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Tostes, Yonville et Rouen: quelles sont les fonctions de ces trois lieux? - structure - révélateurs des personnages I. L’illusion d’une progression (fonction dramatique : font avancer l’action) 1. Une progression ? - dimension structurante : un lieu = une partie - taille de plus en plus importante : petite ville « avoir découvert Tostes » p.57 > gros bourg, « fort bourg » p.143 > ville « la ville apparaissait » p.347 - chaque lieu s’impose comme un nouvel espoir pour Emma : phrase qui clôt le chapitre 2 de la 2 ème partie, p.143 > elle arrive à Tostes après son mariage , heureuse de quitter la ferme paternelle : « Mademoiselle Rouault ne s’amusait guère à la campagne » (I,2 – p.62) « Elle eût bien voulu, ne fût-ce au moins que pendant l’hiver, habiter la ville » (I,3 – p.71) > On quitte Tostes pour la guérir de sa maladie nerveuse et elle est excitée à l’arrivée à Yonville : « mais le dérangement m’amuse toujours ; j’aime à changer de place » (II,2 – p.136). Changement qu’elle charge d’une valeur symbolique en brûlant son bouquet de mariage + elle est enceinte : après vie de jeune fille et de jeune mariée, vie de mère ? Malgré son entrée dans une maison bien triste, Emma ne peut s’empêcher d’espérer : « C’était la quatrième fois qu’elle couchait dans un endroit inconnu. (...) et chacune s’était trouvée faire dans sa vie comme l’inauguration d’une phase nouvelle. Elle ne croyait pas que les choses pussent se représenter les mêmes à des places différentes, et, puisque la portion vécue avait été mauvaise, sans doute ce qui restait à consommer serait meilleur » (II,2 – p.143) > On va à Rouen pour la distraire . Emma est encore très excitée : « Un battement de cœur la prit dès le vestibule » (II, 15) > Impression de progression, tant dans la taille de la ville que dans l’excitation d’Emma. Cette progression est voulue par Flaubert dès les premiers scénarios : « on va ailleurs ». Les lieux ne sont pas précisés mais le mouvement oui. L’action progresse grâce au changement de lieu. - Progression dans l’imaginaire d’Emma : on observe une progression dans l’imaginaire. Emma théâtralise de plus en plus les lieux qu’elle habite : les lieux sont l’expression de son envie d’être ailleurs : > Tostes doit être réparé (p.145), changement de l’intérieur (geste qui se répète dans chaque lieu qu’elle habite, jusqu’à la chambre de Rouen) : « Elle retira les globes des flambeaux, fit coller des papiers neufs, repeindre l’escalier et faire des bancs dans le jardin, tout autour du cadran solaire, elle demanda même comment s’y prendre pour avoir un bassin à jet d’eau avec des poissons. » (I,5 – p.82) = goût petit-bourgeois et convenu. > Yonville : « disposait son appartement et sa personne comme une courtisane. », p.261 > Rouen : la ville tout entière devient théâtrale : « amphithéâtre » ie le lieu où va se jouer le rôle de la passion. C’est d’ailleurs au théâtre que Léon et Emma se sont retrouvés. Et petit à petit, le théâtre va envahir Rouen : * Emma connaît la route qui mène à Rouen comme on connaitrait un texte : « Emma la connaissait d’un bout à l’autre ; elle savait qu’après un herbage il y avait un poteau, ensuite un orme, une grange ou une cahute de cantonnier… » : impression qu’elle maitrise les respirations d’un texte de théâtre. * Emma s’adonne à ce rituel hebdomadaire de l’entrée en ville (lever de rideau) : « l’hirondelle glissait entre les jardins, où l’on apercevait, par une claire-voie, des statues, un vignot (tertre avec un sentier en hélice), des ifs taillés et une escarpolette » + ville « en amphithéâtre ». * elle se costume ensuite (« Emma débouclait ses soques, mettait d’autres gants, rajustait son châle… ») * Flaubert mentionne la « charrette qui passait près d’elle, portant quelque décor qui tremblait. » * transforme la chambre d’hôtel en véritable scène (« rideaux de levantine rouge », objets, multiplie les signes de la passion : « tapis discret », Cupidon de la pendule, coquilles roses : tout renvoie à la sensualité. * « poses de colombe assoupie » d’Emma, Léon « se mettait par terre, devant elle… » * Emma joue aussi le rôle de l’homme avec Léon (il devenait sa maitresse) * + joue une sorte de maternité : infantilise Léon (« Emma découpait, lui mettait les morceaux dans son assiette… »), l’appelle « enfant », comme si Emma voulait combler sa maternité vide par une maternité pleine et réussie.

