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Troisième partie :
LES FORMES D’ORGANISATION
SPATIALE.
2
Chapitre 9 :
Habitat et organisation de l’espace au Bénin
La transformation de l'espace national par les villes apparaît
comme l'expression évidente de l'emprise de l'homme sur son
environnement ; elle témoigne aussi de son niveau de développement.
De ce point de vue, la ville a toujours été la forme la plus évoluée des
établissements humains, symbole par conséquent de ce que (Gourou
1971) qualifie de « Civilisation supérieure ». Aujourd'hui, le caractère
galopant et anarchique du phénomène urbain qui se développe dans
les pays du Tiers monde est quelque peu en contradiction avec cette
maîtrise de l'space national.
En Amérique latine, par exemple, les pays comme l'Argen-
tine, le Chili et l'Uruguay ont plus de 60 % de leur population qui
vivent dans des villes de plus de 20 000 habitants.
En Asie, l'Indonésie, la Malaisie, Singapour et Taïwan enre-
gistrent plus de 50 % de leur population parmi les citadins.
Il n'y a que l'Afrique où le pourcentage des urbains reste
encore très faible; 22 % environ de sa population vivent dans des
agglomérations de plus de 20 000 habitants.
Malgré ce faible pourcentage de citadins, le taux d'urbani-
sation du continent noir est l'un des plus élevés du monde : Abidjan,
Kinshasa, Lagos, etc., croissent à plus de 10 % par an. Cotonou les
suit de très près avec un rythme de 8,26 % par an.
Dans la plupart de ces pays pauvres, la ville se développe dans
un environnement social médiocre, traduisant ainsi un état de pau-
vreté, une fragilité et une désaffection des techniques d'encadrement.
La plupart des villes, loin d'être des cadres d'élaboration de
civilisation supérieure » véhiculent plutôt les principaux maux dont
souffre la nation : prostitution, vol, usage de la drogue, meurtre,
chômage, etc.
Dans ces conditions, la ville devient de plus en plus incapable
d'assumer une partie de ses fonctions celle d'organiser correctement
l'espace national.
Ce constat d'échec n'est, en réalité, que le reflet des contradic-
tions sociales qui se développent dans les villes du Tiers monde,
expression évidente du caractère dualiste de leur histoire.
En effet, dans ces pays pauvres, certaines sociétés avaient déjà
acquis une longue expérience de la gestion urbaine ; d'autres, au
contraire, n'ont jamais connu de civilisation urbaine. Quelles que
soient les expériences mises en place, la ville est apparue en force
3
avec la pénétration européenne. Elle est devenue pour ainsi dire le
meilleur cadre de gestion et d'exploitation des terres nouvellement
conquises.
Mais la ville coloniale s'est toujours démarquée de celle créée
traditionnellement pour des raisons de sécurité et d'intérêt colonial.
En terme de sécurité, le colonisateur créa son nouveau style de
ville, le plus souvent bâtie en damier, privilégiant désormais une zone
résidentielle séparée des quartiers indigènes par la ligne de chemin de
fer ou carrément par des fils de fer barbelés.
En terme d'intérêt, la ville coloniale est un centre de drainage
de l'économie territoriale vers la métropole au lieu d'être le noyau
autour duquel s'organise tout l'espace « national ».
Bien que conçu pour ces deux raisons, ce centre d'adminis-
tration colonial est demeuré cependant le cadre par excellence de
l'exercice du pouvoir politique après les indépendances nominales. Ce
cadre apparaît comme le plus commode pour la nouvelle élite qui a
pris la relève du colonisateur et qui, dans bien des cas, limite l'es-
sentiel de son action politique à la gestion de ces centres urbains. On
ne parle de l'espace national que pour mettre en place toutes les
structures de drainage de la force vive du monde rural vers la ville qui
ne vit que de l'exploitation de son arrière-pays immédiat et lointain.
Dans ces conditions, comment peut donc se poser le problème de
l'organisation de l'espace national à partir de ce modèle d'habitat? Pour
répondre à cette question, nous nous proposons d'analyser l'expérience
béninoise. Celle-ci nous parait intéressante à double titre.
D'abord, le Bénin offre l'exemple d'un habitat varié où se
jouent fort bien toutes les contradictions nées de l'expérience colo-
niale.
En outre, les tentatives actuelles de développement ont com-
mencé à mettre l'accent sur la dimension nationale du développement.
Dans ce contexte, la politique d'aménagement du territoire apparaît
comme une perspective.
Pour la commodité de présentation, nous envisageons ce tra-
vail en trois parties :
- dans une première partie nous parlerons des
différents types d'établissements humains qui
existent dans le pays en rapport avec leur mode
d'insertion spatiale ;
- dans une deuxième partie, nous étudierons le rôle
de l'habitat dans l'organisation de l'espace national
;
4
- en troisième partie, nous évoquerons quelques
expériences de régionalisation dans la sous-région
en liaison avec les réformes administratives des
années 1974 et 1978.
I. La typologie de l’habitat au Bénin1
Par habitat, nous sommes loin de l'approche d'urbaniste qui le
confond avec l'habitation. Par habitat, nous entendons toutes les
formes d'établissements humains servant de cadre à la vie. En d'autres
termes, il s'agit (Derruau 1967) « d'une portion d'espace habité,
occupée par les maisons et leurs dépendances ». Il sera donc question
d'évoquer essentiellement le problème du groupement ou de la
dispersion et aussi de la forme de ces établissements humains en
rapport avec leur impact sur la transformation de l'espace
géographique.
Du point de vue de leur concentration spatiale, et de leur
fonction, on distingue deux catégories :
- l'habitat rural ;
- et l'habitat urbain.
A. Habitat rural
Il existe plusieurs types d'habitat rural. Au Bénin, on peut en
identifier au moins trois : le campement, la ferme de culture2
et le
village.
1 Les types d'habitat qui sont identifiés ici proviennent des enquêtes sur le
terrain que nous avons réalisées dans le cadre de deux autres
publications dont :
Répartition et composition par groupes d'âge de la population du Nord Bénin
(Rome : FAO 1981).
Analyse démographique du Bénin méridional Projet PUB (Cotonou :
MTPCH 1982).
2 Nous employons ferme de culture par opposition à la ferme avicole ou
d'élevage bovin. Cette distinction s'impose compte tenu de la non--
5
Le campement peut se définir comme un simple abri situé au
cœur de l'exploitation agricole que le paysan utilise pour se protéger
contre le soleil et la pluie. Sa fonction ne dépasse guère celle de cet
abri temporaire même s il lui arrive quelques rares fois d'y passer la
nuit.
La ferme de culture a déjà une structure plus complexe que le
campement. Elle peut comporter une à plusieurs habitations selon le
cas. Elle a une fonction essentiellement agricole. Le paysan y séjourne
avec sa famille du début à la fin de la semaine avant de regagner le
village ou la ville où se déroulent toutes les festivités. Parfois, le
séjour y est continuel sans aucune interruption pendant plusieurs mois
correspondant à la période des grandes activités agricoles. La ferme
comporte, à la différence du campement, des équipements pour le
stockage et la transformation des produits agricoles. On y fabrique
l'huile de palme, le beurre de karité, des cossettes d'igname ou de
manioc ; on y procède à la mise en sac des grains, etc. À part ces
différentes activités agricoles, la ferme n'a aucune autorité
administrative ou religieuse. Elle est avant tout une simple unité de
production agricole à gérance uniquement familiale. Certes, les
vicissitudes historiques, les contraintes du milieu naturel ainsi que les
entreprises de colonisation agricole ont fait de la ferme une des formes
d'établissement humain les plus répandues sur l'ensemble du territoire
national.
Le village diffère de la ferme de culture par sa population
composée déjà de plusieurs familles, par sa fonction plus complexe.
En plus des activités agricoles qui se déroulent intensément à la ferme,
le village possède parfois un centre commercial symbolisé par un
marché. On compte au sein de sa population des commerçants et des
artisans. Outre ces différentes activités, le village a une fonction
politique assurée par les dignitaires locaux ou le représentant d'une
autorité centrale. A cette fonction politique s'ajoute celle dite
religieuse. Le village, à partir de ces différentes fonctions, apparaît
comme la base de l'État.
B. Habitat urbain
intégration de l'élevage à l'agriculture en Afrique et plus
particulièrement au Bénin. Ce que nous disons ici a d'ailleurs des
implications politiques dans ce pays où il existe un ministère
d'Élevage et des Fermes d'État par opposition au ministère de
l'Agriculture.
6
La ville est la forme la plus achevée des différents types d'éta-
blissements humains. Il est parfois difficile de la définir par rapport au
village.
Le critère démographique qui vient premièrement à l'esprit ne
s'impose pas en particulier en Afrique où traditionnellement, il existe
très peu d'opération de dénombrement. Même à supposer qu'il en
existe, aucune société africaine, encore moins béninoise, n'a jamais
insisté sur le critère démographique pour établir la hiérarchie socio-
politique. Les réformes administratives de 1978 constituent une belle
illustration de ce que nous disons ici. Depuis cette réforme, plusieurs
chefs-lieux de districts sont moins peuplés que certains villages qui
sont sous leur autorité.
Pour définir une ville, on retient généralement cinq critères :
- population minimale ;
- caractère compact de la localité considérée ;
- importance des secteurs d'activité ;
- niveau d'équipement ;
- critère juridique ou administratif.
Sans rentrer dans le débat, ces cinq critères pris individuel-
lement ou globalement posent leurs problèmes, en particulier
lorsqu'on veut les appliquer aux agglomérations qui ont servi de cadre
à la gestion politique des sociétés traditionnelles ; d'où la nécessité de
les compléter par d'autres considérations.
Parmi celles-ci, on peut signaler l'existence d'une prise de
conscience du phénomène urbain des populations considérées.
L'existence de cette conscience se traduit dans les faits par la Ca-
tégorisation des différents types d'habitats mis en place. Cette caté-
gorisation est rendue dans le parler des habitants par une série de mots
réservés à chaque type d'habitat. Ainsi, chez les Yoruba, le
campement est désigné par le mot « Ahere », « Ago », « Ibudo » ; le
village s'appelle « Ileto », « Ilu Ereko » ; la ville se nomme « Ilu
Alade », Ilu Oloye ». Le préfixe « Ilu » signifie agglomération tout
court.
Exceptés les Yoruba, les populations du Nord d'origine mendé
ont également leurs vocables pour identifier chaque catégorie
d'établissement humain la ville est appelée « Dugu ou Duguba».
Malheureusement, pour certains groupes socioculturels du Sud-Bénin,
Mondjannangni (1977) a constaté l'inexistence de mot approprié pour
désigner la ville en dépit d'une civilisation urbaine propre. Il se
pourrait que dans ce contexte, la ville ait fait son apparition dans le
cadre d'une grande aire de civilisation dont les limites se sont
7
considérablement réduites aujourd'hui privant ainsi ces groupes
socioculturels du Sud-Bénin d'une bonne partie du vocabulaire
naguère en usage.
Quoi qu'il en soit, tout groupe humain qui possède un vocable
pour désigner la ville n'a plus besoin d'autres critères pour se con-
vaincre de l'existence des villes parmi tant d'autres types d'habitats. À
notre humble avis, c'est une simple preuve d'honnêteté intellectuelle
que d'accepter pour ville ce que les intéressés eux-mêmes appellent
villes, bien sûr, à partir de critères objectifs et permanents.
Indépendamment d'une prise de conscience du phénomène urbain par
certains groupes ethniques, il existe des éléments matériels qui
différencient physiquement une ville d'un village. Par exemple dans la
plupart des villes traditionnelles du Bénin, ces éléments matériels sont
représentés soit par :
- un centre commercial ;
- un centre caravanier ;
- la présence d'un imposant palais autour duquel
évoluent les autres quartiers ;
- la présence d'un marché toujours situé en face du
palais ;
- les éléments de fortification qui sont le fossé et/ou
le mur ;
- un portail central à structure complexe.
Ces différents éléments pris individuellement ou collective-
ment sont inexistants dans le village et symbolisent par conséquent la
spécificité des fonctions urbaines. Ces nouveaux critères ajoutés à
ceux de la population, aux différents secteurs d'activités, à l'im-
portance des équipements, etc., permettent d'incorporer les centres
traditionnels aux définitions retenues pour les villes africaines.
Des différents types d'établissements que nous venons de défi-
nir, les plus répandus sont les fermes de culture.
Selon les évaluations faites par nous-même (Igué 1983) à
partir des résultats du recensement national de la population et
de l'habitat effectué en mars 1979, la partie méridionale du
Bénin (c'est-à-dire les provinces de l'Atlantique, du Mono, de
l'Ouémé et du Zou-Sud) compte environ 19 443 localités
réparties comme suit :
- campements de 1 à 50 habitants 13 328 soit 68,50
% ;
8
- fermes de culture de 50 à 300 habitants 5 056 soit
26 %;
- villages de 301 à 4 999 habitants 960 soit 5 % ;
- villes de 5 000 habitants et plus 24 soit moins de
0,50 %.
Les deux provinces du Nord comptent 6 530
établissements dont :
- 3 822 campements de 1 à 50 habitants soit 50,52
% ;
- 2 099 fermes de culture de 50 à 300 habitants soit
32 % ;
- 602 villages de 301 à 4 999 habitants soit 9 % ;
- 7 villes de 5 000 habitants et plus, soit moins de
0,50 %.
Ces différents chiffres montrent qu'il existe très peu de gros-
ses agglomérations au Bénin. Sur un ensemble d'environ 26 575
localités dénombrées, seulement 38 centres ont 5 000 habitants et
plus3 (Fig. n°
1).
Cette démarche permet de conclure que du point de vue de
son insertion spatiale, l'habitat est très peu groupé au Bénin.
C. Le mode d’insertion spatiale de
l’habitat
Du point de vue de sa distribution géographique, on peut dis-
tinguer trois cas :
D. les structures d'habitat dispersé ;
E. l'habitat semi-dispersé ;
F. l'habitat groupé.
1. les structures d’habitat dispersé
Les structures d'habitat dispersé caractérisent à la fois le sud
et le nord du pays. Au sud, la dispersion est totale sur les plateaux de
la terre de barre et plus particulièrement dans les districts d'Avrankou,
Ifangni, Pobe et Sakété (Ouémé) ; Allada, Ze, Toffo et Tori-Bossito
3 Les chiffres de 26 575 et 38 englobent cette fois les localités du Zou-Nord.
9
(Province de l'Atlantique) ; Bopa, Houeyogbe, Comè, (Province du
Mono).
Au nord, ce sont surtout les districts de Ouake et de Bassila
(Atacora), de Kandi, Segbana, Banikoara et Gogonou dans le Borgou
qui ont un habitat dispersé.
Dans ces différents districts, la population moyenne des loca-
lités est inférieure à 100 habitants.
Les raisons de cette dispersion sont multiples.
Au nord, elles sont dues à la forte emprise du peuplement
peul. Au sud, on peut évoquer, entre autres, trois principales causes :
- les contraintes du milieu naturel en particulier la
rareté de l'eau à faible profondeur sur le plateau
de la terre de barre ;
- la forte emprise de l'histoire aboméenne qui,
pendant l'époque de la traite des esclaves, a
provoqué l'éclatement des grosses
agglomérations ;
- la colonisation agricole, en rapport avec la forte
densité d'occupation et le système foncier.
Quelles que soient les raisons qui la déterminent, cette struc-
ture d'habitat dispersé témoigne du caractère individualiste des
populations et de leur fragilité devant le milieu environnant.
2. L'habitat semi-dispersé
Ce type d'habitat se remarque surtout au nord et plus
particulièrement sur le massif de l'Atacora et en partie dans le
pays bariba. Cette structure semi-dispersée concerne les fermes
de 100 à 300 habitants très répandues dans les districts de
Toukountouna, de Cobly, Boukoumbe, Materi et Tanguieta.
Dans ces différents districts de la province de l'Atacora, ces
petites localités sont formées de concessions non agglomérées,
constituant chacune une sorte de château fort » bâties au centre
du terroir agricole. Ces châteaux forts sont distants de 100 à 150
mètres les uns des autres. Cette distance correspond à l'espace
utile pour la mise en valeur des cultures de case. Elle peut être
aussi appréciée comme celle qui permet aux habitants de chaque
château de se soustraire de la convoitise des voisins. La fourchette de leur population comprise entre i00 et 300 ha-
bitants revêt une grande signification : la limite inférieure de 100
personnes représente le seuil minimum à partir duquel certains travaux
agricoles, en particulier la construction des terrasses, peuvent être
10
convenablement envisagés. L'effectif de 300 personnes qui est la
limite supérieure équivaut à la pression démographique que peut
supporter le milieu naturel compte tenu des contraintes pédologiques
en rapport avec les techniques de mise en valeur agricole en usage
dans la région. Ce chiffre de 300 habitants apparaît donc comme un
seuil maximum au-delà duquel la localité s'éclate pour donner
naissance à d'autres.
Le peuplement semi-dispersé du pays bariba est une
association de campements d'éleveurs peul, de fermes agricoles
gando et de gros villages bariba. Ce modèle concerne surtout les
chefferies bariba de Ouassa-Pehunco, Kouandé, Kerou, N'dali et
Nikki. Les campements peul ont généralement moins de 50 habitants,
les fermes gando entre 50 et 300 habitants, les villages bariba
enregistrent une population de 1 000 habitants.
La coexistence de ces trois types d'habitat rural caractérise la
structure socio-économique du peuple bariba. En effet, au niveau de
ces différents établissements, il existe un lien de service et de Soli-
darité. Ainsi, les Peul éleveurs gèrent l'essentiel des animaux ap-
partenant aux princes bariba. Les Gando, pour une large part esclaves
d'origine, labourent la terre pour nourrir les princes bariba. Ceux-ci
sont chargés, à partir de leur parfaite organisation militaire, d'assurer
la sécurité de tout le territoire.
Mais ces structures semi-dispersées subissent actuellement de
profondes mutations, en particulier en milieu bariba les Peul qui se
sont enrichis au détriment de leurs maîtres préfèrent s'éloigner
aujourd'hui de leur ancien domaine pour mieux jouir de leur richesse.
Ils justifient ce départ par le manque d'eau et la rareté du pâturage
provoqué par la surcharge pastorale et la sécheresse. De même, les
Gando, affranchis depuis plu8ieurs années, quittent leur ancien village
pour mieux vivre en toute liberté.
3. L'habitat groupé
Les formes d'habitat groupé sont peu représentatives sur l'en-
semble du territoire national. Elles sont également très variées.
On a d'un côté les districts interlacustres du Bénin
méridional comme les Aguegues et So-Ava, les districts situés le
long de la vallée de l'Ouémé tels que Bonou et Dangbo. Au Moyen-Bénin, les districts de Savè et de Za-Kpota à un
degré moindre, peuvent être considérés comme ayant un habitat
groupé.
11
Au nord, il s'agit d'un côté des districts urbains de Djougou et
Parakou, de l'autre, le district rural de Bembérékè et ceux de la vallée
du Niger comme Karimama et Malanville.
Dans ces différents districts, les localités de plus de 300 habi-
tants représentent environ 60 % des établissements humains. Ces
structures groupées caractérisent d'une part les districts où les pro-
blèmes d'eau ne constituent pas un handicap à la forte concentration
humaine comme c'est le cas le long de la vallée du Niger, de l'Ouémé
et dans les régions interlacustres. D'autre part, elles reflètent une
ancienne armature urbaine décadente comme c'est le cas à Savè4.
Ailleurs encore comme à Bembérékè, ce modèle fait suite d'une part à
la politique de regroupement villageois de 1963, d'autre part à la
décadence de la féodalité Bariba.
Quelles que soient les structures mises en place, ces différents
types d'habitat participent à l'aménagement de l'espace national.
II. Le rôle de l’habitat dans l’organisation de
l’espace national
Dans cette partie, il sera question d'évoquer :
- la participation de l'habitat rural à l'aménagement
de l'espace agricole ;
- l'influence des villes sur le modelage de l'espace
national.
A. L’habitat rural et aménagement de
l’espace agricole
On peut envisager ici trois aspects de la question :
1. le rôle de l'habitat dans la mobilisation foncière ;
2. le rôle de l'habitat dans la maîtrise des techniques de
production agricole .
4 Le pays Sabè était caractérisé par la présence de grosses cités qui ont pour
nom Ile-Sabè, Kaboua, Kokoro, Kilibo, Ikenon, Toui, etc. (Couchard 1911).
Là, la traite des esclaves, à la différence de ce qui s'est passé au sud, n'a pas
modifié les anciennes structures urbaines. Elle a eu par contre
pour effet de les vider de l'essentiel de leurs populations. La
plupart en sont désormais réduites à de simples gros villages.
12
3. les conséquences des structures de l'habitat sur les
mouvements de population en rapport avec la main-
d’œuvre agricole.
1. Habitat rural et problème foncier
Sur l'ensemble des plateaux du Sud-Bénin caractérisés par un
habitat dispersé, les anciens domaines lignagers ont été partagés entre
les différents éléments de la famille. Cette distribution des terres a
provoqué un émiettement excessif des parcelles entraînant le plus
souvent une certaine rareté du patrimoine foncier. Partout sur ces
plateaux, 80 % des exploitations agricoles ont moins de deux hectares
de superficie. Ce morcellement excessif des parcelles est d'abord le
reflet d'une structure socio-politique élaborée dans ce contexte
d'habitat dispersé marqué par l'individualisme des populations.
Dans ces régions à très forte densité de population, le
problème foncier ne se pose pas seulement en termes de la rareté des
terres ; la dispersion de l'habitat débouche aussi sur un certain
gaspillage des terres disponibles pour l'agriculture. En effet, une
bonne partie de ces terres sont occupées par les innombrables pistes
qui relient les hameaux entre eux et aussi par les vastes concessions
des différentes fermes. Le refus de mettre en commun des terres
agricoles entraîne un important gaspillage dans ce contexte de forte
densité. Ce gaspillage est déjà moins important dans des structures
d'habitat groupé où les membres de plusieurs familles peuvent
partager les mêmes infrastructures collectives.
2. Habitat et maîtrise des techniques de production agricole
Les travaux consacrés aux techniques de production agricole
en Afrique tropicale ont pour la plupart insisté sur la supériorité des
techniques de mise en valeur agricole dans les structures d'habitat
dispersé (Pélissier 1966 ; Sautter 1962 ; Gourou 1971 ; etc.).
Les difficultés à disposer d'une grande surface à labourer ont
été compensées par une technique de production agricole à caractère
intensif. Ainsi dans toutes ces sociétés où la terre se fait rare, les
paysans fument leurs champs à partir des déchets de maison et des
excréments d'animaux.
En dehors de l'utilisation de l'engrais sous diverses formes, les
aménagements agraires répondent parfaitement aux exigences du
terrain ; ainsi, dans la basse vallée de l'Ouémé et aussi dans la
palmeraie de Porto-Novo, existe une palmeraie-parc à l'intérieur de
13
laquelle se pratique une agriculture vivrière très savante (Pélissier
1963 ; Leclerc 1971).
Dans les structures d'habitat semi-groupé ou groupé, le
problème de l'organisation de l'espace agricole se pose différemment :
le plus souvent, on constate une mauvaise maîtrise des techniques de
production (exception faite toutefois des régions interlacustres du Bas-
Bénin). Mais l'espace agricole est mieux perçu ; on peut en identifier
trois à partir du village.
D'abord, le village se compose le plus souvent d'enclos où les
familles construisent leurs cases. Tout autour, dans un rayon d'environ
200 mètres, s'étend le cercle des champs nus constitués de parcelles
familiales que des fumures permettent de cultiver sans interruption et
sans jachère. Elles donnent, en saison humide, du mil précoce, du
haricot, du manioc et l'essentiel des condiments qui entrent dans la
préparation des mets ordinaires.
Juste après le village, et sur un noyau d'environ un kilomètre,
le reste du territoire villageois est consacré au système d'assolement
triennal. Il est divisé en plusieurs soles qui reçoivent en rotation le
coton Allen, le maïs, le mil et le tabac.
Au-delà de deux kilomètres, s'étend une troisième auréole
exploitée comme champ de brousse. Là se cultivent de l'igname, du
manioc et du maïs de façon extensive.
Ce modèle caractérise le Moyen-Bénin, en particulier dans le
Zou-Nord et presque tout le nord du pays.
D'une manière générale, les communautés rurales vivant dans
de grosses agglomérations sont soudées dans une forte cohésion qui
leur permet de réaliser l'aménagement de leur espace.
Dans les structures d'habitat dispersé, cette solidarité du grou-
pe, le plus souvent, fait défaut. Les rares structures de mise e n
commun des expériences favorisant par conséquent une certaine union
sociale concernent les marchés ruraux. Ces marchés ruraux deviennent
pour ainsi dire les pôles de développement régional. D'autres d'ailleurs
ont exercé un Si profond impact sur leur milieu qu'ils ont évolué
actuellement vers des centres semi-urbains : c'est le cas de Dogbo,
Azovè dans le Mono pour ne citer que ceux-là.
Mais le plus grand problème qui menace aujourd'hui les
structures d'habitat dispersé est celui de l'exode rural.
3. Habitat et mobilité de population
Ce problème se pose en termes d'incapacité des techniques
agricoles savamment élaborées à nourrir en permanence les excédents
démographiques. Ce problème menace davantage les groupes socio-
culturels ayant un mode d'habitat dispersé. Nous pouvons citer le cas
14
particulier des Holli de la dépression d'Issaba dans le district rural de
Pobé. Ce peuple a pratiquement envahi tous les plateaux à la
périphérie de cette dépression, offrant ainsi le plus bel exemple de
colonisation agricole spontanée du Bénin méridional.
D'une manière générale, l'exode rural qui frappe toute la
campagne béninoise apparaît comme une sorte de remise en cause des
formes d'aménagements agricoles opérés dans le contexte d'habitat
rural, traduisant ainsi leur inefficacité face à l'émergence des villes.
B. Le rôle des villes dans l’organisation
de l’espace national
L'appréciation du phénomène urbain béninois est une tâche
très délicate. Il manque à ce propos des critères objectifs de définition.
À partir des propositions faites précédemment, on peut distinguer
plusieurs catégories de villes au Bénin.
Il y a d'abord les villes traditionnelles (Mondjannangni, 1977)
présentées comme des villes de première génération. Ces villes
historiques se regroupent en deux catégories : les «cités palais» et les
autres.
- Les « cités palais » selon toujours le qualificatif de
(Mondjannangni, 1977) ne sont autres que les villes qui ont servi de
capitales aux anciens royaumes. Parmi celles-ci on peut citer Allada,
Savi (dans la province de l'Atlantique) ; Kétou, Ifangni Itakété, Porto-
Novo (dans l'Ouémé) ; Abomey, Dassa-Zoumé, Savè, Savalou (dans
le Zou) ; Nikki (dans le Borgou).
- À part ces capitales, il existe d'autres villes historiques
différentes des « cités palais ». Tel est le cas, par exemple, de Djougou
qui, situé sur l'axe caravanier reliant Kano à Salaga dans le royaume
dagomba au nord du Ghana actuel, s'est développée comme une ville
étape ou d'entrepôt.
Après les villes historiques viennent les agglomérations de
deuxième génération » émergées dans le contexte de la traite négrière :
Ouidah seule peut être citée dans cette catégorie.
Ensuite, on a les villes de «troisième génération » constituées
en centres d'encadrement administratif et de traite commerciale nées à
l'époque coloniale. Ce sont les plus nombreuses, et parmi elles :
15
Cotonou Bohicon, Grand-Popo, Abomey-Calavi, Adjohoun, Covè,
Kandi, Malanville, Natitingou, etc.
Sur la base de ces trois classifications (Mondjannangni 1977),
on peut identifier sur l'ensemble du territoire national une quarantaine
de localités pouvant être considérées comme villes.
Aujourd'hui, la situation parait plus complexe. À partir des
réformes administratives de 1974 et de 1978, avec l'apparition des
districts et communes urbains, les agglomérations promues au rang de
villes deviennent très nombreuses (environ 86).
De tels changements impliquent nécessairement une nouvelle
catégorisation de ses nouvelles cités. C'est ce qu'a tenté de faire
Ahoyo (1984) en identifiant :
1. une ville dirigeante d'envergure nationale : Cotonou ;
2. les villes d'encadrement régional : l'auteur en a
distingué trois pour la partie méridionale, Porto-Novo,
Abomey, Lokossa, auxquelles s'ajoutent, pour la
partie septentrionale, Parakou et Natitingou ;
3. les villes d'encadrement sous-régional ; seulement
quelques chefs-lieux des nouveaux districts dont la
population est comprise entre 5 000 et 30 000
habitants jouent ce rôle. C'est le cas de Comè, Dogbo,
Klouékamè, Savè, Dassa-Zoumé, Savabu, Djougou,
Kandi, et Malanville pour ne citer que ceux-là.
Cette classification proposée par Ahoyo montre bien que le
rôle de la ville est d'intervenir comme facteur d'organisation nationale,
régionale et sous-régionale.
C. L’influence des villes sur le territoire
national
Cette influence se manifeste de plusieurs manières, mais trois
sont souvent évoquées :
- les relations ville-campagne .
- la vie de relation ;
- le rôle des villes dans la formation des régions
autonomes.
16
1. Les relations ville-campagne
La ville n'a pu naître que lorsque les campagnes sont par-
venues à dégager un surplus productif permettant de ravitailler les
populations citadines. Il s'instaure alors entre la ville et la campagne
plusieurs rapports de prélèvement pour ne pas dire d'exploitation. Les
formes de ce prélèvement sont multiples :
- prélèvement des travailleurs (exode rural) ;
- prélèvement des ressources alimentaires ;
- appropriation foncière dans certains cas.
On peut longuement insister sur les aspects de cette ponction.
À titre d'exemple, Si nous analysons l'évolution de la croissance des
principales villes du Bénin, on constate que Cotonou croît à un rythme
de 8,26 % par an qui se fait aux dépens des provinces du Zou, de
l'Ouémé et du Mono mais de façon très infime en ce qui concerne le
nord du pays. Sur une population totale de 350 000 habitants recensés
en 1979, il n'y a que 6 000 nordiques vivant à Cotonou, soit seulement
1,87 % de l'effectif. En se basant sur le prélèvement des travailleurs,
on peut conclure que Cotonou ne contrôle pas totalement tout l'espace
national. De ce point de vue, elle reste encore une ville régionale,
dépendant totalement de la partie méridionale du pays.
Après Cotonou, Porto-Novo croît à un taux de 4,1 % par an.
L'excédent de cette évolution par rapport au taux national calculé à2,8
% vient essentiellement de l'impact qu'elle exerce sur son arrière-pays
immédiat. De ce point de vue, Porto-Novo reste effectivement une
ville régionale.
Puis, Parakou croît à 3 % par an. Ce taux se rapproche de
celui de la nation. Cette croissance est également due à l'impact
qu'exerce Parakou sur son arrière-pays immédiat. En effet, sur un
effectif total de 48 761 habitants en 1979, les origines du Borgou
représentent les 70 %, ceux de l'Atacora, 19 % ; les 11 % qui restent
viennent de la partie sud (Igné 1983).
Les autres villes d'envergure régionale comme Abomey,
Natitingou et Lokossa enregistrent une croissance annuelle inférieure
à 2,8 % : Abomey croit à 1,50 % ; Natitingou, 2 %. Cette faible
croissance montre l'impact régional limité de ces centres.
Rien qu'en se référant à ce prélèvement démographique, très
peu des villes que nous venons de passer en revue exercent une
emprise nationale ou régionale évidente. Le moins qu'on puisse dire
est que la plupart servent plutôt de centre de relais aux travailleurs
17
ruraux qui vont de la campagne à Cotonou dans un premier temps,
puis dans les pays limitrophes dans un second temps.
Les autres formes de prélèvement sont déjà plus difficiles à
analyser par manque de données.
2. La vie de relation
À partir des différents prélèvements qu'opère la ville sur la
campagne, celle-ci devrait offrir en contrepartie un certain nombre de
services tels que :
- le commerce
- la justice
- la santé
- l'éducation;
- la culture, etc.
Très peu de ces services sont correctement offerts à la cam-
pagne par les villes béninoises. Même si elles arrivent à les lui offrir
comme c'est le cas des services commerciaux (rôle du marché
Dantokpa) ou de l'éducation (à partir des collèges et de l'Université),
la campagne les paie cher. Dans d'autres domaines comme celui de la
culture, les villes dépendent plutôt des campagnes, pour la plupart. Il
suffit de se reporter aux grandes manifestations officielles qui se
déroulent en villes (fêtes nationales, visites des chefs d'Etat, etc.). À
chaque occasion, les meilleurs danseurs et chanteurs, les plus beaux
objets d'art viennent de l'arrière-pays immédiat ou lointain. La ville ne
restitue, dans ce domaine culturel, que les valeurs importées de
l'extérieur. La décoloration de la peau, des cheveux, la musique pop,
les films pornographiques etc., toutes choses qui touchent aujourd'hui
le monde rural par le biais de nos villes.
La plupart des autres services sont mal rendus à cause du
maillage des villes béninoises qui ne constituent pas encore un
véritable réseau.
Si l'on étudie le rayonnement de ces différentes villes, toutes
exercent une faible emprise sur leur environnement régional. Les cas
d'Abomey dans le Zou, de Parakou ou de Natitingou dans le nord ou
celui de Lokossa au Mono le prouvent bien.
Dans toute la province du Zou, l'influence d'Abomey s'arrête
au village de Setto. Au-delà, il existe un autre Zou couramment appelé
le Zou-Nord ; cette partie de la province échappe presque totalement à
l'emprise de la capitale. Ce Zou-Nord s'organise de façon autonome
autour du marché de Glazoué. On peut étudier les différents aspects de
cette autonomie du Zou-Nord en prenant pour exemple la circulation
18
des personnes et des produits de première nécessité à l'intérieur de la
province. On constatera avec surprise qu’il n'existe aucun mouvement
journalier de taxi-brousse entre Abomey et Dassa-Zoumé ou Savalou,
encore moins entre Abomey et Savé. Ce dernier tisse davantage ses
rapports quotidiens avec Parakou.
Revenons à Parakou considérée comme la métropole du Nord.
Elle exerce davantage son impact sur l'axe routier Parakou-Malanville.
Son influence le long de cet axe est d'ailleurs due à la présence des
centres relais comme Kandi et surtout Malanville, deuxième marché
du pays après Dantokpa à Cotonou. Par contre, les régions enclavées
de l'intérieur comme les districts de Banikoara et de Segbana
n'entretiennent pas de rapports journaliers avec la capitale de la
province du Borgou.
Le rôle de Lokossa et de Natitingou est encore plus faible
dans le contexte régional.
Lokossa est complètement bloquée dans son rayonnement
régional par trois principaux marchés autour desquels s'organise toute
la vie de relation dans la province du Mono : Comè, Dogbo et Azovè.
Quant à Natitingou, son emprise vers le Sud et plus particu-
lièrement vers le district de Bassila est gênée par Djougou de loin plus
dynamique et plus prospère. Nous avons étudié en 1981, les rapports
qui existent entre le district de Bassila et la capitale de la province de
l'Atacora à partir des mouvements de taxi-brousse. Nous avons
constaté en cette année-là qu'aucune liaison par taxi-brousse n'est
assurée entre Bassila et Natitingou. Sur une dizaine de taxi-brousse
constituant l'essentiel du parc automobile du district de Bassila, quatre
font la liaison Bassila-Djougou, six, Bassila-Kambolé et Sokodé au
Togo et les dix se dirigent vers Cotonou la veille du marché Dantokpa.
(Igné Adam 1981). Cette situation a complètement isolé Bassila de
l'emprise de Natitingou. Pour l'essentiel de ses besoins, Bassila
entretient ses meilleures relations avec les localités frontalières du
Togo.
À partir de cette faible emprise de la vie de relation des prin-
cipales villes du pays sur leur arrière-pays, on peut conclure qu'elles
organisent mal l'espace national. Les différents rapports qui existent
entre ces villes sont plutôt d'ordre vertical. De ce point de vue, elles
servent tout au plus de relais entre leur région et la capitale
économique pour ne pas dire politique, d'une part, entre le monde
extérieur et l'espace national, d'autre part. Les décisions qu'elles font
répercuter vers le monde rural correspondent parfaitement aux
différents besoins du marché mondial.
3. Le rôle des villes dans la formation des régions
19
La première idée à souligner est que dans la plupart des pays
du monde, l'organisation de l'espace national dépend des relations qui
s'établissent entre la ville et le monde rural. Pour reprendre Vidal de la
Blache, « les villes et les routes sont des initiatives d'unité qui créent
la solidarité des contrées ».
C'est à partir de leurs effets de polarisation que les villes
remodèlent l'espace qui les entoure. Ces effets de polarisation se
mesurent à partir de plusieurs actions qu'exerce la ville sur son milieu
immédiat. Parmi ces actions de polarisation, on peut signaler :
- les flux bancaires ;
- l'impact administratif ;
- l'impact industriel ;
- les centres de décisions politico-administratives.
Ces différents éléments constituent un pôle, c'est-à-dire un
ensemble d'unités motrices qui exercent des effets d'entraînement à
l'égard de l'ensemble territorial national. Lorsque plusieurs centres
existent et jouent ce rôle de pôle, il s'instaure un système de réseau, de
communication ou de liens de complémentarité régionale (Dollfus,
1970).
Si nous cherchons à apprécier ces différents éléments à partir
de l'espace béninois, très peu participent correctement à la polarisation
régionale.
Prenons par exemple le flux bancaire.
Au Bénin, il n'existe que quatre banques :
- la Banque centrale des États de l'Afrique de
l'Ouest (BCEAO) ;
- la Banque commerciale du Bénin (BCB) ;
- la Banque béninoise pour le Développement
(BBD) ;
- La Caisse nationale de Crédit agricole (CNCA).
La Banque centrale a deux agences dans le pays :
Cotonou et Parakou. La BCB en a environ 24 dont dix à Cotonou et quatorze dans
le reste du pays ainsi réparties :
- Mono : 4
- Zou : 4
- Ouémé : 2
20
- Nord : 4
Cette répartition des agences de la Banque commerciale du
Bénin, de loin la plus importante banque du pays, montre déjà une
grande disparité du flux bancaire. La ville de Cotonou apparaît, dans
ce contexte, comme la seule à être pleinement engagée dans les
circuits monétaires.
En ce qui concerne les industries, on remarque la même
suprématie de Cotonou où se concentrent 63 % des unités industrielles
du pays.
Quant à la situation administrative, on peut rappeler qu'en
1977, le Bénin disposait de 39 000 emplois. Sur ces 39 000, Cotonou
en avait 28 000, soit 73 %.
Ces différents exemples illustrent fort bien l'inexistence d'au-
tres pôles de développement régional aussi importants que Cotonou.
Cela revient à dire que l'essentiel de notre effort de développement se
limite à Cotonou qui n enregistre pourtant que 10 % de la population
nationale. Or, les analyses précédentes ont montré que cette ville,
malgré les investissements qui lui sont consacrés, ne couvre pas
encore, par son influence, l'ensemble du territoire national. Si elle
contrôle et organise parfaitement le Bénin méridional, son impact
reste cependant faible sur les populations du Nord-Bénin.
21
D. Les cause de la faible polarisation
régionale au Bénin
Elles sont multiples. Mais nous n'en retiendrons que trois :
- la primauté accordée au développement des villes
à faible personnalité historique et économique ;
- la nature du réseau urbain ;
- l'inexistence d'une élite citadine accrochée à son
origine géographique.
En quel terme se pose chacun de ces problèmes?
En ce qui concerne le premier point, Cotonou seule a bénéficié
des plus gros équipements réalisés depuis l'indépendance. Même
pendant l'époque coloniale, elle n'a jamais été aussi privilégiée. Pour
s'en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil sur l'évolution de sa
population par rapport à celle des autres agglomérations du Sud.
TABLEAU N° 1 : Évolution de la population de Cotonou comparée
à celle des principales villes du Sud
Années
Villes
1936 1956 1961 1973 1979
Cotonou 6811
hbts
56300
hbts
78000
hbts
197000
hbts
320000
hbts
Porto-Novo 23500 31000 64000 1oe000 133000
Ouidah 10500 18832 17200 24495 25459
Abomey 11435 18832 21000 30000 38418 Source O. J. IGUE Analyse démographique du Bénin méridional. Projet PUB
1983.
On remarque dans ce tableau, que c'est après 1961 que
Cotonou a réellement pris le pas sur les autres villes en bloquant
d'ailleurs l'évolution de certaines d'entre elles comme Ouidah et
Abomey. La primauté accordée à Cotonou après l'indépendance résulte
des contradictions qui existent entre les différents partis politiques du
pays. Sa position neutre face à l'origine des différents leaders du
Dahomey d'hier lui a valu son développement spectaculaire.
22
Or, l'environnement biogéographique de Cotonou est si
fragile qu'elle ne peut supporter sa charge démographique
actuelle qu'en opérant de sévères ponctions sur les ressources
nationales et sur l'arrière-pays tout entier. Quoi qu'il en soit, cette suprématie de Cotonou a ruiné l'ébau-
che du réseau urbain sous-régional qui comportait trois autres villes :
Porto-Novo, Ouidah et Allada. Elle a ruiné aussi une certaine prise de
conscience régionale au niveau national. Actuellement, presque toutes
les élites intellectuelles du pays s'identifient facilement et aisément
aux habitants de Cotonou. Elles se réclament si spontanément de cette
ville qu'elles ne rencontrent aucun obstacle venant des autochtones
d'ailleurs inexistants.
La primauté de Cotonou conduit lentement le pays vers une
macrocéphalie très préjudiciable à l'équilibre national.
Conscient du danger que représente ce poids excessif de
Cotonou, il y a eu quelques tentatives de revalorisation de deux
localités de l'intérieur : Lokossa et Parakou. Malheureusement, le
choix de ces deux centres s'appuie sur l'expérience de Cotonou :
privilégier les agglomérations sans grande envergure historique. C'est
ainsi qu'il fut décidé de faire de Lokossa, le petit village Kotafon, la
capitale de toute la province du Mono qui souffrait cruellement de
l'inexistence d'une grande ville vers les années 1960. Le manque de
personnalité historique et d'assiette économique solide va priver ce
petit centre du soutien des ressortissants du Mono. Les efforts
déployés n'ont jamais permis à cette ville mise en chantier depuis
1964, de dépasser 5 395 habitants en 1980 et 12 626 si l'on y inclut ses
différentes communes5. Par manque d'élite constituant un groupe de
pression face aux autorités politico-administratives, Lokossa croît à
pas de tortue.
Jusqu'à ce jour, le Mono est resté privé d'une cité dynamique
autour de laquelle s'organiserait toute la province. Il est curieux de
rappeler que la plus importante agglomération de la province est Sè,
localité qui ne jouit même pas du statut de chef-lieu de district. Elle
compte 8945 habitants, suivie de très près par Dogbo avec 8 700 ha-
bitants.
Parakou au nord rentre également dans la catégorie de ces
créations neutres, en dépit de l'existence du petit royaume des Apaki
5 La situation est si critique qu’en 1975, lorsque Lokossa allait accueillir la
fête nationale tournante, le Président de la République a dû faire
appel à la conscience régionale des cadres du Mono pour venir
arranger quelque peu leur capitale régionale. Cet appel est resté
sans écho.
23
d'origine Sabè et d'une halte caravanière. Par rapport aux principaux
foyers culturels du Nord, Parakou reste bel et bien une ville neutre.
Il en résulte là aussi le manque d'une élite autochtone prenant
en charge la destinée de la ville6.
Cette absence d'élite se trouve compensée par le rôle prépon-
dérant de l'État dans ces différentes agglomérations. Finalement, cet
État assure l'essentiel des fonctions utiles à ces différentes cités. Son
poids excessif dans la gestion de ces centres se pose en termes de
distribution équitable des ressources nationales.
Somme toute, les villes soutenues par une élite locale posent
moins de problèmes aux pouvoirs publics. Elles s'organisent le plus
souvent à partir d'elles-mêmes. Mieux, elles ont leur cachet propre se
traduisant par une certaine personnalité culturelle et une emprise
régionale.
III. Quelques expériences de régionalisation en
Afrique Occidentale et les réformes
administratives des années 1974-1978
Parmi les pays de la sous-région qui ont tenté d'organiser
l'espace national à partir des villes, on peut citer le Ghana, le Nigeria
et la Côte-d'Ivoire.
A. Les expériences ghanéennes
Le Ghana tout comme le Nigeria fait partie des pays d'Afrique
noire ayant bénéficié d'un important réseau de villes traditionnelles. A
6 6 Certes, Parakou bénéficie, à la différence de Lokossa, d'un soutien
rségionaliste à caractère politique que lui apportent les cadres du
Nord. Ce soutien se fait simplement par souci de se démarquer des
Sudistes. le caractère neutre de Parakou ne permet pas à cette
action d'avoir d'autres significations culturelles et régionales. Il en
résulte pour la ville le même type de développement que Cotonou,
à savoir une ville où l'on fait taire toutes les contradictions
socioculturelles, expression d'une civilisation authentique.
Parakou tout comme Cotonou, est un creuset dans lequel se moule
un autre citoyen béninois, sans grande conscience culturelle.
24
la fin du siècle dernier, on pouvait y distinguer trois catégories de
villes :
- les villes côtières qui se sont développées entre le
XVIIe et le XIXe siècles respectivement dans le
contexte du commerce négrier, de la traite de
l'huile de palme, de l'or et de l'économie
cacaoyère. Elles sont très nombreuses et bien
peuplées. Ce sont : Ada, Pram Pram, Accra,
Winneba, Saltpond, Anomabu, Cape Coast,
Dixcove et le doublet Sekondi-Takoradi ;
- les villes des petits États formant la Confédération
ashanti nées dans le cadre d'une politique
expansionniste associée à une activité
commerciale très prospère. Elles ont pour cadre,
d'une part, le cœur du pays ashanti, d'autre part, la
région de la Brong Ahafo. Parmi les plus célèbres,
il y a Kokofu, Bekwai, N'kwanku, Agona,
Mapong, Juaben, Nsuta et bien sûr Kumasi qui
anime toutes ces agglomérations.
