobilit ?

    Pour la TMP, une solutionest en train de se dessineravec Virgin Mobile.Pourquoi avec un MVNO ?Les oprateurs de rseau quihbergent les MVNO fournissent ces derniers de la capacit des tarifs de gros. Autant lestarifs sont intressants pourcommercialiser la voix, autant ilssemblent levs pourcommercialiser des donnes, etdonc de la vido. De ce fait, il estcoteux pour un MVNO dincluredes offres de tlvision dans sesforfaits mobiles. Or, pour qu'uneoffre de tlphonie mobile soitcomptitive, il faut quellecomprenne aussi la tlvision.Donc, pour rpondre cettedemande tout en restantcomptitif, la meilleure solutionsemble, pour ces acteurs, desappuyer sur un rseau deradiodiffusion ddi pour latlvision mobile, qui leurlouerait ses services des tarifsplus bas. Cest le calcul qua faitVirgin Mobile en signant unaccord avec TDF.

    Voyez-vous la fibrecomme une rupture duct audiovisuel ?Clairement, oui. Dabord parceque la fibre va amplifier laconsommation de contenusaudiovisuels la demande.Actuellement, la tlvision derattrapage sur internet estdpendante du dbit, et de cefait, l'image n'est pas toujours detrs bonne qualit. La fibre, elle,en augmentant les dbits, vapermettre des offresdlinarises de qualit.Deuxime avantage de la fibre :elle permet doffrir les chaines enhaute dfinition et bientt en3D. Ces innovationstechnologiques audiovisuellessont trs gourmandes en dbit etne pourront pas tre proposesen grande quantit par voiehertzienne. Vous voyez, la fibre,contrairement ce que lon croit,

    n'est pas uniquement un sujettlcom, c'est clairement unevoie davenir pour le paysageaudiovisuel.La fibre impliquera aussi unevolution des modlesconomiques, notamment dansle secteur audiovisuel.Actuellement, grce ladiffusion hertzienne, les chainessont en relation directe avec letlspectateur/client. Sur les

    rseaux filaires (ou satellitaires),cest le distributeur qui matrisecette relation avec le client. Desquestions vont donc se poser sila tlvision est de plus en plusregarde via des rseaux filaires : quel prix les FAI factureront-il la bande passante aux chanes ?Se garderont-ils l'accs unique auclient ? Au contraire, les chainesadopteront-elles un modledauto-distribution, comme lefait actuellement Canal +, pourconserver la matrise de larelation client ? Larrive de la fibre et sagnralisation vont induire denouveaux modles deconsommation de la tlvision,ainsi quune nouvelle rpartitionde la valeur entre distributeurs etditeurs. Or, ces acteursconomiques sont loin davoir la mme taille ; les chiffresdaffaires des chaines detlvision sont nettement

    infrieurs ceux des oprateurstlcoms : il nest pas impossibleque les rgulateurs doiventintervenir dans les relationsconomiques entre ces deuxtypes dacteurs.

    Que va apporter latlvision connecte ?Les fabricants remontent euxaussi dans la chaine de valeur.Les tlviseurs connects, en

    donnant directement accs desapplications internet sur le postede tlvision, reprsentent unevolution majeure. Cesapplications pourront donneraccs des contenus situs ltranger. Le catalogue de vidos la demande sera pr-tlchargou pr-programm sur letlviseur. Grce des pop up oudes widgets, le consommateurpourra directement aller sur lesite du distributeur et avoir accs ses contenus. YouTube, parexemple, conclut de plus en plusde contrats avec des chainespour proposer des services detlvision de rattrapage sur sonsite. Les sites de tlvision derattrapage de YouTube enAllemagne, au Royaume-Uni ouaux Etats-Unis pourront-ils tredisponibles partir de la France ?On voit bien que les questionssous jacentes de droit dauteurvont amener les rgulateurs se

    pencher sur la question de cesterminaux. La deuxime question a trait lapublicit interactive. Faut-iluniquement lautoriser dans lesespaces publicitaires ? Ou biendonner la possibilit de cliquersur une voiture qui circule dansun film pour se rendredirectement sur le site de ventedu constructeur automobile etacheter des produits ? Il n'est pas

