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IRSN - Rapport scientifique et technique 2008 189 4. 1 ÉTUDE DU FLUAGE DES BÉTONS EN TRACTION : application aux enceintes de confinement des centrales nucléaires à eau sous pression Conception des enceintes de confinement des centrales nucléaires françaises Dans les centrales nucléaires françaises de type REP (réacteur à eau pressurisée) avec enceinte de confinement à double paroi, la paroi en béton précontraint est dimensionnée pour résister à une aug- mentation de pression interne en situation accidentelle – de l’ordre de 0,5 MPa en pression absolue, pour un accident de perte de réfrigérant primaire (figure 1). EDF, exploitant des centrales électronucléaires REP actuellement en service en France, doit justifier de la capacité de leurs enceintes de confinement à assurer, en cas d’accident, un taux de fuite qui soit inférieur à 1,5 %/24 h de la masse totale de gaz (mélange air + vapeur) contenue dans l’enceinte. Pour vérifier que l’enceinte est en capacité de remplir sa fonction de confinement en cas d’accident, chaque enceinte subit périodiquement (avant la mise en exploita- tion de la centrale, puis tous les dix ans), un test en grandeur nature en air sec à température ambiante à sa pression de dimen- sionnement : c’est « l’épreuve de l’enceinte ». Durant ces épreuves d’une durée de quelques jours – cela inclut la montée en pression par palier et le retour à la pression « normale » –, l’enceinte subit des sollicitations au cours desquelles des contraintes de traction peuvent apparaître dans des zones singulières (tampon d’accès des matériels, sas personnel…). De plus, à très long terme (au-delà de la durée de vie prévue de l’ouvrage), de telles contraintes de traction pourraient également apparaître en zone courante de l’enceinte si les déformations dif- férées (retrait et fluage) ont été sous-estimées lors du dimension- nement de la structure [Benboudjema, 2002]. Des déformations de fluage par traction peuvent apparaître dans ces conditions, avec apparition de fissures et/ou contribuer au développement de fis- sures préexistantes. Le fluage du béton constitue un des points essentiels du comportement mécanique du béton. Les essais correspondants sont longs et les résultats obtenus sont fortement influencés par l’âge du béton au moment du chargement, le niveau de contrainte appliqué et les conditions d’environnement de l’essai (température, hygrométrie...). Nanthilde REVIRON, Georges NAHAS Bureau d’analyse du génie civil et des structures Le béton, armé et précontraint, est un matériau couramment utilisé pour la construction de nombreuses structures des installations nucléaires. Dans le cas des enceintes de confinement des réacteurs, le béton armé précontraint remplit non seulement un rôle structurel mais aussi un rôle de confinement, pour la protection de l’environne- ment. Le travail de recherche mené dans le cadre de l’étude rapportée ici a pour objectif d’évaluer l’effet du fluage en traction du béton, d’une part, sur l’apparition de fissures pendant les épreuves décennales, d’autre part, sur la création d’une microfissuration du béton qui réduit sa capacité de confinement et sa durée de vie.

Étude du fLuage deS bÉtoNS eN tRactIoN - IRSN · 2010. 2. 19. · fluage par traction peuvent apparaître dans ces conditions, avec apparition de fissures et/ou contribuer au développement

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  • IRSN - Rapport scientifique et technique 2008 189

    4. 1

    Étude du fLuage deS bÉtoNS eN tRactIoN :application aux enceintes de confinement des centrales nucléaires à eau sous pression

    conception des enceintes de confinement des centrales nucléaires françaises

    Dans les centrales nucléaires françaises de type REP (réacteur à eau

    pressurisée) avec enceinte de confinement à double paroi, la paroi

    en béton précontraint est dimensionnée pour résister à une aug-

    mentation de pression interne en situation accidentelle – de l’ordre

    de 0,5 MPa en pression absolue, pour un accident de perte de

    réfrigérant primaire (figure 1).

    EDF, exploitant des centrales électronucléaires REP actuellement en

    service en France, doit justifier de la capacité de leurs enceintes de

    confinement à assurer, en cas d’accident, un taux de fuite qui soit

    inférieur à 1,5 %/24 h de la masse totale de gaz (mélange air +

    vapeur) contenue dans l’enceinte. Pour vérifier que l’enceinte est

    en capacité de remplir sa fonction de confinement en cas d’accident,

    chaque enceinte subit périodiquement (avant la mise en exploita-

    tion de la centrale, puis tous les dix ans), un test en grandeur

    nature en air sec à température ambiante à sa pression de dimen-

    sionnement : c’est « l’épreuve de l’enceinte ».

