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 1 Relire les projets « TIC et innovation pédagogique » : y a-t-il un pilote à bord, après Dieu bien sûr  Daniel Peraya (TECFA, Université de Genève) Jacques Viens (TECF A, Univ ersit é de Genève) 1. Introduction Le domaine des technologies éducatives intègre aujourd’hui au sein des sciences de l’éducation l’héritage de la  psychologie de l’apprentissage et de l’éducation, de la pédagogie de l’audiovisuel, de l’éducation aux médias, de la technologie de l’instruction, de l’informatique scolaire et du logiciel éducatif. Plus récemment, il s’est étendu aux environnements intégrés pour la gestion des enseignements médiatisés ainsi que des systèmes de formation entièrement ou partiellement à distance. On comprend alors que le domaine se construise sur une base complexe  parcourue de nombreuses tensions : disciplinaires, épistémologiques, théoriques et méthodologiques. Par ailleurs, ces technologies sont souvent présentées comme la meilleure opportunité pour repenser la pédagogie et les pratiques des enseignants aux niveaux supérieur et universitaire. Innovations technologique et pédagogique semblent donc unies pour le meilleur et pour le pire. Dans ce contexte, le titre de notre contribution mérite une explication. Au départ, il s’agissait pour nous d’une simple boutade, mais progressivement, ce qui aurait pu paraître n’être qu’une simple facétie prend sens dans l’épaisseur du langage, dans la densité d’un réseau métaphorique qu’il nous faut brièvement expliciter. Parler des technologies aujourd’hui c’est désigner comme objets principaux le Web, Internet, les hyperespaces et les hypermédias pour lesquels la métaphore de la navigation 1 constitue un « cadre d’interprétation » (Gofmann, 1991) fondamental. Or, qui dit navigation, dit pilote et capitaine, seul maître à bord après Dieu selon la formule consacrée… Mais une certaine conception des technologies nous ramène à cette image ou en tous cas à une métaphore divine. Le rapport à l’objet technique s’apparente parfois à celui que nous entretenons avec l’objet magique. L’objet technique dont l’usager ne maîtrise en aucune façon le processus de fabrication et même le  processus interne de fonctionnement se voit en effet rapidement intégré dans un cadre de pensée « mythologique » (Barthes, 1964) voire religieuse (Néjib Ayed, 2003) 2 . Considérées comme une fin en soi, les technologies s’imposent facilement comme le principe organisateur d’un discours téléologique. Or, de la téléologie à la théologie, la distance parfois est courte. Quant aux technologues, les voici assimilés par cette conception à une sorte de démiurge et l’on sait le pouvoir qu’ils s’arrogent dans nombreux de nos projets. Enfin, l’innovation elle-même se pilote : la littérature l’affirme et les références à cette métaphore y sont nombreuses (notamment Bonami et Garant, 1996 ; Bouvier, 1998) . La situation se complexifie lorsqu’on multiplie les dimensions et les éléments à prendre en compte mais elle s’en enrichit tout à la fois. Ce sont la fonction, les conditions et les finalités de la recherche elle-même qui sont remises en cause par cet intérêt de 1  La barre à roue est toujours l’icône, l’image identitaire du logiciel Netscape. 2  Néjib Ayed (2003) l’a montré avec beaucoup de pertinence à propos de l’appropriation de la voiture par les chauffeurs de taxi tunisiens.

TICE Et Innovations Pdagogogiques

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TICE et innovations pédagogiques

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    Relire les projets TIC et innovation pdagogique : y a-t-il un pilote bord, aprs Dieu bien sr

    Daniel Peraya (TECFA, Universit de Genve) Jacques Viens (TECFA, Universit de Genve)

    1. Introduction

    Le domaine des technologies ducatives intgre aujourdhui au sein des sciences de lducation lhritage de la

    psychologie de lapprentissage et de lducation, de la pdagogie de laudiovisuel, de lducation aux mdias, de

    la technologie de linstruction, de linformatique scolaire et du logiciel ducatif. Plus rcemment, il sest tendu

    aux environnements intgrs pour la gestion des enseignements mdiatiss ainsi que des systmes de formation

    entirement ou partiellement distance. On comprend alors que le domaine se construise sur une base complexe

    parcourue de nombreuses tensions : disciplinaires, pistmologiques, thoriques et mthodologiques. Par

    ailleurs, ces technologies sont souvent prsentes comme la meilleure opportunit pour repenser la pdagogie et

    les pratiques des enseignants aux niveaux suprieur et universitaire. Innovations technologique et pdagogique

    semblent donc unies pour le meilleur et pour le pire.

    Dans ce contexte, le titre de notre contribution mrite une explication. Au dpart, il sagissait pour nous dune

    simple boutade, mais progressivement, ce qui aurait pu paratre ntre quune simple factie prend sens dans

    lpaisseur du langage, dans la densit dun rseau mtaphorique quil nous faut brivement expliciter. Parler des

    technologies aujourdhui cest dsigner comme objets principaux le Web, Internet, les hyperespaces et les

    hypermdias pour lesquels la mtaphore de la navigation1 constitue un cadre dinterprtation (Gofmann,

    1991) fondamental. Or, qui dit navigation, dit pilote et capitaine, seul matre bord aprs Dieu selon la formule

    consacre Mais une certaine conception des technologies nous ramne cette image ou en tous cas une

    mtaphore divine. Le rapport lobjet technique sapparente parfois celui que nous entretenons avec lobjet

    magique. Lobjet technique dont lusager ne matrise en aucune faon le processus de fabrication et mme le

    processus interne de fonctionnement se voit en effet rapidement intgr dans un cadre de pense

    mythologique (Barthes, 1964) voire religieuse (Njib Ayed, 2003)2. Considres comme une fin en soi, les

    technologies simposent facilement comme le principe organisateur dun discours tlologique. Or, de la

    tlologie la thologie, la distance parfois est courte. Quant aux technologues, les voici assimils par cette

    conception une sorte de dmiurge et lon sait le pouvoir quils sarrogent dans nombreux de nos projets.

    Enfin, linnovation elle-mme se pilote : la littrature laffirme et les rfrences cette mtaphore y sont

    nombreuses (notamment Bonami et Garant, 1996 ; Bouvier, 1998) . La situation se complexifie lorsquon

    multiplie les dimensions et les lments prendre en compte mais elle sen enrichit tout la fois. Ce sont la

    fonction, les conditions et les finalits de la recherche elle-mme qui sont remises en cause par cet intrt de

    1 La barre roue est toujours licne, limage identitaire du logiciel Netscape.

    2 Njib Ayed (2003) la montr avec beaucoup de pertinence propos de lappropriation de la voiture par les chauffeurs de taxi tunisiens.

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    comprendre et de soutenir le pilotage de linnovation pdagogique utilisant les TIC. Le dfi est de taille. Si les

    deux dimensions innovantes les plus videntes sont les TIC et la pdagogie, il y en a plusieurs autres : Le

    processus dintgration lui-mme, la dmarche poursuivie lors dun cycle complet de

    dveloppement/implantation dun dispositif de formation qui constitue aujourdhui pour la plupart des acteurs du

    domaine de lducation une des dimensions importantes de linnovation. Dans cette perspective, on est loin

    dune problmatique contrle permettant une recherche exprimentale qui isole des facteurs et les tudie, au

    contraire, on travaille sur le terrain avec des concepts et des conceptions qui varient normment selon les

    acteurs, on travaille avec des acteurs et des conditions trs variables qui viennent transformer lessence des

    activits et bien sr leurs impacts. On ne peut tout contrler et isoler les facteurs puisque cest justement dans

    leurs interactions quils prennent vie. Qui pilote quoi alors ? Comment ? Pourquoi ? Comment sarticulent et

    senrichissent mutuellement la recherche et les pratiques ? Nous tenterons de rpondre ces questions en fin de

    texte, plus spcifiquement dans la section sur les mthodes de recherche et travers lexemple que nous

    rapporterons par la suite afin dillustrer nos rponses. Mais avant daborder ces dimensions mthodologiques, il

    importe de prime abord de circonscrire les concepts en jeu selon lclairage des questionnements et problmes

    relevs par la littrature scientifique de quelques domaines contributifs. Ainsi, nous aborderons dans un premier

    temps le concept de technologies et quelques limites souleves par son utilisation dans la pratique et en

    recherche puis, nous aborderons le concept d innovation pdagogique pour terminer par les questionnements

    en rapport avec son pilotage.

    Nous voici donc introduits dans un cadre dinterprtation o les questions fondamentales touchent au statut

    comme au rle des technologies et des acteurs mais aussi leur hirarchie respective. Nous apporterons

    cependant une rponse diffrente de celle suggre par ces diffrentes mtaphores. Nous proposons de faire du

    pilotage une dmarche centrale, au cur mme de la dynamique du processus innovant. La relecture de la

    littrature rcente des domaines contributifs nous permettra de construire un cadre de rfrence partir duquel

    nous nous efforcerons de rpondre aux interrogations de ce type : quelle est la nature de linnovation ? Quel est

    lobjet de linnovation ? Quelles sont les relations entre innovation et technologies ducatives ? Comment

    soutenir les projets innovants ? Dans ce travail, nous prendrons essentiellement appui sur les diffrents projets

    faisant partie du programme fdral Campus virtuel suisse suisse et secondairement sur les projets europens

    auxquels TECFA a particip ces dernires annes.

