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1 UNIVERSITE DE MONTPELLIER I FACULTE DE DROIT Droit Civil Licence 2 ème Année Semestre 4 SEANCES 11 A 20 Daniel Mainguy, Professeur à la Faculté de droit de Montpellier Vincent Craponne, ATER Anaëlle Donnette, ATER Fleur Dubois-Lambert, Doctorante Brunelle Fessard, Doctorante Marion Murcia, Allocataire-moniteur – 2010-2011 –

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UNIVERSITE DE MONTPELLIER I

FACULTE DE DROIT

Droit Civil

Licence 2ème Année Semestre 4

SEANCES 11 A 20

Daniel Mainguy, Professeur à la Faculté de droit de Montpellier

Vincent Craponne, ATER Anaëlle Donnette, ATER

Fleur Dubois-Lambert, Doctorante Brunelle Fessard, Doctorante

Marion Murcia , Allocataire-moniteur

– 2010-2011 –

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SEANCE 11

LA DISTINCTION RCC / RCD I. – Jurisprudence Civ. 2e, 20 octobre 2005, Bull. civ. II, n° 274. Civ. 1re, 11 janvier 1989, Bull. civ. I, n° 3. Ass. plén., 6 octobre 2006, Bull. Ass. plén., n° 9. II. – Doctrine V. Wester-Ouisse, "Responsabilité délictuelle et responsabilité contractuelle : fusion des régimes à l'heure internationale", RTD civ. 2010, p. 419. D. Mainguy, J.-L. Respaud, Droit des obligations, ellipses, 1ère éd., 2008, spéc. n° 346. III. – Exercices Déterminez les dommages subis dans ces différentes affaires :

1°/ Élodie Manche, âgée de 11 ans, et sa meilleure amie Mélanie Zetofrais jouaient dans la piscine. Élodie, toujours très maladroite, blessa Mélanie à l’œil avec le tuyau d’arrosage. La pauvre petite hurlait de douleur. Elle dut immédiatement être admise à l’hôpital et les médecins ne sont pas optimistes. Ils pensent qu’elle verra sans doute à nouveau mais que sa vue sera très basse à cet œil ce qui lui interdira certainement de poursuivre les compétitions de tir à l’arc qu’elle affectionnait tout particulièrement.

2°/ M. John Deuf, marié et père de trois enfants, est président d’une importante société d’informatique. Il a subi une transfusion sanguine à la suite de laquelle il a été contaminé par le virus du SIDA.

3°/ Le mois dernier, la société Total a affrété un navire pour le transport de pétrole. Malheureusement, le navire rencontra quelques problèmes techniques, si bien qu’il laissa s’échapper toute la cargaison. Le pétrole arriva jusqu’au bassin d’Arcachon. Un ostréiculteur vit tout son élevage détruit. Les membres de l’association de sauvegarde du Bassin d’Arcachon se demandent s’ils peuvent agir.

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TABLEAU RECAPITULATIF DES DIFFERENTS TYPES DE RESPONSABILITE CIVILE DELICTUELLE

TYPE DE RESPONSABILITE ARTICLES CONDITIONS PREUVE EXONERATION

APPLICATIONS PARTICULIERES

Responsabilité du fait personnel Le délit

Responsabilité du fait personnel

Le quasi-délit

Responsabilité générale

du fait des choses

Responsabilité générale

du fait d’autrui

Responsabilité des parents du fait de leur

enfant mineur

Responsabilité des commettants et maîtres

du fait de leurs préposés ou domestiques

Responsabilité des artisans du fait de leurs

apprentis

Loi Badinter du 5 juillet 1985 relative aux

accidents de la circulation

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- Civ. 2e, 20 octobre 2005, Bull. civ. II , n° 274. Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que le 20 juin 1982, à la suite d'un accident de la circulation, M. X... a subi des transfusions sanguines ; qu'un examen médical ayant révélé en 1990 sa contamination par le virus de l'hépatite C, il a assigné, les 27 et 28 septembre 1999, en responsabilité et indemnisation, devant le tribunal de grande instance, le Centre régional de transfusion sanguine de Bordeaux (le CRTS), aux droits duquel est venu l'Etablissement français du sang (l'EFS), et l'assureur de ce dernier, la société Mutuelle d'assurances du corps sanitaire français (l'assureur), qui a dénié sa garantie au motif que le CRTS était assuré au titre d'une police d'assurance de responsabilité civile, souscrite le 1er novembre 1964, modifiée au 1er août 1982, et résiliée le 1er janvier 1987, garantissant les seules conséquences pécuniaires de la responsabilité que le CRTS pouvait encourir à l'égard de tout receveur de sang conformément aux articles 1382 et suivants du Code civil, pour les dommages corporels ou matériels dont il pourrait être victime du fait d'une transfusion ou injection de sang ou de ses dérivés fournis par le Centre ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l'EFS fait grief à l'arrêt de l'avoir déclaré responsable de l'entier préjudice résultant de la contamination de M. X... par le virus de l'hépatite C, et de l'avoir condamné à lui verser une certaine somme à titre de provision, alors, selon le moyen, que la faute de la victime qui a contribué à la production de son propre dommage limite son droit à indemnisation ; qu'en condamnant l'EFS à réparer l'entier préjudice résultant de la contamination de M. X... par le virus de l'hépatite C, tout en constatant que les transfusions sanguines avaient été rendues nécessaires par un accident de la circulation dont M. X... avait été déclaré responsable, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont il s'évinçait qu'une partie du préjudice de M. X... devait rester définitivement à sa charge, et a violé l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que si M. X... est responsable de l'accident de la circulation dont il a été victime le 20 juin 1982, il n'en demeure pas moins que l'EFS, en vertu du contrat le liant aux hôpitaux, était, lui, tenu de délivrer un produit exempt de vices au bénéfice du receveur en faveur de qui il stipulait et qu'il ne

saurait s'exonérer de son obligation de résultat à l'égard de M. X... au motif que celui-ci serait à l'origine de ses blessures ;

Que de ces énonciations et constatations la cour d'appel a exactement déduit que l'EFS, soumis à une obligation de résultat, ne pouvait s'exonérer de sa responsabilité, à l'égard de la victime, que par la preuve d'un cas de force majeure ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1134 et 1135 du Code civil ;

Attendu que, pour débouter l'EFS de son action en garantie à l'encontre de l'assureur, l'arrêt énonce qu'à la date des faits, selon les stipulations contractuelles, l'assureur ne garantissait le CRTS que contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité qu'il pouvait encourir à l'égard de tout receveur de sang, conformément aux articles 1382 et suivants du Code civil, pour les dommages dont il pourrait être victime du fait d'une transfusion de sang fourni par le Centre ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la police garantissait le CRTS contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité qu'il pouvait encourir à l'égard de tout receveur de produits sanguins, ce dont il résultait que l'assureur devait sa garantie pour les dommages causés par le défaut des produits transfusés, quand bien même la responsabilité du centre de transfusion aurait été retenue sur le fondement contractuel, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du second moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a mis hors de cause la MACSF pour les transfusions sanguines intervenues jusqu'au 31 juillet 1982, l'arrêt rendu le 9 septembre 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers

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- Civ. 1re, 11 janvier 1989, Bull. civ. I, n° 3.

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles 1134 du Code civil et L. 114-1 du Code des assurances ;

Attendu que le créancier d'une obligation contractuelle ne peut se prévaloir contre le débiteur de cette obligation, quand bien même il y aurait intérêt, des règles de la responsabilité délictuelle ;

Attendu que, n'ayant pu obtenir, après deux accidents corporels, les indemnités auxquelles lui donnaient droit les contrats d'assurance " vie et invalidité " qu'il avait souscrits auprès de la compagnie La Protectrice, M. X... a assigné cet assureur, mais aussi son agent local, M. Y..., auquel il était reproché de n'avoir pas reversé à l'assuré les sommes qu'il avait reçues à cette fin de la compagnie ;

Attendu que, pour condamner La Protectrice à payer les sommes réclamées par M. X..., tout en déclarant atteinte par la prescription prévue à l'article L. 114-1 du Code des assurances l'action en paiement exercée par celui-ci contre la compagnie sur le fondement des contrats d'assurance, l'arrêt attaqué relève que " l'argument " relatif au non-cumul des responsabilités contractuelle et

délictuelle est " inadéquat en l'espèce " dès lors que la demande à l'encontre de l'assureur trouve également son fondement dans le délit commis par M. Y... considéré comme un préposé de la compagnie dont la responsabilité est ainsi retenue par application de l'article 1384, alinéa 5, du Code civil ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que la faute reprochée à M. Y... ne pouvait permettre à M. X... d'exercer une action contre La Protectrice, dans d'autres conditions que celles que lui ouvrait le contrat d'assurance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les première et troisième branches du premier moyen, ni sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, en ce qu'il a condamné la compagnie La Protectrice, solidairement avec M. Y..., à payer à M. X... la somme principale de 50 160 francs et celle de 5 000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 18 juin 1986, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux

- Ass. plén. 6 octobre 2006, Bull. Ass. plén. n° 9 Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 2005), que les consorts X... ont donné à bail un immeuble commercial à la société Myr'Ho qui a confié la gérance de son fonds de commerce à la société Boot shop ; qu'imputant aux bailleurs un défaut d'entretien des locaux, cette dernière les a assignés en référé pour obtenir la remise en état des lieux et le paiement d'une indemnité provisionnelle en réparation d'un préjudice d'exploitation ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande de la société Boot shop, locataire-gérante, alors, selon le moyen, "que si l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux tiers d'invoquer la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n'ont pas été parties, dès lors que cette situation de fait leur cause un préjudice de nature à fonder une action en responsabilité délictuelle, encore faut-il, dans ce

cas, que le tiers établisse l'existence d'une faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel ; qu'en l'espèce, il est constant que la société Myr'Ho, preneur, a donné les locaux commerciaux en gérance à la société Boot shop sans en informer le bailleur ; qu'en affirmant que la demande extra-contractuelle de Boot shop à l'encontre du bailleur était recevable, sans autrement caractériser la faute délictuelle invoquée par ce dernier, la cour d'appel a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article 1382 du code civil" ;

Mais attendu que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ; qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que les accès à l'immeuble loué n'étaient pas entretenus, que le portail d'entrée était condamné, que le monte-charge ne fonctionnait pas et qu'il en résultait une

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impossibilité d'utiliser normalement les locaux loués, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé le dommage causé par les manquements des bailleurs au locataire-gérant du fonds de commerce exploité dans les locaux loués, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les 2ème et 3ème moyens, dont aucun ne serait de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

RTD Civ. 2010 p. 419 Responsabilité délictuelle et responsabilité contractuelle : fusion des régimes à l'heure internationale Véronique Wester-Ouisse, Maître de conférences à l'Université de Brest (IODE Rennes UMR CNRS 6262) L'essentiel Des chercheurs de divers pays d'Europe réfléchissent à un système de responsabilité civile acceptable par tous, ce qui suppose de renoncer à certains particularismes. La responsabilité contractuelle n'est certes pas une exclusivité française, mais son abandon permettrait une clarification de notre régime, clarification qui serait un atout considérable. L'enjeu essentiel, le défi, est de parvenir à convaincre nos partenaires de réflexion, anglais et allemands, que la responsabilité n'est pas une culpabilité. Il ne sera pas simple de leur « vendre » notre « responsabilité objective », tout particulièrement celle du fait des choses. Epurer la présentation de notre droit y contribuerait. La dualité des régimes peut être aisément abandonnée en modifiant certaines perspectives : l'inexécution contractuelle n'est pas le fait générateur de la responsabilité contractuelle. Elle est un résultat, et non le fait initial ; elle est une simple condition préalable au choix d'un régime et non une condition substantielle de la responsabilité. 1. L'harmonisation des systèmes juridiques est devenue une ardente préoccupation. Les systèmes de communication rapprochent les personnes qui, quotidiennement, peuvent créer des liens et entretenir des contacts au bout du monde. Des groupes de juristes - European Group on Tort Law, projet Von Barr... - tentent de proposer un modèle de loi susceptible d'harmoniser et de fédérer des grands systèmes existant autour de quelques principes fondamentaux (1). Le succès de cette démarche suppose que chacun fasse un pas vers l'autre et abandonne une part de ce qui fait sa tradition juridique. 2. Le droit français est porteur d'un modèle très original et novateur, qu'il serait regrettable de voir reculer à l'occasion de ces tentatives d'harmonisation : la jurisprudence a su, à l'occasion des révolutions industrielles, technologiques, d'urbanisation et de communications, faire évoluer considérablement nos mécanismes de responsabilité fondés sur un très petit nombre de textes admirables et suffisants, légués par les auteurs inspirés du code civil. Désormais, notre système de responsabilité repose tout autant sur la faute que sur le fait anormal d'une chose (2). De telles évolutions n'ont pas eu lieu chez nos voisins : leurs mains étaient liées, les chaînes étaient diverses. Les Anglo-Saxons sont encombrés d'un système très casuistique fondé sur un dédale de dommages, le principe du précédent scellant le tout. Une responsabilité déconnectée de la faute parait choquante à un point tel que deux participants anglo-saxons aux travaux de l'European Group on Tort Law ont menacé de mettre fin à leur collaboration si l'idée « d'une responsabilité ne se fondant sur aucune trace de faute, si

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résiduelle et fictive soit-elle » était envisagée(3). D'autres voisins fondent leur raisonnement sur le principe de la liberté qui, paradoxalement, empêche de telles évolutions : chacun doit être libre d'agir, de porter atteinte aux intérêts d'autrui, chacun doit supporter son préjudice (4), l'indemnisation n'est pas un principe mais une exception en cas de reproche effectif possible à l'encontre du responsable. On retrouve ces considérations fondées sur la liberté fondamentale dans les introductions des manuels allemands(5), ce qui restreint les hypothèses de responsabilité en dehors de la faute. A cela s'ajoute une prégnance très forte de l'idée de culpabilité : les traumatismes de la seconde guerre mondiale(6) se conjugueraient-ils au protestantisme(7) ? La responsabilité sans faute est difficilement concevable. Il en est de même en Italie, où la responsabilité repose, par principe, sur la faute dolosive ou d'imprudence (8) ; la responsabilité du fait d'autrui est fondée sur la faute présumée (les parents peuvent s'exonérer en démontrant qu'ils n'ont pu empêcher le fait illicite)(9) ; la responsabilité de l'incapable est modérée : une réparation équitable, fonction des conditions économiques des parties, doit être recherchée, etc. et la responsabilité du fait de la chose, telle que nous la connaissons, n'existe pas. Les quelques concessions ponctuelles à la conception objective n'invalident pas le principe selon lequel la faute est la donnée fondamentale, ce qui apparaît clairement dans la définition générale de la responsabilité du code civil italien(10). 3. Notre système français présente cette originalité fondamentale de l'objectivité : « cette responsabilité suppose que le dommage a été produit par le fait défectueux d'une personne ou d'une chose, soit qu'on l'impute à la faute du responsable lui-même ou d'une personne soumise à son autorité, soit qu'on l'attribue au fait incorrect d'une chose placée sous sa garde » (11). Le fait défectueux explique et fonde théoriquement la responsabilité sans qu'il soit besoin de recourir aux idées de faute présumée, de risque, de garantie, de précaution, etc. Les pages introductives de nos manuels ne raisonnent pas à partir de la faute ou de la liberté individuelle, mais à partir de la distinction entre responsabilités pénales et civiles(12), cette dernière visant essentiellement à l'indemnisation de la victime et ayant tourné le dos à l'imputabilité dans les années 1980. Si nous souhaitons nous ménager une petite chance d'être écoutés par nos partenaires de réflexion à ce sujet, il conviendrait de leur présenter nos mécanismes de responsabilité de manière claire et épurée, ce qui suppose l'abandon de certaines inutilités et archaïsmes. 4. Le renoncement à de grandes caractéristiques de notre système français suscite parfois des débats déchirants ; l'exemple de la réforme des textes consacrés aux vices cachés est édifiant. Il est difficile de se résoudre à abandonner des notions qui ont fait les joies de nos raisonnements depuis tant d'années et dont les origines historiques napoléoniennes ont fait la gloire. Notre code civil en a inspiré tant d'autres. Pourtant, certaines notions pourraient être éliminées avec beaucoup plus de facilité qu'il n'y parait, c'est précisément le cas de la responsabilité contractuelle. Le propos ici n'est pas de redire, à la suite d'une récente doctrine, que la responsabilité contractuelle n'existe pas et que les dommages et intérêts prévus par l'article 1147 du code civil ne sont au fond qu'une exécution en équivalent(13). La responsabilité contractuelle existe bien(14), mais elle pourrait assez simplement être fondue dans un régime unique en raison des rapprochements considérables qui ont été opérés par la jurisprudence entre les deux systèmes d'indemnisation. 5. Nombreux sont les indices d'un rapprochement déjà amorcé (15). Chacun songe, par exemple, à la loi de 1985 sur l'indemnisation des accidents de la circulation ou la loi de 1998 sur les produits dangereux : ces deux textes excluent la distinction entre les situations contractuelles et délictuelles. Si les autres systèmes juridiques occidentaux utilisent la distinction, ils ne connaissent pas les rigueurs de notre principe de non-cumul ; de plus, M

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Viney souligne à quel point cette distinction est parfois peu significative ou conservée pour des raisons si secondaires et si diverses que, nulle part, elle ne parait nécessaire(16). Par ailleurs, le projet de Principes de droit européen de la responsabilité civile proposé par l'European Group on Tort Law ne fait aucune référence à notre distinction traditionnelle. Si le projet Catala maintient la distinction, la règle du non-cumul est supprimée pour les victimes de dommages corporels ou d'atteintes à la personne(17), et le texte contient une section entière consacrée aux dispositions communes aux responsabilités contractuelle et extra-contractuelle qui traitent du préjudice, du lien de causalité et des causes d'exonération(18). Seuls les faits générateurs sont traités de façon distincte ; ils semblent constituer le dernier obstacle incontournable, l'élément distinctif irréductible. Pourtant, il est possible d'aller beaucoup plus loin. 6. Pour plaider l'unification des régimes de responsabilité, il convient de mettre en évidence les identités de fonctionnement des deux systèmes dans le seul domaine où désormais, ils semblent se différencier : les faits générateurs. La faute, le fait des choses et le fait d'autrui sont communs aux responsabilités délictuelles et contractuelles, ce qui suppose dès lors d'envisager l'inexécution du contrat, non pas comme le fait générateur de la responsabilité contractuelle, mais comme un résultat d'un des faits générateurs précédemment évoqués. En adoptant cette perspective le schéma général de la responsabilité contractuelle ressemble à s'y méprendre à celui de la responsabilité délictuelle, d'autant mieux que l'inexécution n'est qu'un élément de désignation d'un régime, et non un élément essentiel à la responsabilité. L'inexécution à la croisée des chemins S'il est indéniable que la responsabilité contractuelle ne peut être engagée qu'à condition que l'inexécution cause un préjudice, il faut également considérer un autre rapport de causalité : l'inexécution contractuelle est elle-même causée par un fait générateur. La causalité entre l'inexécution et le dommage 7. Conformément à ce que retient la jurisprudence(19) et malgré les vibrants et brillants plaidoyers d'une certaine doctrine en faveur de la simple réparation de l'inexécution contractuelle par équivalent, il est nécessaire de constater un préjudice spécifique issu de l'inexécution contractuelle (20). L'article 1147 lui-même impose la constatation d'un dommage, en nous livrant deux indices : « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation... ». Tout d'abord, osera-t-on rappeler que dans « dommages et intérêts », expression choisie par les rédacteurs du code, il y a ... « dommage » ? L'incidente « s'il y a lieu » est également très significative : l'inexécution ne donnera lieu à des dommages et intérêts que « s'il y a lieu », autrement dit, s'il y a dommage(21). Observons encore que le principe de réparation intégrale du préjudice a pour corollaire l'idée que le montant des dommages-intérêts compense un préjudice chiffré, pas moins, pas davantage. Ce principe, en matière contractuelle, apparaît à l'article 1151 du code civil : même en cas de dol du débiteur, « les dommages et intérêts ne doivent comprendre, à l'égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est la suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention ». La simple constatation de l'inexécution ne suffit pas, la responsabilité civile n'enrichit pas les victimes : il faut constater une perte ou une privation de gain, « suite », conséquence de l'inexécution. L'article 1142 qui dispose qu'une « obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution » pose une présomption de préjudice, que les juges considèrent comme irréfragable (22) ou simple (23) selon qu'ils admettent ou non la preuve de l'absence d'un préjudice issu de l'inexécution.

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8. Force est de constater que deux éléments sont nécessaires à la responsabilité contractuelle : un dommage et une inexécution contractuelle. Les auteurs en concluent que l'inexécution du contrat est le fait générateur de la responsabilité contractuelle. Cette idée suscite une belle unanimité : « La responsabilité contractuelle entre en jeu dès lors que le dommage prévisible résulte de l'inexécution du contrat »(24) ; « Le fait générateur de la responsabilité contractuelle est constitué par l'inexécution d'une obligation prévue au contrat »(25). Le projet Catala de réforme du droit des obligations n'est pas en reste puisque l'article 1340 alinéa 2 dispose : « Toute inexécution d'une obligation contractuelle ayant causé un dommage au créancier oblige le débiteur à en répondre » ; cet alinéa 2 est à mettre en parallèle avec l'alinéa 1 qui dispose : « Tout fait illicite ou anormal ayant causé un dommage ... » et M Viney renchérit dans sa présentation : le fait générateur de la responsabilité contractuelle est l'inexécution (26). La jurisprudence est en parfait accord avec cette manière de voir. Dans une affaire de réparation insuffisante d'un camion, la Cour de cassation reproche à une cour d'appel de n'avoir « pas caractérisé le lien de causalité entre l'inexécution de l'obligation contractuelle et le dommage »(27). 9. Par ailleurs, la doctrine majoritaire considère que l'inexécution est en principe synonyme de faute : selon Domat, « le défaut de s'acquitter d'un engagement est aussi une faute »(28) ; « Cette dernière est sous-entendue dans la mention par (l'article 1147 du code civil) de l'inexécution » (29), écrit M. Le Tourneau ; et le doyen Carbonnier affirme : « Parlant de responsabilité contractuelle, il est devenu tout à fait usuel de transposer ici l'analyse à laquelle se prête l'article 1382, et c'est ainsi que le droit à dommages-intérêts est subordonné à la triple constatation d'un dommage, d'une faute et d'une relation de cause à effet entre la faute et le dommage (...) L'article 1147 parle d'inexécution, mais non pas de la faute : c'est sans doute que la faute peut être regardée comme impliquée dans l'inexécution » (30). M. Tallon renchérit : « Quant à la faute, elle se confond avec l'inexécution de l'obligation et elle n'est pas un élément supplémentaire qui s'ajoute à l'inexécution » (31). La jurisprudence retient également cette analyse dans certains arrêts : « La cour d'appel a caractérisé la faute contestée en constatant l'inexécution d'une obligation de cette nature » (32). 10. Ces références sont nombreuses, leur autorité est écrasante ; comment dès lors, oser envisager une alternative ? Il convient pourtant de distinguer l'inexécution dommageable d'une part et son fait générateur d'autre part. La causalité entre le fait générateur et l'inexécution 11. Le professeur Dejean de la Bâtie l'affirme de très longue date : « La faute n'est qu'un cas particulier d'exécution défectueuse du contrat, cas à côté duquel il faudrait faire place à la défaillance des choses utilisées »(33). Dès lors, l'inexécution dommageable peut avoir plusieurs explications, plusieurs causes, qui sont les suivantes selon les acceptions retenues par le droit français : la faute, le fait anormal d'autrui, que le contractant s'est substitué pour exécuter le contrat, le fait anormal d'une chose, utilisée pour exécuter le contrat. Les principes européens de la responsabilité civile retiennent également la faute et le fait du préposé, le troisième fait générateur étant l'activité dangereuse (34). La faute à l'origine de l'inexécution dommageable 12. La faute contractuelle est le fait générateur le plus évident, le seul pour certains comme on l'a vu, considérant que l'inexécution et la faute ne font qu'un. Un examen attentif démontre pourtant qu'on peut les distinguer : il y a, d'une part, « mal faire » et d'autre part, un résultat, l'inexécution. L'article 1151 confirme : « Dans le cas même ou l'inexécution de la convention résulte du dol du débiteur... » ; la faute est la cause de l'inexécution, l'inexécution est le

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résultat, et non le fait générateur. Dans les faits, appréhender l'inexécution comme le résultat d'une faute causale reste souvent difficile à percevoir puisque, souvent, lorsqu'il y a inexécution d'une obligation de faire, il y a une abstention... Pour plus de clarté, nous n'avons donc retenu que des exemples d'obligations de faire très consistantes, ou des obligations de ne pas faire. • Une femme enceinte se rend dans la clinique où son médecin assurait le suivi de sa grossesse. Elle se plaint de douleurs violentes. A ce moment, son médecin se trouve dans son cabinet en ville, il est appelé mais pense que l'un de ses collègues doit arriver d'ici très peu de temps prendre son service à la clinique. Ce n'est hélas pas le cas et l'enfant qui naît dans de mauvaises conditions en garde de très graves séquelles. La clinique voit sa responsabilité engagée pour faute : les horaires de services étaient très mal organisés et peu contraignants. Cette mauvaise organisation (la faute) est la cause de l'inexécution de l'obligation de la clinique, qui est tenue « en vertu du contrat d'hospitalisation et de soins le liant à son patient, ... de lui procurer des soins qualifiés »(35). La faute (mauvaise organisation) est distincte de l'inexécution (soins qualifiés non procurés), elle en est l'origine causale. Cette inexécution est elle-même la cause d'un préjudice, distinct de l'inexécution. • Des médecins avaient fondé ensemble une société, le contrat stipulant que, si l'un d'eux se retirait, il ne pouvait s'installer dans un rayon de 20 km. L'un des médecins cessa sa collaboration et s'installa à 400 m de son ancien lieu de travail. Cette installation est une faute qui est la cause de l'inexécution de son obligation(36). Notons au passage que cette inexécution, en l'occurrence, n'est elle-même la cause d'aucun préjudice constaté ; la première chambre civile de la Cour de cassation souligne qu'en matière d'obligation de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention. Quoi qu'il en soit, ce cas d'espèce permet de mettre en évidence le schéma général constitué d'un fait anormal, causant une inexécution contractuelle, causant (ou pas) un préjudice. • Une personne loue un local à usage commercial et d'habitation à un couple. Elle pose un cadenas et un grillage qui empêche l'accès à une partie des locaux loués. Les époux demandent réparation : cette faute est la cause d'une inexécution partielle du contrat. Précisons que l'inexécution n'est la cause d'aucun préjudice puisque le lieu fermé était occupé par des oiseaux qui l'avaient dégradé et les locataires ne l'utilisaient pas(37). La troisième chambre civile considère que l'inexécution d'une obligation de ne pas faire ne suffit pas, encore faut-il démontrer un préjudice. Planiol, déjà, avait fait cette observation : « Lorsque l'inexécution de l'engagement est due à une faute de sa part, c'est que l'inexécution a pour cause un acte qui lui est imputable, et cet acte est nécessairement distinct de l'inexécution, puisqu'il en est la cause »(38). Dès lors, s'il est indéniable que l'inexécution doit causer un préjudice, il apparaît également que l'inexécution du contrat est un résultat(39), obtenu suite à un événement anormal intervenu dans la sphère d'influence du débiteur, en l'occurrence une faute ; ce fait anormal peut également être celui d'un préposé. Le fait anormal d'autrui à l'origine de l'inexécution dommageable 13. Le fait d'autrui est envisagé dans le droit français de façon plus large que dans les Principes européens qui n'envisagent que le fait du préposé. Pour la matière contractuelle qui nous préoccupe, cette limite ne pose guère de problèmes. La responsabilité contractuelle du fait d'autrui a été contournée, souvent dissimulée par la Cour de cassation sous une pseudo-faute ; les juges ont également préféré appliquer la responsabilité délictuelle et l'article 1384

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alinéa 5 (40). • Un patient subit une intervention chirurgicale, l'anesthésiste le place dans une mauvaise position qui entraîne une paralysie de sa main droite. La responsabilité contractuelle du chirurgien est engagée sur le fondement d'une faute personnelle : il est tenu de faire bénéficier la patiente de soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science. En réalité, il s'agit bel et bien d'une responsabilité contractuelle fondée sur le fait anormal d'autrui (41). • Une femme de ménage cause des dégradations dans le bureau d'une société. L'entreprise de nettoyage qui l'emploie voit sa responsabilité engagée. Bien qu'il y ait un contrat entre l'entreprise de nettoyage et la société victime, et un dommage dû au fait d'un préposé, c'est la responsabilité délictuelle du fait d'autrui qui fonde la condamnation (42). Il est effectivement possible de considérer que le dommage résulte d'un coup de folie et est sans rapport avec une mauvaise exécution du contrat. D'un autre coté, la salarié a bien agit dans ses fonctions, dans le cadre de l'exécution du contrat pour le compte de l'entreprise de nettoyage. Si cette femme de ménage avait accompli ce même travail en son nom propre, c'est bien sa responsabilité contractuelle qui eut été engagée (43). Quoi qu'il en soit, un comportement fautif d'un préposé du cocontractant est à l'origine d'une inexécution du contrat ; on a donc bien, ici, un cas dissimulé de responsabilité contractuelle du fait d'autrui. • Cette hypothèse atypique rejoint celle des préposés de sociétés de gardiennage qui se livrent à des actes de vol dans les entreprises qu'ils sont censés surveiller ; là encore, la Cour de cassation retient une responsabilité délictuelle du fait d'autrui, tout en rejetant l'idée d'un abus de fonction (44). Il y a, en fait, un comportement fautif du préposé du cocontractant, qui est à l'origine d'une exécution défectueuse et dommageable du contrat. • Le même article 1384 alinéa 5 fonde la responsabilité d'une banque à l'égard d'un client cocontractant, du fait d'un préposé qui a détourné des fonds sur le compte courant de ce client (45). 14. Il est pourtant des occasions où la Cour de cassation se laisse tenter : les juges ne prennent plus la peine de rechercher une pseudo-faute de la clinique (ou autre organisme) qui utilise les services d'un personnel de santé. Les juges reconnaissent la responsabilité contractuelle du fait d'autrui, et l'on peut constater qu'à l'évidence, ce fait anormal d'autrui est le fait générateur de l'inexécution. Dès les années 1960, il est admis que le chirurgien « répond des fautes que peut commettre le médecin auquel il a recours pour l'anesthésie, et qu'il se substitue, en dehors de tout consentement du patient, pour l'accomplissement d'une partie inséparable de son obligation » (46). La Cour de cassation précise qu'« un établissement de santé privé est responsable des fautes commises tant par lui-même que par ses substitués ou ses préposés qui ont causé le préjudice à ce patient »(47). On ne peut être plus explicite : il y a responsabilité contractuelle du fait anormal d'autrui, ce fait d'autrui étant fait générateur de l'inexécution (le non-accomplissement d'une partie de l'obligation). Il demeure que la responsabilité contractuelle du fait d'autrui est quelque peu mise sous le boisseau, y compris lorsqu'un texte spécifique l'organise. Ainsi en matière de contrat de bail, l'article 1735 dispose que « le preneur est tenu des dégradations et des pertes qui arrivent par le fait des personnes de sa maison ou de ses sous-locataires », cette disposition issue de l'ancien droit devant être interprétée au sens large, comme le démontrent tous les auteurs anciens et modernes. La jurisprudence ne l'entend pourtant pas ainsi(48)...

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Nos voisins allemands n'ont pas eu ces préventions à l'égard de la responsabilité contractuelle du fait d'autrui : le BGB mentionne précisément ce cas de responsabilité(49) et les juridictions l'utilisent même pour palier les insuffisances de la responsabilité délictuelle, trop étroitement définie (50). C'est ainsi que dans le cadre d'un « contrat avec effet protecteur à l'égard de tiers », ce tiers peut engager la responsabilité contractuelle du débiteur du fait de son préposé ayant mal exécuté le contrat(51). L'inexécution peut être causée par une faute, du responsable ou de son préposé, mais également par une chose utilisée pour exécuter le contrat. Le fait anormal de la chose à l'origine de l'inexécution dommageable 15. La responsabilité contractuelle du fait de la chose a été admise par la Cour de cassation après des hésitations comparables à ce qui a été précédemment décrit. Très longtemps, le fait anormal d'une chose était dissimulé par les juges derrière une pseudo-obligation inexécutée ou une pseudo-faute. • Un éléphant, dans le parc zoologique de Thoiry, lance des pierres sur les voitures des visiteurs. Une femme est blessée. La responsabilité du parc zoologique est engagée, non pas du fait anormal de l'éléphant alerte et primesautier, mais sur le fondement d'une « faute » : des précautions insuffisantes ont été prises, compte tenu de la force et de l'adresse de ces animaux, pour éviter qu'ils ne jettent une pierre contre les voitures(52). Un fait de l'éléphant est le fait générateur d'une inexécution. • Une femme est victime d'un accident à l'arrivée d'un remonte-pente, son doigt est arraché. Les juges relèvent que le matériel ne présentait aucune anomalie. Ils en déduisent, non pas l'absence de fait anormal de la chose, mais l'absence de « faute »(53). Le fait du remonte pente est bel et bien le fait générateur envisagé de l'inexécution de l'obligation de sécurité. • Une femme est assise sur une chaise de bar neuve qui s'effondre sous son poids pourtant raisonnable. Le cafetier doit l'indemniser car il n'a pas exécuté son « obligation de mettre à la disposition des clients des sièges suffisamment solides pour ne pas s'effondrer sous leur poids » (54), une pseudo-obligation bien compliquée qui dissimule maladroitement une simple responsabilité contractuelle du fait anormal de la chose (55), fait générateur cause de l'inexécution de l'obligation de sécurité. • Lorsque les juges affirment que le médecin est tenu d'une « obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les matériels qu'il utilise pour l'exécution d'un acte médical »(56), il est évident que c'est une responsabilité contractuelle fondée sur le fait anormal d'une chose qui est retenue ; ce qui est confirmé par l'exigence que le patient démontre que ces matériels « sont à l'origine de son dommage » : l'exigence de l'intervention d'un chose anormale est ici semblable à celle posée en responsabilité délictuelle du fait des choses. • Il en est de même des infections nosocomiales, par principe à la charge des médecins ou cliniques (57) : ils sont à l'évidence, responsables contractuellement du fait d'une chose, il n'y a aucune faute de leur part. L'inexécution de l'obligation de sécurité est le résultat de la présence anormale des germes dans le matériel utilisé. 16. La Cour de cassation a parfois admis explicitement la responsabilité contractuelle du fait des choses : l'inexécution contractuelle peut bel et bien être causée par le fait anormal d'une chose.

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L'affaire de 1995 est très connue : un enfant s'est blessé avec un cerceau dans la cour d'une école privée. L'établissement scolaire est redevable de dommages et intérêts, il est responsable contractuellement des dommages causés aux élèves « non seulement par sa faute, mais encore par le fait des choses qu'il met en oeuvre pour l'exécution de son obligation contractuelle » (58). Effectivement, « le fait délictueux des choses est un fondement rationnel de la responsabilité civile, qu'on ne devrait même pas avoir besoin de déguiser sous l'apparence d'une défaillance humaine » (59). Hélas, cette excellente initiative de 1995 ne perdurera pas, la Cour de cassation renouant rapidement avec ses anciens raisonnements(60) : une cavalière prenant des leçons dans un club d'équitation est victime d'une chute, son cheval ayant fait « un écart ou une ruade ». Les juges relèvent que l'animal n'était absolument pas dangereux mais préfèrent se fonder sur « l'absence de faute du centre équestre »(61). Ces atermoiements de la jurisprudence n'excluent pas que la solution est possible, l'arrêt de 1995 en est la démonstration, et ce ne serait pas la première fois que la Cour de cassation après une innovation tonitruante, hésite et recule, pour y revenir finalement définitivement quelques années plus tard(62). Il est probable que nous assistions ici à un « travail de refoulement de la responsabilité du fait des choses » comparable à celui que connut la responsabilité délictuelle de 1896 à 1930(63). L'activité dangereuse à l'origine de l'inexécution dommageable 17. L'activité dangereuse est l'un des trois faits générateurs de responsabilité dans les Principes européens du droit de la responsabilité. Au titre de la responsabilité sans faute, il est précisé que « toute personne pratiquant une activité anormalement dangereuse est de plein droit responsable des dommages causés, dès lors que ceux-ci sont caractéristiques du risque présenté par l'activité et qu'ils en résultent »(64). Cette disposition permet de palier l'absence de responsabilité du fait des choses grâce à un mécanisme de responsabilité présenté comme « sans faute » mais qui n'est pas dénué de toute dimension morale puisqu'on reproche tout de même au responsable d'avoir entrepris une « activité dangereuse »(65). Cette notion n'existe pas dans le droit français positif de la responsabilité civile. La jurisprudence est presque mutique sur la question qui n'apparait en responsabilité contractuelle que de façon rarissime : soit les juges ont constaté que le responsable proposait une activité dangereuse et avait dès lors une obligation de sécurité renforcée(66), soit les juges ont constaté que le client avait entrepris une activité dangereuse que le contractant responsable n'avait pas empêchée (67). 18. Le projet Catala propose d'introduire la notion d'activité dangereuse, le texte étant présenté comme une manière d'harmoniser le droit civil français avec le droit administratif et avec les autres systèmes juridiques européens. Il est même précisé dans la présentation que cette responsabilité fondée sur les activités dangereuses pourrait, selon certains auteurs, remplacer la responsabilité du fait des choses telles que nous la connaissons(68). L'engouement soudain de la doctrine pour cette notion semble un curieux suivisme. Les projets internationaux de responsabilité l'envisagent, certes, mais c'est un succédané de la responsabilité du fait des choses, purement objective en droit français, la notion d'activité « dangereuse » permettant d'ajouter une dimension fautive à laquelle nos voisins sont tellement attachés : ne peut-on pas reprocher au responsable d'avoir entrepris une telle activité ? Cette substitution dans le droit français serait un recul considérable, alors qu'il est possible au contraire, de faire de cette proposition une chance, ce que souligne d'ailleurs M. Viney dans sa présentation. L'article 1362 dispose : « Sans préjudice de dispositions spéciales,

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l'exploitant d'une activité anormalement dangereuse, même licite, est tenu de réparer le dommage consécutif à cette activité. Est réputée anormalement dangereuse l'activité qui crée un risque de dommages graves pouvant affecter un grand nombre de personnes simultanément ». Cette disposition ajoutée au droit positif serait une possibilité pour le droit français de prendre en compte de façon plus complète les hypothèses de dommages de masse (69), et elle constituerait un nouveau fait générateur intéressant, notamment s'il résulte, de l'activité dangereuse, des inexécutions contractuelle de même type avec dommages en grand nombre. 19. Puisqu'il est nécessaire que l'inexécution soit dommageable, on peut considérer qu'il existe un lien de causalité entre l'inexécution et le dommage ; il existe par ailleurs un lien de causalité entre un fait générateur et l'inexécution de l'obligation. La responsabilité contractuelle comprend deux liens de causalité. C'est un peu trop ... d'autant que le but originel de notre propos est de convaincre le lecteur qu'une fusion est possible entre la responsabilité contractuelle et délictuelle. En réalité, le lien de causalité principal et prépondérant se situe entre les différents faits générateurs d'une part et le préjudice d'autre part, l'inexécution du contrat n'étant qu'un élément annexe utile seulement à la désignation d'un régime applicable. L'inexécution au bord du chemin 20. La fusion des deux régimes suppose que leur fonctionnement repose sur un schéma semblable comprenant trois éléments : un fait anormal, un lien de causalité, un préjudice. Ceci suppose de résoudre la question précédemment soulevée de la dualité des liens de causalité dans la responsabilité contractuelle. Les quelques différences de régimes demeurant pourront être résorbées d'autant plus facilement. Résolution de la question de la dualité des liens de causalité dans la responsabilité contractuelle 21. Dans le système de responsabilité contractuelle tel que décrit précédemment, il y a une première relation de cause à effet entre le fait anormal et l'inexécution et une seconde relation de cause à effet entre l'inexécution et le dommage. En réalité, l'inexécution est certes un résultat du fait générateur, mais un résultat annexe. La condition première de la responsabilité est l'existence d'un préjudice ; l'existence de l'inexécution n'est pas déterminante, sa constatation est seulement utile à désigner le régime de responsabilité applicable. Le lien de causalité issu du fait générateur est prépondérant, ce qui peut être mis en évidence par un rappel concernant les mécanismes d'exonération et l'utilisation du principe de non-cumul. Ce rappel sur le principe de non-cumul permettra de constater que l'inexécution n'est qu'une condition préalable, simplement utile au choix d'un régime de responsabilité, et n'est nullement nécessaire à sa mise en oeuvre. Exonération et rupture du lien de causalité issu du fait générateur 22. Revenons aux sources. La responsabilité consiste à exiger le versement de dommages-intérêts d'une personne (d'un patrimoine) qui a vu surgir, dans sa sphère d'autorité ou d'influence (70), l'événement anormal qui explique le dommage. Le lien de causalité peut être défini comme la propagation d'une défectuosité, une « empreinte continue du mal » : « la causalité n'est pas un enchaînement de faits quelconques, n'appelant aucun jugement de valeur ; elle suppose, en réalité, qu'il y a eu propagation du mal depuis le fait imputé au défendeur jusqu'à l'atteinte subie par la victime »(71). La causalité est donc la défectuosité qui explique le dommage(72). Le responsable qui cherche à s'exonérer va tenter de démontrer, soit que l'événement apparu dans sa sphère d'autorité est dépourvu d'anormalité,

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soit que la cause réelle du dommage se trouve en dehors de sa sphère d'autorité. Les deux possibilités se rejoignent dans le cas d'école de l'arbre qui s'effondre sur la toiture du voisin : le propriétaire de l'arbre cherche à démontrer que la cause réelle du préjudice de son voisin est une tempête, irrésistible, un cas de force majeure ; le fait de l'arbre, qu'on croyait anormal, en réalité est normal, compte tenu des circonstances, et le lien de causalité entre le fait de l'arbre et le dommage est rompu par le fait exonératoire. Ou encore, il tente de s'exonérer partiellement en démontrant qu'une autre personne est également à l'origine du dommage, le lien de causalité est atténué ou partagé. 23. En matière contractuelle, quel est le lien de causalité rompu en cas d'exonération par la force majeure ? S'agit-il du lien de causalité entre le fait générateur et l'inexécution ? Ou bien s'agit-il du lien de causalité entre l'inexécution et le dommage ? Le code civil donne un indice à ce sujet. L'article 1147 prévoit l'indemnisation par le débiteur « toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputé ». C'est bien l'inexécution qui « provient de la cause étrangère », elle est un simple résultat (de même que l'article 1151 mentionne qu'elle peut être le résultat d'une faute). La causalité, qui doit être rompue par la démonstration de la cause étrangère, est en amont de l'inexécution ; la cause étrangère rompt le lien entre un fait anormal (faute par exemple) et son résultat, l'inexécution. La jurisprudence confirme cette analyse. L'Assemblée plénière précise en 2006 « qu'il n'y a lieu à aucun dommages-intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ; qu'il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d'exécuter par la maladie... » (73). Il apparaît clairement ici que l'inexécution est le résultat de l'événement irrésistible, le débiteur démontrant que nulle anormalité n'est intervenue dans sa sphère d'autorité. 24. Lorsque l'exonération est fondée sur la simple absence de causalité, c'est le lien de causalité avec le préjudice qui est alors envisagé. Mais les juges évoquent alors l'absence de causalité entre « la faute et le dommage »(74) [ou, par abus de langage, entre l'inexécution et le dommage(75)]. C'est encore la causalité issue du fait générateur qui est évoquée. Dans ces affaires, les juridictions traitent de fautes sans lien avec le préjudice. La circonstance que cette faute ait provoqué une inexécution contractuelle n'a aucune conséquence sur la solution : toute responsabilité est écartée, peu importe qu'elle soit contractuelle ou délictuelle. L'inexécution est parfois évoquée, elle est même indéniable et le débiteur ne s'esquivera pas en démontrant l'absence d'inexécution. Et pour cause : dans ces affaires, la responsabilité contractuelle était en jeu, et l'inexécution dommageable est une condition préalable à l'invocation de la responsabilité contractuelle. L'inexécution : constatation préalable à la recherche d'un fait générateur, cause du dommage 25. Pour désigner le régime contractuel comme applicable et résoudre la question du non-cumul des responsabilités, il convient de se demander s'il y a un contrat valable et si une obligation contractuelle a été inexécutée. Il s'agit là de deux conditions préalables dont l'existence conditionne le choix du régime mis en oeuvre, soit contractuel, soit délictuel. Ce n'est que lorsque ces deux éléments seront déterminés (l'existence du contrat et l'inexécution), et le régime désigné, que l'on pourra ensuite s'interroger sur l'existence d'un fait générateur. 26. Les mécanismes de présomption dissimulent bien souvent cette étape suivante de la recherche du fait générateur ; ceci laisse penser que l'inexécution domine la responsabilité

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contractuelle. Mais ces présomptions existent également en matière de responsabilité délictuelle. Rappelons très brièvement qu'en matière délictuelle, en cas de constatation d'un dommage, la victime bénéficie très fréquemment de présomption de responsabilité. Certes, si c'est la responsabilité du fait personnel qui est recherchée, une faute à l'origine du dommage doit être établie. Mais si une chose est matériellement intervenue dans le dommage, la responsabilité est présumée, ce qui consiste à présumer la causalité, c'est-à-dire l'anormalité expliquant le dommage(76). Ce même type de présomption existe en matière contractuelle. Dans l'hypothèse où une obligation de résultat n'est pas exécutée, la responsabilité du contractant défaillant est présumée : « la cour a caractérisé la faute contestée en constatant l'inexécution d'une obligation de résultat »(77) ; « l'obligation de résultat ... emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage »(78). Les juges présument le fait générateur : soit le contractant a commis une faute, soit une chose utilisée a anormalement « réagi », soit une autre personne dans sa sphère d'autorité s'est comportée anormalement. Dans l'hypothèse où une obligation de moyens n'est pas exécutée, la responsabilité du contractant défaillant n'est plus présumée. La victime devra démontrer que ce contractant a commis une faute, ou qu'une chose utilisée pour exécuter le contrat était anormale, défaillante, ou qu'un préposé s'est comporté anormalement (79). Prenons le cas de la responsabilité médicale : si le patient ne guérit pas, il n'obtiendra réparation que s'il démontre une faute du médecin, une défaillance d'un appareil utilisé, ou encore une défaillance d'un salarié de l'établissement de soin. 27. Par conséquent, on constate ici encore que les faits générateurs du dommage sont les mêmes en matière contractuelle et délictuelle et que les éléments essentiels de la responsabilité sont bien le préjudice, le lien de causalité et le fait générateur. La circonstance de l'inexécution contractuelle est un préalable permettant le choix du régime, qui n'intervient plus lors de sa mise en oeuvre (sauf à la marge, nous y reviendrons). Les fautes délictuelles et contractuelles sont définies de la même façon et une même faute peut donner lieu à une indemnisation sur les deux fondements, comme l'a rappelé l'Assemblée plénière de la Cour de cassation dans son très fameux arrêt du 6 octobre 2006 : « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage »(80). Inversement, une faute d'un tiers peut être à l'origine d'une inexécution contractuelle : « même s'il n'est pas débiteur de la commission, l'acquéreur dont le comportement fautif a fait perdre celle-ci à l'agent immobilier doit, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation à cet agent immobilier de son préjudice » (81) ; soit dit en passant, on voit ici encore que l'inexécution est bien un résultat du fait générateur et non le fait générateur lui-même... Les éléments nécessaires à la responsabilité contractuelle sont donc le fait générateur, la causalité, le dommage (qui se trouve être une inexécution dommageable), ainsi qu'une imputation du fait générateur à un responsable(82). Les responsabilités délictuelles et contractuelles sont donc très proches et leur fusion serait dès lors très simple à opérer. La résorption des dernières distinctions 28. Mis à part le phénomène de ce que Josserand appelait le « forçage du contrat »(83), avec l'invention des obligations prétoriennes de sécurité et d'information, il faut reconnaître que le régime de la responsabilité contractuelle a été peu à peu restreint au service minimum (84). La Cour de cassation l'a limité à la stricte période d'exécution de l'obligation principale du contrat (85). La responsabilité contractuelle est écartée en matière

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professionnelle, lorsque des obligations de conseil dues par des officiers ministériels sont inexécutées (86) ; il en est de même en cas d'abus d'un droit en matière contractuelle(87) ; et chacun a en tête l'arrêt Besse et la jurisprudence sur l'effet relatif du contrat(88). Les régimes de responsabilité spécifiques en cas de produit défectueux ou accident de la circulation montrent que les spécificités du régime contractuel ne sont pas incontournables. Le phénomène de forçage du contrat lui-même, qui tendrait à accroître le domaine de la responsabilité contractuelle, n'est pas inéluctable. La fusion des régimes permettrait de traiter l'ensemble des préjudices corporels sans passer par les contestables obligations prétoriennes de sécurité. Du reste, le projet des Principes de droit européen de la responsabilité civile dispose qu'il existe, un « devoir d'agir positivement pour protéger autrui d'un dommage », dans des situations qui recoupent nos responsabilités délictuelles ou contractuelles, notamment « lorsque les parties entretiennent des relations particulières »(89), ce qui évoque irrésistiblement les relations contractuelles. Ajoutons que le projet Catala envisage précisément de lever le principe du non-cumul des régimes de responsabilité pour les dommages corporels qui pourront être indemnisés sur le fondement de la responsabilité délictuelle, même en cas de manquement à une obligation contractuelle de sécurité(90) ; ce qui démontre encore que ce régime contractuel est loin d'être indispensable. 29. Les quelques particularismes de la responsabilité contractuelle peuvent aisément être repris dans un régime général englobant les deux mécanismes de la responsabilité ; ils paraissent insuffisants pour justifier que perdure la dualité des régimes. Concernant tout d'abord la réparation du dommage prévisible ou la validité des conventions de responsabilité : la spécificité essentielle de la responsabilité contractuelle est la possibilité de limiter à l'avance l'ampleur de la réparation en cas de préjudice. La plupart des auteurs considèrent que le maintien de ces clauses est extrêmement important : le souci est de préserver les prévisions des parties et d'éviter la dénaturation du contrat(91). Un régime de responsabilité unique n'impose pas l'abandon de ces spécificités. 30. Au contraire, elles pourraient être étendues à d'autres situations, proches des situations contractuelles, comme le suggère le texte des Principes de droit européen de la responsabilité civile : l'étendue de la responsabilité dépend de « la prévisibilité du dommage par une personne raisonnable au moment de l'activité, eu égard notamment à la proximité dans le temps ou dans l'espace de l'activité dommageable et de ses conséquences, ou de l'importance du dommage face aux conséquences normales d'une telle activité » (92). Cette même suggestion apparaît également dans le projet Catala de réforme du droit français des obligations : ce projet propose d'étendre les clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité aux situations de voisinage et de quasi-contrat (93). Les Principes de droit européen de la responsabilité civile prévoient que la responsabilité, fondée sur toute « activité ou conduite en l'absence de laquelle le préjudice ne serait pas survenu » est limitée par « la prévisibilité du dommage par une personne raisonnable au moment de l'activité »(94), ce qui parait peut-être de nature à pénaliser un peu trop les victimes. 31. Quoi qu'il en soit, on pourrait donc très bien concevoir un système unifié de responsabilité qui prévoie la possibilité de limiter sa responsabilité, pour les situations contractuelles, de voisinage et de quasi-contrat, sous réserve que les obligations essentielles soient préservées, conformément à la jurisprudence actuelle(95). Concernant l'exigence de mise en demeure, les compétences juridictionnelles ou les lois

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applicables, les conventions de la responsabilité nous montrent ici la voie : les spécificités procédurales peuvent être prévues pour les situations contractuelles et étendues aux situations de voisinage et quasi contractuelles. 32. Depuis longtemps déjà, des auteurs affirment que la différence d'origine des obligations délictuelle et contractuelle à laquelle certains sont tellement attachés n'est finalement pas irréductible. Grandmoulin écrivait dès 1892 que « l'obligation secondaire de réparer, sanction de l'infraction aux obligations primaires nées de la loi ou du contrat, a une origine légale » (96). Planiol, faisant écho à la thèse de Grandmoulin, plaidait également pour l'abandon de cette distinction artificielle : « la violation d'une obligation contractuelle peut toujours se ramener à la violation d'une obligation légale (...) cet acte, qui constitue la faute, est contraire à la loi qui commande d'exécuter les conventions (...) la faute, même dans les contrats, est délictuelle » (97). Esmein réitéra le plaidoyer contre cette distinction des régimes de responsabilité reposant sur une simple « croyance apprise », en s'appuyant sur l'exemple d'une chute dans l'escalier : « je ne vois pas pour quelle raison le propriétaire de la maison d'habitation serait traité autrement que l'entrepreneur de spectacle (...) Ne peut-on pas, dans le cas visé, et dans beaucoup d'autres, unifier les conditions de responsabilité ? »(98). Tunc, dans son ouvrage sur la responsabilité civile réédité en 1989 revenait sur les effets regrettables de cette distinction, qui conduit à traiter des événements dépourvus de différences fondamentales avec des règles différentes, ces règles aboutissant à un résultat final identique ; « Les différences de fondement et de régime des deux types de responsabilité apparaissent plus ou moins absurdes quand la même activité peut créer une responsabilité qui serait contractuelle à l'égard d'une partie et délictuelle à l'égard d'un tiers »(99). Il prônait également la fusion des deux régimes de responsabilité. Des auteurs contemporains, dont le rôle est majeur dans la discipline, enchérissent en ce sens, ou proposent de réduire le domaine de la responsabilité au stricte nécessaire(100). La responsabilité contractuelle devrait peu à peu être éclipsée. 33. La doctrine pourrait s'alarmer de ce que les extensions considérables et très critiquées de responsabilité, opérée sur le terrain délictuel(101), soient alors étendues aux dommages apparus entre contractants : le simple fait causal tend à justifier une responsabilité. Mais, plutôt que de s'entêter à limiter la responsabilité sur le terrain des faits générateurs, en les définissants de façon complexe et en tentant de multiplier les exceptions, la doctrine, obnubilée par l'origine du dommage, ne devrait-elle pas plutôt s'intéresser à ce que demande la victime ? C'est sur le terrain de la définition de la causalité(102), des préjudices et de l'imputation que le droit de la responsabilité doit être sérié. (1) European Group on Tort Law, http://www.egtl.org/principles/project.htm ; Projet Von Barr, http://www.sgecc.net/pages/en/texts/index.draft_ articles.htm et Principles, Definitions and Model Rules of European Private Law, Sellier, 2008. (2) Contra J.-S. Borghetti, La responsabilité du fait des choses, un régime qui a fait son temps, RTD. civ. 2010. 1 . Pour une première réaction à cette thèse de M. Borghetti, A. Guéguan, La place de la responsabilité objective, fait des choses/fait des activités dangereuses, Journées stéphanoises, http://grerca.univ-rennes1.fr. (3) P. Widmer, La responsabilité pour choses et activités dangereuses dans les projets européens, journées stéphanoises, p. 10, site du GRERCA (4) O. Berg, La protection des intérêts corporels en droit de la réparation des dommages, droit français et allemand, Bruylant/LGDJ, 2007, n° 13 et 14. M. Borghetti est très au fait du droit allemand et cette idée de liberté apparaît comme essentielle dans sa démonstration : « La préservation d'un espace de liberté, au sein duquel les justiciables peuvent agir sans risquer d'engager leur responsabilité, n'est pas un objectif moins important que l'indemnisation des dommages », préc. n° 6. Et aussi : il faut « préserver la liberté d'action des justiciables, tout particulièrement des acteurs économiques » : J.-S. Borghetti, La responsabilité du fait des choses et/ou du fait des activités dangereuses, synthèse comparative, Journées stéphanoises, p. 1 et p. 7, site du

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GRERCA. V. également Ph. Le Tourneau, Verdeur de la faute dans la responsabilité civile, RTD. civ. 1987. 505, spéc. p. 506. (5) O. Berg, préc. n° 13. (6) P. Ricoeur évoque la culpabilité collective qui « résulte de l'appartenance de fait des citoyens au corps politique au nom duquel les crimes ont été commis », La mémoire, l'hsitoire, l'oubli, Seuil, 2000, p. 615. (7) Pour rester sur les mêmes références, V. les ouvrages sur la problématique du mal et de la culpabilité du protestant P. Ricoeur, notamment La philosophie de la volonté, 2 : Finitude et culpabilité, Aubier, 1963. (8) Art. 2043 Codice civile : Risarcimento per fatto illecito. Qualunque fatto doloso o colposo che cagiona ad altri un danno ingiusto, obbliga colui che ha commesso il fatto a risarcire il danno. (9) Art. 2048 Codice civile ; Gaetano Annunziata, La responsabilita civile e le fatispecie di responsabilita presunta, CEDAM, 2008. (10) Art. 2043, préc. Gaetano Annunziata, préc. p. 8. (11) N. Dejean de la Bâtie, sous Aubry et Rau, Droit civil français, t. VI-2, Responsabilité délictuelle, Litec 1989, 8 éd. n° 1. (12) G. Viney, Introduction à la responsabilité, LGDJ, 2008, n° 36 et 67 ; N. Dejean de la Bâtie, préc. n° 1 ; P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, Litec, 2005, n° 3 et 11 ; M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, 2 - Responsabilité civile et quasi-contrats, Puf Thémis, 2007, p. 3 et 8 ; F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Précis Dalloz, 2005, n° 696 ; P. Conte, P. Maistre du Chambon, La responsabilité civile délictuelle, PUG, 1994, p. 7 et 16. (13) P. Rémy, La responsabilité contractuelle : histoire d'un faux concept, RTD. civ. 1997. 323 ; D. Tallon, L'inexécution du contrat : pour une autre présentation, RTD. civ. 1994. 223 ; Ph. Le Tourneau et al., Droit de la responsabilité et des contrats, n° 802. (14) G. Viney, La responsabilité contractuelle en question, Mél. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 921. (15) V. infra n° 28 et D. Mazeaud, A partir d'un petit cas tragique outre-Rhin : retour sur le désordre de la distinction des ordres de responsabilité, Mél. Viney, LGDJ, 2008, p. 711. (16) G. Viney, préc. p. 922 et Introduction préc. n° 232 ; Tunc, Responsabilité civile, Economica, 1989, n° 38 s., n° 48. (17) Projet Catala, art. 1341. (18) Projet Catala, présenté par G. Viney, art. 1343 s. (19) « des dommages-intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu'il est résulté un préjudice de la faute contractuelle » : not. Com. 8 mars 2005, n° 03-17.434 - Civ. 3, 3 déc. 2003, n° 02-18.033, D. 2004. 395, et les obs. ; ibid. 2005. 185, obs. P. Delebecque, P. Jourdain et D. Mazeaud ; AJDI 2004. 204 , obs. S. Beaugendre ; RTD civ. 2004. 295, obs. P. Jourdain ; Civ. 1, 26 févr. 2002, Bull. civ. I, n° 68 ; Defrénois, 2002. 759, obs. E. Savaux : « L'article 1145 du code civil ... ne dispense pas celui qui réclame réparation de la contravention à cette obligation d'établir le principe et le montant de son préjudice ». (20) Clin d'oeil : osera-t-on s'étonner de ce que ces mêmes auteurs nient certaines subtilités indispensables (le dommage né de l'inexécution) et soutiennent des distinctions moins utiles (le dommage et le préjudice) ? (21) Dans le même sens, déjà, Demolombe, Traité des contrats, t. 1, Paris 1868, n° 565. Pour une démonstration d'ensemble, G. Viney, La responsabilité contractuelle en question, préc. (22) Civ. 1, 31 mai 2007, Bull. civ. I, n° 212, V. infra n° 12. (23) Civ. 3, 20 avr. 2005, Bull. civ. I, n° 96, V. infra n° 12. (24) Ph. Le Tourneau, Droit des obligations, n° 251 ; Egalement : P. Brun, Responsabilité civile extra-contractuelle, Litec, 2005, n° 115 et 126 ; M. Fabre-Magnan, Les obligations/1, Puf, n° 213 et Les obligations/2, n° 5. (25) L. Grynbaum, Droit civil, les obligations, Hachette, 2007, n° 309. (26) G. Viney, Présentation du projet de réforme du droit des obligations, Section 3. Dispositions propres à la responsabilité contractuelle. M. Viney paraît cependant beaucoup moins catégorique dans son Introduction à la responsabilité, préc. p. 286. (27) Civ. 1, 15 nov. 2005, n° 03-18.541. (28) Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, section IV du titre VIII du livre II. (29) Ph. Le Tourneau, préc. n° 1196. (30) J. Carbonnier, Droit civil, t. 4, Les obligations, Puf, Thémis, 2004, n° 155 et 156. (31) D. Tallon, préc., n° 16. Egalement : Ph. Malinvaud, Droit des obligations, Litec, 2005, n° 568 ; M. Fabre-Magnan, Droit des obligations/1, Puf, Thémis, n° 213. (32) Com. 12 juill. 2005, n° 04-13.272. (33) N. Dejean de la Bâtie, JCP G 1968. II. 15698. Dans le même sens, de nombreux autres auteurs, not. G. Viney, La responsabilité contractuelle en question, préc. p. 941. (34) Art. 1:101. (35) Civ. 1, 13 nov. 2008, Bull. civ. I, n° 255. (36) Civ. 1, 31 mai 2007, Bull. civ. I, n° 212.

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(37) Civ. 3, 20 avr. 2005, Bull. civ. III, n° 96. (38) Planiol, note D. 1896. 2. 457. (39) P. Grosser distinguait les dommages consubstantiels à l'inexécution (la non-obtention de la prestation promise) et les dommages consécutifs, th. Paris I, 2000. (40) G. Viney, Introduction à la responsabilité, préc. p. 295 ; G. Viney, P. Jourdain, Conditions de la responsabilité, n° 813 ; P. Jourdain, Y a-t-il place pour un abus de fonction du préposé en matière contractuelle ? RTD. civ 1990. 87 ; S. Euzen, la distinction des responsabilités civiles contractuelle et délictuelle à l'épreuve de l'abus de fonction, LPA 1997, n° 65, p. 4. (41) Civ. 1, 18 juill. 1983, Bull. civ. I, n° 209. (42) Civ. 2, 3 mars 1977, Bull. civ. I, n° 61. (43) Pour une assistante maternelle : Civ. 1, 18 nov. 1997, Bull. civ. I, n° 318. (44) Cass., ass. plén., 15 nov. 1985, JCP 1986. II. 20568, note G. Viney ; RTD. civ. 1986. 128, J. Huet - Crim. 16 févr. 1999, Bull. crim., n° 23. (45) Com. 14 déc. 1999, Bull. civ. IV, n° 233. (46) Civ. 1, 18 oct. 1960, Bull. civ. I, n° 442 ; JCP 1960. II. 18446, note R. Savatier. V. également : Civ. 1, 4 juin 1991, JCP 1991. II. 21730. (47) Civ. 1, 26 mai 1999, Bull. civ. I, n° 175. (48) P.-Y. Gautier, obs. ss Civ. 1, 19 nov. 2008, RTD. civ. 2009. 132 . (49) BGB, art. 278 : Le débiteur est responsable pour la faute de son représentant légal et des personnes auxquelles il faut faire appel pour exécuter son obligation, comme s'il était lui-même l'auteur de la faute (trad. O. Berg). (50) O. Berg, La responsabilité du fait d'autrui, rapport allemand, p. 5, journées stéphanoises, site du GRERCA. (51) Arrêt Gasbadeofen, RG 10 févr. 1930, cité par O. Berg, préc. : un locataire demande à une entreprise de réparer son chauffage au gaz. Suite à une intervention défectueuse d'un préposé, le chauffage explose et blesse la femme de ménage du locataire. Il y a ici contrat entre l'entreprise commettante et le locataire. La femme de ménage, tiers au contrat, peut invoquer la responsabilité du commettant du fait de son préposé. Cette jurisprudence ancienne fait irrésistiblement penser à l'arrêt Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, Bull. n° 6 (V. infra n° 27), pourtant tant décrié... (52) Civ. 1, 30 mars 1994, Bull. civ. I, n° 134. (53) Civ. 1, 4 nov. 1992, Bull. civ. I, n° 277. (54) Civ. 1, 2 juin 1981, JCP 1982. II. 19912, note N. Dejean de la Bâtie. (55) V. comm. N. Dejean de la Bâtie en ce sens, préc. (56) Civ. 1, 9 nov. 1999, n° 98-10.010, D. 2000. 117 , note P. Jourdain, JCP 2000. II. 10251, note P. Brun ; Civ. 1, 22 nov. 2007, Bull. civ. I, n° 366. (57) Civ. 1, 29 juin 1999, Bull. civ. I, n° 222 ; 18 févr. 2009, Bull. civ. I, n° 37. (58) Civ. 1, 17 janv. 1995, n° 93-13.075, D. 1995. 350 , note P. Jourdain ; ibid. 1996. 15, obs. G. Paisant ; RTD civ. 1995. 631, obs. P. Jourdain ; RTD com. 1995. 640, obs. B. Bouloc, JCP 1995. I. 3853, obs. V. Viney ; RCA 1995. chron. 16, H. Groutel. (59) N. Dejean de la Bâtie, préc. (60) Rapp. C. cass. pour 1999, p. 397. (61) Civ. 1, 16 mai 2000, n° 98-12.533. (62) Chacun se souvient de l'arrêt Fullenwarth (Cass., ass. plén., 9 mai 1984, Bull. n° 4 ; JCP 1984. II. 20255, note N. Dejean de la Bâtie ; D. 1984. 525, concl. Cabanes, note F. Chabas ; RTD. civ. 1984. 508, obs. J. Huet), la solution retenue puis oubliée n'étant définitivement consacré que 13 ans plus tard avec l'arrêt Bertrand (Civ. 2, 19 févr. 1997, n° 94-21.111, D. 1997. 265, note P. Jourdain ; ibid. 279, chron. C. Radé ; ibid. 290, obs. D. Mazeaud ; GAJC, 11 éd. 2000. n° 208-209 ; RTD civ. 1997. 648, obs. J. Hauser ; ibid. 668, obs. P. Jourdain , Bull. civ. II, n° 56, JCP 1997. II. 22848, concl. Kessous, note G. Viney ; Gaz. Pal. 1997. 2. 572, note F. Chabas ; RCA 1997. chron. 9, F. Leduc). (63) L. Josserand, Le travail de refoulement de la responsabilité délictuelle du fait des choses inanimées, D. 1930. 1. 5. (64) PETL, Art. 5:101. (65) Même analyse pour la notion de « responsabilité pour risque ». (66) Civ. 1, 6 janv. 1998, n° 96-10.463. (67) Civ. 1, 28 avr. 1993, Bull. civ. I, n° 152. (68) G. Viney, Avant projet de réforme du droit des obligations, préc., p. 17, note 26 ; J.-S. Borghetti, préc. (69) A. Guegan-Lécuyer, Vers un nouveau fait générateur de responsabilité civile : les activités dangereuses, Mél. Viney, LGDJ, 2008, p. 499 ; Dommages de masse et responsabilité civile, th. LGDJ, 2006, n° 219. (70) « Sphère d'autorité » étant l'expression de N. Dejean de la Bâtie, Responsabilité délictuelle, préc. n° 96 ; « sphère d'influence » étant celle du projet de l'EGTL, art. 3:106. Ces passages doivent également beaucoup à P. Conte, Cours de droit des obligations, Bordeaux IV, 1989.

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(71) N. Dejean de la Bâtie, préc. n° 69 et 74. (72) N. Dejean de la Bâtie, préc. n° 72 ; C. Quézel-Ambrunaz, Essai sur la causalité en droit de la responsabilité civile, Dalloz 2010, n° 295 s. (73) Cass., ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168, D. 2006. 1577, obs. I. Gallmeister ; ibid. 1566, chron. D. Noguéro , note P. Jourdain ; ibid. 1929, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2638, obs. S. Amrani Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2006. 775, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2006. 904, obs. B. Bouloc, Bull n° 6. (74) Civ. 1, 5 févr. 2009, Bull. civ. I, n° 21 - Civ. 3, 9 déc. 2008, n° 07-19.987 - Civ. 1, 22 mai 2008, n° 07-10.903. (75) Civ. 3, 11 juin 2008, n° 07-15.224. (76) N. Dejean de la Bâtie, préc. ; P. Conte, P. Maistre du Chambon, La responsabilité civile délictuelle, préc. n° 109 s. (77) Com. 12 juill. 2005, n° 04-13.272. (78) Civ. 1, 2 févr. 1994, Bull. civ. I, n° 41 ; LPA 1996, n° 17, p. 21, note Martin ; JCP E 1994, n° 23, p. 119, note Delebecque. (79) P. Conte, cours préc. (80) Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255, D. 2006. 2825, obs. I. Gallmeister, note G. Viney ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2966, obs. S. Amrani Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; GAJC, 12 éd. 2008. n° 177 ; AJDI 2007. 295, obs. N. Damas ; RDI 2006. 504, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 61, obs. P. Deumier ; ibid. 115, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 123, obs. P. Jourdain , Bull. n° 6 ; JCP 2006. II. 10181, note M. Billiau ; RLDC 2007. 3, note P. Brun ; P. Ancel, Retour sur l'arrêt d'Assemblée plénière du 6 octobre 2006 à la lumière du droit compare, Mél. Viney, LGDJ, 2008, p. 23. (81) Cass., ass. plén., 9 mai 2008, n° 07-12.449, D. 2008. 2328, obs. Y. Rouquet, note A.-L. Thomat-Raynaud ; AJDI 2008. 878 , obs. M. Thioye ; RTD civ. 2008. 485, obs. P. Jourdain ; ibid. 498, obs. P.-Y. Gautier ; ibid. 672, obs. B. Fages ; RTD com. 2009. 202, obs. B. Bouloc. (82) N. Dejean de la Bâtie, préc., n° 1 ; F. Leduc, Causalité civile et imputation, RLDC 2007, suppl n° 40, p. 21, n° 4 à 6. (83) L. Josserand, Le contrat dirigé, D. 1933. 89. (84) D. Mazeaud, A partir d'un petit cas tragique outre-Rhin : retour sur le désordre de la distinction des ordres de responsabilité, Mél. Viney, LGDJ, 2008, p. 711. (85) Civ. 1, 7 mars 1989, n° 87-11.493, D. 1991. 1, note P. Malaurie ; ibid. 80, chron. C. Mascala ; RTD. civ. 1989. 548, obs. P. Jourdain : « en dehors du contrat de transport, la responsabilité du transporteur à l'égard du voyageur est soumise aux règles de la responsabilité délictuelle » - Civ. 2, 10 janv. 1990, n° 87-13.194, RDSS 1991. 608, obs. E. Alfandari et G. Mémeteau ; RTD civ. 1990. 481, obs. P. Jourdain : « le contrat passé entre le contre médical et le patient se limite à la consultation et aux soins, en dehors de l'exécution de ce contrat médical la responsabilité du centre est soumise aux règles de la responsabilité délictuelle ». (86) P. Jourdain, La responsabilité professionnelle et les ordres de responsabilité civile, LPA 11 juill. 2001, p. 66. (87) Quoique la jurisprudence reste flottante, on peut citer : Soc. 11 juin 1953, D. 1953. 661 : « L'abus de droit, qu'il ait été commis dans le domaine contractuel ou extra-contractuel, engendre dans tous les cas la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle de son auteur » - Civ. 3, 23 mai 1968, Bull. civ. III, n° 232 ; RTD. civ. 1970. 463, note Ph. Jestaz - Com. 6 févr. 2007, Bull. civ. IV, n° 21. Ph. Stoffel-Munck, L'abus dans le contrat, LGDJ, 2000. (88) Cass., ass. plén., 12 juill. 1991, n° 90-13.602, D. 1991. 549 ; ibid. 257, chron. C. Jamin ; ibid. 321, obs. J.-L. Aubert , note J. Ghestin ; ibid. 1992. 119, obs. A. Bénabent ; ibid. 149, chron. P. Jourdain ; GAJC, 12 éd. 2008. n° 173-176 ; RDI 1992. 27, obs. B. Boubli ; ibid. 71, obs. P. Malinvaud et B. Boubli ; RTD civ. 1991. 750, obs. P. Jourdain ; ibid. 1992. 90, obs. J. Mestre ; ibid. 593, obs. F. Zenati , Bull. n° 5 ; JCP 1991. II. 21743, note G. Viney ; JCP E 1991. II. 218, note Laroumet. (89) Art. 4:103. (90) Art. 1341 al. 2 : Toutefois, lorsque cette inexécution provoque un dommage corporel, le cocontractant peut, pour obtenir réparation de ce dommage, opter en faveur des règles qui lui sont plus favorables. (91) Tendance doctrinale rappelée par G. Viney, Présentation du projet Catala, p. 142. (92) Art. 3:201, a. (93) Art. 1382 du projet Catala et la note qui l'accompagne. (94) Art. 3:201 a. (95) Ce qui est rappelé également dans le projet Catala, art. 1382-2 et la note qui l'accompagne. (96) Grandmoulin, De l'unité de la responsabilité ou nature délictuelle de la responsabilité pour violation des obligations contractuelles, cité par G. Viney, préc. n° 163.

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(97) M. Planiol, note D. 1896. 2. 457 et 458. (98) P. Esmein, La chute dans l'escalier, JCP G 1956. I. 1321. (99) A. Tunc, préc., n° 43. (100) G. Viney, La responsabilité contractuelle en question, préc. p. 947. D. Mazeaud, préc., P. Jourdain, préc. (101) Citons, entre autres, Cass., ass. plén., 13 déc. 2002, n° 00-13.787, D. 2003. 231, note P. Jourdain ; GAJC, 12 éd. 2008. n° 215-217, Bull. n° 4, ou Cass., ass. plén. 6 oct. 2006, préc. (102) A ce sujet, V. les travaux du GRERCA et notre contribution, http://grerca.univ-rennes1.fr/. RTD Civ. © Editions Dalloz 2010

- D. Mainguy, J.-L. Respaud, Droit des obligations, ellipses, 1ère éd., 2008, spéc. n° 346.

Distinction entre responsabilité civile et responsabilité pénale 346. Responsable mais pas coupable ! – La petite phrase prononcée par un Ministre mis en cause dans l’affaire du sang contaminé, qui avait tant fait jaser en son temps, est pourtant assez juste, en tant qu’elle illustre la distinction, majeure, entre la responsabilité pénale et la responsabilité civile, et que le droit français ou la sociologie judiciaire française ne fait pas toujours. La distinction de la responsabilité civile et de la responsabilité pénale est essentielle, c’est même l’une des plus grandes évolutions sociales connue depuis l’Antiquité. Alors, la responsabilité civile y était confondue avec la responsabilité pénale : la victime pouvait obtenir la condamnation du fautif, et obtenait un droit sur la personne même du fautif. Une double confusion en résultait : la faute créative d’un préjudice emportait responsabilité pénale et en outre, assurer pour la victime un droit sur la personne du responsable. Cette forme de vengeance a au fur et à mesure était remplacée par une composition volontaire, une indemnité, c‘est-à-dire un droit sur le patrimoine du fautif. C’était déjà une évolution majeure. L’état parvint ensuite à se substituer à la victime et à obtenir le monopole de l’usage de la force. Dès lors, à la responsabilité pénale est assignée la peine et à la force par l’état contre l’auteur d’une infraction selon les critères issus du principe de légalité des crimes et des peines, et à la responsabilité civile est réservée l’obtention d’une dette de réparation, entre la victime et le fautif. On distingue alors, fondamentalement, la sanction assurée en principe par le droit pénal et la réparation, assurée en principe par le droit civil. Il reste pourtant quelques confusions : ainsi, d’un point de vue sémantique, on parle délit en droit pénal comme en droit civil de la responsabilité et, à bien des égards, la peine agit parfois comme une forme de réparation et la réparation civile agit bien souvent comme une sanction du fautif. Ce n’est pas qu’une question de sémantique : la plupart des grandes tragédies, en France, donnent lieu à une action pénale1. Le réflexe français est ainsi : si je subis un préjudice, mon réflexe est immédiat « je porte plainte » et point « j’assigne ». Ici encore, le vocabulaire est riche d’enseignement : combien de fois entend-on des vicitimes déclamer leur douleur, bien réelle et sincère, en disant que leur deuil ne sera possible qu’avec la condamnation de l’auteur des faits, alors même que le lien est particulièrement ténu, et qu’il faudrait un miracle pour qu’une peine de prison soit retenue ? Ainsi, les acteurs du procès du sang contaminé, des ministres, un premier ministre, des hauts fonctionnaires de la santé, étaient poursuivis pour « tromperie sur les qualités de la marchandises », un délit de boutiquier. Sans doute, cette « pénalisation » de la responsabilité, des drâmes et des tragédies répond à des considérations techniques : les outils de la procédure pénale essentiellement en

1 Comp. A. Guégan – Lécuyer, Les dommages de masse et la responsabilité civile, Th. Paris I, 2004.

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raison de la nature inquisitoriale du procès pénal et des renforts des forces de police et de leurs moyens d’enquête extraordinaires favorisent le recours à l’action publique face à la faiblesse de la procédure civile et de l’obligation pour les parties de prouver leur demande devant un juge. Mais il y a aussi un part sociologique, de goût archaïque du pilori, de Place de Grève et d’exécution publique : il faut un coupable. On retrouve alors la confusion, barbare, entre la responsabilité civile et la responsabilité pénale, un droit de la victime sur l’auteur. A cet égard, et nous y reviendrons, l’un des moyens de modifier cette situation, repose peut-être sur l’action de groupe.

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SEANCE 12 LA RESPONSABILITE DELICTUELLE Responsabilité du fait personnel

I. – Jurisprudence

• Abus de droit � Req, 3 août 1915, DP 1917, I, 79. � Cass. Civ. 3ème, 4 février 1971 : Bull. civ. III, n° 79.

• La faute

� Ass. Plén., 9 mai 1984, 4ème esp., D. 1984, p. 525, Concl. Cabannes, note Chabas. � Cass. civ. 2ème, 5 juillet 2001, JCP 2002, II, 10139 � Cass. civ. 2ème, 20 novembre 2003, n°01-17-977 � Ass. Plén., 17 novembre 2000, JCP 2000, II, 10438 � Ass. Plén., 28 novembre 2001, JCP 2001, n°49, p. 2237 (2 arrêts) � Civ. 1ère, 24 janvier 2006 (3 arrêts). � Ass. Plén., 6 octobre 2006 (Pourvoi n° 05-13255)

• Le préjudice � Cass. civ. 2ème, 19 juin 2003, Responsabilité civile et assurances, février 2004, p. 10 � Cass. civ. 2ème, 20 juillet 1993, Bull. civ. II, n° 274 � Cass. civ. 2ème, 22 février 1995, JCP 1996, II, 22570 � Ass. Plén., 13 juillet 2001, D. 2001, 2325 (3 arrêts)

II. – Doctrine

� Ch. Radé, « Réflexions sur les fondements de la responsabilité civile », D. 1999 p. 313.

� Ph. Rémy, Critique du système français de la responsabilité civile, Droit et cultures, 1996/1, p. 47 et s (extrait).

� Ph. Rémy, La « responsabilité contractuelle » : Histoire d’un faux concept, RTD Civ. 1997, p. 323 et s.

III. – Exercices

� Résoudre les cas pratiques.

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Cas pratiques Dure journée pour les Gentils … Cas n°1 : Mme Fidèle Opost est une vieille fille aigrie de 59 ans. Elle passe ses journées à sa fenêtre à surveiller tout ce qui se passe dans le quartier. M. et Mme Gentils, un jeune couple qui vient de s’installer, focalise particulièrement son attention. Ces derniers sont en effet propriétaires d’un chien, le « Gros Pitou », qui, à deux reprises, a uriné sur le mur mitoyen séparant leurs deux fonds. Excédée, Mme Opost veut encourager ses nouveaux voisins à partir, et décide alors de faire pousser des fougères sur le mur mitoyen afin de les priver du plus petit rayon de soleil. Cas n°2 : M. Gentils a eu une journée difficile. Employé d’EDF, il dut réparer toute la journée des câbles électriques qui avaient rompus dans son quartier suite à l’importante chute de neige s’étant abattue sur sa région. En fin d’après-midi, il reçut un appel sur son téléphone portable personnel qui le laissa tout chose, à la suite duquel il s’empressa de terminer son travail. Dans la hâte, il laissa malencontreusement échapper un câble qui, en touchant le sol, heurta Mme Fidèle Opost qui fut « grièvement blessée » selon ses dires. Cas n°3 : Quelques heures plus tard, tandis que Mme Gentils se rendait en ville, elle vit son mari sortir d’un petit hôtel en compagnie d’une ravissante blonde. Abasourdie dans un premier temps, Mme Gentils sentit une soudaine soif de vengeance monter en elle. Elle suivit alors la jeune femme jusqu’à son domicile, rayant au passage la carrosserie de sa voiture. Elle sonna à sa porte et lorsque la jeune fille lui ouvrit, elle se jeta sur elle en la frappant et saccagea son appartement. Cas n° 4 : Le soir venu, alors que M. et Mme Gentils avaient une discussion musclée dans leur salon sur les évènements de la journée, leur jeune fille de 6 ans, Lola, s’amusait dans le jardin. En farfouillant autour du barbecue, elle y trouva une boîte d’allumette à combustion lente. Après avoir pris soin d’en allumer quelques unes, elle les envoya par dessus le mur mitoyen, mettant ainsi feu à un tas de feuilles que Mme Opost avait entreposé. Rapidement, le feu se répandit et se communiqua à une petite cabane en bois qui fut alors détruite par les flammes.

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� Req, 3 août 1915, DP 1917, I, 79

MOYEN DE CASSATION :

Violation des articles 544 et suiv. et 552 du code civil, des règles du droit de propriété, violation par fausse application des articles 1382 et suiv. du code civil, violation de l'article 7 de la loi du 20 Avril 1810, défaut de motifs et de base légale,

En ce que d'une part, l'arrêt attaqué a considéré comme un abus du droit de propriété le fait par un propriétaire de construire sur son terrain une clôture élevée, destinée à empêcher le propriétaire du fonds voisin de pénétrer chez lui ou de tirer de son fonds un usage quelconque destiné à rendre sa jouissance plus commode, sous le prétexte que cette construction avait été faite uniquement dans une intention malveillante, alors qu'un propriétaire a le droit absolu de construire sur son terrain tels ouvrages de défense ou de clôture qu'il lui plait pour éviter toute incursion sur son terrain, et qu'il ne peut y avoir abus de droit que si le propriétaire exécute chez lui, sans aucun profit pour lui même, un acte qui apporte un trouble au propriétaire du fonds voisin restant dans les limites de sa propriété, ce qui n'était aucunement le cas.

Et en ce que d'autre part, l'arrêt n'a rien répondu à la théorie de droit ainsi formulée dans le dispositif des conclusions d'appel. PAR CES MOTIFS et tous autres à produire, déduire ou suppléer, l'exposant conclut à ce qu'il plaise à la Cour de Cassation : Casser l'arrêt attaqué avec toutes les conséquences de droit.

LA COUR :

Sur le moyen de pourvoi pris de la violation des articles 544 et suivants, 552 et suivants du code civil, des règles du droit de propriété et plus spécialement du droit de clore, violation par fausse application des articles 1388 et suivants du code

civil, violation de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs et de base légale.

Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué que Coquerel a installé sur son terrain attenant à celui de Clément-Bayard, des carcasses en bois de seize mètres de hauteur surmontées de tiges de fer pointues ; que le dispositif ne présentait pour l'exploitation du terrain de Coquerel aucune utilité et n'avait été érigée que dans l'unique but de nuire à Clément-Bayard, sans d'ailleurs, à la hauteur à laquelle il avait été élevé, constituer au sens de l'article 647 du code civil, la clôture que le propriétaire est autorisé à construire pour la protection de ses intérêts légitimes ; que, dans cette situation des faits, l'arrêt a pu apprécier qu'il y avait eu par Coquerel abus de son droit et, d'une part, le condamner à la réparation du dommage causé à un ballon dirigeable de Clément-Bayard, d'autre part, ordonner l'enlèvement des tiges de fer surmontant les carcasses en bois.

Attendu que, sans contradiction, l'arrêt a pu refuser la destruction du surplus du dispositif dont la suppression était également réclamée, par le motif qu'il n'était pas démontré que ce dispositif eût jusqu'à présent causé du dommage à Clément-Bayard et dût nécessairement lui en causer dans l'avenir.

Attendu que l'arrêt trouve une base légale dans ces constatations ; que, dûment motivé, il n'a point, en statuant ainsi qu'il l'a fait, violé ou faussement appliqué les règles de droit ou les textes visés au moyen.

Par ces motifs, rejette la requête, condamne le demandeur à l'amende.

Ainsi fait jugé et prononcé par la Cour de Cassation, Chambre des Requêtes, en son audience publique du trois août mil neuf cent quinze.

� Cass. Civ. 3ème, 4 février 1971 : Bull. civ. III, n° 79 Sur le moyen unique : vu les articles 544 et 1382 du code civil ; Attendu que la propriété étant le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue,

pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibe par les lois ou par les règlements, le voisin de celui qui use légitimement de son droit de propriété ne peut demander une réparation que

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si le trouble qu'il en subit excède la mesure des inconvénients normaux du voisinage ; Attendu que pour condamner Geoffroy à une réparation pécuniaire envers mille, occupant d'un immeuble voisin, en raison des troubles qui auraient été causes à ce dernier par l'utilisation par Geoffroy, comme lieu de plaisance, du toit-terrasse du garage régulièrement construit sur son fonds, et ce, sans violation d'aucune règle d'urbanisme ou de servitudes légales, le jugement attaque se borne à constater un trouble de jouissance, procédant d'un abus de droit ;

Qu’en se prononçant par un tel motif sans expliquer en quoi ce trouble avait excédé les inconvénients normaux du voisinage, le juge du fond n'a pas donne une base légale a sa décision ; Par ces motifs : casse et annule, le jugement rendu le 11 juillet 1969 entre les parties, par le tribunal d'instance de Bressuire, remet, en conséquence, la cause et les parties au même et semblable état ou elles étaient avant ledit jugement et, pour être fait droit les renvoie devant le tribunal d'instance de Châtellerault.

