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26 | La Lettre du Pneumologue Vol. XV - n° 1-2 - janvier-février-mars-avril 2012 DOSSIER THÉMATIQUE Tuberculose Traitement de la tuberculose maladie dans les populations particulières Treatment of tuberculosis in special populations P. Fraisse*, C. Barnig**, D. Bazin*** * Coordonnateur du groupe tubercu- lose de la Société de pneumologie de langue française, service de pneumo- logie, Nouvel hôpital civil, Strasbourg. ** Service de pneumologie, Nouvel hôpital civil, Strasbourg. *** Service de néphrologie-hémo- dialyse (Pr T. Hannedouche), Nouvel hôpital civil, Strasbourg. L e traitement de la tuberculose fait appel à plusieurs antibiotiques antituberculeux admi- nistrés simultanément, à distance des repas, chaque jour et pour une durée déterminée (1-4). Le traitement standard est constitué d’une phase d’attaque comportant 4 antituberculeux (isoniazide, rifampicine, pyrazinamide et éthambutol durant 2 mois), puis d’une phase d’entretien avec 2 antitu- berculeux (isoniazide et rifampicine durant 4 mois). Les conditions de son succès sont une prescription conforme, une observance suffisante favorisée par l’éducation thérapeutique et la disponibilité continue des traitements. L’avis d’un spécialiste est recommandé (2, 5). La prise en charge des effets indésirables des antituberculeux a été détaillée dans une revue récente (6). Dans certaines popu- lations, le traitement ne peut pas être standard du fait des modifications de la pharmacocinétique des antituberculeux, d’effets indésirables attendus ou aléatoires ou encore de résistances (1-3). Nous envi- sageons ici 5 situations particulières, dans le cas de bacilles sensibles aux antituberculeux. Allergies aux antituberculeux L’allergie aux antituberculeux est un souci fréquent des cliniciens et la survenue de manifestations d’hy- persensibilité après l’administration d’antitubercu- leux reste un des effets secondaires imprévisibles. Les réactions d’hypersensibilité vis-à-vis des anti- tuberculeux majeurs apparaissent chez environ 4 à 5 % des patients traités, la plupart du temps dans les 2 premiers mois du traitement (7). Les atteintes cutanées sont de loin les plus fréquentes, principalement des rashs cutanés (7-9). Tous les antituberculeux peuvent être impliqués, mais c’est le pyrazinamide qui est le plus souvent responsable de ces manifestations cutanées (7, 9). Les accidents allergiques IgE-dépendantes, survenant dans l’heure qui suit la dernière prise du médicament, sont rares et c’est cette fois la rifampicine qui est l’antitubercu- leux le plus fréquemment incriminé (10, 11). Il s’agit généralement de réactions cutanées urticariennes, et l’anaphylaxie est exceptionnelle (7, 11). Les facteurs de risque sont l’appartenance au sexe féminin (7). Les patients immunodéprimés, notam- ment les sujets séropositifs pour le VIH, sont égale- ment plus à risque de développer des manifestations d’hypersensibilité (7). À l’opposé, l’atopie et les anté- cédents allergiques ne sont pas reconnus comme facteurs de risque (12). La prise en charge des réactions d’hypersensibilité reste complexe. L’arrêt des molécules et le chan- gement du traitement exposent au risque de résis- tances bactériennes des souches aux médicaments. La Société de pneumologie de langue française (SPLF) recommande d’interrompre le traitement en cas d’atteinte cutanéomuqueuse sévère avec réaction générale, mais non pas en cas d’érythème simple (13). Dans cette situation sans critère de gravité, le pirilène est le plus souvent l’agent respon- sable et celui qui est interrompu en pratique. Néan- moins, il convient de garder à l’esprit que l’évolution peut rester imprévisible, même en cas d’érythème simple pouvant conduire à l’arrêt de tous les anti- tuberculeux. Le bilan allergologique devra idéale- ment être réalisé en milieu spécialisé pour identifier