    2. A propos du concept de technologies 2.1. Technologies : Objets empiriques ou objets thoriques, empirie ou construit ?

    La dnomination mme de technologies ducatives renvoie, contrairement ce que lon observe dans de

    nombreux champs des sciences de lducation, des objets empiriques et non un domaine, un champ

    thorique. Lnorme variabilit des termes utiliss reflte la rapide volution des objets technologiques : mdias

    ducatifs, utilisation ou application pdagogiques de linformatique, nouveaux mdias, mdias numriques,

    nouvelles technologies, technologies de linformation et de la communication pour lducation (TICE),

    hypermdia, multimdia, etc. Cette confusion entre lobjet empirique et lobjet thorique nest pas neuve et elle

    perdure depuis les premires analyses des auxiliaires audiovisuels puis des mdias ducatifs3. Quand on

    3 On se souviendra par exemple de la classification de Bretz (1972 ) qui se fondait sur de tels critres.

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    interroge en effet les tudiants en sciences de lducation ou en technologie ducative, les praticiens, les

    pdagogues et mme certains spcialistes, on obtient en gnral des rponses spontanes centres sur les moyens

    techniques, la transmission dinformations, les moyens de communication de masse. Plusieurs points de vue

    disciplinaires permettent cependant de proposer une approche fort diffrente de ces objets technologiques :

    dabord au sein des sciences de lducation, lingnierie de la formation et ensuite les thories de la

    communication et plus particulirement la smiotique. 2.1.1. Ingnierie de la formation : Technologies nouvelles vs technologie ducationnelle

    La technologie ducationnelle a t formalise comme domaine denseignement et de recherche vers la fin des

    annes 60. Au Qubec, lUniversit de Montral a ouvert ses programmes en 1972 et fut un des pionniers,

    formant la majorit des chercheurs et professeurs du domaine qui ont par la suite mis sur pied les programmes ou

    cours des autres institutions qubcoises. A lpoque, luniversit avait mandat un linguiste pour dterminer

    lappellation du programme et il y eut un dbat savoir quel terme reprsenterait au mieux le dit domaine. Parmi

    les appellations considres, les deux suivantes synthtisent bien un premier lment de la problmatique de

    lintgration des TIC : technologie ducationnelle ou technologie ducative ? Le dbat tourna donc

    autour du rle de la technologie et de son impact sur lapprentissage. Comme il semblait important de

    reconnatre que ce nest pas la technologie qui duque mais bien ce quon en fait, la dcision ft prise dadopter

    lintitul ducationnelle (au sens de utilise des fins dducation ). Nous sommes donc dj dans une

    perspective de dmarche systmatique pour le dveloppement et lanalyse de systmes beaucoup plus que dans

    une dynamique focalise sur lutilisation de loutil technique en soi. Le terme technologie ducationnelle ,

    permettant ainsi de souligner que ce domaine en est un dtudes et de dveloppement de systmes pour

    lducation et permettant de plus dviter lattribution de limpact loutil en soi, sest cependant limit une

    utilisation restreinte autour des activits de lUniversit de Montral. En parallle, on a vu poindre, chez les

    technologues dautres universits qubcoises le terme technologie ducative , au singulier, donc rfrant au

    domaine de la technologie ducative. Les deux termes4 ont chemin cte cte au fil des annes et le domaine a

    heureusement survcu cette ambigut.

    Mais depuis lapparition de la tlmatique et dInternet, le terme technologies ducatives associ celui de

    technologies de linformation et de la communication (TIC) se rpand dans le monde de lducation, tentant

    de reprsenter lensemble des outils technologiques numriques. Cette utilisation linguistique gnre une double

    transgression smantique pour le champ disciplinaire de la technologie ducationnelle. On insinue toujours une

    relation de causalit attribuant loutil la paternit de limpact sur lapprentissage mais ici, en plus et de faon

    plus subtile, on vacue le concept de technologie comme domaine de recherche et de dveloppement, comme

    processus systmatique et systmique de dveloppement de dispositifs pdagogiques : le mdia utilis devient

    alors lobjet en soi, coup de son utilisation et de son processus de production/dveloppement. Prs de 40 ans

    aprs la naissance du domaine, nous voici avec un courant dappellations populaires qui suscite un dbat

    pistmologique tout aussi essentiel que celui tenu en 1972 par les technologues de lducation du Qubec. Que

    lon utilise le terme technologie ducative au sens de domaine de recherche et de dveloppement nest pas

    trop problmatique vu les nombreuses recherches tmoignant que ce nest pas loutil technologique qui gnre

    limpact mais lutilisation quon en fait. Mais, quen utilisant le pluriel, on vacue toute la dmarche 4 Le terme technologie de lducation a aussi t utilis assez largement une certaine poque. Son interprtation sapparentant en fait linterprtation que nous donnons au terme technologie ducationnelle .

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    systmatique et systmique de recherche-dveloppement pour ne focaliser que sur loutil technologique, l, il y a

    un problme majeur et un grand danger, tant pour le domaine de la technologie ducationnelle que pour

    lducation en gnral. Dabord, on rduit le domaine loutil et on lui attribue demble un impact sur

    lapprentissage et puis on diffuse cette vision au sein de lensemble du rseau de lducation.

    Rcemment, la dnomination TICE est apparue dans lunivers francophone europen, qui semble mieux

    correspondre la sensibilit linguistique qui est la sienne : Cest dans cette ligne quest apparue, et son usage

    tend de plus en plus se gnraliser, lexpression TICE (technologies de linformation et de la communication

    pour lenseignement) qui vise montrer que ces technologies ne sont pas en elles-mmes ducatives et que leur

    efficacit dans la ralisation des apprentissages des lves dpendra toujours de lutilisation pdagogique qui en

    est faite. (Carrier, 2002 :7-8). On le voit, les significations de cette nouvelle dsignation sont celles qui sont

    vises par le qualificatif ducationnelle dans lexpression technologie ducationnelle. Le pluriel nous

    maintient cependant dans le domaine des objets techniques.

    Les appellations technologies ducatives , TIC ou TICE , nous renvoient ds lors un objet que tout un

    chacun peut, veut sapproprier. Cette appropriation se fait alors dans lignorance de la dmarche tant

    systmatique que systmique propre au domaine de la technologie ducationnelle. Exclusivement proccup de

    lobjet loutil et de son produit, il mest facile de dire je matrise les TIC. Il me suffit en effet de pouvoir

    intgrer mon cours des diaporamas lectroniques, de pouvoir produire un mini-site Web et dtre capable

    dchanger des courriels pour tre en mesure daffirmer avoir une assez bonne connaissance des technologies

    ducatives. Ce qui, dune certaine faon, est tout fait souhaitable puisque ces outils peuvent ajouter une plus

    value lapprentissage. Mais le problme reste que la vision/comprhension que lensemble des acteurs du

    monde de lducation dveloppe et adopte trs largement est rductrice, focalisant sur loutil, assumant

    implicitement quils ont un impact sur lapprentissage. 2.1.2. La smiotique : contre le dterminisme de lobjet empirique

    Les sciences de la communication - au sens large et le champ de lanalyse des mdias apportent cette

    discussion une approche et des conceptions complmentaires. La confusion entre objet empirique et objet

    thorique y est en effet frquente. Nous lavons montr en prenant comme exemple la tlvision, la diversit des

    dfinitions et la prgnance de caractristiques empiriques dans la constitution de celles-ci (Peraya, 1999a). Au-

    del des dfinitions strictement techniques, le terme voque une diversit dinstitutions de production et de

    diffusion de programmes et dmissions, chacune delles constituant dans le langage commun une tlvision

    (la tlvision suisse romande, TF1, Antenne 2, la RTB1 ou 2, etc.). Mais cest oublier que chacune de ces

    tlvisions constitue une zone de coopration sociale de production (Bronckart, 1985 ; Peraya, 1999b) obissant

    ses propres rgles, normes, valeurs, intentions, objectifs, etc. dterminant ainsi les productions, les missions et

    les programmes. Les dfinitions de la tlvision recensent et citent aussi un certain nombre de type dmission

    mais elles oublient encore que chacune de ces diffrentes missions relve de textes tlvisuels - fiction,

    information, grand reportage, documentaire, vulgarisation et mission scientifique, tribune politique, reportage,

    sport, film, les sries, talk-shows, etc. - et de discours distincts le raconter, lexposer, lenseigner, etc

    (Bronckart, 1996). Les dfinitions naves signalent encore le caractre multimodal de la tlvision puisquelle

    reproduit, diffuse du visuel des images le plus souvent animes aussi bien que de laudio de la parole, des

    bruits et de la musique. Pourtant, cest ne pas tenir compte du fait que chacune de ces missions organise dans un

    discours mdiatique, des registres smiocognitifs, des systmes de reprsentation trs diffrents : le langage(la

    langue orale et parfois de la langue crite sous la forme de sous-titres ou dintertitres), les schmas et les

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    diagrammes (des donnes statistiques, dmographiques ou boursires par exemple), les photographies et les

    images fixes, les images animes, les bruits, la musique, etc. Chacun de ces langages possde ses propres rgles

    de fonctionnement, comme ses propres modes de traitement de linformation. Chacun possde encore une

    pertinence limite la rsolution de certains problmes de communication, dexpression et de reprsentation.

    Enfin les tudes de rception, font fi du fait que chaque mission induit, selon le genre auquel elle appartient, des

    postures cognitives de rception particulire. Un documentaire ninduit pas la mme posture quune fiction ou

    quun journal tlvis5.

    Disons enfin que cest bien cette confusion entre objet rel et objet thorique qui permet encore aujourdhui de

    faire la distinction entre les mdias classiques et les nouveaux mdias : dun ct, les mdias analogiques, la

    tlvision, la presse, le cinma, etc. et de lautre, les mdias numriques, linformatique scolaire, linformatique

    communicationnelle, Internet et le Web. Cette distinction que nous ne croyons plus justifie des points de vue ni

    thoriques ni technologiques, hante encore nos programmes de formation : loffre de formation de TECFA

    destine aux futurs instituteurs sintitule encore Mdias et informatique , et la formation continue des

    enseignements du secondaire et du primaire porte le nom de F3MITIC, MI pour mdias et images, TIC

    pour technologies On voit bien la prgnance de cette distinction entre deux mondes, ducation limage et

    aux mdias dune part, informatique scolaire, logiciels ducatifs, Internet, Web, dautre part.

    Il est donc rare de trouver une dfinition qui puisse rendre compte exhaustivement de ces diffrents aspects et

    qui soit en mme temps suffisamment gnrale pour convenir tous les mdias, tous les dispositifs

    technologiques de communication.

    Dans ses travaux rcents, Peraya (1999b) propose de modliser le fonctionnement du mdia ducatif partir du

    concept de dispositif construit sur la base des thories de la communication :

    Un dispositif est une instance, un lieu social d'interaction et de coopration possdant ses

    intentions, son fonctionnement matriel et symbolique enfin, ses modes d'interactions propres.

    L'conomie d'un dispositif son fonctionnement dtermine par les intentions, s'appuie sur

    l'organisation structure de moyens matriels, technologiques, symboliques et relationnels qui

    modlisent, partir de leurs caractristiques propres, les comportements et les conduites sociales

    (affectives et relationnelles), cognitives, communicatives des sujets (p. 153).

    On le voit, ainsi dfini le dispositif semble correspondre parfaitement la description comme au fonctionnement

    des dispositifs de communication mdiatise. Cette dfinition pourtant risque de figer le dispositif dans un tat

    observable, sans rendre compte de la dynamique ou du processus de dveloppement qui lui sont propres. Mais ici

    encore, on observe un certain flou terminologique qui ne facilite la tche ni des enseignants ni des chercheurs.

