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1 N° 60 Juillet 2018- spécial L es cas de fraudes et d’ar- naques relatives aux moyens de paiement élec- tronique prennent de plus en plus de l’ampleur. Un phénomène alarmant qui laisse croire que les institutions bancaires, l’Etat et souvent les clients ont une part de responsabilité. D’abord les institutions bancaires, les établis- sements financiers et les entre- prises engagées dans le paiement électronique. Ils ont un devoir de vigilance et de communication quant à l’utilisation des moyens de paiement électronique qu’elles mettent à la disposition de leur clientèle. La technologie avec laquelle les paiements sont effec- tués n’est pas à elle seule facteur de risque car à chaque risque purement technologique, corres- pond une mesure technologique de prévention. Des mesures coûteuses certes mais à mettre en œuvre pour la sécurité des transactions financières électro- niques. Ensuite, l’Etat ivoirien a sa part de responsabilité. Aussi, a-t-il créé la Direction de l’Information et des Traces Technologiques (DITT) et la Plateforme de Lutte Contre la Cybercriminalité (PLCC). Mais, les actions menées par ces structures sont très limitées par manque de moyens et de tech- nologie de pointe. De plus, ces services sont méconnus des po- pulations, faute de communica- tion. Enfin, la responsabilité peut venir du client, quand ce dernier se montre négligent et manque de vigilance sur la conservation des codes des comptes (mobile money, cartes bancaires etc.) La Côte d’Ivoire est «black listée» comme pays à risque pour les paiements et transactions élec- troniques dans la zone Afrique ; une position qui ne favorise pas la venue des investisseurs étran- gers. Ce phénomène mérite d’être corrigé. TOUS RESPONSABLES ! Editorial Khoudia Gaye Moyens de paiement électronique Les consommateurs attendent d’être protéger par des textes .Paiement électronique .Moyens de paiement électronique « Le skimming », la nouvelle fraude 2.408 PLAINTES ENREGISTRÉES EN 2017

TOUS RESPONSABLES ! 2.408 PLAINTES - lecommunicateur.ci©cial_pp... · N° 60 Juillet 2018- spécial 1 L es cas de fraudes et d’ar-naques relatives aux moyens de paiement élec-tronique

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1N° 60 Juillet 2018- spécial

Les cas de fraudes et d’ar-naques relatives aux moyens de paiement élec-

tronique prennent de plus en plus de l’ampleur. Un phénomène alarmant qui laisse croire que les institutions bancaires, l’Etat et souvent les clients ont une part de responsabilité. D’abord les institutions bancaires, les établis-sements financiers et les entre-prises engagées dans le paiement électronique. Ils ont un devoir de vigilance et de communication quant à l’utilisation des moyens de paiement électronique qu’elles mettent à la disposition de leur clientèle. La technologie avec laquelle les paiements sont effec-tués n’est pas à elle seule facteur de risque car à chaque risque purement technologique, corres-pond une mesure technologique de prévention. Des mesures coûteuses certes mais à mettre en œuvre pour la sécurité des transactions financières électro-niques. Ensuite, l’Etat ivoirien a sa part de responsabilité. Aussi, a-t-il créé la Direction de l’Information et des Traces Technologiques (DITT) et la Plateforme de Lutte Contre la Cybercriminalité (PLCC). Mais, les actions menées par ces structures sont très limitées par manque de moyens et de tech-nologie de pointe. De plus, ces services sont méconnus des po-pulations, faute de communica-tion. Enfin, la responsabilité peut venir du client, quand ce dernier se montre négligent et manque de vigilance sur la conservation des codes des comptes (mobile money, cartes bancaires etc.) La Côte d’Ivoire est «black listée» comme pays à risque pour les paiements et transactions élec-troniques dans la zone Afrique ; une position qui ne favorise pas la venue des investisseurs étran-gers. Ce phénomène mérite d’être corrigé.

TOUS RESPONSABLES !

Editorial

Khoudia Gaye

Moyens de paiement électronique

Les consommateurs attendent d’être protéger par des textes.Paiement électronique

.Moyens de paiement électronique

« Le skimming », la nouvelle fraude

2.408 PLAINTES ENREGISTRÉES EN 2017

2 LE COMMUNICATEURSociétéReportage Moyens de paiement électronique

Billet

Qui ne se souvient pas du titre éponyme du créateur du cou-pé décalé, Douk Saga, ce rythme musical fait l’apologie de

jeunes gens qui profitent l’arrivée des TIC, avec son corollaire de moyens de paiement électronique pour soutirer de l’argent aux honnêtes citoyens. Ils « coupent », c’est-à-dire qu’ils soutirent les cartes magnétiques, les codes d’accès, vident les comptes des détenteurs de ces outils de paiement et « décalent », pour aller faire la java avec cet argent mal acquis. Les moyens de paiement électronique qui devaient nous libérer des braqueurs, nous jettent dans les bras des braqueurs invisibles, escrocs à la petite semelle, brigands sans foi ni loi. Leur seul objectif se servir des failles du système pour « s’envoler » dans l’ivresse de la fête et des plaisirs. Face cette psychose, il est impérieux que l’Etat extirpe ces mau-vais grains de notre société et les « décalent » vers les prisons.

