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1 XIII Back to menu Retour au sommaire Transport artisanal, esquisse de bilan pour la mobilité durable Xavier GODARD INRETS, Dest, France [email protected] RESUME : Le transport artisanal est très présent dans de nombreuses régions du monde. Il présente des atouts dans sa contribution à la mobilité durable, d’un point de vue économique, social et environnemental dès lors qu’on le considère comme une composante partielle en complémentarité avec les transports de masse organisés à travers des entreprises structurées. Mais il nécessite un encadrement par une autorité organisatrice qui fait souvent défaut, pour en tirer le meilleur parti. ABSTRACT: Informal (non corporate) transport has an important role in many developing cities to meet travel needs. It offers some advantages from the point of view of economic, social and environmental criteria if one considers it as a partial component of system where it is complementary with mass transport operated by structured companies. But one needs to insert it in a framework managed by an organizing authority, to get the higher efficiency. Introduction Le discours dominant dans les milieux internationaux porte sur la priorité à accorder au transport public au détriment de la voiture particulière. Le postulat implicite ou explicite est que le transport collectif doit être assuré par de grandes entreprises, et l’on retrouve d’ailleurs de plus en plus de grands groupes internationaux parmi les opérateurs. Mais la réalité du transport public est aussi faite du transport artisanal, souvent qualifié d’informel (informal, paratransit ou non corporate en anglais), qui a fait preuve d’une grande dynamique dans de nombreuses régions du monde, quelle que soit d’ailleurs la taille des agglomérations (Godard, 2005). On s’attache dans cette communication à synthétiser la contribution potentielle du transport artisanal au développement durable, aux côtés des modes individuels d’une part et des transports de masse assurés par de grandes entreprises d’autre part. On s’interroge en particulier sur les potentiels d’efficacité énergétique et environnementale du transport artisanal par comparaison avec chacune des autres familles de modes de transport. Il présente à priori des aspects positifs dans la recherche d’une mobilité pour un développement durable mais présente des défauts en termes énergétiques et environnementaux avec les technologies actuellement mobilisées, ainsi que de sécurité. Ces réflexions s’inscrivent dans un paradigme de complémentarité entre formes de transport, qui était déjà esquissé lors de la conférence Codatu IV à Jakarta. La communication s’appuie notamment sur les travaux d’un séminaire de recherche organisé à Aix en juin 2007 sur le transport artisanal en Méditerranée (Inrets, 2008). Définition et réalité multiple du transport artisanal Le transport artisanal désigne l’exploitation à une échelle individuelle de véhicules de transport public dont la propriété est atomisée, c'est-à-dire répartie entre de nombreux propriétaires. Cette exploitation peut s’intégrer dans des règles collectives plus ou moins contraignantes élaborées

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Transport artisanal, esquisse de bilan pour la mobilité durable

Xavier GODARD

INRETS, Dest, France

[email protected]

RESUME :

Le transport artisanal est très présent dans de nombreuses régions du monde. Il présente des

atouts dans sa contribution à la mobilité durable, d’un point de vue économique, social et

environnemental dès lors qu’on le considère comme une composante partielle en

complémentarité avec les transports de masse organisés à travers des entreprises structurées.

Mais il nécessite un encadrement par une autorité organisatrice qui fait souvent défaut, pour en

tirer le meilleur parti.

ABSTRACT:

Informal (non corporate) transport has an important role in many developing cities to meet travel

needs. It offers some advantages from the point of view of economic, social and environmental

criteria if one considers it as a partial component of system where it is complementary with mass

transport operated by structured companies. But one needs to insert it in a framework managed

by an organizing authority, to get the higher efficiency.

Introduction

Le discours dominant dans les milieux internationaux porte sur la priorité à accorder au transport

public au détriment de la voiture particulière. Le postulat implicite ou explicite est que le

transport collectif doit être assuré par de grandes entreprises, et l’on retrouve d’ailleurs de plus

en plus de grands groupes internationaux parmi les opérateurs. Mais la réalité du transport public

est aussi faite du transport artisanal, souvent qualifié d’informel (informal, paratransit ou non

corporate en anglais), qui a fait preuve d’une grande dynamique dans de nombreuses régions du

monde, quelle que soit d’ailleurs la taille des agglomérations (Godard, 2005).

