36
Pour en finir avec Les paradis fiscaux www.survie-france.org sur les paradis fiscaux et leurs conséquences au Nord comme au Sud ce que vous avez toujours voulu savoir T out T out

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

Pour en finir avec

Les paradis fiscaux

www.survie-france.org

sur les paradis fiscaux et leurs conséquences au Nord comme au Sud

ce que vous avez toujours voulu savoirToutTout

Page 2: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

Rédaction : Samuël Foutoyet

Relecture et coordination : Jacques Dalodé, Joseph Demeulemeester, AndréFine, Guillaume Olivier, François-Xavier Verschave,Olivier Thimonier.

Illustrations : Geneviève Talon, Sylvain Florin.

réalisation : Imprimerie 34, Toulousewww.survie-france.org

Survie est une association civique qui s’est fixée pourobjectif l’accès de tous aux biens fondamentaux cor-

respondant à la déclaration universelle des droits del’Homme, l’assainissement des relations franco-africai-nes et la lutte contre la banalisation du génocide. Sesprincipaux modes d’intervention incluent la sensibilisa-tion et l’éducation des citoyens français, l’échange d’in-formations et l’action coordonnée avec ceux qui, au Sudet au Nord, partagent ces objectifs, enfin l’interpellationdes pouvoirs publics français et européens et des ins-tances internationales.

Survie est membre de la Plate-forme contre les ParadisFiscaux et Judiciaires créée en 2004 dans le cadre de lacampagne « ODM 2005, Plus d’Excuse ! » qui regroupe43 organisations et collectifs de la société civile française.

Page 3: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

Avril 2005

Pour en finir avec

Les paradis fiscaux

sur les paradis fiscaux

et leurs conséquences au Nord comme au Sud

ce que vous avez toujours voulu savoirTout

Page 4: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

22

1 - Les paradis fiscaux au cœur de l’économie mondiale . . . . . . . . . . . . 4Qu’est-ce qu’un paradis fiscal et judiciaire ?..........................................................4La naissance des paradis fiscaux ............................................................................5La responsabilité des États occidentaux .................................................................6Les paradis fiscaux au cœur de l’économie mondiale ............................................8Des montages financiers à l’abri des enquêtes judiciaires......................................9L’ampleur des fraudes fiscales ..............................................................................10Les principaux paradis fiscaux ..............................................................................11

2 - Les paradis fiscaux et judiciaires au cœur des scandales . . . . . .16Les dopants de la criminalité................................................................................16Combien d’argent sale dans l’économie légale ? .................................................18Les paradis fiscaux au cœur des scandales...........................................................20

3 - Les paradis fiscaux au cœur de la Françafrique . . . . . . . . . . . . . . . . .23La Françafrique a besoin d’argent ‘’black’’...........................................................23Les clés de l’affaire Elf... dans les coffres des paradis fiscaux ! ............................25Les moteurs de la Mafiafrique..............................................................................26

4 - Lutter ensemble contre l’injustice fiscale et l’impunité . . . . . . . . .28Supprimer le secret bancaire et les obstacles à la coopération judiciaire.............28Les enjeux d’une campagne citoyenne.................................................................31

Pour aller ( beaucoup) plus loin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .33

ZoomsLLee sseeccrreett bbaannccaaiirree aavvaanntt ttoouutt ..................................................................................................................................................................................55DDeess ppaarraaddiiss ffiissccaauuxx ppoouurr ddooppeerr lleess pprrooffiittss aamméérriiccaaiinnss ....................................................................................................77DDeess ccaabbiinneettss ddee ccoonnsseeiill ttrrèèss ccoonncciilliiaannttss ..................................................................................................................................................99RRuuppeerrtt MMuurrddoocchh,, cchhaammppiioonn ddee ll’’éévvaassiioonn ffiissccaallee ....................................................................................................................1100LLeess cciinnqq pprroodduuiittss pphhaarreess pprrooppoossééss ppaarr lleess ppaarraaddiiss ffiissccaauuxx eett jjuuddiicciiaaiirreess ........................................1133CCoommmmeenntt bbllaanncchhiirr ll’’aarrggeenntt ssaallee ?? ................................................................................................................................................................1177TToouutt ssee ccoonnffoonndd ddaannss lleess ppaarraaddiiss ffiissccaauuxx eett jjuuddiicciiaaiirreess ..............................................................................................1188FFiinnaanncceemmeenntt ddee llaa ccaammppaaggnnee dduu RRPPFF......................................................................................................................................................1199LL’’aaffffaaiirree CClleeaarrssttrreeaamm,, uunn ppaavvéé ddaannss llaa mmaarree ffiinnaanncciièèrree ..............................................................................................2211LL’’eessssoorr ddeess ppaavviilllloonnss ddee ccoommppllaaiissaannccee ....................................................................................................................................................2222LLeess bbaannqquueess ffrraannççaaiisseess ddaannss llaa ssppiirraallee ddeess ppaarraaddiiss ffiissccaauuxx ..................................................................................2244NNiiggeerriiaa,, llaa vvaallssee ddeess ddééttoouurrnneemmeennttss ........................................................................................................................................................2277DDeess iinniittiiaattiivveess ppoouurr lluutttteerr ccoonnttrree ll’’ooppaacciittéé......................................................................................................................................2299LLee rrôôllee ssuuppeerrffiicciieell dduu GGAAFFII ........................................................................................................................................................................................3311

Sommaire

Page 5: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

33

Pourquoicette brochure ?

Bien qu’un tel chiffre soit forcémentdifficile à établir, on estime à plusde 500 milliards de dollars par an

la perte d’argent public due à l’utilisa-tion des paradis fiscaux. De quoi finan-cer plusieurs fois les Objectifs de Déve-loppement du Millénaire (ODM), visantà sortir de la misère des centaines demillions d’êtres humains...

Les peuples du Sud sont les premièresvictimes de l’essor des territoires offshore qui, télécommandés par les prin-cipales places financières mondiales,s’appuient sur des instruments juridi-ques et financiers parfaitement légaux.Dans beaucoup de pays, les dirigeantset les élites donnent l’exemple d’unesoustraction massive aux impôts ettaxes. Mais de surcroît, le secret et l’im-punité proposés par les paradis fiscauxpermettent de soustraire aux budgetspublics des dizaines de milliards de dol-lars sur les redevances des activitéspétrolières et minières – des sommessouvent très supérieures aux budgetsnationaux –, grâce à une connivenceentre les grandes firmes exploitantes etles dirigeants des pays concernés. Enfin,dans ce contexte, n’importe quelle aide,y compris destinée à financer les ODM,est conçue comme une rente qui doitfinir en partie à l’abri d’un paradis fis-cal. Sans parler de tout ce qui contribueà aggraver les manques des popula-tions : les guerres civiles fomentées etentretenues avec l’argent des paradisfiscaux, où ont aussi leurs sièges lessociétés de mercenaires ou de traficd’armes ; la grande corruption ; lesdésastres écologiques (déforestation,pollutions, etc.), orchestrés depuis les «mondes sans loi » que sont en généralles paradis fiscaux. Le secret met en

effet les décideurs à l’abri des lois etrèglements en tout genre, aussi bienfiscaux que sociaux ou écologiques.

Les paradis fiscaux ont un autre effetdélétère : leur concurrence acharnéedans la sous-enchère fiscale réduit àune vitesse croissante le potentiel fiscaldes pays du Nord, où commencentd’être mis en question certains bienspublics considérés comme acquis(santé, éducation, retraites). Dans cesconditions, les dirigeants du Nord ontde plus en plus de difficulté à mobiliserles financements publics requis pourl’accomplissement des ODM. Au-delà,on voit poindre une coalition des socié-tés civiles du Sud et du Nord, dont lesbiens publics sont également menacésou compromis par l’essor des paradisfiscaux. La lutte contre ces « mondessans loi » est donc un enjeu majeurpour tous les partisans des bienspublics et de la vie publique (la démo-cratie).

Sans prétendre à une approche analyti-que des rouages (très complexes) de lafinance off shore (délocalisée), cettebrochure de vulgarisation met enlumière trois aspects des paradis fiscauxet judiciaires souvent passés soussilence : leur existence et leur dévelop-pement au cœurmême de l’économiemondiale, leur implication dans la plu-part des scandales politico-financiers deces dernières décennies, enfin leur liendirect avec les réseaux «françafricains».Elle conclut sur une série de proposi-tions élaborées par la plate-formecontre les paradis fiscaux créée dans lecadre de la campagne des ONG françai-ses « ODM 2005: PLUS D’EXCUSES ! ».

François-Xavier Verschave.

Page 6: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

Les paradis fiscauxau cœur de l’économie mondiale

Qu’est-ce qu’un paradis fiscal et judiciaire ?

44

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e l’é

cono

mie

mon

dial

e

Il existe de multiples définitions, cha-cune apportant ses nuances juridiques,financières, etc. Sans rentrer dans lesdétails, nous retiendrons qu’un paradisfiscal et judiciaire est une zone, un ter-ritoire ou un État présentant les carac-téristiques suivantes :

Système fiscal réduit Les impôts sur les revenus, sur lesbénéfices ou la fortune sont inexistantsou faibles, les droits de succession sontavantageux, notamment pour les per-sonnes et sociétés non résidants.

Secret bancaire quasi absoluIl est extrêmement difficile de connaî-tre l’identité des personnes y déposantdes fonds. La législation des paradisfiscaux prévoit généralement des sanc-

tions lourdes si les employés de ban-que transgressent cette règle.

Immunité judiciaire Alors qu’en France le blanchiment estconsidéré comme un crime, la plupartdes paradis fiscaux ont en matière decriminalité économique une législationtrès laxiste ou non appliquée.

Absence de coopération judiciaire internationaleLes paradis fiscaux ralentissent ou refu-sent toute coopération avec les servi-ces judiciaires des autres États.

Toutes ces dispositions visent à attirerles détenteurs de capitaux, quelle quesoit l’origine des fonds.