Guy Charles Kouakou

Une réponse à la fraude

Le siège de la DITT res-semble à la plupart des nombreuses villas. Aucune

enseigne, aucune indication pour signifier la présence de ce ser-vice qui a enregistré en 12 mois, un total de 2408 plaintes rela-tives aux moyens de paiement électronique. L’entrée est une porte à structure blindée. L’offi-cier de police posté à la guérite confisque momentanément les pièces d’identité et les téléphones

portables des visiteurs. Au bout du couloir, les agents de la DITT plus connue sous l’appellation de Police Scientifique, peuvent se rendre au sous-sol dont l’accès est strictement réservé au per-sonnel, ou monter au premier étage pour rejoindre l’accueil. On y remarque un ballet inces-sant de policiers portant des tee-shirts bleus estampillés « police scientifique » dans le dos et de civils qui demandent des rensei-

gnements aux agents de police assis au comptoir. Un kaké-mono affiche les cinq cas où un individu est considéré comme un cyber criminel : l’usurpation d’identité, le chantage à la vidéo ou une image à caractère sexuel, l’introduction sans autorisation dans un système de données, se jouer de la confiance d’un cor-respondant pour l’escroquer et s’emparer des paramètres d’une carte Sim pour voler de l’argent. A droite du comptoir, des civils sont assis sur des chaises, le long du couloir conduisant au bureau des plaintes, un service de la Plcc. C’est une salle assez vaste avec un petit compartiment à l’entrée où les victimes expliquent la nature de l’arnaque dont elles ont fait l’objet en toute confidentialité à un agent de police. Ce dernier renseigne la « lettre-plainte » qui est une feuille contenant tous les éléments relatifs à l’affaire. Laquelle sera confiée à l’un des officiers enquêteurs qui occupent de petits bureaux ouverts dans le fond de la salle. On y enregistre 25 plaintes en moyenne par jour. Mlle M.D, responsable des mé-dias de la DITT, occupe l’un de ses bureaux. Avec beaucoup de péda-gogie, elle indique : « toute per-

sonne victime d’arnaque électro-nique peut se rendre dans notre service pour porter plainte ». La responsable des médias insiste sur le fait que la résolution d’une affaire peut mettre un jour, une semaine, un mois ou plus selon la nature de l’arnaque. Tout ar-naqueur - y compris les mineurs - mis aux arrêts est déféré au par-quet puis jugé. Cependant elle ne connait pas avec exactitude le nombre d’affaires résolues.

C’est Mlle C O, responsable du Service statistiques situé au deu-xième étage qui est mieux outillée pour répondre à cette préoccupa-tion. Il est difficile de localiser un service en particulier puisque toutes les portes sont simplement numérotées. Au deuxième étage, à gauche, se trouve une salle avec des personnes en blouses blanches comme dans un hôpital : ce sont les agents du Laboratoire de la Criminalistique Numérique (LCN). Cette entité de la DITT est chargée de l’extraction des don-nées et de leurs analyses dans le cadre des enquêtes. Une fois à son bureau, Mlle C. O, détaille brièvement : « L’année 2017 a enregistré 2408 plaintes, toutes formes d’arnaques confondues. 177 d’entre elles ont été résolues jusqu’à ce jour ». Elle précise qu’il arrive qu’une seule personne fasse l’objet de plusieurs plaintes. Plus les arnaqueurs sont traqués par la police, plus ils développent d’autres techniques. Si l’arnaque aux sentiments était plus répan-due, aujourd’hui c’est la ruée vers la fraude aux transactions finan-cières électroniques.

La police scientifique traque sans relâche les arnaqueurs. source : Internet

Rodrigue Taï Bintou Koné

Anderson Diédri

Il est 10 h, ce mercredi 11 Avril, lorsque la pluie s’annonce à Danga, un quartier de la commune de Cocody. A l’abri des regards, se trouve la Direction de l’Information et des Traces Technologiques(DITT) communément appelée Police Scientifique. Une de ses entités, la Plateforme de Lutte contre la Cybercriminalité(PLCC), est compétente pour traquer les arnaques dans les transactions financières électroniques.