    Durant ces épreuves d’une durée de quelques jours – cela inclut la

    montée en pression par palier et le retour à la pression « normale » –,

    l’enceinte subit des sollicitations au cours desquelles des contraintes

    de traction peuvent apparaître dans des zones singulières (tampon

    d’accès des matériels, sas personnel…).

    De plus, à très long terme (au-delà de la durée de vie prévue de

    l’ouvrage), de telles contraintes de traction pourraient également

    apparaître en zone courante de l’enceinte si les déformations dif-

    férées (retrait et fluage) ont été sous-estimées lors du dimension-

    nement de la structure [Benboudjema, 2002]. Des déformations de

    fluage par traction peuvent apparaître dans ces conditions, avec

    apparition de fissures et/ou contribuer au développement de fis-

    sures préexistantes.

    Le fluage du béton constitue un des points essentiels du comportement

    mécanique du béton. Les essais correspondants sont longs et les

    résultats obtenus sont fortement influencés par l’âge du béton au

    moment du chargement, le niveau de contrainte appliqué et les

    conditions d’environnement de l’essai (température, hygrométrie...).

    Nanthilde REVIRON, Georges NAHASBureau d’analyse du génie civil et des structures

    Le béton, armé et précontraint, est un matériau couramment utilisé pour la construction de nombreuses structures

    des installations nucléaires. Dans le cas des enceintes de confinement des réacteurs, le béton armé précontraint

    remplit non seulement un rôle structurel mais aussi un rôle de confinement, pour la protection de l’environne-

    ment. Le travail de recherche mené dans le cadre de l’étude rapportée ici a pour objectif d’évaluer l’effet du fluage

    en traction du béton, d’une part, sur l’apparition de fissures pendant les épreuves décennales, d’autre part, sur la

    création d’une microfissuration du béton qui réduit sa capacité de confinement et sa durée de vie.

  • 4. 1

    190 Rapport scientifique et technique 2008 - IRSN

    démarche scientifique suivie

    Afin de répondre aux demandes d’expertise en sûreté, le compor-

    tement du béton soumis à des sollicitations mécaniques de traction

    uniaxiale doit être connu. Il est donc important de déterminer pour

    le matériau les différents couplages physiques et mécaniques entrant

    en jeu.

    C’est pourquoi une importante étude expérimentale relative au

    fluage d’un béton hydraté, âgé de 90 jours au minimum et repré-

    sentatif d’une paroi d’enceinte de confinement soumise à des efforts

    de traction, a été menée pour différents niveaux de contrainte.

    Quatre types d’essais ont été réalisés en parallèle : mesures des

    déformations d’origine thermique, des déformations de retrait de

    dessiccation, des déformations de fluage propre et des déformations

    différées totales. Une étude expérimentale sur le séchage du maté-

    riau non sollicité mécaniquement a également eu lieu.

    Les résultats obtenus seront comparés à ceux établis par EDF dans

    le cadre du travail de thèse de Laurent Granger [Granger, 1996] sur

    le fluage par compression d’un matériau de composition presque

    identique.

    campagne expérimentale de fluage en traction uniaxiale

    description des essais

    Pour cette étude, deux bâtis ont été réalisés, de manière à pouvoir

    faire plusieurs essais en parallèle (figure 2). Ils permettent d’appli-

    Alors que le fluage du béton en compression, en flexion ou en

    traction indirecte au jeune âge (dispositif de retrait empêché) a été

    considérablement étudié [Omar, 2004 ; Granger, 1996 ; Kovler,

    1994], ce n’est pas le cas du fluage en traction directe de bétons

    durcis, qui est bien moins connu [Berthollet, 2003 ; Brooks et Neville,

    1977 ; Morin et Maso, 1982]. En particulier, le domaine où la

    complaisance de fluage en traction directe est indépendante de la

    contrainte appliquée a été très peu étudié, de même que le risque

    de rupture du béton en cours de chargement.

