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SUIVANT MONTAIGNE

Tout ainsi que des chemins, fen évite volontiers les coste^pendans et glissans et me jette dans le battu le plus boueux ettnjondrant, d'où je ne puisse aller plus bas, et y cherche seurté.<IV, 23OJI

Encore qu'il y ait, me semble-t-il, moins de ressources.et de possible imagination du côté de l'ombre que ducôté de la lumière, je crois qu'il est toujours bien difficile,ou du moins bien imprudent, d'affirmer, en quelque chute•ou déchéance que ce soit, que l'on ne peut descendreoutre il n'y a point là d'absolu, de sol ferme, et je ne puisconsidérer que comme une illusion, cette assurance qu'aMontaigne d'atteindre enfin le tuf où pouvoir poser un piedferme. Ici le chrétien reprend l'avantage combien plussolide, plus rassurante et plus assurée l'idée qu'il peut sefaire de son Dieu moins croulante la morale que, là-des-sus (ou là-dessous), il édifie. Que peut devenir la confiancedu matérialiste, quand la matière même, sous son investi-gation, cède et se décompose ?

Elle ne peut, répondra-t-il, que céder la place à desLois.

Eh parbleu ce sont celles-là que nous cherchons, ettoute mythologie nous importune, qui les offusque et nousdétourne de les chercher.

i Toutes les références indiquées au cours de cet article se rapportentà l'édition de Jouaust en sept volumes. L'indication en chiffres romainsindique le tome celle en chiffres arabes, la page.

«8

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car, quant aux miracles, je n'y touche jamais (V, 155).L'attitude de Montaigne en face de la religion est déjà

presque celle de Molière. Sans doute révère-t-il la véri-table mais peut-être point tant qu'il ne suspecte la fausseje ne trouve aucune qualité si aysée à contrefaire que la dévotion,si on n'y conforme les meurs et la vie son essence est abstruseet occulte les apparences, faciles et pompeuses, (V, 203-4) etsuit, immédiatement, le passage de Montaigne le mieuxfait pour indigner un vrai chrétien, où il ose déclarerA circonstances pareilles, je seroy toujours tel. PourtantBossuet lui-même désavouerait-il cette déclaration je ne

cognoys pas de repentance superficielle, moyenne et de cérémonieil faut qu'elle me touche de toutes pars avant que je la nommeainsin, et qu'elle pinse mes entrailles et les afflige autant pro-fondement que Dieu me voit, et autant universellement. Maiscette repentance-là précisément il déclare sitôt après ne lapoint connaître; l'état d'âme qu'il peint ensuite, pourraitdonner le change, mais il ajoute honnêtement Cela ne

s'appelle pas repentir (V, 206). Et, de crainte que l'on nes'y méprenne, il insiste encore Au demeurant, je hay cest

accidental repentir que l'aage apporte. Celuy qui disoit ancien-nement estre obligé aux années de quoy elles l'avoyent deffaictde la volupté, avbit autre opinion que la mienne je ne sçaurayjamais bon gré à l'impuissance de bien qu'elle me fasce. Nosappetits sont rares en la vieillesse; une profonde satieté noussaisit après le coup en cela je ne voy rien de conscience lechagrin et la foiblesse nous impriment une vertu lasche et catar-reuse (208).

Les quelques pages qui suivent et ne font que commen-ter ceci, sont des plus cyniquement hardies, des plus belles,des plus perspicaces et neuves La jeunesse et le plaisir n'ontpas faict autrefois que j'aie mescogneu le visage du vice en lavolupté ny ne faict à cette heure le degoust que les ans apportent

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que je mescognoisse celuy de la volupté au vice. Ma raison estcelle mesme que j'avoy en l'aage plus licencieux. Pour la voirhors de combat, je ne l'estime pas plus valeureuse. Qu'on luyremette en teste cette ancienne concupiscence, je crains qu'elleauroit moins de force à la soustenir qu'elle n'avait autrefois. Iln'y a aucune nouvelle clarté. Parquoy, s'il y a convalescence,c'est une convalescence maladifve (208-9). Et plus tard, ilrajoute encore si j'avois à revivre, je revivrais comme j'ayvescu ny je ne pleins le passé, ny je ne crains l'advenir; etenfin ces quelques mots où se résume sa morale Heureu-sement, puisque c'est naturellement (209).

Les moins tandues et plus naturelles alleures de nostre amesont les plus belles, les meilleures occupations, les moins efforcées(V, 215).