LES STATISTIQUES RELA-TIVES AUX ANARQUES EN 2017

N° 60 Juillet 2018- spécial

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AnalyseLE COMMUNICATEUR Société

d’un agrément ou d’une autorisa-tion d’exercer. Des dix chapitres que comporte la loi ivoirienne sur les transactions électroniques de 2013, plus de la moitié traite des questions qui concernent prin-cipalement les centres d’intérêts des activités prestataires de ser-vices financiers électroniques. D’ailleurs, le dernier chapitre qui est intitulé. Redevance et audit des systèmes d’infor-mation confirme bien cette tendance. Et pour cause? Des sommes colossales d’argent sont brassées par ce secteur au quoti-dien : 17 milliards de transactions financières par jour via mobile money, révélait en janvier 2018, le ministre ivoirien de la commu-nication, de l’Economie Numé-rique et de la poste, Koné Bruno. L’on comprend pourquoi l’Etat et les entreprises financières en font leur chasse gardée. Partant de ce fait, cette surabondance de textes règlementaires en leur direction

trouve toute sa justification. La précaution minimale que des ac-teurs majeurs d’un secteur finan-cièrement huppé comme celui des services financiers mobiles peuvent prendre, c’est d’antici-per sur les éventuels risques qui pourraient survenir dans l’exer-cice de leurs activités. En la ma-tière, l’adoption d’une règlemen-tation qui soit la plus extensive possible apparait comme l’un des boucliers à même de les prému-nir d’éventuels prédateurs.

La réglementation en vigueur ac-corde peu d’intérêt aux consom-mateurs. La juxtaposition des textes qui se chevauchent ne permet pas à ces derniers de s’orienter aisément lorsque sur-viennent les abus de la part des entreprises prestataires. Pour vérifier que les règles de pro-

tection des consommateurs sont conformes aux normes interna-tionales en vigueur, il faut à la fois s’orienter vers la législation sur la monnaie électronique, les ser-vices bancaires, la microfinance, les paiements et le commerce électronique et enfin la nouvelle loi de 2017 sur la consommation en Côte d’Ivoire, etc. Un véri-table parcours de combattant au cours duquel seul l’Etat et les entreprises financières, qui ont les moyens de se doter de services juridiques, peuvent exceller. Par ailleurs, les attentions qui sont en théorie consacrées aux consom-mateurs n’ont pas de réalité dans la pratique. Ainsi lorsque survient le piratage du compte mobile money d’un usager, la pratique a tendance à

tolérer ce fait. L’usager est très souvent livré à lui-même surtout que l’entreprise à laquelle son compte est affilié ne lui apporte pas de soutien dans la quête de compréhension des raisons de cette défaillance. Or, si les textes indiquaient clairement et précisé-ment ce qu’il y a lieu de faire en pareil circonstance, nombreux seraient les consommateurs qui donneraient suite à ces cas plé-thoriques d’abus dont ils sont vic-times. Aussi, lorsque surviennent des cas de désagréments et qu’en plus de sa peine, le consomma-teur doit s’investir dans la forêt de textes qui existent afin de dé-nicher la disposition sur laquelle fonder sa requête, il est évident que la résignation soit son pre-mier réflexe.

Depuis 2002, la régle-mentation communau-taire (Uemoa, Bceao)

et la réglementation nationale affichent une dizaine de textes qui régulent le milieu financier mobile ivoirien. A la lecture de la kyrielle de textes qui encadrent l’activité de ces services en Côte d’Ivoire, il ressort que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Les acteurs étatiques et les entreprises prestataires de services financiers mobiles sont les principaux concernés par cette règlementation. Pendant ce temps, la masse des consom-mateurs est pratiquement laissée pour compte.

Du premier règlement commu-nautaire du genre édicté par l’Union Economique et Moné-taire Ouest Africaine relatif aux systèmes de paiement dans les Etats membres de l’union Econo-mique et de sécurisation des tran-sactions, jusqu’à la loi du 30 juil-let 2013 relative aux transactions électroniques en Côte d’Ivoire, la plupart des textes adoptés dans le domaine s’adressent aux ac-teurs étatiques et financiers. Si ces textes ne leur indiquent pas la démarche à suivre pour inter-venir dans le milieu, ils les ren-seignent au moins sur les avan-tages et les charges que le secteur leur accorde. Par exemple, l’ins-truction numéro 008-05-2015 de la BCEAO régissant les condi-tions et les modalités d’exer-cice des activités des émetteurs de monnaies électroniques des Etats membres de l’UEMOA pré-voit les modalités et les condi-tions d’exercices des activités d’émission de cette monnaie électronique à savoir, l’octroi

Moyens de paiement électronique

Olivier Messou

Une forêt touffue, parsemée de multitudes d’arbres dans laquelle l’on se perdrait à la première visite. Ainsi se présente le cadre règlementaire des services financiers mobiles en Côte d’Ivoire.

