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INFECTIONS VIRALES ANTIVIRAUX Thérapie génique conduisant à l’inactivation de CCR5 Vers l’éradication du VIH? CCR5 knockout strategies. . . A way toward HIV cure? S. Scerra, G. Melica, J.-D. Lelièvre * Service d’immunologie clinique, faculte ´ de me ´ decine, GHU Chenevier-Mondor, universite ´ Paris-Est Cre ´ teil, 51, avenue Mal-de- Lattre-de-Tassigny, 94010 Cre ´ teil, France MOTS CLÉS HIV ; CCR5 ; Éradication ; Thérapie génique ; Allogreffe de moelle ; SiRNA ; Zinc finger Résumé Contexte. La démonstration récente d’une éradication possible d’une infection VIH chez un patient allogreffé avec des cellules d’un donneur CCR5D32 (patient de Berlin) ouvre de nouvelles voies thérapeutiques au cours de cette infection. Me´thodes. L’allogreffe de moelle a été évaluée depuis de nombreuses années dans le contexte de l’infection par le VIH et pose des problèmes de toxicité évidente. Différents outils de thérapie génique (siRNA, shRNA, protéines Zinc finger [ZF]) peuvent être utilisés pour inactiver la molécule CCR5 permettant de modifier le patrimoine génétique d’un individu sans recourir à une allogreffe. Ceux-ci ont été évalués chez l’Homme et dans des modèles murins. Re´sultats. Les résultats obtenus chez l’Homme et dans les modèles murins montrent que l’inactivation de CCR5 dans les cellules souches n’a pas d’effet délétère sur la reconstitution immunitaire. Ils laissent, de plus, suggérer que l’effet obtenu chez le patient de Berlin est la résultante de l’effet combiné de l’inactivation de CCR5 et des traitements myéloablatifs et immunosuppresseurs. Conclusion. Dans le cadre d’une éventuelle utilisation plus large de la thérapie génique au cours de l’infection VIH, en dehors du contexte d’une allogreffe, il paraît nécessaire d’envisager de cibler plusieurs acteurs cellulaires si l’on veut obtenir un contrôle de la réplication virale comme chez le patient de Berlin. # 2011 Publié par Elsevier Masson SAS. KEYWORDS HIV; CCR5; Eradication; Stem cell therapy; Stem cell transplantation; Summary Background. The recent demonstration of the cure of HIV infection following CCR D32/D32 stem cell transplantation in a German patient (Berlin patient) paves the way to new therapeutic options. Methods. Allogeneic haematopo0ietic stem cell transplantation (HSCT) have been used since many years during HIV infection and is associated with major toxicity concerns. Several tools have been developed (siRNA, shRNA, Zinc finger proteins) in order to disrupt CCR5 expression in hematopoietic stem cell progenitors. They have been evaluated both in humans and in animal models. Journal des Anti-infectieux (2011) 13, 184190 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.D. Lelièvre). 2210-6545/$ see front matter # 2011 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.antinf.2011.07.003

Thérapie génique conduisant à l’inactivation de CCR5 – Vers l’éradication du VIH?

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Page 1: Thérapie génique conduisant à l’inactivation de CCR5 – Vers l’éradication du VIH?

INFECTIONS VIRALES — ANTIVIRAUX

Thérapie génique conduisant à l’inactivationde CCR5 — Vers l’éradication du VIH?CCR5 knockout strategies. . . A way toward HIV cure?

S. Scerra, G. Melica, J.-D. Lelièvre *

Service d’immunologie clinique, faculte de medecine, GHU Chenevier-Mondor, universite Paris-Est Creteil, 51, avenue Mal-de-Lattre-de-Tassigny, 94010 Creteil, France

MOTS CLÉSHIV ;CCR5 ;Éradication ;Thérapie génique ;Allogreffe de moelle ;SiRNA ;Zinc finger

