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1 Comment la ville peut sauver l’agriculture ENGREF ECOLE NATIONALE DU GENIERURAL DES EAUX ET DES FORETS Comment la ville peut sauver l’agriculture Structure d’accueil : Conseil Général de l’Hérault Maîtres de stage : Jean-Paul Storaï et Bruno Chabert Tutrice académique ENGREF : Sylvie Lardon Date de soutenance : 20 Septembre 2005 - Thèse professionnelle - Antoine Lebel

Thèse prof Antoine LEBEL...Antoine Lebel 2 Comment la ville peut sauver l’agriculture Avant propos Ce document s’intitule thèse professionnelle justement car il pourrait se situer

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

ENGREFECOLE NATIONALE DU GENIE RURAL DES EAUX ET DES FORETS

Comment la ville peut sauver l’agriculture

• Structure d’accueil : Conseil Général de l’Hérault• Maîtres de stage : Jean-Paul Storaï et Bruno Chabert• Tutrice académique ENGREF : Sylvie Lardon• Date de soutenance : 20 Septembre 2005

- Thèse professionnelle -

Antoine Lebel

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Avant propos

Ce document s’intitule thèse professionnelle justement car il pourrait se situer à mi chemin entre les

objectifs d’une thèse académique et un récit professionnel de type rapport de stage. Plus

précisément, la thèse professionnelle consiste à développer une réflexion qui se nourrit de la

mission effectuée par l’ingénieur-élève du GREF lors de sa dernière année de formation. Ici, la

thèse défendue s’appuie sur l’expérience d’une mission effectuée au Conseil Général de l’Hérault, à

la direction « agriculture et développement rural ». Les premières motivations de recrutement de

l’élève furent l’analyse des volets agricoles de la Loi sur le développement des territoires ruraux1,

puis des actions ponctuelles sur l’agriculture héraultaise. C’est le contexte particulier d’une

agriculture fortement soumise à la pression de l’urbanisation qui a suscité les prémices du présent

écrit.

En effet, Montpellier présente une croissance démographique exponentielle : 1 000 nouveaux

résidents par mois, pour 1 200 dans l’Hérault2. Il s’agit donc d’une pression démographique

considérablement différenciée dans l’espace engendrant un développement urbain très fort, avec

d’importantes tensions en matière de foncier, lui même en décalage avec l’arrière pays encore très

rural et assez isolé (zones de garrigues, de montagne avec l’exemple emblématique du Larzac).

Sans détailler outre mesure la situation héraultaise, notre propos pourra parfois y faire référence.

Ce type de document est rédigé en marge des travaux réalisés au cours de la mission. Il ne

correspond pas à la production attendue par les structures accueillant l’élève et se situe ainsi comme

un apport personnel supplémentaire. La thèse professionnelle est donc un exercice pédagogique

avant d’être un document de travail opérationnel. D’autre part, comme la mission est effectuée dans

des services techniques, la principale limite de l’exercice réside dans le fait que les prises de

position et les choix des références ne peuvent pas être aussi argumentés que dans le cadre d’un

travail de recherche. Sans investigations propres au sens des chercheurs, c’est la manière dont les

éléments sont organisés, triés et questionnés qui constitue l’apport principal de notre propos. Celui-

ci se veut donc modeste, facile d’accès, tout en étant le plus étayé possible. A l’issue de ce

document, nous espérons avoir apporté une contribution à la réflexion autour de la singularité des

rapports entre ville et agriculture. Aussi, conscients des limites de notre étude, nous avons soulevé

1Loi n° 2005-157 du 23 février 2005, art. 74 V JO du 24 février 2005.2Source « l’Hérault en chiffres », 2005. Ed. du Conseil Général de l’Hérault.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

certains « éléments de discussion » pour prolonger le débat, pointer les éléments à explorer

davantage et les pistes qui auraient pu être creusées dans un autre temps imparti. La conclusion

remet en perspective notre travail au vu des attentes de services gestionnaires.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Remerciements

Je tiens particulièrement à remercier Jean-paul Storaï et Bruno Chabert pour leur encadrement

professionnel et amical, leur disponibilité sans condition, et l’ensemble de la direction pour la

chaleur et la sincérité de leur accueil : Sébastien Galtier (d’autant plus pour les contraintes de

partage de bureau), Christophe Fournier, Nathalie Velay, Patricia Lopez, Isabelle Million, Marie-

Claire Rouby, Mohammed Immzourh, Danielle Aprea, Valérie Béziat, Jean Bassède, Sophie Peis,

Charlaine Joulié, Jeannine Miras.

Un très grand merci aussi à Sylvie Lardon, tutrice académique ayant beaucoup stimulé et

accompagné ma réflexion ; une reconnaissance toute particulière pour Françoise Jarrige et Jean

Cavailhès pour la pertinence de leurs relectures et leurs critiques avisées.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Résumé

Dans un contexte d’étalement urbain croissant, la question de l’occupation de l’espace et des

attentes qui s’y rattachent doit nécessairement se poser. En effet, la dynamique d’agglomération

actuelle change considérablement et irrémédiablement les fonctions que l’on attribuait auparavant

aux espaces progressivement conquis par l’urbanisation. De fait, les premiers symptômes de cette

rectification de destination sont la mutation des paysages, directement façonnés par l’usage des sols.

A travers ces évolutions, ce sont en réalité les activités humaines, prises au sens le plus global du

terme, qui en sont affectées, au premier rang desquelles se trouvent l’agriculture et la forêt.

Ceci étant, est-il si indiscutable que la ville menace nécessairement l’agriculture ? Pour nous, les

principaux ingrédients sont aujourd’hui réunis pour instaurer un dialogue sur la base d’une prise en

compte réciproque des intérêts agricoles et urbains. Il s’agit ainsi de dépasser cette opposition

binaire, et avec elle le rapport de force qui se centre basiquement sur les droits de propriété.

Formaliser voire redéfinir les nouvelles transactions sociales à l’œuvre est tout à fait réalisable, et ce

d’autant plus que les concepts de multifonctionnalité de l’agriculture et de développement durable

diffusent. De là, les représentations citadines constitueraient une nouvelle source d’opportunités. Le

projet agricole pourrait alors s’y appuyer pour reconquérir la légitimité territoriale de l’agriculture.

D’autre part, productrice de territoire, l’agriculture pourrait s’affirmer aussi comme infrastructure

économique. Dès lors, la dimension spatiale de son caractère multifonctionnel nous amène à

repenser les complémentarités urbain-rural. L’espace rural n’est pas seulement compartimenté mais

s’analyse plus comme une mosaïque de territoires d’enjeux. Les ponts avec le monde urbain sont

donc à rechercher et à débattre à plusieurs échelles selon les entités spatiales considérées. Ceci

conditionnera la réussite d’un projet urbain englobant.

En tout état de cause, l’avenir de l’agriculture passe par la valorisation de ses liens avec la ville. Le

concept de Hameau Agricole témoigne de la dynamique nouvelle insufflée à l’agriculture par la

ville. Il démontre à son niveau la possibilité et la nécessité d’envisager un modèle pouvant diffuser

spatialement. Les différentes échelles d’intervention des acteurs participant aux réflexions

pourraient garantir ces approches. En somme, l’influence de la ville est telle qu’elle pousse

l’agriculture à se renouveler pour mieux s’intégrer dans son territoire en recomposition. C’est en

cela que la ville peut sauver l’agriculture.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Sommaire

AVANT PROPOS.................................................................................................................................................................................2

REMERCIEMENTS ...........................................................................................................................................................................4

RÉSUMÉ.................................................................................................................................................................................................5

SOMMAIRE...........................................................................................................................................................................................6

INTRODUCTION................................................................................................................................................................................8

1. L’agriculture et le projet urbain : un face à face inéluctable ou une combinaison concevable ?......................91.1. Le foncier, objet de stratégies contrastées ......................................................................................................................9

1.1.1. Rente et stratégie patrimoniale des agriculteurs.........................................................................................................9Les droits de propriété au cœur des stratégies individuelles ...........................................................................................9Un espace économique et social compartimenté dans lequel le monde agricole se trouve au contact du milieu urbain.......................................................................................................................................................................................11

1.1.2. Maîtrise foncière et repositionnement de l’intervention publique ...........................................................................131.2. Les bases d’un dialogue à trouver.................................................................................................................................16

1.2.1. L’enjeu de la négociation préalable..........................................................................................................................161.2.2. Multifonctionnalité et développement durable, ingrédients phares d’un dialogue renoué.......................................18

L’émergence de la notion de « multifonctionnalité de l’agriculture » dans un contexte de nouvelles transactionssociales ..........................................................................................................................................................................18Une volonté multifonctionnelle à accompagner............................................................................................................20Conclusion d’étape........................................................................................................................................................22

2. La légitimité territoriale de l’agriculture à repenser : les représentations urbaines comme terrain fertile àl’émergence d’un projet agricole .......................................................................................................................................... 23

2.1. Une explicitation préalable : la notion d’agriculture périurbaine .....................................................................................232.2. Un nécessaire repositionnement de l’agriculture périurbaine...........................................................................................25

2.2.1. Conflits d’usage et concurrence avec les nouveaux arrivants : les territoires périurbains comme cas d’école.......252.2.2. Des stratégies agricoles à accompagner pour donner du sens au territoire..............................................................27

2.3. La symbolique urbaine, nouvelle dimension de l’action publique : un enjeu « imaginaire » à exploiter ........................292.4. Des complémentarités urbain-rural pour modeler des formes pérennes à l’agriculture : une agriculture intégrée auxdifférents marchés au sein d’un projet urbain englobant .........................................................................................................31

2.4.1. La place de l’agriculture dans le territoire................................................................................................................31Un arbitrage conceptuel entre agriculture et nature dans un espace rural à trois fonctions..........................................31Politique de gestion autour d’une agriculture aussi considérée comme une infrastructure en mal d’ancrage territorial.......................................................................................................................................................................................33

2.4.2. La dimension spatiale de la multifonctionnalité de l’agriculture : le territoire comme mosaïque de territoiresd’enjeux..............................................................................................................................................................................35

Une gestion différenciée de l’espace.............................................................................................................................35Combinaison complexe de fonctions, considération de l’espace et échelles d’analyse, les déterminants d’uneapproche en mosaïque de territoires d’enjeux...............................................................................................................38Conclusion d’étape........................................................................................................................................................40

3. Le concept de Hameau Agricole : une issue locale qui prend place dans un jeu institutionnel encore enmouvement ................................................................................................................................................................................. 41

3.1. Construction et définition du concept ..............................................................................................................................413.1.1. La réponse à une problématique...............................................................................................................................413.1.2. Les contours institutionnels et techniques du projet ................................................................................................42

3.2. Les principales questions en suspens ...............................................................................................................................443.2.1. Une compartimentation sociale renforcée ou un levier pertinent pour la vie du territoire ? La logique de quartierconstitutif d’un tout ............................................................................................................................................................443.2.2. Une nouvelle forme d’insertion territoriale : de l’importance de la médiation........................................................453.2.3. L’enjeu de la constitution d’une espace public adjoint au Hameau Agricole ..........................................................47

Conclusion d’étape........................................................................................................................................................49

CONCLUSION................................................................................................................................................................................... 50

PERSPECTIVES - ELÉMENTS DE DISCUSSION....................................................... 52

BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................................................................................ 54

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

ANNEXES ........................................................................................................................................................................................... 58

Annexe 1 : Périmètres de protection et d'Aménagement des Espaces agricoles et Naturels périurbains (PAEN) ;Fondements de la politique Départementale............................................................................................................................58Annexe 2 : Périmètres de protection et d'Aménagement des Espaces agricoles et Naturels périurbains (PAEN) ; Modalitésd’acquisition des biens.............................................................................................................................................................58Annexe 3 : Périmètres de protection et d'Aménagement des Espaces agricoles et Naturels périurbains (PAEN) ; LesCommunes, interlocuteurs incontournables.............................................................................................................................58Annexe 4 : Le zonage en aires urbaines et son complément rural...........................................................................................58Annexe 5 : Montage technique et juridique des Hameaux Agricoles......................................................................................58

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Introduction

Dans un contexte d’étalement urbain croissant, la question de l’occupation de l’espace et des

attentes qui s’y rattachent doit nécessairement se poser. En effet, la dynamique d’agglomération

actuelle change considérablement et irrémédiablement les fonctions que l’on attribuait auparavant

aux espaces progressivement conquis par l’urbanisation. De fait, les premiers symptômes de cette

rectification de destination sont la mutation des paysages, directement façonnés par l’usage des sols.

A travers ces évolutions, ce sont en réalité les activités humaines, prises au sens le plus global du

terme, qui en sont affectées, au premier rang desquelles se trouvent l’agriculture et la forêt.

Ceci étant, est-il si indiscutable que la ville menace nécessairement l’agriculture ? Prenons à contre-

pied ces constats qui veulent que le modèle actuel de rayonnement urbain porte par nature préjudice

à l’agriculture. Certes, on peut relever une tendance à considérer les espaces agricoles plus comme

des espaces à consommer que des espaces de production. Cependant, n’y a-il pas actuellement,

notamment dans les documents d’urbanisme, la volonté d’assoire l’activité agricole sur le

territoire ? Le rôle du zonage des sols n’est-il pas plutôt le partage de l’espace où chaque partie doit

s’exprimer ? Pour nous, les principaux ingrédients sont aujourd’hui réunis pour instaurer un

dialogue sur la base d’une prise en compte réciproque des intérêts agricoles et urbains. Il s’agit ainsi

de dépasser cette opposition binaire, et avec elle le rapport de force qui se centre basiquement sur

les droits de propriété.

Allons plus loin. La difficulté de dégager de la valeur ajoutée et de trouver de nouveaux marchés, la

compétitivité-prix qui s’affirme chaque jour, les contextes politiques français et européen font que

le déclin de l’agriculture est annoncé. Partout, dans le rural profond comme dans le périurbain,

l’agriculture est menacée. La prise en compte de l’agriculture dans le projet urbain pourrait alors

donner un nouveau souffle à l’agriculture, et ce bien au-delà du pourtour de l’agglomération. Ainsi,

peut-être faut-il voir à travers le cadre institutionnel qui se redessine maintenant l’ambition

d’inventer de nouvelles expressions de l’activité agricole, qui pourrait alors revêtir plusieurs formes.

En somme, la proximité de la ville permettrait aux acteurs de se poser la question de la légitimité

spatiale de l’agriculture, de la réorganisation des filières, de la stratégie agricole à adopter, en un

mot, de repositionner à temps l’agriculteur dans les mondes rural et urbain.

En tout état de cause, il s’agit de montrer que la ville peut permettre de sauver l’agriculture.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

1. L’agriculture et le projet urbain : un face à face inéluctable ou une

combinaison concevable ?

1.1. Le foncier, objet de stratégies contrastées

1.1.1. Rente et stratégie patrimoniale des agriculteurs

Les droits de propriété au cœur des stratégies individuelles

Des élus aux organisations professionnelles, chacun conviendra aisément que la proximité urbaine

génère une tension sur le marché foncier entre l’usage agricole et l’urbanisation. L’espace rural

periphérique est souvent considéré comme un stock de foncier, un espace à consommer. En

particulier, une forte demande résidentielle instaure une spéculation foncière soutenue. En même

temps, les marchés urbains de proximité offrent des opportunités conséquentes, en favorisant

certaines activités dont bon nombre sont à haute valeur ajoutée. Dès lors, sans garde fou, deux

composantes vont déterminer les stratégies individuelles des agriculteurs : la dynamique globale des

filières agricoles et la proximité urbaine permettant la réalisation d’une rente foncière (Jarrige,

2004). Ceci étant, le différentiel de prix du foncier entre un usage agricole et une destination

résidentielle est souvent tel que l’arbitrage va se faire au regard du prix du foncier3. Ainsi, le droit

de propriété discrimine fortement les stratégies des agriculteurs périurbains.

Les agriculteurs propriétaires ont le choix entre réaliser leur capital foncier ou poursuivre

leur activité. Notons que si le différentiel de prix est important, la révision de la planification

urbaine incite d’autant plus les propriétaires à réorganiser leur exploitation, voire à réaliser leur

rente, du fait de la réévaluation de la valeur potentielle des sols qui alourdit les taxes foncières ou

les droits de succession. Cette tendance est particulièrement marquée dans les espaces

périurbains, où l’agriculture a cette spécificité d’envisager à long terme de constituer son revenu

de retraite avec la rente foncière, la cessation de l’exploitation elle-même aux descendants se

faisant sans flux monétaires (Fleury, 2004).

Dans les zones les plus périphériques des villes de l’Hérault, les agriculteurs optent généralement

pour le maintien des exploitations agricoles, avec des stratégies d’intensification et de

valorisation par le marché. A proximité des pôles urbains, on constate le plus souvent le

développement des friches (situation d’attente) ou même la vente de parcelles constructibles.

