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Initiation à une démarche de dialogue Étude des systèmes de production dans deux villages de l’ancienne boucle du cacao (Côte d’Ivoire) Nicolas Ferraton (Cnearc Montpellier), Hubert Cochet (Ina-PG Paris) et Sébastien Bainville (Cnearc Montpellier) Avec la participation de Zana Ouattara (Ésa Yamoussoukro) et Lagou Nguessan (INFPA) Observer et comprendre un système agraire DOSSIER PÉDAGOGIQUE Les Éditions du Gret

Étude des systèmes de production dans deux villages de l

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Page 1: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

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gue.Étude des systèmes de production dans deux villages de l’ancienne boucle du cacao (Côte d’Ivoire).

Initiation à une démarche de dialogueÉtude des systèmes de production dans deux villages de l’ancienne boucle du cacao (Côte d’Ivoire)

En matière de développement rural, les décisions sont trop souvent prises loin des réalités de terrain. Faceà ce problème, ce manuel pédagogique propose une méthode pour améliorer l’apprentissage des futursformateurs en développement rural pour observer et comprendre un système agraire. Il a été rédigé à par-tir de l’exemple concret d’une formation à Abengourou en Côte d’Ivoire réalisée conjointement par leCnearc, l’Ina-PG et l’École supérieure d’agronomie de Yamoussoukro.

La démarche mise en œuvre s’appuie sur l’observation in situ et sur l’écoute des acteurs concernés par ledéveloppement rural avec une priorité pour les agriculteurs. Il est ainsi proposé de changer d’attitude par rap-port à l’acquisition des connaissances et aux comportements professionnels avec les agriculteurs. Trois atti-tudes clés : savoir observer, écouter et dialoguer. Une grande importance est accordée aux enquêtes, à l’a-nalyse du discours des personnes enquêtées et à la restitution auprès des agriculteurs du travail effectué.

Offrant en outre le grand avantage de lier dans une même problématique théorie et pratique, cette démar-che aborde les problèmes d’une façon globale en liant différentes disciplines (agronomie, économie,sociologie, etc.). Les nombreux outils méthodologiques et aspects pédagogiques présentés dans cet ouvra-ge le rendent très utile pour les agents de développement et les formateurs qui travaillent avec les paysans.

Initiation à une démarchede dialogueÉtude des systèmes de production dans deux villages de l’ancienneboucle du cacao (Côte d’Ivoire)

� Nicolas Ferraton (Cnearc Montpellier), Hubert Cochet (Ina-PG Paris)et Sébastien Bainville (Cnearc Montpellier)

Avec la participation de Zana Ouattara (Ésa Yamoussoukro) et Lagou Nguessan (INFPA)

Observer et comprendre un système agraire

DOSSIER PÉDAGOGIQUE

Les Éditions du Gret

Observer et comprendre un système agraire

Diffusion :GRET, 211-213 rue La Fayette 75010 Paris, France.Tél. : 33 (0)1 40 05 61 61. Fax : 33 (0)1 40 05 61 10.Site Internet : www.gret.org

Prix : 8 eurosAvril 2003

ISBN : 2-86844-133-5

Centre national d’études agronomiques des régions chaudes (CNEARC)1101 avenue Agropolis, BP 5098, 34033 Montpellier Cedex 01, France.Tél. : 33 (0)4 67 61 70 00. Fax : 33 (0)4 67 41 02 32.E-mail : [email protected]

École supérieure d’agronomie (ÉSA)BP 1313 Yamoussoukro, République de Côte d’Ivoire.Tél. : 225 30 64 10 08. Tél./Fax : 225 30 64 17 49.E-mail : [email protected]

Institut national agronomique de Paris Grignon (INA-PG)16 rue Claude Bernard, 75231 Paris Cedex 05, France.Tél. : 33 (0)1 44 08 17 08. Fax : 33 (0)1 44 08 17 27.E-mail : [email protected]

Avec le soutien du ministère des Affaires étrangèresDirection générale de la Coopération internationale et du développement - DGCIDDirection du Développement et de la Coopération technique20 rue Monsieur 75007 Pariswww.france.diplomatie.gouv.fr

Page 2: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Agridoc est un réseau d’information et de documentation financépar le ministère français des Affaires étrangères. BDPA assure l’animationdu réseau et la réalisation de produits et services, et le GRET conçoit etédite des publications techniques.

Agridoc, un programme destiné aux acteurs du développement ruralLe programme Agridoc s'adresse aux responsables professionnels et praticiens de terrain des pays dela zone de solidarité prioritaire de la Coopération française (Afrique subsaharienne, Afrique du Nord,Asie et Caraïbes). Actuellement Agridoc compte environ 4 000 adhérents. Agridoc apporte un appui gratuit, variable selon les catégories de membres. Il peut comporter l'envoidu bulletin et de la revue thématique Agridoc, une dotation d'ouvrages et d'articles, l'accès au servicequestions-réponses ainsi qu'au site Internet (www.agridoc.com), une liste de discussion et un flashd'information électronique. Agridoc assure, de plus, la diffusion de documents édités par le GRET.

Décentralisation des activités via les centres relaisAfin de promouvoir l'échange entre les membres, le programme Agridoc décentralise certains servicesaux utilisateurs via la création de centres relais. Ces derniers facilitent la production et la circulationd'information et assurent une animation locale.Les centres relais bénéficient d'un soutien financier, logistique et technique. Ils reçoivent les ouvrages,articles et publications diffusés par Agridoc et disposent des bases de données. Le servicequestions-réponses est en partie décentralisé vers les relais. Quatre centres relais sont actuellementopérationnels : Burkina Faso (IPD-AOS), Cameroun (SAILD), Madagascar (CITE) et Tunisie (UTAP).Quatre autres seront ouverts d'ici la fin 2003.

Coordonnées de l’unité d’animationBDPA - Agridoc

3 rue Gustave Eiffel - 78286 Guyancourt Cedex - FranceTél. : 33 (0)1 30 12 48 40Fax : 33 (0)1 30 12 47 43Email : [email protected]

Site Internet : www.agridoc.com

OUVRAGES DE LA COLLECTION « DOSSIER PÉDAGOGIQUE »

Conduite des champs de riz pluvial chez les agriculteursd’un village de République de Côte d’Ivoire (région Ouest).Jean-Marc Barbier et Guillaume Dangé (Cnearc).ISBN : 2-86844-123-8.

Démarche d’étude des systèmes de production de la régionde Korhogo-Koulokakaha-Gbonzoro en Côte d’Ivoire.Hubert Cochet (Ina-PG), Michel Brochet (Cnearc), Zana Ouattara(Ésa Yamoussoukro), Véronique Boussou (Agrel).ISBN : 2-86844-124-6.

Démarche d’étude des systèmes de production de deux villagesau nord de Man (Gbatongouin et Mélapleu) en Côte d’Ivoire.Nicolas Ferraton (Cnearc Montpellier) et Hubert Cochet(Ina-PG Paris). Avec la participation de Zana Ouattara et KimouAkomian (Ésa Yamoussoukro), Diomandé Lassana (INFPA),Sébastien Bainville (Cnearc Montpellier). ISBN : 2-86844-126-2.

Page 3: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Initiation à une démarchede dialogueÉtude des systèmes de production dans deux villagesde l’ancienne boucle du cacao (Côte d’Ivoire)

● Nicolas Ferraton (Cnearc Montpellier), Hubert Cochet (INA-PG Paris)et Sébastien Bainville (Cnearc Montpellier)

Avec la participation de Zana Ouattara (Ésa Yamoussoukro) et Lagou Nguessan (INFPA)

Juin-juillet 2002

Observer et comprendre un système agraire

Page 4: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Maquette : Hélène Gay (Gret)Photo de couverture : Nicolas FerratonDessins de Nicolas FerratonImprimé par Groupe Corlet Imprimeur à Condé-sur-Noireau, France (avril 2003).

Pour toute information complémentaire :

CNEARCCentre national d’études agronomiques des régions chaudesBoîte postale 5098, Domaine de Lavalette, Avenue du Val-de-Montferrand, 34033 Montpellier, France.Tél. : 33 (0)4 67 61 70 00. Fax : 33 (0)4 67 41 02 32.

Page 5: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Préambule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5

Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7

Un projet de coopération en ingénierie de formation appliquéeau développement rural . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7

Les points forts en matière de pédagogie . . . . . .8

Le déroulement de la formation . . . . . . . . . . . . . .10

À propos des outils méthodologiques . . . . . . . .11

Le choix de la zone d’étude . . . . . . . . . . . . . . . . . .13

Présentation des participants . . . . . . . . . . . . . . . . .15

Introduction du séminaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .16

Analyse du paysage agraire . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17

La lecture de paysage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17

Premier contact avec le terrain : parcoursdes étudiants lors du premier jour de travail . . .21

Analyse et traitement des donnéesau retour du terrain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .23

Mise en commun des résultats . . . . . . . . . . . . . . . .24

Synthèse des résultatssur l’analyse du paysage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .31

Dynamiques agraires et reconstitutiondes transformations de l’agriculture . . . . . . . . .37

Collecte des informations :les entretiens historiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .41

Présentation des affiches d’étudiantsillustrant l’analyse historiqueet commentaires des encadrants . . . . . . . . . . . . . .42

3

Synthèse : l’histoire de la régionet l’évolution des systèmes agraires . . . . . . . . . .49

Caractérisation et évaluationéconomique des systèmes de culture . . . . . . . .59

L’étude des systèmes de culture,rappels méthodologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .60

Quelques affiches présentéeslors des cinquième et sixième jours :lecture critique et commentaires . . . . . . . . . . . . .77

Comparaison des résultats économiquesdes principaux systèmes de culture étudiés . .93

Analyse des systèmes de production . . . . . . .103

La notion de système de production . . . . . . . .103

Identifier les différents systèmesde production . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .104

Mesurer l’efficacité économiquedes systèmes de production . . . . . . . . . . . . . . . . .108

Les travaux de différents groupesd’étudiants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .112

Les principaux systèmesde production rencontrés dans lesvillages d’Assekro et d’Affalikro . . . . . . . . . . . . .115

Comparaison des résultats économiquesdes différents systèmes de production . . . . . .125

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .129

Épilogue : restituer les résultatsdu séminaire aux villageoiset aux agents de développement . . . . . . . . . . .133

Sommaire

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Page 7: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Ce dossier pédagogique sur les démarches d’é-tude des systèmes de production agricole dansla région d’Abengourou présente les résultatsd’un exercice de formation réalisé en juin 2002à l’attention d’un groupe d’étudiants de 5e annéede l’Ésa de Yamoussoukro, de cadres de l’Anaderet du programme des Centres de métiers ruraux.Ce troisième module d’appui à la professionna-lisation des formations agronomiques est le fruitd’un travail en partenariat d’une équipe d’en-seignants constituée par :

➤ Hubert Cochet, de l’Unité d’enseignement etde recherches « Agriculture comparée et déve-loppement agricole » de l’Institut national agro-nomique Paris-Grignon (INA-PG) ;

➤ Sébastien Bainville et Nicolas Ferraton du Cen-tre national d’études agronomiques des régionschaudes (Cnearc) d’Agropolis-Montpellier ;

➤ Zana Ouattara et Kimou Akomian de l’Écolesupérieure agronomique de Yamoussoukro ;

➤ Lagou Nguessan et Lassana Diomandé de l’Ins-titut national de la formation et de la promotionagricole (INFPA).

Deux cadres boursiers du ministère français desAffaires étrangères, Hamadou Coulibaly de l’A-nader et Denis Kouame de l’École régionale d’A-bengourou (ÉRA-Est), ont également participéactivement à ce stage dans le cadre de leur for-mation au cycle d’Études supérieures d’agrono-mie tropicale (Esat). Ces deux agro-formateursviendront renforcer l’équipe ivoirienne qui, de-puis 1999, développe les démarches décrites

5

dans le présent dossier et dans ceux présentantdes systèmes agraires des régions de Korhogodans le Nord et de Man dans l’Ouest.

Pourquoi une nouvelle étude diagnostic sur lessystèmes de production agricole dans l’ancienneboucle du cacao en Côte d’Ivoire, alors que la fi-lière cacao a fait l’objet de nombreuses études etd’excellentes publications scientifiques ?1

Pourquoi encore une étude de diagnostic agraire,alors que de nombreux responsables de pro-grammes de développement rural demandentaux agronomes des propositions pour l’action ?

Et pourquoi encore des travaux à l’échelle dedeux villages de la région d’Abengourou, alorsque des bailleurs de fonds ne s’engagent que surdes programmes de politique sectorielle ou depolitique agricole ?

En réponse à ces questions, nous ne pouvons pasinvoquer la nouveauté d’une démarche qui adéjà fait l’objet de nombreux débats méthodo-logiques entre spécialistes. Par contre, nous vou-lons simplement rappeler deux principes quinous semblent incontournables :

➤ pour définir des politiques et pour engagerdes actions de développement rural, « il fautprendre les choses comme elles sont », c’est-à-dire qu’il faut s’informer et réfléchir à partir desréalités agronomiques, sociales et économiques ;

Initiation à une démarche de dialogue. Étude des systèmes de production dans deux villages de l’ancienne boucle du cacao

Préambule

1 RUF François, 1995, Booms et crises du cacao, Cirad-Sar,Karthala, 460 pages.

Page 8: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

➤ quant aux actions, elles ne peuvent être en-gagées avec quelques chances d’efficacité sansla participation des intéressés : en l’occurrencedes agriculteurs et des agricultrices formés à par-tir de leur contexte culturel et professionnel.

Ces dossiers pédagogiques ont deux objectifsprincipaux :

➤ contribuer à la formation de techniciens et d’a-gronomes, pour qu’ils aient la capacité d’obser-ver et d’analyser des situations agraires, sans êtredépendants de normes et de modèles techniquesconçus dans d’autres contextes historiques et pourqu’ils recherchent et mesurent l’intérêt d’être ensituation de dialogue avec les agriculteurs ;

➤ produire et formaliser des connaissances lo-cales qui servent de support à la formation et àl’information des agriculteurs, pour qu’ils de-viennent des acteurs, capables de participer àl’élaboration des politiques agricoles favorablesau développement économique de leur pays etleur assurant une plus juste rémunération.

Il n’y a pas de formation d’adultes développantune réelle autonomie de pensée qui ne s’appuie,dans un premier temps, sur les réalités vécuespar les gens. C’est pourquoi, avant de fournir desinformations à l’échelle d’une région ou d’une fi-lière, il est indispensable que des agriculteurs,

Préambule

6

comme ces producteurs de cacao d’Assekro etd’Affalikro, puissent redécouvrir leur quotidiensous des formes écrites, illustrées et chiffrées, quisont les outils de la communication dans les né-gociations politiques.

Dans tous les cas, la qualité des solutions pourtraiter les problèmes des agriculteurs dépend dela qualité de la concertation entre les uns et lesautres, s’appuyant sur une production de connais-sances propres à la singularité de chaque situa-tion2.

Notre intention, dans ces dossiers pédagogiques,n’est donc pas de nous satisfaire de « diagnosticsd’experts » prescrivant des solutions à partir d’a-nalyses externes de l’existant, mais bien de rap-porter, de manière compréhensible par le plusgrand nombre d’agriculteurs, des cas concrets àpartir desquels des représentants mandatés parleurs organisations professionnelles, pourront té-moigner avec clairvoyance et authenticité de leursconditions professionnelles et prendre des initia-tives dans le sens de l’intérêt des agriculteurs.

Michel Brochet

2 DARRE J.-P., 2002, Formation Master « Acteurs du déve-loppement rural », Gerdal / Cnearc.

Page 9: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

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Initiation à une démarche de dialogue. Étude des systèmes de production dans deux villages de l’ancienne boucle du cacao

Un projet de coopération eningénierie de formation appliquéeau développement rural

Dans le cadre des programmes de renforcementdes capacités du secteur agricole des pays d’A-frique de l’Ouest, plusieurs initiatives en matièred’ingénierie de formation ont été entreprises enCôte d’Ivoire depuis 1999.

Les études sur l’économie du secteur agricole etles réflexions sur la réforme des dispositifs deformation agricole ont mis en évidence les prio-rités suivantes : la formation professionnelle desagriculteurs, et la nécessité d’imaginer de nou-veaux dispositifs éducatifs en phase avec l’envi-ronnement socio-économique de chacune desrégions de la Côte d’Ivoire.

C’est dans cette optique qu’à l’initiative de la di-rection de l’Enseignement et de la Promotion ru-rale (DFPR) du ministère de l’Agriculture et del’Élevage, ont été organisées des sessions de for-mation sur la démarche de diagnostic agrairedans trois régions ; Korhogo et Man où sont pro-grammées les ouvertures de deux Écoles régio-nales d’agriculture (Éra), et Abengourou.

Ces sessions de formation, destinées à dévelop-per de nouvelles approches pour améliorer l’ap-prentissage des futurs formateurs du dispositifnational, ont été réalisées successivement enjuillet 2000, 2001 et 2002 dans les régions deKorhogo, Man et Abengourou. Elles ont été ef-

Avant-propos

fectuées dans le cadre d’un partenariat entre l’É-cole supérieure agronomique (Ésa) de Yamous-soukro, l’Institut national de la formation pro-fessionnelle agricole (INFPA), l’Unité d’enseigne-ment et de recherche « Agriculture comparée etdéveloppement agricole » de l’Institut nationalagronomique Paris-Grignon (INA-PG) et le Cen-tre national d’études agronomiques des régionschaudes (Cnearc) d’Agropolis à Montpellier.

Ces travaux ont donné lieu à la rédaction de ma-nuels pédagogiques présentant la démarche sui-vie en 2000 dans la région de Korhogo (villagesde Koulokakaha et de Gbonzoro), et en 2001dans la région de Man (villages de Mélapleu et deGbatongouin). Par ailleurs, un ouvrage intitulé« Observer et comprendre un système de cul-ture : conduite des champs de riz pluvial chezles agriculteurs d’un village de République deCôte d’Ivoire (région Ouest), pratiques techniqueset observations agronomiques » a aussi été ré-digé en 2001 par Jean-Marc Barbier et GuillaumeDangé, à partir de l’analyse des pratiques cultu-rales des agriculteurs de la région de Man. Cespublications constituent le début d’un ensemblede dossiers pédagogiques intitulés « Observer etcomprendre un système agraire, initiation à unedémarche de dialogue ».

La réalisation conjointe de sessions de forma-tion mettant en situation pédagogique innovantedes groupes d’enseignants avec des étudiants, etla rédaction de ces dossiers pédagogiques met-tant en valeur des connaissances locales, cons-titue les prémisses d’un projet régional inter-

Page 10: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Avant-propos

8

mettre en situation pédagogique une équipe d’en-seignants avec un groupe constitué d’étudiants dequatrième année de l’Ésa et de professionnelsdu développement.

Les démarches mises en œuvre s’appuient es-sentiellement sur l’observation in situ et sur l’é-coute de toutes les catégories d’acteurs concer-nés par le développement rural avec, cependant,une priorité pour ceux qui vivent majoritaire-ment au quotidien les dures réalités des trans-formations économiques, techniques et socia-les, à savoir les agriculteurs.

Les points fortsen matière de pédagogie

●● Une approche pluridisciplinaireet un va-et-vient incessantentre théorie et pratique

L’approche, telle qu’elle est développée, pré-sente l’avantage de lier différentes disciplines(agronomie, économie, sociologie, etc.) et conduità aborder un problème d’une façon globale etnon pas morcelée. Le dispositif éducatif tel qu’ilest habituellement conçu propose un enseigne-ment sectorisé et cloisonné ; en France, commedans de nombreux pays francophones, on formedans chaque discipline des spécialistes qui ontsouvent grand mal à communiquer entre eux enraison du vocabulaire, des méthodes et des échel-les d’analyse propres à chaque discipline.

Cette approche offre également le grand avan-tage de lier dans une même problématique théo-rie et pratique. La compréhension et l’appro-priation des concepts sont ainsi plus aisées etplus rapides.

●● Une initiation à une démarchede dialogue

Au-delà de la méthodologie développée, il estessentiellement proposé dans ce document unchangement d’attitude par rapport à l’acquisi-tion collective de connaissances et aux com-portements professionnels avec les agriculteurs.

établissements entre des Écoles supérieures agro-nomique (Ésa) d’Afrique de l’Ouest et un consor-tium d’établissements de formation agricole duministère français de l’Agriculture et de la Pêche(Map) mobilisés par le Cnearc.

Les réflexions et les différents ateliers réalisés dansle cadre du Programme de valorisation des res-sources humaines du secteur agricole (PVRHSA)depuis 1999 en Côte d’Ivoire ont conduit au cons-tat de l’inadéquation des dispositifs de formationagricole, et ont permis l’expression de demandesde formation tant de la part des agriculteurs quedes agents de contacts et des formateurs.

Les constats portent surtout sur l’importance nu-mérique des besoins de formation profession-nelle des agriculteurs : flux annuel de 20 000jeunes à former.

Pour le moment, il n’y a pas de financementspublics significativement mobilisables ni de res-sources humaines formées de manière opéra-tionnelle. Il est admis qu’en l’absence de mo-dèles transférables, il y a une impérieuse nécessitéd’inventer de nouveaux dispositifs de formation.Il est également admis que ces nouvelles situa-tions éducatives ne devraient plus faire référenceaux démarches d’encadrement planificatrices etdescendantes. Elles devraient plutôt privilégierdes attitudes d’accompagnement et de copro-duction de connaissances locales avec des agri-culteurs mis en situation innovante.

Face à ces défis, nous pensons que les démar-ches systémiques mises en œuvre pour l’analysedes réalités agraires et leurs dynamiques d’évo-lution, constituent une importante contribution,tant sur le fond que sur la forme :

➤ pour identifier et structurer les demandes deformation ;

➤ pour caractériser les évolutions et préciser lesqualifications des situations professionnelles ;

➤ pour construire de nouvelles situations de for-mation, où les relations enseignants/enseignésen matière d’acquisition de connaissances etd’innovations techniques et sociales sont pro-fondément modifiées.

La session de formation qui s’est déroulée du 28juin au 7 juillet 2002 dans les villages de Asse-kro et Affalikro près d’Abengourou, a permis de

Page 11: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

D’une manière générale, il est proposé de réap-prendre à observer, à écouter et à dialoguer, enévitant les biais introduits dans tout dialogue parles rapports hiérarchiques.

Une construction collective des savoirs : en ma-tière de développement rural, il n’y a pas un sa-voir détenu par quelques savants que des répé-titeurs seraient chargés de diffuser auprès d’exé-cutants.

La mise en œuvre de démarches collectives departage et d’élaboration de connaissances entreenseignants, étudiants ou stagiaires et les popu-lations rurales est essentielle. Cela suppose d’ac-quérir de nouvelles attitudes qui ne soient plusbasées sur des rapports hiérarchiques. Cela im-plique également de considérer le paysan commedétenteur de savoirs et de savoir-faire indispen-sables à connaître avant d’agir. Cela supposeenfin d’envisager le temps d’enquête non commeun réquisitoire, mais comme un moment de dia-logue permettant à l’agriculteur de s’exprimersur sa situation et, par ce fait, de prendre dutemps pour le recul et la réflexion.

En matière de développement rural, les décisionssont trop souvent prises loin des réalités de terrain.Avec cette démarche de diagnostic agraire, lesparticipants sont sensibilisés à l’analyse des condi-tions réelles dans lesquelles les agriculteurs exer-cent leur métier. L’identification et la hiérarchi-sation des principaux problèmes est ainsi obtenuepar l’observation, la collecte et l’analyse d’infor-mations primaires, et non à partir de principesthéoriques ou de l’opinion de certains acteurs.

Quelques principes de base :

1. Savoir écouter : beaucoup de questions qui sesont posées suite à l’observation pourront trou-ver des réponses si l’on discute avec les agricul-teurs, en prenant soin de les écouter.

Les entretiens ne seront pas directifs, avec desquestions qui provoquent une réponse de type :oui-non. C’est face à des questions larges appe-lées « ouvertes » que le producteur prendra letemps d’exprimer ses idées, son avis. On se trouveparfois en situation d’entretien avec un groupe.Dans ce cas, il faut prêter attention aux censu-res d’idées dues au contrôle social. Il convient deles retenir pour mieux les élucider plus tard lorsd’entretiens individuels.

Avant-propos

9

Cette démarche accorde une grande importanceaux enquêtes. D’un point de vue pédagogique,il importe cependant de sensibiliser les partici-pants à l’analyse du discours des personnes en-quêtées. Il convient en effet de faire la part deschoses entre « ce qui est dit » et « la façon dontcela est dit », entre les faits et l’opinion de l’en-quêté sur ces faits. C’est une condition in-dispensable pour pouvoir construire une analyseobjective de la réalité étudiée. C’est pour cetteraison que les enquêtes sont menées dans unpremier temps à l’échelle individuelle, et que cen’est que dans un deuxième temps que le travailest restitué collectivement aux agriculteurs.

2. Restituer aux agriculteurs le travail effectué :la restitution est un moment important au coursduquel les participants à la formation présententaux agriculteurs la compréhension qu’ils ont del’agriculture de la région. Cette étape primordialeest l’occasion de confronter des points de vue àtravers des débats qui suivent la présentation desparticipants ; elle offre également la possibilitéde valider les informations recueillies, de confir-mer ou infirmer certaines hypothèses de travail,de corriger les données erronées et d’apporterdes précisions sur des points restés obscurs.

D’un point de vue pédagogique, la restitutionest présentée aux participants comme uneéchéance, un but qui maintient l’attention enéveil et la motivation dans le travail jusqu’à lafin de la session.

À ce niveau, les agriculteurs sont impliqués di-rectement dans l’étude, de sorte qu’ils ne sontpas considérés comme objet d’étude, mais sesentent partie prenante d’un processus dont ilssont les acteurs et non les spectateurs.

3. Ne pas se précipiter sur la bibliographie exis-tante : il est surtout demandé aux étudiants decréer de la connaissance, et pas seulement decollecter des informations. Nous insistons sur cepoint original qui nous paraît fondamental : iln’est pas nécessaire de faire des recherches bi-bliographiques approfondies sur la région enpréalable à l’étude, ceci pour plusieurs raisons :

➤ Les professionnels du développement sontamenés à travailler dans des régions où, soit labibliographie n’existe pas, soit elle est inacces-sible (zones très éloignées des centres de re-

Page 12: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

cherche, des villes…). Être en mesure de travaillersans documents préexistants va dans le sens d’uneplus grande autonomie.

➤ Il est généralement difficile de déterminer àl’avance et sans a priori les thèmes pertinentssur lesquels la recherche bibliographique de-vrait porter. Par conséquent, toute lecture tropprématurée est soit inutile soit néfaste. Ces lec-tures peuvent en effet infléchir notre perceptionde l’environnement et nous fournir des préju-gés dont il est parfois difficile de se défaire parla suite.

Il est par contre intéressant, une fois l’étude amor-cée, de rechercher des documents complémen-taires. C’est alors possible dans la mesure où l’onsait ce que l’on cherche (hypothèses à vérifier,données historiques difficiles à obtenir par en-quêtes, etc.) et que, ayant construit notre point devue, nous disposons d’un regard critique sur lesinformations secondaires.

●● Changement d’échelle

L’approche en termes de système agraire est unedémarche basée sur une succession d’étapes al-lant du « général » au « particulier ». Chaqueétape apporte une série de questions qui ne trou-veront de réponses qu’en changeant d’échelled’analyse. Ainsi, nous partons d’une échelle d’a-nalyse large (la région), pour entrer au fil de l’é-tude dans une compréhension plus détaillée del’agriculture, avec l’analyse des exploitationsagricoles, des parcelles culturales, des troupeaux,etc. Les données obtenues sont constamment re-situées dans un ensemble plus global.

Observation et dialogue se jouent à différenteséchelles : le geste, l’outil ou le billon, la parcelleet l’enclos, le troupeau, le bas-fond ou l’inter-fluve, le marché et la région. On sera amené àconduire les observations en considérant aumoins quatre échelles :

➤ la région, pour identifier les grands ensem-bles et bassins d’activités afin de situer les villa-ges étudiés dans leur contexte économique leplus proche ;

➤ le village, puisqu’il représente une unité terri-toriale et humaine accessible avec des règles gé-néralement partagées de gestion des ressources ;

Avant-propos

10

➤ l’unité de production, c’est à ce niveau quel’on peut appréhender les formes d’organisationssociales et familiales régissant les choix de pro-duction, la gestion de la main-d’œuvre, la mo-bilisation des outils de production et du patri-moine ;

➤ la parcelle et/ou le troupeau, où l’agronomeanalyse les facteurs d’élaboration des rendementset dialogue avec les agriculteurs sur les itinérai-res techniques qu’ils mettent en œuvre.

En fait, les informations recueillies à l’échelle del’analyse peuvent contribuer à éclairer ce qui sepasse à une autre échelle, de sorte que l’on estconduit à combiner ces différentes échelles et àsauter fréquemment de l’une à l’autre.

Le déroulement de la formation

Le document rapporte le contenu de la forma-tion de deux semaines dispensées à Abengou-rou. Le but de cette formation est avant tout pé-dagogique ; il est de fournir aux participants desoutils d’analyse pour comprendre rapidement« l’agriculture d’une petite région », en abordantcet objet dans ses différentes dimensions : agro-nomique, économique et sociale.

Ce manuel suit le déroulement chronologiquede la formation et présente ainsi les différentesétapes méthodologiques et pédagogiques de ladémarche. Chaque chapitre présente ainsi suc-cessivement des rappels méthodologiques etconceptuels, le déroulement des journées de tra-vail, les résultats des étudiants commentés et lasynthèse des résultats obtenus collectivement.

Chaque journée est organisée selon un schémarécurrent, présenté ci-dessous :

➤ En début de journée, les participants du stagesont réunis en salle ; les enseignants synthétisentles données de la journée précédente, et propo-sent aux étudiants d’utiliser les conclusions pourdéterminer quelle sera l’étape suivante de l’é-tude, les objectifs à atteindre et la méthodologieà mettre en œuvre pour y parvenir. Cette étapedoit être succincte, car il est nécessaire de serendre sur le terrain le plus tôt possible.

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Avant-propos

11

critiquent ces résultats. D’un point de vue pé-dagogique, il importe de ne pas faire le travailà la place des étudiants : les critiques et re-marques des encadrants doivent ainsi autant quepossible être formulées en questions montrantaux étudiants que leurs résultats sont insuffisantsou illogiques, sans pour autant leur donner lasolution.

Le but de l’exercice est de formuler une synthèsecollective s’appuyant sur les travaux de l’en-semble des groupes, afin de progresser le plusrapidement possible vers les objectifs fixés.

➤ Les encadrants récapitulent les points forts desexposés par thèmes, formulent avec les étudiantsdes hypothèses de travail, et proposent de nou-velles pistes d’investigations qui seront repriseset complétées le lendemain matin avant le dé-part sur le terrain. Cf. le tableau « Principes d’or-ganisation et déroulement des journées de stage »,page suivante.

À propos des outils méthodologiques

➤ La méthode est progressive : à partir des ques-tions que l’on se pose au retour du terrain etaprès l’analyse des données, des hypothèses sontformulées. On tente alors de les vérifier les jourssuivants grâce à de nouvelles investigations surle terrain. Le passage d’une étape à l’autre dé-coule de l’émergence de questions que les ou-tils mis en œuvre à l’étape précédente ne per-mettent pas de résoudre. Par ailleurs, l’échelleet le degré de finesse des analyses d’une étapesont eux aussi déterminés par l’étape précédente.La démarche suivie peut donc se résumer par laformulation et la vérification d’hypothèses sui-vant des étapes méthodologiques allant du « gé-néral au particulier ». Il importe de ne pas dé-voiler ces étapes au début de la formation, defaçon à ce que la mise en œuvre des différentsoutils apparaisse nécessaire et logique. L’objec-tif pédagogique n’est pas que les participants ap-prennent une « recette » mais qu’ils en aientcompris la cohérence.

➤ De la même façon, les concepts sont amenésau fur et à mesure de l’avancée du travail lorsque

➤ Suit alors une phase de terrain : les participantspartent en observation sur le terrain ou mènent desentretiens dans les deux villages étudiés.

Parallèlement à cela, les encadrants pro-cèdent à leurs propres observations et mè-nent leurs propres enquêtes. Il importe qu’ilssoient dans une situation analogue à celledes étudiants : aucune préparation préala-ble n’est réalisée, de façon à pouvoir dé-celer toute difficulté particulière liée auxspécificités de la zone d’étude et au peude temps disponible. En revanche, les for-mateurs suivent la démarche en essayantde toujours conserver une étape d’avance,afin de pouvoir proposer après les restitu-tions journalières une suite logique aux in-vestigations de terrain. Ils doivent aussiadapter l’organisation de la journée afind’avoir des informations les plus complé-mentaires possibles, en orientant par exem-ple les groupes de travail sur des sujets in-suffisamment observés.

➤ À leur retour du terrain, les étudiants travaillentpar groupe ; ils dépouillent les informations re-cueillies au cours de leurs enquêtes, synthétisentleurs observations sous la forme de schémas pourles présenter à l’ensemble des participants. Tou-tes les informations récoltées par les étudiantsdoivent être synthétisées ; dans le cas contraire,les données laissées sous forme de notes indivi-duelles sont rapidement oubliées.

Les encadrants participent pleinement à cetravail en aidant, dans les groupes, les étu-diants à exploiter leurs données, à mettre enforme leurs résultats, sans toutefois leur pro-poser des schémas tout faits.

➤ Un représentant de chaque groupe d’étudiantsexpose les résultats élaborés par le groupe. Lesautres groupes et les encadrants commentent et

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Avant-propos

12

TABLEAU 1 :Principes d’organisation et déroulement des journées de stage

ACTIVITÉS OBJECTIFS

➤ Observations sur le terrain par les étudiants répartisen petits groupes

➤ Synthèse intermédiaire des observations danschaque groupe

➤ Mise en commun des informations recueilliesdans la journée en séance plénière

➤ Préparation de la journée suivanteet constitution de nouveaux groupesd’étudiants

➤ Introduction des concepts qui serontutilisés en J2 + J3

J1

4 heures ➤ Observation de la diversité

3 heures

➤ Organisationdes connaissances

➤ Formulation d’hypothèses

1 heure

➤ Apports méthodologiques

➤ Apports de connaissances

➤ Observations sur le terrain, interview desagriculteurs et des villageois par les étudiantsrépartis en petits groupes

➤ Synthèse intermédiaire des observations danschaque groupe

➤ Mise en commun des informations recueilliesdans la journée en séance plénière

➤ Préparation de la journée suivanteet constitution de nouveaux groupesd’étudiants

➤ Introduction des concepts qui serontutilisés en J3 + J4

J2

4 heures➤ Observation de la diversité

➤ Écoute des agriculteurs

3 heures

➤ Organisationdes connaissances

➤ Formulation d’hypothèses

1 heure

➤ Apports méthodologiques

➤ Apports de connaissances

➤ Idem

➤ Idem

➤ Idem... en J5

4 heures ➤ Idem

3 heures ➤ Idem

1 heure ➤ Idem

J3

RESTITUTION AUX AGRICULTEURS, en présence des agentsde développement et des représentants des services publics

Confrontation des points devue et poursuite du dialogue

J10

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Avant-propos

13

la complexité du réel en rend la définition et l’u-tilisation indispensables ; les participants se lesapproprient plus facilement après en avoir ressentile besoin face aux exemples quotidiens appor-tés par l’étude de terrain. Cet aller-retour per-manent du terrain à la salle de classe rend lacompréhension des concepts aisée et leur ap-propriation rapide.

➤ Cette méthode de travail fait appel à une forteparticipation des étudiants ; les encadrants nedélivrent pas de cours, mais sollicitent en per-manence l’observation et la réflexion des étu-diants. Aucun résultat n’est établi d’avance. Lestravaux de synthèse fréquents aident les étudiantsà préciser et formaliser la découverte de l’ac-quisition progressive de connaissances.

➤ Comme nous l’avons déjà précisé, il n’est passouhaitable de réaliser une étude bibliographiquepréalable de la zone : des données mal utiliséespeuvent gêner l’objectivité de l’analyse. Cepen-

dant, les cartes topographiques peuvent faciliterle travail de terrain, si elles existent. Afin de fa-voriser une première approche « personnelle »du paysage et de stimuler l’observation, on peutenvisager de ne distribuer les cartes topogra-phiques qu’au terme de la première journée.

➤ Cette méthode de travail privilégie avant toutl’observation de terrain et l’écoute des agricul-teurs ; sur ces deux points, un effort particulier estdemandé aux participants.

Le choix de la zone d’étude

Le diagnostic agro-économique qu’on se pro-pose de réaliser concerne l’étude de deux villa-ges. L’échelle de l’étude est telle qu’il est im-possible de couvrir toute la région en dix jours,d’où le choix d’étudier quelques villages per-

Comment organiser la démarche pédagogique ?

Le travail d’observation et d’écoute sera efficace si l’on répartit les participants en petits grou-pes de travail de trois à quatre maximum dont l’un d’eux, au moins, parle la langue des pro-ducteurs. Des consignes claires doivent être données avant chaque départ sur le terrain.

Les groupes partiront en enquêtes de terrain le matin, puis traiteront leurs données en débutd’après-midi, réaliseront une synthèse par groupe en milieu d’après-midi, afin de pouvoir faireune synthèse collective le soir (ou au début de la matinée du lendemain) pour préparer le tra-vail de terrain du jour suivant.

Le travail d’investigation et la progression seront collectifs : les groupes travailleront en mêmetemps sur les mêmes thèmes et échangeront les résultats obtenus, afin que l’ensemble des par-ticipants puisse progresser au même rythme.

Il n’y a donc pas de spécialisation géographique ou thématique des groupes.

Le rôle du formateur est de faire des synthèses intermédiaires et, en temps opportun, d’appor-ter les concepts nécessaires qui permettent d’ordonner le travail.

Pour chaque thème abordé, on cherchera, à partir du cas observé, à aller vers une généralisa-tion progressive.

L’équipe d’encadrement suit la même démarche que les étudiants avec, si possible, une jour-née d’avance dans la réalisation des observations pour avoir des éléments de validation et deprogrammation.

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Avant-propos

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ILLUSTRATION 1 : Situation de la zone d’étude

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Avant-propos

15

mettant d’observer la diversité des situations ren-contrées dans la région. L’échelle d’étude s’im-pose d’elle-même pour plusieurs raisons :

➤ logistique : mettre en situation 25 participantsdurant un stage de 15 jours nécessite des facili-tés d’hébergement, de déplacement et de com-munication que l’on ne trouve pas partout ;

➤ pédagogique : l’exercice consiste à former àl’observation, l’écoute et la compréhension desituations agraires évolutives : il est donc néces-saire de réaliser le stage avec des villageois ac-ceptant ces formes de dialogues et d’échanges ;

➤ scientifique : la définition d’un objet d’étudene s’impose pas a priori. Il se construit à partir dela découverte de problèmes tels qu’ils se posentaux acteurs concernés, en l’occurrence les agri-culteurs. Se poser les bonnes ou les vraies ques-tions est par exemple un préalable à tout échan-tillonnage statistique permettant ensuite depondérer ou de délimiter les résultats obtenus.