Il n'est pas de morale qui puisse amener de meilleursrésultats chez ceux qui, comme Montaigne le dit de lui-même, ont bu un lait médiocrement sain et tempéré (VI, 305)de pire résultat chez les autres de morale plus dangereuseà généraliser.

Au XVIIe chap. du Second Livre, après avoir blâméceux qui enseignent à l'âme à mespriser et abandonner lecorps (aussi ne le sçauroit-elle faire que par quelque singeriecontrefaicte) lui conseillant au contraire de se r'allier àluy, de l'embrasser, le cherir, luy assister, le contreroller, leconseiller, le redresser et ramener quand il se fourvoy, l'espou-ser en somme et luy servir de vray mary à ce que leurs effectsne paroissent pas divers et contraires ains accordans et uni-formes, il ajoute Les chrestiens ont une particuliere instructionde cette liaison car ils sçavent que la justice divine embrassecette société et jointure du corps et de l'ame, jusques à rendre lecorps capable des recompenses éternelles. Un peu plus tard,revenant encore sur cette confusion, il ajoute quelqueslignes pour louanger la secte peripatetique, de toutes sectesla plus sociable, et blâmer les autres sectes pour ne s'estre

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assez attachées à la considération de ce meslange, s'estre partia-liçées, cette-cypour le corps, cette autre pour l'ame, d'une pareilleerreur, et avoir escorté leur subject qui est l'homme, et leurguide qu'ils avouent en gênerai estre Nature. Ce passage vients'intercaler ici fort heureusement, pour écarter un peu dumot chreitien les lignes suivantes la première distinction qui

aye esté entre les hommes, et la première consideration qui donnales prééminences aux uns sur les autres, il est vray semblableque ce fut l'advantage de la beauté (IV, 223).

Dans le très court chapitre LIII du Premier Livre, quel-ques phrases qui semblent vraiment inviter Pascal Sinous nous amusions par fois à nous considérer, et le temps quenous mettons à contreroller autruy, et à connoistre les choses qui

sont hors de nous, que nous l'emploissions à nous sonder nous-mesmes, nous sentirions aisément combien toute cette nostre

contexture est bastie de pieces foibles et défaillantes. Et plusloin Quoy que ce soit qui tombe en nostre connoissance etjouissance, nous sentons qu'il ne nous satisfaict pas, et allonsbeant aprés les choses advenir et inconnuës, d'autant que lespresentes ne nous soulent point. Il y a bien de quoi édifier là-dessus des cathédrales. Mais Montaigne ne l'entend pasainsi, ni faire le jeu de l'Eglise il ajoute aussitôt en

païen parfait, et en sage Non pas, à mon advis, qu'ellesn'ayent assez dequoy nous souler, mais c'est que nous les saisis-sons d'une prise malade et desreglée, et ce qu'il cite à l'appui,ce n'est ni l'Evangile, ni Saint-Paul, c'est Lucrèce (II, 280).

A vrai dire la théologie ne l'intéresse guèreLa théologie traicte plus amplement et plus pertinemment ce

subjet, mais je n'y suis guiere versé (IV, 187-188).Ce serait mieulx la charge d'un homme versé en la theologie,

que de moy, qui n'y sçais rien (III, 174).Et voici les aimables considérations qu'il propose à la fin

de son chapitre sur les Prières

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Il n'est rien si aisé,, si doux et si favorable que la loy divineelle nous appelle à soy, ainsi fautiers et détestables comme noussommes; elle nous tend les bras, et nous reçoit en son giron,pour vilains, ords et bourbeux que nous soyons et que nousayons à estre à l'advenir. Il sent bien qu'il s'avance un peuet indique sitôt après Mais encore, en recompense, (notrerepentance suit donc ici, dans son esprit, le pardon) la faut-ilregarder de bon œuil encore faut-il recevoir ce pardon avecaction de grace, et au moins, pour cest instant que nous nousaddressons à elle (à la loi divine) avoir l'aine desplaisante deses fautes et ennemie des concupiscences qui nous ont poussezà l'offencer. Sur le chemin de la repentance, voici doncjusqu'où il se risque pas plus loin que n'eût fait un païen,et pour le bien montrer il cite aussitôt après de l'Horaceet même rajoute plus tard Ny les dieux, ny les gens de bien,dict Platon, n'acceptent le present d'un meschant.

Nous voici déjà bien préparés à écouter ses déclarationsde la dernière heure Si j'avois à revivre, je revivroiscomme j'ai vescu.

