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MÉMENTO N°454 I MARS 2017 62 DOSSIER TRADITION CULTURELLE LA RÉVOLUTION CULTURELLE DE CAFÉ LE LION Christian Pelissier est directeur de la SICRE, société fabricant le “Café le lion”, à La Réunion. Mais il a surtout l’ADN de la restructuration en plus d’un cursus plus que convaincant en marketing et en management. C’est pour ses qualités d’expert, que Téréos fait appel à lui, en 2015 pour relancer la marque au jus noir. L’image serait presqu’emblématique d’une tradition culturelle à l’île de La Réunion : celle du café fumant, dans une “grègue” (1) sur la table, autour de laquelle trois généra- tions se confondent. Un tableau qui n’est pas si loin de la réalité, puisque partout où l’on passe les hôtes convient au café, à partager “un petit noir” . Ici, dans les Hauts, le café se boit (toujours) grillé, non torréfié : une pra- tique vieille de plusieurs siècles, quand le grain venait encore de Madagascar. Si désormais les griffes internationales ont envahi les rayons des supermarchés, un café reste lié à l’ile et à ses habitants : le Café le lion (2). Café torréfié, moulu et conditionné localement, il fut longtemps associé à son goût amer. Mais “l’or noir” est un marché en pleine expansion, et de 70 % de part de mar- ché, la marque décline à 30 % face à l’arrivée des capsules et autres déclinaisons de goûts et d’intensité. Une décadence qui se lit d’ailleurs dans son histoire : propriété de Vindémia, SICRE (société Industrielle des cafés de La Réu- nion) passe tour à tour à Quartier Français puis à Téréos, qui cherche à son tour à s’en défaire. En 2015, la donne change. Téréos (3) fait appel à Christian Pelissier, actuel Direc- teur de la SICRE, réputé pour son ADN de la restructuration des entreprises et flanqué d’un cursus plus que convaincant en mar- keting et management. “Le groupe a finale- ment jugé que le lion était une belle marque, certes vieillissante mais avec du potentiel, et qui présentait un intérêt en termes d’image” explique Christian Pelissier. Sur le départ de Mascarin, Christian Pelissier affiche d’entrée un plan de développement straté- gique ambitieux. “Le lion se réveille et part en chasse” dit-on. SICRE décide ainsi de revoir la griffe sur tous les plans : développement, industriel, mar- keting et communication. Le premier défi est de taille : changer l’image. “Il fallait casser les codes, l’imaginaire, sans perdre l’affectif passé tout en pensant à un développement qualitatif ” . Après avoir négocié avec Nestlé, l’autorisation d’utiliser l’image du Lion (4), l’agence HTC est chargée de trouver la nou- velle signature. “La force, la sérénité et la puissance tel est le message subliminal désormais porté par le Café le lion, qui regarde droit devant, avec des traits intemporels, une écriture manuscrite qui fait la jonction entre le passé, le présent et l’avenir” s’en- thousiasme le Directeur. L’audace paye, les retours sur les ventes se font sen- tir et la critique est bonne, voire excellente. Pour au- tant, il ne s’agissait que des prémices d’une lutte, dans laquelle le Roi devait retrouver sa place. À l’époque, SICRE n’avait que deux clients : Vindéma et Mascarin. “Il fallait rompre cela, et renégocier tous les contrats avec la distri- bution et les grossistes” poursuit Christian Pelissier. Le Café le lion se réapproprie son dessein. La révolution est en marche. Or, si Prendre un café c’est se poser, entre amis ou en famille, dans le calme ou en plein cœur du tumulte de la ville, de savourer l’instant

TRADITION CULTURELLE LA RÉVOLUTION CULTURELLE DE CAFÉ …€¦ · Après un Speed-dating de Café le lion au restaurant le Mahé à Saint-Denis, lors de la Saint-Valentin, la société

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MÉMENTO N°454 I MARS 201762

DOSSIER

TRADITION CULTURELLE

LA RÉVOLUTION CULTURELLE DE CAFÉ LE LIONChristian Pelissier est directeur de la SICRE, société fabricant le “Café le lion”, à La Réunion. Mais il a surtout l’ADN de la restructuration en plus d’un cursus plus que convaincant en marketing et en management. C’est pour ses qualités d’expert, que Téréos fait appel à lui, en 2015 pour relancer la marque au jus noir.