RésuméContexte. — La démonstration récente d’une éradication possible d’une infection VIH chez unpatient allogreffé avec des cellules d’un donneur CCR5D32 (patient de Berlin) ouvre de nouvellesvoies thérapeutiques au cours de cette infection.Methodes. — L’allogreffe de moelle a été évaluée depuis de nombreuses années dans lecontexte de l’infection par le VIH et pose des problèmes de toxicité évidente. Différents outilsde thérapie génique (siRNA, shRNA, protéines Zinc finger [ZF]) peuvent être utilisés pourinactiver la molécule CCR5 permettant de modifier le patrimoine génétique d’un individu sansrecourir à une allogreffe. Ceux-ci ont été évalués chez l’Homme et dans des modèles murins.Resultats. — Les résultats obtenus chez l’Homme et dans les modèles murins montrent quel’inactivation de CCR5 dans les cellules souches n’a pas d’effet délétère sur la reconstitutionimmunitaire. Ils laissent, de plus, suggérer que l’effet obtenu chez le patient de Berlin est larésultante de l’effet combiné de l’inactivation de CCR5 et des traitements myéloablatifs etimmunosuppresseurs.Conclusion. — Dans le cadre d’une éventuelle utilisation plus large de la thérapie génique aucours de l’infection VIH, en dehors du contexte d’une allogreffe, il paraît nécessaire d’envisagerde cibler plusieurs acteurs cellulaires si l’on veut obtenir un contrôle de la réplication viralecomme chez le patient de Berlin.# 2011 Publié par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDSHIV;CCR5;Eradication;Stem cell therapy;Stem celltransplantation;

SummaryBackground. — The recent demonstration of the cure of HIV infection following CCR D32/D32stem cell transplantation in a German patient (Berlin patient) paves the way to new therapeuticoptions.Methods. — Allogeneic haematopo0ietic stem cell transplantation (HSCT) have been used sincemany years during HIV infection and is associated with major toxicity concerns. Several toolshave been developed (siRNA, shRNA, Zinc finger proteins) in order to disrupt CCR5 expression inhematopoietic stem cell progenitors. They have been evaluated both in humans and in animalmodels.

Journal des Anti-infectieux (2011) 13, 184—190

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (J.D. Lelièvre).

2210-6545/$ — see front matter # 2011 Publié par Elsevier Masson SAS.

doi:10.1016/j.antinf.2011.07.003
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siRNA;Zinc finger

Results. — Results showed that CCR5 knockout strategies do not impair immune reconstitution.They also suggest that the effect of long-term control of HIV in the Berlin patient is related toboth CCR5 down regulation and the effects of myeloablative and immunosuppressive therapiesused during HSCT.Conclusion. — In the event of a large use of genetic therapies during HIV infection, beside thecontext of HSCT, it will be necessary to target several cellular factors in order to obtain a longterm control of HIV as observed in the Berlin patient.# 2011 Published by Elsevier Masson SAS.

Inactivation de CCR5 et éradication du VIH 185

La publication en février 2009 dans le New England Journal ofMedecine [1] du contrôle sans traitement d’une infection parle virus VIH par un patient après allogreffe de moelle à partird’un donneur CCR5D32 homozygote, dénommé depuis lepatient de Berlin, et surtout la mise en évidence dans unsecond temps d’une possible disparition de ce virus chez cepatient [2] ont suscité un grand enthousiasme et réveillél’intérêt pour l’utilisation des stratégies de greffe de cellulessouches et de thérapies géniques dans le cadre de l’infectionpar le VIH [3,4]. Ce type de stratégies thérapeutiques a étédéveloppé dans le cadre de l’infection par le VIH avec deuxobjectifs :

� rendre les lymphocytes T CD4+ et/ou leurs précurseurshématopoïétiques résistant à l’infection;� reprogrammer des cellules immunitaires pour augmenter

leur activité anti VIH [5].

Dans cette revue nous ferons le point sur les stratégies degreffes de cellules souches et de thérapies géniques ciblantla protéine CCR5 en évaluant leur capacité à éradiquerl’infection virale.

Le patient de Berlin — Un modèle

L’hypothèse de départ ayant conduit à l’intervention théra-peutique sur le patient de Berlin repose sur la mise enévidence du rôle de corécepteur, nécessaire à l’entrée duvirus VIH dans ses cellules cibles, de la molécule CCR5 puis del’effet protecteur de la présence à l’état homozygote d’uneforme tronquée de cette molécule (CCR5D32) contre l’infec-tion par ce virus [6]. Le patient décrit par G. Hütter présen-tait dans un contexte d’infection chronique par le VIH, uneleucémie myéloïde aiguë nécessitant une allogreffe de cel-lules souches. Celle-ci a pu être réalisée en utilisant unprélèvement d’un donneur HLA compatible et par ailleursporteur de la mutation CCR5D32 à l’état homozygote [1]. Unchimérisme complet a été obtenu à j61 post-greffe. Alorsqu’il était depuis de nombreuses années sous traitementantirétroviral, le patient a contrôlé spontanément la répli-cation virale à l’issue de la greffe, ce contrôle étant associé àune diminution de la réponse humorale et cellulaire anti-VIH.Fin 2010 les mêmes auteurs rapportaient les résultats obte-nus chez ce patient après 3,5 ans de suivi post-greffe [2].Ceux-ci montraient une reconstitution immunitaire iden-tique à celle obtenue chez des sujets allogreffés VIH�.Malgré une proportion importante de lymphocytes T circu-lants activés — phénomène attendu en post-greffe périodedurant laquelle les populations lymphocytaires T périphéri-ques prolifèrent pour compenser la lymphopénie — aucunvirus circulant (détecté sous forme d’ARN ou d’ADN) n’a pu