� Ass. Plén. 9 mai 1984, 4ème esp., D. 1984, p. 525, Concl. Cabannes, note Chabas. 4ème espèce

Sur le premier moyen :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 9 juillet 1980), statuant sur renvoi après cassation, que la jeune Fatiha X..., alors âgée de 5 ans, a été heurtée le 10 avril 1976 sur un passage protégé et a été mortellement blessée par une voiture conduite par M. Z... ; que, tout en déclarant celui-ci coupable d'homicide involontaire, la Cour d'appel a partagé par moitié la responsabilité des conséquences dommageables de l'accident ;

Attendu que les époux X... Y... font grief à l'arrêt d'avoir procédé à un tel partage alors, selon le moyen, que, d'une part, le défaut de discernement exclut toute responsabilité de la victime, que les époux X... soulignaient dans leurs conclusions produites devant la Cour d'appel de Metz et reprises devant la Cour de renvoi que la victime, âgée de 5 ans et 9 mois à l'époque de l'accident, était beaucoup trop jeune pour apprécier les conséquences de ses actes ; qu'en ne répondant pas à ce chef péremptoire des conclusions, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ; alors, d'autre part, et en tout état de cause, que la Cour d'appel n'a pu, sans contradiction, relever, d'un côté, l'existence d'une faute de la victime et, d'un autre côté, faire état de l'irruption inconsciente de la victime ; alors, enfin, que la Cour d'appel relève que l'automobiliste a commis une faute d'attention à l'approche d'un passage pour piétons sur une section de route où la possibilité de la

présence d'enfants est signalée par des panneaux routiers, qu'ayant remarqué de loin les deux fillettes sur le trottoir, il n'a pas mobilisé son attention sur leur comportement ; qu'en ne déduisant pas de ces énonciations l'entière responsabilité de M. Z..., la Cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient nécessairement ;

Mais attendu qu'après avoir retenu le défaut d'attention de M. Z... et constaté que la jeune Fatiha, s'élançant sur la chaussée, l'avait soudainement traversée malgré le danger immédiat de l'arrivée de la voiture de M. Z... et avait fait aussitôt demi-tour pour revenir sur le trottoir, l'arrêt énonce que cette irruption intempestive avait rendu impossible toute manoeuvre de sauvetage de l'automobiliste ;

Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la Cour d'appel, qui n'était pas tenue de vérifier si la mineure était capable de discerner les conséquences de tels actes, a pu, sans se contredire, retenir, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, que la victime avait commis une faute qui avait concouru, avec celle de M. Z..., à la réalisation du dommage dans une proportion souverainement appréciée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

(…)

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� Cass. civ. 2ème, 5 juillet 2001, JCP 2002, II, 10139

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 octobre 1999) que Mme X..., invoquant le préjudice que lui a causé Mme Y... en ayant entretenu une liaison avec son mari dont elle a eu un enfant, événement qu'elle lui a révélé en intentant une action en recherche de paternité, a assigné cette dernière sur le fondement de l'article 1382 du Code civil pour lui réclamer la somme de 300 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande, alors, selon le moyen :

1° que toute personne qui, en connaissance de cause, aide autrui à enfreindre le devoir de fidélité inhérent au mariage, par sa participation à un adultère commet une faute l'obligeant à réparer le préjudice subi par le conjoint trompé ; qu'en affirmant que le fait d'entretenir une liaison avec un homme marié ne constituait pas une faute à l'égard de l'épouse de cet homme, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

2° que toute faute, même légère, qui a causé un préjudice à autrui, engage la responsabilité de son auteur ; qu'en estimant dès lors qu'aucune faute ne

pouvait être reprochée à Mme Y... au motif qu'elle n'a pas cherché à nuire à la conjointe de son amant ni usé de manoeuvres pour le détourner de son épouse, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir relevé qu'il n'était pas prétendu que Mme Y..., qui n'a jamais rencontré Mme X... antérieurement à sa liaison ni au cours de celle-ci, aurait, par son attitude, créé le scandale ou cherché à nuire spécifiquement au conjoint de son amant, qu'il n était pas davantage soutenu qu'elle aurait à la suite de manoeuvres détourné M. X... de son épouse, la cour d'appel a pu décider que le seul fait d'entretenir une liaison avec un homme marié ne constitue pas une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur à l'égard de l'épouse ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

� Cass. civ. 2ème, 20 novembre 2003, n°01-17-977

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 10 septembre 2001) que Richard X..., fumant depuis l'âge de treize ans, soit depuis 1963, des cigarettes "Gauloises", et victime en 1988 d'un cancer du poumon puis en 1995 de cancers du poumon et de la langue, ainsi que son épouse née Lucette Y..., leurs enfants Sébastien et Richard- Pierre X... et Mme Charlotte Z... veuve Y..., grand-mère de Mme X..., ont assigné la société anonyme Service d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (la Seita), devenue société Altadis, sur le fondement des articles 1382 et 1384, alinéa 1er, du Code civil, en réparation des préjudices causés par la consommation du tabac ; que la Caisse primaire d'assurance maladie du Loiret est intervenue à

l'instance ; qu'après le décès de Richard X... et de Charlotte Z... veuve Y..., l'action a été poursuivie par leurs héritiers (les consorts X...) ; qu'un jugement a partiellement accueilli leurs demandes et a ordonné une expertise avant dire droit sur l'évaluation des dommages ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de les avoir déboutés de leurs demandes dirigées contre l'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) Seita pour la période allant de 1963 à 1976 année de l'adoption de la loi "Veil", alors, selon le moyen :

1 ) que tout fabricant d'un produit susceptible d'avoir un effet nocif pour la

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santé doit en informer le consommateur ; que pareille obligation d'information pré-contractuelle pèse sur le fabricant de tabac - dont les effets nocifs étaient déjà avérés en 1963 - qu'il s'agisse d'une personne morale de droit privé ou de droit public, soumise ou non à la tutelle de l'Etat ; qu'en retenant cependant le contraire motif inopérant pris de ce que l'EPIC Seita avait pour seule mission de maximiser les recettes de l'Etat dans le secteur du tabac, mission étrangère voire incompatible, avec une obligation d'information sur les dangers du tabac, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

2 ) qu'en tout état de cause, l'EPIC Seita, à défaut de pouvoir de son propre chef directement informer les consommateurs sur les dangers du tabac, devait à tout le moins - comme elle en avait le pouvoir - suggérer et inciter l'Etat à prendre les mesures nécessaires pour assurer la diffusion de cette information essentielle ; qu'en s'abstenant de le faire, le fabricant de tabac a commis une faute ; qu'en refusant de sanctionner le comportement complaisant de la Seita, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, que l'arrêt retient que par lettre du 10 juin 1964, le ministre de la Santé publique et de la Population, au fait des conclusions des études françaises et étrangères sur les risques liés à l'abus de la consommation du tabac, notamment celui de cancer du poumon, proposait au ministre des Finances d'envisager des campagnes sanitaires, puis, après deux vaines lettres de rappel des 9 septembre 1964 et 14 mars 1968, lui proposait par lettre du 18 mars 1968 d'envisager l'impression sur les paquets de cigarettes de la mention "la consommation excessive des cigarettes peut être nuisible pour la santé" ; que de plusieurs courriers internes émanant du ministère de la Santé publique, il ressortait que le ministère des Finances ne répondait pas à ces propositions et que, notamment après une réunion de l'Assemblée mondiale de la santé établissant que la consommation abusive de tabac était cause d'une surmortalité et d'une surmorbidité des fumeurs, par cancers du poumon, du larynx et de la bouche, l'obstacle essentiel à la mise en oeuvre des mesures préconisées ne pouvait résider que "dans la réticence que ne manquerait de susciter une telle action, surtout au ministère de l'Economie et des Finances qui y verrait un risque sérieux pour l'activité du Seita et le rendement de la fiscalité sur le tabac" ; qu'encore, par lettre du 18 décembre 1971, le ministre de l'Economie et des Finances,

s'adressant au ministre de la Santé publique et de la Sécurité sociale, après avoir relativisé les risques dénoncés par son collègue, écrivait que si l'apposition sur les paquets de cigarettes d'un message sanitaire lui paraissait une suggestion intéressante en son principe, "elle ne semblait pas avoir donné des résultats très caractérisés dans les pays où elle avait été rendue obligatoire", en proposant éventuellement et sous réserve d'études, d'autres modalités d'information des consommateurs par l'intermédiaire des débitants de tabac ; qu'il ressort de ces correspondances que les autorités gouvernementales, dont le ministre des Finances, autorité de tutelle de la Seita, informées dès avant 1964 des dangers liés à la consommation excessive de tabac, divergeaient sur le caractère impératif et sur les modalités de l'information à fournir à la population ;

Que de ces constatations et énonciations découlant d'une appréciation souveraine des éléments de preuve soumis au débat, la cour d'appel a pu déduire qu'il ne pouvait être reproché à la Seita d'avoir, antérieurement à la loi du 10 juillet 1976 dite "loi Veil", manqué à une obligation d'information à l'égard des fumeurs ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de les avoir déboutés de leurs demandes dirigées contre l'EPIC Seita devenu en 1980 société d'économie mixte Seita puis en 1995 société anonyme Seita, pour la période allant de 1976 à 1999, année du décès de Richard X..., alors, selon le moyen :

1) que, en cas de concours entre une faute simple et une faute intentionnelle, la seconde efface la première et devient la cause exclusive du dommage ; qu'en l'espèce, à supposer même que Richard X... ait commis une faute en continuant de fumer, nonobstant les risques de cancer connus du public à partir de 1976, cette faute s'effaçait devant les fautes intentionnelles de la SA Seita, dont certaines ont été pénalement

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sanctionnées, consistant à minimiser les dangers du tabac ; qu'en retenant cependant que les fautes commises par la SA Seita n'avaient joué aucun rôle dans le décès de M. X..., lors même qu'il s'agissait de fautes intentionnelles exclusives du dommage, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

2) que dans leurs conclusions d'appel récapitulatives, les consorts X... faisaient expressément valoir que la SA Seita avait commis une faute en s'abstenant de prendre des mesures de prévention destinées à inciter les fumeurs à arrêter de fumer ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient que la loi "Veil" a imposé l'indication sur les paquets de cigarettes des taux de nicotine et goudron, ainsi qu'un avertissement sanitaire sur le danger de l'abus de la consommation du tabac ; que les consorts X... soutiennent que la Seita n'a pas respecté les prescriptions de la loi en tentant d'en réduire la portée ou en donnant au message sanitaire un caractère technocratique et ridicule aux yeux des consommateurs ; que cependant, Richard X..., âgé de 27 ans en 1976, ne pouvait alors ignorer les méfaits de l'usage abusif du tabac, non seulement du fait de l'information légale portée sur les paquets de cigarettes, mais encore du fait de toutes les informations présentées à la connaissance de tous par les médias, presse et radio-télévision, comme l'établissent à suffisance 530 pièces produites par la Seita ; que Richard X..., gros fumeur, depuis l'âge de treize ans, de Gauloises bleues sans filtre, à raison d'au moins deux paquets par jour selon l'aveu de ses proches, était seul à pouvoir prendre les décisions qui s'imposaient ; que si l'avertissement sanitaire légal pouvait influencer un fumeur récent ou une personne envisageant de fumer, il était improbable, même au regard du caractère "addictif" du tabac sur lequel insistent les consorts X..., que Richard X..., qui avait assisté en 1980

au décès par cancer du poumon d'un membre de sa famille, qui avait été lui-même atteint d'un cancer en 1988 sans cesser de fumer, eût été influencé par ce message,même s'il n'était pas rigoureusement conforme à la loi ; qu'il était ainsi pratiquement certain que même en retenant la thèse des consorts X... suivant laquelle l'information légale due par la Seita, en application de la loi du 10 juillet 1976, aurait été faite de façon critiquable, Richard X...

n'aurait pas eu alors une attitude différente et que le dommage se serait produit de toutes façons ; qu'il n'est pas démontré, d'une part que la "désinformation" que les consorts X... imputent au directeur de la Seita, et qui se serait caractérisée par une seule communication dans une publication destinée aux seuls débitants de tabac ou par la publicité, alors non réglementée, d'autre part que l'ensemble des fautes qu'ils reprochent à la Seita postérieurement à 1976, aient joué quelque rôle que ce soit dans l'habitude prise depuis longtemps par leur auteur ; qu'ainsi , en l'absence de lien de causalité, il n'apparaît pas nécessaire d'examiner la réalité des manquements à l'obligation d'information allégués par les consorts X... et la responsabilité de la Seita pour la période postérieure à 1976 ne peut être retenue ;

Que de ces constatations et énonciations découlant d'une appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis au débat, la cour d'appel, répondant aux conclusions, a pu déduire que le lien de causalité entre le dommage invoqué par les consorts X... et les fautes alléguées de la Seita n'était pas établi ;

D'ou il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de les avoir déboutés de leurs demandes en réparation pour la période allant de 1963 à 1999, alors, selon le moyen :

1) que les cigarettes sont, en l'état de leur caractère additif et cancérigène, des choses dangereuses dotées d'un dynamisme propre, en sorte que le fabricant est gardien de leur structure ; qu'en retenant cependant le contraire, la cour d'appel a violé l'alinéa 1er de l'article 1384 du Code civil ;

2) que la structure dangereuse d'une chose est réputée être à l'origine exclusive du dommage subi par son utilisateur, sauf à ce que ce dernier ait été en mesure, lors de l'usage de la chose, d'en maîtriser le danger ;

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qu'un fumeur n'est jamais en mesure de contrecarrer les méfaits de la cigarette puisque ces derniers sont provoqués par la seule consommation du produit ; qu'il en va d'autant plus ainsi du fumeur excessif qui, par définition, est celui qui est sous la dépendance directe du produit et qui a perdu tout pouvoir de contrôle ; qu'en décidant que le comportement de Richard X... constituait la cause de son dommage, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéa 1er du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient que le dommage causé par les cigarettes est dû de manière indissociable aux produits contenus et dégagés par elles, nicotine, goudron, gaz, et au comportement du fumeur qui consomme excessivement ce produit, que la garde de la structure suppose que le fabricant d'un produit même dangereux ait le pouvoir de surveiller, de contrôler les éléments de la chose et de prévenir le dommage ; qu'il n'est pas démontré que la Seita ait fabriqué ses cigarettes de manière anormale compte tenu des connaissances actuelles ; que la théorie distinguant garde de la structure et garde du comportement, applicable uniquement aux choses dotées d'un dynamisme propre et dangereuses ou encore dotées d'un dynamisme interne et affectées d'un vice interne,

n'est pas applicable aux cigarettes fumées par Richard X... ;

Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement déduit que la responsabilité de plein droit de la Seita du fait des cigarettes détenues par Richard X..., qui en était le seul gardien, ne pouvait être recherchée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les consorts X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes respectives des consorts X... et de la société Altadis ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille trois.

� Cass. civ. 2ème, 19 juin 2003, Responsabilité civile et assurances, février 2004, p. 10

Sur les deux premières branches du premier moyen et la première branche du second moyen :

Vu l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que l'auteur d'un accident doit en réparer toutes les conséquences dommageables ; que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., qui exploitait un fonds de boulangerie, et sa fille ont été blessées le 12 septembre 1984 dans un accident de la circulation dont M. Y... a été reconnu responsable ; que Mme et Mlle X... ont assigné ce dernier en réparation de leurs préjudices ;

Attendu que pour rejeter la demande de Mme X... en indemnisation de son préjudice résultant de la perte de son fonds de commerce et celle de Mlle X...

relative à la perte de chance d'avoir pu reprendre un fonds de commerce prospère, l'arrêt retient que si Mme X... affirme que son fonds de commerce, resté inexploité jusqu'en mars 1990, avait perdu toute valeur puisque la clientèle avait disparu et le matériel était devenu obsolète, elle avait la possibilité de faire exploiter le fonds par un tiers et que si elle a choisi de le laisser péricliter, elle ne saurait en imputer la responsabilité à l'auteur de l'accident ; que la perte de valeur du fonds n'étant pas une conséquence de l'accident, Mlle X... ne pouvait en demander réparation à l'auteur de l'accident ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressort des constatations de l'arrêt que Mme X... avait subi, du fait de l'accident, pendant de nombreux mois une incapacité temporaire totale et partielle de travail, puis qu'elle avait conservé une incapacité permanente partielle

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l'empêchant de reprendre son activité de boulangerie, ce dont il résultait l'existence d'un lien de causalité directe entre l'accident et le préjudice allégué, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Que le rejet de la demande de Mlle X... relative à la réparation de la perte de chance alléguée doit être annulée par voie de conséquence ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 novembre 1999, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;

Condamne M. Y... et la société Royale Mutualité Neutre aux dépens ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille trois.

� Cass. civ. 2ème, 20 juillet 1993, Bull. civ. II, n° 274 Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 novembre 1992), que M. X..., hémophile contaminé par le virus d'immunodéficience humaine (VIH) à l'occasion de l'injection de produits sanguins entre novembre 1984 et juin 1985, a présenté une demande d'indemnisation au Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le VIH (le Fonds), créé par l'article 47 de la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 ; que M. X..., n'ayant pas accepté les offres du Fonds, a saisi la cour d'appel de Paris aux fins d'indemnisation ;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir, après avoir décidé que le Fonds devait verser immédiatement à M. X... l'intégralité de la part d'indemnisation du préjudice spécifique de contamination dérivant de sa séropositivité, jugé, en revanche, que le paiement d'un complément d'indemnisation de ce préjudice afférent au syndrome d'immunodéficience acquise (SIDA) déclaré, était subordonné à la constatation médicale de la maladie, alors que, d'une part, doit être immédiatement indemnisé un préjudice qui, bien que futur, présente un degré de certitude suffisant ; qu'ainsi la cour d'appel n'aurait pu exiger que le préjudice résultant pour une victime déjà séropositive de la survenance du SIDA soit " absolument certain " et aurait violé les articles 47-I, III et IV de la loi du 31 décembre 1991 et 1382 du Code civil, alors que, d'autre part, la volonté

clairement exprimée du législateur au cours des travaux préparatoires a été de considérer comme un préjudice certain et immédiatement indemnisable la survenance du SIDA chez une personne séropositive, que, par suite, aurait été violé l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991, alors qu'enfin il résultait de l'audition du professeur Montagnier que, compte tenu des données actuelles et prévisibles de la science pour plusieurs années, 90 % des personnes séropositives étaient appelées à contracter le SIDA dans un délai de 12 ans à compter de leur séroconversion ; que la cour d'appel, au lieu de se fonder exclusivement sur les allégations du Fonds, aurait dû rechercher s'il ne résultait pas de cette audition qu'elle avait elle-même ordonnée, mais dont elle n'a pas tenu compte, que le préjudice lié à la survenance du SIDA chez une personne déjà séropositive depuis 8 ans et située au stade IV et dernier de la contamination sur l'échelle du CDC, était suffisamment certain pour être d'ores et déjà indemnisé, qu'ainsi elle aurait privé sa décision de base légale au regard des articles 47-I, III et IV de la loi du 31 décembre 1991 et 1382 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient que le préjudice de M. X... comprend les troubles dans ses conditions d'existence entraînés par la séropositivité puis, s'il y a lieu, par la survenance du SIDA déclaré, et que de nombreux essais thérapeutiques en cours visent

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à retarder, voire à bloquer, le passage à la maladie ;

Que, de ces seules énonciations, qui relèvent de son pouvoir souverain d'appréciation, la cour d'appel a pu déduire, justifiant légalement sa décision, que le préjudice résultant de la survenance du SIDA n'avait pas un caractère certain et décider que le paiement de

l'indemnisation afférente au SIDA déclaré serait subordonné à la constatation médicale de la maladie ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

� Cass. civ. 2ème, 22 février 1995, JCP 1996, II, 22570 Sur le moyen unique :

Vu l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que l'auteur d'un délit ou d'un quasi-délit est tenu à la réparation intégrale du dommage qu'il a causé ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Annick X... qui circulait à bicyclette a été heurtée et blessée par l'automobile de M. Y..., que Mlle Catherine X... agissant tant en son nom qu'en celui de Mme Annick X... sa mère, a assigné M. Y... et son assureur, la compagnie Norwich Union, la caisse primaire d'assurance maladie d'Elbeuf et la société Transport agglomération Elbeuvienne en réparation de son préjudice ;

Attendu que pour exclure Mme X... de la réparation de son préjudice personnel l'arrêt relève que, selon l'expert, la victime, réduite à l'état végétatif, n'est absolument pas apte à ressentir quoi que ce soit qu'il s'agisse d'une douleur, d'un

sentiment de diminution du fait d'une disgrâce esthétique ou d'un phénomène de frustration des plaisirs comme des soucis de l'existence ; que la cour d'appel en déduit qu'il n'existe pas la preuve d'un préjudice certain ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'état végétatif d'une personne humaine n'excluant aucun chef d'indemnisation son préjudice doit être réparé dans tous ses éléments, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qui concerne le préjudice personnel de Mme X..., l'arrêt rendu le 25 juin 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

� Ass. Plén., 17 novembre 2000, JCP 2000, II, 10438 Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche du pourvoi principal formé par les époux X..., et le deuxième moyen du pourvoi provoqué, réunis, formé par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne :

Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;

Attendu qu'un arrêt rendu le 17 décembre 1993 par la cour d'appel de Paris a jugé, de première part, que M. Y..., médecin, et le Laboratoire de biologie médicale de Yerres, aux droits duquel est M. A..., avaient commis des fautes contractuelles à l'occasion de recherches d'anticorps de la rubéole chez Mme X...

alors qu'elle était enceinte, de deuxième part, que le préjudice de cette dernière, dont l'enfant avait développé de graves séquelles consécutives à une atteinte in utero par la rubéole, devait être réparé dès lors qu'elle avait décidé de recourir à une interruption volontaire de grossesse en cas d'atteinte rubéolique et que les fautes commises lui avaient fait croire à tort qu'elle était immunisée contre cette maladie, de troisième part, que le préjudice de l'enfant n'était pas en relation de causalité avec ces fautes ; que cet arrêt ayant été cassé en sa seule disposition relative au préjudice de l'enfant, l'arrêt attaqué de la Cour de renvoi dit que "

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l'enfant Nicolas X... ne subit pas un préjudice indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises " par des motifs tirés de la circonstance que les séquelles dont il était atteint avaient pour seule cause la rubéole transmise par sa mère et non ces fautes et qu'il ne pouvait se prévaloir de la décision de ses parents quant à une interruption de grossesse ;

Attendu, cependant, que dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l'exécution des contrats formés avec Mme X... avaient empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs de l'un et l'autre des pourvois :

CASSE ET ANNULE, en son entier, l'arrêt rendu le 5 février 1999, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée que lors de l'audience du 17 décembre 1993.

(…)

� Ass. Plén., 13 juillet 2001, D. 2001, 2325

Arrêt n°1 Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 12 juin 1997), que Mme X... a donné naissance, le 31 octobre 1989, à une fille atteinte d'un spina-bifida entraînant de graves séquelles ; que les époux X... ont engagé une action en réparation du préjudice subi par leur fille contre MM. Y... et Z..., médecins gynécologues consultés par Mme X... pendant le cours de sa grossesse, auxquels ils reprochaient d'avoir commis des fautes dans la pratique et l'interprétation d'échographies réalisées après la dixième semaine de la grossesse qui n'avaient pas permis de déceler les anomalies ;

Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté cette demande, alors, selon le moyen :

1° que le débiteur peut être condamné au paiement de dommages-intérêts à raison de l'inexécution de l'obligation ; que la cour d'appel, qui a relevé la faute des praticiens, qui, par leur absence de diagnostic du spina-bifida, ont privé les parents de la faculté d'envisager la possibilité d'une interruption volontaire de grossesse thérapeutique et qui a cependant refusé d'indemniser le préjudice subi par l'enfant qui a, avant sa naissance, été privée des choix dont ses parents devaient disposer pour elle, a ainsi violé les articles 1137 et 1147 du Code civil ;

2° que l'enfant peut être indemnisée, lorsqu'en raison d'une faute des médecins découlant de leur

obligation d'information, il était possible d'éviter, par un refus du projet parental, les conséquences de cette naissance ; qu'en reconnaissant que les praticiens ont privé les parents de la possibilité d'envisager une interruption de grossesse thérapeutique, tout en rejetant l'action de l'enfant, car il n'est pas certain que l'interruption de grossesse eût été autorisée, sans rechercher si l'enfant, en raison de la faute des médecins, n'avait pas perdu la chance que cette autorisation fût obtenue, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1137 et 1147 du Code civil ;

Mais attendu que l'enfant né handicapé peut demander la réparation du préjudice résultant de son handicap si ce dernier est en relation de causalité directe avec les fautes commises par le médecin dans l'exécution du contrat formé avec sa mère et qui ont empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse ; que, dans le cas d'une interruption pour motif thérapeutique, il doit être établi que les conditions médicales prescrites par l'article L. 2213-1 du Code de la santé publique étaient réunies ; qu'ayant constaté qu'il n'en avait pas été ainsi, la cour d'appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.

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Arrêt n°2

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Metz, 6 mars 1997), que Mme X... a donné naissance, le 5 juillet 1992, à un fils sans bras gauche et dont le membre supérieur droit présentait des malformations ; que les époux X... ont engagé une action en réparation du préjudice subi par celui-ci contre Mme Y..., médecin gynécologue, consultée par Mme X... pendant le cours de sa grossesse, à laquelle ils reprochaient d'avoir commis des fautes dans la pratique et l'interprétation d'échographies, réalisées après la dixième semaine de la grossesse, qui n'ont pas permis de déceler les anomalies ;

Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande, alors, selon le moyen, que les fautes du médecin qui laissent croire aux parents que le développement de leur futur enfant est normal sont génératrices du dommage subi par cet enfant né handicapé, au moins en ce qu'il n'a pas bénéficié du choix de ses parents quant à une éventuelle interruption de grossesse ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que le docteur Y... a manqué à ses obligations en ne s'apercevant pas, pendant la grossesse, des malformations dont souffre l'enfant ; qu'en refusant toute indemnisation à cet enfant, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu que l'enfant né handicapé peut demander la réparation du préjudice résultant de son handicap si ce dernier est en relation de causalité directe avec les fautes commises par le médecin dans l'exécution du contrat formé avec sa mère et qui ont empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse ; que, dans le cas d'une interruption pour motif thérapeutique, il doit être établi que les conditions médicales prescrites par l'article L. 2213-1 du Code de la santé publique étaient réunies ; qu'ayant constaté qu'il n'en avait pas été ainsi, la cour d'appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt n°3

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 9 avril 1998), que Mme X... a donné naissance, le 15 mai 1990, à un enfant prénommé Thomas, affecté d'une malformation du membre supérieur droit ; que les consorts X... ont engagé contre M. Y..., médecin gynécologue chargé du suivi de la grossesse, une action en réparation des préjudices afférents au handicap de Thomas ;

Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande, alors, selon le moyen, qu'ayant relevé qu'ils avaient marqué leur volonté, en cas d'anomalie, de recourir à un avortement thérapeutique, mais que les fautes du médecin, qui avait sous-estimé le précédent malformatif, et qui n'avait pas apporté tous les soins nécessaires à l'étude morphologique du foetus, ont faussement induit les parents dans la croyance que leur enfant était normal ; qu'il en résulte donc que les fautes du médecin sont bien la cause directe de la naissance et du handicap souffert par l'enfant ; qu'en refusant pourtant d'indemniser M. et Mme X..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de Thomas et Patrice, ainsi que Véronique X..., en raison de la prétendue absence de lien de causalité entre le dommage et les fautes du docteur Y..., la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu que l'enfant né handicapé peut demander la réparation du préjudice résultant de son handicap si ce dernier est en relation de causalité directe avec les fautes commises par le médecin dans l'exécution du contrat formé avec sa mère et qui ont empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse ; que dans le cas d'une interruption pour motif thérapeutique, il doit être établi que les conditions médicales prescrites par l'article L. 2213-1 du Code de la santé publique étaient réunies ; qu'il résulte des constatations de la cour d'appel qu'il n'en avait pas été ainsi ; que, dès lors, abstraction faite de tous autres motifs, l'arrêt est légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

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� Ass. Plén., 28 novembre 2001, JCP 2001, n°49, p. 2237 1er arrêt :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., alors âgée de 20 ans, a donné naissance, le 27 janvier 1995, à un enfant atteint d'une trisomie 21 ; qu'elle a engagé une action en réparation des préjudices subis par celui-ci du fait de son handicap contre M. Y..., médecin gynécologue chargé de suivre l'évolution de sa grossesse ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches, du pourvoi incident, qui est préalable :

Attendu que M. Y... reproche à l'arrêt attaqué d'avoir accueilli la demande, alors, selon le moyen :

1° qu'en le condamnant à indemniser l'enfant Lionel du préjudice résultant de son handicap au seul motif que son défaut d'information était en relation directe avec la naissance de l'enfant porteur de trisomie 21, sans toutefois caractériser le lien de causalité entre ce défaut d'information et la trisomie 21 de l'enfant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1383 du Code civil ;

2° que le fait de naître ne saurait constituer un préjudice pour celui qui est né ; que, dès lors, en condamnant M. Y... à indemniser l'enfant Lionel des conséquences de son handicap, et ce alors que le défaut d'information de M. Y..., sans aucune incidence sur la trisomie 21 de l'enfant, n'aurait pu avoir pour effet que d'empêcher l'enfant de ne pas naître, la cour d'appel a nécessairement estimé que le préjudice de l'enfant résultait de sa naissance et a violé l'article 1383 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt relève que le médecin n'avait pas communiqué à la patiente les résultats d'un dosage de bêta HCG qu'il lui avait proposé à seize semaines d'aménorrhée, alors que ces résultats, corroborés par des examens échographiques révélant la discordance entre un diamètre bipariétal important et un fémur trop court, étaient alarmants et justifiaient une consultation spécialisée en génétique et en échographie ; qu'en l'état de ces constatations, et dès lors qu'il n'avait pas été contesté par M. Y... que les conditions médicales d'une interruption de grossesse pour motif thérapeutique auraient été réunies, la cour d'appel a pu retenir que la faute ainsi commise, qui avait fait perdre à Mme X... la possibilité de recourir à une amniocentèse et à une telle interruption de grossesse, était en relation

directe avec le préjudice résultant pour l'enfant de son handicap ;

D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa première branche, n'est pas fondé en la seconde ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi principal :

Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;

Attendu que la réparation du préjudice doit être intégrale ;

Attendu que, pour limiter à une certaine somme l'indemnisation des préjudices de Lionel X..., la cour d'appel, après avoir énoncé que la perte de chance subie par la faute du médecin ne peut entraîner la réparation intégrale du dommage causé à l'enfant lui-même, mais seulement partie de celui-ci à hauteur de 50 %, relève que l'enfant, dont la charge ouvre droit à une allocation spéciale, figure au quatrième rang d'une liste d'admission dans un établissement d'éducation spéciale dont les prestations seront prises en charge par les organismes sociaux ; que les juges ajoutent que la demanderesse n'a pas précisé si elle rémunérait sa propre mère, éducatrice de formation, à laquelle elle a confié l'éducation de l'enfant, en lui reversant l'allocation d'éducation spéciale ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que le préjudice de l'enfant n'est pas constitué par une perte de chance mais par son handicap, d'autre part, que le montant de l'indemnité due au titre de l'assistance de tierces personnes à domicile pour les gestes de la vie quotidienne ne saurait être réduit en cas d'assistance familiale, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions relatives au préjudice de Lionel X..., l'arrêt rendu le 19 janvier 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant

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ledit arrêt, et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris

2ème arrêt Sur le moyen unique, pris en ses deux branches, du pourvoi incident, qui est préalable :

Attendu que Mme X..., alors âgée de 30 ans, a donné naissance, le 25 avril 1997, à un enfant atteint d'une trisomie 21 ; que les époux X... ont engagé une action en réparation de leurs préjudices moral et matériel contre Mme Y..., médecin gynécologue, chargée par Mme X... de la surveillance de sa grossesse, à laquelle ils reprochaient de ne pas avoir prescrit l'amniocentèse que la patiente lui demandait ;

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à chacun des époux une certaine somme en réparation de son préjudice moral, alors, selon le moyen :

1° qu'un médecin n'est tenu de conseiller à une femme enceinte de pratiquer un test chromosomique ou une amniocentèse que lorsqu'il existe des risques que le foetus soit atteint d'aberration chromosomique ; qu'en affirmant néanmoins que Mme X... était une " patiente à risques " en raison de la combinaison d'un antécédent familial d'anomalie de structure chromosomique et des difficultés présentées au cours de deux précédentes grossesses, soit une toxémie pour la première et l'interruption spontanée de la seconde sans étiologie apparente, l'oeuf étant totalement dévitalisé, sans expliquer en quoi les difficultés survenues lors des deux précédentes grossesses, qui n'avaient aucun lien avec une aberration chromosomique, étaient de nature à permettre de considérer que Mme X... était une " patiente à risques ", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;

2° que la mise en oeuvre de la responsabilité civile d'un médecin suppose l'existence d'un lien de causalité entre les faits qui lui sont reprochés et le préjudice dont il est demandé réparation ; qu'en décidant néanmoins que le fait, pour le Dr Y..., de n'avoir pas proposé à Mme X... un test permettant de dépister la trisomie 21 avait privé M. et Mme X... de la possibilité de recourir à une interruption volontaire de grossesse thérapeutique, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces derniers n'avaient pas renoncé par avance à pratiquer une telle interruption volontaire de grossesse, quand bien même l'enfant aurait été atteint de la trisomie 21, la cour d'appel n'a

pas caractérisé l'existence d'un lien de causalité entre l'omission de faire pratiquer ces examens et la perte de chance, et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu que les juges, après avoir relevé que Mme X... avait signalé à Mme Y..., à l'occasion de sa précédente grossesse, que son premier enfant, victime d'une toxémie gravidique, avait été accouché par césarienne et était atteint de problèmes psychomoteurs, et que l'une de ses belles-soeurs était trisomique, ce qui avait conduit le médecin à prescrire un examen de dépistage du risque accru de trisomie 21 que l'intervention d'une fausse couche n'avait pas permis d'exécuter, énoncent qu'en omettant de prescrire à nouveau ce test ou de faire pratiquer l'amniocentèse que demandait cette " patiente à risques ", Mme Y... l'a privée d'une information qui lui aurait permis, soit de recourir à une interruption thérapeutique de grossesse, soit de se préparer avec son mari à l'accueil d'un second enfant handicapé ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel, sans être tenue de faire une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu retenir tant la négligence du médecin que le lien de causalité entre cette faute et le préjudice moral des parents de l'enfant handicapé ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ;

Sur le second moyen du pourvoi principal tel que reproduit en annexe :

Attendu que ce moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine du préjudice par les juges du fond ;

Mais, sur le premier moyen du pourvoi principal :

Vu l'article 1147 du Code civil ;

Attendu que, pour débouter les époux X... de leur demande de réparation du préjudice matériel résultant des soins particuliers que requiert leur enfant trisomique, les juges

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énoncent que, l'anomalie génétique dont l'enfant est porteur étant indépendante de la faute médicale imputable au médecin, ses parents ne peuvent obtenir réparation du préjudice matériel résultant pour eux de son handicap ;

Attendu, cependant, que dès lors, d'une part, que la faute commise par le médecin dans l'exécution du contrat formé avec Mme X... avait empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse pour motif thérapeutique, et, d'autre part, qu'il n'était pas contesté que les conditions médicales d'une telle interruption de grossesse étaient réunies, les parents pouvaient demander la réparation du préjudice matériel résultant pour eux du handicap en relation de causalité directe avec la faute retenue ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté les époux X... de leur demande de réparation du préjudice matériel résultant pour eux du handicap de leur fils Yvan, l'arrêt rendu le 16 décembre 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

� Civ. 1ère, 24 janvier 2006

Arrêt 1 : n° 01-16684 : Bull. civ. I, n° 29 p. 26

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Donne acte à la Fondation Bagatelle et à Mme X..., épouse Y..., du désistement de leur pourvoi formé contre Mlle Aurélie Y... ;

Vu leur connexité, joint les pourvois n° F 01-16684 et V 01-17042 ;

Attendu que Mme Y... a subi, alors qu'elle était enceinte, une biopsie placentaire qui a permis de constater une absence d'anomalie chromosomique du foetus mais a entraîné un décollement placentaire et une fissuration des membranes à l'origine d'une insuffisance de la quantité de liquide amniotique ; qu'à compter du 31 mai 1991, elle a été hospitalisée à la Fondation Bagatelle et suivie par Mme X..., médecin gynécologue, salariée de cet établissement ; que le 25 août 1991, à 30 semaines de grossesse, une césarienne a été pratiquée par Mme X... ; que l'enfant présentant des malformations des membres et des troubles respiratoires, les époux Y... ont engagé contre la Fondation Bagatelle et Mme X... une action en réparation de leur préjudice moral et du préjudice subi par leur fille ; que la

Fondation Bagatelle a appelé en garantie la société Axa assurances, son assureur ;

que l'arrêt attaqué (Bordeaux, 18 septembre 2001) a dit que la faute commise par Mme X... était à l'origine du préjudice subi par les époux Y... et leur enfant, constaté que Mme X... avait agi en qualité de salariée de la Fondation Bagatelle dans le cadre du contrat de soins passé entre cet établissement et Mme Y..., déclaré la Fondation Bagatelle responsable du dommage des époux Y... et de leur fille, dit que la société Axa assurances devait sa garantie à la Fondation Bagatelle et condamné cette dernière au paiement de provisions à valoir sur le préjudice corporel de l'enfant et sur le préjudice moral des parents ;

Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi formé par la Fondation Bagatelle et Mme X..., tels qu'énoncés au mémoire en demande annexé au présent arrêt qui sont préalables :

Attendu que la cour d'appel a constaté, en se fondant sur le rapport d'expertise, que les séquelles présentées par l'enfant étaient en relation avec une pathologie liée à l'insuffisance de quantité du liquide amniotique, que la fuite précoce et chronique de ce liquide pendant la grossesse faisait courir le risque de

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malformations et de bronchodysplasie avec des conséquences cardiaques et respiratoires pouvant donner lieu à des séquelles neurologiques, que ces risques étaient tels pour le foetus qu'une interruption de grossesse pouvait être envisagée après quelques semaines en l'absence de reconstitution de ce liquide, que les échographies réalisées au cours de la grossesse de Mme Y... avaient révélé la diminution et certaines semaines l'absence de liquide amniotique, qu'en raison de la sévérité de l'insuffisance de quantité de celui-ci et de la forte probabilité que l'enfant fût atteinte d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic, une indication d'interruption de grossesse aurait donc pu être posée et que Mme X... aurait dû s'entourer d'avis techniques susceptibles de l'aider dans ce cas difficile ; qu'elle a encore constaté que Mme X... n'avait pas informé les parents des risques encourus par l'enfant alors que ses compétences médicales reconnues ne pouvaient lui faire ignorer les conséquences qu'il était possible d'en attendre et que les époux Y... lui avaient fait part de leur souhait de voir la grossesse interrompue en présence de risques pour l'enfant ; que la cour d'appel a pu en déduire que Mme X... avait ainsi commis une faute ayant empêché les époux Y... d'exercer leur choix de recourir à une interruption thérapeutique de grossesse dont les conditions médicales étaient réunies, ce qui justifiait la réparation de leur préjudice moral ; que les moyens ne sont donc pas fondés ;

Sur le premier moyen du pourvoi formé par la Fondation Bagatelle et Mme X..., pris en ses deux branches, et le moyen unique du pourvoi formé par la société Axa assurances, tels qu'énoncés aux mémoires en demande annexés au présent arrêt après l'avertissement prévu à l'article 1015 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu que, comme l'avait retenu à bon droit la cour d'appel, dès lors que la faute commise par le médecin dans l'exécution du contrat formé avec Mme Y... avait empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse pour motif thérapeutique afin d'éviter la naissance d'une enfant atteinte d'un handicap et que les conditions médicales d'une telle interruption étaient réunies, l'enfant pouvait, avant l'entrée en vigueur de l'article 1er-I de la

loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé demander la réparation du préjudice résultant de son handicap et causé par la faute retenue ;

Attendu que l'article 1er-I de ladite loi, déclaré applicable aux instances en cours énonce que "nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance, que lorsque la responsabilité d'un professionnel de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice, que ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap et que la compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale" ;

Attendu, toutefois, que si une personne peut être privée d'un droit de créance en réparation d'une action en responsabilité, c'est à la condition selon l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que l'article 1er-I, en prohibant l'action de l'enfant et en excluant du préjudice des parents les charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de la vie, a institué un mécanisme de compensation forfaitaire du handicap sans rapport raisonnable avec une créance de réparation intégrale, quand les époux Y... pouvaient, en l'état de la jurisprudence applicable avant l'entrée en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur fille serait indemnisée au titre du préjudice résultant de son handicap ; d'où il suit, ladite loi n'étant pas applicable au présent litige, que le premier moyen pris en sa première branche du pourvoi formé par la Fondation Bagatelle et Mme X... et le moyen unique du pourvoi formé par la société Axa assurances sont inopérants et que le premier moyen du pourvoi formé par la Fondation Bagatelle et Mme X... pris en sa seconde branche n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

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REJETTE les pourvois ;

Fait masse des dépens et les laisse pour moitié à la charge de la Fondation Bagatelle et de Mme Z... et pour moitié à celle de la société Axa assurances ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille six.

Arrêt 2 : n° 02-12260 : Bull. civ. I, n° 30, p. 28

Attendu que Mme Y... a donné naissance à une enfant présentant un spina-bifida avec myéloméningocèle ; que les époux Y... ont engagé contre M. X... , gynécologue obstétricien qui avait suivi la grossesse, et la société Le Sou médical, son assureur, une action en réparation de leur préjudice et du préjudice subi par l'enfant du fait de son handicap ; que l'arrêt attaqué a retenu que M. X... avait commis une faute en ne prescrivant pas d'échographie morphologique au terme de 20-24 semaines alors que cet examen aurait, avec deux chances sur trois, permis la découverte du spina-bifida et le recours de Mme Y... à une interruption thérapeutique de grossesse, débouté les époux Y... de leur demande en réparation du préjudice de l'enfant, condamné in solidum M. X... et la société Le Sou médical à indemniser les époux Y... de leur préjudice constitué par la perte d'une chance, avant-dire droit ordonné deux expertises sur la réparation de ce préjudice, condamné in solidum M. X... et la société Le Sou médical au paiement de dommages et intérêts provisionnels et débouté la CPAM du Loir-et-Cher de ses demandes contre M. X... et la société Le Sou médical ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident formé par M. X... et la société Le Sou médical invoquant l'application de l'article 1er-I de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui est préalable, après l'avertissement prévu à l'article 1015 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu qu'en l'absence de contestation que la faute commise par le médecin dans l'exécution du contrat formé avec Mme Y... aurait privé cette dernière de la possibilité de voir déceler l'affection de l'enfant et d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse pour motif thérapeutique et que les parents auraient ainsi

subi un dommage correspondant à une perte de chance et donc à une fraction des différents chefs de préjudice résultant du handicap, les époux Y... pouvaient, avant l'entrée en vigueur de l'article 1er -I, demander la réparation des charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de la vie, causées par la faute retenue ;

Attendu que l'article 1er -I de ladite loi, déclaré applicable aux instances en cours, énonce que "nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance, que lorsque la responsabilité d'un professionnel de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice, que ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap et que la compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale" ;

Attendu, toutefois, que si une personne peut être privée d'un droit de créance en réparation d'une action en responsabilité, c'est à la condition, selon l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que l'article 1er I, en prohibant l'action de l'enfant et en excluant du préjudice des parents les charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de la vie, a institué un mécanisme de compensation forfaitaire du handicap sans rapport raisonnable avec une créance de réparation intégrale quand les époux Y... pouvaient, en l'état de la jurisprudence applicable avant l'entrée en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur préjudice inclurait les charges particulières

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découlant tout au long de la vie de l'enfant, du handicap ; d'où il suit, ladite loi n'étant pas applicable au présent litige, que le moyen est inopérant ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi formé par la CPAM du Loir-et-Cher :

Vu les articles 1147 du Code civil et L. 376-1 du Code de la sécurité sociale ;

Attendu que pour débouter la CPAM de sa demande, l'arrêt attaqué relève que les dispositions de l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale ouvrant au bénéfice de la Caisse un recours contre le tiers auquel peut être imputé l'accident à l'origine de ses prestations, étaient manifestement inapplicables aux faits de la cause, l'état de l'enfant et celui de sa mère, n'étant pas la conséquence d'un pareil événement ;

Attendu, cependant, que dès lors que la cour d'appel a retenu que les parents avaient subi une perte de chance résultant de la faute commise par M. X... , les tiers payeurs pouvaient, au titre des prestations versées en relation directe avec le fait dommageable, exercer leur recours sur les sommes allouées en réparation de cette perte de chance, à l'exclusion de la part d'indemnité de caractère personnel ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté la CPAM du Loir-et-Cher de ses demandes, l'arrêt rendu le 22 octobre 2001, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans, autrement composée ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la Caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille six.

Arrêt 3 : n° 02-13775 : Bull. Civ. I, n° 31 p. 29

Sur le moyen unique :

Vu l'article Ier du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ensemble l'article Ier I de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, devenu l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles, les articles 1165 et 1382 du Code civil ;

Attendu que Mme X... a donné naissance, le 11 janvier 1996, à une enfant présentant de graves malformations de la colonne vertébrale ; que Mme X... et M. Y..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants

légaux de leur fille ont recherché la responsabilité de M. Z..., gynécologue-obstétricien qui avait pratiqué sept échographies ainsi que la réparation de leur préjudice moral et du préjudice subi par l'enfant du fait de son handicap, en faisant valoir que les échographies réalisées par ce praticien auraient dû permettre de diagnostiquer les malformations et d'envisager une interruption de la grossesse ;

Attendu que pour décider que M. Z... n'avait pas engagé sa responsabilité à l'égard de l'enfant, l'arrêt attaqué relève que les fautes retenues à l'encontre de ce praticien ne sont pas à l'origine des malformations dont est atteinte l'enfant et qu'il n'existe donc pas de lien de

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causalité entre ces fautes et le préjudice de cette dernière ;

Attendu, cependant, que dès lors que les fautes commises par le médecin dans l'exécution de son contrat avec Mme X... avaient empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce dernier pouvait, avant l'entrée en vigueur de la loi susvisée, demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ;

Attendu que l'article 1er I de ladite loi, déclarée applicable aux instances en cours, énonce que "nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance, que lorsque la responsabilité d'un professionnel de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice, que ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap et que la compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale" ;

Attendu, toutefois, que si une personne peut être privée d'un droit de créance en responsabilité, c'est à la condition, selon l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que la loi susvisée, en prohibant l'action de l'enfant et en excluant du préjudice des parents les charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de la vie, a institué un mécanisme de

compensation forfaitaire du handicap, sans rapport raisonnable avec une créance de réparation intégrale, quand Mme X... et M. Y... pouvaient en l'état de la jurisprudence, applicable avant l'entrée en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur fille serait indemnisée au titre du préjudice résultant de son handicap ;

D'où il suit que, ladite loi n'étant pas applicable au présent litige, la cassation est encourue ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté Mme X... et M. Y... de leur demande en réparation du préjudice subi par l'enfant, l'arrêt rendu le 11 avril 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne M. Pol Z... aux dépens ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille six.

� Ass. Plén., 6 octobre 2006 AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLEE PLENIERE, a rendu l'arrêt suivant : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 2005), que les consorts X... ont donné à bail un immeuble commercial à la société Myr'Ho qui

a confié la gérance de son fonds de commerce à la société Boot shop ; qu'imputant aux bailleurs un défaut d'entretien des locaux, cette dernière les a assignés en référé pour obtenir la remise en état des lieux et le paiement d'une indemnité provisionnelle en réparation d'un préjudice d'exploitation; Sur le premier moyen : Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande de la société Boot

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shop, locataire-gérante, alors, selon le moyen, "que si l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux tiers d'invoquer la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n'ont pas été parties, dès lors que cette situation de fait leur cause un préjudice de nature à fonder une action en responsabilité délictuelle, encore faut-il, dans ce cas, que le tiers établisse l'existence d'une faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel ; qu'en l'espèce, il est constant que la société Myr'Ho, preneur, a donné les locaux commerciaux en gérance à la société Boot shop sans en informer le bailleur ; qu'en affirmant que la demande extra-contractuelle de Boot shop à l'encontre du bailleur était recevable, sans autrement caractériser la faute délictuelle invoquée par ce dernier, la cour d'appel a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article 1382 du code civil" ;

Mais attendu que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ; qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que les accès à l'immeuble loué n'étaient pas entretenus, que le portail d'entrée était condamné, que le monte-charge ne fonctionnait pas et qu'il en résultait une impossibilité d'utiliser normalement les locaux loués, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé le dommage causé par les manquements des bailleurs au locataire-gérant du fonds de commerce exploité dans les locaux loués, a légalement justifié sa décision ; Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les 2ème et 3ème moyens, dont aucun ne serait de nature à permettre l'admission du pourvoi ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi;

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� Ch. Radé, Réflexions sur les fondements de la responsabilité civile, D. 1999, p. 313 1 - L'impasse 1 - Près de deux siècles après son entrée en vigueur, le code civil constitue toujours le coeur de notre droit privé. L'oeuvre a, il est vrai, connu de profondes mutations, certains textes se sont vidés de leur substance (1), alors que d'autres hébergent désormais des dizaines de sous-articles (2). Certaines dispositions originelles, en assez grand nombre d'ailleurs, sont toujours présentes dans la version contemporaine, même si quelques spécimens apparaissent toutefois totalement anachroniques ; mais on les consulte moins par nécessité que par plaisir, avec la joie quasi enfantine de retrouver une vieille malle cachée, au fond d'un grenier, et d'exhumer précautionneusement qui un petit soldat de plomb, qui une poupée aux fripes poussiéreuses. Ainsi, alors que l'on pouvait croire au triomphe du système métrique, se rend-on compte qu'il convient encore de mesurer en « myriamètres » (« environ vingt lieues anciennes (3)), en « pouces » (4), en « lignes » (5) et en « pieds » (6). Pareillement, à l'heure des empreintes vocales ou de l'analyse de l'ADN, le code civil considère la taille comme une preuve parfaite (7) et les seules activités ludiques dignes d'intérêt sont les jeux « d'armes », les « courses à pied ou à cheval », les « courses de chariot », le « jeu de paume et autres jeux de même nature qui tiennent à l'adresse et à l'exercice du corps » (8).

On trouve encore dans le code civil des énumérations que n'aurait pas renié Prévert où s'entassent pêle-mêle des moulins à vent ou à eau (9), des pressoirs, chaudières, alambics, cuves et tonnes (10), des âtres, forges, fours ou fourneaux (11), des contre-coeurs (12), des bateaux, bacs et navires (13), des fortifications et remparts (14), des souterrains (15), des trésors (16), des lits, des glaces, des porcelaines (17) et des pierreries, du vin (18), des ruches à miel (19), des magasins de sel (20), de l'huile (21), des pigeons logés en colombiers (22), des étables (23) pour y loger le cheptel de fer (24) et, si l'on n'y trouve pas de raton laveur, des poissons (25), des chevaux (26) et des lapins de garennes (27). D'autres dispositions comportent d'ailleurs des références totalement surannées mais qui n'ont jamais été réécrites, comme les compétences dévolues au « Roi » (28), l'existence du « Royaume » (29), du « Procureur du Roi » (30), de la « cour royale » (31), du « Trésor royal » (32), des « défenseurs officieux » (33), de la « mort civile » (34), de la « contrainte par corps » (35), de la « peine de mort » (36) , de la « déconfiture » ou de la « liquidation de biens » (37). Mais peut-être aurait-on pu commencer la visite du musée par l'appellation même du code intitulé « Code civil » par la grâce des éditeurs mais que l'on devrait désigner par son appellation officielle de « Code Napoléon » (38)...

2 - L'incroyable résistance de certains textes aux différentes révolutions économiques, technologiques et morales qui ont jalonné ces deux derniers siècles s'explique en partie par l'universalité des règles formulées. Cela vaut, bien entendu, pour les dispositions du titre liminaire, mais également pour quelques piliers du droit des personnes, de la famille, des successions ou des obligations : pourrait-on en effet se passer du principe de non-rétroactivité des lois, garant de la sécurité juridique, de la territorialité des lois de police, de la prohibition du déni de justice et des arrêts de règlement, du rappel de la supériorité de l'ordre public et des bonnes moeurs sur les spéculations individuelles, du lien essentiel qui unit le mariage et le consentement, du principe de l'autonomie de la volonté ? Mais s'il ne fallait choisir dans le code civil qu'un texte et renoncer à tous les autres, sans doute l'art. 1382 serait-il l'élu (39). Même l'art. 1134 apparaît moins essentiel, alors qu'il exprime pourtant en droit positif la maxime pacta sunt servanda, car ce qui intéresse les parties contractantes est moins que le code leur rappelle l'obligation de respecter la parole donnée (la morale ou la pression du groupe y suffisent) que de leur garantir une juste réparation si l'autre ne s'exécutait pas.

Le principe d'une responsabilité personnelle pour faute domine donc notre système juridique tout entier (40). Non seulement les art. 1382 et 1383 font figure de véritable principe fondamental, consacré à demi-mot par le Conseil constitutionnel comme faisant partie intégrante du bloc de constitutionnalité (41), mais de nombreuses hypothèses particulières reposent sur l'existence d'une faute du responsable ; on songera bien entendu aux dispositions insérées dans l'art. 1384 pour soustraire à l'emprise du principe de responsabilité sans faute le sort des bâtiments incendiés (42) ou la responsabilité du fait des instituteurs (43), mais également à la responsabilité civile de l'époux fautif

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dans le cadre du divorce (44), du gérant d'affaire pour ses gautes de gestion (45) ou du propriétaire d'un bâtiment en ruine responsable en raison du défaut d'entretien (46).

3 - La faute a même, dans un premier temps, gagné du terrain et conquis de nouveaux territoires. Il aura fallu attendre 1921, s'agissant de la responsabilié du fait des choses (47), et 1997, s'agissant de la responsabilité du fait des enfants mineurs habitant avec leurs parents (48) pour que toute référence à la faute du responsable soit, dans ces deux dernières hypothèses, effacée du débat judiciaire, alors qu'un simple regard sur les alinéas premier, quatrième et septième de l'art. 1384 aurait dû suffire à convaincre même le lecteur le moins attentif (49). La situation actuelle semble stabilisée et la faute voit son rôle cantonné aux seules hypothèses où la loi y fait formellement référence ; en dehors de ces cas, la jurisprudence a mis un terme à son impérialisme, même s'il est patent qu'elle continue à rôder derrière certaines notions qu'on lui a substituées (50).

4 - Mais si la faute domine le droit de la responsabilité civile, il serait faux de prétendre qu'elle y règne sans partage (51). Même le code civil des français de 1804 envisageait, certes de manière limitée, des hypothèses de responsabilité n'impliquant pas que soit préalablement démontrée une faute personnelle du responsable. Ainsi, l'obligation faite au débiteur défaillant de payer au créancier des dommages et intérêts en cas d'inexécution ne repose pas sur le caractère fautif de son comportement, mais sur le constat que ce qui a été promis n'a pas été tenu (52) ; il en va de même s'agissant de la garantie des vices cachés, due tant par le propriétaire (53), le bailleur (54) que le vendeur (55) et qui ne présuppose pas qu'une faute ait été commise (56).

5 - Il faut toutefois admettre que la faute conserve sur ces responsabilités dites « objectives » un avantage certain. Alors que les art. 1382 et 1383 constituent l'expression d'un principe général, à même de s'appliquer très largement dans toutes les branches du droit privé, il n'existe pas de disposition comparable consacrant un principe général de responsabilité sans faute (57). On remarquera par ailleurs, s'agissant de l'interprétation de l'art. 1384, al. 1er, que la jurisprudence n'a toujours pas, à l'heure où nous écrivons, consacré le principe général de responsabilité civile du fait d'autrui, préférant se cantonner dans une prudente et imprévisible casuistique (58). Les art. 1382 et 1383 font alors figure non seulement de principe général au sein des responsabilités pour faute, mais également au sein du droit de la responsabilité civile dans son ensemble où les cas de responsabilités objectives apparaissent comme de simples exceptions.

Même dominée numériquement par les hypothèses de responsabilité sans faute, la responsabilité civile continue d'ailleurs à reconnaître le primat de la faute. On en voudra pour preuve qu'en cas de conflit entre deux coauteurs, l'un tenu pour faute, l'autre tenu sans faute, le premier supportera seul la dette et ne pourra recourir contre le second (59), ce qui est non seulement injustifiable au regard des textes, qui ne règlent pas cette question, mais également anachronique compte tenu de l'importance prise aujourd'hui par les responsabilités dites objectives (60).

6 - Le primat du principe général de responsabilié pour faute et l'inexistence d'un principe général de responsabilité sans faute a conduit la jurisprudence à dégager des hypothèses particulières de responsabilités objectives rattachées parfois de manière audacieuse à des dispositions du code civil (61). Cette quête incessante de nouveaux espaces a conduit à une certaine dispersion des hypothèses de responsabilité civile (62), phénomène renforcé par le législateur, lui aussi obligé de compléter les dispositions du code par des règles spéciales destinées à faire face à des besoins particuliers. Cette multiplication des fondements particuliers a alors d'autant plus contribué au sentiment d'éclatement de la responsabilité civile que la plupart des dispositions nouvelles n'ont pas toutes été intégrées dans le code civil. Certaines, d'ailleurs, ont progressivement quitté la maison mère pour fonder, à leur tour, une nouvelle famille au sein du droit privé (63). D'autres n'ont pas été codifiées mais figurent toujours sous les articles du code civil, mais uniquement pour des raisons pratiques (64).

La situation actuelle du droit de la responsabilité civile n'est guère encourageante. Toutes les ressources du code, ou presque, ont été exploitées et on ne voit pas comment on pourrait découvrir de

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nouvelles hypothèses de responsabilités sans faute. Pour faire face aux besoins futurs des victimes, qui ne manqueront pas d'être confrontées à des fléaux aujourd'hui inconnus, notre système n'a guère que la faute, ou une énième loi spéciale, à proposer comme réponse. Il est de ce point de vue symptomatique de constater que la « découverte » du principe de précaution et des ses applications potentielles conduit pour le moment la doctrine à considérer qu'il ne s'agit là que d'une nouvelle hypothèse de responsabilité pour faute prouvée, et d'une version simplement modernisée de l'obligation de prudence et de diligence (65). L'attrait de la faute est tel que la jurisprudence s'est sentie obligée, dans de nombreuses hypothèses, de passer par les fourches caudines de l'article 1382 du code civil dans des hypothèses où le recours à la notion de « faute » était extrêmement douteux. Il en a été ainsi en matière contractuelle où la systématisation de la distinction des obligations de moyens et de résultat a conduit la jurisprudence à inventer de nouvelles obligations, greffées sur l'obligation principale, pour faire face au besoin croissant de protection des victimes. Ce détournement des techniques classiques (I) s'est doublé d'une véritable dénaturation des concepts lorsqu'il s'est agi de rendre responsables des déments et autres jeunes enfants privés de discernement (II).

I. Le détournement des techniques juridiques

7 - La grande question de la fin du XIXe siècle a été de déterminer à quelles conditions il était possible de condamner l'employeur à réparer les conséquences d'un accident du travail et, quelques années plus tard, le transporteur de personnes en cas de dommage causé au passager. La question de l'indemnisation des victimes d'accidents du travail a très rapidement été réglée par la mise en place de règles spéciales, après l'adoption de la loi du 9 avr. 1898 « concernant les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail » (66). Le législateur a alors clairement choisi d'écarter le droit commun au profit d'une application exclusive des règles particulières, stoppant net les efforts développés pour fonder, contractuellement ou non, l'obligation de sécurité du chef d'entreprise (67). Mais la multiplication des accidents de transport allait contraindre la doctrine et la jurisprudence à un formidable effort d'imagination. Il fut alors proposé de lire dans le contrat de transport l'existence d'une obligation accessoire de sécurité, puis de condamner le débiteur pour ne pas s'être exécuté (68).

8 - C'est Demogue qui ouvrit plus largement la voie à l'introduction de la « faute », au sens où l'entend l'art. 1383 c. civ., en matière contractuelle (69). Ainsi, la systématisation de la distinction des obligations de moyens et de résultat, opérée à partir de 1922, et l'assimilation de la faute d'imprudence ou de négligence au manquement à l'obligation de moyens ont accrédité l'idée d'une responsabilité contractuelle conditionnée en partie par la preuve d'une faute commise par le débiteur dans l'exécution du contrat (70). Or cette vision pervertit le mécanisme de la responsabilité contractuelle en suggérant l'idée d'une structure analogue à celle de responsabilité extracontractuelle (71

La faute n'est pourtant pas absente des règles du code civil consacrées à la responsabilité contractuelle. Mais elle n'apparaît pas comme une condition de la condamnation du débiteur, tout au moins dans l'art. 1147 c. civ. qui constitue le « droit commun » applicable aux conventions en général. Le texte se contente en effet d'exiger la preuve de l'inexécution du contrat pour présumer la responsabilité du débiteur et admet, dans un second temps, la preuve du cas fortuit ou de la force majeure pour épargner le contractant défaillant (72). Par ailleurs, et dans les hypothèses où la faute n'est pas érigée en condition de la condamnation du débiteur, elle apparaît comme une circonstance aggravante de sa responsabilité ; il en va ainsi dans les conventions en général puisque le dol du débiteur permet de rétablir le principe de la réparation intégrale (73), mais également dans le contrat de vente où le vendeur qui connaissait le vice affectant la chose devra non seulement restituer le prix qu'il a reçu, mais également répondre de tous les dommages que la chose aura causés (74).

9 - Certes, de très nombreuses dispositions du code civil, concernant des contrats spéciaux, font référence soit aux soins que le bon père de famille aurait apportés à l'accomplissement de sa mission, soit au comportement que le débiteur adopterait s'il devait gérer sa propre affaire. Il en va ainsi, notamment, s'agissant de la jouissance de l'usufruit (75) ou d'une servitude (76), de la responsabilité du débiteur qui s'est engagé à veiller à la conservation d'une chose (77), du vendeur en cas d'éviction (78),

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du locataire qui répond à la disparition de la chose (79), du preneur à bail rural (80), du contractant qui résilie de manière abusive le contrat de louage de services (81), de l'ouvrier qui ne fournit que son travail en cas de disparition de la chose qui lui aurait été confiée (82), du preneur à bail à cheptel (83), de l'emprunteur (84), du dépositaire (85), du séquestre (86), du mandataire (87) ou du créancier dont le bien est gagé (88). A ce titre, et dans la mesure où la faute d'imprudence ou de négligence s'apprécie in abstracto, on peut admettre que la faute quasi délictuelle constitue bien, pour ces nombreuses conventions, une condition de la responsabilité contractuelle. Mais la généralisation de l'opposition entre les obligations de moyens, en principe limitées à certains contrats spéciaux, et les obligations de résultat a fait reculer le rôle du mécanisme de responsabilité sans faute induit par l'art. 1147 et assuré à la faute un succès bien exagéré.

10 - La doctrine a pris conscience des inconvénients de la généralisation de la catégorie des obligations de moyens et diverses solutions ont été proposées pour tenter d'améliorer le sort des créanciers. Dans certains cas de figure, la jurisprudence a retenu à la charge du débiteur des fautes « virtuelles » (89), quand elle n'a pas pu purement et simplement accorder à la victime le bénéfice de présomptions de faute (90). C'est naturellement dans le domaine de la responsabilité médicale que le problème s'est posé avec le plus d'acuité, en raison du caractère aléatoire de l'activité en cause et du principe posé en 1936 d'une responsabilité du médecin fondée sur une simple obligation de soins de moyens (91). Or de nombreux dommages ne peuvent être indemnisés lorsque la victime ne parvient pas à prouver la faute du médecin et, à plus forte raison, lorsque se réalise un aléa thérapeutique (92). La solution de facilité consiste bien entendu à créer un Fonds d'indemnisation idouane, ce qui règle définitivement le problème de l'inadéquation du droit commun ; c'est ce qui a été fait pour les victimes de transfusions sanguines (93) qui bénéficient d'ailleurs de la loi du 19 mai 1998 relative aux produits défectueux (94), mais non pour les victimes d'aléas thérapeutiques, en dépit de nombreuses propositions en ce sens.

Il est pourtant apparu nécessaire d'accorder à la victime une attention accrue et de lui permettre d'obtenir du médecin, ou de son assureur, la réparation du préjudice subi, tout en respectant la règle d'or posée dans l'arrêt Mercier de 1936 et à laquelle la jurisprudence marque régulièrement son attachement (95). La solution consiste à mettre à la charge du débiteur une obligation nouvelle, accessoire à l'obligation principale de soigner qui demeure une simple obligation de moyens, et de la considérer comme une obligation de résultat. Le contournement de la faute conduit alors à « forcer » le contrat et à dégager, entre deux mêmes contractants, des relations mixtes basées soit sur une responsabilité pour faute, soit sur une responsabilité sans faute.

11 - Le subterfuge a tout d'abord consisté à sanctionner chez le médecin non pas une faute technique, absente ici par hypothèse, mais une faute éthique, en l'occurrence le manquement à son obligation d'information (96). Le biais trouvé permet alors de concilier le primat de la responsabilité pour faute et le souci d'indemniser la victime de la conséquence de la réalisation d'un aléa thérapeutique. Le médecin ne sera pas directement responsable de la réalisation de l'aléa mais indirectement lorsqu'il n'aura pas informé le patient, avant toute intervention, de la probabilité de sa réalisation. Le principe de cette responsabilité fondée sur une faute éthique étant acquis, restait à peaufiner le dispositif. La jurisprudence allait en 1997 inverser la charge de la preuve de l'exécution de l'obligation d'information (97), en faisant désormais assumer au médecin le risque de ne pas convaincre un juge tout acquis à la cause de la victime (98), puis étendre l'obligation à tous les risques graves même lorsqu'ils ne se réalisent que d'une manière exceptionnelle (99)

La dérive technique est alors patente. Faute de disposer des ressorts suffisants pour faire peser sur le médecin le risque d'aléa thérapeutique, on crée de toutes pièces un simulacre de syllogisme en hypertrophiant le rôle de l'obligation d'information, promue au rang d'obligation « quasi principale » du contrat de soins. Or ce choix de politique jurisprudentielle, directement dicté par le primat de la faute en droit civil, tranche avec les développements de la jurisprudence administrative. Confronté au même défi, le Conseil d'Etat s'est engagé sur une autre voie, celle de la responsabilité sans faute fondée sur l'obligation faite à la puissance publique d'assumer le risque d'aléa thérapeutique. Dégagée dans l'arrêt Bianchi en 1993 (100) cette jurisprudence a depuis été élargie au « risque dont l'existence

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est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé (...) si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état et présentant un caractère d'extrême gravité » (101). La différence de stratégie est patente entre le juge judiciaire, qui doit passer par la preuve d'une « faute » pour condamner le médecin, et le juge administratif, libéré d'une telle contrainte depuis la rupture consommée entre le droit administratif et les règles du Code civil (102), et qui promeut une responsabilité pour risque.

12 - La méthode choisie par le juge judiciaire n'est pas seulement artificielle ; elle est également extrêmement limitée. Il suffit en effet au médecin d'informer le patient des risques encourus pour transférer immédiatement sur ses épaules le risque de réalisation de l'aléa thérapeutique. Or on sait que l'une des conséquences du renversement de la charge de la preuve de l'exécution de l'obligation d'information a été d'inciter les médecins à se préconstituer des preuves écrites (103), même si la jurisprudence a (provisoirement) affirmé qu'une telle précaution n'était pas nécessaire (104).

Il fallait donc inventer un autre moyen pour faire assumer au médecin les conséquences de la réalisation d'un aléa thérapeutique. Ici encore, il a été proposé de consacrer, aux côtés de l'obligation de soins, une obligation accessoire de sécurité, intégrant la réalisation de l'aléa thérapeutique et présentant le caractère d'une obligation de résultat (105). Cette proposition a été récemment consacrée par la Cour d'appel de Paris, laquelle a affirmé que « la nature du contrat qui se forme entre un chirurgien et son client ne met en principe à la charge du praticien qu'une obligation de moyens », mais que, « toutefois cette obligation, applicable en cas d'échec de l'acte de soins, compte tenu notamment de l'état de maladie et de l'aléa inhérent à toute thérapie, n'est pas exclusive d'une obligation accessoire, qui en est la suite nécessaire, destinée à assurer la sécurité du patient », et que « le chirurgien a ainsi une obligation de sécurité qui l'oblige à réparer le dommage causé à son patient par un acte chirurgical nécessaire au traitement, même en l'absence de faute, lorsque le dommage est sans rapport avec l'état antérieur du patient ni avec l'évolution prévisible de cet état » (106).

13 - Pour généreuse et astucieuse qu'elle soit, cette méiose de l'obligation du médecin porte à son paroxysme l'hypocrisie actuelle de la jurisprudence en matière de responsabilité médicale. Cette distinction entre soins et sécurité ne repose en effet sur aucun fondement juridique, et on sera bien en peine pour découvrir dans la loi les critères nécessaires à la mise en oeuvre de cette théorie de la dualité de l'obligation médicale. Il paraîtrait plus simple de distinguer selon que le dommage met ou non en cause une chose ou un produit introduits par le médecin dans l'exécution du contrat de soins pour retenir alors une responsabilité du fait des choses n'impliquant pas la preuve d'une faute du gardien ou du contractant (107). Une autre possibilité, plus simple et plus saine, serait d'ailleurs de rompre purement et simplement avec l'arrêt Mercier et de retourner à une lecture plus littérale de l'art. 1147 c. civ., ce qui permettrait d'affirmer que le médecin s'engage à guérir le patient, sauf lorsque cette guérison s'avère impossible en raison du caractère irrésistible du mal qui le ronge.

L'exemple de la responsabilité médicale montre bien l'impasse dans laquelle le système actuel de responsabilité fondée sur le primat de la faute conduit nécessairement et les tensions qu'il provoque sur les règles juridiques. Mais il y a peut-être plus préoccupant puisque la jurisprudence a été amenée à qualifier des comportements de « fautifs », en dépit du bon sens, dévoyant totalement la notion même de faute.

II. Le dévoiement des concepts 14 - La responsabilité pour faute constitue donc le « modèle » auquel il convient nécessairement de se référer, en l'absence de dispositions permettant d'engager la responsabilité sans faute de l'auteur du fait dommageable. Or on le sait, certaines personnes, privées de leurs facultés mentales, sont traditionnellement considérées comme irresponsables (108). Cette impossibilité de caractériser l'existence d'une « faute » a longtemps interdit d'accorder à la victime l'indemnisation à laquelle elle aurait pu prétendre si l'auteur du fait dommageable avait été doté du discernement, dès lors qu'aucune autre action ne lui était offerte. La solution étant devenue intolérable, notamment en raison de la

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libéralisation des thérapeutiques en milieu « ouvert », le législateur est intervenu par la loi n° 68-5 du 3 janv. 1968 pour rendre les personnes démentes civilement responsables de leurs actes. Désormais, l'art. 489-2 c. civ. dispose que « Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'emprise d'un trouble mental, n'en est pas moins obligé à réparation ». On s'est immédiatement interrogé sur la portée de ce texte, placé bien loin des dispositions concernant la responsabilité civile extracontractuelle (109). Il a été proposé alors d'y lire l'expression d'une responsabilité civile autonome, sans qu'il soit nécessaire de viser les art. 1382 et s. c. civ. et de prouver l'existence d'une faute ou des pouvoirs de garde sur les choses, instruments du dommage. C'est d'ailleurs en ce sens qu'avait été présenté le projet de loi au Parlement par son promoteur, M. Pleven (110) ; le texte ne semble en effet poser qu'une seule condition pour que le dément soit responsable, qu'il ait « causé » le dommage (111). 15 - Ce n'est pourtant pas la voie qui a été choisie. La jurisprudence n'a pas souhaité se montrer plus sévère avec le dément qu'avec le bon père de famille, alors que le premier aurait besoin d'une protection qui ne se justifie pas pour le second, ni permettre aux assureurs d'échapper à leurs obligations sous prétexte que leur garantie ne couvrait pas formellement la responsabilité qui pourrait naître dans le cadre de l'art. 489-2 (112). Affirmant que « l'art. 489-2 c. civ. ne prévoit aucune responsabilité particulière et s'applique à toutes les responsabilités prévues aux art. 1382 et s. dudit code » (113), la Cour de cassation allait ouvrir la voie à une conception totalement déformée de la faute (114) ; comment prétendre, en effet, qu'un dément puisse commettre une « faute », au sens où le droit l'entend habituellement (115), sans dévoyer totalement cette notion, réduite à la simple mesure d'un écart de conduite, qualifié parfois également de « faute objective » (116) ? Comment rompre avec l'unité rationnelle de la notion de faute sans pervertir totalement cette notion (117) ? La véritable raison d'être de la mise en cause de la responsabilié civile des déments ne réside évidemment pas dans la volonté de redéfinir la notion de faute, mais dans le souci d'accorder aux victimes l'indemnisation à laquelle elles ont naturellement droit, que l'on fonde la solution sur des considérations de pure équité (118) ou sur la théorie de la garantie (119). Pourquoi, alors, s'obstiner à passer par le truchement de la faute (120), si ce n'est parce qu'il n'existe pas de solution alternative pour indemniser la victime ? 16 - Une même remarque vaut pour la responsabilité des jeunes enfants dépourvus de discernement. On sait que ces infans (et leurs parents avec eux) sont civilement responsables de leurs actes depuis les arrêts rendus par l'assemblée plénière de la Cour de cassation le 9 mai 1984 (121). Mais, ici encore, comment parler de faute sans conscience, comment affirmer, sans sombrer dans le ridicule, qu'il est fautif pour un enfant de quatre ans de déséquilibrer son institutrice en arrivant à quatre pattes, par surprise et par derrière, au moment ou celle-ci explique un mouvement aux autres élèves (122), ou de jouer à cache-cache (123) ? La doctrine et la jurisprudence ont éludé la question en affirmant qu'il ne fallait pas comparer le comportement du dément ou de l'infans avec le comportement d'un dément ou d'un infans moyen, mais avec le bon père de famille, c'est-à-dire avec un modèle discernant (124). On le conçoit aisément, il y a quelque chose d'ubuesque à raisonner par analogie en sachant pertinemment que les deux situations n'ont rien de comparable. La conclusion du syllogisme est alors faussée et l'affirmation que l'auteur non discernant a commis une « faute » sans réelle signification. On en vient ainsi à opposer indûment deux formes d'innocence, celle du jeune enfant dont la perception du monde est si différente de la nôtre, et celle de la victime qui mérite d'être indemnisée tout comme l'enfant auteur mérite d'être protégé, des autres comme de lui-même. Considérant que l'art. 1382 c. civ. ne fait référence qu'au rôle de faute dans le dommage causé à autrui, certains auteurs avaient généreusement proposé de traiter différemment la faute de l'enfant selon qu'il serait simplement l'auteur d'un dommage, le principe de responsabilié pour faute personnelle lui étant alors appliqué, ou qu'il serait également victime de ses propres fautes, ce qui permettrait de lui épargner les affres d'une exonération partielle ou totale (125). Mais l'emprise de la faute sur la responsabilié civile est telle que la victime fautive est considérée comme responsable de son propre dommage (126). Dans ce dernier cas de figure, on éprouve la désagréable impression que la machine s'est emballée et que plus personne ne parvient à la maîtriser (127).

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17 - Ces quelques remarques montrent combien il est difficile de sortir du système actuel. La jurisprudence a en effet tiré le meilleur profit des textes existants et exploité les ressources de dispositions dont le caractère normatif n'avait pas encore été affirmé, sans avoir pu dégager de principe général de responsabilité sans faute auquel on puisse utilement avoir recours en cas de besoin. Seule la responsabilité pour faute fournit alors une (maigre) possibilité de dégager de nouvelles obligations, mais avec le risque de procéder d'une manière artificielle en inventant, pour les besoins de la cause, de nouvelles règles du jeu. Une réforme du système apparaît alors nécessaire. (1)Selon nos calculs, 38 articles seraient aujourd'hui abrogés et non remplacés. (2) 124 articles du code possèdent au moins un sous-article. Il est à cet égard symptomatique que le législateur ait choisi d'intégrer dans les art. 1386-1 et s. c. civ. les dispositions relatives à la responsabilité des producteurs du fait des produits défectueux (loi n° 98-389 du 19 mai 1998, D. 1998, Lég. p. 184), alors qu'en 1985 le dispositif consacré à l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation ne l'avait pas été (loi n° 85-677 du 5 juill. 1985). (3) C. civ., art. 1er et 2185. (4) C. civ., art. 657. (5) C. civ., art. 677. (6) C. civ., art. 663. (7) C. civ., art. 1333. (8) C. civ., art. 1966. Ce texte reconnaît exceptionnellement la validité des dettes de jeu, contrairement au principe posé par l'art. 1965, à moins que le tribunal ne juge la somme « excessive » et ne rejette la requête du créancier. (9) C. civ., art. 519. (10) C. civ., art. 531. (11) C. civ., art. 674. (12) C. civ., art. 1754. (13) C. civ., art. 531. (14) C. civ., art. 541. (15) C. civ., art. 553. (16) C. civ., art. 716. (17) C. civ., art. 534. (18) C. civ., art. 532, 1587. (19) C. civ., art. 532. (20) C. civ., art. 674. (21) C. civ., art. 1587. (22) C. civ., art. 532. (23) C. civ., art. 674. (24) C. civ., art. 1821. (25) C. civ., art. 564. (26) C. civ., art. 533. Mais également des chemins de halage (c. civ., art. 556). (27) C. civ., art. 524. (28) C. civ., art. 1er, 598 et 2045. (29) C. civ., art. 1er. (30) C. civ., art. 53, 190, 200 et 1057. (31) C. civ., art. 2018, 2023, 2224, 2265 qui doit se comprendre comme faisant référence à la cour d'appel. (32) C. civ., art. 2098. (33) C. civ., art. 1597. L'art. 2273 fait pour sa part référence aux seuls « avoués ». (34) C. civ., art. 617, 1939, 1982 et 2003, abolie par la loi du 31 mai 1854. (35) C. civ., art. 2017, abolie définitivement en matière civile par la loi du 22 juill. 1867. (36) C. civ., art. 83 et 85, abolie par la loi du 9 oct. 1981. (37) C. civ., art. 1831-5, 1860, 2003, 2032 remplacées par le redressement et la liquidation judiciaires le 25 janv. 1985. (38) J. Ghestin, G. Goubeaux, Traité de droit civil. Introduction générale, LGDJ, 4e éd., 1994, avec le concours de M. Fabre-Magnan, n° 148. (39) Pour MM. Mazeaud, il s'agirait de « l'une de ces grandes règles d'équité qui pourraient, à elles seules, résumer le droit tout entier » autour d'un seul principe : « Chacun doit réparer le dommage qu'il cause, par sa faute, à autrui » (H. et L. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, préface H. Capitant, t. I, 6e éd., 1965, par A. Tunc, Montchrestien, p. 16). (40) Selon l'heureuse formule de MM. Mazeaud, il aurait même « absorbé » notre système juridique (H. et L. Mazeaud, L'absorption des règles juridiques par le principe de responsabilité civile, DH 1935, Chron. p. 5- 8). (41) Si le principe a été matériellement consacré par la décision du 22 oct. 1982 (D. 1983, Jur. p. 189, note F. Luchaire ; Gaz. Pal. 1983, 1, p. 60, obs. F. Chabas ; L. Hamon, Le droit du travail dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Dr. soc. 1983, p. 162-164 : « Considérant que nul n'ayant le droit de nuire à autrui, en principe tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer »), l'art. 1382 c. civ. n'a pas été formellement consacré comme principe fondamental reconnu par les lois de la République (Décis. n° 83-162 DC des 19-20 juill. 1983, Rec. Cons. const., p. 49). (42) C. civ., art. 1384, al. 2 et 3, issus de la loi du 7 nov. 1922. (43) C. civ., art. 1384, al. 8, issu de la loi du 5 avr. 1937.

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(44) C. civ., art. 266. (45) C. civ., art. 1374. (46) C. civ., art. 1386. (47) Cass. civ., 15 mars 1921, DP 1921, 1, p. 25, note G. Ripert ; Cass. ch. réun., 13 févr. 1930, Jand'heur, DP 1930, 1, p. 57, concl. Matter, rapp. Le Marc'hadour, note G. Ripert. (48) Les parents ne peuvent plus s'exonérer en prouvant qu'ils n'ont pas commis de faute d'éducation ou de surveillance, seule la force majeure ou la faute de la victime étant désormais admises (Cass. 2e civ., 19 févr. 1997, Bertrand, JCP 1997, II, n° 22848, concl. R. Kessous, note G. Viney ; Resp. civ. et assur. 1997, Chron., n° 9, par F. Leduc ; D. 1997, Jur. p. 265, note P. Jourdain, Somm. p. 290, n° 7, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1997, p. 648, n° 21, obs. J. Hauser ; RTD civ. 1997, p. 668, n° 4, obs. P. Jourdain ; Gaz. Pal. 1997, 2, p. 572, note F. Chabas ; C. Radé, Le renouveau de la responsabilité du fait d'autrui - Apologie de l'arrêt Bertrand, D. 1997, Chron. p. 279). (49) Cela ne signifie pas que les gardiens ou les parents ne peuvent pas se voir imputer une faute personnelle en relation avec le dommage, mais simplement que ces actions ne peuvent qu'être menées sur le fondement des art. 1382 et 1383 (pour les parents, Cass. 2e civ., 19 févr. 1997, Cie SAMDA c/ MACIF, Resp. civ. et assur. 1997, Comm. p. 153 ; Gaz. Pal. 18-19 avr. 1997, Doctr. p. 12, par A.-M. Galliou-Scanvion ; RTD civ. 1997, p. 670, n° 5, obs. P. Jourdain ; Gaz. Pal. 1997, 2, p. 575, note F. Chabas ; Petites affiches, 29 déc. 1997, p. 12, obs. Y. Dagorne-Labbe ; D. 1997, IR p. 119. (50) En ce sens notre étude : L'impossible divorce de la faute et de la responsabilité civile, D. 1998, Chron. p. 301. (51) Starck parlait du « préjugé régnant de la faute » qui interdit d'admettre toute conception de la réparation indépendante de la considération de la faute de l'auteur du fait dommageable (Essai d'une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée, L. Rodstein éd., Paris, 1947, préf. M. Picard, p. 51). (52) C. civ., art. 1147. (53) C. civ., art. 1386 : le propriétaire d'un bâtiment en ruine est responsable si la victime prouve un « vice de sa construction ». (54) C. civ., art. 1721. (55) C. civ., art. 1641 s. (56) Rappelons que la faute (ici le dol) joue comme une circonstance aggravante (cf. infra, n° 8). (57) En droit administratif, le principe d'égalité concurrence directement le principe de responsabilité pour faute en raison de son assise constitutionnelle (Décl. dr. homme, art. 6 et 13). Sur l'autonomie conceptuelle de ce fondement, T. Debard, L'égalité des citoyens devant les charges publiques : fondement incertain de la responsabilité administrative, D. 1987, Chron. p. 157. (58) J.-Cl. Responsabilité civile, Fasc. 140, spéc. n° 7 à 21, et nos obs. (59) Cass. 2e civ., 12 nov. 1970, JCP 1970, II, n° 16748 (absence de recours du coauteur tenu pour faute contre celui qui est tenu sans faute) ; 11 juill. 1977, D. 1978, Jur. p. 581, note E. Agostini (recours intégral admis du coauteur tenu sur le fondement de l'art. 1384, al. 1er, contre un coauteur tenu pour faute personnelle) ; 24 nov. 1993, Bull. civ. II, n° 334 (recours dans le cadre de loi du 5 juill. 1985). (60) En ce sens L. Cadiet et P. le Tourneau qui parlent de « byzantinisme » injustifié et de « survivance archaïque de la supériorité pour faute, par rapport aux responsabilités objectives (qui seraient subsidiaires : ce qui est erroné, depuis longtemps) » (Droit de la responsabilité, Dalloz Action, 1998, n° 864). (61) On pensera ainsi à la théorie des risques, fondée sur l'art. 1184 c. civ. (sur l'absorption de cette théorie par le principe de responsabilité, notre article, Pour une approche renouvelée de la théorie des risques, Petites affiches, n° 81, 7 juill. 1995, p. 26), mais également au principe général de responsabilité du gardien du fait des choses (Cass. civ., 16 juin 1896, D. 1897, 1, p. 433, note R. Saleilles ; S. 1897, 1, p. 17, note Esmein). La théorie des troubles de voisinage a également été rattachée, dans un premier temps, à l'art. 1382, avant de s'en séparer puisqu'il s'agit désormais d'une responsabilité objective (F. Terré, P. Simler, Droit des biens, Précis Dalloz, n° 308 s.). (62) Ainsi P. Delebecque, La dispersion des obligations de sécurité dans les contrats spéciaux, Gaz. Pal. 1997, 2, Doctr. p. 1184. (63) Ainsi la loi du 9 avr. 1898 « concernant les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail » constitue le socle historique de l'actuel livre IV du code de la sécurité sociale. (64) On songera à la loi du 5 avr. 1937 relative à la responsabilité des instituteurs ou à celle du 5 juill. 1985 relative à l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation. (65) Ainsi l'aveu implicite de G. J. Martin, « la parenté entre le concept de précaution et la faute « classique » est sans doute plus étroite qu'il n'y paraît » (Précaution et évolution du droit, D. 1995, Chron. p. 299, spéc. note 2). (66) Sur le centenaire de cette loi fondatrice, V. Dr. soc. 1998, p. 631 s. (67) L. 9 avr. 1898, art. 2. Sur ces éléments, notre ouvrage Droit du travail et responsabilité civile, LGDJ, 1997, spéc. n° 361 s. (68) J.-L. Halpérin, La naissance de l'obligation de sécurité, Gaz. Pal. 1997, 2, Doctr. p. 1176. (69) Traité des obligations en général, Paris, 1922, t. V, n° 1237, p. 538-541. (70) H. et L. Mazeaud, Essai de classification des obligations, RTD civ. 1936, p. 1 s. (71) Une remarque identique vaut pour l'exigence d'un dommage, distinct de l'inexécution, pour condamner le débiteur défaillant. Cf. J.-Cl. Responsabilité civile. Fasc. 170, spéc. n° 4 à 10 et nos obs. (72) Une disposition comparable figure d'ailleurs dans l'art. 1735 c. civ. relatif aux obligations du preneur à bail puisqu'il répond des « dégradations et des pertes qui arrivent par le fait des personnes de sa maison », sans qu'il soit utile ni de prouver une faute de sa part, ni même l'existence d'un rapport de subordination avec ces personnes (Cass. soc., 29 mai 1954, D. 1954, Jur. p. 571). V. aussi l'art. 1953 qui rend l'hôtelier responsable des vols même commis par des « étrangers allant et venant dans l'hôtel ». (73) C. civ., art. 1150. Aussi l'art. 1953 à propos de la responsabilité de l'hôtelier puisque la commission d'une faute écarte la limitation légale de responsabilité, ou l'art. 1967 qui admet l'action fondée sur une dette de jeu s'il y a eu, « de la part du

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gagnant, dol, supercherie ou escroquerie ». (74) C. civ., art. 1645 et 1646. (75) C. civ., art. 589 qui fait référence à son dol ou à sa faute ; art. 618 qui fait référence à l'« abus de jouissance » et au défaut d'entretien, 627 qui fait référence à la jouissance de la chose « en bon père de famille ». (76) C. civ., art. 692 et 693 qui font référence à la « destination du bon père de famille ». (77) C. civ., art. 1137 qui fait référence aux « soins d'un bon père de famille ». (78) C. civ., art. 1631 qui vise la détérioration de la chose en raison de la « négligence de l'acheteur ». (79) C. civ., art. 1732 : sa responsabilité est alors engagée sauf s'il prouve qu'il n'a pas commis de « faute ». (80) C. civ., art. 1766 (fautes énumérées et référence au comportement du « bon père de famille ») et 1768. (81) C. civ., art. 1780, al. 2, qui n'indique pas quelle est la nature de la faute sanctionnée. (82) C. civ., art. 1789 qui fait référence à sa « faute ». (83) C. civ., art. 1806 qui fait référence aux « soins d'un bon père de famille ». (84) C. civ., art. 1880 qui fait référence au « bon père de famille ». (85) C. civ., art. 1927 qui fait référence à la « garde des choses qui lui appartiennent ». (86) C. civ., art. 1962 qui fait référence au « bon père de famille ». (87) C. civ., art. 1992 qui fait référence à la « faute ». (88) C. civ., art. 2080, qui vise la « négligence ». (89) Cass. 1re civ., 17 juin 1980, RTD civ. 1981, p. 165, obs. G. Durry (faute d'une infirmière à l'occasion d'une injection déduite de la réalisation du dommage). (90) S'agissant des infections nosocomiales : Cass. 1re civ., 21 mai 1996, Bonnici, RTD civ. 1996, p. 913, n° 2, obs. P. Jourdain ; D. 1997, Somm., p. 287, n° 7, obs. D. Mazeaud, et Somm. p. 320, obs. J. Penneau ; Gaz. Pal. 1997, 2, p. 565, note S. Hocquet-Berg ; CA Paris, 17 oct. 1997, SA clinique Geoffroy Saint- Hilaire, Dr. et patrimoine, 2/1998, comm. 1868, obs. F. Chabas ; D. 1997, IR p. 242 ; CA Grenoble, 10 juin 1997, Chabal, Gaz. Pal. 1997, 2, Somm. p. 400, note J. Picard ; Cass. 1re civ., 16 juin 1998, SARL clinique Belledonne c/ Mme Chabal, Resp. civ. et assur. 1998, comm. 318 ; D. 1998, IR p. 190 ; 6 oct. 1998, Mme Bethencourt, Resp. civ. et assur. 1998, Comm. 392. (91) Cass. civ., 20 mai 1936, DP 1936, 1, p. 88, concl. Matter, rapp. Josserand, note E. P. : « Attendu qu'il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat comportant pour le praticien, l'engagement, sinon bien évidemment, de guérir le malade (...) du moins de lui donner des soins, non pas quelconques (...) mais consciencieux, attentifs, et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science ». (92) C. Larroumet, L'indemnisation de l'aléa thérapeutique, D. 1999, Chron. p. 33. (93) Loi n° 91-1406 du 31 déc. 1991, art. 47 (D. 1992, Lég. p. 96). (94) La loi leur est d'autant plus favorable que le producteur ne peut s'exonérer de la responsabilité de plein droit en invoquant le risque de développement (c. civ., art. 1386-11, 4°), formellement exclu par l'art. 1386-12 s'agissant du « dommage causé par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci ». (95) Dernièrement Cass. 1re civ., 27 mai 1998, D. 1999, Jur. p. 21, note S. Porchy. (96) M. Harichaux-Ramu, J.-Cl. Civil, fasc. 440-2 et 440-3 ; S. Porchy, Lien causal, préjudices réparables et non-respect de la volonté du patient, D. 1998, Chron. p. 380. (97) Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, Gaz. Pal. 27-29 avr. 1997, p. 22, rapport P. Sargos, note J. Guigue ; JCP 1997, I, n° 4016, chron. G. Viney et P. Jourdain ; Resp. civ. et assur. 1997, Chron., n° 8, par C. Lapoyade Deschamps ; Defrénois 1997, p. 751, n° 82, obs. D. Mazeaud ; D. 1997, Somm. p. 319, obs. J. Penneau ; 27 mai 1998, D. 1999, Jur. p. 21, note S. Porchy. (98) En ce sens M. Lamarche, Heurs et malheurs de l'obligation d'information en matière médicale, RRJ 1998, p. 1223. (99) Cass. 1re civ., 7 oct. 1998, Mme Castagnet c/ Clinique du Parc, JCP 1998, II, n° 10179, concl. J. Sainte-Rose, note P. Sargos ; D. 1999, Jur. p. 145, note S. Porchy: « Attendu que, hormis le cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, un médecin est tenu de lui donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés et qu'il n'est pas dispensé de cette obligation par le seul fait que ces risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ». (100) CE, 9 avr. 1993, Lebon, p. 127, concl. Daël ; AJDA 1993, p. 383, chron. C. Maugüé et p. 344, note L. Touvet ; D. 1994, Somm. p. 65, obs. P. Terneyre et P. Bo. (101) CE, 3 nov. 1997, Hôpital Joseph Imbert d'Arles, RFD adm. 1998, p. 90, concl. V. Pécresse ; AJDA 1997, p. 959, chron. T.-X. Girardot et F. Raynaud ; RD publ. 1998, p. 891, note J.-M. Auby ; D. 1998, Jur. p. 146, note P. Chrestia ; D. 1999, Somm. p. 45, obs. P. Bon et D. de Béchillon. (102) T. confl., 8 févr. 1873, Blanco, GAJA, n° 1. (103) Le Conseil national de l'ordre des médecins a en effet immédiatement « demandé aux sociétés savantes de proposer des modèles d'information en fonction des risques graves connus inhérents à telle investigation ou tel traitement » (Bulletin du mois de mai 1997). (104) Cass. 1re civ., 14 oct. 1997, Guyomar, JCP 1997, II, n° 22942, rapport P. Sargos ; D. 1997, IR p. 236. (105) S. Hocquet-Berg, Obligation de moyens ou obligation de résultat. A propos de la responsabilité médicale, thèse, univ. Paris XII, 1995 ; G. Viney et P. Jourdain, L'indemnisation des accidents médicaux : que peut faire la Cour de cassation ? (A propos de Cass. 1re civ., 7 janv. et 25 févr. 1997), JCP 1997, I, n° 4016. (106) CA Paris, 15 janv. 1999, Smatt, JCP 1999, II, n° 10068, note L. Boy ; D. 1999, IR p. 61. Déjà TGI Paris, 30 juin 1997, Lucas c/ Houdayer, Petites affiches, n° 75, 24 juin 1998, p. 26, note S. Prieur (dommage subi à l'occasion d'une coloscopie) ; 5 mai et 20 oct. 1997, D. 1998, Jur. p. 558, note L. Boy. (107) En ce sens, P. Jourdain et G. Viney, chron. préc. (108) Ainsi l'art. 122-1 c. pén. (109) Placé dans un titre consacré aux majeurs protégés, le texte a en effet été appliqué à des mineurs (Cass. 1re civ., 20 juill. 1976, JCP 1978, II, n° 18793, 1re espèce, note N. Dejean de la Batie), ce qui est conforme à l'esprit de la réforme mais pas à la situation du texte dans le code civil (titre onzième du livre Ier traitant « De la majorité et des majeurs qui sont protégés par

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la loi »). (110) JOAN CR, du 20 déc. 1966. (111) En ce sens, le rapport de la Cour de cassation pour les années judiciaires 1976-1977 ; JCP 1979, I, n° 2953, spéc. n° 127, qui affirme que l'art. 489-2 crée « un système nouveau de responsabilité sans faute ». (112) En ce sens, G. Durry, obs. à la RTD civ. 1977, p. 772. (113) Cass. 2e civ., 4 mai 1977, D. 1978, Jur. p. 393, note R. Legeais ; RTD civ. 1977, p. 772, obs. G. Durry ; 24 juin 1987, Bull. civ. II, n° 137. (114) En ce sens J.-F. Barbièri, Inconscience et responsabilité dans la jurisprudence civile : l'incidence de l'art. 489-2 c. civ. après une décennie, JCP 1982, I, n° 3057, spéc. n° 31. (115) En ce sens, P. Esmein, RTD civ. 1949, p. 481 ; R. Savatier, Le risque, pour l'homme, de perdre l'esprit et ses conséquences en droit civil, D. 1968, Chron. p. 109. (116) H. et L. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, Montchrestien, 1re éd., 1931, n° 456 s. ; H. Mazeaud, La « faute objective » et la responsabilité sans faute, D. 1985, Chron. p. 13. (117) Lire ainsi « La fin de la faute ? », Droits, 5-1987. Le principe de l'unité des fautes civiles et pénales, souvent critiqué pour ses implications procédurales, présente au moins l'avantage de garantir à la notion une certaine universalité. (118) Le projet déposé initialement prévoyait d'ailleurs la possibilité pour le juge de modérer le montant de la condamnation infligée à la personne démente (sur la genèse de l'art. 489-2 c. civ., J. Massip, La réforme du droit des incapables majeurs, t. 1, 3e éd., n° 37). (119) J.-J. Burst, La réforme du droit des incapables majeurs et ses conséquences sur le droit de la responsabilité civile extracontractuelle, JCP 1970, I, n° 2307, spéc. n° 56 ; G. Viney, Réflexions sur l'article 489-2 du code civil, RTD civ. 1970, p. 251, spéc., p. 254 ; R ; Savatier, note au D. 1968, Jur. p. 109, n° 11 s. ; J.-F. Barbièri, art. préc., spéc. n° 32. (120) Comme l'a justement écrit Y. Lambert-Faivre : « il y a présomption de responsabilité dès lors que par son activité, ou par les choses qu'il a mises à la disposition de la victime ou par le fait des personnes dont il doit répondre, le défendeur a causé un dommage corporel. » (Fondement et régime de l'obligation de sécurité, D. 1994, Chron. p. 81, spéc. p. 84). (121) D. 1984, Jur. p. 525, concl. J. Cabannes, note F. Chabas ; JCP 1984, II, n° 20256, note P. Jourdain ; RTD civ. 1984, p. 508, obs. J. Huet ; G. Viney, La réparation des dommages causés sous l'emprise d'un état d'inconscience : un transfert nécessaire de la responsabilité vers l'assurance, JCP 1985, I, n° 3189. (122) CA Nancy, 29 avr. 1998, JCP 1999, IV, n° 1546. (123) Cass. 2e civ., 28 févr. 1996, D. 1996, Jur. p. 602, obs. F. Duquesne ; D. 1997, Somm. p. 28, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1996, p. 628, obs. P. Jourdain ; JCP 1996, I, n° 3985, n° 14, obs. G. Viney. Dans cette affaire, un enfant de huit ans s'était relevé brusquement alors qu'il était caché sous une table, s'était mis à courir et avait bousculé un autre enfant qui transportait une casserole d'eau avec laquelle il s'était ébouillanté. Sa responsabilité avait été écartée par les juges d'appel au motif que « le comportement de l'enfant, compte tenu de son jeune âge, ne peut être considéré comme constituant une faute ayant concouru à la réalisation de son dommage puisqu'il était parfaitement prévisible et naturel dans le contexte au cours duquel il s'était produit ». L'arrêt a été cassé car « un tel comportement constituait une faute ayant concouru à la réalisation du dommage ». Conclusion kafkaïenne ! (124) S'agissant des mineurs discernants, la première Chambre civile de la Cour de cassation a manifesté son souci de comparer le comportement de l'enfant à celui d'un autre enfant du même âge (Cass. 1re civ., 6 mars 1996, D. 1997, Jur. p. 93, note M.-C. Lebreton : mineur de quinze ans chutant en effectuant un rappel sans corde - pas de faute car ce comportement n'avait pas été formellement interdit par l'encadrement ; 11 mars 1997, Bull. civ. I, n° 89 ; JCP 1997, I, n° 4068, n° 17, obs. G. Viney ; D. 1997, IR p. 93 : mineur de quinze ans ayant chu dans un lac lors d'une promenade en VTT. Egalement CA Reims, 25 juin 1997, JCP 1998, IV, n° 1884 : mineur de quinze ans qui fait éclater, en le manipulant, un détonateur - pas de faute car il n'avait reçu aucune formation appropriée sur les artifices). (125) P. Jourdain, JCP 1984, II, n° 20256 ; G. Viney, art. préc. (126) H. Mazeaud, chron. préc., p. 13. (127) Il faut toutefois admettre que la jurisprudence refuse souvent de considérer comme fautives les simples erreurs commises par la victime. Cf. réf. citées note 124.

2 - Les voies de la réforme : la promotion du droit à la sûreté

1 - Le bilan que l'on peut établir du droit de la responsabilité civile à la fin de ce siècle apparaît pour le moins paradoxal. L'efficacité du système n'est en effet pas contestable et rares sont les dommages qui ne parviennent pas à être pris en charge, à un titre ou à un autre. Mais la cohérence de l'ensemble a été mise à mal par la recherche incessante d'une meilleure indemnisation des victimes. La plupart des litiges sont aujourd'hui réglés par application d'une mosaïque de règles spéciales, dont la coordination n'est pas toujours aisée. Ces dernières années ont vu en effet se multiplier des lois particulières, témoignant de l'impuissance du droit commun de la responsabilité civile à satisfaire aux besoins des victimes confrontées à de nouveaux fléaux tels que la circulation automobile (1), le terrorisme (2), le SIDA (3) ou les dommages causés par des produits défectueux (4).