L’image serait presqu’emblématique d’une tradition culturelle à l’île de La Réunion : celle du café fumant, dans une “grègue” (1) sur la table, autour de laquelle trois généra-tions se confondent. Un tableau qui n’est pas si loin de la réalité, puisque partout où l’on passe les hôtes convient au café, à partager “un petit noir”. Ici, dans les Hauts, le café se boit (toujours) grillé, non torréfié : une pra-tique vieille de plusieurs siècles, quand le grain venait encore de Madagascar.

Si désormais les griffes internationales ont envahi les rayons des supermarchés, un café reste lié à l’ile et à ses habitants : le Café le lion (2). Café torréfié, moulu et conditionné localement, il fut longtemps associé à son goût amer. Mais “l’or noir” est un marché en pleine expansion, et de 70 % de part de mar-ché, la marque décline à 30 % face à l’arrivée des capsules et autres déclinaisons de goûts et d’intensité.

Une décadence qui se lit d’ailleurs dans son histoire : propriété de Vindémia, SICRE (société Industrielle des cafés de La Réu-nion) passe tour à tour à Quartier Français puis à Téréos, qui cherche à son tour à s’en défaire. En 2015, la donne change. Téréos (3)

fait appel à Christian Pelissier, actuel Direc-teur de la SICRE, réputé pour son ADN de la restructuration des entreprises et flanqué d’un cursus plus que convaincant en mar-keting et management. “Le groupe a finale-ment jugé que le lion était une belle marque, certes vieillissante mais avec du potentiel, et qui présentait un intérêt en termes d’image” explique Christian Pelissier. Sur le départ

de Mascarin, Christian Pelissier affiche d’entrée un plan de développement straté-gique ambitieux.

“Le lion se réveille et part en chasse” dit-on. SICRE décide ainsi de revoir la griffe sur tous les plans : développement, industriel, mar-keting et communication. Le premier défi est de taille : changer l’image. “Il fallait casser

les codes, l’imaginaire, sans perdre l’affectif passé tout en pensant à un développement qualitatif”. Après avoir négocié avec Nestlé, l’autorisation d’utiliser l’image du Lion (4), l’agence HTC est chargée de trouver la nou-velle signature.

“La force, la sérénité et la puissance tel est le message subliminal désormais porté par le Café le lion, qui regarde droit devant, avec

des traits intemporels, une écriture manuscrite qui fait la jonction entre le passé, le présent et l’avenir” s’en-thousiasme le Directeur. L’audace paye, les retours sur les ventes se font sen-tir et la critique est bonne, voire excellente. Pour au-tant, il ne s’agissait que des

prémices d’une lutte, dans laquelle le Roi devait retrouver sa place.

À l’époque, SICRE n’avait que deux clients : Vindéma et Mascarin. “Il fallait rompre cela, et renégocier tous les contrats avec la distri-bution et les grossistes” poursuit Christian Pelissier. Le Café le lion se réapproprie son dessein. La révolution est en marche. Or, si

Prendre un café c’est se poser, entre amis ou en famille, dans le calme ou en plein cœur du tumulte de la ville, de savourer l’instant

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SICRE est parvenu à faire accepter aux Réu-nionnais fidèles, l’identité nouvelle et visible de Café le lion, - le contenant, le café se devait lui aussi d’être bouleversé. “Depuis 10 ans déjà, le café travaillait son goût” reprend Christian Pelissier. Les grains viennent désormais d’Éthiopie, de Colombie, de Cameroun et du Vietnam. Mais encore une fois, l’insularité de l’île révèle des enjeux : “il fallait sécuriser la marchandise, et pour cela il a fallu investir”.