D’un point de vue pratique, encadrants et étu-diants parcourent rapidement la région pour iden-tifier les grandes différences entre les villages,tant sur le plan économique (insertion dans lemarché) qu’agronomique (type de terroir, accèsaux différentes parties de l’écosystème) et social(ethnies, migrants, etc.). Deux ou trois villages(voire plus en fonction du nombre de partici-pants) sont alors retenus pour poursuivre les in-vestigations. Ils sont choisis dans le but d’expri-mer au mieux la diversité des situations. Lecontraste des situations facilite le travail en auto-risant des comparaisons.

Cette partie de l’étude n’a cependant pas pu êtreréalisée lors de la session réalisée à Abengou-rou, et le choix des villages à étudier fut de faitimposé aux étudiants. Dans le cadre de cettecession de formation, les villages étudiés ont étéchoisis avant le début du stage, en fonctiond’aspects pratiques qui s’imposaient pour uneformation de courte durée. Pour des raisons defacilité de déplacement et de rapidité des trajets,l’accès des villages par la route était primordial ;ainsi, deux villages ont été sélectionnés à proxi-mité de la route.

Cette situation particulière présente un biais pourl’étude, car on peut supposer que la facilité deséchanges permet un développement local différent

de celui des villages situés loin de la route : prèsde la route, les agriculteurs peuvent aisément écou-ler les produits agricoles lourds ou périssables (lé-gumes frais et tubercules peuvent être expédiésrapidement sur les marchés, le bois peut être di-rectement chargé par les grumiers…). Ils peuventaussi acquérir du matériel et des produits agrico-les provenant de la ville (produits phytosanitaires,engrais, machines, etc.). Les systèmes de produc-tion rencontrés dans les villages choisis serontdonc certainement différents de ceux d’un villagequi n’aurait pas d’accès direct à la route bitumée.

Il est important de prendre en compte ce biaisintroduit volontairement par le choix des villagesenquêtés, biais qui ne permet pas de générali-ser notre analyse à l’ensemble de la région ; l’ex-trapolation des résultats relève d’un autre exer-cice pouvant être mené dans un deuxième temps,pour lequel il faudrait réunir d’autres moyensméthodologiques et pédagogiques. Cependant,cela n’entache en rien la validité de l’étude pourles villages sélectionnés. De plus, il ne faut pasperdre de vue que le but de l’exercice est avanttout pédagogique.

Lors du séminaire d’Abengourou sur la forma-tion à l’analyse-diagnostic des systèmes agrai-res, l’étude a porté sur le territoire de deux villa-ges distants de quelques kilomètres et situés tousdeux au sud d’Abengourou : Affalikro et Asse-kro. Cf. la carte ci-contre.

Présentation des participants

Le séminaire d’Abengourou accueillait 22 étu-diants de dernière année (spécialisation agro-économie) de l’École supérieure d’agronomie(Ésa) de Yamoussoukro, le responsable du pro-gramme PDL1, M. Jean-Baptiste Ettien Ane, unconseiller de gestion de la zone d’Abengourou,M. Sluie Drissa, un responsable du suivi des agri-culteurs du village d’Affalikro, M. Simon PierreOssofi Loba, un formateur de l’Anader2, M. Ha-madou Coulibaly, et un formateur de l’INFPA3,M. Denis Koffi Kouame.

1 Programme de développement local.2 Agence nationale d’appui au développement rural.

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Avant-propos

16

Parmi les encadrants ivoiriens, deux enseignants,l’un, M. Zana Ouattara, responsable du stage etprofesseur à l’ÉSA de Yamoussoukro, et le se-cond, M. Lagou Nguessan, directeur de l’Écolerégionale d’Abengourou (ÉRA).

La formation a été dispensée par deux enseignants-chercheurs en économie rurale : M. Hubert Cochet,maître de conférences à l’INA-PG4 à Paris et M. Sé-bastien Bainville, maître de conférences au Cnearc5

à Montpellier. Nicolas Ferraton, ingénieur auCnearc, a encadré également le stage et synthé-tisé les données en vue de l’élaboration du présentdocument. Mme Anastasie Kouame Yah Tehia,conseillère Anader, a fait office d’interprète lorsde leurs déplacements sur le terrain.

Introduction du séminaire

Une fois la présentation des participants ache-vée, les encadrants précisent les objectifs de l’é-

tude ; à ce stade, seuls les objectifs finaux et lescontraintes de l’étude sont précisés : le but duséminaire est de dresser un diagnostic agraired’une petite région, et ce, dans un temps très li-mité. Cette formation se termine par une resti-tution des résultats auprès des agriculteurs desvillages enquêtés. Volontairement, les enseignantsne présentent pas l’ensemble de la démarche detravail : non seulement la méthode de travail doitêtre suffisamment souple et adaptable en fonc-tion des situations rencontrées, mais surtout lesparticipants sont conduits à la découvrir, voireà la construire eux-mêmes.

La première séance de travail consiste à amenerles étudiants à définir la première étape du tra-vail. On les interroge : « Par quoi pouvons-nouscommencer ? ». Cette première question, ano-dine au premier abord, est importante, et il estbon de consacrer un temps suffisant à l’élabo-ration collective de sa réponse. Les participantsont en général tendance à vouloir commencerpar l’analyse de données secondaires (biblio-graphie, statistiques, etc.) ou par enquêter au-près des responsables locaux, oubliant l’étapeinitiale indispensable qui consiste à observerl’objet d’étude : la lecture de paysage.

Aspects pédagogiques

Les étudiants sont regroupés par quatre ou cinq personnes, de telle sorte que chaque grouperassemble des individus dont les compétences soient les plus diverses possibles (les profes-sionnels sont mélangés avec les étudiants)… Les groupes sont ainsi plus efficaces pour les en-quêtes ; l’analyse des données qui suit est plus riche du fait de la diversité des points de vue.C’est aussi l’occasion pour les membres de l’équipe de confronter leurs connaissances et decompléter leur formation.

Comme nous l’avons déjà signalé, les encadrants mènent aussi leurs propres investigations etobservations, obtenant des données utiles pour compléter les synthèses collectives, sans in-fluencer les étudiants ou les empêcher de progresser par eux-mêmes. Le groupe d’encadrantspeut aussi prendre un peu d’avance sur le programme pour avoir des éléments de validationet de programmation.

Il est préférable de constituer un groupe d’encadrants distinct des groupes de participants. Leurprésence au sein d’un groupe risque de fausser l’exercice : les participants n’osant pas réali-ser l’exercice ou attendant la réponse directe de l’enseignant. Par ailleurs, les discussions et dé-bats à l’intérieur de chaque groupe font partie de la démarche pédagogique et ne doivent pasêtre gênés par la présence d’un formateur.

3 Institut national de la formation professionnelle agricole.4 Institut national agronomique Paris-Grignon.5 Centre national d’études agronomiques des régions chaudes.

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Initiation à une démarche de dialogue. Étude des systèmes de production dans deux villages de l’ancienne boucle du cacao

La lecture de paysage

La première étape de ce travail consiste en la dé-limitation de la région d’étude, l’identification etla caractérisation des différentes zones agro-éco-logiques de la région. L’objectif est de compren-dre et d’expliquer la manière dont les paysansexploitent le milieu dans lequel ils se trouvent,c’est-à-dire de mettre en évidence les élémentsd’ordre agro-écologique (morphologique, géo-logique, pédologique, etc.), puis technique etsocio-économique, qui contribuent à expliquer lemode actuel d’exploitation du milieu.

●● Choisir un premier parcours

Après s’être présenté aux notables et leur avoirparlé de l’intention de se déplacer dans le terri-toire villageois, il faut leur demander quelquesindications sur les limites du territoire et sur sescaractéristiques. Si le village dispose d’un pointhaut, nous conseillons d’aller observer à partirde ce point de vue. Sinon, choisir un parcours quitraverse des zones variées.

Le parcours n’est pas obligatoirement une lignedroite, on peut emprunter les chemins deschamps. Il est conseillé de se déplacer lentementpour avoir le temps d’observer et de noter tout ceque le paysage peut indiquer sur les caractéris-tiques de l’organisation du milieu. Ne pas hési-

Analyse du paysageagraire

ter à faire des croquis et des dessins. Surtout,noter au fur et à mesure : il faut décrire avec soinavant de mettre des étiquettes, c’est-à-dire avantde nommer les choses que l’on croit connaître.

Les cartes de la région, si elles existent, ne doi-vent en aucun cas se substituer aux observations ;elles peuvent servir de support de discussionavec le chef du village. C’est seulement au re-tour du terrain que l’on peut « poser des questionsaux cartes » pour obtenir certains éléments deréponse.

La saison à laquelle le parcours est réalisé auraune grande influence sur les observations quel’on fera. En saison de cultures, on observera di-rectement les pratiques des paysans. En saisonsèche, on aura d’autres informations : ce que lesagriculteurs font des résidus de culture, si les ani-maux viennent pâturer, etc. Mais l’observationdes pratiques culturales sera plus délicate voireimpossible, la saison sèche effaçant de nom-breux indices.

À partir des observations de terrain, les étudiantsse posent des questions sur les relations existantentre le paysage et les modes de mise en valeur,la fertilité des différentes parties de l’écosystèmeet leur utilisation par l’homme… Ils sont ame-nés à se poser des questions sur l’évolution de cepaysage et ils déroulent ainsi d’eux-mêmes le filconducteur de l’étude.

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Analyse du paysage agraire

18

La distance par rapport aux principaux marchés(sur lesquels sont écoulées les marchandises agri-coles) est également une donnée importante.

L’agencement des maisons les unes par rapportaux autres, la densité des habitations, le fait quel’habitat soit dispersé ou regroupé, le nombre etl’emplacement des cases dans une concession,etc. peuvent aussi apporter des éléments deconnaissance sur la structure de la société et surson fonctionnement. Par exemple, lorsqu’on aper-çoit plusieurs maisons mitoyennes dans desconcessions isolées au milieu du paysage, onpeut supposer que plusieurs générations d’indi-vidus d’une même famille vivent sous le mêmetoit et qu’une unité de production peut regrou-per plusieurs générations.

L’aspect général des habitations, la taille et lenombre de cases dans une concession, le type dematériau de construction peuvent être égalementdes indicateurs du niveau de revenu des agri-culteurs.

Les équipements agricoles que l’on observe àproximité des maisons fournissent des informa-tions sur les types de culture et d’élevage quisont dominants dans la région, ainsi que sur leniveau de capitalisation des agriculteurs : repé-rage des aires de séchage (café, tabac, etc.), dessilos ou des greniers, des hangars de stockage, dugros outillage agricole (motoculteurs, moto-pompes, décortiqueuses, pulvérisateurs, etc.).

Parc à bétail, nombre de têtes de bétail, sont sou-vent des indices sur les pratiques de mise en va-leur du milieu que l’on peut aisément repérerautour des cases ou dans le paysage. La présenced’animaux de trait indique l’utilisation de la cul-ture attelée dans la région.

Les limites du territoire villageois

Comment déterminer l’étendue du territoire d’unvillage et ses limites et pourquoi ? Le plus sim-ple et le plus rapide est de demander aux agri-culteurs rencontrés de préciser quelles sont leslimites du village. L’idéal est de rencontrer unagriculteur qui travaille une parcelle à proximitédu sommet d’une colline, d’où l’on domine unepartie du paysage de la région. Il peut ainsi in-diquer à vue les limites du territoire villageois etrépondre aux premières questions que l’on sepose en observant le paysage (situation des zones

●● Apprendre à observer

Les étudiants choisissent un parcours dans le butd’observer la plus grande diversité possible d’en-sembles agro-écologiques. Avant de s’attacher àregarder les cultures, ils doivent s’intéresser auxgrands ensembles du paysage. Ainsi, le parcourschoisi peut les amener sur un point plus élevé,ce qui facilite leur lecture du paysage.

Regarder un paysage

Il existe une étroite relation entre le type de re-lief et les potentialités agronomiques d’un mi-lieu : il est utile de commencer par l’observationdes formes générales du relief. La compréhen-sion de la géomorphologie (étude du modelé dupaysage en fonction des roches sous-jacentes)permet de représenter les grands ensembles au-tour desquels s’organisent les lignes de pentes,les écoulements d’eau, les replats, la forme desvallées et l’accumulation des matériaux qui for-ment progressivement les sols.

Les parcelles cultivées sont repérées dans le pay-sage et décrites (taille, forme, proportion les unespar rapport aux autres). On identifie de la mêmefaçon les formations végétales arborées, arbus-tives et herbacées, en prenant soin de différen-cier la végétation spontanée de la végétation cul-tivée et les espèces pérennes par rapport auxannuelles.

À l’échelle de la parcelle, lors du parcours, onnote les caractéristiques physiques des sols(charge en cailloux, structure, texture, etc.), fer-tilité (teneur en matière organique, couleur dela terre, accumulation de sols en bas de pente,griffes d’érosion, etc.), ressources en eau, etc. ,afin de comprendre comment s’agencent les dif-férentes activités agricoles dans le milieu. Lesespèces cultivées ou non sont repérées (nombreet densité) et si possible identifiées.

Observer l’habitat

Il est probable que le parcours traverse un village ;on accède ainsi à une source d’informations qu’ilne faut pas négliger, tant elle peut être abondanteet riche. On note tout d’abord la position duvillage dans le paysage : est-il dans une valléeou au contraire au sommet d’une montagne ?Cela a des conséquences sur la situation vis-à-visdes cours d’eau, des grands axes routiers, etc.

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Analyse du paysage agraire

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FICHE N° 1 : LA LECTURE DE PAYSAGE

Que peut-on observer dans un paysage ?

●● Observer d’abord les grands ensembles

Géomorphologie - topographie - hydrographie - sol

➤ Quelles sont les formes du relief ? Bas-fonds, interfluves, glacis, replats sommitaux, affleu-rements rocheux, etc.

➤ Quelles sont les ressources en eau ? Marigots permanents/saisonniers, variation des niveauxet sens des écoulements, sources.

➤ Comment se présentent les sols ? Couleur, texture, profondeur, humidité, stabilité structu-rale, sensibilité à l’érosion, caractéristiques de la roche mère.

Les différences de végétation

➤ Comment se présente le paysage : est-il composé d’espaces cultivés, de friches, de zones deparcours ou d’espaces forestiers ?

Végétation spontanée : composition et diversité floristique :

− les formations arborées : importance, description, types d’arbres, localisation ;− les formations arbustives : importance, description, types d’arbres, localisation ;− les formations herbacées : importance, description, localisation, usage (pâturage ou jachère) ;

Végétation cultivée : ● Cultures pérennes : en vergers, haies ou arbres disséminés dans leschamps ou pâturages : quels types d’arbres ? Quelles localisations ? ● Cultures annuelles :taille et grandeur des champs, type de cultures et associations, densités culturales, travaildu sol, pratiques culturales et situation le jour de l’observation.

➤ Quelles sont les questions soulevées par l’observation des diverses formes de végétation ?

Les formes de parcellaires et les aménagements

Les champs sont-ils fermés, ouverts, en lanière, dans le sens de la pente ? Y-a-t-il des talus, desfossés, des rigoles ?

Les constructions : habitations, villages, chemins, routes et aménagements

➤ Comment est construit le village ? De quelles infrastructures bénéficie-t-il (électricité, fo-rage, dispensaire, école, etc.) ?

➤ Y a-t-il des constructions hors du village ? Quelles sont leurs fonctions (parcs à animaux, cam-pement, etc.) ?

➤ Combien y a-t-il de routes, de chemins ? Quel est leur état ? Sont-ils accessibles aux véhi-cules toute l’année ?

➤ Y a-t-il des aménagements (bas-fond, forages, clôtures, etc.) ? ... /...

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Analyse du paysage agraire

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Les animaux

➤ Animaux sauvages éventuellement (gibier, poissons, etc.).

➤ Animaux d’élevage : type, nombre, localisation, situation (à une corde au piquet, en diva-gation, en parcours avec un bouvier, avec matériel de culture attelée, en enclos, etc.).

●● Comment décrire ce que l’on a observé ?

Pour décrypter un paysage, on réalise plusieurs croquis descriptifs pour construire progressi-vement un ou des schémas de synthèse. Pour resituer les observations, il ne faut pas oublierde les dater et de les orienter.

●● Nécessité de se donner des outils et des éléments de méthodepour ordonner les observations

Pour cela, les étudiants effectuent une « lecture » du paysage, en parcourant sur le terrain. Lalecture de paysage sert à identifier et à localiser précisément tous les éléments constitutifs dupaysage afin :

➤ de dégager de grands ensembles relativement homogènes du point de vue du paysage ;

➤ d’identifier, au sein de la région d’étude, les différentes parties du paysage grâce à la topo-graphie, la géologie, la pédologie, l’hydrologie, l’occupation du sol, etc. ;

➤ et au niveau de chaque ensemble, de mener une observation plus fine afin d’en caractéri-ser les éléments constitutifs et le mode de mise en valeur. De cette lecture du paysage, doi-vent donc ressortir des questions et les premières hypothèses à propos des raisons pour les-quelles ses différentes parties sont exploitées, ou non, de manière différente.

Ensuite, des entretiens sont réalisés auprès d’agriculteurs afin de vérifier et de compléter les pre-mières hypothèses formulées. Ces entretiens doivent également permettre de poursuivre la ca-ractérisation de ces différentes zones en approfondissant la compréhension de leur fonction etde leur mode d’exploitation, en accordant une grande importance aux relations existant entreelles, en particulier aux flux de matières organiques (fourrages, fumures, etc.) ou d’élémentsminéraux (engrais, transfert par ruissellement, etc.).

➤ Alors se pose la question de consigner les observations : faut-il mettre en commun des obser-vations tantôt différentes, tantôt communes ?

➤ Pour restituer les observations, il est nécessaire d’utiliser un vocabulaire précis, dégagé detout jugement de valeur.

➤ Nécessité également d’utiliser un vocabulaire qui restitue réellement les observations et nondes interprétations.

La toponymie et le vocabulaire des langues locales sont généralement très précis ; il est nécessairede les consigner avec rigueur.

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boisées, importance des bas-fonds, de telle outelle culture, etc.).

Il faut que les étudiants s’assurent que la déli-mitation englobe l’ensemble des parties de l’éco-système auquel ont accès les agriculteurs, sinonils risquent de passer à côté de certaines pro-ductions.

Premier contact avec le terrain :parcours des étudiants lorsdes deux premiers jours de travail

Dans cette partie, nous suivons un groupe d’é-tudiants dans ses investigations de terrain, par-cours qui a eu lieu lors du premier jour de tra-vail à l’est du village d’Affalikro. À travers cetexemple, nous voyons comment il est possibled’observer le paysage. Cf. illustration 3 page 22.

●● Étape n° 1 : départ dans le village

L’habitat est concentré dans les villages ; on n’ob-serve pas ou peu de maisons isolées. Les habi-tations sont construites pour la plupart en banco,certaines en ciment, d’autres encore en bois ouen bambou. Les maisons d’une famille sont re-groupées autour d’une cour centrale. Les cuisi-nes, souvent indépendantes des maisons, sontdes abris en tôle avec des palissades en bam-bou. Manguiers et Terminalias fournissent un peud’ombrage dans les cours des habitations ou surles bords des rues.

On observe çà et là des presses à manioc et desoutils manuels, machettes, houes. Des pompesmanuelles permettent d’extraire l’eau de puitsqui font parfois plusieurs dizaines de mètres deprofondeur (leur profondeur nous renseigne surla distance de la nappe phréatique à la surface).

Dans le village, quelques chèvres et moutonsmangent l’herbe sur les bords des fossés, sanssurveillance. À la sortie du village, de petits parcsà bovins bordent les pistes.

On note la présence de roches affleurantes, ro-ches composites, agglomérats de particules cen-timétriques de couleur foncée, probablementune partie de cuirasse latéritique.

Analyse du paysage agraire

21

●● Étape n° 2 : les culturesautour des villages

De hautes herbes en bordure des chemins (Im-perata cylindrica, Panicum maximum, purpu-reum, Chromolaena odorata, Ombélia) cachentles cultures des parcelles environnantes. Legroupe d’étudiants traverse tout d’abord unchamp de maïs et d’arachide. L’arachide occupela majeure partie de la surface. Le maïs de hautetaille a été planté en poquets très espacés. Le solde cette parcelle est chargé de gravillons de taillecentimétrique et la terre semble « grasse ». Del’autre côté de la piste, un champ de maïs asso-cié à du manioc.

●● Étape n° 3 : une plantation de caféet cacao associés

Les étudiants pénètrent dans une parcelle decafé-cacao, si peu dense que la lumière pénètrelargement dans le sous-bois. Chromolaena odo-rata est l’adventice dominante. Un jeune agri-culteur nettoie la plantation, il est occupé d’unepart à désherber et d’autre part à planter de jeu-nes plantules de cacao sous des caféiers. Il ex-plique aux étudiants qu’il procède de la sortepour remplacer « en douceur » les caféiers qu’iljuge peu rentables (en raison du prix de ventedu café) par les cacaoyers.

●● Étape n°4 : traversée d’un bas-fond

Un bas-fond cultivé en riz pluvial associé à dumaïs. La répartition du riz dans la parcelle laissepenser qu’il a été semé à la volée (il ne s’agit pasde riz repiqué). Dans ce bas-fond, de l’eau sta-gnante forme de grandes flaques qui ne sont pasplantées en riz. On note la présence de nom-breux palmiers, d’une espèce différente de ceuxavec lesquels on fait du vin et de l’huile de palme.Ils possèdent un stipe plus fin et poussent parbouquets. Des traces de cendre et de bois brûlé(les branches basses des palmiers sont égalementbrûlées) nous laissent deviner que la parcelleétait en friche l’année précédente, l’agriculteurayant procédé à une défriche-brûlis avant de lamettre en culture. Sur les bords du champ de riz,les étudiants observent une friche basse (deux àtrois mètres de hauteur), l’agriculteur a ceinturétoute la friche de branches ne laissant que

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Analyse du paysage agraire

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Traversée du village,rue centrale d’Affalikro.On remarque les poteauxélectriques, les maisonsen bois et en béton.

ILLUSTRATION 3 : Description du parcours d’un groupe d’étudiants lors du premier jour de terrain

Dans la cour d’une maison,les affleurements de la cuirasseferralitique.

Immédiatement à la sortie duvillage, les étudiants découvrentdes cultures vivrières : maïs,maïs associé à l’arachide(ci-dessus), manioc associé àl’arachide (ci-dessous).

Plantation de café et cacaoassociés.

Plantation envahiepar Chromolaena odorata.

Rencontre avec le planteur :nettoyage et substitution du cafépar le cacao.

Dans le bas-fond, une rizière :riz pluvial associé au maïs.On observe de nombreuxpalmiers dans le champ de riz(ci-dessous).

En remontant vers un secondinterfluve, les étudiantsrencontrent des buttesd’ignames.

Sur le sommet de l’interfluve,une association complexe :manioc, banane, taro, jeunescacaoyers.

Étape 1Étape 2 Étape 3

Étape 4

Étape 5

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quelques espaces, passages pour d’éventuelsagoutis en quête de nourriture dans le champ deriz, et dans lesquels sont installés des pièges.

Dans la parcelle de riz, le sol est très différentde celui que les étudiants ont découvert au som-met de l’interfluve. Ce sol semble uniquementcomposé de sable blanc et possède par endroitune couleur noire, traces de matière organiquetrès foncée que l’on distingue parmi les grainsde sable.

●● Étape n°5 : en remontant sur l’interfluve

Les étudiants continuent leur parcours en re-montant sur une petite colline à travers un champde buttes de terre. Un homme, occupé à confec-tionner les buttes, nous apprend qu’il va bientôtplanter de l’igname dans la parcelle, et qu’entreles buttes, il mettra des jeunes plants de cacao.

Analyse du paysage agraire

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Enfin, nous traversons une parcelle où de multi-ples plantes sont associées et cultivées : bana-niers, jeunes plants de cacao, taro, manioc, etc.Au-delà de cette parcelle, on distingue une fri-che arborée avec de grands arbres sous lesquelspoussent des caféiers, présence confirmée parun enfant présent sur la parcelle.

Analyse et traitementdes données au retour du terrain

Tout au long du parcours, les étudiants prennentdes notes qu’ils devront synthétiser pour en res-tituer l’essentiel aux autres groupes de travail. Ilsdisposent de deux heures de travail en salle avantla restitution de leurs observations

Aspect pédagogique

➤ Il est important au début de l’exercice de ne pas suggérer aux étudiants la façon dont ilspourraient exposer leurs résultats, en leur montrant par exemple des schémas déjà établis. Ilsdoivent ainsi mener une réflexion sur les modes de représentation clairs qui leur permettentde synthétiser rapidement leurs résultats. Ces efforts d’abstraction et de synthèse sont progres-sivement développés tout au long de la formation.

➤ Les groupes doivent présenter leurs résultats en un temps court (l’effort de synthèse doit êtrepermanent), pour retenir l’attention des autres groupes ; les restitutions trop longues sont né-fastes à la dynamique générale.

➤ Chaque groupe doit présenter ses résultats. Les informations sont ainsi divulguées à l’en-semble des participants, dans le but de contribuer à la construction progressive d’une synthèsecollective. Un groupe qui ne présenterait pas ses résultats risquerait de perdre sa motivation àrechercher de nouvelles informations. Lors des premières restitutions, il est nécessaire que lesdifférents groupes présentent tous leurs résultats, pour avoir une idée de la diversité des situa-tions, mais petit à petit, les séances de restitution deviennent de plus en plus longues ; il estalors opportun que les groupes ne mettent en évidence que les différences qu’ils observentavec les autres groupes (surtout pour les parties concernant l’analyse historique, ou l’analysedes systèmes de culture). Les informations redondantes dissipent l’attention des groupes.

➤ Dans chaque groupe, la personne désignée pour restituer les travaux de l’équipe à l’en-semble de la salle change chaque jour : chacun s’entraîne ainsi à parler de manière synthé-tique devant les autres.

➤ Enfin, l’ordre de passage des groupes à chaque restitution doit changer d’un jour à l’autre.

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Analyse du paysage agraire

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Mise en commun des résultats

●● De l’intérêt d’utiliser un vocabulairecommun

Pour mettre en commun les données, une desdifficultés majeures est de parvenir à ce que lesétudiants emploient une terminologie identique ;par la suite, plusieurs exemples témoignent desdifficultés rencontrées pour aborder les premiè-res observations.

Voici un recueil des exposés concernant la des-cription des formations végétales arborées :

➤ le premier groupe déclare : « nous pensionstrouver de la forêt, (...) on a été déçus ! » ;

➤ le second groupe : « nous sommes ensuite en-trés dans une zone forestière avec des fromagers » ;

➤ le troisième groupe déclare : « après nous êtreéloignés du village, nous nous sommes enfon-cés dans la forêt » ;

➤ enfin, le quatrième groupe : « nous sommespassés d’une forêt claire à une savane arborée ».

Cet exemple illustre toute la difficulté de l’exer-cice de mise en commun des observations :quelle partie de l’écosystème est désignée par leterme « forêt » ? Chaque groupe a une repré-

ILLUSTRATION 4A : Forêt ou friche à caféiers ?

Sur une ancienne plantation de café, la végétation a repris ses droits, en envahissant totalement la plantation, la rendantimpénétrable. On distingue encore aujourd’hui les caféiers sous une épaisse végétation. Les agriculteurs coupent cesfriches pour replanter ; en témoigne le moignon de caféier au premier plan.

Frichearborée

Caféierabattu

Hub

ert C

oche

t

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Analyse du paysage agraire

25

ILLUSTRATION 4B : Caféiers recépés associés à des cultures vivrières

Caféiers

Maïs

Fanesd’arachide

Hub

ert C

oche

t

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ILLUSTRATION 4C : Plantation mixte de café-cacao, âgée de 5 à 6 ans

Plantationmixte de café-cacao, âgéede 5 à 6 ans.Les bananierssont encoreprésents surla parcelle,parcelletrès enherbéeen raisonde la faibledensitédes arbustes.

Caféiers

Cacaoyers

Bananiers

Caféiers

Nic

olas

Fer

rato

n

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sentation différente de « la forêt ». Parmi toutesles formations végétales traversées par les étu-diants, quelles sont celles qui correspondent réel-lement à une forêt ? Les enseignants clarifient lasituation afin que tous les participants utilisentles mêmes termes pour les mêmes éléments deleurs observations.

Une forêt est une formation végétale spontanée,généralement de grande taille et pouvant com-prendre de nombreuses espèces différentes sou-vent disposées en plusieurs étages de végétation.

Une formation végétale mono-spécifique, mêmedense, correspond le plus souvent à une planta-tion (même si les essences qui y sont plantéessont également présentes en forêt, comme lestecks).

Une forêt primaire correspond à une formationvégétale spontanée qui n’a jamais été exploitéepar l’homme (hormis pour la cueillette et lachasse), la formation végétale atteint alors le cli-max qui est le développement maximal de cetteformation végétale dans des conditions pédo-climatiques précises.

Une forêt secondaire est une forêt qui a été ex-ploitée par l’homme, mais qui a repoussé, et dontles essences forestières sont identiques à cellesde la forêt primaire.

Une forêt tertiaire (ou dégradée) a égalementété exploitée par l’homme, mais elle ne com-prend plus les mêmes espèces végétales que laforêt originelle (primaire), un certain nombred’entre elles ayant définitivement disparu.

Après discussion, et grâce aux observations re-cueillies les jours suivants, il s’avère que les for-mations végétales décrites par certains groupescomme étant des forêts, correspondent à d’an-ciennes plantations de caféiers où l’on observeun important recrû forestier. Pour s’en rendrecompte, il faut pénétrer au cœur de la végéta-tion, tâche parfois ardue en raison de la densitéde la végétation basse. On désignera ces forma-tions végétales par les termes « de friches arbo-rées » ou plus généralement « de friches de lon-gue durée ».

Autre exemple de l’importance d’un vocabulairecommun : parmi les étudiants, certains parlent debas-fonds pour désigner les espaces en dépres-sion que l’on observe un peu partout dans le pay-

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sage, mais d’autres parlent de marécages... Cesdeux groupes parlent-ils du même espace ou a-t-on affaire à deux parties différentes du paysage ?

La dénomination « bas-fond » désigne plutôt unespace cultivé ou potentiellement cultivable,alors que le terme de marécage fait plutôt réfé-rence à une zone d’eau stagnante avec une vé-gétation spontanée. Les étudiants n’auraient-ilspas confondu une friche, c’est-à-dire une zoneanciennement cultivée où une végétation spon-tanée s’est installée avec un marécage ?

Rappelons que l’objectif des deux premiers joursd’observation du paysage est de construire un mo-dèle synthétisant les différentes parties du paysagede la région et représentant également les modesde mise en valeur par l’homme de ces différentesparties. Pour atteindre cet objectif, les groupesd’étudiants doivent donc impérativement adop-ter un vocabulaire commun. La modélisation estpossible si plusieurs observations vont dans lemême sens et que l’on peut en tirer des lois gé-nérales. Ce modèle doit être représentatif de l’en-semble du territoire villageois de la zone étudiée.

Lors des restitutions, les étudiants doivent dé-crire leurs observations avec un vocabulaire pré-cis et commun. Une description fine avec desmots justes rend compte de l’environnement defaçon détaillée, étape indispensable avant la miseen relation des différentes observations pédolo-giques, topographiques, hydrologiques, végéta-les, culturales.

●● Commentaires sur des affichesprésentées les deux premiers jours

Présentation des résultatsdu groupe de travail n° 5 (premier jour)

➤ Village : plusieurs types d’habitations com-posent le village (bois, bambou, ciment), qui oc-cupe la majeure partie de l’affiche.

➤ Élevage : des symboles en forme de têtes d’a-nimaux dont la taille est proportionnelle au nom-bre rencontré nous indiquent que l’élevage sepratique surtout dans les villages et non pas endehors. Ovins et caprins, volailles sont concen-trés essentiellement dans les villages, les bovinssont dans des parcs immédiatement à proximitédes villages (parcs matérialisés par une formegéométrique aux contours hachurés).

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ILLUSTRATION 5 :Affiches présentées par les étudiants lors des deux premiers jours de travail : analyse du paysage

Affiche présentéepar le groupede travail n° 5 lorsde la premièrerestitution.

Affiche présentéepar le groupede travail n° 3 lorsde la seconderestitution.

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➤ Végétation/cultures : la représentation dé-taillée des champs situés au voisinage de la routemontre que les étudiants ont fait un effort d’ob-servation dans les parcelles, allant au-delà dechaque parcelle. Si l’on s’en tient à leur schéma,les cultures vivrières, telles que le maïs et l’ara-chide, sont situées à la sortie des villages et lesplantations de cacao et café sont plus nombreuseslorsqu’on s’en éloigne.

Les étudiants ont apparemment traversé de gran-des plantations de cacao et d’autres où les ca-caoyers sont associés aux caféiers.

À la droite de l’affiche, des traits en forme de va-gues symbolisent un bas-fond. Quel type de vé-gétation rencontre-t-on dans cette zone ? C’est làla seule information relative à la topographie,mais ce mode de représentation ne permet pasde faire de liens entre la topographie, l’hydrolo-gie et la disposition des cultures dans le paysage.

En somme, les étudiants de ce groupe ont fait unréel effort de description des champs cultivés,allant jusqu’à représenter une forme de parcel-laire qui ne se limite pas aux champs en borduredes chemins. Ils montrent ainsi qu’au cours deleur travail d’investigation, ils sont entrés dansles champs des agriculteurs avec l’idée de com-prendre l’agencement des cultures les unes parrapport aux autres.

Ce n’est malheureusement pas le cas de tous lesgroupes : certains se sont contentés d’une des-cription des bordures des chemins en recueillantdes informations erronées par manque de per-spi-cacité : un des groupes décrit une parcellede Panicum maximum sur un sommet. Il est vraique panicum est une graminée présente sur lehaut des collines, mais uniquement sur les bordsdes chemins ; sa taille élevée a empêché les étu-diants de se rendre compte des cultures qu’il yavait au-delà, et ce groupe n’a pas eu la curio-sité d’aller observer les cultures masquées parcette graminée ; c’est un des points sur lesquelsil faudra insister pour la sortie de terrain du se-cond jour.

Il est à noter que les groupes n’ont fourni prati-quement aucune donnée concernant le relief. Lesaffiches sont sous forme de plans qui regroupentdes informations sur l’habitat et les formationsvégétales cultivées ou non. Elles ne constituent

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pas un mode de représentation synthétique, maisseulement un recueil d’informations.

Suite à cette première présentation, des pointsassez nombreux demeurent obscurs. Les étu-diants n’ont pas fait de rapprochement entre latopographie et le type de culture pratiquée…

Est-il possible de pratiquer toutes les cultures surl’ensemble du territoire villageois ? En d’autrestermes, pratique-t-on les mêmes cultures dansles bas-fonds et sur les interfluves ? Existe-t-il unerelation entre topographie, culture pratiquée ettype de sols ? Plusieurs types de sols ont été ca-ractérisés, des sols gravillonnaires rouges et dessols sableux plus noirs : peut-on localiser ces dif-férents sols dans l’écosystème ? Existe-t-il deszones de pâturages ? Les étudiants ont distinguévégétation spontanée et cultures : quelle est, pourchacune de ces formations végétales, la réparti-tion géographique ? Est-il possible de mieux ca-ractériser les différents types de plantations ?Existe-t-il de véritables forêts et des zones ma-récageuses distinctes des bas-fonds ?

Présentation des résultatsdu groupe de travail n° 3 (second jour)

Lors du second jour de terrain, face aux diffi-cultés que rencontraient les étudiants pour syn-thétiser leurs observations (liées pour une part àl’absence de point de vue panoramique, et d’au-tre part à la complexité de la situation), l’équipeenseignante a ouvert le volet historique, pensantque certaines observations ne pouvaient se com-prendre que si l’on connaissait une partie del’histoire de la région : c’était le cas notammentdes plantations de café et cacao pour lesquelleson a observé une grande diversité de champs :plantation mixte café-cacao, plantation de cacaoou de café, plantation en cours de régénération,plantation retournée à la friche… C’est en dé-couvrant le passé de cette région, en parlant avecles agriculteurs, qu’il est possible de comprendreles raisons de cette diversité de situations. Le se-cond jour, les étudiants avaient à poursuivre leurtravail d’observation sur le terrain en décrivantdes transects6, mais s’ils le pouvaient, ils devaient

6 Un transect est un parcours du terrain recoupant les hé-térogénéités du milieu par rapport aux hypothèses de dé-part ou aux informations disponibles.

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ILLUSTRATION 6A : Un modèle du paysage de la région d’étude : les interfluves avec village et le haut des versants

Les villages sont au sommet des interfluves, la cuirasse ferralitique affleure par endroit. Dans le village eten sortie, on note la présence d’un peu d’élevage. Immédiatement autour du village, des champs vivriers, et lorsquel’on suit les pentes et que l’on approche des bas-fonds, des plantations de cacao et café avec des champs vivriers. Sur lespentes, vers les hauts surtout, les sols sont gravillonnaires.

Villages

Manguier

Cultures vivrières :maïs, manioc,

arachide

Puit

Friche courte àChromolaena

odorataCacaoyère

Grand arbrerésiduel

Cultures vivrières :maïs, arachide

Nappephréatique

Cuirasseferralitique Sol sablo-argileux

et gravillonnaire

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discuter avec des agriculteurs, de préférenceassez âgés, pour connaître l’histoire de l’agri-culture de la région.

Ceci explique pourquoi, lors de la restitution dusecond jour, l’affiche du groupe n° 3 sur la com-préhension du paysage présente une partie his-torique (cf. illustration 5 page 28).

La droite de l’affiche présente une vue en plandu parcours réalisé par ce groupe de travail ; bienque fourmillant d’informations sur les cultures(végétation spontanée, cultures), le type de sol,les infrastructures, cette partie de l’affiche n’enest pas moins difficile à lire (les limites des par-celles ne sont pas indiquées). Cette représenta-tion de l’information, très linéaire, sans analyse,sans tentative de synthèse, ne lie pas les don-nées les unes aux autres.

Par contre, il est intéressant de souligner la cor-rélation faite entre cette représentation et celle quifigure sur la partie gauche, qui montre un profilentre deux points (A et B), véritable représenta-tion du transect. Sur ce schéma, l’ensemble desinformations s’organise autour de la toposé-quence7 ; il s’y manifeste un réel effort de syn-thèse pour représenter non pas tous les détails,mais l’essentiel. Nous mesurons à partir de cecila compréhension et l’assimilation de l’exercicepar le groupe d’étudiants.

Synthèse des résultatssur l’analyse du paysage

Suite à la restitution de l’ensemble des groupesde travail, étudiants et enseignants élaborent unschéma de synthèse modélisant les observationsdes deux premiers jours de travail.

Le paysage que nous avons découvert dans notrezone d’étude pourrait être décrit comme suit :une région de collines de très faible hauteur, auxversants convexes, entrecoupées de bas-fondslarges ou de vallées étroites.

Un schéma synthétique récapitule les différentesparties de l’écosystème rencontrées dans la ré-

Analyse du paysage agraire

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gion ainsi que leur mode de mise en valeur.L’illustration 6 reprend en quatre affiches (6Apage 30, 6B page 32, 6C page 34, 6D page 35)le modèle du paysage de la région présenté enfin de stage aux agriculteurs.

●● Les zones hautes ou interfluves

Ce sont les parties de l’écosystème sur lesquel-les sont établis les villages, loin des zones de sta-gnation d’eau (le village d’Assekro a été déplacépour ces raisons). En de nombreux endroits, unecuirasse latéritique affleure dans les villages : ilest probable que, à la suite de phénomènes d’é-rosion, les couches superficielles du sol aient étéentraînées dans les pentes et les bas-fonds. Dansles villages, les arbres présents sont surtout lesmanguiers et les terminalias qui fournissent del’ombrage. Ovins, caprins, animaux sont en di-vagation.