    2.2. La communication instrumente : mdiatisation et mdiation Les processus de communication nchappent pas au processus dinstrumentation. Le langage mme doit tre

    considr depuis Vygotsky comme le principal outil socioculturel, comme le principal outil cognitif the tools

    of tools6, crira-t-il - dans la mesure o il modifie les processus de pense qui y sont lis. Nanmoins la

    5 Dans cette optique, citons le travail de P. Fastrez (1997) dans le cadre de son mmoire de licence portant sur la diffrence entre les attitudes spectatorielles induites par la fiction et par linformation.

    6 La position dfendue par J. Bruner (1966) ntait gure diffrente lorsquil affirmait que le langage est un amplificateur culturel qui permet une mise distance par rapport au rel et de ce fait, donne la possibilit deffectuer des oprations productives et combinatoires en labsence du rel.

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    mdiation du langage naturel est rarement perue par les locuteurs dans la mesure o lusage mme de notre

    langue semble nous la rendre transparente, immdiate notre conscience, voire notre pense. Lartefact nest

    donc pas quun simple objet matriel, il peut tre aussi symbolique et le langage en est le plus bel exemple.

    Lcriture constitue sans doute une autre de ces technologies intellectuelles, une autre forme de mdiation

    symbolique tout aussi fondamentale qui est reste longtemps la technologie intellectuelle motrice, tant sur le

    plan imaginaire que religieux, scientifique ou esthtique (Lvy, 1987:9). Enfin, il y eut limprimerie qui a

    rendu possible une large diffusion des livres et lexistence mme de journaux et sans laquelle les dmocraties

    modernes nauraient jamais vu lexistence (Lvy, 1994).

    Ainsi une technologie intellectuelle contribue-t-elle dterminer le mode de perception et d'intellection par

    quoi nous connaissons les objets. (Lvy, 1987:10). Elle regroupe en tant que registre gnral, les divers

    systmes de reprsentation et d'expression fonctionnement smiotique tels que les systmes techniques, les

    diverses langues naturelles et formelles, les systmes graphiques, les systmes plastiques de l'art, les systmes

    abstraits comme la logique ou les systmes de classification, et enfin, last but non least, les systmes de

    conceptualisation et de savoir, scientifiques ou philosophiques (Netchine-Grynberg et Grynberg, 1991). Ces

    diffrents systmes ont en commun la capacit et la fonction de reprsenter l'exprience, de la nommer mais

    aussi de la constituer comme telle pour la rendre identifiable, pensable, manipulable et communicable : leur

    fonction est une fonction de mdiation par laquelle se construit en ses diverses modalits la relation entre

    l'homme et le monde (op.cit.) ou encore : Les systmes de traitement de l'information effectuent la mdiation

    pratique de nos interactions avec l'univers. (Lvy, ibidem). Cette mdiation sinscrit dans une dynamique de

    rification des connaissances, dans leur mise en forme afin de permettre une formalisation matrielle, un recul

    critique et une distanciation qui facilitent la construction de nouvelles connaissances. On ne peut donc analyser

    les technologies de linformation et de la communication, les mdias numriques, comme dailleurs les mdias

    classiques, que de ce double point de vue constitutif de tout outil cognitif, matriel et symbolique.

    De cette conception, et donc de la position pistmologique qui la fonde, dcoulent des approches, des analyses

    et des mthodes propres, une certaine orientation de lducation aux mdias et des formes particulires

    dintgration pdagogique des mdias. Dans le premier cas, on considre que les connaissances et les systmes

    de reprsentation - les registres smiotiques (Duval, 1995) - entretiennent des rapports de dtermination

    rciproque et lon s'appuiera donc sur la spcificit de ces systmes de reprsentation mis en uvre dans ces

    mdias pour favoriser l'acquisition de comptences et d'aptitudes cognitives gnrales soit de connaissances

    disciplinaires particulires. Autrement dit, on suppose que des systmes symboliques diffrents dveloppent des

    facults intellectuelles diffrentes parce que, justement, ils mobilisent des comptences, des formes de traitement

    diffrentes. Dans le second cas, on postule linvariance des connaissances qui peuvent ds lors se voir

    transmises, vhicules par nimporte quel type de mdia. La connaissance est premire et les mdias, comme

    dailleurs le langage verbal, nont dautre fonction que de la communiquer.

    Le processus de constitution de lartefact matriel et/ou symbolique en un objet de connaissance et en un concept

    thorique loutil cognitif, la technologie intellectuelle sest inscrit dans une longue histoire que nous ne

    pouvons dvelopper ici. Mais nous pouvons avancer sans crainte que le concept apparat comme le rsultat de la

    lente convergence de diffrentes disciplines - anthropologie, sociologie, sciences de la communication,

    smiotique, psychologie, sciences cognitives et sciences de lducation. 2.2.1. Mdia, mdiation et communication mdiatise

    Revenons un instant sur lhistoire de ces concepts. Celui de communication mdiatise au sens large sest

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    dvelopp dans le sillage des premires analyses communicationnelles des mdias, principalement la tlvision,

    la presse crite et la publicit, mais aussi avec leur utilisation en milieu scolaire. Il sagissait danalyser certes,

    mais de produire aussi des contenus vhiculs par des mdias. On comprend ds lors mieux l'origine de la

    dnomination de communication mdiatise qui fait rfrence explicitement aux mdias, entendus au sens

    ordinaire de moyens de communication de masse. Mais cette rfrence voque aussi celle du mdium, cet

    intermdiaire oblig qui rend la communication entre les interlocuteurs mdiate : il s'agit toujours de documents

    imprims ou lectroniques, d'images et de texte, de squences tlvisuelles ou filmiques, etc. donc de

    reprsentations matrielles, d'outils smiocognitifs.

    Chacun de ces deux ancrages les mdias et le mdium a dtermin la terminologie mais surtout les concepts

    de rfrence. Le premier a fait cole principalement dans le domaine de l'analyse des mdias ducatifs mais aussi

    de l'ingnierie sous la forme de mdiatisation au sens de mise en forme particulire un mdia. L'expression

    communication mdiatise dsignait alors la fois le domaine des mdias ducatifs mais aussi les produits

    ducatifs rsultant de cette opration de mdiatisation, de ce processus de fabrication incluant les aspects tant

    conceptuels que technologiques. C'est cette acception des mdias ducatifs que se rfre encore J. Perriault en

    analysant rcemment lvolution des formes de mdiatisation du savoir distance :

    La notion de mdia occupe une place importante dans lvolution en cours. Depuis plus de vingt

    ans, laboratoires universitaires, constructeurs dordinateurs, diteurs de logiciels ont constitu des

    stocks importants de formations mdiatises7 []. (Perriault, 1996 : 81).

    Quant la notion de mdiation de la communication, elle se trouve plutt dveloppe comme le rappellent

    Belisle, Bianchi et Jourdan (1999) par ceux qui, psychologues et smiologues, s'appuient notamment sur une

    relecture des travaux et de la pense de Vygotsky et des diffrents courants qui, sa suite, n'ont cess de mettre

    en vidence l'importance des processus de mdiation au sein de l'activit humaine.

    Face aux spcialistes des mdias qui cherchaient mdiatiser des contenus d'enseignement, nous avons souvent

    crit et dfendu l'ide que dans toute communication il existe une part de relation, et qu'en consquence la

    communication ducative ne fait pas exception (Meunier et Peraya, 1993). La part de relation qui lui est propre

    et ses caractristiques tant nonciatives que pragmatiques doivent donc leur tour tre mdiatises dans le

    dispositif. Afin de rintroduire l'espace de la relation face au tenants de la mdiatisation scnarisation des

    seuls contenus, nous avons longtemps oppos la mdiatisation des contenus la mdiation de la relation

    (Peraya,1998). Plusieurs chercheurs travaillaient lpoque dans cette direction, notamment dans le domaine de

    la formation distance dont on sait quelle constitue un dispositif de formation mais aussi de communication

    ncessairement mdiatises. Cest ainsi que V. Glickman (1997), cherchant des critres de classification de tels

    systmes de formation, rompait avec les taxonomies conventionnelles fondes principalement sur les lieux

    salle de cours, centres de ressources, domicile, lieu de travail, etc. - et les degrs de libert de lapprenant dans

    la dfinition des modalits et du parcours de sa formation. Elle suggrait quant elle de distinguer les diffrents

    dispositifs de formation distance de ces deux critres : mdiatisations technologiques (MT) et humaine (MH).

    Croisant ces deux facteurs avec leur degr de ralisation, elle distinguait quatre grandes familles : a) les

    formations de pointes [(MT+)(MH+)] ; b) les formations modernistes [(MT+)(MH-)] ; c) les formations

    assistes en centre de ressources [(MT-)(MH+)] ; d) les formations distance traditionnelles [(MT-)(MH-)].

    7 Nous soulignons.

  • 8

    Pourtant, si le rle stratgique de cette distinction a t essentiel rappeler aux praticiens l'importance de

    scnariser tant la relation que les contenus une poque o seule la mdiatisation des contenus tait prise en

    compte elle s'avre difficilement dfendable des points de vue tant thorique que mthodologique et elle parat

    incompatible avec notre modlisation de la communication mdiatise. D'un point de vue thorique tout d'abord,

    dans la perspective cognitive de la smiotique actuelle, il parat incohrent de restreindre le champ d'application

    du concept de mdiation aux seuls aspects relationnels et pragmatiques (Peraya et Meunier, 1999). D'un point de

    vue mthodologique enfin, en rintroduisant les aspects relationnels dans le processus de mdiatisation, il est

    bien difficile de maintenir la distinction propose. La mdiation technologique, par exemple, impose ses

    contraintes tant au contenu qu' l'nonciation elle-mme.

    Une fois de plus, il nous aura fallu reformuler l'ensemble de ces notions pour leur rendre la cohrence qui leur

    faisait dfaut. Aujourdhui, en ltat du domaine et ayant considr lavancement des recherches, nous avons

    opt pour les dfinitions suivantes. Nous garderons l'expression de communication mdiatise pour dsigner

    toute forme de communication utilisant un dispositif technologique, un mdia quel quil soit, par exemple une

    mission de tlvision, un film, une sance dans une classe virtuelle, la consultation documentaire sur Internet,

    un forum de discussion, une correspondance interclasse, un journal scolaire, un site Web dcole, etc.

    Historiquement, le dveloppement des pratiques de Computer mediated communication (CMC, CMO en

    franais) a plus que certainement jou dans la diffusion puis de limposition de la traduction franaise de cette

    expression sous la forme abrge de communication mdiatise. Cest donc dans ce contexte quil est lgitime de

    parler de dispositif de communication mdiatise ou parfois sous forme simplifie de dispositif mdiatique. Si

    ces deux dernires expressions se rfrent au mme construit, dans un cas lattention du chercheur se portera

    plus prcisment sur les processus de communication, tandis que dans le second, elle circonscrira plus volontiers

    les caractristiques mmes du mdia. Mais dans les deux cas, il sagit de dfinitions gnrales qui saccordent

    avec le cadre thorique de rfrence que nous dveloppons et interdisent du mme coup toute retour lempirie,

    savoir les dsignations qui renvoient directement un objet technologique concret assimilant du mme coup

    lobjet rel un objet thorique.