Au chapitre XXIII de son premier livre, Montaigneparle de peuplades où l'on vit soubs cette opinion desnaturée de-la mortalité des âmes (et dans les éditions suivantes il changele mot desnaturèe en si rare et insociable).

Mais il répète ailleurs assurément Par la mort noussommes hors l'estre.

Parlant ailleurs des sauvages, Montaigne écrira Quantà un seul Dieu, le discours leur en avoit pieu, mais ils nevouloient changer leur religion, s'en estans si utilement servissi long temps, et n'avoient accoustumé prendre conseil que deleurs amis et connoissans (VI, 65).

Et sitôt après Montaigne se plaît à rapporter l'histoire-d'un roi du Pérou, ayant affaire aux catholiques, quis'étaient emparés de sa personne, et qui n'ont vraimentpas ici le beau rôle (VI, 65-66) non plus que dans les

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quelques histoires qui suivent, où les peuples chrétiens(espagnols en l'espèce), font preuve, à l'égard des peupladessauvages, d'une cruauté, d'une sottise et d'une mauvaisefoi insignes, que Montaigne rapporte avec le plus étrangemélange d'indignation et de curiosité amusée.

« en mettant expressément à part la religion, en lafaisant si grande et si haute, et la voulant si fort révérer,qu'il lui coupe toute communication avec le reste del'homme, il s'est trahi on s'est alarmé. Ce que chez l'or-dinaire des auteurs on laisse passer ou qu'on traite commedes curiosités indifférentes, des naïvetés et des enfances de

l'homme, a paru grave chez lui tout a pris un sens onl'a vu partout cauteleux », lisons-nous dans le Port-Royalde Sainte-Beuve (t. II, p. 415).Cauteleux, Montaigne ne l'est peut-être nulle part autantque dans le chapitre XXVII du premier livre, où, aprèsavoir dénoncé l'imprudence impie qu'il y aurait à mettreen doute certains points de l'observance de nostre Eglise, quisemblent avoir un visage ou plus vain, ou plus estrange(II, 81), il déclare avoir découvert à l'usage que ces choseslà ont un fondement massif et tres-solide, et que ce n'estque bestise et ignorance qui nous faict les recevoir avec moindrereverence que le reste. Et il ajoute La gloire et la curiositésont les deux fléaux de notre ame. Cette-cy nous conduita mettre le nez par tout. comme si Montaigne avait jamaisfait autre chose, et comme s'il s'en repentait et commesi ce n'était pas pour cela même que nous l'aimons.

Montaigne est le premier de ces catholiques non chré-tiens, qui font profession de se rattacher à Rome et quipourtant ignorent le Christ. Et l'on s'explique dès lors sonhostilité à l'égard des protestants, dont la religion est certesloin d'être aussi commode. Et pourquoi ? Le parfait scepti-cisme de Montaigne ne peut s'accommoder de devoirs envers

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Dieu qui impliquent évidemment une croyance en Dieu.Il s'accommode fort bien du catholicisme qui n'impliquequ'une adhésion qui tolérerait toute libre pensée et mêmel'athéisme, pourvu qu'il consentît à se farder.

Qui supprimerait tous les passages où Montaigne parlede lui, diminuerait d'un tiers le volume. Certains le vou-

draient ainsi. Le sot projet qu'il a de se peindre dit Pascal.Pour moi c'est ce tiers précisément que surtout je vou-drais garder. Dans les deux autres, que de bavardagefJe reste épouvanté lorsque je lis (rajouté dans l'édition de88), qu'il estime n'avoir entassé dans les Essais que les têtes(des ratiocinations qui se présentent à son esprit). Quefyattache leur suitte, je multiplieray plusieurs fois ce volume.Mais voici, presque sitôt après, quelques mots qui me fonttressaillir parlant du nombre infini d'histoires qu'il rap-porte Elles portent souvent, dit-il, hors de mon propos, lasemence d'une matière plus riche et plus hardie, et, souvent à

gauche, un ton plus délicat, et pour moy qui n'en veux en celieu exprimer d'avantage, et pour ceux qui rencontreront monair (II, 197). Oui, voici ce qu'il me plaît de rapprocher deces lignes Un suffisant lecteur descouvre souvant és ecrits

d'autruy des perfections autres que celles que l'autheur y a miseset apperceües, et y preste des sens et des visages plus riches

