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 L  A NORME DANS LES MÉDIAS 73 * Daniel Raunet est journaliste à Radio-Canada. LA NORME DANS LES MÉDIAS Daniel Raunet * Est-ce la faute aux médias? La télévision et l’école. Quand les gens se plaignent de la qualité de la langue, ces deux noms viennent immédiatement aux lèvres. Pour ne parler que du premier de ces boucs émissaires, je dirais qu’il est inutile de s’en prendre aux journalistes. Comm e tout le monde, ils sont passés par l’école et, quand on y regarde de près, ils ne sont ni meilleurs ni pires que la plupart de ceux de leurs concitoyens qui ont franchi les  portes de l’enseignement supérieur. On pourrait, pour parodier le raisonnement simpliste des néo-libéraux, ajouter qu’ils sont sou mis aux lois du marché et que si leur cl ientèle ne les trouvait pas à son goût, elle irait voir ailleurs. En matière de langue, les membres de la presse se conforment instinctiveme nt à ce que le public attend d’eux et toute idée de définition autonome d’une norme médiatique est vouée à l’échec. Ma  profession fait-elle tout ce qu’elle peut pour préserver certains standards de qualité? Probablem ent pas.  Mais cela ne nous dit pas ce qu ’il faut faire. Car le problèm e du journalis te, du publicitair e, du prof de  français, du politici en ou de toute personne qui prend la parole en publi c est fondamentaleme nt le même : il règne, sur les rives du Saint-Laurent, une incertitude, une ambiguïté, une insécurité quant à la langue dont il serait préférable de parler à voix haute. Je reviendrai plus loin sur le thème un peu aride qui chapeaute cet article, mais il me faut, avant tout, définir ce dont on parle et, pour cela, faire un peu d’histoire et de géographie. La norme du français en retard d’une révolution  Arrêtons-nous un instant sur ce qui fait la force de notre grande rivale, la flexibilité et la faculté d’innovation de la langue anglaise. La norme, chez nos voisins, est plurielle, et ce, de façon explicite, depuis la Révolution américaine. Quand les Américains se sont débarrassés du roi d’Angleterre, ils ont 

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  • LA NORME DANS LES MDIAS 73

    *Daniel Raunet est journaliste Radio-Canada.

    LA NORME DANS LES MDIAS

    Daniel Raunet*

    Est-ce la faute aux mdias?

    La tlvision et lcole. Quand les gens se plaignent de la qualit de la langue, ces deux noms viennentimmdiatement aux lvres. Pour ne parler que du premier de ces boucs missaires, je dirais quil est inutilede sen prendre aux journalistes. Comme tout le monde, ils sont passs par lcole et, quand on y regardede prs, ils ne sont ni meilleurs ni pires que la plupart de ceux de leurs concitoyens qui ont franchi lesportes de lenseignement suprieur. On pourrait, pour parodier le raisonnement simpliste des no-libraux,ajouter quils sont soumis aux lois du march et que si leur clientle ne les trouvait pas son got, elleirait voir ailleurs. En matire de langue, les membres de la presse se conforment instinctivement ce quele public attend deux et toute ide de dfinition autonome dune norme mdiatique est voue lchec. Maprofession fait-elle tout ce quelle peut pour prserver certains standards de qualit? Probablement pas.Mais cela ne nous dit pas ce quil faut faire. Car le problme du journaliste, du publicitaire, du prof defranais, du politicien ou de toute personne qui prend la parole en public est fondamentalement le mme :il rgne, sur les rives du Saint-Laurent, une incertitude, une ambigut, une inscurit quant la languedont il serait prfrable de parler voix haute. Je reviendrai plus loin sur le thme un peu aride quichapeaute cet article, mais il me faut, avant tout, dfinir ce dont on parle et, pour cela, faire un peudhistoire et de gographie.

    La norme du franais en retard dune rvolution

    Arrtons-nous un instant sur ce qui fait la force de notre grande rivale, la flexibilit et la facultdinnovation de la langue anglaise. La norme, chez nos voisins, est plurielle, et ce, de faon explicite,depuis la Rvolution amricaine. Quand les Amricains se sont dbarrasss du roi dAngleterre, ils ont

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    proclam dans la foule leur droit la dissidence linguistique. En crivant son dictionnaire, NoahWebster a dclench une volution lexicale, morphologique et syntaxique divergente qui faitquaujourdhui la variation est partout accepte et quaucune acadmie na autorit sur lusage. Lefranais par contre na jamais connu de telle rvolution linguistique. Jusqu ce jour, la norme est resteessentiellement centralise, franaise et parisienne. Une des raisons en est la dmographie : les Amricainssont beaucoup plus nombreux que les Anglais, tandis que les Franais, eux, nont jamais t srieusementcontests dans leur position de propritaires exclusifs du patrimoine. Mais ce nest l quune explicationsuperficielle. Il y a plus : notre vision monolithique et sacralise de la langue tient lhistoire de laformation de notre norme, la nature mme de ce que nous appelons le franais.

    Le franais nest la langue maternelle de personne, cest la langue de ltat

    Le franais est une invention, cest une vue de lesprit. Un code que tous les francophones daujourdhui,y compris les petits Parisiens, doivent apprendre lcole. En plus davoir un millnaire dhistoire, lefranais na jamais t la langue maternelle de quiconque. La linguiste franaise Rene Balibar admontr, dans un ouvrage de 1985, Linstitution du franais : essai sur le colinguisme des Carolingiens la Rpublique, la nature composite et artificielle de notre langue ds son acte de naissance, les Sermentsde Strasbourg. Pour des raisons politiques, un historien nomm Nithard, partisan de deux des petits-filsde Charlemagne, bricole une langue composite, forme dlments dialectaux des quatre coins de la zonedol, dans le but de justifier un partage de lEmpire sur une base linguistique, un royaume roman et unroyaume germanique. La raison dtat se retrouve tous les dtours de lhistoire : partir de la fin duXIIIe sicle, les scribes inventent une langue juridique pour rpondre aux besoins paperassiers croissantsde ceux qui veulent smanciper des fodaux. Ds le dpart, cette langue des chartes est tonnammentunifie. Ni vraiment parisienne, picarde, berrichonne ou wallonne, cest une koin dhommes de loi.Ds 1330 (la date est une dcouverte rcente de lhistorien Serge Lusignan, de lUniversit de Montral),la chancellerie royale abandonne le latin pour le franais, bien avant le clbre dit de Villers-Cottertsde Franois 1er (1539) qui, en proclamant la ncessit de rdiger tous les actes publics en langaidgematernel franois, ne fait que confirmer une pratique vieille de deux sicles. Entre le XIVe etle XVIe sicle, on cre 40 % des mots abstraits que nous utilisons encore aujourdhui. Ces mots nouveauxne sont pas puiss dans la langue parle des Franais de lpoque, ils sortent directement de limaginationdes hommes de loi, des traducteurs et des scribes royaux en manque de vocabulaire. Ds cette poquefondatrice, le franais norm est donc une langue artificielle, un code fix par les serviteurs de ltat, pourles besoins du pouvoir.