- Avant la guerre opposant Anglais et Ashanti à
partir de 1874, plusieurs de ces villes étaient très
populeuses Kumasi, la capitale, avait 200 000
habitants vers 1824. On peut également citer
Berwai, Juaben et Mapong. Juaben était aussi
vaste que la moitié de Kumasi ; sa population
avoisinait 70 000 habitants (Dickson, 1971) ;
- les villes du nord se sont développées uniquement
dans le contexte du commerce caravanier. Elles
ont la particularité d'être des centres d'entrepôt
bâtis au contact de la forêt et de la savane. Les
plus célèbres sont Kintampo, Atebutu, Kete-
Kratche (au sud), Gonja, Bole, Wa, Yendi (au
nord) et Salaga au centre. Toutes ces villes-
entrepôts étaient organisées autour de Salaga dont
le rayonnement couvrait pratiquement toute
l'Afrique occidentale.
Ces différents rappels montrent bien l'importance du
réseau urbain ancien de l'actuel Ghana. Durant la conquête
coloniale, les différents conflits opposant Anglais et Ashanti tout
25
au long de la deuxième moitié du XIXe siècle ont ruiné les villes
de la Confédération ashanti ainsi que les entrepôts situés à l'orée
de la savane. Toutes ont été saccagées ou incendiées par les
Anglais. Kumasi même ne comptait plus que 15 000 habitants
vers 1900. Néanmoins, c'est à partir de cette assiette urbaine que les
Britanniques réorganisèrent le pays après leur victoire en 1896. La
colonie fut divisée en quatre grandes entités administratives : le nord,
la ceinture moyenne, le pays ashanti et la Côte. Le pays ashanti et la
partie sud-ouest étaient particulièrement privilégiés à cause de
l'importance de leurs ressources agricoles et minières. En dehors
d'Accra, la capitale, toute la polarisation régionale s'est faite autour de
Kumasi et en faveur du sud-ouest. Il en est résulté la revalorisation du
pays ashanti, et plus particulièrement sa capitale et aussi l'émergence
de nouveaux pôles de développement et de drainage comme Sekondi-
Takoradi. Le nord et la région de la Volta négligés étaient totalement
déprimés.
Après l'indépendance en 1957, une nouvelle structure admi-
nistrative fut élaborée faisant du Ghana un ensemble de neuf grandes
régions ou provinces7, lesquelles furent subdivisées en 91 districts.
Cette nouvelle structure administrative a pour but de reva-
loriser les anciens centres urbains décadents. Mais la plus grande
action du régime N'Krumah en faveur de l'organisation de l'espace
national a porté sur la réduction du déséquilibre territorial instauré par
l'administration coloniale. Celle-ci déboucha sur la mise sur pied d'un
vigoureux programme de développement en faveur de 1a «Volta
Region» qui disposait de plusieurs atouts en eau et en ressources
naturelles.
Les grandes orientations de ce programme furent la cons-
truction du barrage d'Akossombo, la revalorisation de la culture du
cacao dans l'«Eweland» et l'exploitation de la bauxite de l'Akwapin.
L'aboutissement de ce vaste programme de mise en valeur de la partie
orientale porta sur la création de la ville de Tema à la fois comme le
premier port en eau profonde du pays et même de l'Afrique
occidentale et le deuxième pôle de développement industriel après
l'ensemble Sekondi-Takoradi.
7 Les neuf régions en question sont les suivantes : ~ Region (capitale
Bolgatanga), Northern Region (capitale: Tamalé), Brong Ahafo Region
(capitale: Kete-Kratchi), Ashanti Region (capitale: Kumasi), Volta Region
(capitale : Hô), Eastern Region (capitale : Koforodua), Central Region
(capitale : Cape Coast), Western Region (capitale: Secondi-Takoradi),
Greater Accra Region (capitale: Accra).
26
Mais ces différents programmes ont à peine débuté quand il
fut mis fin au régime de N'Krumah en 1966. La chute du régime porta
un coup d'arrêt à cette expérience, montrant ainsi le caractère limité et
même illusoire de toute entreprise de développement qui ne s'appuie
pas réellement sur un groupe de pression à caractère local et
autonome.
Celui qui visite aujourd'hui la petite ville de Tema qui avait
atteint 15000 habitants en 1966 est frappé par son état de délabrement
et d'abandon par manque d'appui local.
B. Le cas du Nigeria
Le Nigeria vient en tête par l'importance de son réseau urbain
d'origine très ancienne. Avant la colonisation, la partie occidentale
peuplée de Yoruba était gérée à partir des cités-États, faisant ainsi de
ce groupe ethnique l'un des plus urbanisés du monde. Lorsque les
premiers missionnaires arrivèrent en pays yoruba au milieu du siècle
dernier, plusieurs villes avaient plus de 50 000 habitants; selon Bowen
qui fait partie de ces missionnaires, en 1856, Ibadan comptait 70 000
habitants, Ilorin, 70 000, Abeokuta, 60 000 etc. (Mabogunje 1962).
Lors du recensement de 1952, on avait dénombré 136 agglomérations
de plus de 5 000 habitants dans la partie occidentale du Nigeria.
Le nord était également bien urbanisé. On peut y identifier
quatre catégories de cités : celles du Borno, du pays haoussa, de
l'Émirat peul de Sokoto et du royaume nupé de Bida. Dans chacun de
ces domaines se comptent plusieurs agglomérations au centre
desquelles se trouvent Kano, Sokoto et Bida.
La population de Kano était estimée en 1585 à 70 000
habitants. Aujourd'hui, elle demeure avec Khartoum (au Soudan) et
Dakar (au Sénégal), les plus grosses villes du monde soudano-
sahélien.
Seule la partie orientale du Nigeria était peu urbanisée avant
la pénétration européenne. Mais là aussi vont naître, à partir des
comptoirs commerciaux, des postes missionnaires et des marchés
régionaux d'importantes villes. Ce sont Onisha, Oweri, Port Harcourt,
Calabar, etc.
L'importance des villes nées dans le contexte du pouvoir
traditionnel obligea les Anglais à associer les anciens dignitaires à
l'administration du pays. Il en est résulté la revalorisation de ces villes
et celle de la culture autochtone. Les anciens dignitaires et les cadres
actuels, d'ailleurs issus, pour la plupart de cette classe dirigeante
27
traditionnelle, constituent pour ces villes du Nigeria une élite
indispensable à leur gestion et au maintien de l'ancienne ambiance
culturelle traditionnelle. Ainsi, à la différence des villes nées de la
colonisation, les principales agglomérations du Nigeria continuent de
véhiculer une culture authentique à travers d'ailleurs une conscience
ethnique aiguë (Igué 1975). Malheureusement, cette conscience a
stimulé l'émergence des leaders politiques locaux qui pour des intérêts
évidents, ont transformé cette conscience ethnique en une forme de
tribalisme intolérant, débouchant sur un certain cloisonnement
régional qui gêne aujourd'hui le développement national.
Pour contourner les difficultés de ce tribalisme, il fut décidé
de la création d'une nouvelle capitale à Abuja dont le site arrange tout
le monde par sa parfaite neutralité culturelle qui fera d'Abuja une ville
sans âme et sans envergure nationale en dépit des intentions qui ont
motivé sa création. D'ailleurs, le fait que le projet Abuja, initié sous le
régime militaire de Murtala ait été pris en compte par le parti NPN de
Shagari constitue aujourd'hui une grande faiblesse dans la construction
de la nouvelle capitale. Abuja est devenue, dans l'esprit de tout
Nigérian honnête, le symbole d'un certain affairisme.
On comprend, dès lors, que le nouveau régime du Général
Buhari refuse, pour le moment, de se prononcer en faveur de 1 a
reprise des travaux de finition des premiers équipements urbains.
C. L’expérience ivoirienne
La Côte-d'Ivoire disposait de peu de villes pendant l'époque
coloniale. Elle n'a jamais bénéficié d'un important réseau de villes pré-
coloniales. Certes, on y comptait quelques centres caravaniers de
renom comme Kong, Odiéné, Boundoukou et Bouna. Autour de ces
différentes localités se sont d'ailleurs développées des chefferies de
commerçants d'origine manding.
Le caractère très marginal de son développement économique
au sein de l'ancienne Afrique occidentale française n'a pas débouché
sur la création de villes d'origine coloniale. Pour le montrer, en 1920
par exemple, la proportion des citadins représente seulement 2 % de la
population. A cette époque, l'ancien Dahomey et le Sénégal étaient de
loin plus urbanisés. Abidjan et Grand-Bassam considérées comme
principales villes du pays ont seulement 5 000 habitants chacune. Il
faudra attendre 1955 pour qu'émergent les premières ébauches de
villes. Quelques années avant cette date, il y eut des actions
spectaculaires de développement qui ont spécialement profité à
Abidjan, en particulier l'ouverture du port en 1952. À cette action
28
s'ajoutent d'importants investissements effectués pour la mise en
valeur de la zone forestière sous forme d'infrastructures routières et de
développement des cultures de plantations.
Malgré ces investissements, Abidjan est restée privilégiée
jusqu'en 1960. Elle comptait en cette année 180 000 habitants ;
Bouaké qui venait en deuxième position n'en avait que 41 000. À part
ces deux villes, il existait sept autres agglomérations dont la
population est comprise entre 5 000 et 15 000 habitants.
Les difficultés de l'émergence de villes pendant l'époque
coloniale reposaient, en dehors du manque d'un ancien réseau urbain,
sur l'absence d'une politique cohérente de régionalisation. Le pays
était divisé en 19 cercles et 49 subdivisions. Certains de ces cercles
étaient peu homogènes sur le plan socio-économique. Les
subdivisions étaient, elles aussi, à cheval sur plusieurs pays naturels
très différents.
À l'indépendance en 1960, les autorités ivoiriennes ont
remanié cette vieille structure administrative en partageant le pays en
six départements (sud, est, nord, centre, ouest, centre-ouest),
subdivisés en 104 sous-préfectures.
Cette nouvelle division administrative n'avait pas résolu, pour
autant, les difficultés de régionalisation dans la mesure où les
nouveaux départements tout comme les anciens cercles ne corres-
pondaient à aucune réalité socio-économique. Ainsi par exemple, le
département du sud s'étendait sur toute la côte depuis la frontière du
Liberia à celle du Ghana. Celui du centre groupait autour de Bouaké la
savane baoulé, une partie du pays sénoufo à vocation céréalière et
deux foyers forestiers oriental et occidental où se cultivaient le café et
le cacao. Ces différentes difficultés ne pouvaient pas permettre à ces
préfectures d'être les bases d'une organisation rationnelle de l'espace.
Elles étaient loin de favoriser l'émergence de villes nouvelles, noyau
principal de développement.
C'est en 1969 que s'opéra la deuxième réforme administrative.
Le pays fut éclaté en 24 départements remplaçant les six anciens ; les
104 anciennes sous-préfectures n'avaient pas bougé. Aujourd'hui, on
compte 35 départements en Côte-d'Ivoire.
La création de ces préfectures a eu plusieurs conséquences.
On peut signaler au passage :
- la revalorisation de tous les anciens gros bourgs
sans aucune discrimination politique ;
- le développement des services publics, en
particulier les services de la santé, de
l'enseignement, des PTT, etc. ;
29
- le développement d'un important secteur
commercial par la création de réseaux de
boutiques et de marchés ;
- le soutien politique apporté à ces différents
centres par la rotation des fêtes nationales. Les
fêtes de l'indépendance depuis 1965 se sont
tenues chaque année dans chacun des chefs-lieux
de département. Ces fêtes donnaient l'occasion de
refaire parfois de fond en comble l'aménagement
urbain : nouvelles maisons de préfecture, hôtel,
marché couvert et bitumage des rues. Elles don-
naient l'occasion de réaliser de gros
investissements publics dans ces différents chefs-
lieux de département. « Ces dépenses sont même
devenues si importantes, qu'elles ont plutôt écrasé
les deux dernières bénéficiaires, Boundoukou et
Odiéné » (Cotten 1975).
Au total, d'un pays sans ville en 1950, la Côte-d'Ivoire offre
aujourd'hui l'exemple d'une urbanisation dynamique, même Si ces
villes sont restées tout comme les autres, le centre de drainage de
l'économie nationale vers le monde extérieur. Abidjan a en 1975, 975
000 habitants, Bouaké, 160 000. En dehors de ces deux villes qui
jouent le rôle de métropole, il existe actuellement environ dix villes de
plus de 40 000 habitants, dix autres villes dont la population tourne
autour de 20 000 habitants et trente-huit derniers centres secondaires
ayant entre 5 000 et 15 000 habitants.
À partir de ces différentes réformes administratives, la
Côte-d'Ivoire s'est dotée d'un important réseau urbain qui
rappelle, par son maillage, celui du Ghana et même du Nigeria. La réussite de l'expérience ivoirienne n'est pas seulement due
à la volonté politique des dirigeants et aux énormes moyens financiers
du pays. Elle vient premièrement du fait qu'on a joué sur les gros
noyaux préexistants dont le nombre est d'ailleurs restreint en dépit des
moyens matériels du pays. Deuxièmement, l'expérience a bénéficié du
soutien qu'apporte chaque dirigeant politique à sa base originelle.
C'est le président Houphouët-Boigny lui-même qui donne l'exemple
en restant profondément accroché à sa ville natale. Du petit village de
moins de 1 000 hbts en 1955, Yamoussoukro est devenue aujourd'hui
une ville de 25 000 habitants ayant une croissance annuelle de 9 %.
30
Somme toute, le soutien qu'apportent les dirigeants politiques
autochtones à ces différentes villes fait naître à l'intérieur de chacune
d'elles un véritable groupe de pression qui continue l'effort du
Gouvernement de plusieurs manières. C'est ainsi que certaines
localités complètent les actions gouvernementales par les équipements
culturels, éléments essentiels de l'identification régionale. L'apparition
de cette élite locale donne à ces nouvelles villes, une impulsion qui lui
assurera un meilleur avenir, même après le régime de Houphouët-
Boigny.
D. Les réformes administratives de 1974
ET 1978 (fig. n°2)
L'expérience béninoise diffère sensiblement des trois cas
précédemment étudiés. Le Bénin est moins urbanisé que le
Ghana et le Nigeria. Mais il a connu un processus urbain plus
ancien que 1a Côte-d'Ivoire. Comme nous le faisions déjà remarquer, il existait ici, tout
comme au Ghana - mais sur une toute petite échelle - les villes
côtières nées des comptoirs commerciaux, les villes de l'intérieur, base
de pouvoir traditionnel local et les agglomérations du Nord qui sont
tantôt des centres caravaniers, tantôt des cités historiques.
Après la conquête coloniale, le territoire fut divisé en cercles
et en subdivisions. Il existait quinze cercles sous lesquels on avait
entaillé quatorze subdivisions. Les chefs-lieux de ces différentes
unités administratives équivalaient en gros aux anciennes villes
traditionnelles bien que les Français aient choisi de liquider
définitivement, à partir de leur politique d'assimilation, toutes ces
anciennes structures traditionnelles. Ce n'est qu'exceptionnellement
qu'ils ont choisi de s'installer hors de ces anciens noyaux urbains :
exemple de Pobé par rapport à Adja-Ouèrè, exemple d'Aplahoué par
rapport à Sè, etc.
La présence des Français dans les villes traditionnelles leur
permettait, du reste, de contrôler les activités des anciens dignitaires.
Le refus de tenir compte de leurs intérêts dans la gestion de leur ville
n'a pas favorisé le développement d'une conscience urbaine très élevée
chez les Béninois comme on peut la constater dans les pays
anglophones, en particulier au Nigeria. Il en est résulté un manque
d'intérêt pour son origine géographique chez les nouvelles classes
dirigeantes.
Quoiqu'il en soit, après l'indépendance en 1960, les anciens
cercles et subdivisions ont fait place à six préfectures et à 31 sous-
31
préfectures. La plupart des subdivisions sont toutes devenues des
sous-préfectures pendant que beaucoup de cercles redevenaient
également des sous-préfectures. Dans cette réforme, beaucoup d'an-
ciens cercles ont ainsi vu leur sphère d'influence se réduire
considérablement.
En 1974, on procéda à une autre réforme qui transforma les
anciennes préfectures en provinces et les sous-préfectures en districts.
Mais les six anciennes préfectures n'ont Pas été modifiées ; on a par
contre fait évoluer les 31 sous-préfectures en 44 districts.
En 1978, les 44 districts seront portés à 84. Par rapport à
1974, la dernière réforme administrative introduisit plusieurs innova-
tions.
D'abord, on distingue désormais deux catégories de districts
urbains et ruraux.
Ensuite, à chacun de ces districts, est associé un certain
nombre de communes urbaines et rurales.
Enfin, tous les chefs-lieux de district sont devenus des com-
munes urbaines quels que soient l'effectif de leur population, le
caractère lâche ou compact de la localité choisie et le niveau de son
équipement.
Ces innovations ont ainsi supprimé la hiérarchie fonctionnelle
existant entre les différentes villes du Bénin.
Mais le plus important à signaler est l'esprit qui a guidé la
réforme : « rapprocher l'administré de l'administrateur.» Ainsi définie,
cette entreprise a un but essentiellement politique dicté par l'unique
souci de mieux quadriller le pays pour en faciliter la meilleure
mobilisation des habitants.
Par rapport aux différentes expériences évoquées ci-dessus,
elle se singularise de plusieurs manières.
Premièrement, elle n'a aucun fondement régional. La plus
belle illustration est le refus de s'appuyer sur les grosses unités
administratives telles que les provinces dont la vocation serait de jouer
le rôle d'animateur régional en résolvant partiellement les problèmes
soulevés par la non-intégration nationale.
Deuxièmement, dans le choix des nouveaux chefs-lieux de
district, on avait fait fi des gros noyaux préexistants et surtout des
anciennes relations politiques à l'échelon traditionnel à partir
desquelles se définissent tous les rapports sociaux. Il en est résulté, au
niveau des populations administrées, de longs débats historiques qui
ont finalement pénalisé beaucoup de localités dont les populations
sont considérées comme de véritables réactionnaires.
Malgré l'appréciation qu'on en fait, ces débats historiques ont
pour conséquence de priver certains districts de la force vive néces-
32
saire à leur mise en valeur, d'affaiblir l'influence des chefs-lieux sur la
plupart des villages qui leur sont dépendants.
Enfin, pour un petit pays comme le Bénin, il a manqué de
moyens matériels suffisants pour soutenir le projet. La défaillance de
ce soutien matériel se ressent sur le terrain par une lente croissance et
un équipement dérisoire. Dans une récente étude (Ahoyo, 1984)
concernant la partie méridionale du pays, l'auteur a montré que, dans
leur rôle d'encadrement sous-régional, seuls quelques districts ont
l'envergure nécessaire pour assumer ce rôle. Concernant l'emprise
locale des chefs-lieux, ce sont curieusement les anciens cercles et
subdivisions aujourd'hui transformés en districts qui se montrent plus
dynamiques. Tous ceux qui ont été nouvellement créés, faute
d'expérience et peut-être aussi d'un soutien local ferme, piétinent
toujours. Et Ahoyo de conclure :
« créer de nouveaux districts et ériger leurs chefs-lieux en
communes urbaines est un acte politico-administratif relativement
facile à prendre. Doter ces nouvelles communes d'une grille minimale
d'équipement pour en faire de véritables petites villes est une
entreprise autrement plus difficile qui nécessite la définition d'une
politique à long terme.
Les quatre exemples que nous venons de passer en revue
montrent bien la complexité de l'organisation de l'espace national à
partir des villes. Il s'agit d'une entreprise dans laquelle entrent en ligue
de compte plusieurs paramètres : politique, économique et culturel. La
plupart des pays analysés ont choisi certains de ces différents
paramètres. La réforme ghanéenne entreprise par N'Krumah a été
dictée par des nécessités économiques liées à un meilleur équilibrage
des pôles de développement. Celle réalisée par le Gouvernement
béninois a plutôt une orientation politique. La création d'Abuja au
Nigeria va dans le même sens, bien qu'officiellement, on justifie
l'opération par l'encombrement et l'insécurité de Lagos. En fait, c'est la
peur des autres groupes ethniques du pays de se voir submerger par le
caractère oppressant de la culture yoruba qui explique la rapidité avec
laquelle les dirigeants nigérians ont adhéré à ce programme. Il n'y a
que la réforme territoriale ivoirienne qui ait un contenu à la fois
politique et régional. Mais cette réforme, malgré ses bons côtés, a mis
en place les structures d'une meilleure exploitation du pays si
fortement engagé dans l'économie libérale.
Ces différentes remarques montrent ainsi le caractère com-
plexe de l'aménagement du territoire. Aujourd'hui, la réforme ter-
ritoriale ne peut être considérée comme une meilleure opération que
lorsqu'elle prend en compte la revalorisation de notre culture qui doit
désormais conditionner nos différentes options économiques.
33
Pour revenir à l'espace national béninois objet de notre
propos, le poids excessif de Cotonou pourtant loin des macrocéphalies
africaines comme Kinshasa ou Brazzaville, empêche les autres villes
de rayonner correctement sur leur arrière-pays. Ce poids prive ces
villes secondaires d'une partie de leur élite qui ne retourne plus à leur
base originelle pour contribuer aux efforts entrepris par les pouvoirs
publics dans le cadre des nouvelles réformes administratives. Or, sans
le développement de cette élite régionale en tant que groupe de
pression qui se mobilisera aux côtés des autorités pour une meilleure
exploitation des possibilités régionales, il paraît impossible de
distribuer correctement les ressources nationales. Une telle
distribution des ressources nationales apparaît d'ailleurs comme l'une
des solutions pour retenir les hommes valides sur place afin de les
occuper à des tâches de production et de construction nationale.
D'ailleurs, compte tenu du caractère mouvant du pouvoir politique,
seule cette élite locale peut perpétuer les efforts de développement
fournis en faveur des régions.
Cette remarque signifie qu'il ne peut y avoir de politique
d'aménagement du territoire sans une conscience régionale chez les
citoyens du pays. Seule, cette conscience régionale peut permettre au
développement du processus national d'avoir une assise culturelle
solide.
34
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36
Chapitre 10 :
Échanges et espace de développement : cas de
l’Afrique de l’ouest
La question du développement économique est devenue très
préoccupante en Afrique. Devant l'échec des différentes expériences
en la matière et l'ampleur des crises, on s'interroge désormais sur cette
partie de la planète ; s'agit-il d'un continent maudit ? Mais quand on
cherche à connaître les causes profondes des difficultés que rencontre
actuellement le continent noir on se rend bien compte du lourd
héritage du partage colonial. En effet, l'Afrique est sans nul doute le
continent le plus "balkanisé" avec plusieurs Etats à l'intérieur desquels
l'exercice du pouvoir reste une véritable épreuve ou ces Etats sont
trop grands et l'encadrement correct des hommes qui y vivent pose de
sérieux problèmes en raison du caractère squelettique des équipements
légués par la colonisation, ou la majeure partie de leur territoire est
impropre au développement selon les moyens disponibles, ou enfin
ces Etats sont trop petits et manquent de ressources.
Cependant, la plus grande difficulté des espaces hérités de la
colonisation en Afrique ne résulte pas de la taille, mais plutôt du mode
de gestion des ressources humaines. Les problèmes de fond relatifs à
cette gestion ont été mal résolus en raison du tracé des frontières
issues de la colonisation. Celles-ci n'offrent pas aux territoires qu'elles
délimitent un espace culturel et économique viable. Autrement dit,
peut-on assurer le bon fonctionnement d'un Etat sans une référence
morale dépendant d'une valeur culturelle authentique ? Et quelle
valeur faut-il défendre dans ces territoires, véritable mosaïque de
peuples? Cette question s'était déjà posée aux différentes puissances
colonisatrices.
La France avait choisi de la régler par l'assimilation des sujets
colonisés à ses valeurs morales. Cette politique n'a finalement
concerné qu'une faible couche de la population. Les débats actuels tant
sur la francophonie que sur les migrations des ex-colonisés vers l'ex-
métropole en montrent les limites. Les Anglais ont agi tout autrement
en instaurant dans leurs territoires un système d'administration
indirecte, accordant aux peuples colonisés la possibilité d'évoluer
selon leur propre civilisation, bien qu'aucune colonie britannique ne
corresponde à une entité historique. L'absence d'un territoire culturel
37
autonome a fait de la politique de l’indirect rule le facteur essentiel
des tensions tribales dans les pays anglophones.
De notre point de vue, ce sont ces questions qui expliquent la
profondeur des crises africaines, dans la mesure où elles ont rendu très
difficile la gestion des nouveaux Etats. On comprend dès lors
pourquoi les dirigeants actuels de l'Afrique, quels que soient leur
conviction politique, leur niveau de formation et leur moralité,
échouent toujours de la même manière. Le problème de fond pour
sortir l'Afrique de ses malheurs n'est pas seulement une question de
liberté démocratique, c'est aussi celui de la gestion de l'héritage
colonial à travers les frontières léguées par la colonisation.
Les populations africaines en sont tellement conscientes
qu'elles banalisent ces frontières parce que les espaces qu'elles
délimitent sont incapables d'assurer leur sécurité. Cette banalisation
revêt plusieurs aspects géographiques dont quelques-uns feront l'objet
de notre réflexion :
- le développement des échanges régionaux informels ;
- l'impact de ces échanges sur l'espace ;
- les échanges et les pôles de développement en Afrique de
l'Ouest.
I. Le développement des échanges régionaux
informels en Afrique de l’Ouest.
L'histoire du commerce régional en Afrique de l'Ouest est
celle d'une activité d'échanges impliquant les différentes zones
écologiques. C'est aux frontières de ces zones écologiques que se sont
développés depuis la période pré-coloniale les principaux marchés-
entrepôts qui ont pendant longtemps garanti le dynamisme des
échanges régionaux, à savoir, Kukawa, la célèbre capitale de l'Etat du
Borno, Kano, la plaque tournante du commerce caravanier africain,
Salaga, le plus important marché à cola du pays Dagomba et enfin
Kong situé au terminus de l'une des plus importantes voies du
commerce caravanier reliant le Moyen-Orient à l'Afrique occidentale.
Autour d'eux se sont constitués d'importants réseaux marchands
toujours contrôlés par les mêmes groupes ethniques (Haoussa -
Kanouri à l'Est, Wangara (Dendi) au centre et Malinké à l'Ouest) et
fondés à la fois sur les complémentarités régionales et les relations
avec le Maghreb, le Moyen-Orient et la zone forestière (Nigeria
actuel, Ghana et Côte-d'ivoire). L'importance et l'extension de ces
réseaux marchands avaient favorisé la création d'un système monétaire
38
"emboîté" qui a hâté le processus d'intégration régionale à l'époque, à
savoir une monnaie locale représentée par la manille, une monnaie
régionale représentée par le cauris, et une monnaie internationale
représentée par l'or.
Ces différentes expériences n'ont jamais servi de référence
aux diverses stratégies de développement qui sont actuellement mises
en application dans la sous-région au niveau officiel.
Il ne peut en être autrement, puisque les décideurs actuels ont
choisi de minimiser les réalités historiques et culturelles locales pour
préférer un développement qui puise ses racines dans d'autres valeurs
culturelles d'origines exogènes, d'où leur difficulté à maîtriser les
principes de ce développement, notamment la mobilisation des
ressources, l'équilibre entre les populations des villes et des
campagnes. Les discours politiques n'atteignent pas les populations en
raison des différences de valeurs entre élites intellectuelles et
populations non scolarisées. Les paramètres du fonctionnement
national sont rarement maîtrisés. C'est le cas de la comptabilité
nationale souvent sous ou surévaluée, entraînant soit des pénuries, soit
des excédents difficilement gérables.
Ces distorsions sont les causes essentielles du développement
du secteur commercial informel tant décrié dans les discours officiels.
Celui-ci s'adapte très bien au contexte local puisqu il évolue dans le
sillage du commerce pré-colonial. Il s'appuie sur des réseaux
marchands dynamiques et efficaces qui, malgré l'apparition des
frontières coloniales, ont une activité transnationale et couvrent toute
la sous-région. Ils se sont parfaitement adaptés aux différents systèmes
économiques mis en place dans le contexte colonial, en particulier à la
complexité du système monétaire. Ainsi, d'importants marchés de
change parallèles se sont créés et sont même devenus la référence pour
fixer les cours officiels.
Enfin, ces différents réseaux marchands fonctionnent à partir
des complémentarités régionales imposées par l'existence des zones
écologiques. Ainsi, les pays côtiers à climat humide et largement
ouverts sur le monde extérieur animent les échanges régionaux à partir
de leurs produits agricoles ou industriels et à partir de ceux qui
proviennent du marché international. En contrepartie. les pays
enclavés sahéliens fournissent la main d’œuvre pour le développement
des cultures installées dans les pays du Sud. Ils fournissent également
du bétail, des oignons et des légumineuses.
En ce qui concerne l'échange des produits locaux, celui-ci a
connu ces dernières années un développement exceptionnel sous
l'effet de plusieurs facteurs :
- la sécheresse des années 1968 à 1973 ;
39
- la valorisation exceptionnelle de certaines
matières premières entre 1970 et 1980 (pétrole,
fer, phosphates et uranium) ;
- la très forte urbanisation des pays côtiers.
Les produits qui alimentent ces échanges concernent
d’une part l’élevage, d'autre part les denrées agricoles sans
oublier les produits de la pêche. Le commerce du bétail représente sans nul doute l’un des
volets les plus importants des échanges intra-régionaux. Ce commerce
qui se fait des pays sahéliens vers ceux de la côte s'est
considérablement développé à partir de 1970, suite à l'augmentation
énorme des revenus tirés de la vente des matières premières. Les
principaux pays fournisseurs sont le Mali, le Niger, le Tchad et le
Burkina Faso. Le Nigeria et la Côte-d'Ivoire apparaissent comme les
plus gros demandeurs. Ces deux pays absorbent à eux seuls environ
95 % de ventes des Etats sahéliens. Les transactions actuelles sont
d'environ 450 000 têtes de bovins par an8.
Les denrées agricoles qui participent aux échanges régionaux
portent respectivement sur les céréales, les légumineuses et les
tubercules. Le volume des céréales locales échangées est de l'ordre de
400 000 tonnes par an9 . Mais celui-ci fluctue selon des années en
fonction de l'ampleur du déficit des pays sahéliens. La quantité de
légumineuses (niébé surtout) commercialisée annuellement est
d'environ 125 à 200 000 tonnes. Quant aux tubercules et dérivés, c'est
à peu près 50 000 tonnes qui sont concernées chaque année (Figure n°
1 et 2).
Le commerce des produits de la pêche s'est développé entre la
Mauritanie, le Sénégal et la Guinée et leurs voisins de la zone que sont
la Côte-d'Ivoire, le Ghana et le Nigeria. On estime à environ 150 000
tonnes le volume de poissons échangé annuellement.
8 A propos du commerce du bétail en Afrique de l'Ouest on peut consulter :
USAID an WORLD BANK Liberalizing regional markets for livestocks
products : An action plan for me Mali, Burkina and Côte d'Ivoire corridor,
octobre 1991.
JOSSERAND, P.H. Systèmes ouest-africains de production et d'échangea en
produits d'élevage, Club du Sahel, 1990.
9 COSTE 3., Esquisse régionale des flux de céréales en Afrique de l'Ouest,
Communication au Séminaire CILSS/OCDE-Club du Sahel -sur
les Espaces céréaliers régionaux en Afrique de l'Ouest, Lomé, 6-11
novembre 1989.
40
Mais le gros du commerce régional porte de loin sur les flux
de réexportation. Cette réexportation apparaît comme le symbole
même des transactions qui exploitent au mieux les disparités des
politiques économiques et les failles dans les systèmes de contrôle des
échanges des divers Etats de la sous-région. Trois groupes de
marchandises sont actuellement concernés par les flux de
réexportation les céréales, les produits manufacturés et les voitures
d'occasion.
Les céréales réexportées portent d'un côté sur le riz en
provenance du Sud-Est asiatique et des Etats-Unis d'Amérique, de
l'autre sur le blé et sa farine. Près de 600 000 tonnes de céréales
importées du marché international animent ces échanges dont 500 000
sont destinées au seul Nigeria. Vers ce pays, la réexportation est
organisée à partir du Bénin (environ 200 à 300 000 tonnes par an) du
Cameroun (entre 120 et 150 000 tonnes) et du Niger (pour environ 20
000 tonnes).
A l'Ouest, c'est la Gambie et la Guinée qui sont les plus gros
réexportateurs de riz vers le Sénégal et le Mali. La Guinée intervient
dans ce trafic pour environ 66 000 tonnes par an selon la revue
Afrique Relance10
(figure n° 3).
La réexportation des produits manufacturés touche toute une
gamme de produits au centre desquels figurent en bonne place les
tissus, les cigarettes, les cosmétiques et les habits usagés (friperie).
Ces différents produits sont demandés par le Nigeria à partir de ses
marchés-relais que sont le Bénin, le Niger et partiellement le
Cameroun.
Le marché des véhicules d'occasion venus d'Europe ne s'est
développé que ces dernières années. Les ports les plus actifs en la
matière sont Douala (au Cameroun), Cotonou (au Bénin) et Conakry
(en Guinée). En 1990, celui de Cotonou a traité 9 000 véhicules
d'occasion dont 2000 pour le marché local et le reste pour la sous-
région.
Ces différents échanges, qui se font, le plus souvent par le
biais des circuits parallèles ont fortement soudé les Etats entre eux en
dépit d'une législation très protectionniste, montrant ainsi la nécessité
d'un espace économique plus grand et mieux intégré. Ils sont devenus,
contrairement aux préjugés ancrés dans l'esprit des décideurs, un
facteur de régulation et d'une meilleure distribution des richesses dans
la zone.
10
Afrique relance, vol. 6 n°1, avril 1992
41
II. Impact des échanges sur l’espace
L'une des conséquences des activités marchandes dans la
sous-région est sans nul doute leur répercussion spatiale ; ces activités
commerciales ont introduit une nouvelle dimension régionale qui
contredit très fortement le fonctionnement rigide des Etats-Nations et
aussi le blocage des différentes expériences de regroupements
régionaux de type CEAO et CEDEAO. Cette dynamique régionale
fonctionne à travers deux types de relations dont l'un implique l'espace
national tout entier et l'autre l'espace de voisinage.
A. Echanges et espace national
Dans le cadre strictement national, les relations de production
et de consommation peuvent être définies comme des relations
verticales de type ville-campagne. Celles-ci se développent à partir
d'une forte demande urbaine et de l'excédent commercialisable à la
campagne. Elles se développent aussi à partir des relais dont deux
types participent très fortement à la structuration spatiale :
- les marchés de regroupement constitués d
importants centres d ' entreposage des
productions de l'arrière-pays agricole avec des
transactions se faisant en gros. Ces marchés
de regroupement sont généralement situés
dans des zones de contact écologique,
impliquant des productions complémentaires,
soit au carrefour de routes facilitant
l'évacuation des productions, soit au contact
de sociétés ayant des habitudes de
consommation contrastées... C'est au niveau
de ces marchés que les commerçants d'origine
urbaine, généralement des grossistes,
rencontrent les acheteurs forains résidant à la
campagne ;
- les marchés de collecte représentés par les centres
de production excédentaire mettent en contact les
acheteurs urbains de faible envergure économique
avec les producteurs.
42
Ces deux types de marchés fonctionnent comme des
relais indispensables dans les relations ville-campagne. Cette
fonction de relais finit par transformer la plupart de ces marchés
en villes secondaires à envergure non négligeable mais ayant
toujours une fonction d'échange très dominante. On peut citer,
en guise d'illustration :
- les anciens caravansérails qui, de simples étapes
pour les caravanes, sont devenus des marchés,
puis des agglomérations. Ces caravansérails ont
joué un rôle considérable dans le commerce pré-
colonial. Sur le plus grand axe commercial de
cette époque reliant Kano (Nigeria actuel) à l'Est
à Kong (Côte-d'Ivoire actuelle) à l'Ouest, une
dizaine d'étapes sont devenues d'importants
marchés de regroupements, puis des villes
secondaires dynamiques. Parmi ces centres, les
plus célèbres par leurs activités commerciales
étaient Kishi au Nigeria, Kilir-Wangara ou
Djougou au Bénin, Sansanné Mango au Togo,
Kpempe-Salaga au Ghana, Bondoukou, Odienne
et Kong en Côte-d'Ivoire.
La plupart de ces anciens caravansérails sont encore actifs de
nos jours, bien qu'ayant perdu de leur importance par la modificaiton
de la route qui y menait, et fonctionnent comme des relais
administratifs (exemple, d'Odienne, de Djougou, de Yendi, etc.) ou de
marchés régionaux bien fréquentés : Djougou, Bondoukou, etc.
D'autres au contraire comme la célèbre Salaga et Kong sont devenus
de simples villages sans grande réputation :
- les marchés agricoles de la période coloniale,
servant à la traite des cultures de rente comme les
dérivés du palmier à huile (Ouagbo au Bénin), de
l'arachide (Kaolack au Sénégal), du café et du
cacao (Toumodi en Côte-d'Ivoire). Ces marchés
agricoles à l'instar des caravansérails ont
également évolué en villes de traite pour ces
mêmes marchandises. Ouagbo (Bénin) conserve
encore une bonne partie de cette fonction de
collecte de l'huile de palme ;
- les marchés de regroupement ou de production de
la période actuelle ayant émergé dans le cadre des
43
politiques agricoles initiées depuis les
indépendances ; les localités de Pobè et de Comé
au Bénin font partie de cette série tout comme
celles de Vogan au Togo ou de Tengrela en Côte
d'Ivoire.
Ces différents marchés demeurent les facteurs
dynamiques des relations ville-campagne et participent de ce fait
à une nouvelle structuration de l'espace à l'échelon national. La
dynamique de cette polarisation spatiale dépend à la fois de
l'intensité du réseau de ces marchés, de leur périodicité
d'animation et de l'importance de leurs transactions marchandes. Par rapport à l'importance du réseau, c'est la partie forestière
du Golfe du Bénin, entre le delta du Niger et la frontière du Ghana
avec la Côte-d'Ivoire, qui demeure la plus importante. Ainsi dans la
seule province de 1'Ouémé au Bénin, on peut identifier quatre types de
réseaux :
- les marchés lagunaires du pays Gun-Houlénou au
centre desquels se trouve le grand marché de
Porto-Novo. Traditionnellement, ce réseau s'est
mis en place autour des escales qui servaient à la
traite des esclaves, de l'huile de palme et des
pacotilles. Ce réseau débordait d'ailleurs le cadre
territorial béninois pour impliquer le marché du
port de Badagry au Nigeria actuel ;
- les marchés du pays Ouémé situés à la fois sur le
bourrelet de berge du fleuve Ouémé et au contact
du plateau de la terre de barre. Ces marchés
fonctionnent comme le grenier des populations
lagunaires vivant exclusivement de la pêche et du
commerce. Ce réseau est resté jusqu'à ce jour le
pourvoyeur de la ville de Porto-Novo en produits
maraîchers et condiments de bases ;
- les marchés du pays tori comme Avrankou,
Adjara, Akpro-Missérété, Kouti etc., de la
palmeraie-parc de la banlieue de Porto-Novo, qui
se sont mis en place uniquement pour la traite des
produits du palmier à huile. Beaucoup d'entre eux
ont évolué pour devenir d'importants marchés
frontaliers comme Adjara et Avrankou, axés sur
les échanges commerciaux avec le sud-ouest du
44
Nigeria, notamment avec Djoffin, Toubé, Ipokia,
et Ado-Odo ;
- enfin, les marchés yoruba d'Ifangni, Sakété, Pobé
et Kétou originellement plus dépendants du grand
réseau yoruba. Mais le partage colonial les a
transformés en marchés frontaliers dynamiques
animant les échanges commerciaux qui affectent
la partie méridionale du Bénin et du Nigeria.
Quant à leur périodicité, l'ensemble des marchés d'Afrique de
l'Ouest suit quatre schémas : les marchés journaliers généralement
situés dans les grandes villes, les marchés de deux jours situés le plus
souvent dans la zone péri-urbaine, les marchés de quatre jours très
représentatifs de la zone forestière d'Afrique noire et les marchés
hebdomadaires caractéristiques des régions ayant subi l'influence
islamique ; ainsi tous les marchés des pays sahéliens ont une
périodicité de sept jours, conformément au calendrier islamique. Mais
à l'intérieur de ce domaine, on rencontre des poches d'animation de
quatre jours, telles que Djougou au Bénin, conformément au rythme
d'arrivée des caravanes.
Cette périodicité est conditionnée aussi par l'abondance des
produits à vendre ainsi dans la région forestière riche en denrées
agricoles, la fréquence des marchés semble être plus rapprochée alors
qu'elle s'espace, là où la production agricole est hypothéquée par la
rigueur du climat.
C'est aussi par rapport à cette rigueur du climat qui limite
sérieusement l'offre locale en produits vivriers que les marchés
représentent aujourd'hui un grand enjeu dans les pays sahéliens, ceci
se traduit par une très grande affluence dans les centres commerciaux.
Cette affluence intensifie les relations ville-campagne, largement
complétées par d'autres types de relations à caractère horizontal
impliquant deux ou plusieurs pays à la fois, compte tenu des besoins
d'échange ou de l'extension des réseaux de marchés périodiques.
B. Echanges et relations de voisinage
Les types de marchés qui servent de relais aux relations ville-
campagne dépassent largement les catégories analysées ci-dessus. il
en existe d'autres comme les marchés frontaliers ou de transit qui, tout
en animant ces relations ville-campagne renforcent plutôt les échanges
frontaliers ou de voisinage Ces marchés se sont mis en place depuis le
partage colonial qui avait perturbé les vieilles structures d'économie
45
pré-coloniale ; mais leur développement actuel fait plutôt suite à la
crise engendrée par la sécheresse des années 1968-1975 d'une part et
au boum des matières premières entre 1970 et 1980 d'autre part. Ils
sont également restés dynamiques en raison des flux de réexportation
et de transit entre pays francophones et anglophones provoqués par les
fluctuations qui se produisent entre monnaies convertibles stables et
monnaies non convertibles instables. La liste de ces marchés est
souvent longue :
Jibiya, Illela, Kamba, Gamboru, au Nigeria du Nord... Ilo,
Chikanda, Gouré, Babana, Okuta, Ijio, Ilara, Touré, Assiri et Kwémé
au Nigeria de l'Ouest, Malanville entre le Bénin et le Niger, Ifangni,
Klaké entre le Bénin et le Nigeria, Dapaong, Cinkansé entre le Togo et
le Burkina-Faso, Bawku entre le Ghana et le Burkina, Bondoukou et
Sampa entre le Ghana et la Côte-d'Ivoire...
C'est grâce à leur nombre élevé que l'on peut apprécier le
réseau des marchés frontaliers en Afrique de 1'Ouest et leur rôle dans
la structuration de l'espace à l'échelon régional :
- le réseau haoussa-kanouri implique à la fois le
Nord Nigeria et le Sud Niger, le Nord Cameroun
et le Sud du Tchad ;
- le réseau yoruba inclut le Sud-ouest du Nigeria et
le Sud-Est du Bénin ;
- le réseau ibo s'étend du Nigeria au Sud-ouest du
Cameroun ;
- le réseau akan comprend le Ghana et la Côte-
d'Ivoire;
- le réseau dioula-manding s'est largement
développé entre les pays forestiers et sahéliens à
l'Ouest de l'Afrique.
L'espace marchand se structure autour de ces réseaux. C'est
dire que les relations verticales de type ville-campagne à caractère
strictement national sont beaucoup plus complexes qu'on ne l'imagine,
dans la mesure où elles impliquent aussi des relations horizontales à
caractère extra-territorial. Ces relations horizontales structurent plutôt
les espaces frontaliers en les transformant en de véritables pôles de
développement soudant les Etats limitrophes entre eux. Ces pôles sont
souvent qualifiés de périphéries nationales à cause de leur
fonctionnement assez autonome par rapport aux lois en vigueur dans
les Etats limitrophes. Le développement de ces périphéries
46
nationales11
est axé à la fois sur la dynamique des marchés frontaliers,
des migrations pendulaires, sur la rapide croissance des villes situées
aux points de passage de cette migration et sur un important flux de
marchandises. Toutefois, les espaces frontaliers n'offrent pas tous les
mêmes structures dans la sous-région. Certains de ces espaces ne
possèdent pas ces facteurs de dynamisme. Ainsi, d'autres espaces
frontaliers ne se sont pas développés le long des frontières d'Etat, mais
bien loin de celles-ci, à l'arrière d'espaces de protection qui empêchent
tout équipement frontalier.
Le premier modèle d'espace frontalier axé sur la dynamique
des marchés périodiques, les migrations pendulaires, la dynamique
urbaine et les flux importants de marchandises caractérise plutôt les
frontières du Nigeria avec ses voisins, partiellement une partie de celle
du Ghana et celle de la Guinée avec les pays limitrophes du Sud,
Sierra-Léone, Libéria.
A ce modèle très structurant de l'espace, s'opposent les
frontières, simples couloirs de trafic, caractérisées par l'absence totale
de tout équipement et de support des échanges tels que ville
frontalière, marchés périodiques, magasins de stockage et par
l'inexistence de cette vie de relation intense qui débouche ailleurs sur
la formation d'un espace grouillant d'hommes et d'activités
économiques. Ces frontières, simples couloirs de trafic, se sont surtout
développées dans la parti~ septentrionale de la Guinée, entre le
Sénégal d'une part et le Mali d'autre part.
Le dernier modèle d'espace frontalier est celui des pôles
d'échange situés à l'intérieur des pays Celui-ci caractérise toujours la
Guinée et ses voisins du Nord, Sénégal, Mali, Gambie et Guinée-
Bissau.