On s’attache dans cette communication à synthétiser la contribution potentielle du transport

artisanal au développement durable, aux côtés des modes individuels d’une part et des transports

de masse assurés par de grandes entreprises d’autre part. On s’interroge en particulier sur les

potentiels d’efficacité énergétique et environnementale du transport artisanal par comparaison

avec chacune des autres familles de modes de transport. Il présente à priori des aspects positifs

dans la recherche d’une mobilité pour un développement durable mais présente des défauts en

termes énergétiques et environnementaux avec les technologies actuellement mobilisées, ainsi

que de sécurité. Ces réflexions s’inscrivent dans un paradigme de complémentarité entre formes

de transport, qui était déjà esquissé lors de la conférence Codatu IV à Jakarta. La communication

s’appuie notamment sur les travaux d’un séminaire de recherche organisé à Aix en juin 2007 sur

le transport artisanal en Méditerranée (Inrets, 2008).

Définition et réalité multiple du transport artisanal

Le transport artisanal désigne l’exploitation à une échelle individuelle de véhicules de transport

public dont la propriété est atomisée, c'est-à-dire répartie entre de nombreux propriétaires. Cette

exploitation peut s’intégrer dans des règles collectives plus ou moins contraignantes élaborées

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par des organisations professionnelles. Il peut y avoir une certaine concentration de la propriété,

de sorte que le cœur de la définition doit reposer sur les modalités d’exploitation des véhicules

dont la responsabilité est confiée largement au chauffeur, qui apparaît aussi comme un

gestionnaire de terrain dans les cas nombreux où ce n’est pas le propriétaire qui conduit son

véhicule.

L’exploitation artisanale coïncide avec l’utilisation de véhicules de taille et capacité réduites

(Godard 2004), sauf exception. On observe selon les régions du monde le recours aux divers

types de véhicules motorisés suivants :

- Automobile utilisée en taxi individuel, avec compteur ou non,

- moto-taxi (1-2 seats),

- tricycle (3-8 places)

- taxi collectif (4-6 places),

- microbus (9-15 places)

- minibus (16-25 places)…

- midibus (25-45 places)

Il faudrait ajouter les véhicules non motorisés, routiers (cycle-rickshaws, calèches…) et fluviaux

(pirogues, que l’on retrouverait aussi dans les modes motorisés…) pour avoir une liste complète.

Importance du transport artisanal dans des contextes divers

En Afrique au sud du Sahara, le transport artisanal domine la scène des transports urbains, de

façon quasi exclusive dans de nombreuses villes (tableau 1), à travers l’exploitation de minibus,

mais aussi dans certains cas de taxis collectifs. Il s’est développé à la faveur de la crise du

transport institutionnel qui a vu la disparition de nombreuses entreprises d’autobus mais il a été

présent dès les débuts de l’urbanisation (Godard, 2002).

Tableau 1 : Répartition modale de la mobilité mécanisée dans quelques villes africaines

Part modale (en %)

Mode

individuel

Transport collectif institutionnel Transport

artisanal

Autre

Ville Année Population

(millions)

Voiture

particulière,

taxi, moto

Total

institutionnel

Métro,

train

Autobus Total

artisanal

MinibusTaxi

collectif

Abidjan 1998 3,5 28 28 N 28 44 26 18 N

Alger 2004 2,8 32 12 2 10 56 53 3

Accra 2002 ? 15 11 N 11 74 51 23 N

Addis Ababa 2002 2,6 14 24 N 24 62 62 – –

Casablanca 2004 3,2 50 29 N 29 18 N 18 3 Tnm

Dakar 2000 2,4 18 4 1 3 72 58 14 6

Dar Es Salam 2000 2,2 11 2 N 2 81 81 nd 7 Tnm

Nairobi 2000 2,1 20 24 N 24 55 55 N 1

Niamey 1997 1 59 7 N 7 30 N 30 4 Tnm

Ouagadougou 2000 1 75 1 N 1 6 N 6 18 Tnm

Tshwane 2007 2,4 52 15 7 8 32 32 N 1

Tnm : transport non motorisé

N : nul ou négligeable

Source : Godard (2005)

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En Méditerranée et Moyen Orient, la place du transport artisanal est importante dans de

nombreuses villes tout en coexistant avec des entreprises structurées peu performantes, à

l’exception notable de la Tunisie où les louages de type minibus sont cantonnés aux liaisons

interurbaines et périurbaines (Codatu, 2008).