Traitement de la tuberculose maladie dans les populations ... · voire jusqu’à 33% (selon les populations à risque d’intolérance) des traitements complets (35). La conduite

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26 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XV - n° 1-2 - janvier-février-mars-avril 2012

DOSSIER THÉMATIQUETuberculose

Traitement de la tuberculose maladie dans les populations particulièresTreatment of tuberculosis in special populations

P. Fraisse*, C. Barnig**, D. Bazin***

* Coordonnateur du groupe tubercu-lose de la Société de pneumologie de langue française, service de pneumo-logie, Nouvel hôpital civil, Strasbourg.

** Service de pneumologie, Nouvel hôpital civil, Strasbourg.

*** Service de néphrologie-hémo-dialyse (Pr T. Hannedouche), Nouvel hôpital civil, Strasbourg.

Le traitement de la tuberculose fait appel à plusieurs antibiotiques antituberculeux admi-nistrés simultanément, à distance des repas,

chaque jour et pour une durée déterminée (1-4). Le traitement standard est constitué d’une phase d’attaque comportant 4 antituberculeux (isoniazide, rifampicine, pyrazinamide et éthambutol durant 2 mois), puis d’une phase d’entretien avec 2 antitu-berculeux (isoniazide et rifampicine durant 4 mois). Les conditions de son succès sont une prescription conforme, une observance suffisante favorisée par l’éducation thérapeutique et la disponibilité continue des traitements. L’avis d’un spécialiste est recommandé (2, 5). La prise en charge des effets indésirables des antituberculeux a été détaillée dans une revue récente (6). Dans certaines popu-lations, le traitement ne peut pas être standard du fait des modifications de la pharmacocinétique des antituberculeux, d’effets indésirables attendus ou aléatoires ou encore de résistances (1-3). Nous envi-sageons ici 5 situations particulières, dans le cas de bacilles sensibles aux antituberculeux.

Allergies aux antituberculeux

L’allergie aux antituberculeux est un souci fréquent des cliniciens et la survenue de manifestations d’hy-persensibilité après l’administration d’antitubercu-leux reste un des effets secondaires imprévisibles. Les réactions d’hypersensibilité vis-à-vis des anti-tuberculeux majeurs apparaissent chez environ 4 à 5 % des patients traités, la plupart du temps dans les 2 premiers mois du traitement (7). Les

atteintes cutanées sont de loin les plus fréquentes, principalement des rashs cutanés (7-9). Tous les antituberculeux peuvent être impliqués, mais c’est le pyrazinamide qui est le plus souvent responsable de ces manifestations cutanées (7, 9). Les accidents allergiques IgE-dépendantes, survenant dans l’heure qui suit la dernière prise du médicament, sont rares et c’est cette fois la rifampicine qui est l’antitubercu-leux le plus fréquemment incriminé (10, 11). Il s’agit généralement de réactions cutanées urticariennes, et l’anaphylaxie est exceptionnelle (7, 11). Les facteurs de risque sont l’appartenance au sexe féminin (7). Les patients immunodéprimés, notam-ment les sujets séropositifs pour le VIH, sont égale-ment plus à risque de développer des manifestations d’hypersensibilité (7). À l’opposé, l’atopie et les anté-cédents allergiques ne sont pas reconnus comme facteurs de risque (12). La prise en charge des réactions d’hypersensibilité reste complexe. L’arrêt des molécules et le chan-gement du traitement exposent au risque de résis-tances bactériennes des souches aux médicaments. La Société de pneumologie de langue française (SPLF) recommande d’interrompre le traitement en cas d’atteinte cutanéomuqueuse sévère avec réaction générale, mais non pas en cas d’érythème simple (13). Dans cette situation sans critère de gravité, le pirilène est le plus souvent l’agent respon-sable et celui qui est interrompu en pratique. Néan-moins, il convient de garder à l’esprit que l’évolution peut rester imprévisible, même en cas d’érythème simple pouvant conduire à l’arrêt de tous les anti-tuberculeux. Le bilan allergologique devra idéale-ment être réalisé en milieu spécialisé pour identifier

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Points forts » Le traitement standard de la tuberculose est bien codifié. » Dans certaines populations, le traitement ne peut pas être standard, du fait des modifications

de la pharmacocinétique des antituberculeux, d’effets indésirables attendus ou aléatoires ou encore de résistances.

