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Tiré à part Volume spécial n°21 Nodus Sciendi Novembre 2017 Étude réunie par SÉKA Apo Philomène Maître-Assistant Université Félix Houphouët-Boigny ISSN 2308-7676

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Tiré à part

Volume spécial n°21 Nodus Sciendi

Novembre 2017

Étude réunie par

SÉKA Apo Philomène

Maître-Assistant

Université Félix Houphouët-Boigny

ISSN 2308-7676

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Numéro 21 ISSN 2308-7676

Comité scientifique de la Revue

BAJOMÉE, Danielle, Professeur émérite, Université de Liège

BÉNIT, André, Professeur, Université Autonome de Madrid

BOA, Thiémélé L. Ramsès, Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny

KONÉ, Amadou, Professeur des Universités, Georgetown University, Washington DC

MADÉBÉ, Georice Berthin, Professeur des Universités, CENAREST-IRSH/UOB

RENOUPREZ, Martine, Professeur des Universités, Université de Cadix

SISSAO, Alain Joseph, Professeur des Universités, INSS/CNRST, Ouagadougou

TRAORÉ, François Bruno, Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny

VION-DURY, Juliette, Professeur des Universités, Université Paris XIII

VOISIN, Patrick, Professeur de chaire supérieure en hypokhâgne et khâgne A/L ULM, Pau

WESTPHAL, Bertrand, Professeur des Universités, Université de Limoges

Organisation

Publication / DIANDUÉ Bi Kacou Parfait,

Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan

Rédaction / KONANDRI Affoué Virgine,

Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan

Production / SYLLA Abdoulaye,

Maître de Conférences, Université Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan

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SOMMAIRE

1- Dr. KONAN K. Béhégbin D., U. FHB, « Le problème d’acquisition lexicale en langues étrangères : cas de l’Espagnol en milieu universitaire ivoirien »

2- Dr. BEOGO Joseph, U. Koudougou, « Décentralisation et qualité de l’éducation au Burkina Faso »

3- Dr. DOSSO Faloukou, U. A.O, « L’expérience de l’émergence en Afrique subsaharienne face aux principes de la justice de Rawls et Frazer »

4- Dr. DRAME Abibata, U. FHB, « m-learning et apprentissage des méthodes de planification et de stratégies de la communication pour le développement à l’université Félix Houphouët-Boigny »

5- Dr. ELOMON K. Bertin, U. Abomey-Calavi, « Les panégyriques claniques : aspects oblitérés d’une poétique »

6- Dr. NIAMKE F. Aboua, U. A.O, « Le messianisme subversif chez John Steinbeck : une métaphore obsédante de la déchéance »

7- Dr. KEI Joachim, U. A.O, « Le discours autre et les procédés de transformation linguistiques dans Les bouts de bois de dieu de Sembene Ousmane »

8- Dr. SEKA A. Philomène, U. FHB, «Le roman colonial africain, foyer de poétisation de la rupture sociale »

9- Dr. TAI Hirigo Ignace, U. FHB, « Représentation, expressivité et scientificité discursive dans Sueur de lune de Toh Bi Tié Emmanuel »

10- Dr. VAHI Yagué, U. FHB, « Le zouglou ou la parole poétique proférée : perception, signifiance et signifiose »

11- Dr. OUATTARA Vincent, U. Koudougou, « Oralité et mythe du développement durable »

12- Dr. SORÉ Zakaria, U. Ouaga 1, « L’inopérante quinzaine critique ou l’échec de construction d’une communauté éducative à l’école primaire au Burkina Faso »

13- Dr. YAPO ADON C. R. F. N., U. F H B, « Yūsuf Ibn Tāšufīn y la conquista de los reinos de Taifas (1086-1104) »

14- Dr. KANGA Akissi A. D. epse KOUAME, U. FHB. «Tiempo de silencio de Luis Martín Santos, esta luz en la posguerra civil española »

15- Dr. OUATTARA Fatié, U. Ouaga 1, « L’INSURRECTION DES VIES INTÈGRES. Rupture, changement et progrès »

16- Dr.KONE Bassémory. U, FHB, « Communication pour le changement de normes sociales et de comportement dans la lutte contre le paludisme en Côte d’ivoire »

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LE ZOUGLOU OU LA PAROLE POÉTIQUE PROFÉRÉE : PERCEPTION, SIGNIFIANCE ET SIGNIFIOSE

Yagué VAHI Université Félix Houphouët-Boigny Cocody, Abidjan (Côte d’Ivoire) 09 BP 1413 Abidjan 09 Cell : (+225) 4400 10 77 Email : [email protected]

Résumé

Le Zouglou – art de la parole – naît dans une résidence

universitaire d’Abidjan. Selon ses initiateurs, une mission lui est

assignée : celle de fustiger l’attitude méprisante des autorités

politiques ivoiriennes vis-à-vis de la condition de vie précaire des

étudiants de l’époque. Le noble projet ainsi constitué exige la mise

en œuvre d’une parole artistique dans laquelle seuls les mots

résonnent, raisonnent, plaisent et refusent de s’enliser dans la

complaisance. Dans cette perspective, le sujet de la perception –

L’artiste Zouglou – s’établit des frontières où s’émeut un clivage

entre l’univers extéroceptif, intéroceptif et proprioceptif ; en un

mot un monde de perceptions dont l’engendrement – la productivité –,

la signifiance – les indices d’obliquité –, et la prolifération

incontrôlable du sens – la signifiose – sont à élucider.

Mots clés : Zouglou, signifiance, signifiose, engendrement, intéro-extéro-proprioception.