«« ......lleess ÉÉttaattss--UUnniiss eett ll’’EEuurrooppee ssoonntt àà ll’’iinniittiiaattiivvee ddee llaa pplluuppaarrtt ddee cceess ccrrééaattiioonnss..LLaa ffiinnaannccee mmoonnddiiaallee,, ddaannss ssaa llooggiiqquuee ddee

ddéérréégguullaattiioonn,, cchheerrcchhaaiitt ddeess ééttaabblliisssseemmeennttssccoommppllaaiissaannttss eett ddeess ppaayyss aammiiccaauuxx,, ooùù lleess

ccaappiittaauuxx ppoouurrrraaiieenntt ss’’iinnvveessttiirr eenn éécchhaappppaannttaauu ccoonnttrrôôllee ddeess aauuttoorriittééss ééttaattiiqquueess.. »»

JJeeaann ddee MMaaiillllaarrdd,,UUnn mmoonnddee ssaannss llooii,, SSttoocckk,, 11999988

Page 7: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

Au Liechtenstein,une employée d’uncabinet d’avocats a

été licenciée et subitprocès sur procès de la

part de son ancienemployeur. Motif ? Elle a brisé le secretbancaire en demandant à ce que despoursuites soient engagées contre unclient dont elle avait identifié les opéra-tions comme étant liées à un trafic d’or-ganes, et ce à l’entière connaissance deson employeur.Avec le progrès des transplantations, letrafic d’organes se développe de plus enplus. Des personnes vendent leur reinpour 2 500 dollars alors que les receveursles paient entre 100 000 et 200 000 dol-lars. Au Liechtenstein, violer la loi dusilence peut s’avérer plus grave que volerles cornées et les reins des enfantsd’Amérique du Sud ou d’Afrique…

La naissance desparadis fiscaux

55

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e l’é

cono

mie

mon

dial

e

Zoo

m sur…

Le secretbancaire

avant tout Depuis l’antiquité, il existe des zonesfranches, voire des micro-États, auxfiscalité et législation réduites*. L’ex-pression anglaise «tax haven» peutd’ailleurs être traduite par «port fis-cal» : elle désignait au XVIIème siècleles lieux ou villes portuaires souventétablies sur de petites îles, qui accep-taient d’accueillir les pirates et surtoutle fruit de leurs rapines.

Cependant, les paradis fiscauxconnaissent un développement finan-cier réellement important depuis lesannées 1970. Ils accompagnent lamondialisation financière et la libérali-sation du secteur bancaire. Ce sont lesacteurs économiques les plus puis-sants (grandes fortunes, commerçantsinternationaux, multinationales) quiont pesé de tout leur poids pour queleurs États d’appartenance dévelop-pent une large bienveillance à l’égarddes paradis fiscaux, voire encouragentleur création. Mais aussi les servicessecrets des grands États (Etats-Unis entête), qui en ont absolument besoinpour leurs guerres inavouables. Lafinance mondiale cherche de plus enplus des établissements bancaires leurpermettant de placer des capitauxtout en échappant aux autorités char-gées d’exercer les différents types decontrôle public, et ainsi maximiser sesbénéfices, ou l’opacité de ses prati-ques.

*D’où le nom de certaines communes de Francetelle Villefranche-sur-Saône...

Page 8: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

66

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e l’é

cono

mie

mon

dial

e

La responsabilité des États occidentaux

Les paradis fiscaux existent et se sontdéveloppés grâce au soutien actif despays occidentaux, États-Unis et Europeen tête. Leur existence est d’ailleursparfaitement légale au regard de lalégislation internationale. Il ne s’agitpas de territoires ‘’rebelles’’ ou ‘’pira-tes’’ se développant à l’insu des États‘’légaux’’, puisque 95 % des paradisfiscaux sont d’anciens comptoirs oucolonies britanniques, français, espa-gnols, néerlandais, américains, restésdépendants des puissances tutélaires.Près de la moitié sont enregistrés souspavillon britannique.

La souveraineté affichée par les paradisfiscaux est donc une souveraineté trèsrelative, et ne porte souvent que sur ledomaine fiscal. Prenons l’exemple duRRooyyaauummee--UUnnii. Comme le déclarait unprocureur de New York en 1998 : « Lesîles Caïman appartiennent à la Cou-ronne britannique. Leur gouverneurcomme leur ministre de la Justice sontnommés par Londres. Le Royaume-Unia donc le pouvoir de mettre un termeau laisser-faire dans sa colonie, mais iln’en fait rien.»* Il en est de même pourles Bermudes ou les îles Vierges.

LLeess ÉÉttaattss--UUnniiss ont également encou-ragé ces pratiques. D’abord sur leurpropre sol. Les petits États du New Jer-sey et du Delaware sont des hauts lieuxd’activités off shore** : impôts quasi-inexistants, anonymat, etc. Plus d’un

demi-million de sociétés y ont éludomicile, dont près de 60 % du top500 du magazine Fortune. Enron yavait abrité quelques 675 sociétés (cf.affaire Enron, pages suivantes). Maisles États-Unis ont également encou-ragé leurs sociétés exportatrices àrecourir aux paradis fiscaux pouraccroître leur performance économi-que, en utilisant, entre autres, le sys-tème de Foreign Sales Corporationsleur permettant de diminuer d’environ30 % leurs impôts sur les bénéfices : lesîles Vierges et la Barbade sont concer-nées (cf. ZOOM ci-contre). Enfin, ils ontutilisé le secret bancaire offert par cesterritoires, comme le Luxembourg ouMonaco, au cours des deux guerresmondiales.

LLaa FFrraannccee n’est pas en reste,puisqu’elle ferme largement les yeuxsur la situation de Monaco et de l’An-dorre, territoires pourtant sous tutelleet à souveraineté très partielle. Pire,elle étend ses paradis fiscaux. Ainsi,depuis décembre 2003, en totalecontradiction avec les engagementseuropéens et internationaux, le gou-vernement français a accordé aux îlesde Saint Martin et de Saint Barthélémy,qui dépendaient jusqu’alors de la Gua-deloupe, le statut de collectivités loca-les autonomes à indépendance fiscale.Ces îles sont pourtant réputées êtredes hauts lieux du blanchiment et car-refours de trafics en tout genre.

* Cité dans Le capitalisme clandestin, Godefroy & Lascoumes, La Découverte, 2004.** Les activités « offshore » désignent des opérations commerciales, financières ou autres menées pardes sociétés basées dans un paradis fiscal, mais seulement effectuées en dehors de ce pays.

Page 9: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

77

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e l’é

cono

mie

mon

dial

e

Depuis 1984, les États-Unis autorisent explicite-ment leurs multinationales à domicilier une partiede leurs activités dans des paradis fiscaux tels queles îles Vierges ou la Barbade. Les entreprises ven-

dent à prix coûtant leurs produits à une ForeignSales Corporations (FSC), qui à son tour les exporte.

Ces mouvements restent fictifs et ne donnent lieu qu’àdes écritures comptables. Mais grâce à ce montage, la majeure partiedes bénéfices obtenus échappe à l’impôt américain.

Pour l’État américain, il s’agit là d’une sorte de subventionindirecte pour favoriser ses entreprises. Boeing a été la première àbénéficier de ce dispositif, suivie par Kodak, Microsoft, Union Carbide,Kellog, les céréaliers, les sociétés pétrolières et les constructeurs d’au-tomobiles. Ce type de montage, qui facilite aussi le versement de pots-de-vin aux responsables des pays acheteurs, est fréquent dans des sec-teurs comme l’aviation commerciale, l’armement ou le BTP. Leur utili-sation systématique par les États-Unis leur a toutefois valu d’êtrecondamnés par l’Organisation Mondiale du Commerce pour concur-rence déloyale, suite à une plainte de la Commission européenne. Maisces pratiques perdurent.

Zoom sur…

Des paradis

fiscaux pourdoper les

profits américains

Page 10: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

Les paradis fiscaux et judiciairesau cœur de l’économie mondiale

88

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e l’é

cono

mie

mon

dial

e

Contrairement aux idées reçues, lesparadis fiscaux ne sont pas un « sous-système» à la marge de la machineéconomique : ils en sont l’un des roua-ges. En effet, on estime que plus de lamoitié des transactions financièresinternationales transitent par les para-dis fiscaux. De même, plus de la moitiédes fonds déposés dans le monde lesont dans des paradis fiscaux, soit plusde 8 000 milliards de dollars. Les îlesCaïman totaliseraient à elles seules500 milliards de dollars dans leurs 600banques, représentant ainsi la 5e placefinancière mondiale.*

La quasi-totalité des grandes banqueset entreprises européennes ou améri-caines ont ouvert des succursales dansdes paradis fiscaux.

C’est par exemple le cas de la BNP Pari-bas, présente aux Bahamas et aux îlesCaïman. Idem pour le Crédit Agricole,la CIC, le Crédit Lyonnais, Natexis Ban-ques Populaires, la Société Générale,etc. Les grandes sociétés françaises ontégalement des filiales installées dansdes paradis fiscaux. Air France détient45 % de la société Air France LeasingPartners, logée aux Antilles néerlandai-ses. Thomson possède une sociétécommerciale à la Barbade. Schneiderdétient deux filiales aux Bermudes.

Renault dispose d’une société finan-cière en Suisse. Total réalise la plus grande partie deses bénéfices dans des filiales enregis-trées aux îles Bermudes et autres terri-toires off shore. Nous pourrions pour-suivre cette liste...

Mais les grandes multinationales nesont pas les seules clientes des paradisfiscaux. Des entreprises de taillemodeste y font recours : un garagiste,un boucher, un épicier... autant degens qui reçoivent régulièrement del’argent liquide dans le cadre de leurtravail, et qui souhaitent ne pas décla-rer l’ensemble de leur chiffre d’affai-res.

Aujourd’hui, les banques off shore etparadis fiscaux font leur publicité surInternet et dans des journaux écono-miques réputés sérieux comme TheEconomist. Plusieurs maisons d’éditionproposent également des guides desparadis fiscaux. Ceux-ci sont classésselon leur «stabilité politique», leursavantages et inconvénients financiers,leur niveau de secret bancaire et d’im-munité judiciaire, leur réputation...

Toute cette publicité témoigne d’uneactivité florissante.

* Notons que ces îles comptent presque autant d’immatriculations de sociétés que d'habitants (envi-ron 35 000)...

Page 11: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

99

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e l’é

cono

mie

mon

dial

e

Special Purpose Vehicle (SPV), Interna-tional Business Corporation (IBC),Foreign Sales Corporation (FSC), Hol-dings, sociétés fiduciaires... Les paradisfiscaux proposent une multitude demontages financiers et structures juri-diques permettant l’évasion fiscale, ladissimulation de revenus ou de bénéfi-ces, l’optimisation de la gestion descapitaux. Les formalités sont générale-ment réduites au minimum. Un batail-lon de juristes, de banquiers, d’ex-perts-comptables et d’experts fiscalis-tes proposent leurs services aux entre-prises et aux particuliers.

Parmi les montages proposés, lessociétés off shore et les sociétés écransont le vent en poupe.