Immédiatement autour des villages, des parcs àbovins jouxtent des parcelles de cultures vivriè-res, arachide, maïs, gombo, manioc. Dans cesparcelles, le sol est souvent gravillonnaire et ar-gileux.

D’autres zones hautes sont occupées par des cul-tures pérennes ; on rencontre une grande diver-sité de plantations, telles que des plantations decafé, de cacao, de café et cacao associés, devieilles plantations de café gagnées par une abon-dante végétation spontanée, des plantations éga-lement dominées par de grands arbres. On peutvoir également de jeunes plantations de cacaoyersassociés à des bananiers et à d’autres culturesvivrières, et également des buttes d’ignames as-sociées avec de jeunes bananiers, du taro, etc. Onnote également la présence de grands arbres dontla densité est variable, et qui donnent parfoisl’impression de forêts résiduelles. A-t-on vérita-blement affaire à des résidus de forêt ou à desrecrûs arborés après cultures ? À ce stade de l’a-nalyse, la question demeure entière.

●● Des zones en pente doucequi conduisent vers des bas-fonds

En s’éloignant des points hauts, le sol devientplus sableux. On note la présence de culturesvivrières (ignames, bananes, arachides, maïs,etc.) et parfois la présence de plantations pé-

7 La toposéquence correspond à une coupe du paysage tra-versant différents étages agro-écologiques.

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ILLUSTRATION 6B : Un modèle du paysage de la région d’étude : les bas-fonds ouverts et le bas des versants

Les bas-fonds sont les seuls endroits où il est possible de pratiquer le maraîchage : tomate, aubergine, etc., sur des billons qui surélèvent les cultures par rapport au niveaude la nappe phréatique. Certains agriculteurs cultivent le riz pluvial dans des casiers inondés pendant une bonne partie du cycle de culture (cela évite la corvée de désherbage).Le riz est parfois semé dans les bas-fonds sans aménagements de type diguette. On y trouve également des friches non pas envahies par Chromolaena odorata, mais pardes graminées coupantes qui supportent bien l’humidité. On note la présence de nombreux palmiers dans les champs de riz pluvial. Le sol y est très sableux. Le bas des versantsentourant les bas-fonds sont surtout occupés par des cultures vivrières et des friches à Chromolaena odorata.

Villages

Rizpluvial

Culturesmaraîchères

(chou, tomate,aubergine,

piment)

Palmiers

Sol sableux

Rizinondé

Rizpluvial

Friche,Imperata cylindrica,Panicum maximum

Rizpluvial

Palmiers

Culturesvivrières :

maïs, manioc,arachide, taro

Friche àChromolaena

odorata

Page 35: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

rennes qui vont jusqu’à la bordure des bas-fonds.Les plantations pérennes sont composées decacao jeune associé à de l’igname et des bana-niers, et les plantations plus âgées sont des cul-tures de cacao seul ou associé à des caféiers.Des friches également, dont la végétation est detaille moyenne (1 à 2 mètres), envahies majori-tairement par Chromolaena odorata occupentune partie non négligeable de l’espace ; dansd’autres friches, sous des arbres de grande taille,on distingue encore de vieux plants de caféiers.

●● Des zones basses : des bas-fondsouverts et des bas-fonds plus étroits

En bordure immédiate des bas-fonds, on ren-contre des parcelles plantées en cultures vivriè-res, en riz pluvial, en cultures maraîchères (to-mates, choux, aubergines, piments, etc.). Cesdernières sont installées sur de larges billons, cequi évite les risques d’inondation et de satura-tion du sol en eau pendant la saison des pluies.Des bosquets de bambous, des palmiers à huile(Elais guinéensis), des palmiers raphia se déve-loppent sur les berges des bas-fonds.

Le sol y est à dominante sableuse, sa capacitéde rétention d’eau est limitée. Ce type de sol s’as-sèche rapidement, en atteste le faible dévelop-pement des touffes de riz pluvial observées surdes buttes sableuses comparativement à cellessituées entres ces buttes.

À proximité des ruisseaux ou cours d’eau, l’eaustagne parfois ; quelques agriculteurs aménagent

Analyse du paysage agraire

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ces espaces en casiers pour y planter du rizinondé en saison des pluies. Une grande partiede ces zones humides est occupée par des fri-ches où dominent des graminées (Panicum maxi-mum) de plus d’un mètre de hauteur (Chromo-laena odorata n’est pas présente dans les bas-fonds) ; cette végétation est souvent buisson-nante, impénétrable.

Dans les bas-fonds, la végétation est réellementdifférente de ce que l’on observe ailleurs ; ainsi,les formations arborées denses ou éparses deszones hautes et des pentes sont absentes en bas-fonds. Ont-elles jamais existé dans ces zones ouont-elles totalement été détruites ?

À la fin du second jour consacré à l’étude dupaysage, l’objectif fixé s’est avéré plus difficile àatteindre que prévu, comme nous l’avions sou-ligné lors du premier jour, en raison de l’absencede point de vue dominant et de l’abondance dela végétation spontanée, en particulier dans cer-taines plantations. Les premiers résultats sont ce-pendant encourageants : nous sommes à peuprès capables de caractériser des unités topo-graphiques avec des types de végétation, de cul-tures particulières. Mais d’après les premiers ré-sultats, les informations ne nous permettent pasde comprendre l’existence de ces différents typesde plantations. S’agit-il de différents modes deproduction liés à des contraintes spécifiques ouse situe-t-on plutôt face aux différentes étapesd’une même dynamique d’évolution des plan-tations de café et cacao ?

Page 36: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Analyse du paysage agraire

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ILLUSTRATION 6C :Un modèle du paysage de la région d’étude :les interfluves sans village, dominés par les plantationsde café et cacao

Les zones d’interfluves en dehors de celles où l’on trouve les villages sont principalement occupées par les trois types de plantations : cacao, café, et plantations mixtes caféet cacao. On y trouve également des friches de longue durée, d’anciennes plantations caféières en friche, des buttes d’ignames et les jeunes plantations de cacao, souventinstallées sur les friches à café. On trouve çà et là des manguiers en bordure des chemins ou des parcelles. La cuirasse ferralitique n’affleure pas, les sols sont relativementprofonds, l’érosion n’a pas joué comme dans les villages où la végétation n’a pu retenir la terre.

Arbre résiduel(fromager)

Plantation mixte,café et cacao

Manguier(en bordurede parcelle)

Friche longue,anciennecaféière

Buttes d’ignames.Jeune plantation

de cacaoavec bananiers

Sol sablo-argileuxet gravillonnaire

Plantationen cacao pur

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Analyse du paysage agraire

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ILLUSTRATION 6D : Un modèle du paysage de la région d’étude : les vallées plus étroites

Tous les points bas ne sont pas de larges bas-fonds ; par endroits, les vallées plus étroites ne laissent pas de surfaces planes pour installer des cultures. On n’y observe pas deriz, mais des bambous, des zones de friches sur les bords, quelques plantations et des palmiers. Plus haut dans la toposéquence, des champs vivriers. Les sols, comme dansles bas-fonds ouverts, sont sablonneux.

Culturesvivrières :

maïs,arachide

Plantationde cacao

Bambou

Palmiers

Friche àChromolaena

odorata

Maïs

Fricheà C.o.

Sols sableux

Solsablo-argileux

Culturesvivrières :

maïs, manioc,arachide

Caféiersbrûlés

Page 38: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

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Initiation à une démarche de dialogue. Étude des systèmes de production dans deux villages de l’ancienne boucle du cacao

Il n’est point utile d’être historien pour savoirqu’en se tournant vers le passé, il est possible demieux appréhender le présent ou l’avenir. Ceque nous observons aujourd’hui est le résultatd’une longue histoire, et donc un certain nom-bre de nos observations ne peuvent pas être com-prises sans une approche historique. On trouveà présent des reliquats du passé comme de vieillesplantations de caféiers enfouis dans la végéta-tion, sans savoir pourquoi ces espaces ancien-nement cultivés sont retournés à la friche. Or, ilexiste certainement une, voire des raison(s) àcette situation. Au fils du temps, plusieurs cul-tures nouvelles ont été introduites dans la zone,modifiant ou bouleversant parfois les habitudesculturales, les calendriers des travaux agricoles,bref, les modes d’exploitation du milieu.

En d’autres termes, la seule observation ne per-met pas de répondre à l’ensemble des questionsqu’elle suscite. La compréhension des pratiquesculturales actuelles implique d’identifier les rai-sons qui ont présidé à leur mise en place. Connaî-tre l’origine des pratiques actuelles nous fournitdes éléments supplémentaires pour en com-prendre l’existence. Nous devons donc mainte-nant nous intéresser à l’histoire du paysage quenous avons observé.

Dynamiques agraireset reconstitutiondes transformations de l’agriculture

Dans le cadre d’un séminaire de formation decourte durée (une dizaine de jours), cette se-conde étape de la démarche d’étude peut êtreréalisée en deux jours. L’objectif de ces deuxjournées de travail est double : d’une part, com-pléter le schéma d’organisation du paysage (po-sitions des différents champs dans l‘écosystème)et, d’autre part, retracer l’évolution des modesd’exploitation du milieu en liaison avec l’évolu-tion sociale ou économique de la région, touten replaçant ces données dans un cadre écono-mique et politique plus général.

En outre, cette démarche historique permetd’identifier les différents types d’exploitationsagricoles présentes aujourd’hui dans la région,identification qui servira de base à l’étude dessystèmes de production.

La question fondamentale qui sous-tend cettedémarche est la suivante : comment et pourquoiles paysans ont-ils été conduits à transformerleurs processus de production agricole ?

En résumé, l’analyse historique contribue à sai-sir dans leur diversité les situations agricoles ob-servées aujourd’hui.

D’un point de vue pratique, comment allons-nous procéder ?

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Dynam

iques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

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ILLUSTRATION 7 : L’entretien historique

Entretiensavec les vieux agriculteursdans les villages.

Entretiens sur les parcelles.

Différents points à aborder :

L’évolution du paysageL’évolution des pratiques culturales

L’évolution du matériel végétalL’évolution des modalités d’accès à la terre

L’insertion aux marchés extérieursLes migrations de population

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Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

39

Photos de Nicolas Ferraton

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Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

40

ILLUSTRATION 8 :Une discussion à bâtons rompus, difficulté à positionner des éléments du discours dans le temps

Échellede temps

Datede naissance

Mariage Mariagedu premier fils

Premier campement

Pointde départ

du discours

Fin du discours

Constructionde la route

Il est rare que l’on se souvienne avec précision des dates des évènements de notre vie ; nous lesresituons en général les uns par rapport aux autres.

Lors d’un entretien avec un vieil agriculteur, il convient d’établir des repères grâce aux différentsévènements qui ont jalonné sa vie. Il est ensuite plus aisé de situer sur une échelle de temps leséléments de son discours qui fait un va-et-vient dans le temps(�). Il est alors possible de lier certainsévènements et d’en demander confirmation à l’interlocuteur (�).

Une telle discussion, qui laisse l’interlocuteur évoquer constamment des époques différentes, estcependant difficile à suivre et surtout à exploiter dans l’objectif d’une synthèse générale. C’estpourquoi il est préférable, après avoir reconstitué avec l’interlocuteur les principaux jalons de sapropre histoire (échelle de temps « personnelle »), de revenir, époque par époque, à une discussionapprofondie portant sur les différents aspects qui permettront de reconstituer, pour chacune de cesépoques, les caractéristiques agronomiques, économiques et sociales de l’agriculture.

Fin dessubventionssur le cacao

Apparition de Chromolaenaodorata dans les champs

Arrivéedes Baoulés

Arrivéedes Burkinabés

Incendie dans laplantation de cacao

Datede l’indépendance

1900 2000

Achatd’une plantation

par le grand-père

Introductionde la culture du riz

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Collecte des informations :les entretiens historiques

Nous allons désormais réaliser des entretiens avecles agriculteurs. À ce stade, compte tenu de nosinterrogations, c’est avant tout les agriculteurs lesplus âgés que nous chercherons à rencontrer, defaçon à analyser les transformations de l’agricul-ture depuis une ou deux générations. Notonsqu’une analyse historique des périodes antérieurespeut parfois être nécessaire et passe alors par desrecherches bibliographiques ; mais, dans le cadrede cet exercice pédagogique, les enquêtes sont gé-néralement suffisantes. Par ailleurs, des enquêteshistoriques avec de jeunes agriculteurs peuventaussi s’avérer nécessaires dans un deuxième tempspour affiner la compréhension des évènementsles plus récents que les agriculteurs âgés connais-sent moins.

La situation idéale consiste à réaliser les enquê-tes face au paysage qui sert de point de départ,de support et de référentiel commun entre en-quêteur et enquêté.

Les enquêtes individuelles (avec un seul interlo-cuteur) sont plus simples à mener et plus per-sonnelles (un agriculteur se confie plus lorsqu’ilest seul), mais il peut être utile de réaliserquelques entretiens collectifs avec quelques an-ciens du village afin de confronter les points devues de chacun (cf. fiche 2 « L’entretien d’en-quête ou de recherche », page 43).

À ce stade, nous disposons d’un certain nombrede questions qui peuvent constituer un point dedépart à l’entretien (depuis combien de tempsces plantations de caféiers ne sont plus désher-bées ?, etc.), mais la liste de ces questions n’arien d’exhaustif, et notre connaissance de l’a-griculture régionale est bien insuffisante pourêtre capable d’élaborer un questionnaire perti-nent. C’est donc l’entretien semi-directif qui estprivilégié (cf. fiche 2 « L’entretien d’enquête oude recherche », page 43).

Les informations collectées doivent être resituéesdans l’espace, en s’appuyant sur le schéma dupaysage élaboré en première partie. Sur le tran-sect final, les faits et changements sont situésdans les différentes parties de l’écosystème.

Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

41

Elles doivent également être resituées dans letemps : les étudiants doivent, si possible, dater lesévènements ou tout au moins, les replacer lesuns par rapport aux autres en une sorte de « frisechronologique » s’appuyant autant que possiblesur les souvenirs des agriculteurs les plus âgés :ils ont en mémoire bien souvent de façon précisele passé agricole de leur région. En les ques-tionnant sur leur jeunesse, sur leur enfance mêmeou sur les dires des anciens qu’ils ont côtoyés, onpeut dérouler l’histoire de la région sur au moinsdeux générations.

Cf. illustration 8 page ci-contre.

À titre illustratif, nous présentons ici les diffé-rents points abordés dans les entretiens par ungroupe d’étudiants au cours de ce séminaire. Cesquestions n’ont été formulées qu’au cours del’entretien de façon à guider l’interlocuteur ; ilne s’agit donc pas d’un questionnaire pré-établi.

●● Le paysage

Quelles ont été les principales transformationsdans le paysage ?

À quelle époque la route principale a-t-elle étéconstruite ? Quand a-t-elle été bitumée ?

●● Les espèces végétales,les pratiques culturales

Les agriculteurs ont-ils remarqué la disparitionde variétés ou l’apparition de nouvelles espècesvégétales cultivées ou non ? Pour quelles rai-sons ?

Si oui, à la suite de l’introduction de ces nou-velles espèces, les agriculteurs ont-ils modifiéleurs pratiques culturales ?

Les maladies phytosanitaires ont-elles évolué ?A-t-on remarqué l’apparition de nouvelles mala-dies, de nouveaux fléaux ? Quelle a été leur évo-lution dans le temps ?

De quelle façon a été exploitée la forêt ? Quel estson mode d’exploitation actuel ?

●● Les moyens de production

Est-ce que l’outillage a changé ? Quelles consé-quences cela a-t-il eu sur les pratiques cultura-

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Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

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les, sur le paysage plus généralement (tractionattelée, tracteur, tronçonneuses, etc.).

●● La terre

Y a-t-il eu une évolution des modalités d’accèsà la terre, des types de contrats ?

●● La population, les faits sociauxet économiques

➤ Qu’en est-il des flux migratoires dans la ré-gion ? Quels ont été les fait marquants entraî-nant ces mouvements de populations ? Que fontactuellement les personnes venues travailler dansla région auparavant ?

➤ Quelle a été l’évolution de la démographieau cours des dernières années ?

➤ Quelle évolution a suivi le prix des marchan-dises agricoles dans la région ?

➤ Quelle a été autrefois et quelle est aujourd’huil’organisation du travail : groupes d’entraide, sa-lariat agricole, métayage ?

➤ Quelle répartition du travail existe-t-il entrehommes et femmes, et quels changements onteu lieu ?

➤ Existe-t-il de nouvelles activités économiques,agricoles, lesquelles ? Certaines activités ont-elles disparu (chasse, cueillette) ?

Présentation des affichesd’étudiants illustrant l’analysehistorique et commentairesdes encadrants

Cf. l’illustration 9 page 44.

●● La première affiche

Présentée le troisième jour de formation par legroupe n° 5, elle représente l’évolution du pay-sage en fonction du temps, à la suite d’une pre-mière tentative de périodisation.

Voici, en italique, l’exposé des étudiants et, à lasuite, les commentaires faits par les encadrants :

1926 : « date de fondation du village d’Affalikro ».

1964 : « début d’exploitation forestière. 1968 :construction de voies d’accès dans la forêt ».

1970 : « introduction de nouvelles cultures : rizà cycle long, maïs. À partir de 1970, la baissede la pluviométrie pousse les agriculteurs à adop-ter de nouvelles variétés de riz à cycle pluscourt ».

Il est peu probable que des changements clima-tiques d’une telle ampleur (baisse de la pluvio-métrie) se soient manifestés de façon aussi radi-cale. Ce sont des tendances à long terme (nousreviendrons là-dessus dans la partie concernantla synthèse historique). De même, l’adoption denouvelles variétés se fait en général sur plusieursannées.

En 1970, de nouvelles variétés de riz à cycle pluscourt ont été introduites par des organismes dedéveloppement agricole ; il n’est pas certain quece soit lié à des modifications d’ordre climatique,mais on peut penser qu’outre le fait d’adapterles variétés aux cycles pluviaux, leur but étaitavant tout de fournir une variété plus précoce etde permettre aux paysans de disposer de récol-tes plus tôt dans l’année, en évitant des pério-des de soudure alimentaire trop longues.

De plus, il est fort probable que l’on puisse as-socier l’introduction des nouvelles cultures dansla région à des mouvements migratoires, desétrangers amenant avec eux les cultures cor-respondant à leurs habitudes alimentaires… Il

D’un point de vue pratique, les étudiantssont présentés aux autorités des villages parle traducteur, le respect de ce protocole ga-rantissant le bon déroulement de la suitedu stage.

Ensuite, en préambule à chaque entretien,le traducteur doit à nouveau présenter lesétudiants et rappeler aux interlocuteurs lesraisons de leur présence dans les villages,afin d’éviter tout malentendu.

Les entretiens débutent tôt dans la mati-née : il faut rencontrer les agriculteurs avantqu’ils ne partent travailler, pour pouvoir, lecas échéant, les accompagner aux champs.

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Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

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serait alors judicieux de rechercher quelles sontles populations qui ont introduit le riz et le maïs,et les raisons de leur immigration.

1983 : « une grande sécheresse s’abat sur la ré-gion, elle serait due à des feux de brousse ve-nant du Ghana ».

Les étudiants ne confondent-ils pas la cause etl’effet ? Ne serait-il pas plus logique d’expliquerpar une période de sécheresse le départ plus fa-cile de feux de brousse ?

« À cette période, le gouvernement soutient laplantation de cacaoyers en offrant des primes de

300 000 Fcfa par hectare de plantation nouvelle.De plus, des plants sont offerts gratuitement. LesBurkinabés deviennent propriétaires. On em-ploie de la main-d’œuvre togolaise ».

Pour quelles raisons l’État aurait-il encouragé laproduction de cacao dans la région ? Les étu-diants devraient préciser quelles sont les rela-tions de travail qui existaient auparavant entreles grands planteurs et la main-d’œuvre qu’ellesoit étrangère ou issue de la Côte d’Ivoire, com-ment ces relations ont aujourd’hui évolué et quel-les sont-elles aujourd’hui ? Est-ce que cette main-

FICHE N° 2 : L’ENTRETIEN D’ENQUÊTE OU DE RECHERCHE

« Le questionnaire provoque une réponse, l’entretien fait construire un discours » (Blanchet,1993, cité par Marie-Laure Chaix, atelier méthodologique de Bingerville, 1999).

Dans un questionnaire, le champ proposé à l’enquêté est déjà structuré par les questions del’enquêteur. L’enquêté ne peut répondre qu’aux questions qui lui sont posées dans les termesformulés par l’enquêteur qui détient le monopole de l’exploration, sinon de l’inquisition.

Dans l’entretien compréhensif, l’enquêteur aide l’enquêté à formuler ses propres questions, àstructurer progressivement son discours, à le faire progresser dans sa réflexion et à dire com-ment il voit les choses, comment il les vit, de son point de vue et du point de vue de la cul-ture dont il est un représentant.

L’entretien de compréhension s’impose chaque fois que l’on ignore le monde de référence ouque l’on ne veut pas décider a priori du système de cohérence interne des informations re-cherchées.

Le questionnaire, par contre, implique que l’on connaisse déjà le monde de référence, soitqu’on le connaisse avant, soit qu’il n’y ait aucun doute sur le système interne de cohérence desinformations recherchées.

L’attitude de compréhension a pour but de rétablir une forme d’égalité en donnant de la va-leur à la parole des paysans, et cette mise en valeur a pour effet de mobiliser les potentialitésde l’individu au profit de la recherche de solutions à ses difficultés.

Ce que n’est pas un entretien de compréhension :

➤ un interrogatoire ou une discussion au cours de laquelle il y a échange d’arguments etconfrontations sans finalité précise, sauf celle d’avoir raison sur l’autre ;

➤ une discussion en vue de résoudre des problèmes ou de donner des conseils.

Marie-Laure Chaix, Bingerville PVRHSA, avril 1999

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Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

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ILLUSTRATION 9 :Présentation des posters réalisés par les étudiants lors des jours 3 et 4

Affiche présentée par le groupe de travail n° 6, au soir du troisième jour

Affiche présentée par le groupe de travail n° 5, au soir du troisième jour

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Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

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d’œuvre vient d’elle-même, ou est-ce que lespropriétaires de plantation vont la chercher ?Quels sont les contrats de travail liant employeurset employés ? Qui sont les abusans8 ? Commentles grands planteurs ont-ils acquis leurs terres,qui sont-ils ?

1990 : « augmentation de la surface d’arachide,pour en faire le commerce ; introduction de l’é-levage bovin, ovin et des volailles ».

L’élevage de volailles n’existait-il pas dans lazone avant cette date ? Pour quelles raisons cettedate marque-t-elle l’introduction de l’élevagedans la région, pourquoi cela n’a-t-il pas été faitauparavant ?

Finalement, la restitution de ce groupe est richeen informations, mais les étudiants ne sont pasallés assez loin dans leurs investigations histo-riques. De nombreuses questions sont apparueslors de l’exposé, mais les participants se conten-tent parfois des explications des agriculteurs sansles vérifier auprès d’autres agriculteurs ou sansposer d’autres questions qui permettraient de re-couper les informations. Enfin, le découpage his-torique choisi est-il judicieux ?

●● La seconde affiche

Sur la seconde affiche (affiche du groupe n° 6, letroisième jour), la courbe rouge représente unemodélisation de l’évolution de la population dansle village d’Assekro ; cette évolution est à met-tre en relation d’une part avec d’autres évène-ments historiques majeurs (chute des prix, lé-gislation, etc.), et d’autre part avec l’évolutiondes activités agricoles (importance de la végéta-tion initiale, cultures, élevage). L’ensemble estsitué sur une échelle de temps. En ce sens, lechoix de la situation de cette courbe entre lesdeux « échelles » est judicieux.

Cette tentative de modélisation de l’évolution dela population et la mise en relation de différentsévènements sociologiques, politiques, avec l’é-volution des cultures et du paysage montrentcombien les étudiants ont compris l’exercice.C’est en quelque sorte le début de l’assimilation

de méthodes de travail plus systémiques où l’ontente de comprendre une problématique dansson ensemble et non pas de façon cloisonnée.

En revanche, si des relations de causes à effets ontété mises en évidence sous forme de flèches, cesrelations de causalité sont simplistes. En premierlieu car ces flèches relient toujours un fait à unautre alors qu’il est bien rare qu’un effet n’aitqu’une cause (le développement de la rizicul-ture est certes lié à l’arrivée de nouvelles popu-lations, mais répond aussi à la mise en valeurdes terres inappropriées pour les plantations,etc.). Par ailleurs, étant à sens unique, ces flè-ches confèrent un rôle déterminant à certainsfacteurs historiques, alors que l’histoire est elle-même déterminée par des faits économiques etsociaux : par exemple, le développement de laculture du café implique l’arrivée d’une main-d’œuvre étrangère.

La difficulté de l’exercice tient au fait que le moded’exploitation du milieu est étroitement lié auxtransformations de l’écosystème, à l’évolutiondes techniques et aux facteurs économiques et so-ciaux (nature des échanges, modes d’accès aufoncier). Il faut donc tenter de mettre en relationles éléments historiques pour pouvoir compren-dre les rapports de causes à effets et reconstituerles dynamiques. Petit à petit, en replaçant les dif-férents événements sur une échelle de temps, onétablit des correspondances entre ces différentsévènements.

●● Troisième exemple :les différents éléments replacéssur une échelle de temps

La frise chronologique présentée sur l’illustra-tion 10 (cf. page 46) met en relation, sur uneéchelle de temps, des faits considérés par les par-ticipants comme sociaux, économiques ou po-litiques, avec des faits dits « agronomiques ».Cette présentation linéaire est cependant insuf-fisante, car elle ne permet pas, à elle seule, de re-constituer la dynamique (et ses différentes éta-pes) du système agraire qui s’est mis en placedans la région.

Une approche plus globale en termes de systèmeagraire est nécessaire (cf. fiche 3 « Concept desystème agraire », page 47). 8 Cf. définition page 53.

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Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

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ILLUSTRATION 10 : Récapitulatif des enquêtes des étudiants

1970

1930

1940

1950

1960

1980

1990

1983

Baisse des cours mondiaux du café

1993Dévaluation du franc CFA.

Chute des prix du café. 1994

Disparition de la faune sauvage, conséquence de la déforestation etdes abus de la chasse.

À cette époque, le développement des plantations de café etde cacao favorise la culture du bananier, puisqu’on associe cescultures en début de plantation.

Des feux de brousse détruisent des caféières qui ne seront pasreplantées.

1957

Augmentation des surfaces en cacao (subventions à l’hectare).

Développement de plantations clandestines gérées par lesallogènes sans terres.

Arrivée d’allogènes(Maliens, Burkinabés)

et d’allochtones (Malinkés).

Grande sécheresse.

Le fondateur du village d’Affalikros’installe près d’une grotte dans lazone que nous appelons Affalikro

(le village d’Affali).

Introduction de nouvelles cultures en partie liées au régimealimentaire des arrivants : introduction de la tomate cultivée enbas-fond, de variétés de riz à cycle court et de maïs.

Des Baoulés introduisent ensuite les cultures d’igname, de maniocet d’arachide (qui existaient dans la zone, mais était peu cultivées).

Les premiers arrivants sont des Agnis qui cultivent du vivrier (banane,taro, “pistache”, une cucurbitacée). Ils apportent avec eux des plantsde café et de cacao et installent des plantations dans un périmètrerestreint autour des villages selon des techniques de culture apprisesdes colons. Les outils sont rudimentaires : hache d’abattage, machette,houe. Il existe à cette époque une faune sauvage, par exempledes éléphants, des singes, etc.

Tout l’espace est occupé par des forêts vierges.

Faits sociaux,économiques, politiques Faits agronomiques

2000

Intensification de l’exploitation forestière à partir de cette époque ;traçage de pistes dans la forêt permettant l’exploitation sélective de boisprécieux ou recherchés, comme l’iroko, le fraké, le framélé, l’assanala.

Pendant les vingt dernières années, le matériel agricole alargement évolué ; on voit apparaître des charrettes, des vélos(utilisés pour le transport), des pulvérisateurs, des tronçonneuseset décortiqueuses à café.

1926

1952 Introduction de nouvelles variétés de cacao plus productives,venues du Ghana.

Prix de vente du cacao attractifet « boom » du cacao.

79-80 début des politiques d’ajustementstructurel : désengagement de l’État.

Arrêt des subventions (intrants, plants).Libéralisation de la filière, des prix.

1987-89

1975Départ de main-d’œuvrepour les fronts pionniers

au sud-ouest de la Côte d’Ivoire.

Augmentation de la production d’arachide en vue de lacommercialisation.

Développement de l’élevage bovin, ovin et des volailles.

Arrivée de Baoulés.

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Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

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FICHE N° 3 : CONCEPT DE SYSTÈME AGRAIRE

●● Pour aider à comprendre les dynamiques rurales

Le concept de système agraire permet d’appréhender la façon dont une société rurale exploiteson milieu.

Un système agraire peut être défini comme « permettant de comprendre l’état, à un momentdonné de son histoire, le fonctionnement et les conditions de reproduction du secteur agri-cole d’une société. Le concept de système agraire englobe à la fois le mode d’exploitation etde reproduction d’un ou plusieurs écosystèmes, les rapports sociaux de production et d’é-change qui ont contribué à sa mise en place et son développement, ainsi que les conditionséconomiques et sociales d’ensemble, en particulier le système de prix relatif, qui fixe les mo-dalités de son intégration plus ou moins poussée au marché mondial » (H. Cochet, 2000).

●● Les éléments constitutifs d’un système agraire se répartissent en trois groupes :

1) un milieu biophysique caractérisé par un climat, des sols, une végétation et une faune par-ticulière ;

2) une société humaine caractérisée par sa démographie, son organisation sociale, son économie ;

3) des techniques combinant du matériel végétal et animal, un outillage et des savoirs dans dessystèmes de culture et d’élevage particuliers.

Ces éléments peuvent être considérés comme en interaction. Ainsi, selon la nature du climat,certaines cultures seront ou non possibles ; selon la densité démographique, les systèmes deculture seront par exemple basés sur la défriche-brûlis ou la fertilisation minérale ; selon lemode de gestion du foncier, il sera ou non permis à certaines catégories sociales de planter descultures pérennes, etc.

Les relations entre les écosystèmes, outils de travail des agriculteurs et des éleveurs, et le mi-lieu humain se comprennent en étudiant l’organisation sociale concernant l’utilisation des res-sources : la terre, l’eau, la végétation. Ainsi, il faut savoir comment sont gérés le foncier, l’eau(droits d’usage), la végétation (règles d’exploitation ou de mise en défense des forêts...).

Les relations entre le milieu humain et la composante technique se comprennent en étudiant :

➤ l’organisation du travail (durée, productivité, répartition des tâches dans les unités de pro-duction et dans la société elle-même) ;

➤ les moyens techniques utilisés (équipement, outils, intrants, variétés, etc.).

Les relations entre la composante technique et le milieu physique se comprennent en étudiant :les systèmes de culture et d’élevage (type de culture ou race, intrants et pratiques utilisés, etc.).

Généralement, il existe de fortes relations entre les trois pôles du système. Par exemple, unautochtone prêtera une terre à un étranger (milieu humain-naturel) à la condition que ce der-nier n’y plante que des cultures annuelles (technique). Les plantations pérennes pourraient pé-renniser le droit d’usage de la terre prêtée...

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Dynam

iques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

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ILLUSTRATION 11

Forêt primaire,vierge. On note laprésence denombreux animauxsauvages (singes,éléphants) qui ontaujourd’hui disparude la région.

Forêt vierge, intacte, faune abondante.Pluviométrie importante.

Augmentation de la taille des villages.Tout l’espace est occupé par des cultures.La baisse tendancielle de la pluviométriese confirme.

1930 1940 1960 1970 1990 2000

Installation despremierscampements.Introduction de lacaféiculture toutd’abord, plus tardde la cacao-culture.On introduitégalement desplantes vivrièrescomme la bananeet le taro.

Disparition progressive de la forêt,de la faune sauvage.Tendance à la baisse de la pluviométrie.

Devantl’accroissement desplantations, la main-d’œuvre baouléarrive, introduisantdans la zonel’igname, le maniocet l’arachide.

Intensification del’exploitationforestière : les pistestracées dans la forêtcréent des entaillesque vont suivre lesplanteurs.

Les plantationscontinuant à semultiplier et à croître,la main-d’œuvre affluedu Mali et du BurkinaFaso. Elle apporteavec elle riz et maïs.Développementde la route bituméeet introduction dans lazone de Chromolaenaodorata.

Dans les années1980, la culture ducacao estsubventionnée.Chute des cours ducafé. Accroissementde la cultured’arachide dansla zone.

La chute des coursdu café se poursuit,accompagnéequelques annéesplus tard dela chute des coursdu cacao.

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Synthèse : l’histoire de la régionet l’évolution des systèmes agraires

La mise en relation des différentes informationspermet de leur donner un sens et de compren-dre l’évolution de l’agriculture de la région. Àpartir de l’ensemble des éléments rassemblés aucours des entretiens historiques menés par lesparticipants aux séminaires et les encadrants, ilest possible de reconstituer les principales étapesde l’histoire agraire des villages étudiés.

Le schéma présenté ici illustre la reconstitutionhistorique (cf. illustration 11 ci-contre).

●● Le mode d’exploitation du milieuà partir des années 1930

Les deux villages étudiés ont été fondés dans lesannées 1930. Auparavant, une forêt primaire denseoccupait la majorité de l’espace, les plus grandsarbres atteignant quarante mètres de hauteur.

En 1926, la famille Affali (ethnie agni) installeun campement sur le lieu qui portera désormaisson nom, Affalikro (littéralement « village d’Af-fali »). Bien que nous n’ayons pas pu le vérifier,il est fort probable que ce campement ait été ins-tallé dans le but d’étendre les plantations decacao en dehors des villages alentour, sur denouvelles zones.

Les premiers habitants commencent alors à dé-fricher une petite partie de la forêt autour ducampement pour y installer des plantations decacao auxquelles sont associées pendant les pre-mières années de croissance des cultures vivrières(notamment le taro, la banane et la « pistache »,nom local désignant une cucurbitacée). Sur cesparcelles, la forêt est partiellement abattue, lesbranches sont brûlées et les troncs d’arbres lais-sés à terre se décomposent lentement. Une foisle sol travaillé, le cacao est planté en associa-tion avec le bananier et le taro. Les deux pre-mières années, les bananiers procureront ainsiun ombrage aux plants de cacao et de taro.

L’emploi d’outils manuels (hache d’abattage etmachette pour préparer et nettoyer les parcelles,houe pour travailler le sol) rend la tâche longueet pénible, limitant de ce fait l’étendue des par-celles. Les produits agricoles (comme les fèves de

Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

49

cacao) sont acheminés vers les villes via un ré-seau de sentiers qui relie les campements les unsaux autres ; le transport se fait sur la tête, puispar pirogue en descendant le fleuve (la Comoé)jusqu’à Abidjan.

En plus de l’agriculture sur abattis-brûlis, on pra-tique la chasse : l’écosystème forestier abrite uneimportante faune sauvage (biches, singes, ser-pents et éléphants) qui subsiste encore dans cettepartie de la Côte d’Ivoire.

D’autres familles agnis viennent rapidement re-joindre la première famille et un second cam-pement agni est établi au lieu-dit Assekro (source :enquêtes).

Le cacao n’était pratiquement pas cultivé en Côted’Ivoire avant les premières années du XXe siècle.Les colons européens ayant contrôlé le pays, leschefs et les notables agnis furent les premiers àdévelopper cette culture de rente, car ils y voyaientla possibilité de s’enrichir. Pour cette raison etparce que le cacaoyer s’intégrait parfaitement dansles systèmes de culture vivriers traditionnels, ladiffusion de la culture du cacao a été rapide.

Au lendemain de la crise de 1929, le prix d’achatdu cacao aux planteurs chute, en même tempsque le prix du café, mais plus rapidement. C’estalors la caféiculture qui se développe à son tourtrès rapidement, d’autant plus qu’une caféièreprésente l’avantage d’entrer plus tôt en produc-tion qu’une cacaoyère, et sa production est plusrégulière.

Contrairement à une idée fort répandue qui faitde la région d’Abengourou le premier foyer d’ex-pansion de la culture de cacao ivoirienne, le dé-veloppement de l’économie de plantation a re-posé tout autant sur le café que sur le cacao. Aprèsune courte phase d’expérimentation cacaoyèredans les années 1920, les années 1930 et 1940sont surtout marquées, du moins à Assekro et Af-falikro, par l’extension des plantations caféières,ou des plantations mixtes café/cacao. La plupartdes très vieilles caféières – aujourd’hui en fricheet pratiquement invisibles tant elles sont submer-gées par le recrû arboré – datent de cette époque.C’est surtout après la Seconde Guerre mondialeque l’essor du cacao devient manifeste, les plan-teurs associant de plus en plus souvent cacao etcafé dans la même parcelle. Cette complantationrésultait aussi de l’apprentissage de nouveaux sys-

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tèmes de culture dans la zone (on plante les deux,et on voit celui des deux qui s’y développe lemieux), d’un souci de diversification des sourcesde revenus face aux aléas des marchés et de conci-lier le désir de profiter des prix élevés du café (àla fin de la période coloniale) avec l’installation deplantations de cacao beaucoup moins exigeantesen travail une fois les arbustes arrivés à l’âge adulte.Si le cacao prend ainsi le dessus au cours des dé-cennies d’après-guerre, on continuera très sou-vent de complanter cacao et café, comme en té-moignent encore aujourd’hui les nombreusesplantations mixtes ou en cours de reconversionprogressive vers le « tout cacao ».

Dans les années 1940 viennent s’installer desBaoulés (ethnie venue du centre de la Côted’Ivoire), qui introduisent la culture de l’igname,du manioc et de l’arachide. La culture de l’ara-chide existait auparavant, mais elle est générali-sée par ce groupe, pour qui l’arachide fait par-tie des habitudes alimentaires. Placée en tête derotation culturale et associée aux jeunes plantsde cacao ou de café, l’igname est rapidementadoptée dans la région : aujourd’hui, l’ignameest plantée au centre de buttes de terre autourdesquelles sont cultivés taros, bananiers et jeu-nes plants de cacao.

Baoulés et Agnis poursuivent l’implantation decafé et cacao sur des parcelles soumises à un abat-tis-brûlis partiel : le travail représenté par l’abattagedes grands arbres est tel qu’un certain nombred’entre eux sont préservés. Lorsque leur densitéest faible, ils ne gênent pas les cultures, et four-nissent au contraire un peu d’ombrage nécessaireau développement des jeunes cacaoyers. Ils de-viennent gênants lorsque la pression foncière aug-mente, car ils peuvent occuper une surface au solnon négligeable, notamment en raison de leur ré-seau de racines superficiel tentaculaire.

À cette époque, les plantations s’éloignent unpeu des villages, sans toutefois être installées trèsloin : le peu de main-d’œuvre disponible pour dé-fricher les espaces forestiers, et les difficultés liéesà l’utilisation d’outils manuels pour ce travailfont que les surfaces cultivées demeurent res-treintes. Les bas-fonds ne sont pas exploités, onpeut supposer qu’ils sont occupés par des lam-beaux de forêts résiduelles.