3Dans l’Hérault, les terres agricoles se négocient de 770 euros l’ha (Minervois) à 16 860 euros (Littoral), quand le prixdes terres urbanisables peut s’élever à 400 000 euros dans la périphérie immédiate de Montpellier (Etude SAFER, 2002–Espace rural, le prix des terres).

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Globalement, lorsque l’agriculteur est encore en activité, la pression foncière se fait le plus sentir

sur les parcelles de moins d’un hectare, alors qu’en cessation d’activité, la pression se pose sur

l’ensemble de l’exploitation. Les choix alors établis ne sont pas nécessairement en faveur de

l’installation des jeunes agriculteurs.

Les agriculteurs en faire-valoir indirect ont moins d’options possibles et subissent fortement

les contraintes du marché foncier. Souvent plus jeunes et performants, ils se montrent capables

d’une forte réactivité aux conditions de précarité foncière, pouvant développer des stratégies

d’extension foncière autour de productions annuelles.

En tout état de cause, il existe une sérieuse divergence d’intérêt au sein du monde agricole entre les

plus âgés, propriétaires terriens tentés de réaliser la rente foncière, et les jeunes candidats à

l’installation en agriculture. Les stratégies individuelles composent alors avec les dimensions

patrimoniales, d’une part, et productives, d’autre part. A cela s’ajoute l’approche trop sectorielle des

institutions agricoles qui peinent à intégrer les enjeux et les processus de gouvernance des territoires

urbains, différents de ceux du milieu rural où elles étaient en situation dominante pour la gestion de

l’espace. En conséquence, les territoires périurbains souffrent encore souvent d’une absence de

position forte de défense des zones agricoles (Jarrige, 2002). Certes, les documents d’urbanisme

dictent les règles et définissent les zones par usage différencié, mais leur révision périodique ne

contient pas la spéculation.

En somme, la fragilisation du statut des agriculteurs et le manque de cohésion de la profession

peuvent difficilement enrayer le renforcement de la posture des propriétaires fonciers non agricoles.

Ainsi, dans les espaces périurbains héraultais, la nouvelle organisation des systèmes productifs

agricoles peut se caractériser à la fois par la reconquête du pouvoir des propriétaires fonciers sur les

exploitants agricoles, et par la primauté des cultures marchandes spéculatives qui rentabilisent au

mieux les facteurs de productions et les ressources engagées, au détriment des cultures

traditionnelles.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Un espace économique et social compartimenté dans lequel le monde agricole

se trouve au contact du milieu urbain

Les mécanismes de formation des prix du foncier sont tout à fait différents si on s’intéresse à la

sphère agricole ou à la sphère urbaine. Facteur de production indissociable de l’exploitation

agricole, le prix de la terre agricole est nécessairement lié à sa valeur économique productive. Par

contre, le prix du marché foncier urbain se fixe au regard de l’usage potentiel du sol et sa

localisation géographique (desserte en différents réseaux, position stratégique…). Ceci induit de fait

un phénomène d’exclusion par paliers, la priorité d’accès au foncier reflétant la capacité à installer

ses usages, et ce à l’endroit désiré. Les acteurs ici peuvent être les ménages, les entreprises, les

sièges sociaux…l’ensemble contribuant ainsi à instaurer un mécanisme de rente différentielle qui se

révèle être la projection de ces rapports d’intérêt (de force) sur un espace qui se trouve ainsi

ségrégé, en termes économique et social (Kaszynski, 2003). Il est à noter que ces mécanismes ne

s’inscrivent pas obligatoirement dans un rapport centre-périphérie, et peuvent s’appliquer aux

espaces ruraux périphériques.

Dès lors, la reconnaissance de cet espace compartimenté conduit à penser le marché foncier urbain

et lié à l’activité économique de façon distincte du marché foncier agricole. En effet, chacun

renvoie à des usages associés à des fonctions radicalement différentes. Or, ceux-ci ne peuvent pas

cohabiter sans s’enchevêtrer, au détriment de la planification raisonnée de l’urbanisation, d’une

part, et de l’agriculture, d’autre part. Sans séparation nette, qu’elle soit réglementaire ou même

physique, les deux sphères s’interpénètrent assez spontanément dans un jeu savant de spéculation.

Dans un tel contexte, la manne financière dégagée par l’attribution du sol à l’urbanisation peut sans

encadrement conduire à une urbanisation anarchique modifiant d’abord irrémédiablement l’usage

des sols, mais générant également de graves problèmes urbains (équipements, connexions aux

réseaux, mais également ghettos sociaux issus de l’acquisition différenciée du foncier…). Précisons

alors qu’il a été montré que l’urbanisation pavillonnaire peut s’arrêter d’elle-même, sans avoir

répondu à aucun projet ; on assiste en effet à un développement par seuils opposant essentiellement

évolution des dépenses des collectivités et accroissement de la population4. L’agriculture perdrait

ainsi massivement de l’espace jusqu’à un certain seuil, où la collectivité devrait supporter des coûts

d’équipement trop élevés et où l’attractivité des zones rurales serait presque tarie. En conséquence,

l’absence de régulation va dans le sens d’un épuisement progressif de la ressource foncière adjointe

4In Etudes foncières, n° 91-mai-juin 2001 et n° 85-hiver 1999-2000.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

d’attributs recherchés en matière de cadre de vie. L’ensemble des mécanismes est bien entendu

complexe, mais il convient de souligner à ce stade que l’urbanisation n’est pas à stigmatiser. Elle

répond en effet à des besoins pressants des populations. Aussi, sans planification affirmée, ce sont

les formes qu’elle prend et sa spatialisation non maîtrisée qui sont préjudiciables pour la société, et

non pas seulement à l’agriculture.

C’est en cela que la constitution d’espace de protection de l’agriculture est indispensable. Les

fonctionnements institutionnels et les pratiques en cours permettent d’envisager deux voies, selon la

localisation et la nature des verrous que l’on privilégie.

Sans action spécifique sur les espaces agricoles, les espaces tampon ont ceci de capital

d'endiguer physiquement les flux de foncier entre les différentes sphères. L’urbanisation peut

ainsi être canalisée dans des zones prévues à cet effet. Le foncier agricole est préservé de la

spéculation. Ces espaces tampon auraient ainsi un rôle stratégique majeur dans l’organisation

des territoires, et pourraient ainsi faire l’objet d’une maîtrise foncière toute particulière. Il s’agit

d’une première approximation avant d’élaborer des modèles spatiaux plus complexes (cf infra).

Les Périmètres de protection et d'Aménagement des Espaces agricoles et Naturels

périurbains (PAEN) instaurés par la Loi relative au développement des territoires ruraux

(annexes 1, 2 et 3) constituent un nouvel outil juridique. Offrant des références nationales, ces

derniers pourraient donner localement les justifications nécessaires à de telles actions publiques.

Les PAEN permettraient entre autres de garantir la destination du sol dans ces périmètres

agricoles et naturels ; ils apporteraient ainsi une réponse à des préoccupations majeures des

services de l’Etat et des collectivités se heurtant à un manque juridique quant à leurs actions

mobilisant du foncier agricole. Par là, la mise à disposition de terres viabilisées adjointes

également d’un droit de construction précis serait possible en minimisant les risques de

détournement des aménagements réalisés de la vocation agricole. Enfin, l’élaboration d’un

programme d’action adjoint à la délimitation des PAEN 5 permet de donner les bases d’un projet

agricole dans ces zones, ou tout du moins de donner les directions que les collectivités

(communes, EPCI, département) souhaitent prendre.

5Avec l’aval des chambres d’agriculture, le programme d’action précise les aménagements et orientations de gestiondestinés à favoriser l'exploitation agricole, la gestion forestière, la préservation et la valorisation des espaces naturels ausein du périmètre (articles L. 143-1, L. 143-2 , L. 143-6 du code de l’urbanisme).

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Ainsi, au regard d’une politique foncière à mener, il convient de penser les espaces agricoles

distinctement des espaces urbains. Sans pour autant les opposer, il s’agit d’abord de reconnaître

leurs logiques propres. Puis, de l’échelon régional jusqu’aux communes, il conviendra d’ajuster au

mieux les relations qu’ils pourraient avoir ensemble. Chacun a sa place au côté de l’autre, sans qu’il

soit judicieux de connecter les marchés fonciers. En conséquence, une politique foncière qui

prévoirait des périmètres robustes de protection de l’agriculture donnerait les premiers éléments

d’un projet urbain intégrant progressivement les préoccupations agricoles. Pour exister, un tel projet

exige donc des objectifs spatialisés voire zonés avec en regard des outils adaptés pour les

appliquer ; sa réussite repose alors sur une maîtrise foncière opérationnelle et efficace exercée par la

puissance publique.

1.1.2. Maîtrise foncière et repositionnement de l’intervention publique

L’organisation d’un territoire doit répondre à des objectifs clairement fixés, qui relèvent d’une

gouvernance répondant à des préoccupations de l’ordre de l’intérêt général. Si les représentants

d’un territoire (en supposant qu’ils sont de bons porte-parole) ont effectivement pu définir les

enjeux qu’ils considèrent comme prioritaires, une action publique volontariste est alors sûrement

légitime.

La force publique peut d’abord se concentrer sur l’encadrement des propriétaires, qui sont en effet à

l’origine de tout flux foncier ou encore de l’aménagement réalisé sur les sols ; ici, la plus-value

réalisée au cours d’un changement d’usage est tout à fait centrale dans les considérations qui nous

animent. C’est en cela que la taxation de cette plus-value peut constituer un frein intéressant à la

logique patrimoniale du détenteur du sol (Renard, 2005). En même temps, dans un contexte de

décentralisation, l’outil fiscal permettrait de compenser les coûts engagés par la collectivité locale

pour réhabiliter les espaces urbains sinistrés (présentant des atouts stratégiques pour la politique de

la ville), et surtout, une telle taxe réduirait pour la collectivité le coût de la maîtrise foncière des

espaces de protection de l’activité agricole. Comme pour le dispositif « Espaces Naturels

Sensibles », cet outil exige une volonté politique forte difficile à exprimer localement. L’enjeu

électoral est de taille, et le gouvernement fait encore campagne sur la baisse de la fiscalité. Ainsi,

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

une mesure semblable a été proposée lors de la mise en place des PAEN, mais a été retirée avant la

promulgation de la Loi correspondante. La mise en œuvre d’une telle mesure est donc très

compromise à court terme.

A un degré plus élevé, l’intervention publique peut concerner les flux de foncier, mais également sa

gestion6, voire un éventuel stockage. L’action publique se situe alors à deux niveaux.

L’intervention sur l’usage comprend les opérations de contractualisation, d’instauration de

servitude d’utilité publique ou de réglementation. Il s’agit d’actions encore assez légères au

regard des oppositions auxquelles la collectivité peut faire face dans ce domaine.

L’intervention sur la propriété correspond à trois ensembles d’outils, plus ou moins

autoritaires :

• Le premier propose l’intégration de l’organisme public dans le marché local : il s’agit

d’acquisition directe après négociation pour la mise en réserve ou pour un usage précis.

• Le second prévoit l’interception de biens fonciers dans les transactions privées : le droit

de préemption est un outil qui se voit renforcé avec la Loi sur le développement des

territoires ruraux. Outre les Espaces Naturels et Sensibles, le département se voit attribuer

un tel droit qui concerne les PAEN qu’il aura zonés. Ces dispositions permettent ainsi

d’alerter le marché en affichant une volonté de maîtrise foncière et de lutte contre la

spéculation.

• Le dernier vise la possibilité d’appropriation de propriétés individuelles dans l’optique de

réaliser des aménagements publics urbains ou ruraux : attribution préférentielle dans le

cadre d’aménagement foncier, expropriation. Ces outils sont peu employés du fait de leur

caractère autoritaire, mais le cadre qu’ils offrent permet d’envisager une refonte des

usages individualisés du sol. Ainsi, l’aménagement foncier rural, désormais décentré du

seul objectif agricole depuis la Loi sur le développement des territoires ruraux, peut

certes permettre une réorganisation du parcellaire afin d’optimiser l’exploitation agricole,

mais également de redistribuer des parcelles en accord avec la planification urbaine du

territoire.

6La SAFER peut être mandatée pour assurer la gestion des terres agricoles acquises. Dans le cadre d’une convention,elle peut en effet mettre à disposition les biens acquis à un exploitant agricole, qui s’engage à libérer les terres lorsque lacollectivité a trouvé repreneur.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

En somme, le recours à un outil particulier dépend principalement de la combinaison de deux

critères, comme le souligne D. Paradol, géomètre expert. Pour reprendre ses termes, le choix de la

maîtrise foncière repose d’une part sur la pression foncière existante, et d’autre part sur l’urgence de

cette maîtrise. La négociation et la mise en relation des acteurs sont systématiquement à privilégier,

essentiellement pour faciliter l’acceptation des réorganisations foncières, mais il est certains cas où

il est peu rentable de s’épuiser à obtenir un accord unanime. Tout dépend des objectifs de la

collectivité et du niveau d’acceptation qu’elle peut atteindre.

Ainsi, la taxation peut intervenir en amont de la concrétisation effective des flux fonciers, en tentant

de dissuader les propriétaires trop pressés de réaliser leur rente. Dans le prolongement de cet outil,

dans une situation où la pression foncière est forte mais où la collectivité n’est pas pressée, le

recours au droit de préemption est efficace. Par ailleurs, en l’absence de pression foncière et

d’urgence significatives, la mise en réserve ou la contractualisation peuvent s’avérer fructueuses ; à

l’opposé, l’urgence et la pression foncière réunies font privilégier l’expropriation, qui obtient des

résultats rapides là où la négociation n’aboutit que très rarement.

En tout état de cause, la palette d’outils à disposition du décideur public est conséquente et

satisfaisante. Plutôt que d’inventer encore de nouveaux outils, il peut éventuellement être

intéressant de simplifier l’existant. Les PAEN offrent de nouvelles perspectives aux Conseils

Généraux ; à eux de les articuler avec les démarches en cours. Quoi qu’il en soit, ce sera

essentiellement la volonté politique qui déterminera l’action de la collectivité en la matière. D’où

l’importance de la réflexion autour de la planification urbaine.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

1.2. Les bases d’un dialogue à trouver

1.2.1. L’enjeu de la négociation préalable

Intéressons-nous aux répercussions du projet urbain dans le domaine agricole. Il est à noter que

nous prenons ici le terme « projet urbain » au sens le plus large, non nécessairement connecté aux

réalités de la constitution des documents d’urbanisme. Il s’agit plutôt d’envisager la prise en compte

des intérêts agricoles au sein d’un projet traitant de la planification du développement urbain. Dans

cette optique, la phase de négociation avec les décideurs publics est cruciale. Son intérêt premier est

de définir une ligne de politique à mener, que les collectivités publiques pourraient porter. En

particulier, les services des administrations déconcentrées du ministère de l’agriculture pourraient

être très demandeurs de mettre en regard leur rôle réglementaire avec la planification territoriale en

cours. Cette demande peut aussi s’exprimer dans les services agricoles des collectivités, qui

cherchent à se positionner, via l’agriculture, comme acteur incontournable de la politique de

l’espace rural, ceci leur conférant une certaine légitimité face aux autres services, souvent plus

importants en termes budgétaires. Le conseil en urbanisme se généralise également dans les

départements et régions, pouvant également prendre la forme d’incitations financières pour peser

plus sur les documents communaux ou intercommunaux. Dans un tel contexte, le fonctionnement

en groupe de travail s’avère fructueux7.

Dès lors, recenser les différentes forces en présence nous conduit à considérer un triangle d’acteurs

à fédérer autour d’un projet commun : trois entités sont ainsi constituées par l’Etat, les collectivités

territoriales et les représentants de la profession agricole. La société civile n’intervient pas au

premier plan dans ce débat, même si chaque groupe doit lui rendre des comptes et est plus ou moins

imprégné de ses revendications (encadré 1).

Bien sûr, les collectivités locales constituent un ensemble hétérogène. Sans entrer dans le débat sur

la légitimité de tutelle des collectivités les unes sur les autres, il nous faut mentionner les deux

principales échelles où se constitue la planification urbaine. En tout état de cause, il est aujourd’hui

très couramment admis que les démarches de planification urbaine doivent se faire au niveau des

agglomérations et de leurs territoires périurbains. Les documents d’urbanisme se forgent également

7Dans l’Hérault, on assiste à des initiatives qui empruntent cette direction. Entre autres, l’organigramme remanié dejanvier 2005 confère au département un service urbanisme adjoint à la direction des contrats territoriaux, celle-cipilotant également la politique foncière du Conseil Général.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

à ce niveau. Les PLU8 s’élaborant au niveau communal et devant être compatibles avec les SCOT9,

la marge de manœuvre laissée aux communes dépend alors du niveau de précision de ces

documents intercommunaux. Ceci étant, c’est au niveau communal où s’exerce le plus fortement la

pression sur le foncier et en particulier le foncier agricole, là où sont délivrés les permis de

construire et où sont prises les décisions à urbaniser. L’articulation entre les niveaux communaux et

intercommunaux, puis avec le département et la région, devant garantir un cadre cohérent à leurs

échelles, est donc décisive.