Tableau 2 : Part des transports artisanaux dans les déplacements motorisés, Région MMA

Alger

2004

Le Caire

2001

Casablanca

2004

Damas

1998

Téhéran

2004

Taxis collectifs 3% - 21,5% - 16,5%

Minibus 53% 25% 46% 18%

Total 56% 25% 21,5% 46% 34,5%

Source Codatu 2008

En Asie, on observe des situations contrastées avec des villes où le transport artisanal est plutôt

absent (Bangkok, Delhi, Hanoi, Ho Chi Minh Ville…) mais les statistiques officielles sont

parfois trompeuses, et d’autres villes où il est très présent (Dakka avec ses rickshaws, Manille

avec ses jeepneys…).

Tableau 3 : Répartition modale au sein du transport collectif

Répartition des déplacements en transport collectif (en %)

Transport institutionnel Transport artisanal

Ville

Autobus Rail Total Minibus Taxi

collectif

Autres Total

Total

Afrique

Abidjan 1998 37 N 37 33 24 67 100

Alger 2004 3 3 6 77 4 13 94 100

Le Caire* 39 9 48 52 N N 52 100

Capetown* 10 64 74 26 nd N 26 100

Casablanca* 72 – 72 28 nd N 28 100

Dakar (2003) 3 2 5 74 17 95 100

Tunis (2000) 72 28 100 N N N N 100

Amérique latine

Mexico* 13 14 27 48 25 N 73 100

Sao Paulo* 77 23 100 nd N N – 100

Asie

Bangkok* 94 6 100 – – – nd 100

Delhi (2000) 92 N 92 N N 8 8 100

HCMC* 55 45 100 N N nd nd 100

Jakarta* 64 2 66 34 N nd 34 100

Manille* 21 3 24 73 N 76 100

Teheran* 44 - 44 27 29 N 56 100

N : nul ou négligeable

Nd : indéterminé

* : base Uitp, 1998, Source : Godard (2005)

En Amérique latine, le transport artisanal organisé en coopératives selon un modèle

volontairement atomisé (un seul véhicule par propriétaire) a dominé la scène durant plusieurs

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décennies à l’exception du Brésil qui avait imposé des entreprises d’une taille suffisante. La

situation a ensuite évolué vers des rééquilibrages entre types d’opérateurs : des initiatives de

transport de masse ont été introduites dans de nombreuses villes, dont l’expérience de Bogota est

emblématique avec son BRT ; mais le Brésil a connu à l’inverse une extension du transport

artisanal à partir des années 90, il s’agit souvent de transport clandestin avant une période de

reconnaissance partielle et de légalisation dans plusieurs cas. Des expériences d’intégration en

complémentarité avec les entreprises ont ainsi été mises en place dans certaines villes (voir leur

relation dans plusieurs papiers de la conférence Codatu X à Lomé (Godard, Fatonzoum, 2002).

L’évaluation des performances, multiplicité des paramètres et question de la situation de

référence

Les différentes analyses du transport artisanal indiquent que, par son adaptabilité et ses

meilleures fréquences, il paraît mieux adapté dans les zones de faible densité de demande où à

évolution rapide du fait de l’urbanisation. Lorsque les densités s’accroissent, les nuisances de

congestion et de pollution deviennent contreproductives et le transport de masse devient le plus

efficace à l’évidence. La complémentarité devrait donc se déployer sur le terrain selon la densité

de la demande, ce qui ne résulte pas d’ajustements spontanés mais doit être orienté par une

autorité organisatrice.

On sait que le transport artisanal est dénoncé pour de multiples coûts externes, dont la congestion

et la pollution que ses véhicules provoquent (ces deux externalités étant liées). La pollution est

causée par la combinaison de multiples facteurs où figurent à la fois :

- le type de véhicule et leur ancienneté qui fait que les nouvelles normes

environnementales sur les moteurs ne sont pas intégrées ;

- l’entretien défectueux des moteurs du point de vue de la carburation ;

- l’usage de carburants de mauvaise qualité ;

- la densité des arrêts et redémarrages pour charger les clients au gré de la demande sur

voirie.

Tous ces facteurs ne sont pas inéluctables et on peut trouver des contre-exemples limitant la

portée de ces coûts externes : là encore, la diversité des situations doit inviter à éviter les discours

simplistes. Le cœur des appréciations sur ces nuisances devrait reposer sur l’adéquation des

véhicules à la densité de la demande.

