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La science, si prodigieusement habile à peser les astres les plus lointains et à comprendre jusqu’aux mondes que nos sens ne perçoivent plus, échoue à calculer cette part d’innommable ou d’indicible qui devrait nous importer plus que tout autre 1 . Transition de Phase : Physique et Mathématique 2 Charles-Edouard Pfister Section de Mathématiques, EPFL 1. Introduction La relation physique-mathématique est profonde et ne se résume pas à une simple question d’écriture à l’aide de symboles mathématiques. Si les mathématiques ont toujours eu un rôle de premier plan dans la mécanique des corps célestes, ce n’est que vers la fin du XVI e et au début du XVII e que les mathématiques vont jouer un rôle essentiel 3 , lorsque la physique d’Aristote est mise de côté et que la mécanique céleste et la mécanique sublunaire (qui traite des phénomènes qui ont lieu sur la terre) sont unifiées 4 . Le but de cette leçon n’est cependant pas de traiter cette relation physique-mathématique d’un point de vue fondamental, ni d’en expliquer sa spécificité 5 . Ces questions ont été étudiées maintes fois, sous des aspects et points de vue très divers, entre autres dans [IREM], [L-L] et [DG] ; voir aussi [Bo]. J’aborderai, à travers un exemple, un autre aspect, moins fondamental mais néanmoins très remarquable, de cette relation physique-mathématique : des concepts mathématiques introduits pour les besoins spécifiques de l’approfondissement d’un domaine de la physique peuvent parfois devenir également des concepts importants dans d’autres branches des mathématiques qui n’ont a priori aucune relation directe avec les questions de physique étudiées. Le domaine que j’ai choisi est celui de la physique statistique classique de l’équilibre. 1. Philippe Jaccottet, Eléments d’un songe, Gallimard, pp. 127-128 (1961). 2. Version augmentée de ma leçon d’honneur du 22 octobre 2013. 3. G. Galilée (1564-1642) mathématicien, physicien et astronome. Dans son livre Il Saggiatore [Cha] il écrit : Je crois, en outre, déceler chez Sarsi la ferme conviction qu’en philosophie il est nécessaire de s’appuyer sur l’opinion d’un auteur célèbre et que notre pensée, si elle n’épouse pas le discours d’un autre, doit rester inféconde et stérile. Peut-être croit-il que la philosophie est l’oeuvre de la fantaisie d’un homme, comme L’Iliade et le Roland furieux, où la vérité de ce qui y est écrit est la chose la moins importante. Il n’en est pas ainsi, Signor Sarsi. La philosophie est écrite dans cet immense livre qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, je veux dire l’Univers, mais on ne peut le comprendre si l’on ne s’applique d’abord à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit dans la langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans le moyen desquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot. Sans eux c’est une errance vaine dans un labyrinthe obscur. 4. Le changement capital, qui a eu lieu à la fin du XVI e et au début du XVII e siècle, est l’unification de ces deux mécaniques. J. Kepler (1571-1630), astronome allemand, utilise dans son étude du système solaire, qui est basée sur le modèle de N. Copernic (1473-1543), chanoine, médecin et astronome polonais, des concepts de la mécanique sublunaire et peut franchir une étape décisive en introduisant pour les planètes des trajectoires qui ne sont pas des cercles, ce qui était en désaccord avec les idées de Copernic et de l’astronomie en général (le chapitre IV du livre de Copernic [Co], Des Révolutions des Orbes Célestes, s’intitule Que le mouvement des corps célestes est uniforme et circulaire, perpétuel, ou composé de [mouvements] circulaires). D’un autre côté Galilée s’inspire des idées de la mécanique des corps célestes dans sa théorie du mouvement, ce qui le conduira à reformuler complètement la notion de mouvement avec la loi de l’inertie et celle de la chute des corps. (voir [Fi]). 5. Sous cet aspect la physique se distingue d’autres domaines des sciences.

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La science, si prodigieusement habile à peser les astres les plus lointains et à comprendrejusqu’aux mondes que nos sens ne perçoivent plus, échoue à calculer cette part d’innommable oud’indicible qui devrait nous importer plus que tout autre 1.

Transition de Phase : Physique et Mathématique 2

Charles-Edouard PfisterSection de Mathématiques, EPFL

1. Introduction

La relation physique-mathématique est profonde et ne se résume pas à unesimple question d’écriture à l’aide de symboles mathématiques. Si les mathématiquesont toujours eu un rôle de premier plan dans la mécanique des corps célestes, ce n’estque vers la fin du XVIe et au début du XVIIe que les mathématiques vont jouer unrôle essentiel 3, lorsque la physique d’Aristote est mise de côté et que la mécaniquecéleste et la mécanique sublunaire (qui traite des phénomènes qui ont lieu sur laterre) sont unifiées 4. Le but de cette leçon n’est cependant pas de traiter cetterelation physique-mathématique d’un point de vue fondamental, ni d’en expliquersa spécificité 5. Ces questions ont été étudiées maintes fois, sous des aspects et pointsde vue très divers, entre autres dans [IREM], [L-L] et [DG] ; voir aussi [Bo].

J’aborderai, à travers un exemple, un autre aspect, moins fondamental maisnéanmoins très remarquable, de cette relation physique-mathématique : des conceptsmathématiques introduits pour les besoins spécifiques de l’approfondissement d’undomaine de la physique peuvent parfois devenir également des concepts importantsdans d’autres branches des mathématiques qui n’ont a priori aucune relation directeavec les questions de physique étudiées. Le domaine que j’ai choisi est celui de laphysique statistique classique de l’équilibre.

1. Philippe Jaccottet, Eléments d’un songe, Gallimard, pp. 127-128 (1961).2. Version augmentée de ma leçon d’honneur du 22 octobre 2013.3. G. Galilée (1564-1642) mathématicien, physicien et astronome. Dans son livre Il Saggiatore

[Cha] il écrit : Je crois, en outre, déceler chez Sarsi la ferme conviction qu’en philosophie il estnécessaire de s’appuyer sur l’opinion d’un auteur célèbre et que notre pensée, si elle n’épouse pas lediscours d’un autre, doit rester inféconde et stérile. Peut-être croit-il que la philosophie est l’oeuvrede la fantaisie d’un homme, comme L’Iliade et le Roland furieux, où la vérité de ce qui y est écritest la chose la moins importante. Il n’en est pas ainsi, Signor Sarsi. La philosophie est écrite danscet immense livre qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, je veux dire l’Univers, mais onne peut le comprendre si l’on ne s’applique d’abord à en comprendre la langue et à connaître lescaractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit dans la langue mathématique et ses caractères sontdes triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans le moyen desquels il est humainementimpossible d’en comprendre un mot. Sans eux c’est une errance vaine dans un labyrinthe obscur.

4. Le changement capital, qui a eu lieu à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, estl’unification de ces deux mécaniques. J. Kepler (1571-1630), astronome allemand, utilise dansson étude du système solaire, qui est basée sur le modèle de N. Copernic (1473-1543), chanoine,médecin et astronome polonais, des concepts de la mécanique sublunaire et peut franchir une étapedécisive en introduisant pour les planètes des trajectoires qui ne sont pas des cercles, ce qui étaiten désaccord avec les idées de Copernic et de l’astronomie en général (le chapitre IV du livre deCopernic [Co], Des Révolutions des Orbes Célestes, s’intitule Que le mouvement des corps célestesest uniforme et circulaire, perpétuel, ou composé de [mouvements] circulaires). D’un autre côtéGalilée s’inspire des idées de la mécanique des corps célestes dans sa théorie du mouvement, ce quile conduira à reformuler complètement la notion de mouvement avec la loi de l’inertie et celle dela chute des corps. (voir [Fi]).