La majorité des exploitants sont des « proprié-taires », ou du moins se considèrent comme tels ;certains peuvent faire appel à de la main-d’œu-vre extérieure au moment des pointes de travaildu calendrier agricole (notamment pour la ré-colte de café).

●● 1950-1980. Arrivée massived’immigrants et développement massifde la culture de cacao

Au début des années 1950, deux événementsmajeurs accélèrent le développement de la cul-ture de cacao. D’une part, le pouvoir en place fa-vorise l’extension des plantations ; d’autre part au

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Les racines tentaculaires d’un fromager dans un champd’ignames (dans une ancienne plantation de caféiers).

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début des années 1960, l’exploitation forestières’intensifiant, l’ouverture de pistes en forêt pourl’extraction des bois précieux facilite égalementl’accès à des parcelles plus éloignées des villa-ges. L’apparition de tronçonneuses, d’engins fo-restiers de débardage, la construction d’une routeet de pistes forestières, l’arrivée de grumiers ac-célèrent le processus de déforestation déjà en-clenché. L’extraction sélective des bois (iroko,framélé, fraké) explique en partie pourquoi onobserve aujourd’hui dans le paysage de grandsarbres (souvent des fromagers) plusieurs fois cen-tenaires. Ces essences sans grande valeur éco-nomique ont été épargnées.

Pour être mieux comprises, les transformations ré-centes de l’agriculture des villages d’Assekro et

Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

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Affalikro doivent être replacées dans la dyna-mique générale du développement de l’écono-mie de plantation en Côte d’Ivoire. La régiond’Abengourou constitue en effet ce que l’on aappelé la « boucle du cacao », la plus anciennezone d’expansion de la culture de cacao (et dela caféiculture) ivoirienne, le plus ancien « frontpionnier » du pays.

Ces mesures gouvernementales créent uncontexte favorable à l’arrivée en pays agni denouveaux groupes, principalement des Burki-nabés et des Maliens. De cet afflux de main-d’œuvre vont naître de nouveaux rapports so-ciaux de production, entre les populationsautochtones (Agnis et Baoulés) et les popula-tions allogènes.

Le développement de la culture du cacao en Côte d’Ivoireet l’avancée du front pionnier

Premier producteur mondial de cacao, et fournisseur à elle seule de la moitié de la produc-tion mondiale, la Côte d’Ivoire doit ce développement spectaculaire à la mise en mouvementd’un véritable front pionnier cacaoyer qui, en quelques décennies, a balayé d’est en ouest etdu nord au sud toute la Côte d’Ivoire anciennement forestière. Cette dynamique de plantationa été rendue possible par la conjonction de trois séries de conditions favorables :

➤ tout d’abord, l’existence d’un vaste massif forestier, encore largement sauvegardé jusquedans les années 1950, et qui constituait un excellent « précédent cultural » pour la mise en placedes plantations de café et surtout de cacao, dans des conditions de températures et de préci-pitations elles-mêmes très favorables ;

➤ ensuite, un apport de main-d’œuvre considérable grâce au déclenchement d’un vaste mou-vement de migrations paysannes accompagnant et favorisant l’essor des plantations. Origi-naires des régions centrales et septentrionales de la Côte d’Ivoire (région baoulé, puis diffé-rents groupes de la région dite « des savanes »), puis des pays voisins, en particulier de la frangesahélo-soudanienne (Burkina Faso, Mali), allochtones et allogènes ont constitué l’essentiel dela force de travail nécessaire à l’installation, puis à l’entretien des plantations ;

➤ enfin, la mise en place d’une politique agricole et migratoire particulièrement incitative àl’initiative de l’ancien président Félix Houphouët Boigny, lui-même « planteur » à Yamous-soukro. En proclamant que la terre était à celui qui plantait et en accueillant à bras ouvertstous les immigrés quelle que soit leur origine, y compris en leur facilitant l’obtention de « pa-piers » et en leur accordant le droit de vote, le Président d’alors a donné un formidable coupd’accélérateur à ce développement de l’économie de plantation. Chacun pouvait espérer de-venir planteur, quels que soient son origine et son statut, en particulier par rapport au foncier.L’intervention de l’État, notamment par des subventions à l’investissement et grâce à la ... /...

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Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

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fixation de prix garantis et relativement stables a aussi été déterminante. L’exploitation sansretenue des essences forestières de valeur a aussi favorisé l’avancée du front pionnier en désen-clavant les massifs forestiers, par l’ouverture de nombreuses pistes d’exploitation sur les bordsdesquelles les planteurs s’installaient aussitôt.

L’Est de la zone forestière, et en particulier la région d’Abengourou, a très tôt constitué le pre-mier foyer de développement de la caféiculture, puis de la culture de cacao, celle-ci prenantvéritablement son essor dans les années quarante et cinquante. Les plantations ont ensuite pro-gressé vers le sud et l’ouest en direction de la région centre pour finalement connaître un dé-veloppement spectaculaire dans les trois dernières décennies à l’ouest du Bandama et jus-qu’aux confins forestiers du sud-ouest du pays. À tel point qu’aujourd’hui ne restent guère dela Côte d’Ivoire « forestière » que quelques lambeaux forestiers encore peu exploités malgréle constant « mitage » opéré par les nouvelles plantations.

La dynamique de ce véritable front pionnier, qui a été capable de progresser en moyenne (et bienque de façon non linéaire) de plusieurs kilomètres ou dizaines de kilomètres par an, s’expliquepar le cycle de la production cacaoyère : à une phase de croissance rapide de la production desplantations succède une phase de vieillissement et de crise rendant nécessaire l’installation denouvelles plantations en avant du front pionnier et au détriment de nouveaux massifs forestiers.Il est en effet beaucoup plus coûteux au terme d’un premier cycle de production, de replanterde jeunes cacaoyers en lieu et place des anciennes plantations devenues vieilles et peu pro-ductives (« rajeunissement » des plantations), plutôt que d’installer une nouvelle plantation endéfrichant une nouvelle parcelle forestière. En effet, il faut davantage de travail pour planter(dans un sol moins meuble), désherber et entretenir la jeune plantation (sur une parcelle large-ment envahie d’adventices) ainsi que plus d’argent pour, d’une part fertiliser un sol ne bénéfi-ciant plus de la fertilité accumulée dans la biomasse forestière (et mise à disposition de la plan-tation après brûlis) et pour, d’autre part, lutter contre les maladies et parasites du cacaoyerdevenus omniprésents.

Davantage de frais, donc, pour une rentrée en production souvent plus tardive et des rende-ments rarement équivalents. Tous ces « avantages comparatifs » dont bénéficierait a contrario uneplantation installée sur un précédent forestier peuvent être interprétés comme une véritablerente différentielle directement accessible à qui pouvait avoir accès à un morceau de forêt« noire ». Plutôt que de rajeunir les vieilles plantations ou de tenter d’en prolonger la vie pro-ductive par un entretien méticuleux, il était dès lors beaucoup plus rentable d’aller planter unpeu plus loin, pour peu que de nouvelles forêts soient accessibles, que le flux migratoire sepoursuive et accompagne ainsi le déplacement du front pionnier, quitte à laisser en arrière dufront une partie de la famille aux côtés de la plantation vieillissante...

C’est donc un accès toujours plus large à cette « rente différentielle forêt » et une disponibi-lité renouvelée de la force de travail (pour une bonne part originaire du nord du pays et despays frontaliers) qui constituent les deux moteurs du front pionnier, du moins jusqu’au mo-ment où les forêts commencent à se faire rares...

Pour en savoir plus, on pourra consulter, en particulier :● CHAUVEAU J.-P. , LEONARD E. , Les déterminants historiques de la diffusion de la culture de cacao et desfronts pionniers en Côte d’Ivoire, IRD, 1996 (ronéotype).● LÉONARD E. , OSWALD M. , Changement agro-écologique et innovation paysanne en Côte d’Ivoire, NSS,1996, 4(3), p. 202-216.● RUF F. , Booms et crises du cacao, les vertiges de l’or brun, Ministère de la Coopération, Cirad-Sar et Kar-thala, 1995, 459 p.

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Dans les villages d’Assekro et Affalikro, commedans bien des régions concernées par l’essor dela production cacaoyère, les familles baoulés ontsouvent été parmi les premières à s’installer surle territoire des villages autochtones, à uneépoque où un don assez symbolique (un mou-ton, de la boisson, etc.) suffisait à se faire attri-buer par le « chef de terre » plusieurs dizainesd’hectares de forêt et parfois davantage. À telpoint qu’aujourd’hui, bien que considérés commeallochtones par les descendants des premiersfondateurs des villages, les familles baoulés sontconsidérées comme « autochtones par adop-tion » et figurent parmi les plus grands planteursde café et cacao. À l’époque de leur installationprécoce dans les villages dès les années qua-rante, il ne leur fut pas nécessaire de travaillerau service des autochtones agnis pour obtenir fi-nalement leurs faveurs et avoir accès au foncier.

Tel ne fut pas le cas des familles arrivées plustardivement et d’origine plus lointaine, de la ré-gion des savanes ou même des pays de la frangesahélo-soudanienne. Pour accéder au foncier etpouvoir ainsi devenir « planteur », elles ont dûpasser par une longue phase de travail pour lecompte des premiers arrivants autochtones agnisou familles baoulés. Comme dans la plupart desrégions concernées par ce front pionnier ducacao, un rapport social bien particulier s’estétabli entre celui qui contrôlait la terre et celuiqui, par son travail, espérait y avoir un jour accès :le contrat d’abusan.

L’abusan, ce terme désigne également la per-sonne soumise à ce rapport social, qui travailledans la plantation d’un autre. Elle y effectue tousles travaux d’entretien et de récolte, ainsi que letraitement et le conditionnement de celle-ci. Enéchange de cette participation active au proces-sus de production, elle conserve le tiers de la ré-colte, le propriétaire de la plantation en rece-vant les deux tiers restants. Bien que ce contratà part de fruit connaisse quelques variantes ré-gionales dans toute la Côte d’Ivoire « forestière »,il s’apparente à un contrat de métayage dans le-quel la contribution du propriétaire serait limitéeà l’apport du foncier, du capital-plantation etparfois d’une partie de l’outillage ou des consom-mations intermédiaires. Ce type de contrat ap-paraîtrait très défavorable au travailleur (il ne

Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

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conserve qu’un tiers de la récolte) si deux élé-ments n’avaient pas contribué à le rendre attractifà l’époque où de larges pans de forêt occupaientencore les finages villageois : d’abord, la possi-bilité de pratiquer des cultures vivrières asso-ciées (igname, taro, banane, gombo, aubergines,etc.) pendant les premières années de la planta-tion dans le cas, très fréquent, où l’abusan étaitaussi chargé d’étendre les plantations existantes,et ce, dans des conditions de fertilité et de maî-trise des adventices très favorables ; ensuite, parceque ce contrat ouvrait la porte à la constitutionfuture de sa propre plantation.

En effet, dans un contexte où la force de travail,bien plus que le foncier, constituait le facteur li-mitant l’extension des plantations et leur entre-tien, il fallait attirer la main-d’œuvre d’une façonou d’une autre, et la fidéliser. Le plus simple dansce cas était de lui promettre, contre bons et loyauxservices, l’attribution future d’une parcelle deforêt où elle pourrait planter pour son proprecompte. Et c’est bien ainsi que la plupart desproducteurs de café et de cacao d’Assekro et Af-falikro devinrent planteurs. Dans bien des caségalement, on faisait appel à un abusan pourréaliser tous les travaux de plantation et d’en-tretien de la plantation jusqu’à son entrée en pro-duction ; l’abusan était rétribué par l’obtention« en propriété » d’une partie de la surface plan-tée et par les cultures vivrières associées réali-sables, pendant que les plants de cacao sont en-core jeunes et n’occupent pas tout l’espacedisponible. Pour pouvoir profiter de cette « renteforestière », il fallait bien accepter d’en sacrifierune fraction par cette sorte d’échange terre/tra-vail entre autochtones et allochtones ou allogè-nes. (Pour en savoir plus à propos de cet échangeterre/travail, on peut lire Chauveau et Léonard(Chauveau J.-P. et Léonard E. , Les déterminantshistoriques de la diffusion de la cacaoculture etdes fronts pionniers en Côte d’Ivoire, IRD, 1996[ronéotype]).

Dans la région d’Abengourou, premier foyer dedéveloppement important de la culture de cacao,la forêt originelle a bien vite régressé, même side nombreux grands arbres furent épargnés de l’a-battage et préservés pour faire de l’ombre auxplantations. Mais, les réserves foncières s’épui-sant peu à peu, les conditions d’accès aux der-

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nières parcelles forestières sont devenues de plusen plus restrictives, au point d’allonger sérieu-sement la période « d’attente » de l’abusan, quirestera parfois sur sa faim ou devra se contenterd’une bien petite parcelle. C’est ainsi par exem-ple que ce vieux burkinabé, installé à Affalikrodepuis près de 40 ans, dût travailler pendant 20ans comme abusan sur la plantation d’un autoch-tone avant de se voir enfin attribuer une parcelleau début des années 1980. À cette époque, l’es-sentiel du finage9 villageois a déjà été défrichéet les derniers interstices forestiers sont à leurtour convertis en plantation. Alors que le frontpionnier est déjà loin et que la production ca-caoyère explose littéralement dans le sud-ouestivoirien, la colonisation des finages d’Assekro etd’Affalikro connaît ses derniers développements.Sur les 6 hectares qu’il obtiendra de son « pa-tron », trois lui reviendront, à charge pour lui deplanter les trois autres pour le compte du pro-priétaire. Faisant sans doute partie du derniercontingent d’immigrés à planter à son compte,il devra se contenter d’une parcelle de taille ré-duite et située aux confins du territoire villageoisà plus de deux heures de marche du village.

Depuis le début des années 1990, il n’est plusguère possible, pour un abusan, d’obtenir gainde cause et de devenir planteur. Avec le tarisse-ment de ce mode d’accès au foncier, nous ver-rons que ce rapport social a beaucoup perdu deson attrait aujourd’hui.

Ainsi, les plantations occupent petit à petit toutl’espace disponible, en dehors des bas-fonds oùles agriculteurs s’aperçoivent que le sol n’est paspropice aux cultures pérennes. Les bas-fondssont loués (métayage ou fermage) aux salariésagricoles et aux abusans qui y cultivent les cul-tures vivrières dont ils ont besoin. Les allogènesn’attendront d’ailleurs pas qu’on leur attribuedes parcelles pour partir en forêt et défricher unterrain pour y installer une plantation « clan-destine ».

L’espace forestier se réduit en quelques annéesà quelques bosquets épars. La mise en place descultures vivrières suit la dynamique d’installa-tion des plantations de café cacao, puisque lescultures vivrières sont toujours installées en as-sociation avec les jeunes plants de café et decacao. C’est ainsi qu’à cette période d’extension

Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

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importante, des plantations (bananes, igname ettaro) sont produites en abondance.

Le développement du transport routier, l’utilisa-tion d’un espace vierge non encore attribué, lapolitique nationale d’aide aux planteurs et ladisponibilité en main-d’œuvre salariale sont au-tant de facteurs qui accélèrent le développementde la culture de cacao et de la caféiculture dansla région d’Abengourou.

●● 1980-2000. Chute des cours mondiauxdu café et du cacao, sécheresse...vers l’épuisement de l’ancienneboucle du cacao ?

Les agriculteurs interrogés parlent de nombreuxfeux de brousse concernant la période du débutdes années 1980, ainsi que d’une période de sé-cheresse entre 1987 et 1989. Ils évoquent éga-lement une baisse générale de la pluviométriedans la région depuis une vingtaine d’années.Cette dégradation des conditions climatiques(traduite par une translation vers le sud des iso-hyètes10) n’est pas un fait ponctuel. C’est unetendance observée sur l’ensemble de l’Afriquede l’Ouest depuis 20 ans. Incendies et séche-resse, faits marquants pour la population, sontsouvent associés à cette détérioration climatique.Mais bien qu’attestée pour toute la Côte d’Ivoire« forestière » (100 à 200 mm de pluie en moinspar rapport aux années 1950 et 1960), cette di-minution des précipitations n’est pas la seuleresponsable des incendies racontés par les agri-culteurs. Dès les années 1980 en effet, de nom-breuses parcelles de moins en moins entretenuesétaient en cours d’enfrichement.

À cette époque, tout l’espace forestier originelest détruit, il n’existe plus d’espace à défricher,les vieilles plantations plantées sur les ancien-nes ne poussent pas facilement d’après certainsagriculteurs. Cette période correspond à l’époqueoù les premières plantations de café et cacaodoivent être renouvelées faute de rendementssuffisants.

9 Le finage correspond à l’étendue du territoire villageois.10 Les isohyètes sont les courbes joignant les points d’une

région où les précipitations moyennes sont égales.

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Des agriculteurs ayant replanté à l’emplacementd’anciennes plantations nous expliquent que« les plants poussent mal, sèchent », ce qui seloneux serait dû à la sécheresse. La terre serait de-venue impropre à la culture des plantes péren-nes. Cause ou conséquence ? La sécheresse est-elle vraiment la cause des échecs ? Ne s’agit-ilpas tout simplement d’une baisse de la fertilité,d’un épuisement des sols ? En effet, le systèmeclassique de défriche-brûlis permet au sol d’a-voir un potentiel de fertilité maximum pendantles trois ou quatre premières années de culture,puis ce potentiel décroît rapidement les annéessuivantes. Lorsqu’une plantation est déjà instal-lée, une partie de cette fertilité est assurée par lalitière (feuilles et branches mortes), et la cou-verture végétale limite l’érosion et la lixiviation11.La fertilité du sol décroît moins rapidement quesi le sol était à nu. Mais mis à nu, le sol est sou-mis à une érosion intense et la fertilité décroîtrapidement. Il est alors possible qu’une jeuneplantation ne puisse croître facilement.

La dégradation des conditions climatiques (baissemarquée des précipitations) et les feux de broussede 1983 ont aussi davantage affecté les caféières,car beaucoup d’entre elles avaient été installéessur des sols moins profonds, plus séchants, etrestaient plus difficiles à nettoyer que les ca-caoyères conduites en culture pure.

C’est ainsi que certaines anciennes plantations si-tuées sur les interfluves ne peuvent pas être re-plantées en café ou cacao, et sont alors dévo-lues aux cultures vivrières. Un nouveau systèmede culture se généralise : des cultures vivrières enrotation sur elles-mêmes ou plus généralement,en rotation avec une friche de courte durée (1-3 ans) dominée par Chromolaena odorata.

C’est également au cours de cette période que lecours du café chute, et certaines plantations decafé sont abandonnées au profit des cacaoyèresou tout simplement deviennent des friches. Lesarbres se développant dans ces anciennes ca-féières donnent aujourd’hui à ces parcellesl’aspect de forêts.

Suite à l’application du plan d’ajustement struc-turel recommandé par le Fonds monétaire inter-national (FMI) (allant vers une libéralisation del’économie), le gouvernement stoppe les subven-tions à l’agriculture : les plants et intrants ne sont

Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

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plus subventionnés, la caisse de stabilisation12

n’existe plus, le prix du cacao n’est plus garanti etse retrouve soumis aux aléas du marché mondial.On assiste alors à un prix d’achat du cacao auproducteur extrêmement variable d’une année surl’autre. Le regroupement des agriculteurs en co-opérative cherche à remédier un peu à ce pro-blème qui n’est pas résolu pour autant.

En 1994, la dévaluation du franc CFA, en ren-chérissant pour les agriculteurs ivoiriens les en-grais minéraux et les produits phytosanitairessouvent importés, se traduit par une baisse del’intensification des systèmes de culture et de sé-rieux problèmes de reproduction de la fertilitéapparaissent. Café et cacao deviennent donc plusdifficiles à produire en raison de la baisseconjointe de la fertilité qui ne peut être renou-velée, et du prix du café.

Ces vingt dernières années correspondent aussià l’épuisement des possibilités d’installation pourles jeunes agriculteurs, en particulier allogènesou allochtones, qui se voient de plus en plus fré-quemment refuser l’accès au foncier.

L’exemple ci-dessous retraçant une conversationavec un vieux du village, nous éclaire sur cepoint : Y. K. a hérité des plantations de son pèrequi, fuyant les travaux forcés dans sa région d’o-rigine (baoulé), vint s’installer à Affalikro dans lesannées 1940 et obtint une quinzaine d’hectaresde forêt en échange d’un mouton et de quelquesdons plutôt symboliques au chef de terre. Toutfut planté de café dans les années 1950, peu àpeu, au rythme d’un demi-hectare ou un hectarepar an, et confié pour partie à des abusans. Au-jourd’hui, cette vieille plantation est en friche etl’on entreprend de la reconvertir peu à peu enplantation de cacao, selon des modalités appa-remment très semblables à celles qui prévalaientil y a 50 ans. On donne bien toujours de « petitsmorceaux » à des abusans, mais le contrat neconcerne en réalité que les cultures vivrières as-sociées aux premières années de la plantation.

11 La lixiviation correspond à la migration des éléments mi-néraux du sol par percolation suite à un lavage (se pro-duit en cas de régime pluviométrique important).

12 La caisse de stabilisation est un institut parapublic decommercialisation du café et du cacao en Côte d’Ivoire,qui régulait le prix de ces marchandises agricoles sur lemarché intérieur.

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Aujourd’hui, on confie encore la parcelle à ceuxqui en font la demande, à charge pour eux deplanter les jeunes cacaoyers que le propriétaireleur apportera, mais ils devront rétrocéder la par-celle dès que celle-ci entrera en production ettrouver un peu plus loin quelqu’un qui veuillebien leur prêter une parcelle pour leurs culturesvivrières. Ce n’est pas tout, le propriétaire exi-gera aussi une partie de la production vivrière,autrefois entièrement concédée aux abusans...L’accès au foncier et à la condition de planteur

Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

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est désormais fermé. On assiste alors au départde main-d’œuvre vers les fronts pionniers duSud-Ouest. En effet, avec les problèmes de « sa-turation foncière » qui s’amorcent, les derniers ar-rivants n’ont plus aucun espoir de se voir attribuerune parcelle. Ils sont condamnés à vendre leurforce de travail ou à entretenir les plantations desgrands planteurs, sans voir leur statut évoluer.Un certain nombre d’entre eux vont donc ten-ter d’acquérir de la terre dans les nouveaux frontspionniers du Sud-Ouest.

ILLUSTRATION 12 :Reconstitution de l’évolution du paysage depuis les années 1900.

Trois grandes périodes dans cette évolution.

➤ 1930Les premiers campements : les premiers arrivés (il s’agit dans la plupart des cas d’une seule famille), des Agnis,défrichent de petites parcelles de forêt pour y installer leurs habitations, autour desquelles ils cultivent des culturesvivrières (taro, banane, etc.), et plus loin des plantations de café et de cacao.

Banane, taroPremiercampement

Premières plantationsde café et cacao

Forêt primaire

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Dynamiques agraires et reconstitution des transformations de l’agriculture

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ILLUSTRATION 12 (suite)

➤ 1960Face à l’intérêt économique des cultures de rentes comme le café et le cacao, de nombreux arrivants autochtoneset allochtones viennent accroître le rang des planteurs. Les exploitants forestiers contribuent à accélérer le phénomèneen ouvrant de véritables saignées dans la forêt pour extraire le bois. À partir de ces axes, perpendiculairement,des plantations de café et cacao vont voir le jour. Les bas-fonds ne sont pas encore exploités par les agriculteurs.

Cacaoyère

Constitutionde véritables

villages

CaféièreTrouée ouvertepar les forestiers Résidu de

forêt primaire

Manioc, igname puis maïset riz sont introduitsdans les systèmes

de culture traditionnels Plantation mixtecafé-cacao

Jeune plantationde café ou cacao(buttes d’ignames)

➤ 2000Extension et développement des villages (électrification, construction de puits, de routes bitumées, etc.). Après unepériode d’extension des plantations de café, on observe aujourd’hui le remplacement de nombreuses caféières par descacaoyères. On note également l’extension des cultures vivrières dans le paysage et le développement des culturesdans les bas-fonds (riz pluvial, riz inondé, maraîchage, cultures vivrières). Les plantations de café et cacao sontquasiment toujours situées sur les interfluves, les cultures vivrières sur les flancs des interfluves. La forêt primaire aentièrement disparu, les friches la remplacent pour un temps : friches de courte durée à Chromolaena sur lesinterfluves, à graminées dans les bas-fonds et friches de longue durée également sur les interfluves. Ces dernières sontd’anciennes plantations de café gagnées par un recrû forestier.

Arachide-maïs

Rizinondé

Friche courteà graminées Billons,

maraîchageRiz pluvial-

maïs Jeune plantationde café ou cacao(buttes d’ignames)

Caféière

Cuirasseferralitique

Village

Cacaoyère

Maïs-manioc

Friche longue,ancienne plantation

de café Friche de courtedurée, envahie

par Chromolaenaodorata

Page 59: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

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Initiation à une démarche de dialogue. Étude des systèmes de production dans deux villages de l’ancienne boucle du cacao

L’observation du paysage nous a permis de ré-pertorier une grande diversité de cultures. Et ceconstat n’a rien de surprenant dans un contexteoù domine des exploitations individuelles nonplanifiées par l’État.

Chaque agriculteur dispose en effet d’un largeéventail de choix quant aux cultures possibles età la manière de les conduire. Si le nombre de choixpossibles est important, il n’est cependant pas illi-mité. Les décisions des agriculteurs s’opèrent sousdes contraintes qu’il est utile d’identifier.

Au-delà de l’observation, l’analyse du paysagenous a aussi permis d’identifier une partie desraisons d’être de cette diversité : les caractéris-tiques du climat de la région, la position dans latoposéquence ou la nature des sols condition-nent le type de cultures possibles sur telle outelle parcelle.

De même, l’analyse historique nous a permis deconnaître l’origine de ces différentes cultures et,de ce fait, d’identifier d’autres éléments (poli-tique, économique, évolution des prix, flux mi-gratoires, etc.) expliquant leur présence danscette région. On a ainsi pu comprendre pour-quoi les plantations de café et/ou de cacao cou-vraient des surfaces aussi importantes ou pour-quoi certaines pratiques culturales telles que la

Caractérisation etévaluation économiquedes systèmes de culture

défriche-brûlis avaient au contraire régressé. End’autres termes, la diversité des cultures est ap-parue conditionnée par les caractéristiques dumilieu biophysique et par la succession d’évè-nements historiques qui ont marqué cette région.

Mais d’autres aspects doivent maintenant être ana-lysés pour bien comprendre pourquoi ces cultu-res sont pratiquées dans cette région aujourd’hui.

Pour qu’une culture soit pratiquée, il convientqu’un certain nombre de conditions agrono-miques soient remplies, comme la reproductionde la fertilité en particulier (on ne peut pas ex-porter des éléments minéraux sans jamais com-penser ces pertes). Nous allons donc devoir ana-lyser la façon dont ces cultures sont pratiquées.Par ailleurs, si les agriculteurs de cette régionpratiquent telle ou telle culture, c’est qu’ils laconsidère comme « rentable ». Nous évalueronsdonc les performances économiques des diffé-rentes cultures et des différentes façons de lespratiquer.

À ce stade du travail, nous changeons d’échelled’analyse : de la région, nous passons à l’ana-lyse des systèmes de culture et d’élevage. Nousnous situons donc à l’échelle de la parcelle, sanstoutefois perdre de vue notre objectif qui est decomprendre l’agriculture d’une petite région.

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Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

60

L’étude des systèmes de culture, rappels méthodologiques

●● Le concept de système de culture

FICHE N° 4 : SYSTÈME DE CULTURE : DÉFINITION

Comprendre les pratiques culturales des agriculteurs

Un système de culture, c’est la représentation théorique d’une façon de cultiver un certain typede champ. Un système de culture s’analyse à l’échelle d’un champ, d’une parcelle ou d’unensemble de parcelles qui sont exploitées de la même manière. Un système de culture se ca-ractérise par une homogénéité dans la conduite d’une culture sur un ensemble de parcelles :mêmes associations de culture, mêmes successions culturales, mêmes itinéraires techniques...

●● Analyser un système de culture implique d’étudier les éléments suivants :

1. Quelles sont les espèces cultivées (associations, cultures pures) et les variétés ?

Y a-t-il des cultures qui sont cultivées en même temps : cultures associées ? Il faut chercher àcomprendre les fondements des associations de cultures : complémentarité des plantes pourl’utilisation des ressources (lumière, eau, éléments minéraux par exemple).

2. Les caractéristiques des parcelles

Topographie, hydrographie, type de sol, espèces spontanées.

3. Les successions culturales sur plusieurs années

S’il y a une régularité, quelle est la rotation pratiquée ? Sur la parcelle, que cultive le paysanen année 1999, en année 2000, en année 2001 ? Il faut également chercher à comprendreles fondements de ces rotations : quel est l’effet de la culture précédente sur l’état du sol, laprésence d’adventices et la pression des parasites ?

4. Quelles sont les pratiques culturales ?

Quelles opérations sont réalisées sur les parcelles, à quelle période (par rapport aux saisons etaux stades végétatifs des cultures), et comment ? C’est la description de l’itinéraire technique(suite logique et ordonnée d’opérations culturales). Il s’agit de comprendre comment l’agri-culteur utilise la force de travail dont il dispose (familiale/salariée) et les intrants, depuis la pré-paration du sol jusqu’à la vente des produits. Pour cela, il faut établir le calendrier cultural dechaque culture, où l’on positionne les différentes opérations techniques au cours de l’année ainsique le nombre de jours de travail y correspondant. Le travail est évalué en homme/jour.

5. Comment le paysan assure-t-il la reproduction de la fertilité ?

Utilisation d’engrais, de fumier, associations de cultures, temps de friche ou de jachère, par-cage d’animaux, utilisation des termitières, etc.

6. Quels sont les produits obtenus et les résultats ?

Résultats techniques : production par unité de surface, rendement par rapport aux volumesde semences. Les productions sont très variables en fonction des campagnes agricoles. On cher-

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Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

61

che donc dans un premier temps à estimer les rendements en année normale, c’est-à-direlorsque les conditions de production ne sont ni catastrophiques, ni exceptionnellement bon-nes. Dans un deuxième temps, on cherche à évaluer les rendements en bonne et en mauvaiseannée. Il importe d’identifier les éléments conditionnant ces années extrêmes (sécheresse,prédateurs, inondations, etc.).

Destination des produits : part autoconsommée, part vendue, part donnée, part destinée à larémunération en nature de la force de travail extérieure, part gardée pour la semence, pertes.

7. Quelles sont les limites techniques du système ?

Pourquoi un agriculteur ne peut pas cultiver une surface plus importante pour un système deculture donné ? Quelle(s) opération(s) est(sont) limitante(s), avec les ressources humaines etles moyens dont il dispose ? Le calendrier cultural est à ce niveau très utile, car ce sont les poin-tes de travail qui vont limiter la surface maximale qu’un actif pourra techniquement cultiver.

ILLUSTRATION 13 : Le concept de système de culture

Conditions pédoclimatiques,conditions du milieu

Pratiques culturales,itinéraire technique

Outils,intrants

Tempsde travail,

main-d’œuvre

Espèces, variétés,associations, successions,

rotations (y compris les fricheset les jachères), adventices

Production, rendement

Un système de culture se définit par « les éléments qui le composent et les relations entre ces éléments » : ci-dessus,les différents éléments d’un système de culture.

Le résultat du système (la production, le rendement) dépend des conditions pédoclimatiques, des pratiques ettechniques culturales, des espèces et variétés plantées, de l’outillage employé, de la quantité de travail fourni, etc. ;c’est tout cela qu’il nous faut étudier pour comprendre un système de culture et, plus que cela, nous devons essayerde comprendre les relations qui existent entre ces différents éléments.

Comment le type d’outil employé influence-t-il la quantité de travail ? Est-ce que le type de sol influence les itinérairestechniques, le type d’outillage employé ? ...

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Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

62

ILLUSTRATION 14 : Replantation cacaoyèreExemple de la reconversion des anciennes caféières sous friche arborée

ILLUSTRATION 14A : Première année d’une jeune plantation de cacao associé aux cultures vivrières

Butted’ignames

Cacao

Frichearborée

Tronc decaféierabattu

En arrière plan, une friche arborée. En premier plan, des buttes d’ignames entre lesquelles on trouve les troncsde caféiers abattus récemment. L’agriculteur s’apprête à installer une cacaoyère sur une ancienne caféièreabandonnée. L’arbre au milieu de la parcelle atteste de la présence de la friche auparavant. C’est cette même frichearborée que l’on aperçoit en arrière plan.

Hub

ert C

oche

t

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Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

63

●● Du « type de champ » au « systèmede culture » : l’identification préalabledes systèmes de culture pratiquésdans la région

L’étude du paysage et la reconstitution de l’his-toire de l’agriculture dans la région (auxquellesont été consacrées les quatre premières journéesde formation), permettent de dresser une pre-mière liste des types de champs observés et donc,si l’on prend soin de mettre en relation les suc-cessions culturales et leur expression spatiale,des systèmes de culture.

La principale difficulté a été, dans le paysage desvillage étudiés, d’y voir clair dans la diversité des

plantations pérennes en présence. Cf. l’illustra-tion 14 (14A, B, C et D) pages 62 à 65.

Il apparaît en effet :

➤ des très vieilles plantations de café, datant de« l’âge d’or » du café, il y a plus de quarante ans,dominées aujourd’hui par au moins deux stra-tes de végétation forestière, envahies par desplantes grimpantes : nous désignerons ces plan-tations par friche arborée à caféier de longuedurée (cf. illustration 14A page ci-contre) ;

➤ les cacaoyères denses, formant une canopéehermétique aux rayons du soleil. Le « sous-bois »est jonché de feuilles mortes, à tel point qu’au-cune plante adventice n’y peut pousser. Certai-

ILLUSTRATION 14B : Première année d’une jeune plantation de cacao associé à l’igname

En arrière plan, une friche arborée. Au premier plan, un jeune cacaoyer planté à proximité d’un rejet de bananieren train de reprendre. Un tronc de caféier atteste de la présence d’une plantation de café sur la parcelle auparavant.Cacaoyer et bananier sont plantés entre les buttes d’ignames.

Frichearborée

Jeunebananier

Butted’ignames

Cacao

Troncde caféier

abattu

Hub

ert C

oche

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Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

64

nes de ces cacaoyères, généralement parmi lesplus âgées, sont ombragées par de très grandsarbres, derniers survivants des forêts originelles ;

➤ des plantations de cacaoyers moins denses,avec de nombreuses adventices dont la plus fré-quente est incontestablement Chromolaena odo-rata. Chaque trouée de lumière pénétrant la plan-tation est exploitée par cette adventice. Si uncacaoyer vient à mourir, cette mauvaise herbeaura tôt fait de le remplacer ;

➤ des plantations jeunes de cacaoyers (parfois as-sociés à des plants de café). Les premières annéesaprès la plantation sont aussi associés des plants de

bananiers et des cultures vivrières, tels que le taro,l’igname, parfois le gombo, le piment, le manioc ;

➤ des plantations mixtes de café et cacao d’unedizaine d’années minimum, souvent envahiespar Chromolaena odorata. En effet, l’associationdes deux arbustes ne crée pas un couvert végé-tal sur toute la surface, ainsi la lumière arrivantau sol profite aux adventices ;

➤ des plantations de café pur, type de champsque l’on trouve rarement aujourd’hui, mais quidevait être plus fréquent il y a seulement quelquesannées. Certaines de ces parcelles ont été recé-pées récemment ;

ILLUSTRATION 14C : Deuxième année d’une jeune plantation de cacao associé aux cultures vivrières

En fond, à droite, un plan de caféier d’une dizaine d’années n’a pas été arraché lorsque l’agriculteur a renouvelé saparcelle. De l’arachide, au premier plan, et du maïs ont été associés aux jeunes plants de cacao. Les bananiers plantésl’année précédente sont de bonne taille, prêts à fructifier. Sur la droite, demeure un plant de taro de l’année précédentequi n’a toujours pas été récolté. Quelques plants d’ananas sont également présents sur la parcelle au centre de la photo.

Cacao

Bananiers

Arachide

Ananas

Café

Taro

Maïs

Hub

ert C

oche

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ILLUSTRATION 14D : Troisième ou quatrième année après la plantation

Cacaoyer

La plupart du temps, dès la troisième année, il ne reste plus sur la parcelle que les cacaoyers et les bananiers,mais on trouve encore des pieds de manioc ou de taro... ce qui nous laisse penser qu’il s’agit plutôt de la quatrièmeannée après la plantation.

BananierN

icol

as F

erra

ton

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➤ des parcelles d’arachide en culture pure. Cesparcelles sont destinées aux cultures vivrières ;seules des friches à Chromolaena odorata s’in-tercalent entre deux cycles de culture ;

➤ l’association maïs-arachide est l’associationde culture que l’on retrouve lors de la secondeannée de plantation du cacao (associé au ca-caoyer, bananier, manioc, taro). Mais aujour-d’hui, on rencontre des agriculteurs pratiquantseulement cette association sans qu’elle ne soitl’étape de l’installation d’une plantation. Ce sys-tème de culture ne semblait pas fréquent aupa-ravant. Cette association n’est généralement pasrépétée chaque année, car une friche à Chromo-laena odorata de un ou deux ans sépare le plussouvent deux cycles de culture ;

➤ le maraîchage. Des systèmes de culture à cy-cles courts très dépendants de l’eau, que l’on nepratique qu’en bas-fonds, généralement sur but-tes ou billons ;

➤ le riz inondé (deux cycles), culture égalementdépendante de l’eau et pratiquée en bas-fonds(un cycle de culture en saison des pluies dé-pendant des eaux pluviales et un cycle irriguéen saison sèche) ;

➤ l’association riz pluvial-maïs (plus palmiers),rencontrée principalement en bordure de bas-fond, au pied des versants.

Cette première « classification » constitue unebonne base de départ pour l’étude détaillée des

systèmes de culture. Elle sera amenée à évolueren fonction des résultats ultérieurs.

Sur la base de cette identification préalable (etprovisoire), il devient possible de répartir le tra-vail entre les différents groupes de participants.Afin d’établir une comparaison touchant l’en-semble des systèmes de culture, il est nécessairede travailler sur l’éventail de systèmes de culturele plus complet possible.

●● Comment caractériserchaque système de culture ?

Quelles sont les espèces, les variétés plantéespar les agriculteurs de la région ?

Quelles sont leurs combinaisons dans le temps,les associations et les successions caractéris-tiques ?

Dans l’exemple ci-dessous, nous définissons lessuccessions et les rotations des cultures sur uneparcelle.

Cas simple d’une parcelle cultivéeavec des cultures annuelles :

Imaginons la succession de cultures [A, B, F (fri-che) x 3] dans le temps (cf. tableau ci-dessous) ;si nous réalisons une enquête l’année 1, nousobservons la répartition des cultures sur les dif-férentes parcelles telle que nous la montre l’en-cadré vert : c’est un assolement. Si l’on pouvaitobserver la même parcelle (parcelle 1) pendant

Parcelle 1 Parcelle 2 Parcelle 3 Parcelle 4 Parcelle 5

Année 1 A B F F F

Année 2 B F F F A

Année 3 F F F A B

Année 4 F F A B F

Année 5 F A B F F

TEM

PS

ESPACE

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La plantation d’une cacaoyère se fait générale-ment en plusieurs étapes. Un agriculteur ne plan-tera pas toute sa parcelle (si celle-ci est de tailleimportante) en une seule fois. Il procède parétape comme nous l’avons fait figurer sur leschéma. Ainsi (d’après le schéma), si un agri-culteur plante une parcelle sur quatre ans, il luifaudra attendre huit ans pour que la totalité dela parcelle commence seulement à produire.