    certain que tous les paysadopteront la mme approche.Pour conclure, nous sommes l'aube de grandes mutationsdans le secteur audiovisuel. Nosacteurs en sont conscients. Il fautles aider traverser ces zones deturbulences pour quils ensortent renforcs. eux detrouver les bonnes rponses et nous, rgulateur, de les y aider.Car si les contenus ne sont plusregards que sur YouTube ouGoogle, la cration franaise seraaffaiblie et la diversit culturelleque nous cherchons promouvoir stiolera.

    Finalement, vous enrevenez toujours aufinancement de lacrationCest en effet un problmefondamental, cest aussi unmarqueur identitaire de notresocit.

    Dossier

    LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010 1514 LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010

    La rvolution numriqueNouveaux usages, nouveaux modles, nouvelles rgulations ?

    Convergence audiovisuel-tlcomQuel est limpact de la dlinrarisation des contenus, de la mobilit et de l'arrive des tlviseurs con nects en termes de rgulation ? Rponse dEmmanuel Gabla, conseiller au Conseil suprieur de laudiovisuel (CSA), pour qui les nouveaux modes de diffusion des contenus crent un problme fondamental pour le financement de la cration et la diversit culturelle.

    Emmanuel Gabla Nous sommes laube debouleversements normesdans laudiovisuel

    La fibre va amplifier la consommation decontenus audiovisuels la demande (...) etpermettre, en augmentant les dbits, desoffres dlinarises de qualit.

    Les tlviseurs connects, en donnant directementaccs des applications internet sur le poste detlvision, reprsentent une volution majeure.Les questions sous jacentes de droit dauteurvont amener les rgulateurs se pencher sur la question de ces terminaux.

  • Economie quaternaireL'conomiste Michle Debonneuil, dans un rapport au Gouvernement, analyse l'importance future des services dans l'conomie franaise, et explique en quoi les technologies de l'information et de la communication - notamment, les services mobiles sans contact - peuvent contribuer dvelopper cette nouvelle conomie. Sagem Wireless donne un exemple concret de ces services.

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    LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010 1716 LES CAHIERS DE LARCEP AVRIL - MAI - JUIN 2010

    Selon Michle Debonneuil, lapriode actuelle se caractrisepar lpuisement dun modlede croissance et le dbut dunnouveau cycle. Ce passage est trsdouloureux. Il sagit en fait detrouver le moyen de continuer mieux satisfaire les besoins toutautrement. En effet, quant on parlede croissance, on sous-entend dela satisfaction des besoins desconsommateurs . Pour satisfaire les

    besoins des consommateurs, onpeut utiliser soit des donnes (voixou data), soit des biens, soit despersonnes ayant des savoirs et dessavoir-faire. Ce sont les trois ingr-dients intemporels de la satisfactiondes besoins des consommateurs.

    Les TIC bouleversent la donne, carelles dmultiplient non plus les capa-cits physiques des hommes, commelavaient fait les technologies de lamcanisation, mais leurs capacitsmentales, en dcuplant leurs capaci-ts de traitement de linformation.Lamlioration de satisfaction qui endcoule nest pas li la quantit debiens produits lheure, mais llar-gissement et la monte de lagamme des biens et des services quelont a pu mettre disposition sur leslieux de vie en une heure. Autrement

    dit, la nouvelle productivit, cest--dire le supplment de satisfaction desbesoins produits lheure, est uneproductivit de diversit plutt quede quantit. On peut dsormais or-ganiser de faon efficace la mise disposition des biens et des per-sonnes sur les lieux de vie (ce quiconstitue la dfinition dun service).Autrement dit, les services devien-nent productifs. La satisfaction desbesoins ne spare plus aussi nette-ment les biens quon achte et lespersonnes dont on va chercher les sa-voirs et les savoir-faire dans des lieuxddis (hpital, cole, banque) dessolutions de vie qui intgrent desbiens et des personnes qui sont mis disposition temporaire des