» L’allergie aux antituberculeux, la grossesse et l’allaitement, les maladies hépatiques ou la toxicité hépatique des antituberculeux, l’insuffisance rénale ou le grand âge demandent une conduite à tenir particulière.

Mots-clésAntituberculeuxTuberculoseGrossessePersonnes âgéesAllergieInsuffisance rénale

Highlights » The treatment of tuberculosis

includes an initial phase during two months using four antitu-berculous drugs (isonia zid, ethambutol, rifampin and pyrazinamid), then a continu-ation phase using rifampin and isoniazid during four months. In special situations, this standard treatment cannot be undergone or maintained due to an altera-tion of the pharmacokinetics of antituberculous drugs, side effects or resistances.

» Such situations include allergy, pregnancy or breast-feeding, liver diseases or hepatic toxicity, renal insuf-ficiency and elderly patients.

KeywordsAntituberculous drugs

Tuberculosis

Pregnancy

Elderly persons

Allergy

Renal insufficiency

le médicament en cause et proposer une prise en charge rapide et efficace. Les tests cutanés (prick-tests et intradermoréactions) sont recommandés, mais ils sont difficiles à interpréter et leur validité n’est pas clairement établie (10, 11). Dans quelques cas, des IgE positives vis-à-vis de la rifampicine et de l’isoniazide ont été retrouvées, mais il n’existe pas de dosage d’IgE spécifiques vis-à-vis des différentes molécules possible en routine.Différentes conduites à tenir peuvent être proposées :

➤ administrer un autre traitement d’efficacité équi-valente avec des médicaments sans rapport molé-culaire avec le traitement initial, ce qui est difficile dans le traitement de la tuberculose ;

➤ réintroduire séparément les antibiotiques en milieu hospitalier, avec, en dernier, celui qui paraît le plus en cause. Ces tests de provocation doivent être réalisés en milieu spécialisé par des équipes expérimentées, afin de s’assurer des meilleures conditions de sécurité ;

➤ en cas de confirmation d’hypersensibilité à l’un des médicaments antituberculeux, une désensibi-lisation ou une induction de tolérance peut être proposée (14). Cette procédure, qui est à risque, n’est envisageable que chez des sujets ayant une hypersensibilité immédiate de type IgE dépendante et devrait idéalement être réalisée en centre spécia-lisé. La désensibilisation a démontré son efficacité quel que soit l’antituberculeux concerné (14-16). En fonction du tableau clinique et devant la nécessité absolue de traiter, la désensibilisation peut être envi-sagée d’emblée avec le traitement complet, sans avoir confirmé préalablement le médicament en cause (17).

Traitement de la tuberculose chez la femme enceinte ou allaitanteIl est essentiel de traiter la tuberculose dans l’in-térêt de la patiente (18, 19), de l’enfant (20) et de l’entourage (2, 3). La grossesse ne doit pas être interrompue du fait de la tuberculose ni de son traitement. Celui-ci est au mieux accompagné par une éducation thérapeutique et la collaboration des professionnels impliqués dans le suivi de la grossesse ou de l’accouchement.

