Thèse (la réparation des victimes d’infractions pénales (tome I))

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Universit de Pau et des Pays de lAdour Facult de Droit, dEconomie et de Gestion

LA REPARATION DES VICTIMES DINFRACTIONS PENALESTOME I

Thse prsente et soutenue publiquement pour lobtention du grade de Docteur en Droit le 12 novembre 2007 par Nathalie PIGNOUX

MEMBRES DU JURY Monsieur Robert CARIO Professeur lUniversit de Pau et des Pays de lAdour Codirecteur de lUnit de sciences criminelles compares (UJP / CRAJ) Madame Anne DHAUTEVILLE Professeur lUniversit de Montpellier I Madame Virginie LARRIBAU-TERNEYRE Professeur lUniversit de Pau et des Pays de lAdour Codirectrice du Centre de Recherche et dAnalyse Juridique (CRAJ) Monsieur Claude LIENHARD Professeur lUniversit de Haute Alsace Directeur du Centre Europen de Recherche sur le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (CERDACC) Monsieur Lock M. VILLERBU Professeur lUniversit de Rennes II Directeur de lInstitut de Sciences Humaines et de Criminologie (ISHC)

LUniversit de Pau et des Pays de lAdour nentend donner ni approbation ni improbation aux opinions mises dans la prsente thse. Ces opinions doivent tre considres comme propres leur auteur.

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PRINCIPALES ABREVIATIONS

A.J. Pnal : Actualit Juridique Pnal Al. : Alina A.N. : Assemble nationale A.P.C. : Archives de politique criminelle Art. : Article A.S.H. : Actualits sociales hebdomadaires Ass. Pln. : Assemble plnire de la Cour de cassation B.E.X. : Bureau de lexcution des dcisions pnales B.O. Min. Just. : Bulletin officiel du Ministre de la Justice Bull. civ. : Bulletin des arrts des Chambres civiles de la Cour de cassation Bull. crim. : Bulletin des arrts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation C.A. : Cour dappel C. ass. : Code des assurances C. constit. : Conseil constitutionnel. C.E. : Conseil dEtat C.E.D.H. : Cour europenne des droits de lhomme C.E.S.D.H. : Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales C.E.S.D.I.P. : Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pnales Cf. : Confer C.G.I. : Code gnral des impts Chron. : Chronique C.I.C.C. : Centre international de criminologie compare (Montral) Civ. 1re : Premire chambre civile de la Cour de cassation Civ. 2e : Deuxime chambre civile de la Cour de cassation Civ. 3e : Troisime chambre civile de la Cour de cassation C.I.V.I. : Commission dindemnisation des victimes dinfractions C.J.C.E. : Cour de justice des communauts europennes C.N.A.V. : Conseil national de laide aux victimes

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C. org. jud. : Code de lorganisation judiciaire Coll. : Collection Com. : Commentaire Comp. : Comparez Concl. : Conclusions Contra : En sens contraire C. pn. : Code pnal C. proc. pn. : Code de procdure pnale Crim. : Chambre criminelle de la Cour de cassation C.R.P.C. : Comparution sur reconnaissance pralable de culpabilit C.U.M.P. : Cellule durgence mdico-psychologique D : Recueil Dalloz D.C. : Dcision du Conseil constitutionnel Defresnois : Rpertoire notarial Defresnois D.H. : Recueil hebdomadaire de jurisprudence Dalloz (annes antrieures 1941) D.P. : Recueil priodique et critique mensuel Dalloz (annes antrieures 1941) Dir. : Ouvrage publi sous la direction de Doctr. : Doctrine Dr. Pnal : Droit pnal D.S.M. : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux Ed. : Editions E.N.M. : Ecole nationale de la magistrature Et al. : Et autres auteurs Fasc. : Fascicule F.G.T.I. : Fonds de garantie des victimes dactes de terrorisme et dautres infractions Gaz. Pal. : Gazette du Palais Ibid. : Ibidem, mme rfrence I.H.E.S.I. : Institut des hautes tudes et de la scurit intrieure I.N.A.V.E.M. : Institut national daide aux victimes et de mdiation Infra : Ci-dessous I.P.P. : Incapacit permanente partielle I.R. : Informations rapides I.T.T. : Incapacit temporaire totale ou Incapacit totale de travail J.A.C. : Journal des accidents et des catastrophes, revue lectronique, www.iut-colmar.net/jac 3

J.A.P. : Juge de lapplication des peines J.-Cl. : Juris-Classeur J.C.P. : Juris-Classeur priodique, Semaine juridique, dition gnrale J.C.P. N. : Juris-Classeur, semaine juridique, dition notariale J.D.I. : Journal de droit international J.D.J. : Journal du droit des jeunes J.I.D.V. : Journal international de victimologie, revue lectronique, www.jidv.com J.O. : Journal officiel de la Rpublique franaise J.O.U.E. : Journal officiel de lUnion europenne J.U.D.E.V.I. : Juge dlgu aux victimes Jurisp. : Jurisprudence L.G.D.J. : Librairie gnrale de droit et de jurisprudence L.P.F. : Livre des procdures fiscales n : Numro Not. : Notamment Nouv. C. Proc. civ. : Nouveau code de procdure civile Obs. : Observations Op. cit. : Opere citato, ouvrage, article dj cit P., pp. : page(s) P.E.P. : Projet dexcution des peines P.T.S.D. : Post traumatic stress disorder, Syndrome de stress post traumatique P.U. : Presses universitaires P.U.A.M. : Presses universitaires dAix-Marseille Pub. : Publication P.U.F. : Presses universitaires de France P.U.G. : Presses universitaires de Grenoble R.A.P. : Revue de lapplication des peines R.C.A. : Responsabilit civile et assurance R.D.P.C. : Revue de droit pnal et de criminologie R.F.D.C. : Revue franaise du dommage corporel R.I.C.P.T.S. : Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique R.I.D.P. : Revue internationale de droit pnal R.J.D.A. : Revue de jurisprudence de droit des affaires R.P.D.P. : Revue pnitentiaire et de droit pnal 4

R.R.J. : Revue de la recherche juridique. Droit prospectif. R.S.C. : Revue de sciences criminelles et de droit pnal compar R.T.D.Civ. : Revue trimestrielle de droit civil R.T.D.H. : Revue trimestrielle des droits de lhomme s. : suivants S.A.D.J.P.V. : Service de laccs au droit et la justice et de la politique de la ville S.A.V. : Services daide aux victimes S.A.V.U. : Services daide aux victimes en urgence Soc. : Chambre sociale de la Cour de cassation Somm. : Sommaires Somm. comm. : Sommaires comments Sp. : Spcialement S.P.I.P. : Service pnitentiaire dinsertion et de probation Supra : Ci-dessus T.G.I. : Tribunal de grande instance U.M.J. : Unit mdico-judiciaire V. : Voir Vol. : Volume

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INTRODUCTION

1. Sil suffit dtre dit victime pour avoir raison, tout le monde se battra pour occuper cette position gratifiante. Etre victime deviendra une vocation, un travail plein temps 1. Etre victime est-il si attractif, socialement et/ou financirement, que tout un chacun aspire le devenir ? Les victimes sont-elles des usurpatrices, des imposteurs ce point reprochables quelles ne mriteraient ni commisration, ni bienveillance ? Surtout, quelles victimes de tels propos sont-ils destins ? Ces quelques considrations liminaires refltent les nombreuses rflexions auxquelles invite actuellement le thme de la victimisation en gnral, de la victimisation dorigine pnale en particulier. Des traces dune telle proccupation sont perceptibles dans les mdias crits et audiovisuels ainsi que dans les discours politiques et de nombreux essais y sont consacrs 2. Lintrt port la question des victimes dborde largement le champ de la recherche et davantage encore celui de la recherche juridique. Loin dtre toujours avantageux pour les principales intresses, un tel engouement agace par sa dmesure, donne une image dvoye et ngative de la victime et tend confondre en une catgorie unique lensemble des personnes pouvant prtendre, plus ou moins lgitimement, au statut de victime. Dans ce contexte de mprises et dexagrations, il a sembl opportun de sattacher au sort rellement rserv aux victimes dinfractions pnales et, plus prcisment, leur rparation. La question de dpart induite par le sujet fut la suivante : quelles sont les singularits du concept de rparation lorsquil est appliqu aux victimes dinfractions pnales ? Rpondre cette question suppose, titre liminaire, den dlimiter les contours en se livrant une dfinition des termes du sujet.

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P. BRUCKNER, La tentation de linnocence, Ed. Grasset, 1995, p. 130. V. dans le mme sens T. LEVY, Eloge de la barbarie judiciaire, Ed. Odile Jacob, 2004, p. 181. 2 V. notamment, P. BRUCKNER, ibid., 283 p. ; J. COLLARD, Victimes. Les oublis de la justice, Ed. Stock, 1997, 239 p. ; C. TANAY, Le chtiment des victimes, Ed. Bayard, 2001, 159 p. ; D. SOULEZ LARIVIERE, H. DALLE, Notre justice. Le livre vrit sur la justice franaise, Ed. Robert Laffont, 2002, 444 p. ; J. GAILLARD, Des psychologues sont sur place, Ed. Mille et une nuits, 2003, 175 p. ; M. NORMAND, A. BISBAU, Plaidoyer pour les victimes, Ed. du Rocher, 2004, 240 p. ; T. LEVY, ibid., 188 p. ; D. SALAS, La volont de punir. Essai sur le populisme pnal, Ed. Hachette Littratures, 2005, 286 p. ; G. ERNER, La socit des victimes, Ed. La dcouverte, 2006, 223 p. ; C. ELIACHIEFF, D. SOULEZ LARIVIERE, Le temps des victimes, Ed. Albin Michel, 2007, 294 p.

