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César Vásconez Romero Terre trois fois maudite (extrait) 12 Au musée des Beaux-arts de Quimper, il y a une salle dédiée à Max Jacob où sont exposés ses manuscrits, les premières éditions de ses livres, des lettres, photographies et objets personnels. Je ne savais pas que Max Jacob peignait et bien que je ne saisisse jamais l’enthousiasme cubiste, je me suis attardée sur un dessin au crayon qu’il avait fait de ses amis, à Paris en 1926. Y sont rassemblés Cocteau, Michaux, Supervielle, Dubuffet et un certain Alfredo Gangotena. À la fin de mon premier cours à l’université de Perpignan, Adriana Castillo de Berchenko m’a demandé en espagnol si j’étais moi aussi chilienne. Mes souvenirs du Chili étaient encore plus flous que les siens. Quand mes parents se sont exilés en France, je marchais à peine et cela faisait longtemps qu’Adriana était en France. Si elle était encore en vie, je ne voudrais pas voir sa déception en apprenant que j’avais abandonné mon projet de recherche sur les poètes latino- américains du début du XX e siècle qui avaient choisi d’écrire en français. Je ne voulais pas faire une thèse comme tant d’autres sur le sujet et Adriana me guidait vers des perspectives et des auteurs inconnus. Elle pratiquait de façon attachante la maïeutique, qu’elle réservait aux étudiants qu’elle estimait. Quand elle m’a offert son livre L’Écriture partagée (Presses Universitaires de Perpignan, 1992), j’ai compris qu’elle m’appréciait. J’ai dilapidé mes bourses de doctorat dans des voyages en Amérique latine. C’est à Quito que j’ai été la plus mal accueillie. Les spécialistes de Gangotena se repaissaient de son image, qui se prêtait idéa- lement au panégyrique diplomatique, mais restaient très circonspects quant à sa biographie. Quelques jours avant mon départ, un inconnu qui s’était présenté comme le petit-fils d’un Recueil:Ca ne veut pas rien dire 21/08/12 11:09 Page 12

Tierra tres veces maldita por César Ramiro Vásconez (extracto bilingue)

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Traducción de Françoise Garnier

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César Vásconez Romero

Terre trois fois maudite (extrait)

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Au musée des Beaux-arts de Quimper, il y a une salle dédiée àMax Jacob où sont exposés ses manuscrits, les premières éditionsde ses livres, des lettres, photographies et objets personnels. Je nesavais pas que Max Jacob peignait et bien que je ne saisissejamais l’enthousiasme cubiste, je me suis attardée sur un dessinau crayon qu’il avait fait de ses amis, à Paris en 1926. Y sontrassemblés Cocteau, Michaux, Supervielle, Dubuffet et uncertain Alfredo Gangotena. À la fin de mon premier cours àl’université de Perpignan, Adriana Castillo de Berchenko m’ademandé en espagnol si j’étais moi aussi chilienne. Mes souvenirsdu Chili étaient encore plus flous que les siens. Quand mesparents se sont exilés en France, je marchais à peine et celafaisait longtemps qu’Adriana était en France. Si elle était encoreen vie, je ne voudrais pas voir sa déception en apprenant quej’avais abandonné mon projet de recherche sur les poètes latino-américains du début du XXe siècle qui avaient choisi d’écrire enfrançais. Je ne voulais pas faire une thèse comme tant d’autres surle sujet et Adriana me guidait vers des perspectives et des auteursinconnus. Elle pratiquait de façon attachante la maïeutique,qu’elle réservait aux étudiants qu’elle estimait. Quand elle m’aoffert son livre L’Écriture partagée (Presses Universitaires dePerpignan, 1992), j’ai compris qu’elle m’appréciait. J’ai dilapidémes bourses de doctorat dans des voyages en Amérique latine.C’est à Quito que j’ai été la plus mal accueillie. Les spécialistesde Gangotena se repaissaient de son image, qui se prêtait idéa-lement au panégyrique diplomatique, mais restaient trèscirconspects quant à sa biographie. Quelques jours avant mondépart, un inconnu qui s’était présenté comme le petit-fils d’un