Le traitement recommandé aux États-Unis est une triple association sans pyrazinamide pendant 3 mois, puis une double (isoniazide et rifampicine) pendant 6 mois (3). Le même schéma est préconisé en France où il est demandé de vérifier la possibilité d’une grossesse pour ne pas utiliser de pyrazinamide dans ce cas (5). Bien que ces antibiotiques passent la barrière placentaire (3), les 4 antituberculeux standard administrés durant la grossesse n’ont pas provoqué d’anomalies de l’enfant (2, 21-27). L’OMS recommande donc un traitement standard sans omettre la pyrazinamide (28). Aussi la SPLF a-t-elle souhaité que les restrictions portant sur l’usage de la pyrazinamide en France pendant la grossesse soient levées (2). Les aminosides sont contre-indiqués (2, 3).L’adjonction de pyridoxine chez la mère ou l’enfant est recommandée en prévention des neuropathies (2, 3, 5) bien que Le Dictionnaire Vidal® mentionne une restriction de l’utilisation de cette vitamine pendant la grossesse et l’allaitement.L’allaitement n’est déconseillé ni par la SPLF (2), ni par l’OMS (28), ni aux États-Unis (3) en l’absence d’une mastite tuberculeuse, mais la quantité d’antituber-culeux présente dans le lait maternel ne serait pas suffisante pour prévenir ou traiter une tuberculose de l’enfant. Le risque de transmission des bacilles du fait de la proximité de l’enfant au cours de l’allaitement est un inconvénient à considérer à moins que le lait ne soit extrait pour être administré séparément à l’enfant.Les effets indésirables des antituberculeux plus fréquents pendant la grossesse ou le post-partum sont la toxicité hépatique ou les neuropathies ; les nausées liées à la grossesse peuvent être confon-dues avec un effet indésirable du traitement. La surveillance biologique notamment hépatique sera conforme au parcours de soins recommandé en France (5). Le Dictionnaire Vidal® mentionne, pour la mère et l’enfant, le risque d’hémorragies secon-daires à la rifampicine en fin de grossesse, à prévenir par l’administration de vitamine K ; cette précaution n’est pas reprise dans les recommandations.Dans le cas d’une tuberculose transmissible, les mesures de “précaution air” seront appliquées à l’entourage, se déclinant selon l’occurrence de la maladie pendant la grossesse, durant ou après l’ac-couchement (29). Le suivi des sujets contact et le

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DOSSIER THÉMATIQUETuberculose Traitement de la tuberculose maladie dans les populations particulières

traitement des infections tuberculeuses latentes, et notamment des enfants de moins de 2 ans, ont été définis par le Conseil supérieur d’hygiène publique de France (30, 31) et la SPLF (13). S’il n’est pas infecté, l’enfant bénéficiera d’une vaccination par le BCG (32).

Patients atteints d’insuffisance hépatique

En cas d’anomalie hépatique constatée au moment du diagnostic, on doit envisager une atteinte préexis-tante (hépatite virale, cirrhose) ou une localisation de la tuberculose (miliaire, compression du canal cholédoque) [2]. Ces malades posent le problème du métabolisme hépatique des antituberculeux et de leur toxicité hépatique dont la fréquence et les consé-quences sont plus graves. La présentation clinique des tuberculoses est potentiellement atypique avec davantage de localisations extrarespiratoires (33). L’isoniazide est acétylé par le foie en N-acétyliso-niazide, puis transformé en diacétylhydrazine et monoacétylhydrazine (non toxique) [34, 35]. Le taux d’acétylation est génétiquement déterminé avec un risque d’hépatotoxicité plus fréquente (36, 37) et plus grave (38) chez les patients acétyleurs lents. L’élimination est principalement urinaire (34). Le métabolisme de la rifampicine est essentiellement hépatique, moins de 25 % du médicament étant éliminés sans changement dans les urines (39). Si l’éthambutol est partiellement métabolisé par le foie en un dérivé dicarboxylique, la majorité de son excrétion est urinaire (40). La pyrazinamide est métabolisée par le foie en acide pyrazinoïque, lequel est excrété par le rein (41). Les dosages sanguins de l’isoniazide, de la rifampicine et de l’éthambutol sont en général possibles. Les signes d’hépatotoxicité des antituberculeux doivent être portés à la connaissance des patients (au mieux figurer sur l’ordonnance) afin qu’ils consultent rapidement en cas de besoin ; la surveillance des transaminases hépatiques est recommandée en France (5). Si les 4 antituberculeux du traitement standard ont une toxicité hépatique potentielle, celle-ci est principalement secondaire à la pyrazi-namide, à l’isoniazide et à l’association isoniazide-rifampicine (2, 35, 42). Une hépatite symptomatique a été notée dans 0,1 à 1 % des traitements par isoniazide (le plus souvent en monothérapie des infections latentes), justifiant une hospitalisation dans 0,01 à 0,02 % des traitements (35). Une élévation des transaminases au-dessus de 3 fois la