(I, 182) Il en est de mesmes en la peinture, disait-ilquelques lignes plus haut, qu'il eschappe par fois des traitsde la main du peintre surpassans sa conception et sa science;qui le tirent luy-mesmes en admiration, et qui l'estonnent.Mais la fortune montre bien encores plus évidemment la partqu'elle a en toits ces ouvrages, par les graces et beauté^ qui s'ytreuvent, non seulement sans l'invention (mot qu'il remplaceplus tard par intention), mais sans la cognoissance mesmede l'ouvrier. Mots où, sans les détourner beaucoup deleur sens, Freud trouverait inopinément son affaire mots

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qu'éclaire et relève un peu plus tard cette affirmation rierrde noble ne se faict sans bavard

Et dans le chapitre L du premier livre Toute action estpropre à nous faire connoistre à quoi il ajoute plus tard cettephrase merveilleuse Tout mouvement nous descouvre (II,268).

De mille visages qu'Us ont cbacun (les sujets qui se pré-sentent à lui), j'en prens celuy qui nie plait je les saisisvolentiers par quelque lustre extraordinaire (II, 268). C'estbien aussi ce que nous ferons avec lui.

A quel point je le fais mien. il me semble que c'estmoi-même. Et par contre-coup je me persuade volontiers ecde tout mon esprit et de tout mon cœur que s'il revenaitaujourd'hui sur terre et en France pour y publier à neufdes « Essais » ou quoi que ce soit d'autre que sans doute iljugerait plus séant d'écrire, il se mettrait à dos Pierre et

Paul, semblant donner des gages à tous les partis, les mécon-tentant tour à tour en refusant de s'enrôler, et qu'on luiferait de gauche et de droite tous les embêtements qu'onm'a faits.

Combien de phrases de lui s'adressent à moi tout parti-culièrement, où d'autres ne verront que du vent Ilen peut estre aucun de ma complexion, dit-il, qui m'instruismieux par contrariété que par exemple (VI, 81).

De là cette extraordinaire propension à écouter la partieadverse Quant on me contrarie (me contredit), écrit-il, onesveille mon attention, non pas ma cholere je m'avance vers

1. Si grande que soit la tentation d'extraire de ces paroles, sur l'invi-tation même de Montaigne, beaucoup plus que lui-même n'a voulu etsu y mettre, ramenons-les honnêtement à leur sens véritable, précisépar ces mots, que nous lisons dans le même chapitre, quelques lignesplus bas La prudence, si tendre et circonspecte, est mortellement ennemie-des hautes exécutions.

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celuy qui me contredit, qui madvertit (il a mis plus tard quim'instruit) la cause de la verité devroit estre la cause com-

mune à Tun et à l'autre. (VI, 85)

dus dissentions présentes de cet Estat, mon interest ne mafaict mesconnoistre ny les qualité^ louables en mes adversaires,ny celles qui sont reprochables en ceux que j'ay suivy (VI, 229).Et il ajoute plus tard Un bon ouvrage ne perd pas ses grâcespour plaider contre moy. Et plus loin, en dernière heure, ceslignes excellentes ils veulent. que nostre persuasion etjugement serve non à la verité, mais ait project de nostre desir.Je faudray plustost vers Vautre extrémité, tant je crains quemon désir me suborne. Joinct que je me deffie un peu tendrementdes choses que je souhaitte (VI, 23 1).

Il faut estendre la joye, mais retrencher autant qu'on peutla tristesse (VI, 176).

Cette humeur, oui, je la retrouve chez Montaigne jene la prends pas en lui, elle est mienne, comme elle étaitsienne et je n'avais pas besoin qu'il ait dit avant moi ceia,pour l'écrire.

J'estois platonicien de ce costè, avant que je sceusse qu'il yeust de Platon au monde, écrit-il (VI, 278). Ainsi j'étaismoi-même Montaignard

Sur cette route que j'indique dans mon étude et qui meparaît être celle même de Nietzsche, Montaigne, il faut bien

i. « Il me semblait l'avoir écrit moi-même dans une existence anté-

rieure, tellement il répondait sincèrementà ma pensée et à mon expé-rience », dit Emerson en parlant des Essais.

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le reconnaître, ne s'aventure pas très avant. Diversesconsidérations le retiennent, en plus d'une prudence natu-relle dont, pour sa sauvegarde, il ne s'est jamais départi,et, surtout, l'extraordinaire propension, dont souvent il

nous parle, à écouter et épouser l'opinion d'autrui, jusqu'àla laisser prévaloir, momentanément tout au moins, sur lasienne propre. Je veux que l'avantage soit pour nous; maisje ne forcene point, s'il ne l'est. Je me prens fermement auplus sain des partis mais je n'affecte pas qu'on me remarquespecialement ennemy des autres (VI, 230).

