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TROIS MODES D'APPROCHE A LA DETERMINATION DE L'OPPORTUNITfi DE LA DECENTRALISATION DE L'ORGANISATION POLITIQUE PRINCIPALEMENT EN SYSTEME FEDERAL Andri Gelinas Toute organisation, politique ou autre, doit un moment donne faire face A deux problbmes fondamentam soit la determination de l'oppor- tunitk de la dkcentralisation et subsidiairement la determination du degr6 desirable de dkcentralisation. A vrai dire il s'agit la de deux questions intimement likes et souvent erronkment confondues en pratique. Sur le plan de l'organisation politique elles sont mises en lumibre non seulement lorsqu'il s'agit de la crCation de paliers de gouvernements ou de l'klargissement de leur juridiction mais kgalement lorsqu'il s'agit de determiner le r61e que doit jouer l'ktat A l'intkrieur d'une sociktk donnke. En fait, les discussions qui portent sur le r61e kconomique de I'ktat ou encore sur les divers types de rtgimes politiques rejoignent A maints Bgards les discussions sur l'autonomie provinciale ou l'indkpendance nationale. I1 s'agit d'une decision complexe puisqu'elle comporte une dimension circonstancielle et une dimension normative et puisqu'elle s'attache A une conception relative et B un phknombne instrumental. Ce sont la en fait les principales caractkristiques de la dkcentralisation. Nous n'avons pas la prktention bien entendu de solutionner ce pro- bl8me. Plus modestement nous nous contenterons de dkcrire trois modes courants d'examen de ce probEme, d'en souligner les difficult& et les limitations. I1 y aurait lieu de complkter cette ktude par une mkthode d'apprkciation des divers degrks de dkcentralisation. I1 serait peut-etre bon au depart de prkciser que nous entendons par dkcentralisation tout dkplacement de lieu d'autorite et de dCcision du centre d'une organisation vers l'une ou l'ensemble de ses parties. Ce mouvement s'accompagne nkcessairement d'une augmentation de la sphbre d'autoritk des parties et du nombre de dkcisions prises par elles. Ainsi qu'il a ktk not6 prkckdemment l'on peut distinguer trois modes d'approche courants A cette question. Selon une premibre mtthode, I'opportunitk de la dkcentralisation ainsi que le degr6 de dkcentralisation constituent d e w decisions imposkes par I'existence d'un jeu de forces centrifuges (ou d'intkgration). L'on pourrait parler ici d'une mkthode circonstancielle ou a rkaliste a. 1

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TROIS MODES D'APPROCHE A LA DETERMINATION DE L'OPPORTUNITfi DE LA DECENTRALISATION DE L'ORGANISATION POLITIQUE PRINCIPALEMENT EN SYSTEME FEDERAL

Andri Gelinas

Toute organisation, politique ou autre, doit un moment donne faire face A deux problbmes fondamentam soit la determination de l'oppor- tunitk de la dkcentralisation et subsidiairement la determination du degr6 desirable de dkcentralisation.

A vrai dire il s'agit la de deux questions intimement likes et souvent erronkment confondues en pratique. Sur le plan de l'organisation politique elles sont mises en lumibre non seulement lorsqu'il s'agit de la crCation de paliers de gouvernements ou de l'klargissement de leur juridiction mais kgalement lorsqu'il s'agit de determiner le r61e que doit jouer l'ktat A l'intkrieur d'une sociktk donnke. En fait, les discussions qui portent sur le r61e kconomique de I'ktat ou encore sur les divers types de rtgimes politiques rejoignent A maints Bgards les discussions sur l'autonomie provinciale ou l'indkpendance nationale.

I1 s'agit d'une decision complexe puisqu'elle comporte une dimension circonstancielle et une dimension normative et puisqu'elle s'attache A une conception relative et B un phknombne instrumental. Ce sont la en fait les principales caractkristiques de la dkcentralisation.

Nous n'avons pas la prktention bien entendu de solutionner ce pro- bl8me. Plus modestement nous nous contenterons de dkcrire trois modes courants d'examen de ce probEme, d'en souligner les difficult& et les limitations. I1 y aurait lieu de complkter cette ktude par une mkthode d'apprkciation des divers degrks de dkcentralisation.

I1 serait peut-etre bon au depart de prkciser que nous entendons par dkcentralisation tout dkplacement de lieu d'autorite et de dCcision du centre d'une organisation vers l'une ou l'ensemble de ses parties. Ce mouvement s'accompagne nkcessairement d'une augmentation de la sphbre d'autoritk des parties et du nombre de dkcisions prises par elles.

Ainsi qu'il a ktk not6 prkckdemment l'on peut distinguer trois modes d'approche courants A cette question.

Selon une premibre mtthode, I'opportunitk de la dkcentralisation ainsi que le degr6 de dkcentralisation constituent d e w decisions imposkes par I'existence d'un jeu de forces centrifuges (ou d'intkgration). L'on pourrait parler ici d'une mkthode circonstancielle ou a rkaliste a.

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2 CANADIAN PUBLIC ADMINISTR.4TION

Selon une deuxikme mkthode ces deux questions seraient rksolues p a l’identification de certaines valeurs sociales avec certains types de rkgimes et de systitmes politiques (ex : dkmocratie, autocratie fidkrale. unitaire). Con pourrait qualifier cette mkthode I: d’idhologique D ou I: volontariste B.

Selon une troisihe mkthode, l’on pourrait obtenir une rkponse a m deux questions initiales qu’aprtts une analyse dune situation optimale. Cette mkthode se voudrait 4 rationnelle et scientifique p ,

Ces trois descriptions tr&s sommaires seront examinkes plus profond6- ment par la suite. Pour Tinstant nous pouvons nous contenter de faire ressortir quelques caractkristiques gknkrales et particulikres.

En premier lieu, il amve friquemment qu’un mCme auteur utilise ces trois modes indistinctement. C‘est une dkmarche qui sans doute se justifie car rien n’indique qu’en pratique ils ne soient pas confondues. Cependant, il est certain que chacune de ces mkthodes pretend fournir une explication globale et conskquemment devrait Ctre considkrke comme exclusive. Par aillews il est h noter que cette confusion a aussi pour conskquence de dispenser l’analyste de l’approfondissement de chacune de ces mkthodes et de favoriser un ktalage de ghnkralitks peu convain- cantes.

Deuxikment, l’on pourrait peut-Ctre souligner que chacune de ces mkthodes resoit habituellement l’adhbion d’une discipline particulikre. Ainsi la premikre ressortit principalement de la science politique tradi- tionnelle. La deuxiitme est propre A la philosophie tandis que la troisibme trouve ses protagonistes surtout parmi les kconomistes et les administra- teurs. Incidemment l’on aura sans doute remarquk que l’approche juridico-historique est absente bien que sa nkcessitk soit indkniable. En fait elle est sous-jacente dans chacune des trois mkthodes retenues ici et ce mCme si leurs dkfensews n’en font pas &tat ouvertement Quant B nous, nous en tiendrons compte au cows des critiques de ces trois m6thodes.

Enfin, il y a peut-Ctre lieu de prkciser une autre fois que nous distinguons ici les discussions portant sur I’opportunitk de la dkcentrali- sation des discussions touchant le degrk de dkcentralisation. I1 va sans dire qu’en pratique les secondes peuvent conditionner les premikres.

PREMI~RE M ~ I O D E : LES FORCES CENTRIFUGES ou DE DIVISION ET LES FORCES C E N T R I P ~ S ou D’INT~GRATION.

A la question de savoir quand y a-t-il lieu de dkcentralise; l’organisation politique certains rkpondent que la solution rkside dans l’affrontement des forces opposkes ou prisenter dans le temps. I1 en irait d’ailleurs de m&me quant A la dktermination du degrk de dkcentralisation.

En bref, il y a lieu de dkcentraliser lorsque les forces centrifuges

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LA D~CENTRALISATION DE L'ORGANISATION POLITIQUE 3

dominent les forces centripbtes. Et bien entendu le degre de dkcentralisa- tion sera proportionnel B la vigueur des forces centrifuges. La centralisa- tion ob6ira inversement aux forces centripbtes.

Con peut trouver maints exemples de cette fason de voir dans toute bibliographie de science politique portant plus particulibrement sur le fkdkralisme 1. L'on confond alors B loisirs les causes, les fondements et les forces du fBdtralisme, certains vont m&me jusqu'B parler de la a sociologie B du fkdhralisme 2. L'on pourrait observer incidemment que cette mkthode est surtout utilisee pour expZiqucr un resultat, une situation passke. Le ph6nombne de la centralisation n'est ni bon ni mauvais en soi. La dkcision ne procbde m&me pas d'un acte volontaire mais des c exi- gences de la rkalitk circonstancielle B.

A premi&re vue ce mode est fond6 sur un truisme. Cependant I'analyse qui doit I'expliciter en pratique soulbe plusieurs difEcult6s et r6vMe diverses limitations.

Dificultt5s Les principales difEcultks de cette mkthode sont A prime abord 1)

I'identification des forces; 2) la dktermination de la direction des forces; 3) la ponderation des forces.

1" Essentiellement une force est la possession de quelque chose en n m b r e et en qualitk qui permet A son dktenteur soit de subordonner une autre personne ou un groupe, soit de rksister A la subordination, soit enfin d'influencer le comportement d'une autre personne ou groupe dans Ie sens de ses int&r&ts personnels ou de groupe.

Ceci dit I'on fait face A une premibre diffiicult6 qui est I'absence en matibre d'organisation politique d'une typologie de forces qui soit gkn6ralement acceptke. L'on peut cependant, aux fins de la prdsente discussion, mentionner certains Blkments qui semblent recevoir commun6- ment le plus d'attention. L'on pourrait ainsi distinguer la force militaire ou

1R. Schlesinger, FederaZim in Central and Westem Europe (Kegan Paul, 1945); Le Centre de Science Politique, Le Fkd6raZisme (1956); N . S . Livingstone: Federalism and Constitutionat Change (Clarendon, 1963); W . R. Riker, Federalism: Origin, Operation, Significance (Little, Brown, 1964).

I1 est ktonnant de voir B ce propos que cette mhthode est utilis6e presqu'unique- ment dans le cas de systhmes fkdkraux. L'on pourrait trhs bien concevoir que de tells forces centrifuges puissent exister dans un systhme unitaire, m6me si elles sont moins vigoureuses. Cette observation doit nous mener B la conclusion que le pouvoir ktabli, la lkgitimitk constitue une force et ce malgrb les protestations des politistes contre le formalisme.