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des chauffeurs de Gangotena me donna rendez-vous dans uncafé de l’avenue Amazonas. Il essaya de me vendre à prix d’or unenregistrement réalisé par son grand-père. Il mit en route labande et je perdis vite patience, il traduisait du quechua la voixd’un vieillard qui racontait qu’il avait reçu l’ordre de conduireson patron et son hôte, Henri Michaux, dans un lieu désert et deles y laisser seuls pendant des heures avant d’aller les rechercher.Pour un prix plus abordable, il me proposait à titre de curiositéun paquet de photos obscènes dont le poète faisait collection. Jelui dis que s’il arrêtait la bande, je lui donnerais ce qu’il voulait.Ce que camouflaient ces photos, c’était trois jeux de cahiers etun petit agenda, qui était tout ce qui restait des journaux deGangotena. Des pages entières avaient été arrachées et leurs cou-vertures étaient à moitié brûlées. Le désespoir était perceptibledans ces paragraphes commencés en français et achevés en espa-gnol. Il y avait des calculs, des algorithmes, des listes de variétésde graines. Il n’y avait pas de brouillons de ses poèmes.

Laura Maristany

Quito, 11 mars 1934

Dear H,

Non seulement j’ignore ton adresse, mais je n’ai pas non plus le cou-rage de t’envoyer cette lettre. Je pourrais savoir où tu habites, mais je neveux pas m’exposer à la curiosité de nos amis communs, j’ai en effetperdu tout contact avec eux depuis que tu es parti. Pourquoi prendrais-je la peine de te faire parvenir quelques lignes, puisque tu n’as jamaisrépondu aux lettres et télégrammes que je t’ai envoyés pour savoircomment tu allais ? Jamais je te pardonnerai ces longues années sansaucune nouvelle de toi.

C’est ma faute si je t’ai emmené dans ce pays qui nous a fait tant demal. Je n’aurais jamais dû te proposer de m’y accompagner dès notre ren-contre. Ce fut le premier de toute une série de malentendus qui allaientnous rapprocher pour ensuite nous séparer. À Paris, nos longues conver-sations portaient sur les voyages que nous ferions ensemble. J’ai commis

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l’erreur de te faire rêver à partir de mes souvenirs de ces paysages quiaujourd’hui n’éveillent en moi que dégoût et angoisse. Dès notre arrivée,je n’ai éprouvé que chagrin et honte face à ta soif d’exotisme. Je ne saiscomment tu avais pu croire que tu te retrouverais dans un lieu sembla-ble à l’Orient, où tu découvrirais mysticisme, aventure et inspiration. Ilétait déjà trop tard pour t’expliquer que ce pays est la pire aberration del’Occident et qu’il n’a rien à voir avec l’Inde ou le Népal.

Il est possible que la vie ici ne soit pas aussi angoissante qu’en Europemais il n’y a aucun avenir. Au beau milieu d’espoirs vains et de compli-cations des plus idiotes, tu me disais combien tout te semblait authen-tique. Cette attente du bon moment pour renoncer et pour trahir, cen’est pas ça l’authenticité, c’est de la précarité. Ceux qui m’entourent ontaccepté la petitesse et la médiocrité comme norme, leurs esprits sontrongés par l’envie et la frustration. J’ai chaque jour de moins en moinsd’illusion idiote sur le fait que beaucoup reste à faire, car ici tout projet,surtout quand il est conçu par des gens exceptionnels, est voué à êtrecalciné par la chaleur ou rongé par la pluie et le froid. Quand je remar-quais chez toi des signes d’inquiétude ou de contrariété, je me deman-dais combien de temps il te faudrait avant que tu te rendes compte queQuito et asphyxie sont synonymes. Je n’ai pu t’offrir que le spectacle acca-blant d’une famille bourgeoise divisée par la rancœur, intriguant ous’alliant avec d’autres familles ignobles, mettant à profit ses tentaculespatrimoniaux.