Dans la suite du travail, il est proposé aux parti-cipants de représenter chaque système de cul-ture par sa succession (ou rotation) caractéris-tique de la façon suivante : A / B / F1 / F2 / F3,chaque barre transversale symbolisant le pas-sage d’une année à l’autre. Dans le cas où plu-sieurs cycles de culture sont pratiqués la mêmeannée (deux cycles de riz par exemple), on peut

cinq ans (encadré rouge), on observerait la suc-cession A, B, F (friche) x 3, cette fois-ci dans letemps. C’est une succession culturale.

En principe, on retrouve le même nombre d’an-nées dans les successions que de parcelles dansl’assolement.

Au bout de trois années de friche, l’agriculteur im-plante en année 6 la culture A sur la parcelle 1.La succession se répète, on parle de rotation cul-turale.

Lors des entretiens, les participants interrogerontles agriculteurs sur les cultures précédentes etsuivantes afin de reconstituer les successions cul-turales et les rotations.

Prenons maintenant le cas plus complexe d’uneparcelle de cacaoyers (cf. l’illustration 15) :

ILLUSTRATION 15 :Mise en place progressive d’une cacaoyère :

défrichage de quatre parcelles de même taille pendant quatre ans

Année 0 Année 4

Année 5 Année 6 Année 7 Année 8

Année 3Année 1 Année 2

Les quatre parcellessont entrées en

production seulementau bout de huit ans ;

les bananiers ontquasiment disparu

Forêt

Igname, banane, taro, cacao

Maïs, arachide, taro, banane, cacao

Taro, banane, cacao

Banane, cacao

Cacao

Une parcellede 4 hectares

1 hectareest défriché et planté

la première année

Un second hectareest planté la deuxièmeannée et ainsi de suite

Les cacaoyersdu premier hectare planté

commencent à entreren production

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écrire R1 / R2 // R1 / R2. Dans ce cas, la barretransversale signale le changement de cycle, ladouble barre, le changement d’année.

Dans quelles conditions pédoclimatiques(sol, climat) pratique-t-on ces cultures ?

Lors des premiers jours de travail, nous avons par-tiellement répondu à la question « Où pratique-t-on ces cultures ? » et nous savons quelles sontles raisons historiques de leur implantation dansles différentes parties de l’écosystème. Il s’agitmaintenant de déterminer les raisons « agrono-miques » de la position des cultures dans telle outelle partie de l’écosystème ; pourquoi n’observe-t-on pas de plantations pérennes dans les bas-fonds ? Existe-t-il des conditions pédologiquesparticulières ? Ou bien les agriculteurs réservent-ils les autres parties de l’écosystème à certainescultures ? Préfèrent-ils certaines terres pour lescultures vivrières, pour le maraîchage ?

La recherche et la traduction des termes agnisutilisés pour dénommer les espaces cultivés peu-vent nous renseigner sur la qualité d’une terre,d’un espace de culture. En effet, les agriculteursdésignent traditionnellement les champs en fonc-tion de la qualité des terres.

Quels sont les itinéraires techniques pratiqués ?

Les itinéraires techniques sont l’ensemble des pra-tiques culturales ordonnées dans le temps. Ils sontsemblables pour un même système de culturemais différent d’un système à l’autre. Pour unesuccession culturale bien identifiée, l’itinérairetechnique (ITK) correspond à toutes les interven-tions de l’agriculteur sur sa parcelle. Les partici-pants doivent décrire l’enchaînement de ces tra-vaux en les positionnant sur un calendrier destravaux agricoles.

Quel est le temps de travail nécessairepour chaque opération culturale ?

Comme le présente la fiche « Système de cul-ture » (cf. fiche n° 4 pages 60-61), l’une des dif-ficultés des enquêtes réside dans le recueil desinformations nécessaires à l’élaboration d’un ca-lendrier de travail.

Ainsi, pour chacune des opérations de l’itiné-raire technique, il est nécessaire d’évaluer letemps de travail correspondant. L’unité de me-sure du temps de travail est l’homme/jour.

Cette unité correspond au travail d’un actif agri-cole pendant une journée. En enquête, cette éva-luation suppose donc de poser toujours deuxquestions : « Combien de jours de travail sontnécessaires pour réaliser cette opération ? » et« Combien de personnes par jour ? ». La quan-tité de travail investi dans un hectare est en effetla même qu’il s’agisse d’une personne travaillant30 jours ou de 30 personnes travaillant une jour-née. Par ailleurs, pour pouvoir comparer les sys-tèmes de culture entre eux, il convient de rap-porter ces temps de travaux à la surface et deraisonner en termes d’hommes/jour par hectare.

Notons que pour certains systèmes de culture,il peut être nécessaire d’évaluer les temps de tra-vaux en heures par jour, c’est en particulier lecas des cultures maraîchères, où un travail quo-tidien est investi sur de très petites parcelles.

Mais il est impératif de bien distinguer la périodeà laquelle l’agriculteur enquêté réalise les opé-rations et la période de temps où il est possiblede la réaliser. Certaines opérations techniquesdoivent en effet être réalisées sur des périodesextrêmement courtes (le semis ou la récolte parexemple) alors que d’autres peuvent s’étaler surdes périodes plus longues (les sarclages). Cette in-formation sur la souplesse du calendrier culturalest indispensable pour identifier des pointes detravail. Une opération peut en effet demanderbeaucoup d’hommes/jour sans pour autant cons-tituer une pointe nécessitant le recours à l’en-traide ou à la main-d’œuvre salariée si l’ondispose d’une période de temps suffisante. À l’in-verse, une opération peut demander peu d’hom-mes/jour, mais constituer une pointe car elle doitêtre réalisée en un ou deux jours.

Cette souplesse ou rigidité du calendrier cultu-ral est généralement dictée par les saisons, cer-taines opérations techniques ne pouvant être réa-lisées que si les conditions climatiques optimalessont remplies (début de la saison des pluies, parexemple). Il est donc utile de disposer des don-nées ombro-thermiques13 pour bien analyser lecalendrier cultural. Dans la région d’Abengou-rou, on parle de deux saisons des pluies ; l’une,plus longue, débute mi-mars et se termine mi-

13 Graphique retraçant l’évolution annuelle des précipita-tions et de la température moyenne.

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juillet, et l’autre s’étale de septembre à mi-no-vembre, c’est la petite saison des pluies.

Par ailleurs, pour bien comprendre les contrain-tes de travail liées à un système de culture, il estsouvent utile de savoir qui, dans la famille, réalisechaque opération culturale.

On observe souvent une répartition des tâches, leshommes faisant les travaux les plus difficiles phy-siquement (abattage des arbres, préparation dusol), et les femmes les travaux d’entretien des par-celles de récoltes. On confie aux enfants le soinde protéger les récoltes contre les oiseaux. Cesinformations sont précieuses, car il peut appa-raître que pour certaines tâches, les actifs familiauxne sont pas substituables, ce qui peut être occultépar la simple analyse du calendrier cultural. Unefois que le calendrier cultural est réalisé, il appa-

raît des pointes de travail, qui, comme nous leprésentons dans la fiche « Système de culture »(cf. fiche n° 4 pages 60-61), conditionnent la sur-face qui peut être mise en culture compte tenudu nombre d’actifs familiaux disponibles. Maisil est fréquent de rencontrer des exploitations oùcette limite technique est dépassée.

Nous devons donc également nous renseignersur les éventuels recours à de la main-d’œuvreextérieure à la famille et sur les tâches qui luisont confiées. La famille embauche-t-elle des sa-lariés permanents ? Temporaires ? Des métayerssont-ils présents sur l’exploitation ? La famillefait-elle appel à des groupements de travail ? Par-ticipe-t-elle à ces groupements ?

Dans le cas particulier des groupes d’entraide,il convient de ne pas compter deux fois le même

ILLUSTRATION 16 : Moyenne des précipitationsenregistrées entre 1991 et 1998 à Bettié, station climatique la plus proche d’Abengourou

0

50

100

150

200

250

Janv. Fév. Mars Avril Mai Juin Juillet Août Sept. Oct. Nov. Déc.

Mm

d ’e

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ar a

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Mois

La pluviométrie annuelle est d’environ 1 320 mm.

Grande saison des pluies Petitesaisonsèche

Petite saison pluvieuse

Grande saison sèche

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Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

70

travail. Si dix personnes viennent travailler unejournée chez un agriculteur et que celui-ci tra-vaille ensuite une journée chez chacune de cesdix personnes, onze journées de travail aurontété consacrées à la parcelle de cet agriculteur etnon pas d’avantage.

On distingue de plus le travail fait par les mem-bres de la famille de celui qui est « acheté ».Donc, en ce qui concerne un groupe de travail,si un échange de travail est égalitaire et réci-proque, il n’est pas compté comme travail exté-rieur. C’est le cas d’un agriculteur travaillant dansun groupe d’entraide : le groupe vient travaillerdans ses parcelles, et en contrepartie, il travaillechez les autres membres du groupe.

Si l’échange de travail est inégalitaire, on le consi-dère comme faisant partie de la main-d’œuvre ex-térieure : c’est le cas d’un agriculteur faisant tra-vailler le groupe d’entraide chez lui, sans qu’il yait réciprocité.

Quels types d’outils sont employéssur les différents systèmes de culture ?

Pour quelles opérations techniques sont-ils em-ployés ? À quelle période ?

Quels sont les sous-produits des cultures ?

Des résidus de maïs, de la paille de riz ? Quelssont leurs usages ? Les laisse-t-on sur la parcelle ?Les enfouit-on lors du « labour » en guise d’en-grais « vert » ? Sont-ils brûlés ?

Dans le cas où ils sont utilisés pour être vendus,il faudra chiffrer leur valeur.

Quelles sont les consommations intermédiairesde chaque système de culture ?

Utilise-t-on des engrais, des herbicides, des pes-ticides ? A-t-on recours à un matériel spécifique(pulvérisateur) pour les épandre ? Quelles sont lesdoses de produits utilisées ? À quelle période del’année ?

Quels sont les modes de reproductionde la fertilité ?

De quelle façon une jachère ou une friche inter-vient dans la reproduction de la fertilité d’uneterre ? Utilise-t-on des espèces spécifiques dansle but de régénérer la fertilité tels que des légu-mineuses par exemple ? L’élevage participe-t-il

d’une façon ou d’une autre à la reproduction dela fertilité de ce type de parcelle ?

Quelles sont les limites du fonctionnementdu système ?

Pourquoi l’agriculteur ne cultive-t-il pas une sur-face plus grande (problème de disponibilité de lamain-d’œuvre, problème d’accès à la terre, etc.) ?

●● Comment mesurer les résultatsdu fonctionnement des systèmesde culture ?

Le rendement

C’est la production par unité de surface, mais ilpeut être utile de l’évaluer aussi par quantité degrains semés ou par pied (cas des plantations pé-rennes). Le rendement est un indicateur des per-formances agronomiques d’une culture. Il cons-titue une (des) « référence(s) locale(s) » sur lespotentialités de production de différentes cultu-res dans la région étudiée. On compare, grâce aurendement, les résultats obtenus chez plusieursagriculteurs, et on peut analyser ainsi l’efficacitéde pratiques culturales pour une même culture ;ou, pour des pratiques culturales identiques, lespotentialités agronomiques de deux types de solspar exemple (en supposant que les autres para-mètres de culture soient identiques : pratiquesculturales, etc.).

Estimation de la surface

Les agriculteurs connaissent en général la sur-face de leurs parcelles ; sinon, il est possible del’estimer sur place en la parcourant à pied avecl’agriculteur. En général, les surfaces des cultu-res pérennes sont connues, mais les champs vi-vriers ou les cultures annuelles, dont les surfa-ces peuvent varier d’une année à l’autre, sontplus difficiles à déterminer.

Lorsque l’on connaît à peu près la région et leshabitudes des agriculteurs, il est possible d’éva-luer la surface d’un champ à la quantité de se-mence que l’agriculteur utilise, dans la mesure,bien sûr, où les densités de semis sont voisines.

Pour une plantation d’arbres, on peut apprécierla surface en s’appuyant sur l’espacement entreles plants et en le multipliant par le nombre depieds sur la parcelle.

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Estimation de la production

Le volume de production le plus facile à connaî-tre est bien entendu celui de la récolte de l’an-née précédente, mais il convient de s’assurer au-près de l’agriculteur que cette année peut êtreconsidérée comme « normale ». En effet, lesquantités obtenues sont généralement assez va-riables, certaines années sont mauvaises suite àdivers incidents (sécheresse, inondation, rava-geurs, etc.), alors que d’autres sont parfois ex-ceptionnellement bonnes.

On cherche donc dans un premier temps à éva-luer le niveau de production en année « nor-male », c’est-à-dire lorsque les conditions de pro-duction ne sont ni particulièrement mauvaises,ni particulièrement bonnes. Cette notion d’an-née « normale » ne correspond donc pas à uneannée moyenne (au sens mathématique du terme)mais plutôt aux conditions de production les plusfréquentes.

Dans un deuxième temps, on évalue le niveau deproduction en années « extrêmes » : lorsque lacampagne est particulièrement bonne, ou lors-qu’au contraire elle est mauvaise. Notons quedans ce dernier cas, il peut arriver pour certainescultures, qu’une mauvaise année se traduise parune production nulle. Quoi qu’il en soit, il im-porte de bien identifier les facteurs explicatifs deces variations.

Nous devons donc nous efforcer de compren-dre les variations des rendements que l’on ob-serve d’une année sur l’autre ou d’une parcelleà l’autre. Il convient en particulier de détermi-ner si les différences de rendement observéesentre différentes parcelles proviennent des condi-tions climatiques et sanitaires, de la nature dessols, ou des itinéraires techniques suivis. Dansle premier cas, il s’agit des variations de perfor-mance d’un même système de culture suivantles conditions dans lesquelles le cycle climatiquese déroule. Dans les deux derniers cas, nous som-mes face à des systèmes de culture qu’il convientprobablement de différencier.

Remarquons cependant que l’identification desdifférents systèmes de culture n’est pas toujoursaisée : pour une même culture, on peut être tentéde distinguer un système de culture différent paragriculteur ou par parcelle. Cependant, la finessede ces distinctions est à relativiser compte tenu

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

71

du niveau de précision de nos enquêtes d’unepart, et de l’échelle régionale à laquelle se situel’ensemble de l’analyse d’autre part.

Remarque : il convient de chiffrer aussi bien laproduction vendue que celle qui est consom-mée par la famille ; en effet, ces volumes ont cer-tes été autoconsommés mais ils ont été au préa-lable produits ! L’autoconsommation participepleinement au revenu agricole (sous une formenon monétaire) et a parfois une importance consi-dérable, notamment dans les agricultures de sub-sistance.

Il est parfois difficile d’estimer la production lorsquela récolte s’étale sur un mois ou lorsque, commepour certains tubercules, on ne récolte quequelques racines sur une plante en la laissant enterre (ce qui se pratique pour l’igname, le taro, lemanioc, les patates douces, etc.). Il arrive égale-ment que l’on récolte le maïs en fonction des be-soins du ménage, au cours de sa maturité.

Si cette récolte est vendue, dans la plupart descas, les agriculteurs connaissent leur production.Si, par contre, la production est autoconsom-mée, le problème est plus difficile à résoudre. Ilfaut alors des moyens indirects pour « estimer »la part d’autoconsommation.

➤ On peut par exemple s’informer sur la fré-quence avec laquelle la famille mange le tuber-cule en question, sur le nombre de bouches ànourrir, et la durée pendant laquelle ils peuventconsommer leur production.

➤ On peut également estimer cette productionen connaissant la surface du champ de maïs etles rendements moyens obtenus dans la régiondans des conditions comparables. En recoupantles deux méthodes, on arrive à des chiffres assezfiables.

Difficultés particulières liées à l’étudede plantations pérennes :

Estimer la production d’une plantation constitueune autre source de difficultés. Il est possible d’i-dentifier trois phases dans la vie d’une plantation :

➤ tout d’abord, l’entrée en production : selonles espèces, l’entrée en production est plus oumoins longue ;

➤ la phase de pleine production proprement dite.La production réelle, en dents de scie, atteint à par-

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Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

72

tir d’un moment donné, un niveau dont la re-présentation graphique aura l’allure d’un plateau ;

➤ la phase de déclin de la production, liée auvieillissement de la plantation, à l’épuisementdu sol, etc.

Pour une même plantation, la durée de chacunede ces trois phases et le rendement en phase depleine production varient en fonction des condi-tions physiques et des pratiques culturales. Parexemple, une cacaoyère entrera plus rapidementen production avec des apports d’engrais (cf.courbe). Ou encore, une cacaoyère peu entre-tenue (désherbage, sarclage, etc.) aura une phased’entrée en production plus longue, une phasede production plus courte, la dégénérescencede la plantation se produisant plus tôt. Dansl’histoire de la culture de cacao ivoirienne, lesplantations de cacao installées au détriment de

la forêt (« précédent forêt ») ont bénéficié demeilleures conditions de croissance et de pro-duction que toutes les plantations installées en-suite sur d’autres « précédents culturaux ».

Ainsi, dans le meilleur des cas, il faudrait établirune courbe de production pour chaque type deplantation caractérisé par des itinéraires tech-niques particuliers.

Dans le cadre de ce stage, les étudiants ont re-constitué les courbes de production des planta-tions avec l’aide des agriculteurs lorsqu’il étaitpossible de le faire, mais, dans la majorité descas, nous nous sommes contentés des moyennesde production sur les trois dernières années touten situant la plantation selon un itinéraire tech-nique (apport d’engrais, plantation mixte, den-sité de plantation, etc.) surtout selon son âge (pourse situer au niveau de la courbe de production).

ILLUSTRATION 17 :Courbe de l’évolution de la production d’une plantation pérenne (cacaoyère, caféière)

0

100

200

300

400

500

600

700

0 5 10 15 20 25 30 35 40 45

Avertissement : Ces courbes ne sont pas issues de suivis agronomiques, il s’agit d’un modèle n’ayant d’autre prétention que d’illustrer nos propos.

Rendement (kg/hectare)

Annéesaprès laplantation

Phase d’entrée en production Phase de croisièrePhase

de déclin

inst

alla

tion

Courbe de production réelle dans des conditions « normales »

Modèle synthétisant la production dans des conditions de production « normales »

Excellentes conditions de production : précédent forêt «noire», traitements, apports d’engrais, de matière organique…

Mauvaises conditions pédoclimatiques et d’entretien : replantation sur friche,pas ou peu de désherbage, pas d’égourmandage, sol hydromorphe…

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Enfin, certains agriculteurs possèdent des plan-tations mitoyennes d’âges hétérogènes, et il ar-rive qu’ils ne puissent distinguer la productionissue de chacune des parcelles. S’ils se trouventdans l’incapacité de faire une telle estimation, il

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

73

faut alors se contenter d’un chiffre global de pro-duction, utile lors de l’analyse des systèmes deproduction (l’étape suivante), mais en aucun casce chiffre ne nous servira lors de la comparai-son des différents systèmes de culture.

FICHE N° 5 : MESURER LES PERFORMANCES ÉCONOMIQUES D’UN SYSTÈME DE CULTURE

●● Produit brut

PB = production (- pertes éventuelles) x prix

C’est la valeur monétaire des productions finales, quelle que soit leur affectation(ventes + autoconsommation + dons + rémunération de la main-d’œuvre + etc.).

●● Consommations intermédiaires

CI = valeur monétaire des semences, intrants et services éventuels, utilisés au cours d’un cyclede production.

●● Valeur ajoutée brute

(VAB) = PB - CI

C’est la création de richesse produite. Cette grandeur permet de comparer les systèmes deculture entre eux.

Il n’est guère possible de poursuivre le calcul jusqu’au niveau de la valeur ajoutée nette et durevenu (cf. plus loin la mesure des performances économiques des systèmes de production)lorsqu’on étudie les systèmes de culture. En effet, pour obtenir la valeur ajoutée nette, il fau-drait retrancher de la VAB l’amortissement économique du capital fixe, c’est-à-dire, entre au-tres choses, l’usure des outils et machines utilisés. Comme ces moyens de production sont engénéral utilisés pour différents systèmes de culture et d’élevage, il n’est guère possible d’af-fecter leur usure à tel ou tel système de culture en particulier. C’est pourquoi il faut s’arrêter,à ce stade de l’analyse, au calcul de la VAB.

Cette grandeur économique permet d’ailleurs d’établir d’ores et déjà des comparaisons inté-ressantes en calculant notamment :

− la valeur ajoutée brute dégagée par unité de surface : VAB/ha ;

− la valeur ajoutée brute dégagée par journée de travail (total ou familial) : VAB/hj.

Ces différents ratios peuvent être calculés pour une culture donnée ou pour un système de cul-ture, c’est-à-dire pour l’ensemble des cultures de la succession culturale caractérisant le sys-tème de culture (jachères et friches comprises).

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Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

74

●● Comment évaluer les performanceséconomiques des systèmesde culture ?

Analyser le fonctionnement des systèmes de cul-ture et évaluer leurs performances agronomiquesest nécessaire pour comprendre les raisons pourlesquelles les agriculteurs les pratiquent. Mais l’a-nalyse des systèmes de culture ne peut se limiterà ces deux premières étapes. Il convient d’en éva-luer la « rentabilité », les performances écono-miques. Insistons sur le fait que ce type d’évalua-tion n’est envisageable que si le fonctionnementagronomique des systèmes de culture a bien étéanalysé. C’est un préalable indispensable pourpouvoir savoir ce qu’on évalue et pour compren-dre le sens des évaluations que l’on obtient.

Ainsi, comment évaluer les performances éco-nomiques d’un système de culture cacaoyer qui,comme nous l’avons vu, présente des associa-tions culturales au cours des premières années etoù la production de fève ne s’amorce qu’aprèsplusieurs années ?

Toujours est-il qu’au-delà des quantités produi-tes, nous devons aussi mesurer la valeur de cesproductions et en connaître le prix.

Le produit brut (PB)

Une fois la production mesurée en volume, il fautévaluer sa valeur en termes monétaires. Pour cela,il faudra se renseigner sur les prix de vente des pro-duits agricoles vendus. Dans le cas où la produc-tion est consommée par la famille, il convient d’enmesurer également la valeur, car cette fraction dela production fait partie du produit brut. Pour cela,on lui affecte aussi un prix car l’agriculteur auraitsans doute dû se procurer ces marchandises sur lemarché s’il ne les avait pas produites lui-même.

L’évaluation des prix des produits agricoles, quipourrait sembler simple, présente souvent desdifficultés. Tout d’abord car les prix des produc-tions agricoles varient selon le lieu de vente (lesproduits agricoles sont vendus plus chers sur lesmarchés urbains qu’aux abords des villages), etselon l’époque à laquelle on les vend (le prix suitla loi de l’offre et de la demande : en pleine sai-son de production, l’offre étant élevée, le prixde vente est faible ; par contre hors saison, l’of-fre étant très restreinte, le prix augmente). C’est

le cas pour les récoltes de cacao. Les étudiantspeuvent reconstituer l’évolution des prix des prin-cipales productions agricoles issues des systè-mes de culture dominants.

Si l’agriculteur sait à quel prix il a vendu ses pro-duits au cours de l’année, on prend en compteces prix-là ; il connaît généralement très bien lesquantités et les prix de vente des cultures de rentequi sont vendues en une ou deux fois et rappor-tent une somme d’argent conséquente, ce quiest un fait marquant dans la vie d’un agriculteur.

Lorsqu’il ne le sait pas, on évalue la quantité ven-due à chaque période de l’année et à défaut, onpeut prendre en compte un prix moyen sur l’année.

➤ L’évaluation des prix des produitsautoconsommés

Comme nous l’avons vu, nous devons tenir comptedes quantités autoconsommées pour l’estimationdes performances agronomiques des systèmes deculture, car ces quantités ont bel et bien été pro-duites. De la même façon, nous devons en éva-luer la valeur, car il s’agit d’une richesse produitequi participe pleinement au revenu agricole et quia une importance considérable dans le cadre d’uneagriculture de subsistance, la part autoconsom-mée constituant, dans certains cas, la totalité durevenu agricole. Le prix de ces productions auto-consommées est celui que l’agriculteur aurait dûpayer s’il ne les avait pas produites. Il s’agit doncdu prix d’achat. On est ainsi souvent amené à serenseigner sur les prix d’achat sur le marché leplus proche. Notons que ce prix d’achat est dif-férent du prix de vente pour un même produit,cette différence s’expliquant par l’intermédiationdes commerçants.

➤ Deux agriculteurs pratiquant le mêmesystème de culture pourront cependantbénéficier de prix très différents

Prenons l’exemple de deux agriculteurs qui ven-dent leur café à deux époques différentes. Le pre-mier des deux vend toute sa production justeaprès la récolte au prix le plus bas (150 Fcfa/kg)car il a besoin d’argent rapidement. Le secondpossède un hangar de stockage et peut conser-ver son café plusieurs mois avant de le vendre àun prix bien supérieur (225 Fcfa/kg). Nous com-parerons les productions de ces deux agricul-teurs sur la base de leur rendement, mais, en ce

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qui concerne les résultats économiques, nousdevons tenir compte de deux prix différents aumoment de la vente, de façon à tenir compte del’intérêt économique que représente la possessiond’un hangar. L’agriculteur qui stocke le café avantde le vendre aura inévitablement des pertes liéesau stockage, pertes que nous devons évaluer etintégrer dans les calculs. Il est également né-cessaire d’estimer le coût de construction du lieude stockage et son amortissement (cf. plus loinl’analyse des systèmes de production et le calculdes amortissements économiques).

➤ Les prix des sous-produits agricoles

Les participants devront identifier également l’en-semble des sous-produits (résidus de récolte,bois, etc.) ; on peut repérer leur usage et, si né-cessaire, chiffrer leur volume et leur valeur éco-nomique. Il n’est pas forcément utile de quanti-fier tous les sous-produits ; cela dépend de leurdestination : les résidus du maïs, s’ils sont brû-lés sur la parcelle, ne sont pas quantifiés. Onprend en compte la valeur économique de lapaille du riz dans le calcul du produit brut, sielle est vendue à des éleveurs ou consomméepar des animaux de l’exploitation (car l’agricul-teur devrait l’acheter s’il n’en disposait pas).

➤ Le calcul du produit brut

Le produit brut (PB) correspond à la valeur deproduction, c’est-à-dire aux quantités produitesmultipliées par le prix unitaire de chaque pro-duction.

PB = production x prix unitaire

Cependant, ce calcul ne s’effectue pas de la mêmefaçon suivant qu’on évalue une culture, une as-sociation de cultures ou un système de culture.

Pour une association de cultures

PB = Σ14 productions x prix unitaire de chaqueproduit

Exemple : PBtotal = (quantité riz récolté x prix riz)+ (quantité maïs récolté x prix maïs) + (quantitégombo récolté x prix gombo) + (quantité bois ré-colté x prix bois)

Pour un système de culture (en tenant compte dessuccessions culturales). D’une manière générale,l’évaluation économique d’un système de cul-

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

75

ture doit tenir compte de l’ensemble des cultu-res ou associations de cultures intervenant dansla rotation :

PB = [Σ (productions x prix unitaire de chaqueproduit)parcelle 1 du SC1 + Σ (productions x prix uni-taire de chaque produit)parcelle 2 du SC1 + ... +Σ (productions x prix unitaire de chaque pro-duit)parcelle n du SC1] / (nombre de parcelles de l’as-solement)

Ce calcul s’interprète donc comme la moyennedes produits bruts des cultures se succédant surune parcelle sur plusieurs années, ou comme lamoyenne des produits bruts des parcelles de l’as-solement correspondant pour une année. C’estdonc une moyenne d’années pour une parcelleou une moyenne de parcelles pour une année.

Remarquons que dans le cas d’une rotation decultures et de jachères ou de friches, les parcel-les en jachère ou en friche doivent être prises encompte dans le calcul ; leur production est nulle,mais l’année de friche ou la parcelle en frichedoivent être comptabilisées au moment de fairela moyenne. Il est en effet indispensable de dispo-ser d’une parcelle en friche pour obtenir les ren-dements que l’on obtient sur la parcelle cultivée.

Ainsi, dans le cas d’une rotation de maïs et d’unejachère de deux ans, le produit brut moyen d’unhectare concerné par la rotation est :

PB = (production de maïs/ha) x (prix unitaire dumaïs) / 3

Avec le produit brut, nous avons évalué la va-leur de la production, mais il convient de teniraussi compte de ce qu’il a été nécessaire deconsommer pour obtenir cette production…

Les consommations intermédiaires

On définit les consommations intermédiairescomme l’ensemble des biens et services qui sontintégralement détruits au cours d’un cycle deproduction.

Pour une culture, lorsque l’on parle de « biens »,il s’agit des semences, des plants (s’ils sont ache-tés), des engrais, des pesticides, du carburant,etc. Les « services », quant à eux, correspondentaux travaux que l’agriculteur ne sait pas réaliserlui-même faute de savoir-faire, de technicité : legreffage par exemple sur une plantation pérenne,les soins vétérinaires sur un élevage, etc.14 Σ = symbole de la « somme ».

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Dans le cas très fréquent où les semences utili-sées sont auto-produites (conservées de la ré-colte précédente), il convient également de leuraffecter une valeur monétaire car l’agriculteuraurait dû les acheter (à leur prix à l’époque dessemis) s’il ne les avait pas conservées.

Remarques :

➤ À ce stade de l’analyse, certains coûts n’ontpas été pris en compte. Il s’agit tout d’abord del’amortissement économique du matériel utilisé(« l’usure du capital fixe »). Mais ce matériel serten général à tous les travaux de l’exploitation fa-miliale, et son usure ne peut donc pas facilementêtre affectée à tel ou tel système de culture. Cecoût sera pris en compte à une autre échelle d’a-nalyse, celle du système de production (voir suite).

Cas particulier : imaginons un agriculteur quiutiliserait une houe sur le système de culture àbase de riz pluvial au point que la houe seraitentièrement usée par le travail de cette parcelle.Nous pouvons donc affecter cet outil dans lesconsommations intermédiaires du système deculture à base de riz pluvial, puisque l’outil est« détruit » au cours d’un cycle de production.

➤ De même, les coûts de main-d’œuvre n’ont pasété déduits (journées de travail payées à autruipar exemple). Ils seront eux aussi pris en compteau niveau du calcul du revenu de l’agriculteur.

Pour une parcelle :

CI = Σ biens x prix unitaire de chaque bien +Σ services x prix de chacun d’eux

(On ne peut affecter les engrais à une seule cul-ture dans une association, on les calcule doncpour l’association de cultures).

Si l’agriculteur « gagne » la valeur de sa pro-duction (évaluée par le produit brut), il « perd »la valeur de ses consommations intermédiaires.L’évaluation économique d’un système de culturesuppose donc de calculer la différence entre cesgains et ces pertes de valeur, pour évaluer la va-leur qui a été ajoutée par l’agriculteur…

Le calcul de la valeur ajoutée brute

La valeur ajoutée brute ou VAB est constituée duproduit brut diminué des consommations inter-médiaires :

VAB = PB – CI

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

76

La valeur ajoutée brute correspond à la diffé-rence de valeur entre ce que l’agriculteur achèteou consomme pour produire et ce qu’il vend (ouconsomme) après le processus de production.Cette différence de valeur correspond donc à lavaleur qu’il a ajoutée par son travail. Il s’agit doncde la mesure de la richesse produite par l’agri-culteur.

Comme dans le cas du produit brut, on peut éva-luer la VAB pour une culture ou une associationde cultures, mais aussi pour un système de cul-ture incluant plusieurs cultures dans une rotation.

Notons que dans le cas d’une association de cul-tures, il est généralement difficile de calculer laVAB pour chacune des cultures prises séparé-ment, l’affectation des consommations intermé-diaires comme l’engrais à telle ou telle cultureétant impossible. On ne calcule donc que la VABtotale de l’association.

Dans le cas d’un système de culture avec rota-tion, la VAB s’obtient de la même façon que leproduit brut :

VABdu SC = VABparcelle 1 du SC + VABparcelle 2 du SC

+…+ VABparcelle n du SC / (nombre de parcelles del’assolement)

Avec VABparcelle 1 du SC =PBparcelle 1 du SC – CIparcelle 1 du SC

Soit : [Σ (productions x prix unitaire de chaqueproduit)parcelle 1 du SC – Σ (quantités d’intrants xprix unitaire de chaque intrant)parcelle 1 du SC

Pour un système de culture basé sur une rotation,c’est bel et bien l’évaluation de l’ensemble dusystème, suivant cette formule, qui est la plus per-tinente. En effet, si l’on évalue la culture présentesur l’exploitation au moment de l’enquête, toutecomparaison devient fausse. Ainsi, supposonsune rotation maïs-arachide pratiquée par deuxagriculteurs : au moment de l’enquête, le premieragriculteur cultive du maïs sur sa parcelle, alorsque le second cultive de l’arachide. L’évaluationéconomique des simples cultures du moment feraapparaître une différence entre ces deux agricul-teurs qui, pourtant, font exactement la mêmechose. Ce problème disparaît si l’on évalue le sys-tème de culture et non une culture.

Il est cependant utile de réaliser les deux études,de façon à évaluer l’importance économique des

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différentes cultures dans les performances fina-les d’un système.

Remarque : La valeur ajoutée correspondant à larichesse créée au cours du processus de produc-tion, il convient de ne pas y intégrer les salairesversés aux travailleurs, ces salaires correspondantdavantage à la répartition de cette richesse.

Cependant, pour certains systèmes de culture, ilpeut exister des pointes de travail telles qu’il estindispensable que l’agriculteur embauche ponc-tuellement des ouvriers temporaires pour y faireface. Cette situation s’est présentée dans le cadrede cette étude avec la récolte du café et du cacao.Il a alors été utile de calculer la marge brute quicorrespond à la valeur ajoutée brute de laquelleon déduit les salaires des ouvriers temporaires :

MB = VAB – salaires des ouvriers temporaires

De la même façon qu’on ne peut comparer le tra-vail demandé par deux systèmes de culture qu’enle ramenant à la surface, la comparaison des per-formances économiques suppose de comparerdes valeurs comparables. Il est donc nécessairede ramener la valeur ajoutée brute à la surface.

La valeur ajoutée brute par unité de surface

VAB totale pour une culture / unité de surfacede cette culture

Cette variable nous permet de comparer des cul-tures, des associations de cultures ou des systè-mes de culture en termes de richesse produite parunité de surface. Elle traduit souvent le caractèreplus ou moins intensif du système de culture.

Parfois appelé « productivité de la terre », cet in-dicateur permet de comparer l’efficacité des sys-tèmes de culture, en particulier dans les situa-tions de pénurie foncière, c’est-à-dire quand laterre est un facteur limitant : lorsqu’un agricul-teur dispose de très faibles surfaces, son intérêtest de pratiquer des systèmes de culture valori-sant au mieux cette terre qui lui fait défaut, c’est-à-dire qui produisent une forte VAB par hectare.

Cependant, lorsqu’un agriculteur travaille lui-mêmesur son exploitation avec sa famille, son intérêt estavant tout de valoriser au mieux sa force de tra-vail, de choisir les systèmes de culture assurantune production de richesse élevée sans nécessiterun travail trop important. Ainsi, si les surfaces nesont pas trop limitées, un agriculteur familial aura

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

77

peu intérêt à accroître la VAB/ha si cela nécessitebeaucoup de travail. Son intérêt sera plutôt de choi-sir des systèmes offrant une bonne production derichesse par rapport au travail investi, des systè-mes à forte productivité du travail.

La productivité brute du travail

Il est ainsi utile de ramener la VAB des systèmesde culture au travail nécessaire :

VABtotale pour une culture (une association ou un système de

culture) / Temps de travail totalsur cette culture (ou as-

sociation ou système de culture)

Cette productivité du travail correspond donc àla création de richesse obtenue pour chaquejournée de travail qui est consacrée à un systèmede culture donné. Ce critère permet de compa-rer ce que « rapporte » en termes de créationbrute de richesse une journée de travail consa-crée à tel ou tel système de culture.

Quelques affiches présentéeslors des cinquième et sixième jours :lecture critique et commentaires

C’est à travers différents cas rapportés par les étu-diants lors des cinquième et sixième jours de l’é-tude que nous analyserons les principaux systè-mes de culture rencontrés dans la région.Attention, les affiches présentées, en particulierles chiffres avancés, n’ont pas valeur de véritéabsolue, un certain nombre d’erreurs commisespar les étudiants sont soulignées et corrigées dansla mesure du possible par l’équipe d’encadrants,mais certaines peuvent demeurer.

●● Les systèmes de culturebasés sur les cultures vivrières

Comparaison de deux systèmes de culturerizicole de bas-fond (affiches de participantset commentaires)

Cf. l’illustration 18 « Affiches des étudiants sur lessystèmes de culture. Comparaison d’un champinondé et d’un champ de riz pluvial », répartieen trois illustrations : 18A page 78, 18B page 79et 18C page 79.

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Caractérisation et évaluation économ

ique des systèmes de culture

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ILLUSTRATION 18 : Affiches des étudiants sur les systèmes de culture. Comparaison d’un champ inondé et d’un champ de riz pluvial.

ILLUSTRATION 18A : Parcellaire et succession de cultures

Les deux affiches présentent le parcellaire des deux champs étudiés.Celui de gauche montre les aménagements hydrauliques : casiers rizicoles etcanaux. Celui présenté ci-dessous n’indique pas d’aménagement ; seul unruisseau coule au milieu de la parcelle.

La superficie de l’ensemble des casiers cultivés en riz est de 860 m2, soit 0,086 hectares.

La parcelle cultivée en riz pluvial représente 5 600 m2, soit 0,56 hectares.

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Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

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ILLUSTRATION 18B : Comparaison d’un champ de riz inondé et d’un champ de riz pluvial :calendrier des travaux agricoles

ILLUSTRATION 18C : Comparaison d’un champ de riz inondé et d’un champ de riz pluvial :calculs de la VAB par surface et de la productivité du travail

Parcellede riz inondétotalisant 133hommes/jour

de travailpour 860 m2

(2 cycles/an)

Parcellede riz pluvialtotalisant 159hommes/jour

de travail pour0,56 hectares

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➤ L’assolement

Sur la représentation des deux types de champs,les associations et successions culturales sont in-diquées par les symboles suivants :

R / R // R / R signifie un premier cycle de riz dansl’année, suivi d’un second, et répétition de cettesuccession la seconde année.

Sur l’affiche suivante, R + M / M // R + M / M // Fsignifie : la première année, le riz est planté enassociation avec le maïs pendant le premier cyclede culture, le deuxième cycle de la même annéeétant réservé au maïs. L’année suivante, nousavons la même association et succession. En troi-sième année, la parcelle est mise en friche.

Il manque cependant une donnée pour que lerapport entre le dessin des parcelles dans l’espace(assolement) et les successions-types soit mis enévidence : la durée de la friche, friche qui auraitdu être représentée sur le dessin.

Imaginons comment représenter l’assolementdans ce cas précis en supposant que l’on est face

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

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à une friche de deux ans : si l’agriculteur sou-haite renouveler son système de culture tous lesans (c’est le cas en général), il aura besoin dequatre fois la surface élémentaire (autant que lenombre d’années sur lequel tournera le système)(cf. l’illustration 19 ci-dessous).