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2. Lapproche historique de la notion de victime . Un dtour par ltymologie du terme victime savre utile son apprhension. Il tmoigne de lvolution que le vocable a connue mais aussi de la tardivet avec laquelle il a merg dans la langue franaise. A lpoque grco-romaine, la victima latine et son quivalent grec thyma sont empreints dune forte connotation religieuse puisquils dsignent lindividu ou lanimal offert en sacrifice aux dieux pour le bien de la cit. Curieusement, le mot victime napparat dans le vocabulaire franais qu la toute fin du XVe sicle et conserve sa coloration religieuse puisquil dsigne alors lhostie. Il faudra attendre le XVIIe sicle pour quil pouse un sens plus large. Dsacralise, la victime stend ltre humain subissant un prjudice. Elle renvoie lide de victime de quelquun ou de quelque chose . Au XVIIIe sicle, le recul de la dimension thologique est confirm. La victime devient synonyme de personne tue ou blesse. Mais cest surtout la fin du XIXe sicle que sopre la rupture et que lacception laque supplante dfinitivement le sens sacrificiel originel, sans pour autant lvincer totalement. Le terme victime trouve sappliquer au domaine de la guerre et davantage encore celui des catastrophes, naturelles ou dorigine humaine. Il pntre galement le monde judiciaire avec lmergence des victimes derreurs judiciaires et darrestations arbitraires. Corrlativement, laccent est mis sur la souffrance vcue par la victime. En parallle, la perception des victimes change : les personnes dsignes comme telles le sont pour tre ddommages 3. A lpoque contemporaine, le terme victime est susceptible de renvoyer un grand nombre de situations, qui dbordent largement le cadre juridique. Les causes potentielles de la victimisation sont multiples et les victimes dagissements anodins ctoient les victimes dvnements les plus graves. Do la ncessit de leffort de dfinition. Il savre dautant plus prilleux que, dune part, les dfinitions officielles sont rares et que, dautre part, la notion est contingente puisquelle varie selon les lieux, les poques, les cultures et les disciplines 4.3

V. sur cet aspect tymologique, L. NEGRIER-DORMONT, S. TZITZIS, Criminologie de lacte et philosophie pnale. De lontologie criminelle des Anciens la victimologie applique des Modernes, Ed. Litec, 1994, pp. 101-103 ; G. FILIZZOLA, G. LOPEZ, Victimes et victimologie, P.U.F., Que sais-je ?, 1995, p. 7 et s. ; E. WENZEL, Quelle place pour la victime dans lancien droit pnal ?, In B. GARNOT (Dir.), Les victimes, des oublies de lhistoire ?, Presses Universitaires de Rennes, 2000, pp. 19-29 ; C. LAMARRE, Victime, victimes, essai sur les usages dun mot, In B. GARNOT (Dir.), Les victimes, des oublies de lhistoire ?, op. cit., pp. 3140 ; H. PIANT, Victime, partie civile ou accusateur ? Quelques rflexions sur la notion de victime, particulirement dans la justice dAncien Rgime, In B. GARNOT (Dir.), Les victimes, des oublies de lhistoire ?, op. cit., pp. 41-58. 4 V. F. ALT-MAES, Le concept de victime en droit civil et en droit pnal, R.S.C., 1994, pp. 35-52 ; R. CARIO, Victime, In G. LOPEZ, S. TZITZIS (Dir.), Dictionnaire des sciences criminelles, Ed. Dalloz, 2004, pp. 957-960; R. CARIO, Victimologie. De leffraction du lien intersubjectif la restauration sociale, Ed. LHarmattan, Coll. Trait de sciences criminelles, vol. 2-1, 3e d., 2006, pp. 26-35 ; F. BELLIVIER, C. DUVERT, Les victimes : dfinitions et enjeux, A.P.C., 2006, n 28, pp. 5-10 ; X. PIN, Les victimes dinfractions : dfinitions et enjeux,

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3. Lapproche victimologique de la notion de victime . Du ct de la recherche victimologique, aucun consensus nexiste quant la dlimitation du concept de victime. Toutefois, une tendance se dgage : la discipline privilgie gnralement une dfinition extensive, sociologique et non juridique. Pour Benjamin Mendelsohn, la victime est une personne se situant individuellement ou faisant partie dune collectivit, qui subirait les consquences douloureuses dtermines par des facteurs de diverses origines : physiques, psychologiques, conomiques, politiques et sociales, mais aussi naturelles (catastrophes) 5. Pour la premire Socit Franaise de Victimologie, il sagit de lindividu qui reconnat avoir t atteint dans son intgrit personnelle par un agent causal externe ayant entran un dommage vident, identifi comme tel par la majorit du corps social 6. Deux traits caractrisent ces dfinitions victimologiques. Premirement, lorigine de la victimisation importe peu. Non cantonne aux actes constitutifs dinfractions pnales, elle englobe tous les actes ou vnements susceptibles davoir occasionn un dommage. Par consquent, les victimes constituent une population htrogne. Deuximement, de telles dfinitions laissent place une grande part de subjectivit dans la mesure o elles accordent davantage dimportance lindividu et son vcu qu lacte objectivement commis. Entrent dans la sphre des victimes les personnes qui sestiment comme telles 7. Cette conception confre un caractre relatif la notion de victime. Monsieur le professeur Robert Cario estime que doit tre considre comme victime toute personne en souffrance(s). De telles souffrances doivent tre personnelles (que la victimisation soit directe ou indirecte), relles (cest--dire se traduire par des blessures corporelles, des traumatismes psychiques ou psychologiques et/ou des dommages matriels avrs), socialement inacceptables (transgression dune valeur sociale essentielle ; vnement catastrophique) et de nature justifier une prise en charge des personnes concernes, passant, selon les cas, par la nomination de lacte ou de lvnement (par lautorit judiciaire, administrative, sanitaire ou civile), par des soins mdicaux, un accompagnement psychologique, social et/ou une indemnisation 8.

A.P.C., 2006, n 28, pp. 49-72. V. galement, pour une approche psychologique de la notion de victime, M. MARZANO, Quest-ce quune victime ? De la rification au pardon, A.P.C., 2006, n 28, pp. 11-20. 5 B. MENDELSOHN, Une nouvelle branche de la science bio-psycho-sociale, La victimologie, R.I.C.P.T.S., 1956, n 2, pp. 95-109. V. galement R. CARIO, Victimologie. De leffraction du lien intersubjectif la restauration sociale, op. cit., p. 31. 6 R. CARIO, ibid., p. 31. 7 V. sur ce constat, J.J.M. VAN DIJK, La recherche et le mouvement relatif aux victimes en Europe, In Recherches sur la victimisation, Conseil de lEurope, Comit europen pour les problmes criminels, Etudes relatives la recherche criminologique, vol. XXIII, 1985, pp. 7-16, sp. p. 10. 8 R. CARIO, Victimologie, De leffraction du lien intersubjectif la restauration sociale, op. cit., pp. 33-35 ; Victimes dinfractions, Rpertoire pnal, 2007.

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4. Lapproche positive de la notion de victime . Sagissant du droit positif, le vocable de victime est apparu tardivement dans le Code de procdure pnale franais. Longtemps occult par les appellations de partie civile, de plaignant, de partie lse ou de personne ayant personnellement souffert du dommage directement caus par linfraction, il y a t introduit pour la premire fois par une loi du 17 juillet 1970 relative au contrle judiciaire 9 avant dtre exploit, une poque trs rcente, dans de nombreux articles 10. De plus, le droit pnal entretient lincertitude dans la mesure o il nen fournit aucune dfinition 11. Curieux constat pour une discipline tant attache la lgalit textuelle. Cette carence nest pas neutre. Elle tmoigne, sinon de lembarras que suscite la victime en tant qulment du champ pnal, du moins de la nouveaut (pourtant toute relative) que constitue la victime, en tant que catgorie juridique, dans le paysage juridique pnal. Le droit semble en effet avoir dcouvert la victime, lintgrant par touches successives dans larsenal lgislatif existant et dans les pratiques, sans chercher la cerner sur le plan conceptuel. Contrairement au droit interne, le droit international sest attach dfinir la victime. Selon la Rsolution 40/34 de lAssemble Gnrale de lOrganisation des Nations Unies portant dclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalit et aux victimes dabus de pouvoirs, les victimes de la criminalit sont des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un prjudice, notamment une atteinte leur intgrit physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matrielle ou une atteinte grave leurs droits fondamentaux, en raison dactes ou domissions qui enfreignent les lois pnales en vigueur dans un Etat membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir . De surcrot, une personne peut tre considre comme une victime que lauteur soit ou non identifi, arrt, poursuivi ou dclar coupable, et quels que soient ses liens de parent avec la victime et le terme victime inclut aussi, le cas chant, la famille proche ou les personnes la charge de la victime directe et les personnes qui ont subi un prjudice en intervenant pour venir en aide aux victimes en dtresse ou pour

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Art. 142, 142-1 et 142-3 C. proc. pn. Art. prliminaire, art. 15-3 (dpt de plainte), art. 40-4 (dsignation dun avocat), art. 41 (association daide aux victimes), art. 41-1 (mdiation pnale), art. 41-2 (composition pnale), art. 53-1 et 75 (enqute : nonc des droits), art 80-3 (instruction : nonc des droits), art. 144-2 (interdiction de rencontrer la victime), art. 493-13 (comparution sur reconnaissance pralable de culpabilit), art. 706-3 (indemnisation par le Fonds de garantie), art. 706-47-2 (dpistage des maladies sexuellement transmissibles), art. 720 (amnagement de la peine). Il sagit dune liste non exhaustive laquelle il faut notamment rajouter les textes intgrs dans les parties rglementaire et dcrtale du Code de procdure pnale. 11 Mme constat pour le lexique des termes juridiques, qui dfinit la victime par ricochet sans pralablement sattacher dfinir la victime : R. GUILLIEN, J. VINCENT, Lexique des termes juridiques, Ed. Dalloz, 2005.10

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empcher la victimisation 12. Selon la Dcision-cadre du Conseil de lUnion Europenne relative au statut des victimes dans le cadre de procdures pnales, en date du 15 mars 2001, la victime est la personne physique qui a subi un prjudice, y compris une atteinte son intgrit physique ou mentale, une souffrance morale ou une perte matrielle, directement caus par des actes ou des omissions qui enfreignent la lgislation pnale dun Etat membre 13. Ces dfinitions reposent sur un critre normatif qui renvoie linfraction pnale telle quincrimine par la loi pnale nationale. Fondes sur le critre objectif de lorigine de la victimisation, elles ont lavantage dviter lcueil de la subjectivit. Et, en retenant le seul critre lgal, elles restreignent considrablement le contenu de la notion de victime, excluant de son champ les victimes de catastrophes naturelles ou daccidents non infractionnels. Toutefois, le critre normatif ne suffit pas caractriser la victime. Il se double en effet dun second critre de dfinition : le prjudice subi. Composante part entire de la notion de victime, il est ncessaire mais sans doute insuffisant dans la mesure o, connot juridiquement, il ne permet pas pleinement de rendre compte de lexprience subjective des victimes en gnral, de leurs souffrances en particulier. Dun point de vue plus positif, la rfrence au prjudice permet opportunment dinclure dans la catgorie victime les victimes indirectes car, mme si elles ne subissent pas directement le dommage, elles sont en revanche susceptibles de subir des prjudices suite linfraction commise lencontre de leur proche 14. Ces dfinitions rservent galement une place aux personnes morales. Ds lors, lacception troite du concept de victime renvoie toute personne, physique ou morale, qui, individuellement ou collectivement, subit directement ou indirectement des prjudices suite la commission dun acte prohib par la loi pnale. Dans le cadre de la prsente tude, lacception troite sera retenue dans le sens o elle repose sur le critre lgaliste, renvoyant aux seules victimes dinfractions pnales vises par le sujet. Mais elle ne sera pas reprise dans son intgralit puisque seules les victimes personnes physiques, directes et proches, entreront dans le champ dtude. Lexclusion des personnes morales, quelles subissent ou non un prjudice direct et personnel, se justifie par les profondes diffrences qui sparent personnes physiques et personnes morales en termes de besoins prouvs suite la confrontation une infraction. Dnues de sentiments, les personnes morales nont pas le mme vcu de la victimisation que les personnes physiques, de surcrot seules capables dtre atteintes dans12

R. CARIO, Victimologie. Les textes essentiels, Ed. LHarmattan, Coll. Trait de sciences criminelles, vol. 2-2, 2e d., 2003, texte n 1, pp. 11-15. 13 Dcision-cadre du 15 mars 2001, J.O.C.E., L 82, 22 mars 2001, p. 1 ; R. CARIO, Victimologie. Les textes essentiels, op. cit., texte n 8, pp. 43-49. 14 V. sur la distinction entre dommage et prjudice, infra n 56.