Ainsi, si la négociation aboutit, la réflexion du groupe pourra alors servir à délivrer un message clair

et fort lors de l’élaboration du document d’urbanisme. Elle pourra même aboutir à une

contractualisation entre les exploitants et les services publics. Sinon, la profession agricole devra se

contenter du rôle de lobbying lors des séances publiques, ce qui, pour être efficace, nécessite une

profession unie et dépassant les clivages sectoriels. Il s’avère, comme nous l’avons vu, que c’est

rarement le cas, notamment en milieu périurbain. Précisons alors que l’un des rôles de l’Etat est

d’être le garant de la qualité des débats entre acteurs et entre collectivités, de la prise en compte des

intérêts des différentes parties de la société locale et garant, s’il y a des prescriptions de moyen et

long terme, de leur mise en œuvre.

8Plan Local d’Urbanisme.9SChéma de COhérence Territoriale.

La société civile n’est pas conviée directement à ces séances de travail, l’agriculture étant encore

considérée comme un secteur économique à traiter spécifiquement entre la profession et les

pouvoirs publics. Pour nous, l’intervention ici de la société civile reviendrait à considérer que

l’agriculture relève du domaine public, c’est à dire que les externalités qu’elle génère prendraient

le pas sur sa raison productive originelle. Ceci étant, la société civile exerce une certaine

influence sur les pouvoirs publics, en sanctionnant électoralement les représentants politiques des

collectivités locales ainsi que plus ou moins directement ceux de l’Etat (pression de l’opinion sur

le gouvernement). Elle s’exprime également à travers des groupes de pression organisés

(associations, syndicats de défense…). Surtout, comme nous le verrons ci-après, la médiatisation

des concepts de développement durable et d’agriculture multifonctionnelle assure un pont entre

les représentations des différentes parties et la société civile.

Encadré 1

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

En somme, l’intégration de l’agriculture dans le projet urbain ne dépend pas seulement de la

profession agricole, ce qui fait qu’elle a une carte décisive à jouer lors des négociations préalables,

celles-ci pouvant même aboutir à une contractualisation avec les pouvoirs publics. Ces derniers lui

confèrent encore une place dans la sphère économique, alors que la société locale l’envisage très

largement à travers sa contribution au cadre de vie, et ce essentiellement à travers ses atouts

paysagers. L’agriculture plurielle mais parlant d’une seule voix doit donc confirmer sa place vis à

vis du niveau planificateur, soit l’agglomération environnante, pour commencer à s’intégrer

pleinement dans le projet urbain.

1.2.2. Multifonctionnalité et développement durable, ingrédients phares d’un

dialogue renoué

L’émergence de la notion de « multifonctionnalité de l’agriculture » dans un

contexte de nouvelles transactions sociales

L’espace rural, jusqu’alors principalement utilisé et géré par les agriculteurs, suscite depuis

quelques années déjà un vif intérêt de la part de nouveaux acteurs extérieurs à la sphère

professionnelle agricole. Pour A. Fleury et C. Aubry (2003), il est édifiant que les citadins appellent

de longue date le périurbain rural (soit les franges périurbaines comme l’espace rural plus

périphérique) la campagne10. Celle-ci est considérée comme un ensemble d’aménités constitutives

d’un art de vivre11. Ceci démontre que cet intérêt citadin ne se porte guère sur le fonctionnement des

systèmes de production, préoccupation forte quand le revenu de la propriété foncière était essentiel

pour les classes dominantes12. Aujourd’hui, il se traduit par de multiples formes de fréquentation,

dont l’aboutissement est la construction d’un habitat résidentiel. Les politiques de transport ont

fortement contribué à cet essor, l’accès à la campagne étant grandement facilité. Les années 60 ont

10Georges Duby rappelle dans l’Histoire de la France rurale que c’est l’aristocratie de la Rome antique qui a inventé ceque nous appelons aujourd’hui la campagne en revendiquant « le goût des plaisirs agrestes, le plaisir de la chasse, leplaisir de l’agronomie etc » .11A. Fleury fait référence à l’enquête de B. Hervieux et J. Viard en soulignant que pour les français, la campagne estd’abord un paysage (in Au bonheur des campagnes).12Par nature, la ville prospérait en rentière d’un sol rustique (G. Duby, Histoire de la France rurale).

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

été déterminantes à ce niveau, voyant l’extension conjointe de la voiture individuelle et du système

routier.

En même temps que la notion de campagne se constitue chez les citadins, les responsables de

l’aménagement urbain prennent conscience de l’étalement incontrôlé des villes et de la nécessité de

maintenir l’espace ouvert, avec notamment des coupures vertes diverses. L’évolution de la demande

relative à l’espace rural est alors relayée par les institutions locales et les politiques publiques

agricoles, environnementales et d’aménagement du territoire (Micoud, 1997). La manière de penser

le développement rural commence donc à s’appuyer sur de nouvelles références. Les agriculteurs

quant à eux saisissent la spécificité de leur rôle dans la production de territoire (Fleury, Aubry,

2003) mais continuent de voir l’espace comme un lieu de production. En tout état de cause, l’espace

producteur de l’agriculture s’inscrit dans un rapport privilégié avec la société locale, en l’occurrence

citadine. Dans les territoires périurbains, les tensions relatives à l’espace se manifestent d’autant

plus avec force que « la société est citadine et l’espace rural ». Un territoire résultant de

l’appropriation d’un espace par une société, la possibilité d’un conflit en périurbain a exigé en

premier la réactualisation du contrat entre les parties.

Un contrat valable, porteur de développement sur fond d’intérêt général, ne peut se faire que s’il y a

concordance, même partielle, entre les objectifs des non-agriculteurs et les agriculteurs (Jarrige,

2004). Ceci se traduit par un droit de regard effectif et réciproque sur chaque partie : pour les

premiers, doivent être pris en compte les critères paysagers (cadre de vie) et les pratiques non

polluantes (environnement sonore, environnement naturel), et pour les seconds la protection du bâti,

la garantie de destination du foncier (de son usage) pour prévenir toute spéculation, le non

enclavement des terres agricoles permettant ainsi l’exercice optimal de l’activité. Ainsi, les

différentes fonctions de l’activité agricole doivent être débattues afin que chaque partie puisse

exprimer et faire valoir ses intérêts. Un compromis est à trouver. De là, la dichotomie cadre de

vie/fonction productive ne serait plus si antagoniste.

Dès lors, c’est dans ce contexte de nouvelles transactions sociales que la Loi d’orientation agricole

de 1999 instaura les CTE et commença à formaliser ces changements de conceptions. Les principes

du développement durable et de la multifonctionnalité de l’agriculture sont avancés.

Le terme multifonctionnalité recouvre des réalités différentes selon les auteurs. Au sein des

chercheurs comme des professionnels, le débat n’est pas encore clos. Retenons que cette notion

s’appuie sur le constat suivant : l’espace rural ne se calque plus sur l’espace agricole et se voit

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

attribuer de nouvelles fonctions (Cayre, Dépigny, Michelin, 2004). On entend par fonction « une

relation entre une entité modifiée par cette activité et l’attente explicite des usagers directs ou

indirects de l’entité » (Rapey et al., 2004). Jusque là, l’agriculture était essentiellement appréhendée

à travers sa fonction de production. Aujourd’hui, notamment avec la recomposition des attentes

citadines, l’agriculture se voit attribuer des fonctions environnementales, mais aussi des fonctions

relatives à l’environnement humain, à l’emploi, aux réseaux sociaux, aux enjeux culturels et

patrimoniaux… Ainsi, les diverses fonctions de l’agriculture sont autant de facettes, qui comme le

soulignent S. Lardon et al. (2004), peuvent interpeller l’économie (offre/demande, fonctions non

marchandes, services), la sociologie (« attentes » de la société, perceptions et représentations) ou

l’agronomie (interaction avec la fonction de production via les pratiques). Il s’agit d’un concept à

clarifier, mais qui traduit bien le changement de spectre d’analyse de l’agriculture. La

multifonctionnalité invite donc les agriculteurs à définir de nouvelles finalités à leur métier. De là,

elle vise à inscrire les activités agricoles dans une logique de développement territorial intégrant les

dimensions économiques, sociales et environnementales locales et dépassant les limites du système

d’exploitation (Deverre, 2002).

Une volonté multifonctionnelle à accompagner

Certains acteurs de territoires ont déjà travaillé sur ces problématiques, et tentent d’apporter des

solutions à cette interaction inéluctable entre l’agriculture et la ville. Les initiatives « Terres en

ville » sont les témoins de ces nouvelles réflexions. Cette association de métropoles relève certains

écueils qu’elle souhaite éviter : « le mal de vivre en ville, la dégradation du cadre de vie, la

suppression d'une activité économique, la standardisation des produits agricoles et la perte du

patrimoine rural ». Dès lors, pour dépasser l’opposition entre ville et campagne, campagne et

agriculture, activité industrielle et agricole, ces territoires œuvrent pour que l'agriculture soit

reconnue comme un réel partenaire de l'aménagement, du développement social et économique de

la région urbaine. On retrouve bien ici l’idée que la concertation ne doit plus se concentrer sur le

zonage des documents d’urbanisme et ainsi le partage de la rente foncière, mais sur de réels projets

de territoire dans lesquels l’agriculture a un rôle à jouer.

Ainsi, le volet agricole concerne non seulement les agriculteurs, mais aussi l’ensemble de la société

qui vit avec ce secteur occupant encore une très large partie de l’espace rural et périurbain. Restent

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

à envisager les modalités de l’exercice de l’agriculture. R. Bailhache13, président de la Commission

Aménagement du territoire de l’APCA, promeut « le rôle des agriculteurs dans l’aménagement des

villes ». Pour cela, il s’appuie sur les conceptions de la multifonctionnalité pour encourager les

exploitants à « rechercher la qualité de leurs itinéraires techniques et de leur patrimoine ». Les

notions de développement durable sont donc parfaitement intégrées par les instances représentantes

de la profession. Celle-ci commence donc à se définir une place d’aménageur participant à un

patrimoine collectif de qualité, tout en revendiquant la performance de son outil de production.

L’intégration, et donc la participation, de l’agriculture à la dynamique urbaine est donc un objectif

tout à fait réaliste et concevable. La multifonctionnalité apparaît comme un vecteur incontournable

de la conciliation des intérêts agricoles et urbains ; le partage de ses principes constitue donc le

cœur d’un nécessaire dialogue.

En définitive, pour R. Bailhache : « Il faut mettre en place, dans le cadre des partenariats entre les

agglomérations et les professionnels agricoles, des chartes de bonne conduite pour préciser les

attentes des citoyens vis-à-vis des agriculteurs et vice et versa. […] Un mot de conclusion : des

agriculteurs épanouis dans leur métier sur des exploitations multifonctionnelles au sein des aires

urbaines, ça existe, je les ai rencontrés ! Je souhaite qu’ils soient de plus en plus nombreux. ». Il

faut alors escompter que bientôt ils seront effectivement nombreux à inscrire la multifonctionnalité

comme un des repères de leur identité professionnelle. Si celle-ci reste trop longtemps enracinée

dans le seul acte de production, la réussite des politiques actuelles tentant d’instituer l’agriculture

comme une activité transversale, territoriale et multifonctionnelle serait compromise. Or, il existe

bien une volonté multifonctionnelle des agriculteurs (Cayre, Dépigny, Michelin, 2004).

L’agriculteur a pleinement conscience que son activité produit d’autres résultats que sa production

agricole au sens strict. Pourtant, la multifonctionnalité est encore souvent ressentie comme une

« assignation externe à leur sphère professionne lle ». Un enjeu fort est donc de traduire cette

volonté multifonctionnelle en un des principes et valeurs fondateurs de l’identité professionnelle

agricole. Ce travail d’accompagnement est à mener en coordination avec le monde de la formation,

de la recherche, du développement et les responsables territoriaux.

13In « Les agriculteurs face à l’étalement urbain ». Communication pour les Cahiers du CGGREF, n° 66, 2004.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Conclusion d’étape

La ville ne menace pas nécessairement l’agriculture. Certes, pour un même espace, la concurrence

entre les usages agricoles et résidentiels peut engendrer de graves déséquilibres territoriaux, mais il

s’agit avant tout d’un défaut de planification préjudiciable pour tous. Des outils de maîtrise foncière

sont entre autres à mobiliser à ce niveau. En tout état de cause, le projet urbain a besoin d’un volet

agricole qui s’inscrive dans ses objectifs de planification. Pour ce faire, un dialogue est nécessaire

afin de formaliser voire de redéfinir les nouvelles transactions sociales à l’œuvre.

La rédaction d’un tel contrat est tout à fait réalisable, et ce d’autant plus que les concepts de

multifonctionnalité de l’agriculture et de développement durable diffusent. Les instances

représentatives de la profession agricole en ont désormais intégré les principes fondateurs, ce qui

laisse à penser qu’il est maintenant opportun d’accompagner la volonté multifonctionnelle des

exploitants.

Ainsi, la planification territoriale exige une prise en compte réciproque des logiques agricole et

urbaine. L’agriculture est donc amenée à réaffirmer son existence et par là sa légitimité spatiale.

Mieux, dans un contexte français et européen de remise en cause de l’agriculture dans sa raison

historique d’être, soit l’activité de production, les représentations citadines pourraient constituer une

nouvelle source d’opportunités. Le projet agricole, encore pénalisé par des stratégies individuelles

contrastées et des visions trop sectorielles, pourrait dès lors s’y appuyer pour reconquérir la

légitimité territoriale de l’agriculture.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

2. La légitimité territoriale de l’agriculture à repenser : les représentations

urbaines comme terrain fertile à l’émergence d’un projet agricole

2.1. Une explicitation préalable : la notion d’agriculture périurbaine

Centrale dans notre propos, la notion d’agriculture périurbaine éveille l’intérêt et à la fois la

perplexité de nombreux décideurs publics confrontés aux multiples interrelations entre agriculture

et préoccupations urbaines. En effet, assez largement employée, elle recouvre différentes réalités

qui exigent autant de réponses de leur part. Récente, la spécificité de cette notion réside aussi dans

le fait qu’elle allie deux mondes auparavant peu associés. L’espace périurbain fait encore l’objet de

recherches approfondies, et l’agriculture peine à y revendiquer des exigences précises en termes

d’action publique. Dans ce contexte, certaines collectivités tentent actuellement de se saisir de la

question (encadré 2).

Sans prétendre donner une définition aboutie de l’agriculture périurbaine, nous retiendrons qu’il

s’agit de l’expression de l’activité agricole à la confluence des sphères urbaines et rurales. Nous

considérons alors qu’elle constitue un flot avancé révélateur des rapports milieu urbain/agriculture.

Le débat n’est pas encore clos pour les chercheurs. Pour notre propos, la reproductibilité de

certaines situations, voire d’expériences d’abord menées dans le périurbain puis dans l’arrière pays

héraultais nous suffit pour privilégier cette posture. Nous nous centrerons donc dans la présente

partie sur l’agriculture périurbaine en supposant que les déterminants que nous relèverons pourront

aussi être ceux de l’agriculture d’arrière pays. Ceci n’occulte pas que l’agriculture périurbaine

révèle certaines spécificités. Nous pouvons en effet dégager deux axes pouvant structurer cette

notion et la caractériser en propre, témoignant de sa plus grande exposition à la ville.

Le premier est l’acuité de la pression foncière qu’elle subit. Comme nous l’avons souligné dans la

première partie, le renchérissement des terres peut conduire à une déprise volontaire, satisfaisant

des stratégies spéculatives (enfrichement des parcelles agricoles dans l’attente d’un changement

d’usage dans les documents d’urbanisme). A l’opposé, cette situation peut engendrer des modes de

tenures précaires pour les faire-valoir indirects. La pression foncière instaure donc diverses tensions

entre l’agriculture et les autres usages du sol, d’une part, mais également au sein même des

exploitants, dos à dos dans ce jeu de contraintes selon qu’ils sont détenteurs ou non du sol.

Le deuxième niveau de la définition se situe dans ses rapports avec la planification urbaine. Du fait

de la proximité avec l’environnement urbain, l’agriculture en perte de reconnaissance dans

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

l’imaginaire collectif doit réaffirmer sa légitimité spatiale. La participation de l’agriculture au projet

urbain est donc capitale mais néanmoins réaliste, nous l’avons vu. Bien plus qu’ailleurs, elle doit

trouver des formes contemporaines d’ajustement de ses caractéristiques propres avec la présence

pressante des populations vivant au rythme urbain. Le niveau d’aboutissement de la planification

spatiale dans les documents d’urbanisme soulève cette question avec force.

