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Le Démon de l’escalier Au-delà des tumultes du vide et de l’ennui, pour une parenthèse parfois folle, drôle, cruelle, souvent dure, avec parfois le cœur au bord des larmes Jean-Pierre Favrat

Le Démon de l’escalier - Fnac

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Le Démon de l’escalierAu-delà des tumultes

du vide et de l’ennui,

pour une parenthèse

parfois folle,

drôle, cruelle,

souvent dure,

avec parfois le cœur

au bord des larmes

Jean-Pierre Favrat

9.28 659393

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 104 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 9.28 ----------------------------------------------------------------------------

Le Démon de l’escalier Au-delà des tumultes du vide et de l’ennui, pour une parenthèse parfois folle, drôle, cruelle, souvent dure, avec parfois le cœur au bord des larmes.

Jean-Pierre Favrat

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Chose étrange, je n’ai pas le moindre souvenir de

vacances passées « en famille ». Avant le remariage de mon père, nous partions tous les deux en voiture un week-end par mois. Mon père m’a fait découvrir une bonne partie de la Suisse. Petite précision : à cette époque, je ne supportais pas le cigare !

Mais dès l’arrivée de Renée, plus question de prendre « le petit Piepier » en vacances. A 11 ans, pourquoi ne pas l’envoyer, d’une part, dans la ferme paternelle et d’autre part… « Les jolies colonies de vacances ! Merci papa »… mais pas maman.

Pendant quatre ans, mes vacances ont été bercées par veaux, vaches et cochons. Me voici arrivé à la ferme du bonheur, du moins je l’ai cru, pendant quelques années. La vie à la ferme, dirigée par Robert le Patriarche, aîné des frères de mon père, sa femme Rosa, mon cousin André et sa femme Josette, le clan Favrat au grand complet, héritait d’une nouvelle recrue en ma personne. A partir de ce moment-là, je pris conscience que mensonges et tromperies étaient

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monnaie courante dans le clan paternel. La Belle Dame aux beaux yeux aurait facilement passé pour une Sainte auprès d’eux.

A commencer par mon oncle Robert, vieux beau dragueur impénitent, qui a trompé sa femme plus souvent qu’à son tour et qui, pour couronner le tout, se permettait de jouer les moralisateurs à tour de bras et critiquer la moindre personne de son entourage : un vrai dictateur avec en prime la même petite moustache qu’un autre dictateur tristement célèbre !

Le premier à en souffrir était son fils André, brave gars baraqué, gentil, mais soumis à la moindre volonté de son père et n’attendant qu’une chose : prendre la place du vieux. J’imagine et j’espère que c’est chose faite aujourd’hui ! Mais je reste persuadé que le vieux dicte encore ses ordres. Bien des années plus tard, j’ai découvert par le plus grand des hasards que lui aussi avait été l’amant de la Belle Dame, bon goût pour une fois et digne fils de son père côté gaudriole du moins…

De mon côté, je découvrais une vraie passion pour la ferme. Je passais même les week-ends les bottes aux pieds, toujours fourré dans l’ombre d’André. Nous étions comme deux frères. Une autre raison de cette passion : le plaisir de me sentier libre dans mes faits et gestes.

La liberté justement commençait à poser un problème. Mon père avait de plus en plus de peine à

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me tenir à la maison, tout était prétexte à des sorties. J’avais pris l’habitude après la ferme de rejoindre les copains du village pour « découvrir » la Vie.

J’avais 13 ans et je trouvais qu’aller acheter les cigarettes d’André tous les samedis à la station service du coin à vélo sans recevoir un seul centime n’était pas légal… « Mon Dieu, que les gamins peuvent être cons parfois ! » Alors je décidai de prélever une taxe d’une clope sur chaque paquet. Imaginez la sacrée réserve au bout de quelques temps ! Qu’en faire ? Les fumer ! Une dizaine en trente minutes : certainement un record pour mes poumons !