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leur chair ou leurs liens affectifs. Lapproche diffrentielle simpose, y compris pour les atteintes aux biens qui nont pas la mme incidence, sur les plans financier et moral, pour les deux catgories de victimes. Par consquent, loptique de systmatisation qui sous-tend le travail de recherche ncessite de restreindre lobjet dtude aux victimes susceptibles de partager des attentes identiques. Le choix sest port sur les personnes physiques dans la mesure o leur rparation est la fois plus complexe et plus volutive que celle des personnes morales. 5. Lapproche statutaire de la notion de victime . Retenir la dfinition lgaliste ne lve pas toutes les interrogations et ambiguts entourant la notion de victime. Il convient de poursuivre la dmarche de dfinition en sintressant laspect statutaire de la notion. A cet gard, un parallle avec lauteur de linfraction simpose. Lors de son parcours, pnal et extrapnal, celui-ci accde divers statuts. En dehors de tout contexte juridique et judiciaire, il est simplement considr comme auteur de linfraction ou infracteur. Une fois happ par les institutions, il est susceptible dtre successivement gard vue, mis en examen, prvenu/accus puis condamn ou acquitt/relax. Avant condamnation, il est de surcrot prsum innocent. La question qui se pose est celle de savoir laquelle de ces diffrentes qualits est le pendant du statut de victime. Elle se pose dautant plus quau cours de la procdure pnale, la victime peut aussi accder diffrents statuts juridiques, savoir plaignant, tmoin ou partie civile. En outre, il peut paratre incompatible de reconnatre demble la personne lse par linfraction la qualit de victime tout en postulant que lauteur est prsum innocent 15. Par consquent, la rigueur juridique voudrait que seules puissent tre considres comme victimes les personnes reconnues comme telles par une dcision judiciaire. Sur le plan temporel, la victime natrait en mme temps que la condamnation pnale. Pour plusieurs raisons, cette interprtation restrictive de la notion de victime nest pas viable. Tout dabord, il convient dinvoquer largument, tir de la lettre de la loi, selon lequel le lgislateur lui-mme qualifie de victime, ds la phase de lenqute, les personnes prtendant avoir subi une infraction pnale. Ensuite, lide dantinomie entre prsomption dinnocence et qualit de victime doit tre rfute car, mme avre, linnocence de lauteur nenlve rien la matrialit des faits. Une personne peut effectivement avoir subi une infraction pnale et tre victime sans pour autant que lauteur suppos de linfraction soit condamn. Tel est le cas, par exemple, lorsquil y a erreur sur la personne arrte et/ou juge15

V. en ce sens, X. PIN, La privatisation du procs pnal, R.S.C., 2002, pp. 245-261, sp. p. 261 ; H. HENRION, Larticle prliminaire du Code de procdure pnale : vers une thorie lgislative du procs pnal ?, A.P.C., 2002, pp. 13-52. Ces auteurs prnent la cration du statut de victime prsume ; A. BLANC, La question des victimes vue par un prsident dassises, A.J. Pnal, 2004, n 12, pp. 432-434.

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ou lorsque la prescription est acquise. Labsence de culpabilit judiciairement prononce ne renie pourtant pas la victimisation : linfraction et ses consquences ne disparaissent pas et la qualit de victime survit labsence de condamnation. Il en est a fortiori de mme avant quun jugement ait constat linnocence ou la culpabilit. Par consquent, tout au plus peut-il tre suggr quune personne soit prsume victime des agissements dun individu nominativement dsign. En revanche, il est difficile de prtendre, sans autre restriction, quune personne est prsume victime. Enfin, postuler la concomitance entre acquisition de la qualit de victime et condamnation na pas de sens car il faudrait alors pousser le raisonnement lextrme et considrer que si la victime na pas dexistence avant la condamnation, elle en a encore moins en dehors de toute poursuite pnale. En conclusion, sil fallait imprativement tablir une correspondance, la victime serait le pendant de la qualit, non juridique, dauteur de linfraction. Et cest tout le paradoxe de la notion de victime dinfraction pnale que dtre dfinie par un critre lgal et prsente dans le Code de procdure pnale tout en se situant en marge du cadre juridique. Corrlativement, la notion de victime nest pas davantage rductible la qualit de partie civile puisque la victime existe socialement en tant que telle non seulement lorsquelle ne souhaite pas se constituer partie civile mais aussi lorsquaucune poursuite pnale nest engage, faute par exemple davoir apprhend linfracteur. Il est donc impossible de retenir comme dfinition de la victime la dfinition, plus troite encore que la dfinition lgaliste classique, selon laquelle la victime est la personne qui, rpondant aux conditions poses par larticle 2 du Code de procdure pnale, est reconnue comme telle par linstitution judiciaire qui lui confre le statut juridique de partie civile. 6. Lapproche temporelle de la notion de victime . En outre, tre victime est un tat temporaire 16 ; toute la question tant de savoir quand il dbute et quand il sachve. Lacquisition de la qualit de victime se produit assurment concomitamment la commission de lacte et pas avant, car une personne ne nat pas victime mais le devient. En aval des faits, la question savre plus dlicate. Une premire vidence simpose : temporaire nest pas synonyme dinstantan. Ltat de victime est en effet susceptible de se prolonger dans le temps, lobjectif tant de sen extraire grce au processus de rparation. Mais, une fois ce postulat pos, une alternative se prsente. Soit il convient dadhrer une apprhension purement juridique et judiciaire de la notion de victime, selon laquelle la personne quitte son statut de victime au moment du prononc de la dcision sur laction publique. Soit il faut16

M. BARIL, Lenvers du crime, (1984), Ed. LHarmattan, Coll. Trait de sciences criminelles, Vol. 6, 2002, p. 194.

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admettre que le statut de victime peut se prolonger bien au-del de la dcision pnale. Seule la seconde conception doit tre retenue dans la mesure o la premire sous-entend indment que la victime na pas dexistence en dehors du processus judiciaire. 7. La division de linfraction. A linstar de la notion de victime, la notion dinfraction pnale nest pas dfinie par le Code pnal. Elle peut nanmoins tre dfinie juridiquement comme le comportement ou le fait, consistant en une action ou en une omission, interdit par la loi et puni dune sanction pnale 17. Toutefois, une telle dfinition ne prjuge pas de la structure de linfraction, sujette de profondes divergences doctrinales. Classiquement, linfraction est prsente comme la runion dun lment lgal, dun lment matriel et dun lment moral. Mais une telle conception nest pas unanime. Le premier point de discorde concerne llment lgal ou, en dautres termes, lincrimination, dfinie comme le fait pour le lgislateur de rendre un comportement criminel 18. Pour une partie de la doctrine, il ne peut tre considr comme une composante de linfraction. Dans la mesure o il sattache dfinir linfraction, il lui est ncessairement extrieur et prexistant et ne peut constituer quune condition pralable. En outre, llment lgal qui dcrit ne peut tre mis sur le mme plan que ce qui est dcrit, savoir llment matriel et llment moral de linfraction 19. Jugeant, linverse, que llment constituant est aussi ncessaire que les lments constitutifs quil dfinit, lautre partie de la doctrine classe llment lgal parmi les composantes de17

V. R. MERLE, A. VITU, Trait de droit criminel, Tome I, Problmes gnraux de la science criminelle, Droit pnal gnral, Ed. Cujas, 7e d., 1997, n 383, p. 504, dfinissant linfraction comme la mconnaissance des prescriptions lgales ; P. CONTE, P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pnal gnral, Ed. Armand Colin, Coll. U Droit, 7e d., 2004, n 215, p. 124, dfinissant linfraction comme un fait interdit par la loi sous la menace dune sanction de nature rpressive ; J.-H. ROBERT, Droit pnal gnral, P.U.F., Coll. Thmis Droit, 6e d., 2005, p. 103, pour qui linfraction sapplique au comportement du dlinquant quand il concide avec la description lgale ; P. SALVAGE, Droit pnal gnral, P.U.G., Coll. Le droit en plus, 6e d., 2006, n 27, p. 19, pour qui linfraction est le comportement positif ou ngatif - action ou omission - dont la loi frappe lauteur dune peine ou pour lequel elle lui impose une mesure de sret ; M.-L. RASSAT, Droit pnal gnral, Ed. Ellipses, Coll. Cours magistral, 2e d., 2006, n 228, p. 270, pour qui linfraction est tout fait prvu et puni par la loi pnale et, plus prcisment, un acte interdit par la loi, commis avec lintention coupable requise par elle et dans des conditions qui rendent ce comportement injuste ; F. DEBOVE, F. FALLETTI, Prcis de droit pnal et de procdure pnale, P.U.F., Coll. Major, 2e d., 2006, p. 83, dfinissant linfraction comme le comportement interdit par la loi sous peine de sanction pnale ; F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Le nouveau droit pnal, Tome I, Droit pnal gnral, Ed. Economica, Coll. Corpus droit priv, 13e d., 2006, n 22, p. 10, pour qui linfraction est le comportement interdit sous la menace dune peine tel quil est dfini de manire gnrale et impersonnelle par la loi pnale ; B. BOULOC, Droit pnal gnral, Ed. Dalloz, Coll. Prcis, 20e d., 2007, n 93, p. 93, dfinissant linfraction comme laction ou lomission imputable son auteur, prvue ou punie par la loi dune sanction pnale ; J. PRADEL, Droit pnal gnral, Ed. Cujas, 16e d., 2006/2007, n 258, p. 241, dfinissant linfraction comme toute action ou omission que la socit interdit sous la menace dune sanction pnale . 18 V. sur la distinction entre infraction et incrimination, C. PORTERON, Infraction, Rpertoire pnal, Dalloz, 2002, n 3 ; J. PRADEL, ibid., n 258. 19 V. en ce sens A. DECOCQ, Droit pnal gnral, Ed. Armand Colin, Coll. U, 1971, p. 61 ; W. JEANDIDIER, Droit pnal gnral, Ed. Montchrestien, Coll. Domat droit priv, 2e d., 1991, p. 237, n 209 ; C. PORTERON, ibid., n 29 et s. ; J.-H. ROBERT, ibid., pp. 103-104 ; F. DEBOVE, F. FALLETTI, ibid., p. 84 ; M.-L. RASSAT, ibid., n 86 et 230 ; F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, ibid., n 430 ; J. PRADEL, ibid., n 294, p. 276.