    Nous conserverons le terme de mdiatisation pour dsigner le processus de cration de tels dispositifs, processus

    dans lequel la scnarisation occupe une place importante. Le processus de mdiatisation de mise en

    dispositif mdiatique ou en dispositif de communication mdiatise relve en consquence de lingnierie de la

    formation (technologie ducationnelle) et du design pdagogique. Aussi recouvre-t-il une trs grande diversit

    dactivits professionnelles dont rendent compte des expressions telles que metteur en ondes, mise en ondes,

    metteur en images, etc., mme si certaines dentre elles sont peu usites aujourdhui. Pourtant cest tort que

    lon croirait la nature exclusivement technique des oprations de mdiatisation. En effet, mdiatiser cest

    instrumenter, cest donc mdier. En dautres termes, cest avoir une claire conscience des diffrentes formes de

    mdiation8, de leur influence et bien sr, une certaine matrise de leur impact sur le dispositif. 2.1.2. Le niveau de mdiatisation des objets pdagogiques

    Un coup dil sur les diffrentes formes de mdiatisation fait apparatre limportante diversit dobjets

    pdagogiques susceptibles dtre mdiatiss : il sagit dans certain cas de contenus lmentaires un concept,

    8 Peraya et Meunier ont identifi comme formes principales les mdiations sensorimotrice, technologique, relationnelle et smiocognitive (1999). Entendue en ce sens, la mdiation se distingue de la conception qui fonde, par exemple, les mtiers de mdiateur (mdiateur culturel, juridique, etc.).

  • 9

    une notion, etc. ou de systmes entiers comprenant les activits dapprentissage mais aussi toutes les autres

    dimensions dun dispositif de formation gestion, information, communication, collaboration, assistance. Entre

    ces deux extrmes, on situera les squences dapprentissage plus complexes et le logiciel ducatif qui impliquent

    la mdiatisation de certaines de ces fonctions, notamment lassistance qui a dj largement t intgre aux

    environnements de formation distance. Avant daller plus loin dans lexplicitation de ces diffrentes catgories,

    il faut prciser quil sagit dune chelle de complexit croissante plus quune chelle chronologique. Il est vrai

    que les systmes les plus complexes - lenvironnement de travail et les campus virtuels (de type LMS, learning

    managment systems) ou les portails ducatifs (par exemple Tecfaseed, 2002) sont aussi souvent les plus

    rcents. Il a exist des systmes de formation mdiatiss les systmes de formation de type Computer

    Managed Instruction9 - dans les annes 60 et 70, lpoque par exemple du projet Plato, mais qui ont t

    dvelopps dans des environnements technologiques moins riches et qui, de toutes faons, nont pas connu ni le

    dveloppement ni la diffusion des dispositifs actuels.

    Au niveau de complexit le plus simple, on identifiera les reprsentations visuelles fixes telles que les images

    photos, les caricatures, les dessins, les schmas, etc. Ceux-ci sont tudis depuis fort longtemps par les

    psychologues et les pdagogues : il sagit danalyser les diffrences entre des reprsentations de nature diffrente

    par exemple le verbal et le visuel afin de mesurer limpact du format , du registre de reprsentation

    dirions-nous, sur la mmorisation et/ou la comprhension. Il sagit dun paradigme relativement ancien centr

    autour du concept de paratextes et de lutilisation de ces diffrents formats de prsentation dans les documents et

    les matriaux pdagogiques (Jonassen, 1982 ; Peraya et Nyssen, 1995). Aujourdhui les travaux de Mayer et

    Chandler (2001) notamment perptuent ce courant analysant notamment des squences dapprentissage

    multimdia comportant ou non des encarts prsentant sous forme crite des extraits du commentaire verbal. On

    connat cependant les limites de ce type de dmarche : elles ne tiennent pas compte des facteurs smiotiques

    propres aux reprsentations utilises, pas plus que des processus de dcodage, dinterprtation ou dinfrence lis

    aux systmes smiocognitifs mis en uvre. Tout est fait comme si les systmes de reprsentation taient

    transparents et la signification immanente. Au ple oppos de lchelle, au niveau de la plus grande complexit,

    on trouvera les environnements de travail pour lesquels les technologies de la communication et une conception

    communicationnelle de linformatique reprsentent des outils de collaboration, de communication et dchange

    au potentiel norme. Le travail de Henri et Lundgren-Cayrol (2002) par exemple constitue une bonne illustration

    de cette approche. Pourtant ici aussi, le risque est grand de ne voir en ces artefacts technologiques quun outil

    favorisant une meilleure accessibilit spatio-temporelle (communication synchrone) ou certaines formes de

    tlprsence (communication synchrone), sans prendre en compte les formes de mdiations sensorimotrice,

    technologique relationnelle et smiocognitive propres ces nouvelles formes de mdiatisation.

    2.2. Prsence vs distance : Les dispositifs hybrides et les formes dhybridation Le recours aux dispositifs dapprentissage permettant dapprendre distance nest pas rcent comme en

    tmoigne les recherches et pratiques pdagogiques impliquant lutilisation du courrier, de la radio et mme de la

    tlvision (Saettler, 1990). Ces diffrents mdias nont cependant pas remis profondment en question les

    9 En franais on utilisait lpoque le terme enseignement gr par ordinateur pour dsigner les systmes denseignement qui graient un dossier de lapprenant et offrait un enseignement individualis en fonction des caractristiques de lapprenant et de son volution. Mais les exemples franais de ce type de systme on t rares. On se rappellera peut-tre de EGO, un systme-auteur qui est apparu dans les annes 80.

  • 10

    modles pdagogiques, si ce nest par la possibilit de rejoindre des populations isoles ou normalement exclues

    des formations traditionnelles face face. La communication synchrone et bi-directionnelle, rendue possible par

    lInternet a permis de questionner le partage du pouvoir entre enseignants et apprenants en soutenant une

    diffusion bi-directionnelle et une communication de plus en plus riche. Lopposition prsence-distance est de

    plus en plus mince en ducation. Le terme de dispositif hybride blended systems - sest progressivement

    impos dans le domaine francophone pour dsigner le dispositif partiellement distance, mlant les moments de

    formation en prsence et ceux organiss en tl-prsence. Analysant les pratiques dites de formation ouverte

    nes dans le contexte franais ds 1992 Valdes (1996) a montr que lon ne pouvait limiter lhybridation cette

    bipolarisation de la formation. Pour cet auteur, le processus dhybridation porte autant sur le choix de la structure

    de formation, sur les units de temps, sur les ressources institutionnelles, sur les situations pdagogiques que sur

    la diversit des matriaux de formation plurimdias. En effet, la prsence de deux logiques diffrentes voire

    souvent contradictoires au sein du mme dispositif rend ncessaire ladaptation de multiples aspects

    technologiques, organisationnels, pdagogiques, etc. Les acteurs nchappent dailleurs pas au processus :

    linnovation tant une prise de risque, chacun se voit peu ou prou dstabilis, partag entre des tendances

    opposes tandis que la culture du groupe risque de perdre son homognit. Il faut voir lhybridation

    gnralise comme un processus, comme une dynamique dadaptation de ngociation diront Jacquinot et

    Choplin (2002, voir ci-dessous) qui touche le dispositif dans son ensemble et dpend en retour de ses

    diffrentes composantes toujours htrognes : il sagit dune suite dtats relativement instables et transitoires

    que lon peut dcrire et que lon doit prendre en compte des deux points de vue complmentaires, synchroniques

    et diachroniques. Dans le premier cas, on sintressera lconomie du dispositif pour en analyser les besoins et

    pour soutenir au mieux ses acteurs dans leurs objectifs chacune des tapes donnes. Dans le second cas, on

    observera lvolution du dispositif et de ses acteurs. Mais, est-il utile de le rappeler, ces deux points de vues sont

    complmentaires et le chercheur ne peut travailler selon lun de ceux-ci en omettant le second.

    Peraya (2002) et Peraya et Deschryver (2002) ont propos une analyse des fonctions gnriques caractristiques

    des dispositifs de formation10. Dans un dispositif hybride, chacune des squences prsentielles ou tl-

    prsentielles ( distance) dveloppe des degrs divers ces diffrentes fonctions, sachant que les six fonctions

    gnriques11 relvent autant du dispositif global que de chacun des modes dorganisation particuliers. Ds lors,

    cest bien la rpartition de ces fonctions entre les squences distance et en prsence qui caractrise qui

    colore ? chacune des phases du scnario pdagogique et donc du processus dapprentissage comme nous

    lavons montr lors de lanalyse compare de plusieurs dispositifs de formation mis en uvre par TECFA tant au

    deuxime quau troisime cycle.

    Prcisons que, par le fait mme dexiger une scnarisation explicite des rles et activits des acteurs, la

    mdiatisation dun dispositif de formation distance force un regard rflexif et critique sur la mdiation

    pdagogique qui sapparente la rification gnratrice de nouvelles connaissances. Ces activits de

    scnarisation et les artfacts quelles gnrent constituent des outils de formation potentiellement trs riches pour

    le domaine de lducation.

    10 Il ne nous semble pas opportun de discuter de ces diffrentes fonctions dans le cadre de ce texte.

    11 En ltat actuel, il sagit des fonctions de gestion, de communication, de collaboration, dinformation, de production et dassistance.

  • 11

    3. A la recherche dune dfinition : entre rforme, innovation et novation Il nous faut aborder prsent lun des aspects les plus intressants de notre discussion, les questions que se pose

    chacun dentre nous dans sa propre pratique : quest-ce que linnovation ? Linnovation, a marche dans quel

    contexte, pourquoi, quelles conditions, avec quels partenaires ? Comment mettre en oeuvre et soutenir les

    projets innovants ? Autrement dit, comment rendre linnovation prenne et quelles sont les conditions de son

    succs ? Les nouveaux dispositifs technologiques constituent-ils une innovation technologique et/ou

    pdagogique ?

    Comme nous le verrons, le concept dinnovation est vaste et peut sappliquer des degrs divers de complexit

    et de profondeur. Cependant, il ressort de lensemble des travaux sur linnovation, quelques caractristiques

    gnrales qui permettent den saisir lessence. Globalement, cest un changement qui sapplique une procdure

    ou un outil dans le but damliorer une situation. Cette amlioration peut viser le produit, le processus (en le

    rendant plus productif ou plus facile) ou encore, permettre datteindre de nouveaux objectifs, de nouveaux

    acteurs ou des objets qui nauraient pu tre touchs dans les conditions pralables. Il en est de mme en

    ducation lorsque linnovation techno-pdagogique permet de poursuivre, de comprendre ou de soutenir des

    apprentissages plus complexes.