DU FIL À RETORDRE AUX CONSOMMATEURS

LES CONDITIONS D’EXERCICE

LES USAGERS LIVRES À EUX-MÊMES

Les régléments en vigeur sont plus favorables aux riches. source: Internet

Les consommateurs attendentUne réponse à la frauded’être protégés par les textes

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LE COMMUNICATEUR Le Journal de l’Institut des Sciences et Techniques de la Communication (ISTC-Polytechnique) Directeur de Publication: Dr Alfred Dan Moussa. Rédacteur en chef: Bassa Bongoua Antoine Secrétaire général de la rédaction: Hervé ZianRédaction: Disfing Yapi, Rodrigue Taï, Bintou Koné, Olivier Messou Kanga Maximilien, N’guessan Djabi , Sogodogo Assita, Guy Charles Kouakou, Anderson Diédri, Khoudia GayeSécretariat de rédaction : Charles Diagne, Zio Moussa, Rosine Diodan, Christian Migan, César Etou, Dr David Youant, Jean Marc Ehoué. Webmaster: Gba N. Elisée Conseil de rédaction: Dr Yao Rémi, Célestin P. Tano, Gomet-Konaté Scheinfora, Dr Gnamien K. Pascal, Henriette N’gou. Infographie: Aboua Ahiwa Rufin Impression : Société Nouvelle de Presse et d’Edition de Côte d’Ivoire SNPECI

Siège : Bd de l’Université, Bp V 205 Abidjan - Tel: 22 44 86 66. Fax : 22 44 84 33

Société LE COMMUNICATEUR

Interview Bamba Ibrahima à propos des moyens de paiement électronique

frais c’est vous qui êtes débité.

Nombreux sont les usagers qui sont victimes de l’insé-curité liée aux transactions financières et paiements électroniques. Quelles as-tuces pour les mettre à l’abri de cette situation ?

Dans ce cas d’espèce, la première attitude est de garder sa carte précieusement. La deuxième est de ne jamais mettre sa carte et son code ensemble, au même en-droit. La troisième attitude est de ne pas communiquer le numéro de sa carte ou de son code à n’im-porte qui, surtout par internet. Devant un guichet, assurez-vous

que personne ne vous suit du regard lorsque vous tapez votre code sur le clavier du guichet.

Les arnaques liées aux tran-sactions financières sont courantes. Quel est leur impact sur le développe-ment économique de la Côte d’Ivoire ?

Ces arnaques ont généré des dé-tournements d’investissements, la méfiance des opérateurs éco-nomiques. La Côte d’Ivoire est black listée comme pays à risque pour les paiements et transac-tions électroniques dans la zone Afrique.

Face à ce phénomène galo-pant qui constitue un frein à

Bamba Ibrahima, Représentant du GIM-UEMOA en CI.(Photo: Eric N’guessan)

vous êtes expert des questions financières. L’arnaque, comme un

pan de l’insécurité, fait rage. Comment expliquer et com-prendre ce phénomène ?

On parle d’arnaque quand il y a l’usurpation de code, le vol de carte à piste magnétique et l’uti-lisation immédiate. La technique de fraude la plus répandue est le skimming. Une technique qui consiste, à partir d’un petit appa-reil, à dupliquer les données de vos cartes et à pouvoir produire une carte jumelle à la vôtre. Cette carte reproduite peut être ensuite utilisée à votre insu. Cependant c’est votre compte qui en paie les

Kanga Maximilien N’guessan Djabi Sogodogo Assita

l’économie ivoirienne, com-ment l’État entend venir à bout de ce problème ?

La sensibilisation de la popula-tion, la formation de nos forces de sécurité ainsi que leur dotation en outils et matériels adéquats, la répression … Au niveau de l’Etat pour ce genre de fraude, il a été mis en place des structures telles que la Plate-forme de Lutte contre la Cybercri-minalité, la Direction Ivoirienne de l’Informatique et des Traces Informatiques, communément appelée la Police Economique …Pour finir, la prudence est l’atti-tude que tout utilisateur doit avoir.

Propos recueillis par

Le « skimming », une nouvelle technique d’arnaque, fait de plus en plus de victimes en Cote d’Ivoire. BAMBA IBRAHIMA, représentant du groupement interbancaire monétique de l’UEMOA en Côte d’Ivoire, nous explique en quoi consiste cette arnaque.