Ce qui est remarquable dans cette prolifération des règles spéciales n'est d'ailleurs pas tant qu'elles aient été mises en place en un temps aussi rapproché que leur éparpillement (5). En l'espace de six ans, trois ont été accompagnées de la création d'un Fonds d'indemnisation autonome et répondant à des

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conditions bien spécifiques (6). Seule la dernière réforme intervenue le 19 mai 1998 a été intégrée dans le code civil, mais dans des conditions maladroites puisque l'indemnisation du fait des produits défectueux devient, à côté des successions (titre I), donations entre vifs et testaments (titre II), et contrats ou obligations conventionnelles en général (titre III), une nouvelle « façon dont on acquiert la propriété » (livre troisième). L'idée de consacrer un troisième type de responsabilité qui ne soit ni contractuelle, ni extracontractuelle, est extrêmement séduisante et traduit la tendance, inaugurée à la fin du XIXe siècle, à l'élaboration de règles dont l'application répond à des conditions et à un régime dérogatoire au droit commun (7). On regrettera simplement que seuls les produits défectueux fassent partie de ce nouveau titre et que d'autres lois spéciales n'y soient pas d'ores et déjà intégrées, comme la loi du 5 juill. 1985 relative à l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation (8).

Cette atomisation du droit de la responsabilité marque incontestablement la défaite de la vision unitaire des auteurs du code civil et la perte d'influence de la faute comme principe structurant du droit de la responsabilité civile (9). Aujourd'hui, il apparaît en effet anachronique d'affirmer que la faute constitue le principe du droit de la responsabilité civile. Cela ne signifie pas qu'il existe un principe de responsabilité pour faute, mais simplement que ce principe a perdu sa vocation à servir de droit commun auquel il faut utilement se référer, à défaut de règles particulières applicables. L'examen de l'évolution de la responsabilité civile depuis la fin du XIXe siècle montre au contraire que tous les efforts de la jurisprudence ont été motivés par le souci d'échapper à l'emprise de la faute. Mais, à défaut de principe alternatif capable d'évincer la faute comme référence subsidiaire, la jurisprudence, mais également le législateur, se sont engagés dans la voie de l'éparpillement que nous connaissons aujourd'hui.

2 - Face à un tel constat, plusieurs réactions sont possibles. La première consiste à souhaiter une réforme du code civil, à l'occasion par exemple de son bicentenaire, et d'une réécriture globale du droit de la responsabilité civile. Un simple toilettage permettrait de regrouper des dispositions actuellement éparses ; des art. 1382-1 et suivants pourraient consacrer les hypothèses de responsabilité délictuelle, 1383-1 et s. de responsabilité quasi délictuelle, 1384-1 et s. de responsabilité du fait des personnes ou des choses dont on doit répondre, 1385-1 et s. concernerait les accidents de la circulation et 1386-1 et s. les produits défectueux, comme c'est le cas aujourd'hui. Une réforme plus ambitieuse pourrait également abandonner la distinction entre la responsabilité contractuelle et extracontractuelle, consacrer un ou deux principes généraux de responsabilité sans faute et procéder à une rationalisation des lois spéciales impliquant, le cas échéant, une fusion des différents fonds d'indemnisation dans une structure unique (10). De lege feranda, tout ou presque est possible, mais la déception éprouvée à l'occasion des célébrations du premier centenaire du code civil doit inciter à la prudence, le législateur contemporain étant de surcroît plus à l'aise dans l'adoption de lois « fourre-tout » que dans les réformes d'ampleur (11).

3 - Une autre voie, plus réaliste sans doute que la précédente, consisterait à réformer sans ajout, à droit constant. La doctrine s'est intéressée, à plusieurs reprises, à la possibilité d'échapper au système actuel et à l'obligation de justifier l'allocation de dommages et intérêts par référence à la personne du responsable, qu'on lui reproche d'avoir commis une faute personnelle, de n'avoir pu empêcher qu'une chose ou une personne, placée sous son autorité, la commette, ou que l'activité dont il profite ait nui à autrui. Dans la première moitié du XXe siècle, trois auteurs proposèrent différentes solutions.

Les deux premiers tentèrent de concilier le primat de la faute et le souci d'indemnisation des victimes. En 1927, le procureur général près la Cour de cassation belge, Paul Leclerc, proposa un système fondé sur la reconnaissance d'un droit général à l'intégrité physique reconnu à tout citoyen ; toute altération de cette intégrité physique constituerait donc une faute, indifférente au caractère imprudent ou négligent du comportement de son auteur, et l'obligeant à réparation. En 1938, le doyen René Savatier définit pour sa part la faute comme la violation du devoir général de ne pas nuire à autrui (12). Le troisième s'engagea dans une voie résolument différente des précédentes, tout au moins sur le plan théorique. Boris Starck proposa en 1947 de rompre avec toute référence à la faute afin de garantir aux victimes la prise en charge automatique des dommages causés aux biens et aux personnes ; il bâtit une

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théorie dite de la garantie fondée sur l'existence d'un droit à la sécurité dont jouirait naturellement tout citoyen (13).

4 - Ces trois théories encoururent une critique commune qui suffit d'ailleurs à leur ôter tout intérêt pratique puisque aucune ne peut revendiquer un fondement juridique certain et susceptible de conférer aux droits proclamés un caractère justiciable (14). Le doyen Savatier justifiait sa construction par référence à l'équité et Boris Starck hésitait entre la reconnaissance par le droit naturel et l'affirmation d'un nouveau droit subjectif (15). L'intéressé confessait d'ailleurs volontiers qu'« aucun texte, aucun « attendu » ne l'admet ouvertement » et que la théorie de la garantie ne reposait que sur le « seul examen expérimental dont dispose la science du droit, celui de la jurisprudence » (16).

Cette absence de tout fondement textuel apparaît d'autant plus regrettable que ces auteurs ne donnaient pas à leurs théories respectives de portée générale et apportaient au contraire des distinctions et des restrictions parfois bien difficiles à justifier. Le procureur général Leclerc proposait de limiter le droit à la sécurité aux seuls dommages immédiats causés par l'homme, c'est-à-dire imputables à sa personne ou une chose en assurant le prolongement, alors que les dommages causés de manière médiate, par exemple par des machines fonctionnant d'une manière autonome, demeureraient soumis au principe de responsabilité pour faute d'imprudence ou de négligence. René Savatier permettait pour sa part à l'auteur d'un dommage d'échapper à l'obligation d'indemniser la victime, en prouvant être titulaire d'un droit de nuire, ce qui se justifie pleinement, mais cette catégorie des droits de nuire était elle-même classée en cinq sous-catégories selon des critères n'appartenant qu'à leur auteur (17). Starck enfin limitait l'application de la théorie de la garantie aux seuls dommages corporels et matériels, laissant à la responsabilité pour faute la réparation des préjudices moraux et économiques, sans que cette discrimination se justifie d'une manière évidente (18).

5 - Ce sont à ces courants que nous entendons ici nous rattacher, et singulièrement à la théorie de la garantie, tout en cherchant à les renforcer. Il nous paraît en effet possible de justifier le renversement de perspective proposé par Starck en visant l'art. 2 Décl. dr. homme qui affirme l'existence d'un « droit à la sûreté », considéré comme un « droit naturel et imprescriptible de l'homme », à l'égal de la liberté et de la propriété (I). Nous croyons également que la promotion du droit à la sûreté serait de nature à assurer la prise en charge de dommages dans des hypothèses où, aujourd'hui, la jurisprudence hésite (II).

I. La reconnaissance du droit à la sûreté Le droit à la sûreté existe dans plusieurs textes fondamentaux (A) et pourrait utilement être invoqué directement par le juge judiciaire à l'occasion des litiges qui lui sont soumis (B).

A. L'existence du droit à la sûreté 6 - Les deux fondements proposés pour la responsabilité civile, la faute et le risque, reposent sur le souci de justifier l'indemnisation servie à la victime par référence au comportement du responsable (19). Or il nous paraît qu'existe un droit fondamental susceptible de fonder autrement la condamnation de l'auteur d'un dommage : c'est le droit pour chaque citoyen de vivre tranquillement, de ne pas voir quiconque pénétrer dans sa sphère d'intimité, porter atteinte à ses intérêts et menacer l'intégrité de son patrimoine. Bref, chaque citoyen doit respecter la tranquillité des autres et est en droit, en contrepartie, d'attendre le même respect d'autrui. Comme l'avait très justement relevé Starck, « notre activité ne s'exerce pas dans une île déserte, mais dans un milieu social et (...) les hommes sont investis non seulement des diverses libertés d'action, mais aussi du droit de jouir paisiblement de leur vie et de leurs biens » (20). Or il est inutile de chercher à qualifier ce droit de droit naturel ou subjectif, puisqu'il suffit de constater qu'il se trouve reconnu, sous le vocable de droit à la sûreté, par de très nombreux textes fondamentaux comme l'art. 2 Décl. dr. homme, l'art. 3 Décl. univ. dr. homme (21), l'art. 5 Conv. EDH (22) et l'art. 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (23). 7 - Le droit à la sûreté fait donc partie intégrante de notre patrimoine juridique, même s'il n'est guère invoqué aujourd'hui que pour fonder le principe de non-rétroactivité (24) ou le droit d'accès à la justice

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(25), faisant alors écho au principe de sécurité matérielle (26) et de sécurité juridique (27). La raison de cette exploitation très restreinte est simple : la situation du texte dans l'art. 2 Décl. de 1789 et dans l'art. 5 de la Convention européenne de 1950 suggère qu'il ne constituerait qu'une garantie reconnue au citoyen contre l'Etat, et non véritablement un droit invocable dans les rapports entre particuliers.

Mais il convient de remarquer, tout d'abord, qu'une telle limitation dans la notion de sûreté ne figure pas nettement dans tous les textes. Il convient ensuite de noter que l'art. 2 Décl. de 1789 vise, parmi les « droits naturels et imprescriptibles de l'homme », la « liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». Or la propriété constitue non seulement un droit opposable à l'Etat, mais également une prérogative invocable contre tout citoyen. Rien ne s'oppose donc à ce que les prérogatives comprises dans l'art. 2 soient étendues à des rapports « horizontaux », comme l'admet d'ailleurs la doctrine (28). La référence à la sûreté n'a pas d'ailleurs toujours eu la connotation qui est aujourd'hui la sienne. Dans le langage courant, tout d'abord, le dictionnaire Littré donne comme deuxième sens à la sûreté l'« état de celui qui n'a rien à craindre pour sa personne ou sa fortune ». L'art. 10 de la « Déclaration des droits naturels, civils et politiques » votée par la Convention le 26 févr. 1793 affirmait que « la sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chaque citoyen pour la conservation de sa personne, de ses biens et de ses droits ». Dans une formule très proche, la Constitution « Montagnarde » du 24 juin 1793 avait placé à sa tête une déclaration des droits de l'homme et du citoyen dont l'art. 10 affirmait que « la sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés » (29). Dans ces hypothèses, la sûreté apparaît très proche de la sécurité (30), et c'est d'ailleurs en ce sens que Toullier (31) ou Sainctelette utilisaient le terme, ce dernier soutenant l'idée que le patron aurait, à l'égard de ses ouvriers, une « dette de sûreté » (32). C'est dans le courant du XIXe siècle que la notion de sûreté s'est « publicisée » (33). Le droit à la sûreté protège par conséquent contre toutes les atteintes à sa personne, à ses biens et à ses intérêts, qu'elles émanent de l'Etat ou de simples particuliers.

B. L'invocabilité du droit à la sûreté 8 - Il reste alors à déterminer si le droit à la sûreté pourrait être invoqué directement devant un juge. La question appelle incontestablement une réponse positive s'agissant de l'art. 5 Conv. EDH, la Cour de cassation ayant déjà, à de très nombreuses reprises, visé ses dispositions dans différentes affaires (34). La question est un peu plus délicate s'agissant du visa par le juge judiciaire d'un article de la Déclaration de 1789, en raison de son appartenance au bloc de constitutionnalité. S'il est pratiquement impossible de déterminer avec certitude si le contrôle de la constitutionnalité des lois a été ou non réservé par l'art. 62 Const. au Conseil constitutionnel, ce qui interdirait au juge judiciaire d'exercer, par voie d'action ou d'exception, une telle compétence (35), on peut raisonnablement affirmer que rien ne paraît lui interdire de puiser dans le bloc de constitutionnalité les « règles de droit » qui pourraient lui permettre de « trancher le litige » (36). Même si la Cour de cassation ne s'est jamais fondée formellement et exclusivement sur un texte présent dans la Constitution, il semble aujourd'hui admis, tant par les magistrats que par la doctrine, que le juge serait en droit de le faire (37).

Le droit à la sûreté permet ainsi de fonder juridiquement l'action dirigée par la victime contre toute personne qui lui cause un dommage et d'apporter un souffle nouveau au droit de la responsabilité civile.

II. La mise en oeuvre du droit à la sûreté Les apports du droit à la sûreté doivent être limités si on veut éviter une déstabilisation du système actuel (A). La mise en oeuvre de cette prérogative se traduit en effet par un renversement des rôles dans la conduite du procès et fait peser sur l'auteur des faits dommageables une présomption simple de responsabilité (B).

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A. Une application subsidiaire 9 - L'objectif de la promotion du droit à la sûreté n'est pas, a priori, de faire disparaître le système existant et de se substituer purement et simplement à la faute et au risque. Un tel scénario pourrait, il est vrai, se réaliser dans la mesure où la promotion d'un troisième fondement créerait nécessairement une situation de concurrence avec le risque, à terme, que la règle la plus favorable à la victime absorbe les autres, jusqu'à les faire disparaître. Or les vertus responsabilisantes, réelles ou symboliques, des règles fondées tant sur la faute que le risque ont été largement démontrées (38). Il n'est donc pas souhaitable de substituer au système présent, fondé essentiellement sur l'examen de la situation du responsable, des règles purement objectives abandonnant toute fonction ou prétention normative.

La promotion du droit à la sûreté doit donc avoir pour but de combler les lacunes du système existant et de permettre à la victime d'un dommage qui ne serait pas autrement réparable d'obtenir satisfaction. En d'autres termes, son application doit être subsidiaire. Comme l'a d'ailleurs remarqué un auteur, « Peut-être conviendrait-il de tenir en quelque sorte ce droit en réserve, afin de combler, le moment venu, quelques-unes des lacunes de notre droit positif » (39). Rappelons que c'est pour protéger l'intégrité des règles présentes dans le code civil que la jurisprudence a affirmé le caractère subsidiaire de l'action de in rem verso (40).

10 - Mais le recours à ce fondement nouveau doit également permettre de restaurer l'intégrité des règles juridiques malmenées dans un souci de protection des victimes. Ainsi, l'indemnisation des dommages causés par des personnes privées de discernement, qu'il s'agisse de déments ou d' infans, pourrait échapper à l'emprise de la faute (41). La victime aurait donc droit à indemnisation, non en raison d'une prétendue faute d'imprudence ou de négligence commise par la personne privée de discernement, mais bien parce que cette dernière lui a indûment causé un dommage. Une même remarque peut être faite s'agissant de l'indemnisation de l'aléa thérapeutique. Le médecin qui prend en charge la santé du patient se doit d'assumer toutes les conséquences anormales des actes envisagés, même si elles sont exceptionnelles.

Nous concevons immédiatement les critiques qui seront faites à cette proposition : les médecins, mais d'une manière générale tous ceux dont l'activité risque de causer un dommage anormal à autrui, vont cesser immédiatement toute activité de peur d'être poursuivis par les victimes, au moindre dommage. Ce risque ne nous paraît pas sérieusement envisageable, pour deux raisons. Tout d'abord, seuls les préjudices spéciaux et anormaux seront indemnisés, c'est-à-dire ceux qui dépassent les inconvénients normaux de l'activité en cause, ici d'un traitement ou d'une opération (42) ; la Cour de cassation ne dit d'ailleurs pas autrement lorsqu'elle limite l'information obligatoire aux seuls « risques graves » (43). Ensuite, les médecins n'en seront que plus fermement incités non seulement à redoubler de vigilance, mais surtout à contracter une assurance de responsabilité professionnelle pour se protéger, ce qui est déjà très largement le cas aujourd'hui.

La mission attribuée au droit à la sûreté étant définie, reste à déterminer quelles incidences pratiques cette reconnaissance pourrait avoir.

B. Des implications judiciaires 11 - Dans le système actuel, la victime doit prouver non seulement l'existence du dommage et le lien de causalité entre ce dommage et le fait d'une personne, ce qui est normal, mais également la faute de cette dernière ou les conditions qui la rendent responsable du fait des choses ou des personnes dont elle doit répondre. Si la victime ne parvient pas à réunir ces dernières conditions, elle ne pourra obtenir aucune indemnisation ; c'est elle qui supporte par conséquent le risque de la preuve. On justifie généralement cette défaveur par la référence à des règles de procédure et par l'idée qu'il existe une présomption d'innocence, protégeant l'auteur des faits dommageables, et qu'il appartiendrait à la victime de renverser (44). Mais est-ce pour autant juste de contraindre la victime à supporter le risque de cette preuve ? N'est-ce pas lui infliger une seconde peine, qui vient s'ajouter au dommage, en

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permettant à l'auteur des faits de s'en tirer à bon compte toutes les fois qu'elle ne sera pas parvenue à convaincre le juge du bien-fondé de sa prétention ? La reconstruction de l'action en responsabilité par référence au droit à la sûreté permet d'éviter cette situation en transférant sur les épaules de l'auteur des faits dommageables, ou de celui qui avait autorité sur celui-ci, le risque de la preuve. La reconnaissance de cette prérogative implique en effet le droit de ne pas subir d'atteinte à sa personne, à ses biens ou à ses intérêts. Tout dommage porte donc a priori atteinte au droit à la sûreté et permet de présumer l'auteur responsable de cette atteinte (45). Ce procédé n'est d'ailleurs pas inédit puisque c'est ainsi que l'art. 1147 c. civ. envisage la responsabilité contractuelle : l'inexécution du contrat, qui doit être prouvée par le créancier, engage automatiquement la responsabilité du débiteur « toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée ». 12 - Le fait qu'une personne cause un dommage à une autre suffit donc pour envisager qu'elle en soit responsable. Mais cette présomption n'est pas irréfragable car toutes les atteintes aux intérêts d'autrui ne sont pas nécessairement illégitimes. Certains dommages peuvent en effet être considérés comme légitimes, c'est-à-dire comme la conséquence directe de l'exercice d'une prérogative juridique impliquant, dans une certaine mesure, un droit direct et spécial de nuire à autrui (46). René Savatier classait ces droits de nuire en cinq catégories : les « droits de concurrence », les « droits de défense », les « droits de promiscuité », et les dommages causés par des « actions » ou des « abstentions » particulières (47). Si l'on écarte les deux dernières exceptions qui ne constituent pas réellement des catégories bien identifiées, on admettra que de nombreuses applications s'intègrent dans les trois premières. Ainsi, relèvent de l'idée des « droits de défense » le droit de légitime défense qui permet à une « personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense, d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte » (48), mais également le droit de grève, qui correspond à la défense collective des intérêts des salariés et dont l'exercice nuit nécessairement à l'entreprise et, dans une certaine mesure, aux non-grévistes et aux contractants de l'entreprise (49). La lecture du code civil fournit d'ailleurs certains exemples s'agissant du droit des biens (50) ou des obligations (51). 13 - Mais il faut également considérer que le droit à la sûreté est un droit du citoyen et que ce dernier doit concilier le respect de ses intérêts avec ceux de la collectivité. Cela implique nécessairement un minimum de sacrifices, exigibles d'ailleurs, à un degré identique (d'où le principe de l'égalité devant les charges publiques proclamé par l'art. 13 Décl. 1789), de chaque citoyen, et l'obligation de concilier l'exercice des différentes libertés publiques. Ainsi, les dommages causés par l'exercice d'une liberté publique ne devront donner lieu à aucune réparation dans la mesure où le préjudice causé ne sera ni spécial, ni anormal (52). L'auteur d'un fait dommageable, considéré a priori comme responsable, pourra ainsi s'exonérer en prouvant que le dommage causé résulte en réalité directement et spécialement de l'exercice normal d'un droit ou d'une liberté reconnus et protégés par le droit. Et c'est là qu'apparaît plus nettement la différence de fond entre une responsabilité fondée sur la violation du droit à la sûreté et une responsabilité fondée sur la faute. Dans la perspective du respect du droit à la sûreté, le fait que l'auteur du fait dommageable n'ait pas commis de faute ne suffit pas à le faire échapper à l'obligation de réparer les dommages qu'il a causés à la victime, dès lors que cette absence de faute ne constitue pas en même temps l'exercice d'un droit ou d'une liberté entraînant nécessairement, et dans une certaine mesure (53), un risque de dommages pour autrui (54). 14 - Prenons un exemple. Un enfant porteur d'un virus contamine ses camarades de crèche ou d'école. Dans un système fondé sur le primat de la faute, l'enfant n'est a priori pas responsable. Dans un système fondé sur le droit à la sûreté, il le devient car le dommage causé à son entourage n'est la conséquence nécessaire ni de l'exercice d'un droit, ni d'une liberté. Certes, l'enfant a le droit « à l'instruction », mais ce droit n'est en rien porteur d'atteintes nécessaires à l'intégrité corporelle d'autrui (55).

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On nous objectera qu'un tel système est profondément injuste pour celui qui cause un dommage d'une manière innocente et que l'application du droit à la sûreté supprime une injustice mais en crée une autre. Mais où se trouve la plus grande injustice : dans le fait de condamner l'auteur « innocent » du dommage ou dans celui de laisser sans réparation la victime ? A choisir, n'est-il pas préférable de protéger la victime, qui a déjà subi dans sa chair ou dans ses biens le préjudice, plutôt que de permettre à l'auteur du fait dommageable d'échapper à toute réparation ? Par ailleurs, la personne mise à contribution a toujours la possibilité de se retourner contre des coauteurs pour leur faire supporter tout ou partie de la réparation, surtout lorsque d'autres auront commis des fautes en relation avec le dommage ; lorsque deux coauteurs sont jugés comme coresponsables d'un même dommage, la jurisprudence affirme en effet que celui qui est tenu pour faute doit assumer la charge de la totalité de la dette, dégageant alors le codébiteur tenu sans faute (56). La faute dans les actions récursoires doit logiquement continuer à jouer son rôle régulateur dans la mesure où le droit à la sûreté de la victime n'est plus en cause (57). En reprenant l'exemple de l'enfant porteur du virus, ce dernier (ou ses parents) pourront se retourner contre les parents de l'enfant qui a contaminé le leur, qui savaient leur enfant malade mais ont choisi de l'envoyer quand même au contact de ses camarades pour plus de commodités personnelles ; l'action récursoire pourra également être dirigée contre le médecin traitant qui n'avait pas diagnostiqué le virus, ou n'avait pas informé les parents de la nécessité d'isoler l'enfant, etc. C'est d'ailleurs ce qui avait été montré par la doctrine à propos du déclin de la responsabilité individuelle qui se traduit moins par un déclin de la faute que par le déplacement de son rôle dans le cadre des actions récursoires menées par les tiers payeurs contre les responsables des dommages (58). 15 - La responsabilité civile a évolué depuis 1804 d'une manière constante vers une meilleure prise en compte des intérêts de la victime. Ce mouvement n'a pas jusqu'à présent abouti et la réparation n'est toujours pas considérée comme un véritable droit mais simplement comme un devoir pour la personne qui était en mesure d'empêcher la réalisation du dommage. La reconnaissance du droit à la sûreté témoigne de cette volonté de reconnaître à la victime un droit fondamental à l'indemnisation des préjudices indûment causés par autrui. 1) Loi n° 85-677 du 5 juill. 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation. (2) Loi n° 86-1020 du 9 sept. 1986 relative à la lutte contre le terrorisme ; c. assur., art. L. 126-1, L. 422-1 à L. 422-3. (3) Art. 47 de la loi n° 91-1406 du 31 déc. 1991 concernant les « victimes de préjudices résultant de la contamination par le VIH causée par une transfusion de produits dérivés du sang » (D. 1992, Lég. p. 96). (4) C. civ., art. 1386-1 et s., issus de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 (D. 1998, Lég. p. 184). (5) René Savatier écrivait à ce propos qu'« Actuellement, l'édifice oppresse, principalement par le poids de ses complications. Les constructions successives et enchevêtrées d'institutions mouvantes, qui s'articulent mal les unes aux autres, font apparaître, autour de la victime d'un accident, une cohue désordonnée de débiteurs de réparation à travers lesquels il devient de plus en plus difficile de voir clair et de s'orienter » (Traité de la responsabilité civile, t. 1, n° 302). (6) La loi du 5 juill. 1985 a instauré le Fonds de garantie automobile (c. assur., art. L. 421-1 et s.), la loi du 9 sept. 1986, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme (c. assur., art. L. 422-1 et s.) et la loi du 31 déc. 1991, le Fonds d'indemnisation des victimes de transfusions (art. 47-III). (7) Il faut remarquer que ce troisième type vient, s'agissant des produits défectueux, s'ajouter aux deux précédents (c. civ., art. 1386-18, al. 1er), contrairement aux dispositions de la loi du 5 juill. 1985 sur l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation dont l'application est, sauf exception (CSS, art. L. 455-1-1), exclusive de toute autre. (8) Celle-ci se trouve seulement de facto codifiée, c'est-à- dire présente dans les différentes éditions des codes, et pour des raisons pratiques évidentes. (9) Starck écrivait pour sa part : « brusquement, le système ne fonctionna plus, l'outil s'avéra impropre à sa destination » (Essai d'une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée, L. Rodstein éd., Paris, 1947, préf. M. Picard, spéc. p. 5). (10) Sur l'extension de compétence du FGVAT aux accidents du travail, lire H. Groutel, L'application aux accidents du travail de la législation sur l'indemnisation des victimes d'infractions, Resp. civ. et assur. 1997, Chron. n° 21. (11) Rappelons que c'est une loi de cette nature qui a créé le Fonds d'indemnisation des victimes de transfusions sanguines (L. 31 déc. 1991, préc.). (12) R. Savatier, Traité de la responsabilité civile, t. 1, n° 35. (13) B. Starck, préc., spéc. p. 37. La lecture de l'ouvrage démontre d'ailleurs les hésitations terminologiques de l'auteur qui utilise, comme équivalentes, différentes variantes ; outre le « droit à la sécurité », on y trouve le « droit à la vie ou à l'intégrité corporelle » (p. 37), le « droit à la sécurité corporelle, à la réputation, à l'intégrité de ses biens » (p. 41), le droit à « la vie humaine, l'intégrité corporelle et celle de ses biens, sa tranquillité, son honneur » (p. 42), le droit à « la sécurité

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inconditionnelle de leur vie, de leurs corps et des biens matériels » (p. 49), le « droit subjectif à la sécurité » (p. 50), ou encore le « droit à la sécurité vitale et corporelle » (p. 52). (14) Pour deux critiques de la thèse du procureur Leclerc différentes dans leurs fondements mais convergentes dans leur objectif : H. et L. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, préface H. Capitant, t. 1, 6e éd., 1965, par A. Tunc, Montchrestien, p. 16, t. I, n° 385 ; B. Starck, préc., p. 34. (15) L'auteur utilise l'expression de « droit subjectif à la sécurité » (p. 50). L'idée d'un droit « naturel » à la sécurité a été reprise par Y. Lambert-Faivre (Fondement et régime de l'obligation de sécurité, D. 1994, Chron. p. 81), qui invoque également une « éthique » de la responsabilité et vise l'art. 16-1 c. civ. comme fondement possible au droit à réparation des dommages corporels (L'éthique de la responsabilité, RTD civ. 1998, p. 1, spéc. p. 15). (16) B. Starck, préc., p. 50. (17) R. Savatier, préc., n° 37. (18) B. Starck, préc., p. 47. (19) Y. Lambert-Faivre, op. cit. note 15, RTD civ. 1998, spéc. I. (20) B. Starck, préc., spéc. p. 39. (21) Art. 3 : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sûreté de sa personne ». Rappelons que cette déclaration n'a pas force obligatoire. (22) Art. 5-1°. « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté ». (23) « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne ». (24) D'ailleurs sans grand succès : Décis. n° 89-254 DC du 4 juill. 1989 (D. 1990, Jur. p. 209, note F. Luchaire) : « Considérant qu'en inscrivant la sûreté au rang des droits de l'homme, l'article 2 de la Déclaration de 1789 n'a pas interdit au législateur d'apporter pour des motifs d'intérêt général des modifications en cours d'exécution ». V. aussi les déclarations de droit « girondines » et « montagnardes », citées par F. Luchaire, La sûreté : droit de l'homme ou sabre de M. Prud'homme, RD publ. 1989, p. 609. (25) La doctrine fait volontiers référence au principe de sûreté, mais le Conseil constitutionnel lui préfère l'art. 16 de la Déclaration de 1789 (F. Moderne, préc. ; F. Luchaire, art. préc.). (26) Lire F. Luchaire, in La protection constitutionnelle des droits et des libertés, Economica, 1987, spéc. p. 367 s. (27) F. Jurgensen, De la sécurité juridique, in Conseil d'Etat, Rapport public 1991, EDCE, n° 43, 1992, p. 15 s. (28) L. Favoreu et T. Renoux, Rapport général introductif in la Cour de cassation et la Constitution de la République, PUAM, 1995, p. 15 s., qui relèvent que « la Constitution est un ensemble de normes dont beaucoup sont applicables directement et peuvent être utilisées comme éléments de solution des litiges soumis au juge judiciaire ». (29) Sur l'historique de la notion, F. Luchaire, art. préc. (30) Une ordonnance des 16-21 nov. 1846, relative aux chemins de fer, prescrivait d'ailleurs toute une série de mesures sur « la police, la sûreté et l'exploitation des chemins de fer » (cité par J.-L. Halpérin, Gaz. Pal. 1997, 2, Doctr. p. 1178). C'est également l'expression employée par Starck (préc., p. 39 ; p. 43, « droit à la sécurité » ; p. 49, « droit individuel à la sécurité »). (31) Toullier, Le droit civil français suivant l'ordre du Code, vol. 6, n° 121, Libr. R. Renouard et Cie, 6e éd. (32) C. Sainctelette, De la responsabilité et de la garantie, Bruxelles- Paris, 1884, p. 95 et 118. (33) F. Moderne, Sûreté, in Dictionnaire constitutionnel, sous la dir. d'O. Duhamel et Y. Mény, PUF, 1992. Pour J. Rivero, il s'agit de la « certitude pour les citoyens qu'ils ne feront pas l'objet, notamment de la part du pouvoir, de mesures arbitraires les privant de leur liberté matérielle, telles qu'arrestations et détentions » (Libertés publiques, PUF- Thémis, t. II, p. 23). (34) Notamment J.-P. Marguénaud, L'interprétation de la Convention européenne des droits de l'homme, sous la dir. de F. Sudre, Bruylant, Bruxelles, 1998. Il faut toutefois reconnaître que l'article donne à la sûreté le sens de protection des citoyens contre les atteintes possibles de l'Etat aux libertés individuelles. (35) Contra F. Julien-Laferrière, L'état de droit et les libertés, in Etudes Jacques Mourgeon, Bruylant, 1998, p. 153 s., spéc. p. 163 : « Qui interdit au juge d'apprécier la constitutionnalité de la loi, sinon lui-même ? ». (36) NCPC, art. 12, al. 1er. Sur cette question : J.-Y. Chérot, L'effet direct de la Constitution dans les rapports entre particuliers, in Actes du Premier congrès français de droit constitutionnel, Université Robert Schuman et a., Strasbourg, 1990 (l'auteur se montre réservé) ; M. Jeol, Les techniques de substitution, in la Cour de cassation et la Constitution de la République, préc., p. 69 (qui se montre favorable). (37) En ce sens N. Molfessis, Le Conseil constitutionnel et le droit privé, LGDJ, 1997, spéc. n° 675 s. (38) En ce sens le débat sur les vertus responsabilisantes ou déresponsabilisantes des responsabilités de plein droit : H. Lécuyer, Une responsabilité déresponsabilisante, Dr. famille 1997, n° 3, Repères, et notre réponse amicalement polémique au D. 1997, Chron. p. 279, Le renouveau de la responsabilité du fait d'autrui (apologie de l'arrêt Bertrand). (39) F. Moderne, préc. Dans le même sens, F. Terré, Y. Simler : « tout comme il existe un droit à la sécurité, il y a un droit essentiel de la personne humaine dont la sauvegarde serait, tant bien que mal, assurée par la jurisprudence, en attendant la croissance d'un corps de règles plus ordonné et destiné à assurer ce que l'on croit devoir appeler la qualité de la vie. Il s'agirait d'un droit à la tranquillité de son cadre de vie. Pourquoi pas ? » (Droit des biens, Précis Dalloz, n° 315). (40) Cass. civ., 2 mars 1915, Grands arrêts de la jurisprudence civile, n° 155. Sur la généralisation de ce critère à toutes les actions prétoriennes, notre article, L'autonomie de l'action en garantie des vices cachés (à propos de Cass. 1re civ., 14 mai 1996, Chavanne c/ Sté Lambert distribution), JCP 1997, I, n° 4009, spéc. n° 25 s. (41) Sur ces éléments, cf. la première partie de ces réflexions, D. 1999, Chron. p. 313, n° 14 à 16. (42) Il s'agit ici des séquelles normales d'une opération, telles que fatigues, douleurs, immobilité, etc. Cf. infra, n° 13. (43) Cass. 1re civ., 7 oct. 1998, Mme Castagnet c/ Clinique du Parc, JCP 1998, II, n° 10179, concl. J. Sainte-Rose, note P. Sargos ; D. 1999, Jur. p. 145, note S. Porchy. (44) NCPC, art. 9 ; c. civ., art. 1315. (45) La doctrine a pu utiliser l'expression de « responsabilité causale » (ainsi Y. Lambert-Faivre, op. cit., D. 1994, Chron. p. 84).

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(46) R. Savatier exprimait d'ailleurs le principe contenu dans l'art. 1382 c. civ. comme l'interdiction de nuire à autrui sans une cause légitime (Traité de la responsabilité civile, t. I, n° 35 à 107). Starck écrivait également qu'« il est des cas où le défendeur peut se prévaloir d'un droit de nuire par son activité » (préc., p. 44). (47) R. Savatier, préc., n° 37, p. 49-50. (48) C. pén., art. 122-5, al. 1er. (49) H. Sinay et J.-C. Javillier, La grève, Traité Dalloz, n° 263 et 260. (50) C. civ., art. 555, 637 et s., 670, al. 2, 672, 673, al. 2, etc. (51) C. civ., art. 1143. (52) Sur ces critères, lire notamment R. Chapus, Droit administratif général, t. 1, Domat-Montchrestien, 9e éd., 1995, n° 1230 s. Dans son arrêt du 3 nov. 1997, le Conseil d'Etat limite d'ailleurs l'indemnisation de la victime d'un aléa thérapeutique au seul dommage d'une « extrême gravité » (Hôpital Joseph Imbert d'Arles, RFD adm. 1998, p. 90, concl. V. Pécresse ; AJDA 1997, p. 959, chron. T.-X. Girardot et F. Raynaud ; RD publ. 1998, p. 891, note J.-M. Auby ; D. 1998, Jur. p. 146, note P. Chrestia). (53) B. Starck faisait référence au droit de « commettre tel dommage précis » (préc., spéc. p. 39). (54) B. Starck considérait comme « illicite, et par conséquent condamnable, tout empiètement non autorisé sur les droits d'autrui » (préc., p. 41). (55) Tout au plus le système des concours interdirait-il à un candidat malheureux d'agir en responsabilité contre un candidat reçu, car l'échec à un concours est « normal ». Ajoutons que, dans cette hypothèse, la « victime » n'en est pas une car elle ne peut revendiquer aucun « droit de réussite », mais simplement un droit de présenter le concours, ce qui est très différent. (56) Cf. supra, n° 7. (57) C'est d'ailleurs ainsi que la loi du 5 juill. 1985 envisage le rôle de la faute et celui de la causalité qui réapparaissent dans les rapports entre coauteurs après avoir été chassés dans les relations avec les victimes (F. Chabas, L'interprétation des articles 2 à 6 de la loi du 5 juillet 1985 et la question des recours, Gaz. Pal. 18-20 juin 1995, p. 17-27 ; nos obs. au D. 1996, Jur. p. 307, spéc. II). (58) G. Viney, Le déclin de la responsabilité individuelle, LGDJ, 1965, p. 416.

� Philippe Rémy, Droit et cultures, 1996/1, p. 47 et s., Critique du système français de la responsabilité civile (extraits)

Cette critique du droit français de la responsabilité portera, non sur les mouvements profonds qui l'ont affecté depuis un siècle, mais sur la façon dont ils ont été traduits par notre système juridique. Il nous semble en effet que l'essentiel est, non dans les faits mêmes qui ont provoqué ce changement, mais dans les processus intellectuels qui ont conduit au désordre et à l’obscurité de notre système de responsabilité. (…)

Une seconde caractéristique – et un second défaut - du droit français est de concevoir la "responsabilité contractuelle" comme une vraie "responsabilité", taillée sur le modèle de la responsabilité délictuelle. Ce défaut procède, non du Code lui-même, mais de l’invention prétorienne d’une "obligation contractuelle de sécurité". Ce "forçage" du contrat a évidemment changé la fonction des dommages-intérêts dus en cas d’inexécution du contrat : au lieu d’y voir, comme en 1804, un mode d'exécution forcée du contrat, on y voit aujourd’hui un mode de réparation - notamment pour les dommages causés à la personne d'un des contractants. Du même coup, la dualité des responsabilités délictuelle et contractuelle, qui n’est pas spécifique du système français6 y prend l'allure d’un Hymalaya d'absurdités : comment peut-on à la fois refuser l'option et soumettre à des régimes différents le dommage identique causé, dans les mêmes circonstances, à un cocontractant et à des tiers ? Ce qui provoque une ultime erreur: l'unification des responsabilités, très tôt réclamée par un auteur7, aujourd’hui défendue par une doctrine autorisée8 paraît sur le point de s'opérer, par voie prétorienne. (…)

II. L’absorption du droit des contrats par le droit de la responsabilité est aujourd’hui manifeste. On s'apercevra par exemple, en ouvrant un Traité de droit civil d'une grande autorité, que l'inexécution du contrat est traitée, pour l'essentiel, dans les volumes relatifs à la

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responsabilité, non dans les volumes relatifs au contrat2. C'est que, pour une forte majorité doctrinale, l'inexécution du contrat est bien un vrai cas de responsabilité3. Toute l'affaire est seulement de distinguer, au sein de "la responsabilité civile", la "responsabilité contractuelle" de sa sœur, la responsabilité délictuelle. Une thèse assez largement répandue est d'ailleurs qu'il n'y a pas, entre ces deux responsabilités, de différence de nature, mais seulement des différences de régime, qui s'expliquent plus ou moins bien : il ne serait donc pas inconcevable d’"unifier" la responsabilité civile. Cette "unification" supprimerait nombre de "bizarreries et d'injustices"4. Le particularisme de la responsabilité contractuelle serait alors réduit à ce qu'exige le respect du contrat, c'est-à-dire l'appréciation du fait dont on doit répondre: l'inexécution d'une obligation contractuelle préexistante5. Encore s'efforce-t-on d'aligner les "faits générateurs" de "responsabilité contractuelle" sur les faits générateurs de responsabilité délictuelle ; rien de plus normal, dès lors que ces deux "responsabilités" ont au fond le même objet: la réparation d'un dommage causé injustement.

Ces vues sont aujourd'hui si générales qu'il peut paraître vain de les discuter. Il nous

semble pourtant que l'invention (récente) de la "responsabilité contractuelle" est le fruit du hasard plutôt que d'une construction réfléchie (A), qu'elle est à la racine de bien des difficultés actuelles du droit des contrats (B) et qu'elle complique inutilement la réparation des préjudices - notamment celle du préjudice corporel (C).

A. Ce que nous appelons aujourd'hui "responsabilité contractuelle" est réglé, au titre III du Code civil (Des contrats ou des obligations conventionnelles en général), dans un chapitre intitulé "De l'effet des obligations", spécialement à la section IV, "Des dommages et intérêts résultant de l’inexécution de l'obligation" (art. 1146 s.). Cette construction laisse très clairement entendre que le droit du créancier à des dommages et intérêts en cas d'inexécution est un effet de l'obligation contractée: c'est un mode d’exécution forcée - exécution forcé par équivalent, certes, mais exécution forcée de l'obligation contractuelle elle-même. Ce que le même chapitre dit de l'obligation de faire ou de ne pas faire est encore plus clair: cette obligation, en cas inexécution de la part du débiteur, se résout (se paye) en dommages et intérêts (art. 1142), sauf les cas où la loi autorise l'exécution forcée en nature (art. 1143 et 1144). En 1804, il paraît inutile d’imaginer, comme on le fait aujourd'hui, que le débiteur de l'obligation contractuelle inexécutée se trouve, par le fait de l'inexécution, débiteur d'une nouvelle obligation de réparer le préjudice causé au créancier: le débiteur qui n’exécute pas ou exécute mal doit des dommages-intérêts non parce qu’il a causé injustement un dommage à son cocontractant, mais tout simplement parce qu’il n’exécute pas le contrat ; le droit du créancier aux dommages et intérêts procède seulement de la force obligatoire du contrat (art. 1134, en tête du même chapitre). Au temps de l'Exégèse, la confusion de ces dommages et intérêts avec une dette de réparation est impossible: l'obligation de réparer le dommage causé à autrui procède d'un délit ou d'un quasi-délit, qui sont des "engagements formés sans convention" (L.III, t. 4), réglés à deux cent cinquante articles de distance des contrats (L.III, t. 3). Comment d'ailleurs confondrait-on l'exécution forcée d'une prestation précise promise à un contractant déterminé avec la réparation d'un dommage quelconque causé à n'importe quel tiers? Dans un cas, c'est le contrat qui fait le lien d'obligation ; dans l'autre, c'est le délit: 6 A. Tunc, International Encyclopaedia of comparative law, vol. XI, ch. 1, Introduction, n° 32 s ; T. Weir, même ouvrage, Ch. 12, Complex liabilities, n° 2 s. 7 Dès la fin du siècle dernier, par M. Planiol, Traité de droit civil, II, n° 877. 8 G. Viney, op. cit., n° 232 s. 2 C'est le plan du Traité de droit civil sous la dir. de M. J. Ghestin. 3 Quelques auteurs résistent encore fermement à cette thèse, not. Ph. le Tourneau, La responsabilité civile, Dalloz 3ème éd., 1982, n° 159 s. et D. Tallon, L'inexécution du contrat: pour une autre présentation, Rev. trim. dr. civ. 1994, 223; Pourquoi parler de faute contractuelle?, Ecrits en hommage à Gérard Comu, PUF 1995, 429. 4 A. Tunc, La responsabilité civile, Economica 2ème éd., 1990, n° 46. 5 G. Viney, La responsabilité : conditions, Traité de droit civil, dir. par J. Ghestin, t. IV, n° 232 s

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pourquoi se mêleraient deux sources d’obligations si fondamentalement distinctes? Comment penserait-on enfin, au temps du Code civil, que "la responsabilité" puisse absorber les effets du contrat, alors que "la responsabilité" n'existe pas encore: le mot, forgé par Necker, à ce que disent les lexicologues6, n'entre dans le vocabulaire des civilistes qu’au cours du XIXème siècle. Pour un civiliste de cet âge classique,il n'est même pas question d’une summa divisio de "la" responsabilité; il n'y a de responsabilité que délictuelle. Pour qui lit le Code et suit son plan, la responsabilité contractuelle" est impensable7.

L’invention de ce concept constitue donc une mutation fondamentale de notre droit des obligations. Or cette invention ne se constitue véritablement qu’à la fin du XIXème siècle8 et elle procède pour l’essentiel, non d’une réflexion sur les fonctions du contrat, mais des défauts de notre système de responsabilité délictuelle. On vient de voir qu’à la fin du siècle dernier, c’est la nécessité d'écarter la responsabilité pour faute prouvée dans les accidents industriels qui conduit une partie de la doctrine à "découvrir" une "obligation de sécurité" dans le contrat de travail, à la charge de l'employeur: on veut ainsi dispenser l'ouvrier victime de la preuve d'une faute de l'employeur (art. 1147 et 1148)9. Cette invention doctrinale dune "responsabilité contractuelle" pour les dommages causés à la personne d'un des contractants fait d'abord long feu en jurisprudence10 ; mais celle-ci en découvrira les ressources une trentaine d'années plus tard, en matière d'accidents de transport11. Depuis, on ne compte plus les contrats qui sont censés contenir une telle obligation. En soustrayant ainsi au droit des délits ce qui était de sa compétence naturelle (l’accident corporel), on n’a pas seulement "forcé" le contenu de tel ou tel contrat spécial : on a artificiellement donné au contrat une fonction de réparation, et inventé du même coup un concept qui allait empoisonner le régime du contrat en général. On le constate dès l'origine. La querelle sur l'obligation contractuelle de sécurité du patron à l'égard de l'ouvrier est en effet l'occasion d’une autre querelle plus vaste sur "l'unité" ou la "dualité" de la responsabilité. On aurait pu s'attendre à ce que le conflit doctrinal portât sur la distinction du contrat et du délit. Mais l'intérêt en jeu - l'exigence de la preuve d'une faute - déplace sensiblement la question. Sainctelette12 dit qu'il n'y a de responsabilité que délictuelle parce qu'il ne veut pas que le principe d'une responsabilité pour faute vienne affaiblir la "garantie" contractuellement due, selon lui, à l'ouvrier victime ; Grandmoulin13 et Planiol14 soutiennent au contraire l'unité des responsabilités délictuelle et contractuelle parce qu'ils ne veulent pas que la réparation soit "garantie" par l'employeur, sans faute prouvée. Chez Grandmoulin, la thèse "moniste" sera d'ailleurs que l'inexécution de l'obligation contractuelle constitue un délit civil. Chez Planiol, la thèse de l’unité de la responsabilité s'inscrit aussi dans une construction intellectuelle toute entière orientée vers la réfutation de la théorie du risque: la responsabilité est toujours la sanction d'une faute; la faute se définit toujours comme le manquement à une obligation préexistante, qui peut elle-même avoir sa source dans le contrat ou dans la loi ; dans les deux 6 J. Henriot, Note sur la date et le sens de l'apparition du mot responsabilité, Arch. Phil. Du Droit, 1977, 59 s. 7 Rappr. Ph. Malaurie et L. Aynès, op. cit. n° 809. 8 Il y en a évidemment des prodromes dans la doctrine de la "faute contractuelle", et l'expression même de "responsabilité du contractant" se trouve sous la plume des auteurs du XIXème siècle, lorsqu'ils commentent notamment l'article 1137 du Code civil ; la généralité de la responsabilité pour faute favorise aussi, dès 1804, l'idée que la "faute contractuelle" oblige, comme le délit ou le quasi-délit, à réparer le dommage causé: Planiol a des ancêtres. 9 Sauzet, De la responsabilité des patrons vis-à-vis des ouvriers dans les accidents industriels, Rev. crit. de législation et de jurisprudence, 1883, 596 et 677.; Sainctelette, De la responsabilité et de la garantie. Accidents de transport et de travail, 1884, Labbé, n. S. 1885.4.25, 1886.2.97, 1886.4.25, 1889.4.1, 1890.4.17. 10 Req. 2 déc. 1884, S. 1886.1.367 ; Req. 5 avr. 1894, S. 1897.1.229 ; Req. 15 juil. 1896, S. 1897.2.229. 11 Tête d'une immense série d'arrêts: Cass.civ. 21 nov. 1911, S. 1912.1.73, n. Lyon-Caen, D. 1913.1.249,n. Sarrut. 12 Sainctelette, De la responsabilité et de la garantie, Bruxelles et Paris 1884. 13 Grandmoulin, De l'unité de la responsabilité ou nature délictuelle de la responsabilité pour violation des obligations contractuelles, Th. Rennes 1892. 14 Planiol, Traité élémentaire, 1ère éd., t. II, n° 914 s. Cette thèse est à relier à la summa divisio des sources d'obligations que propose par ailleurs Planiol: le contrat et la loi (Traité élémentaire, t.II, n° 807).

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cas, la dette de dommages et intérêts constituera bien une nouvelle obligation, distincte de l'obligation première ; que l'obligation première soit contractuelle ou "légale", 1’obligation dérivée procèdera de faits similaires et pareillement fautifs15. La "responsabilité contractuelle" est née: on aura beau ensuite rejeter l'idée que l'obligation délictuelle se définit comme le manquement à une obligation légale préexistante, il restera que la dette de dommages et intérêts apparaîtra, en matière contractuelle, comme une vraie dette de réparation, et non comme une forme d'exécution forcée de l'obligation initiale16. B. Un siècle plus tard, on peut mesurer l’effet perturbateur de la "responsabilité contractuelle" ainsi comprise sur le droit des contrats.

M. Tallon a récemment relevé les graves inconvénients systématiques de la doctrine moderne d'une "responsabilité contractuelle" : elle conduit en général à une présentation "éclatée" des divers remèdes offerts au créancier en cas d'inexécution. L'exception d'inexécution et la résolution pour inexécution sont traités avec le contrat ; les dommages et intérêts sont traités avec la responsabilité délictuelle, sous le chapeau général de la "responsabilité civile". L'articulation de ces divers remèdes se comprend alors difficilement17. D'une part, on ne saisit plus, dans cette présentation "moderne", la distinction nécessaire entre les dommages et intérêts dus lorsque le créancier demande la résolution du contrat et les dommages et intérêts dus lorsqu'il réclame au contraire l'exécution forcée18. D'autre part, des règles aussi classiques que la destruction de ce qui a été fait par contravention à l'engagement (art. 1143) ou l'exécution aux frais du débiteur (art. 1144) s'interprètent à contre-sens19: dans une perspective classique, ce sont des modes d'exécution forcée du contrat que peut choisir le créancier (en option avec des dommages et intérêts) ; dans la perspective contemporaine, ce sont des mécanismes de "réparation en nature" que peut ordonner le juge lorsqu'ils lui paraissent plus adéquats qu'une condamnation pécuniaire20. De façon plus générale, on peut dire que le concept de "responsabilité contractuelle" tend à restreindre l’exécution du contrat à l’exécution volontaire, purement spontanée de la part du débiteur ; tout le reste devient "réparation"21 : la "responsabilité contractuelle" absorbe ainsi toute l'exécution forcée du contrat. Ces glissements conceptuels sont loin d’être seulement des erreurs techniques ; mesure-t-on les changements apportés à l’idée de force obligatoire du contrat lorsqu’on en détache ainsi l’exécution forcée pour en faire un cas de responsabilité, en laissant à l’article 1134 la seule vertue d’expliquer l’exécution spontanée de la part du débiteur ?

Les inconvénients de la doctrine moderne sont encore plus marqués si on considère ses

conséquences quant à la détermination du "fait générateur" de "responsabilité contractuelle". Le plus manifeste, comme vient également de le démontrer M. Tallon, est la place faite à la "faute contractuelle"22. Ici, les gauchissements successifs des concepts classiques se sont enchaînés les uns aux autres par une espèce de déterminisme logique.

Les rédacteurs de l'article 1137, en imposant à celui qui est chargé de conserver une

chose "les soins d'un bon père de famille" (al. 1), avaient entendu se débarrasser de la vieille

15 V. l'espèce de catalogue des fautes donné par Planiol, Etudes sur la responsabilité civile, Rev. crit. légis. et juris., 1905. 277 et 1906.80. 16 L. Husson, Les transformations de la responsabilité, Bibliothèque de philosophie contemporaine, PUF 1947.282. 17 D. Tallon, L'inexécution du contrat: pour une autre présentation, Rev.trim. dr. civ. 1994.223, spéc. n° 12 s. 18 Rappr. C. Guelfucci-Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilité, LGDJ 1992, préf. J. Ghestin, n° 180 s. 19 La Cour de cassation dit pourtant que l'article 1143 est une mesure d'exécution et non un mode de réparation: elle en déduit que le créancier qui en demande l'application n'a pas à établir de préjudice (Cass. civ. 3ème, 13 oct 1981, D. 1982. IR, obs. Giverdon). 20 H.L. Mazeaud et A. Tunc, op. cit., t. 3. n° 2303 s ; G.Viney, La responsabilité: effets, Traité de droit civil, sous la dir. de J. Ghestin, n° 46 s. 21 M.E. Roujou de Boubée, Essai sur la notion de réparation, Bibl. de droit privé, t. 135, p. 139 s., LGDJ 1974. 22 D. Tallon, Pourquoi parler de faute contractuelle ?, Ecrits en l'honneur de Gérard Cornu, 429. La littérature sur la faute contractuelle est innombrable. v. H.L. Mazeaud et A. Tunc, op. cit. t.1, n° 652, n. 6.

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glose de la prestation des fautes23, et annonçaient simplement que l'étendue de l'obligation de conserver la chose serait réglée à propos de chaque contrat (al. 2) ; après quoi les articles 1147 et 1148 disaient que les dommages et intérêts sont dus par le débiteur en cas d’inexécution ou de retard dans l'exécution, sauf à établir une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure. A lire ces textes, on peut donc faire l'économie de la "faute contractuelle". Mais voici que le concept de "responsabilité contractuelle" impose à l'esprit le schéma de l'article 1382 : il faut donc qu'à la base de la responsabilité contractuelle il y ait une faute - la même qu'en matière délictuelle, pour les tenants de "l'unité" de la "faute civile". Comme l'article 1147 n'exige que l'inexécution, on verra une bonne part de la doctrine française soutenir héroïquement que la "faute contractuelle", c'est tout simplement le fait de l'inexécution. Mais une autre doctrine, où l'on reste attaché à la définition classique de la faute, refuse ce paralogisme: pour elle, l'inexécution du contrat ne saurait être une cause de responsabilité que si cette inexécution est fautive ; cette doctrine trouvera donc dans l'article 1137, qu'elle généralisera, son principal aliment. Ainsi s'élève la fameuse "antinomie" des articles 1137 et 1147, pour la résolution de laquelle on fabriquera nombre de systèmes ingénieux24 . Le plus célèbre est celui que propose Demogue en 1928: l'article 1147 concernerait les obligations "de résultat" ; l'article 1137 les obligations "de moyens"25. Le succès de cette doctrine paraît aujourd'hui définitif26, et le droit positif serait donc devenu, en matière de "responsabilité contractuelle", un droit "dualiste"27: il faudrait dans certains cas rapporter la preuve d'une faute du débiteur ; dans d'autres cas, ce serait à lui de s'exonérer en prouvant la force majeure. Ainsi, c'est à l'introduction du concept de "responsabilité contractuelle" que l'on doit, par un processus quasi mécanique, l’encombrante distinction des obligations de moyens et de résultat. L'utilité de cette distinction nous paraît largement illusoire28. D'abord parce que c'est, comme le disait Esmein, une approximation grossière29 : pour rendre (assez mal) compte de l'infinie diversité des obligations contractuelles, on doit ajouter, à cette pseudo "summa divisio", d'autres catégories - obligations de moyens "renforcées", obligations de résultat "atténuées", et- surtout les "garanties"30. Ensuite parce que le critère. de cette distinction est incertain. Enfin et surtout parce qu'elle constitue un détour logique inutile: pour déterminer si l'obligation inexécutée est "de moyens" ou "de résultat", on examine toujours le contenu concret du contrat (ce que les parties ont déclaré vouloir, ou ce que dit à leur place la loi ou le juge) ; il suffit donc de se demander: 1) ce que le débiteur devait; 2) s'il a bien fait ce qu'il devait ; le passage par une "qualification" de l’obligation est un trompe-l’œil31. Toute la question du "fait générateur" de la "responsabilité contractuelle" se ramène en vérité à la question du contenu exact du contrat ; comme l'annonce l'article 1137, c’est l’étendue de l’obligation contractée qui est à considérer, non le

23 Fort critiquée depuis le XVIème siècle jusqu'à Lebrun (Essai sur la prestation des fautes, 1761); Pothier l'énonce succinctement et se consacre ensuite à l'essentiel: déterminer, contrat spécial après contrat spécial, le contenu exact des obligations de chacune des parties ; c'est à cette détermination que s'attache aussi le Code - et c'est ce qu'annonce très clairement l'alinéa second de l'article 1137. Il reste que la longue mémoire des civilistes du XIXème siècle a fait ressurgir, en dépit du Code, la querelle sur la prestation des fautes"; v. le très riche article d' A. Desrayaud, Ecole de l'Exégèse et interprétations doctrinales de l'article 1137 du Code civil, Rev. trim. dr. civ. 1993.535. 24 J. Carbonnier, op. cit. n° 159. 25 Demogue, Traité des obligations, t. V, n° 1237. 26 G. Viney, op. cit. n° 521 et suivants. 27 L.J. Constantinesco situe en conséquence le système français à mi-chemin du droit anglais (où le "breach of contract" est simplement la non-performance) et du droit allemand (fondé sur l'inexécution fautive); v. Inexécution et faute contractuelle en droit comparé (Droits français, allemand. anglais), 1960. Sur la supériorité du système anglais et le ralliement souhaitable des systèmes allemand et français, v. Zweigert et Kötz, op. cit. 548. 28 Ph. Malaurie et L. Aynès, op. cit. n° 823. 29 P. Esmein, L'obligation et la responsabilité contractuelle, Mél. Ripert, t. II, 101. 30 Les plus chauds tenants de la "summa divisio" des obligations de moyens et de résultat mettent les "garanties" à part en prenant soin de relever leur caractère "dérogatoire au droit commun" (H.L. Mazeaud et A. Tunc, n° 653-2 et 103-8) : la couverture d'un cas fortuit entre évidemment difficilement dans les canons de la "responsabilité"; mais comment dire que la "garantie" est "dérogatoire au droit commun", quand c'est là le type principal d'obligation rencontré dans la vente, qui est elle-même l’archétype des contrats? 31 Ex.: il suffit de dire que le médecin doit des soins plutôt que la guérison ; cela est à la fois plus concret, plus rapide et plus juste que de dire qu'il doit les "moyens" plutôt que le "résultat" de la guérison. Le vrai est qu'on ne doit jamais ai des moyens, ni un résultat: on doit ce qui est in obligatione.

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point de savoir si "l'obligation de réparer" suppose ou non la preuve d'une "faute" du débiteur. C'est ainsi que procède le Code en déterminant directement, selon le type de contrat, les obligations de chacune des parties.

Le concept de "responsabilité contractuelle" a également contaminé l'évaluation des

dommages et intérêts. L'article 1150 dispose que le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat. La raison de cette règle est évidemment que les dommages et intérêts constituent ici un mode d'exécution forcée par équivalent: "l'équivalent ne peut pas dépasser le promis" 32 . Pour les tenants d'une "responsabilité contractuelle", cette règle apparaît au contraire comme une dérogation au principe de réparation intégrale. On juge alors cette dérogation injustifiable et l'on propose d'abroger l'article 115033 ; ou bien, après avoir dit que ce texte traduisait seulement, en 1804, "le culte de la volonté individuelle", on suggère de ne le maintenir que "comme instrument d'une politique de modération judiciaire des dommages et intérêts"34.

Même dans un système qui maintient la distinction de la responsabilité contractuelle et

de la responsabilité délictuelle35 et l'adosse au principe de non-cumul, les notions et le régime de la responsabilité délictuelle contaminent ainsi, presque inévitablement, tout le régime du contrat. Voici par exemple que surgissent les questions inutiles de la "responsabilité contractuelle du fait d’autrui" ou de la "responsabilité contractuelle du fait des choses"36. C'est que l'idée même d'une "responsabilité contractuelle" conduit à rapporter la cause des dommages et intérêts, non au simple fait de l'inexécution du contrat, mais à un "fait générateur" de "responsabilité" conçu sur le modèle de la responsabilité délictuelle.

C. En inventant ainsi, à côté du droit des délits, une "responsabilité contractuelle" ayant une fonction de réparation, on a singulièrement compliqué le droit de la réparation.

Encore une fois, l'exemple le plus clair est fourni, en matière de préjudice corporel, par l'obligation "contractuelle" de sécurité. Sur "les bras cassés et les morts d'homme" la compétence appartenait naturellement, et exclusivement, au droit des délits et quasi-délits37. En incluant dans des contrats qui avaient un objet économique (une chose ou un service) une promesse de sécurité pour la personne d'un des contractants, on a suscité artificiellement la coexistence de deux systèmes de réparation qui n'ont pas le même régime : un pour les contractants et un autre pour les tiers. La liste des difficultés que cette concurrence suscite est bien longue.

On multiplie d'abord les contentieux de frontière entre les deux ordres de

responsabilité38. Ensuite, la rigueur du principe de non-cumul devient injustifiable, alors que ce principe est hautement rationnel39. Enfin, le régime du contrat ainsi "forcé" exerce sur la nature même de l'obligation de sécurité une emprise à laquelle il est difficile d’échapper: c'est

32 Ph. le Tourneau, op. cit. n° 243; rappr. I. Souleau, La prévisibilité du dommage contractuel (défense et illustration de l'article 1150 du Code civil) th. Paris II 1979, passim. 33 H. L. Mazeaud, 6ème éd. par F. Chabas, t. 3, n° 2391. 34 G. Viney, La responsabilité: effets, op. cit n° 333. 35 G. Durry, La distinction de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle, éd. Université Mc Gill, 1986. 36 D. Tallon, L'inexécution du contrat, op. cit. n° 17 ; la Cour de cassation vient de reconnaître une "responsabilité contractuelle du fait des choses" à la charge du débiteur d'une "obligation de sécurité" (Cass. civ. lère 17 janv. 1995, JCP 1995. I. 3853, obs. G. Viney; D. 1995, 350, n. P. Jourdain). 37 J. Carbonnier, op. cit. n° 295. 38 Sous forme de trois questions. 1) Quand y a-t-il contrat (transport bénévole, accidents dans les magasins)? 2) S'il y a contrat quand le contrat commence-t-il et quand finit-il (accidents de quai, accidents de la montée et de la descente)? 3) Si l’action en réparation est contractuelle, qui peut l’exercer, en dehors des parties (stipulations pour autrui implicites, théorie des "groupes de contrats")? 39 G. Cornu, Le problème du cumul de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle, Et. de Droit contemporain. Trav. et rech. de l’Institut de droit comparé de l'Université de Paris. t. XXIII, 239 s. ; G. Durry, op. cit., n° 183 s.

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ainsi que, dans la vente, on rattachera longtemps l'obligation de sécurité à la garantie des vices - le défaut de sécurité étant lui-même compris comme un défaut de la chose ; pour échapper au bref délai de l'action en garantie (art. 1648), on en viendra – bien tard –à détacher l'obligation de sécurité de la garantie pour en faire une "obligation autonome", soumise à la "responsabilité contractuelle de droit commun"40. Mais, la victime ayant ainsi gagné du côté de la prescription, elle a peut-être perdu d'un autre côté: cette obligation de sécurité "autonome" est-elle "de résultat" ou "de moyens"? C'est qu'en effet, en élargissant la liste des contrats qui incluent une obligation de sécurité, la jurisprudence en a naturellement diversifié le régime: car si l'obligation de sécurité est "contractuelle", elle subit nécessairement l'emprise de l'économie générale de la convention. Obligation de "résultat" à l'origine, l'obligation de sécurité est devenue de plus en plus fréquemment une simple obligation de "moyens"41. Du coup, l’avantage que procurait à la victime la reconnaissance d’une obligation contractuelle disparaît : il faut prouver une "faute". Comme, dans le même temps, la jurisprudence a inventé une responsabilité délictuelle sans faute lorsqu’il y a "fait d’une chose", voici que l’avantage peut devenir désavantage. Parce qu'il est contractuellement créancier de sécurité, le contractant victime d'un dommage causé par le fait d'une chose devra prouver une faute qu’il serait dispensé d'établir s'il n'était pas créancier de sécurité ! Paradoxe insoutenable, qu'on n'évite qu'en inventant une "responsabilité contractuelle du fait des choses": ce que vient de faire un arrêt récent42. Inversement, pour donner au tiers victime du défaut d'un produit la même protection que celle que l'on donne à l'acquéreur créancier d'une obligation de sécurité-résultat, on dira que l'obligation (contractuelle) de sécurité née de la vente a effet à l'égard des tiers!43 On voit bien à quoi tend ce déploiement d'artifices toujours plus complexes: reconstituer l'unité des "faits générateurs" de responsabilité perdue par suite de l'invention d'une responsabilité contractuelle ayant la même fonction de réparation que la responsabilité délictuelle.

Encore n'aura-t-on pas tout résolu en alignant ainsi "les faits générateurs" des deux responsabilités. Quels artifices permettront de gommer les autres différences : étendue de la réparation, régime des clauses d’exonération, prescription, compétence, conflits de lois, droit transitoire, etc...? La jurisprudence a encore du chemin à faire pour reconstituer complètement l'unité souhaitable de l’obligation de sécurité44 . Aussi de bons esprits, irrités de ces complexités (et de ces injustices), proposent un remède radical: que le législateur, qui peut tout faire, nous fabrique des "responsabilités légales" qu’il ne faudrait pas "chercher à faire entrer à tous prix... dans les deux catégories "contractuelle" et "délictuelle"... pour respecter une simple classification abstraite et théorique"45 . Pour reconstituer l'unité de la responsabilité, perdue par l'invention de la "responsabilité contractuelle", il faudrait donc abandonner la distinction du contrat et du délit. Il serait infiniment plus simple de rendre au délit sa compétence naturelle en "décontractualisant" l'obligation de sécurité46.

On ne gagnera rien à un brouillage définitif des sources d’obligations. Reconnaissons

au contraire que la "responsabilité contractuelle" n'a aucune fonction de réparation (spécialement pas de réparation du préjudice corporel47) et rétablissons-la dans sa seule vraie fonction, l'exécution forcée du contrat. Si le contrat est ramené à ce qu'il est vraiment - la

40 Cass. civ. lère, 11 juin 1991, Bull. civ. I. 201. Rev. trim. dr. civ. 1992. 114 obs. P. Jourdain; Contrats, concurrence, consommation 1991.219, obs. L. Leveneur. 41 Ph. Malaurie et L. Aynès, op. cit. n° 827. 42 Cass. civ. 1re, 17 janv. 1995, D. 1995. 350, note crit. P. Jourdain ; JCP 1995.1.3853, obs. approb. G. Viney. 43 Cass. civ. 1re, 17 janv. 1995, cit supra. 44 Y. Lambert-Faivre, Fondement et régime de l'obligation de sécurité, D. 1994. Chr. 81. 45 G. Viney, op. cit. n° 245. 46 P. Jourdain, note préc. 47 Ph. Malaurie et L. Aynès, n° 813.

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promesse (ou l'attente légitime) d'un avantage -, la responsabilité pourra demeurer ce qu'elle est - la réparation des dommages injustement causés à autrui. La réparation d'un côté, le paiement de l'autre: on ne défend pas ici des "catégories abstraites", mais le sens commun et la simplicité48 - on n'ose pas dire le droit naturel. Sans attendre l'hypothétique recodification du droit de la responsabilité, on pourrait du moins abandonner ce faux concept de "responsabilité contractuelle". RTD Civ. 1997 p. 323 La « responsabilité contractuelle » : histoire d'un faux concept Philippe Rémy, Professeur à la Faculté de droit de Poitiers L'essentiel L'invention d'une « responsabilité contractuelle » taillée sur le modèle de la responsabilité délictuelle est récente : le code envisage en effet les dommages et intérêts dus en cas d'inexécution du contrat comme un mode de paiement forcé de l'obligation (l'effet de l'engagement contracté), non comme la réparation d'un dommage injustement causé(la sanction d'un délit). Le glissement d'un concept à l'autre ne s'opère qu'à la fin du XIXe siècle. Ses conséquences sont considérables : d'un côté, les schémas de la responsabilité délictuelle ont envahi et déformé le régime du contrat ; de l'autre, l'utilisation de la « responsabilité contractuelle » pour réparer des dommages extra-contractuels (comme les dommages causés à la personne d'un cocontractant) perturbe et complique notre système de responsabilité civile. Une doctrine importante propose d'unifier les responsabilités contractuelle et délictuelle, ou de multiplier les cas de « responsabilités légales » qui « transcenderaient » la distinction des deux ordres de responsabilité, ou d'abolir le principe de non-cumul. Toutes ces propositions, qui achèveraient d'effacer la distinction du contrat et du délit civil, me semblent contestables. Plutôt que cette fuite en avant, je suggère simplement de revenir au concept originel d'une « responsabilité contractuelle » ayant une pure fonction d'exécution forcée du contrat. Cette brève histoire d'un faux concept a pour ambition ,sans doute excessive, de contribuer à ce retour (à ce retournement). 1. Depuis un siècle environ, l'habitude s'est prise de traiter l'inexécution du contrat comme un cas de responsabilité civile - une « responsabilité contractuelle », certes distincte de la responsabilité délictuelle, mais construite à son image. Exprimant cette idée moderne de la « responsabilité contractuelle », le doyen Carbonnier écrit ainsi que « le débiteur a l'obligation de réparer le dommage causé au créancier par l'inexécution (fautive) du contrat, comme tout homme, en général, est tenu de réparer le dommage causé à autrui par sa faute (art. 1382-1383) » (1). Ce concept d'une « responsabilité contractuelle » ayant une fonction de réparation des dommages injustement causés s'oppose absolument à la doctrine du code, selon laquelle les dommages et intérêts dus en cas d'inexécution du contrat sont un effet des obligations contractées et remplissent donc une fonction d'exécution par équivalent(2). La doctrine classique me paraît plus exacte, à beaucoup d'égards, que la doctrine moderne. M. Huet, dans une thèse remarquable (3), soutient que la responsabilité contractuelle combine aujourd'hui ces deux fonctions ; cette opinion décrit certes assez exactement le droit positif et, dans une certaine mesure, permettrait de réordonner la distinction de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle ; mais la fin poursuivie par cet auteur - « soumettre les situations qui sont semblables en fait à des règles juridiques identiques » - serait plus sûrement atteinte si la fonction de réparation était uniformément assurée par la responsabilité délictuelle, la « responsabilité contractuelle » revenant à sa fonction simple de paiement forcé. En vérité, ce retour à la doctrine classique de l'inexécution du contrat permettrait, non de confirmer la distinction des deux « ordres » de responsabilité, mais de l'abolir, en débarrassant le contrat de fonctions qui ne sont pas les siennes et en redonnant par conséquent à la responsabilité délictuelle compétence exclusive pour la réparation des dommages injustement causés - spécialement pour les dommages causés à la personne. Les avantages d'une telle remise en ordre seraient considérables. M. Tallon a montré comment le concept contemporain de « responsabilité contractuelle » empêchait de bâtir une présentation cohérente des remèdes offerts au créancier en cas d'inexécution du contrat (4). De leur côté, MM le Tourneau et Cadiet, dans leur récent traité de la responsabilité, mettent clairement en relief les difficultés résultant de l'intrusion, dans le régime de la défaillance contractuelle, de schémas empruntés, plus ou moins consciemment, à la responsabilité délictuelle (5). Partageant beaucoup de ces critiques (6), nous nous attacherons à décrire ici comment s'est opéré ce changement de concept (I), quelles conséquences en ont résulté (II) et quel avenir il pourrait avoir (III) (7). I. - NAISSANCE DE LA RESPONSABILITE CONTRACTUELLE 2. Ce que nous appelons aujourd'hui « responsabilité contractuelle » est réglé, au titre III du code civil (Des contrats ou des obligations conventionnelles en général), dans un chapitre III intitulé De l'effet des obligations. En tête du chapitre, le célèbre article 1134 ; puis viennent le effets de l'obligation de donner (S.II, art. 1136 et s.) et ceux de l'obligation de faire ou de ne pas faire (S.III, art. 1142 et s.) ; enfin la section IV traite des dommages et intérêts résultant de l'inexécution de l'obligation (art. 1146 et s.). A la suite de Pothier, le code a donc traité le droit du créancier à des dommages et intérêts en cas d'inexécution du contrat comme un effet de l'obligation contractée ; on serait même tenté de dire que les dommages et intérêts sont la forme que prend ordinairement l'obligation contractuelle, lorsque le créancier recourt à la contrainte, faute de pouvoir réclamer (ou obtenir) l'exécution en nature (8). Ainsi, l'effet de l'obligation de faire ou de ne pas faire est de « se résoudre » (se payer) en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur (art. 1142), sauf les cas où la loi autorise l'exécution forcée en nature (art. 1143 et 1144). Ainsi encore, l'article 1147 dispose que le débiteur est condamné à

48 T. Weir, Int. enc. of. comp. law, vol. XI, ch. 12, Complex liabilities, n° 4.

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des dommages et intérêts « à raison de l'inexécution » et non à raison du dommage causé au créancier par sa faute. Enfin, la fonction d'exécution forcée des dommages et intérêts résulte clairement de l'article 1150 : sauf en cas de dol, le débiteur est tenu, non de rétablir le créancier en l'état où il se trouverait si un dommage ne lui avait pas été injustement causé, mais de lui procurer l'équivalent de l'avantage qu'il attendait (ou pouvait légitimement attendre) du contrat. Tout, dans ce régime des dommages et intérêts, est donc étranger à l'idée d'une vraie « responsabilité contractuelle », taillée sur le modèle de la responsabilité délictuelle, et partageant avec elle une fonction de réparation. 3. Le plan général du code interdit d'ailleurs toute confusion entre les dommages et intérêts des articles 1146 et suivants et la dette de responsabilité : l'obligation de réparer le dommage injustement causé à autrui est une variété d'« engagement formé sans convention » (L.III, Tit.4) réglée, à deux cent cinquante articles de distance des « obligations conventionnelles en général », au chapitre des délits et quasi-délits. Ce plan traduit simplement la distinction fondamentale des sources ou « causes » d'obligations (comme disait Pothier) (9). Selon le code, comme selon Pothier, la summa divisio des causes d'obligations oppose seulement les conventions aux « autres causes », parmi lesquelles les délits et quasi-délits. Il ne s'agit donc pas là de la distinction des deux responsabilités à laquelle la systématique moderne nous a habitués ; plus radicale, la thèse classique est que l'inexécution du contrat n'est pas la cause d'une obligation nouvelle ; c'est le contrat lui-même qui est la cause de la dette de dommages et intérêts, au cas d'inexécution. C'est pourquoi, comme le disait Eugène Gaudemet

(10), il y a une opposition irréductible entre le cas où un lien d'obligation préexiste à la dette de dommages et intérêts et le cas des articles 1382 et suivants, où il n'y a pas d'obligation préexistante résultant d'un lien de droit déterminé. Or la doctrine moderne, même lorsqu'elle tient à la distinction des deux ordres, présente l'inexécution du contrat comme un fait générateur de responsabilité - donc comme la source d'une obligation nouvelle, distincte de l'obligation contractuelle primitive (11), et dont elle serait le « prolongement » ou le « remplacement ». Ce qui suppose que l'inexécution de l'obligation a, à la fois, un effet extinctif de la dette primitive et un effet créateur de la dette de dommages-intérêts. Dans la doctrine du code au contraire, l'inexécution (ou la mauvaise exécution) n'opère pas cette espèce de novation de la dette contractée en dette de réparation : l'obligation inexécutée n'est pas éteinte par le seul fait de l'inexécution ; c'est précisément l'exécution par équivalent que réclame le créancier lorsqu'il prétend à des dommages et intérêts (12) et le débiteur qui prétend échapper aux dommages et intérêts doit prouver« le fait qui le libère », c'est-à-dire l'extinction de son obligation (art. 1147, 1148, 1245, 1246, 1302, 1315 c. civ.). Certes, la satisfaction du créancier ne sera obtenue qu'en argent, comme est procurée en argent, en général, la réparation des dommages injustement causés ; mais c'est simplement parce que l'argent est bon à tout : exécuter le contrat comme réparer un dommage, ou restituer un enrichissement injuste - toute obligation, quelle que soit sa cause, doit être liquidée en vue de l'exécution, lorsque celle-ci ne se fait pas in specie. Mais ce mode d'exécution de l'obligation n'en modifie pas la nature parce qu'il ne modifie pas sa cause - qui reste le contrat. D'une cause d'obligation à l'autre, la théorie classique des sources n'admet ni contamination, ni confusion, ni métamorphose : l'inexécution du contrat n'est pas une variété de délit civil et l'exécution forcée du contrat ne se ramène donc pas à la réparation d'un dommage injustement causé. Les dommages et intérêts dus en cas d'inexécution sont un « remède » offert au créancier (comme disent les Anglais), non une nouvelle obligation du débiteur (13). Si l'on ne trouve pas trace de « responsabilité contractuelle » dans les textes relatifs aux dommages et intérêts, c'est bien parce qu'un tel concept ne peut entrer dans le système classique des sources d'obligations. Les dommages et intérêts ne constituent d'ailleurs pas le seul remède à l'inexécution, comme le suggèrerait l'idée de réparation, ni même le remède principal : l'action en dommages et intérêts s'articule, en droit commun des contrats, avec l'exécution forcée en nature (art. 1143 et 1144), l'exception d'inexécution, la résolution (art. 1184), et le cas échéant la réfaction du contrat, qu'on ne saurait ramener à des modes de réparation d'un dommage. 4. Que le code ne traite pas l'inexécution du contrat comme un cas de responsabilité, c'est ce qui ressort enfin de la réglementation des contrats spéciaux (L.III, T.VI et s.). D'abord parce que, lorsque le contrat porte sur le transfert d'un droit ou la fourniture d'une chose (vente, louage de choses) les principales actions ouvertes au créancier sont les actions en garantie, qui n'ont aucun trait commun avec l'action en responsabilité. La doctrine moderne s'efforce certes de définir la garantie en termes de responsabilité, comme « l'obligation incombant à une personne d'indemniser une autre d'un dommage qui, de son point de vue, a une cause fortuite » ; mais c'est pour y voir aussitôt une obligation « dérogatoire au droit commun » - entendez le droit commun de la « responsabilité contractuelle », comprise comme la « sanction des fautes » du débiteur. Il faut alors donner à ces garanties légales des justifications plus ou moins artificielles (14). Dans une vue classique des contrats spéciaux, ces garanties (qui sentent encore très fort le Digeste, L.21, T.1 et 2) sont au contraire l'effet normal de ce type de contrat : rien d'étonnant à ce que l'obligation de livrer la chose (praestare rem, id est tradere) emporte, sauf convention contraire, la garantie que l'acheteur ne souffrira pas d'éviction et qu'il « aura utilement la chose », comme disait Pothier (15). Il n'y a, dans cet effet typique de certains contrats aucune « dérogation au droit commun » - on ne voit pas pourquoi les effets principaux des contrats les plus usuels seraient ainsi qualifiés. Si particularisme il y a, il consiste bien plutôt en ce que les actions en garantie ne comportent en général pas de droit à dommages et intérêts, mais seulement des restitutions (c'est encore un souvenir du Droit romain : art. 1630 et s., 1644 et 1646) (16). Ni l'action rédhibitoire ni l'action quanti minoris ne ressemblent à des actions en responsabilité. Il y a plus. Les diverses actions en dommages et intérêts, telles que les règle le code à propos de chaque contrat, obéissent elles aussi en effet à un principe de typicité qui empêche qu'on les confonde avec l'action atypique en responsabilité pour les dommages injustement causés. Il y a dans le code des actions contractuelles nommées, comme il y a (parce qu'il y a) des contrats nommés. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les civilistes, encore élevés au lait des Institutes et du Digeste, donnent fréquemment à ces actions contractuelles spéciales leurs noms romains : actions « empti » et « venditi » pour les actions nées de la vente, actions « locati » et « conducti » pour les actions nées du louage de choses, actions « mandati directa » et « mandati contraria » pour les actions relatives au mandat, etc. Le lecteur des titres VI et suivants du livre III constatera que ces actions participent de l'économie propre à chaque contrat et se rattachent même, dans chaque contrat, à un cas particulier d'inexécution d'une obligation déterminée. Le code énonce ainsi, contrat-type après contrat-type, les cas dans lesquels les dommages et intérêts sont dus par le débiteur de

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telle ou telle obligation, ceux dans lesquels il en est exonéré, et même, à l'occasion, la façon de les mesurer. Des textes disent, bien sûr, que le débiteur « répond » ou « est responsable » de telle perte, ou de tel fait, ou de telle défaillance ; mais ce vocabulaire, employé comme le faisait Pothier, n'évoque la « responsabilité » que pour un esprit contemporain ; d'autres textes disent d'ailleurs bien mieux que tel contractant est (ou n'est pas) « chargé » de tel ou tel cas (fortuit ou non), ou qu'il « supporte » telle perte ou qu'il est « tenu » des dommages et intérêts dans tel événement : dans ces textes-là, le code détermine, non la « responsabilité » du débiteur, mais l'étendue des obligations contractées par lui. La typicité des actions contractuelles, dans le code, traduit donc simplement la diversité concrète des obligations contractuelles : rien de plus normal, dès lors que les actions contractuelles en dommages et intérêts ne tendent en vérité qu'à procurer au créancier l'équivalent des avantages escomptés du contrat. On ne saurait faire entrer ces actions contractuelles typiques dans un schéma de « responsabilité » : dans le système du code, la « responsabilité contractuelle » n'existe pas encore. 5. Jusque vers 1870, on n'utilise d'ailleurs guère cette expression (17). Le traité de Sourdat, premier ancêtre de tous les traités de responsabilité, annonce dans son titre même qu'il ne traitera que de « l'action en dommages-intérêts en dehors des contrats » (18) ; la responsabilité, en cet âge classique, est encore en-dehors des contrats. De même, la Jurisprudence générale Dalloz traite des dommages et intérêts dus en cas d'inexécution du contrat au mot « Obligations » (19) et ne traite, au mot « Responsabilité », que de la responsabilité délictuelle, en se contentant d'observer sobrement, et comme une évidence, qu'« on n'a pas à s'occuper ici de ce qui a trait à l'inexécution des conventions » (20) - la responsabilité ne naît que du délit. La frontière du contrat et du délit est aussi la frontière du contrat et de la responsabilité. 6. L'invention de la « responsabilité contractuelle », sous sa figure actuelle, constitue donc une mutation fondamentale de notre droit des obligations. A ses origines, il y a certainement la notion antique et vague de « faute contractuelle » (A) ; mais le facteur déterminant dans la fabrication du nouveau concept a été, me semble-t-il, la querelle des années 1880-1900 sur l'admission de cas de responsabilité sans faute : Planiol est alors celui par qui la « responsabilité contractuelle » advient véritablement (B). 7. A. - La « faute contractuelle » est bien antérieure à la « responsabilité contractuelle ». Son histoire est longue et embrouillée. La mémoire du droit des contrats remonte ici encore au droit romain de l'époque classique, à l'époque où le praestare culpam chasse le praestare custodiam dans les contrats de bonne foi, puis au droit romano-byzantin, qui systématise la gradation des fautes (21) selon le critère de l'utilitas contrahentium. Ce mouvement est repris par le droit romain médiéval (22) et ne se perdra plus jusqu'à la fin de l'Ancien Régime : d'Accurse et Alciat à Pothier (23), on suit le fil de la « prestation des fautes » et les infinies subtilités de son critère à trois branches. On sait que cette très antique doctrine a été critiquée pour sa complexité par Doneau, Thomasius et Lebrun (24), qui prétendent restituer ici la « pureté » du « vrai » Droit romain (ce que fera à nouveau Hasse au début du XIXe siècle) (25). La « prestation des fautes » est enfin abandonnée par les rédacteurs du code, pour un excellent motif : « la division des fautes est plus ingénieuse qu'utile dans la pratique : il n'en faut pas moins sur chaque faute vérifier si l'obligation du débiteur est plus ou moins stricte, quel est l'intérêt des parties, comment elles ont entendu s'obliger, quelles sont les circonstances... elle ne peut que répandre une fausse lueur et devenir la matière de contestations plus nombreuses. L'équité elle-même répugne à ces idées subtiles » (26). Ce refus de la prestation des fautes (des trois fautes) est en toutes lettres à l'article 1137 alinéa premier : les « soins du bon père de famille » serviront de standard général pour déterminer l'étendue de l'obligation de conserver la chose d'autrui ; de même que le débiteur d'une chose déterminée quant à son espèce seulement se libère (sauf convention particulière) en la fournissant de qualité moyenne (art. 1246), de même le débiteur de l'obligation de conserver la chose d'autrui se libère en général en fournissant des soins de qualité moyenne. Mais naturellement, cette obligation est « plus ou moins étendue relativement à certains contrats dont les effets, à cet égard, sont expliqués sous les titres qui les concernent » (art. 1137 al. 2). La fausse question des degrés de la faute est ainsi remplacée par la vraie question : celle de l'étendue des obligations contractées, qui suppose toujours l'analyse du contenu du contrat - car la question que soulève la « responsabilité contractuelle » est toujours (et seulement) de savoir si le débiteur a exécuté le contrat. 8. Pourtant, comme le montre un très intéressant article de M. Desrayaud récemment paru dans cette Revue (27), l'article 1137, rapproché des articles 1382 et 1383, offrait en 1804 une nouvelle tentation à une doctrine imprégnée de jusnaturalisme

(28) et volontiers moralisante : s'il n'y a plus, en matière contractuelle, qu'une seule « faute », il est tentant de comprendre cette unique « faute contractuelle » comme une simple espèce de la faute civile que sanctionnent les articles 1382 et 1383 - ces « principes de droit naturel », fondés « sur ce précepte sublime de la morale divine, ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'on te fasse à toi-même » (29). L'idée d'une « responsabilité civile » unique, sanctionnant les mêmes fautes de comportement dans les rapports contractuels et « extra-contractuels », se trouve évidemment en germe dans une telle théorie de la « faute contractuelle » que l'on trouve chez Toullier (30). Faut-il chercher encore plus haut les racines de l'unité des fautes, et notamment chez Domat, comme on le fait parfois ? Il est vrai qu'après avoir posé un principe général de responsabilité pour faute, Domat en donne pour exemple « le défaut de s'acquitter d'un engagement », qui « est aussi une faute qui peut donner occasion à des dommages et intérêts dont on sera tenu » (31). Mais chez Domat, cette allusion reste isolée ; selon un système qui annonce celui de Pothier, Domat traite des dommages et intérêts à propos des conventions et les analyse explicitement comme « un effet des engagements », indépendamment de toute idée de responsabilité ou de faute

(32). Il est donc abusif de faire de Domat l'inventeur du concept moderne de « responsabilité contractuelle » (33) ; mais on pressent à le lire que la généralité de la responsabilité pour faute pousse instinctivement au rapprochement de la « faute contractuelle » et de la faute délictuelle, et par conséquent à l'idée que l'inexécution du contrat est un cas de responsabilité.