être détecté. Le virus restait également indétectable dansdifférents tissus (moelle osseuse, cerveau, côlon),phénomène associé dans ces tissus à un remplacement deslymphocytes T et des macrophages CCR5+ du donneur lescellules CCR5�. Les auteurs concluaient ainsi à une guérisonde l’infection par le VIH chez ce patient.

Disponibilité de cellules souches CCR5�

Avant d’envisager une très hypothétique utilisation large decette stratégie comme outil thérapeutique contre l’infectionpar le VIH, la première question est de savoir s’il est possible detrouver des donneurs HLA identiques CCR5D32 homozygotes. Laprévalence des porteurs de la mutation CCR5D32, variable enfonction des populations étudiées, est estimée entre 1 à 3 %chez les sujets caucasiens [7]. Pour conserver la même pro-babilité de trouver un donneur HLA compatible parmi leshomozygotes CCR5D32 que celle actuellement estimée avecdes donneurs non sélectionnés sur ce dernier critère, il faudraitmultiplier le nombre de donneurs par un facteur 10 [8]. Lerecours à des cellules souches issues de sang de cordon per-mettrait éventuellement de contourner cette problématiquede manque de donneurs mais l’utilisation de telles cellules n’apas été validée chez les patients VIH+ [9].

Les autres voies d’inactivation de lamolécule CCR5

Si la disponibilité de donneurs CCRD32 peut représenter unfacteur limitant il est techniquement possible de modifierl’expression d’un gène en utilisant différents outils commel’interférence ARN ou les nucléases de type Zinc finger (ZF)[10]. Ces techniques ont été utilisées pour diminuer l’expres-sion de CCR5 dans les lymphocytes T CD4+ ou dans lesprécurseurs hématopoïétiques CD34+ que ce soit chezl’Homme ou dans les modèles animaux. Les silencing RNA(siRNA) et short hairpin RNA (shRNA) (Fig. 1) sont des ARNvenant interférer avec les ARNm des cellules dans lesquellesils sont introduits perturbant l’expression des protéinesissues de ceux-ci. Des résultats préliminaires intéressantsont été rapportés avec ces outils [11—15]. DiGiusto et al.décrivent quatre cas de patients HIV+ présentant un lym-phome non hodgkinien de haut grade, ayant reçu dans lecontexte du traitement de leur pathologie tumorale uneautogreffe de cellules CD34+ génétiquement modifiées pourune partie d’entre elle avec un ribozyme CCR5 [12]. Cetteétude montre la faisabilité de cette approche et son absencede toxicité, les résultats sont toutefois décevants en termesde persistance d’expression des vecteurs ou d’efficacité surle contrôle de l’infection VIH. Dans le cadre de l’inactivation

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Figure 1 Action des shRNA et siRNA. Le shRNA est un fragment d’ADN codant pour un siRNA. Il est transféré à l’intérieur de la cellule,intégré soit à un plasmide (1) soit à un vecteur viral d’expression comme un lentivirus (2). Le shRNA est transformé en siRNA sousl’action de la molécule DICER (3). Un siRNA peut alternativement être directement incorporé dans la cellule (4). Le siRNA esttransformé en ARN monobrin sous l’action du complexe protéique RISC (5). Cet ARN monobrin va s’apparier avec l’ARNmcomplémentaire (6) aboutissant à la dégradation de ce dernier (7) et au silencing de la protéine correspondante.