Le Café le lion réaffirme sa position sur le marchéLe site possède désormais 4 silos d’une capacité de stockage de 110 tonnes de café : terminé l’effet néfaste du transport et de l’humidité, la tâche douloureuse de manu-tention, désormais tout est automatisé. Le silo devient le gage d’une qualité supérieure, d’un café qui reste stable comme avec le nouveau torréfacteur. Avec une qualité de grillade supérieure ainsi que la possibilité de mélange de café arabica et robusta le tout pour un dosage au gramme prêt, l’ascension en gamme devient concrète.

“Il était évident que pour asseoir notre déve-loppement, il nous fallait investir dans l’équi-pement industriel. Deux millions d’euros y sont consacrés sur trois ans. C’est un gage d’optimisme et de confiance dans l’avenir car nous avons un devoir envers les Réunionnais, nous développer économiquement en créant de la valeur ajoutée” soutient le Directeur de SICRE.

Le Café le lion se réaffirme comme l’acteur historique majeur du marché local du

Chez Café Le Lion, deux torréfacteurs professionnels dotés de plusieurs années d’expériences dans ce domaine, qui donnent au café une valeur ajoutée. © Photo Pierre Marchal

Les Bobines, pour la nouvelle

signature de la marque, ont été le premier

investissement d’un chantier colossal. ©

Photo Pierre Marchal

En 2015, Téréos fait appel à Christian Pelissier, actuel Directeur de la SICRE, réputé pour son ADN de la restructuration des entreprises, pour relancer la marque. © Photo Luc Ollivier

Unidoses, capsules et dosettes sont les nouveaux tremplins d’un marché du café en pleine expansion. © Photo Pierre Marchal

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DOSSIER

café, comme le seul professionnel local ayant un passé avec une culture, un réel-savoir-faire lui donnant ainsi toute légi-timité pour agir concrètement. Si les inves-tissements se font en coulisses, les résultats se font auprès des consommateurs.

À l’image de nombreux industriels de l’île de La Réunion, SICRE n’a qu’un seul désir : se battre contre l’importation. “Développer notre produit phare et augmenter la gamme nous permet de nous positionner comme un intervenant important, dynamique et fi able”. L’off re du Café le lion se veut transversale et complète.

Le client (et son mode de consommation) a changé et même si la place du café moulu reste importante à La Réunion, notamment chez les séniors, les nouvelles générations tentent et testent. Unidoses, capsules et dosettes sont les nouveaux tremplins d’un marché du café en pleine expansion. Ajou-tez à cette tendance le retard en termes de consommation de café des Réunionnais (2 Kg de moins qu’en Métropole), mettez en parallèle l’exemple du vin ou du pain, sur lesquels il n’aura fallu que quinze ans à l’île pour rattraper son retard, et l’équation donne encore dix ans de perspective de progression au café. Le Café Le Lion Moulu, Grand Tradition, Vanille, bientôt un grand CRÜ, les dosettes souples, les capsules mais aussi en grain (marché de spécialiste en forte demande), l’ambition de manque pas. Néanmoins, y être est une chose, se dif-férencier en est une autre.

Un an aura suffi à l’implacable PelissierPour le marché des capsules, par exemple, quand tous se tuent à réaliser des capsules en polypropylène, très dures, et qui abîment souvent la machine du concepteur de réfé-rence (Nespresso), Le Café le lion est le seul à proposer des capsules thermoformées, barrières, souples avec un opercule en alu-minium qui “a la particularité de mieux pré-server le café du risque d’oxydation et ce pen-dant 18 mois ainsi que les machines” insiste Christian Pelissier.

Au cours de 2017 suivront les sticks, le café soluble mais aussi les Capsules compa-tibles Dolce Gusto. La puissance et la qua-lité n’aura plus rien à prouver, puisqu’elles sont d’ores et déjà établies. “Je rappelle que la modernisation de l’outil industriel, le reposi-tionnement de la marque, le développement de l’off re avec des nouveautés, la distribution commerciale en propre, tout cela s’est fait en un an” se targue le Directeur de SICRE. “C’est un chantier colossal sur lequel il fallait faire vite et travailler juste”.