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linfraction 20. Le second sujet de controverse porte sur llment moral, quun courant doctrinal rattache lauteur de linfraction et non linfraction elle-mme. Tel est le cas de Messieurs les professeurs Roger Merle et Andr Vitu qui, se ralliant la conception objective de linfraction, la conoivent comme la runion dun lment lgal et dun lment matriel 21. Plus restrictifs encore, Messieurs les professeurs Jean Pradel et Wilfrid Jeandidier rduisent linfraction llment matriel 22. La troisime divergence doctrinale concerne llment injuste, soit labsence de fait justificatif. Estimant qu dfaut dlment injuste, linfraction ne se forme pas, une doctrine minoritaire linclut dans les composantes de linfraction et vise ce titre la lgitime dfense, ltat de ncessit et lordre de la loi ou le commandement de lautorit lgitime 23. Lappartenance de llment injuste la structure de linfraction est en revanche rfute par une grande partie de la doctrine au motif quil se confond avec llment lgal 24, quil est inutile 25, mythique 26 ou quil renvoie aux causes dirresponsabilit, indpendantes de linfraction 27. Enfin, une partie de la doctrine considre la sanction comme une composante de linfraction 28. 8. La division des infractions. Si la division de linfraction est fluctuante, la division des infractions lest galement. Au-del du triptyque classique fond sur la gravit des infractions - contraventions, dlits, crimes - les infractions connaissent une division base sur leur nature, conduisant opposer les infractions de droit commun aux autres infractions, militaires, politiques, conomiques, fiscales, douanires et terroristes 29. Seront exclues de la prsente tude les infractions de droit spcial incrimines en dehors du Code pnal, ds lors quelles relvent de juridictions spcialises (Conseil de la concurrence, tribunaux militaires) ou de mcanismes propres de rparation (transaction en matire fiscale et douanire) et,

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V. en ce sens, R. MERLE, A. VITU, ibid., n 383 ; P. CONTE, P. MAISTRE DU CHAMBON, ibid., n 219 ; J.-C. SOYER, Droit pnal et procdure pnale, L.G.D.J., Coll. Manuel, 19e d., 2006, n 62, pp. 46-47 ; B. BOULOC, ibid., n 99, p. 101, dfendant toutefois une position ambigu consistant considrer llment lgal comme une composante de linfraction tout en le traitant sparment des lments matriel et moral, qualifis dlments proprement constitutifs. 21 R. MERLE, A. VITU, ibid., n 383. 22 W. JEANDIDIER, ibid., n 211, pp. 238-239 ; J. PRADEL, ibid., n 294. 23 M.-L. RASSAT, ibid., n 230 et n 317 et s. ; P. SALVAGE, ibid., pp. 59-73. 24 B. BOULOC, ibid., n 210, pp. 205-206. 25 W. JEANDIDIER, ibid., n 210, p. 238. 26 A. DECOCQ, ibid., pp. 149-151. 27 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, ibid., n 430. 28 P. MAISTRE DU CHAMBON, ibid., n 215 ; F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, ibid., n 22, tudiant toutefois la sanction pnale sparment de linfraction. 29 V. sur les classifications selon la nature, W. JEANDIDIER, ibid., n 198-208 ; R. MERLE, A. VITU, ibid., n 413-430 ; P. CONTE, P. MAISTRE DU CHAMBON, ibid., n 181-199 ; J.-H. ROBERT, ibid., pp. 226-249 ; J. PRADEL, ibid., n 266-293 ; P. SALVAGE, ibid., pp. 78-85 ; M.-L. RASSAT, ibid., n 243-255 ; F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, ibid., n 145-194. V. galement J.-J. LEMOULAND, Les critres jurisprudentiels de linfraction politique, R.S.C., 1988, n 1, pp. 16-32.

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surtout, quelles portent majoritairement atteinte des victimes personnes morales comme lEtat ou des Administrations spcifiques. Tel est le cas des infractions douanires, fiscales et militaires et des infractions politiques prvues par le Code lectoral. Labsence de victime personne physique conduit galement carter les infractions politiques prvues par le Code pnal et diriges contre lEtat, la Nation et la paix publique. En revanche, les infractions caractre terroriste entreront dans le cadre de la recherche. Dune part, il sagit dinfractions de droit commun qui, commises dans des circonstances et pour des motifs prcis, acquirent une dimension terroriste 30. Dautre part, les actes de terrorisme gnrent de multiples victimes individuelles dont la rparation, relevant dun rgime propre sur le plan indemnitaire, mrite dtre envisage. Les infractions relevant de la comptence des juridictions pnales internationales ne seront pas envisages 31. Corrlativement, le sujet se limitera la rparation offerte par le droit franais, le cas chant interprt la lumire du droit europen des droits de lhomme quil doit respecter. De manire gnrale, la tendance est linflation pnale tandis que, paralllement, 80 % des plaintes donnent lieu un classement sans suite 32. Quils soient justifis par des raisons de droit ou dopportunit, les classements sans suite laissent trop souvent dauthentiques victimes dans lexpectative dune rponse un acte pourtant proscrit et ne donnent que plus dintrt au sujet. 9. Lintrt pratique du sujet. Lintrt pratique du sujet est li laspect volutif du domaine considr. A linstar de la procdure pnale en son entier, le droit des victimes est un droit en mouvement. Il est surtout un droit en construction. Beaucoup davances ont t ralises mais il reste encore uvrer en faveur des victimes. Dans de telles circonstances, il parat opportun de se livrer une rflexion sur la rparation des victimes dinfractions, incluant la fois un bilan du systme en place, sur le plan juridique et sur le plan extrajuridique, et un panorama des rponses nouvelles laborer. 10. Lutilit du sujet. Lintrt thorique du sujet procde, premirement, de son utilit. Jusqu prsent, la question des victimes dinfractions na donn lieu qu des approches fragmentes. Les thses ralises ont envisag tantt le seul concept de

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V. sur la dfinition des infractions caractre terroriste, infra n 292 et s. M.-L. PAVIA, La place de la victime devant les tribunaux pnaux internationaux, A.P.C., 2002, n 24, pp. 6179 ; D. LOUNICI, D., SCALIA, Premire dcision de la Cour pnale internationale relative aux victimes : tat des lieux et interrogations, R.I.D.P., 2005, vol. 76, pp. 375-408 ; G. BITTI, La participation des victimes la procdure devant la C.P.I., R.S.C., 2006, pp. 700-703 ; J. SULZER, Le statut des victimes dans la justice pnale internationale mergente, A.P.C., 2006, n 28, pp. 29-40 ; R. CARIO, Les droits des victimes devant la Cour pnale internationale, A.J. Pnal, 2007, n 6, pp. 261-266. 32 R. CARIO, Introduction aux sciences criminelles, Pour une approche globale et intgre du phnomne criminel, Ed. LHarmattan, Coll. Trait de sciences criminelles, 5e d., 2005, p. 46 et s.

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rparation 33, tantt les seules victimes dinfractions pnales, jamais le concept de rparation des victimes dinfractions pnales. En outre, les recherches consacres aux victimes dinfractions ont abord le thme de manire trs spcifique. Ainsi, il sest agi de traiter isolment le volet financier de la rparation, soit sous langle de lindemnisation 34, soit sous langle des dommages rparables 35. Dautres travaux se sont focaliss sur laspect procdural de la prsence de la victime au procs pnal 36 ou sur le rle des diffrents protagonistes de ce procs 37. Laction civile a galement suscit lintrt 38. Dans un tel contexte, il est apparu opportun denvisager conjointement, dans une mme tude, rparation et victimes dinfractions pnales. Lintrt est de donner une vision plus globale des rponses apportes ou apporter aux besoins des victimes dinfractions, en dpassant non seulement lapproche strictement financire mais aussi lapproche judiciaire. 11. Lenvironnement du sujet. Deuximement, lintrt thorique du sujet rsulte de limpossibilit de prendre en compte la victime isolment. Elle doit en effet tre considre dans ses rapports avec lauteur de linfraction, la socit en son entier et les diverses institutions. Sur le terrain judiciaire, cette interdpendance sexplique par des considrations historiques, selon lesquelles la victime dinfraction pnale a (r)merg tardivement dans un procs pnal pralablement organis sans elle, au milieu dacteurs dont les rles et les droits taient dores et dj acquis. Il en rsulte un certain nombre dobstacles, voire dincompatibilits, dont celui ou celle qui tudie la rparation des victimes dinfractions pnales ne peut sabstraire. Par exemple, comment concilier les besoins dinformation, de rcit et de vrit des victimes avec une procdure pnale irrigue, lors de ses phases denqute et dinstruction, par la culture du secret ? Envisager la victime et sa rparation suppose de composer avec cette donne et invite une rflexion plus large, englobant lenvironnement

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M.-E. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur la notion de rparation, L.G.D.J., 1974, 493 p. ; A. SCHNEIDER, Essai sur le concept de droit rparation, Thse dactyl. Strasbourg, 1990, 336 p. 34 L. HENRISEY, Lindemnisation des victimes dinfractions pnales, Thse Nice, 2000, 506 p. 35 M.-E. CARTIER, La notion de dommage personnel rparable par les juridictions rpressives, Thse, Paris, 1968, 570 p. 36 B. MASSON, La dtermination de la partie lse au sens de larticle 1 du Code de procdure pnale, Thse, Rennes, 1975, 450 p. ; J. LEROY, La constitution de partie civile fins vindicatives. Dfense et illustration de larticle 2 du Code de procdure pnale, Thse, Paris XII, 1990, 733 p. 37 M. SAMBIAN, Le respect de lgalit des armes lgard de la victime dans le procs pnal, Thse Montpellier I, 2000, 576 p. ; C. DUPARC, Le rle respectif du juge et des parties dans le procs pnal, Thse, Poitiers, 2002, 679 p. 38 F. ALAPHILIPPE, Loption entre la voie civile et la voie pnale pour lexercice de laction civile (contribution la thorie de laction civile), Thse, Poitiers, 1972 ; P. BONFILS, La nature juridique de laction civile, Thse Aix-Marseille, 2000, 559 p.

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dans lequel volue la personne lse par linfraction. En dautres termes, il est question de politique criminelle densemble 39 et pas seulement de satisfaction dintrts catgoriels. 12. Lintrt conceptuel. Troisimement, la rparation des victimes dinfractions pnales entrane dans son sillage des concepts juridiques fondamentaux. Ainsi, le sujet suppose de sinterroger sur les rapports entre peine et rparation et, plus largement, sur les frontires entre droit civil et droit pnal, modifies ds lors que la sanction pnale est considre comme un lment de la rparation. Corrlativement, lentier sens de la peine est branl. Les sens classiques, quils soient rtributif, utilitaire ou rhabilitatif, ctoient un nouveau sens, dessence rparatrice, au risque dtre supplants par ce dernier. La procdure pnale est galement concerne dans la mesure o la victime et sa rparation constituent de puissants facteurs dvolution. La place grandissante accorde la victime dans le procs pnal participe notamment la privatisation de la justice pnale et lintroduction du consensualisme, au travers de mesures comme la mdiation pnale. Un tel phnomne pourrait, terme, sinscrire dans un mouvement plus large de redploiement de la justice pnale autour de la victime. Les remodelages dores et dj intervenus, ajouts aux possibles modifications venir, laissent pressentir une transformation profonde du systme de justice rpressive, sous linfluence de la victime. Prcisment, la rinvention dautres formes de justice, plus restauratives et mieux adaptes aux protagonistes de la dlinquance nest pas exclue. De mme, la question de la capacit du systme de justice pnale assumer une fonction de rparation destination des victimes dinfractions est pose. Par consquent, la rparation des victimes dinfractions pnales se prsente comme une problmatique aux enjeux thoriques multiples, derrire laquelle se trame la redfinition de nombreux concepts. 13. Les difficults du sujet. Quatrimement, le sujet prsente un intrt thorique en raison des paradoxes et des ambiguts quil recle. Comment, en effet, concilier lobjectif de rparation des victimes dinfractions pnales avec la part dirrparable qui accompagne la plupart des lsions portes un intrt protg ? Ny a t-il pas, demble, une antinomie entre les deux termes du sujet ? Faut-il se rsoudre admettre quune part de la question pose ne pourra recevoir de rponse ? De telles difficults excitent la curiosit du chercheur, dont la tche consiste prcisment dpasser ces apparentes contrarits. 14. Un sujet controvers. Cinquimement, quelques uns des aspects du sujet gnrent des dbats thoriques autant controverss que passionns. Ainsi, la prsence de la victime au

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M. DELMAS-MARTY, Les grands systmes de politique criminelle, P.U.F., 1re d., 1992, pp. 116-120 ; C. LAZERGES, Introduction la politique criminelle, Ed. LHarmattan, Coll. Trait de sciences criminelles, vol. 1, 2000, pp. 82-88.