L'absence de tout équipement et de tout dynamisme frontalier
visible à la frontière septentrionale de la Guinée d'une part, et le
transfert des pôles d'échanges frontaliers vers l'intérieur du pays
d'autres part s'expliquent par trois faits :
- l'absence de villes d'une certaine importance démographique
proches de la frontière dans les pays voisins, capables de jouer le rôle
de pôles d'échanges. De ce point de vue, ces frontières septentrionales
sont très différentes de celles du Nigeria ;
- l'absence de ces villes est la conséquence de la faible densité
du peuplement et surtout de l'inexistence de groupes ethniques vivant
11
IGUE (O. J.), le développement des périphéries nationales en Afrique, in
Les Tropiques, Lieux et Liens. Ed. de l'ORSTOM. Paris, 1991.
47
à cheval sur les frontières. Ce modèle de frontière correspond aux
limites des civilisations traditionnelles, d'où l'absence totale d'acteurs
commerciaux originaires de cette zone, à la différence des groupes
haoussa entre le Niger et le Nigeria, des Foulbé entre le Nigeria et le
Nord Cameroun ou des Yoruba entre le Nigeria et le Bénin... Les
Peuls et les Malinkés qui sont les principaux acteurs du commerce en
Guinée n'habitent pas les zones frontières et animent les échanges
avec les pays voisins seulement à partir de leur propre région Il en
résulte un déplacement des pôles d'échanges de la frontière vers
l'intérieur ;
- l'absence enfin d'une politique de bon voisinage dans la
zone. Pendant longtemps, les relation de la Guinée et du Sénégal d'une
part, de la Guinée et du Mali d'autre part, sont restées très tendue Ceci
s'est traduit dans les faits par la mauvaise qualité des infrastructures
routières. Cette situation e particulièrement critique en Guinée où les
meilleures routes s'arrêtent à l'intérieur du pays, loin d zones
frontalières.
En conséquence, les pôles d'échanges avec les pays voisins se
sont déplacés de la frontière du Nord vers les villes de l'intérieur, là où
se trouvent d'un côté les acteurs de ces échanges et de l'autre les
centres urbains suffisamment dynamiques pour gérer le commerce
régional.
C'est la première fois qu'on assiste à un pareil transfert de ces
espaces d'échanges vers l'intérieur du pays. Ce type de marché
principal de l'intérieur mais entièrement axé sur le commerce
frontalier, notamment avec les pays sahéliens, est illustré par deux cas
Labé, la capitale de la moyenne Guinée et Kankan, chef-lieu de la
haute Guinée.
Les deux villes, qui commandent pourtant d'importantes
régions naturelles du pays, tirent davantage leurs ressources
économiques du commerce avec les pays sahéliens que de leurs
fonctions de métropoles régionales. On peut mesurer l'importance des
échanges frontaliers pour ces deux localités de plusieurs manières :
- Leurs activités économiques sont entièrement
axées sur le tertiaire : plus de 60 % de leur
population active exercent dans le commerce.
- Ce sont d'importants carrefours routiers et
d'importants marchés dont la clientèle provient à
plus de 30 % des pays sahéliens. Labé vit
davantage de ses relations commerciales avec la
Guinée Bissau, la Gambie et le Sénégal qu'avec le
48
reste de la Guinée. Il existe un courant permanent
entre cette ville et ces trois pays, en dépit de la
mauvaise qualité des voies de communication.
Kankan est plutôt tournée vers le Mali et joue le
rôle de relais pour Guéckédou, d'où partent les
produits originaires d'Asie et des Etats-Unis et
destinés à Bamako. C'est également par Kankan
que transite tout le riz asiatique réexporté vers le
Mali. Enfin, elle reçoit du Mali des pièces de
véhicules en provenance du Nigeria.
- 30 % au moins des produits proposés sur le
marché arrivent de l'étranger et particulièrement
des pays sahéliens, qu'ils soient d'origine locale
comme le sel et le poisson du Sénégal ou achetés
sur le marché international tels que les tôles
ondulées, les postes de radio, les chaussures et les
cigarettes qui viennent surtout de la Gambie.
Enfin, il existe dans ces villes un marché des changes parallèle
extrêmement dynamique.
Le déplacement des pôles d'échanges frontaliers vers
l'intérieur du pays entraîne deux conséquences pour 1'Etat Guinéen.
- La réduction de l'espace économique réel aux
limites de ces pôles
- La formation d'un véritable "Border Zone" tacite
devenu un véritable champ de manœuvre par où
les commerçants peuhl et malinké exercent leurs
diverses activités parallèles.
- L'existence de cette zone non aménagée et mal
approvisionnée limite l'intégration de la Guinée
au plan officiel dans la zone ouest, malgré la très
forte diffusion de ses rentes vers l'extérieur. Ceci
permet à des commerçants très entreprenants de
réaliser d'importants profits dans le commerce
parallèle aux dépens de l'Etat guinéen.
Somme toute, les relations commerciales de voisinage
entraînent la formation de trois modèles d'espaces frontaliers en
Afrique de l'Ouest, aux effets structurants très différents. Si l'on
considère la dynamique de ces zones frontalières par rapport à celles
49
d'autres espaces d'échanges déjà évoqués, on peut conclure que les
échanges commerciaux structurent l'espace de plusieurs manières :
Il y a d'abord les villes principales qui fonctionnent comme
des marchés terminaux de consommation ; à un deuxième niveau, on
trouve les villes-marchés situées dans 1' arrière-pays et servant de
relais entre produits manufacturés venant des villes et produits
agricoles offerts par la campagne ; enfin, en troisième position,
viennent les espaces frontaliers, éléments dynamisants du commerce
régional. C'est par rapport à ces trois pôles que l'on peut mieux
analyser les perspectives d'aménagement du territoire dans la sous-
région ouest-africaine.
III. Echanges et pôles de développement en Afrique de l'Ouest
Les différents espaces qui viennent d'être identifiés apparaissent
à nos yeux comme les maillons d'une structuration spatiale capable de
régler deux sortes de problèmes. Les premiers sont relatifs à la
dynamique démographique ; les seconds concernent la dynamique de
production et de consommation en vue de l'édification d'un espace
économique fonctionnel, soit à partir de la logique d'Etats nations, soit
en se fondant sur les alternatives d'intégration régionale. Chacun de
ces espaces comporte maintes nuances dont il faut saisir la portée et
les mécanismes.
Les villes administratives et industrielles définies comme
marchés terminaux de consommation, et dont certaines exercent des
fonctions politiques à l'échelon supérieur de la nation, demeurent les
points d'aboutissement de toutes les migrations de population qui
affectent la sous-région. On y distingue trois catégories :
- les métropoles régionales couvrant toute la sous-
région par leur rayonnement, lié d'une part à
l'importance de leur population (plus d'un million
d'habitants), d'autre part à leurs fonctions. C'est
dans cette catégorie que se trouvent Lagos,
Abidjan, Dakar, Accra et, dans une moindre
mesure, Lomé et ouagadougou. Leur fonction de
métropole régionale se traduit par une forte
immigration ainsi que par une croissance
démographique supérieure à 10 % par an. Le
niveau de vie élevé d'une partie de la population,
dû notamment aux salaires octroyés aux
50
fonctionnaires internationaux provoque une très
forte demande en biens de consommation
courante et de luxe qui dépasse le plus souvent la
capacité de production du pays concerné. En
conséquence, leur marché est largement ouvert
sur tout l'espace ouest-africain ainsi que sur le
marché international.
- les métropoles nationales dont le rayonnement ne
dépasse pas les frontières du pays. Ces métropoles
ont généralement une population comprises entre
500 000 et 1 000 000 d'habitants. Elles
n'hébergent que peu de fonctions internationales.
Il en résulte un niveau modéré des migrations
qu'elles suscitent, celles-ci s'alimentant presque
exclusivement de l'exode rural. Néanmoins,
certaines de ces villes telles Cotonou, Conakry,
Freetown... favorisent, par leurs activités
portuaires et de transit, l'arrivée de migrants
étrangers à la recherche de gains faciles. la
demande de ces métropoles nationales est moins
élevée et se limite à ce que le pays peut offrir,
exception faite des biens d'équipements et de
quelques produits alimentaires de base. En
revanche, les villes sahéliennes de cette catégorie
comme Niamey, Bamako, Nouakchott, sont
largement tributaires de l'étranger pour leur
approvisionnement.
- les villes de l'intérieur exerçant une fonction
administrative de niveau régional. C'est surtout au
Nigeria que le rôle de ces villes par rapport à la
demande paraît significatif. En effet, beaucoup
d'entre elles sont très peuplées, telles Ibadan,
Kano et Onisha, qui comptent plus d'un million
d'habitants. On en trouve également plusieurs
dont la population dépasse 500 000 habitants
comme Port Harcourt, Enugu, Benin-City,
Kaduna, Ogbomosho, Abeokuta... Ailleurs,
aucune des villes administratives de l'intérieur
n'avoisine les 500 000 habitants. Mais leur
fonction d'encadrement à l'échelon de la région est
éminemment significative dans une perspective
d'aménagement du territoire. Il faudrait s'appuyer
51
sur elles pour favoriser l'apparition d'un meilleur
réseau urbain en Afrique de l'Ouest et en même
temps établir des barrières freinant l'exode rural
massif vers la capitale, dans la perspective de
réactivation d'une dynamique de productions de
base.
C'est en s'appuyant sur ces trois catégories de villes et sur
leurs fonctions que la sous-région peut asseoir un réseau urbain
fonctionnel et capable d'offrir à la campagne une véritable dynamique
de production et de développement.
Le second axe possible d'aménagement de l'espace concerne
les villes-marchés, c'est-à-dire les principaux centres de regroupement
jouant le rôle de relais dans les relations ville-campagne. Ces villes
revêtent une importance capitale pour ce type de rapport car elles
répondent mieux au besoin des populations rurales que certaines villes
administratives dont le choix en tant que telles est parfois subjectif et
contestable12
. A cause de l'importance de ce rôle, on doit les
considérer comme les maillons nécessaires à un meilleur encadrement
du monde paysan. C'est grâce à leur variété et à leur dynamisme
commercial qu'elleS peuvent développer une véritable fonction
polarisante. Ces villes marchés sont également variées dans l'espace.
Les études qui existent sur la question font apparaître trois groupes13
:
- les villes-marchés de distribution primaire
dominées par l'offre de produits agricoles pour
environ 60 % de leurs activités. Elles sont
généralement peuplées de commerçants
travaillant en étroite collaboration avec les
producteurs. On y rencontre également quelques
transporteurs assurant le lien entre acheteurs et
commerçants et acheminant les marchandises
collectées vers les principaux centres de
consommation. Le dynamisme de ces villes-
marchés de distribution dépend le plus souvent de
12
Par rapport à cette remarque, Malanville reste de loin plus dynamique que
Kandi au Bénin, considérée comme une métropole régionale. De
même, Banki est plus active que Mora la capitale administrative de
la sous-préfecture de Mayo Sava, et Kerawa l'emporte sur Mokolo,
chef-lieu de la Mayo tsanaga au Cameroun, etc.
13 ABERC (J.A.) et BLAQUE-BELAI (P.) The role of market towns in
Guinée. Research Triangle Institute. Research Triangle Park North
Carolina. U.S.A., 1990
52
la capacité productrice de leur arrière-pays
agricole. Elles souffrent d'un équipement
fonctionnel marqué le plus souvent par le manque
d'électricité.
- les villes-marchés de transit sont des centres
d'accumulation, d'entreposage et de distribution à
la fois des produits agricoles et manufacturés.
Mais leur caractéristique essentielle vient du fait
que 25 % des produits offerts sur le marché
proviennent de l'extérieur de la région. De même,
25 % de la clientèle du marché vient d'ailleurs.
Cette importance des produits et de la clientèle
étrangers donne à ces villes-marchés de transit un
certain rayonnement régional qui se manifeste par
un équipement supérieur.
- les villes-marchés frontalières agissent à la fois à
l'échelon national et régional dans leur fonction
de porte d'entrée et de sortie pour les
marchandises tant agricoles que manufacturées.
Ainsi, plus de 40 % de ce qui est offert sur ces
marchés vient de l'étranger de même que 30 % de
la clientèle. Les activités d'échanges entraînent
une très forte animation ; elles favorisent aussi le
développement des équipements en profitant de la
forte circulation monétaire qu'elles induisent et en
tirant bénéfice de leur rôle de fenêtres sur les pays
étrangers.
Par rapport au rôle que peuvent jouer les espaces frontaliers
dans la dynamique régionale, on pourrait surtout insister sur le fait que
ces espaces constituent de véritables maillons d'intégration
économique. Mais compte-tenu de leurs niveaux d'équipement très
différents, seules les périphéries nationales paraissent intéressantes
malgré leur évolution dans le temps et dans l'espace.
Les caractéristiques de ces périphéries nationales (important
réseau de marchés périodiques, fortes migrations pendulaires, forte
croissance des agglomérations frontalières, importants flux monétaire
et de marchandises) les rendent particulièrement propres à
1’instauration d'un véritable programme de coopération à la fois
bilatérale et régionale14
. Faut-il rappeler à ce sujet que la diversité des
14
Le Nigeria tente de dialoguer avec ses voisins pour la co-gestion des
espaces frontaliers
53
fonctions de ces périphéries nationales entraîne leur relative
autonomie, les transformant ainsi en de véritables enclaves qui
s'imposent par leur rôle économique aux Etats-Nations limitrophes.
Ainsi se crée un nouvel espace qui se greffe sur celui des pays voisins
pour leur conférer des avantages tels que le développement des
marchés-relais situés en marge du contexte national et la constitution
d'un cordon de sécurité dans bien des cas.
Ces marchés-relais jouent plusieurs rôles et en particulier
détiennent des stocks régulateurs de produits bruts ou financiers. Ces
stocks permettent ainsi aux Etats de compter sur leurs voisins pour
régler une partie de leurs difficultés alimentaires ou financières. C’est
dire que ces espaces frontaliers favorisent la réalisation d'une certaine
intégration régionale qui s'organise de fait au travers des échanges
frontaliers. Ils servent de support à des réseaux d’échanges fondés sur
la solidarité éprouvée entre les populations, mais dans la plupart des
cas situés en marge de la légalité. Ainsi, prennent corps des
négociations inter-étatiques et des projets que les dirigeants africains
ont encore de la peine à bâtir, d'où la nécessité de prendre en compte
ces réalités dans la perspective des changements futurs.
Le commerce régional, largement dominé par les flux
informels, structure très fortement l'espace. Cette structuration ne se
fait pas forcément selon la logique des Etats-Nations, legs du
colonialisme. Tout en favorisant les relations ville-campagne dans le
cadre strictement national, ces échanges renforcent les espaces
d'intégration régionale, à la fois à partir du dynamisme des réseaux
marchands transfrontaliers animateurs des différents marchés, et par la
création d'autres pôles de développement (pôles frontaliers en
l'occurrence) qui viennent compléter ceux qui se constituent autour
des grandes villes.
Ces remarques attestent ainsi le fait que les dynamiques du
développement ne sont pas toujours conformes aux frontières héritées
de la colonisation et aux espaces politiques qui en découlent. L'échec
des différentes expériences de développement, de même que la
persistance des crises politiques actuelles résultent de cette situation.
D'une manière générale, les politiques économiques initiées dans le
cadre de ces anciennes colonies relèvent toujours de la logique
coloniale, marquée par différents systèmes de prélèvement et
d'extraversion souvent qualifiés d'exploitation coloniale. Cette
extraversion revêt actuellement plusieurs dimensions qui bloquent les
chances de relèvement des pays maintenant indépendants
détournement des forces motrices du développement du centre vers les
périphéries nationales, désintérêt des cadres nationaux pour leurs
bases culturelles, ce qui entraîne d'importants conflits d'intérêts entre
54
élites et masses populaires, incapacité des villes africaines à jouer un
rôle moteur dans le développement parce que trop dépendantes du
marché international pour leurs différents besoins, aggravation de
l'exploitation coloniale occasionnée par les différentes réformes
économiques préconisées par les bailleurs de fonds, etc.
En Afrique noire, ces phénomènes d'extraversion se
manifestent encore puissamment et hypothèquent du même coup les
chances d'un développement endogène efficace. Il ne s'agit certes pas
de remettre en cause les frontières, mais plutôt de les banaliser afin de
permettre aux différentes régions du continent de dynamiser les
énergies locales à des fins de production et de développement ; en
négligeant ces réalités, il serait illusoire de prétendre sauver ce
continent.
55
Chapitre 11 :
Le développement des périphéries nationales
en Afrique.
Les travaux géographiques consacrés aux frontières politiques
en Afrique noire ont abordé deux problèmes15
: les frontières comme
« espaces de litige »16
et les frontières comme « espaces de
chaleur »17
.
Les deux approches n’ont vu en ces lignes de partage colonial
que les facteurs de tensions sociales et de guerres qui secouent le
continent africain. Le rôle de structuration spatiale que jouent ces
frontières a peu retenu l’attention bien que cet aspect soit le
fondement des travaux scientifiques en Europe et en Amérique du
Nord18
.
15
Le rôle économique des frontières a fait l’objet de quelques mémoires et
thèses. On peut citer comme exemples :
- MONDJANNAGNI (A) 1964 – Quelques aspects historiques, économiques
et politiques de
la frontières Dahomey Nigeria – Etudes Dahoméennes.
- THOM DERRICK (J) 1970 – The Niger-Nigeria Boderland : A politico-
geographical analysis of boundary influences upon the Haoussa,
Ph. D. Michigan State University.
- MILLS (R. L.), 1973 – The development of a frontier zone and border
landscape along the Dahomey-Nigeria boundary, Journal of
Tropical Geography, 36.
16 FOUCHER (M.), 1984 – Les Géographes et les frontières : Herodote, n°
33-34.
17 LACOSTE (Y), 1982 – Typologie géographique, in : Problèmes de
frontières dans le Tiers-Monde. L’Harmattan, Paris VII, 1981. On
peut également citer GALLAIS (I.), 1982 – Pôles d’Etats et
frontières en Afrique contemporaine, les Cahiers d’Outre-Mer 138.
18 GUICHONNET (P.), et RAFFESTIN (CI.), 1974 – Géographie des
frontières, PUF Paris.
- MARTIN (J. E.), 1958 – Industrial employment and investment in a frontier
region : The Franco-German Exemple, Géaography 58 : 53-58.
- DAVEAU (S.), 1959 – Les régions frontalières de la montagne jurassienne :
Etude de géographie humaine, Lyon.
56
Ce n’est seulement en Europe et en Amérique du Nord que les
frontières participent à la formation d’espaces originaux entre les Etats
qu’elles délimitent. En Afrique, et malgré l’importance des conflits
armés ou larvés, certaines d’entre elles ont favorisé l'apparition de
régions géographiques dynamiques. Citons à ce propos l’exemple des
frontières de la Gambie, du Bénin et du Togo,… Dans ces différents
cas, elles entraînant la distribution entre pays voisins des richesses
provenant des ressources naturelles dont disposent abondamment
certains Etats. Cette distribution est à la base de la création et du
développement de ces régions géographiques.
L'apparition de ces zones frontalières diminue les contraintes
de la partition sur les populations. Elle stimule le déplacement des
travailleurs d’un pays à un autre et renforce les échanges
commerciaux. Il en résulte la revalorisation des centres urbains
secondaires situés de part et d'autre des lignes de partage, la naissance
d'agglomérations jumelles dans les principaux points de passage et le
développement d'un important réseau de marchés frontaliers
périodiques dont bon nombre sont aussi des marchés jumeaux.
Ce nouvel espace est souvent qualifié d'« espace frontalier »
ou de « périphérie frontalière »19
, mais ces termes sont insuffisants
pour rendre compte de la complexité des phénomènes qui se déroulent
à ce niveau. Il s'agit en réalité, du moins dans le cas de l'Afrique, de
zones franches de fàcto qui se détachent par leur fonctionnement de
l'espace national.
L'autonomie dont jouissent ces zones par rapport aux lois qui
régissent le territoire national permet plutôt de les considérer comme
des périphéries nationales, c'est-à-dire de véritables enclaves qui
s'imposent par leur rôle économique et social aux Etats-Nations
limitrophes. La notion de périphéries nationales implique donc
l'existence d'un espace économique autonome qui se greffe sur deux
- REVEL-MOUROZ (J.), 1978 – Economie frontalière et organisation de
l’espace : Réflexions à partir de l’exemple de la frontière Mexique
Etats-Unis. Cahiers des Amériques latines 18.
- RENOLDS (C. W), 1978 – Analysis of the impact of U.S. Economy on the
Economy of Mexico and its border region, Berkeley.
19 Les régions frontalières d'Europe et d’Amérique sont souvent qualifiées
d'espace frontalier ou de périphérie frontalière. Le premier apparaît
très souvent dans les travaux de GUICHONNET et de
RAFFESTIN sur la Géographie des frontières op. cit. Le second
moins courant vient de Hélène RIVIERE d'ARC dans Espace
national et périphéries frontalières en Bolivie. Notes et Etudes
documentaires n° 4533-4534, Paris, 1979.
57
ou plusieurs Etats-Nations dont le fonctionnement repose sur des
contrastes géographiques marqués.
Parmi les aspects de cette autonomie on peut mentionner :
- L'usage de plusieurs monnaies dont le cours est réglé dans
toute la zone par un système judicieux de marché parallèle de change.
- Bien que les principaux postes (le douane y soient localisés,
un contrôle inefficace pour la simple raison que le milieu rend
inopérante l'action des douaniers dont beaucoup deviennent d'ailleurs
des alliés inconditionnels des commerçants.
- Une exceptionnelle solidarité ethnique des populations
victimes du partage colonial, qui concurrence fortement le
développement d'une conscience nationale. Si cette dernière parvient
tout de même à se concrétiser, elle se double alors d'une conscience
ethnique, plus concrète, qui fonde l'existence de réseaux d'échanges
dynamiques, capables de résoudre toute difficulté liée à une
transaction par-delà la frontière.
Somme toute, un nouvel espace se greffe ainsi sur celui des
pays voisins pour leur conférer des avantages tels que la formation de
marchés-relais situés en marge du contexte national et la constitution
de cordons de sécurité dans bien des cas, en dépit d'un discours
officiel contraire20
.
I. Conditions de développement et extension des
périphéries nationales
20 Le Nigeria a profité de tels avantages pendant la guerre du Biafra. Mais
lors de la fermeture de ses frontières en 1984, il a développé un
discours officiel contraire aux profits qu'il tire de ses voisins que
sont le Bénin, le Cameroun et le Niger. Pourtant, grâce à
I'existence des périphéries nationales, cette fédération a souvent
utilisé ses voisins francophones comme des relais dans le cadre
d'actions régionales ou même continentales. Sur ce dernier aspect,
on peut consulter avec profit les travaux suivants :
-NWOKEDI (O.-C.), 1983 - Le Nigeria et ses voisins francophones :
contribution à l'étude de la politique régionale du Nigeria de 1970
à 1981 ; Bordeaux, CEAN. Thèse de 3e cycle.
BACH (D.), 1985 - Le Nigeria en Afrique de I'Ouest limites et paradoxes
d'une influence. Table Ronde sur L’Insertion du Nigeria dans le
système international, Bordeaux, CEAN, 2-3 mai 1985.
58
Parmi les facteurs qui déterminent l’apparition des régions
frontalières on peut signaler au moins quatre types :
Les facteurs structurels sont au nombre de trois :
- les racines historiques des Etats africains. De ce point de
vue, on peut dire que les échanges commerciaux, qui constituent l'un
des aspects dynamiques de ces régions et qui revêtent un caractère
illégal, au fur et à mesure que s'affirment les indépendances et que se
créent des enceintes douanières et tarifaires différenciées, sont des
legs d'anciennes relations historiques ;
- les différences de peuplement ou de richesse économique qui
permettent à certains pays mieux doués de distribuer une partie des
ventes venant de l'exploitation des ressources naturelles vers leurs
voisins plus petits et plus pauvres ;
- les différences d'espaces monétaires où figurent (les entités
politiques qui sont rattachées à des monnaies convertibles
relativement fortes ou stables vis-à-vis de celles qui ont des monnaies
autonomes plus instables. La décote des secondes par rapport aux
premières sur les marchés parallèles de change engendre des flux de
nature particulièrement spéculative.
Les facteurs conjoncturels liés à des aléas climatiques, les
crises sociales et conflits armés ou larvés.
Troisième type de facteurs, les avantages comparatifs et les
complémentarités entre produits agricoles. Contrairement aux discours
selon lesquels les Africains n'ont rien à échanger entre eux, il existe
plusieurs formes de complémentarité entre pays producteurs de
céréales et pays producteurs de tubercules, pays d'élevage ou
d'agriculture. Il en résulte l'existence d'un marché commun naturel qui
s'est formé clandestinement » en raison du mauvais fonctionnement
des différentes structures officielles d'intégration.
Les avantages comparatifs sont aussi dus aux inégalités des
ressources naturelles et du coût du travail ; avec pour conséquence une
organisation des échanges destinée à contourner les entraves telles que
la rigidité ou la restriction des politiques commerciales.
Les différences entre politiques économiques constituent la
quatrième série de facteurs. Parmi ces différences en dehors des
disparités monétaires déjà évoquées, on peut signaler les disparités
douanières, les inégalités des taxes à l’exportation, la surévaluation ou
59
sous-évaluation des monnaies et la différence dans les régimes de
subventions aux importations, etc.
Du point de vue de leur extension spatiale, on peut distinguer
deux types de périphéries nationales cri Afrique.
- celles qui se sont développées entre Etats issus d'empires
coloniaux différents suite aux contrastes de ressources, de marché et
de politique économique ;
- celles aussi qui ont fait leur apparition à la faveur des seuls
contrastes géographiques : c'est le cas actuellement entre pays côtiers
et sahéliens d'Afrique occidentale.
Si nous nous limitons à la sous-région ouest-africaine sur
laquelle porte l’essentiel de nos recherches, on peut signaler les
périphéries nationales suivantes : dans la partie sud, c'est-à-dire entre
pays francophones et anglophones, et d'est en ouest :
L'espace Badagry-Kétou à la frontière bénino-nigériane qui
s'étend sur environ 80 kilomètres du sud au nord. Il comprend huit
principaux marchés traditionnels jumeaux. Ces marchés dont certains
se classent parmi les plus importants du Bénin par le volume des flux
marchands et de la masse monétaire qu'ils brassent tous les quatre
jours21
, sont encadrés par une douzaine d’agglomérations de plus de
10 000 habitants chacune, parmi lesquelles huit sont jumelles (tab. I)
Le dynamisme de cet espace repose sur la solidarité ethnique Yoruba-
Gun, niais surtout sur la présence des marchés périodiques qui
rythment toutes les activités d'échange. La zone est particulièrement
réputée pour le commerce du cacao, du carburant et des produits
manufacturés venant du Nigeria, en contrepartie desquels le Bénin
livre du maïs, des cossettes d'igname, de l'huile de palme et toute une
gamme de produits de luxe (Wax hollandais. Bazin allemand,
dentelles d'Autriche, cigarettes des grandes marques anglaises, etc.)
objet d'une intense activité de réexportation.
21
Ces quatre jours correspondent à la périodicité de ces marchés.
60
TABLEAU N°1 : Zones frontalières : pays francophones et
anglophones
Localisation des espaces
Villes principales
Population des villes
Principaux marchés
Principaux produits
exposés aux marchés
Entrepôts frontaliers
Groupes ethniques
Monnaies utilisées
Badagry-kétou
(Nigéria-Bénin)
Nigeria Nigeria Venant du Nigeria
Méridjonou
Badagry 25.000 hts Toubé - Cacao, produits pétroliers,
Gbawodjo Yoruba Naïra
Ijofin 8.872 Ago-sasa Produits manufactures
Ohumbe Gun Franc cfa
Ipokia 15.506 Koko Cola , etc… Towè Iforin Tedo 12.092 Oja-Odan Merchandises
“béninoises” Ilara
Oja-Odan 10.800 Ilara Wax hollandais Idigni Meko 22.200 Bénin Dentelles
d’Autriche Ilikimou
Bénin Adjara Cigarettes, alcools,
Adjara 8.724 Avrankou Maïs, huile de palme
Avrankou 9.344 Ifangny Dérivés de tubercules…
Ifangny 7.264 Pobè Sakété 15.226 Kétou Pobè 22.633 Ilara Kétou 12.950
Aflao-Badou (Ghana-Togo)
Ghana Ghana Produits ghanéens
Kéta - Kéta Cacao, fruits, cola,
Noepé Ewe – tafi Cédi
Aflao - Aflao Bois … Agou Naira Djodze - Djodze Tomegbé… Franc cfa Ho - Kpedape Produits
togolais
Kpedape - Togo Togo Lomé Riz, pâtes
alimentaires,
Lomé 450.000 hts Noepe Tomate en boîte, tissus,
Assahoum 5.000 Assahoun Alcohols… Palimé 27.000 Agou Badou 7.526 Palimé Tomegbe Badou
Assini-boundoukou (Ghana – C.
Ghana Boundoukou
Cacao, produits pétroliers,
Ebilassekro (C.I.)
Agni Cédi
61
I). Sampa - Niable Produits
vivriers, produits
Encni (Ghana)
Nzima (Applolonée
n)
Franc cfa
Newton - Sampa (Ghana)
Manufacturés. Tanasso
Assini - Debiesso C.I. Boundoukou Agnilbelekro
u
Toulepleu (C.I.)
C.I.
N’zerekore (Guinée)
Toulepleu Danane
N’Zerekore Café Krou Franc guinéen
Ganta-Tobli (Libéria)
Guinée N’Zerekore
Toulepleu Riz Guerze (ancien Silly)
Dieke Ganta Produits manufacturés
Dollar
Liberia Tabli Franc cfa Ganta Tobli
Entre le Togo et le Ghana, on peut mentionner le secteur Kéta,
Aflao, Lomé, Kpalimé et Badou. C'est là, sur environ 100 kilomètres
du sud au nord, que sont disposées les principales agglomérations d'«
Eweland » tel qu'il existait avant son partage par les puissances
impérialistes. Ici, tout comme pour le Bénin et le Nigeria, se trouvent
les marchés de Kéta, Lomé, Noepé, Agou, Kpalimé et Badou, pour ne
citer que ceux-là. Mais les activités de ces marchés sont reléguées au
second plan pour des raisons politiques par celles des villes jumelles
de Kpalimé-Kpadekpo et Lomé-Aflao ; ce dernier exemple rappelle,
par sa situation géographique et l'importance de la population
concernée, le modèle des villes américano-mexicaines bien étudiées
par Revel-Mouroz22
. Les activités de cet espace reposent sur un
important marché de change parallèle pour lequel Lomé peut être
considérée comme la première place financière de la sous-région. Ici,
les dix monnaies des Etats d'Afrique occidentale se changent au
marché noir cri face de la gare routière située au quartier Anagokomê,
non loin du grand marché. Cette activité d'échange permet un impor-
tant trafic de diamants, de cacao, d’œufs, de fruits et légumes cri
provenance du Ghana en contrepartie desquels le Togo fournit les
produits manufacturés (Wax hollandais"', alcool, tabac et cigarettes.
etc.) venant des marchés européens.
22
REVEL-MOUROZ (J.), op. cit.
62
Plus loin, entre le Ghana et la Côte d'Ivoire, la zone
Bondoukou-Assini occupe environ 100 kilomètres, du sud au nord.
Cet espace s'est entièrement développé en pays Agni. Son
fonctionnement repose sur les marchés de Bondoukou, Niablé (Côte
d'Ivoire) et Sampa (Ghana) et sur le trafic du cacao ghanéen par la
Côte d'ivoire pour lequel la localité de Niablé (sous-préfecture
d'Abengourou) est l'un des plus importants centres de collecte. Ce type
d'espace existe et fonctionne de la même manière entre la Côte
d'Ivoire et le Libéria d'une part, entre la Côte d'ivoire et la Guinée
d'autre part. Leur parfait fonctionnement a permis aux populations
d'échapper jusqu'ici aux conséquences parfois catastrophiques de la
rigidité des institutions socio-économiques des Etats-Nations
africains.
Si l'on quitte la partie sud de l'Afrique occidentale pour
remonter vers le nord, on compte entre Nigeria et Sénégal environ huit
régions frontalières à cheval sur les pays côtiers et les pays sahéliens
(tab. II). Elles fonctionnent de la même manière que les périphéries
nationales du secteur sud, mais diffèrent profondément par leur
dynamisme interne. De l'est vers l'ouest se succèdent ainsi :
- la zone Maradi-Katsena dont l'épicentre est
constitué par les marchés de Jibiya (au Nigeria) et
de Maradi (au Niger) .
- la zone de Birni-Koni (Niger) et illela (Nigeria) ;
- la zone de Gaya (Niger), Kamba (Nigeria) et
Malanville (Bénin). Il faut rappeler que ce dernier
marché et celui de Jibiya fonctionnent comme les
plus grands greniers des pays côtiers à la porte du
Sahel ;
- en allant vers l'ouest, on aborde l'espace frontalier
de Dapaong (Togo), Bakwu (Ghana) et Bittou
(Burkina Faso) soudé cri une petite unité
économique par les grands marchés de Cinkassé
et (le Bakwu qui s'animent tous les trois jours ;
- ensuite vient la zone de Bouna (Côte d'Ivoire),
Gaoua (Burkina Faso) et Bole (Ghana) animés par
le marché ivoirien de Doropo ;
- elle est prolongée, au nord, par un espace qui
participe au renforcement des échanges entre le
Ghana et le Burkina et encadrée par les villes
burkinabé de Diebegou et ghanéenne de Lawra ;
- l'ensemble Odienne (Côte d’Ivoire}. Beyla
(Guinée) et Madina (Mali) qui s'anime autour des
principaux marchés guinéens de Sirana-Beyla et
ivoiriens de Sirana-Odienné et Booko. Bien que
63
deux premiers fournissent un bel exemple de
marchés jumaux, Boko est de loin le centre
commercial le plus dynamique ;
- enfin, entre la Guinée, le Sénégal et la Gambie, il
faut mentionner les importantes relations
commerciales existant d'une part entre les
localités de Mali (Guinée) et de Kédougou
(Sénégal), d'autre part entre les centres de Karang
(Sénégal), Barra et Banjul (Gambie), Nioro-du-
Rip (Sénégal) et Farrafenni (Gambie) (tab. II).
L'existence de ces nombreuses zones frontalières apparaît
comme une garantie pour les échanges entre pays sahéliens et côtiers.
Dans chacun de ces espaces. et à chaque séance de marché, des
centaines et parfois des milliers de tonnes de marchandises traversent
la frontière.
TABLEAU N°2 : Espaces frontaliers : pays sahéliens et côtiers
Localisation des espaces
Villes principales
Population des villes
Principaux marchés
Principaux produits exposés aux marchés
Entrepôts frontaliers
Groupes ethniques
Monnaies utilisées
Maradi-katsena (Niger-Nigeria)
Katsena - Jibiya (Nigeria)
Sorgho, mil, niébé, arachide, souchet, igname
Karaki (Nigeria) Dan-ararou (Nigéria)
Haoussa Naira Franc cfa
Maradi 48.853 hts Maradi (Niger)
Jubiya-Madji (Nigeria)
Kank (Niger)
Dabara-firji (Niger)
Birni-koni, Iléla (Niger-Nigeria)
Birni-koni Iléla
15.227 hts -
Birni-koni (Niger)
Sorgho, mil, niébé, arachide, maïs, riz, patate douce
Iléra (Nigeria)
Haoussa Naira Franc cfa
Gaya-Kamba-Malanville (Niger, Nigeria, Bénin)
Gaya Kamba Malanville
8.107 hts - 12.500
Malanville (Bénin) Kamba (Nigeria)
Sorgho, mil, maïs, gari, igname, cola, oignon, poisson fume
Ilo (Nigeria) Garou (Bénin) Dolle (Niger)
Dallol – Maouri
Franc cfa Naira
Dapaong-kakwu-bittou
Dapaong 15.200 hts Cikanse (Togo)
Maïs, mil, sorgho niébé
Cikanse (Togo)
Gourmantché”
Franc cfa Cédi Naira
64
(Togo, Ghana, Burkina-Faso)
Bakwu Bittou
25.000 5.215
Bakwu (Ghana)
Igname, riz, huile de palme, patate Douce, banane fraîche
Yargatenga Sengba (B. F.) Ouidana Puisiga (Ghana)
Kayire (Togo)
Bouna-gaoua
Bouna 5.787 hts Bétail, mil, sorgho, maïs,
Bitchiri (C.I.) Bienou (C.I.)
Kampti-Bole Gaoua 9.543 Doropo (C.I.) Cola, légumes frais
Calgouti (BF) Bati (BF)
Lobi-koulango
Franc cfa Cédi
(Côte-Ivoire, Ghana, Burkina- Faso)
Kampt bolei
2.835 -
Banane Toba (BF) Bole (Ghana)
Diebegou – Lawra
Diebegou Lawra
- -
Hamale (Ghana)
Mil, sorgho, igname, cola
Legmoin (BF) Toba (BF)
(Ghana, Burkina-Faso)
Hamalé - Sirana-beyla Hamalé (Ghana)
Lobi Franc cfa cédi
Odienne-Beyla-Madina
Odiene Beyla
13.864 hts Sirana-Beyla (Guinée)
Bétail, sorgho, riz,
Kessedougou
Malinke Dioula
Franc cfa Franc guinéen
(Côte-Ivoire, Guinée, Mali)
- Sirana-odienne
Igname, fonio, cola
(ancien Silly)
Booko
Mali-kédougou
Mali - Koudougou Riz, bétail, cola, fonio,
Malinki-Peul Franc guinéen
(guinée, Sénégal)
Kédougou - (Sénégal) Fruit Franc cfa
II. Structure et fonctionnement des périphéries
nationales
La structure des différents espaces que nous venons de
présenter est très complexe ; trois éléments méritent qu'on s'y
intéresse : les marchés périodiques, les villes et les entrepôts
frontaliers.
65
Pour échapper aux tracasseries des politiques coloniales, les
populations frontalières ont créé plusieurs marchés dont la
fréquentation permet de communiquer régulièrement. C'est le souci de
solidarité qui a été à l'origine de ces marchés jumeaux. Mais le
déséquilibre spatial introduit par la façon dont chaque puissance a géré
son domaine a fini par faire de ces centres d'échange un véritable
support de l'économie régionale. Les contrastes géographiques qui
résultent de ce déséquilibre entre les actuels Etats-Nations ont rendu
leur rôle déterminant dans les échanges.
Cependant, tous ces marchés ne résultent pas des
conséquences du partage colonial. Certains d'entre eux, dans le cadre
de l'économie traditionnelle. étaient des centres commerciaux
particulièrement célèbres avant la pénétration européenne. Entre le
Bénin et le Nigeria, Kétou, Oké-Odan et Badagry avaient joué un
grand rôle dans le commerce précolonial qui existait entre Oyo,
Abéokuta, Egbado et le royaume Gun de Porto-Novo. Autour de ces
vieux marchés s'en sont développés de nouveaux tels que Ilara, Oja-
Odan, Toubè et Adjara qui ont su perpétuer cette tradition
commerciale. Actuellement, ces marchés se sont multipliés avec la
diffusion des rentes apportées par l'exploitation des ressources
naturelles et agricoles.
Les plus importants de ces centres commerciaux, entre le
Bénin et le Nigeria. sont des marchés jumeaux, c'est-à-dire qu'en face
du marché béninois se trouve son homologue nigérian, le plus souvent
à moins dE dix kilomètres, suivant l'ordre ci-après, du sud vers le nord
(tab. III).
TABLEAU III
BENIN NIGERIA
Adjara Toubè
Avrankou Ago-Sasa
Ifangni Koko
Kétou Ilara
Entre le Niger et le Nigeria existent également de très
anciens marchés nés dans le contexte du commerce
transsaharien. Parmi ceux-ci, on peut mentionner, du côté
nigérien, Maradi, Gazoum, Roumdji, Matameye, Magaria,
Zinder et Birni-Koni. Dans la partie nigériane, il y a Daoura,
Zongo, Katsena, Madaou, Illela et Kamba. Leur structure et leur
organisation diffèrent de celles décrites à propos du Bénin. Il
66
s'agit pour la plupart de marchés situés en marge des
agglomérations, soit à l'entrée, soit rejetés derrière le village.
Les rares d'entre eux qui sont à l’intérieur des cités, comme c'est
le cas à Kamba, Katsena, Maradi ou Daoura sont totalement
clôturés. Tous s'animent une fois par semaine à des jours
différents. - Compte tenu de leur importance et de leur
dynamisme, on peut les classer en trois groupes :
- les marchés polaires, ou de premier ordre, qui
rayonnent sur des régions très étendues et dont
l'approvisionnement se fait parfois de très loin ;
- les marchés-relais, ou de second ordre, qui
s'approvisionnent auprès des premiers ;
- les marchés de brousse qui sont des satellites des
deux précédents pour la vente des produits
manufacturés et la collecte des denrées agricoles.
Ces trois structures fonctionnent bien et favorisent une
meilleure circulation des produits entre le Niger et le Nigeria. Ailleurs en Afrique de l'Ouest, on peut mentionner les
marchés situés à cheval sur le Togo, le Ghana et le Burkina Faso, qui
rythment les échanges commerciaux entre Ces trois pays.
Le plus important réseau de ces marchés est situé dans la zone
délimitée par les villes frontalières de Bakwu (Ghana), Dapaong
(Togo) et Bittou (Burkina Faso). Ces villes, qui exercent des fonctions
administratives dans le cadre de leur Etat respectif, constituent les
sommets d'un triangle dont le centre est occupé par la localité de
Cinkassé divisée en deux par la frontière Togo-Burkina ; la partie
burkinabé a 1016 habitants ; celle qui est située en territoire togolais
en compte 2 800 et se trouve à 3 kilomètres du Ghana. Celui-ci
possède avec Bakwu les deux grands marchés de la région qui
organisent tous les échanges frontaliers au niveau des trois pays.
Le marché de Cinkassé se tient le lundi et le jeudi. Celui de
Bakwu tous les trois jours comme c'est de coutume en pays
gourmantché. Tous les deux sont au cœur d'un important réseau de
centres commerciaux secondaires qui leur servent de relais. Ainsi au
Burkina Faso : Bitou, Yorgatenga, Sengha et Tindégou ; au Ghana
Ouidana, Puisiga ; au Togo Dapaong Kayire et Largande.
Le fonctionnement et le dynamisme de tous ces centres
d'échange repose sur la cohésion ethnique du groupe gourmantché qui,
en dépit du partage de son territoire entre trois puissances coloniales
(Grande-Bretagne, Allemagne et France), continue de maintenir son
unité historique à partir de Fada N'Gourma (Burkina Faso) et de
67
Gambaga (Ghana). Ces différents marchés recrutent leur clientèle
d'abord à l'intérieur des villes frontalières qui les encadrent, ensuite
dans les Etats limitrophes. Tous sont des pôles qui, par leur
rayonnement, exercent une très forte attraction sur plusieurs pays
lointains.
Le rôle des villes frontalières est capital dans la vie de ces
périphéries nationales. Par leur position et leur population elles
contribuent à la survie de ces espaces. Du point de vue de leur origine,
on peut distinguer quatre groupes :
- les anciennes bases historiques des populations frontalières ;
les agglomérations nées aux principaux points de passage, le long des
artères de communication les villes fondées dans les colonies plus
accueillantes, suite à des tracasseries administratives et les anciens
villages érigés en base de pouvoir traditionnel pour récompenser leurs
chefs, plus dociles ou plus coopérants, ou pour pallier l'absence d'une
autorité traditionnelle utilisable comme relais dans le cadre de la
politique d'« indirect rule»
Les agglomérations qui sont nées aux principaux points de
passage sont toutes des villes jumelles. Elles se sont développées à
part de l'aménagement de ces différents points frontaliers, sur lesquels
se greffent d'importants flux migratoires. Ces points de passage
fonctionnent comme des étapes pour des migrants qui cherchent à
exploiter les avantages économiques du pays voisin. Ils sont d'autant
plus nombreux que le voisinage immédiat permet de s'infiltrer
illégalement cri pays limitrophe.
Beaucoup d'entre eux ne quittent plus ces postes ; ils y élisent
domicile cri s'adonnant aux activités lucratives.
Parmi les villes qui sont nées aux principaux points de
passage on peut citer Klaké-Kweme et Igolo-Idiroko23
entre le Bénin et
le Nigeria, Aflao (en face de Lomé) entre le Togo et le Ghana ou
Malanville (en face de Gaya) entre le Niger et le Bénin.
Mais le phénomène des villes jumelles ne se limite pas
seulement aux points de passage. Il caractérise aussi les vieilles cités
historiques. Ici, c'est le refus des chefs déchus de leur fonction de se
soumettre au nouveau conquérant qui détermine la création d'une
nouvelle base d'autorité traditionnelle de l'autre côté de la frontière,
presque en face de l'ancienne métropole. L'exemple à signaler dans ce
cas, est celui d'Ifoyintedo fondée vers 1920 suite à la nomination du
chef Tori d'Avrankou par les Français comme chef de canton devant
gérer le royaume d'Ifoyin dont la capitale était Ifoyin-Ile, située en
territoire béninois (actuel district d'Ifangni). Le roi yoruba, déçu de
23
Les localités soulignées sont en territoire nigérien.
68
devoir se soumettre à son hôte transféra le siège de son pouvoir cri
territoire britannique.
Parmi les villes qui sont nées suite à des tracasseries
administratives, on peut mentionner Ilara entre le Bénin et le Nigeria,
et Jibiya entre le Niger et le Nigeria. Le premier fut fondé par les
habitants de Kétou en 1915, pour protester contre le recrutement
militaire pendant la Première Guerre mondiale. Le second ne date que
de 1959, suite aux événements politiques opposant les partisans du
parti Sawaba de Djibo aux membres RDA de Diori. Après leur échec
au référendum de 1958 concernant l'indépendance du Niger, les
Sawabistes, qui se recrutaient en majorité dans la préfecture de
Maradi, ont quitté la région pour aller fonder Jibiya en territoire nigé-
rian, à quelques kilomètres de Maradi.
La ville de Maradi elle-même fut détachée de l'autorité des
émirs haoussa-peul de Katsena au Nigeria. Mais le plus bel exemple
de villages érigés en villes est celui de Meko en face de Kétou
(Bénin). Après la délimitation frontalière, son chef, qui dépendait de
celui de Kétou, fut promu roi pour gérer selon le système d'« indirect
rule » la population kétou relevant de l'administration britannique.