Jamais je n’ai compris pourquoi tu tenais tant à aller dans la forêt ety rencontrer ces sales indigènes dont le seul mérite est de ne pas s’êtrelaissé dominer ni par les Incas ni par les Espagnols. Je ne sais pourquoitu désirais naviguer dans les méandres traîtres du fleuve Napo, être avalépar ses affluents qui vont d’Iquitos à Manaos. Je ne suis jamais allé dansla forêt et jamais je n’y irai. Les récits des voyageurs étrangers dans cesterritoires hostiles et étouffants m’indiffèrent. Si on apprend dans lapresse qu’un missionnaire capucin a été décapité, que des explorateursanglais ont été embrochés par des lances ou qu’un biologiste américaina finalement pu vérifier dans sa propre chair l’infaillibilité des sarbacaneset du curare, je déclare haut et fort qu’ils l’avaient bien cherché et queleur pire erreur fut de venir dans ce pays. Ces territoires n’ont pas besoindes évangiles ni des scientifiques, mais de l’engin qui leur fera perdre leurvirginité.

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Si tu aspirais à plus de sensations, c’est parce que tu t’étais déjà lasséde moi et que tu ne supportais plus que nous ne puissions être seulsqu’en cachette. Au départ je vivais dans l’angoisse qu’une bande debrigands t’eût exécuté pour de l’argent que tu n’avais pas, s’emparant dela mule que tu montais et qui n’avait pourtant aucune valeur, et aban-donnant André bien mal-en-point. Désespéré, je t’imaginais chutantdans un ravin car ta tachycardie s’était emballée sans qu’André ne pûtjamais retrouver ton corps, car la forêt engloutit tout. Plus je me disaisque c’était bon signe de ne pas avoir de tes nouvelles, que cela devraitme rassurer car cela voulait dire que tu allais bien et que s’il t’arrivaitmalheur, je serais vite au courant. Rongé par l’anxiété, je parcourais laville au petit matin. À grandes enjambées, je gravissais les pentes de cettecité tortueuse au risque de tomber et de me rompre l’échine. Il me sem-blait que plus je prolongerais ces expéditions autour de mon désespoir,plus je retarderais le moment où, de retour à la maison, un domestiquem’accueillerait avec la pire des nouvelles. Finalement, je me suis renducompte que tu n’as jamais été intéressé par ce qui me concernait. À telpoint que la part de moi qui te regrettais le plus s’emporta face à tantd’ingratitude. Combien de fois ai-je espéré que la mule qui te portait tedécochât une ruade quand tu avais le dos tourné, qu’André te trahît ente livrant à des brigands en échange de sa liberté, que d’un coup dequeue un boa brisât ta pirogue ou que le fleuve fût la corde fatale pourte pendre.

Six ans se sont écoulés depuis notre dernière rencontre et quand jeme sens abattu, la première chose que je fais c’est d’essayer d’avoir detes nouvelles. Je fouille encore et encore les objets que tu as oubliés, jeles garde en vue pour mieux me torturer. J’ai fait encadrer les esquissesà l’encre que tu avais dessinées mais je ne sais encore où les accrocher. Jeconserve parmi mes costumes les vêtements que tu avais laissés dansl’armoire. Ils n’ont plus ton odeur mais, dans ces moments-là, je caresseces tissus élimés qui un temps ont conservé un peu de ta chaleur. Je saismaintenant que tu es parti pour que jamais je ne cesse de penser à toi.

Quito, 4 août 1934

Le jour de la mort de mon père j’ai compris qu’enfin j’étais libre. Jene sentirais plus sur moi le poids de sa colère et de sa déception. Avecl’âge, ses cris ne nous effrayaient plus comme avant et ses colères sem-

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blaient des enfantillages que personne ne prenait au sérieux. J’avaiscontrarié tous les espoirs qu’il avait mis en moi en devenant un hommeen tous points différent de lui. Si je suis devenu ingénieur, ce fut pourêtre meilleur géologue et poète. Je ne lui ai pas donné de petits-enfants,l’épouse qu’il m’avait choisie était devenue, au fil des ans, de plus enplus repoussante et, tout comme lui m’humiliait, je prends plaisir àl’humilier publiquement. Nous avions au fond en commun les mêmesfaçons de mépriser, et en plus une obstination identique dans nosdesseins, ce qui dans son cas l’empêcha d’être fier de moi. Je n’ai paspleuré à son enterrement et cela s’ajoute à la longue liste de reprochesque ma sœur collectionne soigneusement pour m’atteindre au momentoù je m’y attends le moins. C’est malgré tout un soulagement de ne plusl’avoir dans mon dos à me dire :— Tu n’as aucun cran— Ces livres ignobles t’ont rendu encore plus mou que tu n’étais.