Abstract

The Zuglu – a poetic art form – was born in the university

residences in Abidjan. According to its creators, its mission was to

castigate the contemptuosus attitude of the Ivorian political

authorities with respect to the precarious living conditions of the

students. This noble project required the implementation of a poetic

art form in which only the words resonate, reason, appeal and refuse

to get bogged down in complacency. In this perspective, the subject

of perception – the Zuglu artist – delineates the borders of designs

the cleavage between the exteroceptive, interoceptive and

proprioceptive universes; in short, a world of perceptions that

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generates productivity – significance – traces of obliquity – and

the uncontrollable proliferation of meaning – signifiose – that are

be clarified.

Keywords : Zuglu, signifiance, signifiose, generating, intero-extero-proprioception. Introduction

À propos du "Zouglou", Bottey Zadi Zaourou dit ceci : « Ne me dites

pas que chez nous, le "Zouglou" impose le sens au détriment de la

forme. Mais oui, c’est vrai ! Mais cela signifie simplement que le

"Zouglou" n’est pas de la musique mais un art de la parole » [Zadi,

2002, p.11] ;or la parole est une pratique sociale qui a pour rôle

essentiel de communiquer avec autrui, d’exprimer des besoins, des

pensées, des sentiments personnels, des souffrances ou des

aspirations. En opérant en tant qu’acte du langage, la parole

structure la pensée au moyen des mots qui doivent être dits,

prononcés et souvent même à haute voix afin que la communication

s’accomplisse. Bottey Zadi Zaourou poursuit en soulignant que : « Le

poète est poète non parce qu’il a pensé ou senti mais parce qu’il a

dit. Il est créateur non d’idées mais de mots. Tout son génie est

dans l’invention verbale »[Zadi, 1978, p.134]. En d’autres termes,

le poète considère le mot comme un métal noble à travailler

minutieusement en vue d’une transmutation. Le poète, grâce à son

savoir-faire intellectuel et hautement spirituel justifie d’un don

divin parce qu’il sait donner vie au mot même si celui-ci ne possède

pas un corps physique.

Pour maintenir la vitalité du mot ; lequel mot se trouve souvent

caché dans le for intérieur du poète, celui-ci libère la parole afin

que ce mot soit "dit" comme nous l’indiquions tantôt ; car en

poésie, une simple fixation graphique de la parole – l’écriture –

affaiblit la puissance évocatrice du mot et même dénature ce

dernier. Un poème a besoin d’être clamé afin que les mots qui s’y

enchevêtrent atteignent la beauté escomptée.

À la lecture de ce qui précède, la présente contribution s’efforce à

montrer la dimension poétique du "Zouglou" qui comme un art de la

parole "dite" avec force et véhémence dévoile les clés du monde dont

il se propose de donner la trame et les reflets. Pour y parvenir,

l’artiste "Zouglou" établit un mode de perception, ségrége le

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"sujet-peuple" sous forme d’unités au nom d’une certaine valeur d’où

émerge un point de vue qui fait sens, se déploie en un tout

sémantique unifié – une signifiance – ; laquelle signifiance se

dilate et dégénère en signifiose – une prolifération de sens à

l’infini –. La pratique signifiante qui en découle s’articule autour

de trois points : De la crise ouverte puis De l’accalmie à la

réprobation des incartades sociales et enfin De la tolérance-plus.

De la crise ouverte

La Côte d’Ivoire – pays d’Afrique occidentale –accède à

l’indépendance le 07 Août 1960. Une dizaine d’années après, ses

principales cultures de rente que sont le café et le cacao sont

payées à un prix très alléchant sur le marché international. Ce

faisant, le pays accumule des devises immenses et initie de nombreux

projets de développement dans divers domaines : l’agriculture, le

commerce, l’industrie, le tourisme, le transport, la santé,

l’éducation,… Le taux de chômage diminue considérablement. Les

jeunes – frange importante de la population active – s’occupent

sainement. L’on assiste à une prospérité inimaginable que certains

observateurs qualifient de "miracle ivoirien". Mais au début des

années 80, de sérieuses difficultés économiques assaillent le pays.

Le prix des cultures de rente sus-indiqué chute de façon

vertigineuse. L’État est incapable désormais d’investir dans les

secteurs sensibles comme la santé et surtout l’éducation.

Que s’est-il passé pour qu’on en arrive là ? :

« Contrairement à ce que l’on croit

C’est l’agriculture aujourd’hui très fatiguée

Qui se repose sur l’avenir de ce pays

[…]

On a mangé

On a vraiment trop mangé

On était rassasiés

Mal rassasiés de bonheur

Soudain une indigestion

Parce qu’on a mal digéré

Disons mal géré

C’est pourquoi tout a dégénéré »[Espoir 2000,

1999]

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Le lexème adjectival "fatigué" dans "C’est l’agriculture aujourd’hui

très fatiguée" menace la représentation de la mimésis ; il s’agit

donc d’une obliquité sémantique par déplacement traduite par la

translation des figures lexématiques – métaphore pour les

stylisticiens –. En effet, le lexème "fatigué" appelle logiquement

ou mieux qualifie un syntagme nominal [+humain] ; mais contre toute

attente, c’est plutôt un syntagme nominal [-humain] qui se

présente au lecteur s’écartant ainsi de l’horizon d’attente de ce

dernier. Ce langage gauchi altère la grammaire qui va au-delà de la

simple lecture heuristique pour enclencher un décodage structural.

Lequel décodage subit une variation et une modulation afin que la

lecture herméneutique s’affiche et que le lexème "fatigué" génère un

sens.

