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Tic 2025 les grandes mutations - Comment internet et les Technologies de l'information et de la communication vont dessiner les prochaines années

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25 experts internationaux prennent position sur les changements liés à l’innovation.La première décennie du XXIe siècle a permis de prendre la mesure de la diffusion des outils numériques et de leurs usages dans notre vie quotidienne. Les périphériques d’accès au réseau se multiplient pour toutes les générations, et l’internet sort de plus en plus de sa sphère d’origine.Aujourd’hui, chaque modèle d’innovation, chaque développement de nouveaux usages, nécessite une réflexion approfondie sur les impacts qu’il va produire durant la prochaine décennie, au niveau individuel et collectif.Cet ouvrage donne la parole à 25 acteurs majeurs des nouvelles technologies, de réputation mondiale, qui expliquent clairement leur stratégie d’innovation pour les prochaines années dans des domaines essentiels : nouveaux rapports au travail, à la mobilité, au territoire, sociabilité, identité, biens culturels, économie de l’immatériel, communication, loisirs, droit, santé, éducation, égalité des chances, développement durable, etc.C’est une véritable avant-garde des usages à venir, une invitation à l’inventivité, qui donne au lecteur des clés et des savoirs pour stimuler et encourager les capacités d’innovation des hommes et des sociétés.Avec la participation de :Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétariat d’État chargé de la Prospective et du Développement de l’économie numérique ; Daniel Kaplan, Fing ; Jean-Louis Missika, mairie de Paris ; Danah Boyd, Microsoft Research ; Divina Frau-Meigs, Sorbonne; Yannick Lejeune, IONIS Education Group ; Bernard Ourghanlian, Microsoft ; Joi Ito, Creative Commons ; Cedric Tournay, Dailymotion ; Emmanuel Darras, Ankama ; Rafi Haladjian, Sen.se ; Freddy Mini, Netvibes ; Mehdi Tayoubi, Dassault Systèmes ; Jean-Michel Planche, Witbe ; Jean Mounet, Syntec ; Yseulys Costes, 1000mercis ; Nicolas Bordas, TBWA ; Steve Rubel, Edelman ; Timothy Ferriss, écrivain ; Henri Verdier, Cap Digital ; Bruno Carrias, Medef ; Esther Dyson, 23andMe ; Katherine Prince, KnowledgeWorks ; Jean-Christophe Capelli, FriendsClear ; Jean-Michel Billaut, Atelier BNP-Paribas.

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Le XXIe siècle est celui des révolu-tions technologiques permanentes.Moteur de ces bouleversements :l’informatique. Pour concevoir,

développer, faire progresser, il fallait des femmes etdes hommes qui maîtrisent les fondamentaux dumétier d’ingénieur et une forte connaissance de l’in-formatique avancée. C’était la vocation de l’EPITAlorsqu’elle fut créée voilà 25 ans. C’est toujours sonambition aujourd’hui : être l’école qui forme celles etceux qui inventent notre futur.

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Copyright © 2010 FYP Éditions

Copyright © 2010 EPITA

Le Code de propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

www.epita.fr

Ouvrage réalisé sous la direction de Yannick Lejeune

Avec la collaborationde Mathias Bocabeille et William Rejault.

Les textes de Danah Boyd, Esther Dyson, Joi Ito, Steve Rubel et Timothy Ferriss ont été traduits par Suncana Kuljis, Marianne Eskenazi,

Mathias Bocabeille et Yannick Lejeune.

f pyéditions

Un ouvrage de la collection Innovationwww.fypeditions.com

Révision : Séverine DavidCouverture : F. Elkaïm

Photogravure : IGSCe livre a été imprimé sur les presses de l’imprimerie Chirat.

© 2010, FYP Éditions, FranceISBN : 978-2-916571-41-6

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f pyéditions

Sous la direction de

Yannick Lejeune

Collection Innovation

les grandesTiC2025

mutationsComment internet et les technologies de l’information et de la communication vont dessiner les prochaines années

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Jean-Michel Billaut 195Président d’honneur de l’Atelier BNP-Paribas.

Nicolas Bordas 115Président de TBWA\France, et de l’Association des agences-conseils encommunication, enseignant à Sciences Po et chroniqueur à La Tribune.

Danah Boyd 26Chercheuse au sein de Microsoft Research New England, et à Harvard.

Jean-Christophe Capelli 138Dirigeant de FriendsClear et cofondateur du BarCampBank, un cercle de réflexion sur l’apparition d’innovations et de nouveaux business models dans le monde de la banque et de la finance.

Bruno Carrias 143Directeur des affaires sociales du groupe Capgemini et membre de laCommission recherche, innovation et nouvelles technologies du Medef.

Yseulys Costes 110P-DG et fondatrice de 1000mercis, enseignante et chercheuse.

Emmanuel Darras 74Cofondateur et directeur commercial et financier d’Ankama.

Esther Dyson 189Investisseuse, membre du Personal Genome Project de George Church et du conseil d’administration de 23andMe, auteur et journaliste.

Timothy Ferriss 151Entrepreneur et business angel, auteur de La Semaine de 4 heures, intervenant pour Google, le MIT, PayPal, Facebook, la CIA, Microsoft, les universités de Princeton, Harvard et Stanford.

Divina Frau-Meigs 172Professeur à la Sorbonne nouvelle, experte internationale sur la réglementation des TIC et sur l’éducation aux médias à la Commission européenne et à l’Unesco.

Rafi Haladjian 80Entrepreneur, créateur de Sen.se, de Violet et d’Ozone.

Joi Ito 50Capital-risqueur, entrepreneur, P-DG de Creative Commons et membre du board de diverses organisations, dont la fondation Mozilla.

25 contributeurs

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Daniel Kaplan 18Délégué général de la Fondation internet nouvelle génération (Fing).

Nathalie Kosciusko-Morizet 164Secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique auprès du Premier ministre, maire de Longjumeau,conseillère régionale d’Île-de-France.

Yannick Lejeune 12Directeur internet du groupe IONIS, consultant en stratégie d’innovation.

Freddy Mini 95P-DG de Netvibes, créateur de musicMe.

Jean-Louis Missika 35Adjoint au maire de Paris, chargé de l’innovation, de la recherche et des universités.

Jean Mounet 155Vice-président et membre du directoire de Sopra Group, président de la fédération Syntec informatique.

Bernard Ourghanlian 41Directeur technique et sécurité (CTO et CSO) de Microsoft France.

Jean-Michel Planche 88Fondateur et président de Witbe, membre de la Commission consultative des réseaux et services de télécommunications.

Katherine Prince 183Directrice des opérations de l’Institute for Creative Collaboration au sein de la fondation KnowledgeWorks.

Steve Rubel 121Vice-président et directeur de la prospective du cabinet de relationspubliques Edelman Digital.

Mehdi Tayoubi 100Directeur de la stratégie et du marketing interactif de Dassault Systèmes.

Cédric Tournay 62Président de Dailymotion et cofondateur du portail Doctissimo.

Henri Verdier 128Président du pôle de compétitivité Cap Digital, consultant et animateur du think tank de la Fondation Télécom.