    La norme et la sclrose

    Ces quelques lignes auront suffi montrer que les proccupations normatives de notre langue ne sont pastoutes dues un seul sicle, le XVIIe, et en particulier la fondation de lAcadmie franaise. UneQubcoise, Danielle Trudeau, a magistralement dcrit la marche la norme dans un ouvrage de 1992,Les inventeurs du bon usage (1529-1647). Elle montre quaprs Vaugelas et les premiers acadmiciens,notre norme se dtache de faon dfinitive du langage rel des locuteurs. Plus personne ne peut prtendreparler spontanment le franais norm; tout le monde, la Cour, la Ville, le Roi lui-mme, se trouve exposaux remontrances des censeurs de lusage. Une ide extrmement importante pour le Qubeccontemporain : personne nest le dtenteur patent de la norme du franais, mme pas llite parisienne.Et ce, depuis plus de trois sicles. Cest donc dans le pass commun entre la France et de laNouvelle-France quil faut rechercher les origines du purisme normatif des lites qubcoises des XIXe etXXe sicles, et non simplement dans le rflexe identitaire qui a suivi la Conqute. Ce purisme nous vient

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    en ligne droite dune idologie du XVIIIe sicle, formule par Rivarol, selon laquelle le franais serait la langue, parfaite, prcise et suprieure aux autres. Une langue parfaite, on en conviendra, ne peut quedchoir en voluant, ce qui explique que depuis deux sicles, les systmes scolaires des pays francophonesdploient des efforts titanesques pour conserver et transmettre le bel objet dans son tat de puret originelle.La Rvolution na rien chang la chose, bien au contraire. partir de la deuxime moiti du XIXesicle, la nouvelle cole universelle permet denvisager la concrtisation dun vieux rve rvolutionnaire, celuidune France unilingue. Lentreprise de codification semballe avec le dveloppement dune nouvellepassion, le culte de lorthographe. Un chercheur franais, Andr Chervel, a brillamment dcrit lephnomne dans un ouvrage de 1977 et il fallut apprendre crire tous les petits franais : histoirede la grammaire scolaire. Cette passion dbouche sur la sclrose. Depuis 1834, date de la dernire rformedimportance (labandon des imparfaits et des conditionnels en -oi ) lorthographe du franais est restefondamentalement la mme. Cest de cette histoire que nous vient lquation contre nature entre langueet orthographe, une hrsie qui fait que, dans lesprit de nombre de nos contemporains, le franais sersume la version crite de sa norme officielle. La sclrose de la norme de lcrit entrave donc lacceptationcollective de lvolution, pourtant inluctable, de notre langue.

    La norme craque de tous les bords

    Leffort dembrigadement orthographique de la francophonie est un chec patent. Pour la seule France,une quipe de lUniversit de Grenoble (Lucci et Millet, 1994) a prouv, enqute lappui, que mmechez les spcialistes (professeurs de franais, secrtaires, rdacteurs), le noyau dur des variations (traduisez les fautes ) se situe autour de 5 % des productions crites. Devant le fiasco universel dunapprentissage de rgles de grammaire rduites des recettes de cuisine orthographiques, les pdagoguesessaient, depuis les annes 1970, dintgrer lenseignement du franais les dcouvertes dun sicle delinguistique. Le Qubec, avec la rforme en cours des programmes de grammaire, participe leffort. Maisla rsistance du corps enseignant est profonde, comme en tmoigne lchec des dernires rformesorthographiques. Les fameuses rectifications de 1990, comme lont montr les recherches de lquipedAgns Millet, demeurent inconnues de limmense majorit des matres.

    La langue franaise a toujours t une affaire dtat. Lignorer ne conduirait rien, car la plupart deslocuteurs sont convaincus que personne, sauf les autorits , na le droit de modifier le franais. Il nya pas que les lois de la dmographie et de lconomie qui nous menacent face aux apptits plantaires delanglo-amricain; nous sommes galement victimes de notre propre conservatisme face la nologie. Il faut,comme jen ai eu loccasion, avoir assist une runion mensuelle de la Commission gnrale determinologie de la Rpublique franaise pour mesurer lampleur du gouffre qui spare le franais delanglais en matire de modernit. En anglais, il nexiste aucune acadmie, aucune autorit tatique pourstatuer sur la lgitimit de transposer le mot hardware du domaine de la quincaillerie celui delinformatique. Le terme prend ou ne prend pas, cest tout. En franais, pour tre admis dans les coles,dans les documents de ladministration ou dans les contrats signs au nom de la Rpublique, toutchangement terminologique doit tre approuv par la Commission et une Acadmie qui saccroche unevision mortifre de la langue. Et mme si des instances comme le Qubec ont droit un strapontin dansles commissions spcialises, pour lessentiel, la francophonie doit se plier la raison dtat parisienne.Pourtant, la sclrose officielle nest pas le destin obligatoire des langues forte tradition normative. Enespagnol, lAcadmie royale de Madrid (qui a des Hispano-Amricains en son sein depuis 1870) agitde concert avec les acadmies associes de lAmrique latine pour modifier la norme commune. Les languesallemande et portugaise disposent-elles aussi dinstitutions internationales o chacun est considr commecopropritaire du bien commun. La norme officielle du franais pourrait donc voluer. Il suffirait dun peu

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    de volont politique.

    Une mauvaise note pour les mdias qubcois

    Coincs entre lAmrique et la norme franco-franaise, comment les mdias qubcois se dbrouillent-ils,alors que la langue relle de leur clientle diverge de faon notable du franais officiel? Ces derniresannes, la qualit de la langue des organes dinformation qubcois a donn lieu deux valuationscritiques du Conseil de la langue franaise. Au printemps 1998, dans une tude intitule Matriser lalangue pour assurer son avenir, le Conseil a dnonc le pitre niveau de performance linguistique desjournalistes tant de la presse crite que de la presse lectronique, phnomne quil attribuait essentiellementaux insuffisances de la formation linguistique des communicateurs. En janvier 1999, le mme Conseila rendu publique ltude sur laquelle sappuyait son diagnostic, un rapport intitul La qualit de lalangue, un projet de socit. Lauteur, Jacques Maurais, rappelle que les journalistes de la presse critesont de plus en plus laisss eux-mmes tandis que disparat le mtier de correcteur et que se dveloppele recours croissant aux correcteurs orthographiques et grammaticaux informatiss. Le chercheur nousinvite cependant ne pas conclure trop vite une dtrioration de la qualit des journaux. Il cite cet effetune thse (Tremblay, 1993) qui fait apparatre une certaine amlioration entre 1961 et 1989. Pour lapresse lectronique, Jacques Maurais dresse un tableau beaucoup plus sombre. Il regrette, entre autres, lamise en sommeil du Comit de linguistique de Radio-Canada ainsi quun certain relchement dans lesecteur des uvres de fiction et des missions de varit. Maurais recommande que la qualit delexpression soit un critre dembauche dterminant et que les universits sattachent lamlioration dela formation des communicateurs.