5. Sous cet aspect la physique se distingue d’autres domaines des sciences.

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C’est un fait familier que l’eau peut se trouver dans trois états différents,appelés en physique phases, qui sont l’état gazeux (la vapeur), l’état liquide et l’étatsolide (la glace), et que l’eau peut passer d’un état à un autre, par exemple du gaz auliquide, ce que l’on nomme la liquéfaction ou condensation. Ce phénomène est appelétransition de phase en physique et a été un thème majeur de la physique du XXe

siècle. L’approfondissement de son étude mathématique en mécanique statistique, àpartir du milieu des années 1960, début des années 1970, a conduit à un ensemble derésultats que l’on a parfois regroupé sous le nom de mécanique statistique rigoureused’après le titre d’une monographie de Ruelle 6, parue en 1969, Statistical Mechanics.Rigorous Results [Ru3]. C’est à la même époque, en étudiant les mesures invariantespour les systèmes d’Anosov, que Sinai 7 et Bowen 8 ont remarqué des similitudes aveccertains problèmes de mécanique statistique. Sinai, voir les papiers fondateurs [S1], aexplicitement introduit la notion de mesure de Gibbs et des méthodes développées enmécanique statistique de l’équilibre dans l’étude des systèmes d’Anosov. Une partiede la théorie générale de la mécanique statistique a été réécrite par Ruelle pourune classe particulière de systèmes dynamiques [Ru4]. C’est l’origine du formalismethermodynamique, qui a été fortement marqué par les travaux de Bowen et Ruelle(voir [Bow2] et [Ru5]).

Je commencerai par énoncer un résultat de base du formalisme thermody-namique en systèmes dynamiques ; sa signification et sa relation avec la physiquestatistique seront données à la fin de l’exposé.

Considérons un espace métrique compact (X, d), l’intervalle [0, 1] avec sa dis-tance naturelle, et une application continue T : X → X,

T (x) :=

{2x si 0 ≤ x ≤ 1

2

2− 2x si 12≤ x ≤ 1.

Figure 1. La transformation T : [0, 1] → [0, 1] et les trois premierspoints x0, x1, x2 d’un itinéraire.

Le couple (X,T ) définit un système dynamique 9. On peut se représenter un pointx ∈ [0, 1] comme la position d’un marcheur, qui, à chaque seconde, se déplace selon

6. D. Ruelle (1935) physicien mathématicien français d’origine belge.7. Ya.G. Sinai (1935) mathématicien russe.8. R. Bowen (1947-1978) mathématicien américain.9. Cet exemple de système dynamique est un système à un degré de liberté : un seul nombre

réel suffit à déterminer l’état du système en un instant donné.

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une loi fixée par l’application T . Si au temps initial le marcheur se trouve en x0,après une seconde il se trouve en x1 = T (x0), après deux secondes en x2 = T (x1)et ainsi de suite. L’itinéraire du marcheur est la suite de ses positions au cours dutemps, x0, x1 = T (x0), x2 = T (x1), x3 = T (x2) . . .. Le système est déterministe carun itinéraire est univoquement déterminé par son point initial. Considérons aussiune fonction continue f : X → R. Une opération naturelle est l’évaluation de cettefonction le long d’un itinéraire x0, x1, . . . xn−1,

(Snf)(x0) := f(x0) + f(x1) + · · ·+ f(xn−1) .

Soit ε > 0 une quantité réelle et n un nombre entier. Un sous-ensemble fini 10 E deX est (n, ε)-séparé, si quels que soient x, y ∈ E, x 6= y,

∃i , 0 ≤ i ≤ n− 1 , tel que d(T i(x), T i(y)) > ε .

E représente par exemple les positions initiales de plusieurs marcheurs. Si pour deuxmarcheurs quelconques de ce groupe, il existe un temps i inférieur ou égal à n− 1,tel que pour ce temps i, ces deux marcheurs sont à une distance d’au moins ε l’unde l’autre, alors E est (n, ε)-séparé. On définit

Z(n, ε) = sup{∑x∈E

e(Snf)(x)∣∣∣E (n, ε)-séparé

}et

P (T, f) := limε↓0

(lim supn→∞

1

nlogZ(n, ε)

).

Théorème 1.1 (Walters [Wa1]). SoitM(X,T ) l’ensemble des mesures de probabilitéT -invariantes et hµ(T ) l’entropie métrique de µ ∈M(X,T ). Alors

P (T, f) = sup{hµ(T ) +

∫f dµ

∣∣∣µ ∈M(X,T )}.

Pour bien comprendre le lien entre ce théorème et le phénomène de transitionde phase, j’exposerai, en suivant un fil historique, quelques étapes essentielles quiont conduit de l’observation expérimentale du phénomène de condensation à sacompréhension théorique en physique. C’est pourquoi une grande partie de cetteleçon concerne la physique, principalement avant 1960, en se concentrant sur certainsaspects conceptuels.

2. Le phénomène de condensation

Considérons le phénomène de condensation du CO2, qui a été étudié en détailexpérimentalement par Andrews 11, et dont les résultats ont été rapportés dans sonpapier intitulé On the Continuity of the Gaseous and Liquid States [An]. Andrewsa montré que cette transition ne peut avoir lieu que dans des conditions physiquesdéterminées. Au-dessus d’une température critique il n’y a plus de distinction entre legaz et le liquide 12 et la condensation ne peut pas avoir lieu. C’est dans ce papier [An]qu’Andrews a introduit la terminologie point critique et température critique. Un

10. On montre que si E ⊂ X est (n, ε)-séparé, alors la cardinalité de E est nécessairementfinie, lorsque X est compact.

11. T. Andrews (1813-1885) chimiste et physicien irlandais.12. Ce fait a été observé entre autres par le physicien français C. Cagniard de Latour (1777-

1859) en 1822, et discuté par le physicien et chimiste anglais M. Faraday (1791-1867) en 1826 et1845, ainsi que le chimiste russe D. Mendeleev (1834-1907) en 1861. Voir [Go].

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des aspects importants de son travail est la détermination expérimentale précise desisothermes du CO2 pour des températures au-dessus et au-dessous de la températurecritique, ainsi que pour la température critique.

Figure 2. Pour tous les volumes entre VL et VG la pression est lamême, p = p∗. VG est le volume d’une mole de CO2 à l’état gazeux etVL est le volume d’une mole de CO2 à l’état liquide. V ′ = 1

3VL + 2

3VG.

Concentrons la discussion sur une isotherme au-dessous de la températurecritique mesurée par Andrews à 30.98oC. On enferme 44 grammes de CO2 (une mole)dans un cylindre à piston mobile. On peut donc varier le volume V du cylindre et onchoisit une température fixe T = 21, 5oC. On étudie la relation entre la pression etle volume du cylindre pour cette température donnée. On peut reporter les résultatssur un graphe qui définit une isotherme du fluide 13 (voir figure 2). Chaque point dugraphe représente un état (d’équilibre thermodynamique) du fluide.