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SommairePréfaces Marc Sellam, président-directeur général de IONIS Education Group

Joël Courtois, directeur de l’EPITA

Introduction - Yannick Lejeune

Chapitre 1 - Sociabilités, identités et territoires

1 Identité numérique - Imaginer des degrés de connexionDaniel Kaplan

2 Vie en réseau - Une renégociation de la dynamique socialeDanah Boyd

3 La ville - Un acteur de l’innovation Jean-Louis Missika

4 Redéfinition des frontières - À grand pouvoir, grande responsabilité Bernard Ourghanlian

Chapitre 2 - Cultures expressives

1 Biens Culturels - Aller vers un monde de partage Joi Ito

2 Nouveaux médias - Repenser les chaînes de valeursCédric Tournay

3 Loisirs numériques - L’avenir ne se fonde pas uniquementsur la maîtrise technologiqueEmmanuel Darras

Chapitre 3 - Mondes numériques

1 Intelligence ambiante - Créer de nouvelles propositions de valeur Rafi Haladjian

2 Réseaux et internet - Une conscience collective et une coopération globaleJean-Michel Planche

3 Information - De nouveaux outils de managementFreddy Mini

4 Immersion - Demain, le virtuelMehdi Tayoubi

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Chapitre 4 - Marketing et communication

1 Commerce en ligne - La fidélisation, avenir du e-commerceYseulys Costes

2 Communication - L’avènement des innovations à valeur sociétale ajoutéeNicolas Bordas

3 Marketing - Une marque doit représenter plus que ses produitsSteve Rubel

Chapitre 5 - Entreprise

1 Civilisation numérique - Un nouveau contexte stratégique pour l’entrepriseHenri Verdier

2 Financement - Les secteurs les plus régulés sont les plus intéressantsJean-Christophe Capelli

3 Travail - Remplacer le modèle taylorienBruno Carrias

4 Collaboratif - Un univers de free-lancesTimothy Ferriss

5 Informatique et TIC - Un secteur à forte concurrence mondialeJean Mounet

Chapitre 6 - Biens communs

1 Développement durable - Le numérique et l’écologie comme deux vecteurs majeurs de changementNathalie Kosciusko-Morizet

2 Égalité des chances - Éduquer aux médias du numériqueDivina Frau-Meigs

3 Éducation - Continuer à apprendre toute sa vieKatherine Prince

4 Santé et TIC - Le coaching médical par l’informationEsther Dyson

Conclusion - Jean-Michel Billaut

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PréfaceMarc Sellam

I l en est des écoles comme des arbres. Une fois démarrées, ellessont là pour s’enraciner et durer. Ce jubilé, qui marque l’âged’homme pour un individu, s’inscrit pour une telle institution dans

sa prime jeunesse. Et celle-ci a accompli un tel chemin en si peu de temps,que l’on peut en attendre le meilleur dans les années qui viennent. L’EPITAnous est chère, car c’est avec elle qu’a commencé, pour IONIS EducationGroup, la diversification vers les écoles d’ingénieurs. Depuis, ce ne sont pasmoins de huit structures qui composent cette branche « ingénierie et exper-tise technologique » de nos activités, en rassemblant plus de 6 000 élèves.

Devenue école d’ingénieurs, l’EPITA a su, tout en gardant son originalitéautour de l’informatique et des technologies de l’information, s’ouvrir aux dis-ciplines scientifiques et à l’international. Elle a aussi développé sa rechercheet ses partenariats avec d’autres institutions académiques, participé à denombreux transferts de technologie vers les entreprises de toute envergure,et accentué ses coopérations avec le monde institutionnel et le tissu local. Illui reste évidemment beaucoup à faire, encore plus si l’on songe à la compé-tition mondiale. Mais on peut ressentir une certaine fierté devant le travailaccompli et la place plus qu’honorable qu’occupe notre jeune école dansles classements qui la comparent aux plus grandes. Cet ouvrage que nousoffrons, pour les 25 ans de l’EPITA, à nos anciens, nos amis, nos partenaires,montre notre implication dans la réflexion sur notre monde et la compréhen-sion que l’on peut en avoir. Ces réflexions situent et justifient la pertinenced’une grande école dédiée à l’intelligence informatique. Que tous les partici-pants en soient ici remerciés.

Marc Sellam Président-directeur général de

IONIS Education Group

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PréfaceJoël Courtois

Existe-t-il une idée plus fascinante que celle de vouloir prédire l’avenir ? Prophètes, philosophes, scientifiques, écrivains, nom-breux sont ceux qui s’y sont risqués avec bien souvent un succès

évalué à l’aune de leur propre interprétation.Certains ont cependant réussi à créer des dates qui ont marqué l’imagi-

naire collectif, tels que George Orwell avec 1984 et le concept de Big Brother.Si la fiction et la réalité ne se sont pas rejointes en 1984, cette année reste

cependant marquée par des événements technologiques qui sont indiscuta-blement entrés dans notre histoire : apparition du Macintosh d’Apple, du PCd’IBM et raccordement des mille premières machines à internet.

C’est aussi cette année qu’apparaît une école baptisée EPITA qui,comme toute structure de formation, va soutenir des jeunes dans l’écriturede leur avenir et va prendre le pari de les préparer à une société que l’on nedécrit pas encore comme celle des technologies de l’information et de lacommunication.

De l’année scolaire 1984-1985 à l’année universitaire 2009-2010, 25 années se sont écoulées. Ce sont plus de 5 000 jeunes qui, avec le sou-tien de leur famille, ont fait confiance à notre école et sont aujourd’hui de bril-lants ingénieurs informaticiens présents en France et à l’étranger dans tousles secteurs d’activité des TIC. Alors que nos anciens élèves construisaientleurs carrières, l’EPITA aussi a bien grandi : l’école se positionne désormaiscomme l’une des premières formations d’ingénieurs en informatique deFrance.

Faire de cet anniversaire une grande fête autour des actions passéesn’aurait pas été conforme à l’esprit d’une école résolument tournée versl’avenir.

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Un regard sur le quart de siècle passé n’est-il pas l’occasion de se proje-ter vers les 25 prochaines années ? La prospective ne fait-elle pas partie desmissions d’une école ? Si le pari est tentant, force est de constater que dansle domaine des TIC, à moins de vouloir rejoindre le clan des prophètes, unhorizon de 25 années représente une combinatoire de possibles : seule lascience-fiction, si chère aux informaticiens, peut accepter de le coucher surle papier, physique ou numérique ! Qui aurait pu imaginer la puissanceactuelle des réseaux sociaux, de l’économie numérique ou des nouveauxmodèles commerciaux lors de la création de l’EPITA ?

Et nous n’en sommes qu’aux prémices, car la récente accessibilité deces nouvelles technologies à une large majorité des habitants de notre pla-nète accélérera nécessairement les bouleversements de ce monde quenous bâtissons collectivement et jour après jour.

Alors pour tenter de comprendre comment se crée notre futur, tout ensachant raison garder, nous sommes allés interroger toutes celles et ceuxqui au travers de leur métier voient le monde évoluer sous l’influence destechnologies de l’information et de la communication. Experts réputés, per-sonnalités reconnues dans les domaines les plus variés, nous leur avonsdemandé leurs stratégies et leurs prises de position dans un avenir proche,et ce qu’ils nous livrent est déjà bien étonnant. Qu’ils soient remerciés deleur contribution à cet ouvrage.

Pour ses 25 ans, l’EPITA vous propose ce recueil de témoignages deprospective quant à l’impact des TIC en 2025. Gageons que la réalité seraplus surprenante encore !

Joël Courtois Directeur de l’EPITA

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IntroductionLe champ des possibles n’a jamais été aussi vaste…

Yannick Lejeune

Diplômé de l’EPITA et d’un master de recherche en sciences de gestion de l’IAE deParis, Yannick Lejeune est le directeur internet du groupe IONIS. Il est égalementconsultant en stratégie d’innovation auprès de petites entreprises ou de grandesstructures, telles que Microsoft ou l’Élysée, et directeur de collection numérique chezDelcourt, un éditeur de bande dessinée. Auparavant, il a travaillé pour diversessociétés, notamment IBM, Lotus, Corel et Inexware, et a fondé, puis dirigé jusqu’en2005, l’Institut d’innovation informatique pour l’entreprise (3IE), structure de services mêlant cellule de veille et laboratoire de recherche appliquée au sein de l’EPITA.

Les technologies de l’information et de la communication redessinent lemonde en modifiant notre identité et notre relation aux autres, au sein de nosorganisations, de nos entreprises, de nos villes ou de nos États. Les muta-tions en cours influencent toutes nos actions, notre manière de travailler, deproduire, d’échanger, de consommer, de nous soigner, d’apprendre, d’agirdans notre environnement, etc.

En 1964, Jacob Schmookler, économiste précurseur, proposa deuxmécanismes d’induction des nouvelles technologies. Le premier, le techno-logy push, présentait la mise en circulation de l’innovation comme étant ini-tiée par les opportunités et les découvertes technologiques. Le second, ledemand pull, indiquait que la création d’inventions résultait de la pression dumarché, qui en signalant les zones potentielles de valeur conduisait à l’enviede répondre au besoin. Loin de toute vision trop manichéenne, Schmooklerconclut à un mouvement de va-et-vient entre ces deux principes. Aujourd’hui,cette théorie s’applique plus que jamais aux TIC qui évoluent de manièreirrégulière, itérative et brutale, à la fois par de très fréquentes ruptures techno-logiques et par un marché dont la capacité d’absorption et les attentes s’ac-célèrent, parfois artificiellement. Ce mouvement de balancier frénétiquelaisse peu de temps pour prendre du recul et pose la question des consé-quences ; il suffit de se rappeler de l’échec de la première « bulle internet »

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pour se rendre compte des frictions possibles entre innovation incertaine etdemande mal définie. Or, contrairement à d’autres technologies, les TICimpactent toutes les sphères de notre existence : il faut donc prendre letemps de penser le futur pour mieux l’anticiper.