Le point de vue adopté conduit l’analyste à lire le lexème sus-

indiqué comme synonyme de : exténuer, épuiser, user, excéder,

fourbu, essouffler, assommer ; en d’autres termes, l’agriculture –

ce secteur vital de l’économie de la Côte d’Ivoire – n’assure plus

convenablement le rôle qui lui est dévolu à cause de la gabegie dont

il souffre constamment. Le verbe "manger" marqué par l’adverbe

d’intensité "trop" dans "On a mangé / On a vraiment trop mangé"

corrobore cette assertion. Le lexème "manger" sur cette chaîne

discursive ne signifie pas "mâcher et avaler un aliment dans le but

de se nourrir" mais plutôt "la gabegie, le gaspillage" ou une

gestion économique défectueuse, malhonnête des tenants du pouvoir

politique d’alors. Cette attitude irresponsable et malsaine est

renforcée par l’obliquité sémantique par création. Le mot "création"

n’est pas synonyme de "génération d’idées". Pour Michaël Riffaterre,

la création renvoie à plusieurs éléments linguistiques qui n’ont

aucun sens dans un poème mais qui regroupés font sens.

Le poème ci-dessus offre deux exemples d’obliquité sémantique par

création. Il s’agit d’une part de l’isotopie actorielle – anaphore

pour les stylisticiens –mise en relief par le déictique personnel

indéfini "On" dans "On a mangé / On a vraiment trop mangé / On était

rassasiés" et d’autre part l’emploi des rimes plates par la présence

de la voyelle /e/ à la fin des mots placés en fin de vers dans

"mangé/rassasié/digéré/géré/dégénéré".

Les vocatifs répétés à travers l’isotopie actorielle et les rimes

montrent la cadence effrénée et la constance avec lesquelles les

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hommes politiques ivoiriens de cette époque ont pillé économiquement

le pays, réduisant le peuple à la misère et à l’indigence totale.

De ce qui précède, le groupe Espoir 2000 prend ainsi une position

vis-à-vis de la mauvaise gouvernance de la Côte d’Ivoire. Laquelle

gouvernance s’assimile à un domaine de pertinence bien délimité, une

frontière en un mot une "saisie" ; tandis que le regard, le flux

d’attention sur cette gouvernance constitue la "visée".

La démarche perceptive mise en place veut que le groupe Espoir 2000

accorde une signification à cette situation ignoble qu’est la

mauvaise gouvernance. Dans le cas d’espèce, le lexème "manger" dans

"On a mangé" désigne le plan de l’expression dans la mesure où tout

être humain doit "manger" pour survivre ; mais si celui-ci se permet

de "manger" en abondance comme il en est le cas dans "On a vraiment

trop mangé" sans penser au lendemain et même aux autres qui meurent

de faim à côté de lui, il se pose un problème de gérance ; ce que

nous apercevons dans "On a mal géré".

Dans le cadre de la perception, la "gérance" devient alors le plan

du contenu ; c’est l’objectif poursuivi, le motif qui pousse le

groupe Espoir 2000 à décrier la gabegie orchestrée par les

dirigeants du pays. Greimas désigne respectivement le plan de

l’expression et le plan du contenu par l’extéroception et

l’intéroception.

La position prise par le groupe Espoir 2000 – sujet de la perception

– qui consiste à fustiger la mauvaise gouvernance est appelée la

proprioception. Le monde extérieur – l’extéroception – et le monde

intérieur – l’intéroception – forment un ensemble appelé "corps

propre", c’est-à-dire la manifestation d’un clivage entre les deux

entités précitées. La persistance dudit clivage conduit à la mise en

relief de la perception des modifications de la gérance ou de la

gouvernance entachée d’irrégularités et dont les conséquences

néfastes sont traduites par le lexème "dégénéré" dans "C’est

pourquoi tout a dégénéré" ; en somme cette mauvaise gouvernance a

des impacts très négatifs sur les conditions de vie de la

population :

« Ah ! la vie estudiantine

Elle est belle

Mais on y rencontre beaucoup de problèmes

Lorsqu’on voit un étudiant

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On l’envie

Toujours bien sapé

[…]

Mais en fait, il faut rentrer dans son milieu

Pour connaître la misère et la galère de

l’étudiant »

[Les parents du campus, 1991]

Dans le poème ci-dessus, le point de vue s’articule autour de la

"vie estudiantine" qui fonctionne comme une structure phrastique

parce qu’il contrôle l’orientation du discours poétique. L’activité

perceptive qui en découle s’installe dans un espace concret qui ne

concerne qu’un seul objet de la perception parmi tant d’autres en

l’occurrence les "étudiants" assimilés à une "cible". La vie que

mène celle-ci – la cible – dans ce vaste espace géographique – La

Côte d’Ivoire – représente la "source" qui suscite la réaction d’un

actant transformationnel – le groupe "Les Parents du Campus" –.

Le point de vue dudit groupe se joue, par conséquent, entre les deux

actants positionnels que sont la "source" et "la cible". En effet,

la "source" prend forme lorsque l’actant transformationnel – Les

Parents du Campus – constate avec amertume que la "cible" croupit

sous le poids des "problèmes, de la misère et de la galère" comme

l’indiquent les vers. "Mais on y rencontre beaucoup de problèmes /

Pour connaître la misère et la galère de l’étudiant".