2L'ouvrage de Riker dkjk citk est plus rigoureux en ce qu'il distingue les causes des fondements du fkdkralisme (ch. 2, 3, 5 ) . I1 note ainsi que la crainte de l'ktranger a pu constituer la principale cause du fkdkralisme mais que la loyautb envers les insti- tutions ktablies et la centralisation administrative en ont kt6 ses principaux fondements.

Sans vouloir chercher la multi lication des distinctions subtiles, l'on pourrait utiliser

selles. Quant aux fondements l'on ne pourrait ne retenir que les forces et les muses qui ne diminuent pas $importance une fois l'organisme cr&.

le mot forces uniquement dans P e sens de causes gknkrales, en quelque sorte univer-

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4 CANADIAN PUBLIC ADMINISTIL4TIOK

armbe, la force idkologique, la force konomique ( richesses matdrielles), la force gkographique (occupation, localisation et dimensions de tern- toire), la force sociale (ethnie, religion, langue), la force professionnelle ( compdtence et aptitudes techniques), la force politique ( reprksentativite de groupes occupationnels et ghographiques, leadership, stratkgie ).

Cette classification classique f d t cependant abstraction de deux 616- ments trks importants. En effet, il conviendrait d'ajouter d'abord la a rkalitk affective B plus sp6cSquement les sentiments de loyautb, d'identification, de lkgitimitk, de sympathie et de confiance3 : Bien sQr cette rdalit6 ne se comprend que par 1'6volution historique. I1 faudrait kgalement tenir compte du ph6nomkne des communications dans ses diffkrentes dimensions (m6dias physiques circuits culturels contenu qualitk et quantit6). Ce sont lA coup sfir des forces tr&s rkelles et comme les prkckdentes elles peuvent dtre considkdes d'un autre point de vue comme des domaines oh peut s'exercer une subordination.

Or, il est kvident que m&me lorsque l'on a accept6 sous caution une telle typologie une deuxikme di5cult6 apparait immkdiatement. En effet, une analyse m&me superficielle r6vkle qu'en matiire d'organisation politique les forces d6jA indiqukes ne jouent pas toutes A tous les paliers de gouvernement.

Par exemple Yon pourrait tr&s bien observer qu'au palier national I'on fera plus facilement abstraction des forces professionnelles et idkologiques tris pertinentes par ailleurs au palier local' pour leur substituer sans doute les forces sociales et militaires. L'on pourrait peut-Qtre ajouter que la complexit6 du fkdkralisme provient en partie de ce que le palier intermkdiaire (ktats f6dkrks) rkunit 2i la fois des 6: forces nationales g et a locales 2. C'est pourquoi il peut arriver que ce palier soit considkr6 par une majoritk ethnique comme ne groupant que des c grosses muni- cipalitks B alors que pour une minorit6 bien localiske il constituera un palier 0: national B.

Cette distinction des forces d'apris le niveau oh elles agissent avec le plus d'intensitk semble justifiable m&me si elle complique d'autant l'analyse et la dkcision.

Elle est justifiable tout simplement parce qu'elle permet d'identifier des organismes spkcifiques et partant des forces internes et externes A un

311 s'agit en somme des composantes de la sociombtne traciitionnelle. 4Voir par exemple F. Smallwood, Greater London: The Politics of hletropolitun Re-

form (Bobbs-Merrill, 1965). A vrai dire l'auteur ne traite que des motivations d la participation au mouvement de reforme. Cependant ces motivations se retrouvent chez des categories d'individus et d'idees qui constituent des forces.

"videmment il peut arriver que darks une organisation politiqne qui rCunit plusieurs groupes ethniques disperses le mCme phknombne puisse jouer meme au palier local. Par exemple dans la region mktropohtaine de Montreal il existe des municipalites anglo-saxonnes et des municipahtes francophones. La modification des frontibres des premiPres souleve sans doute un problbme de ce point de m e .

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D ~ ~ A T I O N DE L'ORGANISATION P O ~ Q ~ 5

organisme do&. De m&me que certains behavioristes a t i n p e n t des types aautoritb intra-organisationneue 6, ce qui suppose des types d'autoritb extra-organisationnels, I'on devrait pouvoir distinper des forces intra et extra-organisationnelles. Con peut penser B cet 6gard que les forces externes seront sinon dkpourvues de lkgitimitb du moins plus difficilement acceptables. En fait, elles ont souvent pour conskquence un amoindrissement des divisions internes. C'est en somme l'observation que la concurrence conduit A la concentration d'unitks de plus en plus vastes.

Thdoriquement chaque palier supkrieur de gouvernement devrait englober pour partie les types de forces qui constituent principalement le palier de gouvernement qui lui est infkrieur; tout en reposant hi-mbme sur un type de forces particulier. Ainsi l'ethnie ou la religion peuvent constituer une force a nationale s tandis que la dispersion gkographique pourra constituer la force du palier a local ;P. L'on pourrait ajouter que chaque palier supkrieur tentera de faire Pintkgration des forces du palier infdrieur. C'est un lieu commun de dire au Canada que l'organisme central a tent6 A la fois de rkduire les distances gdographiques entre les diverses parties du temtoire tout en cherchant la fusion des deux principaux groupes ethniques 7.

En bref, il ne s a t pas d'idenmer gknkralement des forces centrifuges ou centriphtes il faut encore prkciser A quel niveau eIIes agissent.

2" La dktennination de la direction des forces constitue la deuxikme difficult6 principale de la m6thode a circonstancielle s. En d'autres termes il s'agit de dhfinir ce que sont les forces centrifuges et ce que sont les forces centriphtes.

Une teUe recherche s'impose puisqu'au dkpart nms avons pris pour acquis que ces types de forces pouvaient entrer en codit. Or bien entendu cette proposition soulhe A son tour dew problhmes ,maIytiques.

Premihrement, I'ont peut se demander si chaque force a en soi une direction dbtenninke ou si plutdt elle n'est que mobilisde par une autre (c'est-&dire enfin de compte une direction inddterminCe). Par exernple, l'on a l'habitude de rkpbter que l'absence de communications entre les parties dun mdme organisme constitue une force centrifuge. I1 faudrait conclure au contraire que I'existence d'un rkseau de communications favorisera la centralisation. Or si I'on s'en rapporte A la rkalitk canadienne I'on se rend compte que l'amdlioration d'un tel rkseau de communications (routes, lignes adriennes, tdlkvision) a pu au contraire rendre les diverses rkgions du pays plus conscientes de leur a diversitk ;P et contribuer au

6Ainsi R. L. Peabody dans OrgunizationuZ Authority (Atherton Press, 1964) dis- tingue quatre types d'autoritk intra-organisationnelle : autonth personnelle, de 16giti- mitC, de position, de compbtence. Ce sont ld des instruments de subordination intb rieurs B une organisation d6jA constituk.

7La principale raison de la faillite de cette fusion &side dans la concentration majoritaire de l'l6ment francophone dans m e rbgion donnb.

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6 CANADIAN PUBLIC ADMINISTRATION

mouvement politique centrifuge s. De m8me la compktence technique (ou force professionnelle) peut en soi n'avoir pas de direction dktermi- nee s. Sa direction peut ne provenir que de sa mobilisation par une autre force. Ainsi D.V. Smiley semble laisser entendre que la professionalisation de la bureaucratie aux kchelons federal et provincial a 6tB responsable durant un certain temps de l'harmonie des relations entre ces deux paliers de gouvernements 10. Cependant il y aurait peut-&re lieu de verifier si cette harmonie n'a pas 6tB acquise par une subordination des B: profes- sionnels a provinciaux 11. Si cela est exact Yon doit reconnaitre soit que la compitence ktait plus considkrable au palier fkderal soit que Ie pouvoir politique de ce palier avait reussi A. mobiliser l'ensemble des bureaucraties, ou encore les deux A. la fois 12. En d'autres termes il n'est pas indifferent que la compktence soit situee au centre ou B la peripherie, car il y aurait sans doute alors centralisation ou decentralisation. Mais cette competence doit 6tre mobilisee par une autre force.

Enfin, Yon ne peut kchapper au paradoxe que ce qui apparait comme une force centrifuge d'une certain point de vue constitue aussi m e force centripkte sous un autre aspect. C'est le cas bien siir de la diversite sociale. Par exemple, l'ethnie est ?i la fois un facteur d'indgration et de division. I1 va sans dire que ce problkme nous amhera A examiner la ponderation des forces, ce que nous ferons tout A I'heure.

Deuxikmement, il semble normal de penser que la direction d'une force ou d'un ensemble de forces l3 peut &re changde au cours d'une tivolution. Si tel est le cas une analyse rigoureuse doit sporadiquement

sDans la m&me sens M. Michel BClanger a soulevk I'hypothbse selon laquelle une conscience accrue du degr6 d'intkgration Cconomique au Canada avait eu pour consk quence I'affirmation plus prononcee des pouvoirs politiques rkgionaux. Intbr6ts regionaux et dkcisions politiques dans m e structure fkdkrale, * RCunion annuelle de YAssociation de Science Politique Canadienne (1965). Certains pourront prCciser que le Canada franqais depourvu de force Gconomique s'est depuis longtemps reposk sur la force politique. I1 semble difficile de gCnCraliser cependant B partir du seul phhno- m&e des communications puisque la disparition de s la frontihe D aux Etats-Unis n'a pas soulev6 la meme rkaction.

*Toute la philosophie de la dkcentralisation administrative et plus gCnbralement de la &paration du politique et de I'administratif repose sur cette conviction que la compktence est une force centrifuge. Les rCgies, les entreprises publiques sont des institutions qui reposent sur cette conviction. La gkrance municipale est un autre exemple.

10. Public Administration and Canadian Federalism, rn 1964 (3), R. d'Administra- tion Pnbl. du Canada, Une these, 371.

"Une thQe de maitrise de Michel Bellavance ( e Etude de treize programmes con- joints, > Universite Laval, 1965, non publike) semble indiquer que les administrateurs conrernks sont parfois inconscients d'une subordination de fait.

1211 n'est pas exch que la technocratie puisse dominer le politique dans certains cas, mais il s'agit toujours de mobilisation temporaire puisque 6ventuellement la technocratie sera politique.

1311 est indeniable que plusieurs systi,me fCdCraux ont Cvoluk vers une centralisa- tion accrue. Certains tirent de cette observation la conclusion que le mouvement est nature1 et ue la dkcentralisation originelle Ctait une simple tactique justifiable pour favoriser I'a ah &ion de groupes divers.