Certaines tendances annoncent déjà l’avenir et nécessitent une véritable analyse.

Les TIC jouent un rôle déterminant dans le rétrécissement du systèmeéconomique et informationnel mondial. Cette porosité des frontières dumonde numérique renforce l’interdépendance de ses acteurs et soulève desquestions de concurrence, de sécurité et de régulation des marchés.

L’individu est mis en réseau. Son identité numérique prend de l’impor-tance, mais n’arrive pas à le représenter dans toute sa complexité. Sa viesociale se joue dans les réseaux sociaux qui recréent les dynamiques dumonde réel. Continuellement connecté, il est exposé, soumis à l’infobésité etau temps réel. Ses données et ses applications se déplacent vers le nuagedu cloud computing. Les régulations de la collecte des données et destraces numériques des personnes, publiques et privées, deviennent desenjeux essentiels, de véritables débats de société.

Un monde open source ou free (à la fois libre et gratuit) se met en place.C’est l’avènement du DIY (do it yourself ou « fais-le toi-même »). On contribueà des projets collectifs, comme Wikipédia, on publie directement sa créationsur Dailymotion, sur Flickr, sur Jamendo. On met en commun, on réutilise,on remixe. On crée à plusieurs, c’est le crowdsourcing, on finance à plu-sieurs, c’est le crowdfunding. Certains proposent leurs idées, d’autres lesconçoivent, des tiers les réalisent. Internet devient un vivier de fournisseurs etde services que l’on peut intégrer comme des briques à ses besoins, avec lemoins de friction possible par rapport au marché.

La dématérialisation des supports et la gratuité déplacent les valeurs,entraînant la paupérisation des systèmes économiques existants. L’informa-tion devient une matière première comme une autre, disponible à volonté.Les business models, les législations et les chaînes de valeur doivent êtrerenégociés avec l’apparition de nouveaux acteurs. En parallèle, le numériquedémultiplie l’expressivité et la création tout en faisant de l’attention une valeurrecherchée.

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La légitimité des intermédiaires est donc remise en question. Par exem-ple, les maisons de disque et les sociétés qui produisent des contenus cultu-rels sont confrontées à la nouvelle possibilité pour les artistes d’aller à la ren-contre de leur public d’une manière différente, sans passer par les voies clas-siques. La question de la valeur ajoutée des différents acteurs devient pré-gnante au sein des écosystèmes. La désintermédiation prépare l’arrivée denouveaux agents qui se positionnent en facilitateurs plutôt qu’en exploitantsincontournables.

Le web devient de plus en plus intelligent. Il est omniprésent et accessi-ble depuis de nombreuses interfaces, de multiples écrans. On lui confienotre mémoire, nos connaissances et la plupart de nos calculs. Demain,connecté au réel par des capteurs liés à l’internet des objets, le réseau seracapable d’anticiper nos actions et de nous baigner dans un univers numé-rique. Les frontières avec le virtuel vont s’estomper et la notion de réalité seraquestionnée.

Toutes ces problématiques, complexes, seront abordées en profondeuret sous différents angles plus verticaux dans les contributions qui suivent.

La ligne de force de l’EPITA est celle de l’intelligence informatique, disci-pline bien neuve comparée à sa grande sœur économiste. Nous avons doncdécidé de contribuer à la réflexion prospective plutôt qu’à un état de l’art dece qui existe déjà. Car c’est bien cela le rôle de l’ingénieur que forme l’EPITA :posséder la maîtrise technologique pour inventer, concevoir, réfléchir et éva-luer les impacts de l’innovation dans le monde de demain.

Si certains voient dans l’époque à venir la somme de tous les dangers,nous préférons l’envisager comme un vaste champ de possibles, un territoireà explorer, au sein duquel chacun peut se construire une place.

Cet ouvrage propose les participations de 25 contributeurs qui prennent,dès aujourd’hui, des positions stratégiques pour construire le futur. Aucund’entre eux ne prétend pouvoir dire avec certitude ce que sera 2025, maischacun entend contribuer activement à la révolution numérique.

Investisseurs, créateurs, managers, informaticiens, sociologues, gestion-naires, animateurs, techniciens, chercheurs, élus, Européens, Américains,Asiatiques, les experts de cet ouvrage expriment chacun une opinion particu-lière selon leur domaine d’activité et leur culture propres. Certains textes éclai-rent les innovations à venir, d’autres posent des pistes invitant à la créativité.

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Certaines prises de position peuvent interpeller. C’est un choix que nousassumons, car c’est de la circulation et de la confrontation d’idées différentesque naissent les meilleurs outils d’analyse et de décryptage d’un monde deplus en plus global.

Nous avons réalisé ce livre en pensant à ceux qui veulent enrichir leurcompréhension du futur pour mieux s’y préparer. Il s’adresse à tous, aux pro-fessionnels qui veulent anticiper leur marché, aux étudiants qui s’interrogent,aux chercheurs qui veulent contribuer au savoir, aux élus et aux décideursqui doivent s’armer d’outils pour mieux piloter et réguler, aux citoyens quiveulent s’approprier la société qui prend forme et agir en conscience.

En vous amenant en visite guidée dans ces nouveaux territoires, en lesmettant en perspective pour mieux les questionner, nous vous invitons àexplorer avec nous les potentialités du réel.

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L’identité numérique des individus prend une importance pré-gnante dans nos existences, la vie sociale se joue dans les réseauxsociaux qui recréent les dynamiques du monde réel. La vie privée estenregistrée, mémorisée et exposée par le réseau. Parallèlement, lemonde évolue sous l’impact du numérique. À une échelle locale,c’est la ville qui se transforme pour devenir une nouvelle plateformed’innovations. Au niveau global, le monde voit ses frontières redé-finies par le réseau. L’homme doit y renégocier sa place.

Chapitre 1

Sociabilités, identités

et territoires

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Chapitre 1 Sociabilités, identités et territoires

Identité numériqueImaginer des degrés de connexion

Daniel Kaplan

Daniel Kaplan, est le délégué général de la Fondation internet nouvelle génération(Fing), un projet collectif et ouvert qui explore le potentiel transformateur des tech-nologies. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur le thème des TIC, président de l’Insti-tut européen du e-learning (EIfEL), membre de la Chambre d’experts du programmee-Europe, cofondateur et administrateur du Chapitre français de l’Internet Society, ila également été membre du Conseil stratégique des technologies de l’informationauprès du Premier ministre et a contribué à la création de l’ICANN.

La vie privée est une notion assez complexe et difficile à définir. On pour-rait la décrire comme « l’espace de vie dont je suis responsable, que jecontrôle, où j’ai le droit d’être tranquille et autonome, un endroit dans lequell’irruption des autres se fait de mon plein gré ».

Une fois cette définition posée, on peut en tirer des conséquences assezdifférentes. Première approche : s’il existe donc un domaine réservé des per-sonnes concernant leur vie intime, leurs choix les plus personnels, celui-cidoit être protégé contre les intrusions par des barrières juridiques et tech-niques. La vie privée serait alors ce qui n’est pas public.

Mais on peut aborder le concept sous un autre angle : la vie privée seraiten fait l’espace d’autodétermination d’une personne inscrite dans la société– celui dans lequel elle peut se relâcher, mais aussi et surtout réfléchir surelle-même et ses expériences, et prendre ses propres décisions pour ensuitese projeter vers les autres, de la manière dont elle le désire.