La volonté d'arracher les populations de toutes ces villes
frontalières à leur ancienne base a favorisé la réalisation de quelques
équipements garants du développement urbain. Aujourd'hui, ces
agglomérations tirent profit de leur origine commune pour se
soustraire à l'emprise administrative des pouvoirs centraux en renfor-
çant l'autonomie des périphéries nationales.
Entre les villes et les marchés se trouvent d'autres localités qui
servent d'entrepôts pour d'importants volumes de marchandises prêts à
franchir la frontière. Ces localités, qualifiées d'entrepôts frontaliers,
sont des lieux de revente pour les commerçants grossistes qui opèrent
de chaque côté de la ligne de partage entre les Etats et commercent des
marchandises qui peuvent provenir de très loin. D'autres entrepôts se
situent dans les zones de production et servent de centres de collecte et
de distribution. Le rôle de ces localités-entrepôts est capital dans les
échanges frontaliers, activité-clé de ces périphéries nationales. C'est
grâce à eux que s'effectuent des échanges invisibles portant sur
plusieurs milliers de tonnes (cf. tab. I et II).
Les trois structures qui viennent d'être passées en revue font
l'originalité des espaces frontaliers d'Afrique et garantissent leur bon
fonctionnement.
Le fonctionnement de ces périphéries nationales est
particulier. Toutes sont des espaces autonomes qui échappent
totalement aux lois économiques cri vigueur dans les Etats qui
les abritent. Cette autonomie peut être mise en relief de plusieurs
69
manières :
- par l'interférence de plusieurs monnaies ;
- par une forte mobilité journalière des
populations ;
- par une forte circulation des produits agricoles et
manufacturés.
L'interférence monétaire se manifeste par l'utilisation
indifférente de toutes les monnaies qui circulent dans les pays
voisins, voire dans toute la sous-région ouest-africaine, avec
néanmoins une forte emprise de la monnaie du pays
économiquement le plus solide. Il en résulte l’existence de
plusieurs marchés de change qui fonctionnent comme de
véritables guichets de banque. La mobilité des populations s'ap-
puie d'un côté sur l'influence qu’exercent les grandes villes
situées à l'arrière-zone de ces espaces ; de l’autre, elle vient de la
fréquentation des marchés périodiques, si nombreux dans le
secteur.
Dans la premier cas, les sondages effectués en 1984 dans
quelques points de passage entre le Bénin et le Nigeria ont
révélé :
- Entre Klaké (Bénin) et Kweme (Nigeria), 553
véhicules transportant 3301 personnes circulent
dans la Zone, par jour, dont la moitié avec 1695
personnes fréquente les deux localités et l’autre
moitié ayant 1 606 voyageurs à bord traverse le
milieu et se dirige vers Lagos.
- Entre Igolo (Bénin) et Idiroko (Nigeria)
seulement 230 personnes traversent la frontière
les jours ordinaires ; les trois quarts restent dans
les deux localités, le quart restant continue sa
route vers Lagos. Les jours du marché d'Ifangni,
situé à 3 kilomètres d'ldiroko, 3 200 Nigérians en
moyenne franchissent la frontière24
.
Pendant la fermeture de la frontière à partir d'avril 1984, ces
mouvements ont continué de la même manière témoignant ainsi de
l'autonomie de ces espaces. Par exemple, en septembre 1985, les
24
Ces enquêtes ont été réalisées par l'un de nos étudiants : SOARES (M.),
1984 - Etude géographique de deux postes frontaliers : Idiroko et klaké
Mémoire de Maîtrise de Géographie, UNB.
70
enquêtes effectuées sur le territoire nigérian à l'entrée des principales
localités frontières ont donné les résultats suivants25
:
- Kweme : 3 727 véhicules par semaine soit 532
véhicules par jour (contre 553 avant la fermeture),
- ldiroko : 35 536 véhicules en 15 jours, soit 2 252
véhicules par jour,
- Ilara : 316 véhicules par semaine, soit 45 par jour.
Ces différents résultats montrent bien que la fermeture
des frontières n'a gêné en rien le fonctionnement de ces espaces
entre le Bénin et le Nigeria, tout comme, du reste, entre le Niger
et le Nigeria26
.
Les échanges commerciaux concernent à la fois les
produits agricoles, industriels, d'élevage et de pêche. Dans le
domaine agricole, pour nous limiter à cela, le Niger vend au
Nigeria environ 120 000 tonnes de niébé par an, dont 24 tonnes
seulement par le circuit officiel. Le reste des échanges se fait à
partir des marchés frontaliers. Cette légumineuse qui a remplacé
l'arachide depuis 1975 est complétée par un important trafic de
bétail pour environ 160 000 têtes de bovins et 109 000 têtes
d'ovins par an. De cet effectif seulement 51 677 bœufs et 33 936
moutons sont officiellement enregistrés. En contrepartie, le
Nigeria livre 136 000 à 273 000 tonnes de sorgho et de mil par
an, compétées par une quantité substantielle d'engrais. On pourrait multiplier ces exemples en parlant de la fuite du
cacao ghanéen vers le Togo et la Côte-d’Ivoire ou de la fraude de
l'arachide entre le Sénégal et la Gambie ou encore du Bénin qui
réexporte depuis 1983 environ 80 000 tonnes de riz asiatique vers le
Nigeria en échange de fèves de cacao.
Ce n’est pas le volume des marchandises commercialisées qui
est significatif, mais plutôt son impact sur les pays limitrophes. De ce
point de vue, ces échanges jouent plusieurs rôles parmi lesquels on
peut signaler :
- Celui du stock régulateur qui peut concerner
l’apport de produits bruts ou un apport financier
25
Ces enquêtes ont été réalisées par le Prof. ASIWAJU Antony et moi-même
avec la collaboration des étudiants de l'Université de Lagos.
26 Sur cet aspect on pourra consulter : IGUE (O. John), 1985 - Rente
pétrolière et commerce des produits agricoles à la périphérie du
Nigeria : les cas du Bénin et du Niger. Montpellier, INRA-LEI.
71
substantiel. Ce stock permet ainsi aux Etats de
compter sur leur voisin pour régler une partie de
leurs difficultés alimentaires ou financières.
- L'existence de Ces différents mouvements, pour
la plupart illicites, qu'il s'agisse des flux
monétaires (par le biais des marchés parallèles de
change) de personnes ou de marchandises, illustre
fort bien les limites des espaces territoriaux des
actuels Etats-Nations. Cela parait d'autant plus
évident que ce qui est illégal d'un côté, une fois la
frontière franchie, devient aussitôt légal,
témoignant ainsi du degré insuffisant d'autonomie
de ces différents Etats. Tous se sont greffés les
uns sur les autres par le biais des périphéries
nationales.
En définitive l'apparition des périphéries nationales que nous
venons de décrire très brièvement permet de réaliser une certaine
intégration régionale qui s'organise de fait au travers des échanges
frontaliers. Elles constituent des réseaux d'échanges fondés sur la
solidarité éprouvée entre les populations, mais la plupart du temps
situées en marge de la légalité. Elles réalisent par ce biais ce que les
négociations inter-étatiques et les projets n'ont pu bâtir.
Ce sont même les entraves sur lesquelles butte l'intégration
officielle qui, souvent, favorisent le développement de ces espaces
dont toute la vie repose sur des réseaux parallèles et clandestins. De ce
fait, si les politiques économiques ne sont pas homogènes dans la
sous-région (ce qui freine l'élaboration d'une stratégie commune), elles
sont devenues, par le biais des échanges qu'animent les périphéries
nationales étroitement interdépendantes. Car si la nature clandestine
du commerce détourne ou affaiblit la portée des interventions
étatiques sur un territoire, elle répercute aussi l'effet des politiques des
Etats voisins.
D'ailleurs, dans le fonctionnement des régions frontalières que
nous venons de présenter, il ne s'agit plus d'opposer l'officiel au
parallèle ou au clandestin, tel qu'on en a souvent l'habitude : trop de
relations lient les circuits étatiques aux réseaux illégaux d'échanges ;
sinon on ne comprendrait pas que les mesures d'interdiction ou de
contrôle du commerce parallèle aient souvent pour résultat d'accroître
les disparités des deux côtés d'une même frontière et de stimuler ainsi
les flux que l'on cherche à empêcher, tout en renforçant le
développement des enclaves frontalières.
Ces enclaves frontalières constituent de nouveaux types de
régions géographiques qui diffèrent du modèle classique de région,
72
fondé sur l'interaction entre les villes et les campagnes qui en
dépendent. Les crises sociales dues à la sécheresse, à l'avancée du
désert, à l'épuisement ou à la mévente des produits agricoles, au man-
que de démocratie, etc., entraîneront une multiplication des formes de
discontinuité spatiale qui obligera désormais les géographes africains
et africanistes à se débarrasser de certains concepts dont l'intérêt sera
de moins en moins évident
73
Quatrième partie :
VILLES ET SOCIETES.
74
Chapitre 12 :
Les politiques urbaines en Afrique : Etat de
connaissance
La question urbaine est, depuis quelques années, au
centre des préoccupations scientifiques en Afrique Noire. Par la
variété des thèmes étudiés, le nombre des institutions
universitaires et de développement et des chercheurs qui s'y
intéresse, elle occupe la première place devant les autres
secteurs de la recherche en sciences sociales. Cet engouement
pour les problèmes urbains rend ainsi complexe notre propos. L'intérêt accordé aux problèmes urbains ne date pas de
longtemps : par exemple avant les indépendances nominales des Etats
Africains et même quelques années après, les africanistes qui étaient
chargés d'aider les nouveaux dirigeants africains à bâtir leurs pays
avaient plutôt porté leur intérêt sur le monde rural. Le monde rural
représentait vers les années 1958 - 1962 deux enjeux :
- la prédominance des populations rurales dans la
vie nationale ;
- le rôle qu'avaient joué les cultures de rente dans
l'entreprise coloniale et qu'elles devaient continuer
à jouer pour asseoir les bases économiques des
nouvelles nations.
Ainsi, les premières thèses de Doctorat soutenues par exemple
en Géographie sur l'Afrique francophone portaient sur la
paysannerie27
.
Il n’y a que de rares travaux qui soient consacrés à l'urbani-
sation, en l'occurrence en Afrique Centrale28
.
27
Pelissier, P. Les paysans du Sénégal : la civilsation agraire du Cayor à la
Casamance. Imprimerie Saint-Yrieux (Haute Vienne), 1966.
Galet, Jean, Le delta intérieur du Niger, Mémoire de l’IFAN, Dakar, 1970.
28 Denis, J. Le phénomène urbain en Afrique centrale. Duculot Edition,
Bruxelles, 1968, p.401
Dresch, J. Les villes congolaises – Revue de Géographie Humaine et
d’Ethnologie, 1948, p.401.
75
Mais très rapidement, le développement du monde rural fut
remis en question par la croissance accélérée des capitales africaines
base de l'exercice de nouveaux pouvoirs africains. Ainsi, de véritables
métropoles ont émergé ça et là en compromettant très dangereusement
l'équilibre de la paysannerie. Signalons toutefois que la crise de la
paysannerie ne vient pas uniquement du développement urbain, elle
est aussi provoquée par les ambitieux plans de développement
agricole initiés après les indépendances avec aggravation des
problèmes fonciers en milieu rural,
Ainsi, lorsque les africanistes occidentaux allaient passer la
main à des chercheurs africains, l'enjeu du monde rural n’était plus
évident. Ces derniers vont plutôt s'intéresser à de nouveaux
phénomènes provoqués par la forte croissance des capitales d'Etat.
Dès lors, les premières thèses de Doctorat d'Etat rédigées par les
africains (toujours en Géographie) portaient toutes sur la question
urbaine : A. SECK (1970), MONDJANNANGNI (1976), HAROUNA
(1978)... Cette tendance ira on se renforçant29
.
L'intérêt porté à l'urbanisation semble se justifier de plusieurs
manières :
D'abord à cause du rôle qui revient désormais aux villes dans
le processus de l'organisation spatiale du développement. La ville est
devenue le point clé de cette organisation. Elle intervient dans
l’organisation du territoire suivant trois axes :
1) comme support de la production agricole ;
2) comme animatrice du réseau de la vie de 'relation
dans toutes les parties du territoire national ;
3) comme pourvoyeuse d'emplois de qualité
indispensable à l’amélioration du niveau de vie des
populations.
Compte tenu de ces trois importants rôles, beaucoup de pays
africains ont donc œuvré pour renforcer les structures urbaines dans
leurs différentes actions politiques.
29
SECK, A. Dakar, métropole ouest-africaine. Mémoire de l’IFAN –
Dakar, 1970.
MONDJANNANGNI, A. Campagne et ville au Sud de la République
Populaire du Benin, Paris, Mouton, 1977.
76
L'effort fourni en matière d'urbanisation est surtout remar-
quable dans les pays peu favorisés pendant la période coloniale
comme la Côte-d'ivoire, le Cameroun et le Congo... Ces derniers, par
une organisation administrative bien conçue ont su pallier à
l'insuffisance du réseau urbain.
Ces réformes administratives ont ainsi permis à plusieurs pays
de disposer de trois types de structures urbaines à partir desquelles l'on
peut envisager d'aménager aisément l'espace national. Parmi ces
structures, on peut distinguer :
- les villes d'encadrement national (Capitale d’Etat
ou économique) dont certaines sont devenues de
véritables métropoles régionales à l'échelon de
toute l'Afrique subsaharienne : Dakar, Abidjan,
Lomé, Lagos, Brazzaville, Kinshasa, Naïrobi, etc.
Ces villes, par leur influence et leurs fonctions
dépassent très largement le cadre territorial qui
les supporte ;
- les villes d'encadrement régional (chefs-lieux de
région, de province ou de préfecture). Certaines
comme Bouaké en Côte-d'ivoire, Kumassi au
Ghana, Bafoussam au Cameroun sont
particulièrement dynamiques ;
- les villes d'encadrement sous-régional (chefs-
lieux des unités administratives inférieures).
A part le Nigeria et le Ghana qui disposent d'un véritable
réseau urbain qui ne repose pas sur les divisions administratives, on
peut citer trois exemples où cette politique d'urbanisation volontaire a
bien réussi : la Côte-d'Ivoire, le Cameroun et le Togo.
Si l'on se limite é l'expérience du Cameroun, la planification
urbaine permet à ce pays de disposer d'une armature urbaine
composée comme suit :
- deux villes d'envergure nationale ayant chacune
près de 1 million d'habitants Douala et
Yaoundé ;
- dix villes d'encadrement régional de plus de
100000 habitants chacune parmi lesquelles trois
se font une très forte concurrence sur la place de
77
leur dynamisme régional Bafoussam, Bamenda
et Garoua ;
- 49 chefs-lieux de départements de près de 50 000
habitants ;
- 174 chefs-lieux d'arrondissement de 10 à 20 000
habitants.
Mais le développement excessif de certaines villes
d’encadrement national vient de faire apparaître une quatrième
catégorie de villes, celles des nouvelles capitales conçues
essentiellement pour régler les difficultés de l'intégration nationale et
de l'équilibre de toutes les forces qui participent au processus du
développement.
L'apparition de ces différentes catégogies urbaines et surtout
la rapidité de leur croissance démographique devient l'argument
principal de l'intérêt porté à cette question dans les préoccupations
scientifiques.
En effet, ce rapide développement urbain pose un certain
nombre de problèmes dont la bonne maîtrise devient le garant du
développement national :
- Problème d'un véritable réseau urbain par lequel il
est possible de maximiser tous les flux de biens et
de personnes qui circulent à l'intérieur de la
nation.
- Problème de la croissance urbaine qui soit en
parfaite harmonie avec le développement
économique.
- Problème du bien-être des citadins par un réseau
décent et par la mise sur pied d'un système
efficace de ravitaillement.
- Problème enfin de la ville comme creuset de la
nation en devenir.
Ces différents problèmes sont autant de thèmes de réflexion
scientifique menée tant de l'intérieur que de l'extérieur. Mais ces
réflexions n’ont pas toujours connu les mêmes importances. Les
chercheurs qui ont essayé avant nous de faire un bilan sur l'état des
78
connaissances scientifiques en matière d'urbanisation ont proposé
plusieurs classifications.
Paul Claval par exemple, dans son travail sur "La logique des
villes", repris tout récemment dans une autre publication intitulée
"Géographie humaine et économique contemporaine"30
, a classé ces
travaux suivant cinq grandes rubriques :
1) Ville comme nœud de la nation ;
2) Espace urbain et réseaux urbains ;
3) Les bases de l’économie urbaine ;
4) L'incidence du progrès scientifique sur les villes ;
5) La théorie urbaine.
Ensuite vient la proposition de Philippe Haeringer regroupée à
l'intérieur d'une publication qui s'intitule : la recherche urbaine à
l’ORSTOM Bibliographie analytique31
.
Dans sa démarche, l'auteur distingue plusieurs phases de la
recherche urbaine ; chacune marquée par une certaine innovation.
Première phase : Demi-décennie 1975 - 1980
Elle est dominée par deux principaux thèmes comportant
chacun plusieurs sous-thèmes :
1) La ville dans l'état
- l'incidence démographique ;
- les situations de métropole ;
- l'armature urbaine des espaces ruraux ;
- les migrations induites par la ville.
2) L'homme dans la ville
- la ville, cadre de vie ;
- la novation sociale et économique
Deuxième phase : à partir de 1980
30
Claval, P. La logique des villes : essai d’urbanologie, LITEC, Paris,
1981.
Géographie humaine et économie contemporaine, PUF, Paris,
1984.
31 Haeringer, Ph. La recherche urbaine à l’ORSTOM, Paris, ORSTOM,
1986.
79
1) La ville dans l'Etat
- l'incidence démographique ;
- les migrations induites par la ville ;
- l’armature urbaine des espaces ruraux ;
- Les situations de métropole ;
- les systèmes urbains.
2) L'homme dans la ville
- la ville, cadre de vie ;
- le secteur d'activité dit "informel' ;
- la novation sociale dans la ville ;
- l'homme entre la ville et la campagne.
Par rapport à la période 1975 - 1980, on peut constater
qu'à partir de 1980, deux nouveaux thèmes ont commencé à
préoccuper les chercheurs : le secteur d'activité dit "informel" et
l'homme entre la campagne et la ville. Ces deux classements viennent d'être complétés par un autre
bilan fait par Yves Marguerat concernant le Togo, qui s’intitule
« Bibliographie thématique sur les villes du Togo au 31 Décembre
1984 »32
. Ce travail bien que centré uniquement le Togo est
intéressant dans la mesure où il fait état d'un autre regroupement
beaucoup plus à jour que les deux précédents.
Ainsi Marguerat distingue-t-il quatre principales orientations
comportant chacune plusieurs sous-thèmes :
1) Les villes dans leur contexte
- le contexte spatial, démographique et
économique ;
- le contexte historique et anthropologique ;
2) Etudes générales sur les villes du Togo
3) Monographies
32
Marguerat, Y., Bibliographie thématique sur les villes du Togo au 31
décembre, ORSTOM, Lomé, 1984.
80
- relations villes-campagnes ;
- monographie des villes moyennes ;
- Lomé, études partielles ou générales.
4) Société citadine et problèmes urbains
- structures urbaines, habitat et politiques
d'urbanisation ;
- théories et pratiques foncières ;
- activités et travail leurs en milieu urbain ;
- la société urbaine, composition, évolution,
sociabilité.
Ces différentes classifications sont en retard par rapport à l'é-
volution des recherches urbaines actuelles.
Aussi, avons-nous jugé nécessaire de~proposer un nouveau
regroupement de ces travaux en huit points (cf. bibliographie).
1. - Aspects méthodologiques
2. - les fondements historiques des villes africaines
3. - Mise en place du réseau urbain actuel
4. - La ville dans l’Etat : fonctions de métropole et
d'encadrement administratif
5. - La nature du réseau urbain actuel
6. - Villes et espace national
- rapports ville-campagne
- fonctions économiques
- villes et aménagement du territoire.
7. - Croissance et gestion urbaine
- croissance urbaine
- structure urbaine, habitat et politique
d'urbanisation
- approvisionnement urbain
- sociétés urbaines.
8. - Problèmes des villes africaines
- villes et dépendance
- villes, culture et nation.
Ces différentes classifications montrent désormais la prise en
compte de nouveaux problèmes tels que le rôle des villes dans la
81
dépendance vis-à-vis du monde extérieur, en particulier la dépendance
alimentaire et culturelle.
Mais quel que soit le souci qui nous guide cette classification,
les études qui existent sur les villes africaines malgré leur abondance
n'ont pas suffisamment montré le rôle de l'histoire dans l'héritage
urbain.
L'Afrique connaît des problèmes de gestion urbaine dont la
solution mérite que l'on s'appuie sur les expériences menées dans le
passé.
Dans ce domaine, se pose actuellement au Continent les
problèmes suivants :
- Comment gérer convenablement l'espace urbain ?
- Quelle est la dimension sociologique d'une ville
"moderne" pour les populations africaines ?
- Comment intégrer la campagne à la ville et vice-
versa.
- Comment réaliser l'intégration des villes nées de
la période coloniale au cadre historique et
culturel? etc...
Les trois premières questions sont d'autant plus importantes
que presque partout en Afrique, les villes modernes ne se présentent
plus comme des facteurs d'organisation des campagnes. Pour la
plupart, elles apparaissent plutôt comme les causes de la désor-
ganisation du monde rural, ne serait-ce qu'au niveau de la ponction
démographique qu’elles font subir à ces campagnes à partir de l'exode
rural et des flux migratoires dont elles bénéficient. L'importance de
l'immigration fait poser à la ville le problème de la maîtrise de
l’espace urbain, de la gestion de cet espace à partir de l’équipement et
du ravitaillement adéquats à leur assurer. Sur ces problèmes
d'équipement et de ravitaillement souvent mal assuré se greffe celui du
logement. Devant toutes ces difficultés, les populations africaines
d’origine citadine mènent dans l'ensemble une vie difficile qui fait de
la ville, un cadre permanent d'insécurité sociale. Les grands maux de
nos populations sur le plan moral (chômage, prostitution, vol usage de
la drogue, meurtre etc...) ont désormais pour origine la ville. Dans ces
conditions, la ville n'arrive plus à assumer une de ses fonctions sacrées
qui est d'élaborer la civilisation supérieure. Devant l'incapacité
d'élaborer cette civilisation supérieure, elle se contente d'en importer
de l'extérieur pour les transmettre à la campagne environnante.
82
A ce niveau, il se pose le quatrième problème évoqué plus
haut, celui de l'intégration culturelle des villes africaines ''modernes"
aux civilisations locales dans lesquelles elles se sont insérées.
Ce problème d'intégration culturelle a plusieurs dimensions :
culturelle, architecturale et urbanistique. Cela revient en d'autres
termes à se poser la question de savoir de quel modèle d’urbanisme et
d'architecture l'Afrique a-t-elle besoin pour son épanouissement
culturel, économique et technologique.
Pour montrer en quel terme il se pose, on partira des éléments
qui méritent d'être améliorés à l'intérieur des villes modernes :
- Palais présidentiel ;
- Marchés ;
- Places publiques ;
- Formes de l'habitation et des concessions ;
- Matériaux de construction etc...
Depuis l'indépendance des Etats Africains, les villes capitales
ont bénéficié d'importants investissements consentis pour la
rénovation ou la construction des Palais présidentiels. Ces palais, pour
la plupart, représentent le modèle étranger, en particulier européen. or,
en Europe, les exigences du protocole présidentiel sont fort simples.
En Afrique au contraire, ces exigences nécessitent une conception plus
originale. En effet, le palais reçoit ici une foule immense, voire même
toute la population urbaine qui vient accueillir les différents hôtes de
marque. Au cours de ces visites officielles, les différentes réceptions
qui sont offertes s'accompagnent des danses folkloriques pour
lesquelles il faudrait nécessairement un aménagement spécial.
Lorsqu'on est témoin de plusieurs de ces manifestations, on se rend
compte que les palais construits à l'image européenne ne répondent
plus à leurs différents usages, en particulier aux animations
populaires et mêmes populeuses qui caractérisent le protocole
présidentiel en Afrique.
On peut en dire autant des marchés urbains qui, de plus en
plus se transforment en grands magasins fermés, et dont la
fréquentation se trouve désormais réglée sur les horaires de travail. Or,
une appréciation judicieuse des activités urbaines et de la nature des
marchandises qui s'exposent au marché permet de se rendre compte
que si ces marchés construits en enceintes fermées font économiser
l'espace, leur fonctionnalité n'est pas pour autant aisée. Il se pose ici
83
le problème de l’aération, de la lumière, de mouvement de la clientèle
etc... et surtout de leur adaptation au contexte sociologique.
Quant aux places publiques, elles se font de plus en plus rares.
Très peu de villes africaines possèdent d’espaces verts. On ne voudrait
même pas évoquer ici ces espaces verts pour lesquels les forêts
fétiches et celles qui entourent les villes traditionnelles constituent des
palliatifs heureux. Ce propos concerne plutôt les places publiques qui
font fonction à la fois de centres d'animation culturelle et de marché
de quartiers pour l’exposition des marchandises d’usage courant.
L’absence de ces places dans les différents quartiers des villes
modernes entraîne aujourd'hui l’engorgement des trottoirs qui sont
transformés en lieux de danses populaires et surtout d'exposition des
marchandises d'utilisation quotidienne. L’engorgement de ces trottoirs
provoque quelques débordements qui rendent malaisée la circulation
des véhicules le long des principales artères des villes africaines,
notamment dans les après-midi où toute la vie citadine se transporte le
long des artères de circulation, alors que traditionnellement, celle-ci se
déroulait plutôt sur les places publiques.
Les formes d’habitation et de concession proposées par l'ar-
chitecture moderne ne permettent plus aux familles africaines de
mener une vie réellement intime. Pour pallier cette difficulté, certaines
villes africaines ont adopté le style d'habitation entièrement clôturée
par une imposante maçonnerie. Le caractère massif de ces clôtures
non seulement rend plus cher le coût de l'habitation, mais entraîne
aussi un gaspillage important des matériaux de construction. Quoi
qu'il en soit, les nouvelles formes de l'habitation ont rompu avec ce
que le milieu offre comme valeur de civilisation. Les maisons rondes
qui sont des formes d'adaptation aux conditions climatiques dans
certains milieux deviennent de plus en plus rares.
Enfin, le problème des matériaux de construction est déjà
plus complexe à cause de son implication à la fois pratique et
politique : il devient plus aisé de construire avec des matériaux
importés, même si ceux-ci ne s’adaptent pas toujours au climat, que de
réfléchir à l'amélioration de ceux d’origine locale. Politique parce que
cet aspect illustre celui de la dépendance des sociétés africaines vis-à-
vis de la technologie étrangère. Ces nouveaux problèmes sont
désormais abordés à travers une multitude de travaux dont fait état la
bibliographie ci-jointe.
84
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106
Chapitre 13 :
Démographie et croissance urbaine en
Afrique de l’Ouest.
La population de l'Afrique au Sud du Sahara et celle de
l'Afrique de l'Ouest en particulier a stagné jusqu’à la fin du XIXè
siècle, tandis que la plupart des autres continents étaient déjà en pleine
croissance démographique. Elle n'a commencé à croître de façon
significative qu'au début du XXè siècle. Mais ce n'est qu'après la
deuxième guerre mondiale, avec l'amélioration des conditions
sanitaires et médicales que le boom démographique a pris son essor.
Depuis cette époque, la région enregistre régulièrement des taux de
croissance démographique élevés, proches de 3% par an. Cette
croissance soutenue a fait passer la population de la sous-région ouest
africaine d'un effectif total de 40 millions d'habitants en 1930, à 85
millions en 1960 et à 215 millions en 1990.
De tels taux de croissance qui entraînent un dédoublement de
la population tous les 25 à 30 ans agissent de façon spectaculaire sur
la croissance urbaine. Mais avant de montrer l'importance de cette
croissance urbaine, nous passerons respectivement en revue :
o le bilan de cette croissance démographique ;
o son impact sur l'urbanisation ;
o ses conséquences pour l'avenir.
I. Bilan de la croissance démographique en
Afrique de l’Ouest
L'ensemble des pays de la sous-région ont un taux moyen de
croissance annuelle de l'ordre de 3 %. Mais si l'on jette un coup d’œil
sur les Etats qui composent la sous-région, on peut distinguer trois cas
de figure sur la période allant de 1960 à 1990
- les pays à très forte croissance, supérieurs à 3%
par an ; dans cette catégorie vient en tète la Côte-
d'ivoire avec plus 4%, ensuite la Gambie, le
Sénégal et le Libéria avant la crise
107
- les pays à taux de croissance comprise entre 2 et 3
%, avec une moyenne de 2,7 % par an. Ce sont les
pays les plus nombreux. Par ordre d'importance,
viennent respectivement le Togo, le Nigérian, le
Bénin, le Ghana, le Niger et la Mauritanie
- enfin les pays dont la croissance annuelle se situe
autour de 2 %, tels que la Sierra-Léone, le Mali, le
Burkina-Faso, la Guinée et le Cap-Vert. Cette
croissance inégale se traduit aussi par la
répartition spatiale de la population avec trois
types de densité. Ainsi, distingue-t-on les pays
faiblement peuplés où la densité est inférieure à
20 hbts/km2
comme c'est le cas au Mali, en
Mauritanie, au Niger, en Guinée et en Côte-
d'ivoire. Ensuite viennent les pays intermédiaires
dont la densité est comprise entre 20 et 60 hbts. Il
s'agit notamment de la Gambie, de la Sierra-
Léone, du Burkina-Faso, du Ghana, du Bénin et
du Togo ; puis les pays dont la densité est
supérieure à 60 libts/km2
le Nigeria et le Cap-
Vert.
Cette relation entre habitant et espace aura des
conséquences sur la manière dont les villes seront distribuées en
Afrique de l'Ouest. Pour entrer dans le détail de cette croissance
démographique, on pourrait envisager trois situations : le rappel
historique, la gestion de la croissance démographique et les
conséquences de cette croissance démographique.
A. Rappels historiques de la croissance
démographique en Afrique
Si l'on analyse les différentes courbes qui renseignent sur
l'évolution des effectifs démographiques des grandes régions du
inonde entre 1750 et aujourd'hui, le continent africain occupe une
place moyenne. Comparé aux autres régions du monde, sa croissance
démographique est restée stationnaire jusqu'en 1900, au même titre
d'ailleurs que l'Amérique Latine, alors que l'Asie, l'Europe et
l'Amérique du Nord subissent d'importantes croissances
démographiques qui vont déclencher à partir de 1800 une forte
108
émigration européenne vers l'Amérique du Nord, l'Amérique Latine,
l'Australie et les colonies d'Afrique et d'Asie. Ce n'est qu'à partir de
1900 et plus particulièrement après la fin de la deuxième guerre
mondiale que le taux de croissance est devenu spectaculaire en
Afrique pour rester comme l'un des plus élevés du inonde. Malgré
cette forte croissance, le continent africain est néanmoins le moins
peuplé, à l'exception de l'Australie. Il semble donc que la forte
croissance actuelle tente de régler deux problèmes :
- d'un côté le vide créé par la traite des esclaves se
soldant par la faible densité démographique de la
majorité des Etats africains. Cette faible densité
démographique a des conséquences énormes sur
la manière dont les pays africains rentabilisent
leurs différents équipements et infrastructures de
base. Dans tous les cas, cela constitue un handicap
sérieux dans la distribution et l'entretien de ces
infrastructures et équipements ;
- de l'autre, la forte croissance actuelle tend à
combler le déficit numérique comparé aux autres
régions du monde, et peut-être aussi les difficultés
liées à la mortalité par la persistance des crises
socio-politiques et surtout le développement
extraordinaire de certaines maladies comme le
paludisme et le sida aujourd'hui. Si l'on ne trouve
pas une solution adéquate à ces maladies, il y a de
fortes chances que, malgré sa forte croissance
démographique, l'Afrique éprouve des difficultés
à combler son retard démographique. Cependant,
les études qui ont été faites sur les conséquences
du sida sont moins pessimistes quant à ses
conséquences sur la croissance démographique.
Quoiqu'il en soit, les derniers rapports des Instituts européens
de démographie affirment que cette croissance va fortement baisser
dans les prochaines années par le déclin du taux de fécondité. Pour le
moment, ce taux de fécondité reste très variable ; sa moyenne tourne
autour du chiffre 6, avec quelques pays en pointe comme la Côte-
d'Ivoire, 7,4 - le Mali, 7,1 - le Niger 7,1 - le Bénin 7,1 et la Guinée, 7.
Les pays intermédiaires sont représentés par le Sénégal : 6,1 - le
Burkina Faso : 6,5 - la Sierra Léone : 6,5 et le Ghana : 6. Dans la
catégorie des pays à fécondité basse, se trouvent la Guinée Bissau :5,8
109
- le Cap Vert : 4,3 - tandis que le Nigeria et le Ghana tournent autour
du chiffre 6.
Sur la base de ces différentes données, la question qui mérite
d'être posée est de savoir comment l'Afrique a géré sa forte croissance
démographique de ces dernières années, entraînant un dédoublement
de la population tous les 25 à 30 ans, dans une ambiance de pauvreté
généralisée.
B. La gestion de la croissance
démographique en Afrique de l’Ouest
La plupart des pays qui ont connu de très fortes croissances
démographiques ont exporté les excédents qui en résultent vers
d'autres régions du monde par les mouvements migratoires en
direction des pays lointains. C'est de cette manière que les pays
européens ont conquis le nouveau monde, l'Australie et leurs
différentes colonies de peuplement. Malheureusement, l'Afrique n'a
pas eu de moyens pour se lancer dans la conquête coloniale. Pire, sa
croissance se situe à la fin de toutes les révolutions démographiques
qu'à connues le monde entier. Ainsi, pour faire face à cette situation,
l'Afrique en général et la sous-région ouest africaine on plutôt misé
sur les déplacements internes des populations.
C. Les migrations de population comme
réponse à la croissance
démographique
La mobilité des populations a joué un rôle essentiel dans
l'adaptation des Africains à la croissance démographique. Cette
mobilité a revêtu plusieurs formes : exode rural, migration vers les
régions côtières, et exceptionnellement vers les pays lointains. Sur le
plan interne, l'exode rural s'est fait essentiellement au profit des
capitales d'Etats et de quelques villes secondaires. Cet exode rural a eu
des conséquences énormes sur la croissance de ces villes-capitales.
Beaucoup d'entres-elles sont allées de petites agglomérations de rien
du tout à de très grosses villes aujourd'hui, comme en témoigne le
tableau n°1.
TABLEAU N°1 : Evolution de la population des capitales d'Etats
de quelques pays africains entre 1960 et 1990
110
1960 1970 1980 1990
Lagos 790.000 hbts
1.380.000 hbts
2.400.000 hbts
5.000.000 hbts
Abidjan 200.000 hbts
575.000 hbts 1.250.000 hbts
2.500.000 hbts
Dakar 530.000 hbts
765.000 hbts 1.099.000 hbts
1.700.000 hbts
Accra 342.000 hbts
570.000 hbts 980.000 hbts 1.500.000 hbts
Conakry 115.000 hbts
257.000 hbts 632.000 hbts 1.083.000 hbts
Cotonou 131.000 hbts
214.000 hbts 363.000 hbts 850.000 hbts
Bamako 102.000 hbts
235.000 hbts 480.000 hbts 860.000 hbts
Freetown 138.000 hbts
223.000 hbts 360.000 hbts 680.000 hbts
Ouagadougou 135.000 hbts
214.000 hbts 342.000 hbts 650.000 hbts
Lomé 106.000 hbts
190.000 hbts 347.000 hbts 950.000 hbts
Niamey 59.036 hbts 260.000 hbts Source : Document d’étude WALTP
Comme on peut le constater à la lecture de ce tableau, la
plupart des capitales d'Etat doublent leur population tous les dix ans, à
partir de leur forte croissance démographique supérieure à 6 % en
moyenne par an. Cette forte croissance urbaine est aussi le résultat
d'un autre courant migratoire qui s'effectue de l'intérieur de la sous-
région vers les zones côtières.
Ce sont des facteurs socio-économiques qui justifient ce type
de migration en particulier l'attraction exercée par certains pays côtiers
à partir de leurs avantages écologiques ayant permis le développement
d'une activité agro-exportatrice prospère doublée par la suite d'un
début d'industrialisation. Ainsi, les pays comme le Ghana, la Côte-
d'ivoire et le Nigeria sont restés pendant longtemps des réservoirs pour
la main-d’œuvre venant des pays sahéliens.
Actuellement, les migrations qui s'effectuent à l'intérieur de la
sous-région ouest-africaine affectent trois zones principales : les villes
capitales, la ceinture moyenne de l'Afrique de l'Ouest comprise entre
le 7è et le 1 lé parallèle nord, ayant d'énormes potentialités agricoles,
et enfin les zones côtières généralement caractérisées par leur
développement économique avancé.
Au total, les différents mouvements migratoires ont pour
conséquence sur le peuplement d'Afrique de l'ouest de faire apparaître
111
quatre plages de densité à l'intérieur desquels se structurent les
différents réseaux urbains.
La première zone de peuplement rassemble les principaux
pôles de croissance urbaine dans les pays côtiers et leurs arrières-pays
immédiats. Il s'agit notamment de la région du Cap-Vert au Sénégal,
du Sud de la Côte-d'Ivoire et du Sud des pays du Golfe du Bénin. Ces
différentes zones se caractérisent par leur forte densité de population
de l'ordre de 124 hbts/km2. Elles représentent 41% de la population
régionale pour 8% de la superficie totale, avec un niveau élevé
d'urbanisation de l'ordre de 55%. Ces zones ont connu la plus forte
croissance de ces trente dernières années avec un flux d'immigration
nette d'environ 8,3 millions de personnes, soit un taux d'immigration
de 0,4% par an.
La seconde zone rassemble le reste de l'espace proche des
côtes. Elle représente 28% de la population totale sur 25% de la
superficie régionale. Elle est relativement peu peuplée au regard de ses
potentialités foncières. Elle est également peu urbanisée parce qu'elle
fut pendant longtemps la région d'émigration de l'Afrique, à cause du
développement de certaines maladies comme l'onchocercose. Mais
depuis la maîtrise de cette maladie, elle accueille beaucoup d'étrangers
qui y viennent pour y installer de nouvelles fermes agricoles, mais
surtout des Peul dans le cadre de la transhumance.
La troisième zone correspond approximativement aux pôles
de peuplement issus des anciennes formations historiques du moyen-
âge : empire du Ghana, du Mali, empire Songhaï, etc. C'est aussi le
domaine utile des pays sahéliens. Elle rassemble 25% de la population
sur 13% du territoire. Elle est relativement plus urbanisée à cause de
la présence des chefs-lieux d'Etats qui s'y trouvent et de quelques
reliquats des vieilles cités de l'époque médiévale africaine.
Malheureusement, la zone est actuellement confrontée à de très fortes
contraintes liées à la sécheresse provoquant la dégradation de
l'environnement et des potentialités économiques de base. Cela se
traduit désormais par une émigration qui se fait en faveur de la zone
côtière.
La quatrième zone couvre le reste de l'espace sahélien. C'est la
région dont le potentiel de croissance démographique et économique
est le plus limité et qui constitue l'un des principaux foyers
d'émigration.
Le tableau ci-après résume bien les dynamismes
démographiques et urbains de ces différentes zones de peuplement.
112
TABLEAU N°2 Dynamismes démographiques et urbains des
différents pôles de peuplement ouest-africain
Part de la superficie totale (%)
Part de la population
total (%)
Taux de croissance
de la population
Proportion d’urbains
(%)
Taux de croissance
de la population
urbaine
1960 1990 1960/1990 1960 1990 1960/1990
Zone 1 7 35 41 3,2 25 55 5,9
Zone 2 25 29 28 2,6 10 30 6,4
Zone 3 13 27 25 2,4 8 32 7,5
Zone 4 55 9 6 1,7 6 22 6,0
Régions 100 100 100 2,7 14 40 6,3 Source Etude WALPT , décembre 1994, page 9.
Ce tableau montre bien le caractère inégal de la dynamique de
la croissance démographique en Afrique de l'Ouest. Ce phénomène
entraîne des conséquences énormes sur la manière dont se structurent
les différents réseaux urbains dans la sous-région.
II. Impact de la croissance démographique sur
l’urbanisation
L'évolution la plus marquante des 30 dernières années en
Afrique de l'Ouest est le développement très rapide des villes. Celles-
ci accueillent aujourd'hui plus de 40% de la population contre
seulement 13% en 1960. Le nombre d'urbains est ainsi passé de 12 à
78 millions. Au regard de cette forte croissance urbaine, on peut donc
conclure que les villes absorbent près de 2/3 de la croissance
démographique totale.
Mais cette forte urbanisation caractérise davantage des pays
riches comme le Nigeria, dopé par le boom pétrolier où ce taux
d'urbanisation passe de 15% en 1960 à 49% en 1990. Il en est de
même de la Côte-d'Ivoire dont la réussite agricole s'est traduite par
une rapide croissance urbaine (17 à 47% durant la période 1960-
1990).
Cette urbanisation s'est également développée dans les pays
ayant subi une crise écologique aiguë comme la Mauritanie, avec un
taux de 9 à 42% d'urbains entre 1970 et 1990. Les autres pays
113
sahéliens comme le Mali et le Burkina Faso ont bénéficié des mêmes
phénomènes urbains, mais avec une faible ampleur.
Si on analyse l'ensemble du réseau urbain ouest-africain, on
peut dire qu'il est relativement équilibré. En effet, le phénomène de
croissance urbaine ne se limite pas uniquement au développement de
quelques mégapoles. A ces grosses villes s'ajoutent les villes
secondaires. Ainsi le nombre des villes de plus de 100.000 hbts est
passé de 12 en 1960 à 90 en 1990; celui des centres urbains de plus de
5.000 hbts de 600 à 3.000. On peut donc dire que le réseau urbain
ouest africain commence petit à petit à se structurer même Si les
grandes villes de plus de 500.000 hbts n'assurent encore qu'un
maillage assez lâche de l'espace régional. Elles sont séparées par les
distances de l'ordre de 1.000 km.
Malgré la forte croissance urbaine dont la moyenne se situe
actuellement autour de 6,1%, le rythme d'urbanisation connaîtra un
ralentissement structurel pour se stabiliser autour de 4,5% par an.
Du point de vue de l'organisation de l'espace régional par ces
villes, on peut distinguer plusieurs types de structures fondées sur la
taille des différentes villes africaines.
Ainsi, les principales villes auront une évolution assez
significative axée sur leur capacité à imposer leur rôle au niveau
régional, voire international. Ces plus grandes villes d'Afrique de
l'Ouest assureront les fonctions de polarisation assez significatives.
Par contre, l'ensemble des villes de plus de 100.000 hbts dont
le nombre avoisine 90 actuellement seront appelées à se multiplier
pour atteindre le chiffre de 280 environ, d'ici à l'an 2020. Ce sont elles
qui joueront un rôle important dans l'organisation de l'espace ouest-
africain. Ce rôle leur sera d'autant plus facile qu'elles bénéficieront de
l'appui des petites villes de plus de 5.000 hbts dont le nombre sera
supérieur à 6.000.
Mais en attendant qu'on en arrive là, l'impact de la croissance
démographique et des migrations de population sur l'urbanisation
permet actuellement de distinguer dans la sous-région deux principaux
réseaux urbains qui s'appuient sur deux axes :
- celui reliant Dakar à N'Djamena sur près de 3000
km et qui supporte les villes de Tambacounda
(Sénégal), de Bamako (Mali), de Ouagadougou
(Burkina-Faso), de Niamey (Niger), de Sokoto
(Kano, Maiduguri (Nigeria) et N'Djamena
(Tchad) ;
- le second axe longe la côte entre Abidjan et
Douala sur près de 2000 km et comprend les
114
agglomérations d'Abidjan, Accra, Lomé,
Cotonou, Lagos, Abeokuta, Ibadan, Benin-City,
Onitshia, Enugu, Port Harcourt, Calabar et
Douala.
Ces différents réseaux sont relativement équilibrés. La région
d'Afrique occidentale compte à la fin du 20è siècle quelques 3.000
centres urbains de plus de 5.000 hbts, répartis comme suit :
1960 1970 1990
Nombre de villes 623 1.164 3.049
Population urbaine 12.499.000 25.142.000
78.350.000
Les villes qui se sont développées sur l'axe Dakar-N'Djamena
sont presque toutes des capitales d'Etats ou d'Etats fédérés. Elles
doivent leur croissance actuelle davantage à l'exode rural qu'à la
migration internationale. Cet exode rural est la conséquence de la
sécheresse qui sévit dans cette partie. A titre d'exemple,
Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso reçoit à elle seule environ
39% des flux migratoires ruraux en direction des centres urbains du
Burkina Faso. Par contre, elle accueille peu d'étrangers, à l'exception
des grandes manifestations qui s'organisent dans la ville tel que le
FESPACO ou le CIAO. Mais les étrangers qui arrivent à cette
occasion n'élisent pas domicile dans la ville.
A l'opposé, la croissance des villes côtières est largement
tributaire du flot des étrangers qui viennent pour la plupart des pays
sahéliens. Le cas d'Abidjan est significatif de ce point de vue ; ville d'à
peine 400.000 hbts en 1967, avec 8,9% de la population nationale, elle
atteint en 1990 2.500.000 hbts, soit 1/5 de la population totale. Elle est
passée de la place de 5è ville en 1965 à celle de 2ème ville après
Lagos en 1990. Toutes ces villes côtières doivent leur forte
concentration humaine d'abord à l'essor des cultures d'exportation,
ensuite du pétrole et des minerais, puis enfin à leur fonction portuaire.
Pour terminer, on peut dire que la croissance démographique
entraîne des conséquences importantes sur la croissance urbaine. Au
regard des évolutions en cours, cette croissance démographique va
provoquer deux types de peuplement dans la sous-région ouest-
africaine.