Figure 3. Pour T donné les deux phases du CO2 coexistent si p = p∗.Pour V = V ′, VL < V ′ < VG, les deux phases coexistent.

En suivant l’isotherme de droite à gauche, on passe successivement par lespoints A,B,F et G. Au point A le CO2 est un gaz et il reste dans cet état jusqu’aupoint B où V = VG ; de A à B la pression augmente pour atteindre p = p∗ (p∗ ' 60atm) lorsque V = VG. Au point F , pour la même valeur de la pression p∗ et pour

13. C’est une isotherme car la température est constante.

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V = VL, le CO2 est un liquide. Si le volume diminue encore, le CO2 reste dans laphase liquide et la pression augmente de nouveau. Pour ces valeurs particulières dela température et de la pression, T = 21, 5oC et p = p∗, le CO2 se trouve dans deuxétats différents qui se distinguent par leurs densités 14, ρG pour le gaz et ρL > ρGpour le liquide.

Pour le point du segment horizontal FB de l’isotherme caractérisé par le vo-lume V ′ = 1

3VL + 2

3VG de la figure 2 on observe expérimentalement la coexistence

des deux phases, 23mole de gaz et de 1

3mole de liquide, et leur séparation spa-

tiale comme indiqué sur la figure 3. Il y a discontinuité de la densité du fluide : onn’observe pas de situation où le CO2 serait dans un état homogène qui aurait unedensité ρ′ telle que ρL < ρ′ < ρG. Du point B jusqu’au point F la condensation alieu progressivement ; en B on a seulement du gaz et en F tout le gaz a été liquéfié.

3. XVIIe et XVIIIe siècles, l’hypothèse atomique

Voici comment Tommaso Cornelio (1614-1684), médecin, mathématicien etphilosophe italien du royaume de Naples expliquait les différents états de l’eau ense basant sur l’hypothèse atomique qui affirme que la matière est formée d’atomesse mouvant dans le vide, et dont l’origine remonte au moins à Leucyppe 15 et Démo-crite 16.

Les particules de l’eau [. . .] doivent être conçues comme étant allongées etarrondies. Lorsqu’elles sont agitées et dissoutes lentement, de telle sorte qu’ellespuissent s’infiltrer, elles se présentent sous la forme d’un liquide ; si elles se rai-dissent [par effet du froid], elles forment la glace. Enfin, si elles se mettent à tour-ner rapidement en s’éloignant de plus en plus les unes des autres, c’est la vapeur quiapparaît [F].

Cette hypothèse atomique ne s’est imposée que lentement depuis la fin duXVIe, début du XVIIe, date où elle a été remise en lumière 17. Malgré des avancéesimportantes, en particulier dues aux chimistes, ce n’est qu’à la fin du XIXe, début duXXe, siècle qu’elle a été pleinement acceptée. Il faut noter que jusqu’au XXe siècle iln’y a pas d’expériences qui permettent de mettre en évidence directement l’existencedes atomes ou des molécules (voir à ce sujet Les atomes de J. Perrin [Pe], ainsi qu’unrapport de Maxwell sur les molécules [M2] et [Bo]). D’autre part, les deux principesde la thermodynamique sont énoncés indépendamment de l’hypothèse atomique.

On sait maintenant qu’un fluide est formé d’un grand nombre de particules 18

(6.02 × 1023 particules dans une mole de fluide) qui se meuvent dans le vide. Cesparticules ne sont pas immobiles mais possèdent des vitesses d’autant plus grandesque la température est plus élevée. Au niveau macroscopique, à l’équilibre ther-modynamique, chaque phase du fluide est homogène et caractérisée par un nombre

14. Masse volumique, rapport masse/volume.15. Leucyppe (460-370 av. J.C.) est un philosophe présocratique et le maître de Démocrite.16. Démocrite (460-370 av. J.C.) est un philosophe présocratique.17. L’hypothèse atomique s’oppose à une explication basée sur la physique d’Aristote (384-322

av. J.C.), philosophe grec et disciple de Platon (∼ 428-348 av. J.C.), qui affirmait que toute chosesur Terre (le monde sublunaire) était formée à partir de quatre éléments, le feu, l’eau, l’air et laterre ainsi que quatre propriétés, humide et son contraire sec, chaud et son contraire froid. Cettephysique qualitative et non quantitative est basée sur la logique développée par Aristote.

18. J’emploie pour cette leçon le terme particule indifféremment pour atome et molécule.

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restreint de grandeurs physiques, la température, le volume spécifique et la pression.Ces grandeurs ne sont pas attribuées à une particule isolée, mais concernent l’étatphysique de toute la collection des particules (plus de 1023 particules) constituant lefluide ; par exemple la température est une mesure de l’agitation de ces particules.Tout autre est la description du fluide si on l’observe à l’échelle microscopique, i.e. àune échelle où l’on distingue les particules (voir figure 4). Pour cela il faut examinerle fluide avec un microscope qui permet d’obtenir un agrandissement d’environ unmilliard de fois. L’état du fluide à cette échelle et à un instant donné est spécifiéen donnant toutes les positions et toutes les vitesses des particules, qui sont desgrandeurs physiques attachées à chaque particule individuellement 19.

Figure 4. Fluide agrandi un milliard de fois. A gauche la phase ga-zeuse et à droite la phase liquide en un point de transition de phase.

L’explication de Cornelio est purement qualitative. Il ne déduit pas, à partirde l’hypothèse atomique, que la condensation a lieu pour des valeurs précises de latempérature et de la pression, ni qu’il y a coexistence des phases liquide et gazeuse.A la fin du XVIIe siècle un tournant essentiel a lieu : la publication de l’oeuvre monu-mentale de Newton 20, les Philosophiae Naturalis Principia Mathematica (1686). Laphysique dite classique que l’on enseigne aujourd’hui est fondée sur ce texte majeur.Voici comment s’exprime Newton dans la préface des Principia [N] :

... toute la difficulté de la Philosophie paraît consister à trouver les forcesqu’emploie la nature, par les Phénomènes du mouvement que nous connaissons, età démontrer ensuite, par là, les autres Phénomènes 21. [...] Il serait à désirer que lesautres Phénomènes que nous présente la nature, pussent se dériver aussi heureuse-ment des principes mécaniques : plusieurs raisons me portent à soupçonner qu’ilsdépendent tous de quelques forces dont les causes sont inconnues, et par lesquellesles particules des corps sont poussées les unes vers les autres, et s’unissent en figuresrégulières ou sont repoussées et se fuient mutuellement ; et c’est l’ignorance où l’ona été jusqu’ici de ces forces, qui a empêché les Philosophes de tenter l’explicationde la nature avec succès. J’espère que les principes que j’ai posés dans cet Ouvragepourront être de quelque utilité à cette manière de philosopher, ou à quelque autreplus véritable, si je n’ai pas touché au but.

19. Un tel système est classé parmi les système à “une infinité” de degrés de libertés.20. Isaac Newton (1643-1727), philosophe, mathématicien, physicien, alchimiste anglais.21. Dans les Principia, après avoir déterminé la force de gravitation, Newton déduit à partir

de celle-ci les mouvements des planètes, des comètes, de la lune et de la mer.