    Bordel limmigration

    Quon soit daccord ou non avec la notion de qualit (qui suppose un consensus solide sur ce quiconstitue la norme), force est de constater que les mdias qubcois manquent singulirement de constance.Lun des plus gros problmes rside dans lutilisation des registres. La langue des grands journaux et desprincipaux organes dinformation lectronique se veut, dans lensemble, soutenue. Lusage gnralis desregistres familiers ou vulgaires na pas droit de cit dans ces mdias srieux . On ne verra pas (paspour linstant, du moins) de manchette de La Presse traitant un criminel de guerre yougoslave d enfantde chienne ou Simon Durivage annoncer au bulletin de TVA que le premier ministre a mis fin au zigonnage dans le dossier des fusions municipales. Par contre, de nombreux journalistes nont quunevague ide du registre dans lequel se trouvent certains francismes dont ils parsment leur discours.Veulent-ils faire branchs ? En tout cas, force est de constater que les usages qubcois de certainesexpressions europennes divergent de faon notable de ce quils sont dans le reste de la francophonie. Lejournal La Presse a rcemment imprim la une Lvch de Gasp na plus un radis (9 avril 2000)et rsum un article sur un amendement lgislatif fdral par le titre Bordel limmigration (12 avril2000). De mme, la radio de Radio-Canada, au beau milieu dun expos dans un franais trssoutenu, un journaliste a dclar quun jeune pirate de linformatique avait agi pour foutre le bordel (Montral-Express, 19 avril 2000). La Presse aurait-elle pu dire que lvch de Gasp na plus unecenne et le journaliste de Radio-Canada que le jeune pirate avait voulu faire dla marde ? Larponse est videmment ngative. Les journalistes qubcois connaissent la charge exacte de ces termes diciet devinent intuitivement le degr de tolrance sociale leur gard. Ce qui est en jeu, ce nest pas le droitdutiliser des mots comme cenne, zigonnage, bordel ou radis, cest leur utilisation incongrue. Leur prsencedans des propos srieux dnote non seulement la mconnaissance, par le journaliste, de certainespalettes du franais standard, mais aussi labsence de raction de la part dun public qui lui non plus ne

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    peroit gnralement pas la diffrence. Les responsables de la politique linguistique des grands mdiasdevraient donc trancher : soit accepter un usage divergent en cours de formation, soit censurer lesjournalistes. Ils ne le font pas. Comme le reste de la socit, les mdias prfrent entretenir lambigut.Ambigut entre lalignement sur le franais dit international et le dveloppement dune norme dici.

    La politique normative des grands titres

    Aprs avoir pos la question divers responsables de la presse crite (LActualit, Le Journal deMontral, Le Soleil, Le Devoir et La Presse), jai constat que seule LActualit possde une politiquenormative explicite. Cette revue mensuelle, de trs bonne facture, dispose dune quipe de trois correcteursprofessionnels qui traquent toutes les dviations et qui participent un processus systmatique de rcriturede tous les articles. Mme les citations sont remanies afin de les rendre conformes la norme du franaisstandard. La rdactrice en chef, Carole Beaulieu, maintient la politique de son prdcesseur, Jean Par :pas de concession ce que certains appellent le franais qubcois; le franais de LActualit est le mmeque celui des Parisiens. On crira donc un job , et non pas une job (numro de janvier 2001, p.34), et les termes purement qubcois seront transcrits en italique ou entre parenthses. Cette politique vajusquau rejet de la fminisation des titres, malgr lavis des autorits linguistiques qubcoises et en accordavec lAcadmie franaise. Un dpouillement dtaill du numro de janvier 2001 de LActualit nousa permis de constater que cette politique normative est scrupuleusement respecte, en particulier au niveaude la morphologie et de la syntaxe. Toutefois, il se glisse de temps en temps quelques particularitslexicales purement qubcoises. Exemples : cest un costaud qui cure tout le monde galement (p.9) (curer, ici, a le sens qubcois de narguer, provoquer, et non pas le sens franais de dgoter oudcourager); le rseau daqueduc coule (p. 20) (en franais standard, aqueduc dsigne un canal arienou souterrain, mais pas les tuyaux de distribution); les comptes de taxes (p. 20); la grandeur delle (p. 22); pour les empcher de brailler [les anciennes banlieues] (p. 22). Malgr ses professionsde foi transatlantiques, LActualit nchappe donc pas au franais qubcois.

    Les autres titres nont aucune position explicite sur la question de la norme. Par del un engagementprofess par tous en faveur de la qualit , les dcisions concrtes sont laisses aux artisans. Notonscependant que la Presse a imprim un Lexique des difficults du franais dans les mdias en usage LaPresse (crit par Paul Roux) et que la Presse Canadienne dispose dun lexique (un peu brouillon) lintrieur de son Guide du journaliste. Ce dernier ouvrage na pas t mis jour depuis 1992. Autredtail important, Le Journal de Montral, qui emploie trois correcteurs professionnels, imposescrupuleusement, tout comme LActualit, les guillemets ou litalique lors de la transcription demprunts langlais ou de termes familiers ou vulgaires. De son ct, il y a trois ans, Le Soleil a fait suivre tousses journalistes douze heures de cours de franais lUniversit Laval et ce quotidien a mis sur pied uncomit linguistique (maintenant dfunt) afin dharmoniser les pratiques dcriture. Enfin, le quotidien LeDevoir dispose de trois correcteurs professionnels (y compris une linguiste) qui passent au crible les textesaux heures de tombe. Mis part les efforts mentionns ci-dessus, pour lessentiel du travail de rflexionlinguistique, les salles de rdaction sen remettent donc aux correcteurs de texte informatiss et la sagacitdes chefs de pupitre. Retournons maintenant lanalyse des articles pour tenter de cerner plus avant lesattitudes normatives de la presse crite.

    crass mort

    Jai effectu mes observations pendant deux priodes : La Presse et Le Journal de Montral (LP et JMci-dessous), dans leurs ditions du 23 avril 2000 (dimanche de Pques) et ces mmes journaux, plus LeSoleil (LS) et Le Devoir (LD) les 22 et 23 dcembre 2000, ainsi que LActualit de janvier 2001

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    (ACT). Premire constatation, il y a deux normes qui se ctoient, une qubcoise et une europenne. Lapresse qubcoise nayant pratiquement aucun correspondant couvrant les sujets internationaux les pluschauds, lactualit mondiale est essentiellement rpercute sous la forme darticles de lAgenceFrance-Presse ou de lAssociated Press traduits pour un march europen sans effort notable de rcriturelocale. Ainsi, pour dcrire la saga du petit Elian Gonzalez, le JM reprend sans la changer la descriptiondes Franais : une vingtaine de marshals ont particip lopration , vhiculant ainsi une vision laLucky Luke des ralits nord-amricaines. Quon le dplore ou quon sen rjouisse, cette normefranco-franaise ne semble pas gner les lecteurs et elle permet aux journalistes dici de rester en contactavec les faons dcrire de l-bas. Il existe une autre influence, moins avouable celle-l, la reproduction sansmodification de traductions dagences trop fidles la langue de dpart. Dans un article sur une attaqueau couteau dans une cole de lOntario, LP et le JM reproduisent les mmes fautes dorthographe ( desblessures quil sest lui-mme inflig ) et les mmes lourdeurs ( accus de cinq chefs daccusation , lapolice a interrog pas moins de 40 tmoins , toutes les informations recueillies peuvent servir de preuvelors du procs ). Autre exemple, dans le JM, une traduction particulirement sadique et plonastique(PC et Reuter) : Melissa Macor et David Reeser ont t crass mort ( crushed to death ?).