normale a été relevée dans 0,6 à 2,7 % des traite-ments multiples (2) et a été constatée dans 5 %, voire jusqu’à 33 % (selon les populations à risque d’intolérance) des traitements complets (35). La conduite à tenir a été définie dans les recomman-dations (2, 3, 35) :– en cas d’élévation des transaminases, répéter leur dosage toutes les 48 heures ; – si les transaminases demeurent élevées (jusqu’à 3 fois la normale, et sans symptôme clinique), une surveillance hebdomadaire sera mise en place ; – si leur concentration atteint 6 fois la normale, le traitement entier sera interrompu au moins 48 heures et on cherchera une hépatopathie pouvant majorer la toxicité du traitement. Celui-ci sera repris progressivement, en commençant par une dose de 3 mg/kg/j d’isoniazide dans le cadre d’une trithé-rapie sans pyrazinamide (une fluoroquinolone peut être ajoutée dans les formes très bacillifères), puis en augmentant la posologie d’isoniazide par paliers jusqu’à la normale. Pour l’ATS, le traitement devrait être repris de manière séquentielle (en commençant par les molécules les moins hépatotoxiques). Une insuffisance hépatique aiguë, alors que les tests hépatiques étaient normaux avant traitement, est possible, et peut conduire à l’indication d’une trans-plantation hépatique (43, 44) ; ces complications exceptionnelles, pouvant survenir dès les premières semaines du traitement, sont souvent associées à la poursuite du traitement malgré des signes cliniques d’alerte, de la pyrazinamide au-delà de 2 mois ou à une hépatopathie préexistante. Une atteinte hépa-tique préexistante est un facteur de risque diverse-ment apprécié (33, 35, 45-47), l’abus d’alcool est associé à la toxicité (2, 35, 42). Ainsi, une étude rétrospective danoise a-t-elle enrôlé 752 patients, traités par tri- ou quadrithérapie initiale ; parmi les 127 patients dont les transaminases s’élevaient à plus de 2 fois la norme, 66 avaient des transami-nases préthérapeutiques anormales et la majorité consommait plus de 60 g d’alcool par jour (42). Les fluctuations naturelles des enzymes hépatiques en cas d’hépatopathie préthérapeutique compliquent l’interprétation de leurs variations sous traite-ment (3). Chez les patients transplantés du foie, la rifampicine interagit avec certains médicaments immunosuppresseurs, dont le dosage sérique doit être rapproché en collaboration avec l’équipe de transplantation. La tolérance du traitement anti-tuberculeux standard est correcte si la surveillance biologique est attentive (48), même si près de la moitié des patients peut développer une élévation des transaminases (49). D’après une méta-analyse,