    Le fluage du béton en traction au jeune âge a été plus souvent

    étudié [Kovler et al.,1999]. En effet, lorsque la déformation du béton

    (retrait endogène, déformation thermique) est gênée ou empêchée,

    le développement de contraintes de traction peut conduire à une

    fissuration. Néanmoins, de nombreux phénomènes complexes

    entrent en jeu (notamment les évolutions de la réaction d’hydra-

    tation et de la température), ce qui complique l’interprétation des

    courbes de fluage ou de relaxation.

    Pour ce qui concerne les bétons hydratés, il n’est pas tenu compte

    en général, lors du calcul de structures, du comportement du béton

    en traction. En effet, dans les structures en béton armé, les solli-

    citations de traction sont équilibrées par les armatures. De plus,

    la réalisation des dispositifs expérimentaux adaptés est délicate.

    Aussi, très peu de données sont disponibles à ce jour.

    Malgré le nombre important d’études réalisées sur le phénomène

    de fluage, les mécanismes mis en jeu ne sont pas encore parfaite-

    ment connus.

    Figure 1 Enceinte de confinement : prédiction du comportement différé [Granger, 1996].

    8,5 MPa

    12 MPa

    Pr

  • La simulation, les outils de calcul et la métrologie 4. 1

    IRSN - Rapport scientifique et technique 2008 191

    aluminium adhésif) dès le démoulage, dans une ambiance à 20 °C

    (± 1 °C) et 50 % (± 5 %) d’humidité relative.

    Les expérimentations réalisées sur un matériau durci ne concernent

    que la phase pré-pic du comportement uniaxial du béton. Différents

    niveaux de chargement (50 %, 70 % et 90 % de la limite à la

    rupture en traction) ont été auscultés avant le pic d’effort. Les

    spécimens ont été chargés à ces différents niveaux pendant trois

    jours. Plusieurs séries d’essais ont été effectuées par niveau de

    chargement pour quantifier la dispersion. Les éprouvettes ont

    ensuite été « déchargées » totalement pendant 24 heures pour

    caractériser la recouvrance, puis elles ont été chargées jusqu’à la

    rupture par traction directe (sur le même bâti), afin d’évaluer les

    effets du fluage sur les propriétés mécaniques résiduelles.

    formulation choisie

    Dans un but de représentativité des résultats, une formulation de

    béton donnée par EDF a été utilisée. Cependant, les caractéristiques

    rhéologiques d’un béton coulé en laboratoire (essai d’affaissement

    ou « slump », résistance, module de Young) sont différentes de

    celles d’un béton de chantier ; c’est pourquoi la formulation a dû

    être ajustée. Cette étape est très importante car aucun modèle ne

    permet de prédire avec exactitude les caractéristiques d’un béton

    quer un effort de traction directe sur une éprouvette par l’intermé-

    diaire d’un empilement de masses de poids unitaire de 13 kg.

    L’utilisation de masses permet d’assurer un chargement constant

    au cours de l’essai, quelles que soient la déformation du béton et

    les conditions environnementales, mais également de s’affranchir

    des contraintes associées à l’utilisation d’un asservissement hydrau-

    lique, notamment l’instabilité du système (charge appliquée moins

    constante dans le temps, émission de chaleur). L’éprouvette est

    fixée sur le bâti par l’intermédiaire de casques en aluminium vissés

    sur le bâti, d’une part, et collés sur l’éprouvette, d’autre part.

    Les corps d’épreuve sont de forme cylindrique, d’un diamètre

    de 13 cm et d’une hauteur de 50 cm (figure 3). Dans le cadre d’un

    complément à l’étude (non présenté dans ce rapport), concernant

    la mesure de la perméabilité à l’air, ces corps d’épreuve cylindriques

    sont munis sur toute leur longueur d’un trou central (e.g. cylindri-

    que) de diamètre 1 cm. La mesure de perméabilité permet notam-

    ment de quantifier l’évolution de la fissuration pendant l’essai. Le

    choix d’éprouvettes cylindriques permet de faciliter l’interprétation

    des résultats.

    Pour tous ces essais, le béton a durci pendant au moins 90 jours et

    a été conservé dans des conditions endogènes (film alimentaire +

    Figure 2 Bâti de fluage en traction. Figure 3 Schéma de l'éprouvette.