    Des billets dinfraction

    Nous abordons maintenant une question plus fondamentale : les textes produits par les journalistesqubcois eux-mmes permettent-ils de dceler un comportement normatif local? Je commencerai par uncommentaire sur la qualit des textes : la plupart des journalistes crivent bien et les problmes derelchement ne sont le fait que dune minorit. De plus, certains organes de presse font des effortsindniables damlioration, tandis que dautres ne semblent pas se soucier outre mesure de la situation.Ainsi, les articles du JM sont dans lensemble mieux crits que ceux de LP. La diffrence vientprobablement dune question de gestion, puisque le JM a trois correcteurs et que la rdactrice en chef estparticulirement sensible la qualit de la langue. Le JM exhibe davantage dhomognit en matirede norme, et surtout, ses phrases sont plus concises, plus prcises, ce qui vite aux journalistes desemptrer dans des tournures emberlificotes dont ils perdent le contrle.

    propos de tournures emberlificotes, le journal La Presse remporte la palme. Parlant du vice-prsidentAl Gore et du secrtaire au Trsor des tats-Unis, lauteur de la revue de presse internationale de LPcrit : cette dmarche du secrtaire au Trsor donne belle jambe au prsidentiable dmocrate Al Gore (29-04-00). Non seulement le journaliste a-t-il massacr lexpression consacre, donner belle jambe la place de faire une belle jambe , mais il a galement russi crire le contraire de ce quil voulaitdire, savoir que le vice-prsident et le secrtaire au Trsor taient intellectuellement trs proches. Autreexemple de francisme mal matris, dans un article conomique de LP : a tourne un peu au loufoque :() lAutorit montaire des Camans ne compte que 48 personnes (29-04-00). Au fil desconstructions savantes, certains journalistes perdent le sens des mots. Ainsi peut-on brusquement fairelobjet dune affaire ( dans des affaires en vocation et en rcusation dont elle faisait lobjet LP,22-12-00, p. A2) ou, en trbuchant sur une expression consacre (un calque de langlais de surcrot),se retrouver avec des bigoudis de papier dans le ventre ( des papillotes dans lestomac LD, 23-12-00,p. A1).

    Le modle normatif du franais standard perd galement quelques plumes au chapitre de lorthographe.Pour le JM, il ny a pas grand chose signaler, part la manchette La Pques des enfantsdiabtiques . LP, par contre, semble exercer un contrle orthographique moins strict sur ce quelleimprime : son abris de fortune , cette iguane . Mais il ny a pas de quoi fouetter un chat. On

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    pourrait trouver de pareilles variations dans la presse europenne. Elles sont davantage rvlatrices desfaiblesses de notre systme orthographique que de lignorance des journalistes. Aprs tout, crire iguaneau fminin rpond la logique du e final, tandis que abris peut constituer un essai dalignement sur dbris et lambris . Passons maintenant un domaine au centre de la question : les variationslexicales, morphologiques et syntaxiques entre la presse crite qubcoise et la norme du franais standard.Les lexicographes qubcois, du moins ceux dentre eux qui sont partisans dune norme du franaissoutenu dici (cf. Martel et Cajolet-Laganire, 1996), affirment non sans raison que la norme de lcritqubcois diverge de faon notable de sa cousine transatlantique. Pour ce qui est du lexique, et quitte enfoncer des portes ouvertes, je crois quil faut partir de deux faits : le vocabulaire du franais qubcoisest trs original mais, pour la plupart des Qubcois, il sagit de diffrences qui passent totalementinaperues. Quelques exemples tirs de LP (29-04-00): les rsidants de limmeuble (le termehabitants, plus frquent dans un texte europen, pose problme au Qubec, voir plus bas), le bois ( bois ou bosquet ), lglise catholique semble en train de manquer le bateau ( manquer lecoche ), une fois dbarqu de lautobus (en Europe dbarqu voudrait plutt dire expuls manumilitari ), de peine et de misre (en Europe, misre na pas le sens canadien de difficults ), lafabrique (les gestionnaires laques dune paroisse), je frappe quelque chose avec mes jambes ( je mecogne sur quelque chose ). Relev dans le JM (29-04-00) : lambulance a t dmoli (un certainusage populaire dici fait de ce vhicule un mot masculin), des billets dinfraction ( contraventions ), un endroit plus scuritaire (ladjectif, dapparition trs rcente en Europe, ne sapplique pas un objetprcis, mais plutt un contexte, par exemple des proccupations scuritaires ), le soya ( soja est beaucoup plus frquent), qutaine (terme qubcois intraduisible, cucul sen rapprocherait un peu), enchantant des btises aux autres (en Europe, btises est un terme bnin, dans ce contexte, on dirait pluttinjures), des amis de cur , se sucrer le bec .

    Autres exemples de qubcismes glans juste avant Nol : des patrons qui ambitionnent (JM,23-12-00) (au sens dexagrer), les familles en arrachaient (LS, 23-12-00, p. A5), plus souventquautrement (LS, 22-12-00, p. A10), autre brasse-camarades en juillet 1994 (LD, 22-12-00,p. A4), des dizaines de camelots (LS, 23-12-00, p. A4), la grandeur de lle (JM, 23-12-00,p. 9 + ACT 01-01, p. 22), le freinage nous conduirait alors carrment dans le champ (JM22-12-00, chronique conomique, p. 40), il faisait plus cru que froid (JM 22-12-00, chronique p.6), le conducteur du camion venait de frapper quelquun (LS, 22-12-00, p. A13), malgr quilcraigne (JM, 22-12-00, p. 8) (malgr que est considr comme fautif dans le registre soutenu enEurope), le Vieux-Montral tait un repaire de robineux (ACT 01-01, p. 32), des sapeurs (JM, 23-12-00, p. 5, pour sapeurs-pompiers), Ado fauch par un solon (JM, 23-12-00, titre p.8), un propritaire de tabagie (LS, 23-12-00, p. A1). Des lecteurs europens trouveraient nombrede ces exemples opaques ou incongrus. Au Qubec, par contre, ils font gnralement partie de ce quoiles lecteurs sattendent. Qui plus est, un journaliste qubcois qui aurait systmatiquement recours auxexpressions europennes ferait preuve de manque de sensibilit linguistique. Par exemple, il risquerait devexer les rsidants dun immeuble en les traitant d habitants , un mot qui voque ici la ruralitet la navet. Quon le veuille ou non, il existe donc, dans le registre soutenu, une norme qubcoise. Maiselle est peu dcrite et les artisans qui lutilisent nen connaissent pas toujours les rgles. Si les organes depresse prenaient la peine dy rflchir, la plupart des termes rpertoris dans les lignes prcdentes seraientprobablement considrs comme de bonne facture. Malheureusement, le sujet est encore tabou, ce quiintroduit de fcheux flottements lorsquil sagit de savoir si des expressions comme poser des gestes , malgr que ou des patrons qui ambitionnent ont leur place dans le registre soutenu. Ces problmesne sont rien ct de ceux que pose une autre catgorie de tournures usuelles, les anglicismes et les calques

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    de langlais.