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Le contraste entre l’explication qualitative de Cornelio et les Principia, traité dephysique mathématique avec définitions, théorèmes et démonstrations, est immense.Dans cette préface Newton exprime une position mécaniste et réductioniste, quiconsiste à expliquer un phénomène physique à partir de la connaissance des forces 22

qui agissent entre les particules. C’est l’approche généralement adoptée depuis enphysique. Dans notre cas cela revient à poser la question suivante : peut-on expliquerle phénomène macroscopique de condensation, non seulement qualitativement maisaussi quantitativement, si l’on connaît les interactions entre les particules au niveaumicroscopique ?

4. XIXe siècle, l’équation de van der Waals

La loi des gaz parfaits de Boyle 23 et de Mariotte 24 est une des lois que l’onapprend dans un premier cours de chimie ou de thermodynamique :

pV = RT .

V est le volume du gaz pour une mole et R est la constante des gaz parfaits 25. Onobtient immédiatement l’équation d’une isotherme, pV = const. : plus le volumediminue, plus la pression augmente. Il n’y a pas de phénomène de condensation.Cela est facile à comprendre puisque l’on peut déduire cette loi à partir du fait quele gaz est formé de particules qui n’interagissent pas entre elles.

En 1873 van der Waals 26 défend sa thèse de doctorat 27 à l’université de Leiden,dont le titre en anglais est :On the Continuity of the Gaseous and Liquid States ([W1]et [Ro]). C’est le même titre que celui de l’article [An] d’Andrews. Maxwell 28 a écritune longue revue de ce travail dans Nature [M3]. Même s’il n’est pas d’accord avecvan der Waals sur certains points, après avoir résumé l’état du sujet, il commencesa critique ainsi :

Monsieur Van der Waals, en abordant ce sujet d’étude très difficile, a très biencompris son importance dans l’état actuel de la science ; beaucoup de ses recherchessont menées de manière extrêmement originales et claires ; et il propose sans cessedes idées nouvelles et suggestives ; ainsi il ne peut y avoir aucun doute que son nomfigurera bientôt au tout premier plan en science moléculaire.

22. Newton n’explique pas la cause de la gravitation : [...] je considère ces forces mathémati-quement et non physiquement ; ainsi le Lecteur doit bien se garder de croire que j’aie voulu désignerpar ces mots une espèce d’action, de cause ou de raison physique, et lorsque je dis que les centresattirent, lorsque je parle de leurs forces, il ne doit pas penser que j’aie voulu attribuer aucune forceréelle à ces centres que je considère comme des points mathématiques [N] p.51-52.

23. R. Boyle (1627-1691) chimiste et physicien irlandais.24. E. Mariotte (1620-1684) botaniste et physicien français.25. R = kBNA, kB la constante de Boltzmann et NA le nombre d’Avogadro, NA ' 6.02×1023.26. J.D. Van der Waals (1837-1923) est un physicien néerlandais.27. Van der Waals n’a pas appris le latin à l’école et c’est pourquoi il n’a jamais pu s’immatri-

culer comme étudiant à l’université. Grâce à un changement de législation il a pu soutenir sa thèseen 1873. Quatre ans plus tard il a été nommé professeur de physique à l’université d’Amsterdam([Ro] p.11). Sa thèse a été traduite en allemand (1881), anglais (1890) et français (1894). Elle aété republiée en anglais dans [Ro].

28. J.C. Maxwell (1831-1879), physicien et mathématicien écossais, est l’un des scientifiquesles plus influents du XIXe siècle, connu pour ses travaux fondamentaux en électricité et magnétismeainsi qu’en théorie cinétique des gaz.

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Van der Waals était convaincu de l’hypothèse atomique. Pour lui les moléculesne sont pas une abstraction. Dans sa thèse il écrit ceci :

... les molécules doivent être considérées non comme simplement des centre demasse, mais comme des agrégats formés d’atomes de la même manière que de plusgrandes masses de matière sont formées de molécules. ([Ro] p.160.)

De même, à la fin de son discours pour la remise du prix Nobel en 1910 :

... durant toutes mes études j’étais tout à fait convaincu de l’existence réelledes molécules, et je ne les ai jamais regardées comme le fruit de mon imagination,ni même comme centre des forces. Je les considérais comme de vrai corps, ainsice que nous nommons “corps” dans le langage de tous les jours devrait être plutôtappelé “pseudo corps”. C’est un agrégat de corps [i.e. de molécules] et de vide. Nousne connaissons pas la nature d’une molécule d’un seul atome chimique. Il seraitprématuré de chercher une réponse à cette question, mais d’admettre notre ignorancen’altère aucunement la croyance en leur existence réelle. (voir [W2].)

Van der Waals est intéressé en premier lieu à la pression interne qui résultedes forces d’attractions des molécules entre elles et qui sont à l’origine de la cohésiondes molécules dans l’état liquide. A partir d’une analyse de la pression interne et detravaux de Clausius 29 sur la théorie cinétique des gaz, il obtient sa fameuse équationd’état

(p+

a

V 2

)(V − b) = RT .

Figure 5. Une isotherme de l’équation de van der Waals. Entre p−et p+ une droite horizontale passant par p̂ coupe l’isotherme en troispoints P1, P2 et P3.

Dans cette équation V est le volume pour une mole de substance. Le terme a/V 2

donne la pression interne du gaz due aux forces attractives entre les molécules et laconstante b est directement liée au fait que les molécules ont une étendue spatialeintrinsèque. Le fait remarquable de cette équation est qu’elle prédit l’existence d’un

29. R. Clausius (1822-1888) physicien et mathématicien allemand. C’est un des fondateursde la thermodynamique ; en particulier il formule le second principe de la thermodynamique etintroduit la notion d’entropie.

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point critique 30. Par contre, en dessous de la température critique Tc les isothermesont l’allure indiquée sur la figure 5 et ne reproduisent pas les isothermes expérimen-tales d’Andrews. L’équation d’état de van der Waals ne permet pas de déterminerla valeur de la pression p∗ pour laquelle la transition gaz-liquide, observée expéri-mentalement par Andrews, a lieu. Une isotherme comme celle de la figure 5 avaitété conjecturée deux ans auparavant en 1871 par Thomson 31 sur la base du travaild’Andrews [T].

Pour bien comprendre l’interprétation des isothermes obtenues par van derWaals il faut revenir aux résultats expérimentaux d’Andrews [An] et ne reportersur l’isotherme de la figure 2 que les points où le CO2 est dans une phase pure. Levolume en fonction de la pression présente, à la transition de phase, une discontinuitéqui est manifeste sur la figure 6. Thomson suggère qu’il est possible que l’on puisse

Figure 6. L’isotherme expérimentale d’Andrews où l’on a tenucompte uniquement des points où le système se trouve dans une phasepure.

rétablir théoriquement la continuité 32 et propose une isotherme comme sur la figure5. Dans son livre sur la théorie de la chaleur [M1], publié également en 1871, Maxwelldiscute en détail l’expérience d’Andrews et les idées toutes récentes de Thomson,avant même leur publication. Maxwell et Thomson estiment tous les deux que ladétermination de l’unique valeur p∗ de la pression, pour laquelle le gaz et le liquidecoexistent, est un problème important. L’équation d’état de van der Waals ne donneque l’information p− < p∗ < p+. Van der Waals connaît les références [T] et [M1], etil apprécie le travail de Thomson qui a conçu l’heureuse idée de construire la partie

30. Le point critique est caractérisé par

Vc = 3b TC =8a

27bRPC =

a

27b2.