Pressentant des enjeux spécifiques aux espaces agricoles périurbains, le Conseil Général de

l’Hérault a diligenté un certain nombre d’études. Il en va en effet de son efficacité dans l’action

publique, mais également de la légitimité de la direction agriculture et développement rural au

sein même du Conseil Général. Ce deuxième aspect est à considérer avec une attention toute

particulière, étant donné le désengagement relatif de la collectivité vis-à-vis de l’activité

agricole ; la décentralisation place au premier plan l’action sociale et les infrastructures routières,

ferroviaires et portuaires. Pour conserver ses crédits, la direction agriculture et développement

rural se doit de rendre des comptes, et l’agriculture n’est plus considérée comme une priorité de

facto de l’action de la collectivité. Les arbitrages passés et à venir aiguisent donc la vigilance de

ses directeurs. Se positionner sur un dossier qui peut se révéler aussi stratégique que l’agriculture

périurbaine dans l’Hérault pourrait alors permettre à la direction de recouvrer, sinon maintenir, sa

place assez incontournable dans les actions volontaristes du Conseil Général. La Loi sur le

développement des territoires ruraux, conférant aux départements la compétence relative aux

PAEN pourrait donner un nouveau souffle à la direction.

L’analyse de l’AgroM-INRA des espaces agricoles et naturels de l’agglomération de Montpellier

(Thinon, Jarrige, Nougarédes, Pariset, 2003) a pu constituer un socle de référence pour la

réflexion que la direction agriculture et développement rural tente d’engager. Le lien avec le

monde de la recherche est d’ailleurs tout à fait brigué, en commandant une série de travaux

d’étudiants de l’Agro Montpellier. L’exploitation effective des résultats de ces travaux reste à

faire, afin de valoriser ces apports. Il y a là un enjeu prépondérant pour la direction, et la question

du temps à consacrer et du mode d’appropriation de ces études est à établir en interne. L’urgence

des dossiers peut en faire délaisser la nécessaire lecture approfondie.

Enfin, l’association des départements de France ne s’est pas encore positionnée dans cette

réflexion, faute de moyens. Pourtant, la mutualisation des études et des efforts de clarification

engagés optimiserait le fonctionnement de l’ensemble.

Encadré 2

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

En tout état de cause, le rapport à la ville, et donc la conception de l’activité agricole, est

profondément bouleversé. Rester dans le giron de l’agriculture suppose ainsi une refonte de la

légitimité de ce secteur dans un espace en mutation. Ce sera cet aspect, soit la légitimité territoriale

de l’agriculture à repenser, que nous proposons de questionner maintenant.

2.2. Un nécessaire repositionnement de l’agriculture périurbaine

2.2.1. Conflits d’usage et concurrence avec les nouveaux arrivants : les

territoires périurbains comme cas d’école

La durabilité de l’agriculture, en zone périurbaine encore plus qu’ailleurs, constitue un enjeu de

société qui dépasse déjà les frontières du monde agricole. En effet, la question des mailles

économiques et sociales du tissu périurbain est centrale pour la vie future du territoire. Ici, la

principale difficulté est la divergence de représentations des différents acteurs. D’horizons divers,

ils révèlent des intérêts qui peuvent être contradictoires les uns les autres. L’agriculture périurbaine

se trouve alors à l’interface de deux mondes à réconcilier.

Pour ce qui relève des biens publics générés par l’agriculture, deux principales conceptions

s’opposent, si on met l’accent sur le cadre de vie ou sur la fonction productive de l’agriculture.

Pourtant, ce contraste ne se calque pas ici radicalement sur un système bipolaire, partageant le

monde rural entre le camp des néo-ruraux et celui des agriculteurs fortement marqués par la PAC.

De nombreuses situations et appréciations intermédiaires existent. A ce titre, F. Jarrige (2004)

montre dans l’Hérault que les productions périurbaines à base de céréales, fourrages et prairies, en

relation avec le développement des élevages de loisirs, semblent présenter des aménités paysagères

adaptées aux attentes urbaines (ouverture des paysages, image de campagne et usage récréatif).

Certaines formes d’agriculture permettent donc d’atténuer les conflits d’usage ; les espaces

périurbains constituent le terrain d’étude privilégié de l’agriculture multifonctionnelle.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Un deuxième niveau de confrontation concerne l’accès au foncier. Une demande résidentielle

soutenue génère une forte concurrence sur le foncier entre l’usage agricole et l’urbanisation.

L’équilibre entre les espaces agricoles et les espaces à urbaniser se fait ainsi sans autre régulation

que l’arbitrage par les prix et la liberté d’usage offerte ou non par les documents d’urbanisme. Nous

avons vu qu’alors, le différentiel de prix et la possibilité de révision des documents d’urbanisme

font que la profession agricole se désunit pour laisser la place aux stratégies individuelles. A ce

stade, il est intéressant de noter que le maintien de l’agriculture en zone périurbaine, et avec elle la

cohérence territoriale, peut venir en grande partie de la prise de pouvoir politique des populations

nouvelles. Il est récurrent d’observer en zone périurbaine les scénarii suivants concernant la

dynamique foncière (Jarrige, 2002) :

•La liquidation du foncier agricole, tant que les néo-résidents, non détenteurs d’un patrimoine

foncier à réaliser, n’ont pas pris le pouvoir municipal aux agriculteurs.

•Quand le pouvoir bascule aux populations nouvelles devenues majoritaires, deux scénarii sont

possibles :

1/ la poursuite de l’urbanisation sur fond de logique de croissance reposant sur l’expansion

démographique et la tentative de rentabiliser les investissements réalisés,

2/ la mise en œuvre d’une politique plus restrictive et conservatrice de l’espace et du paysage, avec

la recherche d’enrayer l’urbanisation par souci de maintenir le cadre de vie que les nouveaux

résidents ont acquis.

En somme, dans les espaces périurbains, l’agriculture doit non seulement évoluer pour s’accorder

avec les conceptions citadines, mais elle est elle-même menacée dans son existence propre, de part

la concurrence dans l’accès au foncier. L’agriculture périurbaine est ainsi amenée à se repositionner

pour recouvrer une légitimité sociale et territoriale. Il en va de l’intérêt de l’ensemble de la

collectivité considérée, périurbaine car concernée en premier lieu, mais également des espaces

urbains ou ruraux. L’agriculture dans sa forme actuelle perd progressivement ses soutiens

politiques. Elle doit alors composer avec des attentes sociétales auxquelles elle ne s’était pas

préparée. Entre autres, celle-ci devra impérativement intégrer l’affirmation de son aptitude

paysagère, ainsi que la concordance des pratiques agricoles avec la protection de l’environnement.

Devant l’importance croissante que prennent les nouveaux arrivants sur les activités agricoles,

raisonnant la présence agricole à travers les externalités qu’elle produit, un délitement des liens

sociaux est à craindre. En effet, l’agriculture forge encore son identité autour de l’acte de

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

production. Il s’agit alors d’accompagner voire d’orienter les stratégies économiques agricoles

compatibles avec les constats précédents.

2.2.2. Des stratégies agricoles à accompagner pour donner du sens au territoire

Pour le sujet que nous traitons, le devenir des espaces périurbains est une question au cœur des

préoccupations de gouvernance territoriale. Elle est d’autant plus cruciale que le périurbain est

encore essentiellement défini comme une frontière témoignant de la rencontre entre la ville et la

campagne. Et sans régulation, toute frontière est amenée à se déplacer, du moins se brouiller. Ainsi,

les espaces périurbains constituent 33% du territoire français selon la nomenclature INSEE (annexe

4). Redonner du sens à ces espaces est donc nécessaire, notamment pour y conférer les bases de

politiques appropriées. En cela, l’agriculture occupant largement l’espace et élément prépondérant

du cadre de vie est une activité à examiner en premier lieu.

Ainsi, il est primordial d’établir le type d’agriculture que l’on souhaite accompagner, voire faire

émerger. Il s’agit en particulier de trouver des alternatives économiquement viables dans un

contexte d’affaiblissement de la PAC. L’agriculture multifonctionnelle apparaît comme une base de

travail intéressante. Des options stratégiques fines sont à imaginer, notamment en ce qui concerne

les sources de revenu des ménages d’exploitants. Précisons alors que la proximité urbaine permet

aux conjoints de cumuler un emploi externe à l’activité agricole elle-même, conférant des

ressources supplémentaires à l’enceinte familiale. Plusieurs trajectoires professionnelles sont

possibles : réorientation ou développement de nouvelles productions, circuits courts, installation

progressive en agriculture à partir d’une autre activité professionnelle, pluriactivité, systèmes

combinant activités agricoles et non agricoles…

Actuellement, encore familiaux pour l’essentiel, les systèmes de production périurbains peuvent

schématiquement combiner trois stratégies principales (Jarrige, 2004 ; Fleury, 2004).

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

La première est la stratégie d’intensification. La compétitivité des exploitations se renforce ;

celles-ci sont dans une logique d’agrandissement. Pour cela, certaines peuvent relocaliser leur

siège d’exploitation dans l’arrière pays, d’autres prennent le contrôle ou se coordonne avec des

exploitations voisines. A titre d’exemple, les systèmes maraîchers de l’Hérault sont de grandes

exploitations relativement récentes et issues de la dynamique périurbaine. Elles disposent d’un

foncier précaire, constitué de grandes parcelles qui se libèrent mais qui ne sont mises à

disposition que pour de courtes durées.

La stratégie de spécialisation vers des productions de terroirs est également un mode

d’adaptation au contexte périurbain. Dans ce cas, la valeur ajoutée est l’objet de toutes les

attentions. La spécialisation des exploitations peut conduire à mettre en valeur une rente de

situation, notamment dans le domaine récréatif. Par ailleurs, ce créneau peut intéresser certains

néo-ruraux pouvant s’installer sur du foncier précaire.

Enfin, la stratégie de diversification et d’extensification cherche à minimiser les risques

naturels et les prix, à l’instar des systèmes céréales-fourrages semi-intensifs. L’acceptation de la

précarité foncière permet de minimiser le coût de la rente, mais restreint la possibilité

d’investissement lourd. La pluriactivité peut aussi contribuer à cette stratégie, ce qui permet de

réaffecter à d’autres activités des ressources en temps voire en capital.

Au vu de ces éléments, les pouvoirs publics nationaux et territoriaux auront à se positionner sur les

choix politiques à arrêter. D’autre part, les logiques différentes que témoignent les agriculteurs

périurbains prennent corps dans la spécificité de leur situation, la marge de manœuvre dépendant de

leur capacité à faire face aux fluctuations du marché, aux contraintes d’accès à la terre et au

renchérissement des facteurs de production. En tout état de cause, les logiques de marché se sont

particulièrement développées dans ces zones. Il s’agira donc de considérations à prendre en compte

au sein du territoire. En particulier, l’image de l’agriculture dans le champ des représentations

urbaines est à ré-étalonner avec les différents acteurs ; l’agriculture n’est pas seulement

pourvoyeuse de biens publics, indissociables et complémentaires du mouvement d’urbanisation. La

refonte du sens des territoires périurbains procède ainsi de la reconnaissance des interdépendances

entre agriculture et ville : l’agriculture pour trouver une nouvelle dynamique, la ville pour la qualité

de son cadre de vie. D’où l’importance de s’intéresser aux éléments constitutifs de la symbolique

urbaine et à ses répercussions en termes d’action publique.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

2.3. La symbolique urbaine, nouvelle dimension de l’action publique : un enjeu

« imaginaire » à exploiter

Se pencher sur l’image d’un territoire, celle qu’il renvoie et celle qu’il revendique, est une tâche

nécessaire mais pour la moins ardue. Facile à employer car évocatrice, la notion d’image est

devenue un mot-tiroir qu’il convient d’expliciter. Ici, il faudrait d’ailleurs utiliser le pluriel. Les

images d’un territoire traduisent les différentes dimensions qui lui sont associées, par ceux qui le

façonnent comme par ses promoteurs. En définitive, les images sont partielles donc multiples ; de

natures radicalement différentes, elles peuvent avoir trait aux monuments, à la morphologie urbaine

ou de l’arrière pays, ou encore aux discours tenus par les leaders d’opinion (Tiano, 2004). Pourtant,

les images constituent les prémices d’un socle sur lequel reposera l’action publique du territoire.

Au sens strict, les images sont dépourvues de valeurs (les valeurs géographiques, esthétiques,

affectives, identitaires des lieux, ou les valeurs morales qui guident leur organisation). En effet,

pour B. Jobert et P. Muller (1987), cette idée de valeurs se révèle dans le processus de constitution

d’un référentiel commun à un groupe. Ils expliquent ensuite qu’élaborer une politique publique

revient à construire une image de la réalité sur laquelle intervenir, soit une représentation : « c’est

en référence à cette image cognitive que les acteurs vont organiser leur perception du système,

confronter leurs solutions et définir leurs propositions d’action. On appellera cet ensemble d’images

le référentiel d’une politique 14 ». La formalisation d’un cadre analytique pour l’action publique

passe donc par la structuration de représentations. Par définition, il s’agit d’un ensemble encore

fragmenté, car directement conditionné par les différentes perceptions. C’est en cela qu’envisager

une symbolique urbaine est un défi, puisque sa raison même est d’ouvrir la voie de l’unification de

certaines grandes caractéristiques. Pour arriver à un degré minimum d’unification, l’action publique

est contrainte d’opérer des choix entre des représentations hétérogènes.

De nombreux auteurs soulignent depuis une vingtaine d’années une évolution notable dans

l’affirmation des objectifs et les modalités de l’action publique. La décentralisation et la

construction européenne ont en effet accru la concurrence entre territoire et particulièrement entre

villes. Les villes se retrouvent alors au premier plan de logiques régionales. Ceci explique

l’émergence de la dimension symbolique des villes comme nouvel enjeu de l’action publique

(Tiano, 2004). A petite échelle, il s’agit de fabriquer ou de réaffirmer une image spécifique et

14In Les politiques publiques de Pierre Muller, Paris, PUF, 2000.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

attractive qui permette d’être en bonne place dans la hiérarchie des villes européennes. A grande

échelle, le recours à la dimension symbolique de la ville permet de prouver sa suprématie de

métropole régionale tout en consolidant sa proximité avec les collectivités territoriales dont elle fait

partie. En somme, cette évolution révèle le passage d’une gestion technicienne de la ville à une

vision plus globale du fait urbain, à une prise en compte de la dimension imaginaire de l’espace vu

à travers la ville.

La symbolique urbaine, sous-tendue par la question des valeurs et par celle des choix retenus porte

ainsi un double intérêt pour notre propos.

Elle repose d’une part sur la compréhension d’un jeu d’acteurs. Action publique et symbolique

urbaine sont alors étroitement liées, au point que la cohérence de la symbolique urbaine semble bien

être une des conditions de la réussite de l’action publique (Tiano, 2004). Ici réside un enjeu

« imaginaire » de l’action publique, et ce à l’échelle du territoire tout entier. Il y a donc un véritable

enjeu pour le repositionnement de l’agriculture dans un territoire désormais appréhendé par les

aménageurs comme « un construit social qui associe à une base matérielle faite d’un espace

géographique un système de valeurs qui confère à chacune des composantes de cet espace des

significations multiples et combinées15 ». Comme la construction d’un référentiel repose sur des

valeurs essentiellement urbaines, l’agriculture doit trouver sa place dans la perception citadine du

territoire, participer à la construction des valeurs prépondérantes et par là aux choix stratégiques qui

seront retenus.

D’autre part, la symbolique urbaine est entièrement physique, spatiale, alors que les frontières du

référentiel de Jobert et Muller sont sociales. Elle offre donc un terrain de réflexion spatialisé allant

au-delà des seuls espaces périurbains, et permet alors de réfléchir à des complémentarités entre

urbain et rural.

15Bernard Debarbieux, « Le lieu, fragment et symbole du territoire » (p.14) in Espaces et Sociétés n°82-83, Paris,L’Harmattan, mars 1996.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

2.4. Des complémentarités urbain-rural pour modeler des formes pérennes à

l’agriculture : une agriculture intégrée aux différents marchés au sein d’un projet

urbain englobant

2.4.1. La place de l’agriculture dans le territoire

Nous nous sommes attachés à montrer jusqu’ici que c’est à travers le lien à la ville que se modèlent

largement les représentations individuelles, professionnelles et politiques ; en découle alors l’action

publique mise en œuvre pour le territoire et donc l’agriculture. Dans ce va et vient entre ces deux

milieux, de multiples complémentarités urbain-rural sont donc à rechercher, sans pour autant perdre

de vue la diversité des agricultures. Le projet urbain serait alors fédérateur des différentes initiatives

et engloberait de nombreuses formes d’agriculture. Des précisions conceptuelles sont d’abord à

apporter, puis un éclairage sur la relation à l’espace permettra d’envisager la place de l’agriculture

dans un modèle pouvant diffuser spatialement.