    La meilleure avenue pour le patient

    Il y a les anglicismes flagrants et les anglicismes subtils. Dans la premire catgorie, LP remporte la palme: trs mauvais timing , le gros party , sous mon coat aqueux (en parlant dun homme-grenouille)(29-04-00). Le JM est plus strict dans son emploi de mots dorigine ouvertement anglo-amricaine. Jenai relev que crinqu (29-04-00), et encore en italique, sous la plume dun chroniqueur qui semblaitsexcuser ainsi de lemploi dune tournure non standard. Le Devoir, lui, a langlicisme plus chic : laquestion du membership (LD, 23-12-00, p. A4). Par contre, les anglicismes subtils, cest--dire descalques ou des mots dallure franaise, mais avec un sens anglais, passent davantage inaperus. Encoreune fois, cest LP qui offre la moisson la plus abondante : la sortie dune courbe (pour virage ), circulant haute vitesse (high speed, pour toute vitesse ), la meilleure avenue pour son patient (probablement pour lui viter un sjour permanent au boulevard des Allongs) (29-04-00). De faon fortsignificative, seule LActualit russit liminer presque totalement les anglicismes sournois . Relevdans diverses publications : le ministre allait de lavant avec un rglement (LS, 23-12-00, p. A7), compte de taxes (LS, 22-12-00, p. A4, p. A7 + LP, 23-12-00, p. A15 + ACT 01-01, p. 20), les employs refusaient daborder le sujet des coupures (JM, 23-12-00, p. 32), des sessions deformation afin de dvelopper les habilets de ses militants (LD, 23-12-00, p. A4), les systmes dechauffage huile (JM, 23-12-00, p. 47), la majorit des citoyens clairs sont inconfortables (LP,22-12-00, ditorial p. A10), les chques ont souvent rebondi (LS, 22-12-00, p. A6), les votesethniques (LP, 22-12-00, p. A3 + LD, 22-12-00, ditorial, p. A8 + LP, 23-12-00, p. B3), LeBloc veut revamper loption souverainiste (LD, 22-12-00, titre p. A2), le support financiergouvernemental (JM, 23-12-00, chronique, p. 14), les officiers syndicaux (LD, 22-12-00, p.A4). Ces anglicismes affectent non seulement le vocabulaire, mais galement, et de faon plus pernicieuse,la structure de la langue elle-mme. En crivant lapproche du triste premier anniversaire de latuerie , La Presse (29-04-00) modifie les rgles du franais standard quant la place des adjectifs ety substitue une germanique anglo-saxonne structure . Relve du mme phnomne lutilisation tropfrquente de la forme passive (surtout en traduction) : lenfant y a t amen aprs avoir t rcupr deforce.

    a regarde mal

    (JM 22-12-00, chronique conomique, p. 40).

    Les anglicismes sournois que jai relevs doivent-ils tre condamns? De nombreux anglicismes fonttellement partie des murs quon pourrait peut-tre estimer quils mritent dtre incorpors la languedici. Je ne me permettrai pas de trancher, mais je noterai simplement quil ny a pas de dbat public surle sujet. Le problme va beaucoup plus loin que la simple question des variations lexicales. La plupartdes spcialistes qubcois de la langue estiment quil faut pourchasser les anglicismes de structure.Cependant, ils ne sattaquent qu la pointe de liceberg, car les variations morphologiques et syntaxiquesobserves dans la presse crite dbordent, et de beaucoup, du simple domaine des calques de langlais. Lespartisans dune norme du franais soutenu dici ont trac une ligne arbitraire qui sparerait le franaisqubcois de bon aloi des formes combattre. On retrouve du bon ct une liste de particularitslexicales (et de prononciation) acceptables, et de lautre le rebut, essentiellement une bonne partie desanglicismes, quelques prononciations trop types ainsi que toutes les formes morphologiques et syntaxiquesdivergentes. Le franais qubcois norm (ou en voie de normalisation) partagerait donc, au niveau de lastructure de la langue, les mmes rgles de grammaire que le franais standard. Or, ce nest pas conforme

  • LA NORME DANS LES MDIAS 81

    aux faits : force est de constater que ce qui est acceptable lcrit diverge de faon importante de la normegrammaticale europenne.

    Magasinez votre appareil

    ma connaissance, il nexiste aucune description exhaustive de la morphologie et de la syntaxe de lalangue qubcoise, seulement quelques bauches sous la plume dauteurs comme le grammairienJean-Marcel Lard ou le lexicographe Lionel Meney (dans lintroduction de son tout rcent Dictionnairequbcois franais). Les exemples qui vont suivre relvent de structures dcrites par ces auteurs, desvariations qui viennent moins de linfluence de langlais que dusages morphologiques et syntaxiquesdivergents.

    Morphologie du dterminant

    Pas dhara-kiri (JM 22-12-00, titre p. 14) (franais standard h aspir : pas de hara-kiri )

    Morphologie du nom

    S genre

    une badge (JM 22-12-00, p. 8) (gnralement masc. en Europe) Qui aura la job de conseiller? (JM 22-12-00, titre p. 10) cette iguane (LP 23-04-00) lambulance a t dmoli (JM 23-04-00)

    S nombre

    La Pques des enfants diabtiques (LP 23-04-00) son abris de fortune (LP 23-04-00)

    S suffixes non standard

    accus de flnage (JM 22-12-00, p. 6) flnage (PCF 22-12-00, dans : LS, p. A13)

    Morphologie du verbe

    on est bien loin des prjugs auxquels on devait se confronter il y a 25 ans (LP, 23-12-00, p. A18)

  • 82 TERMINOGRAMME - NUMRO 97-98 - NORME ET MDIAS

    des blessures quil sest lui-mme inflig (faute daccord, PCF, reprise par LP et JM le 23-04-00)

    lenfant y a t amen aprs avoir t rcupr de force (LP 23-04-00) (recours systmatique laforme passive, influence possible de langlais)

    Morphologie du pronom personnel

    profitons-en pour se sucrer le bec (JM 23-04-00)

    S Syntaxe du nom

    en rapport avec larticle premier de son programme (LP, 22-12-00, ditorial p. A10) (franaisstandard : au sujet de , calque de langlais in connection with )

    S Syntaxe du verbe

    interrog savoir si laccord sign (LS, 22-12-00, p. A10)

    jessaie de dptrer mon attirail (LP 23-04-00)

    S utilisation intransitive de verbes transitifs

    si vous avez lintention de souscrire un contrat (LP 23-04-00)

    S Syntaxe de ladjectif

    S un autre + numral

    sa cliente devra attendre un autre trois ou quatre ans (JM 22-12-00, p. 28)

    S ordinal + superlatif

    la cinquime plus importante firme de gestion de fonds de placement au Canada (JM,23-12-00, p. 34) (calque de langlais, cette structure commence stendre dans le jargon desjournalistes europens; franais standard : la cinquime par ordre dimportance )

    S adjectifs antposs (influence de langlais, en expansion en Europe)

    le controvers militant pquiste (LP, 22-12-00, p. A3) le trs multiethnique Mile-End (LP, 22-12-00, p. A3) lapproche du triste premier anniversaire de la tuerie (LP, 23-04-00)

    S Prpositions

    renouvelable tous les cinq ans (LP, 22-12-00, p. A12) Presque chaque jour (LP, 22-12-00, p. B1) Organise chaque anne (LS, 23-12-00, p. A3) il faut marcher de reculons vis--vis le moineau et ltourneau (JM 23-04-00)

  • LA NORME DANS LES MDIAS 83

    S Pronoms

    Son problme en serait plutt un de discernement (LS, 23-12-00, p. A19)

    S Syntaxe de la phrase

    S limination du sujet il impersonnel en dbut de phrase

    Parat que (JM 22-12-00, chronique, p. 6) Vaut mieux agir (JM 22-12-00, titre p. 10)

    S adjectifs mis en coordination avec dautres catgories grammaticales

    Lenqute sociale et de sant (LP, 22-12-00, p. A1) leurs conditions de travail et surtout salariales (LD, 22-12-00, p. A4) les baisses dimpt annonces et qui entreront en vigueur (LP, 23-12-00, p. A9)

    S locutions verbales ncessitant un verbe linfinitif, mais suivies dunsubstantif

    Alexis Avoine, 10 ans, a hte Nol. (LS, 22-12-00, p. A1)

    S infinitives non standard

    afin de fidliser leurs ouailles les soutenir financirement (LP, 23-04-00)

    Tout est-il permis? Ladoption de structures strictement qubcoises a ses limites. Les journalistes sontdes gens qui ont en mmoire les prceptes normatifs que leur a transmis lcole et ils vitent, dans la mesuredu possible, les variations les plus marques de la langue parle. Par exemple lusage du que dit universel( la chose quon parle ) ou le recours certaines constructions du type a fait que . Par contre,lintroduction de structures interrogatives en subordonne ( la rue o est-ce quil reste ) se rencontre dansla presse lectronique.