Quelques mois passèrent et je découvris simultanément l’amour, l’alcool et la musique. De grands yeux, de longs cheveux bruns, deux ans de plus que moi, un caractère de cochon et une fâcheuse habitude à avaler un breuvage à base de plantes « Appenzeller » pour les connaisseurs… et fumer le cigare ! Voilà comment, par amour (je le croyais à l’époque), je pris la première « cuite » de ma vie avec effluves de cigare en prime ! Que n’aurais-je pas fait pour PATRICIA ?!

La vague du disco battait son plein. Une chanson du groupe « SB Devotion » passait en anglais sur toutes les radios. Le titre : « Love me Baby », la chanteuse Sheila foudroya mon cœur. Depuis, beaucoup de ses chansons ont accompagné les diverses étapes de ma vie, aujourd’hui encore.

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Patricia, encore elle. Je peux dire que la première fois que mon cœur a battu d’amour, ce fut pour elle. De son côté, j’étais le bon copain, l’ami fidèle. A l’époque, j’étais amoureux donc peu importe ce qu’elle pensait. « Et en plus, un gamin âgé de deux ans de moins que moi, vous imaginez !. »

Le grand chambardement scolaire m’obligea à quitter le petit collège du village pour la ville. Trente minutes de trajet quatre fois par jour !

Deux heures de liberté, loin de la maison et de l’école, une heure de plus en ratant le bus à Lausanne. Autant dire le rêve et les interdits à ma portée. A quatorze ans, mon amour pour les filles était total. Le désir non, il était ailleurs. En tout cas, pas aux « seins » des filles…

Bientôt les vacances de Noël, plus grand chose à faire à l’école, pas trop envie de rentrer à la maison, pourquoi ne pas rater le bus et profiter d’une heure pour aller à la découverte de mon identité ? Mais quelle identité ?

D’un œil, je regarde filer mon bus, de l’autre je suis attiré par une porte derrière la station, « la porte de l’interdit ». En effet, combien de fois mon père m’avait mis en garde ! « Quand tu attends le bus, ne descends jamais là-bas, va aux toilettes à l’école mais jamais, au grand jamais là-bas ! » Pourquoi… ? Ben pourquoi ne pas braver l’interdit ? J’adore ça ! Que peut-il bien se passer de si effrayant dans cet endroit ?

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Après tout, je ne dois pas risquer grand chose !

Bien décidé, je m’approche d’un pas alerte, un cadre de porte sans porte, une rampe d’escaliers sombre, très sombre… Je descends quelques marches et là, une odeur étrange, inconnue prend d’assaut mes narines, mélange de désinfectant et d’urine. Cet escalier n’en finit pas, les marches sont noires et glissantes… des ombres se croisent et s’entrelacent, je suis effrayé, enivré, excité, je ne sais pas, je ne sais plus, il faut que je sorte… Quelle heure est-il ? Pardon ? Tu as quelle heure à ta montre, jeune homme ? Je sais pas… je ne sais plus ni l’heure ni le jour ni où je suis…

Une porte claque, mon ventre contre le mur froid, une main puissante malaxe mon corps complétement à l’abandon. L’envie, le dégoût. Je ne suis plus qu’une chose offerte à l’assaut de cette « bête » qui me bouffait littéralement la vie depuis quelques mois : le sexe…

Brutal, bestial ! Je suis offert, je ne crie pas, je gueule ! Un manche énorme me possède, me lime, me déchire, je sens son souffle fort s’accélerer, son ventre claque contre mon dos, et soudain reste collé dans la sueur de sa jouissance et la douleur de la mienne… Je me retrouve à genoux, sans force, dans quelques mètres carrés où bien des ados ont du perdre une bonne partie de leurs illusions et le reste aussi !

Je remonte l’escalier qui m’a fait descendre dans les méandres d’une vie d’ombre qui sera la mienne pendant bien quelques années ! Cet homme à qui j’ai

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donné mon innocence, je le retrouverai quatre ans plus tard. J’ai repris mon bus, le regard de mon père n’a rien capté ce soir là, mais moi, j’avais l’impression que la terre entière pouvait le lire sur mon visage. Mélange de dégoût et de plaisir… Mon esprit pencha pour le dégoût.