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9. L'opposition absolue de la « faute contractuelle » et de la « faute délictuelle » est pourtant encore un leitmotiv doctrinal des années 1850-1870 (34). Il est alors couramment enseigné que la « faute contractuelle », à la différence de la faute délictuelle, est présumée et que le débiteur, pour s'exonérer, doit prouver la cause étrangère, le cas fortuit ou la force majeure ; on harmonise ainsi, sans les états d'âme ultérieurs, les articles 1137 et 1147. On respecte aussi le droit commun du paiement : le créancier ayant prouvé sa créance (art. 1315, al. 1), c'est au débiteur qui se prétend libéré de justifier le fait qui a produit l'extinction de son obligation (art. 1315, al. 2). On dit donc que la « faute contractuelle » cesse là seulement où commence le cas fortuit, et l'on ne trouve pas de difficulté à lire, à l'article 1302, que l'obligation est éteinte si la chose due a péri sans la faute du débiteur (al. 1), mais que celui-ci doit prouver le cas fortuit qu'il allègue (al. 3). Les difficultés de lecture de ces textes ne commenceront que lorsque l'inexécution du contrat sera comprise comme un vrai cas de responsabilité : la « faute contractuelle », perçue alors comme le fait générateur d'une obligation nouvelle de réparation, deviendra le « fait personnel » du débiteur ; la présomption d'une « faute » du débiteur paraîtra alors évidemment contraire au droit commun de la responsabilité ; à supposer qu'il y ait présomption de faute, on trouvera illogique qu'elle ne puisse être renversée que par la preuve du cas fortuit. Ce renversement moderne de perspective - ce contresens sur la « faute contractuelle » - s'opèrera lorsque Planiol défendra « l'unité de la faute » : c'est seulement dans le dernier quart du XIXe siècle, et pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la théorie générale du contrat, que l'on verra naître, dans un même mouvement, « l'unité de la faute » et le concept moderne de « responsabilité contractuelle ». 10. B. - Les années 1880-1900 constituent à bien des égards une époque cruciale de notre histoire doctrinale. Outre les turbulences politiques (qui ont dû compter), plusieurs mouvements s'y combinent, qui entrent en résonance. En premier lieu, le code a vieilli, et trois générations de commentateurs en ont tiré toute la substance ; beaucoup disent qu'il faut aller « au-delà du code » ; la préparation et la promulgation du BGB montrent d'ailleurs les progrès qu'on peut espérer d'un renouvellement de la « science juridique » more germanico. En second lieu, les accidents industriels (avant les accidents de la circulation) font craquer les principes classiques de la responsabilité ; il entre d'ailleurs, dans cette question, beaucoup plus que de la froide technique juridique : les accidents du travail sont en effet un aspect de la « question ouvrière » ou de la « question sociale » (35). Enfin l'époque est à la création prétorienne - c'est le moment des « grands arrêts » (et des grands arrêtistes). Ces trois crises - crise du code, crise de la responsabilité, crise des sources et des méthodes - bouillonnent ensemble. C'est de là que sortira la figure moderne de la « responsabilité contractuelle ». 11. Le facteur décisif est, me semble-t-il, l'absolue généralité des articles 1382-1383 (36), au moment où se pose la question des accidents du travail. En forgeant un délit civil unique, sur l'unique fondement de la faute, au lieu d'un système de délits spéciaux, le code et plus encore ses commentateurs n'ont en effet laissé que deux voies à la responsabilité sans faute prouvée du patron à l'égard de l'ouvrier victime d'un accident du travail : ou changer le principe même de la responsabilité délictuelle - c'est ce que propose Saleilles, avec la théorie du risque - ou transporter la réparation du terrain du délit au terrain du contrat - c'est ce que propose le belge Sainctelette, avec la théorie de la « garantie » (37). On sait que la chambre civile préfèrera en 1896 la voie délictuelle à la voie contractuelle, en inventant la responsabilité du fait des choses (38) avant que la loi du 9 avril 1898 ne vienne régler la question des accidents du travail. Mais cette loi ne vide pas la querelle, qui conserve un aliment avec les accidents de transport (39). Dans le même chaudron où mijote la responsabilité du fait des choses (en attendant les accidents d'automobile), la question de la « garantie » contractuelle chauffe ainsi jusqu'à la Grande guerre. L'un de ses protagonistes les plus marquants est Planiol ; c'est à lui qu'on peut imputer l'invention de la responsabilité contractuelle de l'âge moderne. 12. Comme on sait, l'objectif de Planiol est de « sauver la faute » (40). Pour cela, il lui faut défendre sur le double front ouvert d'un côté par Saleilles et de l'autre par Sainctelette : repousser à la fois la théorie du risque en matière de délits et celle de la garantie en matière de contrats. Sur ce second point, on pouvait se contenter de dire qu'il était artificiel de faire entrer dans le contrat une obligation que l'une des parties n'avait certainement pas entendu assumer (41) et plus encore de transformer en obligation contractuelle le devoir général de ne pas nuire à la personne d'autrui. Mais la défense de la faute conduit la démonstration de Planiol sur une tout autre voie. Traitant de l'obligation du patron d'assurer la sécurité de l'ouvrier, Planiol commence certes par dire que cette obligation « ne peut avoir une origine conventionnelle, parce que c'est la loi elle-même qui la crée, et que, lorsqu'une obligation est légale, elle ne devient pas contractuelle par cela seul que des particuliers l'expriment dans leur convention... En effet, cette obligation n'est pas autre chose que le devoir de ne pas compromettre la vie d'autrui par négligence. Ce n'est pas le contrat qui oblige le patron à prendre des précautions pour ne pas tuer des passants ; le contrat n'a donc pas besoin de créer cette obligation au profit des ouvriers » (42). Cet argument aurait suffi à convaincre que la réparation des dommages corporels n'appartient pas au contrat. Mais l'objectif de Planiol n'est point de défendre le régime du contrat, mais la nécessité de prouver la faute du patron ; aussi ajoute-t-il que « la controverse sur la nature délictuelle ou contractuelle de l'obligation... ne conduit nullement à trancher la question du fardeau de la preuve »

(43). Contre « l'opinion commune » (à la fin du XIXe siècle) selon laquelle la « faute contractuelle » serait présumée, Planiol soutient alors que « la différence que l'on prétend établir entre les deux espèces de fautes manque entièrement de base ; ce n'est qu'une sorte d'illusion résultant d'un examen superficiel : l'une et l'autre faute créent également une obligation, celle de réparer par une indemnité le dommage causé ; l'une et l'autre supposent également l'existence d'une obligation antérieure ; l'une et l'autre consistent également en un fait qui est la violation de cette obligation... traiter d'une manière différente deux débiteurs qu'on peut supposer tenus d'obligations semblables par leur objet, l'un en vertu de la loi, l'autre en vertu d'une convention... serait un caprice sans motifs, une absurdité législative » (44). C'est parce qu'en général les obligations « légales » ont pour objet une abstention alors que, le plus souvent, les obligations contractuelles sont « positives » qu'on a « l'illusion » d'une différence dans le régime de la preuve des « deux fautes ». Au vrai, il y a « unité de la faute »

(45). D'où la construction, dans le Traité élémentaire, d'une « notion générale de la faute », dans un titre « des obligations non contractuelles » qui embrassera « indifféremment » la violation des obligations légales et des obligations

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conventionnelles (46) : « point très important », mais « qui est presque universellement mal compris » (47). Ce que l'on comprend mal, en effet, lorsqu'on se tient aux catégories classiques, ce sont les mystérieuses « obligations légales préexistantes ». Esprit limpide, Planiol explique : on se fait « facilement une idée sommaire » des obligations conventionnelles, parce que les types des principaux contrats « sont fixés depuis longtemps » ; s'il n'en va pas de même pour les « obligations légales », c'est parce que l'article 1382, texte purement sanctionnateur (« l'équivalent de ce qu'est l'article 1142 pour les obligations conventionnelles »), ne dit pas « quand l'auteur du dommage est en faute ». Il faut « dresser le tableau des obligations légales dont l'article 1382 est la garantie, mais ce travail n'a jamais été entrepris ». Voici donc ce tableau des obligations légales : « 1°) s'abstenir de toute violence envers les choses ou envers les personnes ; 2°) s'abstenir de toute fraude, c'est-à-dire de tout acte irrégulier et trompeur destiné à léser autrui ; 3°) s'abstenir de tout acte qui exige une certaine force ou une certaine habileté que l'on ne possède pas au degré voulu ; 4°) exercer une surveillance suffisante sur les choses dangereuses qu'on possède ou sur les personnes dont a la garde (enfants, fous, etc.) » (48). On trouvera, à la Revue critique de 1905 (49), un autre catalogue - cherché « dans la jurisprudence, ce grand recueil de l'expérience humaine, ce livre toujours ouvert » - des fautes « contre l'honnêteté, contre l'habileté, contre la légalité » : fautes du séducteur, du pâtissier, du conservateur des hypothèques, du chef de gare, du patron d'établissement insalubre, tableau baroque et chatoyant où se mêlent évidemment les « fautes contractuelles » et délictuelles. Le même article fournit explicitement le présupposé de cette doctrine des fautes : « il faut sous entendre, dans la constitution de toute société humaine, une double règle légale qu'on pourrait formuler ainsi : « défense d'être malhonnête, défense d'être maladroit » ». Ces deux défenses ne sont elles-mêmes que la traduction d'un neminem laedere fondamental. De telles « obligations légales » sont évidemment bien loin des exemples modestes d'obligations légales fournis par l'article 1370 - obligations entre propriétaires voisins ou obligations des tuteurs qui ne peuvent refuser la fonction qui leur est déférée. A la vérité, le système de Planiol joue sur l'ambiguïté sémantique de « l'obligation » que le langage courant, mais non le langage juridique - confond avec le « devoir »

(50). Ainsi naît ce qu'on pourrait appeler la pantimétique : à supposer « toute société humaine » constituée sur ces devoirs généraux transformés en « obligations légales », l'essence unique du Droit devient la sanction des fautes et tout y est réparation des torts (le neminem laedere chasse le suum cuique tribuere) (51) ; la responsabilité pénètre partout - spécialement dans le contrat. 13. Il faut relier cela à la doctrine des sources d'obligations que Planiol, à la même époque, élabore dans un célèbre article de la Revue critique (52). On sait que, pour Planiol, toutes les obligations dérivent de deux sources seulement : le contrat et la loi - qui embrasse les délits, quasi-délits, quasi-contrats et obligations légales stricto sensu. A première vue, cette classification dualiste des sources d'obligations se raccorde mal à la doctrine de l'unité de la responsabilité (53) ; mais, à y mieux regarder, on perçoit leur parfaite cohérence. La classification de Planiol efface en effet l'antithèse classique du contrat et des engagements formés sans convention pour lui substituer l'antithèse de deux « volontés créatrices » - Planiol le dit ainsi : la volonté des parties et la volonté du législateur. Ces deux volontés sont les sources primaires des obligations ; mais la « contravention » à ces obligations primordiales a pour effet de les transformer toutes en une nouvelle obligation de réparation, sous forme de dommages et intérêts. Délit et quasi délit (mais aussi quasi-contrat) que, dans la « nomenclature classique », on aperçoit comme des sources primaires d'obligations, ne sont en vérité que des sources secondes, ou dérivées

(54), « la transformation en argent d'une obligation légale primordiale, par l'effet d'une contravention ou inexécution » (55). Homothétiquement, le contrat est donc vu lui aussi comme une source d'obligations « primordiales » qui se

transformeront en une obligation nouvelle de dommages-intérêts par l'effet d'une « contravention ». Quelle que soit la source des obligations « primaires », il n'y a ainsi qu'une « faute civile » donnant naissance dans tous le cas à une nouvelle et même obligation, celle de réparer le dommage causé. C'est donc bien la dualité des sources d'obligations, comme la voit Planiol, qui commande au fond l'unité de la responsabilité. On reste étonné d'une telle construction, chez un auteur qui met si fort en garde ses lecteurs contre le mos geometricus dans la matière des obligations (56). Il n'est pas impossible que Planiol ait puisé une part de son inspiration dans les travaux préparatoires du code civil allemand : il a en tout cas lu Jhering sur la faute

(57), et loue le BGB d'en avoir donné une définition plus complète que celle du code (58) ; de même, son parti de traiter des dommages-intérêts non avec les contrats (comme le fait le code français), mais comme une partie de la théorie générale des obligations « considérées en elles-mêmes », est aussi un emprunt à la méthode du BGB (59), dont Saleilles avait fait connaître les travaux préparatoires. 14. A la différence du monisme extrême [celui de Grandmoulin (60) et de Lefebvre (61)] selon lequel l'inexécution du contrat est un délit, la thèse de Planiol n'efface pas l'opposition de la loi et du contrat ; mais elle la déplace considérablement : la loi qui jusque là n'était qu'une modeste source immédiate d'obligations (celles du tuteur, celles des voisins) est prise ici à la fois comme source immédiate d'une foule innombrable d'obligations « primordiales » et comme source médiate de toutes les obligations « dérivées » , puisqu'elle impose de réparer les contraventions à toutes les obligations, quelle qu'en soit la source primaire. Planiol discute habilement les « mauvais arguments » de Lefebvre et de Grandmoulin (62), dont les thèses assimilent le contrat à une loi ou inversement la loi à une espèce de contrat pour en tirer le principe d'une responsabilité unique ; ces arguments, dit Planiol, sont inutiles, dès lors que « la nature de l'obligation violée reste sans influence sur la faute » (63). 15. On voit quelles séductions la doctrine de Planiol a pu exercer : l'opposition de la loi et du contrat comme « volontés » antithétiques satisfait à la fois le positivisme légaliste et la doctrine de l'autonomie de la volonté (c'est un mariage courant à la fin du XIXe) ; la dualité des obligations primaires, en dépit de l'équivoque du mot « obligations », est un trompe l'oeil assez esthétique ; enfin l'unité de la faute s'accorde merveilleusement au moralisme congénital de notre droit des obligations. Pourtant, presque tout en tombera ; la théorie des « obligations légales préexistantes » disparaîtra ; la responsabilité délictuelle admettra un très large secteur de responsabilité sans faute ; la « responsabilité contractuelle » sera utilisée, au

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moins dans ses commencements, comme un procédé dispensant la victime de faire la preuve d'une faute du débiteur. Mais il subsistera, de cet effort rhétorique, ce à quoi peut-être Planiol tenait le moins, au fond : l'espèce de métaphore selon laquelle, l'inexécution de contrat étant une « faute » de même nature que le délit, cette faute fait naître une obligation de réparer qui succède à l'obligation contractuelle inexécutée - la réparation évinçant ainsi l'exécution forcée. II. - LA « RESPONSABILITE CONTRACTUELLE » : SUITES 16. Dans la première moitié de notre siècle, la filiation doctrinale de Planiol est aisée à repérer, aussi bien chez les partisans de l'unité que chez ceux de la dualité de la responsabilité. Ainsi Esmein, qui assimile complètement les fondements des deux responsabilités, prolonge la thèse de Planiol en disant que, même dans la responsabilité contractuelle, la faute apparaît comme l'inexécution d'une obligation légale (puisque c'est la loi qui nous oblige à exécuter les engagements que nous avons assumés) (64) : la « faute » étant la même, la « sanction » doit être la même, sauf différences de détail à justifier dans chaque cas ; on est ici à la pointe de la doctrine pantimétique. La doctrine « dualiste » est simplement plus prudente : Henri et Léon Mazeaud (65) soutiennent qu'il n'y a pas de différence fondamentale entre les deux responsabilités (elles sont mêmement fondées sur la faute), mais seulement des différences « accessoires » tenant à la source (volontaire ou légale) des obligations violées. Une seule nature, mais des différences de régime plus ou moins justifiables selon qu'on est ou non volontariste : ce compromis flottant deviendra l'opinion majoritaire (66). La consolidation définitive du concept actuel de « responsabilité contractuelle » viendra de deux faits jurisprudentiels presque concomitants : l'irruption de l'obligation contractuelle de sécurité, puis le succès de la distinction des obligations de moyens et de résultat. D'une part, l'introduction de l'obligation de sécurité dans les contrats a définitivement ancré la « responsabilité contractuelle » dans sa fonction de réparation, où elle concurrence désormais la responsabilité délictuelle (A). D'autre part, la distinction des obligations de moyens et de résultat a organisé la coexistence de deux régimes de « responsabilité contractuelle », l'un fondé sur la faute prouvée, l'autre plus « objectif », ce qui accentue le parallèle avec les deux régimes typiques de la responsabilité délictuelle (B). Ainsi se verrouille, dans les années 1910-1930, le concept de « responsabilité contractuelle » : de l'espèce de métaphore élaborée par Planiol à des fins rhétoriques, on est passé à la confusion des fonctions puis à l'assimilation des régimes. 17. A. - Au tournant du siècle, la « responsabilité contractuelle » est, on l'a vu, une voie offerte au contractant victime d'un dommage corporel pour échapper à la nécessité de prouver la faute de l'auteur du dommage : on imagine donc de « forcer » le contrat pour y faire entrer une « garantie » de sécurité ; la victime invoquera l'inexécution du contrat plutôt que le délit et l'article 1147 la dispensera de prouver la faute du « débiteur de sécurité ». La contractualisation de ce type de dommage apparaît donc comme un procédé d'« objectivation » de la responsabilité, comme on dirait aujourd'hui. La concurrence que fait la « responsabilité contractuelle » à la responsabilité délictuelle répond ainsi, dans ses débuts, à un objectif clair de faveur à la victime. Tout s'embrouille - et très vite - quand d'un côté l'obligation contractuelle de sécurité voit son régime se diversifier, tandis que d'un autre côté l'invention de la responsabilité du fait des choses ouvre un très vaste champ de responsabilité délictuelle sans faute. De l'invention primitive de la « créance de sécurité » à la situation actuelle, la concurrence des voies contractuelle et délictuelle de la réparation a ainsi perdu toute cohérence. 18. Comme on sait, l'obligation de sécurité pénètre d'abord le contrat de transport. Cela est compréhensible : l'accident de transport est, avec l'accident du travail, l'autre grand type d'accident de la société « machiniste ». La doctrine de Sainctelette visait d'ailleurs explicitement à couvrir de la « garantie » contractuelle aussi bien les accidents de transport que les accidents du travail. Au surplus, en matière de transport, l'article 1782 fournissait le modèle d'une obligation accessoire de « conservation des choses qui... sont confiées » au voiturier, celui-ci étant tenu de la perte et des avaries, sauf à prouver le cas fortuit ou la force majeure (art. 1784). Il était tentant d'étendre cette obligation de conservation, a pari ou a fortiori, au transport de personnes. Pourtant, la jurisprudence de la fin du siècle refuse la voie contractuelle à la victime de l'accident de transport, comme elle l'avait refusée à l'ouvrier victime d'un accident du travail (67). Ses raisons sont fortes ; d'abord, l'article 1784 (comme l'article 103 c. com.) se rattache au dépôt nécessaire de corps certains (arg. art. 1782) et les personnes transportées ne sauraient être considérées comme des choses déposées entre les mains du transporteur ; on ne voit ensuite pas pourquoi on ferait entrer prétoriennement dans le contrat une obligation à laquelle l'une des parties au moins n'entendait sans doute pas s'astreindre ; enfin, accepter la voie contractuelle, c'est aussi admettre les exclusions et limitations conventionnelles de responsabilité. Le revirement des années 1911-1913 (68) est donc bien le signe que s'acclimate, en droit positif, l'idée que la « responsabilité contractuelle » et la responsabilité délictuelle partagent une même fonction, et ont une même « nature » (69). Le paradoxe est que ce qui est alors recherché, c'est l'avantage probatoire que confère à la victime le régime du contrat par rapport au régime du délit ; derrière l'identité des fonctions, c'est en même temps la dualité des régimes qui s'affirme. Ainsi se justifie politiquement le compromis auquel s'arrêtera la doctrine dominante : il y a bien une seule responsabilité, mais avec des différences « techniques » qu'on peut utiliser pour mieux protéger les victimes. 19. Le procédé est si commode qu'il gagne très rapidement, en jurisprudence, d'autres contrats que le transport. Vingt ans plus tard, Lalou (70) et Josserand (71) décrivent ce mouvement jurisprudentiel principalement alimenté, jusque dans les années 30, par des décisions de juges du fond. Josserand (c'est lui qui baptise, semble-t-il, l'obligation de sécurité) en donne une analyse fort intéressante ; il recense d'abord les « échecs » du procédé (dans le louage de services, le contrat d'enseignement, la responsabilité des notaires, des médecins et chirurgiens) avant de dénombrer les cas où « le concept contractuel a fait reculer devant lui et a vaincu le concept délictuel » (transports, hôtellerie, accidents locatifs) ; ce « forçage » du contrat - qu'il approuve pour d'autres obligations - lui paraît ici contestable : l'introduction de l'obligation de sécurité, faux « enrichissement du concept contractuel », constitue en réalité un simple transvasement dans le contrat d'une obligation de nature extra-contractuelle (72). Ce témoin du premier moment a donc très exactement vu, dans le développement de l'obligation de sécurité, trois phénomènes liés : le gonflement artificiel du contrat, le refoulement de la responsabilité

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délictuelle, et la multiplication des conflits de frontières entre les deux ordres de responsabilité. 20. Les mouvements de notre question deviennent ensuite beaucoup plus difficiles à saisir. C'est que la concurrence du délit et du contrat se complique alors de deux façons. Du côté du délit, le triomphe d'un principe général de responsabilité du fait des choses donne fréquemment aux victimes d'accidents corporels le même avantage probatoire que celui qu'on cherche à leur offrir avec la « créance de sécurité » ; or, dans maintes situations contractuelles le dommage est causé à l'une des parties par une chose appartenant à l'autre partie, ou fournie par elle, ou manipulée par elle (73). Du côté du contrat, la distinction des obligations de moyens et de résultat se répand elle aussi à une vitesse étonnante et beaucoup d'« obligations contractuelles de sécurité » ne seront traitées ni comme des garanties, ni comme des obligations de résultat, mais comme des obligations de moyens. Les voies contractuelle et délictuelle de la réparation se dédoublent ainsi chacune en deux régimes, l'un plus favorable, l'autre moins favorable à la victime ; les choix se ramifient donc. On le voit dans la querelle du transport bénévole (74), où le choix de la solution contractuelle peut servir aussi bien à faciliter la réparation qu'à l'exclure, de même que le choix de la solution délictuelle peut être commandé par l'intention de faire jouer soit l'article 1384 soit les articles 1382 et 1383 (75). On le verra mieux encore lorsque, l'existence d'une relation contractuelle étant incontestable, l'accident se produira sur les franges du contrat : accidents d'avant et d'après transport (le quai, la montée, la descente), accidents de magasin (où l'on peut raffiner les distinctions selon que l'accident a lieu avant ou après l'emplette, qu'il a été causé par la chose achetée ou par une des innombrables choses se trouvant dans le magasin, de l'escalier mécanique à la feuille de salade). C'est alors, au gré des espèces, la valse-hésitation des responsabilités contractuelle et délictuelle. 21. On note, depuis une quinzaine d'années, un certain reflux de l'obligation de sécurité(76) : les juges comprennent que la « créance de sécurité » est une « créance » bien paradoxale, lorsqu'elle prive le « créancier de sécurité » de l'avantage qu'il aurait à invoquer l'article 1384 alinéa 1 s'il n'était créancier de rien du tout ! Mais ce n'est pas à dire que la jurisprudence ait entrepris pour autant de dégonfler le contenu du contrat de cette encombrante obligation « accessoire » ; comme le montre la jurisprudence des accidents de magasin ou de transport, le juge ne renonce pas à l'obligation contractuelle de sécurité ; pour retrouver le régime délictuel, il préfère dire ou qu'il n'y a pas contrat, ou que son exécution n'a pas encore commencé, ou qu'elle est déjà achevée. La frontière du délit et du contrat se déplace, mais la « responsabilité contractuelle » conserve sa fonction de réparation des dommages corporels. 22. Le réflexe contractualiste a d'ailleurs resurgi, plus récemment, avec la réparation des dommages causés par les produits défectueux. Ici encore, le plus simple, de lege ferenda, aurait été de construire un régime uniforme de responsabilité délictuelle objective des fabricants - ce serait aujourd'hui la façon la plus économique d'appliquer la directive européenne de 1985. Mais, dans le silence de la loi (et bien avant la directive), la jurisprudence a suivi la pente, évidemment plus facile pour elle, de la contractualisation des dommages. Le contrat en cause étant la vente, le « forçage » a d'abord pris naturellement la voie de la garantie des vices cachés du produit. Avec plusieurs inconvénients, qui se sont révélés au fil des espèces, et qui ont été corrigés avec plus ou moins d'artifice. Premier inconvénient : le vendeur ne doit de dommages et intérêts à l'acheteur que s'il connaissait les vices de la chose (art. 1645) ; qu'importe : en tant que professionnel, il sera tenu de connaître les vices affectant la chose vendue - c'est l'apport du malheureux boulanger de Pont-Saint-Esprit au système moderne de sécurité du consommateur (77). Deuxième inconvénient : accrochée à la garantie des vices, l'action de l'acheteur victime est enfermée dans un bref délai (art. 1648) ; qu'importe : on finira, en 1991, par découvrir que l'obligation contractuelle de sécurité est, dans la vente, une « obligation autonome » (78), soumise au délai de prescription de l'action contractuelle de « droit commun ». Un dernier inconvénient de la solution contractuelle se trouve dans le principe de relativité des conventions, fort gênant dans le cas de la responsabilité du fait des produits, où le dommage se produit au bout de la chaîne de distribution ; à vrai dire, demi-inconvénient seulement, puisque précisément le droit de la vente admet depuis un siècle la transmission de la garantie des vices aux acquéreurs successifs de la chose ; la garantie des vices transportera donc avec elle l'obligation de sécurité jusqu'au bout de la chaîne des ventes ; et quand l'on en viendra, pour cause de trop brève prescription, à détacher l'obligation de sécurité de la garantie (1991), la transmission de plano de toutes les actions contractuelles en responsabilité aura déjà été admise (1986). Cet assouplissement de l'effet relatif des contrats par les actions contractuelles directes a certainement fait beaucoup pour le succès de la solution contractuelle en matière de responsabilité du fait des produits. Mais la transmission des actions contractuelles est un procédé limité : comment faire profiter de l'obligation contractuelle de sécurité d'autres personnes que l'acquéreur final ? On a pu songer un temps que le développement des « actions contractuelles directes » ferait tomber ce dernier obstacle au rayonnement de l'obligation « contractuelle » de sécurité vers les tiers victimes ; avec un peu d'indulgence, on aurait pu voir dans beaucoup de situations-types d'accidents domestiques des « groupes de contrats » et des victimes n'ayant « souffert du dommage que parce qu'ils avaient un lien avec le contrat initial » : l'époux, les enfants, les amis utilisateurs du produit défectueux auraient bien pu invoquer un prêt de l'acheteur final. Mais le célèbre arrêt Besse, en restaurant l'effet relatif, a enrayé cet ultime développement. S'étant ainsi privée de la ressource de l'action contractuelle directe, la Cour de cassation vient de recourir à un procédé plus étonnant encore en disant, dans son style admirablement bref, que « le vendeur professionnel... tenu de livrer des produits exempts de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes... en est responsable tant à l'égard des tiers que de son acquéreur » (79). Ainsi, l'inexécution d'une obligation contractuelle (livrer un produit exempt de vice) constitue ipso facto une faute délictuelle à l'égard des tiers : on saute donc l'obstacle de l'effet relatif, puisque l'action du tiers reste une action délictuelle, fondée sur l'article 1382 ; mais on voit bien que la faute délictuelle du vendeur, définie comme le manquement à son obligation contractuelle de livrer un produit non défectueux, n'est pas « détachable du contrat » (80) : sa faute délictuelle est en réalité une « faute » purement contractuelle. Voici donc une action délictuelle directement et uniquement fondée sur une « faute contractuelle » ; on se dit que Grandmoulin finira par avoir raison. Voici aussi une nouvelle complication dans la structure de notre système de réparation des dommages corporels ; les tiers auront avantage à accrocher chaque fois qu'ils le pourront leur action délictuelle à la violation d'une obligation contractuelle de sécurité plutôt qu'à la

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vieille « garde de structure » qui leur permettait elle aussi de rechercher, mais dans des conditions plus étroites, la responsabilité du fabricant (plus problématiquement celle du vendeur) ; pour ces tiers, l'article 1382 devient donc un texte plus favorable que l'article 1384 alinéa 1 : allez expliquer cela aux mânes de Planiol ! 23. Après la jurisprudence des « chutes dans l'escalier » (81), puis celle des accidents de quai ou de magasin, la jurisprudence des accidents du fait des produits montre aujourd'hui que le choix de la voie contractuelle a toujours pour effet d'introduire le désordre dans notre système de réparation des dommages corporels. L'idée d'offrir à la victime un « parapluie contractuel » est donc, expérience faite, une fausse bonne idée : mieux vaudrait redonner au délit sa compétence naturelle sur les affaires de « bras cassés et de morts d'homme » (82), et « décontractualiser » l'obligation de sécurité (83), si l'on veut en construire un régime cohérent (84). Dans le cas de la sécurité des produits, il est clair que la pseudo-obligation contractuelle de sécurité ne fait que répéter une règle légale précise (art. 1 L. 21 juill. 1983, art. L. 221-1 c. consom.) : il serait donc possible de construire là dessus une responsabilité uniformément délictuelle, en débarrassant la vente de cette encombrante obligation accessoire de sécurité. 24. L'obligation contractuelle de sécurité est pourtant en passe de gagner un nouveau territoire, en devenant « obligation de sécurité quant aux biens ». L'expression est déjà courante (85), et la jurisprudence l'utilise notamment en matière de responsabilité du fait des produits ; elle a été précédée par une partie de la doctrine (86). Il faut ici se garder d'une confusion. Beaucoup de contrats font naître, à titre principal (dépôt, contrats de gardiennage ou de surveillance) ou à titre accessoire (entreprise, bail, sous des formes aussi variées que le sont ces deux contrats) l'obligation de conserver la chose d'autrui - il arrive d'ailleurs que cette obligation accessoire soit elle-même considérée comme résultant d'un dépôt (art. 1782, pour le transport ; art. 1952 pour l'hôtellerie ; L. du 6 juill. 1992 pour le dépôt hospitalier). L'étendue de cette obligation est naturellement variable selon l'économie du contrat, et nos « petits contrats » nommés comportent bien souvent un régime précis de cette obligation accessoire de conservation (ex. : art. 1788 et s. ; art. 1880 et s.) ; à défaut, une jurisprudence abondante taille elle-même ce régime (87). Il est certes abusif de baptiser cette obligation « obligation de sécurité quant aux biens », mais cela ne tire pas à conséquence : l'obligation de veiller sur la chose a, dans tous ces cas, un caractère contractuel - la vraie difficulté étant, selon les espèces, de qualifier le contrat et de déterminer l'étendue de cette obligation. Il n'en va pas de même lorsque le dommage est causé à des biens qui n'ont pas été confiés, à titre principal ou accessoire, par un contractant à l'autre : le rattachement au contrat d'une obligation de sécurité quant aux biens a alors pour conséquence de contractualiser un dommage dont la nature est délictuelle. Il en résulte, comme pour la réparation des dommages corporels, d'incertains conflits de frontière entre la responsabilité délictuelle et la responsabilité contractuelle ; on trouvera des exemples de cette incertitude dans les cas où un entrepreneur cause, dans l'exécution du contrat, un dommage aux biens du maître de l'ouvrage chez qui il travaille (88). Ici encore, l'expansion de la responsabilité contractuelle est due à un gonflement artificiel du contrat ; ici encore se brouille la distinction du contrat et du délit. 25. B. - L'invention par Demogue, à la fin des années vingt, de la distinction des obligations de moyens et de résultat a, de son côté, considérablement renforcé l'analogie de la responsabilité délictuelle et de la « responsabilité contractuelle ». D'une part en effet, l'existence d'obligations « de moyens » conforte l'idée que la « faute contractuelle » est une faute de comportement analogue à la faute délictuelle (89) ; d'autre part, les obligations « de résultat » apparaissent alors comme des cas de « responsabilité sans faute » parallèles aux cas de responsabilité délictuelle objective. « Responsabilité contractuelle » et responsabilité délictuelle sont ainsi formellement construites selon un même schéma ; cette analogie formelle des structures de responsabilité renforce incontestablement l'idée qu'il n'existe qu'une responsabilité « civile » sous deux figures, et que le vrai clivage est entre les cas de responsabilité subjective et les cas de responsabilité objective(90). 26. La distinction des obligations de moyens et de résultat possède sans doute un grain de vérité : les obligations contractuelles n'ont pas toutes la même étendue, ou pas la même intensité, alors même qu'à première vue elles auraient, abstraitement, le même objet ; c'est ce que dit très clairement l'article 1137 alinéa 2 de l'obligation de conserver la chose d'autrui. Les précieux « petits contrats » du code civil fournissent maint exemple de cette variabilité concrète d'obligations ayant pourtant un même objet, jusque dans des contrats très proches (91). 27. Cela dit, on voit bien qu'une summa divisio, quelle qu'elle soit, ne peut prétendre rendre compte de cette diversité naturelle des obligations contractuelles. Voilà ce qu'on objecte souvent à la distinction des obligations de moyens et de résultat, à la suite d'Esmein (92) ; d'où les raffinements contemporains : introduction des garanties au degré supérieur de la classification (93) et sous-distinctions (obligations de moyens « renforcées » ou obligations de résultat « atténuées »). Une autre objection est l'incertitude du critère de distinction. Le critère de Demogue (94), qui opposait les professions libérales (le professionnel libéral ne promettrait que des « moyens », parce qu'il est indépendant) aux métiers (les techniciens devraient des résultats), apparaît bien contestable aujourd'hui (95) et on lui préfère un faisceau de critères combinant la dose d'aléa de la promesse faite et le « rôle (actif ou passif) de la victime » (96) : mais ces critères sont eux-mêmes flottants et la jurisprudence ne paraît pas s'y tenir avec une grande constance. Plus profondément, les incertains exercices de qualification auxquels cette distinction conduit les juges nous paraissent purement rhétoriques : la question étant toujours - et seulement - de savoir si le débiteur a convenablement exécuté l'obligation, il faut toujours - et seulement - se demander ce qui était concrètement in obligatione pour y comparer ce qui a été fait ; le passage par une « qualification » aussi imprécise et sommaire est un embarras inutile. Reste le rôle qu'on prête en général à la célèbre distinction quant à la charge de la preuve ; mais, en vérité, quelle que soit l'étendue de l'obligation, c'est toujours au créancier qui réclame l'exécution forcée d'établir qu'il n'a pas reçu la prestation promise (art. 1315 al. 1) et c'est toujours au débiteur qui se prétend libéré de prouver le fait qui a produit l'extinction de son obligation (art. 1315 al. 2) (97) ; simplement, l'objet concret de la preuve à faire par l'un et par

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l'autre dépend de ce qui a été promis - ce qui rend la preuve plus ou moins difficile pour l'un ou pour l'autre. On a d'ailleurs fort justement relevé que, contrairement à une idée académique, la preuve de l'inexécution d'une obligation « de résultat » n'est pas toujours plus facile que la preuve de l'inexécution d'une obligation de moyens (98). Tous arguments examinés, MM le Tourneau et Cadiet reconnaissent pourtant à « la célèbre dichotomie... une valeur suggestive certaine (qui explique son succès rapide et persistant) » (99). Mais c'est précisément de cette « valeur suggestive » qu'il faut se défier, me semble-t-il. 28. C'est en effet à ce caractère « suggestif » que l'on doit d'abord l'idée selon laquelle cette distinction serait la summa divisio de toutes les obligations, quelle que soit leur source - et pas seulement des obligations contractuelles. On sait que cette thèse a été défendue par Henri Mazeaud dans un article historique et qu'elle est encore soutenue (100). La filiation de Planiol s'y retrouve : si la responsabilité, délictuelle comme contractuelle, découle toujours de la violation d'une « obligation préexistante », il est tentant d'opérer, dans les « obligations légales » une « classification comparable » à celle qu'on découvre dans les obligations contractuelles (101) : il y aurait donc des obligations légales de résultat (ou déterminées) et des obligations légales de moyens (ou de prudence et diligence). Et c'est ce parallélisme qui justifierait la construction, en matière délictuelle comme en matière contractuelle, de deux régimes semblables de responsabilité l'un pour faute prouvée, l'autre sans faute prouvée. Ainsi s'achève, dans le système d'Henri Mazeaud, la métaphore de Planiol : la distinction des deux types d'obligations « primordiales » commande, indépendamment de leur source, le régime de la responsabilité qui en procède. Il est évidemment fort difficile, après cela, de maintenir une distinction des ordres de responsabilité fondée précisément sur la source des obligations violées. 29. L'autre effet de cette distinction « suggestive » est de donner au contrat une double figure : promesse d'un avantage, lorsque l'obligation est « de résultat », ou simple promesse d'un certain comportement, lorsque l'obligation est de moyens. Il est bien vrai que ces deux figures du contrat sont concevables, comme le montrent, en droit comparé, les exemples de la common law d'un côté et du BGB de l'autre (102). Ce qui se traduit par deux traitements fort différents de l'inexécution contractuelle. Dans l'un, la faute n'entre aucunement dans la définition du breach of contract ; dans l'autre au contraire, il n'y a de responsabilité du débiteur que pour inexécution fautive, en vertu d'un principe général de culpabilité (§ 276 BGB)

(103) ; mais, dès lors que le créancier a prouvé l'impossibilité d'exécuter en nature, c'est au débiteur de prouver que l'inexécution ne lui est pas imputable (§ 282 BGB) ; quant aux garanties, elles sont fermement mises à part (104). Ce n'est pas le lieu de débattre des mérites intrinsèques de chacun de ces systèmes. Qu'il nous soit permis de dire que nous préférons sur ces questions la vue simple de la common law à la construction du BGB, où se repère la filiation de la trop savante Ecole pandectiste ; Outre-Rhin, on exprime d'ailleurs la même préférence (105). Le sûr en tout cas est que chacun de ces systèmes repose clairement sur un seul principe ; seul le droit français contemporain les amalgame - si bien que les comparatistes le classent comme « dualiste » (Constantinesco) ou comme « intermédiaire » (Treitel), ce qui est la façon scientifique d'exprimer une certaine perplexité (106). 30. L'étonnant est que cette caractéristique du système français se soit cristallisée si tard. On retrouve ici les méandres de la « faute contractuelle ». On a vu plus haut que la doctrine du XIXe siècle tenait que la « faute contractuelle » était « présumée », et raccordait cela aux articles 1147 et 1148 : ce qui ne constitue que l'application de l'article 1315 à l'exécution forcée par équivalent (107). On ne perçoit donc pas alors d'antinomie entre les articles 1137 et 1147 - prouver le cas fortuit, c'est prouver l'absence de « faute contractuelle » (arg. art. 1302 al. 1 et 3). Mais dès l'instant que la « faute contractuelle » se modèle sur la faute délictuelle et devient une faute de comportement, prouver le cas fortuit est évidemment autre chose que prouver la simple conduite normalement diligente. Dans l'entre-deux de la faute démontrée et du cas fortuit identifié, il y a les cas douteux : qui en a la charge ? A Saleilles, qui soutenait que l'inexécution du contrat n'est même pas « la faute présumée (mais) la faute réalisée », Planiol objecte précisément qu'il ne saurait y avoir « faute réalisée » dans les cas où la cause demeure inconnue (108). Il faut donc bien « concilier » les deux textes, et c'est de cet effort qu'est née la « suggestive » distinction de Demogue : l'article 1137 aurait donc été écrit pour les obligations de moyens, et l'article 1147 pour les obligations de résultat ; on voit par là que le passage de la doctrine française sous la bannière de l'Ecole « scientifique » n'avait aucunement entamé ses capacités exégétiques (109). 31. Il n'est pas sûr qu'en dépit de son succès ce système dualiste soit tout à fait stabilisé. M. Tunc a notamment présenté une autre « conciliation » des articles 1137 et 1147, qui fait descendre la force majeure jusqu'à l'absence de faute (110), ce qui lui « permet d'affirmer que la responsabilité contractuelle proprement dite (111) repose exclusivement sur la faute ». Au bout de cette démonstration, il y aurait logiquement la permission pour le débiteur de se libérer, même dans le cas des obligations de résultat, par la preuve d'une absence de faute ; les obligations de résultat deviendraient toutes des obligations de moyens « renforcées » (112). La position intermédiaire du droit français n'est donc pas seulement peu claire ; elle est aussi instable, car le concept moderne de « responsabilité contractuelle » pousse inévitablement l'analyse de l'inexécution du contrat vers la « responsabilité du fait personnel » (113). Ce premier pas accompli, d'autres suivront, quasi mécaniquement : alignement, aussi complet que possible, des « faits générateurs » de responsabilité contractuelle sur les faits générateurs de responsabilité délictuelle ; puis l'absorption de l'une par l'autre. III. - LA « RESPONSABILITE CONTRACTUELLE » : AVENIR 32. Le schéma d'une « responsabilité contractuelle du fait personnel » une fois imposé, d'autres « faits générateurs » de responsabilité délictuelle sont en voie de gagner le terrain du contrat. Il y a là du mimétisme : « la responsabilité contractuelle est devenue doctrinalement tributaire de la délictuelle » (114). Mais l'invention de ces nouveaux faits générateurs de responsabilité contractuelle répond aussi à une nécessité - plus impérieuse encore en matière contractuelle

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qu'en matière délictuelle, car la faute personnelle du débiteur, prise comme procédé d'imputation, est un principe trop étroit pour couvrir la très grande diversité des causes de dommages en matière contractuelle ; on voit donc se constituer une « responsabilité contractuelle du fait d'autrui » et une « responsabilité contractuelle du fait des choses » (A). Cet alignement des faits générateurs de responsabilité paraît à beaucoup insuffisant : la concurrence anarchique de deux systèmes de réparation, dont l'un reste soumis au régime contractuel engendre tant de « bizarreries et d'injustices » (115) qu'une doctrine autorisée prône l'unification des responsabilités c'est-à-dire, en réalité, l'absorption complète du régime de l'inexécution contractuelle par le régime du délit (B). Il me semble qu'on ne gagnera rien à ce brouillage définitif des causes d'obligations ; mieux vaudrait retourner aux principes classiques (C). 33. A. - « Responsabilité contractuelle du fait d'autrui » et « responsabilité contractuelle du fait des choses » sont des procédés d'imputation inutiles si l'on s'en tient à la doctrine classique : on n'est contractuellement responsable ni du fait d'autrui, ni du fait d'une chose (116) ; on doit des dommages et intérêts parce qu'on est débiteur d'une obligation inexécutée ; c'est le contrat qui fait le débiteur, et il est indifférent que l'inexécution du contrat ait sa cause dans le « fait d'autrui » ou dans le « fait d'une chose », dès lors que ces faits ne constituent pas pour le débiteur l'un des faits libératoires énoncés par les articles 1147 et 1148. C'est le sens commun : les moyens d'exécuter les promesses sont l'affaire de celui qui a promis ; les contrats sont très fréquemment exécutés non par le débiteur en personne mais par des auxiliaires ou des substituts que le débiteur choisit, et leur exécution s'accomplit bien souvent au moyen de « choses » que le débiteur met en oeuvre ou qu'il fournit. Mais il n'y a pas à rechercher dans « le fait d'autrui » ou dans le « fait de la chose » des « faits générateurs de responsabilité » tant que la cause des dommages et intérêts reste le contrat lui-même. 34. La démonstration de l'inutilité de la « responsabilité contractuelle du fait d'autrui » a été faite par Becqué lui-même, à qui l'on doit pourtant l'introduction de cette regrettable expression dans le vocabulaire doctrinal français (117). Becqué part certes de la constatation que notre code n'énonce, à la différence du BGB (§ 278), aucun principe général de responsabilité du débiteur pour « la faute commise par son représentant légal et par les personnes dont il se sert pour exécuter son obligation dans la même mesure que s'il s'agissait de sa faute personnelle » , mais seulement des dispositions particulières assez nombreuses (art. 1245, 1735 (118), 1797, 1953, 1994) à partir desquelles on peut inférer l'existence d'un tel principe, « en suspension dans le code ». Mais, arrivant au fondement, Becqué explique très simplement la « responsabilité contractuelle pour autrui », en droit français, comme « l'application pure et simple du droit commun » alors qu'en droit allemand elle « apparaît comme une exception aux principes généraux qui dominent la matière des obligations ». C'est parce qu'en droit allemand l'inexécution de l'obligation est traitée comme une responsabilité pour faute (§ 276 BGB) qu'il a fallu compléter cette règle par une « responsabilité pour la faute commise par les personnes dont (le débiteur) se sert pour exécuter son obligation » (§ 278). Rien de tel dans le système français, du moins selon la doctrine du code : le débiteur de l'obligation inexécutée doit des dommages et intérêts, sauf à établir la cause étrangère qui le libère ; or le fait du tiers volontairement introduit par le débiteur dans l'exécution du contrat, comme auxiliaire ou substitut, ne pourra qu'exceptionnellement être considéré comme un cas de force majeure (119) ; il est donc inutile de faire appel à la « responsabilité du fait d'autrui » pour justifier le droit du créancier à des dommages et intérêts. Pour le cas d'exécution par des préposés, la Cour de cassation a clairement rappelé la doctrine classique à la fin des années soixante en approuvant une cour d'appel d'avoir décidé que « les termes de l'article 1147 ne permettent pas d'établir une distinction suivant que le débiteur exécute lui-même ou fait exécuter par un ou plusieurs de ses préposés » (120). Dans le cas de substitution dans l'exécution (par sous-contrat ou cession de contrat), il est également inutile d'évoquer la « responsabilité contractuelle du fait d'autrui » : tant qu'il n'est pas libéré, le débiteur primitif répond de l'inexécution tout simplement parce qu'il est toujours débiteur ; et lorsqu'il est libéré (hypothèse d'une cession « parfaite ») il ne peut être « responsable », sauf à avoir promis sa garantie - auquel cas la prétendue « responsabilité du fait d'autrui » est encore une obligation personnelle. Construire une « responsabilité contractuelle du fait d'autrui » est donc inutile, tant qu'on en reste au régime de l'inexécution du contrat tel que le conçoit le code : on ne répond pas du fait d'autrui quand l'on paye simplement ce que l'on doit. En revanche un tel mécanisme devient indispensable lorsqu'on raisonne en termes de « responsabilité », chaque fois qu'on ne peut établir une « faute » du débiteur. Il faut alors, pour fonder ce qui apparaît comme une exception à une responsabilité du fait personnel, chercher des justifications plus ou moins aisées, la plus artificielle étant certainement la « représentation » du débiteur dans l'exécution du contrat par ses aides ou substituts. Outre ce défaut de simplicité, le détour de la « responsabilité contractuelle pour autrui » présente, par rapport à la solution classique, deux inconvénients (121). 35. Une première difficulté est de faire accepter cette « responsabilité pour autrui » lorsque l'obligation inexécutée apparaît comme une « obligation de moyens ». Un éminent auteur regrette « la méconnaissance, à peu près générale en doctrine », de la « responsabilité contractuelle pour autrui » (122) ; mais des résistances semblables à celle de Rodière (123) sont inévitables dès lors que l'inexécution du contrat s'assimile à un cas de responsabilité pour faute : on tentera (après avoir mis à part les cas où la loi elle-même impose une « garantie du fait d'autrui ») de ramener la « prétendue responsabilité contractuelle pour autrui » à des cas de « faute personnelle » du débiteur - fautes in eligendo ou in vigilando, faute d'organisation de l'entreprise, ou faute consistant à se substituer un tiers alors que l'exécution devait être personnelle (art. 1994-1°). Inévitables sont aussi les prudences des juges : pour un coup d'audace déjà ancien (124), combien d'arrêts préfèrent user d'expédients peu honnêtes, comme la disqualification d'un dépôt en entreprise, pour pouvoir faire jouer l'article 1797, alors qu'il suffisait d'appliquer tout droit au dépositaire lui-même les règles du dépôt (125). 36. Un second inconvénient de la « responsabilité contractuelle du fait d'autrui » est d'appeler l'application analogique de l'article 1384, alinéa 5, alors qu'il n'y a point d'analogie (126). On sera tenté de transposer en matière contractuelle l'exonération du commettant par l'abus de fonctions du préposé ; or l'abus de fonctions du préposé peut précisément constituer l'inexécution d'une obligation contractuelle du commettant (le préposé du dépositaire vole, détourne ou incendie le

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bien confié en dépôt) ; absoudre le débiteur, c'est alors considérer que l'inexécution du fait du préposé le libère, sans considération du point de savoir s'il y avait ou non force majeure (127). La Cour de cassation elle-même, dans sa formation la plus autorisée, a succombé à cette tentation (128), avant de revenir à l'analyse contractuelle classique

(129). Comme l'a très bien vu M. Rebut dans un récent article (130), il n'est pas nécessaire, pour échapper à cette contamination de la responsabilité contractuelle par la responsabilité délictuelle du fait d'autrui, de prétendre à son « autonomie », comme le dit parfois la doctrine contemporaine ; il suffit - c'est plus simple et plus exact - de ne pas voir dans l'inexécution du contrat un cas de responsabilité pour faute du débiteur. 37. La « responsabilité contractuelle du fait des choses » appelle une démonstration analogue : le fait que l'inexécution du contrat soit due à une chose fournie par le débiteur ou maniée par lui est strictement indifférent, dès lors que ce fait ne présente pas pour le débiteur les caractères d'une cause exonératoire. Mais ici encore, le parallélisme des responsabilités appelle l'introduction, dans la responsabilité contractuelle, de cet autre fait générateur - qui vient corriger, comme dans la responsabilité délictuelle, l'étroitesse d'une responsabilité d'abord fondée sur la faute du débiteur. 38. A la différence de « la responsabilité contractuelle du fait d'autrui » , la « responsabilité contractuelle du fait des choses » n'a pas d'inventeur clairement déterminé. Ses commencements ont en effet été obscurcis par la question du cumul : à l'époque où l'article 1384, alinéa 1, était encore d'invention récente on se demandait seulement si ce texte était applicable entre contractants (131). L'interdiction de l'option condamne évidemment ce procédé, dès lors que la victime invoque l'inexécution d'une obligation contractuelle : ce qui ne se perçoit très bien qu'à partir des années quarante, au moment où la Cour de cassation ferme la responsabilité contractuelle du médecin (grand utilisateur de choses dangereuses pour le corps des patients) à l'invasion de l'article 1384, alinéa 1 (132). Mais, la voie délictuelle se trouvant ainsi fermée par le principe de non-cumul, il reste la possibilité du décalque contractuel de l'article 1384 ; on propose donc l'admission d'une « responsabilité contractuelle du fait des choses livrées » d'une part, et « du fait des choses mises en oeuvre pour l'exécution du contrat » d'autre part. Ce cheminement intellectuel se repère très bien dans les grands traités de responsabilité contemporains

(133). L'intégration de ce nouveau fait générateur de responsabilité contractuelle apparaît spécialement utile pour les contractants victimes d'un dommage corporel. On constate en effet que l'application du régime contractuel conduit fréquemment à voir dans l'obligation de sécurité une simple obligation de moyens, alors même que le dommage est causé par une chose utilisée par le débiteur pour l'exécution du contrat ou livrée par le débiteur en exécution du contrat. Pour retrouver ici l'équivalent du régime délictuel, il faut donc inventer une responsabilité contractuelle du fait des choses : le principe de non-cumul est formellement respecté, et la diversité naturelle des obligations contractuelles « de sécurité » se trouve effacée par ce subterfuge. 39. Un arrêt très commenté de la première chambre civile du 17 janvier 1995 (134) a consacré cette invention, en posant que, « contractuellement tenu d'assurer la sécurité des élèves qui lui sont confiés, un établissement d'enseignement est responsable des dommages qui leur sont causés non seulement par sa faute, mais encore par le fait des choses qu'il met en oeuvre pour l'exécution de son obligation contractuelle ». Il est vrai que depuis, la Cour de cassation n'a pas repris ce procédé de renforcement de l'obligation de sécurité, alors qu'elle aurait eu plusieurs occasions de le faire - ce qui suscite évidemment bien des interrogations (135). Peut-être que la Cour de cassation se repense, après tout ; en tout cas, avant que se cristallise cette nouvelle invention, redisons qu'elle est inutile, si on exclut du contrat la pseudo-obligation « contractuelle » de sécurité : on pourra alors, sans heurter le principe de non-cumul, appliquer s'il y a lieu l'article 1384, alinéa 1, au contractant victime d'un tel dommage. 40. B. - Le concept moderne de responsabilité contractuelle n'a donc pas encore achevé sa course, ni produit toutes ses conséquences. Outre l'imparfait alignement des « faits générateurs », la doctrine de la réparation est en voie d'atteindre plusieurs autres points du régime de l'inexécution du contrat. 41. En premier lieu, la mesure des dommages et intérêts : le principe de réparation intégrale, propre au délit, tend à gagner le terrain du contrat, en dépit de l'article 1150 du code civil, selon lequel le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts que l'on pouvait prévoir lors de la conclusion du contrat (136). La doctrine classique explique simplement ce texte par la nature même des dommages et intérêts, qui procurent au créancier réclamant cette forme de satisfaction l'équivalent de ce que lui aurait procuré l'exécution en nature - mais rien de plus (137). La doctrine moderne y voit au contraire une dérogation difficilement justifiable au principe de réparation intégrale du dommage injustement causé et propose soit de l'abroger (138), soit de le maintenir seulement comme « instrument d'une politique de modération judiciaire des dommages et intérêts » (139). L'effacement de l'article 1150 par le principe de réparation est depuis longtemps à l'oeuvre. On rappellera que pour Pothier, les dommages-intérêts prévisibles s'entendaient des « dommages-intérêts intrinsèques », c'est-à-dire ceux que « le créancier, par l'inexécution de l'obligation, pourrait souffrir par rapport à la chose même qui en a été l'objet et non ceux que l'inexécution de l'obligation lui a occasionnés d'ailleurs dans ses autres biens (dommages et intérêts extrinsèques). C'est pourquoi dans ces cas, le débiteur n'est pas tenu de ceux-ci, mais seulement de ceux soufferts par rapport à la chose qui fait l'objet de l'obligation, damni et interesse, propter ipsam rem non habitam »(140). Et c'était bien ainsi que l'entendaient les rédacteurs de l'article 1150 (141). La « prévisibilité », dans cette définition, est donc une notion objective renvoyant à la nature même du dommage réparable, elle-même directement commandée par l'objet de l'obligation : le « dommage prévisible » n'est ni plus, ni autre chose que l'objet même de l'obligation inexécutée - l'avantage promis et non reçu. L'explication moderne de ce texte fait au contraire de la prévisibilité une notion psychologique, en justifiant l'exigence de prévisibilité par la « volonté » implicite des parties qui auraient « prévu l'inexécution et tacitement envisagé ses conséquences » (142). Dans le système moderne, c'est donc le « caractère volontaire de l'obligation violée » qui fonde

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l'article 1150, alors que dans le système classique, c'est tout simplement la fonction de payement des dommages-intérêts. Cette interprétation volontariste de l'article 1150 produit deux séries de conséquences. Premièrement, au lieu de mesurer les dommages-intérêts sur l'avantage promis par le débiteur (ou raisonnablement escompté par le créancier) on les mesurera sur les conséquences prévisibles de l'inexécution, ce qui peut être très différent, et explique la difficulté, constante en pratique, à distinguer la prévisibilité du dommage de son caractère simplement direct. Certes, la prévisibilité n'a pas encore été ramenée à la simple prévisibilité de la cause du dommage ; on sait que la Cour de cassation a nettement affirmé que l'article 1150 « ne fait aucune allusion à la prévision de la cause du dommage » et en a tiré cette conséquence que « le débiteur, hors le cas de dol, n'est tenu que des dommages-intérêts dont la quotité a pu être prévue par lui lors du contrat » (143) : on continue donc d'exiger que l'étendue du dommage ait été prévisible, et pas seulement sa cause ; mais nul ne songe plus à invoquer l'article 1150 pour limiter la nature du dommage réparable par la voie contractuelle à l'objet même de l'obligation inexécutée - propter ipsam rem non habitam. Deuxièmement, l'interprétation « volontariste » du texte en facilite la critique : pourquoi traite-t-on mieux celui qui s'était volontairement obligé que l'auteur d'une faute délictuelle (144) ? Le déclin du rôle de la volonté dans le contrat ne conduit-il pas naturellement au « déclin parallèle » de l'article 1150 (145) ? Au vrai, l'effacement de ce texte est inscrit dans l'idée moderne d'une responsabilité contractuelle ayant une fonction de réparation des dommages injustes ; en attendant la disparition de l'article 1150, rien d'étonnant si on l'oublie souvent. 42. Plus largement, c'est toute l'exécution forcée du contrat qui tend à s'absorber dans la « réparation ». Un auteur (146) a très bien décrit ce mouvement en analysant la classification des modes de réparation présentée dans le Traité de la responsabilité de MM Mazeaud et Tunc (147) : ordonner l'exécution du contrat refusée par le défendeur, ou la livraison de l'objet vendu, ou la destruction de ce qui a été fait par contravention à l'engagement (art. 1143), ou l'exécution par le créancier aux dépens du débiteur (art. 1144), tout devient procédé de « réparation en nature » par simple opposition aux dommages et intérêts présentés comme un procédé de « réparation par équivalent ». Toute l'exécution forcée du contrat tend à devenir ainsi réparation, parce que l'inexécution du contrat est comprise comme un cas de responsabilité. Seuls échappent encore à l'emprise de la « réparation », dans la systématique contemporaine, la résolution, l'exception d'inexécution et la réfaction du contrat (148). Il en résulte que la présentation de l'inexécution est aujourd'hui fréquemment rompue en deux morceaux : celui de la « responsabilité contractuelle », rattaché à la responsabilité en général, et celui qui reste rattaché aux contrats synallagmatiques. L'articulation des divers remèdes, leurs combinaisons, le rôle respectif du créancier et du juge sont alors très mal perçus (149). 43. Il y a plus : l'absorption du régime de l'inexécution par la réparation entame profondément notre conception de la force obligatoire du contrat. Car si toute l'exécution forcée devient réparation, il n'y a plus d'exécution que volontaire (150). La doctrine de Planiol découvre ici sa pointe philosophique : le contrat réduit à sa fonction de source « primaire » d'obligations n'est fait que pour être exécuté volontairement ; le droit d'exiger l'exécution se transforme en droit d'exiger réparation (à la condition qu'il y ait eu faute et dommage) ; les actions dont les pactes sont munis (art. 1134) disparaissent dans le brouillard de l'action générale en responsabilité. L'existence d'obligations contractuelles préexistant au fait dommageable ne sert qu'à décider s'il y a ou non responsabilité (151). 44. Cette absorption des règles de l'inexécution par les règles de la réparation prépare l'unification de la responsabilité civile, vigoureusement souhaitée par une doctrine autorisée (152). Les critiques portées contre la distinction des responsabilités contractuelle et délictuelle sont connues : différences de régime sans justification rationnelle, difficultés à situer le dommage dans le champ ou à l'extérieur du contrat, absurdité des résultats quand un même dommage survenu dans les mêmes circonstances est traité contractuellement à l'égard de certaines victimes et délictuellement à l'égard d'autres victimes. Le tout couronné par la conception rigide (et spécifiquement française) du principe de non-cumul. La critique est spécialement forte quand le dommage dont il s'agit est causé à la personne du contractant : ni les différences de faits générateurs, ni les différences quant à la preuve, ni la différence des prescriptions, ni la différence du régime des clauses d'exonération ne sont alors justifiables. Il faudrait donc, pour supprimer ces « bizarreries et injustices », unifier le régime des deux responsabilités

(153) - et, en attendant, assouplir notre principe de non-cumul, ou y renoncer. Cette solution, préconisée par d'excellents esprits, me paraît contestable. 45. C. - Certes, notre droit de la responsabilité est devenu bizarre, peu cohérent, et souvent incertain ou injuste ; mais l'unification des responsabilités me paraît être un remède inadéquat à ces maux. Il faut d'abord comprendre que l'unification est impossible. Même déformée par sa fonction moderne de réparation, la « responsabilité contractuelle » conserve nécessairement une fonction de payement(154). Cette fonction de payement s'applique à toutes les obligations qui expriment les utilités attendues du contrat par l'une ou l'autre partie : l'acheteur qui ne paye pas le prix, le vendeur qui ne livre pas ou qui livre une chose non-conforme ne sont pas des auteurs de dommages fautifs à qui on demanderait réparation, mais bien des débiteurs qu'on contraint à exécuter exactement. Quelque déformation qu'on leur fasse subir, les règles du délit ne peuvent s'appliquer à l'inexécution de telles obligations : les plus convaincus partisans de l'unification reconnaissent par exemple l'inapplicabilité de l'article 1384, alinéa 1, aux « dommages... provoqués par le défaut d'utilité de la chose, la non-conformité au sens strict » (155) ; c'est que les « dommages provoqués par le défaut d'utilité de la chose » ne sont rien d'autre que les avantages escomptés par l'acheteur et non reçus (ipsa res non habita) ; si au contraire la transposition de l'article 1384, alinéa 1, est envisageable pour les dommages causés à la personne ou aux biens de l'acheteur par les défauts de la chose achetée, c'est parce que l'atteinte à la personne de l'acheteur ou à ses biens est d'abord artificiellement entrée dans le champ de la responsabilité contractuelle. Ce qui est vrai des « faits générateurs » de responsabilité est vrai pour l'ensemble du régime de l'inexécution du contrat : il est certes contestable de soumettre l'action en réparation du dommage causé par un défaut du produit vendu à des délais de prescription différents selon que la victime est l'acheteur ou un tiers ; mais, pour

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corriger cette bizarrerie, il serait absurde de soumettre l'action en garantie ou l'action en délivrance au délai de prescription de l'action délictuelle. Le vrai est que l'unification des responsabilités ne peut toucher que les fausses actions contractuelles (celles qui tendent à la réparation des dommages injustes) ; les vraies actions contractuelles (celles qui tendent à l'obtention des avantages escomptés du contrat) ne peuvent être soumises au régime de l'action délictuelle (156) ; la distinction de la « responsabilité contractuelle » d'avec la délictuelle retrouve son véritable sens quand elle recouvre la distinction du payement forcé et de la réparation. C'est cette distinction naturelle que le concept actuel de « responsabilité contractuelle » a fait oublier ; c'est donc elle qu'il faut retrouver. 46. Les « bizarreries et injustices » de notre droit positif, justement dénoncées, procèdent toutes, en effet, du faux concept d'une « responsabilité contractuelle » construite aujourd'hui comme un système de réparation concurrent de la responsabilité délictuelle. C'est l'attribution au contrat d'une fonction de protection d'intérêts extra-contractuels qui est la cause, historique et logique, de nos difficultés actuelles. En « forçant » ainsi le contrat, on brouille nécessairement ses rapports avec le délit, lequel en retour contamine le régime de l'inexécution du contrat. On ôte du même coup au principe de non-cumul sa justification profonde : ce principe d'ordre, aisément compréhensible lorsqu'il empêche le droit du délit de venir troubler le régime du contrat (157) devient évidemment critiquable lorsqu'il empêche la victime d'un dommage artificiellement contractualisé de recourir aux règles de la responsabilité délictuelle. Donner au contrat la fonction d'assurer des intérêts normalement protégés par le droit du délit, notamment la sécurité des personnes et celle des biens, c'est créer la concurrence de deux systèmes de réparation qui ont forcément un régime différent puisque l'un d'eux, même tordu par cette fonction de réparation dont on l'a chargé, reste fondamentalement un régime d'exécution forcée des conventions. La correction à opérer ne consiste donc pas dans une unification impossible des deux responsabilités, mais dans la disparition de l'une des deux - la fausse « responsabilité contractuelle ». 47. Ceci n'implique aucune réforme législative, mais seulement un retournement doctrinal - un retour au code. Il n'est pas sûr que cette conversion soit aisée. Fondamentalement, elle suppose que le contrat soit ramené à sa figure originelle : la promesse d'un avantage déterminé, plutôt que la promesse d'un certain comportement du débiteur, y compris lorsque ce qui est dû est un service (et non un bien ou un droit déterminé). On évitera donc de parler de « faute contractuelle » lorsqu'on visera seulement l'inexécution du contrat (158). Puis on dépouillera le contrat de sa fonction de réparation en le débarrassant de l'obligation de sécurité ; une telle obligation constitue en réalité, comme le dit M Viney, une « norme générale de comportement qui existe en dehors de tout contrat », étrangère par conséquent aux utilités spécialement recherchées par ceux qui contractent. Enfin on tentera d'oublier la pseudo summa divisio des obligations de moyens et de résultat. Ce resserrement du contrat réduirait du même coup la « responsabilité contractuelle » à sa fonction d'exécution forcée (159) ; au délit, on redonnerait ainsi compétence exclusive pour la réparation des dommages injustement causés - spécialement pour les dommages causés à la personne. On pourrait alors, sans toucher au régime des contrats, construire des règles spéciales de réparation des dommages corporels, par types d'accidents (domestiques, de la route, médicaux, etc.), ou même le droit général des accidents que plusieurs souhaitent (160). Il me semble que le droit de la responsabilité ne retrouvera sa cohérence que débarrassé de la fausse « responsabilité contractuelle », et que le droit de l'inexécution contractuelle ne retrouvera sa simplicité que déchargé de sa fausse fonction de réparation. 48. Je ne plaide donc pas pour le maintien de la distinction des deux responsabilités, ni pour la « tyrannie » d'un « parti pris dualiste » (161), mais pour la distinction de la réparation et du payement forcé. Cette distinction respecte l'opposition classique du contrat et du délit mais abolit la distinction des « deux responsabilités » en faisant disparaître le faux concept de « responsabilité contractuelle ». Derrière la distinction traditionnelle des causes d'obligations, on perçoit mieux alors la dualité des principes premiers de l'ordre civil : exécuter les promesses, d'une part, et réparer les dommages injustement causés à autrui d'autre part. C'est à cette remise en ordre (en ordre naturel) qu'il faudrait s'essayer, me semble-t-il, plutôt qu'à l'effacement de la doctrine classique des sources d'obligations (162). (1) J. Carbonnier, Droit civil, t. IV, 154, p. 257. (2) Ph. Malaurie et L. Aynès, Les obligations, 6 éd. 808 et s. (3) J. Huet, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, Essai de délimitation entre les deux ordres de responsabilité, th. Paris II, 1978. (4) D. Tallon, L'inexécution du contrat : pour une autre présentation, cette Revue 1994.223 et Pourquoi parler de faute contractuelle ?, Mélanges Cornu, 1995, p. 429. (5) Ph. le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité, Dalloz, 1996, n° 220 et s. et 1481 et s. ; V. déjà la 3 éd. du même Traité, par Ph. le Tourneau,1982, n° 159 et s. (6) Critique du système français de responsabilité civile, Droit et cultures, 1996.31. (7) Pour répondre complètement à ces questions, il faudrait sortir du Droit français - non seulement parce que l'histoire de la « responsabilité contractuelle », dans les systèmes voisins du nôtre, est riche d'enseignements, mais aussi parce qu'il est avéré que, sur ce point, les influences réciproques ont été importantes (F. Giardina, Responsabilità contrattuale e responsabilità extracontrattuale, Giuffrè, 1993). (8) Je n'envisagerai pas ici les rapports qui pourraient exister entre la notion de « responsabilité contractuelle » et la théorie dualiste de l'obligation (question à peine effleurée par F. Comparato, Essai d'analyse dualiste de l'obligation en droit privé, 1963, n° 94) : la traduction impropre de Schuld (engagement, devoir) et Haftung (responsabilité) a peut-être favorisé l'élaboration du concept moderne de « responsabilité contractuelle ». (9) Pothier, Traité des obligations, éd. Dupin, 1827, I, n° 2 et s. (10) L'un des derniers tenants de la doctrine classique (Théorie générale des obligations, réimpr. Sirey, 1965, p. 378 et 390 et

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s.) avec Josserand (Cours de droit civil positif français, 1930, II, n° 581 et s.). (11) Très nets sur ce point : H. et L. Mazeaud, 6 éd. par A. Tunc, t. 1, n° 100. (12) D'où le maintien de plein droit des sûretés pour garantir les dommages-intérêts (Req. 8 mai 1881, S. 1882.1.150 ; Req. 20 mars 1922, D. 1923.1.21). (13) Cette doctrine du code civil s'oppose à celle que le BGB a adoptée probablement sous l'influence de Windscheid et Mommsen (Zweigert et Kötz, An introduction to comparative law, 2 éd. Oxford, University Press, 1987, trad. T. Weir, p. 525). Le BGB traite des dommages et intérêts non à propos des obligations contractuelles, mais à propos des obligations en général, indépendamment de leur source (L.II, S.I, T.I : Verpflichtung zur Leistung, § 241-292) ; le BGB dispose que l'impossibilité d'exécution libère le débiteur (§ 275) mais que celui-ci doit répondre de son fait ou de sa négligence (§ 276) en réparant le préjudice causé par l'inexécution (§ 280). On reconnaît ici notre figure moderne de la « responsabilité contractuelle » ; mais il est difficile de mesurer l'influence qu'a pu avoir cette doctrine du BGB sur les auteurs de la fin du XIXe siècle (V. infra, n° 11). (14) Une politique de « prévention des fautes » ou de « dilution des risques » (par le jeu des recours en chaîne contre le vendeur initial ou le fabricant) : V. Mazeaud-Tunc, op. et loc. cit. (15) De la vente, n° 81, 82 et 202. (16) Ce point frappe particulièrement les juristes de common law, dans notre régime de garantie des vices cachés : ils disent que la garantie protège le restitution interest et des éléments importants du reliance loss, mais non l'expectation interest de l'acheteur (G.H. Treitel, Remedies for breach of contract, A comparative account, 1988, p. 90). (17) Il y a à cela une raison lexicale : le substantif même de « responsabilité » est, au moment de la rédaction du code, d'usage récent ; il aurait été forgé par Necker pour désigner la responsabilité politique des ministres et ne gagne l'usage juridique qu'au cours du XIXe siècle (J. Henriot, Note sur la date et le sens de l'apparition du mot responsabilité, Arch. Phil du Droit, XXII, 1977, p. 59). (18) A. Sourdat, Traité général de la responsabilité ou de l'action en dommages-intérêts en dehors des contrats, 1 éd. 1852. (19) Jur. gén. Dalloz, XXXIII (1860), v° Obligations, n° 722 et s. (20) Jur. gén. Dalloz, XXXIX (1858), v° Responsabilité, n° 18. Le Répertoire de Merlin comporte un mot « Responsabilité civile des délits » ; La Table du Locré (vol. 31), v° Responsabilité, ne renvoie qu'à « La responsabilité à l'occasion des délits et quasi-délits ». (21) La tradition distinguera culpa lata, culpa levis et culpa levissima ; la gradation des fautes au Bas-Empire est différente : culpa lata (assimilée au dol), culpa levis in concreto, culpa levis in abstracto (Ourliac et Malafosse, I, 161) ; les juristes byzantins créent, pour le détenteur de la chose d'autrui, la culpa in custodiendo. (22) J.-L. Gay, Recherches sur les origines de la responsabilité contractuelle, Etudes d'histoire du Droit canonique, G. Le Bras, t. 2, 1191. (23) Traité des obligations, n° 142. (24) Essai sur la prestation des fautes (1764), publié dans les Oeuvres de Pothier par Bugnet (t. 2, p. 503, Paris, 1848). Lebrun ramène à deux degrés les diligences du débiteur (en opposant simplement le standard abstrait du père de famille à la diligence que le débiteur a coutume d'apporter à ses propres affaires) et les distribue selon que la chose à donner ou à restituer à autrui lui appartient entièrement ou constitue une affaire commune ; V. la faible réponse de Pothier à Lebrun (ibid. p. 497). (25) Hasse, Die Culpa des römischen Rechts, 1 éd. 1815, 2 éd. 1838. (26) Bigot-Préameneu, présentation au Corps législatif et exposé des motifs du titre des contrats, Fenet, 13.230. (27) Desrayaud, Ecole de l'Exégèse et interprétations doctrinales de l'article 1137 du code civil, cette Revue 1993.535 . (28) De jusnaturalisme moderne, eût dit Villey. (29) Toullier, Le droit civil français suivant l'ordre du code, t. 6, Paris, 1821, n° 232 et s. (30) Plus avant dans le XIXe siècle, d'autres auteurs, lecteurs de la romanistique allemande (exceptionnellement bavarde sur la « culpa »), comprendront les deux alinéas de l'art. 1137 comme le rétablissement de la « vraie distinction romaine » des fautes appréciées in abstracto (al. 1) et in concreto (al. 2). Pour d'autres enfin, l'art. 1137, abandonnant tout « système », laisse à la prudence des juges d'arbitrer s'il y a ou non, en chaque cas, une faute. Sur ces doctrines, V. Desrayaud, op. cit. (31) Oeuvres de Domat, éd. J. Remy, Paris 1835, Les lois civiles dans leur ordre naturel, t. VIII, Des dommages causés par les fautes qui ne vont pas à un crime, ni à un délit, S.IV, p. 480, n° 2. (32) Lois civiles, op. cit. P.1 (Des engagements), L.1 (Des engagements volontaires et mutuels par les conventions), T.1 (Des conventions en général) S.III (op. cit. 134 et s.) : « En toutes conventions, c'est le second effet des engagements que celui qui manque à ceux où il est entré, ou qui est en demeure, soit qu'il ne le puisse, ou qu'il ne le veuille, sera tenu des dommages et intérêts de l'autre, selon la nature de la convention, la qualité de l'inexécution ou du retardement, et les circonstances ». (33) V. D. Tallon, Pourquoi parler de faute contractuelle ?, op. cit. p. 430. (34) Demolombe, Traité des contrats et obligations, t. VIII, n° 450 ; Huc, t. VII, n° 95 ; Labbé, note au S. 1886.4.25. (35) A. Desjardins, Le code civil et les ouvriers, Revue des Deux-Mondes, 15 mars 1888.350 et 362. Les aspects proprement politiques de la question des accidents industriels sont abondamment discutés par Saleilles (V. not. Les accidents du travail et la responsabilité civile, 1895 ; Le risque professionnel dans le code civil, Réforme sociale, 1898.1.634 ; Etude sur la théorie générale de l'obligation d'après le premier projet de code civil pour l'Empire allemand, 2 éd. 1901, n° 337). (36) Remy, Critique du système français de responsabilité civile, loc. cit. (37) Sauzet, De la responsabilité des patrons vis-à-vis des ouvriers dans les accidents industriels, Rev. crit. de législation et de jurisprudence, 1883.596 et 677 ; Sainctelette, De la responsabilité et de la garantie. Accidents de transport et de travail, Bruxelles, 1884 ; Labbé, notes S. 1885.4.25, 1886.2.97, 1886.4.25, 1889.4.1, 1890.4.17. (38) Civ. 16 juin 1896, D. 1897.1.433, note Saleilles ; S. 1897.1.17, note A. Esmein ; mais peu après la Chambre des requêtes refuse de suivre l'opinion de la chambre civile (Req. 30 mars 1897, D. 1897.1.441, note Saleilles ; S. 1898.1.65). (39) Teisseire, Essai d'une théorie générale sur le fondement de la responsabilité, 1901, p. 77 ; Planiol, Traité élémentaire, t. II, n° 875.

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(40) Sur les raisons profondes de cette défense de la faute, on peut hésiter. Planiol invoque fréquemment « le sens commun » ou « le bon sens et l'équité », ou encore « la tradition française, qui se rattache aux doctrines de la philosophie spiritualiste » (Traité élémentaire, t. II, n° 878) ; mais d'autres passages classeraient Planiol comme adepte du darwinisme social, plutôt que chez les « spiritualistes » ; ainsi le paragraphe traitant du « rôle attribué à l'intention de nuire » dans la « théorie moderne de l'usage abusif des droits » (Traité élémentaire, t. II, n° 871 bis) : « L'idée est généreuse, mais elle est irréfléchie : les hommes passent leur vie à se nuire les uns aux autres ; la vie des sociétés est une lutte perpétuelle et universelle ; toute action, tout travail est un fait de concurrence économique ou sociale ; tout homme, toute nation qui acquiert une supériorité dans une branche quelconque de son activité en supplante d'autres, évince ses concurrents, leur nuit, et c'est son droit de leur nuire. Telle est la loi de la nature et l'humanité n'a pas d'intérêt à s'y soustraire, parce qu'elle est le seul stimulant de son énergie ». (41) C'est l'objection la plus courante à la thèse de Sainctelette ; V. Teisseire, op. cit. p. 78. (42) Traité élémentaire, 3 éd. 1905, II, n° 1857. (43) Eod. loc. (44) Op. cit. n° 876. (45) Op. cit. n° 877. (46) Op. cit. n° 863 et s. (47) Op. cit. n° 864. (48) Op. cit. n° 865. (49) Etudes sur la responsabilité civile, Première étude, Du fondement de la responsabilité, Rev. crit. 1905.272. (50) G. Cornu, Vocabulaire juridique, v° Obligation, sens 1 et 2. Gény critiquait cette idée qu'il pût y avoir de vraies « obligations légales » préexistant à tout délit (Risques et responsabilité, à propos des thèses de Teisseire et de Ripert, cette Revue 1902.816) : Planiol le classe parmi « les esprits imbus d'idées différentes et de conceptions incomplètes » et l'accuse de « méconnaissance complète des notions philosophiques les plus élémentaires » (Rev. crit. 1905.287). Faut-il croire que Planiol avait oublié Pothier (Obligations, 1) ? (51) Vérification : le droit réel se ramène, chez Planiol, à une « obligation passive universelle » ; V. aussi Demogue, Notions fondamentales du droit privé, 1911, p. 411 et s. (52) Classification des sources des obligations, Rev. crit. 1904.224. (53) La même opposition de la loi et du contrat est au contraire la justification fondamentale de la distinction opérée par Sainctelette entre la responsabilité (délictuelle) et la garantie (contractuelle). (54) Point bien vu par L. Husson, Les transformations de la responsabilité. Etude sur la pensée juridique, PUF, Bibliothèque de philosophie contemporaine, 1947, p. 281, les p. 278-298 de cet ouvrage donnent une analyse historique minutieuse et profonde de la « division de la responsabilité » dans son rapport avec le « problème des sources ». (55) Traité élémentaire, t. II, p. 830. Du délit au quasi-délit, puis à l'enrichissement sans cause, il y a certes « une gradation descendante dans la criminalité du fait lésif » : mais cela « n'influe que sur des points très secondaires : l'obligation de réparer le dommage prend toujours naissance avec la même force » (eod. loc.). (56) V. la préface au t. II du Traité élémentaire, p. IX, où l'enthousiasme du bon Larombière pour la logique des obligations est un peu moqué. (57) R. v. Jhering, De la faute en droit privé, trad. O. de Meulenaere, Paris 1888. (58) Traité élémentaire, t. II, p. 863. (59) Traité élémentaire, t. II, p. 161. BGB, § 249 et s. ; rappr. Saleilles, Etude sur la théorie générale..., n° 15-16, et n° 330-331. L'idée germanique que paraît endosser Saleilles (comme Grandmoulin) est que l'inexécution du contrat est bien un délit civil, qui consiste à violer le droit d'autrui - l'inexécution constitue en effet une atteinte à un droit de créance, et cette atteinte n'est pas à traiter différemment de l'atteinte au droit de propriété d'autrui : la faute contractuelle ne serait « qu'une faute délictuelle née à l'occasion d'un contrat » (Saleilles, op. cit. n° 16 et 308). (60) Grandmoulin, De l'unité de la responsabilité ou nature délictuelle de la responsabilité pour violation des obligations contractuelles, th. Rennes, 1892. (61) Lefebvre, De la responsabilité, délictuelle, contractuelle, Rev. crit. 1886.485. (62) A vrai dire, la thèse de Grandmoulin ne se réduit pas, comme Planiol le laisse entendre, à l'assimilation de la loi et du contrat. D'une part Grandmoulin soutient que l'inexécution du contrat constitue une atteinte au droit d'autrui (à un droit de créance) qu'il faut traiter comme toute atteinte à un droit, par la responsabilité délictuelle (on retrouve cette idée, reprise d'auteurs allemands, chez Saleilles, Etude sur la théorie générale de l'obligation, n° 331). D'autre part, Grandmoulin utilise aussi un argument historique, puisé dans sa thèse de droit romain, (Nature délictuelle de la responsabilité pour violation des obligations contractuelles dans l'Ancien Droit romain, Rennes, 1892) : les actions ex contractu seraient sorties d'actions primitives ex delicto. Ce second point est exact ; Gorla observe que, plus généralement, « l'esprit juridique primitif » considère l'inexécution d'une promesse comme un délit et accorde une action ex delicto là où l'on donne aujourd'hui une action contractuelle (Il contratto, I, ed. Giuffrè, Milan, 1954, 2) ; l'histoire de la common law fournirait un exemple de la même évolution. L'unité de la responsabilité serait donc, non l'avenir, mais le très lointain passé. (63) Traité élémentaire, n° 877. (64) P. Esmein, Le fondement de la responsabilité contractuelle rapprochée de la responsabilité délictuelle, cette Revue 1933.627. Conclusion typique de la doctrine pantimétique : « La société nous fixe des règles de conduite sans lesquelles la vie en commun serait impossible. Elle nous commande avec la même force d'exécuter les ordres qu'elle nous donne elle-même et les engagements que nous avons volontairement assumés. Comment concevoir alors que les principes de la sanction diffèrent suivant l'origine de l'obligation ? Seules sont admissibles des différences sur des points spéciaux, à condition d'être sérieusement justifiées ». (65) Traité de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, 1 éd. 1931, n° 100 et s. (66) Consacrée par la thèse de Brun, Rapports et domaines des responsabilités contractuelle et délictuelle, Lyon, 1930. (67) Civ. 10 nov. 1884, S. 1885.1.129, D. 1885.1.433, note crit. Sarrut ; Civ. 13 mars 1895, S. 1895.1.258 ; Civ. 1 mai 1899,

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D. 1899.1.558. (68) Trois arrêts : Civ. 21 nov. 1911 (S. 1912.1.73, note Lyon-Caen ; D. 1913.1.249, 1 esp.) ; Civ. 27 janv. 1913 (S. 1913.1.17 ; D. 1913.1.249, 2 esp.) ; Civ. 21 avr. 1913 (S. 1914.1.5, note Lyon-Caen ; D. 1913.1.249, concl. Sarrut). Les deux premiers arrêts ne règlent que des questions de compétence territoriale ; c'est seulement dans le troisième arrêt (C du Chemin de fer de Paris à Orléans c/ Vve Donat) que la Cour de cassation utilise ce procédé pour appliquer l'art. 1147 et évincer les art. 1382-83. (69) V. Bonnecase, Supplément au Traité de Baudry-Lacantinerie, 1925, II, n° 452 et s., où, à propos de la distinction de l'acte juridique et du fait juridique, cette question est longuement débattue à l'aide des « données de la science du droit » et de la « pure technique juridique » - l'accent étant mis sur l'idée que la responsabilité délictuelle est « de droit commun » et que la responsabilité« contractuelle » n'en est qu'un « dérivé » (d'où Bonnecase, au n° 506, conclut « scientifiquement » que « le domaine du fait juridique... englobe... celui de l'acte juridique »). (70) Lalou, Contrats comportant pour l'une des parties l'obligation de rendre le contractant « sain et sauf », DH 1931.Chron.37. On trouvera là un inventaire instructif des questions alors en suspens : savoir s'il y a « dette d'intégrité physique » dans le transport gratuit, dans le contrat médical, dans le contrat d'enseignement (privé) et de colonies de vacances, dans la vente (comme une excroissance de la garantie des vices cachés) ; plus curieusement, Lalou cite le mandat, pour lequel un arrêt précurseur de 1907 aurait, sur le fondement de l'art. 2000, admis l'indemnisation de la femme d'un mandataire tué par l'éruption de la Montagne Pelée. Très vite, on voit donc partout des obligations contractuelles de sécurité. (71) Josserand, L'essor moderne du concept contractuel, Rec. d'études sur les sources du Droit en l'honneur de F. Gény, t. II, p. 333. (72) Autre reproche, plus curieux sous la plume de Josserand : la Cour de cassation serait coupable « d'interventionnisme, d'étatisme juridique » (p. 346). (73) Esmein pressent cette concurrence des art. 1147 et 1384 § 1 dès 1925 (note sous Civ. 27 juill. 1924, S. 1925.1.249). (74) Pas encore apaisée : V. le Tourneau et Cadiet, op. cit. n° 284. Derniers échos en jurisprudence : Civ. 1, 6 avr. 1994, JCP 1994.I.3781, n° 1, obs. Fabre-Magnan ; cette Revue 1994.866 , obs. P. Jourdain. En dehors du transport bénévole, le régime des contrats de services gratuits est aujourd'hui traité, en jurisprudence, de façon absolument imprévisible (G. Viney, op. cit. n° 184). (75) Cela est très bien dit par Ripert, note DP 1928.1.146. (76) G. Viney, Introduction à la responsabilité, 2 éd. p. 287. ; H. Groutel, Vers un chambardement de l'obligation de sécurité dans les contrats ? RCA 1990.chron.16. (77) Civ. 1, 19 janv. 1965, D. 1965.389, cette Revue 1965.665, obs. G. Cornu. Sur le droit antérieur, V. H. Mazeaud, La responsabilité civile du vendeur fabricant, cette Revue 1955.611. (78) Civ. 1, 11 juin 1991, Bull. civ. I, n° 201 ; Contrats, conc. consom. 1991.219, obs. Leveneur ; cette Revue 1992.114 , obs. Jourdain. (79) Civ. 1, 17 janv. 1995, D. 1995.350, note Jourdain ; cette Revue 1996.634 , obs. Jourdain ; JCP 1995.1.3853, obs. G. Viney ; RCA 1995.chron. n° 16, obs. Groutel ; RGAT 1995.674, nos obs. 529. (80) Ce n'est pas une « faute délictuelle prise en elle-même, indépendamment du point de vue contractuel », selon une autre formule de la Cour de cassation ; V. G. Viney, Introduction à la responsabilité, 2 éd. 1995.402. (81) Fameuse chronique de P. Esmein, La chute dans l'escalier, JCP 1956.I.1321. (82) J. Carbonnier, op. cit. n° 295. (83) Jourdain, note D. 1995.350 ; G. Viney, op. cit. n° 168, p. 287. (84) Y. Lambert-Faivre, Fondement et régime de l'obligation de sécurité, D. 1994.Chron.81 . (85) G. Viney, op. cit. p. 328, texte et note 33. Civ. 1, 20 mars 1989, D. 1989.381, note Malaurie, cette Revue 1989.757, obs. Jourdain ; Civ. 1, 11 juin 1991, Bull. civ. I, n° 201 ; Civ. 3, 9 oct. 1991, cette Revue 1992.107 , obs. Jourdain ; Civ. 1, 13 avr. et 26 mai 1992, cette Revue 1992.766 , obs. Jourdain ; Civ. 1, 17 janv. 1995, préc. ; Lapoyade-Deschamps, Responsabilité contractuelle ou responsabilité délictuelle ? RCA 1992.chron.33. (86) Mazeaud-Tunc, n° 162. (87) Jurisprudence des garagistes, teinturiers, parkings de voitures et mouillages à quai de bateaux, etc. : V. Huet, Les principaux contrats spéciaux, n° 32296 et s. (88) V. la jurisprudence des électriciens et autres chauffagistes dans le cas d'incendie, Huet, op. cit. n° 32303 ; not. Civ. 2, 26 mai 1992, RCA 1992.346 et obs. Lapoyade-Deschamps, Responsabilité contractuelle ou responsabilité délictuelle ?, RCA 1992.chron.33 ; la question a été aiguisée par les clauses des polices d'assurance de responsabilité professionnelle qui ne couvrent pas toujours les deux types de responsabilité (G. Durry, La distinction de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, 1986, n° 43 et s.). (89) V. sur ce point G. Viney, op. cit. n° 168, p. 289 et s. (90) Flour, Rev. crit. 1938.318 et s. (91) V. les art. 1810, 1825 et 1827 c. civ. sur la perte du cheptel dans le cheptel simple, le cheptel de fer et le cheptel donné au colon partiaire. (92) « Une approximation grossière » (Esmein, L'obligation et la responsabilité contractuelle, Mélanges Ripert, 1950, II, p. 101). (93) Les purs tenants de la summa divisio sont évidemment embarrassés par les garanties : ils les mettent donc à part, comme « dérogatoires au droit commun » (Mazeaud, Tunc, op. cit. n° 653-2) : au droit commun de la responsabilité, s'entend, car on ne voit pas comment ni pourquoi elles seraient dérogatoires au droit des contrats (V. supra, n° 4). (94) Demogue, Traité des obligations en général, 1925, t. V, n° 1237. (95) le Tourneau et Cadiet, op. cit. n° 1530. Les mauvais esprits ajouteraient que ce critère social a des relents de droit bourgeois. (96) le Tourneau et Cadiet, op. cit. n° 1532 et s.

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(97) Tallon, Pourquoi parler de faute contractuelle ?, op. cit. p. 437. (98) Tallon, op. et loc. cit. On ajoutera que la preuve nécessaire pour faire jouer les garanties n'est pas non plus toujours aisée. (99) le Tourneau et Cadiet, op. cit. n° 1519. (100) H. Mazeaud, Essai de classification des obligations : obligations contractuelles et extracontractuelles, obligations déterminées et obligation générale de prudence et de diligence, cette Revue 1936.1 ; Mazeaud-Tunc, I, n° 103-9. (101) Avec ce notable « scrupule », avoué à la fin d'un paragraphe du Traité (n° 103-9) : entre personnes que ne lie aucun contrat, ce qu'on appelle « obligation » est en réalité un simple devoir ; « mais ne peut-on pas dire que ce devoir général de prudence et diligence est une obligation activement universelle ? » (on reconnaît l'empreinte de Planiol). D'ailleurs, « la confusion qui est faite constamment entre obligation et devoir... est extrêmement pratique du point de vue de la langue. Elle ne peut pas présenter de danger sérieux. Il importe donc, après avoir remarqué la différence, de souligner aussi la ressemblance, afin de ne pas introduire artificiellement un élément d'opposition entre responsabilité contractuelle et délictuelle ». L'artifice serait donc dans l'emploi du mot « obligation » dans son sens juridique ? (102) Zweigert et Kötz, An introduction to comparative law, 2 éd. Oxford, University Press, 1987, trad. T. Weir, p. 539 et s. (103) Constantinesco, Inexécution et faute contractuelle en droit comparé, Stuttgart-Bruxelles, 1960, n° 137 et s. ; Les effets du contrat dans les pays du Marché commun, Institut de droit comparé de l'Université de Paris II, dir. Rodière et concl. Tallon, Pedone, 1985 ; Treitel, Remedies for breach of contract, a comparative account, Oxford, University Press, 1988. (104) Eléments d'histoire de cette distinction dans des pages passionnantes de Saleilles, Etude sur la théorie générale des obligations d'après le premier projet de code civil pour l'Empire allemand, op. cit. n° 199 et s. (105) Zweigert et Kötz, op. cit. p. 548 et s. Sur les lacunes du BGB en matière d'inexécution du contrat, V. Pédamon, Le contrat en droit allemand, p. 142 et s. (106) Tallon, Pourquoi parler de faute contractuelle ?, op. cit. p. 436. (107) Cela est encore clairement dit par Gaudemet, op. cit. p. 383. Noter que la doctrine moderne tend à rejeter précisément l'application de l'art. 1315 al. 2 au cas où le créancier réclame des dommages et intérêts pour en cantonner l'application au cas où il réclame l'exécution en nature : c'est que, pour cette doctrine, celui qui réclame des dommages et intérêts ne réclame pas l'exécution de l'obligation primitive, mais prétend à une nouvelle créance de réparation, qu'il doit établir (H., L. et J. Mazeaud, jusqu'à la 4 éd. du Traité, n° 694 ; Lagarde et Perrot, 2 éd. du Beudant et Lerebours-Pigeonnière, IX, n° 1163). (108) Planiol, D. 1896.II.457. (109) Sur les autres « conciliations » doctrinales des art. 1137 et 1147, V. Carbonnier, op. cit. n° 159 ; le code italien de 1865, puis celui de 1942, ont soulevé le même genre de difficulté, qui a profondément divisé la doctrine (F. Giardina, op. cit. p. 25 et s. ; G. Visintini, La responsabilità contrattuale, éd. Eug. Jovene, Naple, 1979, p. 3 et s.). (110) Tunc, cette Revue 1945.235 et Mazeaud, Tunc, I, p. 659 et s. (111) C'est-à-dire à l'exclusion des « obligations » de garantie, considérées comme « en-dehors » du droit commun. (112) M. Tunc ne va pas jusque-là, parce qu'il lui semble que la preuve d'une conduite diligente n'équivaut pas en pratique à la preuve d'une absence de faute : « la preuve de la force majeure est la seule preuve complète de l'absence de faute » (Mazeaud-Tunc, n° 694) ; mais la doctrine contemporaine irait volontiers à cette solution, difficilement évitable lorsqu'on considère la « responsabilité contractuelle » comme une vraie responsabilité : V. Bénabent, Les obligations, 5 éd. n° 410. (113) « Responsabilité contractuelle du fait personnel » , chez Mazeaud, Tunc, intitulé des n° 652 et s. (114) J. Carbonnier, op. cit. n° 154. (115) Tunc, La responsabilité civile, 2 éd. 1986, n° 46. (116) Tallon, L'inexécution du contrat, op. cit. n° 17-18 ; le Tourneau et Cadiet, op. cit. n° 1587 et s. (117) Becqué, De la responsabilité du fait d'autrui en matière contractuelle (contribution à l'étude du droit comparé des obligations), cette Revue 1914.251. Becqué avait été précédé par Saleilles (Etude sur la théorie générale de l'obligation..., op. cit. n° 17) chez qui l'on voit comment la question s'est présentée lors de la préparation du BGB, en réaction contre l'opinion de Windscheid, qui voulait que le débiteur ne répondît que de sa culpa in eligendo. (118) En ce qu'il prévoit que le preneur est tenu des pertes et dégradations qui arrivent par le fait des sous-locataires ; car les pertes causées par « les personnes de sa maison » ne sont pas causées par des tiers que le preneur aurait chargé d'exécuter le contrat ou qu'il se serait substitués (le Tourneau et Cadiet, op. cit. n° 1594). (119) Sur la façon d'apprécier alors la force majeure, V. Jourdain, cette Revue 1989.96. (120) Civ. 1, 3 oct. 1967, JCP 1968.II.15365, note Durand ; Civ. 1, 4 mars 1968, Bull. civ. I, n° 84. (121) La controverse n'est donc pas purement académique ; contra, MM Malaurie et Aynès, Les obligations, n° 878. (122) G. Viney, op. cit. n° 170. (123) Rodière, Y a-t-il une responsabilité contractuelle du fait d'autrui ?, D. 1952.Chron.79. (124) Civ. 1, 9 avr. 1962, Bull. civ. I, n° 205. (125) Civ. 1, 10 oct. 1995, Bull. civ. I, n° 346 ; JCP 1996.3944, n° 18 et s., obs. crit. G. Viney. On ne peut que rester songeur devant une jurisprudence aussi précautionneuse lorsqu'il s'agit de faire payer des dommages-intérêts par le débiteur d'un contrat inexécuté par le fait de ses préposés, et aussi audacieuse lorsqu'il lui faut inventer, à partir d'un texte vide, un principe général de responsabilité délictuelle du fait d'autrui (jurisprudence Blieck). (126) G. Viney, Introduction..., n° 170. (127) Sur la façon dont se distribuent exactement responsabilité délictuelle et responsabilité contractuelle du fait du préposé, très fine analyse de M. Rebut, De la responsabilité contractuelle du fait d'autrui et de son caractère autonome, RRJ 1996.411, n° 39 et s. ; sur les recours du commettant contre son préposé, excellente mise au point du même auteur, op. cit. n° 42 et s. (128) Ass. plén. 15 nov. 1985, D. 1986.81, note Aubert ; JCP 1986.II.20568, note Viney ; cette Revue 1986.128, obs. Huet ; Lambert-Faivre, L'abus de fonctions, D. 1986.Chron.143. (129) Civ. 1, 18 janv. 1989, Bull. civ. I, n° 32, JCP 1989.II.21326, note Larroumet ; cette Revue 1989.330, obs. Jourdain. Pour l'interprétation d'un arrêt de Com. 3 oct. 1989, V. cette Revue 1990.87, obs. Jourdain. (130) D. Rebut, op. cit. supra, n° 51 et s.

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(131) A. Brun, Rapports et domaines des responsabilités contractuelle et délictuelle, th. Lyon, 1931, n° 275 ; c'est ainsi également que Josserand (De la responsabilité du fait des choses inanimées, p. 1131) puis Demogue (Traité, t. V. n° 1244) voyaient la question du « fait de la chose » en matière contractuelle. (132) Civ. 27 mars 1940, DC 1941.53, 2 esp., note Nast, qui reconnaît à cette décision le mérite de « mettre un frein à la tendance de certaines cours d'appel et de certains tribunaux qui voient dans l'art. 1384 § 1 c. civ. une sorte de « tarte à la crème » et veulent résoudre par lui toutes les questions de responsabilité ». On remarquera que c'est pour écarter l'application de l'art. 1384 al. 1 dans les rapports entre contractants qu'un arrêt de la cour de Lyon du 30 nov. 1953 a forgé la « responsabilité contractuelle du fait des choses » (D. 1954.172, note Rodière). (133) Mazeaud-Tunc, t. II, n° 1395 et s. ; G. Viney, La responsabilité : conditions, n° 740 et s. (134) Civ. 1, 17 janv. 1995, D. 1995.350, note Jourdain ; cette Revue 1995.631 , obs. Jourdain ; JCP 1995.I.3853, n° 9 et s. obs. Viney ; Groutel, RCA 1995.chron.16 ; Leduc, La spécificité de la responsabilité contractuelle du fait des choses, D. 1996.Chron.164 ; Remy, RGAT 1995.529. (135) Viney, obs. JCP 1996.I.3944, n° 6 à 12. (136) V. I. Souleau, La prévisibilité du dommage contractuel (défense et illustration de l'article 1150 du code civil), th. Paris II, 1979. Esquisse historique de cette règle dans Van Ryn, Responsabilité aquilienne et contrats, op. cit. n° 37 et s. Planiol avait fait de ce point le seul élément incontestable de la distinction des deux responsabilités. (137) le Tourneau et Cadiet, op. cit. n° 354 et s. Il y aurait à réfléchir, par ailleurs, sur la distinction des dommages-intérêts dus au cas de résolution et en l'absence de résolution (Guelfucci-Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilité, LGDJ, 1992, n° 180 et s.) - et beaucoup à apprendre des droits étrangers sur les diverses méthodes d'évaluation des dommages-intérêts selon la fonction qu'on leur prête (Treitel, op. cit. n° 82 et s.) ; l'indifférence de la doctrine française à ces questions économiquement très importantes est assez étonnante. (138) Mazeaud-Tunc, op. cit. t. III, p. 2391. (139) Viney, La responsabilité : effets, n° 333. (140) Obligations, n° 161. (141) Bigot-Préameneu, Locré, VI, 154, n° 43. (142) M.-E. Roujou de Boubée, Essai sur la notion de réparation, LGDJ, 1974, p. 302. (143) Civ. 7 juill. 1924, S. 1925.1.321, note Lescot (perte en cours de transport d'une chose supérieure à la valeur déclarée par l'expéditeur). On notera que la jurisprudence belge (poussée par Laurent, puis De Page) est allée plus loin dans l'interprétation déformante de l'art. 1150 (déjà soutenue par Colmet de Santerre et Demolombe) : elle ramène le texte à l'exigence d'une prévisibilité de la cause du dommage, et non de son étendue ; la doctrine belge en déduit très justement qu'en dépit du texte, il n'y a guère de différence sur ce point entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle (V. Cass. belge, 1 ch. 11 avr. 1986, Rev. crit. jur. belge, 1990.79, et la très intéressante note de M.-L. Cornelis). (144) Roujou de Boubée, op. cit. p. 303, qui justifie ensuite l'art. 1150 par le souci de « favoriser les transactions (en évitant) d'accabler le débiteur » (p. 305). (145) Viney, La responsabilité : effets, n° 333 ; au surplus, note l'auteur, « la disparition de l'article 1150 renforcerait le contrat car elle aurait pour effet d'aggraver la sanction de son inexécution » (op. cit. n° 331). (146) E. Roujou de Boubée, op. cit. p. 139 et s. (147) Mazeaud, Tunc, t. III, p. 2303 et s. ; rappr. Viney, op. cit. n° 46 et s. (148) Viney, La responsabilité : effets, n° 1 et Introduction..., n° 236, p. 431. (149) Tallon, L'inexécution du contrat, op. cit. (150) Roujou de Boubée, op. cit. 141. (151) G. Viney, Introduction..., n° 236, p. 431. (152) Tunc, op. cit. n° 32 et s. ; Viney, Introduction..., n° 232 et s. (153) Tunc, op. cit. n° 46. (154) Huet, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle. Essai de délimitation entre les deux ordres de responsabilité, 1978, passim. (155) G. Viney, Introduction..., op. cit. n° 235. (156) Tunc, La responsabilité civile, op. cit. n° 45. (157) G. Cornu, Le problème du cumul de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle, Rapport au VIe Congrès international de droit comparé 1962, p. 239. (158) Tallon, op. cit. Mélanges Cornu. (159) En ce sens, Dejean de la Bâtie, in Aubry et Rau, t. VI, 7 éd. note 416, p. 645 ; Huet, obs. cette Revue 1987.322. (160) Tunc, op. cit. passim ; Viney, Introduction..., n° 56 et s. ; le Tourneau et Cadiet, op. cit. n° 49 ; une thèse récente montre très bien comment pourrait aussi se reconstruire clairement le régime des actions contractuelles directes (F. Leborgne, L'action en responsabilité dans les groupes de contrats - Etude de droit interne et de droit international privé, Rennes, 1995, dir. L. Cadiet). (161) Viney, op. cit. n° 242. (162) Rappr. T. Weir, Int. Enc. of Comparative Law, vol. XI (Torts), ch. 12 (Complex liabilities), n° 4. RTD Civ. © Editions Dalloz 2010

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SEANCE 13 LA RESPONSABILITE DELICTUELLE Responsabilité du fait des choses

I. – Jurisprudence

• La chose � Cass. civ., 19 févr. 1941, DC 1941. 85, note J. Flour � Cass. civ. 2ème, 4 mars 1998, n° 96-14.119 � Cass. civ. 2ème, 23 mars 2000, n° 97-19.991 � Civ. 27 octobre 1885, DP 86. 1. 207, S. 86. 1. 33

• La notion de garde � Cass. Civ. 2ème, 5 mai 1978, no 76-14.564, JCP G 1979, II, no 19066, note F. Chabas. � Cass. Civ. 2ème , 28 mars 2002, no 00-10.628, D. 2002, p. 3237, note D. Zerouki � Cass. civ. 1ère, 9 juin 1993, D. 1994. 80, note Y. Dagorne-Labbe.