La peur qu’il m’inspirait s’était transformée en haine. Maintenant j’aideux fois plus de pouvoir que lui et je ne rends de compte à personne.S’il était en vie, mes décisions le scandaliseraient. Après la modernisa-tion de l’hacienda, j’ai réduit au quart le nombre des ouvriers, j’ai gardéles plus âgés et ceux en qui j’ai encore confiance. De cette façon, cescurés modernes qui vadrouillent sur mes terres en disant aux Indiensqu’ils sont des personnes et qu’ils peuvent exiger certaines choses,verront qu’ils ont en face un ennemi qui peut les écraser rien qu’en adres-sant un télégramme à l’évêque. Si jamais il leur vient à l’idée de créer unsyndicat ou pire encore, je n’ai qu’à prendre le téléphone pour qu’ilssoient mitraillés.

Quito, 1er décembre 1934

Je peux me faire une idée de la haine qu’ils ont envers moi à la façondont ils tuent mes animaux. Quand bien même ils obéissent à mesordres, quand ils achèvent un de mes chiens vieux ou malade, ou toutebête du cheptel inutile, ils le font avec toute la cruauté et le sadisme dontils sont capables. Ils s’imaginent sans doute qu’il s’agit d’un membre dema famille et cela augmente leur plaisir. C’est à mes yeux une obliga-tion morale qu’ils grandissent en réfléchissant aux coups de fouet queleurs parents reçoivent sous leurs yeux, ainsi quand vient leur tour d’être

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fouettés, ils savent que l’humiliation sera pire s’ils osent compter enquechua et non en espagnol.

Si la vache qui court comme si la clôture n’existait pas, si un de meschevaux ou une génisse tombent malades, leur souffrance est aussi lamienne. Cela me terrifie de voir cette fidélité dans leurs yeux quand ilsmontent dans la charrette qui les conduira à l’abattoir. Quand, sur mesterres, les fils des ouvriers se meurent de diphtérie, je leur envoie du boiset des clous pour le cercueil et de l’eau-de-vie. Leur douleur n’a rien àvoir avec celle de mes bêtes ni avec la mienne. Dans une hacienda qui serespecte, il faut disposer des meilleurs vétérinaires pour le bétail et decontremaîtres implacables qui prennent plaisir à se servir du revolver etdu fouet, et pour le reste, d’un curé et d’un fossoyeur.

Je sais qu’ils me croient plus charitable que mon père car je n’ai jamaiscommis l’erreur de les punir personnellement. Ils s’imaginent que je suisconciliant car j’ai délégué mon intransigeance à mes sbires. Leurdonner plus d’eau-de-vie qu’ils peuvent en boire est ma façon de leurfaire croire que j’éprouve de la compassion envers eux. Je préfère mabarbarie à la leur, que je connais à peine et qui ne m’intéresse pas. Leurvie m’appartient. Ils ont avec moi moins de marges de négociation qu’ilspensent et les poings de mes contremaîtres leur font comprendre que mavolonté est sans appel et que, s’ils se révoltent, ils mourront.

J’ai une fois assisté à un de leurs jugements, et cela me fit rire de voirle vieillard le plus ivrogne et le plus sale se transformer illico en juge, etla vénération avec laquelle on l’écoutait quand il prononça la sentence.Je n’ai jamais compris si les condamnés tremblaient de peur ou à causede l’eau glacée qu’on leur lançait en les fouettant avec des tiges d’ortie.Chaque fois que je croise leur regard, qui ne brille que sous l’effet del’alcool, j’y trouve une colère qui me stupéfie. J’espère seulement ne pasêtre en vie quand elle éclatera.