1. La nouvelle image du peuplement ouest-africain. Celle-ci se
traduira par trois plages de densité qui affecteront :
115
- la zone côtière qui concentre actuellement environ
45% de la population
- la partie intermédiaire correspondant à la fameuse
"middle belt" des Anglais. Naguère vide
d'hommes, elle bénéficie actuellement de la
recolonisation agricole fondée sur le
développement des cultures vivrières, du coton et
sur le stockage d'une partie du bétail originaire du
sahel ;
- les zones péri-urbaines des villes sahéliennes
s'étant développées sur l'axe Dakar-N'Djaména.
Mais l'avenir de cette troisième zone de
peuplement dépendra de ses liens avec les pays
côtiers.
Au total, la nouvelle image du peuplement ouest-africain
comportera trois plages aux potentialités différentes qui exigent que
l'on mette davantage l'accent sur la construction des ensembles
régionaux homogènes afin de tirer meilleur profit du fonctionnement
de ces différents môles de peuplement.
2. L'émergence des pôles urbains du Golfe du Bénin. Il s'agit
ici des villes côtières qui se développent entre la Côte-d'ivoire et le
delta du Niger avec la création du véritable chaîne de villes qui fera du
golfe du Bénin la région la plus urbanisée du continent africain. On y
compte déjà plus de cinq villes de plus 2.000.000 d’habitants chacune:
Abidjan, Accra, Lagos, Ibadan, Benin-City et Port-Harcourt. Ces
grosses agglomérations satellites d'autres centres de près d'un million
d'habitants chacune Lomé, Cotonou, Abéokuta, Owéri, Abba et
Calabar. Entre ces différentes villes se trouvent plusieurs centres
secondaires comme Grand-Bassam, Bonoua, Aboisso (Côte-d'ivoire),
New-Town, Haîf-Assini, Eziama, Discove, Tacoradi, Secondji, Elm
ina, Cape-Coast, Winneba, Tema, Ada, Keta, Denou, Aflao (Ghana),
Kpèmè, Anécho (Togo), Grand-Popo, Comé, Ouidah, Porto-Novo
(Bénin). Badagry, Ikorodu, Shagmu, Ijebu-Odé, Oré, Ikoko, Sapalé,
Wari, Inagoa (Nigeria). La concentration des villes sur l'axe Abidjan-
Port-Harcourt provoque une rapide évolution spatiale se traduisant par
la réduction considérable des distances qui séparent chacune des
agglomérations entre elles. Ces distances sont inférieures à 50 km.
Dans une telle mutation spatiale, la notion de frontière n'a plus de sens
et celle des Etats souverains risque d'être ébranlée dans son fondement
juridique.
116
Au terme de cette étude sur démographie et croissance urbaine, on
peut donc affirmer que l'Afrique connaît aujourd'hui de très grandes
mutations. Celles-ci entraînent plusieurs conséquences qui méritent
que l'on repense sérieusement les différentes approches de
développement, tant en terme de priorités agricole et industrielle qu'en
ce qui concerne les préoccupations d'intégration régionale. Les
populations africaines sont déjà conscientes de ces différents enjeux,
d'où d'ailleurs le développement extraordinaire des migrations de
population et celui des échanges commerciaux informels dans la sous-
région. La question de fond est celle de savoir comment les Etats
respectifs peuvent-ils accompagner ces différents dynamismes qui
structurent l'espace ouest-africain autrement que les différentes
propositions en cours d'expérimentation dans la sous-région telles que
la Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest
(CEDEAO), et l'Union Economique et Monétaire Ouest Africain
(UEMOA).
117
Chapitre 14 :
Les villes africaines en crise : les grands
traits de la dégradation du milieu urbain
La croissance urbaine est devenue un phénomène
extraordinaire en Afrique et singulièrement en Afrique de l'Ouest. Le
développement urbain est la conséquence d'une politique ambitieuse
menée par les pouvoirs politiques dans le cadre des différentes
réformes administratives. Ainsi, la ville devient le principal signe de
progrès accompli par les Etats depuis leur accession à l'indépendance.
L'avenir de l'Afrique dans les prochaines années se jouera dans les
villes. Les études récentes sur l'évolution de la croissance urbaine en
Afrique et notamment dans la sous-région ouest-africaine révèlent
qu'entre 1960, année des indépendances et 1990, le taux de
l'urbanisation est passé de 13 à 40% portant ainsi l'effectif des citadins
de 12,50 à 78,4 millions d'habitants33
. Les mêmes études estiment
qu'ici à l'an 2020, plus de 60% de la population de la sous-région
vivront dans les villes, soit environ 250 millions d'habitants.
Malheureusement, cette évolution urbaine spectaculaire est
aussi devenue le facteur de crises à la fois pour les citadins eux-
mêmes que pour les Etats qui ont la responsabilité de gérer ce
phénomène urbain. La crise urbaine à plusieurs dimensions :
- dégradation des milieux urbains ;
- tensions sociales assez graves ;
- fort endettement de l'Etat, pour faire face à la
demande urbaine toujours croissante.
Le but de ce travail est de dégager quelques traits de ces
dégradations en mettant l'accent sur celles qui touchent
l'environnement. Pour ce faire, on insistera sur quatre points:
1. Les raisons de la crise urbaine en Afrique ;
2. Les aspects de la dégradation des milieux urbains ;
3. Les solutions préconisées ;
33
Etude des prospectives à long ternie de l’Afrique de l’Ouest. Club du
Sahe1. décembre 1994.
118
4. Les perspectives d'avenir.
I. Les raisons de la crise urbaine en Afrique
Pour justifier les difficultés posées par la croissance urbaine en
Afrique, on peut d'abord se demander si la ville comme cadre de vie
fait partie des civilisations africaines. Cette question parait importante
dans la mesure où elle pose la problématique de la croissance urbaine,
le problème du modèle urbain et les questions relatives à la gestion
urbaine. Même si plusieurs sociétés africaines ont géré leur
civilisation traditionnelle à travers les villes, comme c'est le cas des
Yoruba, des Haoussa du Nigeria et des populations mandingues du
Sahel, il n'en demeure pas moins que le modèle urbain actuel a fait son
apparition dans le sillage de la colonisation et de l'économie de
dépendance. De ce point de vue, la ville apparaît comme le meilleur
instrument de l'exploitation coloniale ; c'est le relais entre les marchés
africains et internationaux. Cette fonction de la ville africaine justifie à
notre avis les difficultés actuelles dans la mesure où elle a d'énormes
conséquences sur le cadre géographique d'implantation urbaine, sur
les principales fonctions urbaines, le modèle de son accroissement et
les différents services proposés aux citadins.
A. Le cadre géographique de
l’implantation urbaine
Si l'on procède à une analyse minutieuse des sites urbains en Afrique,
on peut classer ceux-ci en plusieurs catégories :
- Facilité de communication (voies fluviales, régions
côtières, carrefours de circulation) ;
- contreforts montagneux servant de refuge aux populations
en difficultés;
- pleines découvertes avec d'énormes facilités de visibilité ;
- zones de contact écologique et même temps de marché
entre différentes possibilités de production.
Les contreforts montagneux, les pleines découvertes et les
zones de contact écologiques ont été plutôt les préférences des
populations africaines. Ainsi, la plupart des villes traditionnelles en
Afrique de l'Ouest ont été bâties sur de pareils sites (les anciennes
cités du moyen âge africain comme Awdaghost, Koumbi-Saleh, villes
119
haoussa et yoruba par la suite...). Il n'y a que quelques rares exceptions
de villes qui soient créées le long des cours d'eaux : exemple de Gao,
de Djenné au Mali...
Par contre, les villes qui ont été fondées par les Européens ont
pour site le bord des fleuves pour des raisons de circulation ou les
régions côtières pour cause d'ouverture sur le monde extérieur.
Comme exemple on peut mentionner :
- les anciens escales du fleuve Sénégal comme Diagana,
Podor, Richard-toll, Bakel, créés pour la traite de la
gomme arabique. On peut aussi mentionner l'exemple des
villes nigérianes d'Onitsha et de Jeba sur le fleuve Niger
pour faciliter l'évacuation des principales productions
agricoles de l'intérieur vers la côte ;
- les anciens carrefours marchands comme Bobo-Dioulasso
au Burkina-Faso, Parakou au Bénin ;
- les ports maritimes, nombreux en Afrique de l'Ouest :
Nouadibou, Nouaktchott (Mauritanie), Saint-Louis,
Dakar (Sénégal), Banjul (Gambie), Conakry (Guinée) ;
- Abidjan (Côte-d’Ivoire), Accra (Ghana), Cotonou
(Bénin), Lagos (Nigeria), etc. Ce sont d'ailleurs ces villes
côtières qui sont par la suite devenues les capitales d'Etats
et les plus grosses agglomérations de la sous-région. Or,
lorsqu'elles ont été choisies pour servir de comptoirs
commerciaux, personne d'imaginait qu~elles allaient
devenir les plus grosses agglomérations car leur site
présente plusieurs inconvénients malgré les facilités
d'ouverture sur le monde extérieur.
- la plupart sont bâties sur des cordons littoraux au sol très
mouvant avec une faible profondeur de la nappe
phréatique. Cette situation présente à la fois le risque
d'érosion côtière et d'inondation permanente.
- certaines de ces villes sont situées entre la nier et la
lagune, avec un site parfois plus bas que le niveau de la
mer. Ce site est seulement protégé par quelques cordons
littoraux qui malheureusement sont exploités comme
carrière pour le ramassage du sable nécessaire à la
construction des habitations. Tout cela occasionne
l'érosion côtière et les risques d'inondation.
120
Au total. les sites choisis par le colonisateur pour implanter
ses premiers comptoirs commerciaux sont donc impropres pour
accueillir de grosses agglomérations. Ces situations posent aujourd'hui
et de façon dramatique le problème d'extension des espaces urbains
(cas de Cotonou, de Lagos, de Freetown, coincées entre la mer et la
lagune), le problème de la remontée de la nappe phréatique en surface
avec le risque d'inondation permanente, de la pollution des eaux des
puits et des difficultés à disposer d’une voirie bien fonctionnelle.
B. Les fonctions premières des villes
coloniales
Celles-ci étaient uniquement axées sur le transit, d'où la
construction des wharfs, et par la suite des ports. Cette fonction de
transit était suffisante compte tenu de la précarité des sites.
Malheureusement, les ressources générées par les activités de transit
ont eu pour conséquence de priver les anciennes capitales qui étaient
en retrait par rapport à la mer de leur fonction d'encadrement national :
Bingerville perd son titre de capitale au profit d'Abidjan, Porto-Novo
également au profit de Cotonou. En s'élevant au rang de capitales
d'Etats, toutes ces villes sont ainsi devenues des hydres dont la
croissance et la gestion sont difficiles à maîtriser aujourd'hui. On peut
donc dire qu'à partir de leurs fonctions, il y a trop de choses à faire à la
fois dans les villes capitales qui finalement empêchent les pouvoirs
publics de faire quoique ce soit ou du moins le minimum.
C. L’absence d’une planification urbaine
rigoureuse
L'absence d'une politique efficace de planification urbaine
empêche les pays d'Afrique de l'Ouest, exceptés la Côte-d'ivoire, le
Nigeria et le Ghana, de disposer d'un bon tissu urbain.
Ainsi, la ville capitale devient la seule ville digne de ce nom.
Quelques rares fois, deux agglomérations se font âprement
concurrence (exemple de Cotonou et de Porto-Novo au Bénin de
Douala et de Yaoundé au Cameroun, de Ouagadougou et de Bobo-
Dioulasso au Burkina Faso...). Cette concurrence débouche le plus
souvent sur l'abandon de toute politique urbaine ou sur la dispersion
121
des maigres moyens dont dispose l'Etat pour mieux aménager ces
agglomérations.
La suprématie de la ville capitale sur les autres centres devient ainsi
l'une des causes des crises et particulièrement celle de
l'environnement. En effet, la gestion de cette ville capitale est
extrêmement coûteuse à la nation tant sur le plan financier, sur le
dynamisme de la production économique, notamment agricole que sur
la possibilité de pratiquer une véritable politique d'indépendance
nationale.
D. Les conséquences d’une migration
urbaine incontrôlée
Le trop grand poids de la ville capitale au détriment des
agglomérations de l'intérieur a pour conséquence le développement
extraordinaire de l'exode rural doublé de l'arrivée des étrangers. Cette
migration est aggravée par l'incapacité des Etats d'initier une politique
de mise en valeur équilibrée des différentes régions du pays, se
traduisant par la prépondérance d'un secteur sur le reste des activités
économiques : monoculture agricole d'exportation, exploitation d'une
ressource minière, etc. L'argent apporté par cette mono-activité
économique va d'abord au profit de la ville capitale même au
détriment parfois de la zone productrice de cette richesse agricole ou
minière. Ainsi, lors du boom pétrole du Nigeria entre 1973 et 1978, on
disait que pour pouvoir profiter des avantages de la rente du pétrole, il
faut être à Lagos ou à Kano et par la suite à Abuja où une partie
importante de cette rente pétrolière permet d'initier de grands travaux
d'infrastructures urbaines (échangeurs de Lagos, aménagements
routiers de Kano et construction d'Abuja). Toutes ces options
économiques ont induit une forte migration urbaine qui a ruiné les
principaux secteurs agricoles du Nigeria, la richesse avant la
découverte du pétrole. Ce modèle nigérian s'applique aussi à la Côte-
d'Ivoire durant le miracle ivoirien et probablement à la Guinée avec
l'économie de la bauxite.
Cette migration interne fut amplifiée par les différentes crises
politiques qui secouent actuellement la sous-région, entraînant
d~importants flots de réfugiés vers les villes encore en paix comme
Abidjan, Dakar, Accra et Cotonou.
On petit enfin mentionner les conséquences des différentes
années de sécheresse qu'ont connu les pays sahéliens avec l'arrivée
massive des populations de l'arrière-pays vers la ville capitale où
122
l'accès à la nourriture à partir de l'aide alimentaire massive paraît plus
facile.
Au regard de l'ampleur des migrations urbaines, on peut, sans
exagérer, affirmer que la ville capitale est devenue le mirage de la
nation, entraînant une croissance exceptionnelle avec le débordement
du phénomène par manque de moyens pour le contenir. C'est ce
débordement urbain qui paraît à nos yeux comme la principale cause
des crises urbaines.
II. Les manifestations de la dégradation des
milieux urbains
La dégradation des milieux urbains africains sur le plan
environnemental concerne plusieurs aspects à la fois : la dégradation
du milieu physique, des besoins non satisfaits des citadins et de
l'atmosphère sociale.
A. La dégradation du site
La première chose qui frappe l'étranger qui arrive dans une
ville africaine concerne d'abord la mauvaise qualité du tissu urbain, se
manifestant par l'état délabré des habitations, (en particulier dans les
zones dortoirs), des rues, et parfois de l'atmosphère d'insécurité qui
règne dans les grandes cités. Mais plus on se familiarise à ces cités,
plus on se rend compte de l'ampleur de l'érosion côtière qui détruit des
pans entiers des quartiers situés sur le littoral. Et si le séjour a lieu
pendant la saison pluvieuse, on est alors témoins de grandes
catastrophes d'inondation provoquées par les pluies torrentielles ou les
crues inattendues des fleuves ou lagunes au pied desquels est bâtie
l'agglomération.
Les rues des cités africaines souffrent de plusieurs
manifestations de dégradation :
Elles sont impropres parce que peu nettoyées par les riverains.
Certaines d'entre elles sont transformées en des dépotoirs
d'ordures ménagères, faute d'un service correct de ramassage
des déchets, ou pour combler les zones qui s'inondent en
saisons de pluie;
123
elles sont ravinées par l'érosion, faute de caniveaux, et Si
ceux-ci existent, ils bénéficient rarement d'entretien ou alors
servent de lieu de déversement des eaux usées de ménage;
elles sont ensablées lorsqu'elles sont bitumées ou alors
jonchées de nids-de-poule qui les transforment en de véritable
gruyère. Les familiers de la ville de Cotonou connaissent le
surnom de cette ville durant la crise économique du Bénin des
années 88-89 : "Cototrou".
Quant aux habitations, la dégradation porte d'abord sur la
hiérarchisation des quartiers. Ainsi, les quartiers dortoirs dans la
plupart des villes d'Afrique de l'Ouest sont très délabrés, depuis les
murs, en passant par la toiture des maisons. Peu de ces quartiers
dortoirs possèdent des rues de bonne qualité, d'eau potable et d'un
système d'assainissement adéquat. Mais le plus grand danger de ces
quartiers concerne leur système électrique extrêmement précaire, le
plus souvent qualifié de Toile d'araignée. C'est aussi dans ces quartiers
dortoirs que les autres formes de dégradations provoquées par les
différents besoins urbains sont les plus prononcées. D’ailleurs, ces
quartiers dortoirs occupent les sites médiocres, en permanence sujets à
des dangers de toutes sortes : inondation, glissement de terrain... Ces
sites médiocres concernent les zones marécageuses qui font suite aux
cordons littoraux, les bras de lagune ou de fleuve ou les rebords de
plateau au sol mouvant.
Normalement, ces sites à hauts risques devraient être réservés
à des espaces verts si la ville africaine bénéficiait d'une gestion
rigoureuse. Plusieurs villes comme par exemple Cotonou, ont interdit
l'occupation de ces sites dangereux ; mais le besoin croissant de terres
pour construire face à la forte migration urbaine n'a pas permis de
respecter cette loi. Parfois, c'est l'Etat même qui aggrave la situation
en vendant certaines zones à risque comme par exemple les régions
littorales fortement soumises à l'érosion côtière. Ainsi, l'une des zones
résidentielles de Cotonou (la Zone des Ambassadeurs) est
actuellement menacée de disparition par l'érosion côtière.
B. Les dégradations provoquées par les
différents besoins urbains.
C'est surtout dans la manière d'exploiter les avantages de sites
urbains pour les besoins des citadins que se sont produites plusieurs
124
formes de dégradations. Ces dernières formes de dégradation sont
importantes et revêtent plusieurs aspects .
1. La question de l'eau
L'alimentation en eau potable est un des besoins primordiaux
des citadins. Au fur et à mesure que la ville s'accroît, ce besoin devient
difficile à satisfaire d'abord par l'insuffisance des moyens financiers,
ensuite parce que l'occupation de l'espace urbain est anarchique et le
lotissement des parties occupées se fait avec beaucoup de retard. Au
fur et à mesure que la ville s'étend, elle incorpore plusieurs villages
avoisinants où le seul moyen de disposer de l'eau potable est le forage
des puits traditionnels. L'utilisation de ces puits se généralise ainsi à
toutes les villes africaines, y compris même dans les quartiers
résidentiels, afin de pallier à la pénurie d'eau potable. La
généralisation de ces puits affecte la nappe phréatique qui s~épuise ou
qui se pollue. La plupart des puits sont ainsi impropres ou deviennent
salées comme c'est le cas actuellement à Dakar, Cotonou et Lagos.
2. La question des déchets de ménage
Cette question est préoccupante, d'abord à cause de la forte
demande, ensuite des maigres moyens mis à la disposition de la voirie
et des grandes distances à parcourir pour ramasser ces déchets. A titre
d'exemple, les voies urbaines de Cotonou au Bénin, mesurent
actuellement plus de 1.500 km, soit plus que la distance Cotonou-
Niamey. Cela demande beaucoup d'argent qui manque le plus souvent
aux Etats. Même si ces moyens existent, le second problème est celui
des dépotoirs d'ordures qui se font de plus en plus rares, ou qui sont
difficiles à gérer à cause de la nature même des déchets. Actuellement,
les meilleurs clients de la voirie et des sociétés privées qui
interviennent dans ce domaine sont les jardins maraîchers. Mais la
difficulté de ces jardins réside dans la composition des déchets urbains
devenue très complexe. Une étude réalisée sur les villes du Nigeria
illustre bien cette complexité conformément au tableau ci-dessous.
125
TABLEAU N°1 : Composition des déchets ménagers de quelques
villes nigérianes
Composition des déchets Zone résidentielle 5% Zone traditionnelle
Feuilles 4,3% 50,1%
Reste de nourriture 19,2% 6,4%
Papier 26,2% 15,2%
Matières plastiques 8,9% 4,8%
Objets métalliques 11,4% 7,8%
Os 16,7% 29,8%
divers 1,5% 4,5% Source : Adepoju Onibuku : croissance et gestion urbaine au Nigeria, in
Villes africaines en crise, l’harmattan, Paris 1993 p. 105
Au regard de ce tableau, il apparaît clairement que
l'exploitation de ces déchets pose beaucoup de problèmes en raison de
cette variété d'objets.
Mais ce ne sont pas seulement les déchets dures qui posent
problèmes il y a aussi des déchets liquides, venant de l'épuration des
égouts ou des fausses septiques individuelles ou collectives. Pour
vider régulièrement ces déchets liquides, on a besoin d'une grande
flotte de camions-vidangeurs. La plupart de ces camions font toujours
défaut en Afrique.
3. Le problème de l'énergie
Cette question se pose par rapport à l'énergie de cuisine, dans
la mesure où peu de villes africaines utilisent encore de gaz pour
préparer les repas. Dans beaucoup de ménages, le combustible
domestique le plus utilisé est de loin le charbon de bois. La plupart des
ménages dépendent de ce charbon de bois, à hauteur de 60%. Le
charbon est complété par le bois de combustion, de l'ordre de 30 à
40%. L'utilisation du bois de feu ou de charbon a pour conséquence
immédiate la destruction des cordons forestiers qui entourent les villes
africaines. Cette destruction du couvert forestier aggrave ainsi la
pollution de l'air, provoquée par le développement des industries et les
différents modes de transport urbain.
4. La pollution par le transport urbain et par le bruit.
Les moyens de transport publics sont très variés dans les villes
africaines. Mais quatre participent à la pollution : les bus, les voitures
126
personnelles, les taxis-autos et les engins à deux roues qui sont en
train de prendre les places des taxis-autos. Ici, à la différence de
l'Europe, il manque encore de transport urbain par voies ferrées. Ainsi,
les villes africaines sont affectées à la fois par le bruit de ces différents
moyens de transport et surtout par la fumée venant des pots
d'échappement. La situation est devenue critique ces dernières années
avec les voitures et engins d’occasion qui viennent de l'Europe et de
l'Extrême-Orient. Ces moyens de transport vétustes consomment
beaucoup de carburants et polluent énormément. Certaines de ces
villes ont même dépassé le seuil critique comme Lagos, Kano et
Abidjan. La situation est d'autant plus critique qu'il y a peu d’espaces
verts à Lagos et à Kano.
5. La dégradation de l'environnement social
Elle se remarque notamment par les difficultés de la vie
quotidienne, rendant ainsi la vie moins attrayante dans les principales
villes africaines. Parmi ces difficultés, on peut signaler celles relatives
à l'emploi, à l'alimentation. à la santé, au logement et plus
particulièrement à la gestion des relations sociales, sans bien sûr
perdre de vue les problèmes de la criminalité et des tensions sociales
parfois très fortes
Ces difficultés résultent de plusieurs phénomènes :
- le partage inégal des rentes des matières premières entre
les différentes couches de la population urbaine ;
- la généralisation du programme d'ajustement
structurel, entraînant plusieurs conséquences sociales, à
partir de la perte d~emploi, de l'arrêt de recrutement dans
la fonction publique, de la mauvaise scolarisation, de la
déficience des soins de santé ou tout simplement de la
précarité de la vie. Toutes ces difficultés augmentent la
proportion de la population vulnérable et ternissent
l'image de la grande ville ci tant que miroir de la nation ;
- les crises politiques aiguës, notamment dans les pays
comme le Nigeria, le Liberia et le Togo ces dernières
années. Ces crises ont fait éclater au grand jour dans
certaines villes des revendications identitaires fortement
soutenues par les enfants de la rue. Ainsi à Lagos, les
originaires de la ville se sont constitués en lobbies très
puissants, soit autour des entreprises commerciales ou des
enjeux fonciers pour exiger plus de responsabilité dans la
127
manière dont se gèrent la distribution des places
marchandes et le patrimoine foncier. Cette exigence
débouche sur des phénomènes de marginalisation des non
autochtones contraints à abandonner leurs différents
privilèges urbains. Ce phénomène touche aussi la ville de
Dakar, de Conakry et surtout d'Abidjan à partir de la
question de l'Ivoiriété soulevée par quelques partis
politiques.
Aujourd'hui, les nouveaux migrants qui arrivent dans les
grandes villes pour s'enrichir ou pour s'émanciper sont confrontés à
cette situation de marginalisation qui les pousse vers des pratiques
dangereuses ; drogue, vols à main armée, prostitution avec le risque
des maladies vénériennes ou de sida. Ainsi, on vient désormais dans la
ville africaine davantage pour y mourir ou tout au moins pour perdre
son âme, à partir de la mauvaise gestion des relations sociales par
absence d'une structure correcte d'insertion des jeunes à leur nouveau
milieu.
III. Les approches de solutions à la crise urbaine
Les problèmes qui affectent les villes africaines en terme de leur
gestion sont nombreux, d'où la multitude des approches préconisées.
En se limitant à la seule question de la dégradation de l'environnement
on peut insister sur trois solutions possibles.
A. Les aménagements de protection et le
renforcement des services de la voirie
Dans ce sens, les solutions proposées sont nombreuses.
1. La construction des dignes de protection
Ces digues sont surtout construites pour protéger les cordons littoraux
contre l'érosion côtière. Les digues de protection concernent une partie
de la côte sénégalaise et togolaise. Elles sont complétées par quelques
épis.
2. L'assainissement des zones inondables
128
Les solutions préconisées dans ce domaine sont également
variées. Il y a les travaux d'aménagement urbains à partir des canaux
d'évacuation. La Côte-d'ivoire, le Nigeria et le Bénin ont énormément
investi dans ce genre de travaux. La ville de Cotonou bénéficie en ce
moment d'un important financement japonais polir ce type de
réalisation.
La seconde solution préconisée est la plantation des arbres
appropriées pour assécher les zones marécageuses, en particulier
l’écalyptus. Cette plantation d'écalyptus est très répandue au Congo et
au Rwanda, pour ne citer que ces deux pays. Cette solution qui porte
sur la création d'un espace vert en milieu urbain contribue à
l'amélioration de la biodiversité.
3. Le rôle de la ceinture verte pour faire face à la pollution de
l'air
Pour diminuer la pollution de l'air dans les grandes villes
africaines, on mène trois actions simultanément :
- l'aménagement des voies urbaines par la plantation des
arbres de bordure ;
- l'aménagement des parcs publics ;
- l'agriculture péri-urbaine.
Ces trois actions créent un couvert arboré qui contribue de
façon non négligeable à l'abaissement de la teneur de l'air en particules
en suspension et en gaz toxiques ou à effet de serre. On pense qu'un
hectare d'arbres peut fixer 50 tonnes de poussière en un an et un
hectare de pelouse 5 tonnes de poussière.
B. Le recyclage des déchets
Les déchets durs sont désormais recyclés de plusieurs
manières : par l'incinération, la production de biogaz, le compostage et
la mise en décharge.
L’incinération pose beaucoup de problèmes dans la plupart
des villes africaines à cause de la richesse des ordures en matières
organiques fraîches, en matières métalliques et en cristaux.
Cependant, elle commence à se généraliser un peu partout, notamment
dans les quartiers situés à la périphérie des centres urbains.
La production de biogaz est encore sous forme expérimentale
en ce qui concerne les ordures ménagères. Plusieurs ONG
commencent à sensibiliser les Africains à cette méthode, afin de
129
diminuer l'utilisation du charbon de bois et de pallier l'insuffisance de
gaz domestique.
Pour le moment, c'est le compostage qui marche le mieux en
raison du développement extraordinaire des activités de maraîchage.
Dans plusieurs villes d'Afrique comme à Bamako, Lomé, Cotonou,
etc, il existe toute une filière de compostage artisanale des ordures
ménagères pour la vente aux maraîchers.
Mais si on commence à recycler les déchets durs, ceux
d'origine liquide ne font pas encore l'objet d'une grande attention
malgré leur bon usage dans beaucoup de pays asiatiques et d'Afrique
australe.
C. Les solutions techniques
Elles concernent l'amélioration des services de gestion
urbaine, notamment le désengagement de l'Etat des secteurs qui
demandent de gros moyens tels que le ramassage des ordures
ménagères et la vidange des différentes fosses. Ainsi, les services de
ramassage des déchets solides et liquides ainsi que de leur traitement
sont en train d'être cédés à des sociétés privées qui deviennent de plus
en plus nombreuses dans les villes africaines. On pense que pour
mieux résoudre ces problèmes, la meilleure solution serait de mettre
en place une structure qui puisse à la fois travailler avec l'Etat et les
citadins eux-mêmes.
Malgré les efforts fournis pour résoudre les problèmes de la
dégradation des milieux urbains africains, les risques naturels et
technologiques ne sont toujours pas bien maîtrisés. On ne sait pas
encore se protéger contre les fortes pluies tropicales qui provoquent
des inondations périodiques, ni les crues inattendues de certaines
rivières et fleuves qui traversent les villes. En conséquence, beaucoup
d'agglomérations continuent toujours de souffrir des crues
dévastatrices comme c'est le cas en 1960, 1963 et 1980 à Ibadan au
Nigeria.
IV. Les perspectives d’avenir
L'avenir des problèmes urbains africains passe par une politique
d'ensemble éclairée et volontariste, appuyée des structures et des
moyens performants. Par rapport à cela, on peut envisager pour
l'avenir plusieurs démarches.
130
1- DIVERSIFIER LES EQUIPEMENTS DE BASE A L'INTERIEUR DES VILLES
Cette approche suppose que la ville deviennent un lieu
d'innovation. Celle-ci peut porter sur l'amélioration des activités qui
participent à l'assainissement du milieu naturel et urbain comme par
exemple le développement de l'agriculture urbaine. Pour cela, il faudra
régler les problèmes fonciers que cette agriculture pose, en élaborant
des lois claires sur le marché foncier, en assurant Lin bon débouché
pour les produits maraîchers et en professionnalisant le métier de
jardinier.
Parallèlement, on doit aussi initier des projets nouveaux sur
les espaces publics. Les villes africaines souffrent cruellement du
manque d'espaces publics. Il faudrait commencer à prendre intérêt à
de pareils aménagements qui font la beauté des villes européennes. De
tels aménagements pourront d'ailleurs permettre de désengorger les
rues souvent assiégées par la foule massive des villes tropicales.
2- PRIVILEGIER LA GESTION COLLECTIVE DES RESSOURCES
NATURELLES
Face à l'épineux problème posé par la gestion de
l'environnement, les responsables politiques doivent s'orienter vers
plusieurs solutions à la fois :
- la gestion directe des problèmes ;
- la gestion déléguée des problèmes ;
- l'incitation économique ;
- la sensibilisation et la mobilisation des populations
urbaines pour l'assainissement et l'entretien de leur
milieu ;
- la planification et l'aménagement de l'espace.
Ces multiples possibilités doivent déboucher sur l'utilisation
de différents instruments de gestion et sur la possibilité d'évaluer
l'intérêt de chaque population urbaine, à partir des critères comme
l'acceptabilité, l'efficacité, l'efficience, le bien fondé des actions,
l'impact et la viabilité de ces actions à long terme. C'est à partir de
cette évaluation que l'on peut développer une vision stratégique de la
gestion de l'environnement.
3- ADAPTER LES STRUCTURES ET LES MOYENS A LA GESTION URBAINE
131
Les responsables des villes africaines doivent apprendre
désormais à mettre en place un dispositif efficace de gestion des
espaces naturels urbains en regroupant les informations nécessaires à
cette gestion, à partir des questions suivantes :
- quel est l'état actuel des espaces naturels ?
- comment évoluent-t-ils ?
- à quels menaces sont-ils soumis ?
- quel usage en tait-on ?
Aucune de ces questions n'a fait l'objet d'un état des lieux
systématiques dans la plupart des villes africaines. Il paraît donc
urgent de pallier à cette déficience d'information en élaborant des
programmes de surveillance des zones naturelles urbaines, en ayant
des instruments de diffusion des informations au public sur l'évolution
de toutes ces questions.
La deuxième solution que l'on pourrait envisager, toujours par
rapport à la création de nouvelles structures pour appuyer la gestion
urbaine serait de mettre en place une Mission espaces urbains naturels
qui regrouperait de façon informelle les services d'assainissement et
de ramassage d'ordures ménagères des différentes municipalités, les
centres de recherche universitaires, les services de l'administration
relevant du Ministère de l'Habitat et de l'Urbanisme et des ONG
travaillant au développement social urbain
La troisième solution serait de former des professionnels de
gestion urbaine ayant une bonne connaissance des espaces naturels en
milieu urbain et en architecture paysagère, etc.
4- INSTAURER UNE VERITABLE POLITIQUE URBAINE PAR
L'ELABORATION D'UN SCHEMA DIRECTEUR D'AMENAGEMENT POUR
L'ENSEMBLE DE LA NATION
Il paraît impossible de maîtriser la gestion des villes africaines
sans modifier leurs structures et leur fonctionnement. Il va falloir donc
diminuer le poids excessif de la ville capitale sur le fonctionnement de
l'espace national. Ceci ne pourra se faire que lorsqu'on envisage de
développer Lin véritable réseau urbain à partir d'un schéma directeur
concerté qui prendra appui d’un côté sur la décentralisation, de l'autre
sur la volonté des pouvoirs publics de procéder à une hiérarchisation
fonctionnelle de l'ensemble de l'armature urbaine nationale.
132
Pour conclure, on peut donc dire que la situation que
traversent les villes africaines aujourd’hui mérite que l'on gère avec
beaucoup d'imaginations leur évolution. Dans le temps, on avait
imaginé les réformes administratives pour cela. A partir de ces
réformes administratives basées sur la création des départements, des
régions ou des Etats fédérés, comme pôles de développement
économique, beaucoup de pays comme la Côte-d'ivoire, le Ghana et le
Nigeria ont réussi à désengorger quelque peu la ville capitale et à créer
un véritable réseau urbain national. Malheureusement, les crises
économiques que ces pays ont connu suite à la mévente de leurs
principales ressources économiques n'ont pas permis de faire aboutir
ce projet urbain national. Les maigres moyens issus de cette mévente
des matières premières n'ont servi finalement qu'au fonctionnement de
la ville capitale qui en a profité pour se développer exagérément.
Malgré cela, l'avenir des villes africaines dépend de la capacité des
Etats à limiter le développement de ces villes capitales en accordant
plus d'attention au développement équilibré des autres régions du
pays, à partir d'une politique vigoureuse d'aménagement du territoire
national.
133
Chapitre 15 :
Urbanisation, culture et Etat-nation :
exemple du Nigeria
L'Afrique noire est surtout composée de sociétés rurales à qui
la colonisation a imposé la ville comme instrument d'intégration
politique, de mise en valeur territoriale, de modernisation
technologique et socioculturelle. Au Nigeria, les cultures des
populations ont souvent procédé de la ville qui assumait à la fois un
rôle de protection, de production et de création et, de ce fait, se veut
l'instrument naturel d'intégration qu'elle est ailleurs. La masse
intégratrice de l'Etat colonial et moderne est venue entraver et
contrarier ces dynamiques internes avec plus ou moins de brutalité :
main de fer dans un gant de velours, elle multiplie les statuts et les
exceptions à même de valoriser les différences, se livre à un travail
incessant de cartographie socio-politique, de répression des sécessions
et des « tribalismes »... Qu'adviendra-t-il dans le long terme ? Faut-il
croire au dépérissement de l'Etat central, ou à la négociation de
compromis successifs par une classe dirigeante dégagée de ses
pesanteurs ethniques '?
Les villes sont parue intégrante de l'histoire nationale du
Nigeria. Les plus importantes d'entre elles ont été fondées alors que
les principaux groupes socioculturels se constituaient. L'histoire des
Yoruba et des Haoussa est d'abord celle de leurs cités.
Selon la tradition, au commencement «le grand dieu
Oludumare envoie seize dieux mineurs créer le monde. Il confie à
Orisha, connu également sous le nom d'Obatala, une calebasse de
sable et un poulet à cinq doigts. Mais au cours de sa descente vers la
terre, Obatala boit du vin de palme, s'enivre et finit par s'endormir.
Profitant de l'occasion, le dieu Oduduwa s'empare du sac de sable et
du poulet; arrivé sur l'océan originel, il vide le sac sur l'eau et met le
poulet dessus. Le volatile commence alors à gratter et finit par faire
apparaître la terre (à l'emplacement actuel de la ville d'lfe). A ce
moment, les autres dieux viennent rejoindre Oduduwa grâce à une
chaîne descendant du ciel dans le bosquet d'Olose... » (34
). En dépit de
son comportement, une nouvelle chance sera accordée à Obatala mais,
34
P. Aziz, « Ife, une grande civilisation africaine arrachée à l'oubli », Jeune
Afrique 3 (mars 1984), pp. 20-25.
134
à nouveau ivre, il fabriquera des monstres que Oduduwa anéantira
avant de créer les hommes « beaux, sains et vigoureux » qui vont
fonder les 16 premières villes yoruba.
Le récit de la fondation du Daura, berceau du peuple hausa,
paraît moins mythique. Un certain Bayajidda, fils de Abdulahi, roi de
Baghdad, se serait querellé avec son père puis expatrié au Bornou dont
Daura était la capitale. Le roi de Bornou avait une fille qu'il donna en
mariage à Bayajidda. De cette union naquit un fils appelé Bawo qui, à
la mort de Bayajidda, monta sur le trône de Daura et eut six enfants.
Chacun d'entre eux fonda les six premières cités hausa (Kano, hiram,
Katsina, Zaria, Rano et Gobir) qui, avec Daura, constituent les sept
Etats hausa légitimes (Hausa Bakwai) auxquels virent s'adjoindre, plus
tard, les cités, dites bâtardes (Banza Bakwai), de Zanfara, Nupe,
Gwari, Yawri et Korofora. Ici, comme en pays yoruba, les différentes
villes constituent le point de départ d'une nouvelle segmentation
ethnique.
Ces rappels historico-mythologiques (voir chapitre 2)
illustrent fort bien l'importance des villes dans l'histoire des peuples
concernés. Elles participent, en même temps que les institutions
politiques traditionnelles, à la formation d'une nouvelle classe sociale,
les citadins, qui, descendants directs des dieux ou des princes
créateurs, exercent toutes les fonctions politiques. Dans chaque cas,
c'est la ville qui crée la campagne car les premiers paysans en sont
issus. De la résulte la faible participation de la campagne aux
différentes formes d'organisation de l’espace. Les relations ville-
campagne, en pays yoruba, sont plutôt des relations de la ville à ville
dans la mesure où la campagne est souvent inexistante35
.
I. Genèse et évolution des villes
Aujourd'hui, 40 à 50 % de la population nigériane est citadine
(70 à 80 % en pays yoruba). Aux cités traditionnelles, à forte
personnalité historique se sont ajoutés des centres urbains issus de la
conquête européenne ou encore, récemment fondés pour mieux
contrôler la gestion de l'espace national.
35
C. Camara, «L’organisation de l’espace géographique par les villes
yoruba : l’exemple d’Abeokuta» Annales de géographie, IXXX,
439 (1971), pp. 257-287 ; O. Igue « Sur l’origine de villes yoruba
» , Bulletin de l’IFAN, ILI, série B, 2 (1979), pp. 249 - 279
135
A. Les villes traditionnelles.
On peut ici opérer une distinction entre les villes du Nord,
profondément islamisées, et celles du Sud, à forte majorité animistes.
Prospères, les villes du Nord forment un tissu urbain relativement
dense et un support socioculturel marqué par la religion islamique.
Elles sont d'abord apparues en tant que pôles de conquête territoriale,
mais leur développement s'est plutôt appuyé sur leur localisation
commerciale stratégique. Presque toutes se sont constituées autour des
axes de communication qui reliaient Tripoli et l'Egypte à la forêt
équatoriale, mais aussi le Niger à la vallée du Nil en passant par le
Darfour. En outre, la voie caravanière qui se dirigeait vers l'est, à
partir de la région 'de Kong (Côte d'Ivoire actuelle) et du Soudan
occidental, aboutissait au pays hausa. Au XIXè siècle, la plupart des
villes du Nord comptaient une population importante de 30 000 à60
000 habitants à la veille de la jihad de Ousmane Dan Fodio et des
conquêtes européennes. De tous ces centres urbains, Kano est alors le
plus important et le plus prospère, par son commerce et surtout par la
qualité de ses fabrications textiles et de cuir. D'un point de vue
architectural, les villes sont d'abord des forteresses entourées de
remparts à même d'offrir aux habitants la sécurité et d'attirer des
immigrants. L'histoire permet de faire une distinction entre les villes
d'origine kanuri, les cités hausa, les fondations peul du XIXè siècle et
les création nupe.
Les villes kanuri sont, de nos jours, réparties autour de
Maiduguri, principale métropole du bassin du lac Tchad. La
dégradation écologique du lac et l'éloignement des villes par rapport
aux principaux pôles de décisions politiques, en font des centres peu
dynamiques qui souffrent d'une certaine léthargie. La population de
Maiduguri, qui avoisine 180 000 habitants36
, est très largement
supérieure à celle de centres tels que Potiskum, Dikwa, Bama, Geidam
ou Gashua.
Les cités hausa sont à la fois plus peuplées et plus
dynamiques. Dispersées autour de Kano, elles provoquent des
concentrations démographiques importantes qui participent à
l'équilibre spatial de la population nigériane. Après Kano, viennent,
par ordre d'importance numérique, les villes de Zaria, Katsina, Gusau
et Nguru qui, par leur position centrale, contrôlent activité
économique et influences culturelles dans le Nord.
36
K. Barbour, J. Oguntoyinbo, J. Onyemelukwe, J. Nwafor, Nigeria in maps,
Londres, Hodder & Stoughton, 1982, p. 90
136
Les fondations peul ne remontent qu'au début du XIXe siècle.
Elles se sont greffées sur les vieilles cités hausa et kanuri, à partir
d'une entreprise de conquête animée par la fois islamique. L'apparition
de ces villes, dont la plus importante est Sokoto, a complètement
modifié les rapports traditionnels dans le Nord. Les Hausa et leurs
hôtes Kanuri ont alors perdu le contrôle politique de leur espace
géographique au profit des conquérants peuls de Ousmane Dan Fodio.
Il en résulte, aujourd'hui encore, une distribution des influences
politiques traditionnelles qui a sérieusement compromis
l'épanouissement des villes kanuri. Les Hausa, pour leur part, se sont
rapidement accommodés de la situation grâce à leur habileté com-
merciale. Ils sont parvenus à imposer leur langue aux envahisseurs
peul par l'entremise d'un profond métissage rendu possible par l'Islam
et les commerçants. De nos jours, la domination politique des Peul et
l'influence dominante de l'émir de Sokoto ne sont plus ressentis
comme des contraintes par les populations, fortement soudées entre
elles par une langue et une religion communes.
Seuls les Nupe et les populations animistes du plateau de
l3auchi sont culturellement détachées de cette forte emprise. Les
Nupe, à partir de la ville de Bida, capitale de leur royaume, ont su
entretenir une civilisation originale qui prend appui sur l'animisme et
une activité artisanale très prospère.
Somme toute, autour de ces différents types de villes
traditionnelles du Nord, s'est créée une nouvelle forme de société,
marquée par un environnement géographique propre - celui du Sahel -
où la facilité des contacts a favorisé la diffusion de la religion
islamique par l'entremise de la langue véhiculaire hausa. L'uniformité
des comportements qui résulte de cette communauté culturelle a ainsi
permis au Nord du Nigeria d'assurer sa suprématie au sein de la
Fédération depuis 1960.
Le Middle Betl et la partie orientale du Nigeria étant peuplés
par des groupes socio-culturels à faibles structures étatiques, il en est
résulté une absence quasi-totale de villes traditionnelles. A l'exception
d'Onitsha, en pays ibo, l'ensemble des établissements humains était
constitué de hameaux dispersés. Il en était de même dans le delta du
Niger où les difficultés de communication, dues à un écosystème
marécageux, n'ont pas favorisé l'éclosion de cités-Etats d'une grande
envergure démographique.
Dans le Sud du Nigeria, les villes se sont exclusivement
développées dans la sphère culturelle yoruba. Plus nombreuses et plus
densément peuplées que les cités du Nord, elles tirent leur originalité
d'une spécificité culturelle et d'une morphologie reposant sur la triple
relation entre un palais, un marché (qui lui fait face) et des
fortifications.
137
Les Yoruba possèdent le réseau urbain le plus dense du monde
noir. Déjà en 1953, on dénombrait 136 agglomérations de plus de 5
000 habitants dans la partie occidentale du Nigeria, dont 120 en milieu
yoruba. Parmi celles-ci, on compte, depuis la moitié du XIXè siècle,
plusieurs centres de plus de 50 000 habitants. En 1886 les populations
d'lbadan et d'llorin étaient estimées à 70000 habitants, celle
d'Abeokuta étant de 60 000. Aujourd'hui, Ibadan et Lagos ont chacune
plus de deux millions d'habitants. L'ampleur du phénomène urbain a
suscité chez les Yoruba une conscience citadine que traduit la
distinction qu'établissent les populations des différents types
d'établissement humain entre les fermes de culture (aheré, ibudo,
ago), les hameaux (abâ, abule), les villages (ilejo, ilu, ereko) et les
villes (ilu alade, ilu oloye). Une telle conscience urbaine constitue une
preuve évidente du caractère autonome du développement urbain.