    Arrtez bande de caves

    Tout ceci mamne une autre constatation importante : losmose entre la langue orale familire et lcritde niveau soutenu. En relisant les exemples cits ci-dessus, il est vident que lutilisation par la pressecrite qubcoise de tournures populaires est non seulement acceptable, mais mme souhaitable, surtoutlorsque le journaliste veut attirer le lecteur de son ct. Il sagit l dun fait de socit indniable : ladistinction des registres de langue est beaucoup moins marque chez les francophones dAmrique que chezceux dEurope. Un Qubcois qui sadresse un autre compatriote est toujours plus ou moins de la mmefamille, mme si les deux personnes ne se connaissent pas; le style familier fait partie des codes langagiersobligatoires pour renforcer la solidarit du groupe. Le phnomne est particulirement vident dans lestextes crits la premire personne, ceux des chroniqueurs par exemple. Lu dans LP : ben ordinaire , ben malade , cest trop con , il mavait fait mettre le portrait leau . On pourra objecter quele recours des expressions familires est galement frquent dans la presse europenne. Mais il y a unenorme diffrence : il sagit dun genre part, utilis dans un certain type darticle ou de publication, unstyle quon adopte en dbut de texte, mais qui est prohib ds quon choisit dcrire dans le registresoutenu. La presse qubcoise, par contre, mlange ouvertement les genres et introduit des formulationstrs familires lintrieur dexposs rdigs par ailleurs en langue chtie. Ainsi au beau milieu dunarticle trs srieux sur la politique internationale, LP crit Business Week dit en substance cettedroite rpublicaine : arrtez bande de caves (23-04-00).

  • 84 TERMINOGRAMME - NUMRO 97-98 - NORME ET MDIAS

    Radio-Canada, modle dorthodoxie linguistique?

    Pour les mdias lectroniques, je parlerai surtout de Radio-Canada, pour la simple raison que la socitfdrale occupe une place de choix dans les perceptions des francophones. Je ferai quelques comparaisonsavec le rseau TVA pour dmontrer essentiellement que cette chane de tlvision sen tire aussi bien,sinon mieux, que la tlvision publique. En effet, les Qubcois considrent toujours que la langue deslecteurs de nouvelles de Radio-Canada est une des principales rfrences du bon franais dici (cf.Bouchard et Maurais, 1999). Le capital de confiance dont jouit Radio-Canada est videmment le fruitde lhistoire. Ds 1960, cette institution a jou un rle social clef avec le dveloppement dun service delinguistique de qualit sous la direction dhommes comme Robert Dubuc, qui ont lgu la collectivitun patrimoine de quelque 5000 fiches terminologiques. Parmi les plus beaux succs des terminologues dela socit dtat, citons linvention du mot motoneige pour remplacer skidoo. Ces efforts se sont arrtsen 1985 pour des raisons budgtaires, mais aussi, et de faon non avoue, par larrive au pouvoir dunegnration de cadres extrieurs lentreprise et peu soucieux des questions de langue. Ces Barbares ,comme les appellent leurs adversaires, ont supprim le service de linguistique pour le remplacer par unesection de traduction qui rpond aux besoins de la haute direction et du sige social. Aujourdhui, la radioet la tlvision ont deux attitudes trs diffrentes. la radio, une certaine tradition se maintient, avec leretour en poste, ces dernires annes, dun conseiller linguistique. La tlvision, elle, na rien dquivalent.Les normes du Tljournal, si elles existent, se limitent la tradition des artisans et aux dcisions desfaiseurs dimage qui entourent les vedettes. Pour les missions dramatiques et le secteur des varits,presque entirement entre les mains de producteurs privs, lintervention de la direction de la tlvisiongnrale se limite un difficile exercice dlagage des propos choquants. la tlvision, la belle poquede la terminologie est morte, il ny a plus aucun effort dlibr de dfinition dune attitude commune faceaux dfis croissants de langlo-amricain et de linnovation technologique. La peur des travers normatifs, il faut dire, il ne faut pas dire , paralyse une direction de plus en plus obnubile par les cotes dcouteet convaincue de lincompatibilit profonde de la popularit et de la qualit.

    La radio de Radio-Canada renoue avec sa tradition linguistique

    La radio de Radio-Canada vient de publier (mai 2000) une politique linguistique laquelle, de faonfort significative, la tlvision na pas adhr. Cette politique est accompagne de la rsurrection, pour laseule radio, dun comit de terminologie qui reprend une tradition de modernisation de la langueinterrompue par quinze annes de grande noirceur. Pour linstant, cette nouvelle politique se limite lavision de ce que la radio de Radio-Canada pense delle-mme. La pratique quotidienne relle change peu, lexception de la rintroduction dun examen de franais pour les nouveaux employs que lon destineau micro. La politique de la radio se situe demble au centre de lorthodoxie normative : le franaisutilis sur les ondes de la Radio franaise de Radio-Canada est le franais correct en usage au Canada .Il y a donc, pour le radiodiffuseur public, concidence entre ce qui est et ce qui devrait tre. Le franaiscorrect en usage au Canada est dfini comme une langue qui a ses tournures typiques, ses particularitslexicales et ses prononciations rgionales . Ainsi, la norme radio-canadienne se veut diffrente du franaisdit international, mais cette diffrence se limite peu de choses : des nuances de nature lexicale et quelquestraits de prononciation. Ces divergences ne sont pas dfinies de manire explicite et, pour les cerner, il fautse rapporter aux notes indicatives hebdomadaires publies par le conseiller linguistique, Guy Bertrand,une personne qui intervient toujours avec beaucoup de tact et de finesse (Le franais au micro).

    En ce qui concerne la rfrence internationale, Radio-Canada stipule que les prononciations doivent serapprocher le plus possible des prononciations en usage dans le reste de la francophonie . Mais il est

  • LA NORME DANS LES MDIAS 85

    galement dit que, sous rserve de clart et de respect des principes de base du rseau, les accentsrgionaux sont parfaitement acceptables en ondes . Le terme nest pas dfini, mais par accentsrgionaux , il semble que Radio-Canada nentende pas le Canada face lEurope, mais plutt le centredu Qubec face au reste du rseau. Il est dit en effet que le personnel lantenne doit viter dutiliser desprononciations trop locales dans les missions rseau . Vise-t-on les Acadiens, les francophones horsQubec, la Gaspsie profonde? Ce nest pas dit. Ces imprcisions dbouchent sur un tour de passe-passe : la Radio franaise de Radio-Canada utilise, dans lensemble de sa programmation, un franaissusceptible dtre compris et apprci par lensemble des locuteurs francophones de toutes les rgionscanadiennes . Outremont aussi bien que la Main , la vieille capitale aussi bien que Pouce-Coup,Colombie-Britannique.