Montaigne entrevoit bien que l'on puisse aller plus loinqu'il n'a été lui-même sur sa propre route, mais il craintles régions désertiques, et celles où l'air est trop raréfié.Quand je suis allé le plus avant que je puis, si ne me suis-jeaucunement satisfaict je voy encore du pais au delà, maisd'une veuë trouble et en nuage, que je ne puis desmeler (II, 22).

Il a horreur de perdre pied. sondant le gué de bienloing, et puis, le trouvant trop profond pour ma taille, je metiens à la rive (II, 267). Nul besoin de jeter un pont nide chercher à nager.

A quoy faire ces poinctes eslevées de la philosophie sur les-quelles aucun estre humain ne se peut rassoir, et ces règles quiexcedent nostre usage et nostre force (VI, 193).

Et il félicite Socrate de ceci C'est luy qui ramena du ciel,où elle perdoit son temps, la sagesse humaine, pour la rendreà l'homme, où est sa plus juste et plus laborieuse besoigne(VI, 271).

Lorsque Montaigne dit Je suis dégotlté de la nouvelleté,quelque visage qu'elle porte, et ai raison, car j'en ai vu deseffets très dommageables, il faut bien entendre qu'il ne s'agitici que de nouvelletés politiques ou religieuses, ce qui

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en ce temps revenait à peu près au même, car, d'autrepart, il avait accoutumé de dire, qu'après avoir passé une nuitinquiète, quand au matin il venait à se souvenir qu'il avaità voir une ville ou une nouvelle contrée, il se levait avec désir

et allégresse, nous dit son secrétaire, dans la relation de

son voyage.

Et, plus loin Je ne le vis jamais moins las, ni moins seplaignant de ses douleurs, ayant l'esprit, et par chemin et enlogis, si tendu à ce qu'il rencontrait, et cherchant toutes occa-sions d'entretenir les étrangers, que je crois que cela amusaitson mal. Il déclarait n'avoir nul projet que de se promener pardes lieux inconnus, et plus loin Il prenait si grand plaisirà voyager, qu'il haïssait le voisinage du lieu où il se dûtreposer.

Mais écoutons Montaigne lui-mêmeJe scay bien qu'à le prendre à la lettre, ce plaisir de voyager

porte tesmoignage d'inquiétude et d'irrésolution ce sont aussinos mais tresses qualité^ et prédominantes. Ouy, je le confesse,je ne vois rien, seulement en songe et par souhait où je me puissetenir le seul desir de la varieté me paye (changé plus tarden la seule variété), et la possession de la diversité (VI, 192).

Et encore

Je suis si affadi après la liberté que, qui me dèf endroit l'accèsde quelque coin des Indes, j'en vivrois aucunement plus mal àmon aise. Et un peu plus loin Mon Dieu1 que malpourrois-je souffrir la condition où je vois tant de gens cloués, àun quartier de ce royaume.

Quant à moy, j'estime que nos âmes sont denoüées, à

vingt ans, ce qu'elles doivent estre, et qu'elles promettent (ilavait d'abord mis qu'elles peuvent) tout ce qu'elles pourront.Quant à moy, je tien pour certain, que depuis cet aage(30 ans) et mon esprit et mon corps ont plus diminué qu'aug-menté, et plus reculé que avancé. Il est possible qu'à ceux qui

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emploient bien le temps, la science et l'expérience croissent avecla vie; mais la vivacité, la promptitude, la fermeté et autresparties bien plus nostres, plus importantes et essentielles, sefanissent st s'alanguissent (II, 306-7).

Comment 1 dict le jeune Caton à ceux qui le vouloyentempescher de se tuer, suis-je à cette heure en aage où l'on mepuisse reprocher d'abandonner trop tost la vie ? Si n'avoit-ilque quarante et huict ans. Il estimoit cet aage là bien meur etbien avancé, considérant combien peu d'hommes y arrivent(II, 303).