On peut exprimer les coefficients a et b ainsi

a =27R2T 2

C

64PCb =

RTc8PC

.

31. James Thomson (1822-1892), physicien et ingénieur anglais, frère aîné de Lord Kelvin(William Thomson (1824-1907)).

32. Dans [T] Thomson écrit : ...although there is a practical breach of continuity in crossingthe line of boiling-points from liquid to gas or from gas to liquid, there may exist, in the nature ofthings, a theoretical continuity across this breach having some real and true significance.

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de l’isotherme pour des volumes inaccessibles à l’expérience ([Ro] p.196.). Il reprendles idées de Thomson et attribue le point P1 de la figure 5 à une phase liquide et lepoint P3 à une phase gazeuse.

Ce n’est qu’à la fin de l’année 1874 que Maxwell, dans une lettre à Tait 33 datéedu 28 décembre, annonce sa règle des aires et la justifie de la manière suivante ([H]p.155-156) :

Do this by Carnots cycle. That I did not do it in my book shows my inviciblestupidity.

Désormais, dans tous les livres de mécanique statistique, l’isotherme de l’équationde van der Waals est complétée comme sur la figure 7 et son interprétation retenueest celle donnée par Thomson. Les points sur l’isotherme entre F et

Figure 7. Règle de Maxwell pour déterminer p∗ : les aires a1 et a2

sont égales.

E, respectivement B et C, représentent des états métastables 34. Les points situésentre E et C (par exemple le point P2 de la figure 5) ne peuvent par contre pasreprésenter des états observables directement car ils sont instables puisque la pressionaugmente avec le volume. Cette partie EDC de l’isotherme est souvent qualifiée denon physique, en suivant essentiellement Maxwell. Cette conclusion est rejetée parThomson et van der Waals. Thomson suggère que de tels états peuvent apparaître àl’interface entre le liquide et le gaz 35. Dans la théorie des interfaces et de la tensionsuperficielle de van der Waals, qui est une de ses autres contributions importantesà la physique, cette partie instable de l’isotherme joue un rôle essentiel. Ces mêmesidées sont reprises dans la théorie de Cahn-Hilliard [CH] en 1958.

33. P.G. Tait (1831-1901) physicien et mathématicien écossais.34. Entre F et E le liquide est “surchauffé” et entre B et C le gaz est “sous-refroidi” ou

“sursaturé”. Il faut cependant noter que l’argumentation théorique est plutôt mince. Le travail [T]de Thomson est spéculatif et l’équation de van der Waals ne permet pas de distinguer par exempleun point entre B et C, représentant un état métastable, du point B où le système est dans un étatthermodynamique d’équilibre lorsque la transition de phase a lieu.

35. Dans son livre sur la théorie de la chaleur, [M1] p.127, Maxwell écrit : the portion ofthe isothermal curve EDC, can never be realised in a homogeneous mass, for the substance isthen in an essentially unstable condition, since the pressure increases with the volume. We cannot,therefore, expect any experimental evidence of the existence of this part of the curve, unless, as Prof.J. Thomson suggests, this state of things may exist in some part of the thin superficial stratum oftransition from a liquid to its own gas, in which the phenomena of capillarity take place.

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5. XXe siècle, Mayer et la mécanique statistique

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle prend naissance une nouvelle branchede la physique, la mécanique statistique, dont les principaux acteurs sont Maxwell,Boltzmann 36 et Gibbs 37. Cette branche utilise des concepts de la théorie des pro-babilités afin d’obtenir la thermodynamique 38 à partir de la description au niveaumicroscopique, en termes de positions et vitesses des particules et des forces d’inter-actions entre les particules. C’est tout à fait remarquable que l’on puisse obtenir ladescription macroscopique d’un système, en termes de quelques grandeurs physiquescomme la pression et la température, lorsque celui-ci est à l’équilibre thermodyna-mique, sans devoir considérer les équations du mouvement des particules au niveaumicroscopique. La formule principale de la mécanique statistique est celle donnantla fonction de partition 39 (écrite ici dans une version discrète),

Z =∑

états ω

e−βE(ω) , β = (kBT )−1 , (?)

où T est la température absolue et kB la constante de Boltzmann. A partir de Zon peut calculer l’énergie libre qui décrit le comportement thermodynamique dusystème. Au début du XXe siècle les principes de base de la mécanique statistiquesont établis et exposés dans une monographie importante de Gibbs [Gi] dont la pre-mière édition date de 1901. Conceptuellement c’est un progrès considérable, puisquel’on a maintenant à disposition une méthode générale pour aborder des questionstelles que celle formulée à la fin de la section 3 : grâce à la formule (?) on peutpasser d’une description microscopique (membre de droite de (?)) à une descriptionmacroscopique (membre de gauche), lorsque le phénomène étudié est décrit par lathermodynamique de l’équilibre.

Progressivement les transitions de phase sont étudiées dans le cadre de lamécanique statistique. Pratiquement, concernant le problème de la condensation, lesprogrès sont beaucoup moins spectaculaires, car il n’est pas possible en général decalculer la fonction de partition Z. La plupart des travaux concernent des situationsoù la densité des particules est faible et pour lesquelles on peut utiliser des méthodes

36. L. Boltzmann (1844-1906) physicien autrichien.37. J.W. Gibbs (1839-1903) physicien et mathématicien américain.38. La thermodynamique est la branche de la physique qui décrit comment l’énergie se trans-

forme lors de processus macroscopiques en énonçant deux principes fondamentaux. Elle établitaussi les conditions physiques pour avoir des transitions de phase. L’étymologie du mot “thermo-dynamique” provient de thermo-, du grec θερµóς (thermos) “chaud”, et de dynamique, du grecδυναµικóς (dunamikos) “fort, puissant”. Un mémoire important à l’origine de cette branche de laphysique est celui de Sadi Carnot (1796-1832), physicien et ingénieur français, sur les machines àvapeur et qui s’intitule Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines propres àdévelopper cette puissance. (1824). Ce mémoire explique comment on peut obtenir de la puissanceou du travail à partir de la chaleur.

39. En allemand la terminologie est plus explicite, Zustandssumme. La sommation dans laformule (?) est sur tous les états microscopiques ω compatibles avec les conditions macroscopiquesdu système et E(ω) est l’énergie associée à l’état ω. Il y a une version de (?) où la somme estremplacée par une intégrale. En mécanique quantique on a une formule similaire où la somme estremplacée par une trace. Une autre formule fondamentale est celle de Boltzmann,

S = kB lnW ,

qui exprime l’entropie S d’un système à l’équilibre thermodynamique à partir du nombre d’étatsmicroscopiques W associés à l’état macroscopique du système.

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perturbatives pour évaluer la fonction de partition. Un exemple est le développementdu viriel, qui exprime la pression en fonction du volume spécifique, v = V/N , V étantle volume occupé par N particules,

p

kBT=

1

v+∑i≥2

bi(T )

vi.