    50 cm

    13 cm

    1 cm

  • 4. 1

    192 Rapport scientifique et technique 2008 - IRSN

    le même béton. Cependant, le ciment utilisé dans l’étude décrite

    ici est de composition légèrement différente (le ciment utilisé en

    1996 ne se fabrique plus) ; de plus, le dosage en eau a été aug-

    menté de six litres pour respecter l’affaissement au cône d’Abrahams

    (slump) et tenir compte de la variation de l’absorption des granulats

    actuels. Bien que les granulats proviennent toujours de la même

    carrière, l’absorption est passée de 1,3 % à 1,6 %.

    en fonction de sa formulation. Il a donc fallu faire varier les para-

    mètres les uns après les autres pour réussir à trouver une formula-

    tion dont les caractéristiques se rapprochent le plus possible des

    données rhéologiques et mécaniques fournies par EDF. La durée de

    cette phase expérimentale a été relativement longue. La formulation

    (à base de granulats secs) et les caractéristiques du béton utilisé

    sont présentées dans le tableau 1. [Granger, 1996] a travaillé avec

    Tableau 1 Formulation et résultats de caractérisation du béton (résistance à la compression, fendage, module de Young).

    ciment (airvault)

    cemii 42,5rsable granulats 5-12,5 mm

    granulats 12,5-20 mm eau Plastiment hP slump air occlus

    kg/m3 kg/m3 kg/m3 kg/m3 l/m3 0,35 % cm %

    350 772 316 784 201 1,225 11 2,33

    rc rc rc fendage fendage module module

    7 jours 28 jours 90 jours 28 jours 90 jours 28 jours 90 jours

    MPa MPa MPa MPa MPa GPa GPa

    39,34 46,5 49,35 3,29 3,42 31,34 33,81

    Figure 4 Mesure de la déformation a) différée totale ; b) de fluage propre ; c) d’origine thermique et de retrait de dessiccation.

    a b c

  • La simulation, les outils de calcul et la métrologie 4. 1

    IRSN - Rapport scientifique et technique 2008 193

    l’essai permet de tenir compte de la part des déformations d’ori-

    gine thermique inhérentes aux fluctuations de la température

    d’ambiance. L’éprouvette est conservée dans des conditions endo-

    gènes pendant l’essai. Une seule éprouvette est utilisée pour toute

    la campagne expérimentale ;

    la mesure de la déformation de retrait de dessiccation (éprouvet-

    tes de 13 cm de diamètre et de 50 cm de hauteur) (figure 4c

    droite) : les éprouvettes sèchent dans les mêmes conditions que

    les éprouvettes de perte de masse et les éprouvettes de mesure

    des déformations différées totales. Trois essais sont effectués lors

    de la campagne expérimentale.

    instrumentation des essais

    Les déplacements sont mesurés sur une base de mesure de 40 cm en

    zone centrale de l’éprouvette (les effets de bord sont éliminés), grâce

    à trois capteurs LVDT (Linear Variable Differential Transformer) fixés à

    120 °C, permettant d’éliminer les mouvements de corps rigides sur le

    béton. Les inserts soutenant les barres des extensomètres ainsi que les

    casques d’aluminium sont collés avec une colle méthacrylate.

    exploitation des résultats

    Perte de masse et retrait de dessiccation

    La figure 5 présente l’évolution de la perte de masse en fonction

    du temps dans les conditions des essais : 20 °C (± 1 °C) et 50 %

    (± 5 %) HR. La perte de masse est d’environ 0,39 % après

    Présentation des essais

    Afin de disposer des données nécessaires à la caractérisation du

    comportement différé du béton en vue de sa modélisation, différents

    types d’essais ont été effectués pour apprécier l’influence des

    différents paramètres sur :

    les essais de caractérisation (éprouvettes de 16 cm de diamètre

    et de 32 cm de hauteur) : ces éprouvettes permettent de qualifier

    le niveau de chargement du fluage par traction directe. Les essais

    de traction par fendage (ou essais « brésiliens »), qui consistent à

    écraser un échantillon de béton entre les plateaux d’une presse,

    sont réalisés avant chaque campagne de fluage par traction ;

    la mesure de la perte de masse (éprouvettes de 13 cm de diamètre

    et de 10 cm de hauteur) : l’essai permet de déterminer la cinétique de

    séchage du béton (trois éprouvettes). Pour cet essai, les faces supé-

    rieures et inférieures sont protégées pour éviter leur dessiccation ;