La conjonction de coordination "mais" à valeur d’opposition change

le point de vue de l’actant transformationnel qui constate avec

désolation l’imperfection de la "visée actuelle" – Le flux

d’attention en rapport avec le présent – par rapport à la "visée

virtuelle" – Le flux d’attention en rapport avec la dynamique du

possible –. Pour régler cette imperfection, deux orientations

s’offrent à l’actant transformationnel. Il s’agit d’une part de

l’extension ou de l’extéroception. Là, la visée est entièrement

quantitative et se manifeste dans le texte poétique par la présence

de l’accoutrement vestimentaire de la "cible" ; une apparence

toujours trompeuse dans "Toujours bien sapé" puis la vie de cette

"cible" perçue positivement de l’extérieur comme un paradis dans "Ah

la vie estudiantine / Elle est belle" ainsi que la conséquence

qu’engendre une telle perception : l’envie ; en d’autres termes, le

monde extérieure désire ardemment un avantage que la "cible" a et

qui d’ailleurs n’est qu’un leurre dans "On l’envie". D’autre part,

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l’actant transformationnel s’engage dans la réorganisation de la

"source" donc à une amélioration de la condition de vie de la

"cible" ; ce qui constitue une "visée qualitative". Laquelle visée

éprouve des difficultés à s’établir dans un environnement malsain :

« Parfois pour une chambre prévue pour un

On se retrouve à quatre

[…]

Si c’est une chambre double, on est parfois sept

C’est ça les vraies réalités estudiantines. »

[Les parents du campus, 1991]

Suite à la mauvaise gouvernance, la Côte d’Ivoire éprouve d’énormes

difficultés pour investir dans le secteur de l’éducation comme nous

l’indiquions tantôt. Par conséquent, la seule université qui faisait

naguère la fierté de la jeunesse estudiantine sombre dans le chaos.

Construite dès le début des indépendances pour accueillir une

centaine d’étudiants, elle en compte des milliers dans les années

90. Les résidences et les restaurants universitaires sont dans un

état très défectueux et n’existent que de nom. L’étudiant ivoirien

vit dorénavant dans une précarité totale.

Pour mieux décrypter ce poème dont la signifiance s’articule autour

de ce phénomène social, l’on peut recourir au concept de valence en

l’occurrence l’extensité et l’intensité.

L’extensité désigne la quantité, la variété ou l’étendue spatiale

des phénomènes. Elle s’assimile aussi à l’étendue à laquelle

s’applique l’intensité. L’extensité et l’intensité connaissent des

variations sur une échelle continue.

Soit : « Une situation dans laquelle quelqu’un se trouve soumis à un

voisinage désagréable » comme l’atteste le schéma ci-dessous :

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Analyse

Dans l’énoncé sus-mentionné, le déictique personnel indéfini

"quelqu’un" s’identifie à la "cible", c’est-à-dire à l’étudiant

ivoirien. Celui-ci est "soumis à un voisinage désagréable" ; en

d’autres termes, il vit dans la promiscuité en résidence

universitaire parce qu’il est contraint de partager sa "chambre

prévue pour un" avec "quatre" voire "sept" autres étudiants. Dans ce

poème, le flux d’attention – la visée – de l’actant

transformationnel – Les Parents du Campus – est dirigé vers une

seule et triste réalité : le problème de logement que l’on peut

assimiler à une "source". D’une part, lorsque "l’extensité" de la

"source" augmente, "l’intensité" augmente également. D’autre part,

si "l’extensité" de la "source" diminue, "l’intensité" diminue

aussi. L’on parle alors de la corrélation converse ou directe. Mais

dans le cas d’espèce, il y a "amplification de la situation". La

perception de l’actant transformationnel suit cette fluctuation pour

asseoir son point de vue.

À l’issue de la première partie de cette contribution, le point de

vue – évoqué par les groupes "Espoir 2000" et "Les Parents du

Campus" sur la gouvernance de la Côte d’Ivoire – ne se manifeste pas

avec moins de véhémence ; loin s’en faut. Il est dit haut et fort à

travers des sons rythmés d’un art de la parole en l’occurrence, le

"Zouglou" dont la portée poétique répertoriée dans les poèmes

étudiés supra, déborde d’exubérance. Au-delà de cette crise ouverte,

le "Zouglou" tout en n’abandonnant pas la lutte pour le bien-être du

peuple adoucit souvent la parole proférée optant ainsi pour une

relative trêve sociale.

De l’accalmie à la réprobation des incartades sociales

Au risque de nous répéter, le "Zouglou" est né dans une situation de

crise. Mais à un moment donné de son histoire, il a laissé un tant

soit peu cette voie mouvementée, agitée, pour se récréer : c’est le

calme momentané, la trêve, l’apaisement :

« Asec – Kôtôkô

Au Félicia

On a joué ballon

Kôtôkô a gagné

Côte-d’Ivoire est content

Nous-là c’est pays de paix

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[…]

Match retour

Chez eux au Ghana

On a joué ballon

Asec a gagné

Kôtôkô est fâché

[…]

Ils nous ont cognés

Ils nous ont bottés

D’autres ont été tués

[…]

Arrivés à Abidjan

Règlement de compte » [Poussins Chocs, 1996]

Dans ce texte poétique, il y a la présence de deux points de vue que

l’on peut percevoir à travers les adjectifs "content" et "fâché"

dans "Côte d’Ivoire est content" / "Kôtôkô est fâché". Pour que le

match de football – la visée – ait lieu, il faut la présence de

quatre (04) actants transformationnels que sont : "L’Asec" de Côte

d’Ivoire est le "Kôtôkô" du Ghana – deux équipes de football – puis

les supporters de l’Asec et ceux du Kôtôkô. Deux (02) actants

positionnels en l’occurrence la visée – le match de football – et la

saisie – la victoire – permettent de décrire la prise de position de

chaque équipe engagée dans la compétition. En effet, le match a pu

se dérouler au stade Houphouët-Boigny, désigné par le néologisme

"Félicia" parce que les actants transformationnels – Les supporters

de l’Asec – sont habités par une valeur de passivation ; ce qui

explique leur réaction non-violente et le résultat de cette attitude

est la joie qu’ils manifestent malgré la défaite de leur équipe. Les

lexèmes "content" dans "Côte-d’Ivoire est content" et "paix" dans

"Nous-là, c’est pays de paix" l’attestent.