    En 1996, Bonami et Garant rassemblaient en un volume collectif des contributions majeures pour rpondre

    cette toute premire question. Les contributeurs, principalement Cros, Ducros et Finkelzstein, Garant, Gelinas et

    Fortin, distinguent gnralement la novation, la rnovation, la rforme, linnovation et finalement lnovation.

    Nous ne nous appesantirons pas sur les dfinitions des deux premires notions. Rappelons simplement que la

    novation concerne le renouveau radical, celui qui na jamais exist jusque l : il est synonyme dinvention et

    dcouverte. Les novateurs apportent la cration. (Cros, 1996 :18). Et de citer au titre dexemple des

    pdagogues tels que Freinet, Pestalozzi, Dewey, Decroly, etc. (Gelinas et Fortin, op. cit. :117) qui, quant eux,

    prcisent que la novation implique en plus de la nouveaut, la transformation des pratiques, ce qui nous ramne

    dj un cadre danalyse se rfrant la thorie de laction. Quant la rnovation, elle conduit une remise

    neuf, quand cela tait nouveau, de manire effacer les marques du temps : il sagit de conforter les objectifs

    initiaux qui auraient pu tre affaiblis par le temps. (Cros, ibidem.). Les changements naffectent donc pas, les

    objectifs demeurent donc inchangs et mme renforcs.

    La rforme, tous les auteurs saccordent sur ce point, mane des autorits institutionnelles (Cros, 1996 :19),

    du pouvoir central (Finkelzstein et Ducros, 1996 :32). Elle vise des changements fondamentaux dans les

    orientations de la politique scolaire et sarticule une conception large du changement social (Finkelzstein

    et Ducros, op.cit). Elle propose en gnral des objectifs gnraux sans toujours prciser les processus et les

    mthodes qui permettent de les atteindre (ibidem). Nous dirons que toute rforme se caractriserait encore par

    une forte volont de centralisation, de planification, de gnralisation et de standardisation, volont qui se lit

    travers les mcanismes dcisionnels (top down) et, quand elle les prvoit, les processus de mise en uvre.

    Considre comme une action, linnovation sidentifie un processus bien plus qu un produit (Cros, op.

    cit. :19). Elle est centre sur la proposition dintroduction dune faon volontaire dune pratique nouvelle au

    sein dun tablissement scolaire en vue dune meilleure efficacit dans la rponse un problme peru dans

    lenvironnement ou en vue dune utilisation plus efficiente des ressources (Garant, 1996 :58). Linnovation se

    rapproche pourtant de la rforme par certains aspects, notamment son intentionnalit, cette sorte de volontarisme

  • 12

    mais aussi en ce quelle est une stratgie de changement planifi (Gelinas et Fortin, 1996 :118). Pour ces

    derniers auteurs, le rle dune instance externe est fondamental dans le processus dinnovation : Centre sur la

    proposition dimplantation [insertion] par des individus dun produit novateur provenant dune expertise

    externe (Gelinas et Fortin, ibidem). Linnovation, Cros lindique dans sa dfinition, relve cependant moins

    dune vision socitale que dune conception que nous dirions rparatrice, ce que confirme par exemple Le Guen :

    il sagit toujours d une action intentionnelle dveloppe pour faire face une difficult (2002 :12). Cette

    faon de rpondre ce qui semble identifi comme un dysfonctionnement ou ventuellement un besoin ramne

    linnovation un contexte plus local, celui de ltablissement scolaire o souvent nat linnovation mme si dans

    certains cas elle peut avoir t impulse par un organisme central (Garant, op. cit.).

    Le dplacement opr vers le local et le contextuel est encore bien plus marqu chez un auteur comme De Ketele

    qui dfinit linnovation comme le surgissement dun indit souhaitable ou possible (2002 :47 et sv.) tout en

    soulignant la relativit de cette notion dindit par rapport au contexte et aux acteurs. On comprend que

    radicalise, cette conception amne certains soutenir que linnovation ne se transfre pas, mais quelle doit

    chaque fois tre rinvente. Dans cette perspective, lauteur propose un modle, relativement simple voire mme

    basique, danalyse des conditions de mise en uvre et dadoption de linnovation, le modle IRPV (De Ketele,

    2002 :35-42). La structure des rponses aux quatre questions suivantes permettrait en effet davoir un prdicteur

    fiable de la russite dun projet innovant :

    1. Idal : Pensez-vous que personnellement que, dans labsolu, cette action soit idalement

    souhaitable ?

    2. Ralis (dj) : Personnellement vous arrive-t-il de mettre en uvre cette action ?

    3. Possible : De votre point de vue personnel, pensez-vous que mettre en uvre cette action soit

    possible ?

    4. Volont : Si lon vous le demandait, est-ce que vous voudriez bien mettre en uvre cette action ?

    Ce sont en effet les rponses de type ++++ ou +-++ qui laissent prsager les conditions dune action innovante

    russie. Lauteur souligne dailleurs que si ce modle, somme toute assez sommaire, fonctionne bien avec les

    acteurs de terrain, cest que ceux-ci raisonnent plus partir dactions mettre en oeuvre qu partir dobjectifs

    atteindre , alors que les dcideurs sont eux plus intresss aux effets et aux rsultats (ibidem). Nous sommes

    proches de la situation dcrite par Bonami lorsquil parle dmergence de linnovation : le dveloppement

    dune innovation pdagogique sans quil ny ait de rforme impose () exprimentation dune pratique

    nouvelle prise sur linitiative dun acteur, le plus souvent un groupe de personnes internes de ltablissement en

    liaison avec une insatisfaction ressentie par elle (1996 :188).

    Ces dernires considrations, nous amnent progressivement privilgier les pratiques, les acteurs, le processus

    et le terrain et son contexte concret. Dans cette perspective, Gelinas et Fortin (1996 :117 et sv.) dveloppent le

    concept dnovation, radicalement oppos celui dinnovation : il sagit dune stratgie du changement

    mergent , dun processus de gestion appropriative par des acteurs organisationnels , ou encore dune mise

    en uvre dlibre dune stratgie de prise de dcision tenant compte des reprsentations des acteurs et

    composant avec les ressources et les contraintes de lenvironnement . On le voit, la place des facteurs

    contextuels et humains dont les reprsentations des acteurs occupent cette fois encore une place fondamentale

    dans lnovation. Mais lessentiel de cette dfinition tient, nous semble-t-il, dans le changement de paradigme

  • 13

    qui est propos : quil sagisse de rforme ou dinnovation, le processus apparat toujours, travers les

    dfinitions proposes, comme extrieur aux acteurs de terrain, comme si lon avait dun ct les concepteurs-

    dcideurs et de lautre les acteurs de terrain rduits au rle dapplicateurs. Cest ce dualisme qui disparat dans la

    dfinition de lnovation : les acteurs sont au centre du processus, la base de son organisation et lorigine de

    la nouveaut qui merge alors de leur contexte propre. Ils sont ce processus incarn : il sagit dun processus et

    non dun tat (..) Cest plutt le rapport contingent entre les acteurs et le contexte. Selon lauteur, une expertise

    en innovation demeure indispensable lmergence de la nouveaut, mais elle est, cette fois, interne et porte sur

    la rgulation du processus bien plus que sur la nouveaut elle-mme puisque lon ne peut prsumer le degr de

    nouveaut des rsultantes [du processus] . Le changement mergent doit en effet tre considr comme le

    rsultat des interactions entre les acteurs plutt que [comme ] lobjectif de linteraction . Aussi le processus

    valoris par lacteur du changement est-il de nature constructiviste et renvoie une stratgie dintervention

    caractrise par une squence pratique-thorie-pratique au sein de laquelle, formation et recherche, analyse et

    modlisation des pratiques, travail mtarflexif et transformations des reprsentations tiennent une place

    importante.

    Une dmarche semblable a guid la mise en uvre du projet europen LearnNett (2002) dont lobjectif tait de :

    Crer un rseau pour que de futurs enseignants belges et europens puissent apprendre ensemble les

    technologies de linformation et de la communication en utilisant eux-mmes ces technologies pour apprendre.

    Mais aussi dvelopper un regard attentif sur ce qui allait se passer, une recherche action visant concevoir,

    exprimenter et valuer des modalits dintroduction de lenseignement ouvert et distance dans et pour la

    formation des enseignants. (Charlier, et Peraya, 2002 :5). Lobservation du processus dadoption de

    linnovation12 dans les diffrentes universits partenaires du projet confirme lanalyse de lnovation puisque le

    mme projet se ralise donc de faon trs diffrente selon le contexte, les contraintes de lenvironnement, le

    degr dimplication des enseignants et des acteurs institutionnels. Bonamy, Charlier et Saunders (2002) ont en

    effet identifi trois modles dadoption et dappropriation de ce projet selon les contextes locaux :

    1. Une dynamique daddition : elle caractrise les universits dans lesquelles une insertion horaire de

    lexprience tait difficile et pour lesquelles lenseignant ne formulait pas de projet de changement de

    pratique ou dusage des TIC. Le projet tait donc considr comme une exprience pilote et le dispositif

    mis en uvre tait offert des tudiants volontaires sans intgration aucune dans leur curriculum. La

    dynamique sest ainsi dveloppe par addition au curriculum existant sans aucune modification de

    celui-ci. Les effets positifs nont touch que les tudiants et les tuteurs, mais nont eu aucun impact

    sur les facteurs institutionnels.

    2. Une dynamique dadaptation : elle caractrise les universits dans lesquelles aucune pratique

    congruente nexistait au pralable, une insertion horaire de lexprience tait possible sans pour autant

    tre toujours suffisante, un fort projet li lexprimentation de pratiques pdagogiques nouvelles et des

    TIC tait formul par lenseignant (souvent seul) soutenu par son institution. Il sagissait donc de crer

    12 Il existe de nombreux modles dadoption de linnovation : notamment le modle descriptif des comportements innovants de Rogers (1983), le modle CBAM (Concerns-based adoption model) de Hall (1974) qui prsente lintrt de prendre en compte une diffrence entre les niveaux de proccupation des enseignants face aux technologies et dutilisation de celles-ci. Nous rappellerons aussi le modle de Chin (1976) repris par Savoie Zajc (1993) qui propose un processus en cinq stades depuis le changement par substitution jusquau changement de valeurs chez les utilisateurs.

  • 14

    les conditions de ralisation dune pratique innovante.