➤ Le calendrier des travaux, commentaires

Placer au-dessus du calendrier des travaux agri-coles un diagramme pluviométrique donne uneplus grande lisibilité au schéma, et permet defaire le lien direct entre les saisons sèches et plu-vieuses et les opérations culturales ; on com-prend ainsi plus rapidement le choix des agri-culteurs dans l’enchaînement des travaux.

Avec ce type de représentation, il est aisé de com-parer les travaux demandant le plus de travaild’un système à l’autre, encore faut-il ramener lestemps de travaux à l’hectare, ce qui n’a pas étéfait. Attention, les temps de travaux pour chacunedes opérations culturales ne sont pas propor-tionnels à la surface (par exemple le gardiennage).

ILLUSTRATION 19 : Assolement possible à partir d’une friche de deux ans

Si l’on suit d’une annéesur l’autre la parcelleencadrée en rouge,on note la successionsuivante :

Riz maïs / maïs 1puis

Riz maïs / maïs 2puis

Friche année 1puis

Friche année 2

Rotation culturale sur une friche de 2 ans ;le cycle tourne sur 4 années et sur 4 parcellesdistinctes matérialisées par des quarts de cercle.

Riz maïs / maïs

Année 1

Riz maïs / maïs

Année 2

Friche 1Friche 2

Année 1

Année 2

Année 3

Année 4

Riz maïs / maïs

Année 1

Riz maïs / maïs

Année 1

Riz maïs / maïs

Année 1

Riz maïs / maïs

Année 2

Riz maïs / maïs

Année 2

Riz maïs / maïs

Année 2

Friche 2

Friche 2

Friche 2

Friche 1

Friche 1

Friche 1

P2

P1

P2P1

Page 81: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Il faut envisager chaque opération l’une aprèsl’autre et non pas faire un calcul global.

Enfin, d’après le calendrier, les temps de travauxlors du second cycle de culture seraient iden-tiques à ceux du premier cycle, à un jour près.Cela est très improbable, pour plusieurs raisons,la plus élémentaire étant qu’à des époques del’année différentes, la gestion de l’eau est diffé-rente… Les travaux effectués sont donc diffé-rents. Il est également probable que lors du se-cond cycle de culture, la préparation du sol auraété plus rapide, le sol ayant été travaillé peu detemps auparavant et l’envahissement par les ad-ventices étant moindre.

En répartissant les jours de travail nécessairespour chaque opération culturale sur un calen-drier, on est en mesure d’identifier des périodesde pointes de travail.

Ainsi, lorsque l’on compare les deux systèmesde culture sur la base de temps de travaux, legardiennage des récoltes est l’opération la plusexigeante en temps pour le système « riz inon-dé », et les opérations de désherbage et de gar-diennage pour le système « riz pluvial-maïs ».

Remarque : le gardiennage semble très exigeanten temps de travail (60 jours sur un ensemble de133, pour à peine un dixième d’hectare en riz àdeux cycles, et 40 jours sur un total de 159 pour0,56 hectare, du second système de culture).Doit-on comptabiliser toutes ces journées de« travail » ? Oui, puisque pendant toute la duréede cette opération, une personne est mobiliséeet ne peut fournir un autre travail ailleurs. C’estlà une question de coût d’opportunité du tra-vail15 : cet agriculteur a-t-il plus intérêt à sur-veiller sa récolte que d’aller travailler sur un autresystème de culture ? En réalité, le coût d’oppor-tunité du travail pour cette opération culturaleest énorme, puisque si l’agriculteur ne garde passon champ, il risque de le voir dévasté par lesoiseaux, ce qui annihilerait tous les efforts four-nis pendant les jours de travail précédents. End’autres termes, tout son travail et du même coup

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

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l’argent qu’il pourrait en tirer, serait perdu, laperte étant donc considérable.

Pour une opération culturale comme le désher-bage dans le système de culture à base de rizpluvial et de maïs, si cette opération n’est pasréalisée, l’agriculteur aura de moins bons ren-dements peut-être, mais il ne perdra pas tout lefruit de son travail, le coût d’opportunité est doncmoindre dans ce cas précis.

De plus, toutes les opérations culturales n’ontpas la même exigence dans le temps. Par exem-ple, un désherbage peut être décalé dans le tempsde quelques jours, voire de quelques semaines.Par contre, la récolte peut être perdue si l’agri-culteur ne fournit pas à ses plants l’eau dont ilsont besoin au bon moment. De même, la récoltedu riz doit se faire à un moment précis, sans quoiune partie de la récolte peut tomber au sol ouse gâter sur pied.

À ce stade de l’étude, il est déjà possible d’ana-lyser la façon dont différents systèmes de culturesont combinés au sein d’une exploitation. Lespointes de travail se situent-elles aux mêmes pé-riodes ? En d’autres termes, y a-t-il concurrencepour les temps de travaux ?

Il faut tenir compte de tout cela lorsqu’on ana-lyse le calendrier cultural d’un agriculteur. L’ob-jectif pédagogique est d’amener les participantsà bien comprendre ce qu’est un système de cul-ture, et à acquérir ces différentes notions afin decommenter, critiquer leurs résultats, tant sur unplan agronomique qu’économique.

➤ Les résultats économiques

Cf. l’illustration 18C page 79.

La troisième affiche récapitule les principaux ré-sultats économiques des deux systèmes de cul-ture précédents, tels qu’ils ont été présentés parun groupe de participants au soir du sixième jour.Le riz est vendu en sac de 80 kg à 100 Fcfa le kilo-gramme et les étudiants ont multiplié le résultatpar deux parce qu’il y a deux cycles de cultu-res… Ils n’ont pas demandé à l’agriculteur si lesrendements étaient différents pour le secondcycle, alors qu’il est fort probable pour plusieursraisons (pluviométrie différente, baisse de la fer-tilité, etc.) qu’ils soient plus faibles…

15 Le coût d’opportunité d’une ressource correspond à cequ’elle rapporterait dans l’utilisation la plus rémunératriceparmi toutes les alternatives réalisables (Dictionnaire éco-nomique et social, J. Brémond et A. Gélédan, Hatier).

Page 82: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Caractérisation et évaluation économ

ique des systèmes de culture

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ILLUSTRATION 20 : Itinéraires techniques des systèmes de culture vivrière et maraîchère, VAB/ha et productivité brute du travail

Page 83: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Les consommations intermédiaires dans les deuxcas sont les semences, l’agriculteur n’utilisant niengrais, ni produits phytosanitaires.

Rappelons que dans le cas du riz inondé, 133hommes/jour pour 860 m2 n’équivalent pas à1 540 hommes/jour par hectare, tout simplementparce que certaines opérations culturales ne sontpas proportionnelles à la surface de la parcelle :un individu peut aussi bien protéger contre les oi-seaux une surface de 1 hectare qu’une surface de0,086 hectare.

Comparons les rendements du riz pluvial et ceuxdu riz irrigué. Le résultat obtenu (2,8 tonnes/hapour le riz irrigué et 3 tonnes/ha pour le riz plu-vial) est surprenant. On s’attend à un rapport in-verse, la densité de repiquage étant en général su-périeure à celle du semis à la volée. D’autantplus que le riz pluvial est associé au maïs, ré-duisant encore la densité de semis du riz. Cesdonnées sont donc à vérifier.

Sur le cycle riz pluvial, on peut se demander pourquelle raison l’agriculteur fait un second cyclede maïs, sans y associer une nouvelle fois le riz.

Pour répondre à la première question, il suffit dese remémorer le prix de vente du maïs lors dusecond cycle, 200 Fcfa contre 145 Fcfa à l’issuedu premier cycle. La « rareté » toute relative dumaïs fin septembre en augmente le prix. Dès lors,on comprend l’intérêt que porte l’agriculteur ausecond cycle de maïs.

Synthèse sur les systèmes de cultureà base de vivrier

Les systèmes de culture à base de maïs-riz ou maïs-arachide sont les plus fréquents dans la région.

En général, on n’installe pas de cultures vivriè-res seules après une friche de longue durée, caron profite du potentiel de fertilité de ces parcel-les pour installer des plantations. Dans ce cas,même si le vivrier est associé pendant les pre-mières années après la plantation, nous ne pou-vons pas vraiment parler de champs vivriers. Engénéral, les cultures vivrières ne bénéficient dela fertilité que de friches courtes. Ainsi, le travailde défriche est réduit par rapport à celui de l’im-plantation d’une caféière.

Après la défriche et le brûlis, le sol est retournéà l’aide d’une houe et le semis du maïs se fait

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

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en poquet de deux ou trois graines, celui duriz a lieu à la même époque à la volée, ainsi quecelui de l’arachide. Pour l’association riz-maïs,le riz est semé à la volée après le travail du sol,le semis est suivi ou non d’un houage. Le maïsest semé une semaine plus tard, toujours enpoquet.

L’entretien de la parcelle correspond surtout audésherbage qui a lieu une fois ou deux en fonc-tion de l’envahissement des adventices, environun mois ou un mois et demi après le semis.

Dans la perspective de la restitution aux villa-geois des travaux du séminaire, les principauxsystèmes de culture rencontrés dans la régionont été représentés sur les fresques (cf. l’illustra-tion 20 page ci-contre) détaillant le calendrierdes opérations.

Cette façon de représenter un calendrier agricolen’est pas des plus précises pour comparer lestemps de travaux, mais c’est certainement la plusexplicite pour les agriculteurs. Elle facilite la com-préhension de la démarche suivie par les étu-diants pour analyser leurs pratiques culturales.

En effet, chaque individu schématisé symboliseune opération culturale. Pour chacune d’entreelles, le nombre « d’hommes/jours » de travailnécessaire est indiqué. En fin d’année, le cumuldes jours de travail sur un système de culturenous donne le temps de travail total nécessaireen « hommes/jours ». Les opérations culturalessont calées dans le temps, la trame représentantun calendrier.

Au-dessus de la fresque sont représentés les in-trants des systèmes de culture et au-dessous lesproductions. On en déduit la valeur ajoutée brute(VAB) que l’on rapporte à la surface ou au nom-bre « d’hommes/jours » nécessaires sur la duréedu cycle.

●● Les systèmes de cultureà base de plantes pérennes

Exemples présentés par les participantsau soir des cinquième et sixième jours

➤ La phase d’installation d’une plantation

Cf. les illustrations 21A (page 84), 21B (page 85),21C (page 86) et 21 D (page 88) qui constituent

Page 84: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

les affiches des étudiants sur les systèmes de cul-ture pérenne.

L’affiche illustre l’installation d’une plantationde cacao, en détaillant les opérations culturalessur les trois premières années (cf. illustration 21Aci-dessous). Le tout est positionné sur un calen-drier. Ce tableau fourmille d’informations, et cegenre de représentation peut être utile lorsqu’onfait des enquêtes pour se remémorer successi-vement toutes les étapes.

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

84

Les symboles employés par les étudiants : F5-10// I+B+T+C+M // T+B+C+m+A // B+C+T //B+C+T signifie qu’une friche de 5 à 10 hectaresa été abattue pour y installer de l’igname, asso-ciée à des bananiers, du taro, du cacao et dumanioc.

L’année suivante sur cette même parcelle, l’a-griculteur avait toujours le taro, les bananiers etle cacao plantés l’année précédente, l’ignameet le manioc ayant été remplacés par le maïs et

ILLUSTRATION 21A : La phase d’installation : itinéraire technique

Page 85: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Caractérisation et évaluation économ

ique des systèmes de culture

85

ILLUSTRATION 21B : La phase d’installation : quantité de travail et résultats économiques

Page 86: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

86

ILLUSTRATION 21C : Calendrier de travail pour une plantation de cacao en phase de production

Page 87: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

l’arachide. Puis, les années suivantes sur la mêmeparcelle, on ne trouvait plus que les cacaoyers,les bananiers et le taro.

La suite des affiches du même groupe (cf. l’illus-tration 21B page 85) montre comment les étu-diants ont calculé la valeur ajoutée brute sur lapremière année (calcul non complet) et sur laquatrième année, lorsque le cacao commenceà produire. On remarque les deux productionsdifférentes de cacao et les deux prix de ventedifférents également, le prix variant en fonctiondu moment dans l’année. Pour la « petite traite »,le prix au kilogramme est de 300 Fcfa, et pour la« grande traite » de 450 Fcfa. En année « nor-male », on pourrait s’attendre à un rapport in-versé, la rareté du produit pendant la petite ré-colte en faisant augmenter le prix.

Il se trouve que cette année est un peu excep-tionnelle, puisque les agriculteurs ont vu le prixglobal augmenter. On peut donc s’attendre à ceque le prix de vente pour la petite récolte decette année soit plus élevé que 450 Fcfa/kg.

➤ Plantation en cours de production

La troisième affiche (cf. l’illustration 21C page86) présente le calendrier de travail d’une plan-tation de cacao en phase de production. Cetteaffiche présente de deux façons différentes le ca-lendrier des travaux agricoles. La première re-présentation, si elle est explicite, ne permet pasde représenter les périodes de plein emploi etles périodes creuses. Pour cela, la seconde re-présentation est plus claire.

Pour plus de clarté, il convient de préciser quelleest la superficie de la plantation, les temps de tra-vaux (en homme/jour) devant être référencés parrapport à une surface donnée. Il s’avère après dis-cussion qu’il s’agit d’une plantation de 1 hectare.

Enfin, la quatrième affiche (cf. l’illustration 21Dpage 88) présente la courbe d’évolution de laproduction d’une plantation de cacao de 26 anstelle qu’elle a pu être reconstituée par enquêteauprès des producteurs. Cette courbe nous sug-gère qu’il faudrait près de 25 ans pour que la ca-caoyère atteigne la phase de pleine production.Cela semble bien sûr exagéré, et de nouvellesenquêtes doivent préciser ce point.

(En 1994, un incident entraîne une baisse demoitié du rendement : l’agriculteur manque de

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

87

main-d’œuvre pour entretenir la plantation, ceciest lié au départ de ses abusans).

Malgré la grande diversité des plantations de caféet cacao dans la région et les différentes modali-tés de leur installation, seuls trois cas ont été des-sinés sur la fresque présentée aux agriculteurs lorsde la restitution : l’installation d’une plantationsur précédent forêt (ou friche arborée à caféiers),une plantation de cacao « en vitesse de croisière »et une plantation mixte de café-cacao en vitessede croisière (cf. l’illustration 22 page 89).

Difficultés particulières liées à l’étudedes systèmes de culture pérenne

Les systèmes de culture à base de plantes pé-rennes étaient de loin les plus difficiles à étudier,ceci étant dû au fait que la mise en place d’uneplantation nécessite plusieurs années pendantlesquelles les agriculteurs associent des culturesvivrières. Cette pratique a pour avantage de tirerprofit de la terre alors que les plants de cacaone produisent pas encore et donc ne procurentpas de revenu. Cette pratique culturale présenteégalement l’avantage d’économiser le travail ;les travaux de nettoyage et désherbage, buttage,profitent aux deux cultures en même temps.

Ainsi, on considère que la mise en place d’uneplantation varie de trois à quatre ans. À titred’exemple, nous présentons ci-dessous la suc-cession des opérations culturales caractéristiquesde l’installation d’une plantation de cacao surfriche de longue durée.

➤ Succession des opérations culturaleslors de la première année

● Défriche-brûlis : la parcelle est défrichée en-tièrement ou en partie ; en effet, quelques grandsarbres ne sont pas abattus, et ce pour plusieursraisons :

− l’effort que demande leur abattage est trop im-portant ;

− certaines essences présentent une bonne valeurmarchande et peuvent constituer une épargne ;

− conserver un minimum d’ombrage limite lapression des adventices au cours des premiè-res années sans gêner les jeunes plants ;

− par leur enracinement profond, ces grands ar-bres participent à la reproduction de la fertilitéet certaines essences sont des légumineuses.

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Caractérisation et évaluation économ

ique des systèmes de culture

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ILLUSTRATION 21D : Estimation de la production et résultats économiques d’une plantation de cacao

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Caractérisation et évaluation économ

ique des systèmes de culture

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ILLUSTRATION 22 : Itinéraires techniques des systèmes de culture à base de plantes pérennes, VAB/ha et productivité brute du travail

Page 90: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Branches, feuilles et troncs sont rassemblés aprèsavoir été séchés, et sont brûlés juste avant la sai-son des pluies, de telle sorte que les élémentsminéraux issus des cendres profitent au mieuxaux cultures qui suivront. La friche de longuedurée et le brûlis contribuent ainsi à régénérerla fertilité du sol.

L’opération de défriche-brûlis est l’une des plusexigeantes en énergie et en temps (cela repré-sente quasiment un quart du temps de travailtotal sur la parcelle pendant une année) ; cer-

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

90

tains planteurs font appel à de la main-d’œuvresalariée souvent occasionnelle pour réaliser ladéfriche-brûlis. Le temps passé pour réaliser cetteopération culturale est en rapport avec l’âge dela friche. La défriche et le brûlis sont réservésaux hommes en raison de l’effort physique consi-dérable qu’ils demandent.

● Travail du sol : la première année après la dé-friche-brûlis, des buttes de terre sont formées surla parcelle ; cendres, morceaux de charbon etadventices sont réunis au centre de la butte. L’en-

ILLUSTRATION 23 : Régénération de la fertilité d’un sol par une forêt ou une friche arborée

Lorsque la forêt estabattue et brûlée,les éléments minérauxsont restitués à lasurface du sol etprofitent aux culturesavenantes.

Na+

NO3-

NH4+

K+PO4-

Cl-Ca++

Une forêt, grâce au réseau racinaire dense ettrès développé des arbres, puise les élémentsminéraux profondément dans le sol.

Ces éléments sont de cette manière,remontés à la surface. Branches et feuillesmortes tombent au sol formant une litièreriche en matière organique et en élémentsminéraux (fixés par les colloïdes du sol).

Na+NO3-NH4+

K+

PO4-

Cl- Ca++

Page 91: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

semble est enfoui par un grattage de la couchesuperficielle du sol tout autour de la butte.

L’intérêt d’une telle pratique est avant tout deconcentrer la fertilité sur une petite surface, fer-tilité dont bénéficient au mieux les tuberculesd’igname. Cela ameublit et aère également lesol sur environ quarante centimètres de profon-deur : un sol trop compact entraverait le déve-loppement des tubercules. Enfin, pendant despériodes de pluie trop longues, le ressuyage estplus rapide, ce qui évite les problèmes d’hydro-morphie (stagnation de l’eau pendant et aprèsles pluies).

Ce sont encore les hommes, qui, dans la plupartdes cas, réalisent ce travail du sol.

● Plantation, semi : les semenceaux d’ignamesont coupés en morceaux, disposés dans un trousitué sur la partie sommitale de la butte et re-couverts de terre. Cette opération a lieu dans lecourant du mois d’avril. Entre les buttes, on placede jeunes plants de café ou de cacao provenantde pépinières et déjà âgés de deux ans. À chaqueplant de cacao, on associe un ou des rejets de ba-naniers. Le bananier doit protéger les plants decafé et de cacao du soleil pendant les trois ouquatre premières années. Entre les buttes, onplace également du taro ainsi que du maniocqui resteront en terre jusqu’à l’année suivante.Les agriculteurs n’hésitent pas à installer dansles espaces disponibles d’autres plantes commele gombo, le piment, l’aubergine, l’ananas, etc.

● Désherbage-buttage : la plantation est désher-bée une à deux fois par an. Le second désher-bage est souvent accompagné d’un sarclage etbuttage de l’igname, les agriculteurs rassemblentautour du plant la terre qui glisse avec la pluie,afin que les tubercules en croissance ne voientpas la lumière. Le positionnement de ces opé-rations culturales dans le calendrier dépend sur-tout de l’état d’enherbement de la parcelle.

● Récolte de l’igname : elle est récoltée huit àneuf mois après avoir été mise en terre, c’est-à-dire, au mois de janvier l’année suivante. Cer-tains agriculteurs récoltent l’igname deux foispar an : la première fois en août, on déterre alorsseulement une partie des tubercules, et la se-conde fois en novembre, tous sont prélevés. Lestubercules d’igname récoltés sont placés sur une

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

91

planche ou attachés les uns aux autres pour êtrevendus, l’ensemble formant une corde. Une cordecompte une vingtaine de tubercules.

La récolte et l’entretien de la parcelle (le dés-herbage et le buttage) sont réalisés par les fem-mes en général.

Cf. l’illustration 24 : associations de cultures lorsdes deux premières années de l’installation d’unecacaoyère, page 92.

➤ Succession des opérations culturalesla seconde année

En mars de l’année suivante, les buttes d’igna-mes, déjà effondrées en raison de la récolte, sontarasées ; les adventices sont arrachées et brûléesquelques jours plus tard. Il reste alors sur la par-celle les plants de manioc, de taro, les bananierset les jeunes plants de cacao.

L’arachide est mise en terre juste après le travaildu sol, et le maïs est semé en poquets de deux outrois plants. L’arachide, lorsqu’elle a grandi, re-couvre entièrement le sol ; les plants de maïs sontpar contre très espacés (tous les deux à trois mè-tres), afin qu’ils n’ombragent pas trop l’arachide.

« Corde d’igname ».

Nic

olas

Fer

rato

n

Page 92: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

92

ILLUSTRATION 24 : Étapes de la plantation d’une cacaoyère

Cacaoyer

Bananier

Igname

Cacaoyer

Bananier

Arachide

Manioc

Maïs

Le désherbage a lieu un mois après le semis, onélimine les adventices afin qu’elles ne gênent nil’arachide ni le maïs dans leur croissance.

La seconde année, les travaux d’entretien (dedésherbage) sont plus importants en raison d’unrecrû d’adventices plus important que la pre-mière année après la défriche.

L’arachide est récoltée et débarrassée des fanessur la parcelle, toute la famille participe à la ré-colte, y compris les enfants en bas âge. Le maïsest récolté une à deux semaines plus tard.

Dans la même période, les agriculteurs récoltentle manioc et le taro, mis en terre plus d’une annéeauparavant. Ces récoltes sont étalées dans le

Première année de plantation

Deuxième année de plantation

Page 93: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

temps, en fonction des besoins alimentaires oudes besoins pécuniaires, puisque les tuberculescontinuent de croître une année de plus. De lamême façon que pour l’igname, il arrive que tousles tubercules sur une plante ne soient pas ré-coltés en une seule fois.

➤ Succession des opérations culturalessur une plantation en production

● Entretien : un désherbage a lieu en juin-juilletet un second fin août. Ce travail est réservé auxabusans lorsqu’ils travaillent dans une planta-tion. Pendant le désherbage, les planteurs recè-pent16 également les caféiers, ils taillent et égour-mandent17 caféiers et cacaoyers, et remplacentles arbustes morts, selon la même technique quelors de la mise en place d’une plantation. Leplant mort éliminé, une trouée de lumière per-met à l’agriculteur de faire quelques buttes, plan-tées en igname. Autour, on dispose du taro, dumanioc, et un jeune plant de café ou de cacao.Une façon d’utiliser tout l’espace disponible.

● Récolte du cacao : la grande récolte (la grandetraite) s’étale de fin août à décembre, mois pen-dant lesquels en fonction de l’arrivée à maturitédes fruits, on récolte une à deux fois par mois. Lapetite récolte a lieu en mai-juin et nécessite moinsde travail en raison de la faible quantité de ca-bosses récoltées.

Une fois récoltés, les fruits sont écabossés18 surle champ (les cabosses sont laissées dans la par-celle), et les fèves sont transportées au village etmises à fermenter dans un récipient recouvertde feuilles de bananiers, pendant un ou deuxjours. Les fèves sont ensuite étalées sur une dalleen béton ou de terre battue pendant une à deuxsemaines. Cette opération nécessite la présenced’une personne car en cas d’orage, la récoltedoit être rapidement mise à l’abri.

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

93

Comparaison des résultatséconomiques des principauxsystèmes de culture étudiés

L’affiche de synthèse, préparée par les étudiantspour la restitution organisée le dernier jour pourles villageois (cf. l’illustration 22 « Itinérairestechniques des systèmes de culture à base deplantes pérennes, VAB/ha et productivité brutedu travail », page 89), permet de comparer lesprincipaux systèmes de culture rencontrés dedeux points de vues différents : celui de la ri-chesse créée par unité de surface d’une part (laVAB/ha) et celui de la productivité brute du tra-vail d’autre part (VAB/journée de travail).

Les productions et les temps de travaux sont es-timés à partir des données issues de plusieursenquêtes, et ils sont cumulés lorsqu’il y a plu-sieurs cycles de cultures dans une année.

Cf. l’illustration 25 sur la VAB par hectare et laproductivité brute du travail, page 94.

Récolte de l’arachide.

Nic

olas

Fer

rato

n

16 Le recépage est une opération qui vise à couper toutesles branches de l’arbuste en ne laissant que la base dutronc, afin de favoriser le développement de jeunes pous-ses de la base.

17 L’égourmandage est l’opération consistant à supprimerles rejets partant de la base du tronc qui épuisent l’arbre.

18 L’écabossage consiste à débarrasser les fèves de cacaode leur enveloppe rigide appelée cabosse.

Page 94: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

94

ILLUSTRATION 25 : Comparaison des résultats économiques des systèmes de culture

Page 95: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

●● Les systèmes de culture vivrière

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

95

Les cultures vivrières à base de riz inondé

Le système de culture à base de riz inondé (deuxcycles par an) produit beaucoup par unité desurface, la VAB/ha dépasse les 550 000 Fcfa. Ilapparaît donc comme un système de culture re-lativement intensif. Le fait d’inonder une parcelleévite le travail long et fastidieux de désherbage,et évite également le travail de gardiennage desgraines lorsqu’on les met en terre : en effet, onpeut recouvrir la pépinière de feuilles pour pro-téger les semences contre les oiseaux, ce qui estimpossible à faire lorsque tout un champ est seméà la volée.

Malgré cela, la somme de travail demandée parles systèmes de culture à base de riz inondé (plusde 500 hommes/jours à l’hectare), notamment pourgérer l’eau et repiquer le riz, en fait le système le

Comparaison des temps de travaux nécessairespour effectuer les opérations culturales sur systèmes de culture vivrière

Système Temps de travail Opérations Temps de travailde culture total en homme-jour culturales en homme-jour

pour une surface pour une surfaced’un hectare d’un hectare

Préparation terre 25 à 35

Semis 5

Riz + Maïs/Maïs 200 à 300 Désherbage (x 2) 100 à 140

Gardiennage (x 2) 35

Récolte battage 50 à 80

Préparation terre 25 à 40

Pépinière-repiquage 25 à 30

Riz inondé/Riz inondé 500 à 850 Entretien du réseaud’irrigation 100 à 140

Gardiennage 25

Récolte battage 60 à 80

plus intensif en travail et donc l’un des moins ré-munérateur par journée de travail. Autrement dit,la productivité du travail pour le système de cul-ture « riz inondé » est très faible, dans les condi-tions de culture d’Abengourou. Et pourtant, tra-vailler sur ce système de culture n’est pas uneaberration puisqu’il permet de gagner 300 Fcfa deplus à la journée qu’un travail d’ouvrier en ville.

Rappelons que le salaire de base d’un ouvrierdans la région est de l’ordre de 700 Fcfa par jour.C’est une référence précieuse puisqu’elle per-met d’évaluer le coût d’opportunité du travaildes agriculteurs.

Ainsi, dans le cas de la ressource « travail » desagriculteurs de la région, tant que la producti-vité du travail des systèmes de culture est supé-rieure au salaire urbain, on peut considérer que

Page 96: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

les agriculteurs ont intérêt à les pratiquer. Le sa-laire d’un ouvrier correspond à ce à quoi les agri-culteurs d’Abengourou pourraient prétendrecompte tenu de leur niveau de formation. No-tons cependant que, vu le niveau de chômageurbain actuel, il est probable que les agriculteursne trouveraient pas à s’embaucher. Par consé-quent, en l’absence d’autre alternative, le coûtd’opportunité est nul. Ceci signifie que les agri-culteurs ont intérêt à continuer à pratiquer des sys-tèmes de culture même si ces derniers présen-tent une très faible productivité du travail.

Les cultures vivrières à base de riz pluvial-maïs

Ce système de culture, contrairement à ce quenous aurions pu imaginer, est le plus productif àl’hectare, avec plus de 600 000 Fcfa/ha de valeurajoutée brute. Cependant, qu’un système de cul-ture soit « rentable » à l’hectare ne signifie pas for-cément qu’il le soit à la journée de travail.

Sur ce type de système de culture, le désherbage,opération longue et pénible, est très certaine-ment l’activité la plus contraignante. De plus,les agriculteurs doivent désherber deux fois lorsdu premier cycle de culture. Pourtant, il est vraiqu’il n’y a pas de travaux de gestion de l’eau oude repiquage et même si un actif doit garder lessemences et les récoltes pendant près de 50 jours,la durée de ce travail-là n’est pas proportionnelleà la surface de la parcelle. De plus, cette opéra-tion n’étant physiquement pas trop difficile, desenfants peuvent réaliser le gardiennage, laissantà leurs parents la possibilité de travailler ailleurs.

Finalement, pas moins de 250 à 300 hommes/jours à l’hectare sont nécessaires pour réaliserles deux cycles de cultures. Nous obtenons alorsune productivité brute du travail de l’ordre de2 000 Fcfa par journée travaillée, ce qui demeuresupérieur au salaire d’un ouvrier urbain.

●● Les systèmes de culture maraîchère

Les systèmes de culture maraîchère dégagent unproduit brut élevé compensé par des consom-mations intermédiaires également élevées re-présentant 10 à 20 % du produit brut. Le maraî-chage est quasiment le seul système de culturedans la région pour lequel les agriculteurs utili-

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

96

sent des intrants. De plus, les produits maraî-chers sont fragiles et lourds et les agriculteurslouent les services de transporteurs, augmentantencore leurs charges.

Par ailleurs, ce type de culture est très exigeanten eau, les apports doivent être importants et ré-guliers. De ce fait, même si d’un point de vuepédologique, le maraîchage pourrait se pratiquersur les versants ou près des sommets de collines,l’absence de points d’eau à proximité y rend cescultures difficiles. En conséquence de quoi, lesbas-fonds restent les zones privilégiées (car pro-ches des cours d’eau ou de la nappe phréatique)pour la culture du maraîchage. Ces écosystèmesdélaissés jusqu’alors deviennent économique-ment intéressants.

Néanmoins, si le maraîchage permet de dégagerune forte valeur ajoutée brute à l’hectare (l’une desplus importantes), n’oublions pas qu’elle est ob-tenue au prix d’un très lourd investissement entravail. Du fait d’un entretien permanent à ap-porter à la culture (taille, arrosage, désherbage,etc.), les temps de travaux demeurent considéra-bles à l’hectare (300 à 700 hommes/jours selonles cultures), à tel point que ce système de culturene se pratique que sur de petites surfaces, infé-rieures au dixième d’hectare.

Les fruits et légumes sont des produits périssa-bles, ils ne peuvent être stockés et demandentplus de précautions de transport. Cette activitésuppose donc la présence d’un marché prochepour l’écoulement. Par ailleurs, et du fait de cettealtération rapide, les prix de ce type de produitssont très variables : la mise en marché suit im-médiatement la récolte et les producteurs cher-chent tous à écouler leur production très vite, cequi occasionne de fortes et brusques chutes deprix. C’est pourquoi certains producteurs prati-quent le maraîchage en contre-saison dans cer-tains bas-fonds, et peuvent ainsi bénéficier deprix plus élevés.

●● Les systèmes de culture à basede café-cacao

Plantation en phase d’installation

Cf. le tableau en haut de la page ci-contre.

Page 97: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Le produit brut est essentiellement constitué parles ignames récoltées la première année, puisquetoutes les cultures associées ne produisent quela seconde, voire la troisième année.

Ainsi, une partie du travail considérable fourni enpremière année (200 à 300 hommes-jours/ha)bénéficie aux récoltes des années suivantes. C’estla raison pour laquelle la productivité brute dutravail est si faible en première année et si im-portante en seconde année.

En première année, le gros du travail correspondnon pas à la défriche-brûlis comme on aurait pul’imaginer (les agriculteurs ne coupent pas lesgros arbres), mais au travail du sol : buttage etdésherbage demandent le plus de travail. En se-conde année, le temps de travail bien moindresur la parcelle et le bénéfice des productions is-

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

97

sues du travail de la première année expliquentune productivité brute du travail élevée.

La valeur ajoutée brute à l’hectare la premièreannée et celle d’une plantation de cacao en phasede production sont peu différentes. Sans les cul-tures associées, la VAB à l’hectare serait néga-tive en première année, les coûts d’implantationn’étant compensés par aucune production.

Notons que du fait de cette association culturaleen début de cycle, nous n’avons pas amorti lescoûts de plantation. Dans le cas contraire, nousaurions en effet dû comptabiliser ces frais en lesrépartissant sur la durée de vie de la plantation.

Plantation de cacao pure et plantation mixtecafé-cacao en cours de production

Cf. le tableau ci-dessous.

Renouvellementd’une plantation

de caféou de cacao

ou d’une plantationmixte café-cacao

1re annéerécolte d’igname :au total 220 à 300hommes-jour/ha

2e annéerécolte de banane,

taro, manioc,arachide, maïs

Défriche-brûlis

Travail du sol etsemis plantation

Désherbage-sarclage

Récolte

Travail du sol-semis

Désherbage

Récolte

20 hommes-jour/ha

100-130 hommes-jour/ha

60-120 hommes-jour/ha

40 hommes-jour/ha

15 hommes-jour/ha

10 hommes-jour/ha

10 hommes-jour/ha

Plantationsen phasede pleine

production

Plantation de cacaoTemps total

Entretien

Récolte

10 hommes-jour/ha

20-25 hommes-jour/ha

Plantation de café

Entretien,désherbage-sarclage

Récolte

20 hommes-jour/ha

15-20 hommes-jour/ha

Plantation mixtecafé-cacao

Entretien,désherbage-sarclage

Récolte

30-35 hommes-jour/ha

15-20 hommes-jour/ha

Page 98: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

98

ILLUSTRATION 26 : Comparaison des résultats économiques des systèmes de culture

01 2 3 4 5 6 7 8 Années

après laplantation

�� solde négatif,lié aux investissementsdans la plantation

� avec l’association de cultures vivrières, le solde estpositif dès les premières années aprèsla plantation

VAB/surface

�� Si on plantait le cacaoyer seul, pendant les premières années, la parcelle neproduirait rien, le solde (différence PB – Investissements) serait négatif. Il nes’inverserait qu’au bout de quatre ou cinq ans lorsque la parcelle commenceraità produire (�).� L’association des cultures vivrières avec les plantations permet à l’agriculteur dedégager un solde positif dès la première année. D’où l’intérêt d’associer des plantesannuelles dont la rentabilité est immédiate à des plantes pérennes dont la rentabilitéest différée dans le temps.La rentabilité globale du système de cultures associées est ainsi bien plus importanteque celle du système de culture cacao seul.

Les cacaoyères dont la VAB à l’hectare n’est passi importante comparée aux résultats obtenus surle vivrier, ne demandent finalement que peu detemps de travail. L’entretien est minimal, et procuredonc une productivité brute du travail élevée :une cacaoyère plantée suffisamment densémentne laisse pas pénétrer la lumière dans le sous-bois,un tapis de feuilles mortes recouvre complète-ment le sol, et les adventices ne peuvent pousser.Les travaux d’entretien sont alors limités à la tailleet à l’égourmandage des arbustes.

Par contre, dans le cas des plantations mixtes decafé-cacao, la lumière pénètre dans le sous-bois,

permettant aux adventices, dont Chromolaenaodorata, de croître à leur aise, et, sans désher-bage, la plantation serait envahie en peu detemps. De plus, en raison des désherbages obli-gatoires, les temps de travail imposés par cesplantations sont donc supérieurs à ceux des ca-caoyères, d’où une productivité du travail réduiteau tiers de celle d’une plantation de cacao pur(environ 2 000 Fcfa par journée de travail).

Enfin, les caféières valorisent très peu la terre : leprofond malaise ressenti par les agriculteurs àpropos de la caféiculture se confirme par les chif-fres : les rendements (300 kg/ha) sont faibles et

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les prix au plus bas. La valeur ajoutée brute parhectare est la plus faible de tous les systèmes deculture que nous avons étudiés. Cependant, laproductivité du travail demeure plus importanteque celle du riz irrigué, car même si la richesseproduite par unité de surface est faible, le travailque les agriculteurs fournissent est égalementminimal. Il est probable que devant le vieillissement desplantations, la baisse générale de la fertilité, laconjoncture économique défavorable à la cul-

Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

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ture du café (faible prix du café payé aux pro-ducteurs), les agriculteurs limitent leur travail auxseules opérations strictement nécessaires, ce quiaffecte certes les rendements mais qui, comptetenu des prix, permet de conserver une bonneproductivité du travail. Néanmoins, ils ne sou-haitent pas abandonner complètement cette cul-ture ; les plantations ont nécessité de lourds in-vestissements et constituent encore un capital.Et cette activité pourrait redevenir intéressantesi les cours remontaient…

Un exemple de système de transformation : du vin de palme à l’alcool de palme

Le vin de palme appelé aussi bangui est obtenu après récupération de la sève du palmier etfermentation. Le stipe du palmier abattu se vide de sa sève pendant près d’un mois à raison de150 à 200 litres par palmier. La sève est collectée et récoltée à partir d’une large encoche sec-tionnant les fibres du stipe à la base de l’insertion des feuilles.

La sève est mise à fermenter une semaine dans un bidon, après quoi le vin est distillé à l’aided’un alambic traditionnel (cf. l’illustration 27 ci-dessus) fabriqué avec un bidon en fer et un tubede cuivre. L’alambic concentre l’alcool dans le distillat. ... /...

L’alcool qui a un point d’ébullition inférieur à celui de l’eau s’évapore en premier. Un système derefroidissement permet de transformer les vapeurs alcoolisées en alcool liquide qui est récupéré plus loindans de petits bidons.

ILLUSTRATION 27

Alcoolde palme

Alambique

Bassin d’eau

Vin de palmecontenudans un bidonétanche

Quantité alcool > quantité eau

Quantité eau > quantité alcool

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Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

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Avec 150 litres de vin de palme, on obtient 30 litres d’alcool de palme. Le bangui est vendu50 Fcfa par litre, alors que l’alcool de palme se vend 600 Fcfa le litre.

Ainsi, la sève transformée en bangui peut rapporter entre 7 500 et 10 000 Fcfa par arbre et, enla transformant en alcool, entre 18 000 et 24 000 Fcfa par arbre, soit plus du double. La dou-ble opération de transformation est donc intéressante.

Si les arbres sont plantés tous les 10 mètres, cela représente environ 100 palmiers à l’hectare,soit un produit brut de 1,8 à 2,4 millions de Fcfa à l’hectare lors de la récolte… Sachant qu’ilaura fallu une quinzaine d’années entre la plantation et la récolte, cela nous ramène à 120 000à 160 000 Fcfa par an. Mis à part l’achat du bidon, du tube de cuivre et de quelques outils,les coûts de cette activité de transformation sont très faibles.

Nombre de palmiers à l’hectare

Estimation du produit brut rapporté à l’année(sur une plantation de 15 ans à raisonde 150 litres de vin de palme par arbre)

Estimation des consommations intermédiairespour 15 ans

Estimation de la VAB/ha/an

Tous les 10 mètres Tous les 7 mètres

100

120 000 Fcfa

Moins de 10 000

110 000 Fcfa

200

240 000 Fcfa

Moins de 10 000

230 000 Fcfa

La VAB à l’hectare obtenue est comparable à celle d’une plantation mixte de café-cacao, oud’une plantation de cacao en seconde année après la plantation (avec cultures associées).