Qualitativement, la théorie de van der Waals reste insurpassable pendant de nom-breuses années. La complexité du problème se reflète aussi dans la difficulté à rendrecompte correctement des progrès accomplis par de nombreux auteurs. Cependantle travail de Mayer 40 [Ma], ainsi que ceux qui suivent à partir de 1937, constituentincontestablement un tournant dans notre compréhension du phénomène de conden-sation. L’importance de ces travaux est d’avoir relancé, et orienté différemment, larecherche théorique plus d’un demi-siècle après la thèse de van der Waals.

Dans son travail de 1937 [Ma] Mayer part de la formule (?), lorsque le fluide estun gaz de faible densité, à basse température. Ses principales conclusions 41 concer-nant les isothermes du fluide sont :

a) il existe une valeur déterminée VG telle que la fonction V 7→ p(V ), V > VG,donne l’isotherme de la phase gazeuse ;

b) pour V < VG la pression reste constante, et par conséquent la condensationa lieu pour cette valeur p∗ de la pression.

Les conséquences principales de cette analyse par rapport à la théorie de vander Waals sont : 1) on peut déterminer la pression p∗ pour laquelle la condensationa lieu à partir de la formule (?) ; 2) on n’obtient pas à partir de la formule (?)un prolongement de l’isotherme de la phase gazeuse, qui correspondrait à des étatsmétastables du gaz sursaturé.

Figure 8. Une isotherme obtenue par Mayer lorsqu’il y a condensa-tion pour la pression p∗.

Le travail de Mayer [Ma] n’est pas un travail de mathématique, mais il a attirétout de suite l’attention. Born 42 et Fuchs 43 écrivent un article [BF], qui simplifie

40. J.E. Mayer (1904-1983) est un chimiste américain.41. Le modèle des gouttelettes, qui sera proposé par plusieurs auteurs juste après le papier de

Mayer [Ma], est un modèle-jouet qui permet la mise en oeuvre concrète des idées de Mayer [Fis].42. M. Born (1882-1970) physicien allemand, prix Nobel de physique en 1954.43. K. Fuchs (1911-1988) physicien théoricien allemand. Il a fourni des informations nucléaires

à l’URSS et a été condamné comme espion en 1950.

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et clarifie certains aspects du travail de Mayer. Born donne un compte-rendu [B]de leur papier à la conférence d’Amsterdam de novembre 1937 en l’honneur ducentième anniversaire de la naissance de van der Waals. Dans l’introduction de sacommunication il s’exprime ainsi 44 :

Je considère ce travail comme une contribution de la plus haute importanceau développement de la théorie de van der Waals, qui doit être présentée à cetteconférence, même si les méthodes de Mayer sont plutôt difficiles à comprendre et sesrésultats pas entièrement satisfaisants. [...] En principe, les méthodes de mécaniquestatistique devraient donner une formule précise [pour les isothermes] si la loi desforces entre les molécules est donnée. [...] Le travail de Mayer est une tentative derésoudre le problème général de van der Waals rigoureusement du point de vue de lastatistique classique pour n’importe quelle loi de force centrale, et s’il n’a pas encoreréussi complètement, je considère que c’est un grand pas en avant.

D’autres travaux suivront rapidement 45. Lors du congrès d’Amsterdam un dé-bat 46 très animé pendant la session consacrée à la transition gaz-liquide eut lieu,afin de savoir si à partir de la fonction de partition on pouvait réellement calcu-ler (en principe) une isotherme associée au phénomène de condensation. En effet,contrairement à la théorie de van der Waals, Mayer n’obtenait pas la partie del’isotherme correspondant à la phase liquide. Sommerfeld 47, figure importante de laphysique du début du XXe siècle, pensait que la fonction de partition ne pouvaitpas décrire la coexistence de plusieurs phases 48. Kramers 49, qui était le présidentde séance, expliqua à cette occasion que la thermodynamique pouvait être obtenueà partir de la fonction de partition à condition que l’on prenne la limite thermo-dynamique, c’est-à-dire la limite où le nombre de particules du système tend versl’infini 50. La discussion sur le mécanisme précis de la condensation restant confus,Kramers proposa de voter sur la question si l’on pouvait expliquer le phénomènede condensation uniquement à partir de la fonction de partition ! Le vote fut sansconclusion véritable.

Un aspect intéressant et très important, que je laisse ici de côté, est le rôle del’étude de modèles simplifiés, pour lesquels on peut obtenir des résultats mathéma-tiques . Le plus célèbre d’entre eux est le modèle d’Ising 51. En raison de la difficultéà calculer la fonction de partition sans faire des approximations incontrôlables, lesrésultats mathématiques obtenus ont joué un rôle décisif dans la compréhensionthéorique des transitions de phase [Dr]. S’il ne fallait citer qu’un seul travail de ce

44. Voir aussi [BF] p.391.45. Thèse de Kahn (1938) [K], Kahn et Uhlenbeck (1938) [KU] par exemple.46. Concernant ce débat voir [Dr] et [BF].47. A. Sommerfeld (1868-1951) physicien théoricien allemand.48. Voir également à ce sujet l’introduction de [DB].49. H.A. Kramers (1894-1952) physicien théoricien néerlandais.50. Dans notre cas cela signifie que N →∞ et V →∞, mais V/N = v reste fixé ; on étudie la

pression comme fonction de v.51. Modèle d’Ising est la terminologie usuelle. E. Ising (1900-1998), élève de W. Lenz (1888-

1957), a résolu le modèle proposé par Lenz dans le cas unidimensionnel [Is]. Ce modèle a étérapidement supplanté par celui d’Heisenberg (Heisenberg-Dirac dans l’ancienne littérature) quitient compte des effets quantiques essentiels pour expliquer le magnétisme. Le modèle d’Ising estcependant resté comme un modèle théorique, avec plusieurs interprétations différentes : celle d’ungaz sur réseau ou d’un alliage de deux composants. Il deviendra un modèle essentiel en physiquestatistique après le travail d’Onsager [O].

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type, c’est évidemment celui de Lars Onsager 52 [O], donnant la solution du modèled’Ising en dimension deux, qui vient à l’esprit. En mécanique statistique un modèlen’est pas nécessairement étudié parce qu’il modélise une situation spécifique concrètede la physique, mais parce qu’il permet d’approfondir la compréhension qualitatived’une idée ou d’un phénomène physique.

A partir du début des années 1950, les questions soulevées au congrès d’Am-sterdam ne sont plus d’actualité. Il y a en gros un consensus sur les points suivants,à l’exception du point 4 :

1) le point de transition de phase, où a lieu la condensation, correspond à unesingularité de la pression 53, et il est nécessaire de prendre la limite thermodyna-mique ;

2) la fonction de partition suffit pour obtenir une isotherme ; dans la limitethermodynamique on peut obtenir les trois parties (analytiques) de l’isotherme ;

3) la théorie de van der Waals, et d’une manière générale les théories dites duchamp moyen, ne sont que des théories approximatives ; elles ne sont pas correctesau voisinage du point critique 54 ;

4) à partir de la fonction de partition, dans la limite thermodynamique, on ob-tient seulement les états d’équilibre thermodynamique et non les états métastables.

Figure 9. Isothermes pour un fluide simple au point de condensation.Les parties traitillées correspondent aux états métastables.