    3. Une dynamique de transition : elle caractrise la dynamique des universits dans lesquelles une

    pratique pdagogique antrieure (travaux pratiques raliss sous forme de projet) existe, une insertion

    horaire de lexprience est possible dans les cours (au moins trente heures) et un projet

    dexprimentation de lenseignement distance est formul par lenseignant (et le plus souvent une

    quipe enseignante) soutenu par son institution . (op.cit. : 64).

    4. Quelques considrations mthodologiques : du dispositif et des acteurs Enfin, il nous faut encore prsenter la dmarche dispositive propose rcemment par Jacquinot et Choplin

    (2002). Les auteurs prennent comme point de dpart une critique de la dfinition du dispositif telle que nous

    lavons nous-mme propose propos des dispositifs mdiatiques. Pour les auteurs, cette dfinition saccorderait

    bien avec une certaine conception des dispositifs dapprentissage actuels qui deviennent loccasion dune

    redistribution des rles voire de lintelligence, celle du dispositif se partageant avec celle de lindividu

    (Jacquinot et Choplin, 2002 : 187). Pourtant elle considre les acteurs comme extrieurs au dispositif lui-mme,

    comme objets passifs de celui-ci et ne peut donc rendre compte des processus quen termes dune mcanique

    objectivante.

    Ds lors, pourquoi se rfrer dans les termes mmes au concept de dispositif ? Cest que, rpond Linard, le

    langage reflte toujours les changements de pratique sociale et de points de vue : le terme de dispositif et son

    actualit concident , dit-elle, avec la gnralisation de TIC comme instruments ordinaires daction et de

    connaissance (Linard 2002 :143). Il faut donc modifier la conception mme du dispositif et principalement

    celle des acteurs. Lanalyse des communications au Colloque de Louvain-la-Neuve publies sous le titre Le

    dispositif entre usage et concept (Jacquinot et Montoyer, 1999), montre qu la conception objectivante et

    mcaniste du dispositif soppose cette autre qui rintroduit dans les rouages dispositifs lindividu actif

    condition indispensable pour transformer lidologie normative de la rationalisation technique en une idologie

    mancipatrice par sa mise disposition au service de lactivit humaine (op.cit. :145). Ce positionnement

    pistmologique remet en question les catgories traditionnelles dobjectivit et de subjectivit comme dailleurs

    le dualisme des approches classiques qui opposent les concepteurs/experts et les acteurs/applicateurs (voir ci-

    dessous). La mthode dispositive se propose alors de rendre compte des logiques dusage et des interactions

    entre les lments htrognes qui interviennent dans la mise en uvre du dispositif lui-mme innovant. Sa

    valeur heuristique tient ce quelle propose un lieu (espace) et un processus (temps), soit un objet commun

    ngocier entre les sujets (social). Elle oblige interroger ce qui se joue au jour le jour (la dimension dynamique)

    dans lactualisation des pratiques nouvelles (dimension innovante) instituer par rapport danciennes pratiques

    si ancres quelles semblent naturelles (dimension smiotique contribuant lexplicitation du sens) (Linard

    2002 :187-188). Au centre de cette dmarche se trouve lide fondamentale que le dispositif de formation peut

    tenir lieu dobjet ngociable au cur mme du dispositif dinnovation pdagogique (op.cit. : 185). La

    dmarche propose se construit alors comme lanalyse du dispositif comme lieu et objet de ngociation entre

    tous les acteurs (op.cit. : 188) et celle-ci crerait alors les conditions dmergence de linnovation nous

    parlerions ici dnovation - notamment par le dveloppement des acteurs, par le dveloppement de lieux o

    pourraient sexprimer les controverses et par la rintroduction de lincertitude (ibidem).

  • 15

    La dmarche dispositive sapparente donc celles qui soutiennent lmergence de linnovation et que lon

    pourrait qualifier dnovantes mais elle se dveloppe sur la base de la reconnaissance du dispositif qui, parce

    quil se situe entre concept et pratique, permet de transformer un modle danalyse en une stratgie pour laction

    qui redonne aux acteurs un sens et une responsabilit dans le processus dinnovation o les technologies jouent

    un rle essentiel.

    5. IntersTICES, un exemple de recherche dispositive La dmarche dintervention adopte par IntersTICES13 dans son mandat dvaluation et de soutien pdagogique

    auprs de projets universitaires de dveloppement de cours en ligne offre une piste de rponse la question du

    qui pilote linnovation ? et du comment soutenir linnovation pdagogique avec les TIC ? . Ce mandat a

    t abord dans une perspective de recherche-action-formation qui ressemble fortement la description dune

    recherche dispositive formule par Jacquinot et Choplin (2002). Comme nous le verrons plus en dtail, cette

    dmarche dintervention intgre le terme innovation dans le sens dnovation, cest--dire dans une dynamique

    de co-ralisation des recherches, des interprtations, des actions-formations faisant que lensemble des acteurs

    est appel donner un sens aux activits et les rguler. Mais avant daborder plus en dtail notre mthodologie

    et quelques rsultats, prsentons succinctement le contexte.

    5.1. Le CVS : quelques lments de contexte Le CVS est issu dun projet de loi fdral voulant rpondre la volont de la Suisse de se positionner dans un

    march de la formation en ligne domin par des institutions acadmiques ou commerciales internationales mais

    aussi de prparer la nation la socit du savoir en mergence. Dans cette perspective, donner aux universits et

    leurs tudiants lopportunit de dvelopper une culture du e-learning - culture de la production des cours en

    ligne et culture de lapprentissage en ligne - a sembl une tape incontournable. Il est intressant de relire les

    textes officiels prsentant le CVS ainsi les caractristiques essentielles de son programme 2000-2003 :

    L'actuel programme incitatif "Campus virtuel suisse" a pour objectif d'encourager et

    d'accumuler, dans les hautes coles suisses, le savoir-faire ncessaire pour mettre au point et

    utiliser des modules de formation interactifs en ligne14, bass sur Internet. ()

    La Confrence universitaire suisse assure la responsabilit gnrale du programme et un Comit de

    pilotage form d'un collge de huit experts est quant lui responsable de la ralisation des

    objectifs fixs, dont les deux principaux sont les suivants:

    a. Trois facults au moins appartenant des hautes coles diffrentes dveloppent

    ensemble et offrent des modules de cours en ligne. Les tudiants de chaque institution

    participante peuvent prendre des cours en ligne afin d'obtenir des crdits. Le principal

    avantage de cette approche rside dans la mise en commun des ressources pour crer

    des cours et les proposer en ligne. Les apprenants peuvent profiter des interactions

    ainsi cres entre les institutions pour communiquer entre eux.

    13 IntersTICES est le nom que sest donn notre groupe de travail. Il veut rfrer au concept dIntgration par la Recherche et le Soutien des Technologies de lInformation et de la Communication pour lEnseignement Suprieur 14 Nous soulignons.

  • 16

    b. Les modules en ligne atteignent le plus grand nombre d'tudiants potentiels possible,

    suivent des objectifs pdagogiques clairs, peuvent tre comptabiliss sous forme de

    crdits europens ECTS (European Credit Transfer System), utilisent les approches

    conceptuelles et les instruments la pointe du progrs et encouragent le multilinguisme

    bon escient. (Comit de pilotage Campus Virtuel Suisse, 2003 : 3)

    5.2. Du ct de la rforme Selon les catgories dinnovation releves plus tt, nous nous trouvons vraisemblablement dans une perspective

    de rforme, instaure, gre et soutenue par ltat. Tous les ingrdients dune rforme se trouvent prsents : les

    structures dorganisation et de gestion du programme, les dcisions et le plan daction articuls un projet de

    socit fond sur lide du progrs, tenant compte des facteurs internationaux - socit du savoir et de

    linformation, mobilit virtuelle, etc. - et nationaux (projets multilingues et inter-cantonaux), etc. Le discours

    tenu par les membres de lexcutif du CVS insiste de surcrot sur le fait que le programme ne fait pas de

    recherche, quil subventionne le dveloppement de cours en ligne. Si linsistance dvelopper des cours en ligne

    peut sexpliquer dans la perspective conomique du marchandising de la formation, elle implique une

    survalorisation du produit au dtriment du processus. Les textes (Confrence universitaire suisse, 1999),

    notamment ceux du premier appel doffre (http://www.virtualcampus.ch/docs/99-10-10AusschrFR.html,

    consult le 23 mai 2003), insistent encore sur le niveau de qualit attendu des produits tant sur le plan des

    contenus qu'en ce qui concerne les aspects didactiques et ergonomiques . Il est dailleurs fait mention dun label

    campus virtuel suisse .

    Pourtant linnovation pdagogique et le dveloppement dune culture du e-learning sont bien prsents dans les

    textes fondateurs du CVS. Dans lappel doffre dj cit, ils transparaissent, relativisant mme la presque

    exclusivit des cours en ligne : Loffre de formation distance ou prsentielle15 visera en particulier

    lamlioration, dans les domaines retenus, de la qualit de lexprience ducative pour ltudiant par une

    transformation de lenseignement universitaire. Il sagit, dans la mesure du possible, de renforcer linteractivit

    dans lapprentissage, de centrer les actes didactiques sur lapprenant en incitant celui-ci profiter des possibilits

    et des ressources dInternet pour la ralisation dobjectifs dfinis lavance. (ibidem). Contradictoirement,

    voici donc que la reforme sancre dans le local et dans lexprience, dans le vcu des principaux acteurs, des

    apprenants tout au long de leur parcours universitaire. 5.2.1. Le primat de la technologie : le choix de la plateforme

    Cela dit, les composantes de linnovation en pdagogie ne seront jamais compltement assumes par la pratique

    prne et soutenue par lexcutif du CVS, loin sen faut. Malgr linsistance de plusieurs pdagogues lors de la

    formulation initiale du cadre et des politiques du Campus virtuel, la pdagogie na pas fait lobjet dun support

    spcifique au dpart des projets. Ce nest quaprs une anne de fonctionnement du programme et devant les

    problmes de pdagogie rencontrs par plusieurs projets, quun mandat dvaluation et de support pdagogique a

    t octroy TECFA16. La mise en route du mandat a donc t faite aprs le dmarrage des projets et pour