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procs pnal ne fait pas lunanimit auprs de la doctrine et ressurgit frquemment la question de savoir comment et dans quelle mesure la limiter 40. De mme, la nature de laction exerce par la victime devant les juridictions rpressives suscite, depuis de nombreuses annes, des interprtations contradictoires 41. Et sil est dsormais acquis que la victime a, en vertu du droit positif, une place et un rle dans le procs pnal, la question de leur finalit exacte nest pas rsolue et une telle incertitude gnre notamment des problmes en termes de droit au procs quitable. La prennit des interrogations entourant laction de la victime devant le juge rpressif atteste lactualit et la pertinence du sujet. Une rflexion autour du concept de rparation des victimes dinfractions pnales est de nature apporter un clairage supplmentaire sur ces questions. Elle se justifie dautant plus que la rparation des victimes dinfractions se prsente comme une notion relative, tantt entendue de manire restrictive, tantt entendue de manire extensive (Section I). Les besoins des victimes, dont la connaissance est indispensable pour se prononcer sur la notion de rparation, invitent pourtant adhrer une conception large et pluridimensionnelle de la rparation des victimes dinfractions pnales (Section II). Section I - La relativit de la rparation des victimes dinfractions pnales 15. La relativit se conoit tout dabord sous un angle terminologique puisque la rparation, indpendamment de son application aux victimes dinfractions, est susceptible de recouvrir diffrentes ralits (1). Elle se conoit ensuite sous un angle pratique. Ltude du

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V. not. J. LEROY, La constitution de partie civile fins vindicatives. Dfense et illustration de larticle 2 du code de procdure pnale, op. cit., pp. 657-676 ; M.-L. RASSAT Propositions de rformes du Code de procdure pnale, Rapport au Ministre de la Justice, 1997, p. 92 et s., suggrant de limiter la comptence du juge pnal loctroi dun droit rparation tandis que lvaluation des dommages et intrts allous en application de ce droit relverait de la seule comptence du juge civil ; M.-L. RASSAT, Trait de procdure pnale, P.U.F., 2001, n 166-170, pp. 247-256 ; F. CASORLA, Les victimes, de la rparation la vengeance ?, R.P.D.P., 2002, n 1, pp. 161-172, prconisant de renvoyer la victime vers le seul juge civil ; C. GUERY, Le juge dinstruction et le voleur de pommes : pour une rforme de la constitution de partie civile, D., 2003, doctr., pp. 1575-1581., proposant dencadrer la constitution de partie civile. 41 J. GRANIER, Quelques rflexions sur laction civile, J.C.P., 1957, I, 1386 ; J. VIDAL, Observations sur la nature juridique de laction civile, R.S.C., 1963, pp. 481-528 ; F. BOULAN, Le double visage de laction civile exerce devant la juridiction rpressive, J.C.P., 1973, I, 2563 ; R. VOUIN, Lunique action civile, D., 1973, chron., p. 265 ; J. De POULPIQUET, Le droit de mettre en mouvement laction publique : consquence de laction civile ou droit autonome ?, R.S.C., 1975, pp. 37-57 ; R. MERLE, La distinction entre le droit de se constituer partie civile et le droit dobtenir rparation du dommage caus par linfraction (consolidation, mise au point ou fluctuations ?), In Mlanges Vitu, Ed. Cujas, 1989, pp. 397-404 ; J. LEROY, La constitution de partie civile fins vindicatives. Dfense et illustration de larticle 2 du Code de procdure pnale, op. cit., 733 p. ; C. ROCA, De la dissociation entre la rparation et la rpression dans laction civile exerce devant les juridictions rpressives, D., 1991, chron., pp. 85-92 ; P. BONFILS, La nature juridique de laction civile, op. cit., 559 p.

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droit compar atteste en effet la relativit spatiale de la rparation des victimes dinfractions pnales (2), tandis que ltude du droit franais dmontre sa relativit temporelle (3). 1 - La relativit terminologique de la rparation 16. La dfinition courante. Dans le langage courant, la rparation sentend de laction de rparer quelque chose dendommag, une faute commise ou un prjudice. Le verbe rparer signifie remettre en tat ce qui a subi un dommage ou une dtrioration, faire disparatre un mal ou en attnuer les consquences, ou encore restaurer, (se) rtablir. Selon les dictionnaires gnraux, la rparation correspond, en droit, au ddommagement dun prjudice par la personne qui en est responsable ou encore la peine frappant lauteur dune infraction 42. A la lecture de ces dfinitions, il semble que la rparation se dfinisse selon quatre critres, savoir son objet, sa nature, ses acteurs et son objectif 43. La rparation peut avoir pour objet un bien matriel, une personne ou un lment immatriel comme une offense morale, voire une relation entre deux ou plusieurs individus, sachant que ces objets ne sont pas ncessairement exclusifs les uns des autres. Cette dfinition large de lobjet de la rparation se rpercute invitablement sur sa nature. Ainsi, la rparation peut tre matrielle, auquel cas elle se concrtise frquemment par une rparation financire. Mais elle peut galement tre psychologique, sociale, mdicale ou encore symbolique. Au premier plan des acteurs de la rparation se situe lindividu ayant occasionn le tort ou son garant. Mais sont galement susceptibles dtre impliques toutes les personnes qui, sans tre responsables, peuvent contribuer la rparation grce des comptences spcifiques. A ces protagonistes sajoutent des acteurs indirects qui, linstar des juges, sont chargs de dterminer la rparation qui sera excute par dautres. Il est concevable, de surcrot, dinclure la victime dans la catgorie des acteurs dans la mesure o elle peut tre amene participer sa propre rparation. Les objectifs de la rparation renvoient essentiellement, pour leur part, sa dimension temporelle. La rparation peut tre tourne vers le pass, auquel cas elle vise revenir la situation antrieure lacte dommageable en remettant en tat ce qui a t dtrior, avec le risque de ne pas y parvenir. Elle peut galement tre tourne vers lavenir et suppose alors le deuil du pass (de lintgrit physique, de la vie perdue ou du bien dtruit) et lacceptation dun nouvel ordre des choses qui intgre lvnement dommageable.

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Dictionnaire Larousse. V. pour des critres voisins, M. JACCOUD, Justice rparatrice et violence, In P. DUMOUCHEL (Dir.), Comprendre pour agir. Violences, victimes, vengeance, Ed. LHarmattan, P.U. Laval, 2000, pp. 183-206.

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Gnralement, les deux conceptions se ctoient dans la mesure o il est souvent difficile de se dpartir des acquis passs, surtout lorsque le dommage rsulte dun acte extrieur injuste. Ce dilemme est rsum par Monsieur le professeur Jean Laplanche, pour qui toute rparation est prise entre la nostalgie de lintgrit et lacceptation du dsastre comme incitation une nouvelle cration 44. La rparation est donc potentiellement une notion large, aux objets clectiques, de natures varies, aux acteurs multiples et aux objectifs ambitieux qui dbordent la simple notion de rparation financire. 17. La dfinition juridique. Dans le langage juridique, la rparation est rattache la responsabilit civile. Elle a pour objet le prjudice et consiste essentiellement, du point de vue de sa nature, en un quivalent montaire (les dommages et intrts), plus rarement en une rparation en nature. Elle repose sur lintervention du responsable ou de ses garants dune part, du juge dautre part, charg de dterminer les prjudices, dvaluer la rparation y affrente puis denjoindre lauteur du dommage dexcuter la dcision prise. Elle est, enfin, tourne vers le pass puisquelle vise, selon lexpression consacre par la Cour de cassation, replacer la victime dans la situation o elle se serait trouve si lacte dommageable ne stait pas produit 45. Par consquent, lacception juridique de la rparation est restrictive. Elle apparat plus restreinte encore au regard de la distinction parfois opre entre rparation et indemnisation 46. La premire est indissociable de la responsabilit civile. La seconde procde de mcanismes qui ne sont pas fonds sur la responsabilit civile mais sur la solidarit nationale. Le systme dindemnisation des victimes dinfractions et le systme dindemnisation des victimes dactes terroristes, qui font intervenir le Fonds de garantie des victimes dactes terroristes et dautres infractions, en sont larchtype. La rparation peut donc recouvrir de multiples ralit et, ce stade, il nest ni possible, ni opportun den donner une dfinition complte. Tout au plus convient-il de constater que la polysmie du terme rparation comme le dcalage entre ses dfinitions gnrale et juridique confortent le bien fond de la question de dpart. Corrlativement, lenjeu de la recherche consiste analyser en quoi le rapprochement des notions de rparation dune part et de victimes dinfractions pnales dautre part donne une dimension particulire la premire de ces notions. Cette

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J. LAPLANCHE, Rparation et rtribution : une perspective psychanalytique, Archives de philosophie du droit, Tome 28, Philosophie pnale, 1983, pp. 109-121. 45 V. par exemple, Civ. 2e, 28 octobre 1954, Bull. civ. II, n 328 ; Civ. 2e, 9 juillet 1981, Bull. civ. II, n 156 ; Crim., 12 avril 1994, Bull. crim. n 146. 46 Y. LAMBERT-FAIVRE, Lvolution de la responsabilit civile dune dette de responsabilit une crance dindemnisation, R.T.D.Civ., 1987, pp. 1-19. Comp. avec L. HENRISEY, Lindemnisation des victimes dinfractions pnales, op. cit., pp. 54-70, dfendant lide selon laquelle lindemnisation est une forme originale de la rparation ou encore une autre expression de la rparation.