Plusieurs hypothèses s'affrontent sur l'origine de ces villes37
,
que l'on peut répartir en trois catégories selon l’époque de leur
établissement (Fig.l0). Les villes de première génération ont été
fondées (ou gouvernées) par les descendants directs d'Oduduwa,
l'ancêtre mythique. Elles sont au nombre de seize et peuvent être
considérées comme des implantations coloniales au milieu de
populations autochtones moins avancées et peut-être hostiles. Leur
originalité repose sur le fait que elles ne résultent pas d'une croissance
spontanée, mais d'une entreprise consciente pour contrôler les
populations lion organisées » 38
Les villes de deuxième génération
sont nées des premières à l'issue de nouvelles conquêtes, ou par suite
d'une remise en cause de l'autorité souveraine par certains éléments de
l'équipe dirigeante (ministres, chefs de familles). Très nombreuses, ces
cités sont apparues dans un contexte d'expansion démographique et
d'équilibre économique. Elles ont servi de relais aux villes de l'époque
antérieure Enfin, les villes de troisième génération, toutes récentes, ont
été fondées alors que le monde yoruba du XIXe siècle était secoué par
les guerres et l'agitation sociale. Ce furent des villes-refuge,
généralement bâties par les rescapés de conflits armés (guerres d'Owu,
d'Ilorin, d'ljaye, mouvement d'indépendance et d'unification d'Ekiti-
Parapo contre la domination d'Oyo). Egalement très nombreuses, elles
furent issues d'agglomérations de première génération (Oyo-Ago-Oja
est née de la chute d'Oyo-Ile, Abeokuta de l'affaiblissement d'lle-
37
L. Munoz, tradicion y modernizacion en el contexto politico yoruba»,
Thèse de doctorat d’Etat, faculté de droit de l’université de
Madrid, 1976, multigr
38 A. Mabogunje, Urbanisation in Nigeria, Londres, Oxford university press,
1968, p.76.
138
Owu), ou de cités de deuxième génération la plupart étant des villes
situées au contact forêt-savane, entre la rivière Oshun et la ville d'Ile-
Ife, soit Ode-Omu, Gbongan, Ikoyi... Ces villes de troisième
génération, bien que fondées dans un contexte de guerre ont
généralement reproduit les structures morphologiques caractéristiques
des cités anciennes (palais, marché et, Si possible, éléments de
fortification).
La spécificité de ces trois catégories de sites urbains tient à
leur hiérarchie administrative. Ainsi, seules les 16 villes de première
génération sont dirigées par des rois « authentiques », les oba, dont la
couronne perlée (Ade ileke) est l'un des attributs du pouvoir. Les villes
de seconde génération sont plutôt administrées par des chefs de
province, les bale, à qui le port de la couronne perlée est rigoureu-
sement interdit. Les villes de troisième génération sont placées sous
l'autorité d'un oba, lorsqu'elles sont issues du transfert d'anciennes
cités de première génération, ou d'un bale, s'il s'est agi d'une nouvelle
fondation. Cette hiérarchie politico-administrative a renforcé le
sentiment de solidarité familiale construit autour d'lle-Ife à partir de
l'ancêtre mythique Oduduwa. Il en est résulté une forte prise de
conscience ethnique chez les Yoruba.
B. Les villes de l’époque anglaise.
Durant la période coloniale, des villes se sont développées au
centre et à l'est du Nigeria, par suite de l'établissement d'exploitations
minières (Jos et Enugu), de bases militaires (Kaduna), de comptoirs
commerciaux (Port Harcourt et Calabar) ou de postes missionnaires
(Owerri et Aba). Kaduna fut ainsi fondée par lord Lugard en 1917 afin
de servir de base à la conquête du Nord. Son développement s'est
fondé sur une forte présence militaire de la traite de l'arachide, ainsi
que sur son statut de capitale de la région septentrionale jusqu'en
1967. Ces fonctions administratives ont fait progresser sa population
de 3 000 habitants en 1919 à 150 000 en 1963. De nos jours, Kaduna
demeure le principal centre industriel du Nord grâce à l'implantation
de la firme Peugeot.
Enugu fut, pour sa part, établi en 1915 pour faciliter la
recherche minière et la construction du chemin de fer venant de Port
Harcourt. Comme Kaduna, la ville a dû son essor initial à son rôle de
capitale de la région orientale du Nigeria. Port Harcourt, fondée au
XIXè siècle était l'un des principaux comptoirs de traite pour l'huile de
palme. Par la suite, la ville est devenue le second port du pays (après
Lagos) et le terminus du chemin de fer reliant Maiduguri à la côte.
139
Toutefois, malgré les multiples fonctions commerciales de Port
Harcourt, sa population ne dépassait pas 7 200 habitants avant 1931.
C'est à la découverte du pétrole que la ville doit sa forte croissance
depuis les années soixante, et en particulier son accueil des principales
industries pétro-chimiques de la Fédération.
Ce bref rappel souligne combien les villes coloniales sont des
créations artificielles qui ne s'enracinent en aucune manière dans les
civilisations locales. Leurs habitants sont en majorité des travailleurs
venus de l'extérieur, pendant longtemps du pays ibo où la forte
scolarisation, résultat du travail missionnaire, a permis d'apporter un
soutien efficace au fonctionnement de l'administration coloniale puis
moderne. Jusqu'aux massacres massifs des Ibo lors des événements de
1966 (voir chapitre 4), leur prééminence dans les centres urbains
d'origine européenne a constitué la base de leur opposition à la forte
emprise culturelle hausa ou yoruba.
C. Les villes nouvelles : Abuja
La création de villes nouvelles peut-elle favoriser le
développement d'une conscience nationale, alors que le cloisonnement
ethnique est tenu pour largement responsable de la guerre civile ?
Depuis la fin du conflit, les nigérians se sont rendus à l'évidence que
Lagos, avec sa population composée pour 75 0/o de Yoruba, ne
pouvait jouer un tel rôle. Dans son acuité, le problème a été posé par
la forte congestion de la capitale et sa rapide croissance économique et
démographique consécutive aux effets de la rente pétrolière. La
création d'une nouvelle capitale, située au centre du pays, à l'écart des
influences des trois grands groupes ethniques hausa, yoruba et ibo, a
été décidée en 1976. Après plusieurs mois de travail, le choix de la
commission constituée à cet effet s'est porté sur le site d'Abuja, à égale
distance des quatre angles du quadrilatère national. Un territoire
fédéral de 8 000 km2
(deux fois et demie la superficie de l'Etat de
Lagos) a été délimité afin de recevoir la nouvelle capitale qui devrait
atteindre une superficie de 250 kilomètres carrés et accueillir, en fin
de croissance, environ deux millions d'habitants. Les travaux ont
effectivement débuté en 1981, sous la présidence de Shehu Shagari,
qui avait promis d'habiter la cité avant la fin de son premier mandat.
La construction de la nouvelle capitale est restée la préoccupation
majeure de son régime. La ville a été officiellement occupée le 1er
octobre 1983, date anniversaire de l'indépendance du Nigeria, et les
premiers aménagements permettaient alors d'accueillir 22 000
personnes. Mais les sommes énormes englouties dans cette opération
140
ont contribué aux difficultés économiques du régime, sanctionné par
le coup d'Etat de la Saint Sylvestre 1983. Les travaux en cours à Abuja
ont alors été précipitamment arrêtés. Sa construction, lancée pour
galvaniser l'esprit national, avait plutôt débouché sur un affairisme au
profit du seul parti NPN (National Party of Nigeria) au pouvoir. La
crise économique qui secoue actuellement le Nigeria n'a pas permis à
l'équipe du général Babangida de relancer la construction des
équipements urbains prévus. Malgré l'existence d'un ministère fédéral
chargé du projet Abuja, la nouvelle capitale recrute ses meilleurs
habitants parmi les charognards et les éleveurs nomades qui habitent
la région...
L'avenir du Nigeria en tant que nation dépend-il de ce projet ?
Le choix d'une nouvelle capitale n'a pas seulement que signification
nationale. Sa réussite permettrait également de revaloriser le Middle
BeIt, toujours considéré comme une zone de litige entre le Nord et le
Sud et de mieux intégrer à l'ensemble de la Fédération les minorités
ethniques, si nombreuses dans cette partie du pays.
II. Villes et cultures
On l'a vu, les villes nigérianes ont historiquement évolué dans
le strict cadre des principaux groupes socio-culturels du pays. Leur
rôle social s'est avéré remarquable dans les domaines du
développement culturel, du renforcement de l'identité ethnique et de
l'enracinement régional.
A. Le développement culturel
Longtemps relayé au second plan des préoccupations
nationales, le retour aux racines culturelles redevient une
préoccupation des sociétés africaines, peut être par suite de l'échec des
programmes de développement économique des Etats.
Dans cette quête, les pays africains ne disposent pas tous des
mêmes atouts, en l'absence de langues nationales et d'un cadre
matériel approprié, pour la gestation et la diffusion d'une culture qui
soit le reflet des sociétés africaines. Depuis la conquête européenne, la
destruction ou le dysfonctionnement des institutions politiques pré-
coloniales ont sapé les bases d'un développement et d'une diffusion
des cultures concomitantes, dans la plupart des Etats-nations contem-
porains. Les villes d'origine coloniale qui se sont développées ici et là
et qui assument les fonctions d'encadrement politique ne sont
141
porteuses d'aucun projet culturel spécifique. Indépendamment de leur
rôle de relais dans la diffusion de la civilisation occidentale, elles ont
toujours été dépendantes du monde rural dans le domaine culturel39
.
On rappellera simplement que lors des grandes manifestations
officielles (fête nationale, réception d'hôtes de marque...), c'est de la
campagne que l'on fait venir les meilleurs griots et les plus habiles
danseurs qui animent les cérémonies.
Unique à cet égard, la situation du Nigeria en Afrique
occidentale reflète l'importance numérique de ses différents groupes
socioculturels et de ses villes traditionnelles. C'est à leur participation
à sa production culturelle que le Nigeria doit d'être l'un des pays les
plus riches en traditions du continent africain. Dans le Nord, où l'Islam
a apporté aux villes hausa l'écriture arabe, la diffusion d'une culture
savante a été favorisée à partir du Xè siècle de notre ère. A ceci sont
venus s'ajouter des facteurs tels que la richesse des cités marchandes,
la politique de mécénat des souverains, ou encore, l'immigration
d'hommes de culture originaires du Soudan, qui ont encouragé une
création artistique importante dans les domaines de la musique et de
l'art plastique.
La musique est l'expression vivante de la culture d'un peuple.
Elle témoigne de ses goûts, de ses préoccupations, de ses valeurs
intellectuelles et morales. Dans les cités hausa, deux types de musique
coexistent. A la cour, des musiciens professionnels constituent une
caste à part, les Gesere. Leur musique raffinée fait partie intégrante de
la pompe royale et a donné naissance à une belle littérature orale,
essentiellement constituée de poésies composées en l'honneur des
grands rois et régulièrement chantées par les griots lors des
événements importants. Outre cela, il existe une musique populaire
qui émane de toutes les couches sociales et aborde les thèmes de la vie
courante. La musique Wakar, art où les femmes hausa excellent, en est
la plus belle illustration. Chacune de ces deux formes d'expression
musicale associe chants, danses, tams-tams, et instruments à cordes et
à vent. L'art plastique, moins développé par suite de la forte emprise
de l'Islam, est surtout représenté par le travail du cuir, le tissage et par
une architecture urbaine d'une sobriété caractéristique. Les façades de
certaines maisons sont ainsi décorées de motifs géométriques aux
couleurs variées. Dans les villes yoruba du Sud, l'art plastique est tout
particulièrement célèbre parce que visible et accessible à tous et, en
particulier, aux étrangers à la communauté yoruba. Ife, Bénin, Oyo et
39
Ceci se traduit par un syncrétisme d'ajustement bien décrit par Caya
Makhele dans « Dakar, Abidjan, Lagos, Douala, Kinshasa, capitales de la
couleur », Autrement, 9 (octobre 1984), p. 197.
142
Owo sont les principaux foyers artistiques du monde yoruba. A Ife,
l'art plastique portait sur le travail du bronze et du granite. On coulait
des statuettes de bronze, notamment les bustes des principaux
souverains représentés selon des conventions précises. Leur beauté, la
perfection naturaliste des traits et des formes des visages, ont conféré
à ces oeuvres une réputation internationale. Bénin devait perpétuer la
tradition artistique d'Ife en travaillant surtout le bronze et l'ivoire
(fabrication de plateaux, de bustes, de sièges royaux et de récades). A
Oyo, le groupe des artistes vivait à la cour. Ici c'est le travail de la
peau (sandales, sacs, fourreaux d'épée) et des calebasses (décorées en
vue de l'ornementation des maisons ou d'usages quotidiens) qui fut le
plus développé. Le bois était également travaillé par les artistes à Owo
afin de fabriquer des portes et des piliers somptueusement sculptés
destinés aux palais. A Owo comme à Oyo, les traditions artistiques
sont restées vivantes jusqu'à ce jour.
A la richesse de l'art plastique du monde yoruba répond la
diversité des genres d'expression de sa littérature orale. Son
développement et sa survie sont assurés à travers des fonctions
politiques et religieuses qui relèvent de la seule autorité de l'oba.
L'oba entretient autour de sa personne un certain nombre de pratiques
culturelles dont les répercussions dépassent largement le cadre du
palais où vivent aussi les griots (joueurs de tam-tam, flûtistes,
trompettistes et récitants de poèmes qui rendent louanges aux
dignitaires) qui ont pour mission d'invoquer chaque matin à l'aube la
gloire du royaume à travers la personne de l'oba. Quand celui-ci se
déplace ils suivent ses mouvements qui sont autant de sources
d'inspiration pour leur poésie. Le roi devient, en quelque sorte, un
symbole autour duquel toute une littérature orale de glorification se
façonne et se renouvelle.
Au Nigeria, les villes traditionnelles ont renforcé l'identité
ethnique dans le Nord hausa ou, de façon encore plus marquée, dans
l'Ouest, en pays yoruba. On ne peut que s'interroger sur les
conséquences d'une situation si particulière en Afrique noire. Peut-on
avancer que le Nigeria a été moins influencé que d'autres régions du
golfe de Guinée par les différents syncrétismes d'ajustement au plan
religieux ou culturel, en raison même de cette préservation de
traditions auxquelles les cultures populaires se réfèrent directement ?
Les modes de référence propres à chaque région favoriseront-ils
l'élaboration d'une culture globalisante, proprement nationale, destinée
à devenir le ciment de la Fédération ? N'ont-elles pas pour
conséquence de marginaliser des populations ou des couches sociales
moins structurées, les renvoyant à des formes de cultures plus frustres
et plus sensibles à l'influence occidentale ? Que sera, à cet égard,
l'effet de la scolarisation de masse sur l'évolution de l'ensemble ?
143
B. Villes et polarisation ethnique :
l’exemple Yoruba
L'une des difficultés du développement national au Nigeria
réside dans le poids de certaines de ses ethnies, suffisamment
puissantes pour se manifester en tant qu'entités nationales. L'utilisation
des langues hausa, yoruba et igbo à l'Assemblée fédérale, durant la
seconde république, rappelle cette prégnance, tout comme la décision
de déplacer la capitale fédérale à Abuja.
A Lagos, les manifestations culturelles par lesquelles les
Yoruba exercent une très forte influence sur les autres groupes de
population ne sont paradoxalement pas toutes communes à l'ensemble
des sous-groupes yoruba. La langue et le terme de yoruba sont eux-
mêmes des acquis d'Oyo dont les éléments de civilisation ont été
totalement intégrés par l'ensemble des sous-groupes yoruba. Les villes
yoruba ont joué le rôle de creusets ethniques. Les courants unitaires
n'ont jamais cessé d'y progresser depuis la période pré-coloniale.
D'abord dans le cadre des rapports entre les différents centres urbains,
puis sous l'effet d'incitation au rassemblement des populations
qu'eurent les guerres du XIXe siècle. Outre cela, le développement de
l'alphabétisation. en yoruba, fruit de l'action missionnaire, a
indirectement contribué à fixer chez les intellectuels une forme écrite
normalisée de la langue, aujourd'hui connue sous le nom de yoruba.
En ce qui concerne la langue parlée, un phénomène similaire est
intervenu. La stabilisation et l'uniformisation des outils linguistiques
de la communication ont ainsi facilité la gestation d'un groupe se
définissant comme Yoruba. Il est indéniable que l'idéologie pan-
yoruba qui se développe de nos jours au Nigeria aux dépens de la
personnalité de sous-groupes comme les Ijebu, Egba et Ekiti, est
renforcée par l'importance du phénomène urbain. Les villes yoruba
sont d'abord des centres commerciaux ouverts sur des zones rurales
dont les multiples sous-ethnies viennent assimiler normes culturelles
et formes de comportements sociaux.
A cet exemple d'une urbanisation qui a pour effet de resserrer
la société yoruba autour de ses valeurs et des normes édictées par le
pouvoir urbain, peut être opposé un schéma ibo. Là, les villes ont servi
de tremplin à une modernisation de la société. sans destruction des
valeurs fondamentales. Créations exogènes, les villes ont été des outils
au service d'une société voulant maîtriser sa démographie et assurer
son expansion par le contrôle des leviers de l'Etat. Cette société, plus
ouverte vers l'extérieur, moins autocentrée, a pu caresser un moment
144
le rêve d'assumer en partie le destin national du Nigeria. Dans la
région septentrionale, le rôle des Ibo dans les services publics était tel
que leur exode brutal en 1966 eut pour effet une diminution
spectaculaire des effectifs dans les secteurs de la banque, de
l'électricité, et des postes. La guerre civile qui s'ensuivit à conduit à un
repli durable de chacun sur son « pré-carré » ethnique.
Le Nigeria a pu être décrit comme un Etat « moléculaire »40
ou toute solution politique passe par une coalition de groupes
ethniques qui suscite inévitablement en face d'elle la constitution d'une
coalition rivale. Dans ce jeu complexe, les villes, en fonction de leur
origine géographique et de leur genèse, ont eu différents rôles à jouer :
création et reproduction de la conscience ethnique, mobilisation des
éléments centrifuges afin d'atteindre une envergure dissuasive vis-à-
vis d'autres groupes, contrôle des processus de modernisation et des
dépendances pour les rendre acceptables, protection face aux
empiétements d'un Etat fédéral contrôlé par une coalition partisane...
La ville en tant que facteur de constitution d'une élite, d'une
classe dirigeante trans-ethnique permettant d'assurer la pérennité de
l'Etat central au-delà des aléas de l'histoire, a été ici peu évoquée. La
dimension des groupes et l'ampleur des conflits que le Nigeria a vécus,
traduisent la difficulté qu'il y a pour une nouvelle couche sociale à se
rendre autonome vis-à-vis de son environnement spécifique.
La difficulté à mettre en oeuvre une véritable structure fédérale,
pourtant destinée à concilier particularismes locaux et intérêt général,
dans des contextes d'expansion économique ou de crise, ne vient pas
libérer les énergies urbaines tournées vers la consécration et le
renforcement de l'acquis et du connu. Une politique d'aménagement
du territoire ne peut se limiter au seul saupoudrage des
investissements mais doit répondre à des attentes aussi bien qu'à une
stratégie cohérente. Voilà qui manque cruellement au Nigeria
40
J. Bugnicourt, Disparités régionales et aménagement du territoire en
Afrique noire, Paris, Armand Colin, 1971, p. 240
145
Chapitre 16 :
Sur l’origine des villes yoruba.
146
Cinquième partie :
MARCHES ET MARCHANDS
D’AFRIQUE DE L’OUEST
147
Chapitre 17 :
Marchés ouest-africains et problématiques
d’intégration régionale
148
Chapitre 18 :
L’officiel, le parallèle et le clandestin
Aujourd’hui on parle moins du commerce en dépit de son
évolution et des préoccupations d'intégration régionale. Les thèmes
qui sont actuellement à la mode et discutés généralement hors de
l'Afrique occidentale portent sur l'agriculture, l'urbanisation galopante,
la migration de travailleurs et, de façon plus générale, sur la
problématique du développement. Des anciens travaux relatifs au
commerce et des rares publications actuelles, on peut dégager
plusieurs options: commerce moderne contrôlé soit par l'État, soit par
les grandes sociétés de traite de la période coloniale41
, commerce
traditionnel, tenu en main par les Africains eux-mêmes dans le cadre
des marchés traditionnels42
, commerce illicite qui se fait le long des
frontières d'États-Nations, devenu le relais indispensable du circuit
moderne ayant pour cadre les villes et du circuit traditionnel contrôlé
en grande partie par le monde rural43
.
Je voudrais proposer une nouvelle approche qui romprait avec
la sectorisation des activités commerciales en essayant d'intégrer ses
différents aspects. Cette intégration paraît fondamentale afin de mieux
cerner les problèmes soulevés par le développement du secteur
41
S. Amin, «Le commerce interafricain», Le Mois en Afrique 24, 1967 ; D,
Bollinger, Le Marketing en Afrique, Abidjan, CEDA, 1978 ; B.
Vinay, L’Afrique commerce avec l’Afrique, Paris, Presses
universitaires de France, 1968.
42 Voir par exemple Hodder et Ukwu, Markets in west Africa, Ibadan ,
Ibadan University Press, 1969, ou C Meillassoux, The development
of indigenous trade and markets in West Africa, Oxford, Oxford
University Press, 1971.
43 Voir Banque Africaine de Développement, Etude des possibilités de
coopération entre le Ghana, la Côte d’ivoire, la Haute Volta, le
Dahomey et le Togo, Paris, IEDES, 1970 ; D.-J. Collins, «The
clandestine movement of groundnuts across the Niger–Nigeria
boundary», Revue canadienne des études africaines 10 (2), 1976 ;
O. J. Igue, «Evolution du commerce clandestin entre le Dahomey
et le Nigeria depuis la guerre de Biafra», in : Le commerce de
contrebande et les problèmes monétaires en Afrique occidentale,
Cotonou, Publication du CEFAP, 1977 ; J. Thom, The Niger –
Nigeria borderlands : a political geographical analysis of
boundary influence upon the Haussa, Ph. D. thesis, Michigan State
University, 1970, multigr.
149
tertiaire en Afrique occidentale ; en effet, le secteur moderne, qui est
le domaine privilégié d'intervention des pouvoirs publics, ne peut
s'épanouir sans le concours du relais clandestin et des marchés
traditionnels à travers lesquels se fait la distribution des marchandises.
Pour ce faire, il paraît utile de remonter l'histoire pour arriver à la
situation actuelle.
I. Le commerce pré-colonial
Les pratiques commerciales en Afrique occidentale pré-
coloniale sont déterminantes pour l'avenir économique de la sous-
région. Sans se référer à elles, il me paraît impossible de régler
correctement les problèmes liés à l'intégration régionale au niveau de
la sous-région, car l'Afrique occidentale avait constitué un seul marché
où ne se posait guère le problème de l'espace économique, de la
complémentarité des ressources, de l'harmonisation des tarifs
douaniers, de la circulation des biens et des personnes, encore moins
du mode de paiement.
En effet, avant la conquête coloniale, l'espace ouest-africain
était géré à partir de grandes formations politiques comme l'empire du
Ghana, du Mali ou du Songhay. Le dernier avait pratiquement couvert
tout le champ d'action de la Communauté économique d'Afrique
occidentale (CEAO), exception faite de la partie forestière de la Côte-
d'Ivoire.
Après la chute de ces empires, des royaumes ont pris la relève ;
certains de ces royaumes étaient parfois plus petits par leur superficie
et leur population que les Etats-Nations actuels. Malgré l'étroitesse de
leur territoire et de leur population, ils n'avaient pas davantage eu à
résoudre l'épineux problème de l'espace économique. Tous
bénéficiaient des avantages d'un commerce ouvert, dynamique et
prospère. Ce commerce était bien organisé et reposait très largement
sur la complémentarité régionale en matière des produits échangés.
A. Son organisation
Du point de vue organisationnel, trois types d'activité com-
merciale peuvent être distingués.
1. Le commerce local
Le commerce local se pratiquait à l'échelon villageois et
urbain. Sa sphère d'influence ne dépassait guère les chefferies et les
150
royaumes. Il se faisait surtout par l'intermédiaire des marchés où l'on
venait présenter les marchandises d'origine agricole, quelques produits
manufacturés et en particulier les produits d'importation comme le sel,
la potasse, les épices, etc. Ces marchés se tenaient tous les jours et
parfois de nuit, comme c'est le cas chez les Yoruba. Ils ne sont
devenus périodiques que lorsque leur fréquentation engagea les
populations des contrées avoisinantes, c'est-à-dire des espaces
économiques plus grands que celui du village ou de la ville. Ces
marchés locaux, en dehors de leur fonction économique (distribution
des biens de consommation courante), servaient également de cadre
aux activités culturelles. Ils facilitaient la diffusion des informations
au sein de la communauté villageoise, citadine, et même de la
chefferie. C'était le lieu de rencontre et d'intégration sociale par
excellence.
2. Le commerce inter-régional
Le commerce inter-régional se faisait à travers un important
réseau de routes caravanières ayant deux grandes directions Nord-Sud
et Est-Ouest, à partir desquelles d'importants axes de circulation, par
leur densité et leur longueur, dépassaient de très loin le réseau routier
actuel : ils comportaient de nombreux raccordements et se recoupaient
au niveau de certains marchés régionaux, véritables plaques
tournantes pour l'échange des produits agricoles et manufacturés
procurés à partir du commerce international.
3. Le commerce international
Le commerce international était constitué par le commerce
transsaharien (reliant les grands empires au monde méditerranéen dont
les principaux débouchés étaient les villes situées à la porte du Sahara
comme Tombouctou, Djenné, Gao, Agadès...) et le commerce des
comptoirs européens, le long de la côte entre l'Europe et les puissances
politiques de la forêt Cape-Coast, El Mina, Axim (Ghana actuel)
Gorée (Sénégal), Ouidah (Bénin actuel), Badagry (Nigeria)). Entre les
deux existaient des points de contact situés à l'orée de la forêt. La
plupart de ces points de contact étaient de grands marchés de transit,
ayant, par la suite, évolué en villes: Salaga, Kintampo, Atébubu
(Ghana actuel), Boundoukou, Bouna, Kong (Côte-d'Ivoire actuelle),
Bobo-Dioulasso (Haute-Volta), Sansanné-Mango (Togo), Djougou-
Parakou (Bénin actuel), Boussa, Bida (Nigeria). Leur existence
facilitait le brassage des produits dans toute la sous-région.
151
B. Les produits échangés.
Ces produits étaient très nombreux, d'origine agricole, animale
et artisanale, avec des complémentarités évidentes. La zone soudano-
sahélienne produisait le sel de Téghazza, dans le désert, et d'Awlil, sur
le fleuve Sénégal, du parfum et des teintures fabriqués à partir de la
gomme arabique, des tissus (Djenné, Kano), de l'or (Bouré,
Bambouk), du cuivre (Adjout, Aïr, Tessali). Cette région soudano-
sahélienne, indépendamment des produits qu'elle offrait, servait aussi
de relais au commerce extra-régional qui se faisait avec les pays
arabes et tout le bassin méditerranéen. La région centrale, comprise
entre le 7è et le 11è parallèle Nord, soit entre la ville de Zaria
(Nigeria) et celle d'Abomey (Bénin), alimentait le commerce régional
en indigo (pour la teinture), beurre de karité, tissus (parmi lesquels les
plus célèbres étaient les «Aso-Oke» d'Iseyin, Adire d'Abeokuta), fer
exploité dans le Gourma (Haute-Volta actuelle) et traité dans les hauts
fourneaux qui pouvaient produire entre 500 et 1 000 tonnes de fer pur.
Ces hauts fourneaux existaient un peu partout Odienne (Côte-
d'Ivoire), Silla, Niani, Bandjeli en pays Bassari (Togo), etc. cuivre, en
particulier celui de Lanta dont le travail faisait l'une des célébrités de
la ville d'Abomey. Cette région centrale servait aussi de contact entre
la zone forestière et le monde soudano-sahélien. La partie forestière,
de la mer jusqu'au 7è parallèle Nord, était importante pour la
production du sel (sel de Kéta, de Djegbadji), de la kola (pays Yoruba,
pays Ashanti), de l'or (Ashanti), de l'ivoire pays Agni en Côte-
d’Ivoire, pays Edo au Nigeria et des perles (Ilé-Ifé au Nigeria).
La nature des produits offerts par zone révèle nettement une
certaine complémentarité régionale. Ces produits indiquent aussi la
maîtrise de certaines technologies (extraction et raffinage de l'or, du
fer et du cuivre, extraction et traitement du sel, fabrication des perles,
etc.). Chacune de ces techniques était développée et diffusée par
l'intermédiaire de corporations parmi lesquelles certaines familles
étaient particulièrement célèbres (exemple des Hountondji à Abomey).
Il faut rappeler enfin que le commerce international portait sur
l'échange de marchandises locales contre quelques pacotilles venant
soit de l'Europe soit du bassin méditerranéen. Des pays arabes,
arrivaient des tapis d'orient, des faïences, des épices, échangés contre
l'or et la kola ; de l'Europe, on recevait de l'alcool, du tabac, des fusils
de traite et de la poudre à canon, échangés contre l'or, l'ivoire et le bois
d'ébène.
152
Ces produits européens se vendaient dans le cadre des factore-
ries d'origine portugaise, hollandaise, anglaise et française Maison
Régis de Marseille, Maison Renhard, les chaînes Williamson, Cook et
Lucas du côté britannique. Elles opéraient le long de la côte, l'intérieur
étant entièrement contrôlé par les commerçants africains.
C. Les tenants du commerce pré-colonial
Dans le commerce africain, intervenaient trois grands groupes
ethniques les Mandé, les Haoussa et les Yoruba.
Les Mandé étaient divisés en trois sous-groupes : les Dioula,
les Wangara et les Dendi. Le groupe Dioula opérait surtout au niveau
de la Haute-Volta et de la Côte-d'Ivoire actuelle où il contrôlait le
commerce de la kola et de l'or qu'il troquait contre le sel dans les
localités de Boundoukou, Bouna et Kong. Les Wangara étaient
installés en pays Ashanti autour de Kintampo et d'Atébubu, toujours
pour s'occuper du commerce de la kola et de l'or. Les Dendi, quant à
eux, se rencontraient surtout à l'Est où ils ont fondé les localités de
Kandi et de Djougou au Bénin actuel. Ils s'occupaient de l'organisation
des marchés et offraient des structures d'accueil aux caravanes.
Les Haoussa, originaires du Nord Nigeria, contrôlaient tout le
commerce de la kola, depuis le Nigeria jusqu'au Ghana actuel. Ils
étaient installés dans les marchés situés à la périphérie de la forêt, tels
que Kintampo, Salaga, Kishi, Ilorin, où ils attendaient l'arrivée des
productions yoruba et ashanti. Ils échangeaient la kola contre les
produits venant du monde arabe.
Les Yoruba ont conquis tout le marché ouest-africain à partir
du commerce des tissus d'Isayin et d'Abeokuta ; subsidiairement, ils
vendaient aussi de la kola.
Ces commerçants se déplaçaient à pied et utilisaient le cheval,
le mulet, le dromadaire et l'âne ; le voyage se faisait par caravane,
véritable marché ambulant comprenant parfois plus de cinq cents
personnes. Ces caravanes se déplaçaient librement d'une région à
l'autre, d'un pays à l'autre. Elles étaient protégées dans leur parcours
par les autorités traditionnelles locales qui vivaient d'ailleurs en partie
des péages et des dons versés en nature ou en monnaie.
D. Les moyens de paiement
Le troc était très peu courant malgré ce qu'on en dit. Il portait
essentiellement sur les produits précieux ou sur ceux dont l'usage était
153
prioritaire pour les populations (sel, tissus et chevaux). Pour
réglementer néanmoins ce système de troc, il existait des mesures
étalons : barres de sel, pièces de tissu d'une certaine longueur, etc.
En dehors du troc, trois principales monnaies étaient en usage
: la manille, le cauris et l'or. La manille est une tige de fer utilisée
localement dans la partie Sud de l'actuelle Côte-d'Ivoire et dans le
delta du Niger au Nigeria. Le cauris est d'usage inter-régional. On peut
le qualifier de monnaie intracommunautaire. Son importance est telle
dans la sous-région qu'il a modelé des expressions encore utilisées par
les populations. Ainsi, les Yoruba du Nigeria et les Fon du Bénin
appellent-ils 1 000 F CFA Apokan ou Chaki Dopo, ce qui signifie un
sac de cauris. Pour ce cauris, de véritables banques de dépôts créées et
gérées par certaines familles fonctionnaient à peu près comme les
banques modernes. Elles rapportaient des fortunes exceptionnelles à
leurs propriétaires.
L'or servait exclusivement pour les échanges extérieurs. Il a
été utilisé comme monnaie de plusieurs manières : sous forme de
poudre, de lingot ; enfin, on frappait la monnaie. A cet effet, la zone
soudano-sahélienne avait mis au point un système d'émission dont le
siège était à Tadmekka. On y frappait des dinars d'or, très connus dans
tout le monde arabe.
L'existence de ces différents modes de paiement avait permis
à l'Afrique occidentale de traiter convenablement tous les problèmes
posés par les transactions commerciales. Pour résoudre ceux qui
étaient liés à l'usage de la monnaie (problème de confiance, problème
de poids de cauris et du temps qu'il faut mettre pour le compter, etc.),
trois types de monnaie avaient été mis au point : locale, régionale et
internationale. L'existence de ces paliers rappelle l'expérience
monétaire des pays socialistes. En tout cas, elle illustre bien la parfaite
maîtrise que les Africains de l'époque avaient des techniques
monétaires. Ces expériences sont autant de précédents pour résoudre
les problèmes soulevés aujourd'hui par les politiques d'intégration
économique.
Le système commercial qui vient d'être décrit a fonctionné du
IXè au XIXè siècle. Il a provoqué beaucoup de mutations au sein de la
population. Le commerce local permettait aux habitants d'une même
agglomération de s'intégrer à son monde, à son cadre de vie de tous les
jours. Ainsi, dans les villages et les villes de l'époque, tout le monde se
connaissait effectivement. Mais ces avantages n'ont rien de
comparable à ceux procurés par le commerce inter-régional ou
international.
De ce point de vue, le commerce inter-régional apparaît
comme l'un des meilleurs exemples d'intégration sur le plan
économique, ethnique et culturel. Sur le plan économique, il n'y avait
154
pas de cloisonnement commercial imposé par les contraintes
douanières et monétaires. Les produits élaborés à Kano, tels que les
tissus, circulaient jusqu'au Fouta-Djallon en Guinée actuelle. De
même, la kola produite en pays Bété, Agni, Ashanti, etc., allait
jusqu'au bord du lac Tchad. Sur le plan ethnique, les villes de la
ceinture moyenne, créées entre le 8è et le 9è parallèles Nord, étaient
fondées pour la plupart par des communautés marchandes étrangères
aux populations autochtones vivant pour la plupart du travail de la
terre. Ainsi, Kong fut créée par les Dioula en territoire Senoufo,
Djougou par les Dendi en milieu Yowa. Le dynamisme de Bouna,
d'origine Koulango, était assuré par les commerçants Dioula. Entre ces
étrangers et les autochtones régnait une parfaite entente ; la
bourgeoisie marchande d'origine étrangère apportait son soutien
matériel pour consolider les chefs locaux dans leur pouvoir. Enfin, ces
cités marchandes ont été aussi des centres de rayonnement culturel :
rayonnement linguistique d'abord, diffusion religieuse ensuite. Par
leur intermédiaire, les populations de l'époque pratiquaient un certain
polyglottisme, condition indispensable à l'intégration effective d'un
vaste ensemble. A l'échelon international, le commerce transsaharien a
favorisé le développement des cités marchandes au contact du Sahara,
la formation d'une élite marchande et intellectuelle, et hâté
l'islamisation de l'Afrique. Beaucoup d'anciens comptoirs ont donné
naissance à une génération de villes comme Accra, Cape-Coast, Saint-
Louis du Sénégal, Ouidah, etc. A l'intérieur de Ces villes, la formation
d'une élite fut déterminante dans l'évolution des sociétés côtières
pendant la période coloniale.
II. Le commerce pendant la colonisation
Pendant la colonisation on assiste à la fin du commerce cara-
vanier, au renforcement du commerce de traite né des comptoirs
européens à l'intérieur des espaces territoriaux issus du partage
colonial et au développement du circuit parallèle, les populations
réagissant contre la paralysie du commerce caravanier provoquée par
la rigidité des barrières frontalières et les nouvelles lois commerciales
élaborées dans les colonies.
A. La fin du commerce caravanier
Le partage colonial opéré à Berlin en 1885 amena plusieurs
changements en Afrique. En particulier, l'espace économique ouest-
africain fut fragmenté en 16 territoires appartenant à quatre puissances
155
colonisatrices : la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et le
Portugal. En dehors du domaine d'influence française qui, par son
ampleur, pouvait se constituer en un vaste marché, les autres colonies,
excepté le Nigeria, formaient des espaces économiques fragiles. Mais
le but de la colonisation n'était guère de constituer des ensembles
économiques viables pour les Africains ainsi, l'ancienne structure
commerciale fut aussitôt remise en cause par la création de routes
Sud-Nord, conçues uniquement pour drainer les produits de l'intérieur
(Régies Dakar-Niger, Abidjan-Niger, Bénin-Niger). Ces nouveaux
axes ne prenaient plus en compte ceux créés et entretenus dans le
cadre du commerce pré-colonial. La création de nouvelles monnaies
rompant avec la vanille, le cauris, et l'or (ce dernier devenu l'un des
centres d'intérêt de la colonisation) eut pour conséquence la disparité
des régimes douaniers et la différence des prix des principaux produits
élaborés sur place ou importés conformément à la politique
économique de chaque puissance colonisatrice. Ainsi, au marché de
libre échange qu'était l'Ouest africain furent substituées des zones
économiques dont le mécanisme de fonctionnement était contrôlé
depuis l'Europe.
L'une des conséquences de cette situation fut la ruine des
anciennes villes nées du commerce transsaharien, comme
Tombouctou, Djenné, Gao,... ou de celles qui leur servaient de relais
et qui avaient été fondées au contact de la forêt-savane : Kong, Bouna,
Kintampo, Salaga, etc.
La rigidité des barrières frontalières constituait un obstacle
majeur à la circulation des personnes et des biens. Les seuls
mouvements autorisés étaient ceux qui s'effectuaient à l'intérieur d'un
même espace colonial ; hors de cet espace, tout déplacement
d'hommes et de marchandises était conditionné par l'obtention d'un
visa, le port d'une pièce d'identité et, pour les produits, le paiement de
droits de douane. Cette situation était d'autant plus difficile à supporter
pour les populations que la conférence de Berlin avait permis le
partage d'un même groupe ethnique entre plusieurs puissances
colonisatrices.
Toutes ces contraintes paraissaient obligatoires pour favoriser
le renforcement de l'économie de traite amorcée avec la création des
premiers comptoirs.
156
B. Le renforcement du commerce de
traite
La ruine du commerce caravanier laissa le champ libre à la
puissance impérialiste pour organiser les échanges commerciaux
comme elle l'entendait.
Aussi vit-on apparaître, à la place des anciennes communautés
marchandes contrôlées par les Mandé, les Haoussa et les Yoruba, de
grandes sociétés commerciales créées pour une meilleure exploitation
des colonies. Ces sociétés étaient très nombreuses et très puissantes
(CFAO, SCOA, UAC, John Holt,...). Certaines jouissaient du
monopole de certaines marchandises et opéraient dans des régions
définies, soit à l'échelon d'un territoire, soit dans toute la sous-région.
Leurs activités étaient conditionnées par l'existence de
groupes d'intermédiaires capables d'assurer la collecte des produits de
la brousse vers la ville. A ce propos, elles avaient trouvé de puissants
relais auprès des Levantins, dont le rôle fut déterminant dans le
développement de l'économie de traite pendant la colonisation44
. Avec
ces Libano-Syriens, quelques commerçants africains jouèrent le même
rôle ; ils se recrutaient en particulier au sein des élites issues du
métissage entre Noirs et Blancs à l'époque de la traite négrière.
Quoiqu'il en soit, l'action de ces sociétés favorisa le dévelop-
pement de l'agriculture de plantation selon les vocations régionales
(arachide, coton, cacao, café, palmier à huile). L'introduction et le
développement de ces cultures commerciales devaient avoir des
répercussions considérables sur l'avenir des colonies qui devinrent
ainsi les appendices de la métropole en tant que débouchés des
produits manufacturés et sources de matières premières45
.
44
R. Charbonneau, «Les Libano-Syriens en Afrique noire», Revue française
d’études politiques africaines 26, 1968.
45 Parmi ces répercussions, signalons la mobilisation des meilleures terres
pour les cultures d’exportation au détriment de la production
vivrière ; il s’en est suivi un certain déséquilibres alimentaire, et la
nécessité de combler, ce déficit a conduit à l’importation de
denrées étrangères ou à l’augmentation de la production locale par
l’emploi d’une main-d’œuvre supplémentaire (femmes, enfants).
De plus, les autorités coloniales elles-mêmes se sont chargées
d’organiser le développement des travailleurs des zones moins
propices (Sahel) vers celles de plantations (forêt). On peut ainsi
affirmer que le développement des cultures commerciales est un
des facteurs de l’explosion démographique des anciennes colonies
de la forêt.
157
Somme toute, le développement de l'économie de traite
transforma profondément la physionomie des échanges en Afrique
occidentale. A un secteur officiel bien structuré s'opposa désormais un
autre secteur informel, non moins structuré mais dont le contrôle
échappait aux pouvoirs publics.
C. Le développement du commerce
parallèle
Ce commerce parallèle n'était rien d'autre que le nouveau
circuit d'échange mis au point par les anciennes communautés
marchandes de l'époque caravanière dont les activités avaient été
paralysées par les nouvelles lois de l'économie coloniale. Ces
réactions étaient, non seulement prévisibles, mais aussi souhaitables
dans la mesure où l'économie de traite n'avait jamais pris en compte
l'intérêt vital des populations locales. Il suffit de se souvenir de ce que
les circuits de distribution mis en place pendant la colonisation se
trouvaient uniquement sur les principales voies de communication.
Cependant, ce commerce parallèle allait être victime de toutes formes
de répression. Mais plus cette répression se développait, plus les
méthodes d'organisation du circuit parallèle se raffinaient, plus son
impact devint évident dans les sociétés villageoises mal desservies par
les circuits officiels. Cette organisation peut être appréciée à quatre
niveaux : les pistes d'évacuation, les moyens de transport, les
intermédiaires (c'est-à-dire les agents de liaison qui jouaient le rôle de
transitaires pour l'expédition et la réception des marchandises) et le
réseau de distribution.
Les pistes d'évacuation, c'étaient les pistes terrestres, créées et
contrôlées par les commerçants, les voies d'eau et quelques rares fois
les routes officielles. Les moyens de transport consistaient surtout
dans le portage, les animaux, l'utilisation d'engins à deux roues, de la
pirogue lorsqu'il s'agissait d'emprunter les voies d'eau. Les
intermédiaires étaient de deux catégories : ceux formés par les tenants
de la «fraude» et payés pour la «fraude», puis les indicateurs recrutés
par les services douaniers qui prêtaient leurs services aux trafiquants.
Quant aux réseaux de distribution, ils concernaient d'abord les alliés
des commerçants ; ceux-ci se rencontraient parmi les détaillants
africains ou les Levantins qui étaient installés dans les villes comme
propriétaires d'hôtels, de bars, restaurants, bars-dancing ou boîtes de
nuit. Ceux-ci s'intéressaient surtout aux alcools et aux cigarettes
introduites en fraude. Paradoxalement, certaines sociétés de traite
sollicitaient aussi le concours du circuit parallèle pour se procurer
158
certains produits agricoles quand elles n’arrivaient pas à contrôler leur
zone de production. C'est le cas des sociétés de traite installées au
Togo pour la traite du cacao produit au Ghana ou de celles implantées
en Gambie pour l'arachide du Sénégal. Il y avait aussi les petits
détaillants qui, pour faire face à la concurrence des grands magasins ;
s'appuyaient sur les produits de contrebande qui revenaient beaucoup
moins cher sur le marché de consommation.
Enfin, le domaine privilégié des contrebandiers, était le
marché traditionnel. On distingue à ce propos deux types : les marchés
villageois et péri-urbains qui faisaient partie des structures
économiques pré-coloniales et les marchés frontaliers créés et
dynamisés par la fraude qui se faisait au niveau des États à
colonisation différente et à organisation économique aux avantages
dissemblables. Ces marchés frontaliers remplaçaient en quelque sorte
les villes nées du commerce pré-colonial et qui, parce que situées à
l'intérieur d'un même espace colonial, ne participaient plus activement
aux échanges parallèles. Dans ces marchés frontaliers réapparurent les
mêmes groupes ethniques (Mandé, Haoussa et Yoruba) qui avaient
assuré entre le IXe et le XIXe siècle le dynamisme du commerce
caravanier dans la sous-région. Ils intervenaient cette fois-ci selon
deux circuits ; l'un à courte distance, l'autre à longue distance.
Le circuit à courte distance affectait uniquement les régions
frontalières et portait sur une meilleure redistribution des
marchandises introduites par les grandes sociétés de traite opérant
selon des lois différentes de part et d'autre des frontières ; ainsi, des
colonies britanniques venaient des fusils de traite, de la poudre à
canon, des produits émaillés et des pacotilles vers les territoires
français, lesquels livraient en contre-partie de l'alcool, des cigarettes et
du tabac, produits fortement contingentés par les Anglais dans leur
domaine administratif.
Le commerce à longue distance se faisait sur de longs
parcours où les commerçants empruntaient les anciennes pistes
caravanières. Les pays concernés étaient la Côte-d'Ivoire et le Mali,
d'une part, le Nigeria, le Niger et le Ghana, d'autre part. De la Côte-
d'Ivoire, on envoyait vers le Mali des tissus importés, de la kola et du
poisson fumé, contre du bétail. Du Nigeria, on expédiait vers le Ghana
des tissus fabriqués en pays Haoussa et Yoruba, contre l'or et la kola,
etc. Les exigences de ce commerce parallèle à longue distance
entraînèrent le développement de migrations marchandes doublant
celles des travailleurs agricoles.
En résumé, le développement du commerce clandestin
s'appuya sur la fragmentation de la sous-région en quatre zones aux
avantages différents. La contrebande apparut alors comme un
phénomène qui se chargeait de réduire les disparités régionales créées
159
par le partage colonial. Ainsi, la situation commerciale à l'époque
coloniale se caractérisa par un certain dualisme né de l'existence d'une
structure informelle, clandestine, à côté d'une autre structure moderne
officielle. Cette situation dualiste devait aller en se renforçant même
après les indépendances des colonies.