Nic

olas

Fer

rato

n

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Caractérisation et évaluation économique des systèmes de culture

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FICHE N° 6 : LE CONCEPT DE SYSTÈME DE PRODUCTION

À l’échelle d’analyse de l’unité de production, le concept de système de production permet d’exa-miner la combinaison spécifique des systèmes de culture et des systèmes d’élevage mis enplace par l’agriculteur grâce aux moyens de production et à la force de travail dont il dispose,et conformément à ses intérêts. Le système de production peut donc être défini comme la com-binaison dans l’espace et dans le temps des ressources disponibles de l’exploitation agricoleet des productions animales et végétales. Il constitue une combinaison organisée, plus oumoins cohérente, de divers sous-systèmes : systèmes de culture, systèmes d’élevage et systè-mes de transformation.

L’analyse d’un système de production doit donc comporter :

➤ l’inventaire des ressources disponibles et leurs caractéristiques :

− types de terres accessibles, localisation, surface, taille et forme des parcelles, mode detenure ;

− force de travail participant aux activités productives, nombre de personnes, disponibilité,relations avec le chef d’exploitation, type de rémunération ;

− outillage disponible et équipement (bâtiments d’élevage, grenier, glacis de séchage, cuvede stockage de l’eau, etc.) ;

− effectif des troupeaux et plantations pérennes.

➤ l’étude des relations existant entre les différents éléments du système, notamment :

− l’organisation du travail, la répartition du travail entre les différentes personnes participantau processus de production, le calendrier de travail et l’analyse des pointes de travail ;

− les relations entre systèmes de culture et systèmes d’élevage : transfert de matières entrecultures et élevages (utilisation des résidus de culture et de la fumure organique).

➤ l’analyse des performances économiques du système et de sa capacité à se reproduire(durabilité du système, capacité d’investissement, etc.).

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Initiation à une démarche de dialogue. Étude des systèmes de production dans deux villages de l’ancienne boucle du cacao

Les résultats obtenus précédemment mettent enévidence une grande diversité de systèmes deculture. Ainsi, les agricultures combinent au seind’une exploitation différents systèmes de culture(et d’élevage). A priori, il existe donc un trèsgrand nombre de combinaisons possibles. Maisforce est de reconnaître qu’en un lieu donné,compte tenu de caractéristiques biophysiques etde l’histoire, ce nombre de combinaisons est enréalité relativement limité.

Par ailleurs, les agriculteurs n’ont pas tous accèsaux mêmes ressources productives : l’accès à laterre (quantité, qualité et localisation dans lesdifférentes parties de l’écosystème), l’accès à laforce de travail (main-d’œuvre familiale et main-d’œuvre extérieure à l’exploitation potentielle-ment mobilisable), et enfin l’accès au capital deproduction (outil, intrants, liquidités) diffèrentlargement d’une unité de production à l’autre.Le nombre de combinaisons possibles de systè-mes de culture et de systèmes d’élevage sera en-core plus limité.

En fait, une famille réalise toujours une combi-naison d’activités de culture et d’élevage (par-fois aussi d’artisanat ou de commerce) réaliséessimultanément et en combinaison avec les mêmesoutils et la même force de travail. Les systèmesde culture et les systèmes d’élevage apparaissentalors comme les sous-systèmes d’un ensembleplus vaste et plus complexe : le système de pro-duction.

Analyse des systèmesde production

La notion de système de production

Le système de production se définit comme lacombinaison des facteurs de production (terre, tra-vail et capital) en vue d’obtenir diverses pro-ductions. C’est une façon de combiner les facteursde production.

Le système de production est un concept d’ana-lyse pertinent au niveau de l’unité de production(ou exploitation agricole), et peut être définicomme une combinaison spécifique de systèmesde culture et d’élevage, combinaison décidée auniveau de la famille en fonction des parcelles ac-cessibles et de leur localisation, compte tenu dumatériel disponible (outils, moyens de transports,bâtiments d’élevage ou de stockage, etc.), de laforce de travail familiale ou mobilisable moyen-nant rémunération, des opportunités de crédit etde vente sur les marchés.

Ces stratégies dans le choix des combinaisonssont destinées à reproduire, et si possible amé-liorer les conditions d’existence de la famille,tout en développant l’outil de production. Chaquetype d’exploitation agricole pourra ainsi êtreconsidéré comme un système de production etétudié comme tel. L’analyse technico-écono-mique des systèmes de culture du chapitre pré-cédent, bien que nécessaire, n’est pas suffisantepour expliquer le choix économique et tech-nique des agriculteurs et des éleveurs.

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Analyse des systèmes de production

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➤ la communauté de production : groupe depersonnes qui contribuent à la production et à lafourniture des produits ;

➤ la communauté de consommation : groupede personnes qui consomment les produits ;

➤ la communauté d’accumulation : groupe depersonnes qui mettent en commun le surplus ob-tenu après la consommation ;

➤ la communauté de résidence : groupe de per-sonnes qui vivent dans la même « cour ».

Au cours d’une ou deux enquêtes, il est difficilede mesurer toute la complexité des liens fami-liaux ; l’important est de pouvoir faire le lienentre cette structure familiale et la combinaisondes activités de production. La structure fami-liale pourra être représentée sous forme d’arbregénéalogique ou dans un tableau mentionnantnom, sexe, âge, lien de parenté, activités, dispo-nibilité pour l’exploitation.

Cf. l’illustration 28 page ci-contre.

●● La pré-typologie, un échantillonraisonné et représentatif de la diversitédes systèmes de production

Le mode d’accès à la terre, au travail et au capitalconditionne l’éventail des combinaisons, c’est-à-dire des systèmes de production possibles. Parconséquent, l’analyse des conditions du milieuet de l’histoire agraire nous fournissent une pre-mière base pour approcher la diversité des sys-tèmes de production.

Il est ainsi possible d’établir une pré-typologie dessystèmes de production, nous permettant de sé-lectionner de manière raisonnée les exploitationsqui seront analysées plus en détail. Cet échan-tillonnage est raisonné dans la mesure où il estbasé sur des informations recueillies au cours desétapes précédentes. Il est par ailleurs raisonnépour être représentatif, c’est-à-dire pour engloberla plus grande diversité de situations possibles.Cette représentativité n’est pas numérique, au sensoù ce qui importe à ce stade est que l’ensembledes types de systèmes de production soit présentdans notre échantillon quelle que soit leur im-portance numérique (proportion d’exploitationsconcernées) dans la zone. Cette analyse numé-rique de la diversité peut être réalisée ultérieure-

L’analyse d’un système de production consiste àanalyser non seulement chacun des sous-systè-mes qui le composent (systèmes de culture etd’élevage), mais surtout les interactions et lesinterférences qui existent entre eux.

Remarque méthodologique : de même que pourl’analyse des systèmes de culture, il est parfoisdifficile de ne pas voir un nouveau système deculture pour chaque parcelle analysée, il est sou-vent tentant de considérer qu’il existe un systèmede production par exploitation enquêtée. Et il estclair que si l’analyse est suffisamment (trop ?) fine,on pourra constater que chaque agriculteur a bienune façon qui lui est propre de combiner ses fac-teurs de production. Mais si l’on pousse à ce pointl’analyse, il nous sera fort difficile de respecter letemps limité qui nous est imparti pour réaliser cediagnostic à une échelle qui est bien supérieureà celle d’une exploitation agricole.

Identifier les différentssystèmes de production

Les enquêtes historiques réalisées antérieurementsont d’une grande utilité pour repérer les princi-paux systèmes de production présents aujour-d’hui : histoire du peuplement et origine des pro-ducteurs, différentes phases de défriche, arrivéede nouveaux migrants, mise en valeur d’un bas-fond autrefois peu cultivé, tout ceci contribue àexpliquer les différentes situations rencontréespar les familles du village et facilite ainsi l’iden-tification des systèmes de production actuels.

●● Cerner l’unité de productionou unité économique

L’unité de production n’est pas toujours facile àdéfinir. Certains membres travaillant pour le groupefamilial peuvent aussi travailler sur un champ in-dividuel (cas des jeunes hommes ou des femmes)ou dans une autre famille (chez les parents pourla femme, chez les futurs beaux-parents pour lejeune homme). Les revenus de ces activitésconnexes peuvent être redistribués au groupe fa-milial ou pas. Pour bien connaître l’unité écono-mique, il faut s’intéresser à quatre aspects :

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Analyse des systèmes de production

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ILLUSTRATION 28 : Les contours de l’unité de production : le problème des abusans

Le problème du métayage : doit-on considérer les abusans comme des agriculteurs à la têted’exploitations agricoles autonomes et les étudier alors comme des « unités de production » ?Assurément oui, ils constituent des unités de production à part entière : qu’ils soient ou nonpropriétaires des parcelles qu’ils travaillent (les plantations pérennes qui leur sont confiéesen métayage, les parcelles vivrières qu’on leur prête ou qu’ils ont acquis en propriété), celles-cisont bien le support d’un processus de production particulier et forment bien une « unité deproduction ». Il convient donc, comme l’illustre le schéma suivant, de ne pas confondre unitéfoncière et unité de production.

Plantationconfiéeà un abusan

Parcellevivrièrede l’abusanappartenantou nonà l’abusan

Rentesfoncières

Ensemble des terrespossédées par un agriculteur du village

Unitéde productionde l’abusan

Exploitationagricoleconduite parcet agriculteur

ment et avec d’autres outils, mais elle n’est paseffectuée au cours de ce type de formation courte.Toujours est-il que cet échantillonnage raisonnésuppose de connaître la diversité des types avantd’étudier le fonctionnement de chaque type ; etd’étudier ce fonctionnement avant d’envisageréventuellement de réaliser une quantification del’importance numérique relative de chaque type.

À ce stade, il ne s’agit que d’une pré-typologiequi sera validée ou modifiée selon les résultatsde l’analyse des systèmes de production, en par-ticulier de leur évaluation économique.

La diversité actuelle des systèmes de productionest héritée de l’histoire : les règles sociales régis-sant l’accès à la terre par exemple, font que les

derniers arrivés dans la zone n’ont pas eu de par-celles, et se voient obligés de partir ou de travaillerpour le compte des propriétaires de plantationscomme simples ouvriers ou comme abusans.

Ce statut social prenait tout son sens il y aquelques décennies lorsqu’il représentait un pas-sage obligé pour prétendre obtenir des terres enpropriété. Mais aujourd’hui, ce statut perd deson intérêt, puisque les rentes imposées par lespropriétaires sont élevées comparativement auprix du café et du cacao, et que l’espoir d’obte-nir un jour une terre s’amenuise.

Comme nous allons le voir, l’analyse du paysage,l’analyse historique, ainsi que celle des systèmesde culture et d’élevage prennent ici tout leur sens.

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Analyse des systèmes de production

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Les grands planteurs avec main-d’œuvresalariée et plus de 30 hectares

Issus de vieilles familles agnis pour la plupart,ils possèdent plus de 20 hectares de caféiers etdes friches de longue durée ; chaque année, 2 à3 hectares sont défrichés pour installer de nou-velles plantations. Ils possèdent plus de 10 hec-tares de plantations café cacao mixtes ou non. Ilsélèvent vaches, caprins, porcs et volailles. Ils pos-sèdent des équipements importants (camion, ato-miseur, hangar, etc.) et emploient toutes les for-mes de main-d’œuvre (abusans, ouvriers perma-nents, saisonniers, etc.).

Les petits planteurs engagésdans le renouvellement de leur plantation(3 à 6 hectares)

Ils possèdent moins de 5 hectares de plantations et1 à 2 hectares de plantations en renouvellement,avec les cultures vivrières qui sont associées.

Les exploitations familiales moyennes

Ils possèdent moins de 8 hectares de caféiers, entre1 et 3 hectares de cacaoyers et des friches de lon-gue durée (entre 3 et 7 hectares), dont une partiepeut être défrichée pour y installer de nouvellesplantations. Ils possèdent également des surfacesde moins de 1 hectare en vivriers : riz pluvial etmaïs. Ils sont bien équipés (décortiqueuses et par-fois un motoculteur), et font un peu d’élevage.

Les petites exploitations familiales

Ce sont des étrangers au village (allochtones ouallogènes) qui possèdent des terres en bas-fondsseulement. La surface de l’exploitation est trèsréduite, de 0,5 à 1 hectare cultivé en riz en ca-sier en bas-fonds et du maïs-arachide, et du ma-raîchage en bordure de bas-fonds. La main-d’œu-vre est essentiellement familiale hormis pour larécolte ; on peut alors faire appel à de la main-d’œuvre temporaire.

Les petites exploitations familialessans bas-fonds

Anciens abusans pour la plupart, ces agriculteursont pu acquérir quelques hectares en propriété :1 à 2 hectares de cultures vivrières et moins de4 hectares en cultures pérennes. La main-d’œu-vre des exploitations est essentiellement fami-liale et ils embauchent parfois un abusan.

Les abusans

Étrangers (généralement Burkinabés) arrivés ré-cemment, ils n’ont pu acquérir des terres en pro-priété. Ils sont métayers, employés sur des plan-tations de café ou de café-cacao. Ils entretiennent2 à 4 hectares de plantations âgées.

C’est sur la base de ces critères que les différentsgroupes d’étudiants se sont réparti le travail pouraller enquêter sur des exploitations relativementtypiques de ces différentes situations. D’un pointde vue pratique, les groupes se sont scindés, desétudiants de chaque groupe ont travaillé surchaque système de production. Il était en effetnécessaire d’avoir un nombre de cas relative-ment élevé par type, et il était souhaitable quechaque étudiant ait analysé plusieurs systèmesde production.

●● Caractériser les différents systèmesde production

De nouvelles enquêtes approfondies visant àanalyser les systèmes de production sont menéesauprès d’exploitants pratiquant différents systè-mes de production. La caractérisation s’effectuegrâce à un échantillonnage restreint mais rai-sonné : il faut faire autant d’enquêtes qu’il estnécessaire pour caractériser le fonctionnement dechaque système de production identifié. Le tempsest d’ailleurs souvent un facteur limitant pourmener à bien ce travail approfondi, et il faut secontenter d’un nombre limité d’entretiens parsystème de production.

La caractérisation technico-économique du sys-tème de production peut se présenter de diver-ses manières suivant l’objectif que l’on recherche.Une bonne caractérisation peut se faire à partird’un calendrier de travail de l’unité de produc-tion. On positionne en colonne les mois de l’an-née, en ligne les systèmes de culture et d’éle-vage. Dans les cases, on écrit les opérationsmenées et on les entoure de différentes couleursen fonction du type de main-d’œuvre qui les réa-lise (homme, femme, salarié, ouvriers temporai-res, etc. ). On peut écrire en bas du calendrier lesflux de trésorerie et de stocks de produits. Onperçoit alors les périodes difficiles de pointes detravail, de soudure alimentaire, de manque detrésorerie.

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L’ensemble des outils et équipements dont dispo-sent l’agriculteur et sa famille pour mener à bienleurs activités doit être inventorié et décrit avecsoin :

➤ petit outillage manuel (houe de différents types,machette, hache, couteau, faucilles, serpettes,pelles, râteaux, etc.) ;

➤ matériel de transport manuel (panier, hotte,brouette, sacs), attelé ou motorisé ;

➤ équipement de séchage, transformation etstockage des récoltes (nattes, aires et claies deséchage, mortier, moulin, batteuses décorti-queuses, grenier, fût métallique, sacs, magasin) ;

➤ vélo et mobylette.

L’analyse historique nous a permis de compren-dre que le peuplement de cette zone s’est effec-tué suivant différentes vagues de migrations suc-

Analyse des systèmes de production

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cessives. En outre, la date d’arrivée des diffé-rentes familles a largement conditionné leur accèsau foncier tant en quantité, en qualité (interflu-ves ou bas-fonds, proche ou éloigné du village,etc.). De même, cette date d’arrivée a fortementconditionné les modes de tenure (propriétaireou abusan). Il est ainsi possible de dresser unepremière typologie de catégories sociales : ex-ploitations familiales (où le travail est fourni parl’exploitant et sa famille et éventuellement parquelques travailleurs temporaires), ou patrona-les (c’est-à-dire où le travail est non seulementfourni par l’exploitant, mais aussi par de la main-d’œuvre extérieure permanente), exploitants pro-priétaires ou métayers. Par ailleurs, l’analyse dessystèmes de culture nous permet d’identifier aumoins grossièrement les types de système de pro-duction que ces différentes catégories socialesmettent en œuvre.

FICHE N° 7 : LA CARACTÉRISATION ÉCONOMIQUE D’UN SYSTÈME DE PRODUCTION

La valeur ajoutée brute globale correspond à la somme des valeurs ajoutées brutes des dif-férents systèmes de culture et d’élevage. La valeur ajoutée brute globale mesure un premierniveau de création de richesse. Si l’on y retranche l’amortissement économique, on obtientla valeur ajoutée nette.

La valeur ajoutée nette ainsi calculée mesure les performances économiques du système deproduction (VAN/ha et VAN/actif).

Si l’on retranche :

➤ les salaires aux ouvriers ;

➤ la rente foncière versée au propriétaire ;

➤ les impôts et taxes versés à l’État ;

➤ l’intérêt versé aux banquiers et usuriers qui ont éventuellement avancé du capital ;

le reste constitue le revenu agricole : il rémunère le travail accompli par les travailleurs de l’u-nité de production.

On peut le ramener au nombre d’actifs familiaux afin de permettre des comparaisons.

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Analyse des systèmes de production

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Mesurer l’efficacité économiquedes systèmes de production

L’évaluation des performances économiques dechaque système de production contribue à éclai-rer leur fonctionnement. La comparaison de la va-leur ajoutée brute par actif ou par journée de tra-vail entre différents systèmes de culture et d’éle-vage permet déjà de comprendre comment sefont les choix d’affectation des ressources dispo-nibles (cf. chapitre précédent). La productivitédu travail obtenue par les différents systèmes deproduction permet de comparer leur efficacitééconomique. Puis, la comparaison du revenuagricole à un seuil minimum de survie, qui cor-respond aux besoins minima indispensables pourfaire vivre une famille, ou encore au revenu mi-nimum que l’on peut se procurer dans d’autressecteurs d’activité dans la région, permettent derépondre aux questions posées quant à l’évolu-tion probable des différents systèmes de pro-duction. Mais comment en arriver là ?

●● Le calcul du produit brut totalsur l’exploitation

Le produit brut total de l’exploitation correspondà la somme des produits bruts des différents sys-tèmes de culture et d’élevage (voir chapitre pré-cédent).

●● Les consommations intermédiaires

C’est l’ensemble des biens et services intégrale-ment dégradés pendant un cycle de productionsur l’ensemble des systèmes de culture et d’éle-vage (voir chapitre précédent).

Remarque : les cas des intra-consommations etdes sous-produits agricoles.

Certaines productions peuvent être ni venduesni autoconsommées, mais utilisées pour une autreactivité au sein de l’exploitation. C’est fréquem-ment le cas pour l’élevage lorsqu’une partie desfourrages est produite sur l’exploitation. On peutalors évaluer sa valeur à partir de son coût deproduction, de façon à tenir compte de l’intérêtqu’il y a à produire soi-même une partie de l’a-limentation plutôt que de se la procurer sur le

marché. Mais attention ! cette valeur devra êtreretirée au niveau des consommations intermé-diaires si on en tient compte dans le calcul duproduit brut !

De la même façon, il faut identifier l’ensembledes sous-produits (résidus de récoltes, bois, etc.) ;on peut repérer leur usage et, si nécessaire, chif-frer leur volume et leur valeur économique. Iln’est pas forcément utile de quantifier tous lessous-produits ; cela dépend de leur destination :les résidus du maïs, s’ils sont brûlés sur la parcelle,ne sont pas quantifiés. En revanche, on estimerapar exemple la valeur économique de la pailledu riz, si elle est vendue à d’autres éleveurs, maisaussi si elle est intra-consommée pour assurerune partie de l’alimentation des animaux de l’ex-ploitation. Si elle est vendue, il est clair que savaleur est estimée au prix de vente. Mais si elleest autoconsommée, il s’agit d’une intra-consom-mation valorisée au coût de production. Si l’onchoisit de compter la valeur de tous les sous-pro-duits dans le produit brut, il faudra prendre soinde retirer, au niveau des consommations inter-médiaires, la valeur de ceux qui sont consom-més par le processus de production.

●● La valeur ajoutée brute

La valeur ajoutée brute (PB – CI) mesure un pre-mier niveau de création de richesse.

●● La valeur ajoutée nette et le calculde l’amortissement économique

La valeur ajoutée nette (ou VAN) correspond àla VAB à laquelle on a soustrait l’amortissementéconomique du capital fixe (outillage manuel,matériel de traction attelée, véhicules et machi-nes, bâtiments spécifiques pour le matériel agri-cole, matériel nécessaire à la transformation desproduits agricoles, etc.) et du capital biologique(coût de la mise en place d’une plantation pé-renne par exemple…).

Cet amortissement économique représente l’u-sure des équipements au cours de chaque cyclede production. Un sac d’engrais disparaît avec lecycle de production, et de ce fait, nous l’avonscomptabilisé comme consommation intermédiaire.Mais une houe par exemple, si elle ne disparaît pas

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avec le cycle de production, ne s’en use pas moins,et il convient de tenir compte du coût que repré-sente cette usure, c’est l’amortissement.

VAN = VAB – Amortissements économiques

Mesurant l’usure des équipements, cet amortis-sement s’obtient en divisant la valeur de ce ma-tériel par le nombre d’années pendant lequel ilest réellement utilisé avant d’être remplacé, sadurée de vie utile.

Il est donc nécessaire de connaître le prix deséquipements. Cette donnée n’est pas aisée à éva-luer, en particulier lorsque le matériel en ques-tion a été acquis il y a plusieurs années. Le prixque l’on obtient par enquête ne reflète doncqu’imparfaitement la valeur réelle actuelle decelui-ci, ne serait-ce que du fait de l’inflation. Ilest donc souvent nécessaire de convertir les prixde l’époque d’achat en prix actuels. Cependant,dans le cadre de ces formations, et en particulieren Côte d’Ivoire, pays inclus dans la zone Franc,il n’est pas nécessaire de perdre trop de temps surces aspects. Il convient cependant au momentdes enquêtes de bien demander le prix actueld’un équipement équivalent.

Dans le cas de l’amortissement du capital bio-logique (comme les plantations pérennes parexemple), nous procédons de la même façon : onrapporte l’ensemble des coûts liés à l’installation(préparation du sol, achat des plants, engrais,coûts d’entretien pour toute la phase pendant la-quelle la plantation ne produit pas encore) à ladurée de vie totale de la plantation, et non passeulement à la période pendant laquelle elle pro-duit. En effet, la plantation occupe le sol pen-dant toute cette durée. C’est pourquoi sa pro-duction moyenne annuelle autant que sonamortissement annuel doivent être rapportés àla durée totale de vie de la plantation.

En général, le coût de plantation étant réparti sur30 ou 40 ans (durée de vie moyenne des plan-tations dans la région), l’amortissement écono-mique annuel est alors infime, et les étudiantsne l’ont pas pris en compte. Cette simplificationétait d’autant plus justifiée que ce coût est lar-gement compensé par les cultures vivrières as-sociées. C’est là une caractéristique essentielle dela culture de cacao ivoirienne. L’insertion ducacao, en tant que composante supplémentaire

Analyse des systèmes de production

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dans les systèmes de culture sur abattis-brûlispréexistants, a rendu l’installation de ces plan-tations quasiment gratuite pour les planteurs,d’autant que les plants étaient largement sub-ventionnés par l’État. Les récoltes des culturesvivrières intercalaires pendant les premières an-nées (en particulier l’igname) compensaient enfait largement l’investissement consenti (cf. l’illus-tration 26 page 98).

Amortissements = prix actuel / nombre d’an-nées d’utilisation

La VAN correspond à la richesse totale créée surl’exploitation. Comme il a été vu précédemment,nous ne pouvons pas calculer les VAN pourchaque système de culture, car certains outilssont utilisés sur différents systèmes de culture,et il est alors impossible d’en affecter l’usure àtelle ou telle activité. Il est donc préférable deréserver le calcul de la valeur ajoutée nette à l’a-nalyse des systèmes de production.

Afin de pouvoir comparer les différents systèmesde production, il est particulièrement intéressantde rapporter la valeur ajoutée nette à la surfacenécessaire au fonctionnement du système de pro-duction et au nombre d’actifs mobilisés :

La VAN/nombre d’actifs = la productivité glo-bale du travail sur l’exploitation agricole. LaVAN/actifs mesure la richesse créée par une per-sonne qui travaille sur l’exploitation pendant uneannée. Ce rapport permet ainsi d’évaluer les per-formances technico-économiques d’un systèmede production, sans préjuger de la partie de cetterichesse qui demeure entre les mains de l’ex-ploitant et de sa famille.

La VAN/surface agricole utile = la création derichesse par unité de surface sur l’exploitationagricole. Il faut bien distinguer les surfaces enpropriété ou en métayage de celles réellementutiles pour le système de production considéré :la surface agricole utile. La différence peut êtrenotable (forêt classée, parcelle trop pentue outrop humide, etc.).

●● Le revenu agricole

Si la valeur ajoutée nette mesure la richesse pro-duite par l’exploitant, elle ne mesure pas son re-venu. Il y a en effet une différence entre ce que

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Analyse des systèmes de production

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produit un agriculteur et ce qu’il gagne. Tout sim-plement, parce qu’une partie de cette richesseest prélevée par le reste de la société : l’État toutd’abord au travers des taxes et impôts, les ou-vriers que l’agriculteur a éventuellement em-bauchés, le propriétaire des terres si l’exploitant

n’est que métayer ou fermier, le banquier ou l’u-surier qui perçoit des intérêts si l’agriculteur s’estendetté. Notons que dans certains cas, on peutêtre amené à ajouter, et non à déduire, des sub-ventions versées aux agriculteurs par l’État (cf.l’illustration 29 ci-dessous).

ILLUSTRATION 29 : Les différentes étapes du calcul du revenu agricole familial

Produit brut = Productions x Prix

= Valeur ajoutée brute (VAB)

Valeur ajoutée nette (VAN)

Revenu agricole familial(RAF)

− Rentes foncières

− Taxes et impôts

− Intérêts sur les prêts

− Salaires ouvriers temporairesou permanents(charges sociales comprises)

+ Subventions directes

Produits vendusProduits

autoconsommés

SemencesEngrais

InsecticidesHerbicidesFongicides

Outillagemanuel et mécanique

Bâtiments d’exploitation(greniers, silos,

aires de séchage)Animaux de trait

Plantation

Payées au propriétaire

Payés à l’État

Payés aux banqueset prêteurs usuriers

− Amortissementsdu capital fixe

Produit brut (PB) – les Consommations intermédiaires (CI)

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Analyse des systèmes de production

111

On parlera en fait ici du revenu agricole brut. Ilfaudrait encore retirer d’éventuelles cotisationssociales (maladie, retraite) pour obtenir l’équi-valent d’un revenu net.

Rappelons que ce revenu agricole se composed’un revenu monétaire (lié aux productions com-mercialisées) et d’un revenu non monétaire (liéaux productions autoconsommées). Notons parailleurs que ce revenu agricole peut être com-plété par un revenu non agricole (travail ponc-tuel en ville, petit commerce, artisanat, prestationde services, salariat agricole) pour constituer unrevenu total.

On obtient alors le revenu agricole familial :

Le RAF/actif familial correspond à la rémunéra-tion du travail. Ce paramètre tient compte de

l’accès au foncier, à la force de travail et au ca-pital d’exploitation (la VAN/actif n’en tient pascompte). Il permet ainsi d’évaluer le revenu dé-gagé par actif familial pour une exploitation agri-cole mettant en œuvre un système de produc-tion dans des conditions particulières (métayer,avec salariés, avec endettement, etc.).

Prenons un exemple :

Imaginons deux exploitations qui produisent lamême VAN/actif familial, l’une détenue par unpropriétaire et l’autre par un métayer. Ce dernierdevra payer une rente foncière contrairement aupremier. Si les VAN/actif familial sont identiques,les revenus agricoles perçus par les membres dechaque famille seront très différents du seul faitde conditions différentes d’accès au foncier.

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Analyse des systèm

es de production

112

Les travaux de différents groupes d’étudiants

ILLUSTRATION 30 : Affiches des étudiants sur les systèmes de production

ILLUSTRATION 30A : Première unité de production

➊ Deux amis, n’appartenant pas à la famille, travaillent dans cetteunité de production ; on les considèrera comme des actifsfamiliaux. ➋ En pointillé, un des fils s’est séparé de l’unité deproduction avec sa femme et ses enfants. ➌ Les abusans ne sontpas comptés comme des actifs familiaux, nous considérons qu’ilsforment (avec leur famille) leur propre unité de production.

Le haut de l’affiche situe les parcelles de l’agriculteurdans la toposéquence. Dessous, le cercle représente l’ensembledes parcelles de l’agriculteur et leurs surfaces respectives(l’assolement).

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Analyse des systèm

es de production

113

ILLUSTRATION 30B : Première unité de production

La description du système de production (illustration 30A) très succincte,n’apporte aucune information sur les relations existant entre les différentssystèmes de culture. La rente issue du travail sur les caféières, versée parles abusans, n’est pas un élément du revenu agricole à proprement parler :nous la considérons comme un revenu extérieur à l’exploitation, puisquenous avons bien différencié les unités de production des abusans quenous considérons comme des exploitants agricoles autonomes.Les rentes entrent en compte dans le calcul du revenu global de la famille.Du coup, la surface agricole de l’exploitation prise en compte est cellequi appartient au propriétaire et qui n’est pas travaillée par les abusans.

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Analyse des systèmes de production

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ILLUSTRATION 30C : Seconde unité de production

L’agriculteur enquêté a troisfemmes, d’où l’arborescencecomplexe de la représentationde la famille.

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Les principaux systèmesde production rencontrés dans lesvillages d’Assekro et d’Affalikro

●● Les abusans (type 1)

Les abusans [terme désignant un certain statutsocial et une relation de travail entre un métayeret son employeur (qui est également le proprié-taire), dont nous avons par ailleurs parlé] sontdes étrangers, la plupart du temps des burkina-bés. Liés à un propriétaire de plantation par uncontrat de travail, ils doivent entretenir la (ou les)plantation(s) et verser les deux tiers de la récolteà leur employeur, en échange de quoi celui-cileur attribue une parcelle de terre à défricheraprès plusieurs années de travail pour soncompte. Comme nous l’avons vu, en raison de lasaturation foncière dans la région, les derniersabusans arrivés n’ont pas eu de terre pour la sim-ple raison qu’il n’existe plus d’espace vierge etnon défriché.

Les abusans entretiennent donc des plantationsde café ou de cacao ou des plantations mixtes,dont la superficie est comprise entre 1 à 4 hec-tares. Les plantations qui leur sont confiées sonten phase de production (de 10 à 40 ans), bien quel’on observe un certain nombre de cas où le pro-priétaire cultive lui-même les parcelles les plusproductives de cacao, laissant au soin de l’abu-san les parcelles caféières ou les cacaoyères lesplus âgées, les moins productives. De cette façon,le propriétaire n’a pas à partager les récoltes lesplus importantes.

Les abusans sont toujours des hommes, ils tra-vaillent seuls. Dans certains cas, leurs femmeset enfants vivent dans un autre pays, mais dansd’autres cas, ils sont accompagnés d’une petitefamille qui travaille dans les champs vivriers pen-dant que le mari travaille pour le propriétaire.

Ils utilisent des outils manuels, crosse pour éca-bosser les cacaoyers, houe, machette, lime.

La nature des contrats liant l’abusan au proprié-taire est variable :

➤ Certains propriétaires fournissent gîte et cou-verts à l’abusan ; en effet, le travail important im-posé par une plantation ne permet pas toujours

Analyse des systèmes de production

115

à un abusan, surtout lorsqu’il est seul, de fairedes cultures vivrières, et il est difficile pour unabusan de vivre avec la seule part de la récolteque lui réserve le propriétaire.

➤ Certains propriétaires fournissent à l’abusanune parcelle, souvent située en bas-fond ou àproximité, où l’abusan et sa famille installerontdes cultures vivrières, maïs et arachide. C’estgrâce au complément de revenu que procurecette parcelle que la famille peut subsister.

➤ Tous les abusans n’ont pas les mêmes char-ges en travail dans les plantations : recépage,remplacement de plants morts, désherbage et ré-colte sont à la charge des abusans dans la plu-part des cas. Les traitements, le séchage (étape né-cessitant un actif à temps plein pendant deux outrois jours à chaque récolte) sont parfois réaliséspar le propriétaire ou des membres de sa famille.

➤ Le partage des récoltes a lieu parfois avant,parfois après la vente. Dans ce dernier cas, l’a-busan peut rechercher lui-même des acheteursplus offrants.

➤ Les consommations intermédiaires, produitsphytosanitaires (surtout insecticides et fongici-des), sont dans la plupart des cas à la charge dupropriétaire qui peut faire participer ou non l’a-busan (en retenant à l’abusan une partie de larécolte supplémentaire). Les achats de jeunesplants sont financés par le propriétaire lui-même.

En raison de l’importance de la rente que versel’abusan à son propriétaire (quasiment deux tiersde la valeur ajoutée nette produite est restituéeau propriétaire par l’intermédiaire de la rentefoncière), il est très difficile, voire impossiblepour l’abusan de dégager un revenu lui permet-tant de subsister (lui et sa famille) pendant l’an-née : 50 000 à 100 000 Fcfa par actif travaillantsur l’exploitation et par an, soit 75 à 152 euros,alors que le revenu minimum s’élève à près de150 000 Fcfa par actif et par an.

Et ce, d’autant plus que la charge en travail, im-portante sur l’exploitation du propriétaire, nepermet pas toujours à l’abusan de travailler li-brement en ville ou ailleurs en dehors des pé-riodes de pointe dans les champs. La plupart desabusans se voient obligés de vendre leur forcede travail pendant les périodes de moindre tra-vail sur l’exploitation agricole.

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Analyse des systèmes de production

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ILLUSTRATION 31 : Typologie des exploitations agricoles présentée aux agriculteurs

ILLUSTRATION 31A : Type 1 - Les abusans

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Analyse des systèmes de production

117

C’est parce que ce type de contrat n’a pas évo-lué ces dernières années, depuis que les espa-ces vierges n’existent plus, qu’un certain nombred’abusans sont partis vers les nouveaux frontspionniers du Sud-Ouest.

●● Les exploitations de petite taille−− 0,3 hectare par actif −−situées en bas-fond (type 2)

La taille de ces exploitations est inférieure à 1,5hectare au total. Ces agriculteurs sont proprié-taires d’une partie seulement du foncier. La se-conde partie est « louée » à de grands proprié-taires (ils donnent une partie de leur productionau propriétaire).

On compte de huit à dix actifs familiaux ; pasde recours à de la main-d’œuvre extérieure àl’exploitation.

Les agriculteurs appartenant à cette catégoriecherchent à valoriser au mieux les petites surfa-ces dont ils disposent, en mettant en œuvre dessystèmes de culture intensifs en travail, afin detirer un bénéfice maximum de leurs petites par-celles.

Les différents systèmes de culture pratiqués :

➤ Les agriculteurs appartenant à cette catégoriepratiquent la culture du riz en bas-fond (0, 5 à 1hectare), soit dans les zones inondées en amé-nageant des casiers rizicoles, soit dans les zonesun peu plus élevées (en bordure de bas-fond) oudans les bas-fonds qui ne sont pas immergés ensaison des pluies où ils plantent du riz pluvial.

➤ Sur les bords des bas-fonds également, en basdes versants, ils cultivent arachide et maïs en as-sociation, sur des surfaces limitées. Faute de ter-res disponibles, aucune jachère n’est pratiquée ;les cultures d’arachide et de maïs se succèdentd’année en année sur la même parcelle.

➤ Ils font également du maraîchage, système deculture intensif en travail et capital valorisant aumieux la terre. Des billons permettent de remé-dier aux problèmes d’hydromorphie (stagnationde l’eau pendant et après les pluies) rencontrésdans les bas-fonds.

➤ Ils ne possèdent pas de plantation pérenne,ce sont des allogènes ou des allochtones arrivésrécemment, anciens abusans qui n’ont pas eu

accès à des parties de l’écosystème propices àla culture du café ou du cacao.

Ne disposant que de peu de terres, ces agriculteursmettent en place des systèmes de culture qui de-mandent beaucoup de travail ; la valeur ajoutéenette par unité de surface est la plus importante(riz pluvial, maraîchage, riz pluvial et maïs asso-cié ; cf. courbe VAN par unité de surface) : laforce de travail n’est pas un facteur limitant dansleur cas. La rémunération à la journée de travailpour ces systèmes de culture est supérieure auprix de la journée sur le marché du travail.

Ce sont aussi des systèmes de production inten-sifs au niveau de la surface (création de richessepar unité de surface importante). Il n’en demeurepas moins que la valeur ajoutée nette totale crééesur l’exploitation demeure faible. Et, comme ilspayent une rente foncière pour louer une partiede leur terre, leur revenu par actif se situe bien endessous du seuil de survie. Cette catégorie d’ex-ploitants ne dispose pas de surfaces agricolesassez importantes pour ne vivre qu’à partir desrevenus issus de l’agriculture (le revenu agricolepar actif est compris entre 20 000 à 50 000 Fcfapar actif et par an, soit moins de 80 euros par an).Ces agriculteurs se voient donc dans l’obligationde louer leur force de travail sur d’autres exploi-tations agricoles ou en ville.

Ces agriculteurs n’ont pas eu accès aux terres si-tuées en interfluves, de telle sorte qu’ils n’ont paspu mettre en place des plantations pérennes.

●● Les petits exploitants agricolesqui n’ont pas accès aux bas-fonds(de 1 à 4 hectares) (type 3)

Les agriculteurs appartenant à cette catégoriecultivent des parcelles situées en interfluves ;nous les distinguons des petites exploitationsagricoles avec un accès aux bas-fonds, puisqu’ilsne mettent pas en place les mêmes systèmes deculture : ils ne cultivent pas de riz irrigué et nefont pas de maraîchage.

Ils possèdent par contre de petites plantationsmixtes de café cacao de moins de 3 hectareset/ou des parcelles en caféiers purs de 1 à 1,5hectare et/ou une ou des petite(s) parcelle(s) (0,5à 1 hectare) en cacao pur. Leurs plantations sontgénéralement âgées.

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ILLUSTRATION 31B : Type 2 - Les petits producteurs qui ont un accès aux bas-fonds

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ILLUSTRATION 31C : Type 3 - Les petits producteurs qui n’ont pas d’accès aux bas-fonds

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ILLUSTRATION 31D : Type 4 - Les petits planteurs engagés dans le renouvellement de leur plantation

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Analyse des systèmes de production

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En plus de ces petites plantations, ils possèdentde petites surfaces agricoles sur lesquelles ils pra-tiquent des associations vivrières : maïs, manioc,arachide, gombo. Certains ont des parcelles enmaïs pur de moins de 1 hectare.

Dans tous les cas, les surfaces en plantation sontsupérieures aux surfaces vivrières.

Comme la catégorie d’agriculteurs précédente,ils possèdent des outils rudimentaires, machette,houe, hache d’abattage.

Ils ne pratiquent pas d’élevage, et possèdent seu-lement quelques volailles.

Certains confient leur parcelle de cacao ou leurparcelle mixte café-cacao à un abusan.