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dmarche simpose dautant plus que la rparation prsente galement une relativit spatiale, y compris lorsquelle concerne spcifiquement les victimes dinfractions pnales. 2 - La relativit spatiale de la rparation des victimes dinfractions pnales 18. La conception civiliste. Lanalyse du droit compar dmontre que la rparation des victimes dinfractions est un concept contingent, dont la nature et les acteurs varient dun pays lautre. Plusieurs conceptions de la rparation sen dgagent. La premire est une conception civiliste, en vertu de laquelle la rparation sapparente exclusivement un ddommagement financier allou par le juge civil. Elle se rencontre surtout dans les systmes oprant une sparation hermtique entre justice civile et justice pnale. Dpourvue de rle dans le processus rpressif, la victime est renvoye devant le seul juge civil. Essentiellement mais pas exclusivement incarne par les systmes de justice de common law, cette conception tend toutefois dcliner dans le sens o elle admet de plus en plus de drogations. Ainsi, si les systmes anglais et allemand la retiennent, ils donnent galement comptence au juge pnal pour allouer, dans des hypothses et des conditions limitatives, des dommages et intrts la victime. Depuis 1972, lAngleterre permet en effet au juge pnal daccorder une compensation order, calcule en fonction des facults contributives de lauteur de linfraction et limite par la loi 5000 livres, soit environ 7600 euros. LAllemagne prvoit quant elle une procdure permettant lallocation de dommages et intrts par le juge pnal mais elle ne concerne que les prjudices matriels. Elle est toutefois trs peu usite, les juges rpressifs tant rticents appliquer les rgles de droit civil 47. Surtout, ces deux ordres juridiques demeurent extrmement stricts quant la place occupe par la victime dans le procs pnal. En Angleterre, la victime ne peut tre partie au procs ds lors que les poursuites sont dclenches par le service des poursuites. En Allemagne, la procdure de privatflage permet la victime de dclencher et dexercer les poursuites mais elle ne concerne que quelques infractions de faible gravit (injure, violation de domicile, vol au sein de la famille et violation du secret des correspondances). La procdure de nebenklage autorise quant elle la victime se constituer plaignant accessoire , mais elle a pour seul champ dapplication quelques infractions graves et ne sapplique que si le ministre public a dclench les poursuites 48. Cette place marginale rserve la victime dans le procs pnal montre que de tels systmes47

C. HARDOUIN, E.VERNY, Etude de droit compar, Allemagne, In P. ALBERTINI, Rapport de loffice parlementaire dvaluation de la lgislation sur lexercice de laction civile par les associations, Assemble Nationale, 1999, pp. 81-86, www.assemblee-nationale.fr/11/rap-oel/r1583.asp 48 C. HARDOUIN, E. VERNY, ibid., pp. 81-86.

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se focalisent avant tout sur la rparation civile. Cependant, le fait que la victime puisse parfois investir le procs pnal dmontre que la conception exclusivement civiliste de la rparation se rencontre peu ltat pur, sans pour autant que la participation au procs pnal puisse tre considre comme une composante de la rparation. Les systmes dindemnisation des victimes dinfractions, adopts notamment par les Etats-Unis, le Canada et de nombreux pays de lUnion Europenne 49 sinscrivent galement dans le cadre de la conception civiliste. Ainsi, une mme conception de la rparation peut donner lieu diffrentes pratiques, sachant quen principe, la rparation financire par le juge civil (ou pnal) et lindemnisation octroye sur la base dun mcanisme fond sur la solidarit nationale coexistent au sein dun mme systme juridique. 19. La conception pnale. Plus large que la conception civiliste est la conception pnale selon laquelle le procs pnal et la participation de la victime celui-ci contribuent la rparation. Elle est susceptible de connatre deux niveaux de profondeur. Le niveau le plus extrme consiste riger la rparation en fondement de laction pnale, auquel cas la victime exerce seule la rpression et son unique profit. Une telle conception nest plus de mise aujourdhui dans la mesure o les systmes juridiques distinguent laction publique en rpression et laction en rparation. Le second niveau, moins radical, peut tre incarn par les systmes qui, tout en sparant action publique et action civile, accordent une large place la victime dans le procs pnal. Tel est le cas des droits franais, belge, italien et espagnol. Quelques uns dentre eux, comme les systmes belge et franais, vont mme jusqu autoriser la victime dclencher les poursuites pnales en cas de carence des autorits de poursuite. Toutefois, une grande ambigut entoure le rle confr la victime dans le processus rpressif. Quelle finalit ces ordres juridiques reconnaissent-ils la prsence de la victime devant le juge rpressif ? Sa participation consiste-t-elle seulement obtenir une rparation financire ou vise-t-elle obtenir une rparation dune autre nature, comportant une dimension pnale ? En permettant au juge pnal de se prononcer simultanment sur laction civile et sur laction publique, ces systmes se rapprochent de la conception civiliste de la rparation et entretiennent lincertitude. A dfaut dune rponse claire et tranche, il est impossible daffirmer que la conception pnale de la rparation est reconnue par les systmes juridiques.49

Sur les 15 premiers Etats avoir intgr lUnion europenne, deux seulement (la Grce et lItalie) ne disposaient pas dun tel systme dindemnisation en 2002, sachant toutefois quen Italie existe un rgime dindemnisation destination des victimes gravement atteintes par des actes de terrorisme ou par la criminalit organise. V. Livre vert sur lindemnisation des victimes de la criminalit, Commission des communauts europennes, Bruxelles, 28 septembre 2001, COM(2001), 536 final. http://europa.eu.int

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20. La conception extrajuridique. Enfin, alors que les deux prcdentes conceptions se droulent sur le terrain juridique et judiciaire, une troisime conception place la rparation sur le terrain extra-juridique, voire extra-judiciaire lorsque lintervention au profit des victimes est totalement indpendante de luvre de justice 50. Elle permet la victime dobtenir un accompagnement et un soutien laidant surmonter lpreuve quelle traverse. Une telle conception repose sur le concours de professionnels aux comptences diverses, appartenant soit des secteurs existants qui sont adapts aux besoins des victimes dinfractions pnales (psychologie, travail social), soit au secteur de laide aux victimes, spcifiquement cr. Cette option est notamment retenue par le Canada, lAngleterre, la Suisse et la France. 21. La convergence des conceptions. Ces trois conceptions de la rparation ne sont pas ncessairement exclusives les unes des autres. Elles ont parfois vocation se cumuler. La France en est la parfaite illustration puisque, en thorie, la victime peut la fois obtenir une rparation financire de la part du juge pnal, du juge civil ou par lintermdiaire du Fonds de garantie des victimes dinfractions, participer au procs pnal en tant que partie et bnficier dune aide aux victimes. Toutefois, dun point de vue chronologique, la rparation sest longtemps droule sur le seul terrain judiciaire. Lapproche franaise de la rparation atteste en effet la relativit temporelle de la rparation des victimes dinfractions pnales. 3 - La relativit temporelle de la rparation des victimes dinfractions pnales 22. La relativit temporelle de la rparation des victimes dinfractions pnales en droit franais ressort de lapproche historique (A) et du droit positif (B). A - Lapproche historique de la rparation des victimes dinfractions pnales 23. La confusion de la sanction et de la rparation. Historiquement, lvolution de la victime sur le terrain judiciaire, loin dtre linaire, est constitue de flux et de reflux. Tantt matresse absolue du contentieux pnal, tantt relgue un rle subalterne, la victime a oscill, au cours des sicles, entre des positions extrmes 51. A lpoque romaine rgnait un50

En France, les associations daide aux victimes sont habilites justice et interviennent, le cas chant, sur dlgation judiciaire. 51 V. sur laspect historique, A. LAINGUI, A. LEBIGRE, Histoire du droit pnal, Tome II, La procdure criminelle, Ed. Cujas, 1979, 158 p. ; J. LEROY, La constitution de partie civile fins vindicatives. Dfense et illustration de larticle 2 du code de procdure pnale, op. cit., pp. 9-80 ; J.-P. ALLINNE, Les victimes : des

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systme de vengeance prive instituant la victime en unique destinataire de la rpression. Initialement illimit, le droit de vengeance fut ensuite rgul par deux mcanismes : le talion tout dabord, prnant lquivalence entre la sanction et le prjudice ( il pour il, dent pour dent ) et la composition pcuniaire 52 ensuite, qui permettait de racheter le droit de vengeance de loffens ou de sa famille. Le systme de vengeance prive rglemente sest perptu au Haut Moyen Age. La victime tait linstigatrice, lexcutrice et le bnficiaire de la rpression. Droit pnal et droit civil taient confondus. Il en tait de mme, corrlativement, de la peine et de la rparation puisque la sanction tenait galement lieu de rparation. Cependant, les compositions taient dsormais tarifes par la loi, non par les victimes ellesmmes. Surtout, signes prcoces de limmixtion de lEtat dans la rpression, les compositions furent scindes en deux parts, lune verse la victime (le faidus), lautre au Roi pour compenser loffense faite la paix publique (le fredus). Mais, mme remplace par une composition pcuniaire, la vengeance sexprimait toujours au profit de la victime. La place prpondrante occupe par la personne lse sest maintenue durant une grande partie du Moyen Age. En tant quaccusateur priv et grce au caractre accusatoire de la procdure, la victime en avait le contrle, de son dclenchement jusqu son terme. Le procs tait avant tout peru comme un affrontement entre deux parties prives se situant sur un pied dgalit, tandis que le juge se contentait de trancher un conflit qualifi de priv. Toutefois, ds cette poque (XIe sicle), les prmisses dune dpossession de la victime se firent sentir. La poursuite doffice par le juge seigneurial ou royal devint en effet possible dans des cas prdtermins. Il en tait ainsi en cas de flagrant dlit et denqute de pays, qui consistait en une sorte de transaction entre le suspect et le juge. Il en tait de mme en cas daprise, qui permettait de remdier aux inconvnients de la procdure accusatoire dans les hypothses o la victime navait pas de famille pour dclencher laction ou tait dcourage par les risques et

oublies de lhistoire du droit ?, In R. CARIO, D. SALAS (Dir.), uvre de justice et victimes, vol. 1, Ed. LHarmattan, Coll. Sciences criminelles, 1997, pp. 25-58, galement publi dans Association Franaise pour lHistoire de la Justice (Dir.), La cour dassises. Bilan dun hritage dmocratique, La Documentation Franaise, Coll. Histoire de la Justice, 2001, pp. 247-268 ; B. GARNOT, Les victimes pendant lAncien rgime (XVIe, XVIIe, XVIIIe sicles), In R. CARIO, D. SALAS (Dir.), uvre de justice et victimes, vol.1., op. cit., pp. 59-65, galement publi dans Association Franaise pour lHistoire de la Justice (Dir.), La cour dassises. Bilan dun hritage dmocratique, op. cit., pp. 241-245 ; B. GARNOT (Dir.), Les victimes, des oublies de lhistoire ?, P.U. Rennes, Coll. Histoire, 2000, 535 p. ; J.-M. CARBASSE, Histoire du droit pnal et de la justice criminelle, P.U.F., Collection droit fondamental, 2006, 486 p. ; J.-F. CHASSAING, La victime dans le procs pnal, www.geocities.com/jfdchassaing/victime.html 52 V. sur la composition pcuniaire, J.-M. CARBASSE, Histoire du droit pnal et de la justice criminelle, op. cit., n 48, pp. 97-99.