Traduit de l’espagnol (Équateur) par Françoise Garnier.

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En el Musée de Beaux Arts de Quimper hay una sala dedicadaa Max Jacob que exhibe sus manuscritos, primeras ediciones,cartas, fotografías y objetos personales. No sabía que Jacob tam-bién pintaba, y aunque nunca sobrepaso el entusiasmo cubista,me demoré ante un dibujo a lápiz que hizo de sus amigos,fechado en París, en 1926. En él están reunidos Cocteau,Michaux, Supervielle, Dubuffet y un tal Alfredo Gangotena.Después de mi primera clase en la Universidad de Perpignan,Adriana Castillo de Berchenko me preguntó en español si yotambién era chilena. Mis recuerdos de Chile eran más vagos quelos suyos, cuando mis padres se exiliaron yo apenas empezaba acaminar y Adriana hace mucho que estaba en Francia. Si aúnviviera no querría ver su decepción al saber que desistí de miproyecto sobre poetas latinoamericanos de inicios del siglo XXque escogieron el francés como su lengua de escritura. No queríahacer otra tesis más y Adriana me guiaba con enfoques y autoresdesconocidos. Entrañable cuando ejercía la mayéutica, lo hacíasólo con quienes valoraba. Un día en su oficina, al leerme pasajesde Cruautés, me inició en Alfredo Gangotena. Al obsequiarmesu libro, L'Écriture partagée (Presses universitaires de Perpi-gnan, 1992), supe que me apreciaba. Malgasté becas doctoralesen viajes a Latinoamérica. Donde peor me trataron fue enQuito. Los especialistas en Gangotena se regodeaban con suefigie, ideal para el panegírico diplomático, pero retrocedían antesu biografía. Días antes de irme, un desconocido que se presentócomo nieto de unos de los choferes de los Gangotena, me citó enun café de la Av. Amazonas. Trató de venderme por una for-tuna una grabación magnetofónica de su abuelo. Puso la cinta

César Vásconez Romero

Tierra Tres Veces Maldita

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y empecé a impacientarme, iba traduciendo del quichua la vozde un anciano que relataba haber recibió la orden de llevar a supatrón y a su huésped, Henri Michaux, hasta un descampado ydejarlos solos durante horas antes de ir a recogerlos. Por otroprecio más accesible, ofrecía como curiosidad un paquete de fotosobscenas que el poeta coleccionaba. Le dije que si apagaba lacinta le daría lo que pedía. Lo que ocultaban las fotos eran tresjuegos de cuadernos y una pequeña agenda, lo único que sobre-vivió de los diarios de Gangotena. Tenían páginas enterasarrancadas y sus cubiertas estaban semi quemadas. La desespe-ración se notaba en esos párrafos empezados en francés y rema-tados en español. Hay cálculos, algoritmos, registros de variedadesde semillas. No había borradores de sus poemas.

Laura Maristany

Quito, 11 de Marzo de 1934

Dear H:

Además de que ignoro tu dirección, no tengo el valor de enviarte estacarta. Podría averiguar tu paradero, pero no quiero someterme al escru-tinio de los amigos que tenemos en común, pues perdí contacto conellos desde que te fuiste. ¿Por qué me tomaría la molestia de hacertellegar unas líneas, si nunca respondiste las cartas ni los telegramas quete envié para saber si estabas bien? No te voy a perdonar nunca estoslargos años sin saber nada de ti.

Fue mi culpa haberte traído a este país que nos hizo tanto daño.Nunca debí invitarte a venir conmigo en cuanto nos conocimos. Esefue el primero de una cadena de malentendidos que nos unirían parasepararnos más tarde. Nuestras largas conversaciones en París eran sobrelos viajes que haríamos juntos. Cometí el error de hacerte soñar desdemis recuerdos con esos paisajes que hoy solo me provocan hastío yangustia. Desde que llegamos, tu ansia por lo exótico solo me causó penay vergüenza. No sé cómo es que creíste que vendrías a un lugar similara Oriente, donde encontrarías misticismo, aventura e iluminación. Yaera muy tarde para explicarte que este país es la peor aberración de Occi-dente y que no tiene nada que ver con la India ni con Nepal.