UUnnee ssoocciiééttéé ooffff sshhoorree est une sociétécréée dans un paradis fiscal mais nefaisant des opérations commerciales,

financières ou autres jusqu’à l’extérieurde ce pays. Créée avec des formalitésréduites, pour un coût très faible, ellebénéficie d’une imposition quasi nulleet d’une opacité totale. Statistique-ment, pas moins de 140 000 sociétésoff shore se créent chaque année dansles paradis fiscaux. Plus de 500 000sociétés off shore sont enregistrées àHong Kong, plus de 370 000 auPanama, presque autant aux îles Vier-ges britanniques. En 1994, les centresoff shore accumulaient plus de 25 %des avoirs et des bénéfices des multi-nationales américaines.

UUnnee ssoocciiééttéé ééccrraann est une société quicache son véritable détenteur par l’uti-lisation de prête-noms. Elle est très uti-lisée pour la fraude fiscale. Selon lesNations Unies, les paradis fiscaux abri-teraient quelque 3 millions de sociétésécrans.

Des montages financiersà l’abri des enquêtes judiciaires

Le 26 janvier 2005, le cabinet de consultant KPMG a éténominé aux premières « Public Eye Award », catégorie« fiscalité ». Ce prix, décerné par des ONG du mondeentier, récompense les « entreprises les plus irresponsa-

bles ». Basée à Amsterdam, cette société d’audit, dontcertaines filiales avaient été financées par Clearstream (cf.

ZOOM 7) pour des audits externes, développe activement desmodèles d’économies d’impôts et encourage ses clients à des pratiquesd’évasion fiscale agressives, principalement via les paradis fiscaux. En 2003,le Sénat américain avait déjà dénombré quelques 500 «produits fiscaux» pro-posés par le cabinet à ses clients, dont certains auraient été illégaux. Plusrécemment, c’est la Cour de Justice de l’Union Européenne qui, saisie decette question, à émis un avis consultatif négatif sur les méthodes et pro-duits utilisées par le cabinet.

Zoo

m sur…Des

cabinets de conseil

très conciliants

Page 12: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

L’ampleur des fraudes fiscales

1100

Celle-ci est par définition difficilementmesurable. Cependant, en France, onestime le manque à gagner pour legouvernement attribué à l’évasion fis-cale à 50 milliards de dollars annuelsenviron, soit plus de 10 % du budgetde l’État. De son côté, le gouverne-ment américain reconnaît que ses per-tes annuelles en revenus fédéraux dusà l’évasion fiscale s’élèveraient à 225milliards de dollars. Autant d’argent enmoins pour les recettes publiques quifinancent notre solidarité collective(jusqu’aux retraites) et la productionde biens publics (éducation, santé,eau, etc.).

Les pays industrialisés ne sont pas lesseuls touchés. L’évasion fiscale renduepossible par les paradis fiscaux conduità un manque à gagner en recettes fis-cales pour les pays en développement,à hauteur de 50 milliards de dollars paran. C’est l’équivalent de l’aide publi-que au développement annuelle del’ensemble des pays de l’OCDE. Lasituation est d’autant plus choquantequ’elle profite surtout aux contribua-bles les plus aisés et aux grandes entre-prises.

En effet, ce sont les plus richescitoyens des pays du Sud (dont quel-

En 1999, le journal The Economist publia une étude de l’empiremédiatique de Rupert Murdoch, News Corporation, éditeurnotamment des journaux The Times, Sunday Times et The Sunen Grande Bretagne. Cette étude montrait que sur les 800 entre-prises du groupe, 60 parmi les plus rentables étaient domiciliées

dans des paradis fiscaux : îles Caïman, Antilles néerlandaises, îlesVierges, etc. Celle qui dégageait le plus de profit dans les années

1990, News Publisher, était une société écran domiciliée dans les Bermu-des. Comme le fait remarquer l’article, «c’est là une jolie performance pour unesociété qui apparemment n’a ni employés, ni d’autres sources de revenus que cellesprovenant des autres sociétés de M. Murdoch.»Tous ces montages financiers, absolument légaux, ont permis à News Corporation etses filiales de réduire drastiquement leurs impôts. Ainsi, de 1995 à 1999, ellesn’avaient payé qu’environ 6 % d’impôts alors qu’en Australie, aux États-Unis et enAngleterre, les principaux pays où News Corporation travaille, les taux de base del’impôt sur les sociétés étaient respectivement de 36, 35 et 30 %.Ceci est une illustration parmi d’autres des pratiques des sociétés multinationales.Elles procèdent à la délocalisation des bénéfices par la création de filiales dans les pla-ces off shore, concentrant leurs principaux bénéfices sur leurs filiales situées dans lesterritoires à faible imposition. Ceci s’opère par la facturation aux filiales génératricesde bénéfices de dépenses diverses sans proportion avec les prestations fournies (fraisfinanciers, exploitation de brevets, études, promotion, etc.). Ces prestations sontd’ailleurs parfois inexistantes et ne donnent lieu qu’à des écritures comptables.

Zoo

m sur…Rupert

Murdoch,champion de

l’évasion fiscale

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e l’é

cono

mie

mon

dial

e

Page 13: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

Les principaux paradis fiscaux et judiciaires

1111

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e l’é

cono

mie

mon

dial

e

ques élites locales et de nombreux res-sortissants étrangers), disposant derevenus suffisants et donc de capitauxmobiliers, qui soustraient leurs revenuscroissants à toute imposition en lesplaçant dans des centres off shore.

À l’inverse, suivant les prescriptions duFonds Monétaire International, lamajorité de la population des pays duSud se voit de plus en plus soumise àla TVA, c’est-à-dire à un impôt deconsommation quotidien profondé-ment inégalitaire. En Afrique du Sud,

la TVA introduite sur les biens deconsommation était de 4 % en 1978 ;elle atteint aujourd’hui les 14 %. EnAfrique occidentale, le taux de TVA estaujourd’hui de 18 %, quel que soit leproduit ou le service taxé, à l’inversedes pays industrialisés où des taux dif-férenciés sont appliqués.

Au final, non seulement l’évasion fis-cale grève les budgets publics des paysdu Sud, au détriment des bienspublics, mais les pauvres sont davan-tage taxés que les riches.

Selon les définitions choisies, il existeplusieurs listes de paradis fiscaux : cellede l’ONU (48 pays), celle de l’OCDE (35pays), celle du FMI (62 pays). Voici ladescription de quelques-uns des prin-cipaux paradis fiscaux :

� LLAA SSUUIISSSSEE est la première à avoirintroduit, en 1934, des règles strictesde secret bancaire. L’article 47 de la loifédérale suisse sur la banque considèrela rupture du secret bancaire commeun crime passible de prison, grâce àquoi ce pays a pu attirer les fortunesdu monde entier. Au moins 50 % desavoirs déposés en Suisse par des étran-gers – soit quelques 800 milliards dedollars – n’ont pas été déclarés dansleur pays. La Suisse occupe le premierrang mondial dans la gestion des for-tunes privées. On estime que 60 % desfortunes déposées par des épargnantseuropéens hors de leur contrée d’ori-

gine se trouvent en Suisse. Les dicta-teurs du monde entier y déposent lesfonds de leurs détournements et lespots-de-vin reçus. La Suisse est aussiune « place off shore ». On estime à27 % la part de la Suisse dans l’ensem-ble des marchés financiers off shore dumonde. Les 376 banques recenséesdans le pays produisent plus de 12 %de la richesse nationale.

� LLEESS ÎÎLLEESS CCAAÏÏMMAANN constituent,après les Bermudes, la plus anciennecolonie britannique. Georgetown, sacapitale, représente la cinquième placebancaire mondiale (en volume déposépar les non-résidents), après HongKong, Londres, New York et Tokyo. Sonnombre de banques et de sociétés offshore (respectivement 600 et 50 000)est supérieur à celui de ses habitants(40 000). 43 des 50 premières banquesmondiales y ont des établissements. Lerégime fiscal des îles Caïman apparaît

Page 14: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

1122

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e l’é

cono

mie

mon

dial

e

comme l’un des plus favorables dumonde. Il n’y existe aucun impôt, dequelque nature que ce soit, sur lesrevenus ou les profits, le capital ou lafortune, les plus values, les propriétés,les ventes ou les héritages.

� LLEE LLUUXXEEMMBBOOUURRGG est un centrefinancier important qui pratique lesecret bancaire et les comptes anony-mes. On estime que 95 % de la totalitédes actifs bancaires du pays appartien-nent à des banques étrangères. Troi-sième place mondiale pour les fondsde placement, ce pays de 440 000habitants tire 40 % de ses ressourcesde l’activité financière. Il abrite l’unedes deux chambres de compensationinternationale du monde, Clearstream,impliquée récemment dans un scan-dale retentissant. (voir ZOOM 5)

� LLEESS BBEERRMMUUDDEESS constituent la plusancienne des colonies britanniques.Elles se sont spécialisées dans les com-pagnies d’assurance. Plus de 1 500 ysont localisées. De plus, les trois quartsdes grandes sociétés multinationales(celles de Fortune 100) y ont des filia-les. Pourquoi ? Parce qu’aux Bermudes,il n’y a pas d’imposition sur les revenusni de législation sur les assurances. Lesprimes encaissées par les compagniesd’assurance ne sont soumises à aucunimpôt.

Nous pourrions multiplier cette des-cription de paradis fiscaux. Ces der-niers sont présents aux quatre coins dela planète :

� AAmméérriiqquuee cceennttrraallee : Belize, CostaRica et Panama,

� AAssiiee//PPaacciiffiiqquuee : Hongkong,Labuan, Macao, Iles Mariannes, IlesMarschall, Nauru, Niue, Samoaoccidentales, Singapour, Vanuatu,

� EEuurrooppee eett MMééddiitteerrrraannééee :Andorre, Chypre, Gibraltar, Guerne-sey, Jersey, Liechtenstein, Madère,Malte, Ile de Man, Monaco,

� MMooyyeenn--OOrriieenntt : Bahrein, Doubaï,Liban,

� OOccééaann IInnddiieenn : Iles Maurice, IlesSeychelles,

� IIlleess oouu aarrcchhiippeellss ddeess CCaarraaïïbbeess : Anguilla, Antigua et Barbuda, Antil-les néerlandaises, Aruba, Bahamas,Barbade, Montserrat, St Kitts etNevis, Ste Lucie, St Vincent, IlesTurks et Caicos, Iles Vierges britan-niques.

Enfin, 66 ÉÉttaattss aauuttoorriisseenntt ll’’ooffffrree ddeesseerrvviicceess ooffff sshhoorree à partir de certainspoints de leur territoire : États-Unis, Irlande, Maroc, Royaume-Uni, Taiwan, Thaïlande.