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les responsabilits inhrents laccusation prive 53. Nanmoins, le principe selon lequel la peine doit tre applique pour satisfaire la partie lse 54 resta en vigueur. 24. Lavnement de la distinction entre sanction et rparation. Au XIIIe sicle, le passage dune procdure accusatoire une procdure inquisitoire bouleversa le sort de la victime. Apparue ds le XIIe sicle devant les juridictions ecclsiastiques, cette procdure fut tendue aux juridictions seigneuriales et royales compter du sicle suivant, donnant davantage de prrogatives aux juges en ce qui concerne lengagement des poursuites et le droulement du procs. Cette rupture saccompagna, ds le XIVe sicle, de lmergence progressive du ministre public. Dans un premier temps (XIVe et XVe sicles), le procureur intervenait comme partie jointe, secondant la partie prive dans ce qui tait lquivalent de lactuelle instruction prparatoire, et dclenchait les poursuites seulement si la victime ny avait pas procd. A la fin du Moyen Age, le rle de la victime tait encore relativement privilgi. Mais la position du ministre public fut rapidement (XVIe et XVIIe sicles) renforce et assise, marquant ainsi lavnement du stade de la poursuite publique, successeur du stade de la vengeance prive. Le procureur acquit le monopole de laccusation, tandis que la victime perdit son statut daccusateur priv pour ntre dsormais quun demandeur en rparation. Le particulier ne peut plus poursuivre que la rparation du mal quil a souffert ; il le dnonce au ministre public, tout se fait sans lui ; il na plus qu attendre le jugement pour recevoir le ddommagement qui lui est d 55. A cette poque apparurent les notions de partie civile, reprise dans lordonnance criminelle de 1670, et daction civile 56. Mais, si la victime pouvait demander rparation devant les juridictions rpressives, ses intrts taient toutefois secondaires eu gard la finalit du droit pnal, consistant satisfaire les seuls intrts de la socit et non le dsir de vengeance des particuliers. La victime tait par ailleurs vince par le Roi qui se prsentait comme la principale victime de linfraction. Parce que lintrt de la partie prive nest que laccessoire dune instruction criminelle, lintrt public doit tre prfr celui des particuliers 57. Ainsi peut tre rsume la devise du droit pnal sous lAncien Rgime. En outre, le ddommagement ne portait que sur les atteintes

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J.-P. ALLINNE, Les victimes : des oublies de lhistoire du droit ?, op. cit., pp. 34-36. P. NOURRISSON, De la participation des particuliers la poursuite des crimes et des dlits. Etude dhistoire et de lgislation compare, Paris, 1894, p. 37. V. galement M. VAN DE KERCHOVE, Lintrt la rpression et lintrt la rparation dans le procs pnal, In P. GERARD, F. OST, M. VAN DE KERCHOVE, Droit et intrt, Vol. 3 : droit positif, droit compar et histoire du droit, n 49/3, Pub. des facults universitaires SaintLouis, Bruxelles, 1990, pp. 83-113, sp. p. 87. 55 S. LACRETELLE, Dissertation sur le ministre public, Ed. Cuchet, 1784, p. 252. V. galement J.P. ALLINNE, ibid., pp. 37-38. 56 P. BONFILS, La nature juridique de laction civile, op. cit., pp. 26-27. 57 E. WENZEL, Quelle place pour la victime dans lancien droit pnal ?, op. cit., p. 23.

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matrielles, ce qui excluait la rparation des prjudices moraux. Le seul espoir pour la victime dobtenir une rparation morale, non pcuniaire, se fondait sur la procdure damende honorable, qui permettait lauteur des faits de demander son pardon. Mais un tel procd savra peu accessible dans la mesure o le pardon la victime venait aprs lexpiation auprs de lEglise, du Roi, puis ventuellement du seigneur local. Enfin, la demande de rparation devant les juridictions pnales impliquait un cot financier pour les victimes, qui devaient supporter les frais dinstruction. Dissuads par de telles dpenses, de nombreux particuliers lss taient contraints de renoncer. Le droit pnal de lAncien Rgime fut donc caractris par la rgression de la place de la victime dans la procdure judiciaire rpressive. Nanmoins, cette approche mrite dtre nuance. Dune part, les recherches historiques ont montr que, contrairement au droit pnal thorique et aux ordonnances royales, qui tendaient ngliger la victime, les coutumes et la pratique judiciaire des tribunaux de base lui accordaient une considration certaine et se proccupaient de son ddommagement. Dautre part, les victimes recourraient frquemment aux procdures extra-judiciaires dinfrajustice ou de parajustice, plus souples et moins onreuses. Les procdures infrajudiciaires taient des procdures publiques daccommodement reposant sur lintervention dun tiers charg dentriner laccord ou de procder un arbitrage. Les procdures parajudiciaires taient des procdures prives dbouchant sur un accord accept par les deux parties, sans limmixtion de tiers et exclusives de toute publicit 58. Malgr ces pratiques, le droit pnal de lAncien Rgime scella la distinction entre rparation et rpression, ainsi que la sparation des actions civile et publique. Par la suite, lexception dun retour en arrire dans le systme de lAssemble Constituante issu dune loi du 16-29 septembre 1791, le lgislateur ne sest jamais dparti de cette distinction. Elle fut confirme par le Code des dlits et des peines du 3 Brumaire an IV, par le Code dinstruction criminelle de 1808 puis par le Code de procdure pnale de 1958, selon lequel laction publique pour lapplication des peines est mise en mouvement et exerce par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confie par la loi (art. 1er), tandis que laction civile en rparation du dommage caus par un crime, un dlit ou une contravention appartient tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement caus par linfraction (art. 2). Lvolution historique a donc abouti ladoption dune conception purement

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V. en ce sens, B. GARNOT, Les victimes pendant lAncien Rgime, op. cit., pp. 63-65 ; J.-P. ALLINNE, Les victimes : des oublies de lhistoire du droit, op. cit., pp. 42-49 ; E. WENZEL, Quelle place pour la victime dans lancien droit pnal, op. cit., pp. 25-28.

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patrimoniale de la rparation des victimes dinfractions pnales, dont le droit positif ne se dpartit pas vraiment. B - Lapproche contemporaine de la rparation des victimes dinfractions pnales 25. La naissance du mouvement en faveur des victimes. Larrt Laurent-Athalin rendu le 8 dcembre 1906 a marqu le dbut dune nouvelle re en affirmant que le dpt dune plainte avec constitution de partie civile produit les mmes effets que le rquisitoire du procureur de la Rpublique et permet la victime de dclencher les poursuites 59. La phase dvolution ainsi amorce, toujours en cours, vise redonner la victime une part de la place quelle avait perdue au sein du procs rpressif. Toutefois, lattention du lgislateur sest dabord porte sur lindemnisation. Ds 1977 60 est en effet cr le systme public dindemnisation faisant intervenir les Commissions dindemnisation des victimes dinfractions. Au mme moment, la Rsolution relative au ddommagement des victimes dinfractions pnales est adopte au niveau du Conseil de lEurope. Elle fixe les principes directeurs de lindemnisation tatique 61. Elle est relaye, quelques annes plus tard, par la Convention europenne relative au ddommagement des victimes dinfractions violentes 62. Au plan interne, les pouvoirs publics se sont engags, compter du dbut des annes 1980, dans une politique criminelle en faveur des victimes 63. Conscient que la victime se trouve dans la pire des solitudes, celle qui saccompagne dun sentiment de rejet 64, Monsieur Robert Badinter, Garde des Sceaux, runit sous la prsidence de Paul Milliez une commission charge de formuler des propositions en faveur des victimes. Le rapport rendu suite ces travaux met pour la premire fois lide dun rseau associatif daide aux victimes, retrace le

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Crim., 8 dcembre 1906, D.P., 1907, 1, 207, rapport Laurent-Athalin ; J. PRADEL, A. VARINARD, Les grands arrts de la procdure pnale, Ed. Dalloz, 5e d., 2005, n 7 ; X. PIN, Le centenaire de larrt LaurentAthalin, D. 2007, Etudes et commentaires, pp. 1025-1026. 60 Loi n 77-5 du 3 janvier 1977 garantissant lindemnisation de certaines victimes de dommages corporels rsultant dune infraction. J.O. du 4 janvier 1977, p. 77. 61 Rsolution (77)27 sur le ddommagement des victimes dinfractions pnales. Publications du Conseil de lEurope, www.coe.int 62 Convention europenne relative au ddommagement des victimes dinfractions violentes, 24 novembre 1983, In R. CARIO, Victimologie. Les textes essentiels, op. cit., texte n 2, pp. 17-20 ; J.-M. GUTH, Le ddommagement des victimes dinfractions violentes et la convention europenne du 24 novembre 1983, In Mlanges Levasseur, Droit pnal europen, Ed. Litec, 1992, pp. 421-433. Ce texte a t ratifi par la France le 29 mai 1990 et est entr en vigueur le 1er juin de la mme anne. 63 C. LAZERGES, Introduction la politique criminelle, op. cit., pp. 82-88. 64 A. DHAUTEVILLE, Lesprit de la loi du 6 juillet 1990 relative aux victimes dinfractions, R.S.C., 1991, pp. 150-158.

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parcours judiciaire de la victime et met en vidence les nombreuses carences qui laffectent 65. Il en est rsult le vote de la loi du 8 juillet 1983 66, qui facilite laccs des victimes au procs pnal, amliore leur sort pendant linstruction et tente de rendre leur indemnisation plus efficace. Selon les travaux parlementaires, ce texte visait faire en sorte que sestompe un peu lide que dans notre socit, les victimes dinfractions ont bien souvent le sentiment dtre des oublies, des exclues 67. Paralllement, le mouvement associatif daide aux victimes est lanc. En 1982, le Bureau de la protection des victimes et de la prvention est cr au sein du Ministre de la Justice. Rattach la Direction des affaires criminelles et des grces, il a notamment vocation soutenir le dveloppement des associations daide aux victimes. Les proccupations lgard des victimes se retrouvent au niveau europen, avec ladoption, en 1985 puis en 1987, de deux Recommandations du comit des ministres du Conseil de lEurope portant respectivement sur la position de la victime dans le cadre du droit pnal et de la procdure pnale et sur lassistance aux victimes et la prvention de la victimisation 68. A lchelon international, la Rsolution portant dclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalit et dabus de pouvoir est adopte par lOrganisation des Nations Unies en 1985 69. En droit interne, lattention du lgislateur franais se focalise de nouveau sur la rparation financire. Le rgime spcifique dindemnisation des victimes daccidents de la circulation est cr en 1985 70, suivi, lanne suivante, du rgime dindemnisation des victimes dactes de terrorisme 71. En 1990, le rgime

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P. MILLIEZ (Dir.), Rapport de la commission dtude et de propositions dans le domaine de laide aux victimes, Ministre de la Justice, 1982, Multigraph., 126 p. 66 Loi n 83-608 du 8 juillet 1983 renforant la protection des victimes dinfractions, J.O. du 9 juillet 1983, p. 2122. 67 Assemble Nationale, sance du 5 mai 1983, J.O. dbats A.N., 6 mai 1983, p. 898. 68 Recommandation R (85)11 sur la position de la victime dans le cadre du droit pnal et de la procdure pnale, 28 juin 1985, In R. CARIO, Victimologie. Les textes essentiels, op. cit., texte n 4, pp. 25-27 ; Recommandation R(87)21 sur lassistance des victimes et la prvention de la victimisation, 17 septembre 1987, ibid, texte n 5, pp. 29-31. La Recommandation R (87)21 a t actualise et remplace par la Recommandation REC(2006)8 du 14 juin 2006 sur lassistance aux victimes dinfractions, www.coe.int 69 Rsolution 40(34), portant dclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalit et aux victimes dabus de pouvoir, Assemble gnrale de lO.N.U., 1985, In R. CARIO, Victimologie, Les textes essentiels, op. cit., pp. 11-15. 70 Loi n 85-677 du 5 juillet 1985 tendant lamlioration de la situation des victimes daccidents de la circulation et lacclration des procdures dindemnisation, J.O. du 6 juillet 1985, p. 7584 ; F. CHABAS, Commentaire de la loi du 5 juillet 1985, tendant lamlioration de la situation des victimes daccidents de la circulation et lacclration des procdures dindemnisation , J.C.P., 1985, I, 3205 ; C. LARROUMET, Lindemnisation des victimes daccidents de la circulation : lamalgame de la responsabilit civile et de lindemnisation automatique, D., 1985, chron., pp. 237-244 ; J. APPIETTO, Fonds de garantie et loi Badinter, la dtrioration du sort des victimes, Gaz. Pal., 1988, doctr., pp. 121-127. 71 Loi n 86-1020 du 9 septembre 1986 relative la lutte contre le terrorisme. J.O. du 10 septembre 1986, p. 10956