La question devient alors de savoir s’il ne faut pas compléter la protectionde la vie privée (approche défensive) par la projection de l’identité (offensive).Et, donc, délibérément outiller les individus dans les deux directions à la fois.Par exemple, le « droit d’accès et de rectification », qui consiste à pouvoirdemander à une organisation ce qu’elle sait de nous pour éventuellementfaire corriger ou supprimer des informations, pourrait se compléter d’un« droit de récupération » : « Si vous possédez des données sur moi, je veuxpouvoir en disposer moi aussi, à mes propres fins (pour mieux me connaître,

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pour gérer plus intelligemment mon budget, pour calculer mon empreintecarbone, pour enrichir mon CV ou les portraits que je diffuse vers mesréseaux sociaux, etc.). »

La vie privée n’est pas qu’un concept bourgeois, celui d’un droit de pro-priété inviolable sur un espace dans lequel on se retire pour y faire ce quel’on veut, mais la condition de la liberté et celle qui permet de construire sonidentité sociale : qui je pense être, ce que j’ai envie d’accomplir et de direaux autres. Si je ne le sais pas, je ne suis pas un sujet autonome capabled’agir. Avoir cet espace d’autodétermination, dans lequel nul ne nous juge,est l’une des caractéristiques nécessaires à l’émergence d’une société libre.Une société dans laquelle on n’est pas uniquement une fonction sociale. Lavie privée est donc la base d’une société de confiance entre individus libres.

D’où l’importance, aussi, de la transparence dans la collecte et l’utilisa-tion de données personnelles, alors que nos activités produisent un nombrecroissant de traces numériques. Cette collecte d’informations ne crée passeulement un risque direct d’abus, mais elle donne la possibilité à d’autresde prendre des décisions sur nous, peut-être pour notre bien, mais d’aprèsdes critères qui nous sont inconnus. On risque d’inhiber l’expression et lacapacité d’innovation, non pas parce que l’on est directement agressé, maisparce qu’au fond, on ne sait pas ce que d’autres vont décider pour nous. Onpeut se retrouver avec une destruction de la confiance en soi, de la capacitéà agir. La situation d’incertitude empêche l’action.

Les technologies de l’information sont-elles un laboratoire de nouvelles pratiques de protection de la vie privée ?

Bien entendu, et cela supposera de réinventer certaines choses. Le mou-vement naturel est clairement, aujourd’hui, celui d’une érosion de la vie pri-vée, de son grignotage par la technologie, la pratique, et même la loi dans sadimension sécuritaire.

Il existe des réponses à cela. On recrée des barrières et des lignesrouges, c’est nécessaire. Mais celles-ci sont de plus en plus perméables.

Alors, on peut avoir tendance à dire : « On assume, on y va, la vie privée,c’est fini, la liberté viendra de la réciprocité. Si l’on surveille les surveillants,ceux-ci ne peuvent plus abuser de nous. » C’est une posture esthétique etformidablement dangereuse, car elle oublie que nous n’avons ni les mêmes

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capacités, ni les mêmes pouvoirs, ni les mêmes valeurs. Nous ne sommespas devenus si tolérants que ça. Et la tolérance varie d’un pays à l’autre,d’une civilisation à l’autre. Même chez nous, imaginons qu’il n’y ait plus devie privée, cela signifie-t-il que l’on va pouvoir accéder à l’ensemble des testsmédicaux des personnes ? Ou à l’ensemble de leurs actes ? Par exemple,aller voir une prostituée n’a rien d’illégal en France, mais c’est assez généra-lement considéré comme moralement répréhensible. Faut-il que tout lemonde le sache ? À l’évidence, il y aura plusieurs réponses...

Une société a besoin, pour sa liberté, de zones d’opacité et de soupapes.On ne peut pas vivre en permanence sous le regard de tout le monde ; lapression sociale serait trop forte. La réciprocité de la transparence (tout lemonde sait tout sur tout le monde) est trop simpliste ou naïve. Elle a, parexemple, tendance à laisser entendre que les problèmes relatifs à la vie pri-vée n’appartiennent qu’aux puissants. C’est faux. Le sujet de la vie privée,c’est aussi les autres et tout l’univers des gens qui nous connaissent, nousjugent, nous évaluent.

Que fait-on dès lors que les protections légales ne suffisent pas ? Il fautcréer de façon délibérée des zones d’opacité. Il y a plusieurs manières de lefaire. L’une d’elles consiste à mieux outiller les gens pour qu’ils apprennent ànégocier des « défenses mobiles ». L’obfuscation permet ainsi de noyer l’information pertinente dans une masse de données qui ne l’est pas. Parexemple, en inondant Google de fausses requêtes, je masque celles que j’aivraiment lancées. Peut-on imaginer des dispositifs qui brouilleraient beau-coup de nos traces de cette manière ?

Autre idée, celle d’effacement et de recouvrement aléatoire de « traces »,de manière à ce qu’il ne soit pas possible de s’appuyer sur elles de manièretrop certaine. Je pense également à des recherches sur les lifelogs, quiconsistent à tout enregistrer sur nos propres vies, pour le rappeler au besoin.Ils forment une sorte de mémoire parfaite, ce qui est problématique, carl’acte principal de notre mémoire n’est pas le souvenir, mais l’oubli et la réin-terprétation. Si ce dont je me souviens me définit, les dispositifs de lifelogn’entravent-ils pas des processus essentiels à la construction de l’individu ?Pour résoudre ce problème, des chercheurs ont imaginé des manières d’ef-facer, de brouiller ou même de falsifier aléatoirement un certain nombre dedonnées pour nous contraindre à l’exercice actif de la mémorisation !

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Il y a aussi les recherches sur des systèmes répondant aux besoinsd’identification tout en préservant l’anonymat, comme la « carte d’identitéblanche » : j’ai un droit que je peux prouver, mais je n’ai pas besoin de prou-ver mon identité pour jouir de ce droit. Par exemple, je peux commander del’alcool en justifiant de mon âge, mais je n’ai pas forcément besoin de don-ner mon nom pour cela.

Aurai-je encore la possibilité de me déconnecter ? Bien sûr, mais le tout ou rien n’est pas une réponse efficace. Le droit à la

déconnexion demeure important, et nombre d’entreprises se posent d’ail-leurs la question du droit à être injoignable. Mais ce n’est pas la tendance quis’installe dans nos pratiques. Si le mobile a décollé, ce n’est pas par hasard,ni à cause du marketing. Il répond à un besoin de vivre le rythme urbain etmoderne. Nos formes de mobilité physique ont profondément changé. Fini le« métro-boulot-dodo ». En famille, nous vivons désormais « ensemble, séparé-ment », à des rythmes différents. Et les moyens de communication sont desmoyens de resynchroniser des gens qui se construisent des destins indivi-duels. C’est le résultat d’aspirations collectives profondes. Si la déconnexionconstitue la seule réponse, c’est une non-réponse, un non-choix.

Il faut imaginer des « degrés de connexion » et de « joignabilité » (ou dedéconnexion, d’injoignabilité) : je suis connecté par courriel mais pas partéléphone, pour les amis mais pas pour le travail, pour les urgences et lafamille mais pas pour le reste, etc. Il y a beaucoup de scénarios et de ser-vices à imaginer dans cette direction.

Aurai-je le droit de posséder une identité numérique différente de mon identité réelle ?

Dès aujourd’hui, vous en avez la possibilité et le droit. D’ailleurs, vous nevous en privez pas : vous avez plusieurs adresses e-mails et pseudonymes,éventuellement plusieurs profils et « noms » distincts sur différents réseauxsociaux... Mais vous ne pouvez pas aller bien loin avec cela.

D’abord, parce que ce n’est pas un droit absolu : il n’est pas illogique quel’on puisse aller chercher votre identité civile, sous un certain nombre deconditions, pour vous attribuer la responsabilité d’un acte que vous avezcommis sous votre identité numérique.

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Ensuite, parce que ces identités sont purement locales, propres à chaqueplateforme, et qu’en plus, elles sont souvent moins étanches que ce que l’oncroit. Dès lors que vous avez quelques amis communs ici ou là, l’informationpourra être croisée, et des liens s’établiront entre plusieurs de vos profils.Nous nous sommes penchés sur la notion d’« hétéronymat ». Ce que l’onsait facilement faire aujourd’hui, c’est avoir un certain nombre d’identités disjointes, mais limitées : je peux avoir une identité dans les jeux en réseau,des profils avec des pseudonymes différents sur les réseaux sociaux.