    la mesure de la déformation différée totale (éprouvettes de

    13 cm de diamètre et de 50 cm de hauteur) (figure 4a) : les éprou-

    vettes déballées au début de l’essai sont chargées en traction direc-

    te maintenue pendant trois jours. La recouvrance est également

    suivie pendant 24 heures ;

    la mesure de la déformation de fluage propre (éprouvettes de

    13 cm de diamètre et de 50 cm de hauteur) (figure 4b) : les éprou-

    vettes sont chargées en traction directe maintenue pendant trois

    jours, tout en restant protégées des échanges hydriques. La recou-

    vrance est suivie pendant 24 heures ;

    la mesure des déformations d’origine thermique (éprouvettes de

    16 cm de diamètre et de 100 cm de hauteur) (figure 4c gauche) :

    Figure 5 Évolution de la perte de masse en fonction du temps (béton âgé de 90 jours).

    Figure 6 Évolution des déformations de retrait de dessiccation en fonction de la perte de masse.

    Temps (jours)

    Perte en masse (%)

    0,1 1 10 1 0001000,010

    2,5

    1

    0,5

    1,5

    2

    Échantillon A Échantillon CÉchantillon B

    Perte en masse (%)

    Déformations de retrait de dessiccation (μm.m-1)

    0,5 1 1,50- 50

    200

    50

    0

    100

    150

    300

    350

    250

    Granger (1996) Résultats expérimentaux 2007

  • 4. 1

    194 Rapport scientifique et technique 2008 - IRSN

    1996] peut s’expliquer par des différences concernant les matériaux

    utilisés ou par des mécanismes de fluage différents en compression

    et en traction. Il est à noter que [Brooks et Neville, 1977] ont

    mesuré pour un même béton une déformation de fluage propre en

    traction supérieure à celle en compression.

    L’étude expérimentale du fluage propre en traction s’est révélée être

    assez difficile. D’une part, nous avons eu la rupture de deux éprou-

    vettes d’essais : l’une, en zone utile au bout de quelques heures

    seulement, l’autre à l’interface avec la colle suite à un défaut de

    collage ; les valeurs de déformation obtenues lors de ces essais n’ont

    pas été prises en compte pour le calcul de la complaisance de

    fluage. D’autre part, les valeurs relatives des déformations de

    fluage propre sont très faibles (du même ordre de grandeur que les

    déformations d’origine thermique).

    Les résultats expérimentaux obtenus ne permettent pas de conclure

    sur le caractère réversible ou non de la déformation de fluage

    propre, la durée de « décharge » étant trop courte. Néanmoins, on

    constate qu’après un jour de « déchargement », environ 34 % de

    la déformation de fluage en traction s’avère réversible. Ce résultat

    est similaire à ce qui est observé lors d’essais en compression (voir

    notamment [Illston, 1965], qui a constaté qu’environ 30 % de la

    déformation de fluage propre était réversible). Par contre, ce résul-

    tat est en contradiction avec ceux de [Morin et Maso, 1982], qui

    ont observé un comportement totalement irréversible lors d’essais

    en traction.

    quatre jours (correspondant à la durée totale des essais de retrait

    et de fluage).

    L’évolution du retrait en fonction de la perte de masse est présen-

    tée en figure 6. On observe une zone « dormante » au début des

    essais. En effet, la microfissuration de la surface des éprouvettes

    masque la déformation par la contraction liée au départ d’eau.

    Ensuite, une zone où le retrait de dessiccation est proportionnel à

    la perte de masse est observée. Ces observations sont conformes

    à celles obtenues par d’autres auteurs [Granger, 1996] pour dif-

    férentes compositions de béton.

    fluage propre

    La complaisance de fluage propre en traction correspond aux données

    brutes de l’essai, desquelles on déduit les déformations élastiques

    ainsi que les déformations d’origine thermique. L’évolution de

    la complaisance de fluage propre est comparée à celle obtenue en

    compression par [Granger, 1996] pour le même béton (figure 7).

    La courbe de complaisance de fluage propre en traction présentée

    est une moyenne de six essais. Nous n’avons pas observé d’in-

    fluence du niveau de chargement sur la complaisance de fluage

    propre, ce qui confirme que les déformations sont bien proportion-

    nelles à la contrainte appliquée.