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LA D~CFNTRALISATION DE L'ORGANISATION POLITIQUE 7

faire une rkkvaluation de cette direction ou du moins distinguer les forces d'aprhs le degrk de permanence qui caractkrise chacune d'elle. L'exemple le plus frkquent de changement de direction d'une force s'applique aux alliances avec les organismes extkrieurs c'est-A-dire a w forces externes.

Ainsi au Canada I'on a souvent 6mis I'opinion que la crainte du pays voisin, les Etats-Unis, avait constituk une force centripkte. I1 faudrait conclure que cette crainte s'6tant dissipke le mouvement centrifuge devait redevenir dominant 14. L'on oublie de dire cependant que le leadership central peut perpktuer une telle crainte chez les membres de son organi- sation tout comme il peut par des alliances changer I'ennemi d'hier en ami d'aujourd'hui. Evidemment les leaderships provinciaw peuvent et doivent agir de la mkme fason car la constitution d'alliances est une fason de contrecarrer la hikrarchisation. C'est une caractkristique du pouvoir 16. En fait sans leadership aucune force ne peut &re mobiliske pour un confiit et aucun conflit ne peut &re rkglk. Cest pour cette raison qu'il faut Bgalement le considkrer c o m e une force distincte. I1 est remarquable incidemment que I'on n'a que t r ks rarement ktabli

systkmatiquement la direction d'un ensemble de forces dont on avait pourtant au prkalable soulignB I'importance 16. Con craignait sans doute &e ainsi conduit A I'ktape suivante qui est la pond6ration des forces,

3' La ponderation des forces est la troisikme difficult6 principale de cette mkthode. Normalement il est logique de penser que chaque force distincte et chaque catkgorie de forces (centrifuges et centripktes) devrait ktre pondkrk en degrks d'intensitk ou de vigueur.

Evidemment, I'on comprend trks bien que t rks peu d'analyses se soient att&d&s ?I cet aspect de la question encore une fois de manikre systk- matique.

Cela tient A plusieurs raisons. Dabord il est certain que certaines forces peuvent varier d'intensitk assez frkquemment (par exemple la force politique) dans un systbme donnk. Deuxikmement, il semble Qvident qu'en I'absence d'un conflit ouvert I'apprkciation est particulikrement ddicate. En fait m&me le resultat d'un conflit peut n'Ctre pas concluant. Troisikmement, si I'on admet au depart que certaines forces peuvent ne pas agir de fason manifeste (exemple : force 6conomique) il faut alors apprkcier non seulement un pouvoir mais une influence, ce qui est plus

14Dans le m6me sens l'on attribue souvent la recrudescence de l'indkpendance nationale > au sim le rekichement de la tension entre les deux blocs. A la limite l'on considbrerait que fexistence d'un gouvemement mondial dbpendra cornme dans les romans de science fiction d'une dkclaration de guerre B une autre planhte.

lsl'approche stratkgique souvent ne fait que constater cette rbalitk. Elle eut B la rigueur expliquer la modification effective d'un systhme donnk mais elle ne &ermine jamais de faGon normative pourquoi et comment doit se faire cette modification. Voir par exemple Sayre et Kaufman, Gouerning New York City (New York : Norton, 1960).

1Wne thhse de maitrise de G. Denis, * Coordination et contdle dans les relations fkdkrales provinciales (1965 Universitk Laval) est peut-&tre une exception.

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8 CANADIAN PUBLIC ADhlINISTRATION

ardu. Quatrikmement, il appert que puisque du moins en apparence certaines forces en mobilisent d'autres il serait peut-&re plus avantageux de ne dkgager que les forces dominantes.

En fait, habituellement, c'est A cette dernikre solution que l'on s'arrbte. Ainsi l'on considkrera que 1'homogCnCith de langue de religion et dethnie constituent des forces centrifuges dominantes.

Con pourra kgalement considdrer que la force militaire constitue la principale force centripkte. Cette force est encore, tout comme la force politique et kconomique, a nationale en trhs grande partie. En second lieu l'on notera respectivement la concentration gkographique et l'insti- tutionalisation administrative.

Evidemment plusieurs contesteront cette dominance accordhe A la force sociale telle que dkfinie ici. Yon s'y objectera pour des raisons aussi nombreuse que diverses.

Par exemple, l'on voudra par 1B rejeter certains actes moralement reprkhensibles et A vrai dire les causes anciennes et rkcentes des conflits entre les hommes (guerre de religion, guerre nationale, racisme, discri- mination, ghnocide, assimilation, acculturation) 17. L'on ne se rend pas compte que se faisant l'on c o n h e davantage la dominance des forces dont on veut nier l'existence.

Par voie de conskquence I'on sera peut-&re amen6 A proposer la dominance de d'autres aspects de la rialit6 social-status social (bour- geois, travailleurs ) Is , status Bconomique (riches, pauvres ), status gho- graphique (urbain, rural). I1 n'est pas facile de dissocier ici ce qui est ideologic et ce qui est observation scientifique. I1 est sans doute vrai que les organisations internationales actuelles ont pour assise la division des peuples riches et pauvres et c'est cl'ailleurs leur raison avouke d'existence. Et pourtant B la iimite il y a la prktention que l'humain ne connait pas d'inkgalitk. I1 est sans doute vrai qu'il existe des gouwmements officiel- lement de prolktaires tout comme il y a des collectivitiis m6tropolitaines et des collectivitks rurales. Mais s'agit-il de causes d'autodCtermination ?

L'on fera observer sans doute que si dune part une homogdneitk de langue, de religion ou d'ethnie n'a pas empech6 la creation d'organisations politiques distinctes sur des temloires distincts (ex : Etats-Unis, Angle- terre) par contre il est notable que la possession dune langue donnke ou d'une ethnie n'entrai'ne pas nbcessairement la possession dune religion dkterminke et inverseinent (ex : Iride anglaise).

L'on objectera encore qu'il existe suffisammcnt d'exemples d': institutions politiques groupant en systkme fkdkral et m&me imitaire une hethro- gCnkitk sociale pour conclure que ces forces ne sont pas dominantes. En

17L'on semble dkcouvrir A nouveau que le nationalisme en soi n'a pas qu'une con- notation pkjorative. Par exemple, Maurice Duverger distinguait dans un recent article, * Nationalisme de dominateurs e t nationalisme de domines m. Le Deooir, 19 mai 1965, p. 5.

18La division mondiale en deux blocs semblerait confirmer cette hypoth8se.

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LA D~ENTRALISATION DE L'ORCANISATION POLITIQUE 9

d'autres termes il serait fort possible que l'institutionalisation administra- tive se soutienne delle-m8me sans reference d la diversite sociale.

Evidemment l'on oublie de dire que la proposition initiale ne nie pas l'importance du hasard historique des migrations de groupes s u r des territoires donn6s ni ne sous-estime l'irduence de la concentration geo- graphique. Elle ne rejette pas non plus la possibilite de coexistence pac8que (l'ckluilibre a international B n'est-il pas gage de paix) ni mkme la fusion imposee ou dksirke. Elle n'exclue certainement pas l'existence d'un esprit de tolerance ni la mise au point d'accomodements raisonnables tels le bihguisme, la reconnaissance, reciproque d'avantages precis, la neutralisation de la confessionnalite et evidemment la decentralisation 19.

Enfin elle n'est pas incompatible avec des emprunts culturels entre groupes, avec les phenomknes dacculturation et d'assimilation meme par un groupe dkmographiquement minoritaire20. La question est donc de savoir si I'on ne conclue pas h I'absence dune force tout simplement parce qu'il existe des cas particuliers oh il y a une disparite entre les Cldments de conflit en presence d un moment donne, A un endroit donne 21.

Enfin, dans le m$me sens l'on fera sans doute remarquer que I'auto- determination moderne (principalement la d6colonisation africaine dit-on ) semble tenir peu compte des forces classiques 22, alors que par ailleurs des mouvements d'integration volontaire sont dejh fortement engages (ex : march6 commun).

Tout ceci est sans doute veridique mais alors que fautil conclure. Certains voudraient considkrer I'organisation politique comme un

simple mecanisme de rkglement de codits ou de satisfaction de certains besoins entre des individus et des groupes. Pour eux les forces sociales, Cconomiques etc, ne sont que des domaines oh des individus ou groupes indistincts peuvent &tre subordonnks 23. Dam cette optique ils observent dejA qu'une certaine identification sociale n'est plus la seule source d'un

19M&me la paisible Suisse connait le probbme du Jurat Bernois. 2011 existe bien des melting pot - qui favorisent des groupes minoritaires. Voir

J. Porter, The Vertical Mosaic (1965, University of Toronto Press). 21La Commission Laurendeau-Dunton a rkvklk la stratkgie des groupes ethniques

et linguistiques en conflit ouvert. L'alliance des groupes dispersbs ni anglo ni franco- phones avec la majoritk anglophone a pour but de limiter le bilinguisme au temtoire qubbkcois majoritairement francophone. Le qukbkcois francophone n'a pour solution en rkaction que d'instaurer l'unilinguisme sur son territoire pour forcer le bilinguisme h l'extkrieur du Qukbec. Ckst une solution plus complexe que le monopole g6ogra- phique suisse.

22Evidemment I'on peut toujours avoir certaines rkserves. Voir par exemple le Pape R.B. The National Language Question: Linguistic Problems of Independent States (New York : Oxford University Press).

23En d'autres termes l'on voudrait considbrer la diversitk sociale comme un en- semble de barriAres h I'intkgration kconomique, militaire, politique. L'on voudrait en qeulque sorte kconomiser les nations, les forces militaires au lieu de nationaliser l a bconomies, les forces militaires, etc. A vrai dire, h la limite, les dew solutions sont intenables.

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climat de confiance qui est nkcessaire B I’acceptation volontaire de I’autoritB 24.

Selon cette ligne de pensCe la multiplication des organisations poli- tiques doit B plus ou moins long terme disparaitre B moins qu’une autre force centrifuge dominante apparaisse, une possibilitk qui semble devoir Qtre CcartCe. ConsCquemment il n’existera plus dobstacles au gouverne- ment unique qui pourra selon les seuls avantages administratifs Gtre d6concentrB gdographiquement.