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Puede ser que aquí la vida no sea apremiante como en Europa, perono hay porvenir. En medio de esperas inútiles y las complicaciones másnecias, me decías que todo te parecía tan auténtico. No se llama auten-ticidad lo que induce a aguardar el momento para corromperse ytraicionar, sino precariedad. Los que me rodean han aceptado la estre-chez y la mediocridad como normal, sus mentes están corroídas por laenvidia y la frustración. Cada día me desengaño de esa tontería de quehay mucho por hacer, pues aquí los propósitos, sobre todo si provienende gente excepcional, están destinados a oxidarse bajo el calor o adespedazarse por la lluvia y el frio. Cuando notaba signos de inquietudy molestia en ti, me preguntaba cuánto tiempo faltaba para que tedieras cuenta de que Quito y asfixia son sinónimos. Yo solo te pude darel aburrido espectáculo burgués de una familia dividida por el rencor,intrigando o aliándose con otras familias infames, valiéndose de sus ten-táculos patrimoniales.

Nunca entendí por qué querías tanto ir a la selva y conocer a esossucios nativos cuyo único mérito es no haberse dejado dominar ni porlos incas ni por los españoles. No sé por qué deseabas navegar por lasierpe traicionera del río Napo, ser tragado por los afluentes que van deIquitos hasta Manaos. Nunca he ido a la selva y nunca iré. Los relatosde los viajeros extranjeros por esos territorios hostiles y calurosos meaburren. Si aparece en la prensa que un misionero capuchino fue deca-pitado, que unos exploradores ingleses fueron lanceados o que al fin unbiólogo norteamericano pudo estudiar en carne propia la infalibilidadde las cerbatanas y el curare, digo en voz alta que se lo merecían, porquesu peor error fue haber venido a este país. Esos territorios no necesitande los evangelios ni de los científicos, sino de la broca que los desvirgue.

Si querías más vértigo es porque ya estabas harto de mí y de tener queescondernos para estar a solas. Al comienzo sufría pensando que unacuadrilla de bandoleros te ejecutó por el dinero que no tenías, llevándosela mula que montabas aunque no valía nada, dejando abandonado y malherido a André. La desesperación me hacía ver cómo caías a un barrancoporque tu taquicardia se desbocó y cómo André nunca podría encon-trar tu cuerpo, pues la selva todo lo devora. Mientras más me decía quees una buena señal no saber nada de ti, que eso debería tranquilizarmeporque significaba que estabas bien y que si te ocurría una desgracia notardaría en saberlo. Con la ansiedad carcomiéndome salía a caminar por

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la ciudad en las madrugadas. A zancadas violentas remontaba las cues-tas y pendientes de esta parroquia retorcida para caer y desnucarme.Creía que si me demoraba aún más en esas caminatas alrededor de midesesperanza, retrasaría el momento en que al entrar a casa me recibiríaun criado con la peor de las noticias. Finalmente me di cuenta que a tinunca te importó nada de lo que me concierne. Por eso, la parte de míque más te añoraba se encabritó por tanta ingratitud. Cómo deseé quela mula que te cargaba te diera una coz cuando al darle la espalda, queAndré te traicionara entregándote a los bandoleros para que lo dejaranlibre, que el coletazo de una boa despedazara tu piragua y que el río sevolviera la cuerda siniestra que te ahorcase.

Han pasado seis años desde la última vez que nos vimos y cuando mesiento abatido, lo primero que hago es tratar de saber de ti. Reviso unay otra vez las cosas que dejaste olvidadas, las tengo siempre a la vista paratorturarme. Hice enmarcar los bocetos de las tintas que dibujaste y toda-vía no sé dónde colgarlas. Guardo la ropa que dejaste en el armario juntoa mis trajes. Ya no tienen tu olor, pero en momentos como estos acari-cio esos trapos deshilachados que alguna vez guardaron algo de tu calor.Ahora sé que te fuiste para que nunca deje de pensarte.