• Les causes d’exonérations � Cass. Cass. civ. 1ère, 3 juill. 2002, D. 2002. 2631, note J.-P. Gridel � Cass. civ. 2ème, 18 mars 2004, D. 2005. 125, note I. Corpart � Cass. civ. 2ème, 23 janv. 2003, D. 2003. 2465, note V. Depadt-Sebag II. – Doctrine � V. Depadt-Sebag, « Faut-il abroger l'article 1386 du code civil ? », D. 2006, Chron. p.

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II. – Exercices � Cas pratiques

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Cas pratiques :

Cas n° 1 :

Roberta, un peu feignante, ne s’occupe plus beaucoup de l’entretien de son appartement du

2eme étage depuis que ses enfants sont partis.

Elle a d’ailleurs laissé à l’abandon les plantes de ses jardinières sur son balcon. La pluie est

tombée à plusieurs reprises ce mois ci et a remplit d’eau les jardinières.

Roberta n’y a pas prêté attention, mais le support en métal qui soutient depuis 20 ans ses

plantes a rouillé et s’apprête à céder. La pluie tombe à nouveau, alourdissant un peu plus le

bac de plantes qui finit par céder et s’écrase deux étages plus bas sur le landau du nouveau-né

de la voisine. L’enfant est très grièvement blessé.

Cas n° 2 :

Les étudiants en Droit de deuxième année se sont tous retrouvés au Bar, pour fêter la fin des

examens. Le Bar est un bar sérieux de l’Écusson qui vient de subir un contrôle de sécurité.

Tout était conforme aux normes de sécurité.

Les étudiants rentraient et sortaient à l’envi. Quand Arthur courut en direction de la sortie

pour rejoindre ses amis qui fumaient à l’extérieur, son regard croisa celui de la plus belle fille

de l’amphi. Si bien qu’il continua sa course en tournant sa tête pour la contempler.

Malheureusement pour lui, il percuta la porte vitrée du bar qui se brisa sous l’effet de l’impact.

Même si la jeune étudiante a accouru pour s’occuper de lui, il n’en eut pas moins le nez cassé.

Comme il avait étudié la responsabilité civile délictuelle au second semestre, il s’est réjoui par

avance de pouvoir obtenir réparation du Bar.

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� Cass. Civ. 2e, 5 mai 1978, no 76-14.564, JCP G 1979, II, no 19066, note F. Chabas. Sur le premier moyen, pris en ses deux branches: Vu l'article 1384 aliné;a 1er du Code civil, Attendu que la responsabilité du dommage causé

par une chose est liée à l'usage qui est fait, de la chose, ainsi qu'aux pouvoirs de surveillance et de contrôle exercée sur elle, qui caractérisent la garde;

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que, sur une route, la mineure Sabatier fit une chûte et se blessa alors qu'à bicyclette elle participait à une randonnée organisée par une colonie de vacances de la S.N.C.F.; que les consorts Sabatier demandèrent réparation du dommage à la S.N.C.F. et à son assureur, la Compagnie La Paix;

Attendu que, pour rejeter la demande sur le fondement de l'article 1384 aliné;a 1er du Code civil, la Cour d'appel énonce "que le pouvoir de contrôle et de commandement des montieurs ne s'exerçait pas sur la bicyclette mais sur l'enfant", et que, "pendant que celle-ci avait l'usage du vélo, ils n'avaient aucune possibilité de contrôler et de diriger sa marche et sa façon de manier sa bicyclette, comme l'a, par exemple, un moniteur d'auto-école";

Attendu, cependant, qu'en déduisant de ces constatations que la jeune Sabatier devait être considérée comme ayant eu la garde de la bicyclette au moment de l'accident, alors que la colonie de vacances de la S.N.C.F. avait mis cette machine à la disposition de l'enfant pour effectuer

une randonnée qu'elle avait organisée et qu'elle faisait surveiller sur un itinéraire qu'elle même avait fixé, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen;

CASSE ET ANNULE l'arrêt rendu le 23 juin 1976, entre les parties, par la Cour d'appel de Besançon; remet, en conséquence, la cause et les parties au même et semblable état où elles étaient avant ledit arrêt, et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Dijon, à ce désignée par délibération spéciale prise en la Chambre du Conseil. Sur le rapport de M. le Conseiller Robineau, les observations de Me J. G. Nicolas, avocat des consorts Sabatier, de Me Coutard, avocat de la S.N.C.F. et de la Compagnie d'Assurance La Paix, les conclusions de M. Norès, Avocat général. M. BEL, Président.

� Cass. Civ. 2ème , 28 mars 2002, no 00-10.628, D. 2002, p. 3237, note D. Zerouki

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la mineure

Dounia Rakraki, participant à un jeu collectif improvisé inspiré du base-ball, a été blessée à l'oeil droit par une balle de tennis relancée en sa direction par le jeune Mohamed El Fakiri au moyen d'une raquette de tennis tenant lieu de batte de base-ball ;

Attendu que pour rejeter l'action en réparation de M. Omar Rakraki, ès qualités d'administrateur légal des biens de sa fille Dounia, la cour d'appel a, par motifs propres et adoptés, retenu que l'usage commun de la balle de tennis, instrument du dommage, n'autorisait pas la joueuse blessée à réclamer réparation sur le fondement du texte susvisé ;

Qu'en statuant ainsi, tout en constatant que la balle de tennis avait été projetée vers la victime par le moyen d'une raquette de tennis dont le jeune Mohamed El Fakiri avait alors l'usage, la direction et le contrôle, ce dont il résultait que la raquette avait été l'instrument du dommage, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Sur les deuxième et troisième branches du moyen :

Vu l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ; Attendu que pour rejeter l'action en

réparation de M. Omar Rakraki, la cour d'appel a, par motifs propres et adoptés, retenu encore qu'en participant à ce jeu, la jeune Dounia avait accepté les risques qu'il comportait, circonstance excluant l'application à son profit du texte susvisé ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle a constaté par ailleurs que le dommage s'est produit à

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l'occasion d'un jeu improvisé par des mineurs, et non dans le cadre d'une compétition sportive, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 janvier 1999, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;

� Cass. civ., 19 févr. 1941, D.1941. 85, note J. Flour

La Cour ; - Sur le moyen additionnel, lequel est préalable... - (sans intérêt) ; - Et sur le premier moyen : - Attendu que la dame Cadé, prise d'un malaise dans une cabine de l'établissement de bains municipal de la ville de Colmar, s'est affaissée sur le sol et a été brûlée au bras par le contact prolongé d'un tuyau du chauffage central ; que les époux Cadé ont assigné la Ville de Colmar en se fondant notamment tant sur la faute de la surveillante des bains, préposée de la ville, qui, appelée par la malade, aurait eu le tort de ne pas demeurer un temps suffisant auprès d'elle, que sur l'article 1384, § 1er, du Code civil, en raison du dommage causé par la tuyauterie dont la ville avait la garde, ainsi que sur la responsabilité contractuelle de la ville ; qu'ils ont été déboutés par la cour d'appel de Colmar (arrêt du 23 janv. 1947), motif pris, d'une part, de ce que la préposée n'avait commis aucune faute, d'autre part, de ce que l'accident a eu pour cause le malaise de la dame Cadé, qui a provoqué sa chute au contact d'un tuyau du chauffage central, et non ce tuyau, qui n'a joué qu'un rôle purement inerte, et enfin de ce que, si le contrat intervenu entre l'établissement de bains et la dame Cadé comportait l'obligation de ne pas mettre en danger la santé ou la sécurité de sa cliente, il n'impliquait pas celle de la garantir contre un état de santé défectueux que l'établissement ignorait ; - Attendu que le pourvoi, abandonnant le terrain de la responsabilité contractuelle, fait en premier lieu grief à cette décision d'avoir écarté la présomption de responsabilité qui, en vertu de l'article 1384, § 1er, du Code civil, pesait sur la ville de Colmar, sans établir soit la force majeure, soit la faute exclusive de la victime ; - Mais attendu que, pour

l'application de l'article 1384, § 1er, du Code civil, la chose incriminée doit être la cause du dommage ; que si elle est présumée en être la cause génératrice dès lors qu'inerte ou non elle est intervenue dans sa réalisation, le gardien peut détruire cette présomption en prouvant que la chose n'a joué qu'un rôle purement passif, qu'elle a seulement subi l'action étrangère génératrice du dommage ; qu'il résulte des constatations des juges du fond que tel a été le cas en l'espèce, la tuyauterie contre laquelle la dame Cadé s'est affaissée se trouvant installée dans des conditions normales et la cause génératrice du dommage résidant toute entière dans la syncope qui a fait tomber la dame Cadé de la chaise où elle était assise, et a permis qu'elle demeurât inanimée en contact avec un tube chaud assez longtemps pour être brûlée ; - Attendu que les demandeurs reprochent encore à l'arrêt attaqué d'avoir méconnu le caractère fautif des agissements de la surveillante de l'établissement de bains, préposée de la ville, mais que cette critique n'est pas mieux fondée que la première ; qu'en effet, l'absence de faute de la femme de service résulte des constatations mêmes de la cour d'appel, qui relève qu'appelée par la dame Cadé, elle lui est venue en aide dans la mesure où cette dernière le lui a demandé ; - Attendu qu'il suit de là que, loin de violer les textes visés au moyen, l'arrêt attaqué, qui est suffisamment motivé, en a fait une exacte application ; - Par ces motifs, rejette...

� Cass. civ. 2ème, 4 mars 1998, n° 96-14.119 LA COUR - Sur le deuxième moyen : - Vu l'article 1384, alinéa 1er, du code civil ; Attendu, selon l'arrêt attaqué (CA Colmar, 16 févr. 1996), que M.

H... a fait sauter, par explosifs, la maison de sa femme dont il était séparé de corps ; que cette explosion ayant endommagé l'habitation voisine des époux Sieffert, ceux-ci et leur assureur, la Garantie mutuelle des

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fonctionnaires (GMF), ont assigné en réparation M. H..., Mme H... et leur assureur, la Société d'assurance moderne des agriculteurs (SAMDA) ; - Attendu que, pour condamner in solidum les époux H... et la SAMDA à payer diverses sommes tant à la GMF, subrogée dans les droits des époux Sieffert, qu'aux époux Sieffert eux-mêmes, l'arrêt énonce que les matériaux en provenance de l'immeuble ayant joué un rôle actif et causal dans la réalisation du dommage, la responsabilité de Mme H... doit être retenue comme gardienne de cet immeuble ; qu'en statuant ainsi, tout en relevant que le jardin et l'habitation

des époux Sieffert avaient été endommagés par des gravats provenant du souffle de l'explosion de l'immeuble H..., ce dont il résultait que Mme H... n'était pas la gardienne des matériaux ainsi projetés, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ; Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs du pourvoi, casse et [...] renvoie devant la Cour d'appel de Metz...

� Cass. civ. 2ème, 23 mars 2000, n° 97-19.991 LA COUR - Sur le moyen unique, pris en sa première branche : - Vu les articles 1386 et 1384, alinéa 1er, du code civil ; - Attendu que le premier de ces textes n'exclut pas que les dispositions du second soient invoquées à l'encontre du gardien non propriétaire ; Attendu, selon l'arrêt attaqué (CA Limoges, 4 sept. 1997), que l'effondrement de la toiture d'une grange, sur laquelle M. Auzelle était titulaire d'un droit d'usage, a endommagé l'immeuble contigu de Mme Pierrefitte ; que celle-ci a assigné M. Auzelle en responsabilité et indemnisation de son préjudice ; - Attendu que, pour rejeter la demande fondée sur l'article 1384, alinéa 1er, du code civil, l'arrêt énonce que l'application des règles particulières découlant de l'article 1386 du code civil

interdit à Mme Pierrefitte d'invoquer, à titre subsidiaire, la disposition générale de l'article 1384, alinéa 1er, du même code, relative à la responsabilité du fait de la chose immobilière que M. Auzelle aurait eue sous sa garde ; qu'en statuant ainsi, alors que M. Auzelle n'était pas propriétaire du bâtiment, la cour d'appel a violé, par fausse application, le premier des textes susvisés ; Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième branches du moyen : Casse [...], renvoie devant la Cour d'appel de Poitiers...

� Civ. 27 octobre 1885, DP 86. 1. 207, S. 86. 1. 33 « La Cour ; - Vu l'article 1385 du Code civil ; - Attendu que la responsabilité édictée par ledit article repose sur une présomption de faute imputable au propriétaire de l'animal qui a causé le dommage ou à la personne qui en faisait usage au moment de l'accident ; - Que cette présomption ne peut céder que devant la preuve soit d'un cas fortuit, soit d'une faute commise par la partie lésée ; - Attendu, en l'espèce, qu'il est établi par les énonciations de l'arrêt attaqué que le dommage causé à Montagnier provenait de la chute de pierres qu'un mulet, appartenant à Leydon, et placé sous sa garde, avait fait rouler du sommet d'un

mur, et qui avaient atteint Montagnier ; - Attendu que, pour affranchir Leydon des conséquences de cet événement, la cour d'appel se borne à déclarer qu'il n'est pas démontré que l'accident dont Montagnier a été victime était arrivé par la faute, la négligence ou l'imprudence de Leydon, sans indiquer aucune des circonstances de nature à faire disparaître la responsabilité de ce dernier ; - En quoi elle a violé les dispositions de l'article 1385 citées par le pourvoi ; - Par ces motifs, casse...

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� Cass. civ. 1ère, 9 juin 1993, D. 1994. 80, note Y. Dagorne-Labbe.

LA COUR : - Attendu qu'à la suite d'une explosion survenue dans les silos à grains de la Sté La Malterie de la Moselle, cette société a conclu un marché de démolition et d'évacuation des déblais avec les Stés Cardem et Somafer, constituées en groupement ; que celles-ci ont procédé à la décharge de ces déblais dans l'ancienne gravière de Tournebride, située à l'intérieur du périmètre de protection d'un captage d'eau alimentant la commune de Montigny-lès-Metz ; que la présence d'orge ayant été constatée dans les déblais déposés par les Stés Cardem et Somafer, la commune a décidé, en raison des risques de pollution, d'arrêter les pompages sur le site en compensant ses besoins par l'achat d'eau à la Sté Mosellane des eaux ; que la commune a assigné la Sté La Malterie de la Moselle, la Sté Cardem et la Sté Dancy, utilisatrice habituelle de la décharge, en réparation de son préjudice, constitué par le surcroît de ses achats d'eau et le coût de l'extension et de la connexion de son réseau d'eau à celui de Metz ; que la Sté Cardem a appelé en garantie la Sté Somafer, ainsi que son propre assureur, la Cie Le Continent ; que la Sté Somafer a formé un appel en garantie contre la Sté la Malterie de la Moselle ; que celle-ci a, elle-même, assigné les Stés Cardem et Somafer en remboursement du coût des travaux qui lui avaient été imposés à la suite de la pollution de la gravière ; que l'arrêt attaqué (CA Metz, ch. civ., 5 déc. 1990), après avoir déclaré la commune de Montigny-lès-Metz responsable pour un tiers du préjudice qu'elle avait subi à la suite de la pollution des eaux, a condamné in solidum les Stés La Malterie de la Moselle et Cardem à lui payer la somme de 1 045 728 F et fixé à la moitié le recours de la Sté Cardem contre la Sté Somafer ; qu'il a, en outre, débouté la Sté La Malterie de la Moselle de son action en dommages-intérêts contre les Stés Cardem et Somafer et l'a condamnée à garantir la Sté Somafer à concurrence de la moitié des condamnations prononcées à son encontre, qu'il a enfin mis hors de cause la Sté Dancy et la Cie Le Continent ; Sur le premier moyen, pris en ses deux branches du pourvoi principal n° K 91-10.608 de la commune de Montigny-lès-Metz : - Attendu que la commune de Montigny-lès-Metz fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déclarée responsable pour un tiers du préjudice par elle subi, alors, selon le moyen, d'une part, que l'arrêté du 18 janv. 1982 ne lui imposait aucun délai pour effectuer les

opérations qu'il prévoyait ; qu'en s'abstenant de rechercher si l'absence d'achèvement des prescriptions de cet arrêté dans le court délai séparant le 18 janv. 1982 du 27 oct. 1982, date à laquelle les opérations qui se trouvaient à l'origine de la pollution avaient commencé, était constitutive d'une faute, la cour d'appel n'a pas caractérisé la faute qu'elle a retenue à l'encontre de la commune ; et alors, d'autre part, qu'en s'abstenant de rechercher si l'envoi dans un délai normal par la commune de la liste des installations situées dans les périmètres de protection aurait permis au préfet de prendre en temps utile les mesures nécessaires pour réglementer l'accès de la gravière, la cour d'appel n'a pas caractérisé le lien de causalité entre la prétendue négligence de la commune et le dommage ; Mais attendu que, la cour d'appel a relevé que, tenue par les prescriptions de l'arrêté du 18 janv. 1982 de recenser les installations comprises dans les périmètres de protection des captages dont elle était propriétaire aux fins de réglementation, la commune de Montigny-lès-Metz ne justifiait d'aucune diligence pour effectuer ces opérations, la liste n'ayant été adressée à l'autorité préfectorale qu'un an après la parution de l'arrêté, de telle sorte que celle-ci n'avait pu prendre aucune mesure de protection, en temps utile, concernant la gravière de Tournebride ; qu'elle a ainsi caractérisé une négligence de la commune en relation directe de cause à effet avec le préjudice subi et légalement justifié sa décision, sans encourir les griefs du moyen ; d'où il suit que celui-ci doit être rejeté en ses deux branches ; Et sur le second moyen du même pourvoi. - Attendu que la commune fait encore grief à l'arrêt attaqué d'avoir refusé d'inclure dans le montant de son préjudice le coût de l'interconnexion au réseau de la ville de Metz, alors, selon le moyen, qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions par lesquelles elle faisait valoir que cette interconnexion n'était pas nécessaire ni même envisagée avant la pollution imputable aux Stés Cardem et Malterie de la Moselle, puisque les capacités de production du service des eaux étaient en toutes saisons largement suffisantes pour alimenter le réseau, ce qui était de nature à

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établir le lien de causalité entre la faute de ces sociétés et ce chef de préjudice, la cour d'appel a violé les art. 1382 c. civ. et 455 NCPC ; Mais attendu que la cour d'appel a relevé, d'une part, que la commune de Montigny-lès-Metz avait toujours été en rapport avec la société Mosellane des eaux, à laquelle elle achetait de l'eau en fonction de ses besoins, d'autre part, que le marché litigieux avait été conclu après la date à laquelle les experts avaient préconisé la reprise des pompages ; qu'elle en a déduit que, dans ces conditions, la commune de Montigny ne démontrait pas que les travaux engagés, qui n'avaient pas un caractère occasionnel, mais constituaient une amélioration durable du réseau, à ce titre partiellement subventionnés par l'Etat, eussent été imposés par l'arrêt des pompages et en fussent donc la conséquence directe ; qu'écartant ainsi les conclusions invoquées, elle a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ; Sur le premier moyen, pris en sa première branche et sur le second moyen, pris en sa seconde branche, qui sont identiques, du pourvoi principal n° W 91-11.216 de la Sté La Malterie de la Moselle : - Attendu que la Sté La Malterie de la Moselle fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée au paiement de sommes au profit de la commune de Montigny-lès-Metz, alors, selon le moyen, qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt qu'elle ignorait l'emplacement des décharges choisies par le groupement des Stés Somafer et Cardem et que, dès lors, elle ne pouvait supposer qu'une décharge pourrait être située à un emplacement présentant un danger pour la santé publique en raison de la présence d'une nappephréatique et cela d'autant moins qu'il ressort d'autres motifs de l'arrêt que cet emplacement était situé dans un périmètre de protection où les décharges auraient dû être interdites ; qu'elle n'a donc commis aucune faute en n'attirant pas l'attention du groupement sur « le risque présenté par l'orge » ; Mais attendu que la cour d'appel a relevé que, même si la Sté La Malterie de la Moselle ignorait l'emplacement des décharges choisies par les Stés Cardem et Somafer, contractuellement chargées de l'évacuation des seuls déblais résultant de la démolition des silos, cette société ne pouvait, en sa qualité de professionnelle, ignorer le risque résultant d'une circonstance nouvelle, la présence, dans ces déblais, d'orge, « matériau putrescible,

susceptible de créer une fermentation dangereuse alors que les gravois du chantier étaient par nature inertes », qu'elle devait, dès lors, attirer l'attention de ses partenaires contractuels sur un risque que ceux-ci ne pouvaient normalement envisager ; que de ces constatations et énonciations, cette juridiction a pu déduire qu'en manquant à cette obligation d'information et en laissant s'effectuer l'évacuation de gravois présentant un risque de pollution, sans s'assurer des conditions dans lesquelles devait être réalisée l'opération, la Sté La Malterie de la Moselle avait commis une faute engageant sa responsabilité envers la commune ; qu'elle a ainsi justifié sa décision sans encourir les griefs des moyens ; Sur le second moyen du même pourvoi, pris en sa première branche : - Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Sté La Malterie de la Moselle à réparer le préjudice de la commune de Montigny-lès-Metz alors, selon le moyen, qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que le groupement Somafer-Cardem avait pris la responsabilité de l'évacuation des déblais dont il était devenu le gardien à l'égard des tiers ; qu'en permettant cependant à la commune de rechercher la responsabilité de la Sté La Malterie de la Moselle en raison de ses rapports avec le groupement, la cour d'appel a violé l'art. 1165 c. civ., ensemble l'art. 1184, al. 1er, du même code ; Mais attendu que pour retenir la responsabilité de la Sté La Malterie de la Moselle envers la commune de Montigny-lès-Metz, la cour d'appel s'est fondée non sur les rapports de cette société avec le groupement chargé de l'évacuation des déblais, mais sur la négligence commise par elle en laissant s'effectuer l'évacuation de matériaux présentant un risque de pollution dont le groupement n'avait pas été averti, sans s'assurer des conditions dans lesquelles devait être effectuée cette opération ; qu'il s'ensuit que le moyen manque en fait et ne peut, dès lors, être accueilli ; Et sur le premier moyen, pris en sa seconde branche du même pourvoi : - Attendu que la Sté La Malterie de la Moselle reproche enfin à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande en remboursement de sommes

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formée contre les Stés Cardem et Somafer, alors, selon le moyen, qu'un professionnel de la démolition et de l'évacuation des déblais doit, s'il les ignore, se renseigner spontanément sur les risques physiques et chimiques des matériaux qu'il évacue et leur éventuelle dangerosité, ainsi que le retient le jugement infirmé ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'art. 1135 c. civ. ; Mais attendu que la cour d'appel a estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que ni la Sté Somafer (département dynamitage) ni la Sté Cardem (entreprise de travaux publics spécialisée dans la démolition des bâtiments et non dans la récupération des déchets) ne pouvaient avoir des connaissances professionnelles leur permettant de déceler les dangers de la fermentation de l'orge « intimement mêlée aux déblais » et a pu en déduire que, dès lors qu'elles n'avaient pas été averties de ce risque par leur cocontractante, la Sté La Malterie de la Moselle, aucune faute ne pouvait être reprochée à ces sociétés ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision sans encourir le grief du moyen ; Mais sur le moyen unique du pourvoi incident de la Sté Cardem, pris en ses deux premières branches : - Vu l'art. 1384, al. 1er, c. civ. ; - Attenduque la responsabilité du dommage causé par le fait d'une chose est liée à l'usage et aux pouvoirs de surveillance et de contrôle qui caractérisent la garde ; que, sauf l'effet de stipulations contraires valables entre les parties, le propriétaire de la chose, bien que la confiant à un tiers, ne cesse d'en être responsable que s'il est établi que ce tiers a reçu corrélativement toute possibilité de prévenir lui-même le préjudice qu'elle peut causer ; - Attendu que, pour retenir que la Sté la Malterie de la Moselle n'avait plus la garde des gravois contenant de l'orge et que la société Cardem en était devenue gardienne, l'arrêt énonce que celle-ci avait pris, aux termes de

l'accord passé avec la Sté La Malterie de la Moselle, la responsabilité de l'évacuation des déblais et que les grains d'orge ne présentaient aucun vice particulier si ce n'est celui tenant à leur nature propre ; qu'en se déterminant ainsi, alors qu'elle retenait que la Sté La Malterie de la Moselle, propriétaire des déblais et de l'orge, ne pouvait ignorer, en sa qualité de professionnel, le risque présenté par l'orge, matière susceptible de créer une fermentation dangereuse, et n'avait pas attiré l'attention de la Sté Cardem sur le risque que celle-ci ne pouvait normalement envisager, ce dont il résultait que la Sté La Malterie de la Moselle avait conservé la garde de la chose, instrument du dommage, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé le texte susvisé ; Sur le pourvoi incident de la société Somafer : - Attendu que la cassation prononcée sur le pourvoi incident de la Sté Cardem entraîne par voie de conséquence celle du chef du dispositif critiqué par le pourvoi incident de la Sté Somafer ; qu'il n'y a pas lieu en conséquence de statuer sur celui-ci ; Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du pourvoi incident de la Sté Cardem, ni sur le pourvoi incident de la Sté Somafer, casse ..., mais seulement en ce qu'il a condamné la société Cardem à indemniser la commune de Montigny-lès-Metz et fixé à la moitié le recours de la Sté Cardem contre la Sté Somafer, condamnant en tant que de besoin la Sté Somafer au paiement de la part ainsi mise à sa charge et condamné la Sté La Malterie de la Moselle à garantir la Sté Somafer à concurrence de la moitié ... renvoie devant la Cour d'appel de Nancy ;

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� Cass. Cass. civ. 1ère, 3 juill. 2002, D. 2002. 2631, note J.-P. Gridel LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu que, le 26 novembre 1993, Elisabeth Tassito, aux droits de qui se trouve Mme Mulet, était passagère du train Genève-Nice, lorsqu'elle fut blessée et dépouillée de ses bijoux par un individu la menaçant d'un couteau et demeuré inconnu ; que la SNCF, condamnée à réparer son préjudice corporel, fait grief à la cour d'appel (CA Aix-en-Provence, 30 juin 1999) d'avoir méconnu, en violation de l'article 1147 du code civil, qu'une agression commise dans un train était pour elle, qui ne dispose d'aucun pouvoir de police, à tout le moins complètement irrésistible ;

Mais attendu que le transporteur ferroviaire de voyageurs, tenu d'une obligation de sécurité de résultat envers ceux-ci, ne se libère de sa responsabilité que par la démonstration d'un événement de force majeure ; que l'arrêt énonce que les agressions ne sont pas imprévisibles, et que, si la SNCF ne possède aucun moyen de filtrer les personnes qui accèdent aux voitures, du moins la présence de contrôleurs en nombre suffisant, parcourant les wagons de façon régulière revêt-elle un effet dissuasif ; que par ces motifs, et en l'absence de toute preuve prévention, la cour d'appel a légalement justifié sa décision d'écarter l'existence d'un cas de force majeure faute d'irrésistibilité de l'agression ;

Par ces motifs, rejette ...

� Cass. civ. 2ème, 18 mars 2004, D. 2005. 125, note I. orpart LA COUR : Sur le moyen unique : - Vu l'article 1384, alinéa 1er, du code civil ; - Attendu que la faute de la victime n'exonère totalement le gardien de sa responsabilité que si elle constitue un cas de force majeure ; Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que Zouhir Yajbar, âgé de douze ans, alors qu'il se trouvait immobilisé entre deux étages dans l'ascenseur desservant l'immeuble de ses parents, a fait une chute mortelle après avoir ouvert les portes intérieures de la cabine et tenté de rejoindre une porte palière ; que les ayants droit de la victime ont assigné en réparation le syndicat des copropriétaires Attendu que, pour décider que le syndicat des copropriétaires n'était pas responsable de l'accident, l'arrêt retient que l'ascenseur ne présentait aucune anomalie ; que la victime en avait provoqué l'arrêt entre le 13e et le 14e étage, puis avait ouvert les portes intérieures et

ensuite déverrouillé le système de sécurité des portes palières à l'aide du bouton poussoir prévu à cet effet ; qu'ayant alors tenté de s'extraire de la cabine, elle avait chuté dans la cage ; qu'ainsi, l'accident avait eu une cause étrangère au fonctionnement de l'ascenseur qui revêtait un caractère imprévisible et irrésistible ; qu'en statuant ainsi alors que le comportement de la victime ne présentait pas un caractère imprévisible et irrésistible pour le syndicat des copropriétaires, gardien de l'ascenseur, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; Par ces motifs, casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 mars 2001, entre les parties, par la Cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence.

� Cass. civ. 2ème, 23 janv. 2003, D. 2003. 2465, note V. Depadt-Sebag LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (CA Paris, 28 févr. 2000), que, le 14 juillet 1987, Mme Rebelo, qui aidait sa soeur à s'installer dans un train en partance, a glissé en descendant de ce train alors qu'il commençait à rouler et a eu les deux jambes coupées ; que

Mme Rebelo et son époux, M. Pernuit, ont assigné la SNCF en réparation de leur préjudice, sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Seine-et-Marne ;

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Sur le moyen unique du pourvoi principal :- Attendu que la SNCF fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à indemniser Mme Rebelo alors, selon le moyen, qu'un comportement aberrant ou très dangereux de la victime, même s'il est prévisible dans l'absolu, constitue une cause d'exonération pour le gardien de la chose, qu'il résulte des constatations des juges du fond que Mme Pernuit est volontairement descendue d'un train en marche et qu'elle est tombée, se blessant ainsi, qu'en estimant que cet acte, seul à l'origine du dommage subi par la victime, n'exonérait pas la SNCF de sa responsabilité, la cour d'appel a violé l'article 1384 du code civil ; Mais attendu qu'après avoir relevé que le système de fermeture des portes du train rend possible la descente d'un voyageur pendant un court laps de temps entre les 5 à 6 secondes suivant le départ et le moment où le train parvient à la vitesse de 7 km/h, l'arrêt retient que le fait pour la victime d'être descendue du train en marche ne constituait pas pour la

SNCF un fait imprévisible qui, compte tenu du système mis en place, demeurait possible, bien que dangereux ; que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a justement déduit que la SNCF n'était pas totalement exonérée de sa responsabilité ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Mais sur le moyen unique du pourvoi incident : - Vu l'article 784 du nouveau code de procédure civile ; - Attendu que l'arrêt attaqué condamne la SNCF à payer à la CPAM de Seine-et-Marne la somme de 828 788,79 F ; qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la CPAM en date du 2 février 2000 qui, modifiant l'objet de ses demandes, demandait également la révocation de l'ordonnance de clôture, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; Par ces motifs casse et annule, sauf en ce qui concerne la responsabilité de la SNCF, l'arrêt rendu le 28 février 2000, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris [...] renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ...

� V. Depadt-Sebag, « Faut-il abroger l'article 1386 du code civil ? », D. 2006, Chron. p. 2113

Le principe d'un régime spécial de responsabilité du fait des bâtiments, prévu à l'article 1386 du code civil (« Le propriétaire d'un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu'elle est arrivée par suite du défaut d'entretien ou du vice de sa construction »), n'est pas conservé dans l'avant-projet de réforme du code civil : ses auteurs ont estimé que l'indemnisation des dommages causés par la ruine d'un bâtiment devait relever du principe général de responsabilité du fait des choses, et donc de l'article 1354 de l'avant-projet qui dispose qu' : « on est responsable de plein droit des dommages causés par le fait des choses que l'on a sous sa garde », reprenant ainsi la substance de l'actuel article 1384, alinéa 1er.

Ce choix est compréhensible dès lors qu'une doctrine largement majoritaire conseille la suppression de l'article 1386, qu'elle estime défavorable aux victimes, et que la jurisprudence, après s'être longtemps appliquée à lui conserver toute son autorité en interdisant d'en cumuler le bénéfice avec l'article 1384, alinéa 1er, lui a récemment ôté une partie de sa portée en autorisant les victimes à agir contre « legardien » de l'immeuble à l'origine du dommage, alors même qu'il n'en serait pas propriétaire.

Les partisans de l'absorption de ce régime spécial par le principe général de responsabilité du fait des choses ont fait valoir que l'article 1384, alinéa 1er, assure aux victimes un régime d'indemnisation plus efficace que l'article 1386, car sur le cadre de ce dernier la victime est tenue d'apporter la preuve d'un défaut d'entretien ou d'un vice de construction à l'origine du dommage.

Certes, il est vrai que l'article 1386, initialement avantageux pour les victimes, a pu se révéler parfois défavorable à mesure que la responsabilité du fait des choses, à compter de 1896, a développé ses effets. Toutefois, il ne faudrait pas sous-estimer, pour autant, les mérites de cet article qui désigne

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de manière claire le responsable des dommages, en la personne du propriétaire du bâtiment, et l'incite par ainsi à s'assurer, faisant de cette responsabilité une charge naturelle de la propriété immobilière. De son côté, l'article 1384, alinéa 1er, fait peser la réparation sur une personne, le « gardien », dont la désignation est souvent sujette à discussion et qui, dans le même temps, ne pensera pas nécessairement à contracter une assurance.

Pour ces raisons, il serait utile, avant d'abandonner le régime de l'article 1386, issu d'une longue tradition, de mesurer dans le détail les conséquences d'une telle suppression. Car, dans l'avant-projet, les dommages causés par un bâtiment devraient être imputés à celui qui en est le « gardien » et qui est défini comme «celui qui a la maîtrise de la chose au moment du fait dommageable ». Appliqué à un bâtiment, la détermination du « gardien » risque de soulever bien des difficultés (selon les cas, on se demandera qui a « la maîtrise » de l'immeuble lui-même, de son toit, de la marche d'escalier, de la porte de garage...), mais il y a fort à parier que, dans de nombreux cas, on verra la responsabilité des dommages passer de la tête du propriétaire sur celle du locataire de l'immeuble, que celui-ci soit donné à usage d'habitation ou à usage professionnel. Il en résulterait un surcroît de charges pour les locataires, en même temps qu'un allégement de celles du propriétaire. Or, ce changement ne va pas dans le sens de l'évolution actuelle du droit qui, dans les relations entre propriétaire et locataire, s'efforce de protéger le second. Au demeurant, le choix ne se limite pas au maintien ou à la suppression de l'article 1386. Il existe une troisième voie qui consisterait en une relecture de ce texte destinée à le réactualiser, tout en reconnaissant sa raison d'être. On pourrait, dans le cadre de ce texte, faciliter l'indemnisation des victimes en rapprochant les conditions de sa mise en oeuvre de celles de l'article 1384, alinéa 1er, mais on continuerait d'imputer exclusivement au propriétaire du bâtiment la responsabilité des dommages occasionnés par ce dernier.

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SEANCE 14 LA RESPONSABILITE DELICTUELLE

REGIME SPECIAL DE RESPONSABILITE Les accidents de la circulation

I. – Jurisprudence

• Origine de la loi du 5 juillet 1985 � Cass. Civ. 2ème, 21 juill. 1982, Desmares, n° 81-12.850 ; JCP 1982, II, 19681, note F.

Chabas.

• Autonomie de la loi � Cass. Civ. 2ème, 4 mai 1987, n° 85-17.051 ; Bull. civ., n° 87 ; D. 1987, 187, note H.

Groutel.

• Domaine d’application de la loi � Cass. Civ. 2ème, 6 mai 1987, n° 85-13.912 ; Bull. civ., n° 92. � Cass. Civ. 2ème, 22 janv. 2004, n° 01-11.665 ; Bull. civ. II, n° 14 ; RTD civ., 2004, p.

519, obs. P. Jourdain.

• Notion d’implication � Cass. Civ. 2ème, 18 mai 2000, n° 98-10.190. (A commenter) � Cass. Civ. 2ème, 12 juin 1996, n° 94-14.600 ; Bull. civ. II, n° 147, p. 89 ; D. 1996, I.R.,

175.

• Indemnisation et faute inexcusable � Cass. Civ. 2ème, 20 juill. 1987, pourvoi n° 86-11.275 ; Bull. civ., n° 160. � Ass. Plén., 10 nov. 1995, pourvoi n° 94-13.912 ; Bull. cass. ass. plén., n° 6 ; JCP G,

1996, II, 22564, note G. Viney ; RTD civ., 1996, p. 183, obs. P. Jourdain. II. – Doctrine

� PH. BRUN, Vingt ans d’application de la loi sur l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation : esquisse de bilan, Rev. Lamy dr. civ., mars 2006, supp. n° 25, p. 63 et s.

III. – Exercices - Cas pratiques

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Cas pratiques

Cas n° 1 :

Hugo rentrait en voiture de chez son ami Victor après une soirée arrosée. Conscient de son

état, il conduisait à faible allure. Au même moment, Amélie roulait à vive allure, venant

d’apprendre par téléphone que sa mère avait fait une crise cardiaque. Les yeux embués par les

larmes, elle ne voit pas le panneau « Cédez le passage » et heurte de plein fouet Hugo, qui

selon les médecins ne remarchera plus jamais.

Que pensez-vous de la situation ?

Cas n° 2 :

La société Batifol s’est vu confier la réalisation de travaux sur la voie publique. Les premiers

jours du chantier sont consacrés au terrassement et la société Batifol utilise sa pelleteuse

mécanique. En pleine manipulation, la pelleteuse surchauffe et son moteur explose en brûlant

gravement un badaud qui passait par là. Ce dernier, complètement défiguré par les brûlures,

plonge alors dans une profonde dépression.

Le badaud entend intenter une action en réparation mais se demande comment agir

efficacement.

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I. – Jurisprudence

� Cass. Civ. 2ème, 21 juill. 1982, Desmares

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation suivant : "Les requérants reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir retenu l'entière responsabilité de M. Desmares sur le fondement de l'article 1384, paragraphe 1, du Code civil, aux motifs, d'une part, que "le point de choc sur la chaussée n'a pu être déterminé ... "que, cependant ... ce choc ne pouvait logiquement se situer qu'au niveau du passage réservé aux piétons ou à proximité immédiate de celui-ci, aux motifs, d'autre part, qu'"aucune faute positive ne peut être reprochée aux piétons de nature à exonérer, fût-ce pour partie, Louis Desmares de la présomption de responsabilité mise à sa charge en tant que gardien de l'automobile", alors que, d'une part, entachant sa décision d'un net défaut de réponse à conclusions, la cour d'appel ne s'est nullement expliquée sur le moyen présenté par les exposants dans leurs écritures d'appel délaissées, selon lequel il ressortait de la déclaration de l'unique témoin de l'accident, M. Compas, qu'il était "absolument indiscutable que les époux Charles se trouvaient à une distance plus éloignée que lui du passage pour piétons puisqu'il avait entendu le choc et le cri provenir de sa droite" alors que, d'autre part, c'est au prix d'un défaut de motifs que la cour d'appel a totalement omis de réfuter les motifs déterminants de la décision des premiers juges selon lesquels "les agents enquêteurs avaient également relevé des taches de sang laissées par les victimes, la première à 0,40 mètre du bord droit de l'avenue, direction centre ville, à environ 5 mètres au delà du passage protégé, l'autre à 1,30 mètre du même bord et à 4,30 mètres plus loin que la première" et selon lesquels également les déclarations du témoin étaient "confirmées par l'emplacement des taches de sang trouvées sur la chaussée au delà dudit passage" alors que, de troisième part, entachant à nouveau sur ce point sa décision d'une carence caractérisée, la cour d'appel a négligé de répondre aux écritures d'appel des exposants qui soulignaient précisément que "la présence des piétons hors du passage protégé se trouvait encore confirmée par l'emplacement des traces de sang sur la chaussée, ainsi que l'avaient relevé les premiers juges", alors que, de quatrième part, le motif retenu par l'arrêt attaqué selon lequel le choc "ne pouvait se situer qu'au niveau du passage réservé aux piétons ou à

proximité immédiate de celui-ci est hypothétique et dubitatif, et, par suite, insusceptible de conférer une base légale à l'arrêt attaqué alors que, de cinquième part, la cour d'appel a entaché encore son arrêt d'un défaut de motifs caractérisé en négligeant de s'expliquer sur le moyen présenté par les exposants dans leurs écritures d'appel délaissées, selon lequel les piétons ne s'étaient pas conformés à l'article R 219 du Code de la route qui les obligeait à ne "traverser la chaussée qu'après s'être assurés qu'ils pouvaient le faire sans danger immédiat", alors qu'enfin, sur ce point précis, la cour d'appel a omis à nouveau de réfuter les motifs des premiers juges selon lesquels "les époux Charles avaient commis une seconde imprudence en entreprenant la traversée de la chaussée sans s'assurer qu'ils pouvaient le faire sans danger et sans tenir compte de la vitesse et de la distance des véhicules circulant à ce moment" et également selon lesquels "manifestement, la distance à laquelle se trouvait la voiture Desmares était insuffisante pour permettre aux piétons de traverser sans danger et que ceux-ci n'auraient pas dû s'engager sur la chaussée dans de telles conditions, d'autant que leur présence a été masquée aux yeux de Desmares par la voiture se trouvant à droite de celui-ci". Sur quoi, LA COUR, en l'audience publique de ce jour, Sur le rapport de M. le Conseiller Liaras, les observations de la société civile professionnelle Chareyre et Vier, avocat de la société d'assurance "La Mutualité Industrielle" et de Desmares, de Me Coutard, avocat des époux Charles, de Me de Ségogne, avocat de la Caisse primaire d'assurance maladie des travailleurs salariés des Ardennes, les conclusions de M. Charbonnier, Avocat général et après en avoir immédiatement délibéré conformément à la loi, Donne défaut contre la Société Nationale des Chemins de Fer Français (S.N.C.F.) ; Sur le moyen unique pris en ses quatre premières branches, telles qu'énoncées au mémoire ampliatif :

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Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué, qu'à la tombée de la nuit, dans une agglomération, la voiture automobile de Desmares heurta et blessa les époux Charles qui traversaient la chaussée à pied ; que lesdits époux ont réclamé à Desmares et à son assureur "La Mutualité Industrielle", la réparation de leur préjudice ; que la S.N.C.F., agissant comme caisse autonome de Sécurité sociale et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Ardennes sont intervenues ; Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir, par application de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, retenu la responsabilité de Desmares ; Attendu qu'après avoir énoncé, par une appréciation souveraine, que l'on ne pouvait accorder grand crédit aux affirmations d'un témoin qui n'avait pas vu l'accident, mais seulement ses suites, l'arrêt relève que les époux Charles avaient été projetés à quelques mètres du passage protégé et retient, au vu des traces laissées sur la chaussée, que, compte tenu du "temps de réflexe" ayant précédé le freinage et du fait que Desmares n'avait vu les piétons qu'à l'instant du choc, celui-ci ne pouvait s'être produit qu'au niveau du passage réservé ou à proximité immédiate de celui-ci ; Que par ces constatations et énonciations la cour d'appel, qui ne s'est pas déterminée par un motif hypothétique ou dubitatif et qui, en les rejetant, a répondu aux conclusions, a également justifié sa décision du chef critiqué ; Sur le moyen pris en ses deux dernières branches : Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir statué comme il l'a fait, alors, d'une part, que la cour d'appel n'aurait pas répondu aux conclusions soutenant que les victimes ne s'étaient pas conformées à l'article R. 219 du Code de la route qui les obligeait à ne traverser la chaussée qu'après s'être assurées qu'elles pouvaient le faire sans danger immédiat, et alors, d'autre part, que la Cour d'appel aurait omis de réfuter les motifs des premiers juges selon lesquels les époux Charles avaient commis une seconde imprudence en entreprenant la traversée de la chaussée sans s'assurer qu'ils pouvaient le faire sans danger et sans tenir compte de la vitesse et de la distance du véhicule circulant ce moment, et également selon lesquels la distance à laquelle se trouvait la voiture

de Desmares était insuffisante pour permettre aux piétons de traverser sans danger et que ceux-ci n'auraient donc pu s'engager sur la chaussée dans de telles conditions d'autant que leur présence avait été masquée aux yeux de Desmares par la voiture se trouvant à droite de celui-ci ; Mais attendu que seul un évènement constituant un cas de force majeure exonère le gardien de la chose, instrument du dommage, de la responsabilité par lui encourue par application de l'article 1384, alinéa 1, du Code civil ; que, dès lors, le comportement de la victime, s'il n'a pas été pour le gardien imprévisible et irrésistible, ne peut l'en exonérer, même partiellement ; Et attendu qu'après avoir relevé que l'accident s'était produit à une heure d'affluence, dans un passage réservé aux piétons ou à proximité de celui-ci, sur une avenue qui, dotée d'un éclairage public fonctionnant normalement, comprenait quatre voies de circulation, deux dans chaque sens, l'arrêt retient que, circulant sur la voie de gauche, la voiture de Desmares avait heurté les époux Charles, lesquels traversaient la chaussée de droite à gauche par rapport au sens de marche de l'automobiliste ; Que, par ces énonciations d'où il résulte qu'à la supposer établie, la faute imputée aux victimes n'avait pas pour Desmares le caractère d'un événement imprévisible et insurmontable, la cour d'appel, qui, par suite, n'était pas tenue de rechercher, en vue d'une exonération partielle du gardien, l'existence de ladite faute, a légalement justifié sa décision ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 15 janvier 1981 par la Cour d'appel de Reims ; Condamne les demandeurs, envers les défendeurs, aux dépens, ceux avancés par les époux Charles, liquidés à la somme de trois francs soixante cinq centimes, ceux avancés par la Caisse d'assurance maladie des travailleurs salariés des Ardennes, liquidés à la somme de trois francs soixante cinq centimes, en ce non compris le coût des significations du présent arrêt.

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� Cass. Civ. 2ème, 4 mai 1987 Sur le moyen unique, pris en ses diverses branches : Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué (Paris, 8 octobre 1985), que les époux Y..., soutenant que le camion de M. X... aurait, en agglomération, heurté et blessé leur fils mineur Jean-Claude, qui circulait à bicyclette, ont demandé à M. X... et au GFA la réparation de leur préjudice, que la Caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Pyrénées et le Fonds de garantie automobile sont intervenus à l'instance ; Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir condamné M. X... et son assureur à indemniser entièrement la victime alors que, d'une part, en induisant un rapport de cause à effet entre le passage du camion de M. Enjalbert et la chute de la victime de l'absence d'un autre véhicule, la cour d'appel, qui avait relevé qu'un automobiliste avait attiré l'attention de M. X... sur l'accident, se serait contredite et alors que, d'autre part, en appréciant la responsabilité de M. X... à la fois sur le double fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil et de la loi du 5 juillet 1985, la cour d'appel aurait laissé incertain le fondement de sa décision et alors qu'en outre, en ne caractérisant pas la participation du camion dans la réalisation du dommage, la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil et alors qu'enfin, en se bornant à constater la concomitance du passage du camion et de la chute du cycliste, la cour d'appel, qui n'aurait

pas caractérisé la participation du camion dans l'accident, aurait privé sa décision de base légale au regard de la loi du 5 juillet 1985 ; Mais attendu que l'indemnisation d'une victime d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 à l'exclusion de celles des articles 1382 et suivants du Code civil ; Et attendu que l'arrêt, après avoir relevé que la victime, lors de l'accident, était âgée de dix ans, qu'avisé par un automobiliste demeuré inconnu qu'il venait de commettre un accident, M. X... avait arrêté son véhicule et reconnu avoir vu la victime étendue à l'arrière de son camion et que la bicyclette de l'enfant avait été écrasée, retient que le rapport de cause à effet entre le passage du camion et la chute de l'enfant est certain ; Que, par ces constatations et énonciations d'où il résulte que le camion de M. X... était impliqué dans l'accident, la cour d'appel, hors de toute contradiction et abstraction faite de motifs surabondants relatifs à l'application de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, a légalement justifié sa décision au regard des articles 1er et 3 de la loi susvisée ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.

� Cass. Civ. 2ème, 6 mai 1987

Sur les deux moyens réunis, pris en leurs premières branches : Vu les articles 4, 5 et 47 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ; Attendu qu'aux termes des deux premiers de ces textes, rendus applicables par le troisième aux affaires pendantes devant la Cour de Cassation, la faute commise par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis ; Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué, qu'un tramway de la Régie Autonome des Transports de la Ville de Marseille (RATVM), dont les rails étaient implantés sur la chaussée, est entré en collision avec l'automobile de Mme X..., que celle-

ci a été blessée, que le tramway a subi des dégâts, que Mme X... a assigné la RATVM en réparation de son préjudice, que la Caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône a assigné Mme X... et la RATVM en remboursement de ses prestations, que la RATVM s'est portée demandeur reconventionnel en paiement de ses dommages matériels ; Attendu que, pour retenir l'entière responsabilité de la RATVM, dans les dommages subis par Mme X... et rejeter sa demande tendant à obtenir réparation de ses dommages matériels, l'arrêt énonce, d'une part, que la présence, à la supposer fautive, sur les rails, d'un véhicule automobile ne peut être

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considérée pour un machiniste normalement attentif comme imprévisible, irrésistible, et rendant l'accident inévitable, d'autre part, qu'en omettant de s'arrêter en temps utile, alors qu'il avait vu le véhicule de Mme X... à une distance lui permettant de le faire, le conducteur du tramway a eu un comportement imprévisible et irrésistible ; Qu'en l'état de ces seules énonciations, l'arrêt doit être annulé par application des textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième, troisième et quatrième branches des premier et second moyens : ANNULE l'arrêt rendu le 22 février 1985, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

� Cass. Civ. 2ème, 22 janv. 2004

Sur le premier moyen de cassation du pourvoi principal : Vu l'article 618 du nouveau Code de procédure civile ; Attendu, selon ce texte, que lorsque deux décisions, même non rendues en dernier ressort et dont aucune n'est susceptible d'un recours ordinaire, sont inconciliables, elles peuvent être frappées d'un pourvoi unique, la Cour de Cassation, si la contrariété est constatée, annulant l'une des décisions ou, s'il y a lieu, les deux ; Attendu que, le 4 octobre 1991, deux fonctionnaires de police, avisés qu'un cambriolage venait de se commettre, ont poursuivi avec leur véhicule administratif les malfaiteurs qui s'enfuyaient à bord de trois automobiles volées ; que M. X... s'est joint à la poursuite avec un second véhicule administratif ; qu'au cours de cette poursuite, une des automobiles poursuivies a percuté le premier véhicule administratif et a été projetée sur le véhicule conduit par M. X... ; que, blessé, M. X... a demandé à être indemnisé par une commission des victimes d'infraction (CIVI) ; qu'un arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 14 mars 1995 a rejeté sa demande en considérant que M. X... avait été victime d'atteintes corporelles entrant dans le champ d'application de la loi du 5 juillet 1985 ; Attendu qu'à la suite de ce premier arrêt M. X... a assigné la Matmut, assureur d'un des véhicules volés, l'agent judiciaire du Trésor et le Fonds de garantie contre les accidents de la circulation et de chasse (FGA), en réparation de son préjudice ; qu'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 février 2001 a déclaré sa demande irrecevable en énonçant que la loi du 5 juillet 1985 n'était applicable qu'aux seuls accidents de la circulation, à l'exclusion des infractions volontaires et des conséquences

prévisibles de celles-ci et en retenant que le dommage était la conséquence directe et prévisible, tant pour les malfaiteurs que pour ce fonctionnaire de police lancé à leur poursuite, du cambriolage ; Attendu que du rapprochement de ces deux arrêts, il résulte tout à la fois que la loi du 5 juillet 1985 est applicable et ne l'est pas ; que ces décisions sont inconciliables et aboutissent à un déni de justice ; Attendu que, pour rejeter la demande de M. X..., l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 14 mars 1995 retient que pour fuir les policiers qui le poursuivaient, le conducteur d'un véhicule poursuivi a sans hésitation donné un coup de volant, percuté le véhicule administratif qui le pourchassait et projeté celui-ci sur le véhicule administratif qui venait en renfort et qui était conduit par M. X..., que le conducteur du véhicule poursuivi n'a pu agir volontairement à l'encontre de M. X..., dont le véhicule n'a été heurté que par ricochet, que la seule action volontaire de ce conducteur était manifestement d'échapper aux policiers et que, ce faisant, il a occasionné un accident de la circulation ; Attendu qu'en statuant ainsi alors qu'il résultait de ses propres constatations que le dommage subi par M. X... était la conséquence directe de l'action volontaire du conducteur et ne résultait pas d'un accident de la circulation, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ; Qu'il y a lieu en conséquence d'annuler l'arrêt rendu par la cour d'appel de Grenoble le 14 mars 1995 ;

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PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi principal et sur le moyen unique du pourvoi incident :

ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 mars 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble.

� Cass. Civ. 2ème, 18 mai 2000

Sur le moyen unique : Vu l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ; Attendu qu'est impliqué tout véhicule qui est intervenu, à quelque titre que ce soit, dans la survenance de l'accident ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., qui conduisait une voiture Austin, de jour sur une route départementale, en a perdu le contrôle dans un virage, et a été écrasée par son véhicule, qui s'est immobilisé dans un fossé après avoir percuté un talus sur sa droite, et effectué plusieurs tonneaux ; qu'elle est décédée des suites de ses blessures ; que ses ayants droit, les consorts Z..., ont assigné en réparation de leur préjudice M. Y..., dont le véhicule avait été heurté par celui de Mme X..., et qui poursuivait celle-ci, ainsi que la société GAN, assureur de M. Y..., en appelant en cause l'agent judiciaire du Trésor public, la caisse primaire d'assurance maladie de Nancy et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; Attendu que pour débouter les consorts Z... de leurs demandes, l'arrêt retient que selon les déclarations de M. Y..., la voiture de celui-ci a été heurtée à gauche lors de son croisement par la voiture de Mme X..., et qu'ayant subi le bris d'un rétroviseur et d'une vitre, M. Y... a fait demi-tour pour s'élancer à la poursuite de

Mme X..., et faire un constat ; qu'il a fait des appels de phares, et suivait la voiture de Mme X... à environ 50 mètres quand il a vu celle-ci s'engager à grande vitesse dans un virage à gauche, et manquer ce virage ; que le seul accident qui a produit le dommage mortel subi par Mme X... et le dommage indirect qui en est résulté pour ses ayants droit est celui de la collision de l'Austin avec le talus et que l'implication du véhicule de M. Y... dans l'accident ne peut être retenue ; Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que le véhicule de M. Y... était impliqué dans l'accident de la circulation dont avait été victime Mme X..., la cour d'appel a violé par fausse application l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 novembre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Reims.

� Cass. Civ. 2ème, 12 juin 1996

Sur le moyen soulevé d'office, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du nouveau Code de procédure civile : Vu l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ; Attendu qu'est nécessairement impliqué dans l'accident, au sens de ce texte, tout véhicule terrestre à moteur qui a été heurté, qu'il soit à l'arrêt ou en mouvement ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le véhicule conduit par M. X..., préposé de la société B et S International France, a heurté le camion de la société Decatech que son conducteur, M. Y..., avait immobilisé sur le

côté droit de la chaussée pour changer une roue ; que M. X..., blessé, et son employeur ont demandé à M. Y... et à la société Decatech réparation de leurs préjudices ; Attendu que, pour rejeter ces demandes, l'arrêt retient que, la preuve n'étant pas rapportée de ce que le stationnement du camion ait perturbé les conditions de circulation de M. X..., il n'est pas établi que le camion soit impliqué dans l'accident ; Qu'en statuant ainsi la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

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PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 février 1994, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la

cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

� Cass. Civ. 2ème, 20 juill. 1987

Sur le premier moyen : Vu l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ; Attendu que seule est inexcusable au sens de ce texte la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un dommage dont il aurait dû avoir conscience ; Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que, dans une agglomération et dans une intersection, l'automobile de M. X... heurta M. Y... qui, à pied, traversait la chaussée, que, blessé, M. Y... demanda à M. X... la réparation de son préjudice, que la Caisse mutuelle régionale de Franche-Comté est intervenue à l'instance ; Attendu que pour exclure l'indemnisation des dommages subis par le piéton en retenant une faute inexcusable de la victime, l'arrêt énonce que M. Y...,

à l'heure où la circulation est importante, a surgi de derrière un fourgon à l'arrêt à un signal stop, brusquement, sans précaution et en courant ; Qu'en l'état de ces énonciations d'où ne résulte pas l'existence d'une faute inexcusable à la charge de M. Y..., la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deux autres moyens ; CASSE ET ANNULE l'arrêt rendu le 22 novembre 1985, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.

� Ass. Plén., 10 nov. 1995

Sur le moyen unique : Vu l'article 3, alinéa 1er, de la loi du 5 juillet 1985 ; Attendu que seule est inexcusable au sens de ce texte la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation, que M. X..., qui se trouvait sur la chaussée d'un chemin départemental, a été heurté par une voiture automobile conduite par M. Y..., laquelle a été elle-même percutée à l'arrière par une camionnette appartenant à la société Harscoat ; que, blessé, M. X... a assigné en réparation de son préjudice M. Y..., qui a appelé en garantie cette société ; que M. X... étant décédé, ses héritiers ont repris la procédure ; Attendu que, pour retenir à la charge de M. X... une faute inexcusable et débouter ses ayants droit de leur

demande, l'arrêt retient que M. X... a traversé la chaussée et s'est maintenu sensiblement au milieu de cette voie afin d'arrêter un automobiliste et de se faire prendre à son bord pour regagner son domicile, élément qui caractérise une démarche volontaire, qu'il a ainsi agi, hors agglomération, sur une route dépourvue d'éclairage, à une heure de fréquentation importante, habillé de sombre, de nuit et par temps pluvieux, élément qui caractérise l'exceptionnelle gravité de son comportement, sans raison valable, par simple commodité, et s'est exposé par son maintien sur l'axe médian de la chaussée à un danger dont il aurait dû avoir conscience, alors qu'il venait déjà précédemment d'éviter d'être renversé par un autocar, et que son imprégnation alcoolique n'était pas telle qu'elle ait pu le priver de tout discernement ;

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Qu'en l'état de ces énonciations, d'où ne résulte pas l'existence d'une faute inexcusable, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 mars 1994, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

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II. – Doctrine

� PH. BRUN, Vingt ans d’application de la loi sur l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation : esquisse de bilan, Rev. Lamy dr. civ., mars 2006, supp. n° 25, p. 63 et s.

2005 : l’occasion de fêter les vingt ans de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 sur l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, et surtout l’heure d’un bilan qui mène le professeur Philippe Brun à s’interroger sur la pérennité d’un tel dispositif dans sa configuration actuelle. 1. Un an de responsabilité en une heure ; vingt ans d’application de la loi Badinter en une vingtaine de minutes, je ne puis guère promettre qu’une vague esquisse de bilan, en renvoyant aux colloques qui se sont tenus sur le sujet pour plus de détails (V. notamment les actes du colloque qui s’est déroulé à Chambéry le 30 septembre 2005, à paraître aux éditions LGDJ). 2. Vingt ans : le bel âge... En l’occurrence, celui de la maturité, en ce sens du moins que la philosophie générale de la loi a fini par pénétrer les esprits, à défaut de les avoir conquis. Et il en a fallu du temps pour que ce curieux mélange de responsabilité et d’indemnisation automatique prenne sa place dans l’ordonnancement juridique et livre sa cohérence ! L’affaire s’était d’ailleurs mal engagée : on se souvient des résistances suscitées par les avant-projets, en particulier celui d’André Tunc, et des difficultés qu’à dû affronter Robert Badinter pour faire voter cette loi sur l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation (sur la genèse de la loi, voir notamment, Viney G., L’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, LGDJ, 1992, nos 5 et s. ; Chabas F., Les accidents de la circulation, Dalloz, coll. Connaissance du droit, 1995, p. 24 et s. ; voir aussi l’évocation des vicissitudes de l’élaboration de ce texte par Badinter R., in Dixième anniversaire de la loi Badinter, Resp. civ. et assur. 1995, n° hors-série, p. 1 et s.). De là, précisément, l’hybridité du dispositif, fruit d’un compromis obtenu de haute lutte : un droit à indemnisation automatique, assis cependant, plutôt que sur la solidarité nationale ou sur une assurance de personne obligatoire, sur l’assurance de responsabilité. 3. Mais aujourd’hui, l’heure n’est plus vraiment aux états d’âme. On ne reproche plus tant au législateur d’avoir rompu avec les principes classiques de la responsabilité que de n’être pas allé au bout de sa logique, en particulier d’avoir laissé la victime conductrice « au bord de la route ». C’est un point sur lequel il faudra revenir. 4. S’agissant d’ébaucher un bilan de vingt ans d’application de la loi, le plus simple est de se demander si le législateur a atteint les objectifs qu’il s’était assignés, lesquels apparaissent dans les deux volets distincts du dispositif : le gauchissement des conditions de l’indemnisation d’une part (I), et l’accélération du processus d’indemnisation d’autre part, avec la fameuse procédure d’offre obligatoire (II). I – DU DROIT À INDEMNISATION DES VICTIMES 5. L’objectif du législateur était simple : passer d’une logique d’imputation à base de causalité à une logique d’indemnisation expurgée des oripeaux traditionnels de la responsabilité. Cela étant, dans le texte lui-même, le pari n’était qu’à moitié réussi : l’autonomie du droit à réparation, proclamé très tôt par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 4 févr. 1987, n° 85-17.414, D. 1987, jur., p. 187, note Groutel H. ; Cass. 2e civ., 4 mai 1987, n° 85-17.051, Gaz. Pal. 1987, II, jur., p. 428, note Chabas F.), doit sans doute plus au légitime souci de donner pleine efficience à la loi qu’elle ne découlait évidemment de sa lettre (voir à cet égard le point de vue de Chabas F., précité, p. 35 et s. ; voir aussi, Le Tourneau Ph., Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2004-2005, n° 8064 ; voir plus généralement, sur la controverse suscitée par cette question, Viney G. et Jourdain P., Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 2e éd., 1998, nos 974 et s.). D’ailleurs, affirmer cette autonomie par rapport au droit commun ne suffisait évidemment pas. Encore a-t-il fallu tenter de bâtir un régime cohérent sur la

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base de cette fragile promesse, et de six petits articles. Et c’est bien là encore à la Cour de cassation (qui n’est pas pour rien dans la genèse de la loi) qu’est revenue cette tâche délicate. 6. À commencer par la détermination du domaine de la loi. C’est sans doute une des questions qui a suscité le plus de difficultés et qui en suscite encore : qu’il s’agisse de régler les cas nombreux et parfois épineux de « collisions » entre ce dispositif et d’autres régimes spéciaux (pour un examen complet de ces difficultés, voir Viney G. et Jourdain P., précité, nos 977 et s. ; adde, Brun Ph., Responsabilité civile extracontractuelle, Litec, 2005, nos 818 et s.) : article 1384, alinéa 2, pour les incendies, législation sur les accidents du travail, indemnisation des victimes d’infractions (voir sur ce dernier point, Train F.-X., L’articulation de la législation sur l’indemnisation des victimes d’infractions avec la loi du 5 juillet 1985 dans l’ordre interne et international, RLDC 2005/14, n° 601), ou qu’il s’agisse de définir les notions clés de la loi : notion de véhicule terrestre à moteur, notion de conducteur (voir notamment, sur toutes ces notions, Mazeaud D., Lamy Droit de la responsabilité, nos 310-1 et s.), etc.

Sur ces différents points, on peut dire que globalement, la jurisprudence a plutôt opté pour une conception large du domaine de la loi (il ne s’agit toutefois, il est vrai, que d’une tendance, qui n’exclut pas certaines solutions restrictives. On songe notamment à l’exclusion du domaine de la loi des dommages procédant d’actes volontaires, et à la définition parfois extensive de cette notion retenue par la Cour de cassation : voir par exemple, Cass. 2e civ., 15 mars 2001, n° 99-16.852, Bull. civ. II, n° 50, Resp. civ. et assur. 2001, comm., n° 186, obs. Groutel H., RTD civ. 2001, p. 606, obs. Jourdain P. ; on pourrait aussi citer, dans un autre ordre d’idées, la jurisprudence qui refuse d’appliquer la loi aux dommages subis par les participants à des compétitions automobiles : voir en dernier lieu, Cass. 2e civ., 4 janv. 2006, n° 04-14.841, D. 2006, I.R., p. 180).

En réalité, c’est avec la distinction des conducteurs et des non-conducteurs qu’il faudrait peut-être en finir. Les conducteurs ont suffisamment voyagé en seconde classe.

Et le mouvement se poursuit d’ailleurs, comme le montrent l’actualité récente et l’application de la loi Badinter, y compris dans les hypothèses d’entraide agricole (Cass. 2e civ., 17 nov. 2005, n° 03-20.551, Resp. civ. et assur. 2005, Étude 19, par Groutel H.).

Croisons quelques autres illustrations : la victime de la rupture d’un tendeur accroché au toit d’une voiture a été admise à se fonder sur la loi de 1985 (Cass. 2e civ., 20 oct. 2005, n° 04-15.418, Resp. civ. et assur. 2005, Étude 19, par Groutel H.), et une tondeuse auto-portée a été considérée comme un VTM au sens de la loi, et en tant que tel soumise à l’assurance obligatoire (Cass. 2e civ., 24 juin 2004, n° 02-20.208, Bull. civ. II, n° 308).

Autrement dit, si vous voulez échapper à votre obligation d’indemnisation en tant que conducteur ou gardien de tondeuse auto-portée, allez donc la conduire dans un hall d’immeuble, qui, selon la Cour de cassation, est un lieu impropre à la circulation (Cass. 2e civ., 26 juin 2003, n° 00-22.250, Bull. civ. II, n° 206, RTD civ. 2003, p. 720, obs. Jourdain P.) ! Et encore, la précaution pourrait ne pas suffire si le dommage est causé non par la circulation dudit véhicule mais par l’action inopinée d’un accessoire de celui-ci (Cass. 2e civ., 20 oct. 2005, n° 04-15.418, précité)... 7. On hésite à donner tort à la Haute juridiction lorsqu’elle s’emploie ainsi à donner au dispositif légal le champ le plus large, sous réserve peut-être de quelques excès d’audace ponctuels (voir par exemple, Cass. 2e civ., 24 avr. 2003, n° 01-13.007, Bull. civ. II, n° 104, RTD civ. 2003, p. 516, obs. Jourdain P. – application de la loi aux dommages subis par un riverain qui avait fait une chute en glissant sur des gravillons projetés quelque temps plus tôt par une balayeuse municipale. Une telle solution procède d’une compréhension qu’on peut juger excessivement large de la notion d’accident de la circulation ; rapprocher les critiques de Jourdain P., obs. précitées). Toujours est-il que, lorsqu’elle s’avise de se départir de ce libéralisme, la prévisibilité du droit en pâtit quelque peu. Telle est du moins l’impression qui se dégage de certaines des solutions qui prévalent, s’agissant de déterminer les champs respectifs du régime d’indemnisation ici sous examen et d’autres régimes spéciaux de responsabilité ou

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d’indemnisation (voir notamment ce qui a été dit, supra sur l’exclusion des actes volontaires, la définition parfois extensive de cette notion conduisant à réduire le champ d’application de la loi Badinter au profit du régime d’indemnisation des victimes d’infractions). Les difficultés peuvent aussi provenir alors, il est vrai, de l’imprécision des textes « concurrents ». 8. Quant à la pierre angulaire du régime, l’implication, sorte « d’ersatz » de fait générateur, elle a donné lieu, elle aussi, à bien des difficultés. La Cour de cassation les a pour l’essentiel réglées, là encore, dans un sens large, non sans avoir cependant renoué un temps avec les démons du rôle actif et du fait passif, dans le cadre des collisions en chaîne (on fait référence ici à la jurisprudence contra legem qui avait entrepris de distinguer l’implication dans l’accident et l’implication dans le dommage – voir par exemple, Cass. 2e civ., 24 oct. 1990, n° 89-13.306, Bull. civ. II, n° 210 –, laquelle revenait indirectement à admettre l’exonération du conducteur ou gardien impliqué dans l’accident qui démontrait que le fait de son véhicule n’était pas la cause du dommage, et donc à admettre l’exonération en cas d’événement de force majeure ou de fait d’un tiers, pourtant expressément proscrite par la loi. La Cour de cassation avait aussi consenti à scinder les collisions en chaîne en autant d’accidents distincts, ce qui était une autre manière de porter atteinte à l’esprit de la loi. Mais après bien des hésitations, elle a fini par prendre parti en faveur d’une approche globale des accidents complexes : voir en dernier lieu, Cass. 2e civ., 13 mai 2004, n° 02-17.545, Bull. civ. II, n° 224).

On ne peut que se réjouir de ce que la Haute juridiction ait résolu, ces dernières années de jeter

aux oubliettes l’implication dans le dommage et quelques autres réminiscences de feu la responsabilité du fait des véhicules fondée sur l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil. Mais peut-être faut-il rester lucide tout de même sur les limites de l’autonomie de la loi de ce point de vue : l’implication n’est pas la causalité du dommage, cela est entendu, mais ce n’est pas à dire toutefois que l’on puisse faire abstraction, pour la caractériser, de toute considération relative à la causalité de l’accident, ainsi qu’en attestent d’ailleurs les solutions actuellement retenues s’agissant des conditions de l’implication en l’absence de contact (voir ainsi, exigeant une « manœuvre perturbatrice » du véhicule – notion qui n’est pas sans évoquer, mais à l’échelle de l’accident et non du dommage, l’exigence du rôle actif – pour conclure à son implication en l’absence de contact : Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n° 03-12.323, Bull. civ. II, n° 345). 9. Reste la situation des victimes. Là, rappelons-le, la loi est tout entière assise sur une curieuse distinction, celle des piétons et passagers, absous de toutes leurs imprudences, et des conducteurs, suspects de participer à la création du risque automobile, et à qui peut être opposée leur faute simple. La Cour de cassation a beaucoup servi la cause des premiers en défendant, contre les juridictions du fond « réunies », une conception extraordinairement restrictive de la faute inexcusable (Cass. ass. plén., 10 nov. 1995, n° 94-13.912, D. 1995, jur., p. 633 ; rapprocher Chartier Y., JCP éd. G 1996, II, n° 22564, concl. Jéol M., note Viney G., à peu près l’envers de celle actuellement en vigueur par l’employeur dans le droit des accidents du travail). Mais curieusement, s’agissant des seconds, elle a tardé à s’émouvoir du sort peu enviable que le législateur leur avait réservé. Pis, elle a fait un temps de la surenchère dans l’autre sens en subordonnant l’action du conducteur victime fautif à l’absence de faute du défendeur (voir entre autres, Cass. 2e civ., 24 nov. 1993, n° 92-12.350, Bull. civ. II, n° 334, RTD civ. 1994, p. 367, obs. Jourdain P.) ! Elle est revenue sur sa position en 1997 (Cass. ch. mixte, 28 mars 1997, n° 93-11.078, Bull. civ. n° I, D. 1997, jur., p. 294, note Groutel H., som., p. 291, obs. Mazeaud D., JCP éd. G 1997, I, n° 4025, n° 25, obs. Viney G., RTD civ. 1997, p. 681, obs. Jourdain P., Dr. & patr. 1997, n° 50, p. 96, obs. Chabas F.), et on a dit que le conducteur avait été rétabli dans ses droits (Groutel H., D. 1997, chr., p. 18). Je ne suis pas sûr pour ma part que le compte y soit tout à fait. 10. D’abord, il semble bien que les juridictions du fond n’aient pour la plupart pas bien intégré le revirement de 1997 (voir encore à ce propos, les décisions répertoriées et stigmatisées par Groutel H., Resp. civ. et assur 2005, Étude 13). Ensuite, pour tenter de leur en imposer le respect, la Haute juridiction leur interdit toute appréciation « causaliste » de la faute de la victime, et leur prescrit de n’avoir égard qu’à la gravité de la faute, dont elle laisse l’incidence (diminution ou exclusion de l’indemnisation) à leur pouvoir d’appréciation (voir parmi d’autres décisions, Cass. 2e civ., 11 juill. 2002, nos 00-22.445 et 01-02.923, Bull. civ. II, n° 159 ; Cass. 2e civ., 22 janv. 2004, n° 02-14.918,

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Bull. civ. II, n° 11). Il en résulte une impression de « loterie » un peu incongrue compte tenu des objectifs affichés en 1985 (si l’on comprend et approuve sans réserve la volonté de la Haute juridiction de condamner la tendance des juridictions du fond à exonérer le conducteur ou gardien impliqué au seul motif qu’il n’est pas fautif ou que sa faute est moins grave que celle de la victime conductrice, on est beaucoup plus circonspect sur les mérites d’une solution qui consiste à s’en tenir à la seule considération de la gravité de la faute de la victime, appréciée, qui plus est, souverainement par les juges du fond ; voir pour une illustration de la sévérité des solutions qui peuvent en résulter pour le conducteur victime, Cass. 2e civ., 22 janv. 2004, n° 02-14.918, précité). En réalité, c’est avec la distinction des conducteurs et des non-conducteurs qu’il faudrait peut-être en finir.

Les conducteurs ont suffisamment voyagé en seconde classe (pour ne pas dire en troisième : on en connaît plus d’un qui pourrait regretter le temps de l’article 1384, alinéa 1er, et de la faute ayant à présenter les caractères de la force majeure pour une exonération totale). Mais un tel remaniement ne peut être que le fait du législateur. Je signale que l’avant-projet Catala, auquel Philippe Jacques a déjà fait référence ce matin, est en ce sens (voir l’article 1385-2 de l’avant-projet). II – DE LA MISE EN ŒUVRE DU DROIT À INDEMNISATION 11. C’est sans doute sur ce point que le texte était le plus porteur de promesses, puisqu’il s’agissait, moyennant la mise en œuvre d’un processus d’offre obligatoire par l’assureur (dans le détail duquel on ne saurait évidemment entrer ici. Tout au plus peut-on signaler le rôle qu’a joué également ici la Cour de cassation, en interprétant les obligations faites à l’assureur dans un sens favorable aux victimes – notamment en admettant le cumul des sanctions de l’absence et de l’insuffisance d’offre : Cass. 2e civ., 3 déc. 1997, n° 96-11.046, Bull. civ. II, n° 289. On pourrait aussi s’interroger sur les mérites de la seule réforme dont la loi Badinter ait fait l’objet, avec la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, et qui revient à instituer deux schémas concurrents, deux procédures en une : voir pour une présentation de ce dispositif, Pierre Ph., Lamy Droit de la responsabilité, nos 316-1 et s.), d’épargner aux victimes les affres de longues et aléatoires procédures judiciaires. Il est d’autant plus intéressant d’évaluer les mérites de ce mécanisme prétendument transactionnel (sur ce point, comme Philippe Pierre, Maître du droit des accidents, je doute que ce mode alternatif d’indemnisation puisse être qualifié « transaction » à proprement parler, faute d’être assis sur les fameuses « concessions réciproques » caractéristiques selon la jurisprudence, de ce contrat spécial : en ce sens, Pierre Ph., Vers un droit des accidents, Contribution à l’étude du report de la responsabilité sur l’assurance, thèse Rennes, 1992, nos 150 et s. Quant à la Cour de cassation, elle paraît plutôt embarrassée par ce problème de qualification non dénué d’enjeux pratiques : voir Cass. 2e civ., 13 oct. 2005, n° 04-15.329, Resp. civ. et assur. déc. 2005, et la chronique de Groutel H., n° 18) qu’il a manifestement servi depuis de référence pour organiser l’indemnisation dans d’autres domaines. 12. Mais là, reconnaissons-le, il est très difficile de dresser un bilan, car les informations fiables sur l’impact de la réforme manquent cruellement. Le seul point de repère dont on dispose à ma connaissance est l’étude réalisée par le Centre de recherche et d’études critiques sur le droit pour l’année 1994 (à mi-chemin en somme), étude statistique qui permet notamment de comparer les « performances » de la voie transactionnelle et de la voie juridictionnelle, en termes de rapidité et de montant de la réparation (Serverin E. et alii, L’accident corporel de la circulation entre transactionnel et juridictionnel, 1997). Il en ressort certains enseignements un peu déroutants :

• la loi n’a pas forcément fait varier la proportion des transactions et des jugements ; • la différence entre les délais de règlement, importante pour les dossiers dits légers, se restreint

considérablement dès lors que l’on considère les dossiers dits graves ; • sur le quantum de la réparation, il y a moins de surprise : les juges sont plus généreux que les

assureurs, mais ce n’est pas une caractéristique des accidents de la circulation.

Il reste toutefois qu’ici, dans les offres des assureurs, il manque souvent purement et simplement des chefs de préjudices que les médecins conseils des compagnies ignorent, semble-t-il.

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C’est ici l’intervention systématique d’un médecin expert indépendant qui pourrait s’avérer utile (l’observation avait déjà été faite lors du colloque organisé à l’occasion du dixième anniversaire de la loi : voir l’intervention de Mme Neher-Schraub, précité, p. 15).

On a besoin aussi de repères plus fiables et plus constants pour l’évaluation du préjudice. Mais, là encore, c’est un problème non spécifique aux accidents de la route. On sait que des commissions ont travaillé à cette question : celle de Mme Lambert-Faivre, puis celle présidée par M. Dintilhac (voir RLDC 2006/1, p. 22, Bull. inf. C. cass., n° 633, 1er févr. 2006, p. 3).

Vingt ans : le bel âge... Sans doute, mais notre jouvencelle a peut-être vieilli un peu prématurément. Oserions-nous déjà lui suggérer un léger lifting ?

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SEANCE 15 LA RESPONSABILITE DELICTUELLE Responsabilité du -fait d’autrui

Régime général I. – Jurisprudence

• Affirmation du régime général � Ass. plén., 29 mars 1991, n° 89-15.231 ; Bull. cass. Ass. plén. n° 1 ; D. 1991, Juris. p.

324, note C. Larroumet, Somm. p. 324, obs. J.-L. Aubert, et chron. p. 157, par G. Viney ; JCP 1991, II, 21673, note J. Ghestin ; RTD civ. 1991, p. 312, obs. J. Hauser.

� Cass. Civ. 2ème, 22 septembre 2005, n° de pourvoi : 04-14092. � Ass. plén., 29 juin 2007, n° 06-18.141.

• Domaine d’application � Cass. Civ. 2ème, 6 juin 2002, n° 00-15.606 ; Bull. civ. II, n° 120 ; D. 2002, p. 2750,

note Huyette ; JCP 2003, II, 10068, note Gouttenoire et Roget. � Cass. Civ. 2ème, 22 mai 1995, n° 92-21.871 ; Bull. civ. II, n° 155 ; JCP 1995, I, 3893,

n° 5, obs. G. Viney ; RTD civ. 1995, p. 899, obs. P. Jourdain. � Civ. 2ème, 18 sept. 1996, n° 94-20.580 ; Bull civ. II, n° 217 ; D. 1998, p. 118, note

Rebourg. � Cass. Crim. 28 mars 2000, n° 99-85.240 ; D. 2001, p. 653, note M. Huyette ; JCP G

2001, II, 10457, note C. Robaczewski.

• Opposition de la faute � Cass. Crim., 26 mars 1997 ; Bull. crim. n° 124 ; JCP G, 1997, I, 4070, obs. G. Viney ;

D. 1997, p. 496, note P. Jourdain. � Cass. Civ. 2ème, 20 nov. 2003, n° 02-13.653 ; D. 2004, p. 300, note G. Bouché, JCP

2004, II, 10017, note J. Mouly. � Cass. Civ. 2ème, 8 avr. 2003, n° 03-11.653 ; D. 2004, p. 2601, note Y-M. Sérinet, JCP

2004, II, 10131, note M. Imbert. � Cass. Civ. 2ème, 21 oct. 2004, n° 03-17.910 ; Bull. Civ. II, n° 477 ; D. 2005, p. 40, note

J.-B. Laydu. II. – Doctrine

� Josselin-Gall M., La responsabilité du fait d’autrui sur le fondement de l’article 1384 al. 1er, Une théorie générale est-elle possible, JCP G 2000, n° 45, I, 268.

� Viney G., Vers un élargissement de la catégorie des « personnes dont on doit répondre » : la porte entrouverte sur une nouvelle interprétation de l’article 1384 al. 1er du Code civil, D. 1991, p. 157 et s.

III. – Exercices Commentaire d’arrêt : Ass. plén., 29 juin 2007.

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I. – Jurisprudence

� Ass. plén., 29 mars 1991, Blieck Sur le moyen unique : Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Limoges, 1re ch. civ., 23 mars 1989), que Joël Weevauters, handicapé mental, placé au Centre d'aide par le travail de Sornac, a mis le feu à une forêt appartenant aux consorts Blieck ; que ceux-ci ont demandé à l'Association des centres éducatifs du Limousin, qui gère le centre de Sornac, et à son assureur, la réparation de leur préjudice ; Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir condamné ces derniers à des dommages-intérêts par application de l'art. 1384, al. 1er, c. civ., alors qu'il n'y aurait de responsabilité du fait d'autrui que dans les cas prévus par la loi et que la cour d'appel n'aurait pas constaté à quel titre l'association devrait répondre du fait des personnes qui lui sont confiées ;

Mais attendu que l'arrêt relève que le centre géré par l'association était destiné à recevoir des personnes handicapées mentales, encadrées dans un milieu protégé, et que Joël Weevauters était soumis à un régime comportant une totale liberté de circulation dans la journée ; qu'en l'état de ces constatations, d'où il résulte que l'association avait accepté la charge d'organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie de ce handicapé, la cour d'appel a décidé, à bon droit, qu'elle devait répondre de celui-ci, au sens de l'art. 1384, al. 1er, c. civ., et qu'elle était tenue de réparer les dommages qu'il avait causés ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Par ces motifs, rejette le pourvoi.

� Cass. Civ. 2ème, 22 septembre 2005, n° de pourvoi : 04-14092 AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon ce texte, que les associations sportives, ayant pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres au cours des compétitions et entraînements auxquels ils participent, sont responsables des dommages qu'ils causent à cette occasion, dès lors qu'une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à l'un de ses membres, même non identifié ;

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que, M. X... Y... a été blessé au cours d'une compétition de rugby opposant son équipe, formée par l'association JS Labouheyre, à l'équipe formée par l'association JS Rion des Landes (l'association) ; qu'il a assigné en responsabilité et réparation l'association adverse et son assureur, la société La Sauvegarde, en présence de la Caisse nationale militaire de sécurité sociale ;

Attendu que pour déclarer l'association responsable des dommages subis par M. X... Y... et la condamner in solidum avec son assureur à verser à celui-ci une provision en ordonnant une expertise médicale, l'arrêt, après avoir cité les déclarations de la victime à l'expert médecin sur les circonstances de l'accident, énonce que la participation à un jeu réputé partiellement dangereux n'empêche pas le pratiquant de rechercher la responsabilité de tiers dès lors qu'il a été exposé à un risque anormal entraînant des conséquences disproportionnées ; que le traumatisme n'a pas été occasionné par un coup direct d'un tiers ou consécutif à un entassement des joueurs, mais est lié au mécanisme physique des poussées antagonistes dans une configuration délicate et extrême ; qu'il est ainsi certain que la victime, pilier droit, a subi un traumatisme net, au cours d'un effort majeur de poussée dominante, à la suite d'une flexion subite et violente due à la rupture soudaine du point d'opposition adverse, exposant sa colonne à une contrainte anormale et radicale ; que cette manifestation ne peut s'expliquer par un enfoncement progressif de la mêlée adverse, corrélatif à la poussée supérieure exercée par les coéquipiers de M. X... Y..., mais par un écroulement permettant

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d'interrompre la progression du pack dominant ;

que l'effondrement du pilier adverse a été déterminant ; que l'effondrement aussi brusque d'une mêlée est la conséquence d'un mauvais positionnement d'un joueur adverse exerçant une poussée anormale soit latérale soit plus probablement vers le bas ; que cette poussée irrégulière résulte d'une violation de règles contre le jeu, à ce titre sanctionnable ; que même en l'absence d'une décision de l'arbitre à ce sujet, il est certain que la rupture soudaine de poussée, provoquée irrégulièrement par l'équipe adverse, du fait de sa mauvaise position, a mis M. X... Y... dans une position délicate et intenable, en porte à faux, au moment où il exerçait un effort

particulièrement majeur et tendu, expliquant le mécanisme physique à l'origine de la paralysie ;

Qu'en statuant par de tels motifs insuffisants à établir que l'effondrement de la mêlée avait été délibéré, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er avril 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

� Ass. plén., 29 juin 2007 Sur le moyen unique : Vu l'article 1384, alinéa 1er, du code civil ; Attendu que les associations sportives ayant pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu'ils causent à cette occasion, dès lors qu'une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à un ou plusieurs de leurs membres, même non identifiés ; Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation (Civ. 2, 13 mai 2004, Bull. 2004, II, n° 232) que M. X..., participant à un match de rugby organisé par le comité régional de rugby du Périgord-Agenais, dont il était adhérent, et le comité régional de rugby d'Armagnac-Bigorre, a été grièvement blessé lors de la mise en place d'une mêlée ; qu'il a assigné en réparation sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil les comités et leur assureur commun, la société La Sauvegarde, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne ; Attendu que pour déclarer les comités responsables et les condamner à indemniser M. X..., l'arrêt retient qu'il suffit à la victime de rapporter la preuve du fait dommageable et qu'elle y parvient en démontrant que les blessures ont été causées par l'effondrement d'une mêlée, au cours d'un match

organisé par les comités, que l'indétermination des circonstances de l'accident et l'absence de violation des règles du jeu ou de faute établie sont sans incidence sur la responsabilité des comités dès lors que ceux-ci ne prouvent l'existence ni d'une cause étrangère ni d'un fait de la victime ; Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle était tenue de relever l'existence d'une faute caractérisée par une violation des règles du jeu commise par un ou plusieurs joueurs, même non identifiés, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 juillet 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ; Condamne M. X... aux dépens ; Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes de la société La Sauvegarde, des comités régionaux de rugby Périgord-Agenais et d'Armagnac-Bigorre, et de M. X... ;

� Cass. Civ. 2ème, 6 juin 2002 Sur le moyen unique : Vu l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu qu'une association chargée par décision d'un juge des enfants d'organiser et de

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contrôler à titre permanent le mode de vie d'un mineur demeure, en application du texte susvisé, responsable de plein droit du fait dommageable commis par ce mineur, même lorsque celui-ci habite avec ses parents, dès lors qu'aucune décision judiciaire n'a suspendu ou interrompu cette mission éducative ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le mineur Franck A..., âgé de seize ans, placé par un juge des enfants dans un foyer éducatif géré par l'Association de la région havraise pour l'enfance et l'adolescence en difficultés (l'Association) a, lors d'un séjour de fin de semaine au domicile de ses parents, commis un incendie volontaire qui a détruit le fonds de commerce de Mme X... ; qu'il a été pénalement condamné du chef de ce délit ; que Mme X... et son assureur la compagnie Assurances générales de France (compagnie AGF) ont assigné en réparation l'Association et son assureur la compagnie Axa ; qu'un jugement a accueilli leurs demandes ; Attendu que pour débouter Mme X... et la compagnie AGF de leurs demandes, l'arrêt retient qu'il est établi que les parents A... bénéficiaient d'un droit de visite et d'hébergement de fin de

semaine à exercer selon le rythme d'une semaine sur deux, que selon les pièces du dossier pénal, le jeune Franck A... a déclaré être rentré chez lui " après les faits ", que selon la notice de renseignements, ce mineur était placé et revenait chez ses parents en fin de semaine, qu'enfin le mineur a déclaré à un psychologue qu'il avait mis le feu " au cours d'un week-end chez lui " ; que dans ces conditions, il est établi que Franck A... était en séjour régulier et autorisé chez ses parents lors de la fin de semaine où il a provoqué l'incendie, de sorte que l'Association ne peut être déclarée civilement responsable de ses agissements ; Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; Par ces motifs : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 mars 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen.

� Cass. Civ. 2ème, 22 mai 1995 Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'au cours d'un match de rugby, une bagarre a mis aux prises les joueurs des deux équipes appartenant à des associations sportives différentes ; que M. Leydier, membre de l'Union sportive de Monteux, a été mortellement blessé ; qu'une information pénale a été clôturée par une ordonnance de non-lieu ; que les consorts Leydier ont demandé à l'équipe adverse, l'Union sportive du personnel électricité gaz de Marseille (Uspeg), la réparation de leur préjudice ; Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir retenu la responsabilité de l'Uspeg alors que, selon le moyen, "d'une part, le préposé est celui qui agit pour le compte d'une autre personne, le commettant, lequel exerce à son égard un pouvoir de direction, de surveillance et de contrôle ; que les joueurs de rugby sont des amateurs ; qu'ils ne sont donc pas rémunérés en contrepartie de leur activité sportive ni soumis à aucune contrainte d'entraînement ou de participation aux rencontres ; qu'en retenant cependant l'existence d'un lien de préposition entre le club et les joueurs amateurs qui en sont membres, la cour d'appel a violé les articles 1384, alinéa 5, du Code civil, 101 et 107 du règlement de la Fédération française de rugby ;

d'autre part, le rapport de subordination d'où découle la responsabilité des commettants suppose de la part de ceux-ci le pouvoir de donner des ordres à leurs préposés ; que ce lien de subordination n'est pas caractérisé dès l'instant où aucun pouvoir de contrôle et de direction ne peut ainsi être exercé ; que, lors d'un match de championnat, les joueurs présents sur le terrain sont sous la seule autorité de l'arbitre ; qu'il résulte des constatations mêmes de l'arrêt attaqué que la bagarre qui aurait entraîné la mort de Dominique Leydier s'est déclenchée "au cours du match" (arrêt p. 9, alinéa 3) ; qu'à cet instant, seul l'arbitre, à l'exclusion des clubs sportifs, exerçait un pouvoir de contrôle et de direction sur les joueurs ; qu'en déclarant cependant un club responsable des conséquences dommageables d'une bagarre survenue pendant un match, la cour d'appel a violé les articles 1384, alinéa 5, du Code civil et 206 du règlement de la Fédération française de rubgy ; enfin, la responsabilité du commettant ne peut être engagée que si la preuve d'une faute commise par l'un de ses préposés est rapportée ; que l'auteur de la faute doit être identifié afin

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que le commettant puisse exercer le recours qui lui est reconnu contre son préposé fautif ; que la cour d'appel n'a pas identifié les joueurs qui auraient frappé M. Leydier ; qu'en retenant cependant la responsabilité de l'association sportive pour des fautes commises par plusieurs de ses préposés non identifiés, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéa 5, du Code civil" ; Mais attendu que les associations sportives, ayant pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent, sont responsables, au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, des dommages qu'ils causent à cette occasion ;

Et attendu que l'arrêt retient que les joueurs de l'Uspeg participaient à une compétition sportive et que ce sont des joueurs de cette association qui ont exercé sur M. Leydier des violences ; Que, par ces seuls motifs, l'arrêt se trouve légalement justifié ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.