Le point 4) est le point où il n’y a pas consensus. Le fait que la pression a unesingularité au point de condensation (par rapport au potentiel chimique) n’exclutpas le prolongement analytique de l’isotherme V 7→ p(V ), V ≥ VG, correspondantau gaz, pour des valeurs V inférieures à VG. Si un tel prolongement avait lieu, en sui-vant Thomson, les points de ce prolongement représenteraient des états métastables.

52. L. Onsager (1903-1976) est un chimiste et physicien théoricien norvégien. Il a reçu le prixNobel de chimie en 1968.

53. La pression est ici considérée comme fonction du potentiel chimique. La pression est non-analytique pour la valeur du potentiel chimique à la transition de phase. (Voir C.N. Yang, T.D.Lee, Statistical Theory of State and Phase Transition I, Phys. Rev. 87, 404-409 (1952).)

54. La théorie des phénomènes critiques vient plus tard, au début des années 1970 avec lanotion de classe d’universalité. On sait cependant déjà que les théories de champ moyen ne décriventpas le voisinage du point critique correctement ; les exposants critiques de ces théories ne sont niceux que l’on observe expérimentalement, ni ceux que l’on peut calculer dans le modèle d’Ising.

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Par conséquent, dans ce cas les états métastables pourraient être obtenus à partirde la fonction de partition par prolongement analytique. Les travaux de Mayer, etceux sur le modèle des gouttelettes (voir note 41) entre autres, suggèrent la conjec-ture suivante, que je formule ainsi pour cette leçon (voir [Fis] pour la formulationoriginale) :

« Conjecture de Mayer » : la partie de l’isotherme correspondant au gaz est donnéepar la fonction analytique, V 7→ p(V ), V > VG ; en VG cette fonction ne peut pasêtre prolongée analytiquement pour des valeurs de V inférieures à VG.

Fisher a formulé cette conjecture en 1962. La terminologie « conjecture deMayer » est de Fisher. Il a analysé cette conjecture dans [Fis]. Voir aussi [A].

6. Mécanique statistique rigoureuse

C’est dans les années 1960 qu’en physique mathématique 55 on a commencéà étudier systématiquement les problèmes de base de la mécanique statistique enrelation avec les transitions de phase, afin d’obtenir sous une forme mathématique-ment rigoureuse les principaux résultats de la mécanique statistique énoncés à la findu paragraphe précédent. Au départ la communauté des physiciens mathématicienstravaillant sur ces questions était relativement petite et concentrée principalementen Europe 56. C’est à cette époque que le travail précurseur de Peierls [P] de 1936 surl’existence d’une transition de phase 57 dans le modèle d’Ising a été redécouvert et aété une source d’inspiration féconde. La monographie de Ruelle, Statistical Mecha-nics [Ru3], qui a eu un énorme impact sur le domaine, contient une grande partiedes résultats de cette direction nouvelle de recherche en physique mathématiquejusqu’en 1968-69. La particularité de cette démarche est avant tout de comprendrela mécanique statistique, plutôt que de résoudre un problème particulier. Dans cettepériode initiale on étudie des questions de base comme l’existence de la limite ther-modynamique, on réexamine le développement du viriel, le développement de Mayer,les équations de Kirkwood, l’existence de transition de phases dans des modèles. Unaccomplissement remarquable de cette période est la dérivation des isothermes dela théorie de van der Waals-Maxwell à partir des principes de base de la mécaniquestatistique dans la limite de Kac 58. Cette période est marquée par un foisonnementd’idées et de diverses méthodes mathématiques et par beaucoup de créativité. Il esttout à fait remarquable que les résultats obtenus ont eu une influence importantedans de nombreux autres domaines 59.

55. Le domaine à la mode en physique mathématique au début des années 1960 était la théoriequantique des champs.

56. Cette direction de recherche en physique mathématique était très présente dans le Labo-ratoire de Physique Théorique de l’EPFL situé alors à l’Avenue de l’Eglise Anglaise (Ch. Gruber,H. Kunz, P.-A. Martin).

57. Au début de [P] Peierls écrit : The Ising model is therefore now only of mathematicalinterest. Since, however, the problem of Ising’s model in more than one dimension has led to agood deal of controversy ...., it may be worth while to give its solution.

58. C’est la limite où les interactions ont une portée infiniment longue et sont infiniment faibles[vK], [KUH] et [LP].

59. En plus des domaines considérés aux paragraphes suivants, on peut citer la théorieconstructive des champs euclidiens, des problèmes d’optimisation (via l’étude des états fondamen-taux en prenant la limite de la température vers zéro), le traitement d’images digitales. Récemment,certaines idées inspirées par les théories de champ moyen ont fait leur apparition dans la théoriedes jeux. (La théorie de van der Waals est un exemple de théorie de champ moyen.)

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Une des questions considérées pendant ces années est celle de la caractéri-sation mathématique des états d’équilibre dans la limite thermodynamique 60. Enmécanique statistique quantique c’est la notion d’état KMS 61 [HHW] qui a émergéet qui est une notion importante de la théorie des algèbres d’opérateurs. Dans lecas classique, deux notions, qui ne sont pas équivalentes, ont été proposées : d’unepart la mesure de probabilité de Gibbs par Dobrushin 62 [Do] et par Lanford 63 etRuelle [LR], d’autre part la mesure d’équilibre qui est caractérisée par un principevariationnel (Ruelle [Ru2], voir section 7). La définition des mesures de Gibbs estrapidement devenue une notion standard en théorie des probabilités ; la mécaniquestatistique mathématique (dans le cas classique) est maintenant principalement dé-veloppée dans le cadre de la théorie des probabilités, et en constitue un chapitreimportant. C’est un aboutissement, somme toute assez naturel. Vingt ans après lamonographie de Ruelle [Ru3], la plupart des résultats obtenus pendant cette périodesont exposés dans le traité de Georgii, Gibbs Measures and Phase Transitions [G],qui est un livre écrit par un probabiliste, pour les probabilistes. Comme le titrel’indique, les thèmes de ce livre sont directement empruntés à la physique.

Un autre apport de l’étude mathématique de la mécanique statistique, que jementionne ici seulement en passant, est une nouvelle manière d’aborder la théoriedes grandes déviations 64. Lanford a montré dans son cours Entropy and EquilibriumStates in Classical Statistical Mechanics (1971) [L], qui reprend et amplifie des idéesde Ruelle [Ru1], comment les estimations des grandes déviations pour l’exempleclassique des variables aléatoires indépendantes de Bernoulli peuvent être obtenuesen considérant ces variables aléatoires comme un modèle de mécanique statistique eten calculant l’entropie thermodynamique de ce modèle. Ces idées ont eu rapidementune influence significative sur le sujet 65.

7. Conclusion

Revenons à l’influence de la mécanique statistique dans la théorie des systèmesdynamiques. Une première version du théorème 1.1 est due à Ruelle [Ru4]. Le théo-rème 1.1 est la version pour les systèmes dynamiques du principe variationnel dela mécanique statistique. La fonction Z(n, ε) remplace la fonction de partition etP (T, f) est la pression topologique, qui garde ainsi dans son appelation une tracede l’origine de sa définition. Les limites n → ∞ et ε → 0 correspondent à la limite

60. Pour une exposition complète voir [Isr].61. Pour les physiciens R. Kubo (1920-1995), P.C. Martin (1931) et J. Schwinger (1918-1994),

prix Nobel de physique en 1965.62. R.L. Dobrushin (1929-1995) mathématicien russe.63. O. Lanford (1940-2013), mathématicien américain.64. R.A. Minlos (1931), mathématicien russe, traite dans son cours Lectures on Statistical

Physics, paru dans Russian Mathematical Surveys [Mi], les fondements de la physique statistiquedu point de vue des mathématiques, et met en évidence l’importance de la théorie des grandesdéviations pour justifier l’interprétation des valeurs moyennes calculées en mécanique statistiquecomme valeurs mesurées expérimentalement.