Page 15: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

1133

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e l’é

cono

mie

mon

dial

e

SOPARFI. Une société crée dans un PFJ une holdingqui va prendre partout dans le monde des participa-tions financières discrètes (son actionnaire étantanonyme) tout en étant sous-fiscalisée.TRUST. Un fiduciant (particulier ou personne morale)

transfère dans un PFJ des fonds ainsi que sa respon-sabilité légale sur ces fonds, ceux-ci étant gérés par un

fiduciaire sans personnalité morale. C’est le statut cou-rant des fonds de pension, de la gestion de patrimoine et

des mécanismes de blanchiment d’argent.IBC. C’est la coquille off shore type dont les actionnaires sont anonymes, dontles responsables sont des prête-noms locaux ou d’autres coquilles vides, et quigèrent des comptes ouverts dans les banques officielles du monde entier.SPV. Pour effectuer des manipulations de bilan, une société A crée une filiale Bdans un PFJ pour procéder avec elle à des transferts de morceaux d’actif ou depassif qui ne sont pas consolidés dans les comptes de A.SHELF companies. Il s’agit de coquilles « prêtes à l’emploi » avec des statuts déjàrédigés et des prête-noms désignés, qui ont souvent déjà servi et qu’on peutréactiver instantanément sur demande.Pour plus d’informations : Le capitalisme clandestin, l’illusoire régulation des pla-ces off shore, Thierry Godefroy et Pierre Lascoumes, La Découverte, 2004 (cf.bibliographie).

Zoom sur…

Les 5 produits phares

proposés par les paradis

fiscaux et judiciaires

(PFJ)

La Suisse accusée de blanchir des fonds d’origine criminelle

Page 16: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

1144

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e l’é

cono

mie

mon

dial

e

Paradis fiscaux sous tutelle globale ou partielle de la France

Page 17: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

1155

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e l’é

cono

mie

mon

dial

e

Paradis fiscaux sous tutelle globale ou partielle du Royaume-Uni

Page 18: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

Les paradis fiscaux et judiciairesau cœur des scandales

1166

Les

para

dis

fisca

ux e

t jud

icia

ires

au

cœur

des

sca

ndal

es

Les dopants de la criminalité

«« ......lleess rréésseeaauuxx dduu ccrriimmee oorrggaanniisséé nn’’oonntt ffaaiittqquuee ssuuiivvrree lleess cchheemmiinnss ttoouutt ttrraaccééss

ppaarr lleess eennttrreepprriisseess mmuullttiinnaattiioonnaalleess eetteemmpprruunntteerr lleess mmuullttiipplleess cciirrccuuiittss

dd’’ooccccuullttaattiioonn qquuee llaa pplluuss ffiinnee fflleeuurr ddeess aavvooccaattss,, nnoottaaiirreess

eett bbaannqquuiieerrss lloonnddoonniieennss,, lluuxxeemmbboouurrggeeooiiss eett ggeenneevvooiiss

oonntt ssuu iinnvveenntteerr..»»

TThhiieerrrryy GGooddeeffrrooyy,, PPiieerrrree LLaassccoouummeess,,LLee ccaappiittaalliissmmee ccllaannddeessttiinn,,

LLaa ddééccoouuvveerrttee,, 22000044

Les paradis fiscaux constituent de véri-tables « boîtes noires » au sein del’économie mondiale. Celles-ci cachentà merveille les points de passage etd’arrivée des capitaux, permettant éva-sion fiscale, corruption, détourne-ments, financements occultes et blan-chiment de capitaux... en toute impu-nité.

Ce sont les mêmes montages et lesmêmes lieux qui assurent détourne-ments, paiements de dessous de tableet dissimulation de responsabilités. Lesréseaux de criminalité se contententd’utiliser les opportunités permises parles paradis fiscaux.

L’exemple des réseaux de blanchimentest emblématique. Trafic de drogue,prostitution, fabrication de faussemonnaie, rackets... la criminalitégénère d’importants profits, essentiel-lement sous forme d’argent liquide.Comment utiliser ou placer cet argentà la banque sans éveiller lessoupçons ? Comment en dissimulerson origine ?

Parmi toutes les méthodes de blanchi-ment, le recours aux paradis fiscaux estde loin la plus efficace et la plus sim-ple. Il permet le blanchiment de som-mes très importantes, rapidement, entoute impunité.

Page 19: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

Les activités criminelles génèrent de grandes sommes d’ar-gent, le plus souvent en espèce (pièces, billets). Commentutiliser cet « argent sale » sans éveiller la méfiance desautorités ? Comment dissimuler son origine ?

Les théoriciens distinguent habituellement trois phases dansle blanchiment d’argent :

Il existe de nombreuses méthodes différentes. Pour le «prélavage», citons parexemple : le fractionnement des dépôts bancaires, le mélange de l’argent saleaux recettes d’un commerçant complice, la déclaration de faux gains dans uncasino, les fausses factures, ou plus simplement le dépôt dans des paradis fis-caux. Les techniquesde «brassage»font davantageappel aux trans-actions sur lesmarchés financiers,aux multiples trans-ferts de capitaux decomptes bancaires encomptes bancaires,aux sociétés écrans(holdings, trusts, socié-tés off shore).Vous trouverez un pano-rama détaillé des techni-ques de blanchimentdans Un monde sans loi,Jean de Maillard etPierre-Xavier Grézaud,Stock, 1998 (cf. bibliographie).

1177

Les

para

dis

fisca

ux e

t jud

icia

ires

au

cœur

des

sca

ndal

es

Zoom sur…

Comment blanchir l’argent sale ?

PPrrééllaavvaaggee

BBrraassssaaggee

EEssssoorraaggee

(encore appelé placement ou immersion) : le but est de placer l’argentliquide sur un compte bancaire en masquant son origine illégale. C’est laphase la plus vulnérable pour le criminel.

(dispersion / empilement) : il s’agit de brouiller les pistes par des transac-tions financières complexes, afin de masquer l’origine des fonds, ou enlégitimer la possession.

(recyclage / intégration) : l’argent étant blanchi et son origine masquée, lesinvestissements dans l’économie légale peuvent commencer.

Page 20: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

Combien d’argent

1188

Les

para

dis

fisca

ux e

t jud

icia

ires

au

cœur

des

sca

ndal

es

« L’économie illégale n’est pas seulement composée d’activi-tés purement criminelles, comme le trafic de drogue, les enlè-vements et toutes les autres activités de la délinquance tradi-

tionnelle. D’une part, en effet, les organisations criminellesdiversifient leurs activités illégales dans de nombreux secteurs

de moindre intensité criminelle, comme la fraude sur les adjudica-tions de marchés publics. D’autre part, des entreprises du secteur légal se livrentelles-mêmes à des activités illégales, parfois délinquantes, comme la fraude fis-cale ou la corruption politique. L’ensemble de ces pratiques utilisent les mêmescircuits de blanchiment et de dissimulation de l’argent, et ont recours auxmêmes intermédiaires et aux mêmes techniques : paradis fiscaux, sociétés fidu-ciaires, marchés financiers, etc. »

Jean de Maillard et Pierre-Xavier Grézaud,

Un Monde sans loi, Stock, 1998

Zoom sur…Tout seconfond dans les paradis fiscaux

Par définition, il est très difficile d’éva-luer les profits générés par les activitéscriminelles. Selon l’ONU, l’économie dela drogue représente, à elle seule, prèsde 8 % du commerce international.Globalement, le chiffre d’affaires mon-dial de la criminalité est estimé à 1 000milliards de dollars par an environ. Quisait où se situe la réalité ? Retenonssimplement que les volumes financiersd’origine criminelle sont considérables.Cette dernière estimation porte sur unmontant quatre fois supérieur au bud-get de la France, et vingt fois supérieurau total des dépenses officiellementconsacrées à l’aide publique au déve-loppement par tous les pays industria-lisés.

Une fois blanchi, l’argent sale estensuite réinvesti massivement dans

l’économie légale. Étant donné lessommes en jeu, la puissance de la cri-minalité sur l’économie officielle estloin d’être négligeable. A l’échellemondiale, cela représenterait entre 5et 10 % du Produit Intérieur Brut mon-dial annuel !

En France, environ 120 milliards d’eu-ros seraient sous l’influence d’organi-sations criminelles. Plus d’une dizainede milliards d’euros « sales » rentre-raient dans l’Hexagone chaque année.Principaux secteurs visés : le BTP, lesmarchés publics, l’économie des loisirs.Au Royaume-Uni, les services desdouanes estiment les flux d’argent sale«essorés» dans l’économie britanniqueà près de 40 milliards d’euros par an.En Russie, un rapport de la Banquemondiale de 1997 estimait que le

Page 21: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

1199

Les

para

dis

fisca

ux e

t jud

icia

ires

au

cœur

des

sca

n-da

les

1. Un avocatc h y p r i o t edépose à laB a n q u e

Populaire deCHYPRE une

somme de 3 MFd’origine inconnue

(argent noir ? commission occulte ?).2. La banque prête cet argent (opérationusuelle du blanchiment) à M. Pasqua, etobtient pour ce prêt une garantie finan-cière d’origine inconnue auprès d’unesociété nommée ARBITRON située dansun autre paradis fiscal.

*mécanisme paru dans la presse et nondémenti par M. PASQUA.

Zoo

m sur…

Financement de la

campagne européenne

du RPF*

contrôle de l’économie russe par lamafia s’élevait à 40 %. En Italie, uneétude de la Guardia di Finanzia datantde 1989 évaluait les capitaux brasséspar la mafia à plus de 30 milliards d’eu-ros.

Mais au blanchiment de la criminalité«classique», il convient d’ajouter celuide la corruption. Le montant total decette dernière (total des pots-de-vinpayés sans compter les détournementsde fonds), tous pays confondus, estestimé, par un Institut de la Banquemondiale, à 1 000 milliards de dollars.Comme l’a montré l’affaire Elf (voirpages suivantes), cet argent trouveégalement le chemin des paradis fis-caux.

Le Luxembourg accusé d’être le plus grandcentre de blanchiment dumonde !

Page 22: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

2200

Les

para

dis

fisca

ux e

t jud

icia

ires

au

cœur

des

sca

ndal

es

Les paradis fiscaux et judiciaires au cœur des scandales

Les paradis fiscaux sont impliquésdans presque tous les grands scanda-les qui ont défrayé la chronique cesdernières années : affaires « Enron », «Elf », « BCCI »... mais aussi naufragesdu Prestige ou de l’Erika, ou encorelicenciements sauvages de Metaleu-rop, etc.