À l’opposé, le Kôtôkô est une équipe caractérisée par une valeur

d’activisation. En effet, cette équipe perd le match mais ses

supporters-actants transformationnels – refusent cette défaite. Ils

activent l’esprit de colère qui est en eux : "Kôtôkô est fâché" et

installent la violence. Les lexèmes "cognés, bottés, tués" dans "Ils

nous ont cognés/bottés/d’autres ont été tués" corroborent cette

assertion.

Le réglage modal qui découle de la réaction des deux actants

transformationnels – les supporters de chacune des deux équipes –

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agit sur deux dimensions : la catégorie sémantique de l’intensité

qui stipule qu’un match de football respecte les règles de l’art où

le fairplay est de rigueur : c’est la netteté. La catégorie

sémantique de l’étendue quant à elle présente l’actant

transformationnel c’est-à-dire les supporters qui sont loin de la

bonne conduite : c’est la distance ; l’écart de conduite par rapport

à la norme sociale. Dans le cas d’espèce, l’imperfection de la visée

– le match de football où le fairplay fait défaut – surgit. Cette

rencontre conviviale, ce parti de jeu, de distraction s’éloigne de

la mission qui lui est donc assignée.

Si les actants transformationnels – les supporters de chaque équipe

– réorganisent la visée ; c’est-à-dire le match de football et

l’esprit fairplay qui doit l’accompagner, la visée sera qualitative.

Dans le cas contraire si ceux-ci – Les supporters – s’enlisent dans

la violence et l’anti-jeu, la visée sera quantitative.

Le point de vue du sujet de la perception Groupe - "Les Poussins

Chocs" - investit, ici, un monde intérieur élaboré à partir du plan

du contenu ; c’est l’intéroception. En effet, le Groupe sus-indiqué

dégage le sens de la visée selon une perception partisane dans la

mesure où ils accusent les supporters de l’équipe adverse : "le

kôtôkô" d’être les fossoyeurs de l’esprit fairplay. Cependant, pour

l’observateur averti qui se place du côté des supporters de

"Kôtôkô", les supporters de l’Asec dont fait partie le groupe "Les

Poussins Chocs" ont fait eux aussi entorse à la règle ; le dernier

vers "règlement de compte" l’atteste. Là, le point de vue investit

le monde extérieur ; c’est le plan de l’expression ou

l’extéroception.

Le dialogue sémiotique né d’une incomplétude – hiatus – et qui

s’établit entre les deux points de vue détermine le partage entre le

plan du contenu et le plan de l’expression puis instaure un

équilibre engendré par un sujet neutre, impartial ; c’est la

proprioception qui veut que le fairplay soit le crédo de tous les

sportifs d’où qu’ils viennent.

La parole est intensément proférée, dite avec force dans ce poème à

travers les verbes d’action : "gagner, jouer, fâcher, cogner,

botter, tuer" et l’emploi abusif de la voyelle /e/ dans "joué,

gagné, fâché, cogné, tué, arrivé". Les aspects précités ont un

impact positif ou négatif sur la perception du Groupe "Les Poussins

chocs" et le point de vue qui en découle.

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Le Groupe "Espoir 2000" poursuit la réprobation des incartades

sociales en ces termes :

« On nous l’a dit

La vie est un marathon

Mais c’est quel marathon

Les femmes sont toujours derrière

[…]

Les femmes d’aujourd’hui

Trop de frustrations

Quand tu les mets sur le chemin de l’école

Arrivées au CM1

Elles cherchent à faire la série C

C’est-à-dire la couture

La coiffure

Le chômage » [Espoir 2000, 1998]

Dans le poème ci-dessus, la femme est la "visée" parce qu’elle

oriente le flux d’attention de l’actant transformationnel – Le

Groupe "Espoir 2000" –. La condition de la femme dans la société

désigne la "saisie" dans la mesure où elle délimite le domaine de

pertinence, la frontière du jugement. Il ne s’agit pas, ici, de la

femme dans son aspect physique ou morphologique mais plutôt de la

place que celle-ci occupe dans la société. Pour être en conformité

avec le temps présent, la "saisie" soulève donc la problématique du

genre.

La perception qui doit s’installer, dans le cas d’espèce, dans un

espace perçu de l’extérieur ou dans une perspective extéroceptive,

emprunte la voie de la partialité, de la pensée unique et s’enlise

dans une perspective intéroceptive. En effet, les affirmations du

genre : "Les femmes sont toujours derrière" et qu’au lieu de

poursuivre leurs études le plus loin possible, elles s’arrêtent en

mi-chemin, au cours moyen première année "CM1" et "cherchent à faire

[…] / La couture / La coiffure / Le chômage", l’attestent.

Aujourd’hui, des progrès considérables ont été faits dans plusieurs

pays du monde pour résoudre les problèmes liés au genre. De

nombreuses femmes issues des milieux dits défavorisés sont

scolarisées et font de très longues études. Diplômées des

universités et des grandes écoles, elles occupent de hautes

responsabilités sociales, économiques et politiques dans leur pays.

Certes, des efforts restent à faire dans ce domaine ; mais cette

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affirmation du Groupe "Espoir 2000" est peu fantaisiste. Il serait

plus raisonnable de relativiser voire même de réduire la tension

entre cette incomplétude – ce hiatus – et le "tout de l’objet".