    15 Nous soulignons. 16 Un mandat semblable a t donn luniversit de Zurich pour les quipes almaniques.

  • 17

    certains, jusqu 18 mois aprs17. Certaines universits offrent un support pdagogique local aux quipes mais

    pas toutes. En contraste, un mandat technologique a ds le dpart t accord une institution (EDUTECH18)

    afin daborder les problmes de plateforme et dinteroprabilit des cours entre universits. Cette focalisation sur

    la plateforme nos intresse pour plusieurs raisons. Tout dabord, elle manifeste ce qui, pour nous, apparat

    comme une inversion des priorits : la prdominance des proccupations techniques sur celles qui relvent de la

    psychopdagogie. Ensuite, elle montre quel est le niveau de mdiatisation attendu par les dcideurs/experts : il

    sagit de mdiatiser les systmes de formation dans sa globalit et ses principales fonctions, la mdiatisation

    permettant en effet : a) un accs dlocalis dans le temps et dans lespace ; b) des formes de tl-prsence

    utiles pour le tutorat par exemple et enfin c) des formes dinteractivit (bien que ce terme nait jamais t dfini

    ou explicit dans les textes qui sy rfrent nanmoins souvent). Lutilisation adquate des systmes de

    reprsentation et de mdiation des connaissances sur lesquels un certain nombre de chercheurs pour faire court,

    psychologues, pdagogues et smioticiens et de praticiens travaillent depuis des annes dans une perspective

    interdisciplinaire se trouve compltement occulte par cette vision : elle est implicitement relgue au niveau des

    enseignants, dont on sait par ailleurs quelle ne constitue pas pour la majorit une question primordiale. On est

    donc pass un niveau de mdiatisation plus complexe (voir ci-dessous) sans rsoudre pour autant les problmes

    de langages le verbal, le visuel, le graphique, etc. et leurs rapports dont la matrise est essentielle pour

    contribuer un impact positif sur lapprentissage. Enfin, la centration sur lobjet technologique dmontre bien

    laccent port aux technologies et la non-prise en compte de la technologie ducative appele aussi dans certains

    milieux ingnierie pdagogique. Dune faon lapidaire, nous pourrions dire que le programme CVS sest attach

    lintroduction dun dispositif technologique dans les systmes de formation universitaire bien plus qu

    lintgration de la technologie et de linnovation en pdagogie universitaire. Une approche dingnierie

    pdagogique impliquant une analyse pousse des conditions de dpart et des contraintes potentielles aurait

    probablement mis lavant plan la complexit du dfi et le besoin de recourir aux recommandations faites par la

    littrature sur lintgration pdagogique des TIC et sur limplantation dinnovations. Mais linstar de la

    pdagogie, linnovation elle aussi est pousse en arrire plan malgr que plusieurs aspects du programme de

    Campus Virtuel Suisse constituent en soi des sources dinnovation qui, en sadditionnant, viennent multiplier la

    complexit du dfi que rencontre les projets. Voici quelques dimensions constituant des facteurs dinnovation

    pour la majorit des acteurs et qui ont t relevs par IntersTICES (Viens, Deschryver et Peraya, 2002) :

    - La constitution obligatoire dquipes multi-universitaires devant produire et utiliser les cours ;

    o gestion complexe (pdagogique, technologique, administrative et institutionnelle) ; o programmes, normes et procdures institutionnelles, contextes pdagogiques non-homognes ; o plusieurs langues sont utilises par les acteurs (Allemand, Franais, Italien et Anglais) ; o culture et orientations pdagogiques divergentes au sein dune mme quipe.

    - La structure de gestion dun projet rendu complexe par son envergure, son objet et ses conditions de

    ralisation ;

    o attribution des fonds au professeur responsable qui doit, parmi ses autres tches acadmiques : 17 Deux autres mandats ont t octroys aprs IntersTICES, un mandat danalyse des dimensions relatives la gestion institutionnelles des cours en lignes (EDUM) et un mandat danalyse des rgles de droits dauteur sappliquant aux cours en ligne.

    18 Un service faisant partie du centre NTE de lUniversit de Fribourg.

  • 18

    grer un projet complexe, pour lequel il ne possde pas une entire expertise (les aspects e-

    learning, mdiatisation, multi-universitaire, etc. ;

    o engagement de coordonnateurs, non expriments en gestion de projets ni en e-learning. - Lobjet technologique comme tel, les TIC, une innovation technologique de base pour plusieurs, un

    indit, forme essentielle de linnovation (De Ketele, 2002) ;

    o pas matris par plusieurs acteurs, encore moins dans sa dimension dintgration pdagogique. - La mdiatisation de contenu/activits pdagogiques avec les TIC ;

    o trs faible exprience des acteurs. - La mdiatisation de cours complet en e-learning ;

    o trs faible culture/exprience de lensemble des acteurs ; professeurs, assistants, tudiants, etc. ; coordonnateurs, dveloppeurs (souvent des assistants) ;

    o dmarche de dveloppement (instructional design) intuitive. 5.2.2 Quelle valuation ?

    Dans cette mme dynamique de rforme, notre mandat tait au point de dpart prvu sous langle non seulement

    du support mais de lvaluation sommative des projets. Cependant, il nous semblait impossible de mener la fois

    des actions de soutien de proximit avec les projets et une valuation sommative qui aurait aliment les prises de

    dcisions de lexcutif du CVS. Il est assez difficile du point de vue dontologique de demander aux projets de

    nous dcrire ouvertement leurs problmes pour trouver une solution - tout en sachant que nous allons les

    valuer pour dterminer lesquels pourront poursuivre dans une seconde phase. Jamais les projets ne nous

    auraient accord leur confiance, indispensable aux actions de soutien, sachant que nous allions transmettre au

    CVS une valuation de type sanction. Aussi avons-nous refus de jouer ce dernier rle et d longuement

    ngocier les termes du mandat avant de laccepter. Voici donc, finalement, le libell des 3 axes de travail du

    mandat IntersTICES, tels que ngocis avec le CVS :

    a) Le dveloppement des activits de soutien et dencadrement des projets du CVS lies aux aspects

    psychopdagogiques et mthodologiques de lutilisation des technologies ducatives.

    b) La constitution dun tat des lieux des projets en insistant sur lexploitation du potentiel des

    technologies, sur leur intgration dans les scnarios mis en uvre ainsi que sur le degr

    dinnovation et dinteractivit des projets.

    c) La prparation des bases dun cadre dvaluation propre ce mode denseignement innovatif en

    collaboration avec la communaut nationale et internationale.

    5.3 Lapproche mthodologique Les trois axes de travail de notre mandat, activits de soutien, tat des lieux et cadre dvaluation des

    caractristiques innovatrices de lintgration des TIC sont troitement inter-relis et salimentent mutuellement.

    Ils reprsentent une excellente combinaison dobjectifs et de stratgies qui demande de recourir laction, la

    formation et la recherche pour mener terme un tel mandat. Aucune de ces dimensions ne peut tre ampute

    sans mettre en srieux pril la qualit des rsultats des autres axes. 5.3.1. Une dmarche centre sur les acteurs

    La mthodologie adopte par IntersTICES est une approche de soutien de proximit inspir dune dmarche

    mthodologique de type recherche-action-formation (Charlier et Charlier, 1996 ; Viens et al. 2001, Charlier,

    Daele et Deschryver, 2002). Elle intgre recherche et soutien pdagogique pour un enrichissement mutuel et

  • 19

    propose de faire de lensemble des acteurs, des partenaires de la ralisation de la recherche, des actions, des

    formations et des interprtations que nous donnerons aux situations rencontres. En contre-partie dune approche

    de rforme, elle ne vise pas simplement offrir un service de consultation-support pdagogique au projet mais

    bel et bien les accompagner dans le dveloppement des aspects pdagogiques innovateurs de leur dispositif de

    formation en ligne et dvelopper leur culture du e-learning. Elle ne considre pas non plus les acteurs comme

    des sujets observer et transformer selon un modle standardis mais plutt comme acteurs qui participeront

    part entire lensemble des dcisions, actions et construction de sens qui auront lieu. Nous nous situons donc

    bel et bien dans une perspective dnovation et dfinissons linnovation en termes de valeur (r)ajoute pour

    lacteur, valeur qui insistons encore ici, sera dfinie par lui.

    Voyons maintenant plus en dtail la mise en uvre de notre dmarche mthodologique. Elle est planifie en terme de cycles itratifs qui permettent dapprofondir et de raffiner les analyses. En synthse, ces cycles sont

    constitus de verbalisations par les acteurs (explicitation et laboration dun scnario pdagogique et des facteurs

    en jeu), de discussions sur les problmes o les pistes de solution sont enrichies par des apports thoriques et

    pratiques manant de la recherche dans le domaine, dun largissement des discussions par des changes au sein

    de la communaut des projets dont lobjectif est la co-construction de sens et la rgulation des activits de

    formation-accompagnement, le tout rsultant notamment dans la co-gestion de formations, de sminaires et

    dateliers de travail cogrs. De tels cycles, bass sur une accentuation des activits mta-cognitives se rptent

    et salimentent afin de couvrir lensemble des problmes rencontrs. La figure 1, prsente une synthse dun tel

    cycle dintervention. Notons ici que le point de dpart pour nous a t lanalyse de besoins et lvaluation

    formative des dispositifs. Cette situation sest impose vue larrive tardive dIntersTICES dans la vie des

    projets. Idalement, le cycle dmarrerait ds la formulation du projet et se poursuivrait tout au long du processus.

    Prcisons finalement que son efficacit dpend en grande partie de la qualit des interventions mta-cognitives

    gnres et soutenues par les activits proposes ainsi que de linvestissement personnel dont font preuve les

    acteurs. Nos activits de soutien constituent en fait des appels la rification des mdiations du dispositif et la

    rflexion critique qui permet didentifier des points de rupture entre les reprsentations internes et ce qui est

    mdiatis, entre la vision idale et ladaptation aux conditions rencontres dans la vraie vie.

    Figure 1. Explicitation dun cycle type dintervention

    5.3.2. A titre dexemple : les sminaires de formation

    Afin de donner une vision plus concrte de notre dmarche, nous proposerons ici la description des activits de

  • 20

    formation ralises en collaboration avec les partenaires des projets19. Ces formations constituent

    laboutissement dun certain nombre de cycles dintervention au cours desquels des activits daccompagnement

    de proximit auprs des projets ont t ralises :

    participation des rencontres dorientation ou de gestion des projets ; co-valuation des modules raliss ; recherche de solutions des problmes spcifiques (ergonomie, structure de contenu, choix des

    objectifs/outils/stratgies pdagogiques, gestion multi-universits, tutorat, ) ;

    production de cadres de dveloppement pdagogique (guides et prototypes) ; production de scnarios, doutils dvaluation et de guides (apprenants, enseignants, tuteurs) ; co-organisation dactivit de formation et de soutien contextualis ; diffusion dune culture TIC au sein des quipes ;

    Les sminaires raliss ont impliqu une panoplie dacteurs du CVS, quelques membres du comit excutif,

    quelques professeurs, plusieurs coordonnateurs de projet, des assistants et des dveloppeurs. Une communaut

    de pratique sest dveloppe autour de lorganisation des sminaires et plus dune vingtaine de personnes

    participent cette communaut virtuelle par lentremise des groupes de discussion Yahoo. Ce sont

    principalement les coordonnateurs des projets et quelques assistants responsables du dveloppement qui

    constituent le noyau de la communaut IntersTICES20. Il sagit l dune occasion de formation et de soutien de

    proximit qui permet de cibler trs directement les objets mis en vidence par les projets comme prioritaires et

    selon une perspective qui leur convient puisque lactivit est la leur. Par exemple, nous avons ainsi ralis plus

    de 7 rencontres de la communaut IntersTICES pour organiser et faire le bilan de cette journe. En plus, nous

    avons accompagn dans la prparation de leur atelier les 4 projets qui ont dcid de prsenter leurs travaux. Ce

    sminaire est donc une occasion de travailler en collaboration troite avec les quipes sur leurs objets premiers

    de proccupation. Deux sminaires ont eu lieu ce jour.