Cet extraordinaire crédit, qu'il accorde à la jeunesse, faitqu'il se considère à quarante ans'comme vieux (c'étaitcoutume à cette époque), et c'est l'âge où il se retire danssa librairie, considérant qu'il n'a guère plus rien à attendrede la vie et qu'il ne peut mieux employer le temps qui luireste qu'à ratiociner et qu'à se souvenir. Avec quelle nostal-gie, sinon avec quel regret, car les regrets ne font pointpartie de sa sagesse, se remémore-t-il ce temps où lesestroits baisers de la jeunesse, savoureux et gourmans (ce motest remplacé plus tard par gloutons et gluans) colloyentautresfois (à ses moustaches) et s'y tenoient plusieurs heuresaprès (II, 288), et parle-t-il de cet estat plein de verdeuret de feste (III, 58). J'ay passé, dit-il, une bonne partie demon aage en une parfaite et entière santé je dy non seule-ment entière, mais encore allègre et bouillante (III, 58). Dureste cet admirable état d'allégresse se maintient en lui,qui lui faisait trouver si horrible la considération des mala-dies que quand je suis venu à les essayer, j'ay trouvé leurspointures molles et lasches ait prix de ma crainte. Ce qui luipermet d'écrire encore, admirablement voicy que j'essaietous les jours suis-je à couvert chaudement, dans une bonnesale, pendant qu'il se passe une nuict orageuse, et tempesteuse,'em'estonne et m'afflige pour ceux qui sont lors en la cam-

1. Engagé dans les avenues de la vieillesse, ayant pieça franchiles 40 ans. Ce que je seray doresenavant, ce ne sera plus qu'un demy estre,ce ne sera plus moy. (IV, 226)

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paigne; y suis-je moy-mesme, je ne desire pas seulement d'estreailleurs (III, 58).

C'est une pretieuse chose que la santé, et la seule qui mériteà la verité qu'on y employé, non le temps seulement, la sueur,la peine, les biens, mais encore la vie à sa poursuite; d'autanttque sans elle la vie ne peut avoir ny grace ny saveur. Lavolupté, la sagesse, la science et la vertu, sans elle, se ternissentet esvanouissent (V, 124).

L'extrême fruict de la santé, c'est la volupté ;VII, 70).Je me suis avancé le plus que j'ay peu vers ma réparation

et règlement (j'avoue ne comprendre point du tout ce queMontaigne entend par là) lors que j'avoys à en jouir je seroyshonteux et envieux que la misere et l'infortune de ma vieillesseeust à se préférer à mes bonnes années, saines, esveillées, vigou-reuses, et qu'on eust à m estimer non par où j'ay esté, mais paroù j'ay cessé d'estre (V, 209).

Il assimile la vieillesse à la moindre santé, presque à lamaladie, et lui en veut de nous imposer une sagesse qu'ilse refuse à appeler sagesse, puisqu'elle vient non de la résis-tance aux désirs, mais du retombement et fléchissement

de ceux-ci. Il faut que nostre conscience s'amende d'elle-mesme par r'enforcement de nostre raison, non par la defail-lance de nos forces (il écrit plus tard par 1'affoiblissement denos appétits). La volupté n'en est en soy ny pas le ny descolorée,pour estre aperceuë par des yeux chassieux et troubles. On doibtaymer la tempérance par elle-mesme et pour le respect de Dieu,qui nous l'a ordonnée (?) et la chasteté celle que les catarresnous prestent et que je doibts au bénéfice de ma cholique, ce n'estny chasteté ny temperance. On ne peut se vanter de mespriser etcombattre la volupté si on ne la voit, si on l'ignore, et ses graces,.et ses forces, et sa beauté plus attrayante. Nous appelonssagesse la difficulté de nos humeurs, le desgoust des choses pre-

sentes mais à la verité, nous ne quittons pas tant les vices,comme nous les changeons, et, à mon opinion, en pis (V, 210).

Et quelques lignes plus bas Elle (la vieillesse) nousattache plus de rides en l'esprit qu'au visage et ne se void

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point à' âmes, ou fort rares, qui en vieillissant ne sentent l'aigre-et le moisi (V, 211).

je sens que, nonobstant tous mes retrancbemens, elle gaignepied à pied sur nwy je sous tien tant que je puis, mais je nesçays en fin où elle me mènera moy-mesme. A toutes avan-tures, je suis content qu'on sçache d'où je seray tombé (V, 221).