� Civ. 2ème, 18 sept. 1996 LA COUR - Donne acte à Mme Rousson de son désistement à l'égard des époux X... et de la Cie AXA assurances ; Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (CA Montpellier, 1re ch. civ., 18 oct. 1994), qu'Antoine X..., âgé de 10 ans, en vacances d'été chez sa grand-mère et sa tante, Mmes Michèle et Mireille Hurriez, a, en circulant à bicyclette, heurté et blessé un piéton, Mme Rousson ; que celle-ci a demandé réparation de son préjudice, d'une part, aux père et mère de l'enfant, d'autre part, à Mmes Michèle et Mireille Hurriez, ainsi qu'à leur assureur, la MAAF ; Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt, qui a mis hors de cause les père et mère, d'avoir rejeté la demande subsidiaire à l'encontre de la grand-mère et de la tante de l'enfant, ainsi que de leur assureur, alors, selon le moyen, que, d'une part, on est responsable du dommage causé par le fait des personnes dont on doit répondre ; que la grand-mère et la tante qui hébergent un enfant pendant les vacances scolaires en un lieu éloigné du domicile de ses parents doivent répondre de celui-ci ; qu'en ayant énoncé que la responsabilité de la grand-mère et de la tante ne pouvait être recherchée sur le fondement

de l'article 1384 du code civil la cour d'appel aurait violé, par refus d'application, le premier alinéa de ce texte ; que, d'autre part, les motifs surabondants de l'arrêt selon lesquels la grand-mère et la tante n'auraient commis aucune faute au sens de l'article 1382 du code civil en laissant l'enfant circuler à bicyclette sont inopérants, la cour d'appel devant seulement rechercher si le fait que l'enfant avait causé un accident n'établissait pas par lui-même un manquement à l'obligation de surveillance dont elles étaient tenues, d'où un manque de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil ; Mais attendu qu'après avoir exactement énoncé que la responsabilité édictée par l'article 1384, alinéa 4, du code civil ne s'applique qu'aux père et mère l'arrêt retient qu'aucune faute n'est établie envers la grand-mère et la tante de l'enfant ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, alors que les conditions d'application de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil n'étaient pas réunies, l'arrêt a légalement justifié sa décision ; Par ces motifs, rejette...

� Cass. Crim. 28 mars 2000 LA COUR - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 375, 375-3, 4°, 1384, alinéa 1er, et 1351 du code civil, 93, 94, 97, 208 et 209 du code de la famille et de l'aide sociale, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs, ensemble la loi des 16 et 24 août 1970 : en ce que l'arrêt

attaqué, statuant sur l'action civile, a déclaré responsables in solidum X... et la Maison d'Enfants « le S... » de [...] en tant que civilement responsable des faits commis par X..., mineur placé au moment des faits « aux motifs qu'il est constant que, par décision du juge des enfants de P..., X... a été confié au

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service de l'Aide sociale à l'enfance de E..., dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative prévue par les articles 375 et suivants du code civil ; que l'ordonnance intervenue le 7 mai 1996 précisait « avec souhait de son accueil à la Maison d'Enfants « Le S... » de [...] » ; que par jugement du 7 octobre 1996, le placement a été reconduit jusqu'à la majorité de l'enfant avec souhait de maintien dans le même établissement ; qu'il est établi que les infractions ont été commises en mars 1997, alors qu'aucune décision de justice n'avait suspendu ou interrompu ce placement ; que c'est vainement que l'association « Le S... » soutient que le juge des enfants ne lui a pas remis le mineur, mais l'a confié uniquement au service social de l'enfance départemental ; qu'en effet, contrairement aux assertions de l'association, c'est bien à la Maison de l'Enfance à caractère social gérée par elle qu'a été transférée en exécution des décisions du juge des enfants la charge d'organiser, de diriger et de contrôler le mode de vie de X..., mineur en danger ; que ce dernier était hébergé à titre permanent par la Maison d'Enfance « Le S... » et qu'il était sous l'autorité et la surveillance effective de l'association, gestionnaire de ce foyer ; qu'il est donc établi que cet établissement d'éducation était bien le gardien de l'enfant au sens de l'article 1384 du code civil ; qu'il doit répondre des actes de ce mineur, dès lors que l'association « Le S... » est responsable de plein droit des dommages causés à autrui par X... ; que la situation de fugue n'entraîne pas disparition de la garde du mineur par l'association ; que cette dernière ne peut davantage s'exonérer de sa responsabilité en soutenant ne pas avoir commis de faute ; que les personnes tenues de répondre du fait d'autrui ne peuvent s'exonérer de la responsabilité de plein droit qui en résulte en démontrant l'absence de faute ; que seule l'existence d'une force majeure ou d'une faute de la victime serait de nature à lui permettre de le faire ; que cette démonstration n'est pas rapportée ; que la fugue du mineur ne saurait être assimilée à un cas de force majeure ; qu'aucun fait de la victime n'est invoqué ; qu'en conséquence, il est parfaitement établi et au demeurant non contesté que c'est bien le fait du mineur dont elle avait la garde qui a provoqué le dommage subi par la société M... ; que comme précédemment exposé, la responsabilité de

l'établissement éducatif est fondée sur la garde et non sur la faute ; alors, d'une part, que lorsqu'un mineur en danger est confié par une décision du juge des enfants à un service départemental de l'aide sociale à l'enfance en application de l'article 375-3, 4° du code civil, la garde du mineur est transférée au département, même si le mineur est confié par le département à une maison d'enfants ; qu'en raison du transfert de garde opéré par le jugement du juge des enfants, seul le département est responsable des dommages causés par ce mineur aux tiers ; qu'en l'espèce, il est constant, que par deux décisions successives, le juge des enfants à placé le mineur X... à la D... laquelle a confié ce mineur à la Maison d'Enfants « Le S... » ; qu'en déclarant néanmoins la Maison d'Enfants « Le S... », civilement responsable des faits commis par le mineur à l'occasion de ce placement la cour d'appel a violé les principes susvisés ; alors, d'autre part, qu'en retenant que ces deux décisions, qui n'avaient formulé à cet égard qu'un simple souhait non contraignant, avaient ordonné le placement du mineur à la Maison d'Enfants « Le S... », la cour d'appel a dénaturé ces deux décisions judiciaires dont les termes sont clairs et précis » ; Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que X..., mineur, confié en exécution d'une mesure d'assistance éducative, par application de l'article 375 du code civil, à la D... qui l'a placé à la maison d'enfants « Le S... », a été condamné pour vol aggravé, dégradations volontaires par incendie, falsification de chèques et usage ; - Attendu que, pour déclarer l'association « Le S... » civilement responsable, l'arrêt attaqué relève que la charge d'organiser, de diriger et de contrôler le mode de vie du mineur a été transférée, en exécution des décisions du juge des enfants, à l'établissement éducatif où il a été placé et que cette institution devait en répondre au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil ; - Attendu qu'en l'état de ces énonciations la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ; - Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; Rejette ...

� Cass. Crim., 26 mars 1997

LA COUR - Statuant sur le pourvoi formé par X..., civilement responsable, contre l'arrêt n° 23/95 de la cour d'appel de Rouen, chambre spéciale des

mineurs, en date du 6 juin 1995, qui, dans les poursuites exercées contre Elvis C..., Virginie M..., Eva D... et Estelle D... pour vols aggravés

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et tentatives, et, contre le premier, pour vol et tentative, a prononcé sur les intérêts civils [...]. Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1384 du code civil, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ; « en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société X... civilement responsable des agissements des mineures Virginie M..., Estelle D... et Eva D... ; aux motifs que les mineurs, autres que Elvis C..., étaient tous placés au X... en exécution de décisions prises par le juge des enfants compétent et en application de l'article 375 et suivants du code civil ; qu'il détenait la garde des mineurs et avait donc pour mission de contrôler, d'organiser, à titre permanent et jusqu'à nouvelle décision du juge des enfants compétent, leur mode de vie ; qu'il était donc tenu au sens de l'article 1384, alinéa 1, du code civil de réparer les dommages causés à autrui par les mineurs à lui confiés sans qu'il y ait besoin de caractériser une faute commise par le gardien ; alors que, en posant que l'on est responsable du dommage causé par le fait des personnes dont on doit répondre, l'article 1384, alinéa 1, du code civil édicte, non pas une présomption irréfragable, mais une présomption simple de responsabilité du fait d'autrui dont le civilement responsable peut s'exonérer en rapportant la preuve qu'il n'a commis aucune faute ; que X... faisait valoir qu'il organisait une surveillance convenable des mineurs eu égard à leur âge avancé et qu'il n'avait commis, dans cette organisation, aucune faute ; qu'en déclarant X... civilement responsable de Virginie M..., Estelle D... et Eva D... sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, s'il avait commis une faute dans l'organisation de la surveillance de ces mineures, la

Cour a violé l'article 1384, alinéa 1, du code civil » ; Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, par jugement devenu définitif sur l'action publique, Virginie M..., Eva D... et Estelle D... ont été condamnées, notamment, pour avoir frauduleusement soustrait un véhicule appartenant à Claude L... ; que ce vol a été commis alors que, étant mineures, les prévenues se trouvaient confiées au X... en exécution de décisions prises par le juge des enfants sur le fondement des articles 375 et suivants du code civil ; que la victime, constituée partie civile devant la juridiction répressive, a demandé réparation de son préjudice ; Attendu que, pour confirmer la décision du tribunal pour enfants ayant déclaré l'établissement éducatif civilement responsable des trois prévenues, l'arrêt attaqué énonce que, détenant leur garde, il avait pour mission de contrôler et d'organiser, à titre permanent, leur mode de vie et « qu'il est donc tenu au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil sans qu'il y ait besoin de caractériser une faute » de sa part ; Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application de la loi ; qu'en effet, les personnes tenues de répondre du fait d'autrui au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil ne peuvent s'exonérer de la responsabilité de plein droit résultant de ce texte en démontrant qu'elles n'ont commis aucune faute ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; Rejette...

� Cass. Civ. 2ème, 20 nov. 2003 LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué (Rennes, 30 janvier 2002), que M. Jean-Pierre Le X..., licencié à la Fédération française de rugby et membre de l'association sportive Brest université club (l'association), participant à un match de rugby, a été grièvement blessé aux vertèbres ; qu'il a assigné en réparation l'association ainsi que son propre assureur, la compagnie Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF), en présence de la Caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine (la CPAM) ; que la compagnie La Sauvegarde, assureur de l'association, est intervenue à l'instance ; qu'un jugement a déclaré

l'association responsable de l'accident sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil et l'a condamnée in solidum avec son assureur à payer diverses sommes à M. Le X... et à la CPAM ; Attendu que M. Le X... fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de ses demandes, alors, selon le moyen : 1 / que les associations sportives ayant pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent sont responsables, au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil des dommages qu'ils causent à cette occasion, sans

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qu'il soit besoin de rapporter la preuve d'un fait fautif ou intentionnel, si bien que l'arrêt n'est pas justifié au regard du texte précité ; 2 / qu'en tout état de cause, en faisant profiter le doute sur l'origine du grave accident -qui ne pouvait normalement s'inscrire dans le cours normal du jeu- survenu à un joueur lors d'une compétition sportive, à l'association sportive et non au joueur, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil ; 3 / qu'en tout état de cause, en faisant profiter le doute sur l'origine du grave accident -qui ne pouvait normalement s'inscrire dans le cours normal du jeu- survenu à un joueur lors d'une compétition sportive, à l'association sportive et non au joueur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil ; Mais attendu que l'arrêt retient que M. Le X... a subi, au cours de l'effondrement d'une mêlée ou d'un regroupement, une torsion à la nuque affectant ses vertèbres cervicales ; que cette blessure n'a pu résulter d'un coup ; qu'au surplus, l'expert a noté que « des déclarations de l'intéressé et de l'étude des pièces figurant au dossier, il résulte que M. Le X... participait à un match de

rugby lorsqu'à la suite d'un coup de pied à suivre du numéro 15 (l'arrière), il aurait brutalement perdu connaissance, n'ayant aucun souvenir d'un fait accidentel particulier » ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, dont il résulte qu'aucune faute caractérisée par une violation des règles du jeu et imputable à un joueur, même non identifié, membre de l'association sportive à laquelle M. Le X... appartenait lui-même n'était établie, la cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, a légalement justifié sa décision au regard de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil ; Par ces motifs, rejette le pourvoi ; condamne M. Le X... aux dépens ; vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande de la compagnie La Sauvegarde et du Brest université club ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième Chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille trois.

� Cass. Civ. 2ème, 8 avr. 2003

LA COUR : - Sur le moyen unique : - Vu l'article 1384, alinéa 5, du code civil ; - Attendu, selon ce texte, que les commettants sont responsables du dommage causé par leurs préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés et ne s'exonèrent de cette responsabilité que si le préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ; qu'au cours d'une compétition sportive, engage la responsabilité de son employeur le préposé joueur professionnel salarié qui cause un dommage à un autre participant par sa faute caractérisée par une violation des règles du jeu ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'au cours d'un match de football organisé dans le cadre du championnat de France de première division, M. X..., joueur professionnel salarié de l'Olympique de Marseille a blessé M. Y..., joueur professionnel salarié du Football Club de Nantes ; que la Caisse primaire d'assurance maladie de Nantes (CPAM) ayant versé à M. Y... des prestations au titre de cet accident du travail, a assigné en remboursement M. X... et la société anonyme à objet sportif Olympique de Marseille (société OM) sur le fondement des articles L. 454-1 du code de la

sécurité sociale et 1384, alinéa 5, du code civil ; qu'un jugement a débouté la CPAM de sa demande ; Attendu que pour déclarer la société OM responsable du dommage causé par son préposé et la condamner à rembourser une somme à la CPAM, l'arrêt retient que « la question tenant à savoir si le geste accompli par M. X... peut être qualifié de « brutalité volontaire » excédant les instructions et missions normalement imparties à un joueur de football ou s'il constitue un « tacle imprudent et maladroit » ayant la nature d'une faute contre le jeu qui n'excède pas les instructions données ou les missions dévolues à un joueur de football, apparaît sans intérêt ; qu'en effet, la société OM ne discutant pas au principal « de la nature et de la portée du geste » de son préposé, la cour d'appel, qui, tenue par les articles 4 et 5 du nouveau code de procédure civile, ne peut que condamner cette société sur le simple constat de l'implication de M. X... dans l'accident en tant qu'auteur exclusif des lésions commises par fait d'imprudence, n'a pas lieu de trancher la discussion qui lui est soumise sous cet angle » ; qu'en statuant ainsi,

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alors qu'elle relevait que M. X..., joueur salarié de la société OM, avait commis l'action dommageable au cours d'une compétition sportive, sans rechercher si le tacle ayant provoqué les blessures avait constitué une faute caractérisée par une violation des règles du jeu, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte précité ; Par ces motifs, casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 décembre 2002, entre les parties, par la Cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans

l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Angers ; condamne la Caisse primaire d'assurance maladie de Nantes aux dépens ; vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande de la Caisse primaire d'assurance maladie de Nantes ; dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé.

� Cass. Civ. 2ème, 21 oct. 2004 LA COUR : - Sur le moyen unique du pourvoi n° E 03-17.910, pris en ses deuxième, quatrième et cinquième branches et sur le moyen unique du pourvoi n° B 03-18.942, pris en ses deuxième et quatrième branches : - Vu l'article 1384, alinéa 1er, du code civil ; - Attendu selon ce texte, que les associations sportives, ayant pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu'ils causent à cette occasion, dès lors qu'une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à l'un de ses membres, même non identifié ; Attendu selon l'arrêt confirmatif attaqué qu'à l'occasion d'une séance d'entraînement, M. X..., membre de l'association de rugby Bleuets Labatutois (l'association), répétant une phase tactique de sortie de mêlée, est tombé en manquant un placage et s'est blessé ; qu'il a assigné en réparation l'association et ses assureurs, la compagnie La Sauvegarde, également assureur de la Fédération française de rugby (FFR), et la Caisse régionale mutuelle agricole Groupama Sud-Ouest (Crama-Groupama) ainsi que la Mutualité sociale agricole ; Attendu que pour déclarer l'association responsable du dommage subi par M. X... et la condamner solidairement avec la Crama-Groupama et La Sauvegarde à lui payer une provision indemnitaire en ordonnant par ailleurs une expertise médicale, l'arrêt énonce qu'il résulte de la déclaration signée par le responsable de l'association et des témoignages qu'au cours d'un entraînement, pendant la répétition d'une tactique jouée à la sortie de mêlée, M. X... a manqué le placage de son attaquant qui l'a évité, et que, déséquilibré, il est tombé sur le dos, a ressenti une douleur aux vertèbres cervicales et n'a pu bouger; qu'il est donc établi que la chute de M. X... a été causée par l'un des membres de l'association qui a esquivé le placage dont il était l'objet ; que même si

l'action de jeu au cours de laquelle M. X... a été blessé était parfaitement régulière, sa chute est le fait de l'un de ses coéquipiers, membre de l'association ; que si cette action a eu lieu au cours de l'entraînement qui précède la compétition, cet entraînement, organisé par l'association, en est le soutien nécessaire et relève de sa préparation; que c'est donc à bon droit, même en l'absence de toute faute d'un joueur de l'association, que le premier juge a retenu la responsabilité de celle-ci, dès lors qu'il est démontré par la victime qu'un des joueurs de cette association est intervenu par son fait dans la production du dommage ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses propres constatations qu'aucune faute caractérisée par une violation des règles du jeu n'avait été commise par un joueur quelconque au cours de la phase d'entraînement durant laquelle M. X... s'était blessé, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 juin 2003, entre les parties, par la Cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Toulouse ; Condamne M. X... aux dépens.

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II. – Doctrine

� Josselin-Gall M., La responsabilité du fait d’autrui sur le fondement de l’article 1384 al. 1er, Une théorie générale est-elle possible, JCP G 2000, n° 45, I, 268.

La Cour de cassation a rendu, au cours de la dernière décennie, une série d'arrêts relatifs à

la responsabilité du fait d'autrui, sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er du Code civil.

Vis-à-vis de circonstances de fait disparates, l'élaboration d'une jurisprudence qui aboutit à préciser, au cas par cas, les bases et les fins de la mise en cause de cette responsabilité, particulièrement intense dans la vie actuelle, publique ou privée, conduit l'analyste à y rechercher un fondement unitaire. La question que pose l'examen de ces décisions et à laquelle on tentera de donner des éléments de réponse, est donc celle-ci : la construction jurisprudentielle la plus récente en matière de responsabilité du fait d'autrui repose-t-elle ou non sur une théorie générale dont elle précise peu à peu le dessin ? 1 - Le propos de cette étude n'est pas de rouvrir une discussion sur la légitimité de la Cour de cassation à forger l'essentiel des règles qui organisent le droit commun de la responsabilité civile, sur le fondement de textes dont on a épuisé le sens à trop vouloir en distendre la portée. Pas davantage n'est-il de discuter sur l'opportunité de cette politique judiciaire. Le pouvoir judiciaire a au moins le mérite de tenter d'adapter les textes existants à l'émergence de nouveaux types de dommages, résultant de déviances sociales actuelles, lorsque le législateur fait preuve d'un mutisme absolu. Constatons que la Cour de cassation a commencé par rendre, en 1991, un arrêt révolutionnaire et fondateur sur une interprétation déformante de l'article 1384, alinéa 1er Note 1, pour ensuite adopter, en 1997, une décision venant bouleverser les fondements de la responsabilité parentale résultant de l'article 1384, alinéa 4 Note 2. Si l'on se rappelle que l'irritante question de l'abus de fonction du préposé a fait l'objet de pas moins de cinq assemblées plénières Note 3 à la fin du siècle dernier, n'est-il pas significatif que le nouveau millénaire soit inauguré par une nouvelle interprétation de la faute du préposé Note 4 ? On ne peut que saluer l'effort de création et d'adaptation de la jurisprudence : elle tente de réguler la société du troisième millénaire sur la base de textes vieux de deux siècles. 2 - Il n'en est pas moins nécessaire de rester attentif aux obstacles et aux limites rencontrés par ce mode particulier de création de normes. On connaît également les écueils qu'il suscite. En premier lieu, dans des matières devenues sensibles, on peut observer des oppositions sur la même question entre les diverses formations de la même juridiction. Ainsi se renouvelle la formule de Pascal : "Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà " : c'est alors la justice qui vient à souffrir d'une telle situation. En second lieu, la jurisprudence procède par touches successives qui ne l'exemptent pas de contradictions logiques dans le temps. Une même chambre peut adopter une position, pour se rétracter ensuite au bénéfice d'une orientation différente. La prévisibilité des solutions en devient incertaine. Par exemple, comment interpréter l'apparition, la disparition, puis la résurgence du contrôle "à titre permanent" de l'activité d'autrui Note 5, comme critère constitutif de la garde d'autrui susceptible d'entraîner la mise en cause de la responsabilité du gardien ? Les derniers arrêts de la deuxième chambre civile Note 6, en ce qu'ils apportent une nouvelle pierre à l'édifice en construction du principe général de responsabilité du fait d'autrui, ne sont à l'abri d'aucun des deux écueils évoqués. L'article 1384, alinéa 1er y a été appliqué à trois hypothèses différentes. Les premières sont relatives à deux modes majeurs d'application de la responsabilité générale du fait d'autrui : à l'enfance en danger Note 7 et à l'enfance délinquante Note 8 ; tandis que la troisième présente l'intérêt de s'inscrire dans une situation pour l'instant restée marginale, celle de l'activité sportive Note 9. 3 - La responsabilité du fait d'autrui fondée sur l'article 1384, alinéa 1er est censée procéder d'un principe général, dont le traitement de cas particuliers fournirait l'occasion d'élaborer le régime. Les pessimistes augurent la difficulté d'une telle entreprise Note 10, en pressentant la contradiction interne du processus. Ceux que ne rebute pas la méthode choisie sont dès lors conduits à faire l'exégèse des décisions de justice, pour les systématiser et rendre lisibles les lignes de force de l'évolution Note 11.

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Force est de constater que la tâche n'est pas aisée. En effet, la formulation retenue pour déclencher l'application de l'article 1384, alinéa 1er, subit des variations de terminologie d'une décision à l'autre et son sens semble différer selon les espèces. Ainsi, alors même que la garde d'autrui paraît justifier la mise en cause de la responsabilité du gardien, sa définition et son sens réel restent à préciser. Certes, les conditions classiques (l'organisation, la direction et le contrôle) sont reprises en leitmotiv dans les attendus de la Cour de cassation. Néanmoins, l'apparente uniformité de la motivation ne doit pas abuser l'interprète, pour lequel la question reste : quelle forme ou quel degré d'autorité doit-on exercer pour être responsable des actes d'autrui ? On sait que pouvoir et responsabilité sont liés, mais s'agit-il d'une aptitude au pouvoir sur autrui ou bien de son exercice réel au moment de la commission du fait dommageable ?

À l'examen des récents développements de la jurisprudence de la Cour de cassation, illustrant dans des domaines variés des solutions elles-mêmes diverses, leur interprète est fondé à s'interroger sur la cohérence de leurs éléments et leur capacité à dévoiler l'existence d'une théorie générale de la responsabilité du fait d'autrui.

Aussi s'attachera-t-on d'abord à l'identification du (ou des) critère(s) motivant l'application du régime de responsabilité du fait d'autrui, articulé sur l'article 1384, alinéa 1er du Code civil (1), avant de s'intéresser - dans la mesure où cette identification aura été possible - au fondement même de ces critères, tel qu'il aurait été intuitivement retenu par la Cour de cassation (2). 1 - Critère d'application de la responsabilité générale du fait d'autrui 4 - Les trois récents arrêts où il a été fait application de l'article 1384, alinéa 1er ont été rendus dans les circonstances suivantes. Dans la première espèce, une association à laquelle un mineur est confié en application de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante puis (à la suite d'un incendie) placé en liberté surveillée auprès de celle-ci, est déclarée responsable sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er d'un dommage causé à raison d'un nouvel incendie volontaire Note 12.

Dans la seconde, une mineure fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative et est placée à ce titre par le juge des enfants dans un foyer, où elle est victime d'un attentat à la pudeur commis par d'autres mineurs, également placés dans cet établissement au titre d'une mesure de cette nature. La Cour de cassation a considéré que le foyer doit être déclaré responsable des agissements dommageables de ses pensionnaires sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er Note 13.

Dans la troisième, la Cour retient que l'association dirigeante d'une équipe de rugby doit être déclarée civilement responsable, sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, des coups et blessures donnés par ses membres aux adversaires pendant un match Note 14.

Ces trois arrêts, rendus en trois mois de temps, témoignent d'un renouveau de l'activité de la Cour de cassation en la matière après une période d'accalmie de près de deux ans Note 15. Ils enrichissent la jurisprudence relative à deux domaines entrant dans le champ d'application de l'article 1384, alinéa 1er que nous avons évoqués : l'enfance délinquante et l'enfance en danger (hormis celui de l'aliénation mentale, qui a fait l'objet du dernier arrêt en date de la deuxième chambre civile, le 25 février 1998 Note 16. Dans les deux espèces concernées, les personnes morales de droit privé sont déclarées responsables sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er des agissements dommageables des mineurs dont elles ont la charge lorsqu'elles ont pour mission "d'organiser, de diriger et de contrôler" leur mode de vie. Dans la troisième espèce, les associations sportives sont réputées responsables des dommages causés par leurs membres pendant les compétitions auxquelles ils participent, car elles ont également pour objet "d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres" pendant leur déroulement.

Il semble toutefois exclu de considérer que la mesure de la responsabilité encourue au titre de l'acte dommageable causé par la personne dont on doit répondre soit la même dans les deux cas envisagés. La formulation retenue par la Cour de cassation elle-même oblige à distinguer entre le contrôle d'un "mode de vie" et le contrôle d'une "activité". On est donc conduit à envisager successivement deux situations : celle où le responsable pour autrui est le garant d'un état (A) ; celle où il est le garant d'une action (B).

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A - Le responsable pour autrui, garant d'un état 5 - Le critère d'organisation, de direction et de contrôle du mode de vie de la personne dont on doit répondre est utilisé par la Cour comme condition d'application de l'article 1384, alinéa 1, permettant la mise en cause de la responsabilité de personnes morales auxquelles sont confiés des mineurs délinquants, des mineurs en danger et des majeurs protégés. La mission de ces organismes, à but non lucratif, est de tenter de procéder à l'adaptation ou à la réadaptation de personnes qui présentent une inaptitude temporaire ou définitive à la vie en société. L'évolution des conceptions relatives aux procédés aptes à favoriser la réinsertion sociale a conduit à considérer que les personnes considérées devaient bénéficier d'un traitement le plus ouvert possible sur la société où l'on se proposait de les réintégrer. Cette méthode, sans doute plus efficace pour la personne traitée, s'est aussi avérée plus dangereuse pour son environnement direct, susceptible de subir les actes dommageables d'une personnalité à la stabilité toute relative. On peut dès lors comprendre que l'organisme censé contrôler une personne au comportement difficilement prévisible soit tenu de répondre des dommages qu'elle cause. En effet, c'est lui qui prend a priori les décisions qui sont à la source de la commission d'un dommage Note 17, même si ces directives ne sont pas directement causales au sens juridique du terme Note 18. La responsabilité du fait d'autrui résulte alors de l'autorité qu'on exerce sur autrui. Ce terme d'autorité semble plus approprié à tous égards que celui de "garde" d'autrui Note 19. Néanmoins, l'examen des décisions recensées en cette matière laisse apparaître des configurations complexes, où la personne dépendante commet le dommage alors qu'elle n'est plus sous l'autorité effective de la personne morale à laquelle elle a été confiée. Doit-on alors considérer qu'elle doit encore répondre des dommages causés ? La réponse à cette question n'est pas homogène en jurisprudence. S'il est certain que la responsabilité de l'association a toujours été retenue lorsque l'acte dommageable a été commis dans ses locaux ou au cours d'une sortie dont elle était l'organisatrice Note 20, les décisions se sont avérées contradictoires en ce qui concerne sa responsabilité pour les dommages commis au cours de périodes où la personne fragile était retournée dans sa famille d'origine Note 21. En d'autres termes il est difficile d'apprécier si la responsabilité civile du fait d'autrui doit être envisagée comme la contrepartie d'un pouvoir de fait ou de droit sur la personne dont on doit répondre (1°). L'identification du responsable sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er dans l'hypothèse d'un partage d'autorité est donc encore aléatoire (2°). 1° La responsabilité civile pour autrui, contrepartie d'un pouvoir de fait ou de droit ? 6 - La question est ici de savoir si le responsable pour autrui est tenu de garantir les victimes des dommages causés par les personnes dont il doit théoriquement répondre lorsqu'il n'a plus aucun contrôle de fait sur ces dernières. La Cour de cassation a eu à connaître de cette situation à plusieurs reprises. Les solutions qu'elle a retenues ont cependant varié dans le temps, la chambre civile s'opposant par ailleurs à la chambre criminelle dans un double mouvement.

Le 26 mars 1997, la chambre criminelle estimait que le foyer auquel le juge des enfants avait confié un mineur en application d'une mesure d'assistance éducative devait être déclaré responsable du vol commis par ce dernier, vol pourtant commis au moment où il résidait chez sa mère. Par un motif lapidaire, elle estimait "qu'un établissement d'éducation est responsable, au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, du dommage causé à autrui par les mineurs qui lui sont confiés par le juge des enfants dès lors qu'aucune décision judiciaire n'a suspendu ou interrompu sa mission" Note 22. Cette solution a été adoptée alors que le pourvoi soutenait que "la responsabilité civile de l'établissement dans lequel un mineur a été placé par le juge des enfants ne peut être recherchée sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, que si, à l'époque des faits, le mineur se trouvait sous la garde effective de l'établissement qui pouvait exercer sur lui son pouvoir de contrôle et de direction". La chambre criminelle n'a donc pas été sensible en 1997 à cette argumentation. Celle-ci devait en revanche séduire la deuxième chambre civile le 25 février 1998 Note 23. Soutenant "qu'après être descendu du car (le majeur handicapé) ne se trouvait plus sous l'autorité de l'association laquelle n'avait plus, à partir de ce moment, la surveillance et l'organisation de (ses) conditions de vie" au moment de la commission du dommage, elle en a déduit son irresponsabilité. Certains ont estimé à l'époque que l'on pouvait en inférer une certaine "factualisation" des critères de la responsabilité générale du fait d'autrui Note 24 par la deuxième chambre civile.

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7 - Cette opposition entre la chambre civile et la chambre criminelle s'est toutefois résorbée un mois plus tard. Le 25 mars 1998, la chambre criminelle refusait d'engager la responsabilité civile de l'association à laquelle un mineur avait été confié en raison d'une mesure d'assistance éducative, pour le crime commis par ce dernier alors qu'il était en visite chez sa mère Note 25. Elle jugeait en 1996 que la responsabilité du fait d'autrui au sens de l'article 1384, alinéa 1er "n'était pas fondée sur l'autorité parentale mais sur la garde" Note 26. En 1997, elle estimait que la mission de contrôle ne s'interrompait pas lors de l'exercice du droit de visite et d'hébergement des parents du mineur ayant fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative. En 1998, il semble que l'exercice de l'autorité parentale sur le mineur par sa famille biologique soit un obstacle à la responsabilité de l'association qui le prend en charge. La dernière décision de la chambre criminelle paraît ainsi orienter la notion de contrôle de la personne dont on doit répondre vers un contrôle réel et non virtuel, en harmonie avec la position prise par la deuxième chambre civile un mois plus tôt.

En revanche, la deuxième chambre civile paraît avoir révisé sa solution. Dans son arrêt du 9 décembre 1999 Note 27, elle a jugé que "le régime de la liberté surveillée laisse subsister la garde de l'enfant et l'exercice des droits et obligations qui en sont les attributs, retient que l'association avait reçu et conservé la charge d'organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie du mineur". En conséquence, l'association a été déclarée responsable des dommages causés par des mineurs délinquants placés dans une famille d'accueil lors de la commission du délit d'incendie volontaire. On ne peut qu'être frappé du parallélisme des faits et de l'antagonisme des solutions. Dans les deux cas le mineur, confié à l'association à l'occasion d'une mesure d'assistance éducative, se trouvait sous le contrôle d'autres adultes au moment des faits dommageables. Dans son dernier état, la jurisprudence de la chambre civile doit conduire à considérer que l'association demeure responsable sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1. Au contraire, pour la chambre criminelle, dans la mesure où le mineur retourne dans sa famille d'origine, l'association cesse d'être responsable. L'exercice, selon le cas en fait ou en droit, du contrôle sur la personne dont on doit répondre ne semble donc pas, pour le moment, être un critère ordonnateur du droit de la responsabilité générale du fait d'autrui. 2° L'hypothèse du partage d'autorité 8 - Le constat précédemment établi n'est pas de nature à créer des certitudes chez l'interprète. Néanmoins, la divergence des solutions s'explique peut-être moins par les conditions d'exercice du contrôle que par la nature de la personne censée l'exercer.

De fait, plusieurs personnes sont théoriquement aptes à "organiser, diriger et contrôler" le mode de vie d'un mineur instable ou d'un majeur aliéné, et cela au même moment. En ce qui concerne le majeur handicapé pensionnaire ou demi-pensionnaire d'une institution spécialisée, il s'agit de son tuteur ou de son curateur et de l'association elle-même Note 28. Quant au mineur délinquant ou en danger, si l'autorité parentale reste attribuée aux parents, ces derniers devront en partager la responsabilité avec l'organisme privé ou public désigné par le juge des enfants dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative. Deux régimes de responsabilité du fait d'autrui coexistent alors : celui des parents sur le fondement de l'article 1384, alinéa 4, et celui de l'association sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er. Cette dualité de textes applicables explique peut-être pourquoi la chambre criminelle, dans son arrêt en date du 25 mars 1998, a privilégié l'article 1384, alinéa 4 au détriment de l'article 1384, alinéa 1er, comme si la responsabilité générale du fait d'autrui devait s'effacer en présence d'une responsabilité particulière, celle des parents. On peut de même comprendre l'arrêt du 25 février 1998 de la deuxième chambre civile : celle-ci n'a pas totalement exclu la responsabilité du tuteur du majeur aliéné, tout en refusant d'engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er Note 29, support d'une responsabilité qui reste à construire. Par ailleurs, lorsqu'on examine les faits de l'espèce en date du 9 décembre 1999, on s'aperçoit que l'alternative à la responsabilité de l'association était celle des parents nourriciers, famille d'accueil qui hébergeait le mineur au moment de sa récidive. En définitive, si les juges ont intuitivement refusé de décharger l'association de la responsabilité qui lui incombait, nonobstant son absence de contrôle réel du mineur au moment de la commission du fait dommageable, c'est pour éviter d'en imputer la responsabilité à des personnes physiques bénévoles et probablement non assurées. Il n'en résulte cependant pas que toutes les personnes qui acceptent une mission d'organisation, de direction et de contrôle du mode de vie d'une personne dépendante, deviennent de facto responsables de ses agissements dommageables, en

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application de la responsabilité générale du fait d'autrui. Encore faut-il que cette mission rentre dans son objet social, auquel cas cette activité sera couverte par une assurance, ou qu'elle procède de la nature des choses, c'est-à-dire qu'elle découle d'une autorité légale préexistante sur le mineur, comme l'autorité parentale. Les missions de contrôle de personnes dépendantes, attribuées judiciairement à des individus qui les acceptent, ne peuvent pour l'instant être le support au développement du principe général de responsabilité du fait d'autrui. Cette solution, à supposer qu'elle soit définitivement entérinée par la jurisprudence, aurait l'avantage de ne pas paralyser la bonne volonté de particuliers en alourdissant injustement la charge d'une mission déjà ingrate que leur humanité les a poussés à accepter. 9 - Au total, s'il existe bien des critères de mise en jeu de la responsabilité pour fait d'autrui, lorsque celui-ci est une personne dépendante, la mesure de cette responsabilité fait l'objet d'appréciations "opportunistes" de la Cour de cassation. Ou tout au moins la Cour pondère-t-elle ces critères en fonction d'une analyse, au cas par cas, des rapports individuels et sociaux réels. En contrepoint, ceci apparaît d'autant plus significatif lorsqu'on observe l'extension du domaine de mise en oeuvre de la responsabilité pour autrui aux situations où le responsable n'est plus garant d'un état - ou du comportement d'une personne dans un état donné - mais d'une activité - ou des actions de ceux qui y participent. B - Le responsable pour autrui, garant d'une action 10 - Toute autre s'avère en effet la logique imprimée à la responsabilité générale du fait d'autrui assumée par le garant d'une activité. C'est le cas notamment de celle qui est mise à la charge des associations sportives sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er. Elle permet aux victimes des agissements de leurs membres de leur en demander réparation. Or, la mission de surveillance qui incombe à une telle association est par essence temporaire, et sa nature diffère du contrôle du mode de vie de la personne fragile Note 30. Il s'agit pour l'association de veiller au respect d'une discipline, de garantir que ses membres vont respecter les règles du jeu. Il n'est pas ici question d'éducation ou de rééducation d'une personnalité en cours d'évolution, mais de la surveillance de la déviance éventuelle de majeurs ayant la pleine conscience de leurs actes.

L'arrêt en date du 3 février 2000 Note 31 n'est pas d'un apport majeur dans la construction jurisprudentielle de la responsabilité générale du fait d'autrui, en ce qu'il reprend à l'identique la formule de l'arrêt en date du 22 mai 1995. Néanmoins, il présente l'intérêt de témoigner de la volonté de la deuxième chambre civile de ne pas limiter le domaine d'application de l'article 1384, alinéa 1er au seul contrôle de l'activité de personnes dépendantes. La persistance de cette option est d'autant plus remarquable que des alternatives au fondement de la responsabilité de l'association sportive sont tout à fait envisageables Note 32. Par ailleurs elle est en porte-à-faux avec celle qui, s'appuyant sur l'acceptation des risques, limite la réparation du dommage subi par la victime lorsqu'il résulte de sa participation libre et volontaire à une activité dangereuse. Si les difficultés d'application de l'article 1384, alinéa 1er à ce type de situations procéderont certainement encore de phénomènes de frontières Note 33, on ne pourra certainement pas faire l'économie d'une réflexion globale sur le fondement de ce nouveau type de responsabilité de plein droit, dans la mesure où le texte qui la fonde ne comprend aucune disposition limitative. Peut-on, à ce sujet, présager que toute personne, physique ou morale, qui a pour mission d'organiser une activité dangereuse à laquelle participent des adultes a priori responsables de leurs actes, se verrait imputer in fine le dédommagement des dommages causés par ces derniers Note 34 ? Cette attribution serait pour le moins étonnante. Lorsque l'on sait que l'on ne peut s'assurer contre sa faute intentionnelle, pourquoi imposer une garantie aussi large à des personnes dont ce n'est pas le métier Note 35 ? Tout ne s'assure pas ; a fortiori toute activité éventuellement dommageable ne peut être indéfiniment garantie par la personne qui l'organise et n'y participe pas, sauf à admettre la contradiction intrinsèque qu'une personne puisse à la fois envisager la possibilité de participer activement à son propre dommage et refuser d'en prendre sa part de responsabilité. 11 - En conclusion, les éléments et les conditions de la responsabilité du fait d'autrui semblent bien campés dans le paysage jurisprudentiel dessiné par la Cour de cassation ces dernières années. En revanche, leur taille et leurs proportions paraissent varier, dans le temps de la justice confrontée à des

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cas d'espèce divers, mais aussi dans l'espace d'un domaine extensif d'application de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil. Aussi bien résulte-t-il de cette première analyse que la jurisprudence récente de la Cour de cassation n'assure pas, directement, la prévisibilité parfaite de la mise en cause de la responsabilité du fait d'autrui. Pas davantage ne donne-t-elle une mesure a priori de la conséquence des faits dommageables pour celui ou ceux qui sont attributaires de cette responsabilité. Cette limite et cet inconvénient peuvent-ils être réduits ? La réponse à une telle question ne peut être donnée qu'après avoir scruté la jurisprudence pour y discerner, le cas échéant, l'existence d'un fondement, fût-il implicite, de la responsabilité générale du fait d'autrui. 2 - Fondement de la responsabilité générale du fait d'autrui 12 - Il semble aujourd'hui difficile de considérer que le droit de la responsabilité civile soit organisé autour d'un fondement unitaire et commun. La construction de ce droit s'est élaborée sans que les normes nouvelles n'évincent totalement les règles plus anciennes : coexistent dès lors dans notre ordre juridique des règles qui sont fondées sur la faute, des dispositions qui relèvent de systèmes de responsabilité objective, enfin des régimes d'indemnisation automatique. Si, à défaut de pouvoir faire état d'une cohérence générale, on tentait de synthétiser le droit positif, il serait possible d'en exposer les lignes de force de la manière suivante : le coupable reste un responsable, le responsable n'est pas nécessairement un coupable, le débiteur d'indemnité n'est pas nécessairement le responsable.

Le coupable reste un responsable car la faute n'a pas disparu du droit de la responsabilité. Dans une large mesure, néanmoins, la réparation du préjudice s'est détachée de l'idée de faute. Aussi le responsable n'est-il pas nécessairement un coupable car certains régimes de responsabilité dispensent la victime de prouver une faute de la personne qui a permis la réalisation du dommage. C'est le cas de la responsabilité du commettant du fait de son préposé, qui constitue une véritable garantie. La responsabilité des père et mère pour le fait de leur enfant mineur est également devenue une responsabilité sans faute depuis l'arrêt Bertrand du 19 février 1997 Note 36. Un mois plus tard, la responsabilité générale du fait d'autrui s'alignait sur ce régime, le 26 mars 1997 Note 37.

Par ailleurs, le débiteur d'indemnité n'est pas nécessairement le responsable, dès lors que l'auteur du dommage est couvert par une assurance. Ce procédé est satisfaisant non seulement pour l'auteur du dommage, qui n'aura pas à verser une indemnité parfois considérable lors même qu'il n'aurait pas commis de faute, mais encore pour la victime qui n'a pas à supporter l'éventuelle insolvabilité de l'auteur du dommage. Cela étant, il y a là une évidente dilution de la responsabilité individuelle qui n'a pas seulement pour fonction de réparer mais aussi de sanctionner et ce faisant de dissuader certains comportements. L'assurance efface donc certains aspects de la responsabilité. Un pas supplémentaire est franchi lorsque la loi organise une véritable collectivisation de la réparation par le biais de régimes spéciaux d'indemnisation automatique. Il en est ainsi, aujourd'hui, en ce qui concerne l'indemnisation des victimes d'accidents du travail, d'accidents de la circulation, d'attentats terroristes, du SIDA. Il en sera probablement de même, demain, s'agissant de l'indemnisation des victimes d'accidents médicaux. Dans toutes ces hypothèses, il n'y a même plus de responsable, et donc de responsabilité, la loi désignant un débiteur d'indemnités, généralement l'assureur ou un fonds de garantie, c'est-à-dire en réalité la collectivité des assurés ou la collectivité nationale, sans même passer par la recherche et la constatation d'une responsabilité individuelle de l'auteur du dommage.

Une désarticulation relative s'est donc progressivement opérée entre la responsabilité et la faute, quels qu'en soient la nature et le degré, d'une part, et, d'autre part, la responsabilité et l'indemnisation, devenues parfois autonomes vis-à-vis du rapport entre l'auteur du dommage et sa victime. Devant un tel maquis de règles, il convient donc d'essayer de préciser la place de la responsabilité générale du fait d'autrui au sein du droit de la responsabilité civile (A), pour tenter d'évaluer le degré de convergence des fondements de cette forme de responsabilité (B). A - Sens de la responsabilité civile du fait d'autrui au sein du droit de la responsabilité civile 13 - L'arrêt de la chambre criminelle en date du 26 mars 1997 a fait du régime de responsabilité de l'article 1384, alinéa 1er un régime de responsabilité objective, en ce que le responsable pour autrui ne peut s'en dégager en établissant l'absence de faute de sa part. La responsabilité du garant pour autrui n'en est tout de même pas devenue automatique, à défaut de s'inscrire dans un régime spécial

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d'indemnisation tel que précédemment décrit. On a pu évaluer les incertitudes générées par l'apparente rigueur de la formule "d'organisation, de direction et de contrôle" du mode de vie ou de l'activité de la personne dont on doit répondre, fragile critère déclencheur de la responsabilité générale du fait d'autrui. La question de fond demeure : pourquoi et dans quelle mesure obliger un individu à garantir les dommages causés par un autre ? Parce qu'il en est responsable ? Ce mot n'a plus qu'une portée relative de nos jours. En ce siècle où tout s'accélère et où l'emprise technique de l'homme sur le monde lui donne une illusion de maîtrise du cours des choses et des événements, il s'imagine peut-être aussi, davantage encore que dans le passé, posséder un empire sur les êtres. Finalement, bien plus qu'à l'émergence de nouveaux dommages dont certains s'émeuvent parfois Note 38, c'est à une modification des mentalités que l'on a pu assister pendant le vingtième siècle. On ne tolère plus ni le hasard, ni l'imprévisible, et tout est censé pouvoir et devoir se réparer grâce à l'argent. Il en résulte que si un dommage est causé, on recherchera par priorité la personne solvable à qui l'imputer. S'agissant de la responsabilité du fait d'autrui, ce sera la personne censée avoir la maîtrise de l'individu qui l'a causé. En effet, parmi les événements qui sont à l'origine d'un dommage, lorsque son auteur direct est a priori insolvable, il est nécessaire d'identifier la personne qui, à défaut d'y avoir participé, est théoriquement la plus à même de l'avoir empêché. Le raisonnement n'est plus juridique ni déductif. Il ne s'agit pas, en application d'un classique syllogisme, d'identifier la règle applicable, de l'appliquer aux faits comme un instrument de mesure et d'en déduire une solution : la responsabilité ou l'irresponsabilité d'un individu déterminé. Le procédé est pragmatique et inductif : à l'examen des faits de l'espèce, on identifie la possibilité d'un report raisonnable du coût financier d'une détresse individuelle sur un tiers à la relation auteur-victime du dommage. Dans le cadre de la responsabilité générale du fait d'autrui, ce tiers sera celui qui est censé diriger soit l'individu, soit l'activité à la source du dommage. La responsabilité de cette personne se mesure somme toute en termes de causalité ; son comportement réel n'a en définitive que peu d'incidence. Cette constatation ne doit pas étonner. Elle va dans le sens d'une objectivation toujours plus grande du fait générateur de responsabilité. Néanmoins, il reste à tenter d'expliquer pourquoi un individu, en droit de la responsabilité civile, doit être le garant des actes dommageables d'une autre personne, en vertu de sa simple proximité avec cette dernière. Comme l'examen de son attitude nous apporte peu d'indications satisfaisantes, ce n'est pas la faute, qu'elle soit démontrée ou présumée, qui peut être le fondement d'une telle solution Note 39. La théorie de la garantie est également à écarter puisqu'en notre matière les dommages matériels sont indemnisés sans qu'il soit non plus nécessaire de faire état d'une faute de l'auteur du dommage Note 40. La théorie du risque n'apporte pas davantage d'arguments de portée générale, semble-t-il. Certes, elle est susceptible d'être le support d'une explication rationnelle de la jurisprudence relative à la responsabilité des associations sportives ; elle ne peut cependant en aucun cas être invoquée pour ce qui concerne la responsabilité du fait des dommages causés par les mineurs et majeurs en difficulté. En effet, à leur sujet, ce ne sont ni les associations qui les prennent en charge, ni leurs parents qui créent le risque, mais bien la loi elle-même, qui permet cette organisation d'un mode de vie moins strictement encadré. Ne serait-il en conséquence pas opportun, dans ce cas, de rendre à César ce qui lui appartient, dans le cadre de la responsabilité du fait de la loi ? Un tel transfert de responsabilité à l'État, dans le but d'éviter de faire supporter aux simples particuliers le poids de sa politique, est cependant la source de nombreuses controverses Note 41. En définitive, sans être vaine, la recherche d'un fondement unitaire à la responsabilité du fait d'autrui semble néanmoins déboucher dans une impasse. B - L'absence de fondement unitaire à la responsabilité générale du fait d'autrui 14 - Sans aller jusqu'à la constituer en contrepartie, il ne paraît pas téméraire de soutenir que la responsabilité objective des associations sportives du fait des dommages causés par leurs membres ait un lien avec le profit généré par la représentation et la retransmission publiques des événements qu'elles organisent Note 42. On peut noter à cet égard la parenté de ce type de responsabilité générale du fait d'autrui avec la responsabilité des commettants à l'égard des préposés. En revanche, la responsabilité générale du fait des dommages causés par les mineurs et majeurs en difficulté ne peut s'enraciner en droit de la responsabilité civile dans la théorie du risque, comme on vient de le souligner. L'examen de la doctrine et de la jurisprudence administratives en cette matière Note 43 montre une hésitation entre la responsabilité de l'État pour faute prouvée ou en raison d'un risque créé pour les tiers, mais il s'agit bien de la responsabilité de l'État Note 44. Comment dès lors situer la responsabilité

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des individus ou institutions responsables de la mise en oeuvre du traitement de la marginalisation sociale, traitement qui fait l'objet d'une politique à laquelle ils collaborent peut-être mais dont ils n'ont en aucun cas la maîtrise ? On ne peut expliquer, à défaut de la légitimer, la mise en cause de leur responsabilité qu'en raison de la volonté d'indemniser financièrement la victime ; celle-ci peut avoir, en l'espèce, commis une erreur dans l'identification du véritable responsable, ou encore avoir eu intérêt à l'ignorer Note 45...

On peut avancer qu'il y aurait quelque risque, pour le principe de responsabilité, à ce que le fondement exclusif de la responsabilité générale du fait d'autrui soit de nature opportuniste, à savoir la solvabilité du débiteur de l'indemnisation légitime. Dans ses contradictions parfois, ses incertitudes souvent, ses hésitations en tout cas on ne saurait voir de ruse de la jurisprudence. Encore peut-on constater que celle-ci s'accommode ou tient compte de l'air du temps, de ses sensibilités et des priorités pratiques qui en découlent.

Il n'en reste pas moins - c'est ce que l'analyse qui précède a tenté de démontrer - qu'une mise en perspective cohérente des critères de responsabilité du fait d'autrui, à l'intérieur des principes de la responsabilité civile, serait utile à la cohésion de la justice. Si une théorie générale paraît à cet égard prématurée, on ne doit pas douter qu'elle est possible. On pressent qu'elle ne s'appuiera pas sur un critère unifiant. Faire mieux converger les critères déclenchant la responsabilité, sans ignorer la diversité des situations et des actions concernées, aurait un double avantage. D'abord la prévisibilité des solutions serait améliorée. Ensuite l'efficacité préventive du droit serait renforcée. Si du moins, par ailleurs, était maintenu l'équilibre souhaitable entre la faute et le risque, avec la répartition des responsabilités qu'il engendre. _____________________ Note 1 Cass. ass. plén., 29 mars 1991, Blieck : JCP G 1991, II, 21673, concl. Dontenwille, note J. Ghestin ; D. 1991, p. 324, note Larroumet ; somm. comm. p. 324, obs. J.-L. Aubert ; Gaz. Pal. 1992, 2, p. 513, obs. F. Chabas ; RTD civ. 1991, p. 541, obs. Jourdain, p. 313, obs. Hauser ; G. Viney, Vers un élargissement de la catégorie des "personnes dont on doit répondre" : la porte entrouverte sur une nouvelle interprétation de l'article 1384, alinéa 1er : D. 1991, chron. p. 157 ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, F. Terré, Y. Lequette, n° 147. Note 2 Cass. 2e civ., 19 févr. 1997, Bertrand c/ Domingues et a. : JCP G 1997, II, 22848, concl. Kessous, note G. Viney ; D. 1997, p. 265, note P. Jourdain ; Gaz. Pal. 3-4 oct. 1997, p. 14, note F. Chabas ; D. 1997, somm. p. 290, obs. D. Mazeaud. - V. aussi H. Lécuyer, Une responsabilité déresponsabilisante : Dr. famille 1997, n° 3, repères ; C. Radé, Le renouveau de la responsabilité du fait d'autrui (apologie de l'arrêt Bertrand, deuxième chambre civile, 19 févr. 1997) : D. 1997, chron. p. 279 ; F. Leduc, La responsabilité des père et mère : changement de nature : Resp. civ. et assur. avr. 1997, p. 7. Note 3 Cass. ch. réunies, 9 mars 1960. - Cass. ass. plén., 10 juin 1977 ; - 17 juin 1983 ; - 17 nov. 1985 ; - 19 mai 1988. Note 4 Cass. ass. plén., 25 févr. 2000 : JCP G 2000, II, 10295, note M. Billiau. Note 5 La formule de l'arrêt Blieck retenait que "l'association qui a accepté la charge d'organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie d'un handicapé mental doit répondre de celui-ci au sens de l'article 1384, alinéa 1er et est donc tenue de réparer les dommages qu'il cause". L'exigence de permanence du contrôle a disparu postérieurement à compter des arrêts en date du 22 mai 1995, préc., pour réapparaître dans la décision en date du 9 décembre 1999, préc. Note 6 Cass. 2e civ., 9 déc. 1999 (pourvoi n° G 97-22.268) ; - 20 janv. 2000 (pourvoi n° G 98.17-005) ; - 3 févr. 2000 (pourvoi n° H 98.11-438). Note 7 Cass. 2e civ., 20 janv. 2000, préc. note (6). Note 8 Cass. 2e civ., 9 déc. 1999, préc. note (6). Note 9 Cass. 2e civ., 3 févr. 2000 : JCP G 2000, II, 10316, note J. Mouly. Note 10 V. les développements de MM. Mazeaud dans les différentes éditions de leur Traité de la responsabilité civile. Note 11 V. l'exposé du débat doctrinal en cette matière in G. Viney, P. Jourdain, Les conditions de la responsabilité, Traité de droit civil, LGDJ, 2e éd., 1998, nos 789 et s. Note 12 Cass. 2e civ., 9 déc. 1999, préc. note (6). Note 13 Cass. 2e civ. 20 janv. 2000, préc. note (6). Note 14 Cass. 2e civ., 3 févr. 2000, préc. note (9). Note 15 Sur la jurisprudence en matière de responsabilité du fait d'autrui depuis l'arrêt Blieck (réf. op. cit.), V. par ordre chronologique, les décisions suivantes de la Cour de cassation : Cass. 2e civ, 16 mars 1994 : Bull. civ. II, n° 92 ; JCP G 1994, IV, 1331 ; - 25 janv. 1995 : Bull. civ. II, n° 29 ; G. Viney, Chron. Responsabilité civile : JCP G 1995, I, 3853, § 15 ; - 22 mai 1995 (2 arrêts) : JCP G 1995, II, 22550, note J. Mouly ; Gaz. Pal. 1996, 1, p. 16, note F. Chabas ; Defrénois 1996, art. 36272, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1995, p. 899, obs. Jourdain ; Adde Groutel, Resp. civ. et assur. 1995, chron. 36 ; G. Viney, Responsabilité civile : JCP G 1995, I, 3893, § 5 ; - 18 sept. 1996 : Dr. et patrimoine janv. 1997, p. 77, obs. F. Chabas. - Cass. crim., 10 oct. 1996 : Bull. crim., n° 357 ; D. 1997, p. 309, note M. Huyette ; JCP G 1997, II, 22833, note F. Chabas ; Resp. civ. et assur. 1997, n° 4 ; - 26 mars 1997 : Bull. crim., n° 124 ; JCP G 1997, II, 10015, note M. Huyette et I, 4070, § 22, obs. G. Viney ; Resp. civ. et assur. 1997, n° 292. Note 16 Cass. 2e civ., 25 févr. 1998 : JCP G 1998, II, 10149, note G. Viney ; JCP N 1998, p. 1217, note M. Josselin-Gall. Note 17 Plus précisément c'est l'association à laquelle a été confiée la personne fragile (en raison d'une maladie mentale ou d'une destructuration passagère de son comportement) qui va mettre en oeuvre les directives des personnes habilitées à

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organiser son traitement. Ces personnes sont le juge des enfants pour les mineurs délinquants ou en danger et le médecin traitant pour le majeur aliéné. Seule la responsabilité civile des associations est à envisager devant les juridictions civiles. En effet, la mise en cause de la responsabilité personnelle du juge des enfants qui, en réalité, est la personne qui décide de l'organisation du mode de vie du mineur, si elle peut s'envisager devant les juridictions judiciaires (car elle concerne le fonctionnement du service public de la justice et non son organisation) reste pour l'instant très théorique. Par ailleurs, les dommages occasionnés par les majeurs aliénés bénéficiant de méthodes libérales de traitement sont supportés par ces derniers en application de l'article 489-2 ou par les personnes publiques dont relèvent les hôpitaux psychiatriques concernés. La responsabilité du médecin traitant relèvera aussi du droit administratif, et sera jugée par les tribunaux de cet ordre. Note 18 On ne peut pas dire en effet qu'une autorisation de sortie au profit d'un mineur délinquant soit la cause du vol ou de l'incendie qu'il commet à cette occasion, mais force est de constater que, si elle n'avait pas été accordée, le dommage ne se serait pas produit. L'organisme chargé de la surveillance du mineur en question a donc commis une erreur d'appréciation en permettant une réinsertion prématurée dans le tissu social. Note 19 La maîtrise d'une chose ne comprend certainement pas les mêmes attributs que celle d'une personne, la relation matérielle comme juridique entre une personne et une chose différant essentiellement de celles entre deux personnes. La symétrie entre la garde de la chose et la garde de la personne ne repose donc sur aucun fondement logique. Leur coexistence au sein du même texte d'annonce - l'article 1384, alinéa 1er - produit l'illusion rassurante que la responsabilité générale du fait d'autrui a un fondement légal. L'artifice rhétorique ne doit cependant pas conduire à l'erreur consistant à juxtaposer leur régime. Pourrait-on ainsi s'interroger sur la garde de la structure et la garde du comportement du mineur ? Note 20 La responsabilité de l'association a ainsi été retenue lorsque la mineure ayant fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative (Cass. 2e civ., 20 janv. 2000 : JCP G 2000, IV, 1403 ; Juris-Data n° 000075) ou la mineure handicapée mentale (Cass. 2e civ., 24 janv. 1996) ont subi un dommage imputable au comportement d'autres mineurs pensionnaires de la personne morale, dans les locaux de cette dernière. Par ailleurs l'association a été déclarée responsable du délit d'incendie volontaire d'un majeur handicapé mental dont elle avait la charge, le délit ayant été commis au cours d'un travail qu'elle avait organisé en milieu libre (AP Blieck). Note 21 V. les arrêts analysés infra nos 6 et 7. Note 22 Cass. crim., 26 mars 1997, préc. note (15), 1er arrêt parmi les trois espèces. À l'époque, ces arrêts avaient surtout attiré l'attention des commentateurs en ce qu'ils venaient préciser le régime de la responsabilité fondée sur l'article 1384, alinéa 1er, jugeant que les personnes tenues de répondre du fait d'autrui ne pouvaient s'exonérer de la responsabilité de plein droit qui en résulte en démontrant qu'elles n'ont commis aucune faute. Note 23 Cass. 2e civ., 25 févr.1998, préc. note (16). Note 24 Selon la terminologie employée par P. Jourdain obs. in RTD civ. 1998, p. 395. V. également en ce sens, M. Josselin-Gall, note préc. JCP N. Note 25 Cass. crim., 25 mars 1998, réf. préc. Il s'agissait d'un viol aggravé commis par un adolescent sur la personne de sa demi-soeur. Note 26 Cass. crim., 10 oct. 1996. Note 27 Cass. 2e civ., 9 déc. 1999, préc. note (6). Note 28 Dans la pratique, dans l'hypothèse du majeur aliéné, ce sera l'association elle-même qui sera curateur. Note 29 Ainsi elle a prudemment jugé que "s'il résulte de l'article 490 du Code civil que la mesure édictée en faveur d'un majeur, dont les facultés mentales sont altérées, concerne non seulement la gestion de ses biens mais aussi la protection de sa personne, il ne s'ensuit pas que son tuteur est responsable des agissements de la personne protégée sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du même code". Notons toutefois que la chambre criminelle, par un arrêt en date du 28 mars 2000 (99-84.075), vient d'adopter la position symétriquement inverse. Elle a jugé que "justifie légalement sa décision la cour d'appel qui, pour déclarer un beau-père, tuteur d'un mineur, désigné par le conseil de famille, civilement responsable de ce mineur, qui a blessé mortellement un camarade jouant avec une carabine, sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, relève qu'il a accepté, en sa qualité de tuteur, la garde du mineur et la charge d'organiser et de contrôler à titre permanent son mode de vie". Note 30 Fragile en raison de son inadaptation sociale, soit parce qu'elle n'est pas en mesure de comprendre les règles qui président à la vie en société (handicap mental), soit parce qu'elle les refuse en raison d'une déstructuration de sa personne que l'on espère temporaire (mineur délinquant), soit parce qu'elle vit dans un milieu qui n'est pas de nature à les lui transmettre (mineur en danger). Note 31 Cass. 2e civ., 3 févr. 2000 : JCP G 2000, II, 10376, note J. Mouly. Note 32 En 1995, la doctrine avait souligné la portée de ces arrêts en exposant que la responsabilité des associations sportives pouvait tout à fait s'envisager sur le fondement de l'article 1384, alinéa 5, en leur qualité de commettants. Note 33 Ainsi, par exemple, la responsabilité des comportements agressifs des joueurs dans les vestiaires avant ou après un match pourra-t-elle être imputée à l'association sportive qui les emploie ? Qu'en sera-t-il des dommages causés par les supporters d'un club dans les gradins ? Note 34 Il faut noter à ce sujet que cette cour ne s'est pas prononcée sur le fait de savoir si la responsabilité d'associations de chasseurs pouvait être engagée sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, comme l'a estimé un tribunal de grande instance (TGI Cusset, 29 févr. 1996 : JCP G 1997, II, 22849, note J. Mouly). En toute hypothèse, cette possibilité devrait s'inscrire dans le cadre de la jurisprudence relative à la responsabilité des associations sportives et non dans le domaine d'application de celle des personnes morales contrôlant des personnes dépendantes. Note 35 Or la solution retenue ici par la jurisprudence permet qu'un tiers (ici l'association) puisse garantir l'indemnisation de la victime des agissements d'une personne finalement coupable d'un délit de coups et blessures. Note 36 Cass. 2e civ., 19 févr. 1997, réf. préc. Note 37 Cass. crim, 26 mars 1997, réf. préc. Note 38 V. notamment à ce sujet les réflexions de Mme C. Thibierge dans son article : "Libres propos sur l'évolution du droit de la responsabilité" (RTD civ. 1999, p. 561 et spéc. p. 565 et s.). Cet auteur classe ainsi le dommage à grande échelle parmi

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la catégorie des "nouveaux dommages". Sans aller aussi loin que le déluge biblique, on peut noter que les grandes épidémies du Moyen-âge, la peste noire par exemple, ont certainement fait, en proportion davantage de victimes que certaines de nos plaies contemporaines. Note 39 V. à ce sujet 1-A supra. Note 40 Ibid. Ainsi lorsque le mineur délinquant provoque des dommages matériels en commettant un délit d'incendie volontaire, la responsabilité de l'association ou de ses parents n'est pas subordonnée à la démonstration d'une faute de leur part. Note 41 V. notamment l'article de M. F. Ewald, La précaution, une responsabilité de l'État, Le Monde Samedi 11 mars 2000. Note 42 Il paraît difficile en effet de contester que l'activité sportive est devenue de nos jours l'affaire de professionnels, et que cette activité soit particulièrement lucrative par ailleurs. Note 43 On constate ici un critère bien mince de répartition de compétences entre les deux ordres de juridictions : en effet suivant que la personne en difficulté est confiée à un organisme public ou privé, le contentieux des dommages causés par la personne prise en charge relèvera des tribunaux administratifs ou de la compétence des juridictions judiciaires. Lorsque l'on sait que le choix du placement du mineur par le juge des enfants n'est fonction que des places disponibles dans les diverses sortes de foyers d'accueil, on prend conscience de l'incohérence d'une dualité d'appréciation pour les mêmes situations de fait. V. à ce sujet les conclusions de M. Peano, Commissaire du gouvernement (CAA Bordeaux, ass. plén., 2 févr. 1998, Cts Fraticola c/ Dpt Aude : RD publ. 1998, p. 578 et spéc. p. 585 : "le sort de la victime d'un mineur qui a fait l'objet d'une mesure prise dans le cadre de l'assistance éducative sera totalement différent selon que l'enfant est placé dans une institution privée ou auprès du service départemental chargé de l'aide sociale à l'enfance, ce qui paraît quelque peu illogique, puisque le juge des enfants oriente le placement des mineurs en danger vers le secteur public ou les foyers de droit privé plus en tenant compte des disponibilités de l'instant et de la saturation éventuelle de ces organismes qu'en fonction de considérations juridiques"). Note 44 Sur la responsabilité de l'État V. notamment C. Guettier, La responsabilité de l'État à raison des dommages causés par des mineurs délinquants : RFD adm. 1998, p. 575. Note 45 À l'heure actuelle, les victimes de ce type de dommages sont en effet moins bien indemnisées par le Conseil d'État que par la Cour de cassation. V. à ce sujet les auteurs préc. notes (37) et (38).

� Viney G., Vers un élargissement de la catégorie des « personnes dont on doit répondre » : la porte entrouverte sur une nouvelle interprétation de l’article 1384 al. 1er du Code civil, D. 1991, p. 157 et s.

Curieux destin que celui de l'art. 1384, al. 1er du Code civil ! Simple préambule annonçant les

textes suivants, ses rédacteurs n'ont probablement voulu lui donner aucune portée propre (1). Et pourtant c'est sur lui qu'a reposé, à partir de 1896 (2), le principe général de responsabilité du fait des choses dont l'importance n'a cessé de croître pendant près d'un siècle, au point de supplanter la responsabilité pour faute fondée sur l'art. 1382. En outre, au moment même où, dans cette fonction, il commence à perdre du terrain, la loi du 5 juill. 1985 relative à l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation ayant largement amputé son domaine d'application qui va se trouver encore réduit prochainement par la promulgation du texte relatif à « la responsabilité du fait du défaut de sécurité des produits » destiné à introduire en droit français la directive européenne du 25 juill. 1985 (3), voilà qu'il retrouve un nouveau souffle, dans un rôle différent, en devenant le moteur d'un élargissement du domaine de la responsabilité du fait d'autrui.

C'est en effet en se fondant explicitement sur l'art. 1384, al. 1er, c. civ. que l'Assemblée plénière

de la Cour de cassation a admis, le 29 mars 1991 (4), qu'un organisme qui « avait accepté d'organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d'un handicapé » était tenu, en dehors de toute faute de surveillance, de réparer les dommages que celui-ci avait causés en mettant le feu à une forêt au cours d'un travail qu'il effectuait en milieu libre.

Ce faisant, la Cour de cassation entrouvre une porte qu'elle avait jusque-là tenue soigneusement fermée, ce qui incite à réexaminer les données du problème que soulève la détermination des « personnes dont on doit répondre » (I) et à retracer l'évolution qui a précédé cette décision, déjà qualifiée d'« historique » (5) (II), afin de tenter d'en apprécier les conséquences (III). I. - Les données du problème.

On sait que l'art. 1384 dispose, dans son al. 1er, qu'« On est responsable, non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait de personnes

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dont on doit répondre », et que, dans ses al. 4 et suivants, il désigne les « père et mère » comme responsables du fait de leurs enfants mineurs, les « maîtres et commettants » comme responsables du fait de leurs « domestiques et préposés », les « instituteurs et artisans » comme responsables du fait de leurs « élèves et apprentis ».

Or cette rédaction pose inévitablement à l'interprète une question : la liste des cas visés aux al. 4 et suivants est-elle limitative - ce qui retirerait toute portée spécifique à l'al. 1er qui ne ferait qu'annoncer les dispositions suivantes - ? Est-elle, au contraire, simplement énonciative - ce qui permettrait alors de tirer de l'al. 1er un principe général dont les al. 4 et suivants énonceraient certains exemples - ?

Bien entendu, cette question en évoque irrésistiblement une autre, celle qui a été posée, à la fin du siècle dernier, à propos de la responsabilité du fait des choses : l'art. 1384, al. 1er, ne fait-il qu'annoncer les art. 1385 et 1386 ou pose-t-il un principe autonome de responsabilité du fait de toutes « les choses dont on a la garde » ? D'ailleurs, dans les conclusions qu'il a développées devant les Chambres réunies de la Cour de cassation à propos de l'affaire Jand'heur, le procureur général Matter a clairement avancé l'hypothèse selon laquelle l'art. 1384, al. 1er, c. civ. pourrait bien contenir non seulement un principe général de responsabilité du fait des choses dont on a la garde, mais aussi un principe général de responsabilité du fait des personnes sur lesquelles on exerce une autorité et un pouvoir de contrôle (6).

Toutefois c'est au Doyen René Savatier que l'on doit le premier plaidoyer véritable en faveur de ce point de vue (7). Cet auteur montra en effet que la formulation de l'art. 1384, al. 1er, incite, de façon pressante, à admettre un parallélisme entre la responsabilité du fait d'autrui et la responsabilité du fait des choses et que si l'on considère que ce texte n'a pas, en matière de responsabilité du fait des choses, pour seul objet d'annoncer les cas particuliers définis ultérieurement par les art. 1385 et 1386, il ne saurait être maintenu dans ce rôle d'exorde inutile en ce qui concerne la responsabilité du fait d'autrui. Pourtant, cette thèse se heurta à l'hostilité d'une grande partie de la doctrine (8), conduite notamment par MM. Mazeaud qui, dans les différentes éditions de leur grand Traité de la responsabilité civile, ne cessèrent de combattre l'admission d'un principe général de responsabilité du fait d'autrui et de défendre une interprétation restrictive des cas énumérés aux alinéas 4 et suivants de l'art. 1384 (9). Parmi les arguments avancés par ces auteurs figure d'abord une comparaison des formules de l'al. 1er. En effet, tandis que la catégorie des « choses dont on a la garde » peut être définie en elle-même, celle des « personnes dont on doit répondre » ne saurait se comprendre, estiment MM. Mazeaud, que par référence aux al. 4 et suivants. D'autre part, si un principe général de responsabilité du fait des choses a été extrait par les tribunaux de l'al. 1er, bien que les rédacteurs du texte n'aient rien voulu de tel, c'est, remarquent-ils, parce que les nécessités sociales l'ont imposé alors que « dans le domaine de la responsabilité du fait d'autrui les mêmes nécessités ne se sont pas faites sentir ». Enfin, si l'on admettait un principe général de responsabilité du fait d'autrui, on serait bien embarrassé, ajoutent-ils, pour déterminer le régime qu'il conviendrait de lui appliquer car les différents cas prévus par les al. 4 et suivants sont soumis à des règles tellement différentes qu'il est impossible de trouver entre eux un dénominateur commun. Que cette argumentation soit absolument décisive, c'est ce que certains ont contesté depuis, avec pertinence (10). Il semble en effet que rien n'eût empêché les tribunaux, s'ils l'avaient vraiment voulu, d'affirmer que les « personnes dont on doit répondre » sont précisément celles « dont on a la garde » et de définir la « garde » des personnes par le devoir de surveillance pesant sur ceux qui sont chargés de contrôler des incapables, des délinquants, des malades, etc. Quant à l'affirmation selon laquelle les nécessités sociales n'imposeraient pas d'élargir les cas de responsabilité du fait d'autrui prévus par les al. 4 et suivants de l'art. 1384, elle nous paraît amplement démentie par l'évolution récente des méthodes d'éducation et de traitement appliquées aux enfants, aux handicapés, aux délinquants ... La liberté plus grande laissée aux mineurs qui exercent

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aujourd'hui des activités multiples hors de la famille et de l'école, le développement des expériences d'éducation des inadaptés et même des délinquants en milieu libre multiplient en effet les occasions de dommages causés à des tiers par des enfants ou des adultes soumis à une surveillance particulière en raison de leur état, sans que leurs « gardiens » ne soient exposés à aucun des régimes particuliers prévus par l'art. 1384. Est-il alors juste que les victimes soient réduites à agir contre l'auteur direct, qui est le plus souvent insolvable, ou à démontrer la causalité entre la faute de surveillance et le dommage, ce qui soulève généralement de grandes difficultés et qu'elles fassent ainsi finalement les frais de cette évolution ? Le droit de la réparation ne doit-il pas évoluer pour tenir compte de ces situations nouvelles comme il a su, grâce à l'admission de la responsabilité du fait des choses, s'adapter aux conséquences de l'industrialisation et du machinisme ? D'ailleurs, un autre motif incite également à élargir la liste des personnes dont on doit répondre. C'est la multiplication des cas dans lesquels les enfants sont confiés à des personnes autres que leurs père et mère, soit parce que les parents, du fait qu'ils exercent tous deux une profession, sont amenés à recourir de plus en plus souvent au concours de tiers (nourrices, grands-parents, colonies de vacances, centre de loisirs ...), soit en raison du développement des mesures d'assistance éducative et, plus généralement, des pouvoirs donnés au juge, dans des hypothèses très diverses, de confier l'enfant à des tiers en cas de carence de ses auteurs directs. Or, dans ces hypothèses, que l'affaiblissement de la structure familiale rend de plus en plus fréquentes, les victimes ne trouvent pas, dans les al. 4 et suivants de l'art. 1384, la possibilité de mettre en jeu la responsabilité de la personne chargée de la garde de l'enfant, ce qui les place en état d'infériorité par rapport à celles dont le dommage est causé par un enfant qui se trouve sous l'autorité de ses père et mère. Affirmer que les nécessités sociales n'imposent aucune modification de la liste des cas de responsabilité pour autrui est donc au moins sujet à caution. Enfin, bien qu'il soit plus impressionnant, le dernier argument invoqué par MM. Mazeaud ne nous semble pas non plus, à la réflexion, invincible. Sans doute les cas particuliers de responsabilité du fait d'autrui énumérés par les al. 4 et suivants de l'art. 1384 sont-ils fort disparates. Mais on peut observer que les art. 1385 et 1386 c. civ. prévoient également, pour la responsabilité du fait de certaines choses, deux régimes fort différents et pourtant cela n'a pas empêché la jurisprudence de dégager un principe général à partir de l'art. 1384, al. 1er. Quoi qu'il en soit, il faut bien constater que l'opinion de MM. Mazeaud a recueilli l'assentiment à peu près général de la doctrine (11) et que le Doyen Savatier s'y rallia lui-même après l'entrée en vigueur de la loi du 5 avr. 1937 dans laquelle il crut voir la négation implicite de tout principe général de responsabilité du fait d'autrui (12). D'ailleurs, la jurisprudence est restée elle aussi très longtemps sur cette position. II. - L'évolution de la jurisprudence jusqu'en 1991.

La réponse donnée dans l'immédiat par la Cour de cassation à la question posée par le procureur général Matter dans ses conclusions à propos de l'affaire Jand'heur fut clairement négative. En effet, en 1934, la Chambre criminelle exprima formellement son refus d'étendre, en quoi que ce soit, le domaine de la présomption de faute pesant sur les père et mère au motif que les al. 4 et suivants étaient d'interprétation stricte (13). Est-ce à dire que, pour autant, aucune velléité de changement ne se soit manifestée jusqu'en 1991 ? Ce serait excessif.

En effet, on rappellera d'abord que, dans le domaine contractuel, après avoir fait l'objet d'une contestation vigoureuse (14), la responsabilité du fait d'autrui s'est affirmée en tant que telle à partir des années 1960 (15) et qu'elle a pris, par la suite, une importance considérable puisqu'il est désormais acquis que le débiteur doit répondre de l'inexécution ou de la mauvaise exécution de son obligation, alors même que celle-ci proviendrait du fait d'un auxiliaire - préposé ou non - ou d'un substitut qu'il a volontairement introduit dans l'exécution (16).

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En outre, pour ce qui concerne plus spécialement les dommages causés par les personnes soumises, en raison des dangers qu'elles présentent, à une surveillance particulière, la jurisprudence administrative a adopté la première des positions qui ont incité certains juges judiciaires à réagir. Or ces réactions, bien qu'isolées, ont finalement ébranlé la conviction de la Cour de cassation. C'est en 1956 que le Conseil d'Etat admit pour la première fois que les méthodes libérales de traitement des délinquants créent un risque social qui justifie l'application d'un régime spécifique de responsabilité objective ou de plein droit de la puissance publique en cas de dommage causé par le délinquant bénéficiant d'un tel régime (17). Par la suite, cette jurisprudence a été maintes fois confirmée (18). Elle a été également étendue aux malades mentaux, notamment pour les dommages causés au cours d'une « sortie d'essai » (19), puis ensuite au cas de placement familial surveillé (20). Cette jurisprudence a donc aujourd'hui une assez grande importance et elle a certainement exercé une influence sur la position des tribunaux judiciaires. Pourtant cette influence n'a pas été immédiate - loin de là -. En effet, jusqu'en 1991, seules quelques décisions isolées de juges du fond ont pris parti pour une extension de la liste des cas de responsabilité pour autrui, la Cour de cassation ayant maintenu son refus initial. Ce sont essentiellement deux jugements rendus respectivement par le tribunal pour enfants de Dijon, le 27 févr. 1965 (21), et par le tribunal pour enfants de Poitiers, le 22 mars 1965 (22), qui ont opté pour une extension, fondée sur l'art. 1384, al. 1er, de la liste des cas de responsabilité pour autrui résultant des al. 4 et suivants du même texte. Dans les deux cas, il s'agissait de dommages causés par des mineurs évadés d'un centre de rééducation et ayant commis des infractions au cours de cette fugue. Les victimes ayant assigné le centre auquel avaient été confiés les enfants fugueurs, celui-ci se défendit en invoquant le caractère limitatif de l'énumération des cas de responsabilité du fait d'autrui figurant à l'art. 1384, al. 4 et suivants, et l'impossibilité d'appliquer aucun d'eux à l'hypothèse soumise au tribunal. Celui-ci condamna cependant le défendeur en s'appuyant sur l'al. 1er du même art. 1384. « Attendu », affirma notamment le tribunal de Dijon, « que l'on ne voit pas pourquoi, après avoir posé un principe, dans le 1er al. de l'art. 1384, le législateur aurait énuméré les personnes responsables du fait d'autrui et n'aurait mentionné qu'à titre indicatif les choses dont la garde est génératrice de responsabilité. Attendu, en conséquence, qu'il y a lieu de dire et juger que l'art. 1384, al. 1er, en stipulant « on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre » a édicté un principe général, de même qu'est général le principe de responsabilité découlant de la garde des choses ». Et de délimiter le domaine de ce principe qui s'appliquerait, selon le tribunal, à tous ceux qui exercent sur autrui « une autorité légitime ». Quant au régime de cette responsabilité, il devrait varier selon les hypothèses, certains responsables étant exposés à une simple « présomption de faute dans la garde ou la surveillance », tandis que d'autres seraient responsables de plein droit sur le fondement du « risque créé ». Et le tribunal conclut en décidant qu'en raison du danger que crée pour les tiers la présence « d'un établissement de rééducation à caractère libéral groupant institutionnellement de jeunes inadaptés, délinquants ou non », ces établissements doivent être responsables de plein droit des dommages causés par leurs pensionnaires, la seule échappatoire étant la preuve de la « cause étrangère » imprévisible et irrésistible. Remarquable par sa hardiesse, cette décision ne l'était donc pas moins par sa motivation qui traduisait le souci de répondre aux objections formulées par les adversaires de la thèse qu'elle consacrait. Elle mettait en outre l'accent sur une lacune de notre système juridique qui avait déjà été dénoncée auparavant par certains auteurs (23), mais qui se révélait de jour en jour plus grave : la réparation des dommages causés par les mineurs en rééducation n'était pas assurée, ce qui faisait peser un danger sérieux sur les personnes se trouvant à proximité des centres qui pratiquent les méthodes libérales jugées aujourd'hui les plus efficaces. On comprend donc que les deux jugements examinés aient été accueillis de divers côtés avec une réelle sympathie (24) et qu'ils aient suscité chez certains l'espoir d'un revirement de jurisprudence.

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Cette perspective pouvait d'ailleurs apparaître d'autant plus vraisemblable que plusieurs systèmes juridiques étrangers ont, depuis longtemps, consacré l'existence d'une présomption de faute pesant uniformément sur toutes les personnes qui ont devoir de surveiller autrui (25). L'existence d'un principe général de responsabilité du fait des personnes dont on a la garde (autonome par rapport au régime de droit commun) n'est donc pas inconnue en droit comparé. Et pourtant, il faut bien constater que jusqu'en 1991 la jurisprudence française a expressément refusé de suivre cette voie. Le jugement du tribunal pour enfants de Dijon fut en effet réformé en appel par une décision dont les motifs ne laissent aucun doute sur la volonté de censurer la généralisation proposée par les premiers juges (26). Et la Cour de cassation manifesta ensuite clairement, notamment par un arrêt du 24 nov. 1976 (27) son hostilité à l'égard de la création d'un principe général de responsabilité du fait d'autrui rattaché à l'art. 1384, al. 1er. Dans l'affaire qui a donné lieu à cette dernière décision, un mineur, qui avait été confié par sa mère au service de l'aide sociale à l'enfance, avait échappé à la surveillance des membres de l'Administration et s'était emparé d'un véhicule qu'il avait endommagé. Le tribunal, saisi par la victime d'une action dirigée contre le service de l'aide sociale à l'enfance, condamna celui-ci sur le fondement du « principe général » issu de l'art. 1384, al. 1er, au motif que le défendeur n'avait pas apporté la preuve qu'il n'avait pu empêcher le fait dommageable. Or ce jugement fut cassé pour manque de base légale. Il s'agit donc là d'une nouvelle condamnation des tentatives de création d'un principe général de responsabilité de plein droit pour le fait des personnes dont on a la « garde ». Et il convient d'ajouter que la Cour suprême est allée encore plus loin dans cette direction.

Non seulement en effet elle a refusé de consacrer un principe général de responsabilité objective en la matière, mais elle s'est montrée constamment hostile à toute extension du domaine de la présomption de faute pesant sur les père et mère (28). Or il a été observé que les travaux préparatoires de la loi du 4 juin 1970 auraient pu justifier l'application de cette présomption au moins à toutes les personnes auxquelles est confié le droit de garde sur un enfant mineur (29). Cette jurisprudence était donc visiblement inspirée par une volonté arrêtée d'éviter toute progression et toute aggravation de la responsabilité du fait d'autrui comme sanction de l'obligation de surveillance. D'ailleurs, dans d'autres domaines, la même attitude a été observée (30). Or, c'est cette position qui vient d'être remise en cause par l'arrêt de l'Assemblée plénière du 29 mars 1991.

III. - L'arrêt de l'Assemblée plénière du 29 mars 1991 et ses conséquences.

En l'espèce il s'agissait d'un handicapé mental majeur qui avait été confié à un centre d'aide par le travail et qui, au cours d'un travail qu'il effectuait en milieu libre, avait provoqué l'incendie d'une forêt. L'action en responsabilité dirigée contre l'association gérant le centre (et contre son assureur) avait été accueillie par le tribunal civil de Tulle sur le fondement d'une soi-disant faute de surveillance qui n'avait pas une véritable consistance - le principe même de la méthode libérale appliquée en l'espèce étant de ne pas surveiller l'intéressé pendant son travail -.

Aussi bien, est-ce la raison pour laquelle la cour de Limoges, saisie en appel (31), tout en maintenant la condamnation, a voulu la motiver autrement. Elle a invoqué le risque social créé par les méthodes libérales de rééducation et elle en a déduit que ce risque permet d'appliquer « les dispositions de l'art. 1384, al. 1er, c. civ. qui énoncent le principe d'une présomption de responsabilité du fait de personnes dont on doit répondre ». C'était reprendre presque textuellement la motivation du jugement du tribunal pour enfants de Dijon de 1965 en l'appuyant sur l'affirmation selon laquelle « le principe de l'indemnisation des victimes s'inscrit désormais dans l'éthique politique et sociale ».

Un pourvoi en cassation fut formé contre cet arrêt et le moyen présenté était le suivant : « Il n'y a de responsabilité civile du fait d'autrui que dans les cas prévus par la loi, et, par suite, en retenant le principe d'une présomption de responsabilité du fait des personnes dont on doit répondre, la cour d'appel aurait violé l'art. 1384, al. 1er, c. civ. ».

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Ce pourvoi posait donc évidemment une question capitale. C'est pourquoi la 2e Chambre civile, qui aurait dû normalement se prononcer elle-même, estima qu'il était préférable de le soumettre à l'Assemblée plénière afin que la Cour de cassation s'engage tout entière sur l'opportunité d'un éventuel revirement. Elle renvoya donc, par un arrêt du 4 juill. 1990, l'examen du pourvoi à l'Assemblée plénière qui se prononça le 29 mars 1991.

Or cette décision marque une évolution importante, même si la Cour de cassation a essayé d'éviter une rupture trop brutale avec sa position antérieure. L'apport incontestable de l'arrêt consiste en ce que, en rejetant le pourvoi et en approuvant la condamnation sur le fondement de l'art. 1384, al. 1er, la Cour de cassation a abandonné sa position antérieure relative au caractère limitatif de l'énumération légale des « personnes dont on doit répondre ». Désormais il est donc acquis qu'il peut y avoir des cas de responsabilité délictuelle du fait d'autrui autres que ceux qui sont spécifiquement visés par les al. 4 et suivants de l'art. 1384. C'est là un revirement dont la portée est considérable. Elle peut être comparée à celle de l'arrêt Teffaine de 1896 en ce qui concerne la responsabilité du fait des choses. Toutefois l'Assemblée plénière n'a pas, pour autant, pris parti explicitement en faveur de l'existence d'un principe général et elle n'a pas non plus affirmé qu'il s'agissait d'une responsabilité de plein droit. Sa position demeure en effet prudente aussi bien quant à la détermination des personnes visées que quant au régime de cette responsabilité. 1° Les personnes éventuellement visées par la nouvelle règle de responsabilité fondée sur l'al. 1er de l'art. 1384.

Sur ce point, on remarquera que l'Assemblée plénière n'a pas employé de formule générale pour les désigner. Notamment, elle s'est bien gardée d'affirmer qu'il existerait un principe de responsabilité du fait « des personnes dont on a la garde » qui ferait pendant à la responsabilité du fait des choses « que l'on a sous sa garde ». En effet, un tel principe aurait désigné toute personne assumant, à titre professionnel ou non, temporaire ou permanent, contre rémunération ou bénévolement, une mission de surveillance. A la limite, un « baby-sitter » ou la personne qui reçoit chez elle, pour un après-midi, l'ami d'un de ses enfants, auraient été visés par ce principe. Or la Cour de cassation a bien senti que cela risquait d'aller trop loin et qu'il était nécessaire de contrôler l'extension de ce principe. C'est ce qui explique la rédaction assez factuelle de l'arrêt. Celui-ci relève en effet certaines circonstances de fait - « l'organisme avait accepté la charge d'organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie du handicapé » et « celui-ci était soumis à un régime comportant une totale liberté de circulation dans la journée » - et il en déduit « qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a pu décider à bon droit que l'association devait répondre » du fait du handicapé. Cette méthode de rédaction révèle donc d'abord la volonté de la Cour de cassation de continuer à exercer un contrôle sur la détermination des personnes responsables pour autrui sur le fondement de l'art. 1384, al. 1er. Elle esquisse par ailleurs les contours du nouveau principe en insistant, d'une part, sur le caractère permanent de la mission de contrôle confiée au centre d'aide par le travail, - ce qui peut être interprété comme écartant implicitement les cas de garde temporaire - et, d'autre part, sur le régime de liberté dont bénéficiait le handicapé - ce qui tendrait à lier cette nouvelle responsabilité au risque social créé par la liberté de circulation des personnes qui se trouvent soumises à certains contrôles -. Toutefois on remarquera que la Cour de cassation n'a aucunement pris parti sur les hypothèses dont elle n'avait pas à connaître dans l'affaire qui lui a été soumise. En outre, elle n'a pas écarté la prise en considération d'autres critères que ceux qu'elle relève. La question reste donc totalement ouverte pour des quantités de personnes qui assument de façon durable l'encadrement ou le contrôle d'enfants ou de malades : tuteurs, colonies de vacances, centres de loisirs, grands-parents ou oncles et tantes qui se chargent de l'enfant pendant ses vacances, cliniques psychiatriques, nourrices, etc.

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2° Le régime de la responsabilité du fait d'autrui fondée sur l'art. 1384, al. 1er, c. civ. Sur ce point encore, l'Assemblée plénière s'est également montrée prudente et discrète. Alors que la cour de Limoges s'était prononcée en faveur d'une « présomption de responsabilité », la Cour de cassation se contente d'approuver la cour d'appel d'avoir décidé que l'association devait « répondre du handicapé » au sens de l'art. 1384, al. 1er, et « qu'elle était tenue de réparer les dommages qu'il avait causés ». Cette formule est donc très neutre. Il est cependant évident qu'elle écarte l'exigence de la preuve d'une faute personnelle du « responsable pour autrui ». Sinon le recours à l'art. 1384, al. 1er, n'aurait aucun sens. Mais, en revanche, on peut fortement hésiter, pour l'instant, entre un système de simple présomption de faute - susceptible de preuve contraire - et un système de responsabilité de plein droit qui ne céderait que devant la preuve de la cause étrangère imprévisible et irrésistible. L'intention des rédacteurs de l'arrêt sur ce point reste très floue car, même si on admet que le rejet du pourvoi constitue une approbation de l'arrêt de la cour de Limoges, il reste une ambiguïté. En effet celle-ci a bien exprimé la notion de « présomption de responsabilité » qui évoque la responsabilité de plein droit, mais la seule conséquence qu'elle en a tirée a consisté à dispenser la victime de la preuve de la faute du défendeur. Or ce résultat est atteint par une simple présomption de faute. On pourrait également, en faveur de la responsabilité de plein droit, invoquer qu'il serait paradoxal de fonder sur le même alinéa de l'art. 1384, qui paraît édicter une règle unique, deux régimes de responsabilité différents. Mais, en réalité, il semble que la détermination du régime de cette responsabilité devrait dépendre, pour une large part, de celle de son domaine d'application. Si la responsabilité du fait d'autrui fondée sur l'al. 1er de l'art. 1384 est appliquée très largement à toutes sortes de « gardiens », même non professionnels - tuteurs, grands-parents, amis ... - il paraît souhaitable que le régime de responsabilité pour autrui qui sera appliqué aux non-professionnels soit apprécié avec une certaine indulgence, et qu'en tout cas il ne soit pas plus sévère que celui qui est appliqué aux père et mère. Or, en l'état de la jurisprudence actuelle, les père et mère ne subissent qu'une présomption de faute susceptible de preuve contraire. Pour cette catégorie de « gardiens », il semblerait raisonnable de s'en tenir à un régime de ce type. En revanche, au cas où l'application de la responsabilité du fait d'autrui fondée sur l'al. 1er de l'art. 1384 serait réservée à des professionnels, qui sont en fait obligés de s'assurer et doivent être incités à le faire, cette responsabilité pourrait être plus stricte et ne céder que devant la preuve de la cause étrangère présentant les caractères de la force majeure. L'analogie avec les solutions du droit administratif conduit d'ailleurs à cette solution, au moins dans les cas où le régime de contrôle pratiqué par le gardien, étant de type libéral, crée un risque réel pour le tiers. Quoi qu'il en soit, il est fort probable que les solutions qui seront adoptées, aussi bien quant à la détermination des personnes auxquelles incombe cette nouvelle responsabilité que quant au régime de celle-ci, auront elles-mêmes un impact indirect sur les responsabilités pour autrui visées par les al. 4 et suivants de l'art. 1384 c. civ. Si en effet les victimes trouvent dans l'al. 1er de l'art. 1384 une protection équivalente ou supérieure à celle que leur procurent actuellement les régimes particuliers visés par les al. 4 et suivants, elles auront évidemment tendance à délaisser ceux-ci qui pourraient bien - pour peu que la jurisprudence y prête la main - tomber plus ou moins en désuétude, ainsi que cela s'est produit pour l'art. 1386 après la « découverte » du principe général de la responsabilité du fait des choses.

Il y a donc, dans l'arrêt de l'Assemblée plénière du 29 mars 1991, le germe d'une évolution

peut-être considérable, mais dont les développements sont encore pour l'instant largement inconnus. L'important était que la porte fût ouverte. Aux juges maintenant de contrôler les conséquences de cette ouverture.