    Le sminaire Innovation et e-learning : vers une pdagogie active tenu Fribourg le 2 octobre 2002 en

    collaboration avec le Centre NTE et lcole Polytechnique Fdrale de Lausanne (EPFL), auquel prs de 70

    personnes ont particip, a t valu trs positivement par les participants. Les objectifs de ce sminaire,

    dvelopps en collaboration avec les projets, rappelons-le, sont :

    1- Favoriser le dveloppement d'une vision commune des approches pdagogiques actives;

    2- Situer globalement les impacts et contraintes de ces approches pour les projets CVS;

    3- Envisager des formations pour les accompagnateurs d'innovation et les professeurs;

    4- Inviter les projets se questionner / se positionner face aux approches actives en identifiant les points

    d'intgration ou de rupture, les succs, problmes et solutions envisages par des exemples de projets,

    discuts en petits groupes.

    19 Notre accompagnement de proximit sest concentr sur 12 des 16 projets. Nous avons dcid de respecter le dsir de certaines quipes (4/16) de ne pas rpondre nos invitations et avons par la suite attendus leurs demandes spcifiques, dautant plus que la plupart dentre-elles disposaient dj dun support pdagogique local.

    20 La communaut IntersTICES est la communaut de pratique qui sest mise sur pied au fil de nos activits. Elle a principalement travaill la ralisation des sminaires (tape 4 de laxe 1). Elle comprend un noyau central de 8 personnes provenant dautant dquipes ou de centres de soutien local.

  • 21

    Le sminaire Evaluation, Innovation et e-learning : pour une valuation des aspects pdagogiques innovateurs

    des projets CVS et de leurs impacts sur les enseignants et les apprenants tenu Battelle (UNIGE) le 09 avril

    2003, auquel prs de 50 personnes ont particip, a lui aussi t valu trs positivement par les participants. Cette

    journe a t organise par la communaut IntersTICES en continuit au premier sminaire. Nous y avons aussi

    impliqu les responsables des services dvaluation des principales universits romandes (Genve, Lausanne,

    EPFL) afin de partager avec eux proccupations et visions respectives des dveloppements requis pour que

    lvaluation des cours prenne en compte les spcificits du e-learning. Quatre projets du CVS y ont prsents

    leurs pratiques dvaluation aux collgues et de ce fait apport une contribution importante leur quipe par la

    formalisation requise pour la prsentation et aux autres quipes par le partage dides et doutils.

    En bref, nous avons intgr accompagnement, valuation et actions de formation pour dabord soutenir le

    dveloppement dune culture e-learning et dans un deuxime temps, identifier des aspects oprationnels des

    dispositifs de formation amliorer. Le tout, en collaboration troite avec les acteurs des projets. 5.3.3. Impact sur le dveloppement du cadre gnral dvaluation (axe 3)

    La dmarche dispositive que nous avons adopte, na pas seulement permis doffrir des activits de formation

    adaptes aux acteurs et leur contexte, elle a aussi permis didentifier plusieurs facteurs affectant lintgration

    pdagogique des TIC et de les organiser dans un modle systmique qui offre un cadre gnral dvaluation

    (Viens, 2003). Ce modle est la fois orient vers la comprhension des facteurs en jeu et vers llaboration

    dactions de soutien auprs des projets de faon stimuler leur nature innovatrice. La dmarche de travail par

    cycle, que nous avons dj expose, sarticule ce modle et lutilise pour en faire un cadre non seulement

    explicatif des facteurs identifis mais pour loprationalis dans la planification de nos actions.

    Au fil de nos activits avec les projets, nous avons circonscrit, en collaboration avec eux, plusieurs concepts dont

    les suivants : valuation, innovation pdagogique, e-learning, dispositif de formation, soutien pdagogique,

    comptences, recherche action-formation, plus value pdagogique de lutilisation des TIC, accs, feed-

    back/interactions, individualisation de lenseignement, autonomie de lapprenant, co-laboration des

    connaissances et/ou comptences, mta-cognition, apprentissages contextualiss, etc. Nous avons aliment les

    discussions et en y intgrant des recommandations et perspectives proposes par la littrature du domaine. Ces

    discussions ont permis de cibler les thmatiques des sminaires et denrichir la culture e-learning des acteurs et

    de certains de leurs pairs puisquils jouaient au sein de leurs quipes respectives le rle dagent de diffusion.

    Dans un processus dinteraction entre nos activits de recherche prcdentes (Viens et Amlineau, 1997 ; Viens

    et al. 2001 ; Viens, Peraya et Karsenti, 2002 ; Viens et al. 2003 ; Charlier et Peraya, 2002), une revue de

    littrature, lanalyse des entrevues avec les quipes et les observations/discussions sur le terrain, nous avons

    organis les diffrents facteurs relevs dans un modle organisateur.

    Tout comme les acteurs dans leurs relations aux diffrentes dimensions de leur environnement, le modle

    mergent de nos travaux est systmique et propose de prendre en compte les 3 dimensions suivantes : le contexte

    socital (dont le fait dtre un projet du CVS), le contexte institutionnel (et multi-institutionnel), et le dispositif

    de formation. Cette dernire dimension est aborde plus spcifiquement sous trois perspectives, les aspects

    technologiques, les aspects pdagogiques et le processus de dveloppement du dispositif. Prcisons ici que la

    prise en compte du processus de dveloppement adopt par lquipe de production constitue un des premiers

    facteurs de succs des projets et quil nest pas pris en compte par les autres approches ou modles dvaluation.

    Voil un exemple de contribution importante de ladoption dune approche systmique dvaluation.

  • 22

    Lensemble des dimensions identifies permet dorganiser et de mettre en relation des facteurs qui de prime

    abord ne semblent pas inter-relis. Dans un deuxime temps, on peut ainsi planifier des actions plus efficaces

    auprs des projets. De plus, cest travers les acteurs (apprenants, enseignants, assistants, tuteurs, dveloppeurs,

    direction dpartementale, etc.) que le systme ou dispositif de formation prend vie et cest par lentremise de ces

    mmes acteurs que nous pouvons linfluencer. Comme le suggre la figure 2, notre modle donne donc une trs

    grande place aux acteurs, leurs reprsentations, leurs habilets/ressources, leurs attitudes et leurs pratiques.

    Cest en les questionnant sur ces 4 objets en fonction des facteurs identifis pour chaque dimension du modle

    que nous pouvons identifier les points de rupture et les problmes qui demandent des actions spcifiques.

    Figure 2.Une vision systmique du modle dvaluation pour laction.

    Ces questionnements nous ont permis didentifier des facteurs provenant de plusieurs dimensions que nous

    avons organises dans une structure systmique trois niveaux correspondant aux classiques 1- niveau micro, les

    lments relatifs au dispositif de formation mdiatis en soi ; 2- au niveau meso, le contexte institutionnel dans

    lequel est dvelopp/implant le dispositif de formation ; 3- niveau macro, le contexte socital qui prvaut

    travers les diffrentes instances comme lorganisme subventionnaire, les autres participants de la socit

    directement et indirectement impliqus, comme par exemple les entreprises (leurs attentes et besoins), les

    ministres, etc.

    La figure 3 dresse un portrait schmatique de cette structure. Notons tout de suite quelle est alimente par les

    aspects humains qui lui donnent vie. Le lecteur intress mieux saisir les niveaux et dimensions impliques, et

    faire des liens entre les dimensions du modle et les facteurs rencontrs sur le terrain, peuvent consulter le

    rapport de lanne 2002 (Viens, Bullat-Koelliker, Deschryver et Peraya, 2003) qui prsente plus en dtails les

    rsultats de nos travaux.

  • 23

    Figure 3. La structure des diffrents niveaux de facteurs du modle.

    Rappelons que ce modle est en dveloppement et ne constitue pas encore une source gnralisable danalyse et

    dintervention. Il constitue par contre un bon point de dpart pour identifier et organiser les facteurs affectant

    linnovation pdagogique avec les TIC et pour planifier des interventions qui la soutiendront. 5.3.4. Le modle dvaluation-action en question

    Une limite de ce modle, releve par des collgues experts du domaine lors dune journe de sminaire sur

    lvaluation des dispositifs de formation e-learning (Viens et Grund, 2003), rside dans la complexit du modle

    et donc dans les difficults de son utilisation par les acteurs. Aussi un modle plus cibl sur le dispositif lui-

    mme tel le modle CIELT conviendrait-il mieux pour obtenir des rsultats court terme et pour tre utilis par

    les acteurs dans lamlioration de leur propre dispositif. Avant de rpondre cette critique, prsentons

    succinctement cet autre modle.

    Il sagit dun modle dvaluation dvelopp au sein du CVS par un groupe almanique de luniversit de Zurich

    (Grund, Windlinger, et Grote (2003). Ce nest pas le groupe qui dtient un mandat similaire au ntre dans le

    cadre du CVS mais une quipe de recherche qui offre un soutien local des projets CVS almaniques.

    Lacronyme CIELT tient pour les termes : Concept , Interdisciplinary , Evaluation , Learning et

    Tools . Le concept dvaluation interdisciplinaire des outils dapprentissage a donn lieu une mthodologie

    dvaluation qui a pour objectif principal de soutenir des quipes htrognes dans lidentification dobjectifs de

    dveloppement de leurs dispositifs de formation. Il veut apporter une rponse aux limites des

    mthodes/dmarches dvaluation courantes qui focalisent presque uniquement sur les facteurs dutilisabilit et

    la standardisation de facteurs. A linstar de Malorny et Langner (1997), cits par les auteurs, ces derniers

    assument que la prise en compte de concepts psychologiques peut contribuer dvelopper un design

    coopratif (entre les acteurs du dispositif) dvaluation des outils technologiques dapprentissage. En termes

    pratiques