Le transport artisanal peut être considéré dans certains cas comme bien plus attractif pour les

utilisateurs potentiels de modes individuels (voiture, moto) que le transport institutionnel surtout

lorsque celui-ci offre un service d’une qualité médiocre (méfions nous de nouveau des

généralisations alors que l’on sait la diversité des situations et des contextes). On peut donc

arguer que le transport artisanal contribue partiellement à préserver un équilibre favorable au

transport collectif face à la pression en faveur des modes individuels. Cet argument au niveau du

partage modal se retrouve lorsque l’on considère le critère des consommations énergétiques et

des émissions de gaz à effet de serre (GES), comme le suggèrent les tableaux 4 et 5 à partir de

données simplifiées.

Le premier niveau des indicateurs d’efficacité concerne les véhicules dont le bilan des

consommations et émissions de carbone est donné dans le tableau 4. Le mérite de ces données

est d’intégrer les émissions de carbone liées à la fabrication des véhicules (et des carburants). On

peut discuter des chiffres, issus d’observations, alors que de multiples paramètres concourent à

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ces résultats, variables d’un contexte à l’autre, en particulier les conditions de circulation et la

vitesse commerciale, ou la nature et la qualité du carburant utilisé.

Tableau 4 : Emissions de carbone par les divers modes (gC/veh-km)

Mode Fabrication

véhicule

Carburant

Sans amont

Carburant avec

amont

Total au véhicule-

km

VP urbain 11 41 47 58

VP périurbain 11 50 58 69

Autobus 17 436 - 452

Minibus 18 122 - 140

2RM 50 cm3 5 18 - 23

2RM -125 cm3 9 33 - 42

Source Jancovici (2007)

Note : il s’agit ici de carbone et non de CO2, qui s’obtient avec un coefficient multiplicateur de

l’ordre de 2,4 (essence) à 2,9 (diesel)

La considération de ces indicateurs relatifs aux véhicules-km ne suffit pas, il convient

naturellement de passer aux indicateurs relatifs aux passagers-km. Le facteur clef de la

performance devient alors le taux de remplissage à côté des performances énergétiques

intrinsèques des véhicules. Ce taux d’occupation moyen exprime la charge instantanée du

véhicule en ligne mais doit intégrer aussi les parcours à vide, … On remarquera d’ailleurs la

difficulté à établir des données détaillées sur cet indicateur car autant on peut connaître assez

aisément le nombre de passagers, autant il est difficile d’estimer leur parcours moyen et donc les

passagers-km, ce qui relève de dispositifs d’enquête adaptés et complexes.

On livre dans le tableau 5 une simulation simplifiée de ces indicateurs sur la base d’hypothèses

plausibles mais modulables selon les situations : cet examen devrait être repris sous forme

paramétrée et soumis à des observations de terrain pour les taux d’occupation des véhicules. On

peut montrer néanmoins que, autour d’un seuil de remplissage de 35 passagers dans un autobus,

de 20 passagers pour un minibus, et de 11 passagers pour un microbus, les performances sont

équivalentes c'est-à-dire que le transport artisanal n’est pas moins performant que le transport

institutionnel par autobus. Rappelons que tous les opérateurs sont confrontés au problème de la

dissymétrie des flux qui fait que les véhicules sont obligés de rouler à faible charge dans un sens

ce qui diminue la performance. Mais les transporteurs artisanaux tendent à réduire cet obstacle

avec leur pratique de recherche de remplissage maximum. De plus le cahier des charges des

autobus impose des services en heure creuse où le taux de charge est faible.

Au bout du compte on peut trouver des situations où le minibus artisanal affichera les meilleures

performances d’émission de carbone, contrairement à certaines idées reçues. Même avec des

hypothèses favorables, le taxi collectif demeure un peu plus émetteur de carbone que l’autobus,

mais il est intrinsèquement plus avantageux que la voiture particulière. Il en va de même pour le

taxi-moto. Cette analyse, qui reste à affiner, devrait conforter le schéma de complémentarité.

Tableau 5 : Comparaison des efficacités énergétiques des modes de transport

Consommation

unitaire

(l/100km)

Capacité

Nbre places

Taux moyen

d’occupation

Nbre passagers

Consommation

Gep

Passager-km

CO2/

passkm

Emissions

Carbone

Passager-km

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2RM (moto) 2 1 1,2 15 36 19VP individuel 7 5 1,2 58 152 54Taxi co artisanal 8 5 3,5 22 57 18,5Microbus artisanal 12 15 11 11,5 33 12,7Minibus artisanal 14 25 19 8 22,5 7,5Bus institutionnel 40 100 35 12 35 12,8