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dindemnisation de droit commun, cr en 1977, est amlior 72. En 1993, les lois du 4 janvier et du 24 aot accroissent les droits de la victime lors de linstruction, lui confrant des prrogatives identiques celles du mis en examen 73. 26. Lacclration du mouvement en faveur des victimes. A compter de 1998, le mouvement en faveur des victimes sest considrablement acclr, avec llaboration de plthore de textes, dorigine et de porte diverses. La loi du 17 juin 1998, relative aux mineurs victimes dinfractions sexuelles, vise attnuer les effets ngatifs que la procdure judiciaire peut avoir sur eux 74. Mme si son champ dapplication est limit une catgorie particulire de victimes, ce texte marque un tournant dans la prise en compte des victimes en reconnaissant pour la premire fois que la procdure pnale peut constituer une preuve douloureuse pour elles. Le 13 juillet de la mme anne, la circulaire relative la politique pnale daide aux victimes 75 envisage la place donner la victime lors de chaque phase du procs pnal et met notamment en exergue la ncessit dun travail partenarial entre linstitution judiciaire, les fonctionnaires de police, les professionnels associatifs et toutes autres personnes intervenant auprs des victimes. Lanne suivante, la premire politique publique daide aux victimes est engage, avec pour ambition damorcer une rflexion de plus grande envergure. Cest dans ce cadre quest ralis le rapport de la commission prside par Madame Marie-Nolle Lienemann. Il procde un tat des lieux et formule 114 propositions en faveur des victimes, tant sur le plan judiciaire que sur le plan extrajudiciaire 76. Lors du Conseil de scurit intrieure du 19 avril 1999, le gouvernement a dfini les grands axes de sa politique en faveur des victimes et a mis en place un plan daction sur trois ans, inspir du rapport Lienemann. En aot de la mme anne, le Premier ministre institue le Conseil National de lAide aux Victimes, instance interministrielle charge notamment de raliser des rapports sur des aspects des droits et de laide aux victimes 77. Puis, limportante loi du 15 juin 2000, renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes,72

Loi n 90-589 du 6 juillet 1990 modifiant le Code de procdure pnale et le Code des assurances et relative aux victimes dinfraction, J.O. du 11 juillet 1990, p. 8175. 73 Loi n 93-2 du 4 janvier 1993, portant rforme de la procdure pnale, J.O. du 5 janvier 1993, p. 215 ; Loi n 93-1013 du 24 aot 1993, modifiant la loi n 93-2 du 4 janvier 1993 portant rforme de la procdure pnale, J.O. du 25 aot 1993, p. 11991. 74 Loi n 98-468 du 17 juin 1998 relative la prvention et la rpression des infractions sexuelles ainsi qu la protection des mineurs, J.C.P., 1998, III, 20101. 75 Circulaire CAB 98-02/13-07-98 relative la politique pnale daide aux victimes dinfractions pnales, NOR : JUS-A-98-00177C, B.O. Min. Justice, juillet/septembre 1998, n 71, p. 4. 76 M.-N. LIENEMANN, Pour une nouvelle politique publique daide aux victimes, Rapport au Premier ministre, La Documentation Franaise, 1999, 230 p. V. galement A. DHAUTEVILLE, Un nouvel lan donn la politique publique daide aux victimes de la dlinquance, R.S.C., 1999, pp. 647-655. 77 Dcret n 99-706 du 3 aot 1999, relatif au Conseil national de laide aux victimes, J.O. du 10 aot 1999, p. 12057. V. sur le C.N.A.V., infra n 546.

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est venue accrotre les prrogatives accordes la victime au cours de la procdure pnale, consacrant son profit un vritable statut juridique 78. Lintitul vocateur de ce texte tmoigne de la volont de mettre infracteur et victime sur un pied dgalit en ce qui concerne leurs droits procduraux, tandis que larticle prliminaire du Code de procdure pnale, issu de cette loi, dispose symboliquement que la procdure pnale doit prserver lquilibre des droits des parties et que lautorit judiciaire veille linformation et la garantie des droits des victimes au cours de toute procdure pnale . En mars 2001, la Dcision-cadre relative au statut des victimes dans le cadre de procdures pnales, dont les dispositions doivent imprativement tre transposes dans chaque Etat membre, est adopte par le Conseil de lUnion europenne 79. En fvrier 2002, le Ministre de la Justice se dote dun Service de laccs au droit et la justice et de la politique de la ville, auquel est rattach le Bureau de laide aux victimes et de la politique associative. Sur le terrain lgislatif, la loi du 9 mars 2002 dorientation et de programmation pour la justice a renforc les droits de la victime en termes dinformation, daide juridictionnelle et de droit lassistance dun avocat. En outre, elle a fix des objectifs long terme concernant notamment lvaluation de la rparation financire et une information plus gnraliste sur les droits et sur lensemble des services daide 80. Le 18 septembre de la mme anne, le Garde des Sceaux a prsent son programme daction en faveur des victimes. Il comportait quatorze mesures, organises autour de deux axes. Etait vis, dune part, le renforcement de la solidarit en faveur des victimes, comprenant une meilleure rparation financire, la mobilisation dune aide matrielle durgence et une extension du rseau daide aux victimes. Il tait question, dautre part, de garantir la place de la victime tous les stades de la procdure pnale, y compris lors de la phase dexcution des peines 81. Les lois du 9 mars 2004 82 et du 12 dcembre 2005 83 se sont employes

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Loi n 2000-516 du 15 juin 2000, renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes, J.O. du 16 juin 2000, p. 9038. V. not. C. LAZERGES, Le projet de loi renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes, R.S.C., 1999, pp. 166-177 ; F.-J. PANSIER, C. CHARBONNEAU, Commentaire article par article de la loi sur la prsomption dinnocence, Premire partie, Les petites affiches, 29 juin 2000, n 129, pp. 3-21 ; Suite et fin, Les petites affiches, 30 juin 2000, n 130, pp. 625 ; F. LE GUNEHEC, Loi n 2000-516 du 15 juin 2000 renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes, J.C.P., 2000, actualits, n 26, 27, 28, 29 ; C. LAZERGES, Le renforcement des droits des victimes par la loi n 2000-516 du 15 juin 2000, A.P.C., 2003, n 24, pp. 15-25. 79 Dcision-cadre du Conseil de lUnion europenne relative au statut des victimes dans le cadre des procdures pnales, 15 mars 2001, In R. CARIO, Victimologie. Les textes essentiels, op. cit., texte n 8, pp. 43-49. 80 Loi n 2002-1138 du 9 septembre 2002 dorientation et de programmation pour la justice, J.O. du 10 septembre 2002, p. 14934. 81 Programme daction du ministre de la justice en faveur des victimes, 18 septembre 2002, dossier de presse, www.justice.gouv.fr ; R. CARIO, Lvolution des droits des victimes : de la reconnaissance formelle lapplication concrte, Regards sur lactualit, 2003, n 287, pp. 83-92. 82 Loi n 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux volutions de la criminalit, J.O. du 10 mars 2004, p. 4567.

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concrtiser ces objectifs, confortant tout particulirement les prrogatives des victimes au stade de lexcution des peines. Lattention porte aux victimes sest galement manifeste, au printemps 2004, par la cration dun Secrtariat dEtat aux droits des victimes, confi Madame Nicole Guedj. Dot dun budget de 10 millions deuros pour lanne 2004, il avait pour champ de comptence les victimisations de toutes sortes, dont les victimisations dorigine pnale. Ephmre, il na malheureusement pas survcu au remaniement ministriel du printemps 2005. La politique globale et durable, dont lintrt avait t soulign dans le premier programme daction du Secrtariat 84, naura donc pas eu le temps de spanouir. Toutefois, la dlgation aux victimes , installe le 11 octobre 2005 85, est suppose compenser la disparition du Secrtariat dEtat aux droits des victimes. Mais son rattachement au Ministre de lIntrieur et non au Ministre de la Justice laisse craindre une politique moins globale et, sans doute, un changement dorientation. Le discours dinstallation prononc par le Ministre de lIntrieur de lpoque en atteste puisque la politique de soutien aux victimes, telle que redfinie, comprend deux axes : le renforcement de la rpression afin dviter la rcidive et lamlioration de laccueil des victimes dans les commissariats et gendarmeries. Lors dun discours prononc le 6 juillet 2007, la Ministre de la Justice, Madame Rachida Dati, a confirm la poursuite de la politique en faveur des victimes. La scurit, le respect et linformation des victimes figurent au rang des priorits gouvernementales. Dans cet objectif, la fonction de juge dlgu aux victimes a t cre. Oprationnels compter du 1er septembre 2007, ces magistrats ont pour missions de remdier la dispersion des actions et des responsabilits en guidant la victime dans les mandres de linstitution judiciaire et de veiller la qualit de la rponse judiciaire dans tous ses aspects , en particulier en termes de scurit des victimes et dindemnisation effective 86. Opportune dans la mesure o elle permet une centralisation et un suivi de la procdure par linstitution judiciaire elle-mme, la fonction de juge dlgu aux victimes devra toutefois tre incluse dans un dispositif global incluant notamment les associations daide aux victimes et les bureaux de lexcution des dcisions pnales. A dfaut, le risque est de gnrer des comptences concurrentes et de complexifier une procdure dj opaque aux yeux des victimes. Surtout, cette innovation est de nature susciter des craintes ds lors quelle sinscrit maladroitement dans une politique selon laquelle la victime doit compter83

Loi n 2005-1549 du 12 dcembre 2005 relative au traitement de la rcidive des infractions pnales, J.O. du 13 dcembre 2005, p. 19152. 84 Premier programme daction, Communication en Conseil des Ministres, 29 septembre 2004, Secrtariat dEtat aux Droits des Victimes, Ministre de la Justice. www.justice.gouv.fr 85 www.interieur.gouv.fr 86 V. le discours de la Ministre de la Justice, www.justice.gouv.fr , rubrique aide aux victimes.

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plus que le dlinquant 87. De manire gnrale, les preuves abondent de lattention nouvellement porte la victime. Toutes les lois affrentes la procdure pnale comportent dsormais un volet consacr aux victimes et les textes - lois, dcrets et circulaires - renforant les droits des personnes lses par une infraction ne se comptent plus. Toutefois, malgr cette mobilisation en faveur des victimes, le droit positif franais reste trs classique dans sa conception de la rparation des victimes dinfractions pnales. En dpit de la possibilit offerte la victime de participer au procs pnal et de bnficier dun soutien extrajudiciaire, la rparation renvoie la rparation financire. Sil est frquemment question des droits des victimes au sein du procs pnal et daide aux victimes, la rparation des victimes dinfractions pnales nest jamais dfinie et larticle 2 du Code de procdure pnale voque seulement laction civile en rparation du dommage. Au-del du droit positif, les approches compare et historique montrent que la notion de rparation des victimes dinfractions pnales nest ni uniforme, ni universelle. Il importe par consquent de procder une dlimitation propre du contenu de la rparation des victimes dinfractions pnales. Elle conduit adopter une ap