65. R.R. Bahadur, S.L. Zabel, Large deviations of the sample mean in general vector spaces[BZ] et R. Azencott, Grandes déviations et applications [Az]. Ces travaux considèrent des variablesaléatoires indépendantes dans des espaces vectoriels topologiques. Une exposition récente de lathéorie dans le cas des variables aléatoires indépendantes est donnée dans la monographie de R.Cerf [Ce]. Pour le cas des variables aléatoires dépendantes, traité dans l’esprit de la mécaniquestatistique, voir [LPS] et [Pf].

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thermodynamique. La fonction f dans ce théorème remplace l’interaction en phy-sique. Le suprémum donnant la pression peut être pris sur les mesures ergodiquesseulement. Si µ 7→ hµ(T ) est semi-continue supérieurement, il y a toujours au moinsune mesure réalisant le suprémum. Une telle mesure est un état d’équilibre. Lorsqu’ily a plusieurs mesures d’équilibre, on parle de transition de phase. En mécanique sta-tistique les mesures d’équilibre ergodiques représentent les phases pures homogènes(gaz, liquide). Une situation qui n’est pas décrite par une mesure ergodique est celledans l’expérience d’Andrews où il y a séparation des phases liquide et gazeuse enV = V ′ (voir figures 2 et 3).

Le cas sans interaction du théorème 1.1, f ≡ 0, est intéressant (contrairementà la situation équivalente en mécanique statistique) : la pression topologique estalors l’entropie topologique [AKM], qui est une mesure de la complexité du systèmedynamique (X,T ), et le théorème 1.1 donne la relation importante entre l’entropietopologique et l’entropie métrique,

htop(T ) = sup{hµ(T ) |µ ∈M(X,T )

},

qui a été établie par Dinaburg en 1968, et en toute généralité par Goodman en 1970(voir [Wa2]). Le théorème 1.1 est une extension naturelle de ces résultats, mais lacaractérisation variationnelle de l’entropie topologique n’a pas été inspirée par lamécanique statistique.

Un résultat du même type, obtenu en collaboration avec W. Sullivan en 2007,concerne l’analyse multifractale des moyennes ergodiques ; il s’agit de calculer l’en-tropie topologique 66 des ensembles de niveau

Ka :={x0 ∈ X : lim

n

1

n(Snf)(x0) = a

}, a ∈ R .

Sous des conditions appropriées 67 pour le système dynamique (X,T ), l’entropietopologique de Ka est également donnée par un principe variationnel [PS] :

htop(T,Ka) = sup{hµ(T )

∣∣∣µ ∈M(X,T ) et∫f dµ = a

}.

Retour sur deux points importants laissés en suspens.

1) La « conjecture de Mayer » (voir fin de la section 5) concernant l’absence deprolongement analytique des isothermes au point de transition de phase (voir section5), est restée ouverte pendant de nombreuses années malgré plusieurs travaux sur cesujet. Ce n’est qu’en 1984 qu’une percée remarquée a été accomplie par Isakov [I],qui a montré qu’il n’y a pas de prolongement analytique des isothermes du modèled’Ising au point de transition de phase à basse température. Ce travail a été consi-déré à l’époque comme un véritable tour de force. Ce n’est que vingt ans plus tard,

66. Voir [Bow1] ; si E ⊂ X, la définition de htop(T,E) est semblable à celle de la dimensionde Hausdorff, mais en faisant intervenir explicitement la dynamique (via la métrique définissantles boules des recouvrements). Lorsque E = X on obtient l’entropie topologique définie par Adler,Konheim et McAndrew dans [AKM], htop(T,X) = htop(T ).

67. Il suffit que pour chaque µ ∈ M(X,T ), htop(T,Gµ) = hµ(T ), où Gµ est l’ensemble despoints génériques de µ. L’essentiel du travail [PS] est de caractériser les systèmes dynamiques pourlesquels cette condition est vérifiée. Par exemple tous les β-shifts vérifient la condition htop(T,Gµ) =hµ(T ). Sous des hypothèses différentes ce résultat avait été obtenu d’une autre manière par Takenset Verbitskiy [TV].

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en 2003, que ce résultat a été considérablement étendu par Sacha Friedli dans sathèse de doctorat 68 [Fr]. En dépit d’importants travaux, en particulier celui de Pen-rose 69 et Lebowitz 70 [PL], on n’a toujours pas une compréhension théorique vraimentsatisfaisante des états métastables du point de vue de la thermodynamique 71.

Figure 10. Isothermes pour un fluide simple. Le point P est le point critique.

2) On ne sait toujours pas construire un modèle simple pour un fluide, endonnant les interactions entre les particules, et démontrer, uniquement à partir desprincipes de base de la mécanique statistique, que les isothermes sont comme ceuxde la figure 10 dans le voisinage du point critique, sans mentionner le problème del’existence de la phase solide !

Du point de vue de la physique mathématique, la position de Newton expriméedans la préface des Principia reste largement utopique. La question formulée à la finde la section 3 reste un défi pour la physique mathématique.

68. Friedli montre que le résultat d’Isakov est vrai en un point de la variété de coexistencede deux phases, à basse température, pour n’importe quel modèle que l’on peut analyser par lathéorie de Pirogov-Sinai [S2]. Il étudie aussi la version du modèle d’Ising avec potentiels de Kacde portée finie γ−1, γ ∈ (0, γ0). Pour une température suffisamment basse, fixe et indépendante deγ, il montre l’absence de prolongement analytique au point de transition de phase, quelle que soitla portée du potentiel. De plus, on peut modifier les modèles, en excluant une classe appropriéede configurations microscopiques, de telle sorte que 1) la pression du modèle modifié est aussiproche que l’on veut de celle du modèle original pourvu que γ soit suffisamment petit ; 2) il y aprolongement analytique des isothermes au point de transition des modèles modifiés.

69. O. Penrose (1929) physicien théoricien anglais.70. J.L. Lebowitz (1930) physicien mathématicien.71. La notion d’équilibre thermodynamique est une notion théorique, qui n’est pas facile à

définir. Dans [Fe], p.1, R. Feynman (1978-1988), physicien américain, prix Nobel de physique en1965, introduit la notion d’équilibre thermodynamique ainsi : If a system is very weakly coupledto a heat bath at a given “temperature,” if the coupling is indefinite or not known precisely, if thecoupling has been on for a long time, and if all the “fast” things have happened and all the “slow”things not, the system is said to be in thermal equilibrium.

Une théorie complète des états métastables doit décrire à la fois leurs propriétés statiques(il y a des substance dans des états métastables qui perdurent pendant des millions d’années), etleurs propriétés dynamiques. Pour la physique des états métastables, voir [D] ; le chapitre 2 estconsacré à la description thermodynamique de ces états.

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Références

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