Billet

Le skimming est la nouvelle fraude

On aura tout vu avec la technologie. Elle a le vent en poupe. Elle fait la pluie et le beau temps. Ses exploits sont légion et investissent tous les secteurs. Celui des paiements élec-

troniques en est le prototype. Rien de plus simple qu’un clic au-jourd’hui pour une transaction qui aurait coûté toute une gymnas-tique hier. Fini le cycle infernal des rangs kilométriques comme un anaconda. Adieu les souris dévoreuses de billets de banque.

Disfing Yapi

N° 61 Juillet 2018- spécial

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Les pays africains dont la Côte d’Ivoire ont affiché leur ambition, dès leurs

indépendances, de moderni-ser leur agriculture. Plus de 50 ans après, la Côte d’Ivoire se trouve confrontée à de réels obs-tacles dont l’inaccessibilité de la grande majorité des exploitants agricoles aux machines (trac-teurs) du fait des coûts très éle-vés, l’attachement des paysans aux pratiques culturales ances-trales et la méconnaissance des nouvelles méthodes culturales. Dès lors, il apparait tout à fait clair que la question de la méca-nisation de l’agriculture et de la transformation des méthodes culturales, pour une autosuf-fisance alimentaire en Côte d’Ivoire, mérite d’être réexami-née. Cette équation n’exclut pas l’action privée ni n’évacue les enjeux économiques, mais pose en première exigence, le volon-tarisme et les ambitions des diri-geants pour le bien-être de leurs populations. Les initiatives du gouvernement ne manquent pas en la matière, car il a créé, dans les années 60 la Société Afri-caine Technique pour la Méca-nisation de l’agriculture en Côte d’Ivoire (SATMACI), le lycée agricole de Bingerville, l’Ecole Nationale supérieure d’Agrono-mie (ENSA) et plus récemment, le Fonds interprofessionnel pour la Recherche et le Conseil Agri-cole (FIRCA). Toutes ces initia-tives pourraient être bénéfiques si la volonté politique créait les conditions d’acquisition du ma-tériel par l’ensemble des exploi-tants agricoles, de même que la vulgarisation à grande échelle des nouvelles techniques ou mé-thodes culturales.

DURE EPREUVE POUR UNE AMBITION LEGITIME

Editorial

Assouman Kouassi

Mécanisation de l’agriculture, autosuffisance alimentaire

UN CHAMP DÉBLAYER

À

N° 61 Juillet 2018- spécial

De grands moyens, pour de grands travaux champêtres

6 LE COMMUNICATEURSociétéReportage Mécanisation de l’agriculture, autosuffisance alimentaire

Billet

Le matin, à midi, le soir, on mange le riz. Baptêmes, anniversaires, mariages, funérailles, on mange le riz. A l’Est, à l’Ouest, au Sud et

même au Nord, on cultive du riz et on mange le riz. Chaque fin de mois, prévu dans le budget, le sac de riz. Malheureusement, le riz ne suffit pas pour cette population qui augmente rapidement. On est même arrivé à en importer jusqu’à 1 136 969 tonnes en 2015. Le riz est donc insuffisant. Si on peut en produire suffisamment pour fabriquer de la bière, travail-lons pour passer de l’importation à l’exportation. Si l’on veut que le riz soit suffisant, retournons dans les bas-fonds, retroussons nos manches, débroussaillons semons et récoltons. On aura suffisemment du riz et pour la bière et pour l’alimentation.

F. Vanié

Une nouvelle génération d’agriculteurs arriveLunettes sur les yeux, tee-

shirt, pantalon jean effi-loché, un sac plastique en

main, Abdoul Touré, se faufile entre les mini-cars de transport en commun appelés gbaka, les taxis et les nombreux passants du carrefour de la gare d’Abobo. Il part faire son marché. Un mar-ché d’un type bien particulier. Première escale, une vendeuse de gingembre en pâte. Deuxième escale, un étal pour prendre des oignons. Une autre, le piment et, direction la broyeuse. «Mon frère, ne mets pas d’eau dedans, hein!», lance Abdoul au gérant de la broyeuse, dans un concert de vrombissement de moteur, de coups de hache du boucher d’à côté, le tout enrobé des odeurs de légumes, de poissons frais et de viande fraîche, les pieds plon-gés dans la boue, du fait de la pluie intermittente. L’insistance de ne pas mettre d’eau dans le mélange, est le chemin à suivre dans la conquête de ce monde bio à l’ivoirienne et fait par des ivoiriens dont ce jeune homme de 31 ans, résident du quartier de Williamsville, dans la commune d’Adjamé. Ce mélange est destiné