La réprobation de ce léger écart de conduite de certaines femmes par

le Groupe "Espoir 2000" participe surtout de l’éveil de la

conscience féminine. Là, le point de vue a besoin d’inventer un

"corps propre" – une frontière qui détermine un domaine extérieur et

un domaine intérieur – qui se déplace entre la perception du monde

extérieur, la perception du monde intérieur et la perception de la

modification de l’enveloppe de la frontière elle-même ; en somme une

reconfiguration de la série intéro-extéro-proprioception ou un point

de vue qui épouse pour la circonstance un juste milieu.

Le Groupe "Espoir 2000" ne se lasse pas du tout à fustiger les

attitudes malsaines de la gent féminine :

« Si tu vois une belle femme

Avec un vilain monsieur

C’est pas par pitié

Sa beauté se trouve dans sa poche

Elle a déjà calculé

Sentiment n’a plus sa place

Souvent par précaution

Il y a des femmes qui prennent des potions

Elles font des calculs rapides

Un peu comme le singe

Quand elles laissent une branche

C’est qu’elles ont attrapé une autre branche

Et quand ton argent finit

Elles ont la même chanson

Je l’ai trop supporté

On peut pas tout expliquer » [Espoir 2000, 2006]

Le flux d’attention, c’est-à-dire la "visée" reste le même, mais la

"saisie" ou le domaine de pertinence change. Il s’agit, maintenant,

d’une position perceptive investissant le rapport sentimental qui

prévaut entre l’homme et la femme. Quatre (04) actants

transformationnels interviennent dans cette situation : l’homme, la

femme, le sentiment, l’argent.

Dans le premier cas, la femme est la "source" et l’homme, la

"cible". Lorsque la valeur d’activisation de la "source" s’accentue,

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devient plus virulente et que la valeur de passivation stagne ou

reste faible, la "saisie" c’est-à-dire le sentiment, exige assez

d’argent pour sa réalisation. Par conséquent, la "cible" devient la

victime.

Dans le second cas, l’homme est la "source" et la femme la "cible".

Si la "source" est à court d’argent ou parce que les moyens

financiers lui manquent et qu’il reçoit contre toute attente le

sentiment qu’il souhaite avoir de la part de la "cible", celle-ci

occupe la place de la victime. Mais cette alternative est

pratiquement impossible parce que la femme ou la "cible" n’est pas

dupe. Elle agit "souvent par précaution" à l’issue de plusieurs

"calculs rapides". Ce faisant elle – la "cible" – a presque toutes

les chances de remporter la victoire et de ne jamais être la victime

parce qu’elle obtient coûte que coûte l’argent qu’elle désire. Au

cas où, l’homme – la "source" – s’entête dans sa démarche à ne pas

dépenser de l’argent, la femme – la "cible" – a les possibilités de

sauter d’une "branche" à une autre ; en d’autres termes, la "cible"

peut tenter une nouvelle expérience ailleurs afin de sortir toujours

gagnante dans ce rapport sentimental intéressé.

Le changement de la distribution des rôles indiqué supra a été

possible grâce au phénomène appelé "diathèse" en sémiotique

poétique ; laquelle "diathèse" rend opérationnel, en de pareilles

circonstances, la "mise en perspective" du procès. Ici, la femme et

l’homme, c’est-à-dire la source puis la cible et vice-versa sont des

actants positionnels. La projection de ceux-ci sur les actants

transformationnels que sont désormais, le "sentiment" et "l’argent"

orientent le procès et par ricochet les points de vue.

Que retenir à l’issue de la deuxième partie de cette étude ? Les

groupes "Les Poussins Chocs" et "Espoir 2000" utilisent la puissance

évocatrice des mots pour fustiger les tares de la société tels que

la violence dans le sport, la démotivation inexpliquée des femmes

quant à leur insertion dans la vie active, les rapports sentimentaux

intéressés. Par conséquent, les groupes sus-indiqués s’assimilent

aux guides, aux éveilleurs de conscience du peuple ; ce sont des

poètes méconnus. La signifiance de la parole qu’ils profèrent et les

points de vue qui en découlent montrent à quelle enseigne la mission

qui est la leur transcende les frontières des États.

Face à tous ces problèmes sus-mentionnés qui vicient l’existence

humaine, chaque individu doit revoir son attitude vis-à-vis de son

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prochain afin que naisse un monde nouveau où ne règnent que la paix

et la joie de vivre.

De la tolérance-plus Pour expliciter la "tolérance-plus", le tunisien Hédi Bouraoui qui

en est le concepteur invite chacun de nous à redéfinir la notion du

"moi" qui, selon lui, ne correspond plus aux réalités actuelles. Ce

faisant, il propose une autre notion que voici : « Je est Nôtre » ;

en d’autres termes, il existe en chaque individu un nombre infini

d’autres individus dans un contexte socio-culturel dynamique.

Aujourd’hui, aucun individu ne peut prétendre se replier sur lui-

même. Le développement vertigineux des techniques d’information et

de la communication nous y contraint d’ailleurs. Pour Hédi Bouraoui,

le changement subi par une personne s’opère convenablement lorsque

celle-ci s’ouvre aux autres ; ce qui signifie que le "moi" est

soumis constamment à une influence et à une mobilité ; en un mot

aucun "moi" n’est statique.