    Si une certaine souplesse se manifeste au niveau de la prononciation et du lexique, lacceptation de lavariation ne va pas jusqu la syntaxe et la grammaire. L, quelle soit correcte et dici ou internationale,la langue franaise est considre comme une et indivisible. Lorthodoxie grammaticale va trs loin,puisquil est dit que les journalistes, les animateurs et les chroniqueurs doivent veiller au respect desrgles et corriger les erreurs de syntaxe et de grammaire prsentes dans ces propos [dautrui]. Ledocument contient une liste dtaille dinterdictions : le tutoiement excessif, les jurons et blasphmes, lespropos sexistes ou irrespectueux des minorits, ainsi que les termes la mode grammaticalement fautifsou vecteurs danglicismes ou de barbarismes. Les niveaux de langue sont soigneusement rpertoris et nedoivent en aucun cas descendre au-dessous du niveau familier (dfini comme contenant des termes courants, parfois contestables, mais jamais carrment fautifs ni vulgaires ).

    Un modle mis mal

    Dans la pratique, que veulent dire ces admonestations? La tlvision ayant un impact beaucoup plusimmdiat et beaucoup plus puissant que la radio, je me suis concentr sur la langue du petit cran. Jaicout soigneusement quatre soires dinformation la tlvision de Radio-Canada entre le 25 avril et le3 mai 2000, ainsi que les tljournaux de Radio-Canada et de TVA les 21 et 22 dcembre 2000.Dans les lignes qui vont suivre, je ne citerai nommment que lanimateur du Tljournal, car il estlgitime de se demander sil y aura un jour un franais de Stphan Bureau comme il y a eu unfranais de son prdcesseur, Bernard Derome. Autre remarque, je tire tous mes exemples de textes quiont t crits davance, textes dannonceurs ou narrations de journalistes, et non pas dnoncs spontans,plus susceptibles de contenir des scories.

    Voyons dabord la prononciation. Dans ce domaine, un prdcesseur de Guy Bertrand, CamilChouinard, avait produit dans les annes 1980 un guide sur cassette qui se conformait dans presque tousles dtails la norme europenne. Un petit exemple : pour les nombres six, sept, huit et dix, il fallaitdire si maisons , st mille , hui personnes , di pour cent . Aujourdhui, on dit s milledollars dimpt (Tljournal, 3 mai), soixante-diss disques (TJ, 25 avril), cinkk mille dollars (Enjeux, 25 avril), trois cent cinquante-siss millions (Stphan Bureau, 28 avril), trois mille cinkcent postes (TVA, TJ, 22-12-00), diss pour cent (TVA, TJ, 22-12-00). Autres exemples deprononciations qubcoises divergentes : au dssus de Lockerbie (Stphan Bureau, 3 mai), pourrmdier la situation (TJ, 3 mai) et dans lEsteu maintenant (TVA, mto, 22-12-00)(introduction dun e s pour respecter lordre canonique du franais, consonne-voyelle-consonne). Enlabsence de tout contrle linguistique institutionnel, les journalistes ont donc substitu la norme dufranais standard la prononciation habituelle du franais qubcois. Lre de lalignement sur Paris estbel et bien termine.

  • 86 TERMINOGRAMME - NUMRO 97-98 - NORME ET MDIAS

    La soupe est chaude, mais on na pas la chienne

    Deuxime constatation : la langue orale familire a envahi massivement le niveau dexpression soutenu,entranant du mme coup une confusion des registres. Exemple : un reportage qui dbute par legouvernement sent la soupe chaude (SRC, TJ, 3 mai) semblera normal bien des tlspectateurs. Demme, peu de gens trouveront redire des phrases qui commencent, la faon populaire, par des verbessans sujet : Faut dire que depuis son dernier spectacle , Vaut mieux une petite salle bien remplieplutt quun grand stade peut-tre moiti vide (SRC, TJ, 27 avril). Tout comme la presse crite, lapresse lectronique a recours aux francismes pour viter des qubcismes vulgaires que naccepterait pasle public. Ainsi, quand Stphan Bureau dclare que la loi sur les fusions municipales donne la frousseaux anglophones sur lle de Montral (SRC, 22-12-00), il est vident quil ne pourrait pas utiliserune expression qubcoise quivalente, par exemple, les anglophones ont la chienne . Lintroductiondu registre familier dans des exposs qui essaient de maintenir une facture soutenue classique dboucheparfois sur des incongruits. En essayant de flatter le peuple tel quil se limagine, le journaliste peutperdre de vue le sens rel des mots : en disant la victime qui a reu une bonne racle (SRC, TJ,28 avril) le narrateur semble indiquer, son insu, quune personne innocente avait mrit son agression.

    Troisime constatation, le vocabulaire, tout comme dans le cas de la presse crite, est rsolument dici. Lachalandage accru (SRC, TJ, 22-12-00) ( propos de la clientle dAir Canada), on sequestionne sur les motifs du couple (SRC, TJ, 21-12-00). La presse lectronique vhicule galementson propre cortge danglicismes : Qubec va de lavant avec les fusions (TVA, prsentatrice,22-12-00; cet anglicisme commence tre attest en Europe), on anticipe nouveau un succsphnomnal (SRC, TJ, 25 avril), avec beaucoup trop demphase (SRC, TJ, 28 avril), il doittoujours garder le fort (SRC, TJ, 21-12-00), dput de la lgislature albertaine (SRC, StphanBureau, 22-12-00), les arguments mis de lavant (SRC, radio, 22-12-00), la grande vente batson plein (SRC, TJ, 21-12-00).

    Jules et Max ont htent [sic] de te retrouver!

    tant donn le parti pris des directions en faveur dune langue qui ferait peuple , il ne faut passtonner que les journalistes des mdias lectroniques, tout particulirement la tlvision deRadio-Canada, prennent des liberts avec Dame Grammaire. La hardiesse, dans ce domaine, na rien envier celle de la presse crite :

    Morphologie du nom

    S genre

    Quebecor World veut rembourser un demi milliard de dettes il est maintenant numro un (SRC, TJ, 25-04-00) (octroi dun genre un nom propre qui ne peut pas en avoir)

    Si les personnes ges reprsentent un poids social trop lourd, alors quils forment douze pour centde la population, quen sera-t-il dans trente ans, alors quils seront deux fois plus nombreux? (SRC, Enjeux, 25-04-00)

    S marque du pluriel (attribution dune marque de pluriel de type verbal unnom)

    Jules et Max ont htent de te retrouver! (Radio-Canada, site internet jeunesse, BouledogueBazar, affich pendant tout lt 2000)

  • LA NORME DANS LES MDIAS 87

    Morphologie du verbe

    Les Mohawks sont construire (SRC, TJ, 21-12-00) (forme atteste en Europe, maisdans le registre familier)

    Morphologie du pronom personnel

    Si les personnes ges reprsentent un poids social trop lourd, alors quils forment douze pourcent de la population, quen sera-t-il dans trente ans, alors quils seront deux fois plusnombreux? (SRC, Enjeux, 25-04-00)