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Tostes, Yonville et Rouen: quelles sont les fonctions de ces trois lieux?

- structure - révélateurs des personnages

I. L’illusion d’une progression (fonction dramatique : font avancer l’action)

1. Une progression ? - dimension structurante : un lieu = une partie - taille de plus en plus importante : petite ville « avoir découvert Tostes » p.57 > gros bourg,

« fort bourg » p.143 > ville « la ville apparaissait » p.347 - chaque lieu s’impose comme un nouvel espoir pour Emma : phrase qui clôt le chapitre 2 de la

2ème partie, p.143 > elle arrive à Tostes après son mariage, heureuse de quitter la ferme paternelle :

« Mademoiselle Rouault ne s’amusait guère à la campagne » (I,2 – p.62) « Elle eût bien voulu, ne fût-ce au moins que pendant l’hiver, habiter la ville » (I,3 – p.71)

> On quitte Tostes pour la guérir de sa maladie nerveuse et elle est excitée à l’arrivée à Yonville : « mais le dérangement m’amuse toujours ; j’aime à changer de place » (II,2 – p.136). Changement qu’elle charge d’une valeur symbolique en brûlant son bouquet de mariage + elle est enceinte : après vie de jeune fille et de jeune mariée, vie de mère ? Malgré son entrée dans une maison bien triste, Emma ne peut s’empêcher d’espérer : « C’était la quatrième fois qu’elle couchait dans un endroit inconnu. (...) et chacune s’était trouvée faire dans sa vie comme l’inauguration d’une phase nouvelle. Elle ne croyait pas que les choses pussent se représenter les mêmes à des places différentes, et, puisque la portion vécue avait été mauvaise, sans doute ce qui restait à consommer serait meilleur » (II,2 – p.143)

> On va à Rouen pour la distraire. Emma est encore très excitée : « Un battement de cœur la prit dès le vestibule » (II, 15)

> Impression de progression, tant dans la taille de la ville que dans l’excitation d’Emma. Cette progression est voulue par Flaubert dès les premiers scénarios : « on va ailleurs ». Les lieux ne sont pas précisés mais le mouvement oui. L’action progresse grâce au changement de lieu.

- Progression dans l’imaginaire d’Emma : on observe une progression dans l’imaginaire. Emma théâtralise de plus en plus les lieux qu’elle habite : les lieux sont l’expression de son envie d’être ailleurs :

> Tostes doit être réparé (p.145), changement de l’intérieur (geste qui se répète dans chaque lieu qu’elle habite, jusqu’à la chambre de Rouen) : « Elle retira les globes des flambeaux, fit coller des papiers neufs, repeindre l’escalier et faire des bancs dans le jardin, tout autour du cadran solaire, elle demanda même comment s’y prendre pour avoir un bassin à jet d’eau avec des poissons. » (I,5 – p.82) = goût petit-bourgeois et convenu.

> Yonville : « disposait son appartement et sa personne comme une courtisane. », p.261 > Rouen : la ville tout entière devient théâtrale : « amphithéâtre » ie le lieu où va se jouer le

rôle de la passion. C’est d’ailleurs au théâtre que Léon et Emma se sont retrouvés. Et petit à petit, le théâtre va envahir Rouen :

* Emma connaît la route qui mène à Rouen comme on connaitrait un texte : « Emma la connaissait d’un bout à l’autre ; elle savait qu’après un herbage il y avait un poteau, ensuite un orme, une grange ou une cahute de cantonnier… » : impression qu’elle maitrise les respirations d’un texte de théâtre.

* Emma s’adonne à ce rituel hebdomadaire de l’entrée en ville (lever de rideau) : « l’hirondelle glissait entre les jardins, où l’on apercevait, par une claire-voie, des statues, un vignot (tertre avec un sentier en hélice), des ifs taillés et une escarpolette » + ville « en amphithéâtre ».

* elle se costume ensuite (« Emma débouclait ses soques, mettait d’autres gants, rajustait son châle… »)

* Flaubert mentionne la « charrette qui passait près d’elle, portant quelque décor qui tremblait. » * transforme la chambre d’hôtel en véritable scène (« rideaux de levantine rouge », objets,

multiplie les signes de la passion : « tapis discret », Cupidon de la pendule, coquilles roses : tout renvoie à la sensualité.

* « poses de colombe assoupie » d’Emma, Léon « se mettait par terre, devant elle… » * Emma joue aussi le rôle de l’homme avec Léon (il devenait sa maitresse) * + joue une sorte de maternité : infantilise Léon (« Emma découpait, lui mettait les morceaux

dans son assiette… »), l’appelle « enfant », comme si Emma voulait combler sa maternité vide par une maternité pleine et réussie.