Leur revenu agricole se situe entre 60 000 et80 000 Fcfa par actif et par an.

●● Les petits planteurs engagés dansle renouvellement de leur plantation(3 et 6 hectares) (type 4)

Ces petits planteurs sont des allogènes ou desallochtones. Ils possèdent entre 3 et 6 hectaresen surface totale dont 3 à 3,5 hectares de plan-tations mixtes café-cacao, généralement âgées(plus de 25 ans) ; 0,5 à 1 hectare de terre encours de plantation avec l’association banane,igname, jeunes plants de café ou de cacao ; et0,5 à 1 hectare avec l’association maïs, arachide,banane, cacao, café. Toutes ces parcelles sontsituées en interfluve.

Ils possèdent de petites surfaces en vivrier enplus de celles qui sont associées aux nouvellesplantations ; on y rencontre les associations maïs,arachide, manioc, ou maïs pur. Les meilleurs ren-dements obtenus sur leurs plantations sont fai-bles : 270 kg/ha de café et 200 kg/ha de cacao.

Ils n’ont pas d’élevage, possèdent quelques vo-lailles seulement, et n’ont pas d’activité agricolesupplémentaire.

Comme pour les deux catégories d’agriculteursprécédemment décrites, ils ont un faible niveaud’équipement et ne possèdent qu’un outillagemanuel. Parfois, ils peuvent confier une partiede leur plantation à un abusan.

Leur revenu agricole se situe entre 45 000 et170 000 Fcfa par actif.

Ce système de production est relativement in-tensif par rapport à la surface cultivée (créationde richesse par unité de surface importante).Nous pouvons attribuer cela aux cultures asso-ciées aux plantations ; en effet, les cultures as-sociées aux jeunes plantations dégagent une VAB/hectare plus importante que les plantations mix-tes et les plantations de café.

●● Les exploitations agricolesde taille moyenne (surface compriseentre 10 et 20 hectares) (type 5)

Les agriculteurs appartenant à cette catégoriepossèdent des surfaces en friches non négligea-bles, allant de 3 à 7 hectares de friches arborées.

Ils sont propriétaires de la terre et sont engagésdans une dynamique de renouvellement des plan-tations ; ils abattent les vieux caféiers pour plan-ter du cacao. Ils possèdent entre 5 et 8 hectaresde plantation mixte café-cacao (la plupart de cesplantations sont âgées, plus de trente ans), 1 à 3hectares de plantations de cacao, et 0,5 à 1 hec-tare de plantations en renouvellement.

Certains d’entre eux traitent les plantations. Ilscultivent des cultures vivrières sur des plantationsen renouvellement (0,5 à 1 hectare), mais égale-ment sur des parcelles en friche de courte duréeen rotation qui peuvent atteindre un hectare.

Devant l’impossibilité d’entretenir la totalité deleur surface agricole (la surface par actif familialétant trop élevée), certains cèdent une partie deleur terre à des abusans et bénéficient ainsi d’unerente foncière.

La gestion de la force de travail extérieure est laparticularité des agriculteurs de ce groupe. Ilsfont appel à de la main-d’œuvre temporaire oupermanente.

Ils utilisent des outillages manuels pour la culturedu café et du cacao (houe, machette, limes) ;certains d’entre eux possèdent un hangar pourstocker leurs récoltes, des aires de séchage enbéton, un pulvérisateur et une bicyclette.

Les agriculteurs appartenant à cette catégorieainsi que les grands planteurs (catégorie suivante)sont caractérisés par une création de richessepar hectare similaire et relativement faible. Lessystèmes de pratiques qu’ils développent sont

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ILLUSTRATION 31E : Type 5 - Les exploitations de taille moyenne 10 et 20 hectares

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Analyse des systèmes de production

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plus extensifs que ceux des maraîchers et desplanteurs qui renouvellent leurs plantations ; eneffet, la majorité de leurs systèmes de culturesont basés sur des plantations mixtes ou des plan-tations de caféiers : des systèmes de culture trèsextensifs en travail (VAB/surface faible).

Attention, notons au passage que les surfaces enfriche n’ont pas été prises en compte dans le cal-cul de la surface. Si elles l’avaient été, ce systèmede production paraîtrait encore plus extensif.

●● Les grands planteurs (50 à 130 ha)(type 6)

Cette catégorie d’exploitants agricoles se carac-térise par des surfaces en propriété importantes :entre 50 et 130 ha. Ce sont des autochtones quise sont attribué des terres pour les plus vieux, ouqui sont les héritiers des premiers arrivants agnispour les autres. Leurs plantations sont prochesdes villages.

Au moins la moitié de la surface dont ils dispo-sent est en friche arborée ou en anciennes plan-tations de café qui constituent des réserves deterre. En effet, ils disposaient auparavant de surfacesimportantes en caféiers lorsqu’ils ont dû, faute derentabilité, en laisser une partie en friche à la findes années 1980. Ces friches de plus de vingt ansconstituent aujourd’hui une réserve de terre fertilepour la création de nouvelles plantations.

La quantité de terre en leur possession étant net-tement supérieure à la superficie que peut cul-tiver la seule main-d’œuvre familiale, ils font lar-gement appel à de la main-d’œuvre extérieure.Pour exploiter leurs plantations, ils ont d’une partrecours à de la main-d’œuvre salariée en com-plément de la force de travail familiale, et d’au-tre part cèdent également une partie de leurs ter-res (de leur plantation dans la plupart des cas)en faire-valoir indirect aux abusans.

Pour un des deux cas étudiés en détail, la main-d’œuvre salariée constitue la seule force de tra-vail, le propriétaire étant engagé vers d’autresactivités économiques.

Ils font appel aux trois principaux types de main-d’œuvre de la région : des ouvriers permanents(payés au mois ou à l’année travaillant sur deschantiers comme l’abattis des friches), des abu-

sans employés pour travailler surtout sur les plan-tations de café, et des ouvriers temporaires quiviennent en aide pour la récolte du café.

Les grands planteurs utilisent des intrants sur leursplantations (engrais, produits phytosanitaires), ilsne plantent que des plants de café ou de cacaosélectionnés, sans toutefois obtenir des rende-ments significativement différents de ceux desautres catégories de planteurs.

La création de richesse par actif est toujours su-périeure à 250 000 Fcfa par an, mais la rémuné-ration du travail familial est plus élevée encoredans la mesure où le revenu familial est « par-tagé » entre peu de mains par rapport à tous les ac-tifs qui ont participé au processus de production.

Monsieur A., descendant direct du pre-mier fondateur et grand planteur à Affali-kro, se rend tous les jours sur sa plantation,au volant de sa Mercedes, plantation pour-tant située non loin du village. Il est « pa-tron », tient à ce que cela se sache, et ré-pugne à partager tout repas avec sestravailleurs. Une partie de sa plantation decacao date des années quarante, il l’a hé-ritée de son père.

Bien que père de nombreux enfants, il nebénéficie aujourd’hui que de l’aide d’unde ses fils, tous les autres ayant quitté levillage pour aller en ville. Aussi travaille-t-il avec une douzaine d’abusans togolais etcinq « mensuels » nourris, logés, soignéset payés mensuellement.

Bien que très ancienne, sa plantation pro-duit encore et fait l’objet de soins attentifs.Installée sous l’ombrage de grands arbrespréservés à l’époque de l’installation de laplantation par son père (il est fier de n’a-voir jamais vendu de bois), la plantationest « prolongée » au maximum par une ges-tion minutieuse de la densité des cacaoyerset de l’intensité de l’ombrage : on fait cre-ver par le feu ça et là de grand arbres de-venus trop envahissants ; on abat ... /...

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Analyse des systèmes de production

124

ILLUSTRATION 31F : Type 6 - Les grandes exploitations de plus de 30 hectares

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Comparaison des résultatséconomiques des différentssystèmes de production

●● Valeur ajoutée nette/actif en fonctionde la surface agricole utile/actif

Il est possible de visualiser sur ce graphique despoints qui correspondent à des exploitations agri-coles situées dans des conditions de surface et demain-d’œuvre similaires et pratiquant le mêmesystème de production. La création de richesseréalisée par chaque actif est proche, et ces pointspeuvent être groupés. Chaque système de pro-duction apparaît alors comme un nuage de pointsallongé suivant les variations de surface dispo-nible par actif et les variations de résultats paractif (cf. l’illustration 32 page 126).

●● Revenu agricole familial/actif familialen fonction de la surface agricoleutile/actif familial

Comme dans le cas précédent, on identifie lessystèmes de production et l’on peut faire desgroupements de points représentant les exploi-tations agricoles issues de la même catégorie so-ciale (exploitations patronales, propriétaires avecmétayers, exploitations familiales en métayage,exploitations familiales propriétaires) pratiquantle même système de production, et qui par consé-quent, disposent de revenus agricoles proches.

Analyse des systèmes de production

125

La position respective des points sur ces deuxgraphiques met en évidence l’importance desrapports sociaux de production, l’emplacementd’un point variant d’un graphique à l’autre sui-vant qu’il s’agit d’un métayer ou un propriétairefoncier.

Sur la courbe, lorsqu’on compare la valeur ajou-tée nette par actif en fonction de la surface avecla courbe présentant les revenus, les points re-présentant les abusans chutent de moitié, en rai-son de la rente foncière qu’ils doivent verser àleur propriétaire… Le revenu de ces propriétairesaugmente donc d’autant. Les abusans ont la mêmeproductivité (VAN) que les autres catégories d’a-griculteurs ; seulement, les rentes qu’ils doiventdonner au propriétaire sont telles que leur revenuest quasiment trois fois inférieur à la richesse qu’ilsont créée ; leur situation sociale les distingue desautres planteurs. Même si les systèmes de pro-duction sont intensifs au niveau vivrier, les abu-sans versent également une partie de cette pro-duction (selon un contrat plus avantageux quepour les plantations) à leur propriétaire.

Un agriculteur familial propriétaire, en revan-che, se positionne de la même façon sur les deuxgraphiques (cf. l’illustration 32 page 126 et l’illus-tration 33 page 127) dans le cas d’Abengourou,où le niveau d’imposition et d’endettement estfaible.

Ce graphique est une base de travail qui nouspermet d’analyser la situation agricole de la ré-gion dans son ensemble, en mettant en relationtous les éléments que nous avons collectés de-puis les neuf premiers jours : les facteurs sociaux,historiques, agronomiques puis économiques.

Mais, en comparant la position respective de cesdifférents nuages de points avec différents ni-veaux de revenus, il est possible d’initier uneanalyse prospective de la situation. Il est ainsiutile de représenter aussi le seuil de survie ainsique le coût d’opportunité de la main-d’œuvre.

Calcul du seuil de survie

Réaliser un diagnostic d’une situation agrairesuppose de pouvoir en évaluer la durabilité. Ilconvient donc de pouvoir déterminer si les dif-férents types d’exploitations agricoles sont en si-tuation de capitalisation, de stagnation ou de dé-capitalisation.

... /... quelques pieds de cacaoyers s’ilss’avèrent trop serrés ou on les élague sé-vèrement ; on « bouche » les trous de lu-mière de la plantation en replantant de jeu-nes pieds sous ombrage de bananiers, etc.Enfin, une réelle dynamique de replanta-tion est en cours sur de vieilles caféièresen friche. Après un nouveau cycle d’abat-tis-brûlis, igname, taro et bananiers ac-compagnent l’installation des jeunes ca-caoyers.

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Analyse des systèm

es de production

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ILLUSTRATION 32 : Performances économiques des systèmes de production. Valeur ajoutée nette par actif total en fonction de la surface par actif total.

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Analyse des systèm

es de production

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ILLUSTRATION 33 : Performances économiques des systèmes de production. Revenus agricoles par actif familial en fonction de la surface par actif familial.

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Il est ainsi utile d’estimer le seuil de survie, c’est-à-dire le revenu minimum qu’un actif doit dé-gager de son exploitation pour assurer sa survieet celle de ses dépendants, donc des personnesnon actives qui sont à sa charge (enfants en basâge, infirmes, personnes âgées).

Pour calculer le seuil de survie, nous calculonsle minimum vital dans la région, en considérantle besoin minimal en nourriture d’une personne

Analyse des systèmes de production

128

adulte et de ses dépendants, ses besoins vesti-mentaires et de santé pour une année.

Prenons un exemple19. La répartition est la sui-vante (cf. tableau ci-dessous) :

Riz, manioc, maïs grillé, futu banane,futu igname, légume huile, cube maggi,arachide graine, poisson séché

150 Fcfa le matin75 Fcfa le midi150 Fcfa le soir

365

Bangui (1 litre par jour)

Marmite (amortie sur 10 ans)

Vêtements usagés

Sandales en plastique

Savon (1 bout toutes les 2 semaines)

TOTAL

50 Fcfa

3 000 Fcfa

1 000 Fcfa

100 Fcfa

54

1

2

27

136 800 Fcfa

2 700 Fcfa

3 000 Fcfa

2 000 Fcfa

2 700 Fcfa

147 000 Fcfa

19 Brayer J., Diagnostic agraire d’une petite région d’an-ciens fronts pionniers en Côte d’Ivoire. Quelles évolu-tions des systèmes de production ?, mémoire de DEA,INA-PG, Cirad, 1999.

Le seuil de survie pour la région est évalué à150 000 Fcfa par an. En outre, précisons qu’ils’agit d’un revenu minimal de survie par actif,c’est-à-dire du minimum nécessaire pour fairevivre un actif et les inactifs qui l’accompagnent.

Il convient d’estimer uniquement les besoinsréellement vitaux, dans la mesure où l’utilisationparticulière des revenus supplémentaires améliorecertes le niveau de vie des exploitants, mais pasla reproduction de la main-d’œuvre familiale.

Calcul du coût d’opportunitéde la main-d’œuvre familiale

Dans la région d’Abengourou, la force de travailen ville est rémunérée 700 Fcfa par journée tra-vaillée. Nous avons considéré qu’un ouvrier tra-vaille au maximum 300 jours par an, ce qui nousdonne un revenu minimum en ville de 210 000Fcfa/an. Notons que si le niveau de chômage estimportant en zone urbaine, il est probable qu’un

agriculteur peu qualifié ne trouverait pas d’em-ploi en ville, ou un emploi encore moins rému-néré, ce qui abaisserait encore le coût d’oppor-tunité de la force de travail familiale.

À partir du seuil de survie et du coût d’oppor-tunité, il est possible d’évaluer la durabilité éco-nomique des différents types d’exploitationsagricoles :

➤ celles situées en dessous du seuil de survie ris-quent de disparaître. Elles n’assurent en effet pasla reproduction de la main-d’œuvre familiale ousi elles y parviennent, c’est au prix d’une décapi-talisation : la survie de la famille n’est possibleque par le non-renouvellement du matériel oumême par la vente de celui-ci ou éventuellementdes animaux. Cependant, il se peut qu’une ex-ploitation située en dessous du seuil de survie soitdurable si ce déficit de revenu est comblé par desrevenus extérieurs (non pris en compte ici) ;

Prix unitaire Nombre Coût à l’année

Page 128: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

➤ celles situées entre le seuil de survie et le coûtd’opportunité risquent aussi de disparaître dansla mesure où l’exploitant assure certes la repro-duction de sa force de travail et dispose éven-tuellement d’une petite capacité d’investisse-ment, mais il aurait intérêt à investir son travaildans une activité non agricole. Pour les exploi-tations situées au niveau du seuil de survie, onparle de reproduction simple, dans la mesureoù les revenus sont insuffisants pour investir, lesystème se reproduit chaque année à l’identique ;

➤ celles situées au-dessus du coût d’opportunitésont en situation de capitalisation dans la me-sure où le revenu dégagé assure non seulementle renouvellement des équipements et la repro-duction de la main-d’œuvre familiale, mais peutaussi permettre de dégager une épargne et d’in-vestir dans le système de production. On parleaussi de reproduction élargie. Notons cepen-dant que les revenus supplémentaires ne sontpas forcément destinés à l’investissement, maispeuvent aussi améliorer dans un premier tempsles conditions de vie de la famille.

Conclusion

Les agriculteurs dont les ressources foncières sontlimitées adoptent souvent des modes de mise envaleur de leur terre relativement intensifs par unitéde surface. Mais le revenu par actif est souvent fai-ble, car ces systèmes de culture demandent gé-néralement beaucoup de travail et ne se prati-quent que sur de petites surfaces. Au contraire,ceux qui détiennent le plus de surface mettentparfois en œuvre des systèmes de culture moinsintensifs, c’est-à-dire mobilisant peu de travail etpeu de capital à l’unité de surface. Mais, prati-qués sur de larges surfaces, ces systèmes sont plusrémunérateurs par actif.

On voit ainsi que l’intérêt économique des agri-culteurs n’est pas toujours l’intensification. Lecas des plantations de café et de cacao peu en-tretenues en donne une bonne illustration : lesrendements sont faibles, mais la productivité dutravail et le revenu par actif peuvent être élevéssi l’on dispose de grandes surfaces en plantation.

Analyse des systèmes de production

129

Cependant, devant les problèmes de rentabilitéliés aux plantations pérennes et en raison de lapression démographique, certains agriculteursont développé de nouveaux systèmes de culturetant sur les interfluves (systèmes de culture à basede maïs et d’arachide, par exemple) que dansles bas-fonds. Les bas-fonds ont d’ailleurs connuun regain d’intérêt récemment. Bien que certainsd’entre eux demeurent encore en friche unebonne partie de l’année, voire plusieurs annéesde suite, maraîchage et riziculture connaissentun développement certain. Les perspectives agro-nomiques offertes par ces espaces sont impor-tantes, tant par le réservoir de fertilité qu’ils re-présentent parfois, que par la possibilité de réa-liser plusieurs cycles de cultures par an.

●● Une différenciation paysannemarquée par l’accès au foncier

L’accès différencié aux ressources foncières aconduit les exploitants à pratiquer des combinai-sons de production différentes et à adopter desmodes d’exploitation du milieu différents. Dansles villages d’Assekro et d’Affalikro, comme danstoute la Côte d’Ivoire forestière d’ailleurs, les mo-dalités d’accès au foncier ont été en grande par-tie déterminées par l’époque d’installation (et doncl’origine des gens), et par la capacité de chaquegroupe à contrôler la force de travail nécessaire(familiale ou non) à l’extension et à l’entretien desplantations. C’est ainsi que les familles d’origineagni, les premières installées dans la région, ontdéfriché les premières parcelles qui furent plan-tées en café et cacao. Très vite, d’autres familles,d’origine Baoulé cette fois-ci, sont venues s’ins-taller dans la région, à une époque où, nous l’a-vons vu, un simple cadeau symbolique fait auxautochtones suffisait pour se faire octroyer devastes portions de forêt.

Devant l’extension des plantations, les planteursagnis et baoulés ont alors fait appel à de la main-d’œuvre d’origine plus lointaine, malienne dansun premier temps. Après un certain temps de tra-vail comme abusan, les Maliens auront égale-ment accès à des parcelles pour y planter du caféet du cacao.

Entre-temps, les Agnis et les Baoulés accroissentleurs surfaces en plantations, leurs exploitations

Page 129: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Analyse des systèm

es de production

130

ILLUSTRATION 34 : Processus d’accès à la terre et différenciation des exploitations agricoles

Agnis : populationd’origine qui installe

des campementset crée les premières

plantationsdans la forêt.

Arrivée de Baoulés,ethnie du centre

du pays.

Devant le besoinde main-d’œuvre

toujours grandissant,on fait appel à

de la main-d’œuvre« étrangère »,des Maliens.

Enfin, les dernièrespopulations à être

arrivées dans la régiond’Abengourou

sont des Burkinabés.

1930 1940 1950 1970

Attribution desplantations à la suited’une demande au

chef du village.

Les Agnis vont seconstituer de grandes

exploitationsavec de nombreux

travailleurs extérieurs ;ils possèdent

des réserves de terre.

Ce sont lesagriculteurs de type 6,les grands exploitants

agricoles dontla surface agricoledépasse les 30 ha.

Ils travaillent pendantun certain temps

(deux ou trois ans) etaccèdent aux terres

situées en interfluves,les meilleures pour

la culture de plantespérennes.

Au cours du temps,ils se constituent des

plantations de plus dedix hectares, ce sont

principalementles exploitations

moyennes etles petits planteurs,

types 4 et 5.

Ils vont acquérirde petites plantations

en café-cacao(entre 3 et 6 hectares)sur des terres situées

en interfluves.

Exploitations agricolesde types 3 et 4.

Les premiersarrivés ont

travaillé pendantun certain tempscomme abusans(plus de dix anspour certains),

ont eu lapossibilité de

cultiver les bas-fonds pour leurpropre compte.Exploitations

agricolesde type 2.

Ensuite,certains

abusans n’ontpas changé decondition etn’ont pas puacquérir deterres, car il

n’y avait plusde foncierdisponible.

Exploitationsagricolesde type 1.

Les derniersarrivés

ont quittéla région,

à la recherchede terres à

défricher surles nouveaux

frontspionniers.

Besoinen main-d’œuvre

Page 130: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

deviendront celles que nous avons caractériséescomme étant les types 4, 5 et 6. Les familles ar-rivées plus tardivement, par contre, ne pourrontpas augmenter de façon significative la taille deleurs plantations, puisque les réserves foncièresont déjà sérieusement diminué et qu’elles sontcontrôlées de plus en plus sévèrement par les fa-milles autochtones.

Arrivent enfin des Burkinabés, dans les années1960-70, qui vont travailler eux aussi dans unpremier temps comme abusan. Malheureuse-ment pour eux, le domaine foncier commenceà être saturé et tous n’auront pas accès à la terre.Les premiers servis auront droit néanmoins à depetits lopins de terre en interfluve et y planterontdu café-cacao (exploitants de type 3).

D’autres auront accès à des parcelles en bas-fond, les espaces non convoités d’alors, puis-qu’on ne peut pas y installer de plantations pé-rennes. Ils vont alors exploiter ces espaces en ypratiquant des cultures dont ils maîtrisent lestechniques et qui sont encore peu développéesdans la région : le riz pluvial, et le riz inondé.Ce sont les agriculteurs de type 2.

D’autres parmi les Burkinabés ne se verront ja-mais attribuer de parcelles. Tandis que certainsd’entre eux continuent, dix ou vingt ans aprèsleur arrivée, à travailler comme abusan dansl’espoir d’obtenir un jour un petit lopin de terre(type d’exploitation no 1), certains, découragés,partent pour aller tenter leur chance vers de nou-veaux fronts pionniers (sur les dernières forêtsvierges de la Côte d’Ivoire) à l’Ouest.

●● Vers une relance de la productioncacaoyère ?

La région d’Abengourou fut une des premières àse lancer dans l’extension accélérée des planta-tions de café et de cacao, et fait partie de ce quel’on a appelé la « première boucle du cacao ».C’est donc dans cette région que la forêt d’ori-gine a été le plus précocement remplacée parles plantations pérennes et que, une quarantained’années plus tard, le problème du renouvelle-ment des plantations les plus anciennes a étéposé en premier. Malgré cette antériorité et lecaractère déjà ancien de l’économie de planta-tion, la lecture attentive du paysage a fait res-

Analyse des systèmes de production

131

sortir une très grande diversité de situations(confirmée par les résultats économiques mis enévidence) et les différents visages de cet ancienfront pionnier : vieilles caféières complètementindiscernables enfouies sous un recrû forestierde grande taille, plantations mixtes de tous âgeset d’aspects très contrastés, anciennes caféièresreconverties en parcelles de cultures vivrières etdont il ne reste que quelques souches brûlées,caféières recépées et manifestement entretenues,vieilles cacaoyères encore en production et par-tiellement ombragées par d’immenses fromagers,parcelles récemment abattues et brûlées et danslesquelles on aperçoit de jeunes plants de cacaoassociés aux cultures vivrières, etc.

Ce qui frappe cependant dans cet apparent fouillis,c’est bien une tendance à replanter de jeunes ca-caoyers en lieu et place des plantations caféiè-res abandonnées depuis longtemps et où la vé-gétation forestière avait repris ses droits. Il s’agiten fait d’une nouvelle phase d’installation deplantations de cacao après abattis d’une forêt se-condaire et reconstitution partielle de la « rentedifférentielle forêt » sur les friches arborées à cafédes années quarante et cinquante.

Sur ces parcelles où un niveau de biomasse im-portant s’est développé, on assiste en réalité àun mini « front pionnier » au cœur même del’ancienne boucle du cacao. Si un nombre suf-fisant de grands arbres a été conservé lors dupremier cycle de plantation et qu’un véritablerecrû arboré a permis la reconstitution au moinspartielle des strates intermédiaires de la forêt, lesconditions peuvent être à nouveau réunies pourinstaller avec succès une cacaoyère. Mais dansle cas contraire, le succès n’est pas assuré. Lesseules plantations cacaoyères produisant encoreaujourd’hui plus de 800 kg de cacao par hec-tare sont celles qui furent installées dans les an-nées quatre-vingt au détriment des dernières par-celles forestières « vierges » du territoire villageois.On leur applique deux traitements par an, maisleurs propriétaires jugent superflu l’apport d’en-grais conseillé par les agents de vulgarisation...Partout ailleurs, les rendements sont beaucoupplus faibles et les agriculteurs rencontrent da-vantage de difficultés pour lutter contre les ad-ventices ou les problèmes phytosanitaires. C’estle cas par exemple de ceux qui, dans leurs an-

Page 131: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

ciennes plantations mixtes de café-cacao, ontentrepris le remplacement progressif des caféierspar de jeunes cacaoyers.

Outre l’effet « précédent », assez déterminantdans le succès ou l’échec de cette dynamiquede replantation, l’actuel différentiel de prix cacao-café largement favorable au premier, n’est passans encourager cette renaissance cacaoyère.Certains, prudents, n’en continuent pas moins àcomplanter cacao et café au cas où le cours deschoses viendraient à s’inverser...

●● Mais qui replante et qui entretiendrales plantations ?

Aujourd’hui, et bien qu’une certaine « saturationfoncière » soit sur toutes les lèvres, la pénurie demain-d’œuvre est partout visible dans le paysaged’Assekro et d’Affalikro : plantations abandon-nées, parcelles en friches ou largement envahiespar Chromolaena odorata, bas-fonds encore assezpeu mis en valeur, etc. Les tensions sur le fon-cier, de plus en plus perceptibles, et l’impossibi-lité qui en résulte d’acquérir un droit à planterpour les allogènes en particulier (quand cela neconcerne pas les allochtones eux-mêmes !), nerisque plus d’attirer de nouveau migrants. En outre,de nombreux abusans sont d’ailleurs partis en di-rection du front pionnier vers le sud-ouest ivoirien,ou alors retournés dans leur région d’origine, cequi se traduit par un tassement, voire une dimi-nution de la densité démographique régionale.

Saturation foncière ne rime pas avec saturationdémographique ! Voici bien un paysage large-ment en friche, une densité de population enbaisse, et un discours pourtant dominé, dans labouche des familles autochtones, par le thème dela saturation foncière qui, dit-on, mettrait en périll’économie agricole et la paix sociale…

On aurait pu penser que, pour enrayer le départdes abusans, pour lesquels le contrat au tiers aperdu de plus en plus de son attrait en raison dela baisse de la productivité du travail, les plan-teurs aient tendance à modifier les termes ducontrat dans un sens plus favorable au travailleur :partage de la récolte en deux moitiés par exem-

Analyse des systèmes de production

132

ple, ou accès plus large au foncier par ailleurs.Il n’en a rien été. L’accès au foncier semble plusfermé que jamais et le partage un tiers-deux tiersde la récolte ne semble pas remis en questionmalgré les revendications de certains abusans.Mais qui est encore abusan ? Et que recouvre au-jourd’hui ce contrat social ?

À une certaine époque, l’abusan a pu être consi-déré comme le véritable centre de décision d’uneunité de production autonome (distincte bien sûrde l’unité foncière, comme nous l’avons vu pré-cédemment). Le versement des deux tiers de larécolte au propriétaire s’apparentait alors au sim-ple règlement de la rente foncière, hypothèse re-tenue pour notre analyse économique. Mais au-jourd’hui, certains « patrons » considèrent leursabusans comme une simple force de travail àleur service, le tiers de la récolte revenant à l’a-busan pouvant cette fois-ci être considéré commeun simple paiement à la tâche ou au contrat.Certains planteurs, participant activement au pro-cessus de production en fournissant par exemplel’ensemble des produits de traitement et de l’ou-tillage, déduisent tous les frais de culture du pro-duit total de la vente de la récolte avant de par-tager ce qui reste en trois parts égales, dont uneseulement reviendra à l’abusan.

Ainsi, la rémunération du travail des abusans etde la main-d’œuvre temporaire semble orientéedurablement à la baisse. Cette dynamique nais-sante d’un nouveau cycle de replantation au dé-triment des vieilles friches à café ne risque-t-ellepas de s’essouffler si les rapports sociaux en vi-gueur aujourd’hui, et particulièrement défavo-rables à la force de travail, ne sont pas assou-plis ? Une véritable relance d’un nouveau cyclede production cacaoyère est-elle envisageablesans force de travail stable ? Ou compte-t-on uni-quement sur la force de travail familiale et sur leretour des urbains au chômage pour prendre encharge les nouvelles plantations et restaurer lesanciennes ? Tout porte à croire que l’avenir dela culture de cacao dans la région dépendra engrande partie de l’évolution des rapports terre/tra-vail dans ces villages cosmopolites et du main-tien de la paix sociale.

Page 132: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Pourquoi est-il indispensable de restitueraux agriculteurs et à leurs famillesles travaux de diagnostic réaliséspar les groupes d’étudiants en stage ?

➤ Par simple respect et politesse vis-à-vis desgens qui ont accueilli et renseigné les étudiantset les enseignants.

➤ Pour valider publiquement les informationsrecueillies, c’est-à-dire vérifier si on a bien com-pris comment, localement, les habitants prati-quent l’agriculture et dans quelles conditions.

➤ Pour corriger les erreurs qui auraient pu êtrecommises avant que des documents écrits nesoient élaborés.

➤ Pour contribuer à mettre en œuvre de nouvel-les démarches de vulgarisation et de recherche-action basées sur le dialogue et la mobilisationresponsable de toutes les catégories d’agriculteursconcernés par le développement rural.

La démarche de diagnostic proposée pendant lestage, et relatée dans ce dossier, tente de privilé-gier de nouvelles attitudes dans les situations deformation avec les étudiants et dans les actions dedéveloppement avec les agriculteurs. Cette pra-

133

tique de diagnostic et la démarche de dialogueque nous proposons dans ce document pédago-gique ne débouchent pas nécessairement sur desrecommandations d’experts ayant un caractèreprescriptif ; elle se distingue par son souci de pro-duire de l’information et des analyses sur les mo-dalités d’exploitation du milieu (écosystèmes cul-tivés) par les agriculteurs, sur l’environnementsocial et économique et ses évolutions.

Ces analyses et cette formalisation des informa-tions présentées lors des restitutions sont descontributions qui, d’une part, peuvent aider lesagriculteurs dans leurs réflexions et leur recher-che de solutions pour améliorer leurs conditionsde vie, et d’autre part, font remonter les ques-tions et les réflexions de ces agriculteurs auprèsdes instances régionales et nationales pour fairevaloir l’intérêt général.

Comment organiser une restitution ?

➤ Choisir une date et un horaire compatiblesavec les activités habituelles des agriculteurs.

➤ La durée des exposés ne doit pas être trop lon-gue : 1 heure maximum pour réserver du tempspour les discussions.

Initiation à une démarche de dialogue. Étude des systèmes de production dans deux villages de l’ancienne boucle du cacao

Épilogue :Restituer les résultatsdu séminaire aux villageoiset aux agents de développement

Page 133: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

➤ Les exposés doivent se faire dans la languecomprise par le plus grand nombre, et parfoismême dans plusieurs langues comme ce fut lecas à Affalikro (en agni, en baoulé et en dioula).

➤ La forme doit être simple, et concrète ; le vo-cabulaire trop abstrait sera évité, les mots scien-

Épilogue

134

tifiques seront traduits ou expliqués.

➤ À chaque fois que cela est possible, il est sou-haitable de faire des restitutions d’étapes avec,dans un premier temps, des groupes relativementhomogènes (jeunes, femmes, anciens, etc.) pourfavoriser l’expression du maximum de personnes.

Le diagnostic n’est pas une fin en soi. C’est un préalable indispensable :

➤ à la production de références sur les agricultures familiales utilisables par les responsablesd’organisations professionnelles agricoles, dans leurs négociations avec les responsablesdes politiques agricoles aux niveaux national et international ;

➤ à l’élaboration de dispositifs et de programmes de formation pour les enseignementsagricoles et les formations professionnelles ;

➤ au conseil de gestion adapté aux stratégies des différentes catégories d’agriculteurs ;

➤ à la mise en œuvre de processus de recherche de solutions et d’innovations avec lesagriculteurs concernés.

Sans préjuger des réponses, l’essentiel est de bien poser les problèmeset de créer les conditions pour amorcer un processus de dialogue.

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Page 134: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Agridoc est un réseau d’information et de documentation financépar le ministère français des Affaires étrangères. BDPA assure l’animationdu réseau et la réalisation de produits et services, et le GRET conçoit etédite des publications techniques.

Agridoc, un programme destiné aux acteurs du développement ruralLe programme Agridoc s'adresse aux responsables professionnels et praticiens de terrain des pays dela zone de solidarité prioritaire de la Coopération française (Afrique subsaharienne, Afrique du Nord,Asie et Caraïbes). Actuellement Agridoc compte environ 4 000 adhérents. Agridoc apporte un appui gratuit, variable selon les catégories de membres. Il peut comporter l'envoidu bulletin et de la revue thématique Agridoc, une dotation d'ouvrages et d'articles, l'accès au servicequestions-réponses ainsi qu'au site Internet (www.agridoc.com), une liste de discussion et un flashd'information électronique. Agridoc assure, de plus, la diffusion de documents édités par le GRET.

Décentralisation des activités via les centres relaisAfin de promouvoir l'échange entre les membres, le programme Agridoc décentralise certains servicesaux utilisateurs via la création de centres relais. Ces derniers facilitent la production et la circulationd'information et assurent une animation locale.Les centres relais bénéficient d'un soutien financier, logistique et technique. Ils reçoivent les ouvrages,articles et publications diffusés par Agridoc et disposent des bases de données. Le servicequestions-réponses est en partie décentralisé vers les relais. Quatre centres relais sont actuellementopérationnels : Burkina Faso (IPD-AOS), Cameroun (SAILD), Madagascar (CITE) et Tunisie (UTAP).Quatre autres seront ouverts d'ici la fin 2003.

Coordonnées de l’unité d’animationBDPA - Agridoc

3 rue Gustave Eiffel - 78286 Guyancourt Cedex - FranceTél. : 33 (0)1 30 12 48 40Fax : 33 (0)1 30 12 47 43Email : [email protected]

Site Internet : www.agridoc.com

OUVRAGES DE LA COLLECTION « DOSSIER PÉDAGOGIQUE »

Conduite des champs de riz pluvial chez les agriculteursd’un village de République de Côte d’Ivoire (région Ouest).Jean-Marc Barbier et Guillaume Dangé (Cnearc).ISBN : 2-86844-123-8.

Démarche d’étude des systèmes de production de la régionde Korhogo-Koulokakaha-Gbonzoro en Côte d’Ivoire.Hubert Cochet (Ina-PG), Michel Brochet (Cnearc), Zana Ouattara(Ésa Yamoussoukro), Véronique Boussou (Agrel).ISBN : 2-86844-124-6.

Démarche d’étude des systèmes de production de deux villagesau nord de Man (Gbatongouin et Mélapleu) en Côte d’Ivoire.Nicolas Ferraton (Cnearc Montpellier) et Hubert Cochet(Ina-PG Paris). Avec la participation de Zana Ouattara et KimouAkomian (Ésa Yamoussoukro), Diomandé Lassana (INFPA),Sébastien Bainville (Cnearc Montpellier). ISBN : 2-86844-126-2.

Page 135: Étude des systèmes de production dans deux villages de l

Initia

tion

à u

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émar

che

de d

ialo

gue.Étude des systèmes de production dans deux villages de l’ancienne boucle du cacao (Côte d’Ivoire).

Initiation à une démarche de dialogueÉtude des systèmes de production dans deux villages de l’ancienne boucle du cacao (Côte d’Ivoire)

En matière de développement rural, les décisions sont trop souvent prises loin des réalités de terrain. Faceà ce problème, ce manuel pédagogique propose une méthode pour améliorer l’apprentissage des futursformateurs en développement rural pour observer et comprendre un système agraire. Il a été rédigé à par-tir de l’exemple concret d’une formation à Abengourou en Côte d’Ivoire réalisée conjointement par leCnearc, l’Ina-PG et l’École supérieure d’agronomie de Yamoussoukro.

La démarche mise en œuvre s’appuie sur l’observation in situ et sur l’écoute des acteurs concernés par ledéveloppement rural avec une priorité pour les agriculteurs. Il est ainsi proposé de changer d’attitude par rap-port à l’acquisition des connaissances et aux comportements professionnels avec les agriculteurs. Trois atti-tudes clés : savoir observer, écouter et dialoguer. Une grande importance est accordée aux enquêtes, à l’a-nalyse du discours des personnes enquêtées et à la restitution auprès des agriculteurs du travail effectué.

Offrant en outre le grand avantage de lier dans une même problématique théorie et pratique, cette démar-che aborde les problèmes d’une façon globale en liant différentes disciplines (agronomie, économie,sociologie, etc.). Les nombreux outils méthodologiques et aspects pédagogiques présentés dans cet ouvra-ge le rendent très utile pour les agents de développement et les formateurs qui travaillent avec les paysans.

Initiation à une démarchede dialogueÉtude des systèmes de production dans deux villages de l’ancienneboucle du cacao (Côte d’Ivoire)

� Nicolas Ferraton (Cnearc Montpellier), Hubert Cochet (Ina-PG Paris)et Sébastien Bainville (Cnearc Montpellier)

Avec la participation de Zana Ouattara (Ésa Yamoussoukro) et Lagou Nguessan (INFPA)

Observer et comprendre un système agraire

DOSSIER PÉDAGOGIQUE

Les Éditions du Gret

Observer et comprendre un système agraire

Diffusion :GRET, 211-213 rue La Fayette 75010 Paris, France.Tél. : 33 (0)1 40 05 61 61. Fax : 33 (0)1 40 05 61 10.Site Internet : www.gret.org

Prix : 8 eurosAvril 2003

ISBN : 2-86844-133-5

Centre national d’études agronomiques des régions chaudes (CNEARC)1101 avenue Agropolis, BP 5098, 34033 Montpellier Cedex 01, France.Tél. : 33 (0)4 67 61 70 00. Fax : 33 (0)4 67 41 02 32.E-mail : [email protected]

École supérieure d’agronomie (ÉSA)BP 1313 Yamoussoukro, République de Côte d’Ivoire.Tél. : 225 30 64 10 08. Tél./Fax : 225 30 64 17 49.E-mail : [email protected]

Institut national agronomique de Paris Grignon (INA-PG)16 rue Claude Bernard, 75231 Paris Cedex 05, France.Tél. : 33 (0)1 44 08 17 08. Fax : 33 (0)1 44 08 17 27.E-mail : [email protected]

Avec le soutien du ministère des Affaires étrangèresDirection générale de la Coopération internationale et du développement - DGCIDDirection du Développement et de la Coopération technique20 rue Monsieur 75007 Pariswww.france.diplomatie.gouv.fr