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Entretien avec Nissim (François) Abbou mars 2015, Karkur, Israël Légende : D (Delphine), N (Nissim) D : Alors, bonjour ! N : Bonjour. D : Est-ce que tu peux te présenter ? N : Alors mon nom c'est Francois Abbou, A, deux B, O, U. D : Tu habites où ? N : J'habite à Karkur. D : C'est où karkur ? N : Dans le centre du pays, pas loin de Césarée, à une demi-heure, 40 minutes de Tel Aviv, plus au nord. D : Qu'est-ce que tu fais comme travail ? N : Alors je suis marchand licencié... marchand licencié de pièces archéologiques, de pièces de monnaie. Un métier qui demande une licence spéciale du département des Antiquités du pays... et puis un savoir. Tout simplement. D : Ça fait longtemps que tu travailles dans ce domaine ? N : Oh, ça doit faire... D : À peu près ? N : Une trentaine d'années. D : D'accord. Et avant tu avais fait quoi ? N : Avant, j'étais... comment dirais-je ça... Agriculteur dans le sud du pays, au Sinaï. C'était un petit village communautaire et on faisait ce qu'on appelle l'agriculture, comment dirais-je ça, de l'agriculture intensive et hors-saison. Voilà. D : D'accord. Tu es né en Israël ? N : Non, je suis né en Tunisie, au nord de la Tunisie. D : D'accord. Et tes parents ? Aussi ? N : Mes parents sont nés en Tunisie aussi. D : Et donc à quel âge est-ce que tu es arrivé ici, en Israël ? N : Alors j'avais 16 ans. Voilà. D : Et pourquoi ? Tu es venu tout seul ou... ? N : Non, avec la famille. On a fait cette immigration... On a essayé de s'installer à Paris et puis, après quelques mois, la température, le froid, on n'était pas habitué... surtout aux parents, c'était un peu difficile. En fin de compte, on a décidé de faire une alya en Israël. D : Au départ c'était prévu d'aller en France. N : Oui, on a immigré en France au départ. D : D'accord. Et donc avec tes parents tu parlais en quelle langue ? Ou ils te parlaient en quelle langue ? N : En français.. et de temps en temps il y a des mots judéo-arabes qui... qui rentraient dans les phrases, surtout dans les cuisines, dans les plats, dans les... Mais au jour le jour on parlait le français. D : Et quand tu es arrivé en Israël, ça a changé ou c'était d'abord toujours en francais ? N : Alors le fait que j'ai étudié l'hébreu... Je savais écrire et lire mais non pas parler. Ça fait que l'alya était assez facile et sans faire aucune

Transcription Entretien Nissim Abbou

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Transcription de l'entretien avec Nissim François Abbou, mars 2015

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Page 1: Transcription Entretien Nissim Abbou

Entretien avec Nissim (François) Abboumars 2015, Karkur, Israël

Légende : D (Delphine), N (Nissim)

D : Alors, bonjour !N : Bonjour.D : Est-ce que tu peux te présenter ?N : Alors mon nom c'est Francois Abbou, A, deux B, O, U. D : Tu habites où ?N : J'habite à Karkur. D : C'est où karkur ?N : Dans le centre du pays, pas loin de Césarée, à une demi-heure, 40 minutes de Tel Aviv, plus au nord.D : Qu'est-ce que tu fais comme travail ?N : Alors je suis marchand licencié... marchand licencié de pièces archéologiques, de pièces de monnaie. Un métier qui demande une licence spéciale du département des Antiquités du pays... et puis un savoir. Tout simplement.D : Ça fait longtemps que tu travailles dans ce domaine ?N : Oh, ça doit faire...D : À peu près ?N : Une trentaine d'années.D : D'accord. Et avant tu avais fait quoi ?N : Avant, j'étais... comment dirais-je ça... Agriculteur dans le sud du pays, au Sinaï. C'était un petit village communautaire et on faisait ce qu'on appelle l'agriculture, comment dirais-je ça, de l'agriculture intensive et hors-saison. Voilà. D : D'accord. Tu es né en Israël ?N : Non, je suis né en Tunisie, au nord de la Tunisie. D : D'accord. Et tes parents ? Aussi ?N : Mes parents sont nés en Tunisie aussi.D : Et donc à quel âge est-ce que tu es arrivé ici, en Israël ?N : Alors j'avais 16 ans. Voilà.D : Et pourquoi ? Tu es venu tout seul ou... ?N : Non, avec la famille. On a fait cette immigration... On a essayé de s'installer à Paris et puis, après quelques mois, la température, le froid, on n'était pas habitué... surtout aux parents, c'était un peu difficile. En fin de compte, on a décidé de faire une alya en Israël.D : Au départ c'était prévu d'aller en France.N : Oui, on a immigré en France au départ. D : D'accord. Et donc avec tes parents tu parlais en quelle langue ? Ou ils te parlaient en quelle langue ?N : En français.. et de temps en temps il y a des mots judéo-arabes qui... qui rentraient dans les phrases, surtout dans les cuisines, dans les plats, dans les... Mais au jour le jour on parlait le français.D : Et quand tu es arrivé en Israël, ça a changé ou c'était d'abord toujours en francais ?N : Alors le fait que j'ai étudié l'hébreu... Je savais écrire et lire mais non pas parler. Ça fait que l'alya était assez facile et sans faire aucune école qui nous prépare à parler l'hébreu, avec le temps après une année ça allait tout seul.D : D'accord. Et tu as des frères et soeurs ? N : J'ai encore deux frères. D : D'accord, et avec eux tu parles... Avec tes parents en Israël tu parlais toujours en français ? Ou tu parlais en hébreu ? N : Comme mes frères étaient plus petits que moi... surtout le dernier, sa langue maternelle est plutôt hébreu que français. Mais quand on parle entre nous, c'est un dialecte familial. Alors il y a tous les mots, il y a des mots en hébreu, en français, même des mots en italien qui arrivent de temps en temps.D : D'où vient l'italien ? N : Parce qu on a grandi en Tunisie... et en Tunisie, on avait... tout le voisinage, c'était des Siciliens.D : D'accord. Et tu dirais qu'au fur et à mesure l'hébreu a pris plus de place quand... ?