Ah combien, de ce qu'il dit à propos de la gloire, versce qu'il pourrait dire de la vie future, le glissement esttfacile Certes, je n'ay point le cœur si enflé, ny si venteux,qu'un plaisir solide, charnu et moëleux comme la santé,je Volasse eschanger pour un plaisir imaginaire, spirituel etaërée dans le dernier chapitre du Second Livre, dontl'avant-dernier paragraphe se termine par ces mots Lasanté, de par Dieu(V, 163)

Et encore

Nous ne sçaurions faillir à suivre nature; le souverain

precepte, c'est de se conformer à elle. Je n'ay pas corrigé, commeSocrates, par institution et force de raison, mes complexionsnaturelles, et n'ay aucunement troublé par art mon inclination.Je me laisse aller comme je suis venu, je ne cmnbats rien, mesdeux mais tresses pieces vivent de leur grace, en pais et bonaccord. Mais, a-t-il soin d'ajouter, le lait de ma nourrice a

esté, Dieu mercy I mediocrement sain et tempéré (VI, 305).

Montaigne mourut (1592) avant d'avoir pu lire DonQuichotte (1605), quel dommage! Ce livre était écritpour lui. Il lui ressemble au point que je m'étonne sid'autres ne l'ont pas déjà remarqué, déjà dit. Mais c'est lepropre de ce grand livre (j'entends celui de Cervantès) dese jouer en chacun de nous en aucun plus éloquemment

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qu'en Montaigne. C'est aux dépens de Don Quichotte que,peupeu, grandit en lui Sancho Pança.

Au point qu'il en arrive à dire, poussant à boutnotre propre pensée leur plus propre qualité (de sesEssais) c'est la diversité et la discordance, passage qu'il aplus tard beaucoup affaibli en le commentant, c'est-à-direen le précisant, c'est-à-dire en nous empêchant d'y mettretout ce que nous y eussions mis malgré lui.

De l'exces de la gayeté je suis tombé en celuy de la severitéplus fascheus parquoy je me laisse à cette heure, aller un peuà la desbauche par dessein. Je me defends de la tempérancecomme j'ay faict autres fois de la volupté elle me tire troparriere, et jusques à la stupidité or, je veus estre maistre demoy, à tous sens (V, 247-48).

Et, plus loin J'ayme une sagesse gaye et civile, et fuisl'aspreté des meurs et l'austérité, ayant pour suspect toute minerébarbative. (253) Et si je disais ailleurs que j'approuvaisbien rarement ces rajouts de la dernière heure, je préfèreles approuver tous plutôt que rejeter celui-ci No% maistresont tort dequoy, cherchants les causes des eslancements extraor-dinaires de nostre esprit, outre ce qu'ils en attribuent à unravissement divin, à l'amonr, à l'aspreté guerriere, à la poésie,au vin, ils n'en ont donné sa part à la santé une santébouillante, vigoureuse, pleine, oysive, telle qu'autrefois la verdeurdes ans et la securité me la fournissaient par venues. Ce feude gayeté suscite en l'esprit des eloises vives et claires outrenostre clairté naturelle et entre les enthousiasmes les plusgaillards, sinon les plus esperdus (V, 253).

Le diray-je, pourvue qu'on ne m'en prenne à la gorge?L'amour ne me semble proprement et naturellement en sa saison

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qu'en l'aage voisin de l'enfance. En la virilité, je le trouvedesja aucunement hors de son siege. et il ajoute plus tardEt la beauté non plus car ce qu'Homère Testend jusqu'à ceque le menton commence à s'ombrager, Platon mesme fa remar-qué pour rare (VI, 39).

C'est bien là vraiment le fin du fin, le plus difficile, leplus subtil à la fois et le plus hardi, qui demande la vue laplus claire, la plus curieuse et la plus désintéressée de soi-même d'expecter ce qui, parmi nos préoccupationsd'aujourd'hui, méritera d'occuper encore les générations àvenir. Sans doute les contemporains de Montaigne glis-sèrent-ils sur les quelques passages qui nous font le plustressaillir aujourd'hui, et n'eurent-ils pas d'yeux pour lesvoir. Et sans doute Montaigne lui-même, partageant enpartie leur indifiérence à cet égard, tout de même qu'ilpartageait les curiosités de son époque à l'égard de ce quine nous intéresse plus aujourd'hui, pourrait-il dire,revenant aujourd'hui sur la terre si j'avais su que c'étaitcela qui vous occuperait, j'en aurais dit bien d'autres Ehque diable ne l'avez-vous fait Ce n'est pas à vos contem-porains qu'il m'importe que vous plaisiez c'est à nous-mêmes. Et c'est le plus souvent par les points que luireprocha ou que négligea le plus son époque, qu'un écri-vain, à travers les âges, parvient à communiquer avecnous.