Ce que ]’on dit en s o m e c’est que seuls importent dune part les techniques et les modalitb de l‘acquisition, de l’exercice et de la conserva- tion du pouvoir (alliance, subversion, coopkation, propagande, consulta- tion, Clection, corruption, coercition ICgilre et discrkte si possible), et d’autre part les ambitions personnelles et le dCsir de gouverner. Cette organisation politique bouleversante d’humanitk serait Bvidemment probe, efficace et instigatrice d’une paix durable25. Daucuns, au nom d’un certain libkralisme classique, poiu-ront modser cette vision des choses par la nCcessit6 dinstaurer des pouvoirs concurrents responsables sans doute B des bourgeois et A des travailleurs, B des pauvres et des riches B des urbains et B des ruraux.

La question doit cependant demeurer ouverte si ce n’est A cause des crises actuelles au Canada, en Belgique, A Chypre, en Rhoddsie, au Moyen-Orient, aux Etats-Unis, au Vietnam, etc. . . . Les Limitatiom de la Premidre M6thode

Ce sont l B les principales difficult& de cette mkthode. Cependant l’on doit igalement tenir compte de ses limitations qui sont Cgalement im- portantes. Nous envoyons au moins quatre.

Premikrement, il est impossible de conclure qu’une confrontation de forces d6terminkes produira nkcessairement un systilme d‘organisation politique dktermink. Les accomodements raisonnables sont trop nombreux et divers, par exemple, certains pourront m&me s’accomoder d‘une souverainetk fictive ou d’un fkdkralisme nominal. En fait, on l’a souvent rdpktk le systkme fCdCral pour un est une invention moderne. Par cons& quent, l’explication foumie par cette mdthode n’est pas exhaustive. Elle

“Par le fait mOme I‘on aura tendanre B rejeter I’histoire qui peut toujours fournir des raisons de mCfiance dans les rapports entre grou es sociaux. Evidemment rien n’empkche la neutralisation ou encore la censure de his toire lorsque de nouvelles alliances s’av6rent avantageuses. L’on doit alors se rCsoudre Q un conflit de gCnCrations.

3311 existe sans doute maints ouvrages c o m e celui de E. Kedourie, Nationalism (Londres : Hutrhinson, 1960), ou Yon observe fort judicieusement que : - The at- tempts to refashion so much of the world on national lines have not led to greater peace and stability. S’est-on jamais demand6 si les conflits n’originent pas de I‘exi- stence de plnsieurb centre? de pouvoir plutk que des assises de ces pouvoirs ? ER d‘autres tcrmes ne peut-on pas prCdire tr&s brillamment qu’il n’y aura plus c o d i t entre gouvernements que lorsqu’il n’y aura plus qu’un seul gouvemement ? C’est solution imp6riale - le monopole.

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LA D~CENTRALISATION DE L'ORGANISATION POLITIQUE 11

ne rend pas compte de l'esprit inventif de l'homme ni de l'esprit de compromis de leaders particuliers dans des situations particulikres.

Dans le m6me sens, l'on peut dire que cette methode neglige l'examen des rouages du systkme en soi, de c l'invention B. De plus, l'on valorise l'impact des forces sur le systbme aux depens de celui du syst2,me sur les forces. I1 semble bien que le mouvement behavioriste a agi de la mbme faqon au debut. Mais depuis il est remarquable que I'on soit revenu B P6tude d'un formalisme.

Les rkentes disputes concernant la formule d'amendement de la constitution canadienne ont mis en lumikre diverses strategies B l'6gard du fonnalisme2s. Certains ont jug6 le debat oiseux parce qu'ils consi- ddraient qu'il ne pouvait que reflkter les forces en presence d'autres s'y sont engages parce qu'ils voyaient un facteur extrbmement important de conditionnement de forces 27.

Deuxihmement, il semble certaine que cette methode qui est essentielle- ment e circonstancielle B en conduit plusieurs B une interpretation a d6- terministe B. Comme nous l'avons d6jA not6 c'est 1A peut-btre le pCch6 mignon de ceux qui lisent ma1 I'histoire. En effet, il est facile de raisonner A partir d'une situation de fait ou un type de forces qui domine (centri- fuges ou centriphtes) que cette situation doit ineluctablement se maintenir dans I'avenir. Combien de fois n'a-t-on pas entendu r6cemment cette proposition selon laquelle l'kpoque moderne en Btait une de concentration progressive, de grands ensembles, de groupes continentaux. Situation, dit-on qui rend le nationalisme pdrimk.

Evidemment il peut ne s'agir l B que d'un argument utilis6 par les dldments dominateurs en place pour maintenir leur position et pour rdduire les Clements domines B la passivit6. Lorsqu'il est d6couvert le subterfuge peut 6tre particulibrement dommageable A ceux qui I'ont employ6. Mais, indkpendamment de cette possibilite, Yon peut trks bien raisonner qu'il y a lieu de resister A une tendance naturelle. Nagit-on pas ainsi lorsque, par exemple, on Idgifkre en matiere de pratiques restrictives de commerce, de constitution de monopoles. Bien entendu,

2611 est certain qu'il existe une diffkrence considkrable entre un systbme qui soumet un processus de dkcision A la rbgle de Punanimitk et un autre qui le soumet A la r&gle de la majoritk. Incidemment la solution d' a 6tat associk * telle qne proposke par certains grou es qukbkcois a pour caractkristique le rejet de ces deux rbgles. L'on se demande que& association = peut vivre dans ces conditions. Au fond I'on cher- che un nouveau partage de fonction qui consacrerait un rbgime particulier pour le Qukbec.

ZiPlus subtils certains ont considkrh au Qukbec qu'il n'y avait pas lieu de consolider immkdiatement des gains puisque la tendance actuelle favorisait les provinces tandis que d'autres y voyaient une occasion d'affermir une position pour Pavenir. A wai dire en situation d'incertitude la premi6re solution semble prkfkrable. C'est ce qui fait dire d'ailleurs que Pargument de lkgitimitb est souvent du cot6 du status quo. Evidem- ment nous faisons abstraction ici des juristes qui malheureusement parfois ne se ren- dent pas compte que mbme si la lkgitimitk est importante elle n'est que compos6e d'klhents modifhbles.

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il n'est pas malin de relier ainsi la philosophie libkrale et le nationalisme, le n6o-libkralisme et le n6o-nationalisme 28 : Dans les deux cas l'on agit au nom dune valeur prdcise, la IibertC. La diffkrence est qu'il est peut- &re plus facile de faire revivre le talent entrepreneurial que l'on a neutralise que le sentiment national que Yon a brim6 C'est pourquoi, sans doute, certains, considerant qu'il n'existe pas de vkritable societk protectrice des peuples jugeront que les tendances observks ne consti- tuent que des contraintes A la volontk des groupes de s'autod6terminer. Con oppose en s o m e le volontarisme au realisme des circonstances et en fait c'est la seule explication de plusieurs renversements de situations. En bref, cette mkthode ne donne aucune indication de ce que doivent faire rkellement cew qui sont plongks dans l'action quotidienne. Elle explique mieux un rksultat qu'elle ne dCtermine le choix d'une orientation.

Conskquemment, en troisi&me lieu, il semble inkvitable que cette mdthode se transforme a w fins d'une prise de decision en une simple analyse de contraintes, d'avantages et d'inconvknients dont la somme est particulihrement difficile A faire. Car il ne s'agit pas seulement de calculer quelques avantages kconomiques mais A la limite de fixer un prix A la subordination. Evidemment il est certain que frkquemment l'on rencontre l'kquation oh une subordination accrue pourrait h e compenske par plus de richesses et oh inversement une insubordination serait une cause dapprauvrissement, Par ailleurs, non seulement les hypothkses contraires peuvent elles &tre aussi plausibles mais I'on peut encore consentir A un appauvrissement 30. Enfin, il est indhiable que l'on ne peut jamais espdrer atteindre une grande rigueur mathkmatique dans de tels cal- culs 3 1 . Pour reprendre I'analogie de tout B I'heure, l'on pourrait dire la m&me chose des dkcisions judiciaires portant sur des infractions am lkgislations antimonopolistiques 32. I1 est impossible de faire abstraction ici de certaines valeurs difficilement monayables.

Quatrihmement, il semble kgaleinent inevitable que ce mode d'approche

2aRiker (p. 155) note que le fbdkraIisme ambricain a profitk aux groupes linguis- tiques et aux capitalirtes. I1 aura cependant dkclarb auparavant (p. 127) que la division cles pouvoirs tient de la mythologie folklorique. Et il dkclarera plus loin que la lihertk des blancs a ktk l'oppression des noirs. Evidemment l'on ne peut kviter toutes les contradictions. Voir note 1 (page 11 ) . Maurice Duverger n'a pu trouver dautre justification thkorique ou normative A I'action des nationalismes dominhs que le fait qu'ils contribuaient B augmenter la somme totale de libert6. I1 s'&me oppos6 au monopole et B l'oligopole.

2QExemple : la liberalisation 30Ceux qui sont en position de dkfense feront alors a pel aux valeurs s irituelles et

culturelles dans le but d'kchapper aux consbquences l u matkrialisme. Iys acceptent peut-&re trop rapidement la conclusion que la fusion augmente nkcessairement les avantages per capita.

S*Par exemple, les rapports gouFernementaux = Morin et = Cordon SUT la con- tribution du Quebec ?I l'kconomie canadienne et inversement.

s*Les d6cisions de lkgislations anti-monopoles ne distinguent-elks pas les bans et les mauvais monopoles. Sans vouloir abuser des analogies certains ne verront-ils pas dans I'ktat-nation un monopole nature1 ? Un monopole qui n'est ni bon ni mauvais en soi mais qui cause moins d'inconvknients.

Libermann de l'6conomie soviktique en 1965.

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LA DACENTRALISATION DE L'ORGANISATION POLITIQUE 13

privilkgie l'examen des forces qui s'opposent aux d6pens de l'examen des auto-limitations, En d'autres termes, il est certain que la force de l'un peut provenir de la faiblesse de l'autre, faiblesse que l'autre s'impose consciemment ou inconsciemment. Ici aussi l'importance des valeurs est considkrable.

Enfin, certains considkreront que cette mkthode est dCpourvue de moralitk puce qu'elle affirme en substance que la loi du plus fort est toujours la meilleure. Bien sib, c'est l'argument favori des dominks mais n'empbhe qu'il est dac i le pour cette raison et pour les autres qui prkckdent de ne pas dkboucher sur la deuxibme mkthode.