Aujourd’hui, ces identités ne sont actionnables que dans des contextesrelativement restreints. On pourrait imaginer que ça aille plus loin, en aidantles gens à se construire des identités beaucoup plus riches, dotées d’unehistoire, exploitables sur plusieurs plateformes, capables de réaliser destransactions (comme sur eBay). La justice pourrait toujours remonter à l’iden-tité civile en passant par les prestataires, mais ces hétéronymes, ces pseudo-nymes pérennes et denses, seraient aussi protégés par la loi.

Beaucoup de choses sont possibles. Reste à savoir ce qui a du sens. Ilfaut vraisemblablement que l’on essaie de créer un faisceau de dispositifsqui rendrait difficile le recoupement d’informations à l’insu de l’individu. Parexemple, qu’il existe un degré d’incertitude sur la véracité de celles aux-quelles on accède, mais que l’on ne devrait pas avoir. Il doit aussi garder uncertain nombre de lignes rouges dont il faudra maintenir l’intégrité malgrél’évolution rapide des technologies. Il faudrait a minima que les acteurspublics se tiennent, y compris vis-à-vis d’eux-mêmes, à des règles strictes dupoint de vue de l’interconnexion des fichiers, des droits, des protections, etc.Il faut également qu’il existe des dispositifs techniques et une éducation desindividus, qui fassent qu’ils soient mieux outillés pour créer délibérément desformes d’opacité.

À nouveau, l’obfuscation qui noie les données au milieu de nombreusesautres est quelque chose de vraiment intéressant, car c’est comme si l’on neles détenait pas. Si je peux accéder à des données, mais que je reste trèsincertain qu’elles correspondent réellement à la personne que je cherche,au fond, je ne suis pas plus avancé. Bien sûr, les moteurs de recherche sontde plus en plus intelligents, il faut donc que ces techniques de masquagemûrissent au même rythme et progressent en permanence. Sinon, les mots-clés aléatoires vont être repérés, filtrés et les informations recoupées.

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N’y a-t-il pas un paradoxe dans le fait que certains « services publics »soient assumés par des sociétés privées ?

Dès qu’un certain nombre d’acteurs commencent à jouer un rôle d’infra-structures, il est naturel qu’ils fassent l’objet de régulations spécifiques : c’estle cas des moteurs de recherche ou des réseaux sociaux, qui ont un pouvoirde marché et, de fait, un pouvoir sur les individus. Certes, il existe un déca-lage entre les outils des acteurs privés et les moyens de l’État, mais ce n’estpas forcément grave. Il faut penser les choses en dynamique : on n’aurajamais un État qui saura réguler de façon préventive tout ce qui va arriver.Heureusement, d’ailleurs. Sinon, on tombe dans le principe de précautionabsolument généralisé et l’on n’ose plus rien. D’autant que pour l’appliquer,il faudrait surveiller de façon très précise ce que font les individus et l’on n’apas forcément envie de cela. Je préfère une société où l’on ose, où l’on laissecertains risques émerger, dès lors que l’on peut les discuter dès le début, etles traiter.

On pourrait aussi imaginer qu’une des attitudes des États soit d’encoura-ger l’émergence de l’éducation aux pratiques positives du numérique et passeulement à celles qui sont protectrices. Il ne faut pas se contenter d’insisterauprès des jeunes générations sur les risques qu’ils courent, mais encoura-ger l’appropriation, leur apprendre à savoir gérer leur vie en ligne. Et puis, ilfaut développer les techniques et les usages qui créent de manière explicitedes espaces d’opacité. C’est vraiment l’une des questions majeures.

La place des réseaux sociaux dans l’internet va-t-elle encore s’accroître ?

C’est difficile à dire. Il y a un mouvement constant, que nous rappellentTwitter et Facebook : l’histoire de l’internet n’a jamais été déterminée par lescontenus. Le moteur de son développement, c’est la communication entreles gens. C’est vrai depuis l’origine, depuis l’époque où l’on était hypnotisépar le web alors que ce que les gens faisaient le plus, c’était des e-mails.Pendant très longtemps, on ne mesurait pas l’importance des pages person-nelles et des blogs. Les réseaux sociaux d’aujourd’hui vont dans ce sens etle mouvement devrait continuer.

En revanche, je pense que l’avenir de ces dispositifs – et il s’agit réelle-ment de ce mouvement de fond — est de tendre vers l’universalité. On ne

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concevrait pas, aujourd’hui, qu’un téléphone ne permette d’appeler que lesabonnés d’un seul opérateur. Il en sera de même demain avec les réseauxsociaux : c’est le web qui devrait être le réseau entre des individus assistéspar des outils et/ou des plateformes. On pourrait même imaginer que l’avenirn’appartienne plus aux grandes plateformes, mais à une structure de typepeer-to-peer, où les informations sont disséminées, gérées et fédérées parl’individu lui-même.

Le droit à l’erreur va-t-il disparaître ? Vous faites référence à l’« erreur » qui consisterait à publier un jour un

texte ou une photo que l’on regrettera plus tard, lorsqu’ils seront utiliséscontre nous et que l’on ne saura plus comment faire pour les faire dispa-raître.

On a le droit de demander la suppression de ces informations ; mais lerisque existe qu’elles ressurgissent à d’autres endroits sans qu’on puisse lecontrôler. Je pense, du coup, que ceci est aussi une question d’apprentis-sage et que l’on va apprendre à vivre avec, ce qui ne signifie pas qu’il ne fautrien faire. On pourrait même imaginer à un moment que nous considéreronscomme plutôt sain d’avoir commis des erreurs de jeunesse : que penserons-nous d’un jeune homme à la vie numérique totalement lisse ? Qu’il estennuyeux, ou pire, qu’il ment ? Il faut toujours considérer qu’il n’est pas licitede publier sans autorisation de l’information sur une personne privée, mais ilfaut également considérer qu’il va y avoir une tolérance de plus en plusgrande vis-à-vis de cela. On a tous des moments où l’on est exposé à d’au-tres hors contexte. Le jour où il y en aura des millions, on y prêtera moinsattention. Oui, l’exposition de traits négatifs avec la volonté de nuire risque dese développer. Mais quand des millions de personnes le feront, cela cesserad’être efficace. Prenez l’exemple de la musique et de MySpace : on s’estenthousiasmé pour certains groupes qui ont percé grâce à internet. Que sepasse-t-il – et ça commence à être le cas – le jour où des centaines de mil-liers de groupes utilisent les mêmes méthodes sur les mêmes réseaux ? Onne perce pas plus facilement maintenant qu’auparavant et désormais il y ades agences de marketing MySpace... On est donc revenu à la situationd’avant : une bonne idée peut changer complètement de nature dès lorsque tout le monde l’applique en même temps.

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Est-ce que de nouveaux services professionnels de gestion de la vie privée vont émerger ?

Sûrement, mais ce n’est pas facile. On voit émerger des sociétés qui pro-posent de gérer votre « marque » personnelle ou d’effacer vos traces, maiselles ont du mal à percer. Les technologies de protection de la vie privéen’ont pas non plus rencontré un grand succès sur le marché. Il y aurait unvrai business à essayer de rendre un certain nombre de dispositifs tech-niques de protection de la vie privée faciles, simples et agréables à utiliserdans un contexte de communication classique. Qu’en appuyant sur un sim-ple bouton, je puisse dire si j’ai envie d’être ou de ne pas être géolocalisé, età quelle échelle (le pâté de maison, la ville, le pays, etc.). Si l’on rend cesparamètres faciles, cela peut marcher, mais pas autrement. Car l’aspirationpremière des gens est d’être connecté : si pour protéger sa vie privée il fauten rabattre beaucoup sur la connectivité, cela ne réussira pas.

On peut aussi réfléchir à la manière dont on veut être joint. Il y a énormé-ment de choses à faire et notamment pour les opérateurs. Si l’on tisse l’enviede communiquer avec le désir d’être protégé, on peut créer quelque chosede vraiment intéressant.

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Vie en réseauUne renégociation de la dynamique sociale

Danah Boyd

Diplômée d’un PhD de l’iSchool (School of Information) de l’université de Berkeley,Californie, Danah Boyd est actuellement social media researcher au sein de Micro-soft Research New England et fellow researcher à Harvard dans le cadre du BerkmanCenter for Internet and Society. Depuis 2003, ses travaux de recherche sur le compor-tement des jeunes dans les réseaux sociaux sont régulièrement cités dans les médias(NPR, Wired, MSNBC, USA Today, The O’Reilly Factor, Financial Times, The New

York Times). En parallèle, Danah Boyd codirige le Youth and Media Policy WorkingGroup, créé par la fondation MacArthur et réalise des études pour de grandes socié-tés comme Intel, Yahoo! et Google.