    S Syntaxe du verbe

    Aprs que Daimler-Chrysler ait pris des mesures similaires (SRC, radio, 22-12-00)(franais standard : aprs que + indicatif, variation frquente en Europe)

    S utilisation transitive de verbes intransitifs

    mousser la consommation (SRC, TJ, 21-12-00) (franais standard : faire la promotionde )

    le tiers de la fraude prsume ne peut tre enqute (SRC, TJ, 03-05-00)

    pourquoi la GRC ne va-t-elle pas perquisitionner Revenu Canada? (SRC, TJ, 03-05-00)

    S Syntaxe de ladjectif

    S ordinal + superlatif

    La SAQ est la huitime entreprise la plus admire des Qubcois (SRC, TJ, 21-12-00) Harvey tait devenu le troisime plus haut grad de son parti aux Communes (SRC, TJ,25-04-00)

    S adjectifs antposs (influence de langlais, en expansion en Europe)

    en plein cur du trs francophone Plateau Mont-Royal (SRC, TJ, 21-12-00)

    prsentation ce soir du septime et dcisif match de la saison (SRC sports, 25-04-00)

    le controvers maire de New York (SRC, Stphan Bureau, 27-04-00)

    S Syntaxe de la phrase

    S limination du sujet il impersonnel en dbut de phrase

    Faut dire que depuis son dernier spectacle (SRC, TJ, 27-04-00)

    Vaut mieux une petite salle bien remplie plutt quun grand stade peut-tre moiti vide (SRC, TJ, 27-04-00)

    S pluriels collectifs

    une quipe de lhpital Necker de Paris vient de raliser une premire en thrapie gnique; ilsont russi restaurer le systme immunitaire de quatre bbs (SRC, Stphan Bureau,27-04-00)

    la moiti de la salle, surtout des reprsentants des banlieues, ont choisi de bouder son

  • 88 TERMINOGRAMME - NUMRO 97-98 - NORME ET MDIAS

    discours (SRC, Stphan Bureau, 27-04-00)

    S omission du ne de ne pas (trs frquent dans toute la francophonie)

    Cest vraiment pas le temps daccoucher (TVA, prsentatrice, 22-12-00)

    S postposition non standard de la relative

    Le syndicat menace de dclencher la grve, lui qui a obtenu un vote de ses membres en ce sens (TVA, TJ, 22-12-00) (en franais standard : lui qui a un sens de concession, alorsquil )

    S liste dpithtes surcharge

    ce soir au Tljournal : le syndicaliste et tmoin vedette la commission Cliche Andr Desjardinsest abattu (SRC, Stphan Bureau, 27-04-00)

  • LA NORME DANS LES MDIAS 89

    S interrogatives en subordonnes

    mais au bout du compte, on se demande quest-ce que a va changer (franais standard : ce quea va changer ) (SRC, TJ, 25-04-00)

    Les zinscrits et les non-zinscrits

    Ces remarques ne visent pas rclamer un retour un ge dor imaginaire de lorthodoxie normative,mais suggrer une rflexion collective sur la question. Le problme de la fidlit de la langue parle la norme ne se pose pas simplement dans les mdias lectroniques du Qubec. La linguiste franaiseFranoise Gadet, spcialiste du franais populaire, a relev la tlvision franaise certains changementsmorphologiques qui laissent rveur. Ainsi, a-t-elle not dans la bouche dannonceurs lintroduction de lamarque du pluriel des endroits strictement interdits par la norme du franais : les inscrits et lesnon-inscrits , prononc les zinscrits et les non-zinscrits , ou furieux davoir t poursuivis ,prononc furieux davoir zt poursuivis (il ny a aucun moyen, loral, de faire savoir autrementquil sagit dun pluriel, le x de furieux et le s de poursuivis ne se prononant pas). Et quand lesjournalistes franais parlent du Parqueu des Princes et de lArqueu de Triomphe , on constateraquil sagit du mme phnomne de rtablissement non standard de lordre canonique consonne-voyelle quelorsquun annonceur qubcois parle de l Esteu de Montral . Le refus du tlescopage des sons k-d-test le mme des deux cts de lAtlantique. Ceci souligne le fait que les problmes normatifs auxquels fontface les mdias sont souvent identiques dans lensemble de la francophonie. Toutefois, ils se posent avecune acuit supplmentaire sur ce continent, du fait dune plus grande distance entre la norme officielle etla structure profonde de la langue dici.

    Que faire?

    Rsumons les symptmes :

    1) Le franais standard, vue de lesprit depuis son acte de naissance, dcroche de plus en plus de saralit langagire.

    2) La pratique des mdias qubcois, presse lectronique et presse crite, diverge de faon notable dufranais standard.

    3) Cette divergence nest pas simplement le fait de la presse, on peut la constater galement dans lesdiscours publics, la langue des enseignants et, a fortiori, celle des lves.

    4) La socit qubcoise, lorsquelle est consciente du fait, ne veut pas du sparatisme linguistique. Maisla plupart du temps, elle nen est pas consciente. La qubcisation de la norme se fait de faonanarchique et honteuse.

    5) Les journalistes savent de faon intuitive quils ne peuvent pas sengager fond dans une morphologieet une syntaxe qui seraient rsolument divergentes ou dans des styles entirement puiss dans le registrefamilier. Leur pratique quotidienne est donc schizophrnique; ils sont tiraills entre, dune part, lefranais standard distill par linstitution scolaire, et dautre part, le dsir de rester proche de leurpublic.

    Maintenant les remdes :

    1) Il ny a pas de solution satisfaisante court terme.

    2) La langue franaise ne survivra que si elle accepte, comme les autres grandes langues qui lentourent,

  • 90 TERMINOGRAMME - NUMRO 97-98 - NORME ET MDIAS

    que sa norme ne peut tre que plurielle. La variation (y compris la variation orthographique) ne doitpas tre rprime, mais au contraire encourage, ou plutt accompagne par une rflexion et un balisagecollectif.

    3) Lhistoire de la langue franaise tant intimement lie celle de lintervention tatique, ce sont avanttout les tats quil faut convaincre daccepter la pluralit de la norme, et au premier chef, leurssystmes dducation.

    4) Leffort international de rforme terminologique doit reprendre de plus belle, mais sur une basesensiblement diffrente, celle dun dpistage des besoins rels des socits et dune promotion prioritairedes inventions trouves par les usagers. LAcadmie franaise, organisme non lu qui se renouvelle envase clos, doit redevenir un organisme consultatif sans droit de veto.

    5) lchelle qubcoise, il faut que ltat organise un dbat de socit pour que lcole, les mdias etles citoyens puissent dfinir clairement la nature de la norme dici : les variations admises et les pointsdancrage la langue commune.

    6) Il faut faire sortir lenseignement du franais du marasme dans lequel il se trouve et sassurer que lesenseignants connaissent et possdent les mcanismes des deux langues, la langue norme et la languerelle, de faon ce que les jeunes gnrations acquirent une meilleure matrise de tous les registres.

    7) Il faut inciter les patrons de presse crer des structures dintervention linguistique dans leurs sallesde rdaction, en relation organique avec les commissions de terminologie de lOffice de la languefranaise. Un des moyens serait le recours un amendement la Charte de la langue franaise quiimposerait de nouvelles obligations aux institutions ayant une influence linguistique majeure : mdias,agences de publicit, institutions denseignement.

  • LA NORME DANS LES MDIAS 91

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