Le cas particulier des taxis-motos

Le taxi-moto peut paraître le comble de l’inefficacité du transport public de masse puisque les

ratios classiques de productivité sont au plus bas comparés aux modes de transport collectif de

type autobus : un seul passager par véhicule (parfois davantage… jusqu’à 3 ou 4 personnes), un

passager pour un chauffeur… Ces ratios ne paraissent pas soutenables d’un point de vue

économique dès lors que le coût de la main d’œuvre est élevé, comme c’est le cas en Europe, en

Amérique du nord ou dans certains pays asiatiques. Mais ils deviennent supportables dans des

milieux où le chômage et la pauvreté sont présents de façon structurelle, permettant des faibles

niveaux de rémunération compatibles avec cette activité.

C’est pourquoi la tendance est à leur développement plus qu’à leur disparition. Outre plusieurs

villes africaines (Cotonou, Douala, Lomé…) on peut citer Phnom Penh (125 000 motodubs) ou

même Bangkok (100 000 rub jongs) en Asie et on en signale de plus en plus dans les villes

latino-américaines.

D’un point de vue des consommations d’énergie et des émissions de GES (tableau 5), le taxi-

moto peut paradoxalement faire jeu égal avec l’autobus si celui-ci est considéré dans des

situations de faible occupation des véhicules et de forte consommation de carburant (45 à 50

litres/100km), telles qu’on les observe dans un certain nombre de villes, loin du schéma idéal de

forts taux d’occupation des autobus.

La dimension sociale de l’emploi

La dimension sociale dans laquelle s’inscrit le transport artisanal est essentielle, car elle

correspond à l’une des dimensions du développement durable : non seulement le transport

artisanal offre des opportunités de mobilité que les entreprises ne sont pas à même d’assurer pour

de nombreux groupes de population, mais il mobilise aussi un grand nombre d’emplois qui

permettent une insertion urbaine à plusieurs catégories de travailleurs dans un contexte de

chômage important.

Tableau 6 : Estimation des emplois générés par le transport artisanal dans quelques villes

Abidjan

1998

Conakry

2004

Cotonou

2000

Dakar

2000

Douala

2004

Parc Moto-taxis - - 60 000 - 22 000

Parcs Taxis 13 200 5 000-6 000 na 12 000 6 000-7 000

Parc Minibus 2 700 1 200-1500 na 4 000 300-400

Emplois Directs 37 000 20 000 60 000 28 000 43 000

Population (millions) 3,2 1,5 1 2,4 2

Sources diverses

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Si l’on admet qu’un actif peut faire vivre une famille d’au moins 4 à 5 personnes, mais parfois

bien plus, on voit que le nombre de personnes vivant de ce secteur peut être important à l’échelle

d’une ville, de l’ordre de 10% de la population. Cette dimension est trop souvent négligée, du

fait sans doute de la prégnance du modèle économique du monde développé.

Le schéma de complémentarité, statique et dynamique

Le schéma de complémentarité associe plusieurs types d’opérateurs de transport, artisanat et

entreprises. Déjà en 1982 le schéma de complémentarité était développé dans l’analyse du cas de

Bamako (Marchand, 1982). Dans le cas de Dakar le schéma de complémentarité a fait son

chemin comme en témoignent l’analyse et les propositions qui en étaient faites dans les années

90 (Teurnier, Mandon, 1994) et la consolidation de ce schéma, observée après bien des

vicissitudes (Godard, 2007)

Pour une vision dynamique des évolutions possibles du transport artisanal, on pourra toujours se

référer à l’ouvrage pionnier de Peter Rimmer publié en 1986 et dont le titre résume cette vision

dynamique d’une évolution technologique du transport artisanal vers des formes modernes avec

les innovations du transport de masse : Rikisha to Rapid Transit. Mais si l’on s’abstrait de

l’évolution technologique, pour se centrer sur la forme artisanale, il nous faut citer notre schéma

d’évolution en spirale établi en 1987 (Godard, 2008) donnant l’idée d’une évolution vers la

complexité combinant artisanat et entreprises.

Cette vision de complémentarité longtemps minoritaire a quelques adeptes : elle était développée

par Talvitie (2004) et on la retrouve à titre d’exemple, dans les scenarios du transport urbain

durable proposés par le Pew Center en Afrique du sud, qui rejoignent notre approche puisque la

tendance à l’extension de la part de l’automobile est contrée dans le scenario « volontariste » à la

fois par les transports collectifs institutionnels (surtout le rail), et par les minibus : ceux-ci sont

annoncés en légère régression par rapport à 2000 mais avec une part plus importante que dans le

scenario tendanciel (tableau 7). Par rapport à ce que l’on sait de la dynamique des minibus, à

travers l’exemple de Tshwane (ancienne Pretoria), il apparaît d’ailleurs que ces données sur la

part des minibus pourraient être sous-estimées.