Un arbitrage conceptuel entre agriculture et nature dans un espace rural à

trois fonctions

Concomitamment à la notion de campagne, la nature s’est progressivement affirmée comme valeur

sociétale. Cette question de société est apparue dès les années 60 avec la prise de conscience de la

crise environnementale internationale. Aussi, les représentations citadines de l’agriculture se

construisent désormais à la lumière de deux pôles de référence que constituent la campagne et la

nature (Fleury, 2004). Un certain flou peut en résulter. On peut noter à ce niveau que dans la Loi

d’orientation foncière de 1967, c’est le terme N pour naturel qui est retenu dans les POS et non A

pour agricole pour exprimer l’espace en opposition à l’urbain (U). Même si l’activité économique

de production est ensuite réaffirmée dans les PLU, en octroyant un zonage spécifique à

l’agriculture, ceci constitue un trait marquant de l’évolution des mentalités.

Pourtant, nature et agriculture sont deux concepts antinomiques par essence. Chacun renvoie à des

fonctions propres, malgré les compatibilités existantes (une agriculture respectueuse de

l’environnement et permettant l’expression de certains écosystèmes). Il ne convient pas non plus de

les opposer radicalement, ce qui aurait pour effet de stigmatiser une agriculture dite productiviste,

uniquement soucieuse de produire. En somme, de la même manière qu’il s’agit de raisonner

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

l’interaction entre agriculture et espace urbain, il importe de rechercher les synergies entre

agriculture et nature. Les principes de la multifonctionnalité sont justement de tenter de réunir ces

trois mondes ; entre autres, ils visent à dépasser le binôme agriculture/espace urbain en utilisant la

notion de nature comme médiateur. Nous retrouvons ici les trois figures de l’espace rural que

définissait P. Perrier-Cornet en 200216 : l’aspect cadre de vie (espace résidentiel et de loisirs),

l’aspect ressource centré sur les activités agricoles, et l’aspect de nature (écosystème à préserver).

Ces trois fonctions bien identifiées de l’espace rural sont donc à coordonner et à considérer dans le

projet urbain.

Si leur fonctionnalité urbaine suppose certaines formes d’ouverture au public, le fonctionnement

spécifique des systèmes agricoles ou naturels nécessite une séparation claire avec l’espace urbain.

Sans promouvoir une nouvelle forme de cloisonnement, l’incompatibilité des fonctionnements

socio-spatiaux exige certaines frontières robustes. Les rapports de force en matière de foncier en

témoignent. En tout état de cause, l’établissement de ces barrières vise à donner les meilleures bases

à la planification urbaine. Pour ce faire, d’après les auteurs comme A. Fleury, il n’est pas d’autre

recours plus efficace que le zonage. Les différentes fonctions de l’espace doivent ainsi être

répertoriées et répondre à une politique de réservation d’espace. Les documents d’urbanisme

apportent une première forme opérationnelle de zonage mais celle-ci peut être révisée assez

périodiquement (révisions simplifiées de POS ou du PLU après enquête publique). C’est pour cela

que des zonages plus contraignants peuvent être envisagés. Citons les espaces naturels et sensibles

(ENS)17 pour la protection de la nature, la zone d’agriculture protégée (ZAP)18, et les nouveaux

périmètres de protection et d’aménagement des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN)19.

L’émergence de la campagne et de la nature comme notions cristallisant les représentations

urbaines incite à renouveler l’agriculture sous toutes ces formes, en particulier périurbaine. Cette

dernière est d’autant plus soumise au projet urbain qu’elle est enjointe de se maintenir spatialement.

Identifier les ensembles à dédier à chacune des trois fonctions de l’espace rural pose la question de

son partage. Le zonage est une première réponse, mais elle n’est pas suffisante. Une politique de

gestion est nécessaire pour donner consistance au projet urbain.

16Perrier-Cornet P., 2002, Repenser les campagnes. Ed. de l’Aube, La Tour d’Aigues, 280 p.17Art. L 142.1 du code de l’urbanisme.18Une des premières concrétisations est en cours à Vernouillet (Yvelines).19Loi sur le développement des territoires ruraux du 23 février 2005. Art. L. 143-1, L. 143-2, L. 143-6 du code del’urbanisme.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Politique de gestion autour d’une agriculture aussi considérée comme une

infrastructure en mal d’ancrage territorial

Une introspective des différentes formes d’agriculture de l’Europe occidentale conduit A. Fleury

(2004) à retenir deux grands modèles d’adaptation de l’agriculture au contexte actuel.

Le modèle du parc de campagne, inspiré des conceptions citadines, est plutôt courant dans

l’Europe du nord-ouest. L’agriculture, façonnée par les paysagistes, est principalement dédiée à

la récréation urbaine. Ce modèle repose en effet sur deux notions : le patrimoine (nature, bâti,

aménagements anciens de l’agriculture tels que le bocage ou les terrasses, anciennes

orientations culturales…) et les produits dits fermiers (souvent en vente directe, leur image et

donc les services correspondants étant associés à l’artisanat et à une activité sociale).

Bien que les systèmes de production moderne soient rejetés, l’organisation commerciale est très

bien ajustée à la demande. Des entreprises de grande taille peuvent se constituer, comme les

fermes du réseau « chapeau de paille » accueillant chaque année des dizaines de milliers de

cueilleurs ou d’enfants. L’image d’une agriculture très ancrée localement et valorisant au

maximum ses aménités est donc promue, voire créée ex nihilo comme l’agriculture paysanne.

Le modèle de la campagne agricole résulte de l’initiative d’agriculteurs plus orientés sur les

grands marchés. L’avenir incertain de la PAC, assorti à la conditionnalité des aides, fait que

certains d’entre eux se positionnent sur l’agriculture de produit. L’objectif poursuivi est

l’adaptation au marché mondial en continuant à réduire les coûts. De là peuvent en résulter une

stratégie de concentration des exploitations, leur nombre diminuant sans que l’emprise spatiale

de l’agriculture soit remise en cause. En effet, la légitimité de cette agriculture résulte de sa

production d’espace. Dans ce modèle, le progrès technique est inhérent à l’agriculture ; en

conséquence, celle-ci ne se reconnaît pas dans la représentation sociale la taxant de

« productiviste », car ses agriculteurs estiment viser le zéro défaut environnemental et

l’amélioration de la qualité. Une déclinaison de ce modèle est l’agriculture de territoire, en

quasi monopole sur les marchés locaux et sur ceux des agglomérations. Cette dernière serait

quant à elle dans une logique d’intégration au schéma de développement local.

En tout état de cause, il ne s’agit pas ici de balayer les différentes stratégies agricoles découlant de

ces modèles, ce qui nous conduirait à revenir sur certaines déjà mises en lumière dans les territoires

périurbains. Nous mentionnons ces deux modèles pour continuer à déterminer le cadre dans lequel

se place l’agriculture aujourd’hui. Deux voies peuvent être empruntées, et ces choix sont à mener

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

avec l’accord des différentes parties en présence. En effet, le binôme citadins/agriculteurs ressort

clairement dans la formalisation des deux modèles. L’enjeu en résultant prend corps dans les formes

territoriales produites par l’agriculture, mais également dans l’identification de la production

territoriale en termes économiques, l’ensemble étant soumis à la validation urbaine (Fleury, 2004).

A. Fleury nous amène donc à penser que l’agriculture (en premier lieu périurbaine) produit

simultanément des denrées agricoles et du territoire. Ces deux éléments seraient alors valorisés sur

deux marchés distincts : global ou local pour ses produits agricoles, local pour son territoire. Dès

lors, l’espace agricole devient aussi une infrastructure support d’activité (encadré 3). De là,

l’agriculture pourrait légitimement se voir rémunérer (voire pénaliser) pour l’entretien de cette

infrastructure. La négociation locale et la cogestion acteurs urbains-acteurs ruraux qui en découle

doit donc intégrer cette dimension.

Dans l’image de la campagne, le paysage est central. Celui-ci résulte d’une composante

« objective », soit l’application d’un système agricole sur l’espace, et d’une composante

culturelle, trouvant ses références dans les aspects techniques (compréhension du système

observé), artistiques et patrimoniaux (Fleury, 2004). Aspect essentiel du cadre de vie, il devient

alors incontournable dès que l’on s’intéresse à la production de territoire. Par ailleurs, la qualité

environnementale est une forme de production pour laquelle l’agriculture doit se montrer

vigilante, notamment car elle constitue une pierre d’achoppement avec le public citadin.

Plusieurs échelles du territoire doivent à ce titre être considérées : bassin versant, habitats,

corridors écologiques…

En tout état de cause, l’ensemble de ce territoire façonné pour partie par l’agriculture présente

une réelle valeur pour d’autres activités économiques ou récréatives. Citons les différentes

formes de tourisme, les bénéfices ou coûts environnementaux qui se répercutent sur la société

locale, nationale voire internationale, mais aussi l’activité liée à la construction résidentielle.

J. Cavailhès (2004) propose d’ailleurs un modèle permettant d’estimer le prix des aménités

agricoles que consomment les habitants dans les ceintures périurbaines. Il établit ainsi que « pour

une maison individuelle valant 100 000€ dans la couronne périurbaine de Dijon, les aménités

capitalisées à un taux de 5% seraient comprises dans une fourchette de 1.4% à 3.5% de sa

valeur ». Dès lors, il devient clair que l’agriculture a une valeur d’infrastructure support d’autres

activités.

Encadré 3

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

En conséquence, l’ancrage territorial de l’agriculture se traduit dans la qualité de sa production

territoriale, mais également dans sa participation à l’autonomie énergétique par l’amélioration de la

sécurité régionale d’approvisionnement (Fleury, 2004). La reconnaissance des citadins de ces deux

aspects est cruciale pour l’avenir d’une agriculture encore connectée à son espace d’activité. Ce lien

entre l’agriculture et le territoire se construit à travers sa réalité sociale, économique, mais aussi

spatiale. Nous avons souligné précédemment que l’espace rural admet trois grandes fonctions, qu’il

convient d’identifier clairement et de traiter distinctement dans l’espace. Cette première

segmentation spatiale appelle une politique de cogestion entre les acteurs des mondes rural et urbain

afin justement d’aborder l’espace avec une approche concertée et transversale. A ce stade, la place

de l’agriculture se situe donc dans la sphère productive de l’espace rural, mais à la confluence avec

les ensembles dédiés à la nature et à la fonction résidentielle. Ceci étant, son statut de productrice de

territoire conduit aussi à la penser comme une infrastructure économique. L’agriculture serait ainsi

partie prenante de chacun des trois ensembles de l’espace rural. Notre cadre d’analyse doit donc être

révisé. Dès lors, il nous faut non plus prendre pour point d’entrée l’espace rural avec l’agriculture

comme une de ses composantes, mais bien l’agriculture comme contributrice de l’ordonnancement

spatial. Pour cela, nous devons revenir aux multiples fonctions que l’agriculture présente, et les

questionner dans leur lien avec l’espace. Le fonctionnement spatial de l’agriculture

multifonctionnelle est alors à explorer.

2.4.2. La dimension spatiale de la multifonctionnalité de l’agriculture : le

territoire comme mosaïque de territoires d’enjeux

Une gestion différenciée de l’espace

Plus qu’une base de dialogue comme évoqué dans la première partie, la multifonctionnalité appelle

l’existence d’une action de nature collective qui prend sens dans une dimension territoriale (Pivot,

Caron, Bonnal, 2003). En particulier sur les territoires périurbains, la symbolique urbaine constitue

le fer de lance de l’agriculture multifonctionnelle tout en prenant une importance de premier plan

pour les choix de l’action publique. La révélation de la multifonctionnalité de l’agriculture devient

donc un enjeu fort pour les territoires considérés ; transposer les principes de la multifonctionnalité

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

dans l’espace revient à commencer à traduire les nouvelles attentes, les rapports de force révélateurs

de coordination entre acteurs (Bonin et Torre, 2004) et les contours d’une action publique qui se

redéfinit.

Or, la multifonctionnalité n’est pas uniforme sur l’espace agricole et admet une différenciation

spatiale (Lardon et al., 2004). Les déterminants de la spatialisation des dimensions paysagère,

environnementale et multi-usages concerne aussi bien les perceptions des acteurs ou des usagers de

l’espace (« la demande ») que la répartition des pratiques agricoles sur les différents contextes

géomorphologiques et agroclimatiques (« l’offre »). Pour mieux comprendre et gérer l’adéquation

entre les multiples demandes et offres de services portés par l’agriculture, Rapey et al. (2003)

recommandent une analyse de la diversité et de la variabilité spatiale et temporelle de la

multifonctionnalité. De là, les différentes fonctions de l’agriculture et les attentes associées

pourraient être exprimées dans un ordre hiérarchique différent selon les entités spatiales étudiées.

Actuellement, il est possible d’associer à une entité spatiale un niveau de réalisation de la fonction

considérée, correspondant au degré de satisfaction de l’attente formulée pour celle-ci (Rapey et al.,

2004). On peut distinguer le niveau effectif de réalisation de la fonction, le niveau estimé, et son

niveau potentiel. Dès lors, l’analyse des différents modes de combinaison des niveaux de réalisation

des fonctions permet d’identifier des groupes d’exploitations aux postures assez tranchées. Les

auteurs démontrent ainsi que des liens peuvent être faits entre l’occupation du sol et la

multifonctionnalité, et ce avec des variabilités spatiales inter et intra exploitations assez prononcées.

Comme évoqué dans la première partie de notre document, ils soulignent l’importance du foncier,

dans son organisation comme dans sa localisation, qui de concert avec l’orientation de production

détermine fortement la multifonctionnalité de l’espace mis en valeur. Ces résultats de recherche

permettent de comprendre d’autant mieux la forte variabilité constatée de combinaison de fonctions

environnementales pour chaque mode d’utilisation du sol (Klingelschmidt, 2003 ; Rapey et al.,

2004b).

Pour étayer notre propos, il est alors utile de se pencher plus précisément sur le fonctionnement

spatial des exploitations. Une démarche intéressante est de caractériser les exploitations agricoles en

soulignant leur inscription spatiale, leur organisation interne et leurs relations avec l’environnement

(Houdart, Bonin, Saudubray, 2004). Cette approche révèle la gestion différenciée de l’espace. Pour

cela, la construction d’une typologie appropriée repose sur des critères multiples, que nous

proposons d’exposer brièvement.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Les contraintes d’expansion des exploitations sont appréhendées à travers les

caractéristiques du milieu et de ses particularités physiques (agroclimatiques notamment mais

aussi réseau hydrographique et infrastructures routières).

La diversité des activités agricoles de la zone d’étude (territoire continu des flancs de la

Pelée en Martinique) a conduit à écarter les orientations culturales des critères de

différenciation. Pouvant être plus liées à des éléments économiques ou conjoncturels externes

qu’à des déterminants internes aux exploitations, l’éviction de ce critère peut rendre la

construction de la typologie plus facilement transposable.

L’analyse de la gestion de l’espace reprend les notions d’unité de gestion et d’unité

d’utilisation (Gras et al., 1989). La correspondance entre ces deux types, mis en perspective

avec l’état du parcellaire (morcelé ou groupé) et les statuts du foncier, apparaît influencer

fortement le niveau de mise en œuvre des pratiques agricoles et des orientations culturales.

Les relations des exploitations avec leur environnement sont examinées via la notion

d’échange, essentiellement révélatrice d’un réseau d’information et d’entraide, et via les

conflits, la pression foncière et l’urbanisation croissante pouvant être ici prépondérants.

Nous ne mentionnerons pas ici les différents types d’exploitations retenues20, mais simplement le

fait que des critères pertinents permettent de dépasser une caractérisation des exploitations

principalement axée sur les choix des orientations culturales. Le fonctionnement spatial des

exploitations est plus complexe, et les liens à l’espace sont à considérer avec la plus haute

importance pour notre propos. Par là, « outre l’espace géré et construit, l’espace perçu (proximité,

éloignement social, conflits d’usage de l’espace) peut être pris en compte ». Nous pouvons alors

envisager un territoire où les fonctions de l’agriculture donnent lieu à des enjeux qui se confrontent

localement.