Les gens aiment la sociabilité et utiliseront de plus en plus les outils mis àleur disposition. Garder le contact avec la famille, retrouver une intimité per-due à cause de l’éloignement ou de la pudeur, se retrouver avec des amis,leurs raisons de se connecter depuis leur ordinateur portable ou leur télé-phone seront de plus en plus nombreuses. Les nouvelles technologies per-mettent aussi des rapprochements entre humains qui partagent les mêmescentres d’intérêt et qui ne se seraient probablement jamais rencontrés aupa-ravant. C’est un changement majeur. Prenons un exemple très parlant : letaux de suicide des adolescents homosexuels a chuté de manière significa-tive dès qu’ils ont pu échanger en ligne sur leur mal-être.

De la même manière, le web 2.0 a rapproché des gens qui se connais-saient déjà et la technologie n’a été utilisée que pour renforcer des liens etdes amitiés déjà bâties sur des réseaux préexistants. Dans le futur, l’ordina-teur sera de moins en moins une machine d’intérieur, on l’utilisera de façonnomade, à tout moment de la vie, comme on le fait avec les SMS, par exem-ple. Regardez comme la coordination entre amis a changé. Avant, vous défi-nissiez avec vos amis à quelle heure et à quel endroit vous alliez vous retrou-ver. Une fois sur place, pour garder le contact avec les absents, vous échan-giez par SMS ou par coups de téléphone. Désormais, l’organisation de larencontre se fera autour d’une même localisation et non plus d’un rendez-vous. En arrivant quelque part, vous serez avertis qu’une autre personne est

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présente. Elle partagera peut-être les mêmes centres d’intérêt, la mêmesexualité, les mêmes amis : elle rejoindra donc votre réseau.

Le principal vecteur de vie sociale online restera-t-il la rencontre ? La rencontre, avec l’objectif d’activité sexuelle, est bien souvent la motiva-

tion principale de l’utilisation des réseaux sociaux. Prenez l’applicationGrindr sur iPhone : elle permet aux homosexuels de se rencontrer parhasard. Ils y mettent leur photo (cadrée du bassin à la gorge) et l’on peut voir,à tout moment, qui est à proximité dans la ville. Voilà une façon innovante derencontrer des étrangers, réservée pour le moment aux gays, mais qui va sediffuser à tout le monde, comme toute tendance à la mode. La technologiepour créer ce genre de services est déjà là. Ce qui manque, ce sont lesmodèles économiques et les voies d’acheminement. Si nous ne voyons pasémerger beaucoup d’innovations, c’est parce qu’on ne sait pas les monéti-ser et que l’animation d’une communauté coûte cher.

Les réseaux sociaux sont-ils nécessaires à chaque individu ? Ils l’ont toujours été : lorsque vous utilisez votre carnet d’adresses ou votre

répertoire téléphonique, c’est un réseau social. Tout est question d’usage.Les réseaux sociaux les plus importants seront encore là pour un bon boutde temps. La question est de savoir si l’avenir c’est Facebook ou autre chose.Pour moi, le futur, c’est plutôt l’intégration du réseau social au sein des autresservices. Comme on l’a fait avec les fonctions de recherche des ordinateurs.Quand on pense « recherche », on pense bien sûr à Google, mais on peutfaire une recherche sur son ordinateur, dans son smartphone, sur son blog,dans un document. L’usage a été intégré à tous les niveaux. Il en sera demême du réseau social que l’on retrouvera à tous les niveaux de l’infrastruc-ture de services. Nous irons toujours sur certains sites de réseau social, maisles fonctionnalités communautaires seront peut-être introduites partout.

Ces nouveaux modes de socialisation seront-ils adaptés à toutes les générations ?

Les gens adaptent systématiquement leur mode d’expression en fonc-tion de l’endroit où ils se trouvent et de l’outil dont ils disposent. Ce n’est pasnouveau.

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Prenons l’exemple de ma grand-mère qui a rencontré mon grand-pèrependant la deuxième guerre mondiale : il était dans la Royal Air Force et resta éloigné pendant les années de guerre. Ma grand-mère lui écrivait deslettres dans lesquelles elle exposait ses pensées et le manque provoqué parson absence. Des années plus tard, une fois mariée, elle avait gardé l’habi-tude de lui écrire des lettres, de prendre du temps pour réfléchir à ce qu’ellevoulait dire.

Le processus qui mène à poser des mots sur le papier est différent de laparole. Le média ou le support que nous utilisons pour communiquer colorefortement le message : la parole est plus légère que l’écrit. Chaque médiumpossède ses normes sociales, ses codes. Et la clé est de les comprendre.

Pour les adultes, le défi consiste toujours à projeter à travers la technolo-gie les normes sociales qu’ils connaissent. Je ne sais pas de quoi sera faiteleur communication dans le futur. Les jeunes, en revanche, continueront àmettre au point de nouvelles normes sociales via les différentes technologiesen trouvant les mieux adaptées. C’est le pouvoir de la jeunesse et notam-ment des étudiants. Ils n’ont pas les mêmes attentes que les adultes, ils utili-sent la technologie pour signifier des choses au monde.

Les populations se renouvelant très vite du point de vue des TIC, celafinira tout de même par toucher tout le monde, mais pour des raisons diffé-rentes. Le fait est que la plupart des jeunes finissent par traverser et vaincreleurs angoisses à la fin de l’adolescence, ce qui les pousse à moins se livrer.En observant ce qu’ils écrivent, on se rend compte que les 30-40 ans ne fontpas trop d’introspection. Ils sont trop occupés, ils sont moins enclins à s’in-terroger. En revanche, lorsque vous atteignez l’âge de la retraite, vous entrezdans une nouvelle phase de réflexion. C’est intéressant de voir à quel pointcette étape de la vie est importante. L’attention tourne alors autour de ce quel’on est, de ce que l’on a accompli dans le monde, de sa famille et de ce quel’on veut lui laisser.

Et dans cette quête, les TIC ont un rôle à jouer : il suffit de voir à quel pointla généalogie a été une discipline très prisée dans le web 1.0, avec la tenta-tive de rassembler de nombreuses histoires orales de populations plusâgées. Les enfants du baby-boom arrivent à la retraite, ça les angoisse : ilsvont se mettre à utiliser les technologies qu’ils ont vues pendant longtempspour trouver de l’aide.

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Est-ce que la non-présence physique des interlocuteurs durant leur communication via le numérique modifie la nature des échanges ?

Quand nous sommes en présence l’un de l’autre, je peux discuter avecvous pour essayer de déchiffrer ce qu’il y a dans votre cerveau, mais je nepeux pas lire dans vos pensées. Je peux voir vos expressions, vos réactions,mais je ne peux pas être dans votre esprit. Quel que soit le contexte, plusvous êtes proche de quelqu’un, mieux vous comprenez la manière dont ilpense, il n’y a pas grande différence entre monde physique et numérique.

La technologie nous permet de naviguer à différents niveaux relationnels,de créer des groupes sur la base du niveau d’intimité qui nous lie, et c’estcela qui est bien plus visible qu’avant. Les changements portés par les TICsont donc plutôt liés à la masse de contacts qui peuvent potentiellementrecevoir votre information et en savoir plus sur vous. En fait, la réflexion sur laproximité se porte sur ce que vous êtes enclin à partager et avec qui, plutôtque sur la subtilité du signal.

Si je partage quelque chose avec vous, et vous avec moi, il y a un lien quise crée, cela fait partie du protocole et du gain social. Nous nous rappro-chons par les informations que nous échangeons. Cela tisse une relationprofonde, car nous avons de l’emprise l’un sur l’autre : je me rends vulnéra-ble à vous et vous à moi. Cela permet de connaître la confiance que nousavons l’un pour l’autre, car je peux éventuellement prendre les informationsque vous m’avez données et répandre des rumeurs sur vous.