Tableau 7 : Scenarios d’évolution en Afrique du sud selon Pew Center (2002)

carburant Référence

2000

Scenario 2020

volontariste

Scenario 2020

tendanciel

VP 1,2 1,3 1,2

Minibus (taxi) 4,5 5 4,5

Minibus jitney 15,5 19,6 15,5

Passagers/

véhicule

Bus 44,9 54 44,9

VP essence essence 48 46 57

Minibus essence essence 3 2 2

Minibus Jitney essence 32 8 25

Minibus Jitney diesel 0 21 0

Total minibus 35 31 27

Bus diesel 12 10 8

Rail 5 13 8

Répartition

modale (%)

total 100 100 100

Total pass-km 211 325 400

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Figure : Schéma d’évolution des formes de transport urbain

Source Godard 1987 cité dans Godard (2008)

Conclusion

Par rapport aux trois dimensions classiques du développement durable, le transport artisanal

présente de l’intérêt comme nous avons essayé de l’argumenter :

- Pour des raisons sociales et de contribution à la mobilité, le transport artisanal doit être

considéré comme une composante de la mobilité durable, non pas en soi et seul mais en

articulation avec d’autres modes selon les configurations urbaines variables dans le

monde en développement. Sa contribution à l’emploi est essentielle dans un contexte de

chômage structurel.

- D’un point de vue économique le transport artisanal présente de l’intérêt dans les zones

de demande réduite ou diffuse. De manière générale il a l’avantage de ne pas faire appel

(ou peu) au financement public, ce qui n’est pas un critère absolu mais un argument

partiel lorsque les financements publics sont défaillants.

- Enfin du point de vue de l’environnement (local et mondial) le transport artisanal peut

présenter des performances moins défavorables que l’image qui en est donnée. Il peut

avoir un effet positif par rapport aux modes individuels.

Une difficulté méthodologique majeure se pose dans tous ces raisonnements d’évaluation des

modes de transport dans la mesure où les raisonnements oscillent entre l’introduction de schémas

normatifs caractérisant les modes de transport dans des conditions optimales et l’observation

d’une réalité mouvante qui s’écarte de ces schémas, dans des conditions éventuellement

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dégradées. On ne peut que relever l’insuffisance d’attention et de recherche consacrée à ces

transports artisanaux. Mais toutes ces analyses n’ont de sens que si elles sont insérées dans des

approches systémiques considérant la multimodalité, c'est-à-dire le fonctionnement de multiples

modes de transport au sein d’un même système de mobilité urbaine : c’est alors une autre source

de difficulté méthodologique.

Ce sont ainsi des schémas de complémentarité qu’il faut pouvoir analyser et promouvoir dans les

politiques mises en place, avec un nécessaire encadrement de ce secteur d’activité. On sait que

les obstacles sont alors politiques, à la fois pour la constitution d’autorités organisatrices (conflits

de pouvoir entre entités publiques) et pour l’encadrement du transport artisanal (grand pouvoir

de lobby des syndicats, du fait du nombre d’emplois du secteur).

Les actions doivent chercher à tirer parti des zones d’efficacité de chaque mode mais l’approche

systémique et dynamique impose d’élargir l’analyse aux formes urbaines liées aux modes de

transport (l’artisanat participe à la périurbanisation) ainsi qu’aux évolutions technologiques en

cours intégrant l’industrie des véhicules et les modes de propulsion/carburant. De même les

technologies de communication qui touchent toutes les villes en développement (comme

l’indique l’usage des téléphones portables) devraient faire évoluer tôt ou tard les modalités

d’organisation de ce secteur.

Références

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Méditerranée

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Prud’homme Nouvelles perceptions et nouvelles politiques, transport urbain dans les pays en

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Godard X (2007), Urban transport reform in Dakar, lessons from 15 years experience, The

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Inrets (2008), Compte-rendu d’Atelier sur le transport artisanal dans les villes

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Jancovici (2007), Bilan carbone, Dossier de calcul, AFD

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Sitrass (2001), Rentabilité et financement des micro-entreprises de transport collectif en Afrique

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