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(1) V. les très intéressantes notations historiques faites par M. le Premier avocat général Dontenwille dans ses conclusions. (2) C'est en effet l'arrêt Teffaine du 16 juin 1896 qui a consacré l'autonomie de la responsabilité du fait des choses en la fondant sur ce texte (S. 1897.1.17, note Esmein ; D. 1897.1.433, concl. Sarrut, note Saleilles). (3) Projet n° 1395 enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 23 mai 1990 et annexé au procès-verbal de la séance du 23 mai 1990. (4) Association des centres éducatifs du Limousin c / Cts Blieck, D. 1991.324, note C. Larroumet ; JCP 1991.II.21673, concl. Dontenwille, note J. Ghestin ; Resp. civ. et assur., avril 1991, Comm. n° 128. (5) H. Groutel, La responsabilité du fait d'autrui : un arrêt (à moitié) historique, Resp. civ. et assur., avril 1991, Chron., n° 9. (6) DP 1930.1.57, concl. Matter, rapport Le Marc'hadour, note Ripert ; Gaz. Pal. 1930.1.393. (7) R. Savatier, La responsabilité générale du fait des choses que l'on a sous sa garde a-t-elle pour pendant une responsabilité générale du fait des personnes dont on doit répondre ?, DH 1933. Chron. 81. (8) V. not. P. Esmein in Planiol et Ripert, t. 6, n° 626 ; G. Marty et P. Raynaud, Les obligations, n° 481. (9) V. Traité de la responsabilité civile, t. 1, n° 712 à 718. (10) V. not. M. Puech, L'illicéité dans la responsabilité civile extracontractuelle, LGDJ 1973, n° 121 à 128 ; P. Robert, Traité du droit des mineurs, n° 265 et s. (11) V. not. J. Carbonnier, Droit civil, Les obligations, § 98 ; P. Le Tourneau, La responsabilité civile, n° 1630 ; B. Starck, H. Roland et L. Boyer, Droit civil, obligations, t. 1, Responsabilité délictuelle, n° 646 et 647 ; C. Larroumet, Rép. civ. Dalloz, v° Responsabilité du fait d'autrui, n° 2 et 3 ; J. Lafon, La responsabilité civile du fait des malades mentaux, LGDJ 1960, n° 30, 31 et 62. Cependant une opinion différente a été exprimée par M. J. F. Overstake, J. - Cl. Civil, v° Responsabilité civile et assurances, Fasc. 140, n° 15 s. (12) Traité de la responsabilité civile, 2e éd., t. 1, n° 255. (13) V. not. Crim. 15 juin 1934, S. 1935.1.397 ; Gaz. Pal. 1934.2.477 ; Civ. 2e, 15 févr. 1956, D. 1956.410, note E. Blanc ; S. 1956.8 ; JCP 1956.II.9564, note R. Rodière. (14) R. Rodière, Y a-t-il une responsabilité contractuelle du fait d'autrui ?, D. 1952. Chron. 79. (15) V. not. Civ. 1re, 18 oct. 1960, JCP 1960.II.11846, note R. Savatier ; D. 1961.125 ; S. 1961.141 ; 29 mai 1963, Gaz. Pal. 1963.2.290 ; D. 1964. Somm. 1 ; adde autres arrêts cités in G. Viney, La responsabilité : conditions, n° 819. (16) G. Viney, op. cit., n° 813 à 847. (17) Arrêt Thouzellier du 3 févr. 1956, D. 1956.596, note J. - M. Auby ; S. 1956.153 ; JCP 1956.II.9608, note Lévy ; Rev. dr. publ. 1956.854. (18) Notamment le 29 avr. 1987, JCP 1988.II.20920, note B. Pacteau. (19) Cons. d'Et. 13 juill. 1967, Département de la Moselle, Lebon, p. 341 ; D. 1967.675, note F. Moderne. (20) Cons. d'Et. 13 mai 1987, D. 1988. Somm. 163, obs. F. Moderne et P. Bon. (21) T. enfants Dijon, 27 févr. 1965, D. 1965.439 ; Gaz. Pal. 1965.1.297 ; RTD civ. 1965.652, obs. R. Rodière. - V. égal. R. Legeais, Un article à surprises ou Le nouvel essai de généraliser la responsabilité civile du fait d'autrui, D. 1965. Chron. 131 ; P. Martaguet et P. Robert, La responsabilité des établissements de rééducation (Solution ou évolution ?), D. 1966. Chron. 17 ; J. Vincent et J. Prévault, La responsabilité civile du fait des mineurs inadaptés, D. 1965. Chron. 201. (22) T. enfants Poitiers, 22 mars 1965, Courjault, Rev. dr. sanit. et soc. 1966.262, note E. Alfandari. (23) Martaguet et Robert, chron. Rev. sc. crim. 1962.723 ; ibid. 1964.325. (24) V. not. R. Legeais, Un article à surprises ou Le nouvel essai de généraliser la responsabilité civile du fait d'autrui, préc. ; P. Martaguet et P. Robert, op. cit. ; P. Robert, Traité de droit des mineurs, n° 262 s. (25) L'exemple le plus caractéristique est fourni par l'art. 832 c. civ. allemand qui a été imité par de nombreux autres codes. V. J. P. Le Gall, International encyclopedia of comparative law, vol. 11, Torts, chap. 3, Liability for persons under supervision, n° 28 s. ; V. égal. P. Robert, Traité de droit des mineurs, n° 269, p. 317. (26) Dijon, 18 juin 1965, inédit, cité par P. Robert, Traité de droit des mineurs, n° 266 ; V. égal. TGI Seine, 14 oct. 1965, D. 1966.441, note J. Prévault. (27) Civ. 2e, 24 nov. 1976, D. 1977.595, note C. Larroumet. (28) V. Crim. 11 juin 1970, Gaz. Pal. 1970.2.146, note J. - P. D. ; Civ. 2e, 9 nov. 1971, D. 1972.75 ; RTD civ. 1972.400, obs. G. Durry ; Crim. 9 mars 1972, D. 1972.342 ; Civ. 2e, 29 avr. 1976, JCP 1978.II.18793, note N. Dejean de la Batie. (29) V. R. Legeais, La responsabilité civile introuvable ou les problèmes de la réparation des dommages causés par les mineurs, Mélanges Marty, p. 775, n° 9. (30) V., par exemple, Civ. 3e, 8 mars 1989, D. 1989. IR. 107. - Et sur l'ensemble du problème, J. F. Overstake, J. - Cl. Responsabilité civile et assurances, Fasc. 140, n° 15 et s. (31) Limoges, 23 mars 1989, Resp. civ. assur., novembre 1989, Comm. n° 361.

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SEANCE 16 LA RESPONSABILITE DELICTUELLE La responsabilité du fait d’autrui La responsabilité des père et mère

I. – Jurisprudence

• Présomption de responsabilité � Ass. Plén., 9 mai 1984, Fullenwarth : D. 1984, Jur. p. 525, concl. Cabannes, note P.

Jourdain ; JCP 1984, II, 20255, obs. N. Dejean de la Bâtie. � Civ. 2ème, 19 février 1997, Bertrand : D. 1997, Chron. p. 279, Note Ch. Radé ; D.

1997, 265, note P. Jourdain ; D. 1997, Somm. p. 290, obs. D. Mazeaud. � Civ. 2ème, 10 mai 2001 : D. 2001, p. 2851, note O. Tournafond ; RTD civ. 2001, p. 601,

obs. P. Jourdain. � Ass. Plén., 13 décembre 2002 : D. 2003, p. 231 ; JCP 2003, II, 10010.

• Obligation de cohabitation � Civ. 2ème, 19 février 1997, SAMDA c/ MACIF et autres : Bull. civ. II, n° 55 ; RTD Civ.

1997, p. 670, note P. Jourdain. � Civ. 2ème, 20 janvier 2000 : Bull. civ. II, n° 14 ; RTD civ. 2000, p. 340, obs. P.

Jourdain ; JCP 2000, II, 10374, note A. Gouttenoire-Cornut. � Civ. 2ème, 15 mars 2001, n° 99-14838 : Inédit ; Resp. civ. et assur. 2001, comm. n° 177,

obs. H. G. (A commenter) � Civ. 2ème, 16 novembre 2000 : Resp. civ. et assur. 2001, comm. n° 37 ; RTD civ. 2001,

p. 603, note P. Jourdain. � Civ. 2ème, 29 mars 2001 : Bull. civ. II, n° 69 ; Resp. civ. et assur. 2001, comm. n° 177,

obs. H. G. ; RTD civ. 2001, p. 603, note P. Jourdain. � Crim. 29 octobre 2002 : D. 2003, p. 2112 ; RTD civ. 2003, p. 101, obs. P. Jourdain.

• Exonération de la responsabilité � Civ. 2ème, 2 décembre 1998 : Bull. civ. II, n° 292 ; JCP 1999. II. 10165, note M.

Josselin-Gall ; RTD civ. 1994, p. 410, obs. P. Jourdain. � Civ. 2ème, 18 mai 2000 : Bull. civ. II, n° 86 ; D. 2000. Somm. p. 468. � Crim, 18 mai 2004 : Bull. crim. n° 123 ; Resp. civ. et assur. 2004, comm. n° 249 ;

RTD civ. 2005, p. 140, obs. P. Jourdain. II. – Doctrine

� F. BOULANGER, Autorité parentale et responsabilité des père et mère des faits dommageables de l'enfant mineur après la réforme du 4 mars 2002, Réflexions critiques : D. 2005, p. 2245

III. – Exercices Cas pratique

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Cas pratique

M. et Mme Henri Cochet viennent vous consulter à propos d'un accident survenu le 5 avril

dernier dans la cave de leur maison de campagne, située à Ganges, au bord de l'Hérault. Ce

jour-là, leur petit-fils, Bruno Cochet, arrivé la veille en compagnie de ses parents pour passer

les vacances de Pâques en famille, descendit, comme à l'accoutumée, dans ladite cave, pour y

chercher sa canne à pêche. Il y descendit avec l'un de ses camarades, Bernard Lhermitte, âgé

comme lui de dix ans. Parvenu dans les lieux, Bruno avisa sur le mur un fusil de guerre

allemand, de marque Mauser, que son grand-père avait trouvé quelques semaines auparavant

dans une bergerie abandonnée et qu'il avait nettoyé avant de l'entreposer dans la cave,

oubliant toutefois de le décharger. Surpris de voir ce fusil et s'en saisissant, Bruno le brandit

en direction de son camarade, histoire de s'amuser, et appuya sur la détente. Le coup partie.

Bernard fut grièvement blessé au dessus du genou et dut subir l'amputation du membre

inférieur droit. M. et Mme Henri Cochet souhaiteraient être informés des suites de cette

affaire.

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I. – Jurisprudence

� Ass. Plén., 9 mai 1984, Fullenwarth « La Cour ; - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Metz, 25 sept. 1979), que le 4 août 1975, Pascal Fullenwarth, alors âgé de 7 ans, décocha une flèche avec un arc qu'il avait confectionné en direction de son camarade David Felten et l'éborgna ; que M. Guillaume Felten, père de la victime, a assigné en dommages-intérêts M. Raymond Fullenwarth, en sa qualité de civilement responsable de son fils Pascal sur le fondement de l'article 1384, alinéa 4 du Code civil ; - Attendu que M. Raymond Fullenwarth fait grief à l'arrêt de l'avoir déclaré entièrement responsable des conséquences de l'accident, alors, selon le moyen, que la cour d'appel n'a pas recherché si

Pascal Fullenwarth présentait un discernement suffisant pour que l'acte puisse lui être imputé à faute, qu'elle a entaché sa décision d'un défaut de base légale et ainsi violé les articles 1382 et 1384, alinéa 4 du Code civil ; - Mais attendu que, pour que soit présumée, sur le fondement de l'article 1384, alinéa 4 du Code civil, la responsabilité des père et mère d'un mineur habitant avec eux, il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime ; que par ce motif de pur droit, substitué à celui critiqué par le moyen, l'arrêt se trouve légalement justifié ; - Par ces motifs, rejette... ».

� Civ. 2ème, 19 févr. 1997, Bertrand « La Cour ; - Sur le premier moyen : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 4 oct. 1994), qu'une collision est survenue le 24 mai 1989 entre une bicyclette conduite par Sébastien Bertrand, âgé de 12 ans, et la motocyclette de M. Domingues ; que celui-ci, blessé, a demandé réparation de son préjudice à M. Jean-Claude Bertrand, père de l'enfant, comme civilement responsable de celui-ci, et à son assureur, l'UAP ; que le Fonds de garantie automobile (FGA) est intervenu à l'instance ; - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que l'accident était imputable à la seule faute de Sébastien Bertrand, alors, selon le moyen, que M. Jean-Claude Bertrand faisait valoir dans ses écritures d'appel que les premiers juges avaient à tort refusé de prendre en considération une analyse cinématique de l'accident établissant qu'il aurait été évité si le motocycliste n'avait pas modifié sa trajectoire et ce, au motif que cette analyse cinématique n'était pas contradictoire et ne pouvait contrecarrer les constatations des enquêteurs ; qu'en confirmant par simple adoption de motifs le jugement entrepris sans même s'expliquer sur ce moyen ni rechercher si cette analyse, régulièrement versée aux débats et qui avait pu faire l'objet d'un débat contradictoire, ne démontrait pas, ce que ne pouvaient faire les constatations matérielles des enquêteurs, que l'accident ne se serait jamais produit sans le changement de trajectoire du motocycliste, la cour

d'appel a violé 1°) les articles 15, 16, 2°) 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ; - Mais attendu qu'appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu décider que l'accident était exclusivement imputable à l'imprudence du cycliste qui s'était soudainement engagé sur la route nationale en coupant la trajectoire de M. Domingues ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; - Sur le deuxième moyen : - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir retenu la responsabilité de M. Jean-Claude Bertrand, alors, selon le moyen, que la présomption de responsabilité des parents d'un enfant mineur prévue à l'article 1384, alinéa 4, du Code civil, peut être écartée non seulement en cas de force majeure ou de faute de la victime mais encore lorsque les parents rapportent la preuve de n'avoir pas commis de faute dans la surveillance ou l'éducation de l'enfant ; qu'en refusant de rechercher si M. Jean-Claude Bertrand justifiait n'avoir pas commis de défaut de surveillance au motif que seule la force majeure ou la faute de la victime pouvait l'exonérer de la responsabilité de plein droit qui pesait sur lui, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéa 4, du Code civil ;

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- Mais attendu que, l'arrêt ayant exactement énoncé que seule la force majeure ou la faute de la victime pouvait exonérer M. Jean-Claude Bertrand de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par son fils mineur habitant

avec lui, la cour d'appel n'avait pas à rechercher l'existence d'un défaut de surveillance du père ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Par ces motifs, rejette... ».

� Civ. 2ème, 10 mai 2001, FS-P+B

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Arnaud Levert, né le 1er juin 1978, élève du collège OGEC Marmoutier (l'OGEC) à Tours, établissement privé d'enseignement sous contrat d'association avec l'Etat, a participé à une partie de rugby organisée par les élèves pendant une récréation ; qu'à l'occasion d'un plaquage effectué par Laurent Dijoux, il a été blessé à l'oeil ; que ses parents, dont il a repris l'action à sa majorité, ont assigné, en réparation de son préjudice les parents de Laurent Dijoux, leur assureur la société Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF), l'OGEC et son assureur, la Mutuelle Saint-Christophe (la Mutuelle), ainsi que l'Etat français, représenté par le préfet d'Indre-et-Loire, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre-et-Loire ; que M. Laurent Dijoux, devenu majeur, est intervenu volontairement à l'instance ; Sur le second moyen : - Attendu que M. Arnaud Levert fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes contre l'OGEC, son assureur et l'Etat français, alors, selon le moyen : 1°) que la responsabilité de l'Etat est substituée à celle des membres de l'enseignement pour les dommages causés par les élèves pendant que ceux-ci sont sous leur surveillance ; que pour débouter Arnaud Levert de sa demande contre l'Etat, la cour d'appel a retenu que la pratique du rugby n'était pas interdite et que le surveillant avait pu ne pas s'apercevoir, eu égard à sa soudaineté, de l'accident survenu à l'occasion d'un plaquage ; qu'en statuant ainsi quand il résultait de ses propres constatations que de l'endroit où il se trouvait, le surveillant ne pouvait appréhender les difficultés pouvant se présenter sur le terrain de sport, ce qui constituait une faute de surveillance, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéas 6 et 8, du code civil ; 2°) que le fait pour le surveillant de ne pas avoir été en mesure de s'apercevoir de l'accident révèle une faute dans l'organisation du service de surveillance imputable à l'OGEC Marmoutier ; qu'en déboutant dès lors la victime de son action dirigée contre cette association et son assureur, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéas 6 et 8, du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la pratique amicale du rugby par les élèves pendant une récréation n'était pas interdite, ni incompatible avec l'âge -de 12 à 15 ans- des participants, que le fait que le surveillant, qui n'était pas tenu d'arbitrer la partie et qui se trouvait dans l'allée dominant le terrain n'ait pas vu l'incident n'était pas la preuve de sa carence dans l'accomplissement de sa mission, aucune surveillance vigilante ne pouvant empêcher le risque d'accident en matière de rugby, le plaquage, notamment, apparaissant comme une péripétie normale de ce jeu, et qu'une partie de rugby ne pouvait être assimilée à un chahut que le surveillant aurait laissé dégénérer et dont il serait alors responsable ; que l'organisation par l'OGEC de la surveillance de la récréation n'était pas critiquable puisqu'elle était assurée par un surveillant, à l'encontre duquel aucune faute n'était établie, et qu'aucun manquement n'était reproché à l'OGEC quant à la qualité des lieux ou du matériel mis à la disposition des joueurs ; que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire que ni la responsabilité de l'Etat ni celle de l'établissement privé d'enseignement ne se trouvaient engagées ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Mais sur le premier moyen : - Vu l'article 1384, alinéas 4 et 7, du code civil ; - Attendu que la responsabilité de plein droit encourue par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n'est pas subordonnée à l'existence d'une faute de l'enfant ; - Attendu que pour rejeter la demande formée par M. Arnaud Levert et ses parents contre les père et mère de M. Laurent Dijoux, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l'examen de la responsabilité de l'enfant, Laurent Dijoux, est un préalable à la détermination de la responsabilité de ses parents, qu'il n'est reproché à Laurent Dijoux que d'avoir par maladresse blessé son camarade, Arnaud Levert, en lui portant

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involontairement un coup au visage, à l'occasion d'un plaquage au cours d'une partie de rugby organisée entre élèves pendant la récréation ayant suivi le repas de midi, qu'il n'est pas soutenu, donc encore moins établi, que Laurent Dijoux n'ait pas observé loyalement les règles de ce jeu, qu'Arnaud Levert, en ayant participé à ce jeu avec ses camarades avait nécessairement accepté de se soumettre à ces règles du jeu et aux risques que présentait celui-ci, peu important qu'il ne se fût agi que d'une partie de rugby amicale entre collégiens, plutôt que d'une compétition organisée par la fédération ad-hoc ; que, dès lors, le malencontreux plaquage, à l'occasion duquel fut blessé Arnaud Levert, ne saurait engager la responsabilité de

Laurent Dijoux ; qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner celle de ses parents ; en quoi la cour d'appel a violé le texte susvisé ; Par ces motifs, casse et annule, en ses seules dispositions concernant les consorts Dijoux et la GMF, en présence de la CPAM d'Indre-et-Loire, l'arrêt rendu le 26 octobre 1998, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris

� Ass. Plén., 13 décembre 2002 ARRET 1 : LA COUR : - Sur le moyen unique : - Vu l'article 1384, alinéas 1er, 4 et 7, du code civil ; - Attendu que, pour que la responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l'autorité parentale sur un mineur habitant avec eux puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur ; que seule la force majeure ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de cette responsabilité ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'au cours d'une séance d'éducation physique, Emmanuel X... a été atteint à la tête par un coup de pied porté par Grégory Z... qui a chuté sur lui en perdant l'équilibre ; que les époux X..., agissant tant à titre personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fils Emmanuel (les consorts X...), et leur assureur la MAIF ont demandé réparation de leurs préjudices aux époux Z..., pris en tant que civilement responsables de leur fils mineur Grégory ; qu'en cause d'appel, après intervention volontaire du liquidateur judiciaire du père de Grégory Z..., Emmanuel X... et Gregory Z..., devenus majeurs, sont intervenus à l'instance ; que les époux Z... ont appelé leur assureur, la Mutuelle accidents élèves, en intervention forcée ;

Attendu que, pour rejeter les demandes des consorts X... et de leur assureur, l'arrêt retient que la responsabilité des parents de Grégory Z... ne saurait être recherchée sur le fondement de l'article 1384, alinéa 4, du Code civil en l'absence d'un comportement du mineur de nature à constituer une faute ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; Par ces motifs, casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 mai 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée ; condamne Mme Z..., la MAE, M. Guillemonat, ès qualités de mandataire liquidateur à la liquidation de M. Kishor Z..., et M. Grégory Z... aux dépens ; dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en Assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du treize décembre deux mille deux.

ARRET 2 :

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LA COUR : Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche qui est préalable : Vu l'article 1384, alinéas 1er, 4 et 7, du code civil ;

Attendu que, pour que la responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l'autorité parentale sur un mineur habitant avec eux puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur ; que seule la force majeure ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de cette responsabilité ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'au cours d'une partie de ballon improvisée entre adolescents, Vincent X... a été blessé, au moment où il se relevait, par la chute de Maxime Y..., porteur du ballon, elle-même provoquée par le plaquage de Jérôme Z... ; que les époux X... et leur fils Vincent, devenu majeur et assisté de son père en qualité de curateur (les consorts X...), ont demandé réparation de leurs préjudices aux époux Z... et aux époux Y..., tant comme civilement

responsables que comme représentants légaux de leurs fils mineurs Jérôme et Maxime, ainsi qu'à leurs assureurs, les compagnies UAP et AXA, en présence de la Caisse primaire d'assurance maladie de Maubeuge ; qu'en cause d'appel, Jérôme Z... et Maxime Y..., devenus majeurs, sont intervenus à l'instance, de même que la compagnie AXA, aux droits de l'UAP, ainsi que l'Union des mutuelles accidents élèves auprès de laquelle les époux X... avaient souscrit un contrat d'assurance ; Attendu que, pour rejeter les demandes des consorts X... et de leur assureur, l'arrêt retient qu'aucune faute n'est établie à l'encontre de Jérôme Z... et de Maxime Y... ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 décembre 1999, entre les parties, par la Cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris.

� Civ. 2ème, 19 février 1997, SAMDA c/ MACIF et autres Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches : Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Christian X..., âgé de 16 ans, ayant causé des dommages à une automobile qu'il avait volée, M. Dumont, son propriétaire, a assigné en réparation Mme Y..., divorcée X..., ayant la garde de Christian et son assureur la MAAF ; que, Mme Y... a appelé en intervention M. X..., qui, lors des faits, hébergeait le mineur en vertu de son droit de visite, et son assureur, la SAMDA ; Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir retenu la responsabilité de M. X... sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, alors, selon le moyen, d'une part, que pour se prononcer sur la faute de surveillance qui a été imputée à M. X..., la cour d'appel devait s'expliquer, comme elle y était invitée par celui-ci, sur le fait que le mineur, âgé de 16 ans au moment du dommage, ne pouvait faire l'objet d'une surveillance constante de son père, auquel le mineur avait expliqué l'irrégularité

de son emploi du temps par l'absence de ses professeurs à la fin de l'année scolaire ; qu'en se fondant uniquement, sans procéder à cette recherche, sur la connaissance qu'avait M. X... de la fréquentation "plus ou moins régulière" du collège par son fils, la cour d'appel a, en tout état de cause, privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; d'autre part, que la cour d'appel, qui a reproché à M. X... d'avoir omis de s'assurer auprès du collège, de l'emploi du temps de son fils, devait nécessairement rechercher si l'irrégularité de l'emploi du temps scolaire du mineur ne traduisait pas une faute d'éducation de la mère chargée de la garde du mineur et à laquelle, seule, les éventuelles absences du mineur auraient pu être signalées ; que, faute d'avoir procédé à cette recherche, la cour d'appel a, plus subsidairement encore, privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

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Mais attendu que, par motifs adoptés, l'arrêt retient que M. X... avait connaissance des absences plus ou moins régulières de son fils au collège, et que le vol ayant eu lieu un mardi, jour où Christian devait aller normalement au collège, il appartenait au père, sur lequel pèse le devoir de surveillance de son fils lors de l'exercice du droit de visite et d'hébergement, de s'assurer auprès du collège de l'emploi du temps du collégien ; Que de ces seules constatations et énonciations, la cour d'appel, sans avoir à procéder à d'autres recherches a exactement déduit que M. X... avait commis une faute de surveillance et légalement justifié sa décision de ce chef ; Mais sur le moyen unique, pris en sa première branche : Vu l'article 1384, alinéa 4, du Code civil ;

Attendu que, pour mettre Mme Y... hors de cause, l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que le jour des faits, l'enfant était en résidence chez son père et qu'il ne cohabitait pas avec sa mère ; Qu'en statuant ainsi, alors que l'exercice d'un droit de visite et d'hébergement ne fait pas cesser la cohabitation du mineur avec celui des parents qui exerce sur lui le droit de garde, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a mis Mme Y... hors de cause, l'arrêt rendu le 9 mars 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

� Civ. 2ème, 20 janvier 2000 Sur le moyen unique : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Besançon, 11 février 1998), que trois enfants mineurs, Ludovic et Hervé Y... et Emmanuelle Z..., ont incendié le bâtiment agricole des époux Parisot ; que ceux-ci, et leur assureur partiellement subrogé dans leurs droits, la société UAP, ont assigné en responsabilité et indemnisation des préjudices notamment Mme X..., mère de Ludovic et d'Hervé Y..., et Mme Z..., mère d'Emmanuelle, ainsi que leur assureur commun, la société Azur assurances ; Attendu que Mme X..., Mme Z... et la société Azur Assurances font grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande, alors, selon le moyen, qu'il résulte de l'article 1384, alinéas 4 et 7, du Code civil que les père et mère, en tant qu'ils exercent le droit de garde, sont solidairement responsables du dommage causé par leur enfant mineur habitant avec eux, à moins qu'ils ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité ; que doivent être exonérés de leur responsabilité les père et mère qui, ayant confié leur enfant à un tiers, n'en avaient plus la garde matérielle et directe au moment du dommage ; que pour retenir la responsabilité de Mme X... séparée Y... et Mme Z... du fait de leurs enfants mineurs, la cour d'appel a énoncé que la distance entre la résidence pour quelques jours des enfants et la

résidence des parents Y... ou Z... n'a pas fait cesser la cohabitation des uns avec les autres ; qu'en se déterminant ainsi quand il résultait de ses propres énonciations qu'au moment du fait dommageable, les parents avaient transféré la garde de leurs enfants à un tiers, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéas 4 et 7, du Code civil ; Mais attendu que la cohabitation de l'enfant avec ses père et mère visée par l'article 1384, alinéa 4, du Code civil résulte de la résidence habituelle de l'enfant au domicile des parents ou de l'un deux ; Et attendu que l'arrêt retient que les parents divorcés de Ludovic et d'Hervé Y... avaient sur eux l'autorité parentale conjointe, qu'au moment des faits ils se trouvaient chez leur grand-mère paternelle, Mme Andrée Y..., chez qui leur père, exerçant son droit de visite et d'hébergement les avait placés depuis 10 jours et que celle-ci s'était vue également confier la garde d'Emmanuelle Z... ; Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, c'est à bon droit que la cour d'appel a estimé que ni ce changement de résidence pour quelques jours, ni les distances entre la résidence de Mme Andrée Y... et celles de

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Mme X... et de Mme Z... n'avaient fait cesser la cohabitation entre les enfants et leurs mères ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

� Civ. 2ème, 15 mars 2001 Sur le moyen unique : Vu l'article 1384, alinéas 4 et 7, du Code civil ; Attendu que seule la force majeure ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mélanie X..., âgée de 13 ans, qui séjournait chez sa tante, Mme Le Lamer, a causé un incendie dans la maison ; que Mme Le Lamer a demandé réparation de son préjudice à la compagnie Axa assurances IARD, assureur des père et mère de l'enfant ; Attendu que, pour rejeter la demande, l'arrêt énonce que l'enfant, dont les parents habitent dans le Lot, séjournait depuis le début du mois chez Mme Le Lamer, dans la Manche, et qu'en raison de cet éloignement et de la durée du séjour la cohabitation avait cessé, mettant les parents dans l'impossibilité d'exercer leur devoir de surveillance

et d'empêcher le fait dommageable survenu le 28 juillet 1994 ; Qu'en statuant ainsi, alors que seule la preuve d'un cas de force majeure ou d'une faute de la victime pouvait exonérer les époux X... de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par leur enfant mineure habitant avec eux et que la circonstance qu'ils l'auraient confiée temporairement à sa tante n'avait pas fait cesser la cohabitation de l'enfant avec ses parents, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 mars 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles

� Civ. 2ème, 16 novembre 2000 LA COUR, en l'audience publique du 11 octobre 2000, où étaient présents : M. Buffet, président, M. Guerder, conseiller rapporteur, M. Pierre, Mme Solange Gautier, M. Mazars, conseillers, M. Trassoudaine, conseiller référendaire, M. Monnet, avocat général, Mme Claude Gautier, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. Guerder, conseiller, les observations de la SCP Parmentier et Didier, avocat de la société Azur assurances et des consorts Meriau-Delfosse, de la SCP Vincent et Ohl, avocat de la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles (CRAMA) du Nord, les conclusions de M. Monnet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Douai, 7 janvier 1999), que Renaud Meriau, âgé de 17 ans, qui venait de réintégrer l'internat du lycée agricole d'Haussy après un stage chez ses parents, a provoqué l'incendie des bâtiments en jetant, pour la cacher, une cigarette allumée dans un local de

rangement de couvertures ; que la société Groupama assurances, assureur du lycée, l'ayant indemnisé et subrogée dans ses droits, a exercé une action récursoire en responsabilité et indemnisation du préjudice contre les parents de Renaud Meriau, pris tant comme civilement responsables que comme représentants légaux de celui-ci, et leur assureur, Azur assurances ; Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches : Attendu que les époux Meriau-Delfosse et leur assureur font grief à l'arrêt d'avoir accueilli les demandes à leur encontre, alors, selon le moyen : 1 ) que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire ; qu'en substituant comme fondement de l'appréciation de la cohabitation la circonstance que le mineur pensionnaire

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dans un établissement effectuait des stages chez ses parents agriculteurs, de sorte que l'internat ne constituait qu'une modalité d'éducation ne mettant pas fin à la cohabitation, quand les parties avaient uniquement discuté du point de savoir à quelle date précise l'on devait considérer que la cohabitation physique de Renaud Meriau avec ses parents, en raison de son stage agricole d'une semaine chez eux, avait cessé pour être remplacée par le régime d'internat, exclusif de toute cohabitation, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; 2 ) que la responsabilité des parents sur le fondement de l'article 1384, alinéa 4, est subordonnée à une communauté habituelle de résidence avec leur enfant ; que, dès lors, en retenant la responsabilité des parents pour un fait commis par leur enfant pensionnaire dans un internat sur le fondement d'un stage effectué chez ses parents qui aurait transformé son internat en modalité d'éducation ne mettant pas fin à la communauté habituelle de résidence, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéa 4, du Code civil ; 3 ) que les père et mère sont responsables des dommages causés par leurs enfants mineurs habitant avec eux ; qu'en statuant de la sorte, sans s'expliquer sur les circonstances qui lui permettaient de considérer que le stage que Renaud Meriau venait d'effectuer chez ses parents transformait son internat en une modalité d'exercice de sa scolarité qui n'interrompait pas la cohabitation chez ses parents, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1384, alinéa 4, du Code civil ; Mais attendu que c'est à bon droit, sans violer le principe de la contradiction, que la cour d'appel a énoncé que le régime de l'internat, ne constituant qu'une modalité d'exercice de la scolarité, n'avait

pas interrompu la cohabitation entre Renaud Meriau et ses parents ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche : Attendu que Renaud Meriau, devenu majeur, et Azur assurances font grief à l'arrêt d'avoir accueilli les demandes à leur encontre, alors, selon le moyen, que la responsabilité des père et mère est engagée par le fait, fautif ou non, de l'enfant qui est la cause directe du dommage ; que, dès lors, en déclarant qu'il devait être fait droit aux demandes de la CRAMA contre l'enfant responsable de l'incendie, quand le fait de l'enfant n'avait été envisagé que comme la condition de la mise en oeuvre de la responsabilité parentale et non comme constitutif d'une faute, condition de sa responsabilité personnelle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ; Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt retient que Renaud Meriau ayant fumé au mépris du règlement, a voulu camoufler ce manquement et, bien que conscient de son erreur, ne s'est pas préoccupé des conséquences de son geste ; Que, de ces constatations et énonciations, d'où il résultait qu'il avait commis une faute, la cour d'appel a pu décider, justifiant légalement sa décision, qu'il avait engagé sa responsabilité ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;

� Civ. 2ème, 29 mars 2001 Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 24 juin 1991, M. X..., alors âgé de quinze ans, et élève du collège Saint-Nicolas d'Issy-les-Moulineaux, établissement privé d'enseignement sous contrat d'association avec l'Etat, a été blessé à l'oeil gauche, dans la cour de récréation, par une balle de tennis lancée par un autre élève, Karim Y... ; que M. X... a assigné en réparation de son préjudice, devant un tribunal de grande instance, le préfet des Hauts-de-Seine, représentant l'Etat français, le

collège Saint-Nicolas, et son assureur la société Préservatrice foncière assurance, les époux Y..., parents de Karim X..., et leur assureur, la société Winterthur, en présence de la caisse régionale d'assurance maladie ; que la société Mutuelle accidents corporels (SMAC) est intervenue volontairement à l'instance pour solliciter le remboursement d'une somme versée à la victime en exécution d'un contrat d'assurance scolaire ;

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Sur le premier moyen : Vu l'article 1384, alinéas 6 et 8, du Code civil, ensemble l'article 2 de la loi du 5 avril 1937 ; Attendu que si la responsabilité de l'Etat est substituée à celle des instituteurs du fait des élèves placés sous leur surveillance, c'est à la condition qu'ils aient commis une faute qui doit être prouvée conformément au droit commun ; Attendu que pour déclarer l'Etat français responsable des conséquences dommageables de l'accident, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que M. X..., en regardant des camarades jouer au tennis, a reçu une balle sur l'orbite gauche et que cet accident, imputable à Karim Y..., qui, d'après les témoignages d'élèves, a lancé la balle, n'a pu se produire qu'en raison d'un défaut de surveillance caractérisé des éducateurs du collège privé Saint-Nicolas, qui auraient dû interdire la pratique du tennis en dehors d'un espace spécialement prévu et réservé à ce sport, ce qui caractérise la faute de l'établissement ; Qu'en se déterminant par ces seuls motifs, sans rechercher l'existence d'une faute personnelle à la charge d'un enseignant déterminé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; Et sur le deuxième moyen de cassation : Vu l'article 1384, alinéas 4 et 7 du Code civil ; Attendu que seule la force majeure ou la faute de

la victime peut exonérer les père et mère de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux ; Attendu que pour écarter la responsabilité des époux Y..., et déclarer l'Etat français entièrement responsable du dommage subi par la victime, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que les parents de Karim Y... sont fondés à se prévaloir du fait que leur fils n'habitait pas avec eux lors des faits, étant interne du collège Saint-Nicolas, de sorte qu'ils n'avaient plus la garde de leur enfant, laquelle s'était trouvée transférée à l'établissement ; Qu'en statuant ainsi, alors que la présence d'un élève dans un établissement scolaire, même en régime d'internat, ne supprime pas la cohabitation de l'enfant avec ses parents, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; Et attendu qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de mise hors de cause du collège Saint-Nicolas ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 juin 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

� Crim, 29 octobre 2002, FS-P+F Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BEAUDONNET, les observations de la société civile professionnelle BORE, XAVIER et BORE, Me BLANC, de Me ODENT, de la société civile professionnelle BOULLEZ et de la société civile professionnelle COUTARD et MAYER, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ; Statuant sur le pourvoi formé par : - X... Christiane, épouse Y..., civilement responsable, contre l'arrêt de la cour d'appel de BASTIA, chambre spéciale des mineurs, en date du 20 février 2001, qui, dans la procédure suivie notamment contre Sébastien Z... des chefs de

violences aggravées, vols en réunion et tentative de vols, a prononcé sur les intérêts civils ; Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Christiane X... a inscrit son fils, Sébastien Z..., pour un séjour de trois semaines organisé en Corse au mois d'août 1997 par le comité d'établissement du Crédit foncier de France, dans un centre de vacances géré par l'association Club jeunesse 2000 ; que, dans la nuit du 18 août 1997, Sébastien Z... et un autre mineur, tous deux âgés de 16 ans, ont commis des vols et des violences dans un camping proche du centre ;

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qu'ils ont été condamnés pour ces faits par le tribunal pour enfants, qui a reçu la constitution de partie civile de Christian Bocedi, victime des violences ; Que, statuant sur les intérêts civils, les juges ont notamment déclaré Christiane X... civilement responsable des agissements de son fils, l'ont condamnée à rembourser le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions et ont rejeté toutes les demandes présentées contre le comité d'établissement du Crédit foncier de France et l'association Club jeunesse 2000 ; En cet état : Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1384, alinéa 4, du Code civil, 1384, alinéa 7, du Code civil, 593 du Code de procédure pénale ; "en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Christiane X... civilement responsable des conséquences dommageables des faits commis par son fils Sébastien Z... ; "aux motifs que l'article 1384, alinéa 4, dispose que "le père et la mère, en tant qu'ils exercent le droit de garde, sont solidairement responsables du dommage causé par leur enfant mineur habitant avec eux" ; que les arguments soulevés par les parents des mineurs pour contester leur responsabilité sont de deux ordres ; que, d'une part, le fait que les mineurs aient été confiés pour la période du 3 au 24 août 1997 à un centre de loisir situé à 1 000 km du domicile familial et ce moyennant le paiement d'une somme importante, a réalisé un "transfert" de la garde des mineurs et donc de la responsabilité civile ; que, d'autre part, si leur responsabilité était recherchée sur l'article 1384, alinéa 4, la distance entre le déroulement du camp et le domicile familial est constitutif d'une force majeure exonératoire de responsabilité ; que M. et Mme A... ajoutent que les faits délictueux n'ont pu intervenir que suite au défaut de surveillance du centre de loisirs qui a permis aux adolescents de sortir du camp et d'acheter une arme ; que l'article 1384, alinéa 4, met à la charge des parents la responsabilité civile des actes commis par leurs enfants ; que cette responsabilité est une responsabilité spéciale qui doit être envisagée avant celle de la responsabilité plus générale du fait d'autrui instituée par l'alinéa 1er du même article ; que le fait que les enfants soient ponctuellement pris en charge par un centre de loisir ne fait pas cesser la cohabitation et ne prive pas les parents de leur autorité parentale, en l'absence d'une décision judiciaire en ce sens ; que le pouvoir théorique d'organiser et de contrôler le mode de vie des enfants au moment des faits

restait dès lors dévolu aux parents ; que pour s'exonérer de leur responsabilité, les parents ne peuvent invoquer que la force majeure ou la faute de la victime ; qu'en l'espèce, les caractères d'imprévisibilité, irrésistibilité et extériorité de la force majeure ne sont pas réunis lesdits parents ayant choisi de confier leurs enfants au Club jeunesse 2000 pour un séjour de vacances organisé par le comité d'établissement du Crédit foncier de France ; que dès lors, il y a lieu de déclarer Christiane X..., veuve Z..., civilement responsable de son fils Sébastien Z... ; qu'il convient, dès lors, de rejeter toute demande visant à rendre le comité d'établissement du Crédit foncier de France ou le Club jeunesse 2000 civilement responsable des mineurs A... et Sébastien Z... ; "1 ) alors que la responsabilité des parents du fait de leur enfant cesse d'être encourue lorsque la cohabitation entre eux a cessé pour une cause légitime ; qu'en estimant, en l'espèce, que la mère du jeune Sébastien Z... était civilement responsable des faits commis par son fils sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée si le fait d'avoir contractuelletnent confié, pour trois semaines, le mineur au comité d'établissement du Crédit foncier de France et à l'association Club jeunesse 2000 ne constituait pas une cause légitime de cessation de Ia cohabitation entre la mère et l'enfant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 4, du Code civil ; "2 ) alors que la responsabilité des parents a lieu, à moins que les père et mère ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à la responsabilité ; que la demanderesse faisait valoir que les graves manquements à la surveillance des adolescents commis par le comité d'établissement et l'association Club jeunesse 2000 dans un camp de vacances situé en Corse, à plus de 1 000 km du domicile parental étaient seuls à l'origine du dommage causé par son fils, qu'elle n'avait pas les moyens d'empêcher ; qu'en répondant à ce moyen aux seuls motifs que "les caractères d'imprévisibilité, irrésistibilité et extériorité de la force majeure ne sont pas réunis lesdits parents ayant choisi de confier leurs enfants au Club jeunesse 2000 pour un séjour de vacances organisé par le comité d'établissement du Crédit foncier de France", la cour d'appel a privé sa décision de motifs et violé les textes susvisés" ; Attendu que, pour déclarer Christiane X... civilement responsable des agissements de son

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fils mineur, l'arrêt prononce par les motifs repris aux moyens ; Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 1384, alinéa 4, du Code civil ; Qu'en effet, la cohabitation de l'enfant avec ses parents, résultant de sa résidence habituelle à leur domicile ou au domicile de l'un d'eux, ne cesse pas lorsque le mineur est confié par contrat à un organisme de vacances, qui n'est pas chargé d'organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie de l'enfant ; Que seule la force majeure ou la faute de la victime peut exonérer les parents de la responsabilité qu'ils encourent de plein droit du fait des dommages causés par leur enfant mineur ; D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ; Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation du principe specialia generalibus derogant, des articles 1384, alinéa 1er, et 1384, alinéa 4, du Code civil, de l'article 593 du Code de procédure pénale ; "en ce que l'arrêt attaqué a débouté les parties de toutes leurs demandes et conclusions présentées contre le comité d'établissement du Crédit foncier de France ou du Club jeunesse 2000 ; "aux motifs que l'article 1384, alinéa 4, dispose que "le père et la mère, en tant qu'ils exercent le droit de garde, sont solidairement responsables du dommage causé par leur enfant mineur habitant avec eux" ; que les arguments soulevés par les parents des mineurs pour contester leur responsabilité sont de deux ordres ; que, d'une part, le fait que les mineurs aient été confiés pour la période du 3 au 24 août 1997 à un centre de loisir situé à 1 000 km du domicile familial et ce moyennant le paiement d'une somme importante, a réalisé un "transfert" de la garde des mineurs et donc de la responsabilité civile ; que, d'autre part, si leur responsabilité était recherchée sur l'article 1384, alinéa 4, la distance entre le déroulement du camp et le domicile familial est constitutif d'une force majeure exonératoire de responsabilité ; que M. et Mme A... ajoutent que les faits délictueux n'ont pu intervenir que suite au défaut de surveillance du centre de loisirs qui a permis aux adolescents de sortir du camp et d'acheter une arme ; que l'article 1384, alinéa 4, met à la charge des parents la responsabilité civile des actes commis par leurs enfants ; que cette responsabilité est une responsabilité spéciale qui doit être envisagée avant celle de la responsabilité plus générale du fait d'autrui instituée par l'alinéa 1er du même article ; que le fait que les enfants soient

ponctuellement pris en charge par un centre de loisir ne fait pas cesser la cohabitation et ne prive pas les parents de leur autorité parentale, en l'absence d'une décision judiciaire en ce sens ; que le pouvoir théorique d'organiser et de contrôler le mode de vie des enfants au moment des faits restait dès lors dévolu aux parents ; que pour s'exonérer de leur responsabilité, les parents ne peuvent invoquer que la force majeure ou la faute de la victime ; qu'en l'espèce, les caractères d'imprévisibilité, irrésistibilité et extériorité de la force majeure ne sont pas réunis lesdits parents ayant choisi de confier leurs enfants au Club jeunesse 2000 pour un séjour de vacances organisé par le comité d'établissement du Crédit foncier de France ; que dès lors, il y a lieu de déclarer Christiane X..., veuve Z..., civilement responsable de son fils Sébastien Z... ; qu'il convient, dès lors, de rejeter toute demande visant à rendre le comité d'établissement du Crédit foncier de France ou le Club jeunesse 2000 civilement responsable des mineurs A... et Sébastien Z... ; "1 ) alors que les responsabilités du fait d'autrui édictées par les articles 1384, alinéa 1er, et 1384, alinéa 4, du Code civil ont des champs d'application distincts ; qu'en écartant la responsabilité du comité d'établissement et du Club jeunesse 2000 aux motifs inopérants et erronés que la responsabilité des parents de l'article 1384, alinéa 4, du Code civil "est une responsabilité spéciale qui doit être envisagée avant celle de la responsabilité plus générale du fait d'autrui instituée par l'alinéa 1er du même article", la cour d'appel a violé le principe specialia generalibus derogant, ensemble les articles 1384, alinéa 4, et 1384, alinéa 1er, du Code civil ; "2 ) alors que l'engagement de la responsabilité des parents ne fait pas, en soi, obstacle à l'engagement de la responsabilité d'un tiers au titre de la responsabilité du fait d'autrui fondée sur l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ; qu'en s'abstenant de rechercher si la responsabilité du comité d'établissement et du Club jeunesse 2000 n'était pas engagée au seul motif que les parents ne pouvaient se dégager de leur propre responsabilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil" ; Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1147 du Code civil, 593 du Code de procédure pénale ;

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"en ce que l'arrêt attaqué a débouté les parties de toutes leurs demandes et conclusions présentées contre le comité d'établissement du Crédit foncier de France ou du Club jeunesse 2000 ; "aux motifs que l'article 1384, alinéa 4, dispose que "le père et la mère, en tant qu'ils exercent le droit de garde, sont solidairement responsables du dommage causé par leur enfant mineur habitant avec eux" ; que les arguments soulevés par les parents des mineurs pour contester leur responsabilité sont de deux ordres ; que, d'une part, le fait que les mineurs aient été confiés pour la période du 3 au 24 août 1997 à un centre de loisir situé à 1 000 km du domicile familial et ce moyennant le paiement d'une somme importante, a réalisé un "transfert" de la garde des mineurs et donc de la responsabilité civile ; que, d'autre part, si leur responsabilité était recherchée sur l'article 1384, alinéa 4, la distance entre le déroulement du camp et le domicile familial est constitutif d'une force majeure exonératoire de responsabilité ; que M. et Mme A... ajoutent que les faits délictueux n'ont pu intervenir que suite au défaut de surveillance du centre de loisirs qui a permis aux adolescents de sortir du camp et d'acheter une arme ; que l'article 1384, alinéa 4, met à la charge des parents la responsabilité civile des actes commis par leurs enfants ; que cette responsabilité est une responsabilité spéciale qui doit être envisagée avant celle de la responsabilité plus générale du fait d'autrui instituée par l'alinéa 1er du même article ; que le fait que les enfants soient ponctuellement pris en charge par un centre de loisir ne fait pas cesser la cohabitation et ne prive pas les parents de leur autorité parentale, en l'absence d'une décision judiciaire en ce sens ; que le pouvoir théorique d'organiser et de contrôler le mode de vie des enfants au moment des faits restait dès lors dévolu aux parents ; que pour s'exonérer de leur responsabilité, les parents ne peuvent invoquer que la force majeure ou la faute de la victime ; qu'en l'espèce, les caractères d'imprévisibilité, irrésistibilité et extériorité de la force majeure ne sont pas réunis lesdits parents ayant choisi de confier leurs enfants au Club jeunesse 2000 pour un séjour de vacances organisé par le comité d'établissement du Crédit foncier de France ; que dès lors, il y a lieu de déclarer Christiane X..., veuve Z..., civilement responsable de son fils Sébastien Z... ; qu'il convient, dès lors, de rejeter toute demande visant à rendre le comité d'établissement du Crédit foncier de France ou le Club jeunesse 2000

civilement responsable des mineurs A... et Sébastien Z... ; "alors que la surveillance des mineurs avait été confiée contractuellement au comité d'établissement du CFF et de l'association Club jeunesse 2000 ; qu'elle établissait que l'insuffisance de surveillance des mineurs était à l'origine des dommages causés par les enfants ; qu'en refusant de faire droit à l'action en garantie formée par la demanderesse à l'encontre du comité d'établissement du CFF et de l'association Club jeunesse 2000, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ; Les moyens étant réunis ; Attendu que la demanderesse est irrecevable à reprocher à l'arrêt d'avoir rejeté les demandes dirigées contre le comité d'établissement du Crédit foncier de France et l'association Club jeunesse 2000 ; Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 509, 515 et 593 du Code de procédure pénale ; "en ce que l'arrêt a réformé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande du Fonds de garantie et statuant à nouveau, a condamné solidairement Charles A..., Annick B..., épouse A... et Christiane X... à payer au Fonds de garantie des victimes d'infractions, la somme de 120 000 francs ; "aux motifs qu'en ce qui concerne la demande du Fonds de garantie, en effet, aux termes de l'article 420-1 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 15 juin 2000, la constitution de partie civile par lettre n'est plus limitée dans son quantum ; qu'en conséquence, il convient de faire droit à la demande du Fonds ; qu'il convient de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande du Fonds de garantie et, statuant à nouveau, a condamné solidairement Charles A..., Annick B..., épouse A... et Christiane X... à payer au Fonds de garantie des victimes d'infraction la somme de 120 000 francs ; "alors que le Fonds de garantie des victimes d'infractions, qui avait été débouté de sa demande en première instance, n'avait pas interjeté appel de la décision ; qu'en réformant le jugement entrepris sur ce point, la cour d'appel a violé les articles visés au moyen" ; Attendu que, l'article 706-11 du Code de procédure pénale, autorisant le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions à se constituer partie civile devant la juridiction répressive, et ce, même

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pour la première fois, en cause d'appel, la demanderesse n'est pas fondée à se faire un grief du fait que la constitution dudit fonds ait été admise en cause d'appel ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; REJETTE le pourvoi ;

� Civ. 2ème, 2 décembre 1998 Sur le moyen unique :

Vu l'article 1384, alinéa 4, du Code civil ;

Attendu que seule la force majeure ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mlle Delphine Y..., alors âgée de 14 ans, ayant accompagné sa mère, Mme X..., dans un magasin exploité par la société Aube cristal (la société), et ayant glissé alors qu'elle circulait normalement dans une allée, a fait choir un présentoir dont les objets ont été brisés ; que la société a assigné en réparation de son préjudice Mme X... et son assureur, la Garantie mutuelle des fonctionnaires ;

Attendu que, pour débouter la société de ses demandes, l'arrêt infirmatif attaqué énonce que la présomption de responsabilité édictée par l'article 1384 du Code civil n'est pas irréfragable, l'alinéa 7 de ce même article prévoyant que les père et mère peuvent s'en exonérer en prouvant " qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité " ; que l'arrêt retient que Delphine

circulait normalement dans le magasin, accompagnée de sa mère, lorsqu'elle a glissé, que rien ne permet de dire que Mme X... a manqué à son obligation de surveillance, de direction et plus généralement d'éducation, et que le fait de glisser, pour une raison restée indéterminée, apparaît suffisamment imprévisible pour que Mme X... n'ait pu l'empêcher ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser l'une des causes d'exonération de la responsabilité de plein droit encourue par la mère du fait des dommages causés par son enfant mineur habitant avec elle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 septembre 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

� Civ. 2ème, 18 mai 2000, FS-P

Sur le moyen unique :

Vu l'article 1384, alinéa 4, du Code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., alors âgé de 17 ans, ayant donné des coups mortels à M. Butin, une commission d'indemnisation des victimes d'infractions, dont la décision a été confirmée, a alloué des indemnités aux consorts Butin ; que le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, agissant en qualité de subrogé dans les droits de ces derniers, a demandé la condamnation des époux X... et de leur assureur, la compagnie

Groupe des populaires d'assurances, à lui payer le montant des indemnités versées ;

Attendu que pour débouter le Fonds de garantie l'arrêt énonce que les époux X... n'ont pas commis de faute en laissant leur fils, grand adolescent, presque majeur, sortir le soir, qu'ils ne pouvaient exercer sur lui une surveillance de tous les instants ni lui imposer des lieux et des horaires précis pour le déroulement de la soirée, que dès lors, leur responsabilité ne peut être retenue ;

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Qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser l'une des causes d'exonération de la responsabilité de plein droit encourue par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er juillet 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.

� Crim. 18 mai 2004, F-P+F

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BEAUDONNET, les observations de la société civile professionnelle NICOLAY et de LANOUVELLE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- L'ASSOCIATION DE PATRONAGE DE L'INSTITUT REGIONAL DES JEUNES SOURDS ET JEUNES AVEUGLES DE MARSEILLE, civilement responsable,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, chambre spéciale des mineurs, en date du 26 avril 2002, qui, dans la procédure suivie contre Grégory X... du chef de violences aggravées et contre Stéphanie Y... du chef d'extorsion de fonds, a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1382, 1384, alinéa 1er, du Code civil, 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré l'Institut Les Hirondelles civilement responsable des mineurs, Grégory X... et Stéphanie Y..., et l'a condamné in solidum avec ceux-ci à réparer le préjudice subi par la jeune Sofia Z... ;

"aux motifs qu'il est constant que toute personne physique ou morale ayant accepté la charge ou ayant reçu mandat d'organiser et de contrôler à titre régulier le mode de vie d'un mineur handicapé est responsable des dommages qu'il cause à cette occasion y compris à l'égard des autres mineurs

également pris en charge, au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ; que le premier juge a exactement retenu que les mineurs, prévenus et victime, au moment des faits étaient scolarisés à l'Institut Les Hirondelles géré par l'Association de Patronage de l'Institut Régional ; que cette scolarisation ne peut être assimilée à une scolarisation classique, s'agissant de mineurs handicapés pris en charge par l'Institut afin de leur permettre de "surmonter leurs troubles de la communication, pour leur formation scolaire ou professionnelle et l'accès à l'autonomie sociale" ; qu'il résulte des pièces de la procédure que les mineurs pris en charge vivent à l'institut sous le régime du semi-internat comme Grégory X... ou la jeune victime ou sous le régime de l'internat comme Stéphanie Y... ; que, pendant le temps d'internat ou de semi-internat, les mineurs échappant au contrôle de leurs parents qui ne peuvent être tenus pour civilement responsables de leur enfant, c'est bien l'Institut, auquel a été confiée la garde de l'enfant handicapé avec le pouvoir d'organiser, de diriger et de contrôler son mode de vie de façon continue, qui doit être déclaré civilement responsable de l'enfant, responsabilité que l'association, par son directeur, reconnaissait devoir assumer (audition de Gérard A... par le juge des enfants le 5 juillet 2000) ; que le pouvoir d'organisation de l'Institut résulte notamment du fait qu'il a passé directement avec le GIHP 13, groupement chargé du transport des enfants handicapés pris en charge par l'Institut Les Hirondelles, une convention lui confiant la surveillance des enfants et les responsabilités y afférentes et, ce, hors toute intervention des parents, les actes d'indiscipline des enfants devant être signalés par le GIHP 13 à l'Institut, dit l'organisateur exerçant son contrôle pour assurer la bonne exécution du

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service ; que l'Association de Patronage de l'Institut Régional des Jeunes Sourds et Jeunes Aveugles de Marseille ne peut prétendre substituer à sa responsabilité à l'égard des mineurs qui lui ont été confiés, la responsabilité du GIHP 13, pendant le transport alors que ledit transport est organisé sous son seul contrôle et, comme il a été dit ci-dessus, dans le cadre d'une convention dont elle a eu la seule initiative ; que le répondant étant responsable de plein droit des dommages causés par la personne dont il doit répondre, il ne peut s'exonérer de sa responsabilité en prouvant qu'il n'a pas commis de faute, et dès lors le moyen tiré de ce qu'aucune faute ne serait articulée ou établie à l'encontre de l'Institut Les Hirondelles est inopérant, étant rappelé que les dispositions pénales du jugement ont acquis l'autorité de la chose jugée tant en ce qui concerne les faits de violences reprochés à Grégory X... qu'en ce qui concerne les faits d'extorsion de fonds reprochés à Stéphanie Y... ;

que le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré l'Institut Les Hirondelles civilement responsable des mineurs Grégory X... et Stéphanie Y... et qu'il l'a condamné in solidum avec ceux-ci à réparer le préjudice subi par la jeune Sofia Z... ;

"1 ) alors que lorsqu'un enfant, qui ne présente aucune dangerosité et pour lequel l'autorité parentale est assumée par ses parents, est confié à un établissement éducatif qui n'a pas la charge d'organiser et de contrôler son mode de vie à titre permanent, cet établissement n'est pas soumis à la responsabilité de plein droit de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ; qu'en l'espèce, où il est constant que les parents des deux mineurs étaient titulaires de l'autorité parentale, la Cour n'a pu retenir la responsabilité de plein droit de l'Institut Les Hirondelles sans constater, ce qui était contesté, que les mineurs concernés auraient présenté une quelconque dangerosité ; qu'en statuant ainsi la Cour a privé son arrêt de base légale au regard de ce texte ;

"2 ) alors que lorsqu'un enfant, qui ne présente aucune dangerosité et pour lequel l'autorité parentale est assumée par ses parents, est confié à un établissement éducatif qui n'a pas la charge d'organiser et de contrôler son mode de vie à titre permanent, cet établissement n'est pas soumis à la responsabilité de plein droit de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ; qu'en l'espèce, où il est constant que les parents des deux mineurs étaient titulaires de l'autorité parentale, la Cour n'a pu

retenir la responsabilité de plein droit de l'Institut Les Hirondelles sans constater, ce qui était contesté, que l'établissement aurait eu la charge d'organiser et de contrôler leur mode de vie à titre permanent ; qu'en statuant ainsi la Cour a privé son arrêt de base légale au regard de ce texte" ;

Vu l'article 1384 du Code civil ;

Attendu qu'aux termes de l'alinéa 4 de ce texte, les père et mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ;

Attendu que, pour déclarer l'association de patronage de l'Institut régional des jeunes sourds et jeunes aveugles de Marseille civilement responsable des agissements délictueux des deux mineurs, Grégory X... et Stéphanie Y..., confiés à l'association par leurs parents, l'arrêt attaqué retient que les mineurs, handicapés, y sont scolarisés en régime d'internat ou de semi-internat, ne pouvant être assimilé à un mode de scolarisation classique ; que les juges en déduisent que la garde des mineurs a été confiée à l'institut avec pouvoir d'organiser, diriger et contrôler leur mode de vie de façon continue ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que la circonstance que les mineurs avaient été confiés, par leurs parents, qui exerçaient l'autorité parentale, à une association gérant un établissement scolaire spécialisé, n'avait pas fait cesser la cohabitation des enfants avec ceux-ci, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt précité de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 26 avril 2002, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, chambre spéciale des mineurs, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

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ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour

d'appel d'Aix-en-provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

II. – Doctrine

� F. BOULANGER, Autorité parentale et responsabilité des père et mère des faits dommageables de l'enfant mineur après la réforme du 4 mars 2002, Réflexions critiques : D. 2005, p. 2245

« Nous qui avons presque entièrement soustrait à l'autorité parentale la personne et les biens des enfants, nous qui fixons à un âge si peu avancé le terme de leur indépendance, comment imputerions-nous aux pères tant de fautes qu'ils ne peuvent empêcher ? » (Maximilien Robespierre, Mémoire présenté à l'Académie de Metz, 1783(1)) 1 - Un des paradoxes les plus évidents - et pourtant trop peu souligné de la situation juridique du mineur en ce début du XXIe siècle - tient au contraste entre l'affirmation d'une volonté et d'une reconnaissance de droits propres tels qu'ils découlent de la Convention internationale des droits de l'enfant et de l'esprit de la réforme de 2002 d'un côté, la négation de son comportement fautif et du rôle joué par sa formation de l'autre, s'agissant des conséquences dommageables de ses actes. A l'encontre de ceux qui soulignent sa maturité plus précoce et la nécessité d'instaurer une « prémajorité », s'oppose son effacement dans les mécanismes de la réparation, le risque de réduction à un concept de chose dangereuse, ce que le professeur Mazeaud appelle sa « réification »(2). Les rédacteurs du code civil avaient été dès le départ sensibles au danger qu'il y avait pour les victimes des dommages causés par les mineurs d'être soumises au régime général de la faute prouvée de l'article 1382 du code civil, de n'avoir en face d'eux que des auteurs dépendants et insolvables. D'où la nécessité, du fait de la présence des mineurs au domicile familial, d'un régime spécial découlant des alinéas 4 et 7 de l'article 1384. Les parents de l'enfant constituaient, selon l'expression de Toullier, « un cautionnement légal et forcé ». Par suite d'une conduite fautive des descendants, le père de famille « en rançon » de ses pouvoirs très étendus était soumis à une présomption : celle que, à l'origine du dommage, il y avait une négligence de formation et d'éducation de l'enfant dont il pouvait s'affranchir par la démonstration contraire(3). Un mécanisme analogue dans les droits du XIXe siècle postérieurs au codecivil(4) faisait ressortir l'importance du discernement et de l'illicéité des conduites des mineurs. 2 - A s'en tenir au texte même de l'article 1384, il ne devait subir que de légères modifications au regard des remaniements continuels à partir de 1970, que devait connaître l'ancienne « puissance paternelle » devenue « autorité parentale » dans le sens d'un « égalitarisme » croissant. La volonté, malgré le développement des assurances de responsabilité dites de « chef de famille », de ne pas laisser sans suite certains dommages causés par des mineurs et de ne permettre presque aucune « échappatoire » aux auteurs responsables de l'enfant allait amener la Cour de cassation à une « réinterprétation » progressive des alinéas 4 et 7 de l'article 1384 et des principes de responsabilité du fait d'autrui. La « réécriture » a été continue de l'arrêt de l'Assemblée plénière Fullenwarth, du 9 mai 1984, à ceux de la même formation du 2 décembre 2002, en passant par l'arrêt Bertrand de la deuxième Chambre civile du 19 février 1997. La place faite aux comportements des enfants, au rôle parental dans la prévention des dommages, a été de plus en plus réduite, au point de faire peser sur ces derniers une responsabilité très proche de celle de l'article 1384, alinéa 1er, et de transformer les parents « en aventuriers qui prennent des risques », selon la formule de l'avocat général Kessous(5). Aux termes des arrêts de 2002, la responsabilité parentale n'est plus celle de « garants ». Elle est engagée « en première ligne » par des faits « même non fautifs » des mineurs, sauf à invoquer la « cause étrangère » ou la faute de la victime(6). Ce décrochage des circonstances dans lesquelles intervient la responsabilité parentale, comme de l'examen des conduites

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parentales a été salué par la grande majorité de la doctrine. A une époque d'éclatement et de diversification des situations familiales, l'attention et l'intérêt se portent beaucoup plus sur les victimes que sur les circonstances à l'origine du dommage, et ceux qui vont avoir à en subir les conséquences, même s'il y a l'assureur derrière le parent responsable(7). Nous ne croyons pas, pour notre part, qu'un excès pénalisant de responsabilité sensibilise les parents aux faits et gestes de leurs enfants et produit plutôt un effet dissuasif contraire quant à l'intérêt qu'ils porteront à leur formation et leur éducation (8). Il paraît intéressant, dans ces circonstances, de mesurer l'impact que pourrait avoir la loi de 2002 sur l'évolution future de la jurisprudence. Avec la généralisation de l'autorité parentale conjointe, l'extension démesurée de la « cohabitation » et la rareté des situations exonératoires, tout paraît aller dans le sens d'une « objectivisation » accrue de la responsabilité parentale. A l'inverse, on peut penser que le nouveau rôle conféré aux accords parentaux, la refonte de la délégation et le phénomène des « familles recomposées » seraient des éléments de nature à alléger la responsabilité parentale initiale et à faire preuve de plus de réalisme dans le contentieux de la responsabilité. I - Le renforcement du caractère objectif de la responsabilité parentale après la loi de 2002 3 - On sait que c'est par une évolution très progressive, à partir de la loi de 1970 sur la suppression de la notion de « chef de famille », que le législateur est parvenu à une égalité à peu près totale des conditions d'exercice de l'autorité parentale par le père et la mère en 2002. Ils l'exercent désormais « en commun » quelle que soit l'origine de la filiation légitime ou naturelle (art. 372 c. civ.), exception faite d'une attribution unilatérale, soit en cas de décès ou privation d'exercice pour l'un d'entre eux, soit plus rarement à la suite d'une reconnaissance tardive (plus d'un an après la naissance) ou de déclaration judiciaire de paternité (art. 373-1 et 372-2). Surtout, le divorce ou la séparation devront désormais être « sans influence » sur l'attribution de l'autorité parentale (art. 373-2). De cette égalité, l'article 1384, alinéa 4, tire la conséquence d'une obligation solidaire en cas de dommages causés par les mineurs(9). La suppression de l'exigence d'une vie commune lors d'une double reconnaissance de l'enfant comme celle au cas de divorce, de la notion de « garde », d'abord lors de la réforme de la loi du 22 juillet 1987 des textes sur l'autorité parentale, puis dans l'article 1384, alinéa 4, renforcent l'obligation solidaire de réparation des deux parents. On avait pu en effet s'interroger antérieurement si la reconnaissance d'un droit de garde au profit d'un parent divorcé, l'autre n'exerçant qu'un droit de visite et hébergement, le rendait seul responsable du dommage causé par l'enfant mineur lors de l'exercice de son droit de visite(10). Selon le fondement ancien de la responsabilité parentale, reposant sur le degré supposé de formation et d'influence sur l'enfant, certaines juridictions avaient eu tendance à mettre hors de cause le bénéficiaire du droit de visite(11). L'arrêt de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, Samda, de 1997 a écarté cet argument lié à une certaine signification de la responsabilité(12), celle qui écartait la responsabilité de la mère gardienne, lors d'un vol commis par le fils pendant l'exercice du droit de visite du père coupable de négligence au titre de l'article 1382. Le droit de visite ne fait pas cesser la responsabilité solidaire des deux parents. 4 - C'est en effet toujours dans le sens d'une sévérité accrue que se déclenche le mécanisme de la mise en oeuvre de la responsabilité parentale, quant à son fondement, quant à la mise en oeuvre abstraite et désincarnée de la notion de « cohabitation » de l'enfant et quant à la rareté des causes exonératoires. Dès l'arrêt Fullenwarth, cas dans lequel un enfant de sept ans avait éborgné avec une flèche son camarade, l'Assemblée plénière attachait la responsabilité à la commission de l'acte « cause directe du dommage » écartant le reproche d'une absence de discernement du mineur, qui aurait qualifié de faute cet acte(13). Plus nettement, l'arrêt Bertrand de la deuxième Chambre civile parlait d'une responsabilité de plein droit et non plus « présumée », alors que le très bas âge du mineur n'était plus en cause ; l'accident résultait de la collision entre la bicyclette de Sébastien Bertrand, âgé de douze ans, et un motocycliste. L'offre de preuve des parents, de leur absence de faute de surveillance ou de mauvaise éducation était écartée ; seule pouvait jouer comme exonération la force majeure ou la faute de la victime(14). 5 - On peut considérer que deux notions ont singulièrement et excessivement aggravé la responsabilité parentale. La première, esquissée par l'arrêt Levert du 10 mai 2001(15), a été complétée par les deux décisions de l'Assemblée plénière du 13 décembre 2002 dans des circonstances à peu près

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analogues(16). C'est-à-dire de dommages survenus à la suite de mêlées sportives où toute recherche de la « faute » de l'auteur a paru plus que problématique. D'où l'affirmation que les parents ont à répondre directement de toute action dommageable dont leur enfant a pu être à l'origine, même non fautive. Tout se résume à un problème de causalité adéquate, selon l'avocat général de Gouttes. Le dommage doit avoir été « directement causé » par le fait des mineurs. C'est bien reconnaître qu'il s'agit d'une responsabilité du fait d'autrui, sans prise en compte de l'âge ou du discernement de l'enfant à l'origine du dommage, et sans parler des difficultés bien connues de la « causalité adéquate », la pluralité de participants à la recherche des causes et origine du dommage. La seconde tient à l'extrême rareté des causes exonératoires qu'avait énumérées l'arrêt Bertrand, force majeure ou faute de la victime, interprétant largement l'alinéa 7 de l'article 1384 (père et mère « prouvant qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité »). L'expression de « force majeure » soulève le problème de son irrésistibilité et imprévisibilité qui ne peut être comprise que du côté des parents. Elle a été écartée, nous semble-t-il de façon tout à fait irréaliste, par plusieurs arrêts de cassation, avant de faire place à l'évocation plus restrictive de « cause étrangère » par l'Assemblée plénière dans les arrêts de 2000(17). C'est ainsi qu'un arrêt de la deuxième Chambre civile du 2 décembre 1998 a refusé de voir dans la glissade d'une enfant de quatorze ans ayant accompagné sa mère dans un magasin de cristallerie, et partant dans la chute d'un présentoir ayant entraîné d'importants dégâts, l'événement exonératoire de la responsabilité de sa mère et de son assureur(18). La même attitude négative se dégage des arrêts de la Chambre criminelle : ainsi celui de 2000 où un père divorcé qui avait obtenu en justice la garde de sa fille a été tenu des conséquences des vols à main armée commis par celle-ci alors qu'elle avait quitté son domicile(19). On peut surtout considérer comme d'une sévérité surprenante l'arrêt du 29 octobre 2002 où une mère a été considérée comme devant répondre des vols et violences commis par son fils dans un camping proche du centre de vacances où l'avait inscrit sa mère. Le centre se trouvait à 1 000 km du domicile familial(20) ! C'est dire que cette exception est devenue une « clause de style », sans contenu effectif. La même observation pourrait être faite quant au rôle exonératoire de la faute de la victime. La Cour de cassation, dans le seul arrêt significatif que nous avons pu relever depuis l'affaire Bertrand, s'est contentée de préciser qu'il n'était pas nécessaire que le fait de la victime ait un caractère « volontaire » pour exonérer partiellement les parents de l'auteur du dommage(21). Il s'agissait en l'occurrence des conséquences du heurt de deux enfants dans une cour de collège lors d'une récréation. L'une d'entre elles, âgée de onze ans, était tombée, victime d'une fracture du radius. La Caisse régionale des artisans et commerçants, comme assureur, avait assigné, au nom de la victime, les représentants légaux de l'autre fillette comme responsables du dommage. La cour d'appel considérant que le dommage subi par la victime avait pour « cause directe » l'acte d'inattention de sa camarade courant vers elle, les parents de cette dernière étaient seuls responsables. Mais la Cour de cassation cassait, la victime avait participé à la production du dommage sans caractère fautif. La condition d'un geste intentionnel n'était pas exigée, et valait exonération partielle des auteurs de la fillette à l'origine du dommage. 6 - Une des raisons pour lesquelles une très faible place est ainsi concédée aux clauses exonératoires tient à l'extension démesurée et « dématérialisée » à l'excès de la condition de « cohabitation ». Un enfant mineur est légalement domicilié chez ses parents (art. 108-2 c. civ.) et ne peut, sans leur permission, quitter la « maison familiale » (art. 371-3) comme le rappelle encore le code depuis la réforme de l'autorité parentale. Pour les rédacteurs de l'article 1384, alinéa 4, la présence physique du mineur permettrait seule de manière efficace surveillance et éducation ; les réformes successives, malgré le voeu de la doctrine de voir disparaître cette précision, l'ont maintenue dans l'article 1384, alinéa 4 : le mineur doit « habiter avec eux »(22). Le problème devait se poser assez tôt de savoir si la responsabilité de plein droit pouvait subsister hors du domicile parental et de la présence physique de l'enfant. Dans un premier temps, la jurisprudence s'attachait aux causes psychologiques du départ du mineur. La présomption subsistait si la responsabilité première de l'absence soit d'un des parents, soit de l'enfant était due à la conduite des parents et qu'il n'y avait « pas de cause légitime »(23). Ce critère, après l'arrêt Bertrand, devait être largement dépassé pour tous les dommages causés dans l'enceinte d'établissements scolaires. Dès le 4 juin 1997, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, à propos de la blessure causée par un bâton lancé par un enfant de six

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ans dans une cour de récréation, écartait l'argument de l'absence du père au moment des faits. Il s'agissait en réalité de venir en aide à la victime, aucune faute prouvée n'ayant pu être établie à l'égard de l'institutrice(24). Un arrêt postérieur du 29 mars 2001 précisait que s'agissant d'un enfant blessé à l'oeil par une balle de tennis dans une cour de récréation, la circonstance que cet enfant vivait en régime d'internat n'entraînait aucun transfert de responsabilité à l'établissement, et maintenait la cohabitation parentale(25). La notion, désincarnée, s'identifie avec la sauvegarde des prérogatives parentales. Il en sera de même dans le cas d'un enfant confié à ses grands-parents, ceux-ci étant appelés seuls à contrôler son mode de vie, si, au moment des faits, celui-ci âgé de treize ans avait été élevé par sa grand-mère et le concubin de celle-ci (devenu son mari) depuis l'âge d'un an(26) ! La fiction devient particulièrement épineuse si le mineur a été confié à un service éducatif par le juge des enfants et a commis une grave infraction pénale (en l'occurrence un viol sur sa demi-soeur) au cours d'une visite chez ses parents. Dire que la responsabilité de plein droit pèse sur les parents, en s'appuyant sur le texte de l'article 375-7, leur maintenant leurs attributs « non inconciliables avec l'application de la mesure » ressort, comme l'a montré M. Huyette, de la pure fiction(27). La recherche des responsables solvables, comme nous allons le voir, introduit une contradiction avec la jurisprudence qui s'est dégagée de l'arrêt Blieck de la formation plénière de la Cour de cassation de 1991 et avec la faveur donnée par la nouvelle loi au partage ou au transfert des responsabilités parentales. II - La nécessité d'un retour au réalisme et la sauvegarde de la responsabilité parentale du fait des enfants mineurs 7 - La jurisprudence que nous avons évoquée fait peser un danger permanent et quasi illimité sur les parents qui, dans les conditions de vie actuelles, ont de moins en moins de prise sur la formation de leurs enfants, et sont pourtant engagés par leurs actions non fautives. Il avait déjà trouvé sa limite avec la jurisprudence Blieck dégagée avant la réforme de 2002 à propos d'enfants confiés à des centres éducatifs, et pourrait trouver avec la nouvelle loi d'autres applications. L'arrêt Blieck avait eu trait en effet aux conséquences du dommage causé à la forêt du sieur Blieck par un handicapé mental placé dans un centre spécialisé. A la demande en réparation formulée contre l'Association à l'origine du placement de l'enfant, ceci sans le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, il avait été objecté qu'il n'y avait pas de principe général de responsabilité du fait d'autrui, hors des cas spécifiés par les textes. La formation plénière devait répondre par la formule appelée à un grand succès : à savoir que l'Association était responsable au titre de l'article 1384, alinéa 1er, « ayant accepté la charge d'organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie de l'handicapé »(28). Le principe que le centre socio-éducatif serait responsable de plein droit au titre de l'article 1384, alinéa 1er, devait être repris dans l'affaire dite du Foyer Notre-Dame des Flots, établissement d'éducation de jeunes mineurs, mis en cause après la condamnation pénale de plusieurs pensionnaires pour vol de voitures. L'établissement avait en vain allégué l'absence de fautes de surveillance « eu égard à l'âge avancé des intéressés ». Après la Cour de Rouen, la Cour de cassation condamnait le centre sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er. Il était tenu de réparer les dommages causés à autrui sans qu'il fût besoin de caractériser la faute du gardien(29). La Cour de cassation devait par la suite se monter plus hésitante et limiter le principe au profit de la responsabilité parentale, notamment si le dommage avait été commis lors de l'exercice du droit de visite(30) ou lorsque l'enfant après le week-end était de retour au centre(31). Mais, de la manière la plus claire, la Cour de cassation reformulait en 2002 le principe : « une association chargée par le juge des enfants d'organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d'un mineur, même lorsque celui-ci a habité avec ses parents, demeure responsable de plein droit du fait dommageable commis par ce mineur dès lors qu'aucune décision judiciaire n'a suspendu ou interrompu cette mesure éducative »(32). 8 - Une telle formulation pourrait ne pas être limitée aux seuls cas des mesures d'assistance éducative et apporter pour l'avenir une sérieuse limitation à l'extension démesurée de la responsabilité parentale. Un des aspects les plus importants de la loi nouvelle tient en effet au développement des conventions par lesquelles peuvent être transférés tout ou partie des attributs de l'autorité. Il s'agit certes d'une liberté « encadrée », suivant l'expression de M. Laouenan(33). Une cession ou

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renonciation de droits à tout accord à ce sujet suppose une homologation judiciaire et n'est pas laissée à la libre appréciation des intéressés (art. 373-2-7, 376-1). Mais, « judiciarisée », elle réserve les pouvoirs à ceux qui assument le contrôle et la direction de l'enfant. D'autre part, la refonte des vieilles dispositions sur la « délégation de l'autorité parentale » permettrait par voie judiciaire le transfert ou le partage des responsabilités au profit d'un parent, d'un tiers, d'un proche « digne de confiance » (art. 377-2). Lors des travaux préparatoires, il a été souligné qu'un des buts du nouveau texte était de s'attacher des rapports entre mineurs et beaux-parents dans les « familles reconstituées », alors que jusque-là ces problèmes n'avaient reçu aucune réponse législative. Dans ces conditions, et bien que, comme on le sait, l'exercice de l'autorité parentale survit au divorce et à la séparation, il peut paraître opportun de considérer que le nouveau couple soit tenu solidairement des conséquences dommageables de l'activité de l'enfant mineur à son foyer. Sauf à ménager à la victime la possibilité d'agir sur le fondement de la faute prouvée pour défaut originaire d'éducation contre l'ancien partenaire, c'est le « couple reconstitué » qui assure la charge et la direction de l'enfant(34). Un raisonnement voisin avait déjà conduit à l'application de l'article 1384, alinéa 1er, à propos de la situation d'un mineur dont la mère était décédée et le père incarcéré. Seul le beau-père avait accepté de le prendre en charge comme tuteur après sa désignation par le conseil de famille, d'organiser et contrôler son mode de vie. Il devait donc répondre des conséquences civiles résultant de la blessure mortelle que le mineur, âgé de quatorze ans, avait infligé à son camarade en jouant avec une carabine(35). De la même manière, on pourrait concevoir que des responsabilités parentales puissent être transférées, non seulement en droit, mais aussi en fait à des grands-parents jusque-là écartés de l'application de l'article 1384, alinéa 4, par un singulier respect pour les textes dont témoigne en cette occasion la Cour de cassation(36). Tout dépendrait de l'étendue et de la durée de la prise en charge de l'enfant qui leur est confié. 9 - S'agissant du rôle des conventions dans les rapports entre époux, cette même notion réaliste d'« organisation et contrôle du mode de vie » serait de nature à perturber le principe de la responsabilité solidaire. Un des « aspects phare » de la réforme de 2002 a été, on le sait, dans le but de parfaire l'égalité et de minimiser les conflits qui naissent de la fixation de la résidence habituelle des enfants, le recours, ou plus exactement la consécration légale de formules de « résidence alternée » (sans que la pratique, semble-t-il, confirme les espoirs du législateur). Selon l'article 373-2-9, la résidence de l'enfant pourrait être fixée « à tour de rôle » au domicile de chacun des parents ; à défaut d'avoir été réclamée, ou en cas de désaccord, le juge pourrait l'imposer au moins pour une période provisoire à confirmer (art. 373-2-9, 2e al.). Dès lors, faut-il s'en tenir à la formulation abstraite que le parent chez lequel l'enfant ne résiderait pas aurait à répondre du dommage causé du fait de la présence chez l'autre parent ? L'analogie avec l'ancienne jurisprudence ne s'impose pas en raison parfois de la longue durée des périodes d'alternance et de la concentration de fait des prérogatives parentales entre les mains d'un seul parent. Celui-là seul serait tenu, sauf à faire intervenir l'attitude antérieure de l'autre partenaire dans la production du dommage sur le fondement de l'article 1382(37). 10 - Quelle conclusion peut-on en définitive tirer de la confrontation des principes jurisprudentiels avec le nouveau texte sur l'exercice de l'autorité parentale ? Il est à craindre, comme nous avons essayé de le montrer, que tous les défauts nés de la jurisprudence sur le caractère automatique et abstrait de la responsabilité parentale ne se trouvent systématiquement aggravés, si on ne tire pas parti de l'extension de la jurisprudence Blieck. Nous ne considérerions pas, pour notre part, contradictoire une application de l'article 1384, alinéa 1er, pour les personnes qui devraient répondre des gestes dommageables du mineur hors du domicile parental et en accepteraient les risques, avec un retour à une application plus stricte du texte de l'article 1384, alinéa 4, et des principes dégagés de l'arrêt Bertrand, examen préalable de la conduite anormale, sinon illicite du mineur (la notion de « cause directe du dommage » pourtant se prête encore à maintes interprétations), maintien d'une conception plus réaliste de la cohabitation, possibilité d'invoquer les clauses exonératoires. La Cour de cassation s'est engagée depuis une vingtaine d'années dans une « réfection » de l'article 1384, toujours dans le même sens favorable aux victimes, à leurs assureurs et leurs parents, mais toujours plus dure à l'inverse pour les auteurs de mineurs démunis le plus souvent, dans le contexte actuel, de moyens et de volonté pour prévenir les conséquences de leurs actes. Entre les deux plateaux de la balance, la justice ne maintient pas l'équilibre.

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(1) Citation de L. Dingli, Robespierre, Paris, 2004, Flammarion, p. 35-36. (2) D. Mazeaud, Famille et responsabilité (réflexions sur quelques aspects de l'idéologie de réparation), Etudes P. Catala, Litec, 2001, p. 576. (3) Sur la conception originaire des rédacteurs, cf. P.-D. Ollier, La responsabilité civile des pères et mères, Paris, 1961, LGDJ, préf. J. Carbonnier ; F. Boulanger, Les rapports juridiques entre parents et enfants (perspectives comparatistes et internationales), 1998, Economica, p. 132, n° 125 s. ; P. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz-Action, 2004-2005, n° 7404. (4) Les droits allemand et suisse, selon le § 832 BGB 54 C. Obligation, prévoient une obligation de réparation qui pèse non seulement sur les parents du fait des mineurs, mais également sur ceux qui prennent en charge les personnes atteintes de faiblesse physique ou morale, la preuve contraire et la modération de la réparation étant possibles, Cf. F. Boulanger, cit. n° 121 s. (5) Concl. sur Cass. 2e 19 févr. 1997, JCP 1997, II, 22848, note G. Viney ; D. 1997, Jur. p. 265, note P. Jourdain, chron. p. 297, par C. Radé, Somm. p. 290, obs. D. Mazeaud, et 1998, Somm. p. 49, obs. C. J. Berr ; RTD civ. 1997, p. 648, obs. J. Hauser et p. 668, obs. P. Jourdain ; Dr. famille 1997 (78), n° 97, obs. P. Murat ; Petites affiches, 11 sept. 1997, note M.-C. Lebreton. (6) Cass. ass. plén. 13 déc. 2002 (2 arrêts), D. 2003, Jur. p. 231, note P. Jourdain ; JCP 2003, II, 10010, note A. Hervio-Lelong, et I, 454, n° 46, obs. G. Viney. (7) Les seules réserves sur cette évolution ont émané de M. Groutel parlant de l'enfant « ravalé au rang de simple chose » (Resp. civ. et assur. 2001, n° 18) et de M. Jourdain montrant quelque inquiétude quant à l'augmentation possible des primes d'assurance (note préc., D. 2003, Jur. p. 231). L'avocat général Kessous n'avait pas totalement écarté les objections d'ordre moral en 1997, mais déclarait que « le droit, même quand il est cousin de la morale et de la sociologie, ne peut rien contre les grands mouvements de société ». (8) Cf. contra, G. Viney parlant d'une « aspiration forte en faveur d'un sursaut de l'autorité et de la responsabilité des parents considérée comme la seule barrière efficace contre une violence juvénile en extension », JCP 2002, I, 124, n° 21. (9) Sur la réforme de l'autorité parentale, Cf. F. Boulanger, D. 2002, Chron. p. 1571 ; A. Gouttenoire-Cornut, Dr. famille 2002, n° 11, chron. 24, et surtout L. Gareil, L'exercice de l'autorité parentale, préf. L. Leveneur, 2004, LGDJ. (10) Cf. A. Batteur, La responsabilité parentale en cas de séparation du couple, Petites affiches, 28 avr. 1999, p. 69 (in 95e Congrès des Notaires de France) ; P. Jourdain, obs. préc., RTD civ. 1997, p. 671-672. (11) CA Riom 30 janv. 1992, JCP 1992, IV, 2739 (enfant mettant le feu à de la paille lors de l'hébergement, la mère ne le voyant qu'épisodiquement ne pouvait avoir ni rôle, ni influence déterminante sur son éducation). (12) Samda c/ Macif, Cass. 2e 19 févr. 1997, Bull. civ. II, n° 55 ; RTD civ. 1997, p. 670-671, obs. P. Jourdain ; Dr. fam. 1997, n° 97, comm. P. Murat (automobile volée et dommage commis lors d'un droit de visite exercé chez le père. Condamnation du refus de mettre en cause les deux parents) ; dans le même sens et plus nettement, CA Besançon 11 févr. 1998, JCP 1998, II, 10150, note A. Philippe. (13) Arrêt Fullenwarth, Cass. ass. plén. 9 mai 1984, D. 1984, Jur. p. 525, concl. Cabannes, note P. Jourdain ; JCP 1984, II, 20255, obs. N. Dejean de la Bâtie. (14) Cf. arrêt Bertrand, citation n° 5. (15) D. 2001, Jur. p. 2851, rapport P. Guerder, note O. Tournafond, et 2002, Somm. p. 1315, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2001, p. 601, obs. P. Jourdain. (16) Cass. ass. plén. 13 déc. 2002 (2 arrêts), préc. ; J.-C. Montanier, Les enfants, les parents et la Cour de cassation, Dr. famille, 2003, chron. n° 19, p. 14. (17) Sur le caractère extrêmement réduit de la force majeure, cf. P. Jourdain, obs. sous Cass. 2e civ. 2 déc. 1998, Sté Aube-Cristal, RTD civ. 1999, p. 410, n° 5. (18) Cass. 2e civ. 2 déc. 1998, Sté Aube-Cristal, Bull. civ. II, n° 292 ; P. Jourdain, obs. préc. ; D. 1999, IR p. 29 ; JCP 1999, II, 10165, note M. Josselin-Gall. (19) Cass. crim. 28 juin 2000, Bull. crim., n° 256 ; D. 2001, Somm. p. 2792, obs. L. Dumaine ; JCP 2000, I, 280, obs. G. Viney. (20) Cass. crim. 29 oct. 2002, D. 2003, Jur. p. 2112, note L. Mauger-Vielpeau ; RTD civ. 2003, p. 101, obs. P. Jourdain ; JCP 2002, IV, 3080. (21) Cass. 2e civ. 29 avr. 2004, Bull. civ. II, n° 202 ; D. 2004, IR p. 1429 ; JCP 2004, IV, 2250. (22) Sur la notion de cohabitation, cf. A. Ponseille, Le sort de la condition de cohabitation dans la responsabilité civile des père et mère du fait dommageable de leur enfant mineur, RTD civ. 2003, p. 645 ; la loi belge du 6 juill. 1977 a fait disparaître cette référence. (23) Cass. crim. 13 juill. 1949, D. 1949, Jur. p. 461 ; 21 août 1996, D. 1996, IR p. 235. (24) Cass. 2e civ. 4 juin 1997 (Etat français c/ Aguera), D. 1997, IR p. 159 ; JCP 1997, IV, 1591 ; Petites affiches, 29 oct. 1997, p. 130, note A.-M. Galliou-Scanvion ; dans le même sens, Cass. 2e 20 avr. 2000, Bull. civ. II, n° 66 ; D. 2000, Somm. p. 468, obs. P. Jourdain. (25) Cass. 2e, 29 mars 2001, D. 2002, Somm. p. 1309, et RTD civ. 2001, p. 603, obs. P. Jourdain ; JCP 2002, II, 10071, note S. Prigent ; dans le même sens sur l'absence d'influence du régime d'internat ou semi-internat sur la cohabitation, Cass. crim. 18 mai 2004, RTD civ. 2005, p. 140, obs. P. Jourdain ; D. 2004, IR p. 1937 ; Petites affiches, 3 nov. 2004, p. 7, note J.-B. Laydu. (26) V. Cass. crim. 8 févr. 2005, D. 2005, IR p. 918 ; JCP 2005, I, 149, n° 9, obs. G. Viney, et II, 10049, note M.-F. Steinlé-Feuerbach.

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(27) Cf. note M. Huyette, sous Cass. crim. 25 mars 1998, JCP 1998, II, 10162 (La Ville Maude), « considérer (...) que les parents, souvent en grande difficulté personnelle et familiale, (...) sont en mesure d'exercer normalement leurs prérogatives d'autorité parentale sur des enfants qu'ils ne rencontrent que de temps en temps, (...) ne correspond nullement à la réalité ». (28) Cass. ass. plén. 29 mars 1991, D. 1991, Jur. p. 324, note C. Larroumet, Somm. p. 324, obs. J.-L. Aubert, et chron. p. 157, par G. Viney ; JCP 1991, II, 21673, note J. Ghestin ; RTD civ. 1991, p. 312, obs. J. Hauser. (29) Cass. crim. 26 mars 1997, D. 1997, Jur. p. 496, note P. Jourdain, et 1998, Somm. p. 201, obs. D. Mazeaud ; JCP 1997

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SEANCE 17 LA RESPONSABILITE DELICTUELLE

Responsabilité du fait d’autrui La responsabilité des maîtres et commettants

Exercices 1 / Résoudre le cas pratique 2 / Note de synthèse : « La responsabilité des commettants du fait de leurs préposés ». En quatre pages maximum, rédigez une note de synthèse à partir des documents suivants. Documents :

� Doc 1 : Ass. Plén. 10 juin 1977 : D. 1977. 465, note Larroumet ; JCP 1977. II. 18730, concl. Gulphe ; Defrénois 1977. 1517, obs. Aubert ; RTD civ. 1977. 74, obs. Durry.

� Doc 2 : Civ. 1ère, 13 mars 2001 : Bull. civ. I, n° 72 ; Resp. civ. et assur. 2001, comm. n° 194.

� Doc 3 : C. civ., Art. 1384 � Doc 4 : Com. 24 janvier 2006 : N°03-21.153 � Doc 5 : Crim. 29 novembre 1973 : D. 1974, 194, N. Dauvergne. � Doc 6 : Ass. Plén. 17 juin 1983 : JCP 1983. II. 20120, concl. Sadon, note Chabas ;

RTD civ. 1983. 749, obs. Durry � Doc 7 : Civ. 2ème, 1er avril 1998 : RTD civ. 1998, p. 914, obs. P. Jourdain. � Doc 8 : Civ. 2ème, 19 juin 2003, N° 00-22626 � Doc 9 : Ch. Réun. 9 mars 1960 : D. 1960. 329, note R. Savatier ; JCP 1960. II. 11559,

note Rodière ; Gaz. Pal. 1960. 1. 313. � Doc 10 : Obs. de P. Jourdain à propos de Civ. 2ème, 3 juin 2004 : RTD civ. 2004, p.

742 � Doc 11 : Ph. Brun, La mise en œuvre de la responsabilité des commettants du fait de

leurs préposés, Dr. et pat. 01/2001, n° 89 � Doc 12 : Obs. de P. Jourdain à propos de Civ. 1ère, 13 mars 2001 : RTD civ. 2001, p.

599 � Doc 13 : Ass. Plén. 17 novembre 1985 : D. 1986. 81, note Aubert, JCP 1986. II. 20568,

note G. Viney ; RTD civ. 1986. 128, obs. J. Huet � Doc 14 : Ass. Plén., 14 décembre 2001 : D. 2002. 1230, note J. Julien. � Doc 15 : Civ. 2ème, 5 juillet 1989 : Resp. civ. et assur. 1989, comm. n° 362. � Doc 16 : Civ. 1ère, 9 novembre 2004, N° 01-17168 � Doc 17 : Civ. 4 mai 1937 : DH 1937, 363 ; GAJC 11 Ed., n° 210. � Doc 18 : Ass. plén. 19 mai 1988 : D. 1988. 513, note Larroumet ; Gaz. Pal. 1988. 2.

640, concl. Dorwling-Carter ; Defrénois 1988. 1097, obs. Aubert ; RTD civ. 1989. 89, obs. Jourdain.

� Doc 19 : J. Mouly, Quelle faute pour la responsabilité civile du salarié ?, D. 2006, p. 2756.

� Doc 20 : Ass. Plén. 25 février 2000 : JCP 2000. II. 10295, rapport Kessous, note M. Billiau, I. 241, n° 16, obs. G. Viney ; D. 2000. 673, note Ph. Brun ; RTD civ. 2000.582, obs. Jourdain.

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1/ Cas pratique En janvier 2008, Monsieur DUPONT vient déposer à l'étude de Me TABELLION, notaire,

une somme de 100 000 € en vue d'un placement hypothécaire au taux de 12% remboursable dans les

six mois.

Monsieur TABELLION n'étant pas présent ce jour là, Monsieur DUPONT remet ladite

somme au Clerc principal, qui lui dresse un reçu en bonne et due forme.

Quelques mois plus tard, le Clerc disparaît en emportant les fonds.

Malgré plusieurs lettres en ce sens, Monsieur DUPONT n'a jamais pu obtenir le

remboursement des 100 000 €, ni le paiement des intérêts.

Il envisage d'intenter une action contre son notaire, et vient vous voir. Quelles éventuelles

réserves émettez-vous et que lui conseillez-vous ?