Nous devons donc, plus que jamais, arbitrer entre le message possible etcelui qui est transmis en fonction des circonstances et des conséquences. Iln’y a aucun doute sur le fait que ce processus sera de plus en plus présentdans notre quotidien. Il est intéressant de penser à la manière dont nousexposons ce qui se passe à l’intérieur de notre tête. Par exemple, il existeratoujours une division de sexe : les filles sont beaucoup plus à l’écoute deleurs émotions et de ce qu’elles ressentent, les garçons préfèrent exposerleurs réalisations passées ou ce qu’ils sont en train de faire.

Serons-nous plus exposés par les réseaux sociaux ? Angelina Jolie revendique l’idée de permettre à la presse de la suivre en

permanence, car plus elle rend de choses publiques, moins les gens lui posentde questions et plus elle peut garder pour elle ce qui est vraiment intime.

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C’est un mécanisme très puissant. Je vois de nombreuses communautésde blogueurs ou d’abonnés à Twitter qui pensent se connaître, car ils échan-gent beaucoup de choses en ligne. La reine de Jordanie utilise Twitter pourse rapprocher du peuple. Mais les lecteurs ne voient qu’une partie deschoses. De la même manière, mon compagnon voit une part de moi très dif-férente à travers mon blog ou mes tweets. C’est vraiment important. Dansces espaces publics numériques, je ne suis ni malhonnête, ni plus authen-tique. Comme on s’habille différemment en fonction des situations, je ne vaispas me déshabiller d’un coup dans un contexte qui ne s’y prête pas. C’estune question de normes sociales et de contexte.

À l’inverse du célèbre aphorisme de Warhol, tout le monde aura-t-ilencore droit à 15 minutes d’intimité ?

Je dirais plutôt que tout le monde sera célèbre auprès de 15 personnes.L’intimité se compose de couches et il y a toujours un public pour tout. Mais enréalité personne ne peut prêter attention à tout le monde. En moyenne, dans lemonde, un blog est lu par six personnes. On parle de moyenne, ce qui signifieque la grande majorité des blogs n’est quasiment pas lue... Nous accordonsde l’intérêt à un tout petit nombre de gens, car nous sommes limités dans notrecapacité d’attention. Les célébrités ont toujours beaucoup plus d’importancepour le public, mais on voit maintenant des geeks devenir des célébrités – cequi est plutôt étrange même s’il s’agit d’une minorité. Le fait est que nous avonstoujours eu des différentiels autour de l’attention. Ce qui va changer, c’estl’adaptation de la technologie utilisée pour capter notre attention.

Y a-t-il un avenir pour les blogs de mise en scène de la vie personnelle ? Beaucoup seront amenés à disparaître ou à devenir des vecteurs d’infor-

mation plus proches du journalisme amateur. Les plus jeunes continueront àtenir des sortes de journaux intimes, mais ils le feront sur Facebook ou d’au-tres plateformes qui permettent d’écrire et surtout de partager ce qu’ils res-sentent.

Les réseaux sociaux enregistrent, archivent et indexent énormémentd’informations personnelles, y compris les « erreurs de jeunesse »,devra-t-on les subir toute sa vie ?

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Même si auparavant ces erreurs étaient avouées verbalement, les gensne les oubliaient pas. Nous ne pouvons pas échapper totalement à notrepassé. Il nous rattrape d’une manière ou d’une autre. Nous devons nous l’ap-proprier plutôt que tenter de le fuir en permanence.

Aujourd’hui, il existe effectivement plus de traces de votre passé, maisc’est devenu une partie de ce que vous êtes. Vous apprendrez à vivre avec.Quand je relis aujourd’hui mes premiers travaux de recherche, je me dis quej’étais trop naïve à l’époque. Idem sur mon blog, certaines choses me parais-sent aujourd’hui totalement stupides. Mais c’est une partie de ce que je suis.Certaines choses ne sont pas bonnes, d’autres sont embarrassantes. Si vouslisez un message seul, vous allez le sortir du contexte sans voir l’histoire pluslarge : il faut accepter qui nous sommes, et avancer avec cela. D’autant quedans la masse d’informations, ces choses restent moins longtemps sous lefeu des projecteurs.

Les réseaux sociaux seront-ils un levier pour l’ascenseur social ?Pour une partie de la population, la réponse est oui. Mais, il faut être réa-

liste : là où cela peut être incroyablement puissant pour certains, ça le seramoins pour d’autres. Car les technologies renforcent les divisions sociales.J’aime faire la comparaison entre ce qui nous attend et 1968, l’année« magique » qui a vu l’émergence des droits civils. Quarante ans après, pourles 10 % de Noirs américains les mieux lotis, cela a eu un impact, avec despromotions, la possibilité de progresser, des opportunités et du potentiel.Pour 40 % d’entre eux, rien n’a changé. Et pour la classe inférieure, une partie énorme de la population, c’est peut-être pire qu’avant : aux États-Unis,un tiers des Noirs passera en prison avant leurs 30 ans. La dynamique n’estpas accessible à tous, nous sommes toujours une société très raciste.

Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux ne favorisent doncpas la mixité sociale ?

C’était l’utopie de départ, c’est au mieux un rêve. Mais nous vivons avec :nous pensons que la technologie va construire l’égalité. On imagine quenous sommes tous les mêmes sur internet, mais c’est une vision erronée. Enréalité, le web reflète et agrandit la dynamique sociale qui existait avant sonapparition. Si vous souhaitez réussir en partant d’un milieu plutôt défavorisé,

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vous devez travailler dur bien sûr, mais c’est surtout un jeu d’opportunités etde compétences qui va vous sortir de là, et ce, au risque de perdre certainesde vos relations.

Moi je viens de Pennsylvanie, j’étais très motivée et j’ai quitté ma villenatale et l’environnement dans lequel j’ai été élevée. À chaque fois que j’yretourne, les gens me disent que j’ai changé. En réalité, je n’appartiens plusà cet endroit. Si vous réussissez, vous obtenez plus d’opportunités que lesgens du milieu dans lequel vous avez été élevé. Et vous êtes souvent ostra-cisé par ces gens, vous comprenez de moins en moins leurs revendications.Quand vous observez le milieu duquel vous venez, la plupart des gens qui yappartiennent sont dans la même tranche de revenus. Ils possèdent lesmêmes opportunités, bien que certains réussissent plus ou moins bien.

Sur internet, c’est la même chose, on trouve des systèmes qui permettentaux communautés de satisfaire le plus grand nombre. Un peu comme quandvous sortez au restaurant et que vous en choisissez un à la portée de tout lemonde.

Il n’y a aucun doute sur le fait que les gens pourront faire fructifier leursréseaux plus efficacement et facilement grâce aux outils numériques. Maisprincipalement leurs réseaux existants. Sur Facebook, par exemple, votreprofil n’est pas si ouvert et public que cela : vous êtes connectés à des gens,vous avez des amis en commun, vous développez votre propre réseau. Maisla façon dont vous l’avez obtenu est une sorte d’état de privilèges, unmélange d’opportunités, d’éducation et d’accès à différentes choses. Unepart énorme de la population manque de contacts et des amorces deréseaux permettant d’avoir accès à tout cela. Nous aimons dire que celarelève de la « méritocratie » : c’est une bêtise. Ce n’est pas une question demérite, mais, justement, de réseaux. Et nous le constatons particulièrementavec la crise en regardant qui est le plus touché. En Europe, aux États-Unis,les plus touchés par cette récession ont été les gens déjà marginalisés. Cheznous, nous parlons souvent en termes de couleur de peau : la communauténoire a été incroyablement dévastée par cette crise. Les Noirs ont été lesplus nombreux à avoir perdu leur emploi, d’autant que c’est beaucoup plusdifficile pour eux de retrouver une activité. C’est le cas en France avec lapopulation maghrébine. Et cela empirera avec les problèmes économiques,sociaux ou écologiques, Facebook ou pas.

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Les TIC servent donc à nous rapprocher de ceux qui nous ressemblent ?

Oui. Si vous évoluez, vous vous désolidariserez des gens qui ne vous res-semblent plus, lorsque vous changerez. C’est la version numérique de birdsof a feather stick together (« qui se ressemble s’assemble »). Et cela trans-cende la couleur de peau, la classe sociale ou la religion. Si quelqu’un « réussit » dans votre groupe, vous pourriez être moins enclin à le voir si cen’est pas votre cas et il aura tendance à plutôt se lier à ceux qui réussissentle mieux. C’est un équilibre mouvant.