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* Se refait coiffer après l’amour « rue de la comédie » puis « entendait la clochette du théâtre ». > Rouen n’est pas un lieu où elle vit mais le lieu où elle maitrise sa vie. Reste lieu de

l’échappée, de l’adultère, lieu des mensonges (cours de piano), où il faut se cacher. Elle va à l’hôtel alors que dans les deux autres lieux elle a une maison. C’est l’Aveugle qui va lui mettre sous les yeux son aveuglement, sa mendicité : Emma est aveugle, elle mendie de l’amour. L’aveugle lui met sous les yeux son camp véritable : celui des exclus. - Pas de systématisme : un village, une ville imaginaire, une ville ; description détaillé de Yonville, mais pas des deux autres communes

2. Trois lieux identiques : le décor comme répétition - Ils sont tous trois en Normandie : région qu’on ne peut fuir - Dès le premier échange avec Léon se met en place cette similitude des lieux : Léon exprime le même ennui à l’égard de Yonville que celui éprouvée par Emma à Tostes dans la première partie : « Comme Tostes, sans doute, reprit Emma. » (II, 2 – p.141) - les lieux sont caractérisés par l’enfermement et l’étroitesse : * la maison de Tostes (« petite pièce de six pas de large », « jardin plus long que large » I,5 – p.81).

* Yonville : « les cours se font plus étroites » p.126 ; « longue pièce à plafond bas » II,4 – p.156 * Rouen, Hôtel de Boulogne : « volets fermés, portes closes » III,3 – p.339.

- traces laissées par les prédécesseurs : jamais de virginité du lieu : * Tostes : bouquet de mariée à Tostes p.82 * chambre d’hôtel à Rouen p.350. Elle cherche à les personnaliser en les dépersonnalisant

davantage puisqu’elle reproduit des clichés (rideaux…). - hostilité :

* promenades autour de la maison de Tostes : « Elle allait jusqu'à la hêtrée de Banneville, près du pavillon abandonné qui fait l'angle du mur, du côté des champs. Il y a dans le saut-de-loup, parmi les herbes, de longs roseaux à feuilles coupantes. Elle commençait par regarder tout alentour, pour voir si rien n'avait changé depuis la dernière fois qu'elle était venue. Elle retrouvait aux mêmes places les digitales et les ravenelles, les bouquets d'orties entourant les gros cailloux, et les plaques de lichen le long des trois fenêtres, dont les volets toujours clos s'égrenaient de pourriture, sur leurs barres de fer rouillées. » (I,7 – p.95).

* Yonville : proximité des voisins : « les habitations se rapprochent, les haies disparaissent » p.126 + scène chez Binet où Caron et Tuvache essaient de voir « tout l’intérieur de Binet » p.396.

* le trajet jusqu’à la Huchette est aussi hostile : p.234. * Rouen : « rue massacre » p.389 (cette rue existe vraiment !)

- désordre : * bazar du débarras de Tostes : « grande pièce délabrée qui avait un four et qui servait

maintenant de bûcher, de cellier, de garde-magasin, pleine de vieilles ferrailles, de tonneaux vides, d’instruments de culture hors de service, avec quantité d’autres choses poussiéreuses dont il était impossible de deviner l’usage. » I,5 – p.81

* « pêle-mêle » des affaires posées « négligemment » à Yonville (II,3 – p.142). Des objets sont transposés : la pendule à tête d’Hippocrate par exemple (I,5 – p.81), le curé de plâtre (p.82).

> Mêmes éléments de végétation à Tostes et à Yonville. - on observe même une détérioration :

* la maison de Yonville est d’emblée marquée par la tristesse : « Emma, dès le vestibule, sentit tomber de ses épaules, comme un linge humide, le froid du plâtre. » (II, 2, 143). Rouen = lieu de toutes les désillusions : « Elle était aussi dégoûtée de lui qu’il était fatigué d’elle. Emma retrouvait dans l’adultère toutes les platitudes du mariage » - font tous germer le fantasme d’un ailleurs :

* Tostes > Vaubyessard : moment de bascule du récit. Le bal cristallise l’ennui jusqu’alors vague et indéfini d’Emma : « Son cœur était comme eux (les souliers salis par les frottements) : au frottement de la richesse, il s’était placé dessus quelque chose qui ne s’effacerait pas. » (I,8 – p.109) + fracture avec Charles qui est content de rentrer chez lui. Ensuite, Emma rêve à Paris.