Rien ne nous est devenu plus étranger que cette querelle,que ce plaidoyer de Pascal pour établir la misère de l'homme,ses imperfections, ses lacunes, tout ce que résume admi-rablement cette phrase de Montaigne, dicton populairepeut-être Ce sont les pieds dit paon qui abattent son orgueil(VI, 10). Il nes'agitpluspour nous ni de pieds ni~VI, 10). II ne s'agit plus pour nous ni de pieds ni

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d'orgueil, et vous ne diminuerez à nos yeux le prix derien, fût-ce de nos plumes, en nous prouvant ou nousfaisant ressouvenir (ce que nous nous gardons d'oublier)qu'au fond, toute cette beauté n'est que du carbone ou dela boue, et qu'elle ne sera bientôt plus que poussière. Toutau contraire, rien ne me paraît plus admirable que cecique les couleurs et les formes les plu? exquises aient besoind'emprunter un substratum si vil, pour se manifester ànous. C'est affaire aux vaniteux de chercher à cacher leur

point de départ et leur base, ce que ne fit jamais, ou que sipeu, Montaigne qui n'a rien du paon pas plus qu'il nerenierait, rosier, le fumier qui permet sa fleur.

On cite à ce sujet toujours les mêmes passages, que l'onse passe, de critique à critique, et de maître à écolier. Jerougirais de les citer encore. C'est laisser entendre quebien rarement on recourt au texte de Montaigne lui-même,

«'en tenant de préférence (comme il advient toujours) àce qui en a déjà été dit. Mais voici quelques lignes qui, jecrois, ont été moins remarquées. Est-ce seulement pourcela qu'elles me plaisent encore davantage ?

Le maniement et emploite des beaus espris donne pris à lalangue, non pas rinnovant tant comme la remplissant de plusvigoreux et divers services, l'estirant et ployant ils n'y aportentpoint des mots, mais ils enrichissent les leurs, appesantissent€t enfoncent leur signification et leur usage, luy aprenent desmouvements inaccoutumés, mais prudemment et ingénieusement.

(VI, 3)Je corrige les fautes d'inadvertence, non celles de cons-

tume. (VI, 7) C'est bien pourquoi Montaigne ne crutpas devoir tenir compte des critiques de Pasquier, qu'ilécouta du reste docilement celui-ci, d'autre part sonadmirateur sincère, ayant cru devoir lui signaler amicale-ment nombre de locutions impropres. (V. Port-Royal, 11,448).

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J'ay le parler un peu délicatement jaloux d'attention et desilence (VI, 9).

Il pense un peu trop par images celles-ci, poétique-ment, surgissent, vont de l'avant, l'entraînent. Ce ne sontplus des métaphores c'est le vêtement obligatoire de sapensée, qui, abstraite, lui paraît exsangue et sans vie. 11semble qu'une des qualités premières de son style, il ladoive .précisément à cette impossibilité d'imaginer l'âmesans le corps (ce qu'il est tort heureux d'arguer que l'EgliseRomaine ne peut accepter plus que lui encore qu'il entire argument tout à l'opposé et à l'encontre de la moraleque celle-ci enseigne).

Et je sais bien que chaque mot dont nous nous servonspour penser, fait image et garde trace d'une sorte demétaphore première mais précisément il est bon que lapensée, pour sa rectitude, use de ces monnaies que sontles mots, sans plus trop faire attention à leur effigie, qui

peut lentement s'effacer sans que la pièce en perde pourcela sa valeur d'échange. Du temps de Montaigne, nombrede ces mots étaient tout frais sortis de la frappe et nulmieux que Montaigne ne s'entendait à battre monnaie.

Très différent d'Amiel, et en général de tous les« analystes », il écrit fort judicieusement Cecy m'advientaussi,que je ne me trouve pas où, je me. cherche, et me trouve

plus par l-encontre que par l'inquisition de mon jugement, etcette phrase si révélatrice, que nous lisons dans un despremiers chapitres des Essais, il est à remarquer queMontaigne ne l'y ajouta que par la suite (Livre I, p. 50).

Il écrit, il est vrai Ce que j'ay à dire, je, le dis tousjonrsde.toute ma force (IV, 219), mais, à la page suivante,ilreconnaît se. laisser trop aller aux dispositiorzs libres etdes.reglées de son langage et qu'à force de vouloir éviter l'art etl'affectation,j'y retombe d'une autre part.

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