Quito, 4 de Agosto 1934

El día que mi padre murió supe que por fin era libre. Ya no tendríasobre mí el peso de su ira y su decepción. Con la vejez, sus gritos ya noasustaban como antes y sus rabietas parecían niñerías que nadie tomabaen serio. Contrarié las expectativas que puso sobre mí al convertirme enun hombre totalmente distinto de él. Si me volví ingeniero, fue para sermejor geólogo y poeta. No le di nietos, la esposa que él me escogió sevolvió más repelente con los años y me encanta avergonzarla en público,al igual que él lo hacía conmigo. En el fondo compartíamos las mismasmaneras para despreciar, además de una idéntica obstinación hacia nues-tros propósitos, que en su caso, le impidieron enorgullecerse de mí. Nolloré en su entierro, eso se suma a la larga lista de agravios que mihermana guarda cuidadosamente para zaherirme cuando menos me loespero. A pesar de todo, es un alivio ya no tenerlo a mis espaldas dicién-dome:— No tienes sangre— Esos libros inmundos te han hecho más débil de lo que eras.

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El miedo que le tenía se transformó en odio. Ahora que tengo el doblede su poder y sin rendirle cuentas a nadie. Si viviese, mis decisiones loindignarían. Con la hacienda ya tecnificada, reduje los peones a la cuartaparte, me quedé con los más viejos y los que aún son de confianza. Así,esos nuevos curas que vagabundean por mis tierras diciéndoles a losindios que son personas y que pueden exigirme algo verán que tienenun enemigo que puede aplastarlos con solo dirigir un telegrama alobispo. Si algún día se les ocurre formar un sindicato o algo peor, solotengo que levantar el teléfono para que los acribillen.

Quito, 1 de Diciembre de 1934

Puedo tener una idea de cuánto me odian por la forma en que matana mis animales. Aunque lo hagan bajo mis órdenes, cuando sacrifican auno de mis perros por vejez o enfermedad, o algún animal del establoque ya no sirve, lo hacen con toda la crueldad y la sevicia de la que soncapaces. Seguramente imaginan que se trata de un miembro de mi fami-lia y su placer se acrecienta. Para mí es una obligación moral que crez-can aprendiendo a contar con los latigazos que ven recibir a sus padres,así, cuando a ellos les toca ser azotados, saben que la vergüenza será aúnmayor si se atreven a contar en quichua y no en castellano.

Si el cebú que galopa como si la cerca no existiera, si uno de mis cabal-los o una ternera se enferman, su dolor es el mío también. Me angustiadescubrir la fidelidad en sus ojos mientras suben en la carreta que losllevará al matadero. Cuando en alguna parte de mis tierras los hijos delos peones agonizan con difteria, les envío madera y clavos para el ataúdy aguardiente. Su sufrimiento no se compara con el de mis bestias nicon el mío. En una hacienda que se respete hay que tener los mejoresveterinarios para el establo y capataces inflexibles, que disfruten deempuñar el revólver y el látigo, un cura y un sepulturero para lo demás.

Sé que me consideran más benévolo que mi padre porque nunca caíen el error de castigarlos personalmente. Creen que soy conciliadorporque delegué mi intransigencia a mis esbirros. Darles más aguardientedel que podrán tomar es mi manera de hacerles creer que soy compa-sivo con ellos. Prefiero mi barbarie a la suya, apenas conozco la de ellosy no me interesa. Soy el dueño de sus vidas. Conmigo tienen menos

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margen de negociación del que piensan, los puños de mis capataces leshacen saber que mi voluntad es inapelable y que si se rebelan, morirán.

Una vez presencié uno de sus juicios, me daba risa ver cómo el másebrio y sucio de sus ancianos de pronto se volvía juez, cómo era escu-chado con veneración al dictar sentencia. Nunca supe si los condenadostemblaban por el miedo o por el agua fría que les arrojaban mientras losazotaban con ramas de ortiga. Cada vez que veo en sus ojos, que solobrillan con el aguardiente, encuentro una ira silente que me sobrecoge.Solo espero ya no estar vivo cuando estalle.

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