20La typologie est la résultante des tests des différentes hypothèses sur les variables mentionnées et des choix deschercheurs sur les critères permettant d’intégrer la plus grande différenciation entre chacun des types. Ces dernierssynthétisent la diversité des fonctions agricoles de la zone d’étude, soit le bassin versant de la rivière Capot enMartinique. Les types obtenus ne sont donc pas à généraliser.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Combinaison complexe de fonctions, considération de l’espace et échelles

d’analyse, les déterminants d’une approche en mosaïque de territoires d’enjeux

Les précédents paragraphes nous ont permis d’établir que pour une part, la multifonctionnalité de

l’agriculture se décline de manière localisée. Les variabilités spatiales inter et intra exploitations

sont significatives, au sein d’un espace agricole porteur de plusieurs fonctions se combinant

différemment selon les lieux (Lardon et al., 2004). Bien sûr, la production et le fonctionnement

global des systèmes de production sont encore aujourd’hui la raison d’être de l’activité agricole, et

constituent donc des conditions essentielles pour la multifonctionnalité. La fonction de production

est donc par nature la priorité des exploitants, ce qui fait qu’elle est toujours remplie du point de vue

de l’usager agricole, ce dernier étant à la fois celui qui formule l’attente et celui qui y répond

(Rapey et al., 2004). Les autres fonctions doivent alors s’inscrire dans un mode d’utilisation des

parcelles complémentaires de la fonction de production, même si leur contribution est de nature

différente et plus ou moins liée. L’analyse de l’espace se doit alors d’être d’autant plus fine.

Schématiquement, trois façons de considérer l’espace, et donc les situations locales, peuvent être

distinguées (Lardon et al., 2004 ; Lardon et al., 2001).

Dans certains cas, l’espace est simplement assimilé à un cadre de situation ou une

contrainte. Dès lors, l’analyse porte sur la fonction de production combinée avec une autre.

Là où l’espace est considéré comme un support de ressources et comme un facteur de

localisation, il devient actif dans les conditions de mise en œuvre des pratiques. L’analyse

intègre au moins deux fonctions autres que celle de production.

Lorsqu’il est vu comme intervenant dans les processus, c'est-à-dire comme un produit et à ce

titre modifié et transformé par les activités humaines, les situations envisagées sont celles où des

interactions fortes entre usagers interviennent.

Ces différentes approches se révèlent être complémentaires, sans qu’il y ait pour le moment des

conclusions de portée générale. Chacune permet déjà de reprendre l’angle d’analyse des autres tout

en étudiant une facette du territoire à travers une conception précise de l’espace. Ces trois approches

sont révélatrices de la nature et de la complexité des situations, mais également de l’échelle spatiale

d’analyse retenue. En effet, celle-ci conditionne la caractérisation de la multifonctionnalité elle-

même ainsi que l’analyse de ses déterminants.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

L’exploitation agricole peut s’avérer être une échelle pertinente si on privilégie l’entrée gestion.

Pour les mêmes raisons, on peut situer l’analyse au niveau infra-exploitation (parcelle, îlots et blocs

de parcelles en tant qu’unité de gestion). Ceci étant, de nombreuses fonctions ne prennent sens qu’à

l’échelle supra-exploitation (terres au voisinage de l’exploitation, commune, territoire ou petite

région objet d’un projet collectif), sur « un espace continu […] correspondant en général à des

terres mises en valeur par divers exploitants dans une mosaïque qui se transforme au cours du

temps » (Lardon et al., 2004). Ces espaces continus constituent donc des territoires d’enjeux en

révélant des fonctions autres qu’agricoles. L’échelle spatiale correspondant à un territoire d’enjeux

est d’ailleurs privilégiée par certains chercheurs (Rapey et al., 2004 ; Bonin et Torre, 2004 ;

Houdart et al., 2004 ; Tchakérian, 2004). Ainsi, la multifonctionnalité de l’agriculture nécessite

d’être aussi examinée à un niveau autre que celui de l’exploitation, ce qui conduit à définir des

territoires d’enjeux. Ces nouveaux objets d’études doivent alors être mis en regard avec les

territoires des exploitations.

Ainsi, l’idée d’une mosaïque de territoires d’enjeux à géométrie variable et en équilibre dynamique

selon la nature des enjeux est tout à fait pertinente pour notre propos. Débattre des déterminants de

la gestion différenciée de l’espace est un premier point. Un autre concerne les différentes

conceptions qui sous-tendent la formalisation de ce patchwork d’enjeux. Dès lors, d’une vision d’un

territoire compartimenté, nous pourrions glisser vers une mosaïque avec une imbrication d’espaces

mis en interrelation et en synergie. En somme, les réflexions en termes de différenciation spatiale de

la multifonctionnalité donneraient une base directement applicable pour édifier un projet urbain

concerté à décliner localement.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Conclusion d’étape

Pour nous, l’agriculture périurbaine est révélatrice des enjeux qui apparaissent actuellement à

l’agriculture. Plus exposée au monde urbain qui prend une importance de premier plan dans les

décisions publiques, elle permet de soulever les questions clé se posant à l’échelle du territoire.

Quelles stratégies agricoles pour assurer un revenu dans un contexte d’affaiblissement de la PAC ?

Quelle place est réservée à l’agriculture dans la symbolique urbaine et par là dans le territoire ? En

particulier, productrice de territoire, l’agriculture sort un temps du canevas des trois fonctions de

l’espace rural pour s’affirmer aussi comme infrastructure. Dès lors, partie prenante de

l’ordonnancement spatial, étudier la dimension spatiale de son caractère multifonctionnel nous

amène à repenser les complémentarités urbain-rural. L’espace rural n’est pas seulement

compartimenté mais s’analyse plus comme une mosaïque de territoires d’enjeux. Les ponts avec le

monde urbain sont donc à rechercher et à débattre à plusieurs échelles selon les entités spatiales

considérées. Ceci conditionnera la réussite d’un projet urbain englobant.

En tout état de cause, l’avenir de l’agriculture passe par la valorisation de ses liens avec la ville. Ne

citons que trois éléments pour conclure notre propos. La proximité de celle-ci permet au ménage

agricole d’assurer un complément de revenu et d’envisager plusieurs trajectoires professionnelles.

D’autre part, la reconnaissance par les citadins de la qualité de la production territoriale de

l’agriculture permettrait de rémunérer sa contribution à la qualité économique du paysage. Enfin, sa

participation à l’autonomie énergétique par l’amélioration de la sécurité régionale

d’approvisionnement passe par la volonté des populations urbaines. Sinon, une logique

d’orientation vers les grands marchés a de fortes chances de s’imposer et l’agriculture française,

malgré ses avantages comparatifs, n’est plus forcément concurrentielle. Nous proposons maintenant

une illustration locale, prise dans l’Hérault sur un cas de constructibilité en zone agricole, qui

témoigne de la dynamique nouvelle insufflée à l’agriculture par la ville.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

3. Le concept de Hameau Agricole : une issue locale qui prend place dans un jeu

institutionnel encore en mouvement

3.1. Construction et définition du concept

3.1.1. La réponse à une problématique

Le projet de Hameau Agricole nous permet d’illustrer notre propos, qui fait entre autres l’hypothèse

que la proximité de la ville place l’agriculture dans une situation favorisant les innovations et

l’accélération des processus à l’œuvre. En effet, nous pensons que les problématiques auxquelles se

propose de répondre ce concept se poseront, si ce n’est déjà le cas, à l’échelle de l’agriculture toute

entière. Le projet de Hameau Agricole qui va entrer effectivement en application fin 2005 trouve sa

raison d’être dans l’articulation difficile d’un contexte héraultais de forte pression urbaine avec des

éléments conjoncturels et réglementaires nationaux.

Les différentes structures de l’Hérault en charge de l’agriculture déplorent depuis quelques années

un étalement urbain très fort et un mitage incontrôlé qui peuvent compromettre durablement les

équilibres nécessaires à l’activité agricole. D’autre part, la conjoncture actuelle fait que les

exploitations agricoles existantes et celles qui se créent peuvent avoir besoin de bâtiments afin de

s’adapter à l’évolution technique, économique et réglementaire de leur activité. Or l’accès à la

construction est de plus en plus limité en zone agricole (durcissement de la législation et

préoccupations croissantes des autorités publiques...) et la localisation d’activités agricoles en centre

de village devient problématique (coût du foncier et pression immobilière, conflits d’usages…). Dès

lors, face à une demande pressante de maires encouragés par certains agriculteurs, le Conseil

Général et les services de l’Etat ont engagé en lien avec la profession agricole une réflexion qui a

conduit à la conception des Hameaux Agricoles. Ceux-ci sont ainsi destinés à accueillir des sièges

d’exploitation (habitat et bâtiments agricoles) et doivent satisfaire les points suivants :

Permettre la construction en zone A des PLU pour renforcer la pérennité de l’activité

agricole, toute chose égale par ailleurs. La cohérence de l’occupation de l’espace est centrale. Il

ne s’agit en aucun cas de mitage organisé. Ce projet vise donc à raisonner l’utilisation de foncier

tout en offrant des solutions à la nécessaire réorganisation des structures agricoles.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Faciliter les éventuelles installations, souffrant notamment d’un accès restreint au foncier.

Les Hameaux Agricoles pourraient ainsi prendre la forme de pépinières de jeunes agriculteurs

qui n’y font qu’un temps. La définition des critères d’accès aux Hameaux Agricoles doit encore

être envisagée mais se déclinera différemment selon les volontés locales.

Remédier à l’enclavement des structures agricoles dans la ville, en repositionnant le plus

durablement possible (au moins 20 ans) le siège d’exploitation dans un espace cohérent avec

son lieu d’activité.

Constituer un outil intéressant qui permette d’enrichir le débat dans les rapports ville-

campagne. Le Hameau Agricole est aussi un lieu de vie et une vitrine de la prise en compte de la

problématique agricole par l’ensemble des instituons locales et décideurs publics. Ré-étalonner

les différentes représentations est donc indispensable pour une conception partagée.

3.1.2. Les contours institutionnels et techniques du projet

La maîtrise d’ouvrage de ces projets pourrait être communale, intercommunale ou déléguée à un

opérateur comme la SAFER ou une société d’aménagement. Comme il n’a pas encore

d’applications connues dans le monde agricole, le projet de Hameau Agricole est complexe à mettre

en œuvre, notamment sur le plan juridique (annexe 5). En tout état de cause, la sécurité juridique du

projet est particulièrement recherchée afin de limiter au maximum le risque de détournement du

projet des seules finalités agricoles. Donner une souplesse dans la constructibilité en zone agricole

doit impérativement s’accompagner des plus grandes précautions en matière de garantie d’usage. La

fiabilité juridique des montages des Hameaux Agricoles doit justement permettre de dissuader

certains agriculteurs trop pressés de réaliser une rente d’opportunité et d’encourager en même temps

les responsables politiques à prendre des positions fermes sans grande marge de négociation

ultérieure possible.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Nous avions souligné précédemment que l’évolution de la demande relative à l’espace rural était

relayée par les institutions locales et les politiques publiques agricoles (Micoud, 1997). C’est en

effet le cas ici. Les éléments de communication mais également les documents techniques de

travail21 font référence à « l’atteinte à l’intégrité des paysages, facteur d’attractivité et de

développement touristique, mais aussi support du cadre de vie recherché par les nouveaux

résidents ». Pour un même espace, visions agricole et urbaine se confrontent et de là construisent

des représentations communes. Le concept de Hameau Agricole est ainsi une des résultantes des

préoccupations de la planification urbaine.

Dès lors, pour définir les éléments cadre du projet, un Groupe de Travail Agriculture et Urbanisme

(GTAU) a été constitué avec le Conseil Général de l’Hérault, les services de l’Etat (DDAF, DDE),

la Chambre d’agriculture de l’Hérault, les syndicats agricoles majoritaires (FDSEA, CDJA) et

l’association des maires de France. Les Hameaux Agricoles suscitent donc l’intérêt des différents

responsables des collectivités, des administrations, mais également des organisations

professionnelles agricoles et des élus. Les élus seront ceux qui valideront en dernier les projets. La

maîtrise d’ouvrage leur revient, car les projets doivent être portés localement et politiquement pour

que les divers acteurs se les approprient suffisamment. Participant désormais activement aux débats

via l’association des maires de France, il pourrait alors être approprié d’en sensibiliser le plus grand

nombre dans les centres de formation des élus, surtout au vu de la décentralisation de nouvelles

compétences en zone périurbaine (les PAEN en premier lieu).

En somme, les Hameaux Agricoles offrent dans l’Hérault de formidables perspectives

opérationnelles à la planification urbaine (une souplesse supplémentaire, une réflexion élargie

devant également intégrer une vue globale et réaliste des contraintes agricoles et urbaines). Par

ailleurs, ce projet permet de lancer une nouvelle dynamique pour l’agriculture : outre le fait de

proposer une réponse au problème de la constructibilité en zone agricole, il apporte de nouveaux

moyens (aides à l’acquisition et à la viabilisation des parcelles) et des études pour réorienter si

besoin les productions et les stratégies agricoles. En outre, le projet de Hameau Agricole permet

d’engager une réflexion en termes de qualité architecturale vecteur d’image positive pour les

citadins et néo-ruraux ; l’acceptation de ce projet par ces derniers est aussi un enjeu fort pour les

21Citons le cahier des clauses techniques particulières du marché public relatif à l’expertise des montages juridiques desHameaux Agricoles. L’étude est sous maîtrise d’ouvrage du Conseil Général à la direction agriculture et développementrural, en coordination avec la DDAF de l’Hérault.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

décideurs. Les Hameaux Agricoles appellent donc à défendre et à affirmer un nouveau projet

agricole respectant dans le même temps les attentes citadines.

3.2. Les principales questions en suspens

3.2.1. Une compartimentation sociale renforcée ou un levier pertinent pour la vie

du territoire ? La logique de quartier constitutif d’un tout

Lors des premières réunions du groupe de travail, certains ont craint que le projet allait donner de

nouveaux « ghettos » ou « parcs à agriculteurs », déconnectés des réalités sociales et marginalisant

les exploitants. Le risque de compartimentation voire ségrégation sociale peut en effet exister, bien

que des formules similaires soient proposées depuis longtemps aux artisans. Ceci étant, le groupe de

travail a justement l’intérêt de réfléchir les Hameaux Agricoles comme une composante de l’espace

sous planification urbaine ; la légitimité de ce projet sollicitant des investissements publics passe

nécessairement par son intégration dans le projet urbain. C’est pourquoi la maturation du projet

s’est faite à la lumière des aspects lieu d’activité mais également lieu de vie. Cette double identité

fait des hameaux Agricoles des zones à enjeux spécifiques. Eléments nouveaux du paysage de la

planification urbaine, le seul exemple départemental qui se rapproche des Hameaux Agricoles est

celui du « quartier vigneron » de la ville de St Génies des Mourges. Ses objectifs sont également de

relocaliser les sièges d’exploitation, mais les modalités techniques diffèrent. Quoi qu’il en soit, sa

dénomination démontre son intégration au fonctionnement de la ville et son identité clairement

affirmée. Un déterminant fort de ce lien à la ville est sa position géographique qui permet la

mobilité la plus complète entre les lieux d’exploitation et à l’opposé le centre urbain. La capacité de

mobilité et le lien ville-campagne constituent donc des enjeux majeurs pour la réussite sociale des

Hameaux Agricoles.

V. Kaufmann et C. Jemelin (2004) précisent que « nous assistons à une multiplication des manières

de se déplacer dans le temps et l’espace, donc d’assurer la co-présence des êtres ou des acteurs ». Il

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

y a choix stratégique et distinction là où il n’y avait autrefois que la contrainte de la friction spatiale

(Chalas, 1997). Il en résulte alors une tension spatio-temporelle accrue des programmes d’activités

pour laquelle la mobilité devient un élément central. De la manière dont on programme la mobilité

et de l’ingéniosité des enchaînements retenus vont dépendre la qualité de vie (Flamm, 2004). Sans

aller plus loin dans ces considérations, nous pouvons souligner que si l’espace d’activité est rural,

les aspirations et le mode de vie des agriculteurs se calquent significativement sur ceux du milieu

urbain. En somme, un nouvel équilibre se dessine entre ancrage et mobilité résultant de l’adaptation

continuelle des groupes sociaux ; la multiplication des possibles introduit de la différenciation

(Kaufmann, Jemelin, 2004). Les exploitants doivent faire partie intégrante des ces évolutions

sociétales. Pour cela, les travaux des chercheurs permettent de décrire et d’analyser le potentiel de

mobilité dont un acteur dispose. V. Kaufmann et C. Jemelin proposent à ce titre la notion de

motilité : « la motilité peut être définie comme la manière dont un individu ou un groupe fait sien le

champ du possible en matière de mobilité et en fait usage pour développer des projets ». Les

questions que soulève cette notion intéressent ainsi particulièrement notre propos. La réflexion

autour de l’emplacement du Hameau Agricole est centrale et devra intégrer ces éléments. Le

CAUE22, consulté ponctuellement mais pouvant être associé aux études, permet de faire des

propositions allant dans ce sens. Ceci nous amène ainsi à considérer plus en détail l’insertion

territoriale des Hameaux Agricoles.