SSoouuvveenneezz--vvoouuss ::

La liquidation d’Enron

Fin 2001, le groupe Enron déclare fail-lite. Septième entreprise américaine,plus de 100 milliards de dollars dechiffre d’affaires, une « perle » ducapitalisme dont on découvre qu’elle autilisé de façon quasi-systématique lesparadis fiscaux (près de 700 filialesdans les seules îles Caïman et autantau Delaware) pour truquer ses résul-tats, ne pas payer d’impôts et dissimu-ler ses dettes, en toute connivenceavec l’un des plus grands cabinetsd’audit, Arthur Andersen, et avec lacomplaisance des grandes banquesrenommées. La faillite d’Enron a laisséun trou de 40 milliards de dollars environ.

Le naufrage du Prestige

En novembre 2002, le pétrolier Pres-tige s’échoue au large des côtes de laGalice. Son propriétaire : une sociétéenregistrée au Liberia. Son affréteur :basé en Suisse. Le propriétaire de l’af-fréteur : une holding russe ayant

transféré ses activités à Gibraltar. Lasociété incriminée ne prévoit évidem-ment pas le moindre sou pour lesdégâts économiques, sociaux et écolo-giques causés par la marée noire. Lesimple nettoyage des côtes est estiméeà plusieurs milliards de dollars.

L’affaire Glencore

Metaleurop : 2 000 licenciements sau-vages et un site pollué laissé en l’état.Même le Premier ministre parla àl’époque de « patrons voyous » etengagea une procédure judiciaire...pour découvrir sa propre impuissance.Car l’actionnaire principal de Metaleu-rop, la société Glencore, impliquéedans d’autres scandales liés à desfinancements d’origine russe, appar-tient à un actionnaire installé enSuisse. Glencore est fort connue parailleurs pour le pillage des matièrespremières de l’Afrique et de l’ex-URSS.

Les détournements via la BCCI

En 1991, le scandale de la BCCI (Bankof Credit and Commerce International)a montré la liaison pouvant existerentre le trafic de drogue, le terrorisme,la haute finance et les services spé-ciaux. Enregistrée au Luxembourg, laBCCI recueillait pêle-mêle les comptesd’Abou Nidal, de Saddam Hussein, dugénéral Noriega, des services de la CIAet des sociétés liées au trafic interna-tional de la drogue, du marchand > p.22

Page 23: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

2211

Les

para

dis

fisca

ux e

t jud

icia

ires

au

cœur

des

sca

ndal

es

En 2001, la parution du livre Révélation$ crée unetempête dans le microcosme bancaire international.Il s’agissait d’une enquête menée par Denis Robertsur la chambre de compensation internationaleClearstream.

Il n’existe sur la planète que deux chambres de com-pensation internationales : Clearstream, basée au

Luxembourg, et Euroclear, domiciliée à Bruxelles. Leur butest de faciliter les échanges interbancaires. Deux banques souhai-

tant accélérer leurs échanges de titres et valeurs financiers peuvent ouvrir cha-cune un compte à Clearstream. Par ordre électronique, les virements entre lesdeux banques sont effectués instantanément. Les chambres de compensation(clearing) constituent donc en quelque sorte « une banque des banques ». Ellesne sont soumises à aucun contrôle financier extérieur. Environ 3 500 banques(sur les 7 000 institutions financières de la planète) possèdent un compte dansces chambres de compensation. Les transactions effectuées s’élèveraient àenviron 50 000 milliards de dollars par an, ce qui est considérable.

Grâce aux témoignages d’anciens salariés, Denis Robert a mis en évidencel’existence d’environ 8 000 comptes non publiés au sein de Clearstream, ainsique l’existence de transactions secrètes. Potentiellement, ces chambres decompensation peuvent être les plus grandes machines à blanchiment dumonde. Certains parlent de 500 milliards de dollars blanchis par année ! Degrandes banques françaises sont concernées.

La liste des comptes d’une société de clearing est de fait une formidable pho-tographie de la planète financière. Il suffirait de voir tous les transferts effec-tués dans ces chambres de compensation pour comprendre la nature et lesrouages de l’économie planétaire. Or le secret bancaire s’y oppose. Pourtant,comme dans les paradis fiscaux, aucune trace de la circulation des capitaux,licites ou non, ne s’égare. Il est en effet essentiel de conserver la preuve destransferts ou des changements de propriétaires : en cas de litige, il faut pou-voir retrouver la trace des virements. C’est pourquoi les opérations de chaquebanque sont conservées sur des microfiches.

On imagine la formidable source d’informations sur le fonctionnement del’économie mondiale et sur les liens entre criminalité et légalité que constituentces microfiches.

Zoom

sur…

L’affaire Clearstream,

un pavé dans la mare

financière

Page 24: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

2222

Les

para

dis

fisca

ux e

t jud

icia

ires

au

cœur

des

sca

ndal

es

d’armes Kashoggi, entre mille autresdu même acabit. Des connexionsapparaissent entre Ben Laden (héritiermultimillionnaire d’une grande famillesaoudienne) et la BCCI. Ces pratiqueslitigieuses ont creusé un passif de 13milliards de dollars.

Le scandale Parmalat

Cette affaire illustre l’utilisation desplaces off shore et l’importance desfraudes qu’elles permettent. Parmalatest une entreprise familiale de Parmecentrée sur la commercialisation dulait. À partir de 1998, il y eut empile-ment de sociétés off shore destiné àorganiser un système à grande opacitédissimulant les fragilités financièrescroissantes du groupe et les abus debiens sociaux des dirigeants : 137 filia-les, dont une vingtaine de filiales

financières domiciliées aux îles Caï-man, au Luxembourg, aux Antillesnéerlandaises, à l’île de Man. Lesdéfaillances et détournements sont del’ordre de 10 à 18 milliards de dollars.

NNoouuss ppoouurrrriioonnss aalllloonnggeerr cceetttteelliissttee :

Affaires «KKrreemmlliinnggaattee» (corruption àgrande échelle en Russie), «AAnnggoollaa--ggaattee» (ventes d’armes, blanchiment enAngola), «BBoouuttoonn» (blanchiment,Société générale), «LLééoottaarrdd» (finance-ment occulte d’un parti politique), «office des HLM de Paris» (marchéstruqués), «MMNNEEFF» (idem), «MMéérryy»(fausses factures), etc. Dans tous cescas, les paradis fiscaux interviennentpour masquer l’argent des trafics et dela criminalité.

Erika, Prestige... autant de marées noires désastreuses, autant depavillons de complaisance ! Ils ne représentaient que 5 % de la

flotte mondiale à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, 14 %au début des années 1960, mais plus de 60 % aujourd’hui.Les principaux pays à pavillon de complaisance sont lePanama, le Liberia, les Bahamas, Malte, Chypre.

Quel est l’avantage du pavillon de complaisance pour le pro-priétaire d’un bateau ? Des droits d’enregistrement peu élevés,

pas ou peu de taxes et d’impôts, très peu ou pas de contrôles, laliberté d’employer des marins peu payés, socialement peu ou pas pro-tégés. Des montages sophistiqués permettent de dissimuler l’identitéréelle du propriétaire du navire ou de l’armateur. Tel est le cas del’Erika. En 1999, au moment de l’accident, il est la propriété d’unecoquille vide (Tevere shipping), enregistrée à Malte, dissimulant deuxarmateurs napolitains agissant à travers une société grecque. Il estaffrété par une société helvético-panaméenne qui passe ses ordresdepuis Lugano en Suisse. La marchandise appartient à Total, via safiliale des Bermudes. Au final, cette opacité garantie la quasi-impunité.Pour en savoir plus : Pourquoi l’Erika a coulé ? Les Paradis de complaisance, Fran-çois Lille, éd. L’esprit frappeur, 2000.

Zoo

m sur…L’essor

des pavillonsde

complaisance

>

Page 25: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

Les paradis fiscauxau cœur de la Françafrique

La Françafrique a besoin d’argent ‘’black’’

2233

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e la

Fra

nçaf

riqu

e

«« ......nnoouuss aassssiissttoonnss àà uunn ppoommppaaggee ssyyssttéémmaattiiqquuee ddiiggnnee ddeess SShhaaddoocckkss [[......]]

PPrréélleevvééss hhoorrss bbiillaann,, eenn ddeehhoorrss ddeess cciirrccuuiittss nnoorrmmaauuxx,, [[lleess ffoonnddss]]

iirroonntt eennssuuiittee aalliimmeenntteerr lleess ccoommpptteess ooffff sshhoorree

ddaannss lleess ppaarraaddiiss ffiissccaauuxx dduu mmoonnddee eennttiieerr »»

CC..PPiiggnnoonn,,cchheeff ddee llaa sseeccttiioonn ffiinnaanncciièèrree dduu PPaarrqquueett,,ddééccllaarraattiioonn lloorrss dduu rreennvvooii ddee ll’’aaffffaaiirree EEllff

ddeevvaanntt lleess ttrriibbuunnaauuxxLLee PPaarriissiieenn,, 1188 ddéécceemmbbrree 22000022

L’expression « Françafrique » désigne lapart immergée de l’iceberg des rela-tions franco-africaines. En 1960, l’his-toire acculait le général de Gaulle àaccorder l’indépendance aux coloniesd’Afrique sub-saharienne. La France,«meilleure amie de l’Afrique et dudéveloppement», se flattait de « proté-ger » cette nouvelle légalité internatio-nale proclamée. Mais dans le mêmetemps, de Gaulle chargeait son émi-nence grise Jacques Foccart d’organi-ser le maintien de la dépendance, avec

la complicité de chefs d’État « amis dela France », soigneusement sélection-nés (jusque dans les services secretsfrançais, comme Omar Bongo auGabon). Cette confiscation des indé-pendances nécessitait un contrôle«soft» et «hard».*–– ccoonnttrrôôllee ««ssoofftt»» : par la corruption

des décideurs locaux, la co-organisa-tion des scrutins truqués, l’achat dela solidarité de la classe politiquefrançaise.

–– ccoonnttrrôôllee ««hhaarrdd»» : par le finance-

* Vous trouverez un exposé plus complet dans la brochure « Les dictateurs amis de la France ?! »éditée par Survie en 2004, ou dans les ouvrages de F.X. Verschave : De la Françafrique à la mafiafri-que (retranscription d’une conférence), Tribord, 2004 ; La Françafrique, Stock, 1999 ; Noir Silence,Les Arènes, 2000 ; Au mépris des peuples, La Fabrique, 2004.

Page 26: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

2244

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e la

Fra

nçaf

riqu

e

ment des polices politiques, des gar-des dictatoriales, des milices ou desmercenaires ; l’implication dans lescoups d’État ou les guerres civiles.