186 S. Scerra et al.

d’un gène l’utilisation d’enzyme de type ZF [16] semble plusprometteuse (Fig. 2). Une paire d’enzyme de type ZF ciblantspécifiquement CCR5 a été mise au point et utilisé dans desmodèles de souris NSG (non obese diabetic, SCID/IL2Rgnull)infectées par le VIH [17—19]. Dans leur modèle Perez et al.utilisent un ZF ciblant CCR5 délivré dans des lymphocytes T

Figure 2 Action des protéines Zinc finger. Les protéines de type Zicomporte des structures protéiques se fixant à des codons sur un brinpartie nucléase (enzyme de restriction FokI) va couper l’ADN qui

complexe non homologous end joining (NHEJ) (exemple d’inactivat2003:21;759 et [18]).

CD4+ humains à l’aide d’un vecteur adénovirus [19]. Près de50 % des lymphocytes T sont infectés par cet adénovirus invitro et se retrouvent donc CCR5�. Lorsqu’elle est injectée àune souris NSG cette population prolifère préférentiellementaprès infection par un virus VIH de tropisme CCR5. Ces souriscontrôlent par ailleurs mieux la réplication virale et présen-

nc finger nucléase comportent deux parties. La partie Zinc finger d’ADN et permettant la spécificité de l’action enzymatique. La

sera ensuite réparé suite à l’action d’enzymes appartenant auion du gène CCR5 adapté d’après Wilson, Nature Biotechnology,

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Inactivation de CCR5 et éradication du VIH 187

tent un taux plus élevé de lymphocytes T CD4+ que des sourisNSG infectés par le même virus mais reconstitués avec deslymphocytes T CD4+ non modifiés. Le recours à l’utilisationde précurseurs CD34+ présente plusieurs avantages. Il per-met, d’une part, d’avoir un effet à plus long terme et,d’autre part, de toucher des cellules donnant naissance àplusieurs type cellulaire différents étant chacun des ciblesde l’infection VIH : lymphocytes T mais également macro-phages voire cellules dendritiques. La principale difficultéétant de ne pas perturber l’hématopoïèse normale suite auxmanipulations génétiques. Holt et al. ont récemment rap-porté un modèle de souris NSG dont le gène CCR5 avait étéinactivé dans les précurseurs CD34+ grâce à l’utilisation denucléases ZF [17]. Si la fréquence des précurseurs CD34+CCR5� dans ce modèle n’est que de 17 % après utilisation deconditions optimales de transfert cellulaire, les lymphocytesT CD4+ CCR5� sont rapidement sélectionnés après infectionpar une souche virale VIH de tropisme CCR5. Ainsi si moins de20 % des lymphocytes T CD4+ sanguins ou tissulaires sontCCR5� chez les souris transplantées non infectées, ce tauxpasse à plus de 50 %, 12 semaines après infection par le VIH.Cette sélection de cellules CCR5� est associée à un contrôlede l’infection. Alors que les lymphocytes T CD4+ disparais-sent en quatre semaines et que le virus est détecté dans letube digestif des souris NSG non transplantées, les lympho-cytes T CD4+ des souris CCR5� reviennent à leur niveau depréinfection après une chute à la semaine 2 et aucun virusn’est détectable dans leur tube digestif après dix semainesd’infection. Ainsi ce modèle permet de reproduire les résul-tats obtenus chez le patient de Berlin avec l’avantage de nepas utiliser de thérapeutiques myéloablatives. Le recours àcette dernière ne semble pas nécessaire lorsqu’il existe unavantage sélectif pour les cellules modifiées comme c’est lecas ici après infection et ainsi que cela a pu être démontrédans d’autres modèles [20]. Toutefois un certain nombre dequestions concernant l’impact d’une délétion de CCR5 à lafois sur l’hôte mais également sur l’évolution de la maladieVIH restent en suspens

Questions restant posées par les modèlesd’inactivation de CCR5

Il est important de noter que dans le modèle développé parHolt et al. [17] l’infection par le VIH ne précède pas la greffe.L’impact de la modification des cellules CD34+ par desnucléases ZF pourrait ainsi être moindre en cas d’infectionpré existante. Des études complémentaires dans ce type demodèle sont donc nécessaires. Chez l’Homme la présenced’un phénotype homozygote CCR5D32/CCR5D32 ne semblepas être associé à un pronostic défavorable. En effet lasurvenue plus fréquente d’infections assez rares [21,22],est contrebalancé par la diminution d’incidence ou desévérité d’un certain nombre pathologies inflammatoires[23,24]. Il est probable que chez ces sujets, l’absence deCCR5 soit compensée par une expression augmentée d’autresrécepteurs de chimiokines, phénomène qui pourrait ne pasêtre présent lorsque la délétion a été introduite artificiel-lement. L’innocuité à long terme d’une délétion deCCR5 reste ainsi à démontrer. Par ailleurs, les nucléasesde ZF utilisées par Holt et al. ne sont pas totalementspécifiques de CCR5 et sont également susceptibles de