à faire office d’engrais et de pesti-cides naturels sur un projet agri-cole. « Personnellement, l’agri-culture telle que faite de produits chimiques, ne m’intéresse pas »,

justifie le natif de Marcory. Le tour de broyeuse terminé et les 50F CFA remis au gérant pour régler la note, cap est mis sur la gare d’Attiékoi, où se trouve l’actuel projet de cet agro biolo-giste plein de vie. Attiékoi, vil-lage situé à 47 minutes de route d’Abobo, sur l’axe Abidjan-Alépé, abrite un projet de plantation de choux dont Abdoul Touré est le maître-d’œuvre. Finie la voie bi-tumée, place à la route villageoise et ses nids-de-poules. Quelques minutes plus tard, Abdoul Tou-ré descend du véhicule pour emprunter un sentier de brous-saille, sur un chemin menant à l’exploitation. Au menu de cette journée, désherbage et traite-ment des plants de choux avec les ingrédients achetés au marché d’Abobo. Un peu de gingembre, une poignée de purée d’oignons et de piments et la bombonne de désinsectisation est réunie. A partir de cocktail aux allures de

sauce du repas de midi, il met hors d’état de nuire les insectes, autour du site de culture. « Utiliser des produits chimiques serait du gaspillage, une vraie perte de temps et d’argent. », affirme abdoul, avec confiance, avant de poursuivre en disant: « c’est mieux d’utiliser des in-trants naturels et d’exploiter des compositions botaniques, d’au-tant plus qu’on arrive à gérer les ravageurs ». Sur cette exploita-tion d’un hectare qu’il gère pour le compte d’un client, les engrais sont à base de copeaux de bois ou encore de bouse de vache. Le sol a été travaillé et rendu inattaquable avant le démar-rage du projet toujours à l’aide d’éléments naturels. A Attiékoi, Abdoul Touré est connu. Il a en-seigné sa passion pour le bio à deux promotions de jeunes agri-culteurs dans le cadre des actions de l’office ivoirien pour la promo-tion de l’agriculture biologique. Parmi ces disciples, Ghislain et Bernadette. Debout derrière sa presseuse de manioc d’attieké, Bernadette remercie Abdoul Touré pour le savoir dispensé et se souvient encore du mal qu’elle avait à lire, à plus forte raison parler de l’agriculture biologique. « Vraiment merci beaucoup, j’ai reçu mon at-testation et je pense que je peux aller de l’avant dé-sormais », affirme Bernadette, pleine d’espoir en l’avenir. Au-jourd’hui, le combat d’Abdoul Touré est d’instaurer un label bio, ‘‘made in Côte d’Ivoire’’. Pour lui, le bio a toujours existé en Afrique et en Côte d’Ivoire mais, cela a été perverti par l’usage de produits chimiques. Or, produire bio et manger bio tend à s’imposer de plus en plus au vu des exigences diététiques et médicales.

Abdoul Touré en plein travaux champêtres . (Photo: Wiliam Akiré)

Williams F. Akiré

L’agriculture bio est une passion pour Abdoul Touré. Dans les exploitations qu’il a en charge comme celle d’Attiékoi, entre Abidjan et Alépé, cet agro-biologiste y insuffle cette vision.

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CommentaireLE COMMUNICATEUR Société

sengagement progressif de l’Etat Ivoirien. Des agro-industriels pri-vés ont pris la relève. Aujourd’hui, des financements colossaux sont necessaires, et les agro-indus-triels privés ne lésinent point devant les moyens pour être à la hauteur des innovations. Chez ces industriels, on retrouve ce qu’il faut pour faire fonctionner toute la chaîne de production : des engins et machines pour le désherbage, l’arrosage automa-tisé, les dispositifs de collecte et de transfert des produits. Dans l’ensemble, de gros efforts de mo-dernisation sont indispensables et doivent être déployés .L’agriculture ivoirienne reste à mécaniser. Dans le nord du pays par exemple, l’agriculture se conjugue depuis toujours avec des techniques qui ont trait à

la traction animale. Des bœufs sont utilisés pour les sillons et le bouturage. Il faut simplement remplacer ces animaux par des machines et équipements spéci-fiques pour améliorer la produc-tion. Malheureusement, les pou-voirs publics n’en ont pas encore fait une priorité. Les Sociétés d’Etat ont disparu. Que faire ? Des missions ont été effectuées pour voir ce qui se passe ailleurs au Brésil, en Chine, en Inde, en Israël. Le vivrier ivoirien, malgré les bons incontestables et salu-taires, gagnerait à être secouru et soutenu réellement.Un autre axe à exploiter : la trans-formation locale. Il est indispen-sable de passer des petites uni-tés familiales, coopératives aux vraies entreprises. A ce niveau, la Société ivoirienne de technolo-