LA D E ~ M E M~THODE CONSISTE A ETABLIR UNE C O ~ L A T I O N E m UN TYPE DE SYST~ME ET CERTAINES VALEURS SOCIALES

Cette mkthode comporte trois opkrations: 1) la caract6risation du systdme fkdCral; 2) l'identification des valeurs dominantes de la sociktk et 3) l'ktablissement d'une corrklation entre un systkme et des valeurs. Chacune d'elles comporte certaines difficult& particulikres.

C'est kgalement une mkthode d'approche fort courante qui semble avoir retenu une attention particulidre aux Etats-Unis. L'on peut noter par exemple la contribution de P. Ylvisaker dans Pouvrage de A. Mass Area and Power (1959), celle de divers auteurs dans I'ouvrage de Burkhart American Gouernment: The CZash of Issues (1964, ch. 4) . Dahl et Lindblom s'y arrdtent aussi dans Economics, Politics, WeZfare 33.

L'on doit mentionner, de plus, un ouvrage de Milton Friedman qui porte un titre des plus significatifs Capitalism and Freedom ( 1962). Con pourrait ajouter incidemment que le candidat battu aux dernibres Blec- tions amkricaines, M. B. Goldwater, a utilisk cette mkthode qui a d'ailleurs des rksonnances dans I'histoire de la fCd6ration voisine. Enfin, l'on ne peut manquer de signaler que les dkbats constitutionnels en 1965 ont Ct6 marquks au Canada franGais par une recherche persistante de l'kgalit6 ou si I'on veut de la rkciprocitk 34

Le raisonnement de base de cette deuxikme mkthode est aussi simple. Meme si chaque sociktC possbde des valeurs qu'elle juge dominantes il y a des types de systkme qui se pr&tent m i e n A la rkalisation de certaines valeurs que d'autres.

Par exemple, l'on a coutume d'associer tout systdme dkcentralisk ti la rkalisation de la valeur libertk et par extension de la dkmocratie. Cette corrklation est ktablie non seulement sur le plan politique (libertk indi- viduelle) mais aussi sur le plan kconomique (IibertC du consommateur) 35. Essentiellement la libertk des individus, citoyens ou consommateurs, tient

33A la page 25 et m. ainsi qu'A la partie 11, ch. 6. 34Voir notamment J. Y. Morin, * Qu'est-ce que l'ggalitg des deux nations ., Le

35F. Bloch-Laink, a La sCparation complhte de l'bconomie et de la politique n'est Devoir, 30 mars 1965, p. 5.

plus possible a, Le Deuoir, 30 mars 1965, p. 4.

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A la division de l'autorit6 supbrieure 36. Un systPme lib6ral est alors celui qui rend obligatoire une telle division. Dans ce sens l'on opposera un regime de &paration des pouvoirs B un regime de confusion des pouvoir~ (qui conduit au despotisme), l'on opposera encore un r6gime federal 8 un rCgime unitaire et enfin un r6gime collectiviste. Par ailleurs, tout systkme centralis6 sera considCr6 cornrne un moyen de realiser la valeur 6galit6 et par extension l'uniformisation, la subordination. D'oh Cgalement l'observation courante B l'eff et que le socialisme est incompatible avec l'existence dun v6ritable f6d6ralisme.

En rbumC, le degr6 de libert6 est proportionnel au degr6 de d6centra- lisation, et le degr6 duniformit6 est proportionnel au degri. de centralisa- tion. Dam la mesure oh l'une de ces valeurs s'imposera nous aurons tel type de systkme.

Tout comme dans le cas pricedent cette conception est sujette plusieurs critiques et elle connait diverses limitations.

Dificulte's Afin de mieux observer les critiques il y aura int6r;t h reprendre

l'analyse en suivant les trois opch-ations dkjh mentionn6es au debut de cette deuxikme partie.

1" La caractkrrisation du systdme fe'de'ral. I1 est vrai que les auteurs classiques ont assez bien fait ressortir les principes du fkdiralisme 3 ou les mkcanismes du systkme 37. Le plus important de ces derniers est sans aucun doute le partage de juridictions 16gislatives mutuellement exclu- sives. Car c'est de ce partage que dkcoulent les autres rCgles telles l'arbitrage constitutionnel, les proc6dures d'amendement ou de modifica- tion des pouvoirs et l'action directe de chaque palier de gouvernement sur la population.

Cependant, l'on sait h quel point la simplicit6 du systkme n'est qu'apparente.

La critique la plus fondamentale bien sOr a cherch6 A demontrer d'abord que le partage exclusif de juridiction Btait impossible, deuxikme- ment qu'il 6tait inutile, troisikmement qu'il ne rCalisait pas les objectifs qu'on lui avait 6x6s.

I1 6tait impossible d'abord parce que le critkre qui servait A distinguer les pouvoirs du palier central et provincial a savoir a ce qui est d'intkrh

36La loi de Parkinson n'a fait qu'iriverser cette proposition. Toute autorite sup& rieure postule deux * subalternes. D'ob l'utilitk de diviser pour rkgner. Ceci n'em- p&che pas Riker (p. 127) de qualifier cette proposition de mere folkswisdom D.

37K. C. Wheare, entre autres, expose ces principes dans Federal Government (1963). Evidemment au dCpart, l'on peut chicaner cette caractkrisation du syst&me et Claborer de suhtiles diffkrences entre le fCdCralisme, le confPdCralisme, i'unitarisme dkconcentrk et dkcentralis6, le fkd&ralisme classique et le fgdhralisme administratif, les alliances et les commonwealth, etc. Pour nous ces considkrations auraient une place mieux approprike dans la seconde partie de cet essai.

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LA D~CENTRALISATION DE L'ORGANISATION POLITIQUE 15

local P et ct ce qui est d'int6r6t national B s'est r6vkle & l'examen thkorique, passablement arbitraire. Or sans un tel critkre il ktait impensable d'6quili- brer en importance les sphkres de juridiction, c'est-&-dire, d'atteindre en somme I'objet m6me du partage. L'on dit encore que les activitCs gou- vernementales sont tellement interreliees 0: naturellement B que tout partage exclusif ne peut 6tre que source d'inefficacite.

Sans crainte de se tromper l'on pourrait affirmer que cette faillite theorique du crithre classique est une des causes de la naissance d'un nCo-fkderalisme dit 0: cooperatif s. A mon sens les tenants de cette nouvelle conception qui tend & confondre les juridictions (tout comme d'ailleurs les critiques de Montesquieu prbnent la confusion dee pouvoirs), la formule de Grodzins oppose le giteau par Btages au giteau marbrB, ont en fait cherche B concilier plusieurs choses & la fois. 11s ont ktC conscients de la dominance effective du palier central lorsqu'ils ne cherchaient pas & I'encourager (en somme ils ont suivi les forces), ils ont desire une coordination plus apparente dans les activitks gouverne- mentales lorsqu'ils n'ont pas simplement cherch6 & substituer le processus politique & Parbitrage constitutionnel. Ce faisant, ils sont Pobjet de l'a illusion bien connue des planifkateurs B selon laquelle il n'existe pas de coordination horizontale spontanee et que la seule vraie coordination est nkcessairement hierarchique et verticale 38. 11s ne se rendent pas compte que la coordination horizontale peut Qtre aussi tyrannique que la coordination hierarchique s9. 11s negligent Cvidemment de considkrer que m6me si le processus (de negotiation) politique est peut-6tre un instrument plus souple d'Bvolution que l'arbitrage constitutionnel il se peut trks bien qu'il ne fonctionne quand meme que dans le cadre de I'exclusivite legislative 40. Enfin, ils feignent d'ignorer que l'exclusivite legislative n'implique pas une absence de consultation et de coopkration.

Que cette conception strictement hierarchique soit erronhe dans son application est dtmontre par la hausse du niveau de vie gkneral des rkgimes capitalistes, et par I'Bgalisation horizontale de ces regimes. En fait, B mon sens, dans un systkme politique I'on ne peut nier que I& ob il n'y a plus exclusivite legislative il se produit nkcessairement au niveau administratif soit une nouvelle division des fonctions kgalement B base d'exclusivitk soit une subordination d'un palier de gouvernement & un autre. Un examen du fonctionnement de quelques prog-rammes conjoints rkvklera cette rkalitk de facon Cvidente 41. Le plus amusant c'est que les

SsVoir Dahl et Lindblom, Politics, Economics and Welfare (Harper Torchbooks, 1963), p. 101 : * Why Planners Discount Spontaneous Field Control D.

3ON'a-t-on pas dit frbquemment au Qukbec que le fait quhn rkgime longtemps au pouvoir ait refuse de suivre I'kvolution moderne (c.a.d. sans doute d'avoir recherche la sociktk industrielle) a occasionnk des cofits 6normes notamment en kducation.

*West un fait qu'au Canada les confkrences fkdhrales-provinciaux (instrument olitique ) ont supplant6 rkcemment l'arbitrage constitutionnel mais qu'elles ont tout L mime redorck une exclusivitk menacke par les interventions central-. 4Woir I'ktude de Michel Bellavance, note 3, p. 12, partie I.

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personnes concernkes ne sont souvent pas conscientes de cette realit& L'on peut se demander alors si ce que l'on g a p e en apparente efficacit6 est compensk par la nouvelle subordination et la diminution de la responsabilitk publique.

Enfin l'on pourrait ajouter que les dkfenseurs de la coordination hikrarchique ont gknkralement pris soin d'indiquer qu'elle ktait nkcessaire

cause de l'incapacith financihre de certaines unit& dkcentraliskes de satisfaire certains besoins particuliers. Bien sik cette solution radicale les dispensait de chercher d'autres moyens plus complexes mais plus con- formes aussi A un d e s k plus consid6rable de libertk. Nous pensons notamment A un systhme de pkrkquation, A des dkgriivements fiscaw destinis aux paliers infkrieurs de gouvernement. I1 n'est m&me pas exclu de considkrer une fusion a volontaire B de quelques unitks de centraliskes. Mais l'on prkfkre kvidemment la prolifkration de subsides directs qui renforcent l'kchelon supkrieur Clectoralement et administrativement. L'on verra alors le palier supkrieur qui devait uniformiser et kgaliser dicouvrir qu'il existe des priorit&. C'est ce palier alors qui sera la source de nouvelles inkgalitks. Quand on considiire qu'il revient maintenant au Prksident des Etats-Unis de lkgifkrer sur les panneaux-rkclames en bordure de la route l'on peut penser que le congriis est devenu le conseil dune knorme municipalith.