Bouraoui, conscient de cette réalité souhaite vivement que le "moi"

se connaisse davantage avant d’aller à la rencontre des autres qui

sont, d’ailleurs, en lui car : « Sur le plan individuel, la

tolérance ne peut être ressentie qu’en fonction de la connaissance

de soi »[Bouraoui, 2005, p.65]. En s’ignorant, le "moi" – sans le

savoir – ignore les autres et s’arme de vilains sentiments pour

devenir un danger social :

« Encore une femme

Qui pleure avec ses enfants dans les bras

Traumatisée par la guerre

[…]

Encore une fois la bêtise humaine s’est manifestée

Regarde mon sang qui coule

Car ce visage est bien de chez moi

Dis-moi pourquoi

Pourquoi nous mettons tant d’énergie

À nous détruire » [Soum, 2008]

L’orientation discursive, dans ce poème, est assurée par un sujet de

la perception qui joue en même temps le rôle d’un actant

transformationnel – celui qui participe au processus de la

transformation d’un état ou d’une situation donnée – ; en

l’occurrence l’artiste Soum Bill. La "femme" et "l’enfant"

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représentent des actants positionnels puisque le sujet de la

perception les observe en un lieu précis : l’espace de guerre qui

constitue la "saisie" parce qu’il délimite le domaine de pertinence

ou la frontière. En suivant le flux d’attention provoqué par la

"saisie" – la guerre –, le sujet de la perception considère, dans le

cas d’espèce, les deux actants positionnels comme des actants

"cible", cette population vulnérable qui subit les atrocités de la

guerre, de la "saisie". L’actant "source" ou l’actant qui est à

l’origine de la réalisation de ladite "saisie" se présente, dans ce

texte poétique, sous une identité confuse à dessein à travers le

déictique personnel "nous" dans "Pourquoi nous mettons tant

d’énergie".

L’actant transformationnel ou le sujet de la perception se sent-il

coupable en s’associant à ceux qui propagent la guerre dans le

monde ? Loin s’en faut ! Son attitude participe de la mise en

application du concept du « Je est nôtre » [Bouraoui, 2005, p.65]

prôné par Hédi Bouraoui. En effet, le "moi" de l’actant

transformationnel « retrouve le sens de la responsabilité

collective »[Bouraoui, 2005, p.65] ; c’est-à-dire que l’altérité

dont il prétend jouir subit un "gommage" total pour s’ouvrir à un

autre "moi" ; en somme, l’on assiste à un processus de changement de

la personne ; condition sine qua none pour que la "tolérance-plus"

s’accomplisse.

L’actant transformationnel et avec lui les actants positionnels

doivent s’engager résolument à respecter les libertés et les

opinions des autres, à accepter autrui dans sa différence, à

cultiver l’esprit de convivialité et de compréhension mutuelle. Les

efforts, ainsi, consentis ont besoin d’être poursuivis sans relâche,

de façon ininterrompue parce qu’on ne tolérera jamais assez

l’autre ; d’où la "tolérance-plus" sans laquelle il est impossible

de « s’adapter à l’autre pour l’adopter au-delà des mots et par delà

l’intolérable en nous » [Bouraoui, 2005, p.67] ; en d’autres termes,

il faut détruire en chaque individu les vilains sentiments qui le

poussent à haïr et à mépriser les autres ; ensuite prendre le soin

d’encourager l’amour du prochain au risque de sombrer dans la

violence avec ses cortèges de maux : traumatismes infligés aux

personnes vulnérables tels que : les "femmes" et les "enfants",

destructions des biens publics et privés, détérioration du tissu

social, assassinats, viols…

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L’actant transformationnel s’explique difficilement toutes ces

dérives sociales et s’interroge vainement : "Pourquoi nous mettons

tant d’énergie / À nous détruire" ; interrogation derrière laquelle

se cache une seule volonté ; celle de voir triompher la tolérance,

toujours et davantage de tolérance ; en un mot la "tolérance-plus" :

« Si la violence et la haine Deviennent notre passe-temps populaire Œil pour œil Dent pour dent On finira tous aveugles et édentés » [Soum, 2008]

L’actant transformationnel ou le sujet de la perception représenté

dans ce poème par le déictique possessif "notre" dans "notre passe-

temps…" et le déictique personnel "on" dans "On finira tous…"

désigne inéluctablement le poète et son peuple. Ceux-ci savent que

la violence sous toutes ses formes : physique, morale,

psychologique, symbolique et la misanthropie ou la culture du

sentiment de mépris, de haine orchestré par certains individus

envers leurs semblables sont autant de maux qui blessent et

meurtrissent l’humanité.

Le point de vue engendré par la perception des dérives sociales sus-

mentionnées s’assimile à une mise en garde des actants

transformationnels ou sujets de la perception à l’endroit des

personnes qui s’adonnent à ces genres de pratiques malsaines dans la

société. En effet, "la violence et la haine" en tant que "saisie" ou

champ de pertinence sont des attitudes à bannir et à condamner dans

la société et par ricochet dans la "visée" ou dans le cas d’espèce,

dans les rapports sociaux au risque de voir l’humanité sombrer dans

un handicap insurmontable ou dans une intolérance inimaginable :

« Sur la route qui mène à la ville

Une femme a perdu son argent

Elle marche toute seule sous la pluie

Elle marche en pleurant

Elle avait tout vendu au marché

En rentrant elle était dans la joie

Maintenant que sa joie s’est gâchée

Elle marche en pleurant

Elle est veuve et elle pense aux enfants

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Six petits qui ne pensent qu’à manger » [Magic

System, 2005]

Dans ce poème, le flux d’attention ou la "visée" s’articule autour

d’une préoccupation majeure qui est d’actualité. Il s’agit en

l’occurrence de la "sécurité sociale". En effet, l’actant

transformationnel ou le sujet de la perception se soucie de la

condition de vie des marginaux, des démunis, des indigents qui ne

sont pas pris en compte dans la politique sociale de certains pays.