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DOSSIER THÉMATIQUE

30 des 86 patients transplantés du foie ont dû changer de traitement antituberculeux dont 22 en raison d’une intolérance hépatique (50). En cas d’hépatopathie préexistante, les préconi-sations françaises ou internationales sont assez vagues et au cas par cas. L’avis d’un hépatologue est indispensable. Devant une atteinte hépatique sévère (transaminases > 10 fois la normale), il est recommandé de préciser le diagnostic hépatique. On évitera la pyrazinamide, voire l’isoniazide et la rifampicine (2). Le traitement peut comporter au départ de l’éthambutol, un aminoside et de la moxi-floxacine pour être élargi ultérieurement autant que possible à l’isoniazide ou à la rifampicine (2). Dans les atteintes moins sévères, seule la pyrazinamide sera évitée si les transaminases sont 3 fois inférieurs à la normale (2). Entre les deux, on administrera éthambutol, aminoside et moxifloxacine, puis on tentera l’introduction progressive des autres anti-tuberculeux standard (2). Les recommandations américaines sont soit d’éviter l’isoniazide (dans ce cas, le traitement associe rifampicine, pyrazinamide et éthambutol durant 6 mois), soit d’éviter la pyra-zinamide (dans ce cas, le traitement dure 9 mois), soit, en cas d’atteinte “plus avancée”, de mener un traitement de 12 à 18 mois incluant de la rifampi-cine associée à l’éthambutol, à un aminoside, à une quinolone, voire à la cylcosérine, sous réserve d’un avis spécialisé. Enfin, dans le cas d’une hépatopathie sévère instable, les recommandations américaines consistent à mener, sur 18 à 24 mois, un traitement à partir d’éthambutol, aminoside, quinolone et “un autre antibiotique de seconde ligne” (3).L’adjonction de pyridoxine est recommandée en France chez les patients abusant d’alcool (5).

Insuffisance rénale et tuberculoseL’insuffisance rénale expose au risque de tuberculose de façon corrélée au degré d’urémie. Ce risque est 10 à 25 fois supérieur pour les dialysés par rapport à la population générale (51-55). Outre l’immuno-dépression induite par l’urémie altérant la réponse TH1, les patients insuffisants rénaux peuvent cumuler d’autres facteurs de risque de tubercu-lose (51, 56-58) : des comorbidités, et notamment le diabète, associé à un risque relatif de 25,3 de tuberculose chez les dialysés (51), la dénutrition qui touche 30 % de cette population, la prise de traite-ment immunosuppresseur, le déficit en vitamine D, dont le rôle reste controversé (59), les situations de

précarité sociale. De plus, les séances itératives de dialyse favorisent la transmission nosocomiale des bacilles tuberculeux à d’autres patients fragilisés.Chez l’insuffisant rénal, la tuberculose a un pronostic péjoratif évalué en dialyse dans le registre américain (USRDS) par une augmentation du risque relatif (RR)de mortalité de 42 % (RR : 1,42) [59]. L’anergie tuber-culinique observée chez 40 à 50 % des dialysés (54, 60) et une présentation clinique atypique sont à l’origine d’un retard diagnostique et thérapeutique responsable d’une morbi-mortalité accrue. En effet, les symptômes sont souvent insidieux et les loca-lisations extrapulmonaires fréquentes de l’ordre de 50 à 80 % des cas selon les études (53-55). Les patients en dialyse péritonéale sont plus particu-lièrement exposés aux formes intra-abdominales, diagnostiquées par la mise en culture du liquide de dialyse intrapéritonéal (13, 61). Ces spécificités ont mené à la publication de recommandations dédiées à la tuberculose chez l’insuffisant rénal par la British Thoracic Society (BTS), en 2010 (52).Le traitement antituberculeux requiert des adap-tations en fonction du débit de filtration gloméru-laire (DFG) évalué selon les formules de Cockcroft & Gault ou de MDRD (62). Le maniement adéquat de ces médicaments est nécessaire pour assurer l’efficacité du traitement tout en évitant les effets secondaires fréquemment décrits chez les insuffi-sants rénaux (63). Cependant, la paucité des études dans ce domaine rend difficile un consensus dans les recommandations des sociétés savantes. L’isoniazide est acétylé par le foie en métabolites inactifs, dont certains sont hépatotoxiques. L’éli-mination rénale intéresse pour une faible part l’iso-niazide sous forme inchangée et ses métabolites pour environ 70 %. La SPLF propose une posologie d’isoniazide dans les fourchettes inférieures lorsque la clairance est au-dessous de 30 ml/ mn et chez le dialysé, c’est-à-dire 3 à 4 mg/kg sans dépasser 300 mg/j (2). Launay-Vacher et al., au sein du groupe de travail d’Information conseil adaptation rénale (ICAR) [64], soulignent cependant une diminution fréquente des capacités d’acétylation hépatique dans l’insuffisance rénale (65) et préconisent l’usage du test d’acétylation et une adaptation de posologie entre 3 et 5 mg/kg en fonction du résultat. L’iso-niazide, outre l’hépatotoxicité dose-dépendante, expose à un risque de neurotoxicité accru chez les insuffisants rénaux à type d’encéphalopathie, de troubles psychiatriques, d’épilepsie et de neuropa-thies périphériques (61, 66, 67). Une supplémen-tation par vitamine B6 est ainsi conseillée (grade A dans les recommandations de la BTS).