La vie reprit son cours entre mon père, ma belle-mère mais sans mon frère ni ma sœur. Pendant les deux années qui suivirent, j’ai refoulé mes pulsions en essayant d’enfouir au plus profond de moi (enfin pas trop) ces quelques minutes de rut !

L’année 1982, celle de mes 16 ans, fut marquée par deux révélations. La première, le jour de mon anniversaire : je me trouvais ce jour-là chez la Belle Dame aux beaux yeux, maman, parlant de choses et d’autres, plutôt d’autres. Pensant que j’étais au courant, maman me parla sans détour de la première union de mon père. En l’espace de quelques minutes, j’appris que mon père avait été marié une douzaine d’années avec Rose Marie. Enfin je comprenais le trou dans la vie de mon père. « Qu’as-tu fais avant de rencontrer maman ? – Rien de spécial, je travaillais. » Bel exemple de sincérité ! Chose étrange, cette Rose Marie était à peu de chose près le portrait de Renée, la troisième épouse de mon père. Comment avait-il pu pendant des années montrer maman du doigt ? Alors qu’il aurait dû avant tout le tourner contre lui-même !

Mais se regarder en face dans cette famille à

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laquelle j’appartiens ne doit pas vraiment faire partie des habitudes.

Le mot autocritique est inconnu dans « le Petit Favrat Illustré ». Plus facile de montrer le voisin de l’index.

Je dois dire que la quote de la Belle Dame aux beaux yeux commençait à remonter sur mon échelle personnelle. La seconde révélation me fit aussi l’effet d’une bombe : j’avais également un frère de dix ans mon aîné. Sur le moment, je ne pourrais pas dire comment je l’ai appris, j’y reviendrai ultérieurement si l’anecdote refait surface.

A 16 ans, il me semble que beaucoup de jeunes pensent devenir adultes et je n’échappais pas à la règle. Je l’ai appris peu de temps avant ma confirmation à l’église. Ma confirmation… Son organisation ne fut pas une partie de plaisir : de son côté, mon père n’acceptait en aucun cas la présence de maman, il menaçait tout simplement de ne pas être présent, et moi je pensais que la place de la mère de son fils devait être à ses côtés. Finalement, maman était présente au dixième rang. A la réception qui suivit dans la salle de restaurant du village, maman était au café. Scène surréaliste, une bonne partie de la famille alla à tour de rôle lui dire un petit bonjour. Mon père ne savait pas que maman était au café. Il me reste une image gravée dans la mémoire : mon père et ma mère face à face, seul souvenir de mes parents ensemble. La même année, quelques mois plus

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tard, ma sœur Nicole se marie pour le meilleur et pour le pire. Lors de cette belle journée, j’ai fait la connaissance de mon frère Philippe qui était chargé de venir me chercher chez mon père. Mon père n’avait pas jugé nécessaire de participer à ce mariage. Allez savoir pourquoi… De cette belle journée, je garde, tel un tableau de maître, l’unique photo de la Belle Dame avec ses trois enfants. Je ne m’étends pas sur le cliché : la mariée était très belle, vraiment, et le marié très ému.

Je m’arrête un instant sur le marié (pas plus ?). Un vrai fantasme : que du muscle et rien que du muscle ! Une gueule bien carrée, une crème d’homme quoi, très bien pour ma sœur pendant quelques années. Pendant ces années, j’ai eu tout loisir de me rincer l’œil. Ne me regardez pas comme ça ! Que celui ou celle qui ne l’a jamais fait me lance ce qui lui tombe sous la main. Une paire de fesses, je ne vous dis que ça ! (désolé Romain mais oui, ton père était un fantasme pour moi).

Enfin… revenons à nos fesses… pardon, à nos moutons.

Armé de mes 16 ans et de ma nouvelle image d’« adulte », la réalité me fit vite déchanter.

Je me retrouvais un beau soir devant cet escalier de la désillusion. La même odeur mais personne cette fois, je restais planté là, mort de trouille et d’excitation. Combien de temps suis-je resté planté là à attendre, je ne sais plus. Et qu’est-ce que j’attendais ? Une étreinte à la sauvette comme deux ans