    Les valeurs des déformations sont environ cinq fois plus faibles que

    celles mesurées par Granger lors d’essais en compression (au bout

    de trois jours). Cette différence notable avec les essais de [Granger,

    Figure 7 Évolution de la complaisance de fluage propre en fonction du temps, comparaison avec [Granger, 1996].

    Figure 8 Évolution de la complaisance de fluage de dessiccation en fonction du temps, comparaison avec les valeurs de [Granger, 1996].

    Temps (jours)

    Complaisance de fluage propre (μm.m-1.MPa-1)

    1 2 30 4

    Résultats expérimentaux 2007 (traction)Granger 1996 (compression)

    8

    2

    0

    4

    6

    12

    10

    2,5 3 3,5 4Temps (jours)

    Complaisance de fluage de dessiccation (μm.m-1.MPa-1)

    0,5 1 1,50 2

    Résultats expérimentaux 2007 (traction)Granger 1996 (compression)

    20

    5

    0

    10

    15

    30

    25

  • La simulation, les outils de calcul et la métrologie 4. 1

    IRSN - Rapport scientifique et technique 2008 195

    La partie négative au début de la courbe s’explique par la zone

    « dormante » observée en figure 6. Nous avons réalisé une décharge

    au bout de trois jours ; on voit que le fluage est partiellement

    réversible (environ 24 %).

    Par ailleurs, une comparaison des résultats de cette campagne avec

    ceux obtenus par [Granger, 1996] en compression permet de consta-

    ter que les résultats sont similaires.

    incidence du séchage et du fluage sur la résistance

    en traction (résiduelle)

    Les évolutions de la contrainte de rupture (après fluage propre ou

    fluage de dessiccation en traction) en fonction de la contrainte

    appliquée sont reportées en figure 10.

    On constate globalement que les éprouvettes de béton testées en

    condition séchante ont une contrainte de rupture (après déformation)

    plus faible que les éprouvettes chargées en conditions endogènes.

    La contrainte de rupture après les essais de fluage propre est en

    moyenne de 3,47 MPa, alors qu’elle est de 2,72 MPa environ pour

    les essais de fluage total. Au vu des résultats, il semble que la

    microfissuration en peau des éprouvettes est induite par le séchage

    différentiel. En effet, la contrainte à la rupture ne semble pas dépen-

    dre de la contrainte appliquée lors du fluage. Néanmoins, ce résultat

    reste à confirmer, notamment par la réalisation d’essais de traction

    directe sur des éprouvettes conservées en condition séchante pen-

    dant 4 jours (durée des essais) mais sans chargement mécanique.

    fluage de dessiccation

    Parallèlement aux essais de fluage propre, des essais avec mesure

    des déformations différées totales ont été réalisés. La complai-

    sance de fluage de dessiccation est le résultat du traitement de

    tous les essais précédents. En effet, les déformations de fluage de

    dessiccation sont déterminées en soustrayant aux déformations

    différées totales les déformations élastiques, les déformations

    d’origine thermique, les déformations de retrait de dessiccation

    ainsi que de tous les essais de fluage propre (valeur moyenne de

    tous les essais correspondants). L’évolution de la complaisance de

    fluage de dessiccation en traction est reportée en figure 8 (moyenne

    sur cinq essais). Comme pour le fluage propre, il n’apparaît pas

    d’influence du niveau de chargement sur la complaisance de fluage

    de dessiccation.

    Les résultats obtenus par notre campagne expérimentale sont en

    concordance avec ceux réalisés en traction [Brooks et Neville, 1977],

    qui ont également observé une recouvrance d’environ 20 % à la

    décharge. De même que pour le fluage propre, ce résultat en traction

    est similaire à ce qui est observé en compression [Illston, 1965].

    On note à la fin de la recouvrance une augmentation des déformations

    de fluage de dessiccation qui n’est pas explicable physiquement.

    La figure 9 montre que la complaisance de fluage de dessiccation

    en traction est proportionnelle au retrait de dessiccation (phé no-

    mène également observé en compression [Gamble et Parrott,

    1978].

    Figure 9 Complaisance de fluage de dessiccation en fonction du retrait de dessiccation.

    Figure 10 Contrainte à la rupture (après fluage) en fonction de la contrainte appliquée.