Dans un deuxi&me temps Yon a voulu dkmontrer l'inutilitb de l'exclu- Sivit6 des jmidictions (tout comme la skparation des pouvoirs d'ailleurs 42

en indiquant que les forces socio-dconomiques (entendons le pliiralisme de la sociktk selon la ierminologie B Ia mode) ktaient suffisantes A elles seules pour assurer la rkalisation de certaines valeurs (principalement la libertk). Certains ont cru bon, il est vrai, d'ajouter que l'oscillation pkriodique entre les paliers de gouvernement pouvait apporter une certaine contri- bution dans ce sens 4R,

hlalheureusement, i notre avis, Yon n'a pas encore dkmontrk que l'existence de pouvoirs formels ligitimes de gouvernement n'avait aucun effet contraignant sur les forces socio-kconomiques 44. L'on ne saurait expliquer autrement l'absence d'anarchie perpktuelle ou encore sous un autre aspect la perpktuation d'injustices. Con n'a pas non plus dkmontrk comment une oscillation entre pliers de gouvernements ktait possible lorsque l'on avait vidk par la centralisation les paliers inferieurs des motivations m&me de leur existence. I1 est ktonnant par exemple de voir

4Q1oiqu'ici certains s'amusent A dkclarer inutile la shparation des pouvoirs A cause de la presence d'une exclusivitb des juridictions et inversement. Le dit pluralisme que la hiknchisation va justement faire disparaitre demeure B Ieur dire, valable dans les deux cas.

47L'on se rtfPre ici aux decisions judiciaires qui a I'origine des syst&mes fkdkraux oscillent toujours au gri. des pressions politiques tant8t vers la centralisation tantat vers la dkcentralisation.

44Rejeter la notion d'autorith fonnelle me semble &tre une operation stupide, erron- nCe et tendentieuse. Voir P. A. Dahl : Who gooerns? (Yale University Press, 1961).

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certains observateurs admettre volontiers que la principale force centri- fuge du systkme amiricain est la loyaut6 envers les institutions provin- ciales mais avouer ne pas comprendre par ailleurs pourquoi le fkdkralisme est maintenu en Australie alors que la situation est identique 46. L'on a souvent dit qu'il en allait de m6me au Canada en ce qui concerne l'kl6ment anglophone.

Con n'a pas proud non plus qu'il n'6tait pas plus facile A des forces d'obtenir un exercice de pouvoirs qui soit conforme A leurs intkr6ts lorsqu'elles dkterminaient elles-mQmes ses limites. Enfin, I'on n'a pas contest6 qu'il semble nature1 A un groupe de vouloir formaliser ses activitks publiques si ce n'est pour les rendre intelligibles et stables.

TroisiGmement, certains ont cru dkmontrer que I'exclusivit6 des pou- voirs ne rkalisait pas I'objectif qui lui avait 6th fix6 mais au contraire contribuait Q I'oppression de certains individus ou groupes. L'on a pens6 amorcer une terrible bombe en notant par exemple aux Etats-Unis que la libert6 des Etats avait favoris6 I'oppression des noirs du sud48. Au Canada, Yon a voulu expliquer la long6vit6 du rkgime Duplessis au Quebec par I'impossibilitb du gouvernement central d'intervenir pour prot6ger les droits individuels 47.

I1 est difFicile de concevoir une confusion plus complbte ou un utopisme plus insignifiant. Mais oh sont donc passhes les forces pluralistes dont on a dit pourtant qu'elles constituaient I'assise de la libert4 L'on semble tenir le systkme responsable des 6vknements reprkhensibles tandis que les dites forces sociales se voient attribuer tous les m6rites avec cette reserve qu'elles ne semblent pouvoir agir qu'en dehors d'un systkme ce qui est absurde. Faut-il conclure que I'intervention directe extkrieure est la seule source du progrks ? Et mQme si cela 6tait faut-il nkcessairement Qtre conduit Q une modification structurelle ? Con peut assurkment distinguer les d e w phknomknes.

Bien sQr, la libert6 des uns peut 6tre I'oppression des autres. Mais en a-t-il ktk diffbremment dans I'histoire de la vie en socikt6 ? Bien sfir l'on peut utiliser un systkme Q des fins inavouables. Mais I'on peut aussi utiliser des fins inavouables ou l6gitimes pour modifier un systkme, et maintenir un systkme A des fins Ikgitimes. Bien sQr, un systkme de libert6 ne signifie pas un systkme d'exercice de toutes les Iiberths de facon

4aRiker. 46V0ir Riker, p. 140. L'on peut Bvidemment expliquer que les noirs aient port6 la

lutte des * droits civils au palier central par le simple fait de la dispersion gBogra- phique sur pratiquement l'ensemble du territoire. Leur action ne pouvait &tre efficace qu'h cet Bchelon. Par analogie l'on voit le dilemme des groupes francophones au Canada qui doit tant6t agir au provincial lh oii la concentration est forte et tantat au fBdkral ou la concentration est tr8s faible.

La nouvelle trahison des clercs D, Citb Libre, no 46 (1962). p. 3 et sv. Une observation assez ktonnante dans son contexte puisque les canadiens- franpais ont kt6 dhpouillks de leurs droits dans les provinces anglaises alors que les canadiens-anglais jouissaient d'une position tr&s avantageuse au QuBbec.

47P. E. Trudeau,

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maximale et continue 45 m&me si cette proposition demeure fondamentale- ment relative. Enfin il est certain qu’un tel systhme n’exclue pas A I’occasion le recours h une coercition qui peut &tre interne ou externe. Mais si comme on le soutient la coercition du palier central est en gknkral une solution B l’oppression par un palier provincial, il n’y a aucune limite A la hikrarchisation. I1 est peut-&tre aussi nature1 de porter les conflits A un organisme supkrieur au lieu de le rkgler immkdiatement. Mais ultimement c’est l’ONU qui se prononcera sur l’opportunitk d’avoir des panneaux-rkclames le long des routes americaines. Est-on certains alors qu’il y aura augmentation globale de la libertk ? Le problhme est en somme de savoir si Yon doit tendre A hihrarchiser ou plutdt si l’on doit tendre h favoriser la coopkration horizontale 4B. Et A cette question, il devient Cvident qu’un Q jeu B de valeurs en soi ne peut rkpondre que trks imparfaitement.

2” L’identification des ualeurs. Con rencontre rapidement une premiere difficult6 lorsque Yon cherche h identifier les valeurs d: dominantes d’une sociktk.

I1 s’agit de dkmontrer d’abord leur universalitk. C’est une demarche essentielle si l’on veut plus tard btablir une corrklation entre une valeur et un type de systkme en soi universel.

La deuxi&me difficult6 est le fait que le contenu d’une valeur (ex : libertk) peut varier selon les civilisations. Par exemple, certaines societes peuvent mettre l’accent sur les libertks politiques dautres sur les libertes dconomiques ou religieuses et m&me varier ces prkfkrences selon les kpoques. En fait Yon peut se demander si ces libertks sont indissociables en pratique sinon idkalement.

Malgrk ces objections certains is0 ont quand m&me identifid cinq valeurs principales : libertd, kgalite, securitk, bien-&tre et efficacitk.

Cette liste ktant acceptde, sous caution, deux autres problemes se posent. A savoir, d’abord s’il s’iigit dans chaque cas de variable indk- pendante et dans I’hypothkse contraire dans quelle mesure I’on peut maximiser une valeur aux depens des autres.

Par exemple, I’on peut se demander si le bien-6tre dkcoule ou non de

48Certains considPrent que les thkoxies de maximation de libertk aboutissent 3 une thkorie du pourrissement de structures * selon laquelle aucune intervention externe n’est permise. I1 faudrait attendre que I’organisme du fond de I’abime se rkgknhre lui-mCme ou clisparaisse. En fait, c’est la base d’un systPme de coopkration. Evidem- ment, line telle theorie n’exclue as la solution ideale des kconomistes qui est la

4911 y a une abondante litterature qui porte sur le phknomhne de la rksistance au changement. Cependant elle est peu utile ici parce qu elle prend souvent partie pour la r6forme contre le systPme ktabli. Bien plus, elle fait presqu’uniquement ressortir l’importance de la centralisation ou des forces externes dans de telles circonstances spkcifiques.

mobilitk des individus. Elles n’exc P uent pas non plus le minktisme au contraire.

5oNotamment Ylvisaker, Dahl et Lindblom dans les ouvrages citks.

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LA DI~NTRALISATION DE L'ORGANISATION POLITIQUE 19

la liberte b1 (ou I'inverse) et si oui quelle est la mesure de libertk requise au bien-&re ou encore dans quelle mesure l'augmentation du bien-etre diminuera la libertk.

A premikre vue Yon serait port6 B croire que le bien-&re, la stcuritk et I'efficacite sont dkpendantes de la liberth d'une part et de l'hgalitk d'autre part. C'est du moins la prktention des d e w grandes idhologies actuelles de rkaliser ces trois valeurs I'une par la libertk, l'autre par I'kgalit6. En d'autres termes le biendtre I'efficacitt et la sbcuritk aug- meteraient en proportion directe de la l iber tk i l en irait de mbme pow ce qui est de l'kgalitk. Par le fait mbme I'on & m e la dominance du bien-&re, de la sdcuritk et de l'efficacitk.

L'on ne peut cependant Bviter un confiit entre la libert6 et l'kgalitk, la maximation de rune entrainant une diminution de l'autre ou un accroissement de I'intgalitk.

Bien sGr, I'm objectera que cette conception est erronnke si ce n'est parce que I'on ne retient que la dimension individuelle de la libert6 et que la liberte collective elle est faite d'kgalitk qui A son tour renforce la libertk individuelle. Sous I'aspect collectif l'on est libre si I'on est 6gaux tandis que sous I'aspect individuel I'on est 6gaw si I'on est libre.

En somme tout ce que I'on dit c'est que toute vie sociale impose des contraintes h Ia Iibertk individuelle et que I'on peut comme dans une bureaucratie utiliser les contraintes formelles pour se libkrer h l'intkrieur d'une juridiction limit6e 62. En d'autres termes, il y a silrement une libertt dans l'kgalit6 et aucune valeur ne peut btre maximiske.

Cependant, I'on peut difficilement faire abstraction du fait qu'il y a tout de mkme une distinction entre un rkgime qui favosire une libertk de choix collective et un autre qui privilegie une libertk de choix individuelle.

De m$me il y a sOrement une difference entre un regime qui impose une indgalit6 ou une Cgalitk et un autre qui pennet l'inCgalit6. Dans l'exercice du pouvoir I'un a un style coercitif, I'autre un style permissif.