* Yonville > la Huchette * Rouen > Bal masqué (on remarque que même l’ailleurs subit une dégradation dans l’œuvre :

bal masqué = image dégradée du premier bal) + motif de la fenêtre : on le retrouve dans chaque partie

II. Des lieux révélateurs des personnes : descriptions subjectives 1. Des lieux-états d’âme

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- Grâce aux descriptions, Flaubert peint indirectement les émotions et les états d’âme de ses personnages. En effet, les lieux sont présentés à travers le regard des persos (Balzac ≠ Flaubert : chez Balzac, les lieux permettent de comprendre les personnages. Dans MB, les lieux changent de valeur en fonction de celui qui les regarde).

> Tostes = moment de bonheur pour Charles p.83 / début de l’ennui pour Emma > Rouen = parenthèse plutôt misérable dans la vie de Charles qui aspire à un retour à la

campagne (I,1 – p.55 : « Dans les beaux soirs d'été, à l'heure où les rues tièdes sont vides, quand les servantes, jouent au volant sur le seuil des portes, il ouvrait sa fenêtre et s'accoudait. La rivière, qui fait de ce quartier de Rouen comme une ignoble petite Venise, coulait en bas, sous lui, jaune, violette ou bleue, entre ses ponts et ses grilles. Des ouvriers, accroupis au bord, lavaient leurs bras dans l'eau. Sur des perches partant du haut des greniers, des écheveaux de coton séchaient à l'air. En face, au-delà des toits, le grand ciel pur s'étendait, avec le soleil rouge se couchant. Qu'il devait faire bon là-bas ! Quelle fraîcheur sous la hêtrée ! Et il ouvrait les narines pour aspirer les bonnes odeurs de la campagne, qui ne venaient pas jusqu'à lui. »

> Point de vue de Charles dans cette description : peuple (servantes et ouvriers), bassesse et enfermement : « ignoble », « en bas », « sous lui » (insistance), « grilles ». Le paysage exprime l’état d’âme de Charles qui regrette la campagne. Permet de faire un portrait en symétrie de Charles et Emma : posture à la fenêtre et rêve d’ailleurs, mais ils regardent dans des directions opposées. Rouen = point de départ et repoussoir pour Charles ; pour Emma = point d’arrivée et lieu de fantasmes. Charles restreint son univers au jupon d’Emma, tandis que l’univers entier ne pourrait la contenter. III, 5, on découvre Rouen à travers les yeux d’Emma : Exposé : Rouen vu par Emma p.346 « Ainsi vu d'en haut, le paysage tout entier avait l'air immobile comme une peinture ; les navires à l'ancre se tassaient dans un coin ; le fleuve arrondissait sa courbe au pied des collines vertes, et les îles, de forme oblongue, semblaient sur l'eau de grands poissons noirs arrêtés. Les cheminées des usines poussaient d'immenses panaches bruns qui s'envolaient par le bout. On entendait le ronflement des fonderies avec le carillon clair des églises qui se dressaient dans la brume. Les arbres des boulevards, sans feuilles, faisaient des broussailles violettes au milieu des maisons, et les toits, tout reluisants de pluie, miroitaient inégalement, selon la hauteur des quartiers. Parfois un coup de vent emportait les nuages vers la côte Sainte-Catherine, comme des flots aériens qui se brisaient en silence contre une falaise. Quelque chose de vertigineux se dégageait pour elle de ces existences amassées, et son cœur s'en gonflait abondamment, comme si les cent vingt mille âmes qui palpitaient là lui eussent envoyé toutes à la fois la vapeur des passions qu'elle leur supposait. Son amour s'agrandissait devant l'espace, et s'emplissait de tumulte aux bourdonnements vagues qui montaient. Elle le reversait au dehors, sur les places, sur les promenades, sur les rues, et la vieille cité normande s'étalait à ses yeux comme une capitale démesurée, comme une Babylone où elle entrait. » - Trois descriptions de Yonville dans le roman, toute à partir d’une vue surplombante, sont l’occasion de livrer les états d’âme des personnages :

> II,9 – p.227, avant la première « baisade » : « Quelquefois, dans un écartement des nuées, sous un rayon de soleil, on apercevait au loin les toits d’Yonville, avec les jardins au bord de l’eau, les cours, les murs, et le clocher de l’église. Emma fermait à demi les paupières pour reconnaître sa maison, et jamais ce pauvre village où elle vivait ne lui avait semblé si petit. »