    40

    Retrait de dessiccation (μm.m-1)

    Complaisance de fluage de dessiccation (μm.m-1.MPa-1)

    010 20-10 30

    Résultats expérimentaux 2007 (traction)Courbe de tendance (linéaire)

    7

    1

    -1

    3

    5

    11

    9

    15

    13

    19

    17

    y = 0,3494x + 4,4762

    R2 = 0,9838

    2,5 3 3,5 4Contrainte appliquée (fluage) (MPa)

    *

    * Rupture après 2 min (f. total) Rupture après 16 min (f. propre)

    Contrainte à la rupture après fluage en traction (MPa)

    1 1,5 2

    3

    1,5

    1

    2

    2,5

    4

    3,5

    Fluage de dessiccationFluage propre (sans séchage)

  • 4. 1

    196 Rapport scientifique et technique 2008 - IRSN

    de chargement. L’étude est d’autant plus importante que

    le phénomène est mal connu et a été très peu étudié. En effet,

    la « littérature scientifique » présente principalement des

    travaux concernant le fluage en compression du béton.

    La comparaison effectuée ci-dessus entre les complaisances de

    fluage en traction et en compression trouve un débouché natu-

    rel dans la simulation numérique du fluage. L’objectif est de

    modéliser à la fois le fluage en compression et en traction avec

    une même loi rhéologique, en adaptant des modèles de fluage

    existants [Benboudjema, 2002 ; Granger, 1996] et de mettre ainsi

    au point un outil fiable de simulation numérique du comporte-

    ment différé des ouvrages en béton armé précontraint jugés «

    sensibles » sur le plan de la sûreté nucléaire, tels que

    les enceintes de confinement des réacteurs.

    Plusieurs axes de recherche permettraient de compléter encore

    les connaissances dans ce domaine : l’étude du fluage en trac-

    tion sur une longue durée (plusieurs mois), le temps ayant une

    influence sur la dégradation du béton en termes de résistance et

    d’étanchéité. À cet égard, il convient de souligner que les bâtis

    utilisés ont été conçus pour pouvoir réaliser de tels essais.

    D’autres sujets importants restent à étudier, comme l’aspect

    multiaxial du fluage (traction/traction, traction/compression).

    Un programme expérimental a débuté avec la presse triaxiale

    Astrée du Laboratoire de mécanique et technologie (LMT

    Cachan), avec des éprouvettes dimensionnées et optimisées par

    des simulations numériques aux éléments finis (Cast3M). Ce

    travail de R&D revêt une importance particulière car le type

    de sollicitation étudié correspond à celui subi in situ par les

    enceintes de confinement.

    La comparaison aux résultats de la « littérature technique » est déli-

    cate, car il existe peu de résultats concernant l’évolution des proprié-

    tés mécaniques d’un béton soumis à une traction après séchage

    (comparativement au cas de béton soumis à une compression).

    Ainsi, [Hanson, 1968] a observé, lors d’un essai de traction par fen-

    dage, une légère augmentation (3 %) de la résistance. Lors d’un essai

    de flexion [Pihlajavaara, 1974 ; Kanna et al., 1998], a été observée

    une diminution de la résistance jusqu’à une humidité relative de

    70 % puis une augmentation progressive jusqu’à une humidité

    relative de 0 %. Pour les essais de traction directe d’éprouvettes

    conservées à 21 °C avec 55 % d’humidité relative, il semble que,

    lors d’une cure étanche, la résistance à la traction augmente tout

    d’abord du fait des effets de l’hydratation, puis décroît [Fouré, 1985 ;

    de Larrard et Bostvirronois, 1991], pour ensuite croître à nouveau

    [Fouré, 1985].

    Il est à noter que [Morin et Maso, 1982] n’ont observé aucune modi-

    fication de la résistance du béton après fluage en traction (chargement

    de fluage à 25 % et 50 % de la résistance à la traction).

    Ces essais apportent de nouveaux résultats, utiles pour la modé-

    lisation du comportement des enceintes de confinement dans les

    zones où des contraintes de traction peuvent se développer.

    conclusion et perspectivesLes essais effectués ont permis de mieux comprendre le

    compor tement d’un béton soumis à des sollicitations de fluage

    en traction et d’améliorer ainsi les connaissances sur le compor-

    tement des enceintes de confinement, qui peuvent subir ce type

  • La simulation, les outils de calcul et la métrologie 4. 1

    IRSN - Rapport scientifique et technique 2008 197

    Références

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