C'est une observation courante (et peut-btre superficielle) que le regime qui privilkgie une libertk de choix collectifs a tendance B imposer plut8t qu'8 permettre une 6galitk. Et dans ce sens la proposition initiale est valable 53,

ElCertains ont suggbrk une pondbration naturelle des besoins humains qui semble aller B I'encontre de la hikrarchie de valeurs exprimke ici. Voir notamment A. H. Haslow, = A Theory of Human Motivation ., dans R. A. Sutermeister, Peop2e and Pioductioity (McGraw Hill, 1963). En fait, Pon observe souvent par exemple que la libertk de mourir de faim est peu satisfaisante ou encore qu'un peuple bien nourri (besoins physiologiques ) est pacifique.

6zVoir Michel Crozier, Le Phdnomdne bureaucratique (1963). 63Bien sOr, I'on pourrait ajouter que la planification skst souvent soldke par un

simple regroupement forck des unitks de dkcision (diminution quantitative) regroupe- ment nCcessaire B une simplification de la comptabilit6 effectuke par un organisme central hikrarchique.

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3" Par ailletirs, plusieurs ont exprimk des doutes quant ci l'existence m&me June corrblation entre une valeur et un type de systdme. Con a not6 d'abord, bien entendu, que des systkmes fCd6raux n'ont pas le monopole de la dkmocratie (entendons libert6) car autrement il faudrait exclure certains systkmes unitaires qui ont donnk naissance au parle- mentarisme. L'on a 6galement soulign6 que le fCdCralisme est une abdication partielle de libert6 de la part des forces centrifuges. Doh encore une fois le caractkre trks relatif de la valeur. Enfin, l'on a indiqu6 que la r6alisation dune valeur est foncibrement une question de poli- tique et non de structure.

Par opposition, I'on a pu 6galement observer que plusieurs systdmes fortement centralisks ont maintenu en place des structures d'in6galit6 (les monarchies et l'aristocratie-les regimes dits communistes et la nouvelle classe R ). Dans le mZme sens l'on peut considtrer que certaines Cconomies lib6rales ont engendrk un fort degrk d'kgalit6 sociale.

Deuxikmement Yon a 6galement fait remarquer qu'un systBme centra- lis6 n'a pas A opter nCcessairement pour un style coercitif d'exercice du pouvoir. L'histoire ne fait-elle pas ktat de monarchies bienveillantes ?

Troisikmement, I'on ne peut manquer de signaler qu'en pkriode de crise causte par un agent extCrieur ou par un marasme Bconomique interne il y a frequent une abdication volontaire de la liberte interne. En d'autres termes, les valeurs auraient des limitations circonstancielles et organiques.

QuatriBmement, ainsi que now l'avons d6jA note, l'on a pretendu que la possibilite dune action directe du palier central sur la population avait pour effet d'augmenter la somme totale de libertd dans un systdme fkderal. Inutile de &peter que cette conception favorise la confusion des juridictions en apparence mais plus sQrement l'klimination des libertb locales et rdgionales. Epris d'une cause l'on sera pr&t A modifier tout systBme pour qu'elle triomphe. Si en pratique ce mouvement de centrali- sation etait reversible il n'y aurait pas de dkbat. Le problkme c'est qu'apr&s avoir centralis6 ordinairement l'on dkconcentre54 Q. volontaire- ment B ou bien l'on est a force :t A une rupture de l'organisme.

Les Limitations de lu Deuridme Mkthode Evidemment, il est facile de considkrer que cette deuxikme mdthode

est limit6e plus particulikrement en ce qu'elle fait abstraction des forces qui justement constituaient l'objet de la premibre mCthode.

I1 est inutile de s'attarder A ce simple jeu de logique. Signalons cependant que ceux qui ont opt6 pour ce deuxiBme mode d'approche ont tendance A minimiser l'importance de la force, de la n6gociation et

5411 est remarquable Bgalement que certains ont tendance B croire que I'intexvention accrue de l'Btat peut Ctre cornpens6 par I'btablissement de mBcanismes de recours, d'appels (au sens judiciaire) qui pourtant ne font que renforcer la hibrarchie.

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LA D~ENTRALISATION DE L'ORGANISATION POLITIQUE 21

de la strat6gie c o m e moyens pratiques de rhalisation de valeurs pace que l'on a ddcouvert une qualitk autre que la force pure, Yon se dbsintb resse des modalitQs. A les entendre I'on croirait qu'il y a incompatibilitk ou encore que les valeurs collectives se rbalisent sans mobilisation de groupes ou encore que I'on doit opter pour I'altruisme sans r6ciprocit6. Bien sib, certains sont moins naifs. 11s sont conscients qu'en agissant de la sorte ils ont recours A une simple technique de rbglements de confiits (Pappel aux valeurs communes A d6faut d'entente sur des intdrih). Certains admettront meme en phiode de lucidit6 que ce faisant ils ne sont plus les juges qu'ils pr6tendent btre mais des partisans et mbme des leaders d'une cause dktenninke. En bref, les meilleures intentions ont besoh d'une piste de dQcollage.

Quoiqu'il en soit, il n'est pas interdit de penser que les limitations du premier et du second mode d'approche ont suscitQ chez plusieurs le recours au troisieme mode.

LE TROISIhME MODE D'APPROCHE : L'ANALYSE D ' W SITUATION OPTIMALE

11 est peut-Qtre bon de rappeler ici que cette mkthode se veut e ration- nelle et scientifique > en ce sens qu'elle cherche A faire abstraction a des forces B du mode rQaliste et a des valeurs s du mode volontariste. Comme nous I'avons not6 cette mkthode semble btre privildgide par les dcono- mistes et les administrateurs du moins ceux de Pkcole classique. Elle prbtend solutionner le problbme de la dkcentralisation de I'organisation politique en s'attachant uniquement aux donnbes quantitatives telles la dbmographie (neutre), les coilts mondtaires, la quantitb des services, les distances gkographiques, le volume de ddcision.

Son objectif principal est Pefficacitk optimale, c'est-A-dire la minimisa- tion des coQts dans la production de services dQterminds, ce qui implique I'introduction de la notion de coilts dtcroissants et d'kconomies d'kchelle.

L'on pourrait citer comme exemple de ce mode d'approche les Qtudes de C. M. Tiebout 55, de Albert Breton 66, de Pinchemel et Gozzi 67 mais surtout une foule d'allusions au probbme notamment dans diverses commissions d'enqu6te portant sur la rborganisation des collectivit& locales 6R.

66. An Economic Theory of Fiscal Decentralization D dans National Bureau of Economic Research, Public Finances, Needs, Sources, and Utilization (Princeton University Press, 1961 ) .

66. The Question of Federal Grants *, 36b confbrence annuelle de I'association canadienne de Science PoIitique, 1964.

57 e Le niveau 0 tima des villes s, C.E.R.E .S., lla cahier. BsNotamment Tie Report of the Royal Commission on Local Government in Greater

London, Cmnd. 1164 (1960). Voir aussi une publication du gouvernement provincial qubbbcois, Finances Munkipaks 1960-1961 (Publication no. 4), chap. 3, oii sans tirer les conclusions correspondantes I'on n'en donne pas moins une bonne illustration de la mkthde.

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Le raisonnement de base, comme celui des autres mkthodes est relative- ment simple. Etant donnk que les fonctions gouvernementales sont des biens et services dispensks sur des territoires donnks il est possible de determiner divers coQts de divers niveau de services sur diverses surfaces gkographiques. Conskquemment il y aura inter& A constituer des collec- tivitks publiques, 21 dicentraliser chaque fois la oA les co6ts seront moindres pour un niveau de service donnk. I1 s’agit d‘une dkcentralisation scientifique parce qu’automatique (absence d’arbitraire, dinactivitk) et rationnelle parce qu’optimale. Dans ce sens l’efficacitk est une valeur assurkment mais elle s’impose kgalement comme une force.

D ifFicu 1 t e‘s Cette mkthode n’est pas sans connaitre plusieurs difkultks. Nous en

pouvons considkrer au moins six ici. Disons, tout d’abord, qu’il existe des diflcultks thkoriquement secon-

daires. Ce sont le choix de types de coQts examinks (total, moyen, marginal)59, et la dktermination d’unites de production Go dans 1e secteur public, le maintien dun niveau constant de production et enfin la dktennination de la demande. Sur cette derniere question l’on peut observer que l’autoritk publique fixe parfois l’offre et la demande. En fait le service public est non seulement souvent obligatoire (kducation primaire), mais uniforme gkographiquement.

Dewikmement, I’on peut observer que les coQts per capita d u n service donnk peuvent varier non seulement en fonction du niveau (ou qualitk) du service et de l’espace desservi mais kgalement en fonction de la densitd de la population. En dautres termes il n’y a pas nicessairement corrklation entre gkographie et dkmographie O1. I1 faut donc tempkrer le critkre que l’on fera dominer.

Troisikmement, l’on a souligni. frkquemment que non seulement les calculs pratiques d’kconomie d‘6chelles sont tr&s difficiles et peu nombreux en fait mais qu’il ne semble pas y avoir de limites rkelles A la concentra- tion et aux avantages qu’elle procure. Nous nous acheminerions donc encore une fois vers l’organisation politique unique.

QuatriPmement, l’on peut noter dans ces ktudes une certaine hksitation tantbt A prendre pour acquis un systkme d o n n k e qui nous conduira seulement A des rdformes internes-et tantbt A le considkrer comme une

69N’a-t-on pas remarque que I’observance du coDt marginal avait pour consequence des variations trop frkquentes de la tarification ? Comment peut-on concilier de telles variations avec le concept de I‘organisation optimale ?

8oVoir I’exemple fourni par Tiebout dans I’ktude cite A la note 1, page 1, partie 111. @‘Par exemple, la simple diffkrence entre un milieu urbain et un milieu rural. L’on

se souviendra que I’organisation dkpartementale de la France napolConnienne accor- dait une importance dkterminante aux distances gkographiques puisque chaque pr6fet se trouvait A une journke de son collhgue. Les urbanistes sont 6galement tr&s con- scients de cet aspect puisque certains recommendent la crkation de villes rectanplai- res oh le travailleur parcourt une faible distance pour se rendre A son lieu de k a v d .