Bien sûr, il existera des exceptions. Comme les vieux amis, avec qui lesdifférences importent peu, mais dans l’ensemble c’est la dynamique degroupe qui l’emportera. Pensez à la population des banlieues de Paris, ilsne sont pas ou peu liés avec les « autorités constituées » à l’intérieur de laville. C’est la même chose via internet : nous construisons des voisinagesen ligne, avec des dynamiques de quartiers qui regroupent les gens qui seressemblent.

Comment la vie sociale en ligne conditionnera-t-elle la vraie vie ?

Elles seront très connectées, elles le sont déjà. Vous interagissez en ligneavec des gens que vous connaissez offline. Si vous utilisez beaucoup Twitteret que l’un de vos amis arrête de s’en servir, c’est un peu comme s’il sortaitde votre vie. C’est seulement si votre amitié est forte que vous continuerez àle fréquenter et que vous ne vous perdrez pas de vue. C’est une sorte deflux/reflux. Il y aura toujours des gens qui ne se serviront jamais des nou-velles technologies, comme votre grand-mère qui ne sera jamais sur Twitter.Mais vous serez toujours proche d’elle.

Pour les autres, cela dépendra de votre dynamique sociale. Si les genssont très importants pour vous, mais que vous ne prenez pas le temps de lesappeler, vous perdrez le contact avec eux au profit de ceux qui feront partiede vos réseaux. Les clés de chaque relation particulière se situent dans lafaçon de communiquer ensemble.

Quelles sont vos préférences ? Quelles habitudes avons-nous ? Quandallons-nous l’un vers l’autre ? Une chose est sûre, le numérique sera au cen-tre de pas mal de réponses à ces questions.

Danah Boyd Vie en réseau 33

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Les gens incapables d’utiliser les nouvelles technologies seront-ils à la porte de la vie sociale ?

Non, car celle-ci aura toujours une dimension physique. Et puis, il y a fortà parier que des efforts seront faits pour donner l’accès à ces technologiesau plus grand nombre.

Concernant les usages, je pense que nous allons sortir de la saisie. Carcertaines choses sont ennuyeuses à écrire. La reconnaissance vocale faitbeaucoup de progrès et certaines actions seront plus adaptées à la voix.Pendant longtemps nous étions persuadés qu’il nous fallait des dispositifspour interagir avec les machines. On avait besoin d’un joystick pour jouer,mais on peut désormais utiliser un capteur de vision, ce qui fait que nousn’avons plus besoin de la souris et que je peux me servir de ma main commepointeur. Nous nous orientons ainsi vers des interfaces beaucoup plus phy-siques pour plus de communication.

Ensuite, la question se posera selon la relation et les sentiments que vousportez à la personne. Les parents sont un bon exemple : ils ne peuvent pasutiliser les moyens de communication que vous préférez, mais parce qu’ilssont importants pour vous, vous vous adaptez. Par exemple, je déteste letéléphone, or ma mère adore. À chaque fois que je lui envoie un e-mail, elle a l’impression que nous ne sommes pas en contact. Par conséquent, je l’appelle malgré le fait que je n’aime pas ça, pour la rassurer. Cela dépendradonc des préférences personnelles de chacun, même parmi les gens dumême âge. Certains préféreront l’écrit, d’autres la voix ou la vidéo.

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La villeUn acteur de l’innovation

Jean-Louis Missika

Jean-Louis Missika est adjoint au maire de Paris chargé de l’innovation, de larecherche et des universités. Auparavant, il a été directeur de recherche au sein del’INA, directeur général de BVA, directeur général adjoint de la Sofres et rédacteur enchef de la revue Médiaspouvoirs, directeur du service d’information du Premierministre Michel Rocard et administrateur d’Iliad.

La ville du XXIe siècle devrait être largement modelée par les TIC. D’abord,les réseaux immatériels vont peu à peu venir en surcouche des réseauxmatériels des XIXe et XXe siècles, via le très haut débit, la fibre optique ou lesans fil. Ce seront des réseaux intelligents qui vont modifier tout le reste : lacirculation automobile, l’éclairage et l’ensemble des services publics.

Ensuite, les TIC vont apporter de nombreux bouleversements en termesd’éco-innovation, en permettant à tout un chacun de faciliter ses choix et sespratiques, qui deviendront plus clairs : les nouveaux matériaux, les nouveauxvitrages, les nouvelles tours neutres en CO2, et la ville dense, économe enénergie, traitant et recyclant ses déchets, capable d’être à énergie zéro oupresque. Je pense que les TIC vont pousser les gens à devenir plus respon-sables, à consommer des produits éco-innovants dont l’empreinte carbonesera moins importante. Cela concernera aussi les déplacements avec, parexemple, Autolib’ à Paris. Nous visons des transports en commun non pol-luants et moins dépensiers en énergie : leur organisation optimale passerapar les TIC. Cela touchera aussi l’alimentation, avec l’agriculture de proximitéqu’il va falloir contrôler et optimiser. La ville de demain va être complètementtransformée en un nouvel écosystème urbain.

Plus la ville est compacte et plus elle est économe en énergie. Paris partavec un avantage certain puisqu’elle est l’une des capitales les plus densesau monde par opposition à d’autres communautés urbaines, comme LosAngeles. Nous partons avec cet acquis fondamental des siècles précédents

Jean-Louis Missika La ville

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9 782916 571416

ISBN 978-2-916571-41-6

23,90 € TTC(Prix France)

www.fypeditions.com

www.epita.fr

Comment internet et les technologies de l’information et de la communication vont dessiner les prochaines années

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Sous la direction de

Yannick Lejeune

25 experts internationaux prennent position sur les changements liés à l’innovation.

La première décennie du XXIe siècle a permis de prendre la mesure de la diffusion des outilsnumériques et de leurs usages dans notre vie quotidienne. Les périphériques d’accès au réseau se multiplient pour toutes les générations, et l’internet sort de plus en plus de sa sphère d’origine.

Aujourd’hui, chaque modèle d’innovation, chaque développement de nouveaux usages, nécessiteune réflexion approfondie sur les impacts qu’il va produire durant la prochaine décennie, au niveau individuel et collectif.

Cet ouvrage donne la parole à 25 acteurs majeurs des nouvelles technologies, de réputationmondiale, qui expliquent clairement leur stratégie d’innovation pour les prochaines années dansdes domaines essentiels : nouveaux rapports au travail, à la mobilité, au territoire, sociabilité,identité, biens culturels, économie de l’immatériel, communication, loisirs, droit, santé, éducation,égalité des chances, développement durable, etc.

C’est une véritable avant-garde des usages à venir, une invitation à l’inventivité, qui donne au lecteur des clés et des savoirs pour stimuler et encourager les capacités d’innovation des hommes et des sociétés.

Avec des auteurs prestigieux :Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétariat d’État chargé de la Prospective et du Développement de l’économie numérique ; Daniel Kaplan, Fing ; Jean-Louis Missika, mairie de Paris ; Danah Boyd, Microsoft Research ; Divina Frau-Meigs, Sorbonne ; Yannick Lejeune, IONIS Education Group ; Bernard Ourghanlian, Microsoft ; Joi Ito, Creative Commons ; Cedric Tournay, Dailymotion ; Emmanuel Darras, Ankama ; Rafi Haladjian, Sen.se ;Freddy Mini, Netvibes ; Mehdi Tayoubi, Dassault Systèmes ; Jean-Michel Planche, Witbe ; Jean Mounet, Syntec ;Yseulys Costes, 1000mercis ; Nicolas Bordas, TBWA ; Steve Rubel, Edelman ; Timothy Ferriss, écrivain ; Henri Verdier, Cap Digital ; Bruno Carrias, Medef ; Esther Dyson, 23andMe ; Katherine Prince, KnowledgeWorks ;Jean-Christophe Capelli, FriendsClear ; Jean-Michel Billaut, Atelier BNP-Paribas.

Cet ouvrage collectif a été réalisé à l’initiative de l’EPITA, école d’ingénieursen informatique, membre de IONIS Education Group, à l’occasionde son 25e anniversaire.Yannick Lejeune est directeur internet du groupe IONIS et diplômé de l’EPITA.

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