Ce contrôle de pays «indépendants» nepouvait se financer que secrètement,via les paradis fiscaux. Ces dernierspermettent en effet de réaliser touttype de montages financiers, en touteopacité : détournement de l’aide publi-

que au développement, pillage des res-sources naturelles, notamment lepétrole et les forêts, trafics d’armes,blanchiment d’argent, etc.Progressivement, l’énorme masse d’ar-gent noir ainsi générée a installé les«réseaux» françafricains dans une for-midable opulence et capacité corrup-trice, leur permettant une autonomisa-tion progressive dans le cadre d’un sys-tème mafieux.

Si le nom de grandes banques françaises revient souventdans les enquêtes relatives aux paradis fiscaux (comptes non

publiés de Clearstream, affaire de l’Angolagate, financementdu gouvernement génocidaire rwandais, etc.), on note depuis

quelques années une recrudescence des affaires touchant à desfaits de blanchiment ou de corruption.

Dernière en date : la condamnation du Crédit agricole à payer 1 million d’euros pour« défaut de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment » de la part de sabanque d’affaires Calyon. Relevant des mécanismes de sociétés en cascade et citantdes noms d’agences et sociétés domiciliées à Jersey, Gibraltar ou Monaco, la Com-mission bancaire française a par ailleurs déploré le manque d’informations sur plusd’une centaine de clients russes et nigérians (parmi lesquels un ancien ministre dupétrole du régime Abacha destinataire de 38 millions de dollars), dont les virements« pourraient provenir de faits de corruption ».

Les mauvaises langues y verront peut-être un lien avec les commissions occultes de2,4 millions de dollars versées à l’ancien dictateur nigérian en 2001 et 2002 par Kel-logg Brown & Root, filiale du groupe Halliburton, anciennement dirigée par le vice-président américain Dick Cheney... (cf. ZOOM 12)

Zoo

m sur…Les

banques françaises

dans la spiraledes paradis

fiscaux

Page 27: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

Les clés de l’affaire Elf...dans les coffres des paradis fiscaux !

2255

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e la

Fra

nçaf

riqu

e

En 1994 éclate « l’affaire Elf » : grâce àune enquête approfondie, toute unefacette de la Françafrique est enfinrévélée. Elf a été créée en 1967 pour,entre autres, servir de faux-nez aufinancement et à l’action des servicessecrets français en Afrique. Elle abritaitplusieurs centaines de barbouzes,entretenait des sociétés de mercenai-res, participait au montage de coupsd’État : on a même retrouvé dans lescoffres de la Tour Elf, dans le quartierde la Défense à Paris, les traces écritesde l’organisation de l’un d’entre eux,prévu au Congo-Brazzaville. DepuisGenève et autres territoires off shore,Elf a organisé le drainage des énormesmarges occultes sur l’exploitation del’or noir africain : production nondéclarée au large des côtes, sous-éva-luation des redevances, surfacturationdes investissements et prestations,arnaques sur le préfinancement des

productions futures, commissionsoccultes, etc.Au fil des ans, un certain nombre devolets de l’enquête ont été éclairés(financiers, judiciaires et sentimen-taux), mais les trajets des flux finan-ciers restent en grande partie obscurs,perdus (au nom de la raison d’État)dans le brouillard des sociétés écranset autres montages dans des paradisfiscaux.Quelles sont les identités des intermé-diaires d’affaires, titulaires de sociétésécrans et de comptes anonymes auxappellations savoureuses : «Tomate»,«Salade», «Langouste», ... tous situésdans des banques en Suisse, au Liech-tenstein ou au Panama ? Qui sont lescréateurs des sociétés écrans comme laGrutness Ltd ou la Stacab Inc., utiliséespar Elf pour verser des commissions audictateur nigérian Abacha suite auxrenégociations des permis pétroliers ?

Page 28: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

Les moteurs de la Mafiafrique

2266

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e l’é

cono

mie

mon

dial

e

Nous pourrions multiplier ces ques-tions sans réponses. Il est impossiblede connaître tous les bénéficiaires dece système opaque de commissionsayant atteint plus de 120 millions d’eu-ros par an, utilisé à des fins de corrup-tion politique et d’enrichissement per-sonnel. Les clés de l’affaire Elf sontdans les coffres des paradis fiscaux.

Pourquoi aucune personnalité politi-que française d’envergure, ou presque,n’a-t-elle, depuis quarante ans,dénoncé le scandale de la confiscationde l’indépendance de nos ex-colonies,en particulier le soutien aux pétrodicta-teurs qui écrasent et spolient leur pro-pre pays ? Loïk Le Floch-Prigent, ex-PDG d’Elf, a donné un début deréponse le 31 mars 2003 : l’argent d’Elfa aussi servi à « faire taire » des hom-mes politiques français. Et à empêcher

qu’ils ne divergent sur la continuité dusystème : « Il fallait que le vaisseauFrance soit avec nous. Particulièrementen Afrique où, si on rentre dans uncombat socialistes contre gaullistes, onne sait plus où on va.»Loïk le Floch Prigent a égalementreconnu l’existence d’une « caissenoire» dès les premiers jours du pro-cès, finissant par lâcher que les fluxsortants étaient bien destinés à deshommes politiques. Il connaît les nomsd’un «certain nombre de destinataireset d’intermédiaires. Certains ont été aupouvoir, d’autres le sont aujourd’hui. »Alfred Sirven, « l’éminence grise», arenchéri : «Elf a toujours eu besoind’être bien avec le pouvoir en place»,de gauche comme de droite. Et leshommes de pouvoir ont «besoin d’ar-gent. Les campagnes électorales sontdevenues de plus en plus chères...».

De plus en plus, les observateurs criti-ques des relations franco-africainesparlent de Mafiafrique, qui agit bienau-delà des réseaux françafricains. Ils’agit d’une connexion entre les agentset les flux financiers occultes des gran-des puissances et des grandes entrepri-ses multinationales (ressources natu-relles, BTP et armement), sous la hou-lette des principaux services secrets.Les paradis fiscaux sont une pièce maî-tresse de ces montages criminels. C’estce que révèle par exemple le détail del’affaire « Angolagate » : trafic d’ar-mes, pillage du pétrole, corruption,montages financiers sur la dette : onretrouve autour de ce pays des multi-

nationales du pétrole et de l’armement(BP-Amoco, TotalFinaElf, Exxon...), desintermédiaires financiers friands desparadis fiscaux (Marc Rich, Arcadi Gay-damak, Pierre Falcone, Jean-CharlesMarchiani...) et enfin des servicessecrets de différentes puissances mon-diales (France, États-Unis, Russie,Israël, etc.).*

Comme le souligne Guillaume Olivierdans L’aide publique au développe-ment, un outil à réinventer, 2004, éd.Charles Léopold Mayer : «En France, les rétro-commissions etles «porteurs de valises à billets» enrô-lent dans ce processus prédateur des

* Pour le détail de l'Angolagate, lire L'envers de la dette, François-Xavier Verschave, collection «Dossiers noirs », Agone, 2001, mais également Les affaires sous la guerre, Global Witness, collec-tion « Dossiers noirs », Agone, 2003.

Page 29: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

2277

Les

para

dis

fisca

ux a

u cœ

ur d

e l’é

cono

mie

mon

dial

e

cadres et responsables d’entreprises,de politiciens, d’intermédiaires, demembres et correspondants des servi-ces spéciaux; comme commence à ledécouvrir le grand public dans le cadredes nombreuses affaires liées à Elf, Fal-cone, Glencore, etc. Les circuits de cap-tation des rentes sont organisés enréseaux internationaux, souvent nésdes circonstances : des officiers etagents des services de renseignementont pantouflé dans les grands groupesfrançais, des ex-cadres pétroliers ser-vent dans les ambassades, d’anciens

politiciens français encadrentaujourd’hui des sociétés privées pré-sentes en Afrique. D’innombrablesintermédiaires commerciaux et finan-ciers français, russes, israéliens, liba-nais, américains ou sud-africains pro-posent clefs en main des montages deplus en plus sophistiqués, mêlant lesflux physiques et financiers, spéculantsur les dettes des États, plaçant lessommes perçues ou confiées auLuxembourg, au Liechtenstein, enAndorre, etc. »

De 1993 à 1998, le Nigeria fut gouverné par un dictateursinistre, le général Sani Abacha. Son gouvernement adétourné pas moins de 55 milliards de dollars (d’après lesdires du gouvernement qui lui a succédé), dissimulés par lebiais de mécanismes off shore. Plus de 500 sociétés écrans

ont été constitués dans plusieurs paradis fiscaux pour abri-ter les fonds venus du Nigeria. Ces fonds ont été déposés à

Londres, à Jersey, en Suisse et au Luxembourg. Sani Abachaaurait détourné lui-même 4 milliards de dollars, placés dans dix-neuf

banques suisses et des banques londoniennes.De ces 4 milliards de dollars, seuls 900 millions ont été retrouvés et bloqués en Suisse,et 200 millions restitués aux autorités duNigeria. On parle ces derniers jours d’unerestitution supplémentaire de 458 mil-lions de dollars par la Suisse, mais rienn’est en vue en provenance de Londres.Non seulement les paradis fiscaux accueil-lent les fonds de la corruption et desdétournements, mais ils se « sucrent »quand les fonds sont réclamés.On retrouve également de grands grou-pes privés impliqués dans ces détourne-ments, comme Kellogg Brown and Root,filiale de la holding Halliburton, ancienne-ment dirigée par Dick Cheney. Ce derniera récemment reconnu avoir soudoyé desfonctionnaires nigérians pendant lapériode 2001-2002, pour un total de 2,4millions de dollars, afin de bénéficierd’exonérations fiscales supplémentaires...