3.2.2. Une nouvelle forme d’insertion territoriale : de l’importance de la

médiation

Il nous a semblé incontournable de commencer le développement de cette partie à la lumière des

théorisations de l’activité humaine d’Hannah Arendt. Celle-ci décompose l’activité humaine en trois

grandes dimensions, dont l’une relève de la sphère publique (l’action publique) et deux autres de la

sphère privée (visant la satisfaction des nécessités de la vie matérielle) : le travail et l’œuvre. La

thèse qu’elle développe est que le monde du travail s’est autonomisé et a pris un rôle de premier

22CAUE : Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement. Association financée en partie et présidée par leConseil Général.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

plan dans nos sociétés, créant sa propre sphère, celle du « social ». Ainsi, le travail a été élevé au

rang d’activité publique.

En tout état de cause, ceci se vérifie en particulier pour l’agriculture. En effet, l’agriculture est

directement interrogée par la société civile qui souligne sa dimension publique dans les domaines

du paysage, de l’environnement, de sa cohérence avec les autres activités locales et avec l’image du

territoire. En somme, le domaine public relatif à l’agriculture est géré comme une extension de la

sphère privée correspondante ; au sein de cette sphère sociale, les relations et valeurs de type

communautaires prennent une importance croissante (Dubar, 2000).

Nous pouvons alors souligner deux conséquences significatives de l’affirmation d’une sphère

sociale s’identifiant au « monde professionnel agricole ». On assiste d’une part à l’émergence du

secteur du « développement agricole ». Des techniciens peuvent à présent pénétrer, apporter une

expertise ou contribuer à faire appliquer des plans de développement contraignants dans ce qui

relevait autrefois du domaine privé de l’agriculture. D’autre part, les médiations avec la société

passent par des institutions, des personnages et des lieux plus ou moins éloignés du niveau local

(Albaladejo, 2004).

La construction de cette sphère sociale prenant des attributs à la sphère privée et à la sphère

publique a donc conduit à légitimer un certain droit de regard des citoyens mais aussi des acteurs du

territoire sur le monde agricole. L’activité agricole est de plus en plus questionnée et régulée hors

de la sphère strictement professionnelle. Un projet de type Hameau Agricole au sein d’une

collectivité locale (commune ou EPCI) renvoie à différents champs qui le font ainsi examiner

d’emblée sur la place publique (urbanisme, usage juridique et statut du foncier, dimension publique

de l’agriculture). Ici, l’arbitrage politique et les décisions finales se font au niveau le plus local,

soulevant avec d’autant plus de force la question de l’insertion territoriale de l’agriculture. La

médiation entre l’activité agricole et le territoire est donc cruciale.

C. Albaladejo (2004) nous permet d’envisager quelques éléments de médiation, qui conditionnera

indubitablement la réussite du projet. Le projet de Hameau Agricole propose de relocaliser des

sièges d’exploitation en sollicitant fortement les décideurs publics. Le principal objet de ce concept

est de constituer un ensemble cohérent de sièges d’exploitation, comprenant donc une part de

logement. Or on peut montrer que la résidence contribue fortement aux modalités de médiation de

ces agriculteurs avec leur entourage et même avec la société globale. Dans le contexte qui se

dessine actuellement, l’agriculture en déclin démographique et économique doit impérativement

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

trouver une forme d’intégration sociale à l’entourage immédiat. Le mal être d’un nombre

significatif d’agriculteurs en est un témoin, tout comme l’incompréhension d’une part importante de

l’opinion publique. Ainsi, dans le projet qui nous occupe, « l’habiter est l’expression d’un talent

personnel », qui permet ainsi la construction des individualités. C’est une « pratique reliante qui à la

fois augmente, personnalise et donne à voir la sociabilité de l’individu ». A nouveau, elle contribue

à ce que le privé investisse le domaine public. La vente à domicile, les tables et chambres d’hôtes

ou les visites des écoles (bien qu’épisodiques) facilitent les interactions avec l’entourage. Les liens

avec d’autres corps de métier peuvent être recherchés. De multiples formes d’interactions et de

partenariats peuvent être imaginées, mais ce qui importe est la reconnaissance des exploitants dans

un réseau singulier et valorisant. En somme, la médiation doit pouvoir permettre au territoire de

renouer les liens sociaux entre les diverses composantes d’un territoire et un domaine d’activité

particulièrement questionné sur ses attributs publics mais aussi privés. C’est la compréhension de

l’interpénétration de ces deux sphères qui conditionnera le succès de l’indispensable médiation.

3.2.3. L’enjeu de la constitution d’une espace public adjoint au Hameau Agricole

L’espace public auquel nous nous référons est défini comme « un des espaces possibles de la

pratique sociale des individus, caractérisé par son statut public » (Levy, Lussault, 2003). Ainsi, ce

qui nous importe dans ce débat est certes le binôme public/privé qui privilégie une approche en

termes de légitimité juridique, politique et institutionnelle différenciant pratiques et usages, mais

aussi le binôme individuel/social, dans le sens d’édification de normes sociales, de codification des

pratiques et des modes de relations possibles à l’intérieur d’un groupe. Nous ne prétendons pas

engager une réflexion approfondie sur ces sujets, mais nous souhaitons relever certains points qui

constitueront quelques pierres angulaires de notre réflexion d’ensemble. L’espace public tel que

nous l’envisageons dans le projet de Hameau agricole constitue en effet un élément de discussion

intéressant autour d’une conception socio-spatiale (Bonerandi, Houssay-Holzschuch, 2004) : le

public a une « fonction régulatrice » des rapports entre espaces, sociétés, et territoires. Par ailleurs,

dans sa fonction sociétale et à travers une approche individuelle et collective, la notion de public

permet de concevoir l’image que les sociétés se font d’elles-mêmes. De là, cette réflexion s’intègre

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

tout à fait dans la recherche de sens qu’a le projet de Hameau Agricole au sein d’un projet plus

large à l’échelle d’une collectivité locale où la question des liens urbain-rural est centrale.

Un espace public ne se décrète pas, il se pratique. En effet, un enjeu fort des hameaux agricoles est

de réconcilier deux corps sociaux : les néo-ruraux aux pratiques citadines où très fortement

imprégnées, et les ruraux historiquement présents, portant la mémoire des lieux et vecteurs des

pratiques propres au monde rural et celles qui trouvent racines dans les spécificités locales.

Dès lors, le terme « espace public » utilisé ici ne doit pas être simplement ramené à son usage

juridique et urbanistique. Il démontre ici le souci d’offrir un terrain propice aux différents usages et

pratiques qui détermineront la publicité de cet espace. Ce lieu public ne reposera donc pas

seulement sur son seul statut foncier. Bien sûr, cette entreprise est ambitieuse, mais nous pouvons

raisonnablement supposer que le public naît aussi de la somme des pratiques individuelles. Par là, il

peut refléter l’appropriation de cet espace par des groupes qui ne se côtoyaient que sporadiquement.

On peut ainsi imaginer une construction progressive de normes et valeurs propres à une société

alliant caractéristiques rurales et les urbaines. La notion de public permet donc de s’attacher à ce qui

fait ou non société, ce qui construit le lien social. Penser de la sorte cet espace encourage à

examiner une éventuelle cohérence d’ensemble, plutôt que de chercher à résoudre les conflits

d’usage en maintenant analytiquement les groupes sociaux séparés. Ici, l’originalité réside en partie

dans l’incitation aux relations entre individus de statuts sociaux différents pour ensuite envisager

des relations entre groupes.

Intéressons nous maintenant aux modes de participation possibles. L’élaboration du projet de

Hameau Agricole, et en particulier de l’espace public attenant, peut compter sur un régime électif et

sur un mode consultatif, voire participatif. En effet, le projet est ici porté par les élus locaux et les

acteurs, mais finalement soumis à l’arbitrage des élus, et donc, du suffrage universel. Nous

préfigurons alors que la notion de public encourage à repenser les dimensions politiques des

rapports espaces / sociétés. Dans cette optique, le politique est une des expressions du public. Enfin,

le zonage des Hameaux Agricoles se fait après enquête publique, lors des révisions de POS ou de

PLU. Les citoyens sont ainsi consultés, et les réunions publiques peuvent être aussi l’opportunité de

faire participer certains groupes, mais également d’accorder des conceptions divergentes.

En somme, l’espace public que nous envisageons peut véritablement constituer un croisement entre

espace / politique / société, au sens de Bonerandi et Houssay-Holzschuch (2004).

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Conclusion d’étape

Le concept de Hameau Agricole tel que défini dans l’Hérault donne des opportunités

particulièrement intéressantes pour la planification urbaine. Répondant d’abord à des

préoccupations strictement agricoles, la réflexion concertée au sein d’un groupe de travail pluriel a

permis de construire un outil satisfaisant aussi les représentations citadines. Dans ces territoires sous

influence urbaine, l’action publique vise certes à insuffler une nouvelle dynamique à l’agriculture,

mais plus largement à concilier deux sphères dans un territoire sous planification urbaine.

Comme le lien à la ville est central ici, le Hameau Agricole a aussi l’intérêt de pouvoir se révéler

comme un lieu de médiation. De plus, la constitution d’un espace public attenant permettrait d’aller

plus loin à ce niveau en offrant un terrain d’apprentissage et de construction d’une forme de capital

social dans des territoires soucieux des rapports ville/campagne.

En définitive, les Hameaux Agricoles témoignent des processus d’innovation à l’œuvre pour des

problématiques qui peuvent se poser dans l’ensemble de l’espace rural ; la question de la

constructibilité en zone agricole, et plus largement du repositionnement de l’activité agricole est

abordée avec les différentes parties prenantes de la planification urbaine, certaines intervenant

également à des échelles plus étendues. En cela, de telles initiatives constituent des bases de

réflexion centrales pour appréhender le devenir des territoires marqués différemment par leur degré

de relation à la ville.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Conclusion

Le lien à la ville se vit partout dans l’espace rural, même s’il se manifeste à différents degrés. Le

mode de vie urbain et les représentations citadines diffusent en particulier très largement. Le

paysage institutionnel en est fortement imprégné et modèle les contours de l’action publique. Notre

posture a été de montrer que la ville poussait alors l’agriculture à se renouveler pour mieux

s’intégrer dans son territoire en recomposition.

Dans les territoires périurbains, une prise de recul est actuellement obligatoire et en même temps

imposée par la force de la pression urbaine, autant symbolique que spatiale. Ceci étant, la difficulté

de borner l’espace périurbain pose la question de ses limites. Celles-ci sont d’autant plus floues que

les éléments pointés dans le présent écrit pour les espaces où la pression urbaine est la plus forte se

révèlent également être déterminants dans les espaces ruraux les plus isolés. L’exemple des

Hameaux Agricoles démontre à son niveau la possibilité et la nécessité d’envisager un modèle

pouvant diffuser spatialement. Les différentes échelles d’intervention des acteurs participant aux

réflexions pourraient garantir ces approches.

En tout état de cause, l’emprise territoriale de l’agriculture dépend de la qualité de ses liens avec la

ville. Dans ce contexte, la co-production de biens publics participant au mouvement d’urbanisation

est un gage d’intérêt des citadins envers l’agriculture. Par ailleurs, l’intensité de la consommation

d’espace est telle (deux fois plus qu’en Allemagne à développement équivalent23) que certains

responsables politiques et professionnels souhaitent lancer le débat de la maîtrise foncière. Il s’agit

entre autres de réguler les forces en présence afin de préserver le foncier agricole et forestier des

changements d’usage irréversibles. En effet, la spéculation à des fins résidentielles ou économiques

peut constituer le coup fatal porté à une agriculture en difficulté voire en déclin. Dès lors, affirmer

un projet agricole s’intégrant pleinement à un projet urbain englobant est urgent. Ceci passe

nécessairement par une révision des modes de planification urbaine.

Du fait de sa différenciation spatiale, l’interaction entre l’agriculture et son environnement au sens

large devra être envisagée localement. Les échelons planificateurs, qui apparaissent comme les

agglomérations ou plus généralement les collectivités locales, auront la lourde tâche de repenser les

diverses complémentarités urbain-rural, démontrant ainsi que la ville peut sauver l’agriculture. Sans

23Rapport du Conseil Economique et Social, 2005. La maîtrise foncière : clé du développement rural . Rapport présentépar J-P Boisson au nom de la section de l’agriculture et de l’alimentation. Paris, le 30 Mars 2005.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

cela, au delà du patrimoine culturel et naturel perdu, ce sera l’altération du cadre de vie qui sera en

jeu. Ceci est justement un point crucial pour un nombre croissant de territoires tirant la majeure

partie de leur attractivité dans la qualité de vie qu’ils offrent. Sont concernés entre autres les

ménages qui viennent renforcer la population active en place, les retraités qui apportent un certain

pouvoir d’achat, et de fait, les entreprises (qui peuvent également y trouver un gain en termes

d’image). Dès lors, un défaut de planification urbaine pourrait ainsi remettre en cause la santé

économique du territoire en compromettant celle de l’agriculture. Ainsi, l’agriculture peut en retour

sauver la ville. En effet, on peut avancer que la ville est aussi en danger car elle se déshumanise et

se répand de manière anarchique ; certains citoyens s’y reconnaissent peu et cherchent à la fuir.

L’agriculture, tout autant dans sa fonction productive que par ses aménités peut redonner du sens à

l’espace ; dans un contexte de forte pression urbaine, l’exemple des Pays-Bas montre que l’espace

rural peut permettre de structurer la ville et contribuer fortement aux politiques urbaines. Combiner

les exigences des mondes agricole et urbain constitue donc un enjeu majeur à court terme.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Perspectives -

Eléments de discussion

Notre propos prend ainsi part aux questionnements des rapports ville-agriculture, qui se référent

eux-mêmes aux grands débats lancés sur l’avenir des espaces ruraux français. A ce titre, une étude

prospective vient d’être menée par la DATAR24 à l’horizon 2020. Il est particulièrement intéressant

de mentionner les variables d’inflexion qu’ont relevées les auteurs :

• Essor des fonctions résidentielles des campagnes et attractivité croissante du cadre de vie ;

• Activités à la croisée des chemins entre une agriculture tributaire des décisions européennes

et une politique de localisation industrielle en évolution ;

• Importance grandissante accordée aux aspects environnementaux.

L’étude des différentes ruptures possibles et de leurs conséquences donne lieu à la sélection de 4

scénarii. Retenons ici que le scénario tendanciel est celui de la « campagne résidentielle

généralisée », reposant sur les préférences individuelles, en particulier celles pour « le mode de vie

périurbain » (Perrier-Cornet, 2004). Ce dernier conforte notre posture considérant l’espace

périurbain comme révélateur de certains déterminants qui vont échoir à l’agriculture toute entière.

En particulier, l’acuité de la pression foncière et le niveau de planification des documents

d’urbanisme serait comparable dans l’ensemble de cette campagne et ne définiraient ainsi plus en

propre les contraintes de l’agriculture périurbaine. Ceci étant, considérer l’espace périurbain comme

un flot avancé révélateur relève d’un débat non clos et non retranscrit ici, mais qui demanderait de

plus amples approfondissements.

Par ailleurs, un des aboutissements de cet écrit est d’envisager le territoire comme une mosaïque

d’espaces mis en inter-relation et en synergie. Cette perspective, qui fait actuellement l’objet de

recherches, mérite d’être étayé. La différenciation spatiale de la multifonctionnalité nous a permis

de dégager certaines pistes, mais il faudrait certainement explorer aussi les champs ouverts par

l’écologie des paysages, notamment afin de mieux appréhender le fonctionnement des agrégats

identifiés.

