T U N I S S O U S L A C R O I X G A M M É E

EUGÈNE BORETZ

T U N I S SOUS LA CROIX GAMMEE

8 NOVEMBRE 1942

7 MAI 1943

O F F I C E F R A N Ç A I S D ' E D I T I O N

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1944

Lever de rideau

8 novembre 1942 : tandis que les ondes nous apportaient la nouvelle des débarquements anglo- américains sur les côtes de l'Afrique du Nord, Tunis-la-Douce, Tunis-l'Indolente s'éveillait après une huitaine agitée.

Mauvais, le bulletin de santé, surtout cette fièvre qui persistait depuis le début du mois ou, plus exac- tement, depuis les derniers jours d'octobre. Car une vive nervosité s'était emparée de la ville dès les premiers succès de l'offensive britannique en Egypte. Pourtant, ce n'était pas le premier flux de la marée montante et descendante des opérations militaires anglo-axiales. A deux reprises déjà, la Huitième Armée avait atteint le fond du golfe du Syrte, éveillant des espoirs et des craintes dans le camp retranché de la Pétainie nord-africaine.

Mais cette fois, le canon d'El Alamein éveillait des échos inconnus. Ne disait-on pas que le maréchal Rommel séjournait incognito à Tunis où il avait des conciliabules avec les chefs militaires italiens ? Et le spectre maintes fois évanoui d'une annexion im- minente de la régence par Mussolini était à nouveau évoqué.

Sur ce fond tissé par des imaginations inquiètes, des réalités se détachaient cependant. Une animation de mauvais présage régnait au bout de l'avenue Jules Ferry, où l'hôtel Claridge abritait la Commission d'Armistice italienne. La Commission recevait des visiteurs de marque ; généraux italiens et allemands

nouvellement arrivés s'engouffraient dans l'immeu- ble ou en sortaient pour prendre place dans des limousines luxueuses. E t ce va-et-vient n 'était pas sans inconvénient, car il provoquait des remous significatifs sur la voie publique. Qui donc eût sup- posé que la jeunesse italo-sicilienne, si nombreuse et si piaffante, laisserait passer cette occasion sans ma- nifester sa foi fasciste et son impatience de guider la Tunisie, au besoin à l'aide de la hache du licteur dans le giron du Duce ?

Les manifestations se succédaient donc, chaque jour plus bruyantes, devant le Claridge et le Consulat d'Italie, ponctuées seulement par des coups que les agents assénaient sur les têtes des trublions trop zélés et par quelques arrestations. Pauvres bâtons blancs des agents tunisiens ! Combien furent sacri- fiés en ces jours-là au rétablissement de l'ordre. Car il faut avouer qu'en cette circonstance la police a rempli sérieusement son devoir. Peut-être pressentait- elle que c 'était pour elle la dernière occasion de ser- vir l ' intérêt de la France.

La frétillante ardeur des jeunes fascistes était entretenue par un autre stimulant : quand le présent est avare de victoires, celles du passé retiennent pieu- sement l'esprit. Or, depuis Jules César, Rome avait remporté au moins un triomphe : celui de Vittorio Veneto, le 4 novembre 1918. E t l 'anniversaire de cette date s 'approchait Il convenait évidemment, il impor- t a i t même de fêter dignement le 4 novembre sur la terre irredente de Tunisie.

Cette entreprise présentait bien une difficulté d'or- dre psychologique : depuis 1918, l'Italie avait changé d'alliés, ceux de l 'autre guerre étant devenus ses en- nemis et vice versa. L'Italie avait même changé

d'idéal : ses valeureuses légions ne combattaient plus pour la liberté, mais pour la tyrannie et l'oppression. Mais qu'à cela ne tienne : il n 'y a pas d'obstacle qui ne puisse être surmonté par les fascistes et, en l'oc- currence, il s 'agissait simplement de trouver une forme de célébration qui conciliât les contradictions. Ce fut vite fait et le 4 novembre 1942, le Faisceau de Tunis, tel Janus bicéphale, tourné vers l'avenir, acclamait dans les avenues de la ville Mussolini et Hitler et, tourné vers le passé, souillait ignoblement au cimetière les tombes françaises, désavouant leurs frères d'armes et leurs sauveurs de 1917, ceux de la Piave.

Le so i r , vers 6 heures, un déploiement imposant de gardes mobiles montés étouffait dans l'œuf toute nouvelle velléité d'héroïsme fasciste.

Telle fut la chronique tunisoise dans les jours qui précédèrent le 8 novembre. On ret iendra un fai t : un conseil de guerre de l'Axe s'est tenu à Tunis bien avant le débarquement anglo-américain. E t l'on en déduira qu'en présence de l'offensive de la Huitième Armée en Egypte, l 'Etat-Major de l'Axe prenait des dispositions pour que l 'Afrique du Nord française serve de prolongement à la Libye.

Il est vrai que Laval aurai t imposé à ses amis le respect de la neutralité française ? Oseriez-vous en douter ?