moduler l’expression de CCR2, modification dont l’effetreste à déterminer [19,25]. Enfin reste la question desinfections par des virus de tropisme X4. Les sujetsCCR5D32/CCR5D32 peuvent en effet être infectées par detelles souches [26]. Si la greffe de CD34+ CCR5� ne protègepas contre l’infection par des souches de VIH de type X4 dansle modèle de Holt et al., il est intéressant de noter qu’onretrouvait chez le patient de Berlin avant greffe 2,9 % devariants viraux à tropisme X4 chez le patient de Berlin.Cependant, chez ce patient le contrôle inattendu de l’infec-tion virale pourrait être plus la conséquence de l’utilisationd’une chimiothérapie myéloablative et/ou de la GVH sur-venue secondairement qu’à un effet paradoxal de l’absencede CCR5.

Allogreffe de cellules souches au cours del’infection par le VIH

Cette constatation conduit à essayer de déterminer dans lecas du patient de Berlin les rôle respectifs de la modificationdu patrimoine génétique et de la greffe et des thérapeuti-ques qui l’entourent dans le résultat final. Le recours àl’allogreffe de cellules souches au cours de pathologieshématologiques malignes ou non a été utilisé très tôt dansl’histoire de l’infection par le virus VIH [27]. Si les résultatsobtenus dans les années 1980 ont montré que l’allogreffe decellules souches était possible et non délétère au chez lespatients infectés par le VIH [28], seules les études menéesplus tardivement ont permis d’apprécier son rôle sur l’évolu-tion de la maladie virale. L’allogreffe de cellules souchesimplique l’utilisation de nombreuses thérapeutiques: chi-miothérapies myéloablatives, irradiation corporelle totale,immunosuppresseurs, susceptibles chacune d’interféreravec la réplication du VIH. La réaction de GVH pourraitégalement avoir un impact négatif sur celle-ci. Il est à noterenfin que le patient de Berlin a reçu des perfusions de sérumantilymphocytaire (au puissant effet de déplétion lympho-cytaire[29]) dont l’effet n’a jamais été évalué dans lecontexte d’une infection chronique par le VIH. Sur la soixan-taine de cas rapportés de patients VIH+ allogreffés, troisobservations permettent d’évoquer un effet possible decontrôle de la réplication virale liée aux différentes théra-peutiques mise en place lors de l’allogreffe de cellulessouches [30,31]. En 1989, Holland et al. rapportent le casd’un patient de 41 ans infecté par le VIH sous monothérapied’AZT allogreffé après une chimiothérapie par cyclophos-phamide et une irradiation corporelle totale suite à la sur-venue d’un lymphome non hodgkinien [31]. Au moment dudécès de ce patient, conséquence d’un rechute tumorale etsurvenu à j47 post-greffe, le virus VIH était indétectable dansle sang (ARN et ADN) mais également dans les différentstissus analysés que ce soit en culture (cerveau, moelleosseuse, ganglion) ou en PCR (cerveau, moelle osseuse,cœur, rein, foie, poumon, rectosigmoïde, rate et tissutumoral). La même équipe a rapporté un cas identique chezun patient qui décédera à j120 post-greffe des conséquencesd’une GVH [27]. Le troisième cas est un peu différent puisquela patiente a reçu ici, en plus d’une allogreffe, un traitementpar IFNa et des injections de lymphocytes T anti-VIH. Cettepatiente décédera dix mois après la greffe d’une infectionpulmonaire. Les investigations post-mortem montreront

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188 S. Scerra et al.