Zoo

m sur…

Nigeria,la valse des

détournements

L’essoreuse de richessesafricaines

grandes banques

ttrraaffiiqquuaannttss ccoouurrttiieerrss

ccoouurrttiieerrss ttrraaffiiqquuaannttss

ttrraaddeerrss ttrraaddeerrssPPaarraaddiissffiissccaauuxx

réseauxmafieux

transnationaux

régimes néocoloniauxparrains politiquesoccidentaux

services secretsmultinationales

du pétrole, du bois…

vendeurs d’armes

Page 30: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

2288

Lutt

er e

nsem

ble

cont

re l’

inju

stic

e fis

cale

et l

’impu

nité

«« ......NNoouuss ppoouuvvoonnss ddeemmaannddeerr àà ttoouuss cceeuuxxqquuii rreevveennddiiqquueenntt uunnee rreessppoonnssaabbiilliittéé

ppoolliittiiqquuee,, aauu sseennss ffoorrtt,, ddee rrééaaggiirr ccoolllleeccttiivveemmeenntt ffaaccee àà llaa ggéénnéérraalliissaattiioonn ddeell’’iimmppuunniittéé ooffffeerrttee ppaarr ddee ppeettiittss tteerrrriittooiirreess

ddee ccoommppllaaiissaannccee,, ddoonntt llee ccoommmmeerrccee iinntteerrllooppee nnee pprroossppèèrree qquu’’aavveecc llaa

bbéénnééddiiccttiioonn ddeess ggrraannddss ÉÉttaattss.. LLaa mmiissee hhoorrss ééttaatt ddee nnuuiirree ddee cceess zzoonneess

hhoorrss llaa llooii nn’’eesstt qquu’’uunnee qquueessttiioonn ddee vvoolloonnttéé ppoolliittiiqquuee.. »»

FFrraannççooiiss--XXaavviieerr VVeerrsscchhaavvee

En 1996, des magistrats européensréputés lançaient «l’appel de Genève»,un manifeste visant à alerter l’opinionpublique et les gouvernements surl’obstacle que constituent les paradisfiscaux pour toute enquête judiciairedans le domaine financier. Neuf ansaprès, ce manifeste est toujours d’ac-tualité. Dans La Tribune du 17 février2003, le journaliste Jean-François Cou-vrat s’insurgeait : «On considérerabientôt avec une curiosité attendrie leparticulier qui acquitte l’impôt sur sesrevenus d’épargne, ou la firme multi-nationale normalement taxée sur sesrevenus d’activité. Comment résister àla tentation de frauder le fisc, lorsqu’il

suffit de suivre la foule vers d’accueil-lantes échappatoires, ces paradis fis-caux et autres centres off shore ? […]Comment expliquer que les plus puis-sants États, se sachant ainsi spoliésdepuis si longtemps et connaissantparfaitement les clés de leur infortune,n’aient pas réussi à y mettre fin ?»

En France, les députés Vincent Peillonet Arnaud Montebourg ont mené de1999 à 2002 une Mission d’informa-tion parlementaire sur la délinquancefinancière et le blanchiment de capi-taux en Europe. Leurs enquêtes ontconcerné le Liechtenstein, la Suisse,Monaco, le Luxembourg, la City de

Supprimer le secret bancaireet les obstacles à la coopération judiciaire

Lutter ensemble contre l’injustice fiscale et l’impunité

Page 31: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

2299

Lutt

er e

nsem

ble

cont

re l’

inju

stic

e fis

cale

et l

’impu

nité

Londres, les territoires dépendants dela Couronne (Gibraltar, île de Man, Jer-sey) et enfin la France (surtout le Sud-Est).Après trois ans de travail, le députéVincent Peillon exprimait son découra-gement : « D’un côté, une dénoncia-tion haute et ferme de la criminalité,du trafic de drogues, d’armes, de per-sonnes. De l’autre, un progrès expo-nentiel de ces mêmes trafics. D’uncôté, une production vertigineuse delois, de directives, de conventions, derecommandations ; une débauche deforums, de symposiums, de colloques,de groupes formels et informels ; une

démultiplication d’organismes et degroupes spécialisés. De l’autre, le pul-lulement des paradis fiscaux, la proli-fération des sociétés écrans, les bloca-ges de la coopération policière et judi-ciaire internationale, la prospérité dela corruption et du crime. »Dans ce contexte de double discours,la Mission parlementaire contre leblanchiment voulait mobiliser les opi-nions publiques et faire pression surles pouvoirs politiques. Hormis certai-nes avancées (par exemple la créationou le renforcement de cellules anti-blanchiment au Luxembourg, à Lon-dres et à Monaco), ces travaux butent

Dans l’objectif de lutter contre l’opacité des transactions finan-cières autour de la gestion des ressources naturelles, une cen-taine d’ONG (dont Survie) ont lancé la campagne « Publiez ceque vous payez » (Publish what you pay) en 2002. Destinée àcontraindre les compagnies extractives à publier les verse-

ments effectués aux gouvernements des pays dans lesquelselles opèrent, la coalition a notamment trouvé des partenaires

locaux au Nigeria, au Tchad, en Angola et surtout au Congo Brazza-ville, un pays où les enjeux de la rente pétrolière ont provoqué trois guer-

res civiles (entretenues par Elf). Depuis 2003, la coalition a notamment révélé les insuf-fisances de l’Initiative de Transparence dans les Industries Extractives (EITI) lancée parle Premier Ministre britannique Tony Blair qui, sur une base volontaire, invitent les gou-vernements et industries extractives à publier officiellement le détail des taxes, rede-vances et paiements effectués dans le cadre de l’exploitation des ressources naturelles.En juin 2005, l’ONG britannique Save the Children publiait un rapport intitulé « Dépas-ser la rhétorique, mesurer la transparence des revenus », un outil permettant de com-parer les degrés d’opacité dans les secteurs pétrolier et gazier. Il démontre par ailleursl’inefficacité des initiatives de transparence en l’absence d’une législation contrai-gnante dans les pays d’origine de ces entreprises extractives.EEnn ssaavvooiirr pplluuss ::Le site de la campagne «Publish what you pay» : www.publishwhatyoupay.orgLe site du collectif «TotalFinaElf ne doit pas faire la loi» : http://collectif-tfe.cedetim.org/La pièce de théâtre «Elf, la Pompe Afrique», une lecture du procès écrite et jouée parNicolas Lambert. Dates consultables sur www.charlie.noe.free.frLire : L’Envers de la Dette (Dossier noir n°16, 2001) et Les affaires sous la guerre (Dos-sier noir n°18, 2003) publiés par Agir Ici et Survie aux éditions Agone.

Zoo

m sur…Des

initiatives pour lutter

contre l’opacité

>

Page 32: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

3300

Lutt

er e

nsem

ble

cont

re l’

inju

stic

e fis

cale

et l

’impu

nité

contre un «mur d’argent» protégé parun milieu politique apparemmentcomplice. Depuis 2002, les procéduresengagées par la Mission contre le blan-chiment sont restées lettres mortes.Pourtant, si les acteurs dominants de lapolitique ou de l’économie souhai-taient réellement lutter contre lesparadis fiscaux, ils le pourraient.Contrairement aux discours qui pré-sentent les paradis fiscaux comme desterritoires « pirates », ces derniers sedéveloppent dans les faux plis de l’éco-nomie officielle et de la souverainetéde leur tuteur. Monaco est un confettisous tutelle française. Le Luxembourgpossède sur son territoire une mémoirede toutes les transactions internationa-les. Londres exerce une tutelle directesur les îles de Guernesey et Jersey ainsique, de façon moins ostensible, sur lesîles Vierges, les îles Caïman, etc. Dequoi dénicher la plupart des activitéscriminelles. Nous pourrions multiplierles exemples.

Mais transparence, régulation etcontrôle ne sont pas les valeurs propa-gées par le système internationalactuel. Comme le précise Jean de Mail-lard, « la finance moderne et la crimi-nalité organisée se renforcent mutuel-lement. Elles ont toutes les deuxbesoin, pour se développer, de l’aboli-tion des réglementations et de la sup-pression des contrôles étatiques. » Ence sens, il est illusoire de vouloir sup-primer le blanchiment d’argent, lagrande corruption, tout en maintenantces « zones d’opacité ». Ce qui est enjeu est la levée du secret bancaire,lorsqu’elle est requise par les juges,ainsi que la suppression des obstaclesà la coopération judiciaire entre Étatset/ou « territoires ».

Le dumping fiscal « par le bas » provo-qué par le jeu auxquels se livrent lesprincipaux acteurs commerciaux, ban-caires et économiques de la planète,ainsi que le développement sans pré-cédent de la criminalité mondiale,semblent donc se rejoindre dans unmême élan.

D’un côté, ses bénéficiaires sont peunombreux mais puissants : détenteursde capitaux, banquiers, intermédiairesfinanciers, criminels, trafiquants et ser-vices secrets en tout genre. La majeurepartie des classes dirigeantes et desacteurs dominants de l’économie tien-nent à développer ces zones de fisca-lité privilégiée et de secret bancaire.De l’autre, ses victimes sont légion, àtravers toute la planète : citoyens quisubissent les marées noires, les déloca-lisations sauvages, la coupe des bud-gets publics, la destruction des solida-rités construites par un siècle de luttessociales. Il est temps qu’un mouve-ment social fasse vaciller ce schématragique.

Enfin, la lutte contre les paradis fiscauxet judiciaires représente un espace derevendications similaires au Sudcomme au Nord, avec la volonté com-mune de financer la consolidation pro-gressive des biens publics à l’échellemondiale.

C’est pourquoi les paradis fiscaux etjudiciaires constituent l’un des thèmesmajeurs de la plate-forme des ONGfrançaises dans le cadre de la campa-gne pour les Objectifs de Développe-ment pour le Millénaire : «2005, Plusd’Excuse ! ».

Page 33: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

3311

Lutt

er e

nsem

ble

cont

re l’

inju

stic

e fis

cale

et l

’impu

nité

Dans le no man’s land politique de lutte contre les paradis fis-caux, il faut cependant mentionner l’existence du GAFI (Grouped’Action Financière contre le Blanchiment de capitaux).

Cet organisme rassemble des experts juridiques et financiers de31 pays membres, dont la France, le Canada, les États-Unis, le

Japon, mais aussi des paradis fiscaux comme le Luxembourg, laSuisse, Singapour... Ceux-ci ont rédigé 40 recommandations constituant un plan d’ac-tion complet pour lutter contre le blanchiment de capitaux. Mais cette structure estsans réel pouvoir, et la motivation des pays membres pour appliquer les recommanda-tions du GAFI reste très limitée. Tout en tenant un discours « antiblanchiment », le gou-vernement français a par exemple créé deux nouveaux paradis fiscaux près de la Gua-deloupe. Autre exemple : le GAFI a récemment retiré la Russie de sa liste des pays noncoopératifs en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Motif ? Le gouverne-ment russe a enfin voté une législation contre le blanchiment. Cependant, aucun sys-tème d’application de cette loi n’est mis en place. Notons que la « liste noire » du GAFI,qui comptait plus de 20 pays lors de sa création en juin 2000, n’inclut désormais quetrois pays, à savoir la Birmanie, Nauru et le Nigeria.Le rôle très superficiel du GAFI illustre la frilosité des gouvernements concernés à s’at-taquer au cœur du problème.

Zoom sur…

Le rôle superficiel

du GAFI

Les enjeux d’une campagne citoyenne

Une plate-forme Paradis Fiscaux etJudiciaires s’est créée dans le cadre dela campagne « 2005, PLUS D’EXCUSE!»lancée par 43 organisations françaises.