En est-il fi ni pour autant ? Loin s’en faut. Le challenge prend maintenant la forme du marketing, faire connaître les produits aux Réunionnais avant tout, ailleurs après. Après un Speed-dating de Café le lion au restaurant le Mahé à Saint-Denis, lors de la Saint-Valentin, la société envisage un Street dating avec une immense machine expresso en plein centre-ville, rue Maréchal Leclerc ainsi qu’à Saint-Pierre et d’une chasse au tré-

sor au cours de l’année pour gagner le droit d’aller rencontrer le Roi lion sur ses terres en Afrique. “Il est évident que le but premier est de créer “le buzz”, de faire parler de nous. Il s’agit surtout de retourner au fondamentaux”. Lesquels sont le partage, la rencontre et la convivialité.

Prendre un café c’est se poser, entre amis ou en famille, dans le calme ou en plein cœur du tumulte de la ville, de savourer l’instant, c’est aussi l’occasion de se rencontrer, de se retrouver, de discuter, de prendre le temps d’observer le monde à travers le prisme de sa tasse, prendre le temps de vivre.

“Partageons la Réunion, Partageons un café le lion” est d’ailleurs le nouveau leit-motiv de la société, qui montre bien qu’à La Réunion, la culture du café et la tradition du partage sont encore bien ancrées.

La Category Manager :l’avenir du marketing terrainSi SICRE montre qu’il encore possible à La Réunion de révolutionner l’industrie, de la performer, via une réelle “restructuration”, elle n’en oublie pas pour autant l’aspect humain. “Soit, il y a eu optimisation et auto-matisation, mais nous n’avons débaucher personne, au contraire, d’un eff ectif de 7 nous sommes passés à 13 et ce n’est certainement pas terminé” assure Christian Pelissier.

En témoigne la nouvelle embauche d’une “Category Manager” (ainsi que l’investisse-ment d’un logiciel de Merchandising), qui aura pour rôle de proposer aux distributeurs une véritable étude linéaire (rendement,

rentabilité) du café et ce avec des plans d’implantation digitalisés. “C’est une façon de prendre position, de conseiller, d’avoir des preuves chiff rées de la valeur et de la qualité produit afi n de mieux répondre aux attentes conjointes des Distributeurs et des Consom-mateurs” insiste le directeur.

Après seulement deux ans à la tête de SICRE, Christian Pélissier laisse sa place de Directeur, confi ant sur l’avenir de cette magnifi que et emblématique Marque. “Je suis arrivé avec une belle expérience, je l’ai enrichie et partagée” confie-t-il. De plus l’équipe de Café le lion est Professionnelle, motivée et impliquée. C’est donc de manière lucide et raisonnée qu’il passe le relais à Sébastien Caput, d’Unilever qui reprendra, dès le mois d’avril, le poste de Directeur à la place de Christian Pelissier qui continuera d’accompagner SICRE quelques mois en-core en tant que conseiller.

“S’il est vrai que j’ai une culture industrielle et marketing, j’ai surtout une culture du pro-duit et du résultat”. Sur ce constat, il peut par-tir serin, le défi est relevé.

(1) Cafetière italienne(2) Le café le lion est une marque Réunionnaise créée en 1966, forte de 50 années d’expériences aujourd’hui. Le Café le lion a fortement contribué au développement de la consommation du café à La Réunion. Sans concurrence réelle, elle n’a pas su se remettre en cause pour accompagner l’évolution du marché.(3) Le groupe Téréos Océan Indien est le troisième sucrier Mondial, également très présent sur le marché de l’amidon et des céréales.(4) Le Lion est une marque de snacking déposée par Nestlé avec en particulier l’image de la tête de lion.

Le site possède désormais 4 silos d’une capacité de stockage de 110 tonnes de café. © Photo Luc Ollivier