gie tropicale (I2t) est en passe de déployer des solutions pour que le vivrier ivoirien soit valorisé. A cela, il faut ajouter les promesses du CNRA. Là, se trouve la vraie valeur ajoutée pour l’économie nationale.A l’heure de l’émergence, un chan-gement radical s’impose pour que la mécanisation de l’agriculture devienne une réalité et atteigne tous les compartiments. L’Etat devrait s’impliquer comme il l’a déjà fait, jadis, dans des secteurs stratégiques. Bien de pans sont en vue, et leur activation augurerait des avantages indescriptibles: la facilitation du travail, la création de la richesse, l’amélioration de la santé corporelle, le bien-être social.

Selon les chiffres du Pro-duit Intérieur Brut (PIB) le pourcentage de 48%

représente la part de l’agricul-ture, considérée comme le pilier de l’économie ivoirienne. Mais, la mécanisation n’a pas encore atteint le niveau souhaité, parti-culièrement dans l’exploitation des cultures vivrières. Le temps passe et les choses n’ont pas évo-lué. Utilisation de la machette et de la daba. Système d’arrosage manuel. Transport physique des produits... Des moyens pré-caires. Evariste Néné Bi, techni-cien agricole au Centre National de RechercheAgronomique (CNRA) se veut clair : « après les indépendances, les autorités avaient impulsé un élan pour favoriser la mécani-sation, avec une vaste politique nationale de diversification des produits agricoles. Dans les plantations, aussi bien indivi-duelles qu’industrielles pour le palmier à huile, la canne à sucre, l’hévéa, le coton, la ba-nane plantain…, des dispositifs et structures comme la SAT-MACI et Motoragri ont accom-pagné le processus de mécanisa-tion de l’agriculture ivoirienne». Ainsi, des milliers d’hectares de plantations, tant pour les pro-duits d’exportation que pour le vivrier, ont été mis en valeur. Ces sociétés ont bénéficié de finan-cements, d’équipements tech-niques et d’encadrement de la part de l’Etat Ivoirien.L’agriculture a, par conséquent, connu un boom qui continue de rejaillir sur toute l’économie na-tionale. Il s’agissait de grandes plantations industrielles et de particuliers qui, par les disposi-tifs de mécanisation appuyés par l’Etat, ont contribué à des pro-ductions de masse. Cet élan a été freiné par le dé-

Mécanisation de l’agriculture, autosuffisance alimentaire

Djeni Amani Ange Landry

Des tomates bien formées, qui donnent envie…source: Internet

Les difficultés d’unemécanisation

N° 61 Juillet 2018- spécial

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LE COMMUNICATEUR Le Journal de l’Institut des Sciences et Techniques de la Communication (ISTC-Polytechnique) Directeur de Publication: Dr Alfred Dan Moussa. Rédacteur en chef : Doua-Sahi DésiréSecrétaire général de la rédaction: Fian William A.-MossouRédaction: Landry Ange Djéni, François Vanié, Assouman Kouassi, Jean-Baptiste Kouadio, Koré Tra BiSécretariat de rédaction : Charles Diagne, Zio Moussa, Rosine Diodan, Christian Migan, César Etou, Dr David Youant, Jean Marc Ehoué. Webmaster: Gba N. Elisée Conseil de rédaction: Dr Yao Rémi, Célestin P. Tano, Gomet-Konaté Scheinfora, Dr Gnamien K. Pascal, Henriette N’gou. Infographie: Aboua Ahiwa Rufin Impression : Société Nouvelle de Presse et d’Edition de Côte d’Ivoire SNPECI

Siège : Bd de l’Université, Bp V 205 Abidjan - Tel: 22 44 86 66. Fax : 22 44 84 33

Société LE COMMUNICATEUR

Interview Christian Kouamé Bi,Office National de Développement de laRiziculture :

terme de visibilité et disponibilité du riz.

L’autosuffisance alimen-taire en Côte d’Ivoire, est-ce un mythe ou une réalité ?