l’absence d’infection active par le VIH que ce soit dans lesang ou les tissus [14]. Ainsi rien ne permet de concluredéfinitivement sur le rôle respectif du conditionnement del’allogreffe associé au traitement immunosuppresseur et del’absence de la molécule CCR5 sur le contrôle de la réplica-tion virale chez le patient de Berlin. Toutefois plusieursarguments sont en faveur du rôle important de cette der-nière. Ainsi si un phénotype homozygote CCR5D32/CCR5D32 confère une protection contre l’infection par leVIH, la diminution d’expression de CCR5 qu’elle soit laconséquence d’un phénotype hétérozygote CCR5D32/CCR5WT ou d’une augmentation de la production de sesligands est associée à un meilleur contrôle de la réplicationvirale [32,33] et à une meilleure reconstitution lymphocy-taire T CD4+ sous traitement ARV [34]. L’effet bénéfique dela diminution d’expression de CCR5 est dans ce contextepossiblement secondaire à une diminution des phénomènesd’activation /inflammation [25]. Si malgré ces restrictionsl’inactivation de la molécule CCR5 reste une piste intéres-sante en termes de thérapie génique au cours de l’infectionpar le VIH, elle n’est toutefois pas la seule protéine cellulaireque l’on peut cibler dans ce contexte.

Quels autres gènes cellulaires modifier pourcontrôler l’infection VIH ?

Plusieurs facteurs cellulaires sont impliqués dans le contrôlede la réplication virale [35—37] (Fig. 3). APOBEC3G est unedésoxycytidine désaminase codée par le génome humain quitransforme les résidus cytosine les transformant en résidusuracyl, elle reconnaît les ADN simple brin naissant au coursde la rétrotranscription et génère des mutations létales pourle virus [36]. La protéine TRIM5a des singes interagit avec legénome viral avant sa translocation dans le noyau et vient

Figure 3 Points d’impact des différents facteurs cellulaires modifiprotéines susceptibles de modifier la réplication intracellulaire du

module la capacité d’entrer du VIH, les protéines TRIM5a et APOBEC3viral (cf. texte) et la thétérine (3) bloquant le relargarge des virion

perturber les étapes de transcription inverse [37]. Enfin lathétérine vient perturber la libération de la particule viraleaboutissant à son endocytose et sa dégradation dans lecytoplasme [35]

Si ces protéines sont des cibles intéressantes, ellesprésentent l’inconvénient de pouvoir être inactivées pardes protéines virales, Vpu pour la thétérine, Vif pour APO-BEC3G, ou d’être un mécanisme de défense efficace unique-ment chez les singes (TRIM5), rendant leur utilisation pluscompliquée en première approche. Récemment l’équipe deM. Benkirane a mis en évidence le rôle protecteur d’unenouvelle protéine SAMHD1 [38]. Cette protéine dont ledéficit est responsable du syndrome d’Aicardi-Goutières(encéphalopathie subaiguë à transmission mendélienne)est exprimée par les macrophages et les cellules dendriti-ques et les rend insensible à une infection productive par levirus VIH. Son action peut être bloquée par la protéine Vpx duSIV mais pas par les protéines du VIH. La surexpression decette protéine dans des cellules CD34+ et/ou des lympho-cytes T CD4 pourrait représenter une piste thérapeutiqueintéressante.

Conclusion

Au total il apparaît bien que le patient de Berlin soit lepremier exemple d’éradication du virus VIH. Les résultatsspectaculaires obtenus chez ce patient demandent cepen-dant à être reproduits. La difficulté dans le contexte d’unnécessaire recours à une allogreffe de moelle (pathologiehématologie néoplasique) à trouver des donneursCCR5D32 homozygotes pourraient être contrebalancéespar l’utilisation de thérapie génique visant à inactiverCCR5. Il est très probable que chez ce patient l’effet obtenusur le contrôle de l’infection virale soit la conséquence de

ant le cycle de réplication intracellulaire du VIH. Les différentesVIH sont outre la protéine CCR5 (1) dont le niveau d’expressionG (2) susceptibles d’interférer avec les étapes précoces du cycles matures.

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l’action conjointe de l’inactivation de CCR5 et des différentesthérapeutiques inhérentes à l’allogreffe. Ainsi il apparaîtvraisemblable qu’il sera nécessaire — dans le cadre d’uneéventuelle utilisation plus large de la thérapie génique aucours de l’infection VIH — de cibler plusieurs acteurs cellu-laires par différentes techniques de thérapie génique si l’onveut obtenir un contrôle de la réplication virale comme chezce patient sans recours à l’utilisation de chimiothérapiemyéloablative. Ces stratégies de thérapie génique pour-ront/devront être associées à d’autres stratégies visant àimpacter le réservoir viral telle l’utilisation de l’interleukine7 qui dans ce contexte peut avoir un effet synergique du fait desa capacité à promouvoir et amplifier la lymphopoïèse T [39]

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

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