Page 2: Transcription Entretien Nissim Abbou

N : Et oui, avec le temps... J'ai voulu, comment dirais-je ça, c'est plutôt appartenir à un clan. Ne plus être le juif errant, et puis avec le temps c'est devenu une identité.D : De parler hébreu.N : C'est plus... c'est ce qui fait de moi un Israélien. Et c'est... Tous les immigrants ont un problème de, comment dirais-je ça, d'identité. Le Francais qui va aller en Amérique, il se sentira toujours francais. Néanmoins il va parler l'anglais, l'américain, tout ça, mais toujours il aura un problème d'identité. Alors quand on arrive à l'âge de 16 ans, 17 ans, ce problème est très fort. À un certain moment on décide une identité et là on adapte la langue qu'on a préférée. Voilà, c'est ça.D : Et avec tes enfants tu parles qu'en hébreu alors. Tu n'as toujours parlé qu'en hébreu ?N : Toujours parlé en hébreu et aujourd'hui, ma femme, elle dit c'est dommage qu'ils n'ont pas appris une autre langue. D : Ah oui, c'est comme ca. Et avec tes parents tu as toujours parlé français, quand même ?N : Oui, toujours français.D : Oui, toujours français. Et ta femme, elle vient d'où justement ? Elle vient de Tunisie elle aussi ? N : Elle est née en Israël. D : Ah, elle est née en Israël. Et ses origines ? Ses parents aussi... ?N : Ses parents, ils ont fait.. ce sont des parents qui ont fait la Shoah. Ils étaient dans les camps. Avec toute la problématique... Ils parlaient l'hébreu entre eux. C'est tout.D : Mais ils viennent d'où ? N : De Pologne et... Russe... Le père était russe.D : Ta femme parle aussi un peu le russe ? N : Elle parle un peu le... le yiddish, elle parle.D : Ah, le yiddish. D'accord. C'est courant en Israël, comme ça, de parler plusieurs langues?N : Oui, par le fait que c'est un pays d'immigration. Je crois que c'est le pays avec le plus de langues parlées dans le monde.D : Et, aujourd'hui, avec qui tu parles en francais alors ? Tu parles beaucoup francais ? N : Au boulot. D : Au boulot ? Juste au boulot. Tu vois beaucoup de touristes français ou francophones ?N : C'est une langue de travail plutôt. D : Et c'est important en Israël, le fait que les gens viennent de différents pays ? Est-ce que ça a une influence au quotidien ? Est-ce qu'on voit les gens différemment s'ils viennent d'Amérique du sud, de...N : Oui, ça donne des couleurs au pays. C'est ce qu'il y a de beau.D: Oui ?N : Oui, c'est bien.D : Tu disais tout à l'heure que les immigrants en arrivant en Israël, effectivement au bout d'un moment, doivent choisir un peu la langue pour avoir leur identité...N : Non l'identité pour avoir... et la langue ça devient, c'est un outil... Ils s'en servent pour cette identité.D : Et qu'est-ce que tu penses des Russes ? Il y a beaucoup de Russes  qui sont arrivés.N : Alors les Russes, il faut d'abord voir l'histoire du pays. Jusqu'aux années 80, 90, un nouvel immigrant pour s'intégrer dans la communauté israélienne devait oublier ses racines parce qu'il y avait un fort, un moment fort d'éducation, de s'imprimer de... si on veut... de s'imprimer cette identité. Et l'outil principal était d'oublier la langue maternelle. C'était pas... changer de nom de famille pour être adopté et s'intégrer dans la communauté. Et cet outil-là, par l'éducation, par le travail, tout ça, ça s'est imposé pour oublier d'où on vient. Pas oublier, mais quand même... et ce fait là, ça fait que... c'est pour ça que j'ai jamais parlé avec mes gosses en français. J'ai parlé toujours en hébreu. Quand les Russes sont venus, la masse d'immigration était grosse et grande et ils sont venus avec une certaine, un certain... je ne dirais pas idéalisme.. c'est plutôt une force majeure de la vie. Et ils ont conservé leur langue et depuis lors, toutes les immigrations continuent à parler leur langue sans chercher une identité... Ils sont, si vous voulez, c'est un Israélien d'appartenance russe ou américaine. C'est plus ce qui était dans les.... jusqu'aux années 80. D : D'accord. Merci, merci beaucoup.