En termes de superficie poten-tielle mise en valeur en Côte d’Ivoire, on frise le million d’hec-tares. L’an passé (2017), nous avons mis en valeur près de 850 mille hectares. C’est vrai que près de 70% de ces 850 mille hectares ont été mis en valeur en condi-tion de non maîtrise de l’eau, en condition pluviale avec pour effet des niveaux de rendements qui sont encore faibles, autour de 1 à 2 tonnes produites, par hectare. Au regard du potentiel en termes de disponibilité, en termes de ressources humaines, en termes de vécu sur les politiques d’auto-suffisance, aujourd’hui, on sait qu’on a tous les ingrédients pour être autosuffisant. L’autosuffi-sance n’est donc pas un mythe potentiellement parlant.

Que signifient pour vous la mécanisation et la transfor-

mation des méthodes cultu-rales ?

Quand on parle de mécanisa-tion, les gens pensent qu’il s’agit d’acheter une machine à chaque agriculteur. Non, il s’agit de faire en sorte que chaque agriculteur ait accès à un service mécanisé au moment où il en a besoin... Au niveau des méthodes culturales, il faut tenir compte de la réalité du producteur dans son environ-nement, quel est son niveau de connaissance et qu’est-ce qu’on lui apporte pour accroître le ren-dement.

A-t-on des agriculteurs ou-tillés à ces méthodes cultu-rales et qui enregistrent des réussites ?

Oui, beaucoup de producteurs ont pu bénéficier de sessions de formation pour avoir de bonnes méthodes culturales. Il y a 3 ans par exemple sur les prix de l’ex-cellence M. Yao K. Marcel a été distingué. Il était au SARA, où il a animé un stand. C’est un des seuls producteurs qui peut faire près de 8 tonnes à l’hectare, là où les autres sont à 4,5 tonnes. Il y a aussi M. Silué Dramane à Yamoussoukro, pour ne citer que ceux-là.

Que faut-il donc faire pour que l’autosuffisance ali-mentaire soit une réalité

Christian Kouamé Bi

Directeur du département appui à la production

à Office National de Développement

de la Riziculture . (Photo:Désiré Doua Sahi)

Le riz à lui seul repré-sente près de 3,7% des importations de la

Côte d’Ivoire. Qu’est-ce-qui explique cette grande part dans les importations ?

Le riz est devenu l’aliment de base de pratiquement toutes les populations ivoiriennes. Le taux d’accroissement de la production ne compense pas encore le taux d’accroissement de la consom-mation. Et notre besoin est au-jourd’hui estimé à 1,9 millions de tonnes. Il est donc clair que c’est un des éléments qui justifie les importations.

Quels sont les efforts four-nis pour parvenir à l’auto-suffisance alimentaire ?

La logique de l’autosuffisance, qui est portée par le ministère de l’agriculture et du développe-ment rural, s’attaque à plusieurs spéculations. Deux stratégies ont été adoptées. L’une dédiée au riz qui est la Sndr (Stratégie Natio-nale de développement de la Ri-ziculture) et l’autre aux cultures vivrières autres que le riz... La Sndr qui a été mise en place sur la période 2012-2020, prévoyait 3 phases : une phase d’accroisse-ment de la production, une phase de consolidation de cette produc-tion et l’exportation à l’horizon 2020.

Avez-vous enregistré des résultats ?

Des résultats probants ont été obtenus en termes d’accroisse-ment de la production. De 800 mille tonnes de riz en 2010, nous sommes passés aujourd’hui à 1,4 millions de tonnes. De 2012 à 2013, on a constaté une réduc-tion de 30% au niveau des im-portations. Si vous faites une en-quête dans les supermarchés, on y trouve des marques de riz pro-duit localement. C’est la preuve qu’il y a un travail qui a été fait en

Désiré Doua-Sahi

vécue au quotidien en Côte d’Ivoire ?

Il faut continuer l’engagement de l’Etat ; deuxième élément, assu-rer la durabilité par le secteur privé au niveau local. Et comme troisième condition, il faut un accompagnement du système bancaire, parce qu’une politique d’autosuffisance ne se fait pas sans moyens financiers.

Quelles sont les perspectives concernant l’agriculture ivoirienne ?

Je pense qu’on a de très bonnes perspectives parce qu’on a eu la chance d’avoir un pays à vieille tradition agricole. Donc on a une expérience assez riche. Ce qu’on fait aujourd’hui, on l’a tiré des expériences passées. On a pour ainsi dire toutes les bases, tous les fondamentaux pour le déve-loppement agricole. Il faut sortir d’une agriculture de subsistance pour passer à une agriculture de marché, parce que c’est le marché qui dicte tout aujourd’hui. Donc en termes de perspectives, c’est la transformation structurelle de l’agriculture qui peut nous permettre d’en faire le véritable pilier économique du développe-ment de la Côte d’Ivoire.

Interview réalisée par

« On a tous les ingrédients pour être autosuffisant »

N° 61 Juillet 2018- spécial