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DOSSIER THÉMATIQUETuberculose Traitement de la tuberculose maladie dans les populations particulières

La rifampicine ne nécessite pas d’adaptation poso-logique chez l’insuffisant rénal et le dialysé (2, 68). La rifabutine, dont le moindre effet inducteur enzy-matique peut avoir un intérêt chez des patients sous médicaments métabolisés par le cytochrome P450 (immunosuppresseurs chez les transplantés), requiert une adaptation de dose, avec une dimi-nution de dose de 50 % en dessous de 30 ml/mn de DFG et une dose à 150 mg/j chez l’hémodia-lysé (64). Il n’y a pas de données en dialyse péri-tonéale pour la rifabutine.L’éthambutol, éliminé majoritairement dans les urines sous forme active, nécessite une adaptation de posologie dans l’insuffisance rénale. Le risque de névrite optique rétrobulbaire, dose-dépendant, est particulièrement important dans cette population avec plusieurs cas décrits de cécité définitive (69). La SPLF (2) restreint l’utilisation de cette molécule aux patients bacillifères pour des DFG inférieurs à 30 ml/mn et seulement “en cas d’absolue nécessité” chez le dialysé. D’autres auteurs vont même jusqu’à en déconseiller complètement l’usage chez l’insuffisant rénal (62). L’adaptation de posologie peut se faire, soit par l’espacement de la dose unitaire, soit par la réduc-tion de la dose journalière. La SPLF (2) propose une baisse de la dose journalière (15 mg/ kg pour des DFG entre 30 et 60, 7-10 mg/kg en dessous de 30 ml/mn et 10 mg/kg 3 fois par semaine après chaque dialyse chez l’hémodialysé). Une stratégie d’espacement de la dose unitaire (20 mk/kg toutes les 48 heures ou après chaque dialyse en hémodialyse) semble cepen-dant plus efficace sans augmenter la toxicité et a été retenue par la BTS (52) et par Launay-Vacher et al. (64). La balance bénéfice-risque de cette option thérapeutique doit être minutieusement réfléchie et un monitoring du taux résiduel d’éthambutol requis avec proposition d’une cible de taux résiduel, 24 heures après la dernière prise, inférieur à 1 µg/ml.Le pyrazinamide, éliminé dans les urines sous forme inchangée et d’un métabolite actif, a une excrétion rénale diminuée surtout au-delà de 12 heures en cas d’insuffisance rénale. L’espacement de la dose unitaire apparaît donc plus adéquat sur le plan pharmo cocinétique pour l’adaptation de dose. Cette stratégie a été validée par la BTS dès le stade IV de l’insuffisance rénale, c’est-à-dire pour des DFG en dessous de 30 ml/mn et chez le dialysé où le traitement est instauré après la séance du fait de sa dialysabilité (68). L’uricémie, augmentée dans l’insuffisance rénale, doit être surveillée.Concernant les autres antituberculeux (2, 52), pour la lévofloxacine et la moxifloxacine, une adaptation posologique est proposée en dessous de 30 ml/mn