Il en résulte, ce faisant, un point de vue qui investit

l’imperfection de la "visée actuelle" – la sécurité sociale – par

rapport à la "saisie virtuelle" – une femme et ses enfants –

reconnus dans la société par leur vulnérabilité. Là, l’on constate,

malheureusement, que les nantis, ceux qui vivent dans l’opulence

refusent "d’immigrer" vers cette femme et ses six enfants qui ne

demandent que le minimum pour subsister. Mais ils – les nantis – les

regardent avec indifférence laissant même cette femme subir les

atrocités de la "marche" sous une "pluie", une intempérie

indescriptible. Ainsi donc, la solidarité a disparu de leurs

habitudes et avec elle la tolérance et encore moins la tolérance-

plus.

L’intolérance ne sévit pas uniquement dans les relations entre un

petit groupe de personnes ou entre des individus. Elle est devenue

presqu’un projet de gouvernement qui, contre toute attente, ne se

dévoile pas au grand jour mais de façon hypocrite dans les relations

internationales :

« À cause de ta mondialisation

Les pays pauvres

Deviennent de plus en plus pauvres

À cause de ta mondialisation

Les pays riches

Deviennent de plus en plus riches » [Soum, 2004]

La "mondialisation" désigne la "visée", dans ce poème, et la

"saisie" s’exprime par la "globalisation des économies". Celle-ci

consiste à échanger les biens et les services, à les distribuer pour

couvrir le marché international. Grâce aux technologies de

l’information, les capitaux circulent d’un pays à un autre ou d’un

continent à un autre sans aucune entrave. Mais dans la pratique,

l’on découvre qu’un écart irréductible s’installe entre "l’objet

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visé" – la mondialisation – et "l’objet saisi" – la globalisation

des économies –. Par conséquent, le point de vue de l’actant

transformationnel ou du sujet de la perception – L’artiste Soum Bill

– qui découle de l’incomplétude ou du hiatus né de la tension entre

les deux positions s’explique par l’inaccessibilité de l’horizon du

"tout de l’objet" que constitue la "visée". En effet, dans la mise

en œuvre de la "saisie" qu’est la "globalisation des économies",

l’on constate que les pays riches "deviennent de plus en plus

riches" puisqu’ils possèdent de grandes industries et la haute

technologie capables de transformer les matières premières en

produits finis ; lesquels produits s’imposent sans heurt dans

n’importe quel marché du monde.

Très souvent, les pays riches délocalisent leurs usines dans les

pays pauvres et bénéficient ainsi de la réduction du coût de

production parce qu’ils utilisent sur place une main-d’œuvre à bon

marché. Ce faisant, ils – les pays riches – accumulent beaucoup de

devises alors que les pays pauvres qui n’ont que l’agriculture comme

la principale ressource économique "deviennent de plus en plus

pauvres" puisqu’ils sont incapables de créer des industries

susceptibles de transformer les matières premières qu’ils ont

pourtant en abondance ; d’où la persistance de l’écart et par

ricochet de l’intentionnalité de la "visée" qu’est la

"mondialisation" et la mise en œuvre concrète de la "saisie" en

l’occurrence la "globalisation des économies".

Le réglage modal qui résulte de l’imperfection de la visée actuelle

et de la saisie virtuelle agit sur deux dimensions. En effet, la

"mondialisation" en tant que "visée" fonctionne en terme de netteté,

de l’idéal. Elle s’assimile donc à la catégorie sémantique de

l’intensité. Cependant, lorsque l’actant transformationnel ou le

sujet de la perception prend de la distance "le mieux possible" pour

régler la netteté sus-indiquée, la catégorie sémantique investit

l’extensité. Là, l’actant transformationnel ou le sujet de la

perception cherche à optimiser la "visée qualitative", une

mondialisation dans laquelle les deux cibles – pays riches et pays

pauvres – partagent équitablement les richesses, seul gage qui

consolide la tolérance-plus.

Au terme de la troisième partie de cette contribution, il faut

retenir que la tolérance-plus « fonctionne donc comme une névrose :

lorsque la matrice est refoulée, ce déplacement produit des variants

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tout au long du texte » [Riffaterre, 1983, p.33]. Dans le cas

d’espèce, ces variants s’expriment en terme d’applicabilité autour

des lexèmes et des associations de lexèmes que sont : la situation

des populations vulnérables en temps de guerre, les violences sous

toutes ses formes et la misanthropie, la problématique de la

sécurité sociale et la mondialisation ; autant de matrices, de

structures sémantiques dont la signifiance ou « tout sémantique

unifié »[Riffaterre, 1983, p.13] et la signifiose « prolifération de

sens à l’infini »[Vaillant, 1992, p.118] de la mobilité sur la

surface textuel ont été largement élucidées.

Conclusion En définitive, nous confirmons l’observation du poète ivoirien

Bottey Zadi Zaourou selon laquelle « Le Zouglou n’est pas de la

musique ; mais un art de la parole » [Zadi, 2002, p.11] ; une parole

éducative, refondatrice, prophétique, historique, constructive,

mythique et mystique, magique, innovatrice dont la beauté

immarcescible déborde d’exubérance et séduit irrésistiblement tout

observateur averti et non-averti. Les mots, pour ainsi dire, ne sont

pas que de simples objets figuratifs, ils vivent, parlent, évoquent,

inondent les cœurs et les esprits de leur suave mélodie, sentent,

regardent, touchent, blessent, adoucissent et inspirent. Ils jouent

pleinement le rôle qui leur est dévolu et sont là où il faut à la

place où ils doivent être. Ils s’enchevêtrent, s’entrechoquent, se

liquéfient et accouchent sans cesse sur la chaîne discursive des

images fortes qui disent et redisent des mondes possibles dont

l’analyste se donne le plaisir d’en dégager la signifiance et la

signifiose afin que s’établissent dialectiquement des points de vue

absolument constructifs à partir des perceptions aussi riches que

variées.

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