III. Le commerce à l’ère des indépendance
Les activités commerciales sont aujourd'hui conditionnées par
les mutations intervenues depuis l'indépendance dans le commerce de
traite et les règles monétaires et par l'amorce d'une politique
d'intégration régionale.
A. Renforcement et transformations des
structures commerciales héritées de la
colonisation
Le renforcement des structures de traite est illustré par la forte
emprise des anciennes sociétés commerciales dont les activités se
diversifient. Beaucoup d'entre elles ouvrent leur capital social à la
participation des nationaux. D'autres réinvestissent une partie de leurs
bénéfices dans le secteur d'économie agricole revalorisé par les
dirigeants africains en tant que facteur clé du développement. D'autres
encore utilisent ces bénéfices pour la création d'industries légères de
transformation. Cette évolution est surtout remarquable au Nigeria et
en Côte-d'Ivoire où la société Unilever, à travers ses filiales, a
largement contribué au développement du palmier à huile. Et plus
particulièrement en Côte-d'Ivoire, beaucoup d'anciennes sociétés de
traite s'adaptent aux exigences actuelles en oeuvrant pour la création
du «Programme d'action commerciale» (PAC) conçu pour moderniser
et ivoiriser le secteur de distribution entièrement contrôlé par les
commerçants étrangers pendant la colonisation.
Malgré cette évolution, la plupart des Etats ont jugé nécessaire
d'aller plus loin en transformant ces structures de domination
économique. La transformation se manifeste par l'apparition d'un
secteur commercial d'État, d'une structure d'économie mixte, et le
développement d'un secteur africain officiel.
Le secteur d'État concerne surtout le contrôle de l'exportation
des principaux produits qui forment l'ossature de la richesse nationale,
mais ne se limite pas uniquement à l'exportation des produits agricoles
; il touche aussi l'import-export ; les autorités publiques, en récupérant
le monopole de certains produits dont bénéficiaient les vieilles
160
compagnies commerciales, contrôlent le secteur de l'alimentation
générale46
.
L'existence de toutes ces sociétés d'Etat qui traduit une réelle
volonté politique d'indépendance pose d'autres problèmes en rapport
avec la situation monétaire, comme on le verra plus loin. C'est pour
contourner une partie de ces difficultés qu'apparaît un autre secteur
d'économie mixte. Les sociétés d'économie mixte concernent surtout
la gestion des infrastructures commerciales ports, aéroports, sociétés
de transit et de consignation, etc. Dans certains pays comme le
Sénégal ou la Côte-d'Ivoire, où l'emprise du capitalisme est plus
sensible, le secteur agricole fait également partie de cette économie
mixte.
Qu'il s'agisse des sociétés d'État ou d'économie mixte, leur
bon fonctionnement est conditionné par une large participation des
Africains aux activités commerciales, en particulier dans le domaine
de la distribution. Le développement du secteur africain s'appuie sur
l'apparition des sociétés d'Etat, sur la restriction du monopole dont
jouissaient les anciennes sociétés coloniales en matière d'importation
et sur l'ouverture des marchés africains à toute l'Europe, à l'Amérique
et surtout à l'Extrême-Orient.
Au niveau du commerce africain, interviennent deux groupes :
les Levantins qui, en majorité, ont pris la nationalité de leur pays
d'accueil, s'intéressent à la vente de tissus, à l'alimentation générale et
aux appareils ménagers ; les Africains d'origine dominent surtout le
commerce de détail, faute de grands moyens pour se livrer à l'import-
export. Ils deviennent ainsi les intermédiaires privilégiés des sociétés
d'Etat et des anciennes maisons commerciales dont ils renforcent le
volume des importations. Cependant, dans quelques Etats comme le
Nigeria, le Togo, le Bénin et, à un moindre degré, le Sénégal,
quelques Africains, pour la plupart de gros tenants du circuit parallèle,
s'adonnent à l'importation et à la représentation. Ils font venir de
l'extérieur presque les mêmes produits que les sociétés officielles dont
ils rachètent le droit de monopole si cela s'avère nécessaire. C'est
seulement au Bénin et au Nigeria qu'ils contrôlent entièrement des
secteurs nouveaux comme les dentelles tissées en Suisse et en
Autriche, les bijoux d'origine française, allemande et italienne, les
foulards d'Extrême-Orient et les habits usagés (friperie) qu'ils font
venir des États-Unis et des Pays-Bas. Ces différents produits sont
46
Sur ce secteur, voir Centre d’Etude d’Afrique Noire : Les entreprises
publiques en Afrique noire (Sénégal, Mali, Madagascar), Paris,
Pédone, 1979.
161
d'ailleurs en grande partie réexportés vers l'extérieur par le circuit
clandestin.
La plus grande innovation du commerce africain concerne,
d'un côté, la forte participation des femmes, de l'autre, l'abandon
progressif des marchés métropolitains au profit de l'Extrême-Orient.
Cette évolution n'est possible que grâce à la situation monétaire.
B. La situation monétaire
Il existe deux types de monnaies dans la sous-région : les
monnaies convertibles et les monnaies non convertibles (le Naira
nigérian, le Nouveau Cédi ghanéen, le Dalasi gambien, le Léone de
Sierra Léone, le Silly guinéen, l’Escudo du Cap-Vert et l’Ouguiya
mauritanien).
Les monnaies convertibles sont émises pour la plupart dans le
cadre d’une association qui est celle de l’Union Monétaire Ouest-
africaine (UMOA) ou dans le cadre d'une appartenance à une zone
monétaire au sens strict (la zone franc). Ce sont le Franc de la
Communauté financière d'Afrique, le Franc malien et le dollar
libérien.
Les avantages des Francs CFA et malien reposent sur le fait
que ces deux monnaies font partie de la grande zone franc, garantie
par la France. Ainsi, ils jouissent de la libre convertibilité par rapport
au Franc français. Ces monnaies peuvent même circuler librement à
l'intérieur de toute la zone monétaire garantie par la France, comme
les Etats d'Afrique centrale (Gabon, Congo, Tchad, République
centrafricaine et Cameroun). Cette situation non seulement renforce le
pouvoir d'achat des Francs CFA et malien, mais elle leur confère une
certaine crédibilité internationale quelle que soit la situation
économique des Etats membres du système. Le dollar libérien jouit
des mêmes avantages.
A côté des monnaies convertibles faisant partie des zones
franc et dollar, il existe le groupe des États qui, pour des raisons de
souveraineté politique, ont préféré la totale indépendance monétaire.
Le souci d'avoir des monnaies non-convertibles s'appuie sur la volonté
de limiter les transferts de fonds vers les pays voisins et lointains, de
favoriser l'épargne nationale, de contrôler étroitement l'activité des
établissements commerciaux à caractère privé et de maîtriser le crédit
mobilisable pour la production industrielle et pour les activités
commerciales afin de stimuler le développement.
162
Du point de vue des échanges régionaux, la non-convertibilité
présente beaucoup d'inconvénients :
- limitation exagérée des transactions internationales par souci
d'équilibrer la balance des paiements, faute de pouvoir compter sur
des devises extérieures,
- blocage du commerce officiel entre les Etats de la sous-
région en raison des difficultés de règlement (ces difficultés du
commerce officiel constituent l'un des facteurs du développement de
la contrebande),
- création d'une situation chronique d'endettement qui ruine à
long terme les sociétés d'Etat. L'expérience de la Guinée est riche de
leçons en la matière47
. Finalement, la survie de l'Etat n'est garantie que
par le développement du commerce parallèle.
Somme toute, la situation monétaire qui existe aujourd'hui en
Afrique occidentale divise cette région en onze zones monétaires au
lieu de quatre pendant la période coloniale. Cela signifie donc que sur
le plan commercial, l'Afrique est gérée à travers des espaces
économiques fragiles. La paralysie qui en découle est d'autant plus
importante que les dispositions que l'on prend au niveau officiel pour
favoriser les échanges se heurtent aux contradictions monétaires.
La situation est d'autant plus critique que sur le plan global, on
assiste au recul de la production, notamment dans le domaine agricole
paralysé par la détérioration des termes de l'échange. Ce recul de la
production agricole entraîne la dépendance alimentaire de tous les
pays de la sous-région vis-à-vis des grandes puissances. En dehors de
l'augmentation du tonnage des denrées traditionnellement importées à
faible quantité comme le riz et le blé, le maïs et le mil font désormais
leur apparition sur la liste des importations. L'essentiel des devises
apportées par la vente des matières premières est utilisé aujourd'hui
dans les États comme le Sénégal, la Guinée, le Ghana et le Nigeria
pour régler l'achat de denrées alimentaires à l'étranger.
Cette situation, ajoutée à la fragilité monétaire, condamne tous
les pays à monnaie non-convertible à l'instauration du contrôle des
changes et par conséquent à la paralysie du secteur commercial
pendant que l'on parle d'intégration régionale.
47
C. Rivière, «Les conséquences de la réorganisation des circuits
commerciaux en Guinée», Revue française d’études politiques
africaines 66, 1971.
163
C. Les politiques d’intégration régionale
Partant de l'évidente sectorisation des activités commerciales
amorcées depuis la colonisation, c'est pour lutter contre ce phénomène
très préjudiciable à tout effort de développement que l'intégration
régionale devient aujourd'hui non seulement une nécessité, mais aussi
une exigence. L'objet n'est pas ici de décrire les différentes
institutions. Il s'agit tout simplement de montrer que leur existence
ramène théoriquement à trois les onze zones commerciales engendrées
par la situation monétaire. Mieux, la Communauté économique de
l'Afrique de l'Ouest (CEAO) et la Communauté économique des États
de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) constituent des espaces
économiques assez intéressants.
La CEAO a l'avantage de réunir les Etats d'une même langue,
ayant une même monnaie convertible (à l'exception toutefois de la
Mauritanie) et soudés par le même environnement géographique et
historique48
. Pour sa part, la CEDEAO a une superficie de 6 081 000
km2, elle est peuplée de 140 millions d'habitants et possède
d'importantes ressources économiques basées sur le pétrole, le fer, la
bauxite, le cacao, le palmier à huile, etc.
Mais au-delà de ces avantages évidents, il existe aussi des
contradictions qui créent toutes les conditions aboutissant à la
paralysie des échanges : la situation monétaire qui jusqu'ici n'a fait
l'objet d'aucun protocole, le délai proposé pour régler les obstacles
douaniers en vue de la libération des échanges, les options politiques
divergentes entre États favorisent le développement de structures
économiques non-identiques. Enfin, l'existence même d'une grande
communauté à l'intérieur de laquelle se créent des sous-communautés
(l'Union du fleuve Mano s'ajoutant à la CEAO) traduit de façon
évidente l'importance de ces oppositions politiques. Il en résulte une
certaine divergence dans le programme de libération des échanges au
niveau des trois formes d'intégration et par conséquent des avantages
commerciaux non-identiques.
Pour l'ensemble de ces problèmes, des solutions ne sont
envisagées que pour la situation monétaire, où du fait des obstacles
créés par l'existence de onze monnaies, une Chambre de compensation
dont le siège est à Freetown (Sierra Leone) a été mise sur pied en
1976. Cette chambre de compensation, loin de constituer un
48
Ce sont presque tous les Etats soudano-sahéliens couvrant l’espace de
l’ancien empire songhaï, marqués par une profonde islamisation :
Sénégal, Mauritanie, Mali, Haute-Volta, Niger plus la Côte-
d’Ivoire.
164
événement comme l'a écrit Desneuf49
, pose elle aussi d'énormes
problèmes relatifs au contrôle effectif des banques commerciales qui
opèrent en Afrique. Il s'agit de savoir quel est le pouvoir dont
disposent les responsables politiques, pour la plupart inféodés aux
mêmes intérêts capitalistes, d'exiger de ces institutions financières
d'origine étrangère qu'elles fassent passer les dossiers de leurs clients
par Freetown plutôt que par Londres, New York ou Paris. En dehors
de cet aspect politique, la lenteur de l'exécution des ordres entre pays
anglophones et pays francophones constitue autant de gêne pour les
commerçants. Enfin, en dehors de ces obstacles que l'on peut qualifier
de visibles, il existe aussi des obstacles invisibles qui ne seront jamais
résolus même si l'on arrive à une parfaite intégration. On peut
notamment évoquer les entraves à la libre circulation des
marchandises qui garantissent la sécurité alimentaire tels que les
produits vivriers de base. Aujourd'hui, par exemple, malgré les
résultats déjà obtenus à la CEAO et à la CEDEAO50
, le Bénin interdit
par moments la sortie du maïs, du mil, des tubercules d'igname et de
manioc, ainsi que de leurs dérivés. Le Togo fait de même pour ses
produits vivriers, y compris les fruits et les légumes, le Niger
également pour son cheptel bovin et ovin. Si ces différentes mesures
sont dictées par le souci de maîtriser localement la situation
alimentaire, malheureusement, elles sont souvent prises à partir d'une
simple alerte qui ne reflète pas la situation de surproduction que
connaissent certaines régions du pays. Il en résulte un marasme
agricole à tendance saisonnière aggravé par la défaillance des
équipements de stockage et la non-intégration nationale, faute
d'infrastructures routières de qualité.
Somme toute, les structures commerciales de l'Afrique
occidentale ont subi beaucoup de mutations depuis les indépendances.
Malheureusement, ces mutations sont toujours paralysées par
l'héritage colonial. Il s'ensuit le même dualisme des structures qui
favorise la naissance du circuit non-officiel.
49
P. Desneuf, «L’événement 1976 : la chambre de compensation de l’Afrique
de l’Ouest», Africa 87, 1977.
50 Cf. la décision du Conseil des ministres de la CEDEAO relative à la
libéralisation des échanges des produits locaux du 3 novembre
1979.
165
IV. Le développement du courant clandestin en
rapport avec les politiques d’intégration
régionale
Le commerce clandestin né de l'époque coloniale s'est plutôt
amplifié avec les indépendances. Son évolution résulte du maintien
des frontières héritées de la colonisation, du maintien des contraintes
douanières et de l'apparition, après la libération des colonies, de
plusieurs systèmes monétaires. Cette activité clandestine est assurée à
la fois par les commerçants traditionnels, par les travailleurs migrants
dont le nombre est impressionnant dans les régions côtières plus
favorisées dans les processus du développement néo-colonial, et par
les États à faibles ressources à travers leur système commercial basé
sur la réexportation. Enfin, les politiques d'intégration régionale qui
n'ont pas trouvé de solution efficace au problème du cloisonnement
commercial n'ont fait que renforcer les zones de tarifs préférentiels.
Même à l'intérieur d'une même zone tarifaire, on assiste à la disparité
des taxes qui joue sur le prix des produits à la consommation. Cette
disparité est en rapport avec l'importance du pays, ses ressources
naturelles, le coût des facteurs de production et le degré d'initiative de
ses habitants. A cet égard, les marchés nigérian et ivoirien offrent des
avantages supérieurs à ceux des autres États de la CEDEAO.
La disparité des tarifs douaniers n'est d'ailleurs plus l'élément
déterminant dans l'évolution de la contrebande. Le facteur qui
conditionne cette évolution est aujourd'hui d'ordre monétaire. Tous les
pays à monnaie non-convertible se trouvent dans une position
désavantageuse par rapport à ceux dont les monnaies ont valeur
d'échange hors de leur espace territorial. De façon plus explicite, c'est
le Franc CFA qui est actuellement la monnaie la plus sûre et la plus
recherchée dans la région, en dépit de la vigueur de l'économie
nigériane, comparée à celle de la plupart des Etats membres de
l'UMOA. Les avantages de cette monnaie reposent sur sa libre
circulation non seulement à l'intérieur des Etats de l'UMOA, mais
aussi dans les pays d'Afrique centrale francophone et dans toute
l'Europe à travers le Franc français. Cette position avantageuse fait
qu'elle s'échange sur le marché parallèle à un taux très élevé.
L'apparition de ce marché parallèle de change est devenue
pour les commerçants et même pour les touristes une nécessité
absolue pour contourner les difficultés de la non-convertibilité
imposées par les politiques monétaires dans la sous-région. Ce marché
de change fonctionne à peu près comme les guichets de banque : c'est-
à-dire qu'à la vente de la monnaie le taux de change est plus bas,
tandis qu'à l'achat, ce taux devient plus élevé. La différence entre les
166
deux taux varie entre 10 et 50 francs selon la parité de la monnaie et
selon l'offre et la demande. Ces marchés parallèles de change existent
un peu partout en Afrique occidentale : dans les postes frontaliers,
dans les marchés frontaliers et dans les principaux centres urbains.
Ainsi, entre les pays du Conseil de l'Entente et le Ghana, on
peut distinguer du côté togolais, les postes d'Aflao-Lomé, de Kpalimé
et de Badou, du côté voltaïque, le village Pô où se trouvent trois points
de change et, du côté ivoirien, Suyanni, Assini et Sanwi-Wharf. A
l'intérieur du Ghana même, on peut changer le nouveau Cédi contre le
Franc CFA à Accra, à Kumassi et à Tamalé.
Entre ces différents marchés existe une légère disparité de
taux liée essentiellement à l'importance des transactions commerciales
: entre la Haute-Volta et le Ghana, le Nouveau Cédi valait 30 F CFA
en 1981 alors que son cours officiel était de 90 F CFA. Du côté
togolais, sa valeur est de l'ordre de 25 F CFA. Cette parité est très
faible, elle équivaut à une perte du pouvoir d'achat du Cédi d'environ
70 %.
Entre le Naira du Nigeria et le Franc CFA, la situation est
moins catastrophique. Son cours est presque identique sur tout le
cordon frontalier du Nigeria où existent cependant d'innombrables
postes de change. Le Naira valait à la fin de l'année 1981, 300 F CFA
alors qu'officiellement, cette monnaie se change à 447 F CFA.
Actuellement, le Naira est moins prisé sur le marché parallèle en
raison des mesures économiques prises par le gouvernement fédéral
en avril 1982 pour restreindre les importations et instaurer à nouveau
le contrôle des changes. Ainsi, de janvier à octobre 1982, le taux de
change est descendu de 300 à 275 F CFA, pendant qu'à la Banque
centrale du Nigeria, la tendance est à la hausse : 447 à 525 F CFA. Le
Naira subit ainsi une perte de fait d'environ 45 % par rapport au Franc
CFA.
On pourrait multiplier ces exemples en évoquant le cas des
autres monnaies comme le Silly guinéen, le Dalasi gambien ou le
Léone de Sierra Leone. La situation serait presque identique, toutes
ces monnaies subissent une baisse de parité allant de 45 à 80 % par
rapport au Franc CFA surévalué localement en dépit de sa
dépréciation réelle sur le plan international.
Cette baisse de parité des monnaies non-convertibles par
rapport au Franc CFA est un puissant facteur de développement de la
contrebande. Elle place les ressortissants des pays de l'UMOA dans
une situation très avantageuse quel que soit le tarif douanier pratiqué
et la situation du marché d'achat dans les pays à monnaie fermée. La
monnaie n'est pas seulement le moyen de paiement de la fraude, mais
aussi elle devient l'agent principal du système. La suppression des
barrières douanières telle qu'elle est envisagée dans le cadre des
167
intégrations régionales étudiées jusqu'ici n'a plus grande signification
dans ce système monétaire dualiste. C'est conscients de cette situation
que certains pays à faibles ressources naturelles sont devenus
officiellement des États contrebandiers en faisant reposer toute leur
fiscalité sur la politique commerciale de réexportation.
A. Mouvement et nature des échanges
des marchandises de fraude
Les marchandises qui participent à la fraude sont très variées
et suivent plusieurs mouvements qui changent d'orientation selon la
conjoncture socio-économique des États.
D'une façon générale, ces mouvements ont gardé les mêmes
orientations que pendant la période coloniale à savoir, Nord-Sud-
Nord, Est-Ouest-Est. Chacun de ces circuits comporte cette fois des
trafics permanents et semi-permanents.
Parmi les échanges permanents, la kola, les produits finis
comme les tissus, la bonneterie, les chaussures, les produits émaillés,
les appareils électroniques et les friperies, vont du Sud vers le Nord
dans l'autre sens on trouve du poisson fumé pêché dans le fleuve
Niger, des animaux, des peaux.
Dans le sens Est-Ouest-Est, les échanges se font surtout entre
les pays anglophones et francophones, ainsi qu'entre la Guinée et la
Côte-d'ivoire, le Togo et le Bénin. En effet, c'est entre les pays
anglophones et francophones que contraintes douanières et disparités
monétaires sont les plus nettes. La création de la monnaie guinéenne
liée à une politique économique à vocation socialiste a engendré les
mêmes conditions et complètement modifié ses rapports commerciaux
avec ses voisins comme le Libéria et la Côte-d'ivoire. Entre le Togo et
le Bénin la contrebande s'appuie sur le système fiscal légèrement
opposé, sur l'apparition d'un secteur d'Etat très développé au Bénin,
sur l'existence d'un port franc à Lomé et sur le fait que le Togo a signé
des accords bilatéraux avec la CEAO en matière de commerce. Il en
résulte, sur les marchandises d'importation entre les deux pays, des
disparités de droits et taxes si importantes qu'elles font du Togo un
marché intéressant pour les commerçants béninois (huile d'arachide
+31,75 % au Bénin ; tissus imprimés + 21 %, lait + 11% …)51
Des pays anglophones, on importe des produits émaillés, du
carburant, de la tôle ondulée, des ustensiles de cuisine, du savon
51
Chambre de commerce et de l’industrie du Bénin, Note sur la situation
économique à la fin du premier semestre 1982, Cotonou, 1982
168
(lessive et toilette), des voitures d'occasion, des pièces détachées. Le
commerce des voitures et de leurs accessoires concerne surtout les
échanges entre le Nigeria et le Bénin. A l'exportation, les pays
francophones vendent de l'alcool, des tissus imprimés sortis des usines
locales ou venant des Pays-Bas.
Ce commerce qui était pendant longtemps favorable aux pays
anglophones ne profite aujourd'hui qu'aux Etats francophones en
raison de leurs avantages monétaires. Ces échanges portent sur des
chiffres d'affaires assez élevés, notamment dans le trafic occasionnel.
Le trafic occasionnel : il s'agit essentiellement du trafic des
produits agricoles, qui se développe en fonction de l'évolution des prix
pratiqués dans les pays limitrophes.
D'une manière générale, ce sont les produits agricoles des
pays anglophones qui passent dans les pays francophones pour
renforcer le volume de leurs exportations, à l'exception toutefois de
l'arachide du Niger et du Sénégal qui subit le courant inverse. Ce trafic
affecte une quantité substantielle fuite de l'arachide du Sénégal vers la
Gambie52
, du Niger vers le Nigeria53
, fuite du cacao ghanéen vers la
Côte-d'Ivoire et le Togo, fuite du cacao nigérian vers le Bénin54
.
Le mouvement est inverse pour l'arachide parce que le produit
est mieux soutenu dans les pays anglophones. Mais la dégradation de
la situation économique du Nigeria pendant la guerre du Biafra et de
celle du Ghana après Nkrumah avec une monnaie constamment
dévaluée sont à l'origine de la fuite de leurs produits agricoles vers les
zones frontalières. Pour le paysan ghanéen, en particulier, aller vendre
son cacao en territoire francophone est doublement avantageux :
d'abord, il est sûr d'être payé immédiatement car, à l'intérieur, le
marketing board n'arrive plus à honorer sur-le-champ ses
engagements vis-à-vis des paysans. Ensuite il reçoit du Franc CFA
qu'il convertit en nouveau Cédi sur le marché parallèle à un taux si
avantageux qu'il rentre chez lui avec un revenu plusieurs fois
supérieur.
L'importance de ces différentes transactions fait du commerce
clandestin un secteur assez dynamique qui n'épargne aucune région
frontalière de la sous-région (Bénin-Nigeria, Niger-Nigeria, Ghana-
Togo, Ghana-Côte-d'Ivoire, Ghana-Haute-Volta, Gambie-Sénégal).
Entre le Nigeria et le Bénin, ce commerce clandestin porte sur
un chiffre d'affaires annuel supérieur à 12 milliards de Francs CFA. Il
52
Cf. Sekyere, Le commerce de l’arachide en Gambie, Dakar, ISEA, 1962.
53 Cf. Collins, art, cit.
54 Voir O. J. Igué, «Un aspect des échanges entre le Dahomey et le Nigeria :
le Commerce du cacao», Bulletin de l’IFAN (Sér. B), 38 (3), 1976.
169
fait pratiquement du Nigeria le premier partenaire commercial du
Bénin. Le développement exceptionnel du circuit clandestin s'appuie
ici sur la politique de réexportation mise en application par les
autorités de Cotonou depuis 1973. Ainsi, le Bénin est devenu l'un des
marchés relais par excellence du Nigeria bloqué dans son commerce
extérieur par la pratique du contrôle des changes. Le Bénin livre au
Nigeria des marchandises de luxe prohibées ou sévèrement
contingentées, comme les dentelles, les bijoux, les alcools, les
cigarettes et le tabac, etc. En contrepartie, le Bénin reçoit les produits
fabriqués au Nigeria, en particulier des détergents, des matières
plastiques, des appareils ménagers et électroniques et surtout du
carburant. La fraude en carburant représente environ 50 % de la valeur
des importations frauduleuses. Cette fraude est si importante qu'elle a
paralysé la distribution des produits de la SONACOP (Société
nationale pour le commerce des produits pétroliers) sur toute la partie
orientale. Malgré cette importance du carburant, la balance
commerciale est restée à l'avantage du Bénin jusqu'en février 1982.
Mais les dernières mesures prises par le gouvernement nigérian, qui
interdisent l'importation de 33 produits étrangers et instaurent à
nouveau le contrôle des changes, vont considérablement modifier la
conjoncture du commerce parallèle entre le Bénin et le Nigeria.
Le Togo joue le même rôle de marché relais pour le Ghana en
raison de la dégradation de la situation économique ghanéenne. Les
importations en provenance du Ghana portent sur les produits
agricoles (cacao, légumes, fruits, œufs), sur des produits manufacturés
locaux (ustensiles de cuisine, matelas de mousse, lits métalliques, sel)
et enfin sur le diamant pour lequel Lomé est devenu le plus important
marché d'Afrique occidentale. A l'exportation, le Togo fournit le
Ghana en produits de première nécessité et marchandises de luxe dont
le Ghana ne peut plus autoriser l'importation : tabac, cigarettes,
alcools, tissus imprimés d'origine hollandaise, etc. La valeur de ces
exportations serait de l'ordre de 4 milliards de Francs CFA, contre 1,7
milliard pour les importations, selon les estimations de la Banque
centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (agence de Lomé). Ici encore
la balance commerciale est à l'avantage du Togo. Ce chiffre d'affaires
représente la moitié des transactions qui se font entre le Bénin et le
Nigeria. Mais il est très important si l'on rapporte cela à l'importance
de la population ghanéenne, évaluée à 10 millions d'habitants, alors
que le Bénin profite d'un marché de 80 millions d'hommes, plus riche
et plus dynamique.
On pourrait multiplier ces analyses sectorielles en évoquant la
situation entre la Haute-Volta et le Ghana, entre la Gambie et le
Sénégal ou entre la Guinée et ses voisins. Ce qu'il faut surtout
souligner, c'est la conséquence du développement du circuit parallèle
170
sur la formation de nouveaux espaces économiques qui se développent
le long des frontières.
B. Le rôle du circuit clandestin dans le
développement des périphéries
frontalières
Pendant la période coloniale, les régions frontalières
constituaient des espaces déprimés en Afrique occidentale, marginales
dans le processus de développement territorial. Elles se caractéri-
saient, d'une part, par le nombre des postes douaniers, installés à
environ 3 km les uns des autres pour freiner les mouvements
commerciaux, d'autre part, par le flottement de leur population fuyant
le recrutement militaire, l'impôt, les corvées de portage et de
construction d'infrastructures routières.
Aujourd'hui, le développement du commerce parallèle a reva-
lorisé cette zone frontalière, car il a contribué à transformer les postes
frontaliers en pôles urbains, à créer un cordon de marchés qui sont
parmi les plus dynamiques du pays, et à construire des routes de
première qualité liant des Etats naguère antagonistes. Autour de ces
trois phénomènes, se polarise une multitude d’activités économiques
qui sont en train de changer radicalement la vie des populations dans
ces régions frontalières.
Ces mutations caractérisent surtout les frontières du Bénin
avec le Nigeria, du Niger avec le Nigeria, du Togo avec le Ghana, du
Togo avec le Bénin et, à un moindre degré, du Sénégal avec la
Gambie. Aujourd'hui, loin de constituer des régions déprimées, ces
périphéries frontalières offrent plutôt le modèle d'un nouvel espace
économique qui interfère, au niveau des États voisins ; avec les vastes
marchés que constituent la CEAO et la CEDEAO.
Leur apparition et leur développement constituent une nou-
velle forme d'organisation de l'espace national qui modifie très
profondément le rapport Nord-Sud à l'échelon territorial. Cela favorise
aussi une autre forme d'intégration régionale, engageant effectivement
les populations et qui évolue en dehors de tous les regroupements
régionaux officiels.
SOURCES
171
BINGER, L. «Transactions, objets de commerce monnaies
des contrées d'entre le Niger et la Côte-d’Ivoire», Economie ouest-
africaine (BCEAO) 179, 1970.
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commerce africain médiéval du XIè au XVè siècle», Revue d'histoire
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Londres, Longman, 1973.
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pillage organisé, Présence africaine, 1956.
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SCHNAPPER, B. La politique et le commerce dans le golfe
de Guinée de 1838 a 1871, Paris, La Haye, Mouton, 1962.
172
Chapitre 19 :
Malanville, une ville-marché à la frontière
bénino-nigérienne.
Malanville est une petite ville du Bénin située au nord du
pays, sur la rive droite du Niger. Sa population est de 11.146 habitants
au recensement de mars 1979. C’est le chef-lieu du district du même
nom. Mais ses activités commerciales font d’elle une ville bien
connue, aussi bien dans le pays que dans la sous-région, car le marché
de Malanville est l’un des plus importants du Bénin. Venant au
deuxième rang après Dantokpa, à Cotonou ; sa zone d'influence
couvre tous les Etats du Conseil de l'Entente (Bénin, Côte-d'Ivoire,
Haute-Volta, Niger, Togo), ainsi que le Ghana et le Nigeria.
En effet, c'est de ce marché que partent en majeure partie les
oignons consommés dans ces différents Etats, en contre-partie de la
kola, des agrumes, des animaux et de l'ail venant respectivement de la
Côte d'Ivoire, du Ghana, du Togo, de la Haute-Volta, du Niger et du
Nigeria.
Incontestablement, le marché de Malanville apparaît comme
l'un des plus grands centres de redistribution des produits d'origine
agricole de cette sous-région. Dès lors, on se rend compte aisément de
l'impact de ce centre commercial sur son environnement
géographique.
I. La ville et son marché
Le nom originel de cette petite cité est Tassi, qui en langues
Djerma et Dendi signifie sable. En effet, le site de la ville correspond
à la zone d'accumulation des sables provenant du fleuve Niger en
période de crue. Malanville dérive de "Malan", nom d'un des
gouverneurs de l'ancienne colonie du Dahomey. Jusqu'au début du
XXe siècle, cette ville n'existait pas il y avait seulement en bordure du
fleuve quelques maisons de pêcheurs Dendi et d'éleveurs Peul. Le
village le plus important de la localité était Bodjékali, situé à sept
kilomètres au sud de "Tassi" sur la route internationale Bénin-Niger.
Vers 1910, les tatas de pêcheurs dispersés dans la vallée du fleuve
furent regroupés en un seul village Tassi, la future agglomération de
Malanville, qui va évoluer progressivement avec l'arrivée de nouveaux
173
habitants qui vont s'installer dans cette plaine d'inondation en créant
de nouveaux quartiers. Le noyau primitif est Wolo, quartier de
pêcheurs et d'éleveurs, situé au nord-ouest, en bordure du fleuve.
L'installation s'était effectuée de façon spontanée avec les
Djerma-Dendi venus du Niger (région de Gaya-Dosso), des Dendi et
Peul du Bénin septentrional. Les liens de parenté parfois très poussés
favorisaient une atmosphère d'entente et de collaboration entre ces
peuples d'origines nigérienne et béninoise, mais de civilisation
identique. Jusqu'en 1950, Malanville n'était cependant qu'un village de
500 à 600 habitants. Les premières maisons rappelaient les habitations
Peul : des cases rondes construites en paille. La forme rectangulaire
des habitations est apparue vers les années quarante avec l'arrivée
d’une autre vague d'étrangers, surtout les militaires et les cadres de
l'administration coloniale.
A. La ville et ses quartiers
Malanville est bâtie dans la plaine d'inondation du Niger, au
point de rupture de charge entre la route et le fleuve, sur un site
sablonneux gorgé d'eau par endroits en saison des pluies, ce qui
favorise le pullulement des moustiques en toutes saisons. Elle
s'allonge de part et d'autre de la route internationale Bénin-Niger sur
une distance de 2 km environ. A l'ouest de cet axe de circulation
principal, la ville s'étale largement de la bordure du fleuve jusqu'à la
zone de lotissement récent constituant la limite sud de l'agglomération
urbaine. C'est dans cette partie que sont installés la plupart des
services publics ; ainsi du nord au sud, on trouve le marché, le
commissariat de police, les bâtiments de l'AGB (Alimentation
Générale du Bénin), le bureau du district et la résidence du Chef de
district, le Service des Douanes. Plus en profondeur, en s'éloignant du
"goudron" sur quelques centaines de mètres, se trouvent les
établissements scolaires : l'école de base à proximité de laquelle se
dresse la maternité ; plus loin, c'est le collège d'enseignement moyen
général bâti dans la zone des nouveaux lotissements, ainsi que le
service du Centre d'Actions Régionale pour le Développement Rural
(CARDER).
Du côté opposé en venant de Bodjékali, la ville est moins
étendue : elle forme une bande étroite longeant la route internationale.
Du nord au sud, on y trouve aussi quelques services. Toujours en
partant du fleuve, après la grande place publique plantée d'arbres et
entourant le monument aux morts, se trouvent la poste, la pharmacie
174
populaire, la salle de cinéma (OBECI). Encore plus loin, à cent mètres
environ de la route, se trouve le service vétérinaire.
Au total, Malanville a la forme d'un polygone irrégulier limité
au nord par le fleuve Niger, s'allongeant de part et d'autre de la route
internationale qui la divise en deux parties inégales, la partie
occidentale étant la plus étendue. On y compte cinq quartiers.
Les quartiers Wolo et Tassi-Zénon constituant le noyau
primitif, sont situés en bordure du fleuve et habités essentiellement par
les éleveurs Peul et les pêcheurs Dendi-Djerma qui en sont les
premiers habitants. C'est à partir de ces deux quartiers que Malanville
s'est développée, formant autour de ce premier noyau trois autres
quartiers : Wourohesso, Galiel et Tassi-Tédji.
Wourohesso est le troisième quartier autochtone après Wolo
et Tassi-Zénon. On y rencontre des originaires de la région, en
particulier les Dendi qui sont de loin les plus nombreux.
Galiel, Situé du côté est, à droite de la route internationale en
allant vers le Niger, est peuplé en grande partie de fonctionnaires ;
c'est là que l'administration coloniale avait installé des militaires et des
cadres coloniaux dans le souci d'assurer correctement la liaison entre
l'ancienne colonie du Dahomey et le Niger. Ce quartier a toujours
conservé ses vieilles prérogatives, en y ajoutant d'autres innovations
portant sur les petits métiers de service: bars, restaurants, boutiques,
etc.
Tassi-Tédji, nouveau quartier ayant été partiellement loti est
dominé par les commerçants étrangers, en particulier les Haoussa et
les Yoruba du Nigeria, auxquels s'ajoutent les populations du moyen
Bénin : Sabè, Idaïtcha et Mahi en particulier.
En parcourant ces différents quartiers, on est frappé par leur
caractère essentiellement rural et par la prépondérance de certains
groupes ethniques. Cette situation au niveau des quartiers traduit le
caractère récent du processus d'urbanisation, les nouveaux immigrants
n'étant pas entièrement intégrés. Cependant, cela témoigne du
dynamisme de ce processus dans la mesure où l'évolution urbaine n'est
pas seulement due à la simple croissance naturelle. Le caractère rural
de la ville se traduit par l'absence d'eau courante et d'électricité,
l'absence de plan d'urbanisme, etc.
Les maisons construites forment des îlots compacts entre
lesquels serpentent des sentiers qui ne sont accessibles qu'aux piétons
et aux cyclistes, ce qui rend difficile ou interdit parfois la circulation
en automobile.
Les Peul installés dans la zone périphérique habitent toujours
les cases rondes sans ouverture en dehors de l'unique porte d'entrée.
Elles sont faites de bois et couvertes de pailles.
175
A côté de ces maisons d'habitation Peul se trouvent deux ou
trois greniers dans lesquels sont conservées les céréales, surtout le mil
pour la période de soudure. Cependant, dans les quartiers
administratifs tel que Galiel, et d'immigrants comme Tassi-Tédji,
l'habitat porte l'empreinte d'une évolution. Celle-ci concerne d'un côté
les constructions rectangulaires en terrasse apelées Sidjifia , de l'autre
sur des habitations au toit couvert de tôle ondulée.
Au moment du recensement administratif (1977), la commune
urbaine de Malanville, qui s'étend sur une superficie de 136 km2
environ comptait 11146 habitants répartis entre deux localités
suburbaines (Bodjékali et Koki groupant 2 148 personnes) et cinq
quartiers urbains avec 8 998 habitants : Wolo, Tassi-Zénon et
Wourohesso, qui constituent les premières zones habitées, groupent
tous trois environ 5 044 personnes. Tassi-Tédji compte environ 2 140
personnes. Galiel est le quartier le moins peuplé avec 1815 habitants.
Malanville est une petite ville cosmopolite : tous les groupes ethniques
du Bénin y sont représentés pour des activités diverses en particulier
le commerce et la pêche ; ainsi, les pêcheurs Popo installés à Galiel
constituent une petite colonie de 100 personnes environ.
Les groupes les plus importants sont les Djerma, 30 % de la
population urbaine totale ; les Dendi, 25 % les Haoussa, 15 %. Puis,
viennent les Peul (10 %), les Bariba (4 %) ; les Nagot, dont la plupart
sont de la région de Savè, représentent 6 %. Les Fons arrivés dans la
région pour exercer divers métiers (commerce, artisanat, etc.),
représentent 4 % de la population totale, les autres formant des
minorités dont la présence est à peine perceptible.
Bien que la population de la ville soit un mélange de plusieurs
groupes d'origines diverses, certains quartiers semblent avoir leur
personnalité marquée par la présence majoritaire de certains groupes
ethniques. Ainsi, Wourohesso est dominé par les Peul, Wolo est le
premier quartier des Dendi, Tassi-Tédji est habité à plus de 50 % par
les Haoussa et les Nagot. La population de Galiel est plus hétérogène,
avec cependant une forte population de Dendi et Haoussa.
Au total, avec le caractère cosmopolite de sa population ajouté
au développement du tertiaire, Malanville, ancien gros village, évolue
aujourd'hui vers une véritable agglomération urbaine. Grâce à sa
position de ville frontière, à son marché situé au carrefour des
communications fluviales et terrestres, les fonctions urbaines iront en
se développant. Elle est bien située par rapport à Parakou, grand nœud
ferroviaire et terrestre, chef-lieu de province situé à 317 km au sud; au
nord, au-delà du fleuve, la capitale du Niger, Niamey, est seulement à
302 km. Du côté nigérian, Sokoto, grand centre commercial en pays
Haoussa, est distant de 280 km Ainsi trois grands centres urbains
situés à des distances à peu près égales de Malanville, communiquent
176
avec elle par des voies terrestres bitumées, ce qui la renforce dans son
rôle de marché à la fois national et international.
B. Le marché
Dans les sociétés africaines traditionnelles, le marché
constitue un lieu de rencontre et d'échange de produits agricoles,
volailles, bétail, etc. C'est dans cet esprit que le marché de Malanville
a été créé sous l'impulsion de l'administrateur français installé dans la
région vers 1919. Mais très tôt, au fur et à mesure qu'il prenait de
l'ampleur, il a été déplacé du bord du fleuve, son site initial, vers la
place publique en bordure du "goudron", en face de son emplacement
actuel. C'était essentiellement un marché local de vivres, céréales,
tubercules, poisson, bétail, etc. Il n'avait presque pas de rapport avec
les populations du Borgou-sud, mais les échanges se faisaient de part
et d'autre de la vallée du fleuve, avec les populations de Gaya. Avant
la construction du pont, la liaison avec le Niger se faisait à l'aide des
pirogues et des plate-formes placées sur le fleuve, ce qui n'était pas
bien commode pour un centre commercial à vocation internationale.
Déjà vers 1940, Malanville était devenue un centre important et
attirait les clients des régions lointaines du pays : Porto-Novo,
Cotonou, Abomey - Bohicon, etc. Avec la route internationale et
l'ouverture du pont sur le fleuve Niger en 1959, la liaison directe avec
la République du Niger et le Nigeria du nord s'est établie ; ainsi, très
vite, la facilité de circulation des biens et des personnes a fait de
Malanville un grand marché international pour le Borgou Nord.
La création de ce marché a totalement perturbé les anciens
rapports politico-adrninistratifs dans la vallée : elle a précipité le
déclin de Guéné et de Karimama, respectivement ancien siège de
l'administration coloniale et capitale du royaume Dendi. En effet, le
développement de Malanville a montré qu'il était plus commode de
régler tous les problèmes frontaliers entre l'ancienne colonie du
Dahomey et celle du Niger à partir du fleuve plutôt que de Guéné,
situé à 25 km plus au sud. Ainsi, Guéné perdit tout privilège lié à la
fonction administrative, en particulier le développement urbain.
Aujourd'hui, elle est reléguée au simple rang de commune rurale, dont
la population se vide au profit de Malanville.
La question qu'il faut tout de même se poser est celle de savoir
si cette promotion permettait à Karimama de retrouver ses anciennes
prérogatives. Actuellement cela est difficile à concevoir. La situation
d'enclavement de cette localité et de tout son arrière-pays administratif
apparaît comme un grand handicap, alors que Malanville jouit de sa
177
position privilégiée sur les grands axes de communication la reliant à
Parakou, Niamey et Sokoto.
Le marché de Malanville a connu depuis sa création deux
périodes d'évolution.
De son origine jusqu'en 1979, les activités de ce centre
commercial s'effectuaient de part et d'autre de la route internationale,
depuis la résidence du chef de district jusqu'au Commissariat de police
vers la vallée du fleuve. Malanville se présentait alors comme un
marché-rue, sans infrastructures correctes pouvant garantir la
protection des marchandises et des personnes par temps de pluie. Les
commerçants s'installaient comme ils le pouvaient, de façon
anarchique, l'essentiel pour chacun étant de pouvoir bien vendre. Par
ailleurs, avec l'encombrement de la route par les commerçants
ambulants qui ne se préoccupent guère de la circulation des engins
motorisés et des automobiles, les accidents étaient fréquents. En se
tenant de cette façon dans la rue, le marché était devenu un lieu
d'insécurité pour la population et les nombreux clients. Pour prévenir
une aggravation de la situation, il fut décidé le transfert du marché de
son site initial à un nouvel emplacement l'opération devint effective en
janvier 1980.
En effet, en 1979, les autorités administratives de Malanville
ont mis à exécution le plan local d'aménagement du marché situé au
nord-ouest de la ville, sur le côté gauche de la route internationale
Bénin - Niger. Il s'étend le long du fleuve, formant presque un
rectangle qui occupe une superficie totale de deux hectares. Cette
place a été spécialement aménagée pour la construction en tôle
ondulée de 1 550 hangars de 9 m2. L'acquisition de ces parcelles de 3
x 3 m ne fit l'objet d'aucune convention. Il suffisait de faire une simple
demande verbale ; moyennant la modique somme de 2 000 francs
CFA, on était automatiquement inscrit sur la liste des acquéreurs
auprès du comité chargé de l'aménagement et de l'attribution des
places. A l'exception des lots réservés aux hangars de stockage, aucun
individu ne pouvait postuler plus de trois "carrés", quels que soient ses
moyens financiers. En fait, il s'agit d'une location plus que d'une réelle
vente. Cette dernière précaution permet à l'Etat de faire dégager à tout
moment les acquéreurs si besoin était ; elle a aussi l'avantage
d'empêcher toute spéculation sur la revente éventuelle des lots acquis.
C'est seulement après ces dispositions que le recasement fut opéré par
les responsables du District.
Les nouveaux bénéficiaires de ces lots peuvent les transformer
s'ils le désirent en un seul abri ou s'associer à plusieurs pour faire un
grand hangar ; c'est d'ailleurs cette formule qui a le plus séduit les
propriétaires de parcelles. Quoiqu'il en soit, chaque acquéreur était
tenu d'y construire un hangar solide en tôle ondulée, suivant le plan
178
imposé par les autorités locales afin de donner au nouveau marché un
aspect homogène.
Ainsi, depuis décembre 1979, Malanville est dotée d'un
marché moderne qui ne souffre pas des défauts des installations
anarchiques en plein air qui caractérisaient l'ancien marché. Les
commerçants y sont répartis suivant la nature et l'importance de leurs
marchandises. La priorité est donnée aux vendeurs de tissus qui
occupent les premiers hangars à l'entrée est du marché. Ensuite
viennent les vendeurs de friperie, qui semblent être en permanence sur
les lieux continuant leur activité les jours ordinaires de la semaine. Le
troisième groupe aussi important est celui des vendeuses d'articles
émaillés : bols, récipients de toutes dimensions, casseroles,... et de
divers objets en matière plastique importés essentiellement du Nigeria.