Cette plate-forme a lancé au premiersemestre 2005 une campagne d’inter-pellation des parlementaires français eteuropéens, notamment dans le cadrede la passation de la présidence euro-péenne du Luxembourg au Royaume-Uni lors du Sommet des 16 et 17 juin2005.Un colloque au parlement européenest envisagé au printemps 2006, enpartenariat avec les parlementaires,dans l’objectif que la Commissioneuropéenne prépare les textes de loispermettant de traiter cette problémati-que dans sa globalité et à troisniveaux :

Vis à vis des paradis fiscaux et judiciaires (PFJ) eux-mêmes

1 Suspendre toutes relations avec lesterritoires non-coopératifs, c’est-à-dire ceux qui refusent d’appliquer ouappliquent de manière purement vir-tuelle la coopération judiciaire inter-nationale en s’appuyant sur le secretbancaire.

2 Garantir un échange d’informationsautomatique et systématique enmatière fiscale entre la banque oul’institution financière qui reçoitpour le compte d’un client des inté-rêts ou constate des gains en capitalet les autorités compétentes de l’Étatoù réside le propriétaire du ditcompte.

Page 34: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

3322

Lutt

er e

nsem

ble

cont

re l’

inju

stic

e fis

cale

et l

’impu

nité

3 Obliger d’enregistrer, lors de la créa-tion d’un « Trust » (ou Fondation) dedroit anglais, le nom des différentesparties prenantes dans le pays où ilest constitué. Cet enregistrement etcette information, à destination uni-quement des autorités fiscales despays concernés, doivent s’accompa-gner de la divulgation des comptesdu Trust sur une base annuelle.

4 Faire adopter des programmesd’aide à la reconversion économiquedes centres off shore.

Vis à vis des circuits de paiementsinternationaux

Garantir la traçabilité des mouvementsde fonds et renforcer le contrôle dessociétés de compensation. L’anonymatrequis pour les transactions financièresne doit pas s’opposer à la communica-tion aux magistrats, aux polices judi-ciaires, aux douanes et aux administra-tions fiscales de l’identité des donneursd’ordres et des bénéficiaires, confor-mément à la « Déclaration de Paris »pour la traçabilité des flux financiers etle renforcement de la coopération judi-ciaire (déclaration du 8 février 2002par des parlementaires européens). Les moyens de vérification et l’entraidejudiciaire doivent être renforcés.

Vis à vis des sociétés multinationales

1 Interdire la prise en considération,par les autorités idoines des grandesplaces financières internationales,des comptes consolidés des sociétésqui n’auraient pas fait l’objet d’uncontrôle comptable dans l’ensembledes territoires où elles exercent desactivités. L’obligation doit être faiteaux sociétés cotées de déclarer, dansleurs comptes consolidés, les opéra-tions traitées avec les PFJ et leur jus-tification.

2 Autoriser l’administration fiscale àvérifier les comptes consolidés dessociétés multinationales, et notam-ment le retraitement des comptesinter-compagnies (c’est-à-dire entreles différentes entités du groupe).

3 Afin d’éviter les transferts de bénéfi-ces dans les sociétés opérant dansles PFJ, permettre aux autorités fisca-les des pays européens de requalifiercertaines facturations en analysantl’opération économique véritable quise cache derrière les apparences etde demander à l’entreprise d’appor-ter la preuve de sa bonne foi.

PPoouurr eenn ssaavvooiirr pplluuss :: www.2005plusdexcuses.orgLes enjeux d’une campagne citoyenne

Page 35: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

�� LLee ccaappiittaalliissmmee ccllaannddeessttiinn.. LL’’iilllluussooiirreerréégguullaattiioonn ddeess ppllaacceess ooffff sshhoorree, Thierry Gode-froy et Pierre Lascoumes, La découverte, 2004.

Une étude très précise du fonc-tionnement des paradis fiscauxet de la responsabilité desgrands États dans leur dévelop-pement. Sont égalementdétaillés les grands scandalesoù sont impliqués des centresoff shore. Cet ouvrage illustre

combien la tentative de lutter contre la crimi-nalité tout en maintenant les paradis fiscaux etjudiciaires est une illusion.

�� LLeess mmiilllliiaarrddss nnooiirrss dduu bbllaanncchhiimmeenntt,, Vin-cent Peillon, Hachette, 2004.

Un condensé des résultats de laMission d’information parle-mentaire française contre leblanchiment menée entre 1999et 2002. Ces enquêtes concer-nent le Liechtenstein, la Suisse,Monaco, le Luxembourg, la City

de Londres en enfin la France (surtout le Sud-Est). Notons que les rapports complets sontdisponibles sur le site Internet ou à la librairiede l’Assemblée nationale.

�� LLaa bbooîîttee nnooiirree, Denis Robert, Les arènes,2002.

Deuxième volet de l’enquêteconsacrée aux chambres decompensation internationale,pivots de l’économie mondiale,accusées de constituer ungigantesque centre de blanchi-ment. Ce livre fait suite à Révé-lation$ paru en 2001. Sa publi-

cation a créé une crise dans les milieux de lafinance internationale, en particulier auLuxembourg.

�� UUnn mmoonnddee ssaannss llooii,, LLaa ccrriimmiinnaalliittéé ffiinnaann--cciièèrree eenn iimmaaggeess,, Jean de Maillard et Pierre-Xavier Grézaud, Stock, 1998.

Un ouvrage très pédago-gique qui explique, pardes images et des sché-mas, les liaisons entre laplanète financière et la

grande délinquance, l’historique des paradisfiscaux, les trafics criminels et les techniquesde blanchiment. Indispensable.

�� LLee mmaarrcchhéé ffaaiitt ssaa llooii, Jean de Maillard,Mille et une nuits, 2001.

Le marché fait désormais sa loi.La criminalité est devenue unmode banal de formation deplus-value. Elle est l’une desactivités les plus rentables del’économie, et elle a pris unedimension planétaire.Établissant ce constat, Jean de

Maillard énumère toutes les raisons de s’in-quiéter de ce phénomène, de désespérer de lasituation et des difficultés de lutter... maisaussi d’espérer.

Pour aller (beaucoup) plus loin

UUnnee bbrroocchhuurree nn’’ééttaanntt ppaasseexxhhaauussttiivvee,, vvooiiccii qquueellqquueessoouuvvrraaggeess rreemmaarrqquuaabblleess qquuiivvoouuss ppeerrmmeettttrroonntt dd’’aapppprrooffoonnddiirr llee ssuujjeett..

Page 36: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir - Survie

BBllaanncchhiimmeenntt dd’’aarrggeenntt,, ccoorrrruupp--ttiioonn,, ttrraaffiiccss dd’’aarrmmeess oouu dd’’oorr--ggaanneess,, ffrraauuddeess ffiissccaalleess,, ppaavviill--

lloonnss ddee ccoommppllaaiissaannccee…… TToouutt jjuuggeedd’’iinnssttrruuccttiioonn oouu jjoouurrnnaalliissttee hhoonn--nnêêttee,, ttoouutt mmiilliittaanntt ddee llaa ssoolliiddaarriittééiinntteerrnnaattiioonnaallee oouu ddee ll’’ééccoollooggiiee,,ttoouutt hhuummaanniissttee ddééssiirraanntt uunnee ttrraannss--ffoorrmmaattiioonn ssoocciiaallee,, ttrroouuvvee ssuurr ssaarroouuttee ll’’oobbssttaaccllee ddeess ppaarraaddiiss ffiissccaauuxxeett jjuuddiicciiaaiirreess.. ÀÀ ll’’uussuurree eett ssuurr uunneeggrraannddee éécchheellllee,, cceess««zzoonneess dd’’ooppaacciittéé»» ddéé--ttrruuiisseenntt lleess mmooyyeennss ddeerrééssiissttaannccee ddee llaa JJuussttiiccee,,ffaavvoorriisseenntt lleess mmoouuvvee--mmeennttss ddee ccrriimmiinnaalliittééppoolliittiiqquuee eett ééccoonnoommii--qquuee,, ssaabboorrddeenntt lleesseessppooiirrss ddee ddéémmooccrraattiiee..LLeess ppaarraaddiiss ffiissccaauuxx ssoonnttiimmpplliiqquuééss ddaannss ttoouuss lleess

ssccaannddaalleess qquuii oonntt ddééffrraayyéé llaa cchhrroo--nniiqquuee ddee cceess ddeerrnniièèrreess aannnnééeess..SSoouuvveennoonnss--nnoouuss :: aaffffaaiirreess ««EEllff»»,,««EEnnrroonn»»,, mmaaiiss aauussssii nnaauuffrraaggeess dduuPPrreessttiiggee oouu ddee ll’’EErriikkaa,, lliicceenncciiee--mmeennttss ssaauuvvaaggeess ddee MMeettaalleeuurroopp,,eettcc.. LLeess ppaarraaddiiss ffiissccaauuxx aaccccoommppaaggnneennttllaa mmoonnddiiaalliissaattiioonn ddee llaa ccrriimmiinnaalliittééppoolliittiiqquuee eett ééccoonnoommiiqquuee..

MMaaiiss ccee qquuee nnoouussssaavvoonnss mmooiinnss,, cc’’eesstt lleeuurriimmppoorrttaannccee ddaannss ll’’ééccoo--nnoommiiee ««llééggaallee»».. LLeessppaarraaddiiss ffiissccaauuxx ssoonnttddeevveennuuss uunn rroouuaaggee cceenn--ttrraall dduu ssyyssttèèmmee ffiinnaann--cciieerr iinntteerrnnaattiioonnaall.. IIllssppeerrmmeetttteenntt aauuxx eennttrree--pprriisseess eett ÉÉttaattss ddeeccoonnttoouurrnneerr ttoouuss lleess ddiiss--ppoossiittiiffss ddee rréégguullaattiioonn eettddee pprrootteeccttiioonn ssoocciiaallee..

PRIX : 3 €

Cette brochure vise à fournir des outils de compréhension et d’argumentation sur lesparadis fiscaux et leurs conséquences, au Nord comme au Sud. Elle présente égale-ment une série de propositions sur lesquelles interpeller citoyens et pouvoirs publicsfrançais, en lien avec la campagne menée par la plate-forme des ONG françaises pourles Objectifs de Développement du Millénaire : «2005, Plus d’Excuse!», dont les para-dis fiscaux et judiciaires constituent l’un des thèmes majeurs.

221100 rruuee SStt MMaarrttiinn 7755000033 PPAARRIISSTTééll.. :: ((3333--11)) 4444 6611 0033 2255 -- FFaaxx :: ((3333--11)) 4444 6611 0033 2200

http://www.survie-france.org