de clairance, mais elle n’a pas été validée spécifi-quement dans la tuberculose.Les aminosides posent le problème de leur néphro-toxicité avant le stade de la dialyse et de leur toxicité en cas d’utilisation chez le dialysé. Leur prescription se doit donc d’être circonspecte dans cette situa-tion en fonction de la balance bénéfice-risque, et une augmentation de l’intervalle de doses avec monitoring des taux de pic et des taux résiduels est indispensable.Concernant les autres traitements proposés dans la tuberculose résistante, il n’y pas d’étude chez le patient insuffisant rénal et les propositions de posologies, détaillées dans les recommandations de la BTS, sont faites sur les données de pharmaco-cinétique des molécules.En définitive, la prise en charge de ces patients parti-culiers passe par une sensibilisation des néphrolo-gues au risque de tuberculose pour un diagnostic plus précoce et par une collaboration étroite entre le néphrologue et les spécialistes de la tuberculose dans le choix des molécules, les modalités d’admi-nistration et de surveillance. Le maniement des anti-tuberculeux chez les patients insuffisants rénaux nécessite des adaptations de posologie en fonc-tion du débit de filtration rénale ; il pose la double problématique d’un risque accru de toxicité d’une part, et d’un manque d’efficacité ou d’émergence de résistance en cas de sous-dosage, d’autre part.

Traitement de la tuberculose chez les personnes âgées

La présentation clinique de la tuberculose est souvent atypique chez les patients plus âgés (70-72). La mise en place d’un traitement présomptif est plus fréquente, devant des symptômes généraux inex-pliqués autrement (71). Les résultats du traitement antituberculeux sont limités par le délai diagnos-tique (73-75) et la décompensation de comorbi-dités (72). La mortalité croît ainsi avec l’âge (71, 72, 76-78). De ce fait, 76 % des 664 décès déclarés en 2007 au cours d’une tuberculose, en France, sont survenus chez les plus de 75 ans (données CépiDc).Les personnes âgées ne sont pas citées spécifique-ment dans les recommandations françaises (2, 5) ou américaines (3). Une réduction du nombre ou des doses du traitement n’est donc pas préconisée (71). Celles-ci doivent tenir compte de la fonction rénale et hépatique (71). Une surveillance de la vision des couleurs est indiquée si l’éthambutol est utilisé (5, 71). L’adjonction de pyridoxine a été proposée chez les sujets dénutris. Les troubles de la déglutition peuvent

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La Lettre du Pneumologue • Vol. XV - n° 1-2 - janvier-février-mars-avril 2012 | 31

nécessiter la voie intraveineuse, disponible pour l’iso-niazide, la rifampicine et l’éthambutol.L’âge est un facteur de risque indépendant de toxicité hépatique du traitement antituberculeux curatif ou préventif (35, 72, 79-83). L’hyperuricémie constatée sous pyrazinamide peut se compliquer de goutte, plus souvent du fait d’une goutte ou d’une hyperu-ricémie préexistantes. Les polymédicamentations, et donc les toxicités cumulées ou les interactions, sont nécessairement plus fréquentes (72, 84), en particulier entre la rifampicine et les antivitamine K, les hypoglycémiants oraux, les digitaliques ou les bêtabloquants (71). Une réduction des traitements aux plus indispensables est souhaitable. La surveil-lance clinique et biologique des effets indésirables est primordiale (70).Devant une tuberculose transmissible, les mesures d’hygiène (29) et de suivi des sujets contact seront appliquées (31), en particulier en institution (71, 85). ■

Références bibliographiques

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