> III,4 – p.342 : retour de Léon à Yonville, devenu amant d’Emma : « Lorsque, du haut de la côte, il aperçut dans la vallée le clocher de l'église avec son drapeau de fer-blanc qui tournait au vent, il sentit cette délectation mêlée de vanité triomphante et d'attendrissement égoïste que doivent avoir les millionnaires, quand ils reviennent visiter leur village. »

> III,10 – p.435 : père Rouault après l’enterrement : « Mais, quand il fut au haut de la côte, il se détourna, comme autrefois il s'était détourné sur le chemin de Saint-Victor, en se séparant d'elle. Les fenêtres du village étaient tout en feu sous les rayons obliques du soleil, qui se couchait dans la prairie. Il mit sa main devant ses yeux ; et il aperçut à l'horizon un enclos de murs où des arbres, çà et là, faisaient des bouquets noirs entre des pierres blanches, puis il continua sa route, au petit trot, car son bidet boitait. »

> Ces trois descriptions reprennent des éléments de la description initiale, mais sont aussi trois regards sur la vie d’Emma et trois étapes de cette vie. Complexité de la fonction des descriptions qui sont à la fois portrait des persos et regard porté sur eux. Emma = Yonville + son regard sur Yonville dit son regard sur sa vie.

2. Des lieux-destin

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- Yonville, une ville symbolique : ville créée et imaginée par Flaubert : étude du plan de Yonville : exposé :

III. Une fonction esthétique : Une étude de mœurs 1. Les lieux qui racontent : la description chez Flaubert est narrative

- « L’étude des rapports entre le narratif et le descriptif se ramène donc, pour l’essentiel, à considérer les fonctions diégétiques de la description, c’est-à-dire le rôle joué par les passages ou les aspects descriptifs dans l’économie générale du récit. » Gérard Genette, « Frontières du récit », Figures II : A la différence de Balzac, les descriptions chez Flaubert ne provoquent pas une pause : elles sont elles-mêmes récit car elles correspondent toujours au regard d’un personnage et non à la vision extérieure et objective d’un romancier démiurgique. - On peut lire la description de Yonville (I, 1) comme une prolepse de la vie d’Emma : les lieux sont présentés dans l’ordre des épisodes qui s’y dérouleront dans le récit :

> les maisons (découverte de sa maison avec allusion à l’Amour qui rappelle le curé de plâtre) > l’église (II, 6) > les halles : comices, II, 8 > la pharmacie : suicide : III, 8 > le cimetière : III, 10

- Les lieux ont une incidence sur les personnages : accès au château de Rodolphe plein de dangers quand Emma retourne le voir désespérée avant de se suicider : « Elle entra, comme autrefois, par la petite porte du parc, puis arriva à la cour d'honneur, que bordait un double rang de tilleuls touffus. Ils balançaient, en sifflant, leurs longues branches. Les chiens au chenil aboyèrent tous, et l'éclat de leurs voix retentissait sans qu'il parût personne. » ! allitération en [f] et [s] exprimant la menace.

2. Les lieux comme exercice de réalisme

- la campagne : Evocation de la vie quotidienne d’un village de la campagne normande avec Tostes (I, 9, 119) - la petite ville de province : Yonville = ville imaginée mais traitée par Flaubert de manière réaliste : en fait un plan préparatoire, une description en début de 2ème partie. Lieu de vie de la petite bourgeoisie de province dont Flaubert dénonce la bêtise et la mesquinerie : description de la pharmacie d’Homais (ambition du pharmacien : ici, c’est Flaubert qui s’exprime. - la ville qui s’industrialise : Le développement industriel n’est évoqué que brièvement : visite de la filature de lin encore en chantier, bruit des usines à Rouen et fumées que fuient les deux amants. - Description de Yonville : tout est rattaché à la catégorie de l’utile : précision du trajet, attention aux cultures, mention des sources ferrugineuses, dépréciation des fromages, célébration du progrès (chemin de grande vicinalité), déploration du retard. Préoccupation de l’expansion et de la rentabilité = voix de Homais. Comme si on découvrait la ville à travers son regard. C’est-à-dire qu’on découvre en même temps la ville que ses habitants et la bêtise petite-bourgeoise.

Village-rue, fermé, étroit = horte de couloir fermé. Peu de croisement, hormis la place et les halles. Côté droit : mairie, Homais, Guillaumin, cimetière = hostile. L’essentiel du village se situe en haut à gauche (symboliquement espace du rêve) : Bovary, Lion d’Or, Halles. Au centre, l’église (l’église a été recentrée) et Guillaumin : la religion et l’argent. L’eau accompagne tout le village sur le flanc gauche, et envahit presque la partie basse du village. Elément menaçant, pas maîtrisée. > symbolique du destin d’Emma