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LA D-ATION DE L'ORGANLSATION POLITIQUE 23

variable. A vrai dire cette deuxikme option qui devrait &re plus utile est ordinairement iporee. C'est qu'en fait l'on sent trbs bien que la delkgation d'autorite et la superposition de paliers administratifs ou gouverne- mentaux est 6limin6e par cette mhthode. En d'autres termes. ce mode d'approche ne considhre que des paliers doperation souverains. Elle ne determinera pas s'il y a lieu par exemple de subordonner ces paliers A d'autres par exemple du point de vue de la politique de I'organisme par opposition A l'exkcution de cette politique ou encore de soumettre ces paliers A m e tutelle plus ou moins forte.

Cinquikmement l'on prend gh-kralement pour acquis qu'il existe un niveau de service donnd B partir duquel bien s& l'on determine la dimension de l'organisme. Cependant l'on n'indique pas qui determine ce niveau de service. Or dans une organisation politique ce niveau peut &re determine par un palier superieur de gouvernement ou par un electorat determind. Bien plus dans la deuxikme hypothbse il est certain que I'on ne pouma consequemment modifier le systkme mais seulement le niveau de service. I1 est vrai que par projection l'on peut indiquer A un electorat determine qu'il aurait int6rBt A se fusionner A un autre klectorat 6largi (en fait on tente rarement de suggerer un rappetissement de frontikres) afin d'obtenir les avantages d'un niveau de service plus eleve ou moins coutew. Mais encore une fois rien n'indique que ce mBme service ne pourrait pas Qtre assume par un palier supkrieur de gouverne- ment. Bien plus en agissant de la sorte Yon se degage de l'kpineux mais fondamental problkme qu'est l'obtention du consensus populaire. Car l'on peut considkrer son expression comme souveraine ou comme indS6- rente parce que contraire au vkritable bien collectif.

Sixikmement, I'on peut tres bien dmettre I'hypothbse que la situation optimale pour un service donne peut Btre difF6rente de celle d'un autre service (ex : kducation et bien-&re). Conskquemment nous ferions face A une organisation politique organiquement incoordonnee tant verticale- ment qu'horizontalement. En somme, il n'y aurait plus de a collectivitds > locales et rkgionales. D'ailleurs il faut bien avouer que les dtudes faites sur cette question sont particulikrement inconcluantes. L'on a longtemps considdrb par exemple qu'un rkservoir de 50,000 de population dtait optimal pour la production de plusieurs service publics62. Or Yetude d6jA citke de Pinchemel et Gozzi conclut qu'une collecti~te de 300,000 constitue aussi une situation optimale.

Con pourrait kvidemment aller plus loin et mentionner les critiques habituelles selon lesquelles les rdgimes decentralisks sont causes de pertes de ressources, de double-emploi, et de dissipation d'knergie 63. Habituelle- ment Yon repond A cela en faisant valoir les kconomies d'un systkme

6211 semble par exemple que ce chiffre fatidique ait Btk retenu dam la province de Qukbec pour la constitution d'institutions d'enseignement rkgionales.

MAu Canada la Commission d'enquete Rowell-Sirois (1939) a meme pris critique au skrieux et conclut par la negative.

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flexible et plus rkcemment les avantages d'une absence de synchronisation rigide. Ce sont la Bvidemment des Bl6ments non quantSables64.

Les limitations de la troisidme rne'thode Comme on pouvait s'y attendre les dew principales limitations de

cette m6thode proviennent du fait qu'elle fait abstraction des rkalitBs circonscrites par la premikre et la deuxiBme mhthode.

En gros, Yon pourrait objecter que l'efficacitk kconomique et admini- strative peut &tre considerke comme une valeur subordonnke B la fois aux jeux de forces et aux autres valeurs dBjA mentionnkes, soit la liberth et I'BgalitB.

La meilleure illustration de la limitation de cette methode est le fait que Yon y recourt Q: consciemment et volontairement presqu'exclusive- ment en matikre de rkorganisation des collectivitBs locales oh justement les forces que nous avons retenues comme dominantes (principalement la diversit6 sociale) ne jouent habituellement pas, En d'autres termes, il est facile de faire abstraction des forces lorsque I'on ne les afFronte pas.

I1 est vrai que certains ont propose des principes d'organisation poli- tique qui semblent en tenir compte. Ylvisaker 65 notamment a sugg6r6 que la maximation de la participation politique (obtention du consensus populaire) devant &tre considCrBs comme supBrieure A la simple fourni- ture de services publics il y avait lieu de constituer une structure fondhe sur I'hBtkrog&nBitB puisque cette dernihe suscitait les conflits et partant une participation accrue 66. Con peut Bvidemment indiquer que certaines Ctudes contredisent cette proposition d'Mvisaker 67, Mais il y a plus, I'on doit se demander quelle sera la limite optimale de cette diversite. L'on peut aller jusqu'h I'absurde et tenter de savants mklanges de chinois et d'anglais de pauvres amkricains et de riches russes, d'urbains asiatiques Protestants et de ruraux europ6ens boudhistes. Mais A partir de quel critire ? Enfin rechercher le conflit en soi ne conduit-il pas B la b i t e B l'instabilit6 politique ?

'JrRiker, par exemple (p. 146), kmet I'opinion que I'unifonnitk lkgislative par I'organisme central est toujours plus kconomique tandis qu'il n'en irait pas de mbme de = l'application a des mbmes r&gles rkgionalement. En simplifiant, il y aurait donc lieu de diicentraliser lorsque les coats d'application sont supkrieurs aux coQts de l'unifor- misation. A ma connaissance I'on fait tes calculs lorsqu'il est trop tard. Bien plus, l'on ne veut pas voir que I'organisme central peut crker des inkgalitks volontairement

par politique m.

W'oir p. 17, partie I. 6flPour une rkgionalisation homoghne voir notamment Ray et Berry Multi-

variate socio-economic regionalization * Congrhs annuel de I'Association Canadienne de Science Politique (1964).

6Voir Reotte internutionule des sciences sociales, UNESCO (1960). vol. XII, no. 1, particulihrement les ktudes de Rokkan et Campbell. Incidemment Yon aura peut- &tre remarque que le p81e de croissance kconomique est A date un concept operatoire uniquement au niveau local ou rbgional. De plus l'on hikrarchise souvent des sous- pbles et des pbles.

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LA D~CENTRALISATION DE L'ORGANISATION POLITIQUE 25

Par ailleurs, Pincheme16S n'a pas craint de deborder la recherche du strict optimum Bconomique des services publics pour s'inquikter de l'optimum de bien-etre de la population. Con peut 6videmment r6peter ici que la constitution d'agglomkrations de 300,000 habitants supposera une mobilit6 forc6e des individus ce qui est une autre facon de faire ressortir le probl6me du consensus populaire. Bien sOr, I'on repondra qu'il ne s'agit pas ici d'une subordination de la libertk ?i I'efficacitB administra- tive mais d u n simple processus de decision qui logiquement distingue l ' tape de I'exposk de l'alternative de l'etape du choix. Celle-ci kvidem- ment ne pouvant que suivre la premikre.

Nous accepterions sans doute plus rapidement cette proposition s'il n'apparaissait evident qu'elle cache sous I'attirail scientifique et mathk- matique I'adoption de valeurs comme guide determinant. En fait n'est-il pas vrai que la situation optimale n'est en fin de compte pour plusieurs qu'une situation d'kquilibre composke d'C16ments 6gaux ? 69 Ne tente-t-on pas de cr6er des r6gions Bgales en force militaire, en ressources kcono- miques, en somme des unites concurrentielles ? En d'autres termes, non seulement l'on tente de maximiser la valeur efficacite mais Yon subor- donne cette demikre A la valeur 6galit6.

Le problkme est que justement non seulement les groupes d'individus peuvent refuser d'entrer dans la danse de la concurrence, mais qu'essen- tiellement la concurrence inkvitablement va amener la disparition des unites que l'on vient de creer. I1 faudrait donc se resoudre A ne considerer cette m6hode que comme une solution temporaire, idkologique et qui constitue A un moment donne une solution comme une autre.

CONCLUSION

Nous avons expos6 trois faqons distinctes d'abord le problkme de I'opportunitk de la dkcentralisation. Con a pu deceler chez chacun de ces modes d'approche non seulement une optique particulii?re, mais aussi un objet spkcifique d'observation, les valeurs, les forces, les donnees Bconomiques.

L'on a pu kgalement observer que meme si chacun de ces modes relevait tout sptcialement d'une discipline d6terminBe il y a effectivement ou devrait y avoir emprunt de I'une A l'autre A cause des limitations individuelles.

Le r6sultat dkevant de ces analyses est attribuable A plusieurs causes. Mais la principale est sans doute que I'on a confondu les questions

6Woir note 3, page 1, infra, partie 111. 69Deux remarques s'imposent peut-&re ici. D'abord ces anal ses prennent pour

acquis une rkpartition des revenus qui est conforme aux devoirs June majoritk. Doh un premier grief possible. Deuxihmement Ie concept de I'optimum de Pareto est une notion de justice kgalitaire. Dans ce sens qu'un organisme se voit refuser des avan- tages obtenus aux dbtriments dhn autre.

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fondamentales que sont le a pourquoi >, le a quand et le a comment s. I1 a 6t6 impossible, en fait, de tirer du a quand 3 et du a comment s la rCponse au pourquoi B.

Comme on pouvait s'y attendre il est difficile alors de rPsister B la tentation de sugg6rer un quatriknie mode d'approche. En toute modestie et sans originalite l'on peut penser qu'il aurait Bt6 prkferable de poser le problkme diffkremment en le placant c o m e il se doit, dans le cadre d'un processus de dkcision.

Comme toute dkcision, celle de dkcentraliser implique une volonte d'agir et une capacith d'agir que I'on peut graduer selon une 6chelle dintensite et de disponibilitb. Comme toute decision celle de decentra- liser comporte des avantages et des incondnients. Enfin comme toute dkcision, celle de dkcentraliser a un ou plusieurs objectifs une ou plusieurs modaliths et elle dkcoule d'observations, de raisonnements, de dksirs et de normes ou principes.

Nous croyons avoir indique qu'il est particulikrement difficile de ghneraliser B propos du problkme examine non seulement parce qu'il y a de nombreux cas o i ~ il n'y a pas dans toutes circonstances une coinci- dence de la volontk et de la capacite d'agir mais parce que I'on doute mhme encore de l'existence d'un rapport de causalit6 entre un objectif prCcis (libertk) et une modalite spdcifique (dkcentralisation). Enfin, il est certain que dans chaque cas l'on ne peut atteindre une quantification satisfaisante.