Puis, vient l'immense zone des hangars mixtes sous lesquels se
côtoient vendeurs de sel et vendeurs de cigarettes, vendeurs de pièces
détachées pour cycles-cyclomoteurs et vendeurs de friperie ou
pharmacopée africaine, vendeurs de conserves et de sucre sur étalage
et vendeurs de gari au détail, etc. Plus en profondeur, non loin de la
zone d'inondation, à l'extrême bout du marché, c'est le rayon des
vendeurs de kolas importées des pays voisins de la zone des forêts
humides. Enfin, l'extrémité nord-est correspond au domaine des
produits vivriers ; c'est là que sont construits la plupart des magasins
de stockage.
Dans l'ensemble, malgré la grande liberté de mouvement entre
les vendeurs des divers produits qui se rencontrent çà et là, la
prédominance de certaines marchandises dans les endroits bien
déterminés sur l'aire du marché de distinguer plusieurs zones :
- la zone des produits vivriers ;
- la zone des tissus ;
- la zone des friperies ;
- la zone des émaillés ;
- la zone des divers et la zone des kolas.
Ce nouveau marché présente une structure très simple
facilitant son entretien et l'encadrement de la clientèle qui, pour le
moment, s'installe aisément. Cependant, tous les habitants de la ville
sont d'avis que ce nouveau lieu d'échange est moins dynamique que
l'ancien ; ils lient ce manque de dynamisme à cette nouvelle structure.
Effectivement elle pose un certain nombre de problèmes éloignement
de l'aire de parking toujours située dans la zone de l'ancien marché,
d'où difficulté pour les véhicules d'accéder aux nouveaux hangars ;
étroitesse des voies de circulation séparant les hangars à cet effet, il est
prévu seulement un axe principal de 6 m de large, et deux de trois
179
mètres sur lesquels débouchent les allées secondaires de 3 m ;
l'attribution de 1 550 hangars à des locataires particuliers est un
facteur limitatif du nombre de la clientèle ; enfin, une bonne partie du
marché est dans une zone d'inondation en période de pluies, ce qui
limite encore les possibilités d'accueil du nouveau quartier.
Au-delà de ces remarques, il est incontestable que l'aire du
nouveau marché est plus importante que celle de l'ancien.
L'éparpillement de la clientèle sur cette superficie peut donner
l'illusion d'un manque de dynamisme. Quoiqu'il en soit, le nouveau
marché se trouve rejeté à l'extrême nord de la ville, bloqué contre le
fleuve Niger, alors que l'extension de la ville se fait du côté opposé.
Le plan d'aménagement de Malanville aurait dû tenir compte de cette
réalité pour orienter l'implantation du nouveau marché qui, finalement,
reste caché par les grands magasins longeant la route internationale
Bénin-Niger. Cette situation posera tôt ou tard avec l'accroissement de
la ville et de la clientèle, de sérieux problèmes au fonctionnement du
marché.
II. Le fonctionnement du marché
Il s'agit ici de mettre un accent sur les activités du marché : la
clientèle, les marchandises échangées et les divers services nés de la
présence de ce centre commercial.
A. La clientèle
Son appréciation correcte exige la mise au point de toute une
méthodologie. En effet, malgré l'abondance des études réalisées sur
les marchés traditionnels en Afrique, l'analyse de la clientèle a
toujours posé des problèmes aux différents chercheurs ; généralement,
on insiste très peu sur cet aspect, qui est pourtant un élément majeur
du dynamisme des centres commerciaux.
En ce qui concerne le marché de Malanville, nous avons tenté
de répondre à la question en utilisant quatre méthodes :
- Recensement direct de la clientèle sur le marché ;
- Dénombrement des véhicules sur le parking et
aux abords du marché ;
- Blocage des principales voies d'accès au marché à
l'aube ;
180
- Comptage des souches de tickets vendus par la
société d'exploitation des marchés.
1. Recensement sur le marché
Cette méthode n'est finalement applicable que pour les
commerçants assis devant les étalages. Elle élimine le groupe des
acheteurs à cause de leurs déplacements incessants.
A partir de ce recensement, nous avons pu compter lors de la
première enquête du 1er au 15 septembre 1980, environ 550 vendeurs,
dont 345 pour les produits manufacturés et 205 pour les produits
vivriers et divers. A la deuxième sortie au mois de janvier 1981, cet
effectif est monté à 697 dont 345 pour les produits manufacturés et
352 pour les autres marchandises. Le recensement de l'effectif, à cette
période de l'année est lié à l'afflux des vendeurs d'oignons qui ont
particulièrement dominé le secteur agricole.
Au cours de la dernière enquête, environ 600 vendeurs étaient
dénombrés, dont près de 310 pour les produits manufacturés et le reste
pour le secteur agricole et divers. C'est toujours dans ce dernier
secteur qu'on enregistre des variations. C'est ainsi que lors de cette
dernière tournée, la kola représentait une part importante des produits
végétaux.
A partir de ces différentes observations, on peut dire que le
nombre des vendeurs qui exploitent le marché de Malanville est voisin
de 650. Le caractère peu changeant de ceux qui livrent les produits
manufacturés toujours exposés sous abri est en rapport direct avec le
mode d'attribution des parcelles, tel qu'il avait été défini plus haut. Par
contre, le changement périodique de ceux qui exposent les produits
d'origine agricole est lié au rythme climatique. Ceux-là n'ont guère
besoin d'abri permanent, et étalent pour la plupart leurs marchandises
en plein air ou le long des allées. 2. Dénombrement des véhicules sur le parking et aux abords
du marché
Cette démarche a aussi l'inconvénient de ne prendre en
considération que la clientèle étrangère. Néanmoins, il offre l'avantage
de mieux apprécier le rayonnement du centre commercial. Les
résultats obtenus au cours de nos différentes enquêtes sur le terrain ont
permis de déterminer la provenance des véhicules et l'origine des
clients.
Pour la journée du 6 septembre 1980, 80 véhicules
automobiles ont été recensés, dont 46 immatriculés au Bénin, 18 au
Niger, 17 au Nigeria, 4 au Togo et 5 en Haute-Volta. En dehors des
181
véhicules automobiles, il a été compté 20 voiturettes tirées par une
paire de bœufs chacune et transportant entre quatre et six personnes,
25 pirogues motorisées, dont huit provenant du District de Karimama,
trois du Niger et quatorze du Nigeria ; chacune d'elles peut transporter
plus de 50 personnes. En outre, une bonne partie de la clientèle arrive
à dos de mulet ou à pied.
En considérant toutes les places offertes par ces divers
moyens de transport, on peut estimer que Malanville accueille plus de
3 000 personnes les jours de marché, mais ce nombre peut varier d'une
date à l'autre. Ainsi, le 3 janvier 1981, 125 véhicules ont été
dénombrés, venant d'horizons divers : 79 du Bénin, 20 du Niger, 18 du
Nigeria, 13 du Togo, 1 de Haute-Volta.
Cela suppose une affluence beaucoup plus importante en cette
période de l'année.
Par ailleurs, sur la base de véhicules qui servent de taxis-
brousses et dont le nombre de places est marqué sur les portières, on
peut estimer à 896 personnes l'effectif des passagers transportés par
les voitures d'immatriculation béninoise, 346 personnes l'effectif des
passagers transportés par les voitures d'origine nigérienne, 133
personnes en provenance du Nigeria, 23 du Togo, 52 de Haute-Volta,
soit un total de 1 450 passagers environ acheminés par les taxis vers le
marché. Or, nous savons très bien qu'en Afrique, les camions qui
servent au transport des marchandises prennent également des
passagers. Si on estime à 10 le nombre de ces passagers par véhicule,
le résultat serait nettement plus élevé, et on aurait environ : Bénin,
1066 personnes ; Niger, 396 ; Nigeria, 143 ; Togo, 143 ; Haute-Volta,
52. On en arrive ainsi à un effectif total de 1792 passagers acheminés
vers Malanville par ces 125 véhicules à raison d'un seul voyage.
Par ailleurs, les taxis-brousses assurant la liaison entre Kandi
et Malanville, Gaya et Malanville, Dosso et Malanville, etc.,
effectuent plusieurs voyages par séance de marché.
En dehors des véhicules automobiles, 102 voiturettes tirées
par une paire de bœufs chacune ont été également recensées en janvier
contre 20 au mois de septembre. Provenant toutes des communes de
Garou et de Tombouctou, elles transportent chacune entre 4 et 6
personnes. Si l'on considérait seulement le chiffre 4 multiplié par 102
(voiturettes), on obtiendrait 403 autres personnes qui pourraient
s'ajouter à l'effectif antérieur.
Toujours dans la série de ces moyens de transport, se trouvent
les pirogues. Au port fluvial de Malanville situé au quartier Galiel, il a
été dénombré pour la même séance du 3 janvier 1981, 37 grosses
pirogues à moteur dont 18 provenant du Nigeria, 3 du Niger, et 16 de
Karimama. Les propriétaires de ces pirogues ont affirmé qu'elles
peuvent transporter chacune au moins 40 personnes.
182
Nous avons assisté au départ de trois d'entre-elles ; celles-là
ont transporté en moyenne 40 passagers, ce qui correspond d'ailleurs
au nombre de banquettes aménagées pour servir de siège. Sur cette
base, on peut estimer à 1 480 l'effectif des passagers qui arrivent à
Malanville le jour du marché par voie d'eau.
En fonction donc des véhicules automobiles, des voiturettes à
traction animale et des pirogues, Malanville accueillerait le jour du
marché environ 3 900 étrangers.
A cet effectif, il faudrait ajouter ceux qui arrivent par cycles,
cyclomoteurs, ainsi que les piétons. Sans exagération, pour cette
période de l'année (mois de janvier) et en se basant sur l'analyse des
différents moyens de transports, Malanville bénéficierait d'une
clientèle d'environ 4 000 personnes.
3. Blocage des principales voies d'accès au marché
Cette opération consiste à mettre une équipe d'enquêteurs à
l'entrée des principales routes et pistes conduisant à Malanville très tôt
à l'aube. Le rôle de ces enquêteurs est de procéder au recensement
systématique des véhicules et des personnes venant de divers horizons
pour la fréquentation du marché. Elle a été seulement tentée une fois
au mois de janvier 1981 à Malanville. En effet, il s'agit d'une
méthodologie extrêmement délicate, qui demande beaucoup de temps
; mais ses résultats sont de loin les plus significatifs : non seulement
cela permet un comptage direct de tous ceux qui arrivent au marché
(grâce au concours des agents de la douane), mais il permet aussi de
mieux cerner la nature et la provenance de toutes les marchandises
apportées. Le blocage opéré les 9 et 10 janvier 1981 a donné les
résultats suivants : 152 véhicules automobiles, 130 voiturettes à
traction animale, 2 335 passagers venant de toutes les directions.
Si l'on ajoute à ce chiffre l'effectif des passagers arrivés par
voie d'eau, estimé à 1 560 personnes, on aurait une clientèle d'environ
4 489 personnes arrivées à Malanville. Ce résultat confirme à peu de
chose près celui obtenu à partir des moyens de transport recensés au
cours de la même séance.
Somme toute, cette technique du blocage des routes permet
d'affirmer que le comptage des véhicules sur le parking et aux abords
du marché est une méthode valable pour l'appréciation de la clientèle
étrangère, en particulier dans le cas précis de Malanville dont la
vocation internationale prend nettement le pas sur le rôle régional. Dès
lors, suivant l'importance régionale, nationale ou internationale des
centres d'échanges traditionnels, on s'orienterait vers l'une ou l'autre
méthode.
183
4. Comptage des souches de tickets vendus par la société
d'exploitation des marchés
Toujours pour vérifier la qualité des différentes démarches,
nous avons utilisé une dernière méthode qui consiste en un
dépouillement des souches de tickets vendus aux commerçants par la
Société d'Exploitation des marchés. Ces tickets vendus permettent en
fin de journée de savoir le nombre des marchands effectivement taxés
dans le compte de la Société. Cependant, des problèmes se posent
encore à ce niveau. En effet, si les vendeurs des produits manufacturés
payent une fois dans la journée pour leur place, la situation se
complique avec les commerçants en produits vivriers, taxés sur
chaque sac apporté au marché (par exemple, celui qui vient avec dix
sacs prend dix tickets). Pour contourner cette difficulté, il importe
d'exiger des agents de la Société d'Exploitation une enquête spéciale
les obligeant à uniformiser leur méthode. Ainsi, il leur a été demandé
de matérialiser chaque commerçant taxé par un trait sur papier libre ou
dans un carnet spécial. Le défaut de cette méthode est qu'elle
débouche uniquement sur une appréciation des vendeurs.
Le dépouillement des souches des tickets vendus au marché
du 24 mai 1981 a donné le résultat suivant : produits vivriers, 235
vendeurs ; produits manufacturés, 300 ; poisson, volailles, nattes et
divers, 86, soit au total 621 vendeurs. Ce résultat confirme à peu de
chose près celui du dénombrement direct effectué au cours de la même
mission. C'est donc dire que ces quatre méthodes d'approche sont
toutes valables. Elles permettent d'apprécier la situation de la clientèle
à chaque période de l'année. Ainsi, le marché de Malanville est le plus
animé à la saison sèche après les grandes récoltes. A cette période, on
peut estimer à 5 000 environ le nombre de ceux qui viennent d'ailleurs
participer à son animation. Il est moins fréquenté au début de la
campagne agricole ; entre avril et mai, on y compte environ 3 000
étrangers. Cependant, les produits ne sont jamais absents à Malanville
malgré les fluctuations de la clientèle.
B. Les produits commercialisés
Les produits vivriers tiennent une place importante, puis
viennent les textiles, les émaillés, les produits animaux et les divers.
1. Les produits agricoles
Ils sont exposés à l'extrémité nord-est du marché longeant la
vallée du fleuve devant une série de 22 hangars servant en même
184
temps au stockage. La gamme de ces produits vivriers est longue ; par
ordre d'importance viennent l'igname, le sorgho, le maïs, l'oignon, le
piment, les dérivés du manioc comme le gari et le tapioca. Ensuite,
arrivent les fruits tropicaux dont la kola, les oranges, les bananes, les
produits maraîchers tels que le gombo, les pastèques, les courges, etc.
Ces produits viennent parfois de très loin, et une partie de la
commercialisation est assurée directement par les producteurs ; mais
la grande majorité de ceux qui se livrent au commerce de ces produits
jouent plutôt le rôle d'intermédiaires entre producteurs et
consommateurs venus d'horizons divers (Niger, Nigeria, Bénin...). Ces
commerçants connaissent les variations des prix d'une région à l'autre
et d'une saison à l'autre au cours de l'année, ce qui leur permet de
réaliser de très bonnes affaires, surtout lorsqu'ils disposent de stocks
importants en période de soudure.
a- Les tubercules
L'igname occupe une place importante dans la gamme des
produits vivriers exposés sur le marché, principalement aux mois de
septembre-octobre, période correspondant à la grande récolte. Plante
annuelle, l'igname apparaît aux mois de juin-juillet, mais la grande
période de commercialisation au marché de Malanville pour ces
nouveaux tubercules se situe en août, septembre et octobre. Les grands
producteurs sont les Bariba et les populations de l'Atacora sud; ainsi
l'igname vient des régions de Parakou, N'dali, Nikki, Djougou... La
vente est assurée par ces mêmes populations ; elle se fait généralement
en détail par tas de 3, 6, 12, 24 tubercules, dont le prix peut varier
entre 200 F, 600 F, 1 200 F et 2 400 F CFA suivant la grosseur et la
variété des morceaux. La vente en gros se fait par sacs de 100 à 150
kg à raison de 6 à 8 000 francs le sac. Les acheteurs privilégiés de
l'igname sont surtout les Nigériens.
Le manioc est commercialisé sous forme de farine (gari) ; en
période de pluies, il est moins important que l'igname. Le gari ne
constitue pas l'alimentation fondamentale des populations du nord. Il
semble transiter en grande partie par Malanville avant d'atteindre les
villes du Niger méridional, où vivent de fortes colonies béninoises,
consommatrices de farine de manioc.
Le gari provient principalement de la province du Zou les
districts ruraux de Savalou, Dassa-Zoumé, Savè et Ouèssè en sont les
grands fournisseurs sur le marché. C'est surtout en saison sèche qu'il
est le plus commercialisé ; en effet c'est un produit très délicat, qui
craint l'humidité et la pluie. Il se présente comme un plat cuisiné qui
se prend directement délayé à l'eau sucrée, à l'huile ou à la sauce ;
mélangé au riz ou au haricot cuit, il constitue un excellent plat de
185
résistance apprécié des ouvriers et des travailleurs déployant un grand
effort physique. Le gari est vendu dans des sacs de 50 kg et de 100 kg,
dont le prix varie entre 5 000 francs et 10 000 francs CFA en période
normale ; pendant la période de soudure, le prix monte avec la pénurie
des vivres.
b- Les céréales
Le mil est la céréale par excellence du Borgou-Nord,
caractérisé par un climat tropical de type soudano-sahélien. La hauteur
des précipitations ne dépasse guère 900 mm au cours de l'année. On
en distingue deux variétés : le sorgho et le petit mil, vendus
généralement dans de grands sacs de 100 kg après avoir subi une
opération de décorticage au mortier. Le prix de vente en gros est
d'environ 6 000 F les 100 kg en période de pluies. L'achat se fait dans
les magasins de stockage auprès des hommes, mais par contre la vente
en détail est effectuée par des femmes à l'aide des mesures appropriées
récipients adjanjan chez les Fon. Au cours des années de sécheresse,
la production faiblit, l'approvisionnement devient difficile, ce qui
entraîne une augmentation importante des prix. En toute période, un
consensus se réalise entre les vendeurs qui fixent un prix plancher au-
dessous duquel personne ne saurait descendre, de peur d'entraîner une
grave dévaluation de la marchandise. Le mil, aliment de base de la
région, est consommé sous formes diverses : ledonnou chez les Peul
ou foura chez les Houssa-Djerma est une pâte épaisse que l'on
consomme aussi sous forme de bouillie chaude. La pâte dure qui
rappelle quelque peu celle de maïs et de cossette d'igname est
consommée à la sauce préparée avec divers ingrédients : viande ou
poisson, piment, tomate, oignon, gombo, etc.
Ainsi, la production locale de mil est orientée essentiellement
vers la consommation familiale, et il est difficile de déterminer la
quantité réservée à la commercialisation. Une bonne partie du mil
vendu à Malanville vient des régions de Kandi, Parakou, Sinendé,
Ségbannan.
Le maïs est aussi une céréale importante sur le marché : il
vient en deuxième position après le mil. La spécialité de la région de
Malanville, voire du Borgou, est le maïs jaune, dont la récolte se fait
une seule fois dans l'année, compte tenu de la durée des pluies qui ne
dépassent guère quatre mois. Comme le mil, il est consommé sous
plusieurs formes : séché et moulu, il est transformé en bouillie, en pâte
conditionnée sous forme de boules dans des feuilles vertes, c'est
l'akassa qui se conserve pendant plusieurs jours. Très souvent, le maïs
se consomme sous forme de pâte dure qui se prend à la sauce c'est le
repas quotidien chez les originaires du sud résidant à Malanville. C'est
186
aussi un produit destiné essentiellement à la consommation familiale.
Ainsi des centaines de sacs de 100 kg livrés sur le marché proviennent
principalement des autres régions du pays : le maïs blanc provient des
provinces du Zou et du Mono, du District Rural de Dogbo en
particulier. Le maïs jaune vient du Borgou Sud et surtout de la région
de Kandi.
Malanville se caractérise par l'abondance des produits
vivriers, en particulier au mois de janvier qui correspond à la grande
récolte ; on note aussi une certaine spécialisation par saison :
prédominance de l'igname au mois de septembre, noix de néré et
dérivés de l'igname en janvier, sorgho et maïs au mois de mai qui
correspond à la période de soudure ; c'est à cette époque que le prix de
vente de ces différentes denrées est le plus élevé. L'abondance des
marchandises en janvier et le renchérissement des prix au mois de mai
se justifient aussi par la fermeture des frontières à l'exportation des
vivres, qui intervient périodiquement et de façon plus rigoureuse à la
soudure. Cela entraîne de temps en temps une situation de blocage qui
dure plusieurs mois, corrigée partiellement par une sortie clandestine
des denrées utilisant la voie d'eau. Cette situation suscite une
atmosphère de spéculation, très profitable aux commerçants bien
organisés.
c- Les produits maraîchers et autres denrées
En dehors des tubercules et des céréales qui sont les produits
de grande consommation, le marché de Malanville reçoit encore de
nombreuses denrées dominées par les produits maraîchers notamment
les légumes et les piments.
L'oignon est la spécialité de la région de Malanville ; il est
produit surtout dans les communes rurales de Garou et de Tomboutou.
Garou est située dans la plaine d'inondation comprise entre la Sota et
le Niger, Tomboutou entre l'Alibori et le Niger. En effet, l'oignon est
une plante délicate qui nécessite beaucoup de soins et un apport
constant d'eau. A Malanville, les vendeurs d'oignons en sont en même
temps les producteurs. Il n'y a donc pas d'intermédiaire avant la
livraison sur le marché. Il est acheté essentiellement par des
commerçants béninois venus de toutes les régions, ainsi que par des
commerçants togolais. Le transport des régions productrices au
marché se fait par des charrettes tirées par une paire de bœufs. La
plupart des producteurs-vendeurs d'oignons sont Dendi, généralement
des hommes qui se font aider par les membres de leur famille. La
vente de ce produit procure aux paysans les revenus importants qui
leur permettent de s'acheter des outils modernes (moto-pompes)
facilitant l'arrosage des pépinières et des jardins bien enclos. La vente
187
en gros ou en détail se fait en plein air. Le revenu procuré par l'oignon
peut atteindre 500 000 F. CFA pour un paysan au cours d'une année de
bonne récolte. La commune de Garou est la première région
productrice d'oignons, dont les paysans tirent de grands profits ; toutes
leurs maisons sont couvertes en tôle ondulée, ce qui constitue un signe
extérieur de richesse.
Le village de Koki a abandonné la culture du coton dont la
vente est moins rentable que celle de l'oignon. Ce condiment, dont la
consommation s'étend au-delà des frontières nationales, se vend très
bien, ce qui décourage toute activité de coopérative dans le sens du
développement des cultures d'exportation. L'essentiel pour les
villageois est de pouvoir améliorer leur condition de vie avec un
revenu monétaire important.
En dehors de ce condiment essentiel, il faudrait signaler le
piment, le sel et la potasse, dont l'importance n'est pas négligeable sur
le marché, ainsi que les légumes verts et les huiles végétales.
d- La kola
Celle-ci occupe la partie sud-ouest du marché correspondant à
la zone d'aménagement encore inachevée, où les eaux stagnent en
période de pluies. Il s'agit d'une aire de quatre rangées de hangars
correspondant à 98 lots de 9 m². A la différence des autres, ces
hangars sont faits de séko et couverts de chaume. Ces précautions
tiennent compte des conditions de conservation de ce produit très
sensible à la sécheresse. Ainsi, pour conserver le maximum d'humidité
sous ces hangars, le sol est quotidiennement arrosé et les sacs de kola
périodiquement mouillés dans la journée. On y compte environ 300
sacs, dont le poids varie entre 70 et 10 kg selon la grosseur et la nature
des noix (la kola rouge est plus lourde que la jaune). La kola vient
essentiellement du secteur de Palimé et Badou au Togo ; elle arrive à
Malanville suivant l'itinéraire Palimé-Atakpamé, Sokodé, Kétao,
Djougou, Parakou, Malanville.
Environ 35 vendeurs contrôlent ce commerce ; ils sont en
grande majorité de l'ethnie Kotokoli, et assistés de quelques Dendi de
Djougou et Haoussa du Niger. Ces vendeurs ont des fournisseurs
installés au Ghana, généralement des parents ayant quitté le Bénin
depuis quelques années, et qui ont établi des circuits discrets pour
l'expédition des noix de kola jusqu'aux vendeurs de Malanville,
puisque aucune autorisation officielle n'est accordée pour l'exportation
de ce produit très demandé par les populations africaines. Ainsi la kola
se vend très cher en gros dans des paniers, ou en demi-gros par tas de
quarante noix ; la vente au détail se fait souvent à la criée par les
femmes, lorsqu'elles n ont plus d'autres produits sur leur étalage. La
188
kola appelée aussi Goro en langue du pays, semble se substituer à la
bière de mil ou de maïs chez les peuples pratiquant la religion
musulmane qui interdit toute consommation d'alcool. C'est un produit
très délicat, qui demande des soins particuliers : il ne se conserve qu'à
l'abri des feuilles vertes et épaisses (feuilles de banane ou de teck en
particulier), qui doivent être renouvelées périodiquement afin d'éviter
la déshydratation des noix. Si toutes ces conditions sont remplies, les
noix se conservent juSqu'à plusieurs semaines. La vente de Goro est
un commerce très rémunérateur, et ceux qui se livrent à cette activité
comptent parmi les plus fortunés, quand le circuit n'est pas interrompu
entre les clients béninois et les fournisseurs du Ghana. Ceux-ci livrent
de préférence le produit en gros aux commerçants Haoussa et Dendi
originaires de Malanville, du Niger et du Nigeria; ce sont des
intermédiaires, en majorité des hommes, richement habillés, ce qui
montre que ce sont eux qui tirent le meilleur profit de ce commerce.
Ils achètent le sac entre 15 000 et 30 000 F et le revendent sur place à
des détaillants au prix de 700 F à 1100 F la calebasse, mesure standard
correspondant à 100 noix de kola. Un sac en contient généralement
40, sur la base de 15 000 F le sac à l'achat et de 700 F la calebasse à la
vente, la marge bénéficiaire serait de: 28 000 (700 F x 40) - 15 000 F.
= 13 000 F. par sac. Ce bénéfice paraît assez important, si l'on tient
compte du fait qu'ils traitent sur place, sans fournir un grand effort.
Les détaillants sont à la fois des jeunes gens de moins de 30
ans et des femmes au contraire assez âgées. Tous exposent les noix sur
étalage au marché, le long des routes ; la kola est vendue à l'unité, à
raison de 10,15 ou 25 F, suivant la qualité et la grosseur.
2. Les produits d'élevage et de la pêche
a- La viande
Malanville est située dans une grande région d'échange entre
agriculteurs Dendi-Djenna et éleveurs Peul, grands consommateurs de
céréales. Les Peul vendent leurs animaux aux sédentaires et
fournissent ainsi la viande de boucherie livrée sur le marché. Il s'agit
surtout de bovins et d'ovins, dont une partie est exportée sur pied
jusqu'à Cotonou. Les sédentaires agriculteurs ou commerçants Dendi,
Djerma ou Haoussa, possèdent aussi des animaux, surtout les bovins
qu'ils confient aux Peul. Le District rural de Malanville compte
environ 5 000 bovins, 12 000 ovins et caprins ; les volailles sont
estimées à plus de 16 000. On distingue plusieurs races de bœufs dans
la région : la race Brorodji, qui comprend les zébus venus du Niger et
du Nigeria; les Djali, qui viennent du Burkina Faso et du Niger; les
Kiwali, appelés aussi Bounali, qui dérivent du croisement de la race
189
Borgou et de zébus du Niger. Les croisements s'opèrent au cours des
transhumances.
Les ovins comprennent aussi plusieurs races : les Oudali
viennent du Niger et du Nigeria; les Doulodji qui présentent une robe
grise ; ils sont de grande taille et viennent aussi du Niger ; les
Kambadii blancs grisâtres, sont de petite taille.
Ils sont élevés par des Peul et suivent les troupeaux de bœufs
dans leurs déplacements.
Les caprins comprennent deux espèces, qu'on distingue par
leur taille. Les grandes chèvres viennent du Niger, les petites sont
d'origine béninoise.
Les bovins donnent non seulement la viande de boucherie,
mais ils sont aussi utilisés pour le transport et la culture attelée après
dressage, surtout les "Djali" et les "Kiwali" à cause de leur résistance.
Ainsi, le District rural de Malanville offre des possibilités
élevées dans le domaine animal. Mais le marché de la viande est
organisé ici de façon particulière. L'éleveur Peul ne livre jamais
directement son animal à la consommation : il existe toujours des
intermédiaires et des bouchers professionnels. Ceux-ci vendent la
viande fraîche aux populations et le prix au kilo est fixé actuellement
sur le marché en fonction du prix d'achat de la bête sur pied et aussi en
fonction de la demande. Les autorités locales interviennent de temps à
autre pour éviter la hausse excessive des prix. Comme partout ailleurs,
la consommation de viande se fait de plusieurs manières : des
particuliers peuvent abattre eux-mêmes un ou plusieurs animaux
(bœufs, moutons), uniquement pour la consommation domestique
avec des invités lors des cérémonies coutumières. Mais la viande est
généralement achetée au détail chez les bouchers professionnels. La
plupart de ceux qui pratiquent ce métier sont des Haoussa, Dendi,
Bariba, etc. Ils achètent des bêtes sur pied, les abattent, en découpent
la viande en morceaux suivant les possibilités financières des clients,
la font rôtir ou fumer sous diverses formes pour la vente, surtout
quand il s'agit de la viande de mouton. Ainsi, dans l'angle est du
nouveau marché, du côté du magasin de l’A.G.B (Alimentation
Générale du Bénin), la présence des vendeurs de viande est signalée
de loin par une fumée blanche sortant lentement des foyers allumés en
plein air, d'où se dégage une odeur alléchante de viande bien cuite,
prête à la consommation. "Beefteacks" vraiment populaires à la portée
de toutes les bourses, les morceaux de viande découpée en tranches de
25 F, de 50 F et de 100 F CFA attirent de nombreux clients : chacun
se fait servir dans des feuilles vertes ou dans des morceaux de sacs de
ciment récupérés, le piment en poudre et quelquefois un peu d'huile
étant fournis gratuitement par le rôtisseur.
190
Les bouchers bénéficient au marché de Malanville d'une
clientèle constante, ce qui s'explique par la présence de nombreux
commerçants, de salariés ayant un niveau de vie relativement élevé et
stable. il est rare que ces bouchers souffrent du manque de clients et
du problème de la mévente lorsqu'ils abattent deux ou trois bœufs un
jour de marché, la demande étant généralement supérieure à l'offre.
Pour un étranger qui est de passage à Malanville, il est recommandé
qu'il se confie à un agent du service d'élevage (un vétérinaire) un ou
plusieurs jours à l'avance, s'il désire retourner chez lui avec quelques
kilogrammes de viande ; en effet, l'abattoir public est contrôlé par un
service vétérinaire qui autorise la vente des animaux abattus.
Dans ce domaine précis, on compte en moyenne le jour du
marché 65 moutons, 43 cabris et 79 bœufs provenant de Karimama,
Garou, Bodjékali, Tomboutou, etc. Ces animaux viennent directement
des zones d'élevage sans transiter par des intermédiaires qui achètent
le bétail en gros et le revendent aussitôt sur place en détail. Il existe
aussi des démarcheurs entre propriétaires et acheteurs : leur
intervention provoque un certain renchérissement du prix d'achat.
Ainsi un cabri sur pied pesant 40 kg peut monter de 1 250 F à 7 750 F
CFA dans la journée ; le prix d'un bœuf de 100 à 150 kg peut passer
de 35 000 F à 85 000 F CFA.
La clientèle vient surtout du Borgou Sud (Parakou-
Tchaourou) et de la côte. Elle s'approvisionne à Malanville pour le
ravitaillement des principales villes du Bénin.
b- Le poisson
Tout comme l'élevage, la pêche occupe une place importante
dans le ravitaillement du marché de Malanville.
Les pêcheurs Dendi et Popo livrent l'essentiel de leurs
produits sous forme de poisson fumé, conditionné dans des paniers qui
arrivent au marché par voie fluviale. Le poisson vient surtout du
secteur de Karimama et est fourni par les villages de Moussey et du
Mekrou. Le prix du panier varie de 10 000 à 30 000 F CFA suivant le
poids. Les clients viennent du Nigeria, du sud Borgou et du Zou-Nord.
Comme dans tous les marchés traditionnels, on trouve également des
produits manufacturés : tissus, chaussures, émaillés, etc. Mais
Malanville apparaît comme un grand marché international, largement
dominé par les produits vivriers.
191
III. Impact du marché de Malanville sur son
environnement géographique
Malanville s'impose comme le marché le plus important de la
Province du Borgou, exerçant une force prépondérante dans la région
septentrionale du Bénin. Son influence se manifeste de plusieurs
manières.
La présence de ce marché a contribué au développement d'une
série de petits métiers qui donnent à cette agglomération l'allure d'un
véritable centre urbain. L'importance de ces petits métiers a des
conséquences évidentes sur la situation de la main-d’œuvre agricole
de la région. Dans le même ordre d'idée, le marché participe de façon
substantielle à l'amélioration des recettes fiscales de la commune
urbaine. il modifie le rythme des activités agricoles tout en contribuant
largement à l'amélioration du niveau de vie des populations rurales.
En dehors du rôle des petits métiers dans la situation de la
main-d’œuvre, Malanville est devenue un important centre d'accueil
dans le cadre de l'exode rural qui affecte certaines communes des
districts avoisinants et la migration étrangère concernant les Etats
limitrophes.
A. Les petits services nés de la présence
du marché
Ce secteur englobe les diverses activités de la ville nées de la
présence du marché. Il s'agit des boutiques, des bars-restaurants et du
groupe des artisans.
Les boutiques, au nombre de 8, sont situées en bordure est et
ouest du marché, à droite de la route inter-Etats Bénin-Niger. Elles
appartiennent à des propriétaires étrangers à la région, pour la plupart
originaires des Provinces de 1’Ouémé et du Zou. En dehors de
l'A.G.B. et peut-être de l'EBENIG, il s'agit de tous petits
établissements à caractère familial dont le chiffre d'affaires ne dépasse
guère un million de francs CFA. Les propriétaires sont en même
temps vendeurs et se font aider soit par leur femme, soit par leurs
enfants.
L'approvisionnement de tous ces établissements se fait chez
les grossistes de Parakou ou de Cotonou.
Les petits bars et restaurants sont situés dans le même secteur
que les boutiques et appartiennent aux étrangers ; leur gestion est
assurée par les femmes, généralement épouses des propriétaires de
boutiques. En dehors de ces bars et restaurants, il existe plusieurs
192
stations de plats-cuisinés en plein air tenues par les femmes Fon,
Yoruba et Mina, qui connaissent une activité exceptionnelle les jours
de marché. Certaines se sont spécialisées exclusivement dans la
préparation d'une seule nourriture, la pâte de maïs ou l'igname pilée
prise à la sauce de tomate avec de la viande ou du poisson ; d'autres
beaucoup plus polyvalentes se livrent à la vente de plusieurs mets.
Ainsi chez une même femme Fon, Mina ou Yoruba, le client peut faire
plusieurs choix et demander à côté du riz, du macaroni, de la pâte de
maïs ou des cossettes d'igname, un plat supplémentaire de salade bien
garnie avec oeufs durs, oignons et tomates fraîches. Autour du marché
et le long de la route internationale, on peut compter à Malanville une
dizaine de femmes dont la profession est fondée essentiellement sur
cet art culinaire qui leur assure de gros profits. On a l'impression que
certaines femmes se sont installées spécialement dans la ville pour ce
type de commerce.
Hormis ces spécialités de plats cuisinés, on compte un grand
nombre de jeunes filles, vendeuses ambulantes circulant dans toutes
les directions, avec des galettes d'arachide, des beignets d'igname, de
haricot, diverses friandises qu'elles présentent à la criée aux clients.
De temps à autre, elles s'arrêtent pour offrir leurs produits à quelques
passants dont la bourse n'autorise que l'achat de deux à quatre
morceaux.
Le jour du marché, on compte environ 40 personnes
s'occupant à des activités artisanales : ce sont généralement des
autochtones. Ainsi les Haoussa dominent dans la fabrication et
réparation des chaussures, dans l'exercice du métier de tailleur.
Dans l'ensemble, les petits métiers occupent à Malanville
environ 300 personnes d'origines diverses. A la différence de la
grande clientèle qui arrive périodiquement, on peut considérer cette
catégorie de personnes comme constituée de sédentaires. Il s'agit des
tailleurs, horlogers, coiffeurs, fabricants de tamis, etc.
C'est dans ce secteur des petits métiers que se rencontrent les
autochtones, pour la plupart issus de l’exode rural. En effet, autour du
chef d'atelier, gravitent des apprentis dont le nombre varie de 3 à 5
selon l'importance de l'atelier. Ces jeunes apprentis proviennent en
général de la main-d’œuvre agricole à cause des avantages offerts par
le marché.
B. Le marché et les recettes fiscales
193
Il existe plusieurs taxes que les autorités administratives
perçoivent à partir de la tenue du marché : les droits de la SEMAB,
droit de stationnement et de chargement de véhicules.
Pour l'administration locale et pour l'Etat, le marché de
Malanville est donc un élément très important favorisant l'entrée
régulière des recettes fiscales.
D'abord, la SEMAB (Société d'Exploitation des Marchés du
Borgou) y a installé ses agents depuis le mois d'avril 1979. Elle a créé
de nouvelles taxes : taxe de place, taxe de stationnement, taxe
d'abattage. La taxe de place est perçue auprès des commerçants
installés, suivant l'importance de leur étalage et des produits qu'ils
vendent : elle varie entre 10 F et 100 F CFA par jour ; la taxe
d'abattage est perçue chez les bouchers avec le concours des agents du
service vétérinaire. La SEMAB perçoit 50F par tête de caprin abattu et
100 F par tête de bœuf.
Quand le marché est très animé, les recettes montent jusqu'à
150 000 F par marché ; pendant la "morte saison", elles varient entre
60 000 F et 80 000 F. En effet, le marché de Malanville connaît sa
grande période d'animation aux mois de septembre-octobre-novembre
correspondant à la grande période des récoltes. Les mois de juin,
juillet, août correspondent à la "morte-saison".
Ainsi, du mois d'avril au mois de novembre 1979, la SEMAB
avait réalisé une recette de 3.736.457 F. CFA. De novembre 1979 au
mois de juin 1980, soit en huit mois, elle a réalisé des recettes totales
de 7.063.030 F.
Le droit de stationnement est perçu auprès des transporteurs
ou conducteurs de véhicules automobiles; le taux varie de 200 F à
400F suivant les distances.
En dehors des droits perçus par la SEMAB, qui en verse 66 %
à la Province, le District de Malanville a institué d'autres taxes fondées
sur les activités du marché pour renforcer son budget. La taxe de
chargement de véhicule est perçue chez les transporteurs suivant le
tonnage embarqué. Elle est de 2 000 F pour les véhicules de 1 à 10
tonnes, et de 3 000 F pour les chargements de plus de 20 tonnes. Les
amendes forfaitaires sont perçues par les gendarmes et les policiers sur
les infractions. Des taxes sont aussi perçues sur le stationnement des
pirogues au port fluvial de Galiel : 100F à 300F suivant les
chargements. Les jours de marché, on compte régulièrement 25 à 30
pirogues motorisées appartenant aux exploitants béninois, nigériens et
nigérians.
Par ailleurs, en dehors de ces petites taxes, le poste douanier
de Malanville réalise des recettes importantes sur les marchandises à
l'entrée et à la sortie de la ville, suivant la nature et l'importance de
celles-ci. En 1979 par exemple, pour une valeur globale de 31 055 000
194
F. de diverses marchandises à l'importation, les droits de douane ont
été de 6 839 684 F. A l'exportation, pour une valeur totale de 323 089
236 F, le droit perçu a été de 7 180 800 F, soit une recette douanière
globale de 14 020 484 F. Ainsi, de façon directe ou indirecte, le
marché profite à tout le monde.
C. Marché et problème de la main
d’œuvre agricole
Les marchés de la vallée du Niger en général, et en particulier
celui de Malanville, exercent une certaine attraction sur les
populations environnantes et diminuent de ce fait le phénomène
d'émigration en direction des pays limitrophes. Ainsi, une bonne partie
de la population active en milieu rural est déviée vers le centre
commercial où elle se livre à des activités diverses : tireurs de
"pousse-pousse", conducteurs de charrettes à traction animale, petits
métiers urbains, etc.
Les "pousse-pousse" jouent un rôle important au marché de
Malanville pour plusieurs raisons : absence de taxi-ville, grande
distance séparant l'aire de stationnement automobile des différentes
zones de marchandises sur l'aire du marché, etc.
Il s'agit d'une charrette reposant sur deux roues de
cyclomoteur et munie d'un ou de deux manches métalliques de 40 cm
environ, utilisée pour le transport des marchandises. Ces "pousse-
pousse" assurent la liaison entre le marché et les différents quartiers
d'une part, entre le parking et l'aire d'exposition des marchandises
d'autre part.
L'étude des tireurs de pousse-pousse est d'autant plus
intéressante qu'il s'agit de gens pouvant constituer une main-d’œuvre
agricole très appréciable. Les activités du marché leur offrent des
débouchés qui empêchent leur insertion totale dans la vie rurale, et en
particulier dans les programmes d'aménagement,
Lors des différentes missions à Malanville, il a été recensé en
septembre 1980, 82 jeunes tireurs de "pousse-pousse" ; en janvier
1981, 212 ; en mai 1981, 114. Ils jouent un grand rôle dans le
transport des marchandises les jours du marché. Tous travaillent soit
pour le compte d'un patron, soit à leur propre compte. Lorsqu'ils sont
au service d'un patron, ils perçoivent un salaire mensuel dont le
montant varie en fonction des recettes réalisées au cours du mois.
Installés à leur compte, ils louent des charrettes appartenant
généralement aux commerçants de la place, à certains agents de l'Etat,
ou aux artisans ayant fait quelques économies. Le taux de location se
195
situe entre 1 000 F et 1 800 F suivant l'état des engins : les plus vieux
sont loués 1 500 F et parfois 1 000 F, les plus neufs 1 800 F.
Généralement, chaque conducteur peut transporter un à trois sacs de
100 kg, ainsi que diverses marchandises pondéreuses.
Le tarif appliqué varie suivant les distances à parcourir, la
quantité et le poids des objets à transporter : un sac de mais, de mil ou
de cossettes d'igname rapporte 100 F en moyenne. Il est courant de
voir le même jeune homme transporter à la fois trois sacs, qui lui
rapportent 300 F en un voyage; la plupart de ces jeunes gens
effectuent plus de dix voyages dans la journée : cela revient à dire que
ce genre de métier procure de substantiels revenus.
Cette activité peut être considérée comme un travail
occasionnel qui mobilise surtout les jeunes gens, en grande partie de la
République du Niger, pour se faire de l'argent au marché de
Malanville. Il s'agit surtout des Djerma venus de Gaya, Dosso et Birni.
Certains sont installés à Malanville depuis des mois, d'autres y
arrivent seulement la veille du marché. Tous déclarent avoir d’autres
activités en dehors du jour de marché. A cet effet, on peut faire trois
distinctions :
D'abord, la grande majorité d'entre eux vont aux champs. Les
autres jours de la semaine, labourer ou sarcler, soit pour chercher le
bois de chauffage qu'ils vendent aux femmes, surtout aux vendeuses
de plats cuisinés. Dans cette catégorie, beaucoup abandonnent leur
activité hebdomadaire sur le marché, pour rejoindre les champs en
saison des pluies.
La deuxième catégorie est constituée par les jeunes résidant en
permanence à Malanville. Ils ne s'intéressent guère aux travaux
agricoles. Du lundi au samedi, ils font le petit commerce de rue,
exposant divers objets sur des tablettes en bois blanc ; on y trouve
quelques boîtes de conserve, des cigarettes au détail, des boîtes
d'allumettes, du sucre... Ils rentabilisent ainsi sans grande peine le
bénéfice issu de l'effort du dernier week-end sur le marché.
Le dernier groupe est celui des élèves de l'école coranique qui,
en dehors des études, viennent exploiter le marché pour le compte de
leur maître.
Quel que soit le métier exercé au cours de la semaine, tous ces
jeunes gens sont attachés à leur liberté, ce qui leur permet de tirer
meilleur profit du marché qui, à coup sûr, leur rapporte plus d'argent
que s'ils étaient à plein temps au service d'un employeur.
196
Cette situation laisse donc entrevoir une certaine difficulté de
recrutement de main-d’œuvre agricole, et aussi un renchérissement
éventuel de celle-ci lors d'un programme d'aménagement sera mis en
oeuvre.
En plus des hommes, le marché "dévie" aussi les animaux des
activités agricoles. il s'agit des bœufs utilisés dans la culture attelée et
spécialement dressés pour le transport des personnes et des
marchandises vers le marché. Ainsi, les jours de marché, dès le petit
matin, on voit défiler sur les grandes artères menant vers le centre
commercial, des voiturettes à traction animale dont le nombre varie
d'une saison à une autre : septembre 1980, 30 en moyenne ; janvier
1981 : 130 ; mai 1981, 0. Ces voiturettes sont tirées chacune par une
paire de bœufs guidée par un jeune paysan Dendi, Djerma ou Bariba.
Ce dernier moyen de transport constitue donc un autre prélèvement
momentané de la force de production en milieu rural.
CONCLUSION
Malanville est ainsi un marché international largement dominé
par les produits vivriers. Les produits manufacturés occupent une
place secondaire compte tenu du caractère local de leur demande. Les
denrées vivrières font l'objet de transactions importantes : ainsi,
l'oignon et l'ail sont orientés vers le Bénin méridional, le Togo et le
Ghana, en contre-partie des oranges et de la kola qu'ils expédient vers
ce Centre commercial; les tubercules et les céréales sont envoyés vers
le Niger et le Nigeria en échange des haricots.
Dès lors, on peut affirmer que Malanville joue un rôle de
grenier à la porte du Sahel ; son ravitaillement vient de très loin. Il
exerce de ce fait une grande influence sur les localités environnantes
de la vallée du Niger. Cependant, les autres communes rurales de cette
région ont leur personnalité, et s'affirment par leurs productions
agricoles et l'organisation des échanges à une échelle purement locale.
Ainsi, en dehors de Malanville, la région du fleuve compte plusieurs
marchés ruraux dont les plus importants sont Kantro, Garou et
Karimama.
L'importance des activités économiques entretenues par
Malanville explique le caractère assez stable de la population, qui n'est
guère affectée par l'exode rural, phénomène qui caractérise la plupart
des campagnes béninoises dont les éléments les plus dynamiques
s'expatrient momentanément vers les pays voisins.