24Perrier-Cornet P., 2004, Dynamiques et prospective des espaces ruraux français à l’horizon 2020. Etude conduite pourla DATAR, à paraître.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Enfin, la question du phasage des débats traitant des relations ville/agriculture et de leur prise en

compte doit être posée. En effet, il est assez pressant que le monde agricole saisisse l’opportunité de

faire entendre sa voix dans le contexte actuel. En effet, si les acteurs de territoire commencent à se

saisir de la question et à intégrer ses approches, qu’en est-il de l’opinion publique et de son

évolution à court terme ? Le contexte politique de l’UE laisse aussi supposer une perte significative

d’influence des lobbys agricoles qui se confirmerait lors de la prochaine programmation (2007-

2013). Ainsi, les rapports d’influence pourraient notablement évoluer en défaveur de l’agriculture

« conventionnelle » à très court terme. Mais il faudrait être vigilant à ce que les autres modèles

agricoles puissent émerger à temps, que les différentes parties s’entendent avant que cette perte

d’influence n’entraîne dans le sillage du modèle actuel d’agriculture l’ensemble des revendications

agricoles légitimes. Les différents acteurs du territoire ont donc un calendrier serré pour montrer

que la ville peut sauver l’agriculture.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

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Rapport du Conseil Economique et Social, 2005, La maîtrise foncière : clé du développement rural.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Annexes

Annexe 1 : Périmètres de protection et d'Aménagement des Espaces agricoles et Naturels

périurbains (PAEN) ; Fondements de la politique Départementale

Annexe 2 : Périmètres de protection et d'Aménagement des Espaces agricoles et Naturels

périurbains (PAEN) ; Modalités d’acquisition des biens

Annexe 3 : Périmètres de protection et d'Aménagement des Espaces agricoles et Naturels

périurbains (PAEN) ; Les Communes, interlocuteurs incontournables

Annexe 4 : Le zonage en aires urbaines et son complément rural

Annexe 5 : Montage technique et juridique des Hameaux Agricoles

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Périmètres de protection et d'Aménagement des Espaces

agricoles et Naturels périurbains (PAEN)

Annexe 1 : Fondements de la politique Départementale

Thème abordé Référencesjuridiques

Commentaires

Compétencesnouvelles duDépartement

Rétablissementdes articlesL. 143-1,L. 143-2 ,L. 143-6du code del’urbanisme

1/ Le Département délimite des « périmètresd'intervention » en accord avec la ou les Communesconcernées ou les établissements publics compétents enmatière de plan local d'urbanisme, après avis de lachambre Départementale d'agriculture et enquêtepublique.

Ces Périmètres de protection et d'Aménagementdes Espaces agricoles et Naturels périurbains(PAEN) :- sont tenus à la disposition du public ;- doivent être compatibles avec le SCOT ;- ne peuvent inclure des terrains situés dans unezone urbaine ou à urbaniser délimitée par un PLU,dans un secteur constructible délimité par unecarte communale ou dans un périmètre(provisoire) de zone d'aménagement différé.

2/ Le Département élabore, en accord avec lesCommunes ou établissements publics, un programmed'action i qui précise les aménagements et orientationsde gestion destinés à favoriser l'exploitation agricole, lagestion forestière, la préservation et la valorisation desespaces naturels au sein du périmètre ii.En outre, lorsque ce périmètre d’intervention inclut unepartie du territoire d'un parc naturel régional, leprogramme d'action doit être compatible avec la chartedu parc.

Modification du PAENet du programmed’action s’yrapportant

Rétablissementdes articlesL. 143-4 etL. 143-5du code del’urbanisme

Les modifications du PAEN peuvent être apportéespar le Département avec l’accord des seules Communesconcernées et après avis de la chambre Départementaled’agricultureiii. Toutefois, « toute modification ayant poureffet de retirer un ou plusieurs terrains » doit êtreapprouvée par décret.

La modification du programme d'action sera quant àelle possible avec l'accord des seules Communesintéressées par la modification.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Périmètres de protection et d'Aménagement des Espaces

agricoles et Naturels périurbains (PAEN)

Annexe 22 : Modalités d’acquisition des biens

Thème abordé Référencesjuridiques

Commentaires

Conditionsd’acquisition desbiens

Rétablissementdes articlesL. 143-2 etL. 143-3du code del’urbanisme,Modification del’article L. 143-2 du code rural

Le Département ou, avec son accord, une autrecollectivité territoriale (Commune ou Région) ouun EPCI, pourra acquérir des terrains selon 3 voiesdistinctes :-Accords à l’amiable-Expropriation-Préemption, qui s’appuie sur 2 droits existants :

o zones de préemption des espaces naturelssensibles

o droit de préemption dévolu aux SAFER

La Loi étoffe les conditions de préemption en instaurantl’objectif 9° de l’art. L.143-2 du code rural, visant « laprotection et la mise en valeur des espaces agricoles etnaturels périurbains »iv.

Contour de l’actiondes SAFER,des établissementspublicsd'aménagementet des établissementspublics foncierslocaux

Modificationdes articlesL. 143-2,L. 143-3,L. 143-7-1,L. 321-1,L. 324-1du code del’urbanisme

A l’intérieur des périmètres délimités, la SAFER ne peutagir qu'à la demande et au nom du Département. Elledoit informer le Département de toutes les intentionsd'aliéner. En l'absence de SAFER compétente, s'il n'a pasdonné mandat à un établissement public, leDépartement exerce lui-même le droit de préemptionprévu par le 9° de l'article L. 143-2. Ceci étant, lorsqu’ildécide de ne pas faire usage de ce droit, la SAFER peutexercer son droit de préemption en fonction desobjectifs qu'elle poursuit habituellement.

Les établissements publics d'aménagement et lesétablissements publics fonciers locaux sontcompétents, à l'intérieur des périmètres d'intervention,pour procéder aux acquisitions foncières nécessaires à laprotection d'espaces agricoles et naturels périurbains. Lecas échéant, ces derniers exercent, à la demande et aunom du Département, le droit de préemption desespaces naturels sensibles ou, en dehors de ces zones,celui prévu par le 9° de l'article L. 143-2 du code rural.

Modalités depréfinancement desacquisitions

Modification del’article L. 143-7-1 du code del’urbanisme

Les modalités de préfinancement des acquisitionsréalisées au titre du droit de préemption font l’objetd’une convention passée entre le Département et laSAFER.

Jouissance des biensacquis

Modification del’article L. 143-3 du code del’urbanisme

Les biens sont intégrés dans le domaine privé de lacollectivité ou de l'établissement qui les a acquis, etdoivent être utilisés en vue de la réalisation des objectifsdéfinis par le programme d'action.Les terrains peuvent faire l’objet de baux ruraux ou êtrecédés de gré à gré. Toutefois, un cahier des charges,annexé à la convention de gestion ou à l’acte de vente,doit traduire les objectifs du programme d’actionv.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Périmètres de protection et d'Aménagement des Espaces

agricoles et Naturels périurbains (PAEN)

Annexe 33 : Les Communes, interlocuteurs incontournables

Thème abordé Référencesjuridiques

Commentaires

Délimitation desPAEN par leDépartement

Rétablissementdes articlesL. 143-1 etL. 143-2du code del’urbanisme

Les Communes disposent d'un droit de veto sur ladélimitation d'un PAEN les concernant et sur leprogramme d’action, contrairement à la procédureexistante pour les espaces naturels sensibles, pourlesquels le Département peut créer des zones depréemption avec l'accord du seul préfet (donc, à défautde l’accord des communes si la situation se présente).

Notes explicatives

ii La Loi rurale reste silencieuse sur l’autorité juridique du programme, notamment quant à sonopposabilité directe aux administrés. Le décret d’application devrait préciser ce point.

ii Les terrains acquis par la collectivité territoriale sont intégrés dans son domaine privé ; ilspeuvent donc être loués à des exploitants. Le bail est soumis au statut du fermage, un cahier descharges annexé à l’acte de location prescrit le programme d’actions que les exploitants devrontrespecter (C. urb, art. L.143-3).

iii En deuxième lecture, l’Assemblée Nationale souhaitait que le retrait de terrains d’un PAEN sefasse en vertu d’un décret simple (initialement, elle avait privilégié un décret en Conseil d’Etat),alors que le Sénat n’a longtemps envisagé qu’une délibération du Conseil général, précédée d'unavis simple de l'organe délibérant de la Commune concernée et de l'EPCI en charge du SCOT.

iv Ce droit de préemption s'étend à tout terrain, bâti ou non bâti, ou ensemble de droits sociauxdonnant vocation à l'attribution en propriété ou en jouissance de terrains qui fait l'objet d'unealiénation à titre onéreux sous quelque forme que ce soit et qui n'est pas soumis au droit depréemption des espaces naturels sensibles. Il a donc une portée large, et inclut notammentcertains éléments exclus du droit de préemption des SAFER : les aliénations moyennant renteviagère servie pour totalité ou pour l'essentiel sous forme de prestations de services personnels etles acquisitions de terrains destinées à la construction, aux aménagements industriels ou àl'extraction de substances minérales, à la constitution ou à la préservation de jardins familiauxcompris à l'intérieur d'agglomérations, à condition que leur superficie n'excède pas 1 500 mètrescarrés, ou situés dans une zone affectée à cette fin soit par un document d'urbanisme opposableaux tiers, soit par une décision de l'organe délibérant d'une collectivité publique (2° et 5° del'article L. 143-4 du code rural). Par ailleurs, ce droit peut être exercé pour l'acquisition d'unefraction d'une unité foncière comprise dans les périmètres d'intervention.

v La résolution du contrat ou de la cession est prévue dans l’hypothèse où le nouveaupropriétaire ne respecterait pas les obligations prescrites par le cahier des charges. Le décret doitpréciser ce dispositif.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Annexe 4 : Le zonage en aires urbaines et son complément rural

Le zonage en aires urbaines (ZAU) est une nomenclature spatiale construite à partir des effectifs

d’emplois et des déplacements domicile-travail. Il distingue l’espace à dominante urbaine de

l’espace à dominante rurale.

L’espace à dominante urbaine (EDU) est constitué de 354 aires urbaines et de communes

multipolarisées. Chaque aire urbaine est formée d’un pôle urbain (agglomération comptant au

moins 5 000 emplois en 1999) et, le cas échéant, d’un ensemble de communes appelées

« couronne périurbaine ». Les communes périurbaines comptent au moins 40% d’actifs résidents et

migrants alternants qui travaillent dans l’aire urbaine. La plupart des communes périurbaines sont

des communes rurales au sens traditionnel (moins de 2 000 habitants agglomérés) et la densité

des couronnes périurbaines est faible (68 hab/km² en 1999 contre 812 pour les pôles urbains).

L’espace à dominante rurale (EDR) est défini comme le complément de l’espace à dominante

urbaine. Il est composé de 525 aires d’emploi de l’espace rural et d’un ensemble de communes

appelé « autres communes de l’espace à dominante rurale ». Chaque aire d’emploi de l’espace

rural est formée d’un pôle d’emploi (petite ville comptant au moins 1 500 emplois en 1999) et, le

cas échéant, d’un ensemble de communes appelé « couronne d’un pôle d’emploi de l’espace

rural », dont au moins 40% des actifs résidents sont migrants alternants et travaillent dans l’aire

d’emploi.

Pour mieux caractériser les espaces ruraux, les chercheurs de l’INRA différencient les « autres

communes de l’espace à dominante rurale » en deux sous-ensembles : le rural sous faible

influence urbaine (dont au moins 20% des actifs résidents sont migrants alternants vers une aire

urbaine) et le rural isolé (le solde).

Source : P. Perrier-Cornet, 2004, L’avenir des espaces ruraux français. In Futuribles n°299–juillet-août 2004.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Annexe 5 : Montage technique et juridique des Hameaux Agricoles

Un zonage spécifique permettant l’intégration du Hameau Agricole aux documents

d’urbanisme :

Elément fort des planifications urbaines à venir, le projet de Hameau Agricole doit se traduire dans

les documents d’urbanisme. Pour ce faire, les maires auront recours à une zone A indicée du PLU,

adjointe d’un règlement spécifique (construction d’habitation et de bâtiments d’exploitation ou

bâtiments seuls, critères permettant de retenir les exploitants, principes architecturaux, règles de

fonctionnements et équipements communs…). Sur cet espace délimité, une Zone d’Aménagement

Concerté ou une Zone de Protection Agricole peuvent être créées afin de verrouiller l’usage

agricole. Dès la sortie des décrets relatifs aux PAEN, on pourra également envisager ce type de

périmètre. Ceci étant, il est nécessaire de border le plus possible le montage juridique des

Hameaux Agricoles, en particulier lors de la transmission des lots de la collectivité vers les

exploitants.

Un montage juridique original mais nécessaire : le démembrement de la propriété

Lors des débats, les représentants des petites communes rurales ne souhaitaient pas porter le

projet au-delà de l’acquisition du foncier. La gestion des lots requière en effet des moyens humains

et financiers significatifs dont elles ne disposent pas toutes. Ainsi, leur rôle se limite à l’achat d’une

unité foncière et à son découpage en lots. La viabilisation se fait avec l’appui technique et financier

du Conseil Général. Aucun équipement individuel n’est installé. Les collectivités peuvent à ce

niveau réserver des emplacements pour des équipements collectifs. Par ailleurs, l’acceptation du

projet par les agriculteurs n’était possible que s’ils étaient propriétaires des parcelles du Hameau

Agricole et réalisaient eux-mêmes les aménagements nécessaires. Cette composante est à prendre

en compte avec la plus grande attention. Des logements de fonctions sur le mode des ateliers

relais attribués aux artisans furent immédiatement exclus. La dimension patrimoniale fut

essentielle dans les débats. Comme il ne s’agissait pas de permettre à certaines stratégies

individuelles de réaliser à très court terme une rente d’opportunité en revendant le lot, plusieurs

options juridiques ont été étudiées. Les services juridiques du Conseil général ont en particulier

examiné les points suivants :

? La vente à réméré ;

? Le pacte de préférence ;

? La vente sous condition résolutoire ;

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

? Le bail emphytéotique ;

? Le règlement d’une ZAC ;

? Le bail emphytéotique administratif ;

Aucune ne permettait de couvrir des contentieux, notamment dus à la spécificité du domaine

agricole (conditions d’exploitation, constructibilité…). L’idée du démembrement de la propriété a

donc été particulièrement étudiée. P. Goni, président de l’Association Française de Droit Rural

prépare actuellement le montage. Ici, la collectivité (commune ou EPCI) propriétaire des parcelles,

vend la nu–propriété aux agriculteurs attributaires (suivant les barèmes en vigueur disponibles

dans les études notariales) et conserve l’usufruit. Dans le même temps, la collectivité loue sous

forme de bail à ferme (soumis au statut d’ordre public des baux ruraux–Article L 411-1 et suivants

du Code Rural) les parcelles aux attributaires qui deviennent fermiers (preneurs). Le statut de

fermage borne alors l’utilisation des biens fonciers agricoles. Ainsi, l’agriculteur attributaire

bénéficie d’un double statut juridique : il est nu-propriétaire du lot vendu par la collectivité et

fermier. A l’issue de la période conventionnelle d’usufruit (fixée au maximum à trente ans)

l’agriculteur n’est plus seulement nu-propriétaire mais retrouve la plénitude des droits de propriété

sans qu’aucune formalité ne soit nécessaire.

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Comment la ville peut sauver l’agriculture

Comment la ville peut sauver l’agriculture

Dans un contexte d’étalement urbain croissant, la question de l’occupation del’espace et des attentes qui s’y rattachent doit nécessairement se poser. En effet,la dynamique d’agglomération actuelle change considérablement etirrémédiablement les fonctions que l’on attribuait auparavant aux espacesprogressivement conquis par l’urbanisation. De fait, les premiers symptômes decette rectification de destination sont la mutation des paysages, directementfaçonnés par l’usage des sols. A travers ces évolutions, ce sont en réalité lesactivités humaines, prises au sens le plus global du terme, qui en sont affectées,au premier rang desquelles se trouvent l’agriculture et la forêt.

Ceci étant, est-il si indiscutable que la ville menace nécessairement l’agriculture ?Pour nous, les principaux ingrédients sont aujourd’hui réunis pour instaurer undialogue sur la base d’une prise en compte réciproque des intérêts agricoles eturbains. Il s’agit ainsi de dépasser cette opposition binaire, et avec elle le rapportde force qui se centre basiquement sur les droits de propriété. Formaliser voireredéfinir les nouvelles transactions sociales à l’œuvre est tout à fait réalisable, etce d’autant plus que les concepts de multifonctionnalité de l’agriculture et dedéveloppement durable diffusent. De là, les représentations citadinesconstitueraient une nouvelle source d’opportunités. Le projet agricole pourraitalors s’y appuyer pour reconquérir la légitimité territoriale de l’agriculture.D’autre part, productrice de territoire, l’agriculture pourrait s’affirmer aussicomme infrastructure économique. Dès lors, la dimension spatiale de soncaractère multifonctionnel nous amène à repenser les complémentarités urbain-rural. L’espace rural n’est pas seulement compartimenté mais s’analyse pluscomme une mosaïque de territoires d’enjeux. Les ponts avec le monde urbainsont donc à rechercher et à débattre à plusieurs échelles selon les entitésspatiales considérées. Ceci conditionnera la réussite d’un projet urbain englobant.

En tout état de cause, l’avenir de l’agriculture passe par la valorisation de sesliens avec la ville. Le concept de Hameau Agricole témoigne de la dynamiquenouvelle insufflée à l’agriculture par la ville. Il démontre à son niveau lapossibilité et la nécessité d’envisager un modèle pouvant diffuser spatialement.Les différentes échelles d’intervention des acteurs participant aux réflexionspourraient garantir ces approches. En somme, l’influence de la ville est tellequ’elle pousse l’agriculture à se renouveler pour mieux s’intégrer dans sonterritoire en recomposition. C’est en cela que la ville sauve l’agriculture.