2/ Note de synthèse

� METHODE DE LA NOTE DE SYNTHESE

La note de synthèse est un exercice technique qui devient une épreuve de plus en plus répandue dans les concours que vous serez amenés à présenter (E.N.M., examen d’entrée aux C.R.F.P.A -pré CAPA-, concours administratifs ou notariaux …). Un rappel de méthodologie de cette épreuve peut apparaître nécessaire. Après la présentation de la note de synthèse (I), je vous proposerai quelques conseils d’élaboration de celle-ci (II). I. La note de synthèse Le nom lui-même est expressif, car s’il s’agit bien d’une note (A), celle ci doit être de synthèse (B). A. Une note… Il s’agit d’un exercice qui, a priori, est supposé être adressé à un destinataire (préfet, ministre, avocat ou notaire) qui doit pouvoir connaître rapidement les éléments primordiaux d’un dossier d’une cinquantaine de pages. L’objectif est donc d’assurer à cette personne un gain de temps. Il s’agit, par conséquent d’un travail objectif, neutre, qui exclut tout apport personnel ou toute idée qui ne serait pas présente dans les documents. Il faut en revanche faire preuve d’analyse, en relevant les différents liens qui existent entre les documents, pour relever les idées directrices de la note. C’est pourquoi la note sera présentée sous forme de plan, ne retenant que l’essentiel des idées émises. C’est pourquoi, il faut absolument éviter deux écueils : - se contenter de faire un travail de recopiage ou, pis encore, de paraphrase des documents, rassemblant avec plus ou moins de bonheur des morceaux de documents. Il ne s’agit pas d’un résumé. - à l’inverse, faire une dissertation issue de ses propres connaissances, sur le sujet donné. On

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doit bannir toute idée ou toute volonté de commentaire : il n’y a pas d’avis personnel à donner (ni de “je”, ni de “nous”) et il est fondamental de rester neutre et objectif. B. …de synthèse. C’est un travail qui consiste à synthétiser, c’est à dire, à rassembler l’essentiel de l’ensemble des documents soumis, afin de n’en retenir que l’essentiel. Il faut donc effectuer, pour chaque document, un tri entre ce qui vous apparaît fondamental et ce qui vous semble accessoire. Il faut, par un développement d’environ 4 pages relever les éléments les plus significatifs, les informations essentielles, des documents proposés. II. Conseils de méthode pour l’élaboration de la note. Le délai de 5 heures, qui, de prime abord est long, s’avère en fait relativement court, compte tenu du travail à effectuer. L’organisation du travail se fait autour de 3 étapes. Il est difficile de donner une évaluation de temps pour chaque étape, qui est propre à chacun d’entre vous, je ne saurai trop vous conseiller, en revanche, de vous chronométrer, afin de connaître votre propre division du temps, pour chaque étape. 1° étape : la lecture -Une première lecture générale, rapide, et transversale vous donnera une approche globale du sujet concerné (car il peut arriver que la note n’est pas de titre : « effectuez la note de synthèse des documents suivants »). S’il y a un titre, pensez à l’examiner, il peut apporter des informations sur l’orientation a donner à la lecture de certains documents, pour retenir ou écarter, déjà certaines informations. -Il faut ensuite, par cette première approche relever la nature des documents, leur longueur, leur date… et d’effectuer un premier classement. -La deuxième lecture est la plus fondamentale. On reprend chaque document, selon l’ordre que vous souhaitez : thématique, chronologique, par nature…ou tout simplement par l’ordre proposé. Chaque document est étudié au regard de ce qui vous paraît essentiel, on peut souligner ce qui vous apparaît comme tel, relever, au brouillon ces idées. On doit se rappeler que la note de synthèse est la retranscription d’idées multiples et qu’il faut éviter tout contresens sur l’information contenue dans le document étudié. Il ne faut donc pas déformer l’idée, il vous faut la comprendre, la définir avant de l’exploiter. Lorsque vous relevez sur vos brouillons les idées de chaque document, faites-le avec vos propres termes sous forme personnelle. Il faudra ensuite relever les corrélations entre chaque documents (doc. 3 & 9, par ex. ) Je ne saurai trop vous conseiller de dresser (au brouillon, uniquement au recto de chaque feuille) un tableau comme il suit : Doc n° Ref (nature/auteur/date…) Idées principales Connexité 2° étape : l’élaboration du plan Après avoir relevé les idées et les notions essentielles de chaque document et les avoirs rassemblées au brouillon, il faut les organiser sous forme logique. Il y a une hiérarchie, dans les idées qui devrait vous amener à constater deux ou trois grandes idées directrices qui

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devraient vous permettre l’élaboration du plan. Utilisez des intitulés simples qui doivent rester neutre vis à vis de votre propre opinion, mais qui doivent, néanmoins permettre la détermination d’une problématique, y compris critique, si celle-ci ressort des documents.

La démonstration doit être structurée, subdivisée.

3° étape : la rédaction L’introduction doit être soignée : suivre les étapes qui sont celles de toute introduction : un entame qui amène le sujet, puis l’annonce du thème, sa définition si cela apparaît dans les documents. On énonce la problématique et le plan. On peut, évidemment citer quelques documents dans l’introduction (parfois les plus délicat à intégrer dans le corps du devoir). Le développement doit être structuré, avec des “chapeaux”, et l’emploi de formules de transitions (d’une part, tout d’abord, en premier lieu…). Chaque document doit être cité, entre parenthèses ex : (doc. 1) ou (Cass. civ. 1°, 9 oct. 2001 -doc. 3-). On ne doit pas citer plus de 2 ou 3 documents sur la même idée et éviter des citations à la chaîne (7 ou 8 docts.) Le style, bien évidemment doit être celui d’un devoir de droit, aéré, clair, en français classique et sobre (phrases simples et pas de néologismes). L’idée de synthèse doit toujours vous être à l’esprit.

La conclusion, enfin, n’est pas indispensable.

DOCUMENTS

� Doc 1 : Ass. Plén. 10 juin 1977 La Cour ; - ... Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : - Attendu que, selon les énonciations de l'arrêt attaqué, dans la nuit du samedi 12 au dimanche 13 février 1972, Gaulard, qui était alors chauffeur au service de la Soc. Albagnac et Florange et qui disposait d'une camionnette de livraison pour les besoins de son service, a utilisé ce véhicule pour effectuer, en compagnie de cinq camarades, une promenade au cours de laquelle il a occasionné un grave accident, l'un de ses camarades étant tué et les quatre autres blessés ; - Attendu qu'il est reproché à la cour d'appel d'avoir refusé de mettre les conséquences de cet accident à la charge de la Soc. Albagnac et Florange, alors, selon le pourvoi, que, d'une part, l'interdiction faite à Gaulard par son commettant d'utiliser le véhicule de service à des fins personnelles ne pouvait faire disparaître la

responsabilité du commettant ; que, d'autre part, Gaulard était le conducteur habituel du véhicule, qu'il l'utilisait pour aller au travail et en revenir, qu'il le garait à son domicile et qu'il en avait donc la garde continue ; qu'enfin, même s'il est sorti de ses fonctions en utilisant la camionnette à des fins personnelles, ce sont ses fonctions qui lui ont permis la réalisation du dommage, de telle sorte qu'en statuant comme ils l'ont fait, les juges du fond ont violé les dispositions de l'article 1384-5° du Code civil ; - Mais attendu que le commettant n'est pas responsable du dommage causé par le préposé qui utilise, sans autorisation, à des fins personnelles, le véhicule à lui confié pour l'exercice de ses fonctions ; que, dès lors, la décision de la cour d'appel est légalement justifiée ; - Par ces motifs, rejette..

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� Doc. 2 : Civ. 1ère, 13 mars 2001 Sur le moyen unique :

Attendu que M. X..., gynécologue obstétricien, lié à la Clinique de la Roseraie par un contrat d'exercice libéral, a, le 15 septembre 1994, procédé à une intervention chirurgicale sur une patiente, dans les locaux de cette clinique et avec l'aide d'une panseuse, préposée de ladite clinique, qui était notamment chargée de la manipulation de la table mobile d'opération appartenant à cet établissement de santé et dont un élément a écrasé le pied droit du médecin ; que l'accident étant imputable à des fautes de la panseuse dans la manipulation de ce matériel, M. X... a recherché la responsabilité de la clinique ;

Attendu que cette dernière reproche à l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 19 mars 1999) de l'avoir condamnée à réparer le préjudice subi par le médecin en raison des fautes de la panseuse alors que celle-ci étant placée, au cours de l'intervention chirurgicale, sous la seule autorité du praticien, la

clinique ne pouvait être responsable des dommages causés ;

Mais attendu que s'il est exact qu'en vertu de l'indépendance professionnelle dont il bénéficie dans l'exercice de son art, un médecin répond des fautes commises au préjudice des patients par les personnes qui l'assistent lors d'un acte médical d'investigation ou de soins, alors même que ces personnes seraient les préposées de l'établissement de santé où il exerce, il n'en est pas de même lorsque la victime est le praticien lui-même ; qu'il peut, en ce cas, rechercher la responsabilité de la clinique pour les fautes commises à son préjudice par un préposé de cette dernière ; que le moyen ne peut, dès lors, être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

� Doc. 3 : C. civ., Art. 1384 « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. Toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l'immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s'il est prouvé qu'il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable. Cette disposition ne s'applique pas aux rapports entre propriétaires et locataires, qui demeurent régis par les articles 1733 et 1734 du code civil. Le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux. Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ; Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance. La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère et les artisans ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité. En ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur, à l'instance. »

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� Doc. 4 : Com. 24 janvier 2006

Statuant tant sur le pourvoi principal formé par le comité local des pêches de Granville que sur le pourvoi provoqué, relevé par M. X... et la MAIF : Attendu, selon l'arrêt déféré, que le voilier Aura ayant subi des avaries dans sa collision avec le voilier Passion lors d'une régate en mer, M. X..., son propriétaire, ainsi que la MAIF, son assureur ont assigné M. Y... qui barrait le voilier Passion ainsi que le comité local des pêches de Granville (le comité), pris en qualité de commettant de M. Y..., en indemnisation du préjudice ; que la société Zurich France, aux droits de laquelle se trouve la société Generali Dommages, assureur de la Fédération française de voile dont M. Y... était licencié, est intervenue à l'instance ; que la cour d'appel a accueilli la demande dirigée contre le comité ; Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses première et troisième branches : Attendu que le comité reproche à l'arrêt de l'avoir condamné à payer les sommes de 67 498,08 euros à la MAIF et de 6 559,56 euros à M. X..., outre les intérêts au taux légal à compter du jugement alors, selon le moyen : 1 / qu'aux termes de l'article premier de la loi n° 67-545 du 7 juillet 1967, en cas d'abordage survenu entre navires de mer ou entre navires de mer et bateaux de navigation intérieure, les indemnités dues à raison des dommages causés aux navires, aux choses ou personnes se trouvant à bord sont réglées conformément aux dispositions du chapitre premier de cette loi sans tenir compte des eaux où l'abordage s'est produit ; que l'indemnisation des dommages survenus au sens de la disposition précitée ne peut être fondée que sur la loi n° 67-345 du 7 juillet 1967 à l'exclusion de celles des articles 1382 et suivant du Code civil ; qu'en retenant la responsabilité du comité à la suite de l'abordage survenu le 10 juillet 1999 entre le navire Passion et le navire Aura lors d'une étape sportive reliant Granville à Jersey, sur le fondement des dispositions de l'article 1384, alinéa 5 du Code civil pourtant inapplicables au présent litige, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application, ensemble l'article 1er de la loi n° 67-545 du 7 juillet 1967 ;

2 / que dans ses conclusions récapitulatives d'appel signifiées le 25 août 2003, le comité avait fait valoir que les deux navires "Passion" et "Aura" ne naviguaient pas sur le même bord au moment de l'abordage dès lors qu'il était établi, d'une part, que le navire "Passion" naviguait tribord amure, et, d'autre part, que le navire "Aura" jusqu'alors bâbord amure, venait de manquer une manoeuvre hasardeuse de changement de bord et se trouvait immobilisé sur la trajectoire suivie par le navire "Passion" ; qu'il en résultait que les premiers juges avaient retenu à tort une faute à l'encontre de M. Y... en se fondant sur la règle 12 des règles de course à la voile édictée par la Fédération française de voile, l'abordage ayant eu pour seul fait générateur la faute commise par l'équipage du navire "Aura" durant sa manoeuvre de changement de bord et le fait que celui-ci s'était ainsi trouvé immobilisé dans la trajectoire des navires qui remontaient tribord amure ; qu'en se répondant pas à ce moyen déterminant la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; Mais attendu, d'une part, que le chapitre premier de la loi du 7 juillet 1967, qui s'impose au juge pour l'identification du navire responsable des dommages causés par un abordage, n'exclut pas l'application des règles gouvernant la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés, pour la fixation de la contribution à la dette ; Attendu, d'autre part, que sous couvert de défaut de réponse à conclusions, le moyen ne tend, dans sa seconde branche, qu'à instaurer devant la Cour de cassation une discussion de pur fait ; D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ; Mais sur le même moyen, pris en sa seconde branche Vu l'article 1384, alinéa 5, du Code civil ; Attendu que pour condamner le Comité à payer les sommes de 67 498,08 euros à la MAIF et de 6 559,56 euros à M. X..., outre les intérêts au taux légal à compter du jugement,

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l'arrêt retient que le Comité reconnaît avoir confié, pour la participation à la régate, la direction du voilier Passion à M. Y... et qu'il avait donc le pouvoir de donner à ce dernier des instructions sur la manière de remplir sa mission, ce qui caractérise l'existence d'un lien de subordination ; Attendu qu'en se prononçant par de tels motifs impropres à caractériser l'existence d'un lien de préposition entre le Comité et M. Y..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; Et sur le moyen unique du pourvoi provoqué, pris en sa seconde branche : Vu l'article 625, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que la cassation des dispositions de l'arrêt condamnant le Comité au profit de M. X... et de la MAIF entraîne la cassation par voie de conséquence des dispositions rejetant les demandes de ces derniers à l'encontre de M. Y... ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen unique du pourvoi provoqué : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 novembre 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen

� Doc. 5 : Crim. 29 novembre 1973 REJET DU POURVOI DE LA SOCIETE BOURSE-INTERIM, CONTRE UN ARRET DE LA COUR D'APPEL DE PARIS, 9EME CHAMBRE, EN DATE DU 27 NOVEMBRE 1972, QUI L'A DECLAREE CIVILEMENT RESPONSABLE DE X... (ROBERT), CONDAMNE A TROIS ANS ET SIX MOIS D'EMPRISONNEMENT ET A DES REPARATIONS CIVILES, POUR ABUS DE CONFIANCE, VOL, FALSIFICATION DE CHEQUES, ESCROQUERIE ET TENTATIVE, FALSIFICATION DE DOCUMENTS ADMINISTRATIFS ET USAGE DESDITS DOCUMENTS, USURPATION D'ETAT CIVIL. LA COUR, VU LES MEMOIRES PRODUITS EN DEMANDE ET EN DEFENSE ;

SUR LES DEUX MOYENS DE CASSATION DE LA SOCIETE BOURSE-INTERIM, REUNIS, ET PRIS : LE PREMIER, DE LA VIOLATION DES ARTICLES 408 DU CODE PENAL, 1384, ALINEA 5, DU CODE CIVIL, 593 DU CODE DE PROCEDURE PENALE, DEFAUT DE MOTIFS, MANQUE DE BASE LEGALE, " EN CE QUE L'ARRET INFIRMATIF ATTAQUE A DECLARE UNE ENTREPRISE DE TRAVAIL TEMPORAIRE CIVILEMENT RESPONSABLE DES INFRACTIONS COMMISES AU PREJUDICE DE L'ENTREPRISE UTILISATRICE PAR LE PREPOSE MIS A LA DISPOSITION DE CELLE-CI ;

" AUX MOTIFS QU'AUCUNE CONVENTION ECRITE N'AVAIT ETE SIGNEE ENTRE L'ENTREPRISE DE TRAVAIL TEMPORAIRE ET L'UTILISATEUR ;

QUE L'EMPLOYE ETAIT RESTE SOUS LA DEPENDANCE ECONOMIQUE DE L'ENTREPRISE DE TRAVAIL TEMPORAIRE QUI POUVAIT EXERCER A SON EGARD LE POUVOIR DISCIPLINAIRE ;

QUE LE PREVENU N'ETAIT PAS PLACE SOUS L'AUTORITE DE L'ENTREPRISE UTILISATRICE QUI SE BORNAIT A LUI FOURNIR LES PIECES NECESSAIRES COMME ELLE L'AURAIT FAIT POUR TOUT TECHNICIEN INDEPENDANT ;

" ALORS QUE, D'UNE PART, L'ABSENCE DE CONTRAT ECRIT NE PRIVAIT PAS L'ENTREPRISE DE TRAVAIL TEMPORAIRE DE LA FACULTE D'ETABLIR QUE LE POUVOIR DE DIRECTION ET DE CONTROLE DE L'EMPLOYE AVAIT EFFECTIVEMENT ETE TRANSFERE A L'ENTREPRISE UTILISATRICE ;

" ALORS QUE, D'AUTRE PART, LA SUBORDINATION ECONOMIQUE DE L'EMPLOYE, COMME LE POUVOIR DISCIPLINAIRE DE L'EMPLOYEUR ORIGINAIRE SONT DES ELEMENTS DISTINCTIFS DU CONTRAT DE TRAVAIL, ETRANGERS A LA QUESTION DE L'EXERCICE PAR LE COMMETTANT OCCASIONNEL DU POUVOIR DE DONNER DES ORDRES ;

QUE PAR SUITE ILS NE PERMETTENT PAS D'EXCLURE LEGALEMENT LA RESPONSABILITE DE CE DERNIER DU CHEF DES PREPOSES ;

" ALORS, ENFIN, QUE LA COUR N'A PU LEGALEMENT EXCLURE LA RESPONSABILITE A L'ENTREPRISE VICTIME EN FAISANT ETAT DES CONDITIONS DANS LESQUELLES ELLE UTILISAIT EN FAIT LES SERVICES DU PREPOSE, SANS VERIFIER SI LADITE ENTREPRISE AVAIT OU NON LE DROIT DE FAIRE ACTE D'AUTORITE EN DONNANT A CE DERNIER DES ORDRES OU DES INSTRUCTIONS SUR LA MANIERE DE REMPLIR A TITRE TEMPORAIRE L'EMPLOI QUI LUI AVAIT ETE CONFIE, DROIT QUI ETAIT DE NATURE A LUI CONFERER LA QUALITE DE COMMETTANT OCCASIONNEL " ;

LE SECOND, DE LA VIOLATION DES ARTICLES 408 DU CODE PENAL, 1384, ALINEA 5, DU CODE CIVIL, 593 DU CODE DE PROCEDURE PENALE, DEFAUT DE MOTIFS, MANQUE DE BASE LEGALE, DEFAUT DE REPONSE A CONCLUSIONS, " EN CE

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QUE L'ARRET ATTAQUE A DECLARE UNE ENTREPRISE DE TRAVAIL TEMPORAIRE RESPONSABLE DU DOMMAGE RESULTANT D'UN DETOURNEMENT COMMIS PAR UN PREPOSE, AU PREJUDICE DE L'ENTREPRISE UTILISATRICE ;

" AU MOTIF QUE LE PREVENU N'ETAIT PAS PLACE SOUS L'AUTORITE DE L'ENTREPRISE ;

" ALORS QUE LA COUR N'A PAS REPONDU AUX CONCLUSIONS DANS LESQUELLES LA SOCIETE DE TRAVAIL TEMPORAIRE AVAIT FAIT VALOIR QU'EN TOUT ETAT DE CAUSE, L'ENTREPRISE UTILISATRICE AVAIT COMMIS UNE FAUTE, EN RELATION DE CAUSE A EFFET AVEC LE PREJUDICE, EN NEGLIGEANT D'EXERCER LA SURVEILLANCE DU PREPOSE MIS A SA DISPOSITION " ;

ATTENDU QUE POUR DECLARER LA SOCIETE BOURSE-INTERIM CIVILEMENT RESPONSABLE DE SON PREPOSE X... ROBERT, DONT LES SERVICES AVAIENT ETE MIS A LA DISPOSITION DE LA SOCIETE " TUDOR MAOM " DU 28 JUILLET AU 4 SEPTEMBRE 1970, PENDANT LA DUREE DES CONGES DU COMPTABLE TITULAIRE, L'ARRET ATTAQUE ENONCE QU'IL N'A ETE ENVISAGE AUCUN TRANSFERT DE RESPONSABILITE A UN UTILISATEUR TEMPORAIRE ;

QUE X... EST RESTE SOUS LA DEPENDANCE DE LA SOCIETE BOURSE-INTERIM, ET QU'IL N'ETAIT PAS PLACE SOUS L'AUTORITE DE LA SOCIETE " TUDOR MAOM " DONT L'INTERVENTION SE LIMITAIT A LUI FOURNIR LES PIECES, DOCUMENTS ET RENSEIGNEMENTS NECESSAIRES A SON TRAVAIL ;

QUE LES JUGES DU FOND PRECISENT QUE LA SOCIETE BOURSE-INTERIM, QUI A DELIVRE A X... UN CERTIFICAT DE TRAVAIL ATTESTANT L'AVOIR EMPLOYE EN QUALITE DE COMPTABLE INTERIMAIRE DU 28 JUILLET AU 4 SEPTEMBRE 1970, QUI LUI A PAYE SES APPOINTEMENTS, ET REGLE LES COTISATIONS DE LA SECURITE SOCIALE, N'A PAS CESSE D'ETRE LE COMMETTANT DU PREVENU ;

ATTENDU QU'EN STATUANT AINSI, PAR UNE APPRECIATION SOUVERAINE DE LA SITUATION DE FAIT DANS LAQUELLE SE TROUVAIT X... VIS-A-VIS DES DEUX SOCIETES EN CAUSE, LA COUR D'APPEL, QUI A STATUE SUR TOUS LES CHEFS PEREMPTOIRES DES CONCLUSIONS DONT ELLE ETAIT SAISIE, A JUSTIFIE SA DECISION ;

D'OU IL SUIT QUE LES MOYENS NE SAURAIENT ETRE ACCUEILLIS ; ET ATTENDU QUE L'ARRET EST REGULIER EN LA FORME ; REJETTE LE POURVOI

� Doc. 6 : Ass. Plén. 17 juin 1983 La Cour ; - Sur le moyen unique : - Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation, que M. Daniel Caille, chauffeur-livreur de la Société d'exploitation des transports Chamiot, a détourné une certaine quantité de fuel destinée à un client, dans l'intention de la vider dans la cuve de la maison de son père, située dans une localité voisine ; qu'au lieu de revenir au siège de l'entreprise, il s'est rendu dans cette localité mais que, s'étant aperçu qu'il était suivi, il a réussi à gagner un endroit désert, où il a déversé le fuel dans une carrière, polluant ainsi le réservoir d'eau de la commune de Chignin et des sources alimentant la commune de Saint Jeoire Prieuré ; - Attendu que ces deux communes font grief à la cour d'appel d'avoir décidé que la Société d'exploitation des transports Chamiot n'était pas civilement responsable des dommages causés par M. Caille, son préposé, alors, selon le moyen, que les commettants étant responsables du dommage

causé par leurs préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés, les infractions commises par le préposé à l'occasion et pendant le temps du travail et dans l'exercice de sa fonction engagent la responsabilité du commettant ; - Mais attendu que les dispositions de l'article 1384, alinéa 5 du Code civil ne s'appliquent pas au commettant en cas de dommages causés par le préposé qui, agissant, sans autorisation, à des fins étrangères à ses attributions, s'est placé hors des fonctions auxquelles il était employé ; - Que, dès lors, après avoir constaté que la cause des dommages résidait dans un acte délibéré, étranger à ses fonctions, accompli par M. Caille à des fins personnelles, la cour d'appel a décidé à bon droit que la responsabilité de la Société d'exploitation des transports Chamiot n'était pas engagée ; - D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; - Par ces motifs, rejette...

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� Doc. 7 : Civ. 2ème, 1er avril 1998 Sur le pourvoi formé par : 1°/ M. Jean-Marie Cogniaux, demeurant 731, quartier Albert Camus, 77190 Dammarie-les-Lys, 2°/ la Mutuelle assurance artisanale de France (MAAF), dont le siège est 79036 Niort Cédex, en cassation d'un arrêt rendu le 20 mai 1996 par la cour d'appel de Douai (Assemblée des chambres), au profit : 1°/ de M. Pierre Joly, demeurant 32, rue Dieu, 91480 Varennes Jarcy, 2°/ de M. Bruno Joly, demeurant 32, rue Dieu, 91480 Varennes Jarcy, 3°/ du Groupe des assurances mutuelles de France, dont le siège est 7, avenue Marcel Proust, 28032 Chartres, 4°/ de M. Christian Bony, demeurant 25, rue des 2 Jumeaux, 77410 Charmentray, 5°/ du Fonds de garantie automobile (FGA), dont le siège est 64, rue Defrance, 94300 Vincennes, 6°/ de Mme Jacqueline Roux, demeurant 5, avenue des Palmes, 89000 Auxerre, 7°/ de Mme Agnès Roux, demeurant Parc de la Noue, 93420 Villepinte, 8°/ de Mme Margarette Roux, épouse Rosin, demeurant 2, Cité Sainte-Anne, 77120 Coulommiers, 9°/ de Mme Marie-Josée Roux, épouse Scheffer, demeurant Parc de la Noue, 93420 Villepinte, 10°/ de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Seine-et-Marne, dont le siège est 77950 Rubelles, 11°/ de M. Michel Bony, demeurant 572, avenue Mendès France, 77176 Savigny-le-Temple, défendeurs à la cassation ; Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; LA COUR, en l'audience publique du 4 mars 1998, où étaient présents : M. Zakine, président, M. Pierre, conseiller rapporteur, MM. Chevreau, Guerder, Dorly, Mme Solange Gautier, M. de Givry, conseillers, M. Bonnet, conseiller référendaire, M. Kessous, avocat général, Mlle Laumône, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. Pierre, conseiller, les observations de Me Garaud, avocat de M. Cogniaux et de la MAAF, de Me Parmentier, avocat des consorts Joly et du Groupe des

assurances mutuelles de France, les conclusions de M. Kessous, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Donne acte à M. Cogniaux et à la MAAF de ce qu'ils se sont désistés de leur pourvoi en tant que dirigé contre le FGA, Mmes Jacqueline, Agnès, Margarette, Marie-Josée Roux, M. Bony et la CPAM de Seine-et-Marne ; Sur le moyen unique pris en ses deux premières branches : Vu l'article 1384, alinéas 1 et 5, du Code civil : Atendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation, qu'à la suite d'une collision dont M. Lauthe a été déclaré responsable, la fourgonnette de M. Cogniaux, assuré à la MAAF, confiée par lui à M. Jean-Claude Bony et conduite par M. Christian Bony, a causé des dégâts matériel à la voiture de M. Pierre Joly, assuré au Groupe des assurances mutuelles de France (GAMF) ; Attendu que, pour condamner solidairement M. Cogniaux, la MAAF et M. Christian Bony à réparer ce préjudice, l'arrêt énonce que M. Cogniaux, qui ne démontre pas que M. Jean-Claude Bony aurait agi au mépris d'une interdiction formelle d'utilisation de sa fourgonnette et aurait abusé de ses fonctions, est tenu envers M. Pierre Joly "en tant que commettant de M. Jean-Claude Bony" qui, lui-même n'avait pas perdu la garde du véhicule en en confiant le volant à son frère Christian ; Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a considéré que M. Jean-Claude Bony était à la fois préposé de M. Cogniaux et gardien de la fourgonnette, alors que ces deux qualités sont incompatibles, a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné M. Coignaux et la MAAF à payer à M. Pierre Joly la somme de 39 500 francs en réparation de son préjudice matériel et en ce qu'il les a condamnés à garantir à concurrence de moitié les consorts Joly et le GAMF de toutes les condamnations qui ont été ou seront prononcées à leur encontre au profit des consorts Roux-Bony, l'arrêt rendu le 20 mai 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Douai; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;

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� Doc. 8 : Civ. 2ème, 19 juin 2003

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Luc X... , agent général de la compagnie Préservatrice foncière assurances (PFA), a, en procédant à un examen approfondi de ses dossiers, constaté que sa salariée, Mme Y... , avait commis des détournements au préjudice de cette compagnie ; que celle-ci a assigné l'employeur en responsabilité sur le fondement de l'article 1384, alinéa 5, du Code civil ainsi qu'en paiement de diverses sommes à la suite de la démission de l'agent ;

qu'elle a également assigné l'assureur de la responsabilité professionnelle de celui-ci, la Caisse de garantie des professionnels de l'assurance (CGPA), Mme Y... et M. Roger X... , père de M. Luc X... , qui était caution de son fils à concurrence de 250 000 francs ;

que les compagnies Assurances générales de France IART et Assurances générales de France Vie (AGF) sont venues aux droits de la compagnie PFA ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 1384, alinéa 5, du Code civil ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que le commettant ne s'exonère de sa responsabilité que si son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ;

Attendu que pour débouter les AGF de leurs demandes contre M. Luc X... , pris en sa qualité de commettant de Mme Y... , l'arrêt retient que celle-ci a commis ses détournements pendant son temps de travail et dans les locaux de son employeur, mais qu'elle les a réalisés en utilisant les moyens informatiques mis à la disposition de l'agence par la compagnie PFA et non par M. X... personnellement, qu'elle traitait les sinistres inférieurs à 10 000 francs directement avec et pour la compagnie, que le logiciel fourni par PFA ne permettait pas à M. X... de contrôler les activités de son employée et qu'en définitive ce sont les carences du système informatique qui ont permis à Mme Y... d'agir à l'insu de son employeur, hors des fonctions qui lui étaient assignées pour déclarer de faux sinistres, payer ses dettes personnelles et s'enrichir par le biais d'escroqueries ; que ces

circonstances permettent à M. X... de s'exonérer de la présomption que fait peser sur lui l'article 1384, alinéa 5, du Code civil ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que Mme Y... , préposée de M. X... , avait agi au temps et au lieu de son travail, à l'occasion des fonctions auxquelles elle était employée et avec le matériel mis à sa disposition, ce qui excluait qu'elle ait commis ses détournements en dehors de ses fonctions, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Sur le second moyen :

Vu l'article 1226 du Code civil ;

Attendu qu'aux termes de ce texte la clause pénale est celle par laquelle une personne, pour assurer l'exécution d'une convention, s'engage à quelque chose en cas d'inexécution ;

Attendu que pour condamner solidairement MM. Luc et Roger X... à payer aux AGF, après compensation, un certain solde, l'arrêt retient que lors de son entrée en fonction M. Luc X... a signé un engagement de rembourser les avances sur commissions versées par la compagnie PFA et destinées à lui assurer un certain revenu, mais que celles accordées pendant sa première année d'activité et 50 % de celles accordées pendant sa deuxième année lui resteraient acquises si son mandat ne prenait pas fin avant cinq ans ; que l'absence de remise en cas de cessation de fonction avant l'expiration de ce délai constitue une clause pénale susceptible de modération ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'obligation de M. X... consistait seulement à rembourser des avances sans pénalité, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du premier moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qui concerne la mise hors de cause de Mme Z... , épouse A... , et le Crédit lyonnais, l'arrêt rendu le 18 octobre 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles

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se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;

� Doc. 9 : Ch. Réun. 9 mars 1960 La Cour ; - Statuant toutes chambres réunies ; - Sur les deux moyens réunis : - Attendu que des motifs de l'arrêt confirmatif attaqué (Amiens, 15 janv. 1958), il résulte qu'Abos, ouvrier agricole au service d'Huret, profitant de l'absence de son patron, s'empara de la camionnette automobile appartenant à celui-ci pour se rendre dans une localité voisine où, après avoir perdu le contrôle du véhicule, il enfonça la devanture du débit exploité par les époux Biehler ; que la dame Biehler fut blessée ; - Attendu que le pourvoi reproche à la cour d'appel d'avoir, sans rechercher si un lien de connexité permettant de rattacher le délit de blessures involontaires, commis par Abos, aux fonctions exercées par ce dernier, ne découlait pas des facilités que lui procurait son emploi, refusé de déclarer l'intimé civilement responsable du dommage causé par son préposé ; - Mais attendu que les juges du fond, observant que la conduite de

la camionnette ayant produit le dommage ne rentrait pas dans les attributions d'Abos, lequel, non titulaire d'un permis de conduire, avait utilisé ledit véhicule à des fins personnelles, au mépris des ordres et à l'insu de son commettant, la responsabilité de celui-ci ne pouvait résulter du seul fait qu'Abos avait accès, en raison de son emploi, au hangar où se trouvait l'instrument du dommage ; que de ces constatations et énonciations qui impliquent qu'Abos avait accompli un acte indépendant du rapport de préposition qui l'unissait à son employeur, la cour d'appel a pu déduire qu'Huret n'était pas civilement responsable des agissements de son préposé ; qu'elle a ainsi, sans encourir les reproches du pourvoi, donné une base légale à sa décision ; - Par ces motifs, rejette...

� Doc. 10 : Obs. de P. Jourdain à propos de Civ. 2ème, 3 juin 2004 Depuis l'arrêt d'Assemblée plénière du 19 mai 1988 (RTD civ. 1988.89) qui a défini ce que l'on nomme encore souvent « l'abus de fonctions » du préposé en subordonnant l'exonération du commettant à la triple condition d'un acte accompli hors des fonctions, sans autorisation et à des fins étrangères aux attributions, la jurisprudence de la Cour de cassation est enfin unifiée et fixée. Il en résulte une impression de sévérité à l'égard du commettant, seulement atténuée par l'irrecevabilité des demandes des victimes qui ne pouvaient légitimement ignorer que le préposé agissait en dehors de ses fonctions. En particulier, la Cour de cassation rappelle régulièrement que l'acte du préposé doit être non seulement étranger ou même « contraire » (Crim. 16 févr. 1999, RTD civ. 1999.409) à la finalité des fonctions - c'est la condition d'acte « étranger aux attributions » -, mais encore accompli en dehors du cadre des fonctions. Concernant la condition d'agissement hors fonction, qui occulte souvent les autres parce qu'elle fait défaut lorsque les autres sont remplies, elle s'appréciait semble-t-il à travers divers indices objectifs tels que le temps et le lieu de l'action et les moyens procurés au préposé par ses fonctions, ainsi qu'en témoignent encore des arrêts récents retenant la responsabilité du commettant, bien que le préposé ait manifestement agi à des fins étrangères à ses attributions, au motif qu'il se trouvait dans l'exercice de ses fonctions eu égard à ces indices (Crim. 19 févr. 2003, Bull. crim. n° 43 ; Resp. civ. et assur. 2003.comm.129 ; Civ. 2e, 19 juin 2003, Bull. civ. II, n° 202 ; Resp. civ. et assur. 2003.comm.223). Pourtant l'arrêt de la deuxième chambre civile du 3 juin 2004 révèle les limites de cette conception étroite de l'agissement hors fonction et pourrait être compris comme un assouplissement de cette condition de l'exonération du commettant. Un transporteur avait immobilisé sa fourgonnette devant un bureau de poste, moteur arrêté mais marche arrière engagée, pour y prendre livraison de colis et de courrier. Alors qu'il se trouvait derrière le véhicule, l'employé d'une entreprise, qui était occupé à une même tâche pour le compte de son

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employeur, s'introduisit par curiosité dans la cabine de la fourgonnette et mit le moteur en marche, ce qui provoqua un brusque recul du véhicule. Grièvement blessé, le transporteur sollicita réparation auprès de divers défendeurs dont le préposé, qui appelèrent en cause l'employeur de celui-ci et son assureur. Une cour d'appel déclara l'employeur civilement responsable, en tant que commettant, du dommage causé à la victime. Les juges relevèrent que, si le préposé avait bien agi sans autorisation du commettant et à des fins personnelles - satisfaire sa curiosité -, l'acte fautif avait été réalisé dans l'exercice de ses fonctions et dans l'exécution de sa prestation de salarié. Pour asseoir cette appréciation, l'arrêt relevait que la présence du préposé sur les lieux n'était due qu'à l'accomplissement de sa mission professionnelle commandée par l'employeur par l'usage qu'il avait d'un véhicule appartenant à celui-ci, et que sa rencontre avec la victime n'était due, au moment des faits, qu'à la nécessité pour lui d'accomplir son travail salarié pour le compte de son employeur. L'arrêt est cependant cassé. Pour la Haute juridiction il résultait des constatations de la cour d'appel que le préposé était devenu, « par une initiative personnelle sans rapport avec sa mission, gardien et conducteur occasionnel du véhicule d'un tiers au moyen duquel il avait commis l'acte dommageable, et qu'il avait ainsi agi en dehors de ses fonctions, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ». Puisque l'absence d'autorisation du commettant et le caractère étranger aux attributions du fait dommageable du préposé étaient relevés par les juges du fond, c'est donc essentiellement la négation par ceux-ci de la condition d'acte accompli « en dehors de ses fonctions » que l'arrêt condamne. Les juges du fait avaient pourtant motivé soigneusement leur décision en montrant que cet acte s'inscrivait dans l'activité professionnelle du préposé et avait été accompli à l'occasion et dans le cadre de ses fonctions. Mais la Cour de cassation se montre ici plus exigeante : pour être accompli dans les fonctions, le fait dommageable ne doit pas résulter d'une « initiative personnelle sans rapport avec sa mission ». En d'autres termes, l'acte « hors fonctions » est celui qui en est détachable, qui n'est nullement impliqué par les fonctions et est indépendant et celles-ci en ce sens qu'il pourrait être identiquement accompli par le préposé en dehors de sa mission ou par toute autre personne. Ce n'est plus le rattachement objectif aux fonctions à l'aide des indices tirés du temps, du lieu et des instruments de travail qui est décisif, mais le lien entre la « mission » et l'acte dommageable. Ce faisant, la Cour de cassation exprime son désir d'assouplir et d'élargir la notion d'acte « hors fonctions » conditionnant l'exonération du commettant (V. déjà, Com. 5 nov. 2002, Bull. civ. V, n° 157), car on pressent que bien des actes accomplis dans le cadre ou à l'occasion des fonctions en seront détachables. Cette extension donnée à la notion d'agissement hors fonction rapproche cette condition de celle, plus subjective, d'acte accompli à des fins étrangères aux attributions. Bien souvent, l'acte accompli à de telles fins, et notamment à des fins personnelles, sera en effet détachable des fonctions (ou de la mission), comme l'était sans doute en l'espèce la faute commise par le préposé. Mais, même plus largement entendue, la condition d'agissement hors fonction devrait conserver une certaine autonomie et exclure toute exonération du commettant à raison de fautes des préposés qui ne peuvent être commises que dans l'exercice des fonctions. Ainsi, par exemple, les détournements perpétrés par des employés de banque ou de compagnie d'assurances, qui donnent lieu à un contentieux abondant, ou encore les actes de contrebande commis par des chauffeurs routiers, engageront toujours la responsabilité des commettants, même s'ils sont étrangers aux attributions, au moins s'ils impliquent l'exercice des fonctions et l'utilisation des moyens qu'elles procurent. En revanche, pourront être considérés comme des « abus de fonctions » exonératoires, les fautes commises par un préposé même pendant ou à l'occasion du travail, dès lors qu'elles sont indépendantes des actes normaux d'exécution de la tâche qu'il a pour mission d'accomplir et qu'il n'a pas été fait usage des instruments de travail. On comprend la volonté de la Haute juridiction de faire preuve d'un peu moins de rigueur à l'égard du commettant et de l'exonérer de responsabilité pour les faits dommageables de ses préposés qui sont sans rapport avec les fonctions. Et on l'en approuvera car il convient d'assigner des limites raisonnables à la garantie d'indemnisation qui résulte de la mise en oeuvre de la responsabilité des commettants. Or rendre le commettant responsable des actes du préposé totalement étrangers aux

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fonctions est tout aussi injustifiable que de rechercher sa responsabilité pour les actes de la vie privée du préposé. � Doc. 11 : Ph. Brun, La mise en œuvre de la responsabilité des commettants du fait de

leurs préposés, Dr. et pat. 01/2001, n° 89

Il s’agit, dans cette étude, d’envisager les possibilités qui s’offrent à la victime de l’acte dommageable d’un préposé. Il ne faut pas perdre de vue que la responsabilité édictée à l’article 1384, alinéa 5, du Code civil est une responsabilité du fait d’autrui : le responsable désigné par le législateur n’est pas l’auteur du fait dommageable. Faut-il pour autant en déduire que ce dernier bénéficie d’une véritable immunité ?

Une réponse négative s’impose en principe : comme le souligne généralement la doctrine, il y a, en

la matière, « superposition et non substitution de responsabilité » (127) . En réalité, l’affirmation vaut surtout au stade de l’obligation à la dette de responsabilité, puisque la

victime dispose,traditionnellement, d’un choix entre plusieurs types d’action, encore que la jurisprudence récente tende à restreindre considérablement les possibilités de mettre en cause personnellement le préposé. Quant aux possibilités de recours, elles sont très limitées, et peut-être même vouées à disparaître. I - LES DIFFÉRENTS TYPES D’ACTION OFFERTS À LA VICT IME

Une option à trois branches s’offre en principe à la victime. Naturellement, elle peut décider d’agir contre le commettant seul : il ne sera alors pas nécessaire, en principe, d’appeler en la cause le préposé, le commettant pouvant, en revanche, tenter de faire valoir, le cas échéant, les causes d’exonération que le préposé aurait pu personnellement invoquer. La victime peut également prendre le parti de rechercher la responsabilité personnelle du préposé : mais la jurisprudence, dans son dernier état, paraît vouloir restreindre cette possibilité. Enfin, la victime peut choisir de mettre en cause à la fois le commettant et le préposé. A - Action de la victime contre le commettant seul 1?/ Mise en cause facultative du préposé sauf lorsque l’action en réparation est intentée devant le juge pénal

La victime peut choisir d’agir contre le commettant seul, la jurisprudence considérant alors que la mise en cause du préposé n’est pas nécessaire (128) . Il faut d’ailleurs observer que la jurisprudence n’exige même pas que le préposé fautif ait été identifié parmi le personnel du commettant pour que ce dernier puisse être condamné (129) .

Ainsi qu’on l’a observé en doctrine, ce genre de solution paraît difficilement conciliable avec l’affirmation selon laquelle la responsabilité du commettant serait une responsabilité indirecte : si tel était véritablement le cas, en effet, on devrait considérer que la responsabilité du commettant suppose préalablement constatée celle du préposé (130) .

Quoi qu’il en soit, cette solution est cependant écartée dans un cas : en effet, lorsque l’action en réparation est intentée devant les juridictions répressives, la condamnation du commettant en tant que civilement responsable suppose que la culpabilité du préposé ait été établie. Autrement dit, il faut que le préposé soit poursuivi pour que l’action civile puisse être menée contre le commettant (131) .

Toutefois, la mise en cause du préposé n’est nécessaire dans cette hypothèse qu’au plan pénal : aussi bien le juge pénal doit-il statuer sur l’action civile exercée contre le commettant même si aucune demande de réparation n’a été faite contre le préposé (132) . 2?/ Le commettant peut-il se prévaloir des causes d’exonération inhérentes à la responsabilité du préposé ?

Le commettant pouvant parfaitement être le seul défendeur à l’action, on doit se demander s’il ne pourrait pas invoquer, outre la cause d’exonération spéciale qu’est l’abus de fonctions, les causes

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d’exonération dont le préposé pourrait normalement se prévaloir si sa responsabilité personnelle était recherchée.

Certains auteurs considèrent ainsi que le commettant peut s’exonérer par la preuve de la force majeure ou par celle du fait d’un tiers ou de la faute de la victime (133) .

En réalité, une telle exonération paraît bien hypothétique, quand elle n’est pas purement et simplement injustifiable. Il faut d’abord insister sur le fait que l’acte dommageable du préposé ne saurait en aucun cas être invoqué par le commettant comme une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure. Il serait pour le moins paradoxal, en effet, qu’un fait générateur de responsabilité puisse tenir lieu de cause d’exonération (134) .

Quant à l’effet exonératoire d’un fait externe au préposé, tel que la faute de la victime ou le fait d’un tiers, il est théoriquement peu contestable mais pratiquement inopérant dans la plupart des cas : il ne faut pas perdre de vue, en effet, que l’on se situe ici à un stade du procès où la victime a, par hypothèse, démontré que le dommage dont elle demande réparation est dû à une faute du préposé. Si cette preuve a été faite, on voit mal comment le commettant pourrait encore utilement démontrer que le dommage a une autre cause, à moins d’admettre - mais ces situations ne peuvent être que marginales - que le commettant puisse détruire l’apparence de preuve fournie par la victime. L’exonération du commettant à raison d’un cas de force majeure semble donc aussi peu vraisemblable que celle des père et mère en application de la jurisprudence Bertrand. 3?/ Possibilité pour la victime de rechercher la responsabilité du commettant en tant que gardien de la chose maniée par le préposé

La victime va, en principe, fonder son action sur les dispositions de l’article 1384, alinéa 5, du Code civil. Toutefois, elle peut également trouver avantage à se placer sur le terrain de la responsabilité du fait des choses. Lorsque le préposé a causé le dommage par l’intermédiaire d’une chose, la victime ne peut, en principe, rechercher la responsabilité du commettant sur le fondement de l’article 1384, alinéa 5. Il faut rappeler, en effet, que la jurisprudence exige, pour que ce texte trouve à s’appliquer, que l’acte dommageable du préposé consiste en une faute. Considérant, à tort ou à raison, que les qualités de gardien et de préposé sont incompatibles, elle se refuse à admettre le cumul des alinéas 1er et 5 de l’article 1384 (135) .

Dès lors, la seule solution pour la victime est d’invoquer la responsabilité du commettant, non pas ès qualité, mais en tant que gardien de la chose placée entre les mains du préposé. Une telle option n’est pas dénuée d’avantages : on sait, en effet, que le fait actif de la chose est parfois présumé en application de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil. Il est vrai que d’un autre côté, le gardien peut s’exonérer par la preuve de la cause étrangère (136) . B - Action de la victime contre le préposé seul 1?/ Position traditionnelle de la jurisprudence : admission sans restrictions de l’action de la victime contre le préposé

Quant à sa finalité, le dispositif de l’article 1384, alinéa 5, du Code civil est unanimement interprété, tant en doctrine qu’en jurisprudence, comme destiné à « protéger les tiers contre l’insolvabilité de l’auteur du préjudice en leur permettant de recourir contre son employeur » (137) .

Dans ces conditions, on est porté à considérer que la responsabilité du commettant, édictée au seul profit des victimes et non au bénéfice du préposé, n’a nullement vocation à faire obstacle à la responsabilité personnelle du préposé (138) .

C’est pourquoi la jurisprudence décide traditionnellement que la victime peut choisir de rechercher la responsabilité pour faute du préposé, sans que cette faute ait à revêtir un caractère de particulière gravité (139) .

Par ailleurs, lorsque le préposé est assigné, il n’est pas admis à appeler le commettant en garantie, ni non plus, si les deux ont été assignés, à critiquer la décision qui a mis le commettant hors de cause (140)

C’est ce qui explique également que le préposé qui a été condamné ne dispose, en principe, d’aucun recours contre le commettant.

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2?/ Remise en cause de la position traditionnelle. Première étape : l’arrêt « Société des parfums Rochas »

La solution classique, fondée sur l’idée que la responsabilité du commettant a une fonction de garantie pour les victimes, et qu’elle n’évince donc nullement celle éventuellement exclusive du préposé, a paru être remise en cause par la Chambre commerciale de la Cour de cassation en 1993, par l’arrêt « Société des parfums Rochas », encore que la portée de cette décision ait donné lieu à des interprétations très diverses (141) .

En l’espèce, la société des parfums Rochas se plaignait d’avoir été victime d’actes de concurrence déloyale et d’utilisation illicite de sa marque, qu’elle imputait tant à la société Valières, sa concurrente, qu’à deux des préposés de cette société, un VRP et le directeur d’une antenne régionale, qui, selon elle, avaient concouru à l’exécution des actes illicites. La société commettant et les préposés étaient ici cumulativement mis en cause, mais la solution retenue rejaillit inéluctablement sur l’hypothèse dans laquelle la responsabilité du préposé seul est recherchée (voir aussi infra pour l’arrêt du 25 février 2000). Les juges du fond avaient accueilli l’action exercée contre la société, mais rejeté celles qui étaient dirigées contre les deux préposés. La société des parfums Rochas forma donc un pourvoi en s’appuyant sur la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation en la matière. Mais son pourvoi fut rejeté, au motif que la cour d’appel, qui avait relevé que les salariés avaient agi dans le cadre de la mission qui leur était impartie par leur employeur et qu’il n’était pas établi qu’ils en avaient outrepassé les limites, avait pu en déduire qu’aucune faute personnelle susceptible d’engager leur responsabilité n’était caractérisée à l’encontre de ces préposés.

Cette décision a été diversement interprétée. Selon certains auteurs, elle marquait incontestablement un revirement, la responsabilité du préposé ne pouvant désormais s’envisager qu’en cas de faute personnelle, détachable des fonctions. La Chambre commerciale se serait ainsi inspirée des solutions du droit administratif, et spécialement de la célèbre jurisprudence Pelletier du 30 juillet 1873, par laquelle le Tribunal des conflits avait consacré la distinction de la faute de service, engageant la seule responsabilité de l’administration, et de la faute personnelle détachable du service, permettant, quant à elle, de mettre en jeu la responsabilité personnelle de l’agent public (142) .

Mais d’autres auteurs ont contesté cette analyse, soulignant que dans l’espèce qui a donné lieu à l’arrêt du 12 octobre 1993, le problème n’avait pas été réglé sur le fondement de l’article 1384, alinéa 5, du Code civil, la société dont la responsabilité était recherchée ayant d’ailleurs incontestablement commis une faute (143) .

La portée de l’arrêt du 12 octobre 1993 était donc très incertaine. En réalité, à l’arrière-plan de ces querelles d’interprétation, transparaissent des divergences de vue sur l’opportunité d’opérer un revirement sur cette question. Il ne faut pas oublier, en effet, qu’abandonner la solution traditionnelle implique du même coup de reconsidérer toute la philosophie de la responsabilité des commettants : si l’on admet que seule une faute personnelle du préposé, distincte de ses fonctions, engage sa responsabilité, alors on cesse de concevoir l’article 1384, alinéa 5, du Code civil comme une garantie mise à la charge du commettant au seul profit des tiers, et on doit désormais présenter cette disposition comme « un moyen d’imputer à l’entreprise la charge des risques qu’elle crée par son activité » (144) .

Aussi et surtout, il faut souligner qu’ainsi envisagée, la responsabilité du commettant cesse de profiter seulement aux victimes : le préposé, qui se voit reconnaître une sorte d’immunité, du point de vue de la responsabilité civile, bénéficie aussi de la garantie du commettant.

L’enjeu étant de taille, il importait que la jurisprudence tranche clairement cette question. 3?/ Remise en cause de la position traditionnelle. Deuxième étape : hésitations jurisprudentielles

L’arrêt du 12 octobre 1993, rendu dans une espèce particulière, qui plus est par la Chambre commerciale, n’était pas suffisamment probant pour que l’on puisse conclure de manière certaine à l’abandon de la responsabilité du préposé.

Si d’autres arrêts étaient parfois cités dans le même sens, ils n’étaient en réalité guère significatifs, quand ils ne paraissaient pas purement et simplement remettre en cause la jurisprudence de la Chambre commerciale (145) . La deuxième chambre civile ne paraissait pas disposée, en tout cas, à remettre en cause sa jurisprudence traditionnelle (146)

Une relative confusion s’était donc instaurée en la matière, et il paraissait utile que la Cour de cassation y mette un terme. Cela était d’autant plus nécessaire, avait-on observé, que la position de la

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Chambre commerciale de la Cour de cassation était difficilement conciliable avec celle de la Chambre sociale (147) .

Depuis la fin des années cinquante, en effet, la Chambre sociale de la Cour de cassation décide que la responsabilité contractuelle du salarié à l’égard de son employeur est subordonnée à la preuve d’une faute lourde équipollente au dol (148) 4?/ Remise en cause de la position traditionnelle. Troisième étape : l’arrêt de l’Assemblée plénière du 25 février 2000

Bien que l’on puisse discuter du point de savoir s’il existait véritablement une divergence de position entre les différentes chambres de la Cour de cassation (la Chambre commerciale, la Chambre sociale et les Chambres civiles et criminelle n’ayant peut-être pas eu à se prononcer à proprement parler sur les mêmes questions), l’intervention de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (149) a le mérite de clarifier la situation.

En l’espèce, des propriétaires de rizières en Camargue avaient chargé une société spécialisée d’effectuer des épandages d’herbicides sur leurs parcelles. Ces opérations, exécutées au moyen d’un hélicoptère par un préposé de la société, un jour de grand vent, affectèrent une propriété voisine et occasionnèrent des dommages. La victime demanda réparation non seulement aux exploitants des rizières, mais aussi à la société chargée de l’épandage et à son préposé. Ladite société ayant été mise en liquidation judiciaire, et la victime n’ayant pas produit à la procédure collective, la question de la responsabilité du préposé se posait donc avec une acuité toute particulière.

Les juges du fond, peut-être sensibles à cette considération, avaient condamné le préposé, en relevant qu’en raison des conditions climatiques, et notamment de la vitesse des vents ce jour-là, il aurait dû s’abstenir de voler et de procéder aux épandages. Le préposé forma un pourvoi, clairement fondé sur la jurisprudence Société des parfums Rochas, en arguant qu’il avait agi dans le cadre de la mission impartie par son employeur, sans en outrepasser les limites, et sans qu’une faute personnelle susceptible d’engager sa responsabilité puisse lui être reprochée.

Se conformant aux conclusions de l’avocat général, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a accueilli ce pourvoi et censuré la décision des juges du fond dans des termes qui manifestent sans ambiguïté la consécration de la solution retenue par la Chambre commerciale dans son arrêt du 12 octobre 1993. Au double visa des articles 1382 et 1384, alinéa 5, du Code civil, la Haute juridiction précise, en effet, que « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ». En retenant la responsabilité du préposé alors qu’il n’était pas prétendu qu’il eût excédé les limites de la mission dont l’avait chargé le commettant, la cour d’appel a ainsi violé les articles 1382 et 1384, alinéa 5, du Code civil.

La Cour de cassation prend donc nettement parti en faveur de la position de la Chambre commerciale. Le préposé bénéficie, par conséquent, d’une quasi-immunité au plan de la responsabilité civile, dès lors qu’il a agi dans les limites de sa mission. Si le principe en lui-même est clair, cette décision ne permet, pas plus que celle de la Chambre commerciale, de définir précisément les critères de la faute personnelle (ce terme n’est d’ailleurs pas repris par l’Assemblée plénière) susceptible d’engager la responsabilité du préposé. Autrement dit, si la solution retenue par l’Assemblée plénière conduit incontestablement à réduire de manière significative le domaine de la responsabilité personnelle du préposé, ce domaine n’est pas précisément défini et demeure sujet à plusieurs interprétations. 5?/ Portée exacte de l’arrêt de l’Assemblée plénière du 25 février 2000 : la persistance d’incertitudes sur le critère de la responsabilité personnelle du préposé

Tout le problème est de déterminer le domaine exact de l’immunité ainsi conférée au préposé. À la suite de l’arrêt « Société des parfums Rochas » (150) , il avait été suggéré à la jurisprudence de s’inspirer des solutions retenues en matière de responsabilité administrative : la responsabilité du préposé pouvait être engagée en cas de « faute personnelle non dénuée de tout lien avec les fonctions », cette faute étant par ailleurs définie comme « celle à laquelle le commettant ne pouvait pas normalement s’attendre » (151) .

Autrement dit, il s’agissait d’admettre, entre l’hypothèse du dommage causé dans l’exercice des fonctions, qui ne pouvait donner lieu qu’à la seule responsabilité du commettant, et celle de l’abus de

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fonctions, engageant la seule responsabilité du préposé, un type de situation où la victime garderait la possibilité d’attraire à son choix le commettant ou le préposé : lorsque le préposé aurait commis une faute personnelle, mais non dénuée de tout lien avec les fonctions, le commettant pouvant dans ce cas, s’il était condamné à indemniser la victime, exercer un recours contre le préposé (152) .

Il ne semble pas que l’Assemblée plénière ait souhaité retenir ce schéma : en soulignant que le préposé n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers s’il agit « sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant » (153) , la Haute juridiction paraît plutôt restreindre le domaine de la responsabilité personnelle du préposé à l’hypothèse d’abus de fonctions.

Compte tenu de la définition pour le moins restrictive que la jurisprudence retient actuellement de l’abus de fonctions, on peut donc augurer, si tant est que l’on puisse ainsi interpréter l’arrêt de l’Assemblée plénière, que la responsabilité personnelle du préposé ne sera plus désormais admise que dans des cas somme toute assez marginaux. Il importe cependant de rester prudent sur la portée exacte de cette décision, et la Cour de cassation devra sans doute apporter des précisions sur ce point. C - Action dirigée cumulativement contre le préposé et le commettant

Rien ne s’oppose, en principe, à ce que la victime agisse à la fois contre le préposé, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, et contre le commettant, sur le fondement de l’article 1384, alinéa 5. La portée d’une telle action cumulative doit cependant être doublement tempérée.

Il faut d’abord tenir compte, bien entendu, de l’immunité conférée désormais par la jurisprudence au préposé. Le domaine exact de cette immunité est incertain. Si l’Assemblée plénière, dans son arrêt du 25 février 2000 (154) , a entendu restreindre la responsabilité personnelle du préposé au seul cas d’abus de fonctions, alors le schéma d’une condamnation simultanée du commettant et du préposé est voué à disparaître. De deux choses l’une, en effet : ou bien l’acte dommageable du préposé aura été commis dans le cadre des fonctions, et la responsabilité du seul commettant pourra être retenue ; ou bien l’acte dommageable du préposé consistera en un abus de fonctions de nature à exonérer le commettant, et seul le préposé pourra être condamné. La victime pourra, dans cette configuration, avoir intérêt à mettre en cause à la fois le préposé et le commettant, mais uniquement afin que le juge détermine qui de l’un ou de l’autre doit être déclaré responsable.

Il n’est pas certain cependant que cette interprétation soit finalement retenue, et l’on peut imaginer que la jurisprudence maintienne aux responsabilités respectives du commettant et du préposé un domaine commun : il en serait ainsi notamment si, comme l’ont suggéré certains auteurs, la jurisprudence retient la responsabilité du préposé en cas de « faute personnelle non dénuée de tout lien avec les fonctions » (155) , par exemple lorsqu’une des trois conditions de l’abus de fonctions fait défaut. Si ce genre de solution était retenu, on devrait pouvoir envisager une condamnation cumulative du préposé et du commettant, quitte pour ce dernier à se retourner contre le préposé fautif (156) .

En réalité, abstraction faite de cette question de l’incidence de la jurisprudence nouvelle sur la responsabilité personnelle du préposé, il faut bien reconnaître que la condamnation simultanée du préposé et du commettant soulève des difficultés d’ordre théorique. À tout le moins faut-il admettre avec certains auteurs que le préposé et le commettant ne peuvent être considérés comme tenus in solidum (157) .

S’il en était ainsi, il faudrait admettre la possibilité de recours réciproques entre le commettant et le préposé. Or, s’il est classiquement admis (sous réserve de l’évolution de la jurisprudence sur les responsabilités respectives du commettant et du préposé) que le commettant qui a indemnisé la victime dispose d’un recours contre le préposé fautif, il n’en va pas de même pour le préposé qui, s’il est attrait par la victime, ne peut appeler le commettant en garantie, ni, s’il a été condamné, recourir contre le commettant (158) .

De ces observations, il résulte que si la victime peut assurément décider d’assigner concomitamment le préposé sur le fondement de l’article 1382 et le commettant sur celui de l’article 1384, alinéa 5, en quelque sorte à titre conservatoire, le juge sera quant à lui amené, sauf hypothèse exceptionnelle, à condamner l’un ou l’autre plutôt que les deux.

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II - LES RECOURS A - Absence de recours du préposé contre le commettant

La solution de l’absence de recours du préposé est classique. On sait que l’article 1384, alinéa 5, du Code civil est traditionnellement conçu comme une garantie qui n’a vocation à profiter qu’aux tiers. Aussi la jurisprudence refuse-t-elle au préposé la possibilité d’invoquer la responsabilité du commettant pour échapper à la sienne propre, que ce soit par l’intermédiaire d’un appel en garantie ou d’une action récursoire (159) .

Il ne peut en aller autrement que lorsque le commettant a lui-même commis une faute : on peut alors imaginer un recours du préposé qui aurait été condamné à indemniser la victime, mais on se trouverait dans le cadre d’un recours entre coauteurs d’un dommage (160) .

Quoi qu’il en soit, la question du recours du préposé ne devrait désormais même plus se poser, puisqu’au stade de l’obligation à la dette de responsabilité, le préposé n’est tenu, semble-t-il, que de sa faute personnelle. Sans doute le revirement opéré par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, le 25 février 2000 (161) , conduit-il à faire bénéficier le préposé de la garantie du commettant, mais au stade de l’action initiale. Le préposé ne pouvant plus être responsable que dans des cas marginaux, dans lesquels, qui plus est, la responsabilité du commettant est par hypothèse exclue, il n’y a donc pas à s’interroger sur l’opportunité d’un recours. B - Existence d’un recours du commettant contre le préposé 1?/ Solution classique : un recours admis en principe mais de portée limitée en pratique

La responsabilité des commettants étant traditionnellement considérée comme une garantie de solvabilité offerte aux victimes, il était logique que l’on accorde au commettant qui a indemnisé la victime le droit de recourir contre son préposé fautif. Aussi la jurisprudence a-t-elle très tôt retenu cette solution (162) .

Il faut toutefois observer que, nonobstant son admission de principe, ce recours du commettant était somme toute peu utilisé en pratique. L’explication tient au droit des assurances : c’est principalement l’assureur du commettant qui, ayant indemnisé la victime (et donc subrogé en principe dans les droits de celle-ci), serait susceptible d’exercer ce recours. Or, l’article L. 121-12, alinéa 3, du Code des assurances lui interdit un tel recours, sauf dans le cas d’une faute intentionnelle du préposé (163) . 2?/ Position actuelle de la jurisprudence : vers la disparition du recours ?

L’affirmation de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation selon laquelle « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de (sa) mission » (164) ne peut manquer de rejaillir sur la question du recours.

Certains auteurs avaient déjà déduit de l’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, le 12 octobre 1993, la limitation du recours du commettant aux seules hypothèses de fautes du préposé non dénuées de tout lien avec les fonctions (165) .

S’il pouvait paraître audacieux de tirer pareilles conclusions de cette décision, le doute n’est désormais plus permis sur la restriction des possibilités de recours du commettant. On peut même aller jusqu’à considérer qu’un tel recours est désormais voué à disparaître purement et simplement. En effet, si comme le laisse entendre, semble-t-il, la Cour de cassation, la responsabilité personnelle du préposé est désormais réduite au seul cas de dépassement des fonctions, c’est-à-dire dans une hypothèse où le commettant n’est pas responsable, alors la question du recours ne devrait même plus se poser. Il faut toutefois reconnaître que cette interprétation n’est pas la seule qui puisse être retenue de l’arrêt de l’Assemblée plénière. Peut-être la Cour de cassation laissera-t-elle une place pour des hypothèses de responsabilités conjointes du commettant et du préposé, lorsque ce dernier a commis une faute détachable des fonctions, mais qui ne constitue pas à proprement parler un abus de fonctions de nature à exonérer le commettant (166) .

Quoi qu’il en soit des incertitudes sur la portée de l’arrêt du 25 février 2000 de l’Assemblée plénière, on peut considérer que le recours du commettant, qui était déjà de peu de portée pratique ces dernières années, va devenir désormais pour le moins marginal

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(Note 127) B. Starck, H. Roland et L. Boyer, Obligations, t. I, Responsabilité délictuelle, Litec, 5ème éd., 1996, n? 886 ; A. Bénabent, Droit civil, Les obligations, Montchrestien, 6ème éd., 1997, n? 568. [retour au texte] (Note 128) V. Cass. 2ème civ., 21 avr. 1966, n? 65-11.637, Bull. civ. II, n? 454 ; Cass. 2ème civ., 17 juin 1970, n? 69-11.492, Bull. civ. II, n? 212. [retour au texte] (Note 129) V. entre autres, Cass. 2ème civ., 11 mars 1971, n? 70-10.366, D. 1971, som., p. 211. [retour au texte] (Note 130) En ce sens, v. B. Starck, H. Roland et L. Boyer, Responsabilité délictuelle, préc., n? 341. [retour au texte] (Note 131) En ce sens, v. Cass. crim., 17 déc. 1970, n? 70-90.584, JCP éd. G 1971, IV, n? 23 ; v. cep. Cass. crim., 17 mai 1976, n? 75-91.154, D. 1977, jur., p. 650, rapp. Lecourtier, qui admet l’action civile contre le commettant alors que les poursuites sont éteintes du fait du décès du préposé [retour au texte] (Note 132) Cass. crim., 26 oct. 1982, n? 81-94.768, Bull. crim., n? 233. [retour au texte] (Note 133) En ce sens, v. J. Flour et J.-L. Aubert, Les obligations, vol. 2, Le fait juridique, Armand Colin, 8ème éd., 1999, n? 221 ; v. égal. Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz action, 3ème éd., 2000, n? 6565. [retour au texte] (Note 134) En ce sens, v. G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 2ème éd., 1998, n? 809. [retour au texte] (Note 135) Cass. civ., 27 févr. 1929, DP 1929, 1, p. 297 ; Cass. civ., 26 janv. 1948, D. 1948, jur., p. 485, note G. Ripert ; Cass. 2ème civ., 11 oct. 1989, n? 88-16.219, Bull. civ. II, n? 175 ; v. égal. M.-A. Péano, L’incompatibilité entre les qualités de gardien et de préposé, D. 1991, chr., p. 51. [retour au texte] (Note 136) Sur le principe selon lequel le commettant ne peut être condamné que sur l’un des deux fondements, v. Cass. 2ème civ., 28 janv. 1970, n? 68-12.405, D. 1970, som., p. 88. [retour au texte] (Note 137) Cass. 2ème civ., 6 févr. 1974, n? 72-14.444, Bull. civ. II, n? 53, D. 1974, jur., p. 409, note Ph. Le Tourneau ; v. égal. en ce sens en doctrine : H., L. et J. Mazeaud. et F. Chabas, Leçons de droit civil, t. II, vol. 1, Obligations, Théorie générale, Montchrestien, 9ème éd., 1998, n? 476 ; F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 7ème éd., 1999, n? 798 ; A. Sériaux, Droit des obligations, PUF, 2ème éd., 1998, n? 121. [retour au texte] (Note 138) En ce sens, v. A. Sériaux, Droit des obligations, préc., n? 121 ; comparer, cependant, très tôt favorable à une évolution de la jurisprudence sur ce point : Ph. Le Tourneau, La responsabilité civile, Dalloz, 1972, n? 2213. [retour au texte] (Note 139) V. nettement en ce sens, en jurisprudence, Cass. 2ème civ., 22 nov. 1978, n? 77-12.971, Bull. civ. II, n? 246. [retour au texte] (Note 140) Cass. 2ème civ., 15 mai 1957, Bull. civ. II, n? 349 ; Cass. 2ème civ., 16 oct. 1958, D. 1959, som., p. 21 ; Cass. 2ème civ., 6 févr. 1974, n? 72-14.444, préc. ; Cass. crim., 3 juin 1970, n? 69-92.312, Bull. crim., n? 181 ; Cass. crim., 15 avr. 1972, n? 70-92.698, Bull. crim., n? 122 ; Cass. crim., 13 mars 1973, n? 72-91.967, D. 1973, I.R., p. 104 ; v. encore, Cass. crim., 23 mars 1999, n? 98-82.085, Lamyline : condamné à payer à la victime une indemnité provisionnelle, le salarié est sans qualité pour se prévaloir de la responsabilité civile de la société qu’il a dirigée. [retour au texte] (Note 141) Cass. com., 12 oct. 1993, n? 91-10.864, D. 1994, jur., p. 124, note G. Viney, JCP éd. G 1995, II, n? 22493, note F. Chabas, RTD civ. 1994, p. 111, obs. P. Jourdain, Defrénois 1994, art. 35845, p. 812, note J.-L. Aubert ; v. égal., sur cette décision et ses suites, B. Puill, Les fautes du préposé : s’inspirer de certaines solutions du droit administratif, JCP éd. G 1996, I, n? 3939 ; S. Fournier, La « faute personnelle » du préposé, Petites affiches 23 juill. 1997, n? 88, p. 15 ; G. Auzero, L’application de la notion de faute personnelle détachable des fonctions en droit privé, D. Aff. 1998, p. 502. [retour au texte] (Note 142) En ce sens, v. G. Viney, note préc. ; rapprocher P. Jourdain, obs. préc. [retour au texte] (Note 143) En ce sens, v. F. Chabas, note préc. ; rapprocher J.-L. Aubert, obs. préc. [retour au texte] (Note 144) G. Viney, note préc. [retour au texte] (Note 145) V. not. Cass. 1ère civ., 30 oct. 1995, n? 93-20.544, Bull. civ. I, n? 383, Resp. civ. et assur. 1996, comm. 26, RTD civ. 1996, p. 636, obs. P. Jourdain, JCP éd. G 1996, I, n? 3944, n? 13, obs. G. Viney, à propos de la condamnation d’une sage-femme, préposée d’une clinique ; le pourvoi est fondé sur la jurisprudence « Société des parfums Rochas » : seule la responsabilité de la clinique pouvait être retenue ; la Haute juridiction rejette le pourvoi, soulignant toutefois que la sage-femme bénéficiait, du fait de ses fonctions, d’une réelle indépendance et qu’elle avait en l’espèce commis des fautes personnelles ; v. égal. Cass. 3ème civ., 17 mars 1999, n? 97-19.293, Bull. civ. III, n? 72. [retour au texte] (Note 146) V. Cass. 2ème civ., 19 nov. 1998, Petites affiches 15 mars 2000, note F. Rinaldi. [retour au texte] (Note 147) En ce sens, v. G. Viney et P. Jourdain, Les conditions de la responsabilité, préc., n? 811-3. [retour au texte] (Note 148) Cass. soc., 27 nov. 1958, D. 1959, jur., p. 20, note R. Lindon, JCP éd. G 1959, II, n? 11143, note J. Brethe de la Gressaye ; la jurisprudence est constante depuis : v. par ex., Cass. soc., 28 oct. 1975, n? 74-40.639, Bull. civ. V, n? 486 ; Cass. soc., 31 mai 1990, n? 88-41.419, Bull. civ. V, n? 260 ; Cass. soc., 11 avr. 1996, nos 92-42.847 et 92-43.582, Bull. civ. V, n? 152. [retour au texte] (Note 149) Cass. ass. plén., 25 févr. 2000, nos 97-17.378 et 97-20.152, JCP éd. G 2000, II, n? 10295, concl. R. Kessous, note M. Billiau, Resp. civ. et assur. 2000, chron. 11, par H. Groutel, Dr. & patr. 2000, n? 82, p. 107, obs. F. Chabas, D. 2000, jur., p. 673, note Ph. Brun. [retour au texte] (Note 150) Cass. com., 12 oct. 1993, n? 91-10.864, préc. [retour au texte] (Note 151) G. Viney, note préc. ; v. égal. B. Puill, Les fautes du préposé : s’inspirer de certaines solutions du droit administratif, JCP éd. G 1996, I, n? 3939 ; déjà précédemment, en faveur d’une restriction de la responsabilité personnelle du préposé, v. M.-T. Rives-Lange, Contribution à l’étude de la responsabilité des maîtres et commettants, JCP éd. G 1970, I, n? 2309. [retour au texte] (Note 152) V. favorables à cette solution, Ph. Le Tourneau. et L. Cadiet, Droit de la responsabilité et des contrats, préc., n? 6569 ; comparer H. Groutel, obs. sous Cass. ass. plén., 25 févr. 2000, n? 97-17.378, Resp. civ. et assur. 2000, chron. 11, qui considère que la création d’une notion

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distincte de l’abus de fonctions susciterait trop de difficultés. [retour au texte] (Note 153) Cass. ass. plén., 25 févr. 2000, nos 97-17.378 et 97-20.152, préc. [retour au texte] (Note 154) Cass. ass. plén., 25 févr. 2000, nos 97-17.378 et 97-20.152, préc. [retour au texte] (Note 155) Sur ce point, v. G. Viney, note sous Cass. com., 12 oct. 1993, n? 91-10.864, D. 1994, jur., p. 124. [retour au texte] (Note 156) V. Cass. 2ème civ., 19 avr. 1967, n? 65-13.750, Bull. civ. II, n? 150. [retour au texte] (Note 157) V. Ph. Le Tourneau. et L. Cadiet, Droit de la responsabilité et des contrats, précité, n? 6572. [retour au texte] (Note 158) Sur l’impossibilité d’appel en garantie, voir Cass. 2ème civ., 15 mai 1957, préc. ; Cass. 2ème civ., 6 févr. 1974, n? 72-14.444, préc. ; Cass. crim., 16 oct. 1958, préc. [retour au texte] (Note 159) V. Cass. 2ème civ., 15 mai 1957, préc. ; Cass. 2ème civ., 17 mars 1961, nos 59-11.252 et 59-11.783, Bull. civ. II, n? 234 ; Cass. 2ème civ., 6 oct. 1971, n? 70-10.919, RGAT 1972, p. 376 ; Cass. 2ème civ., 28 oct. 1987, n? 86-11.839, Bull. civ. II, n? 214. [retour au texte] (Note 160) V. par ex., CA Pau, 11 mars 1965, JCP éd. G 1966, IV, p. 62. [retour au texte] (Note 161) Cass. ass. plén., 25 févr. 2000, nos 97-17.378 et 97-20.152, préc. [retour au texte] (Note 162) Cass. req., 22 juill. 1891, DP 1892, 1, p. 235 ; Cass. req., 14 mars 1934, DH 1934, p. 249 ; v. not. depuis, Cass. soc., 27 nov. 1958, préc. ; Cass. 1ère civ., 20 mars 1979, n? 77-10.962, D. 1980, jur., p. 29, note Ch. Larroumet ; Cass. 1ère civ., 25 nov. 1992, n? 90-19.836, Bull. civ. I, n? 293, RTD civ. 1993, p. 372, obs. P. Jourdain ; sur cette jurisprudence, et plus généralement sur cette question, v. P. Canin, Les actions récursoires entre coresponsables, Litec, 1996, préf. N. Dejean de la Bâtie, nos 61 et s. [retour au texte] (Note 163) Sur ce point, v. G. Viney et P. Jourdain, Les conditions de la responsabilité, préc., n? 811-1 ; Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité et des contrats, préc., n? 6572 ; cette solution ne vaut pas, en revanche, pour l’action subrogatoire exercée par l’assureur du commettant contre l’assureur du préposé : v. Cass. 1ère civ., 8 déc. 1993, n? 90-18.148, D. 1994, jur., p. 235, note B. Beignier. [retour au texte] (Note 164) Cass. ass. plén., 25 févr. 2000, nos 97-17.378 et 97-20.152, préc. [retour au texte] (Note 165) V. G. Viney, note sous Cass. com., 12 oct. 1993, n? 91-10.864, D. 1994, jur., p. 124. [retour au texte] (Note 166) En ce sens, v. Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité et des contrats, préc., n? 6574. [retour au texte] � Doc. 12 : Obs. de P. Jourdain à propos de Civ. 1ère, 13 mars 2001 Les décisions qui admettent une division du lien de préposition en cas de partage de l'autorité exercée sur un préposé sont assez rares pour que l'on s'attarde sur un arrêt de la Cour de cassation postulant une telle scission dans une espèce au surplus originale (Civ. 1re, 13 mars 2001, Clinique de la Roseraie et autre c/ Mourad El Goulli et autres). Un gynécologue obstétricien, lié à une clinique par un contrat d'exercice libéral, fut blessé accidentellement alors qu'il pratiquait une intervention sur une patiente dans les locaux de cet établissement avec l'aide d'une panseuse, préposée de la clinique. Un élément de la table mobile d'opération appartenant à cet établissement et manipulée par la panseuse s'étant détaché et lui ayant écrasé le pied en raison d'une faute imputable à la panseuse, le médecin rechercha la responsabilité de la clinique sur le fondement de l'article 1384, alinéa 5, du code civil. Une cour d'appel fit droit à sa demande et condamna la clinique, en sa qualité de commettant, à réparer le préjudice subi par le médecin en raison des fautes de sa préposée. Le pourvoi considérait que la clinique ne pouvait être responsable des fautes commises par la panseuse qui, placée au cours de l'intervention sous l'autorité du praticien, était devenue sa préposée occasionnelle et ne pouvait donc plus être considérée comme préposée de la clinique. Ce faisant il s'appuyait sur une jurisprudence bien connue qui admet une sorte de déplacement du lien de préposition dans de telles circonstances et que rappelle d'ailleurs la Cour de cassation dans sa réponse au pourvoi en confirmant qu'« en vertu de l'indépendance professionnelle dont il bénéficie dans l'exercice de son art, un médecin répond des fautes commises au préjudice des patients par les personnes qui l'assistent lors d'un acte médical d'investigation et de soins, alors même que ces personnes seraient les préposées de l'établissement de santé où il exerce ». Pourtant, la première chambre civile allait rejeter le pourvoi en relevant aussitôt qu'« il n'en est pas de même lorsque la victime est le praticien lui-même ». Cette particularité de l'espèce, où il ne s'agissait pas de désigner le commettant responsable des dommages causés au patient, allait conduire la Cour de cassation à énoncer que le médecin « peut, en ce cas, rechercher la responsabilité de la clinique pour les fautes commises à son préjudice par un préposé de cette dernière ». En réalité, la circonstance que le médecin fut victime, mise en exergue par l'arrêt, n'était nullement décisive, la désignation du commettant devant bien davantage dépendre du titulaire de l'autorité quant à l'accomplissement de l'acte dommageable, quelle qu'en soit la victime. En désignant

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la clinique, l'arrêt met en oeuvre une solution qui a été parfois retenue et qui consiste à admettre une sorte de fractionnement du lien de préposition semblable à la division de la garde d'une chose en garde de la structure et garde du comportement. On a quelquefois considéré en effet qu'en cas de partage de l'autorité, un même préposé peut avoir deux commettants différents. Cela fut jugé à propos du chauffeur d'un véhicule loué, qui demeure préposé de l'entreprise de location - son employeur - pour le fonctionnement technique et la conduite du véhicule (Civ. 1re, 17 juill. 1962, Bull. civ. II, n° 378 ; Gaz. Pal. 1962.2.309 ; Com. 10 juill. 1963, Bull. civ. III, n° 370 ; Crim. 20 oct. 1987, Bull. crim. n° 359), alors qu'il devient le préposé occasionnel du locataire pour ce qui a trait à l'utilisation du véhicule en raison des instructions que ce dernier lui donne sur les trajets à effectuer, l'itinéraire à suivre ou le chargement à prendre (Com. 29 avr. 1969, Bull. civ. IV, n° 146 ; Paris, 1er déc. 1977, Gaz. Pal. 1978.1.301 ; D. 1978.IR.407, obs. C. Larroumet ; Douai, 21 mars 1985, Gaz. Pal. 1985.2.402). Mais la solution peut être appliquée dans d'autres circonstances de transfert seulement partiel de l'autorité, et notamment en matière médicale (V. peut-être, Civ. 1re, 11 juin 1963, Gaz. Pal. 1963.2.307 ; RTD civ. 1964.116, obs. A. Tunc ; Civ. 2e, 15 mars 1976, Bull. civ. II, n° 100 ; D. 1977.27). Appliquée à l'espèce, elle fait de la panseuse une préposée du chirurgien pour tous les actes qui concourent directement à l'intervention car, pour ces actes d'assistance médicale, elle est sous les ordres du chirurgien. Mais la panseuse reste préposée de la clinique qui l'emploie pour les actes relatifs au fonctionnement des matériels, appareils et instruments mis à la disposition du praticien, et notamment pour la manipulation de la table d'opération. Pour ingénieux qu'il soit, ce raisonnement nous semble pêcher par excès de subtilité. Sa mise en oeuvre sera parfois délicate car les fonctions du préposé représentent souvent un tout dont il peut être malaisé de dissocier ce qui relève de l'autorité du commettant occasionnel et de celle du commettant habituel ; remarque qui pourrait s'appliquer aussi bien à la conduite d'un véhicule qu'à l'aide apportée à un chirurgien lors d'une opération. Par ailleurs, compte tenu de l'évolution du lien de préposition, entendu non plus seulement comme l'observation d'instructions pour l'exécution de tâches précises mais davantage aujourd'hui à travers l'activité accomplie au service d'autrui dans le cadre d'une entreprise déterminée, il serait préférable d'écarter toute scission de ce lien et de s'en tenir à la détermination d'un commettant unique. En cas de pluralité de personnes ayant autorité sur un préposé, on se contentera de rechercher laquelle, au temps de l'action dommageable, exerçait l'autorité principale (F. Gaudu, La responsabilité civile du prêteur de main d'oeuvre, D. 1988.Chron. 235). Sauf circonstances exceptionnelles (par ex. travail intérimaire), ce devrait être le plus souvent le commettant habituel. Enfin, on ne peut manquer de se demander pourquoi en l'espèce il n'a pas été fait application des règles de la responsabilité contractuelle du fait d'autrui, car, contrairement à ce qu'a jugé la cour d'appel, la responsabilité de la clinique était bien de nature contractuelle. Le dommage ayant été causé par une chose (la table d'opération) et une personne (la panseuse) l'une et l'autre mises par la clinique à la disposition du médecin en vertu du contrat conclu entre eux, il résultait assurément de l'inexécution d'une prestation contractuelle. Or la critique du pourvoi est restée située sur le terrain délictuel (grief de violation de l'art. 1384, al. 5, c. civ.) et la Cour de cassation n'a pas jugé utile de rectifier la qualification retenue par les juges du fond. Pourtant, une analyse contractuelle de la situation aurait au moins été de nature à évincer la difficulté liée à la pluralité de commettants possibles d'un même préposé. En matière contractuelle, ce qui importe en effet est moins la nature du lien entre le débiteur et l'auteur du dommage, que l'inexécution dommageable d'une obligation. Celle-ci acquise, le débiteur est a priori responsable, sauf à prouver une cause étrangère exonératoire, ce qui suppose, s'il s'agit du fait d'un tiers, que l'auteur ne soit pas de ceux que le débiteur a volontairement introduit dans l'exécution du contrat. On n'a plus ainsi à s'interroger sur la qualité de préposé de l'auteur par rapport à l'acte dommageable dès lors qu'il est un des employés du débiteur agissant dans le cadre de l'exécution du contrat ; ce qui était incontestablement le cas en l'espèce. On constatera qu'une requalification de la responsabilité de la clinique n'eût pratiquement rien changé à la solution puisque dans tous les cas cette responsabilité devait être retenue. Cela explique sans doute l'attitude de la Haute juridiction, sans la justifier toutefois tant il est préférable de donner aux solutions leur fondement adéquat.

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� Doc. 13 : Ass. Plén. 17 novembre 1985 La Cour ; - Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2e Ch., 21 févr. 1984), rendu sur renvoi après cassation d'un arrêt civil de la cour d'assises, qu'Alain Beauvais, préposé de la Société de surveillance générale industrielle (SGI) a été condamné pour avoir volontairement incendié l'usine, appartenant à la société Eurorga, qu'il avait pour mission de protéger ; - Que la société Eurorga fait grief à la cour d'appel d'avoir décidé que la société SGI n'était pas civilement responsable du dommage causé par M. Beauvais, alors que celui-ci effectuait une ronde de surveillance dans le cadre de ses fonctions et qu'en déclarant que le commettant n'était pas responsable des actes accomplis par son préposé, au seul motif, selon le moyen, qu'il avait commis une faute volontaire, contraire par essence à son emploi, l'arrêt attaqué aurait violé l'article 1384, alinéa 5, du Code civil ; qu'il est aussi prétendu par le pourvoi que les juges du fond n'auraient pas, au regard du même texte, donné de base légale à leur décision, faute d'avoir recherché si le préposé avait bien agi à des fins personnelles, étrangères à ses fonctions, l'instruction criminelle

ayant pourtant révélé que M. Beauvais avait seulement voulu attirer l'attention de ses supérieurs sur l'insuffisance des mesures prises pour assurer la sécurité de l'usine qu'il devait garder ; - Mais attendu que la cour d'appel, qui n'était saisie qu'en vertu des règles de la responsabilité délictuelle, a rappelé, à bon droit, que les dispositions de l'article 1384, alinéa 5, du Code civil ne s'appliquent pas au commettant en cas de dommages causés par le préposé qui, agissant sans autorisation à des fins étrangères à ses attributions, s'est placé hors des fonctions auxquelles il était employé ; que, dès lors, ayant souverainement retenu que M. Beauvais avait agi de façon délibérée, quels que fussent ses mobiles, à l'encontre de l'objet de sa mission, à des « fins contraires à ses attributions », la juridiction du second degré en a justement déduit que ledit M. Beauvais s'était placé hors des fonctions auxquelles il était employé par la société SGI et que celle-ci n'était pas civilement responsable des agissements de son préposé ; - D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ; - Par ces motifs, rejette le pourvoi...

� Doc. 14 : Ass. Plén., 14 décembre 2001 LA COUR: Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (CA Paris, 1er mars 2000), que M. X, comptable salarié de la Sté V..., a été définitivement condamné des chefs de faux, usage de faux et escroqueries, pour avoir fait obtenir frauduleusement à cette société des subventions destinées à financer de faux contrats de qualification ; que, statuant à son égard sur les intérêts civils, l'arrêt l'a condamné à payer des dommages-intérêts aux parties civiles ;- Attendu que M. X fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que ne saurait engager sa responsabilité à l'égard des tiers le préposé qui a agi sans excéder les limites de la mission qui lui avait été assignée par son commettant, de sorte que la cour d'appel, qui a ainsi condamné M. X à indemniser les parties civiles du préjudice qu'elles avaient subi à raison d'infractions pour lesquelles sa responsabilité pénale avait été retenue sans

aucunement rechercher, nonobstant les conclusions dont elle était saisie, si ces infractions ne résultaient pas uniquement de l'exécution des instructions qu'il avait reçues et s'inscrivaient par conséquent dans la mission qui lui était impartie par son employeur, la Sté V..., seule bénéficiaire desdites infractions, n'a pas légalement justifié sa décision au regard du principe précité ; Mais attendu que le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l'ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l'égard de celui-ci ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; Par ces motifs, rejette le pourvoi.

� Doc. 15 : Civ. 2ème, 5 juillet 1989 Sur le pourvoi formé par Monsieur Michel C..., demeurant ...,

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en cassation d'un arrêt rendu le 11 décembre 1987 par la cour d'appel de Lyon (3ème chambre civile), au profit :

1°/ de Monsieur Patrick X..., demeurant ... à Saint-Fons (Rhône),

2°/ de la société FURMANITE, dont le siège est ... (Nord),

3°/ la caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPCAM) de Lyon, dont le siège est ...,

défendeurs à la cassation ; Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; LA COUR, en l'audience publique du 31 mai 1989, où étaient présents :

M. Aubouin, président ; M. Dutheillet-Lamonthézie, rapporteur ; MM. Z..., E..., B..., A..., Y..., D... de Roussane, Laplace, conseillers ; MM. Herbecq, Bonnet, Mucchielli, conseillers référendaires ; M. Ortolland, avocat général ; Mme Lagardère, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller Dutheillet-Lamonthézie, les observations de la SCP Lesourd et Baudin, avocat de M. C..., les conclusions de M. Ortolland, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Donne défaut contre M. X..., la société Furmanite et la CPAM de Lyon ; Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'une automobile appartenant à la société Furmanite, dans laquelle avaient pris place MM. Andrieux et Gerentes, salariés de cette société, a percuté un talus avant de s'enfoncer dans un lac ; que M. X..., blessé dans l'accident, a demandé à M. C..., conducteur, la réparation de son préjudice ;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir condamné M. C... seul à indemniser ce dommage, et, in solidum avec son employeur, à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon (CPAM) les prestations servies à M. X..., alors que, d'une part, les dispositions des articles 1 à 6 de la loi du 5 juillet 1985 n'exclueraient pas l'application de l'article 1384, alinéa 5, du Code civil lorsque le conducteur est le préposé de son employeur gardien du véhicule, alors que, d'autre part, la cour d'appel se serait contredite en condamnant M. C... seul à indemniser M. X...

tout en constatant, sur la demande de la CPAM, qu'il conduisait dans l'exercice de ses fonctions un véhicule de son commettant, responsable du dommage, et alors qu'enfin, elle aurait dû rechercher la personne qui était assurée contre les dommages causés par le véhicule impliqué, sur laquelle seule aurait pesé l'obligation d'indemniser la victime ; Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des productions, que M. C... ait, devant la cour d'appel, contesté les dispositions du jugement qui avaient mis hors de cause la société Furmanite pour la réparation du préjudice de M. X..., ou qu'il ait , sur cette demande, invoqué la responsabilité de son employeur en qualité de gardien du véhicule ; que, dès lors, il n'est pas recevable à reprocher à la cour d'appel, qui ne s'est pas contredite, de n'avoir pas recherché la responsabilité de la société en qualité de gardien ; Et attendu que l'obligation de réparer le préjudice incombant aux propriétaires ou gardiens des véhicules impliqués dans l'accident, et non aux titulaires de l'assurance, la cour d'appel n'avait pas à rechercher quel était le titulaire de l'assurance du véhicule en cause ; D'où il suit que le moyen, pour partie nouveau, mélangé de fait et de droit, et par suite irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ; Mais sur le remboursement des prestations de la CPAM :

Vu l'article 1384, alinéa 5, du Code civil ; Attendu que les qualités de gardien et de préposé étant incompatibles, les juges ne peuvent condamner in solidum le conducteur d'un véhicule et son employeur à réparer les dommages, attribuant ainsi la qualité de gardien à la fois au propriétaire du véhicule et à son conducteur ; Attendu qu'après avoir retenu que M. C..., conducteur, était le préposé de la société Furmanite, qu'il était dans l'exercice de ses fonctions au moment de l'accident et que la société était de ce fait responsable, la cour d'appel a condamné in solidum la société Furmanite et M. C... à rembourser à la CPAM le montant des prestations qu'elle avait versées à M. X... ;

En quoi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qui concerne la condamnation de M. C... au profit de la CPAM, l'arrêt rendu le 11 décembre 1987, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

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� Doc. 16 : Civ. 1ère, 9 novembre 2004 LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique pris en sa première branche :

Vu les articles 1382 et 1384, alinéa 5, du Code civil ;

Attendu que la sage-femme salariée qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par l'établissement de santé privé, n'engage pas sa responsabilité à l'égard de la patiente ;

Attendu que Mme X..., enceinte de 35 semaines et demie, a été accueillie, le 25 avril 1998, à la clinique du Saint Coeur, alors qu'elle présentait une rupture prématurée des membranes ;

qu'après le déclenchement de son accouchement par un gynécologue obstétricien, elle a été placée sous la responsabilité de M. de Y..., gynécologue obstétricien de garde, et de Mme Z..., sage-femme salariée de la clinique ; que l'enfant Benjamin, né en état de mort apparente, a dû être réanimé et souffre d'une grave infirmité motrice cérébrale ; qu'après avoir sollicité une mesure d'expertise, Mme X... et M. A..., père de l'enfant, ont assigné en référé M. de Y..., Mme Z... et son assureur, la MACSF ainsi que la Clinique du Saint Coeur et son assureur la Mutuelle du Mans assurances IARD, afin d'obtenir une indemnisation à titre provisionnel ;

Attendu que pour condamner Mme Z..., in solidum avec M. de Y..., la Clinique du Saint Coeur et la Mutuelle du Mans assurances IARD au paiement d'indemnités provisionnelles, la cour d'appel relève que la sage-femme dispose d'une indépendance professionnelle qui en fait plus qu'une simple préposée de sorte que sa responsabilité professionnelle peut être recherchée en raison des

fautes personnelles commises et que les constatations des experts établissent incontestablement un défaut de surveillance imputable, en premier lieu, à Mme Z..., ayant retardé la découverte d'une souffrance foetale à l'origine des lésions dont souffre l'enfant ;

Qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu'il a condamné Mme Z... au paiement d'indemnités provisionnelles, l'arrêt rendu le 16 mai 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne M. de Y..., la Clinique du Saint Coeur et la Mutuelle du Mans IARD aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille quatre.

� Doc. 17 : Civ. 4 mai 1937 La Cour ; - Sur le moyen unique : - Vu l'article 1384, alinéas 1er et 3 du Code civil ; - Attendu que la responsabilité des faits du préposé, mise par l'article 1384, alinéa 3, du Code civil à la charge du maître ou du commettant, suppose que ce dernier a eu le droit de donner au préposé des ordres ou des instructions sur la manière de remplir les fonctions auxquelles il est employé ; que c'est ce droit qui fonde l'autorité et la subordination sans lesquelles il

n'existe pas de véritable commettant ; que si, pour un temps ou une opération déterminés, un commettant met son préposé habituel à la disposition d'une autre personne, la responsabilité ne se déplace, pour incomber à cette personne, que si, au moment de l'accident, le préposé qui en est l'auteur, se trouve soumis en vertu d'une convention ou de la loi, à son autorité ou à sa direction ; - Attendu qu'il résulte des

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qualités et de l'arrêt attaqué, que Meyer, transporté avec d'autres membres d'une société de tir dont il faisait partie, dans l'automobile de la société Zuber, Riéder, conduite par Journy, chauffeur de cette dernière, a été victime, en cours de route, d'un accident mortel occasionné par l'imprudence et la maladresse de Journy ; - Attendu que la veuve Meyer a actionné en dommages-intérêts Journy, en vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, ainsi que la société Zuber, Riéder prise tant comme transporteur, en vertu de l'article 1147 du Code civil, que comme civilement responsable du fait de son préposé ; - Attendu que par arrêt du 25 février 1931, confirmant, par adoption de motifs un jugement du 21 février 1930, la cour d'appel de Besançon a déclaré Journy, entièrement responsable de l'accident et l'a condamné à réparer le préjudice causé à la dame Meyer, mais a mis la société Zuber, Riéder hors de cause, motif pris, d'une part de ce que la victime étant transportée à titre gratuit, la société ne se trouvait pas avoir assumé les obligations d'un contrat de transport, et d'autre part de ce que Journy n'étant pas préposé au moment de l'accident, elle n'avait pas à supporter la responsabilité de ses fautes ; - Attendu que le pourvoi fait uniquement grief à cette décision d'avoir violé les dispositions de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil, en contestant l'existence d'un lien de préposition entre la société Zuber, Riéder et son chauffeur ; - Attendu que l'arrêt attaqué s'est fondé, d'une part, sur ce que le directeur de la société Zuber, Riéder avait

simplement mis sa voiture et son chauffeur à la disposition de la société de tir, sans prendre part personnellement au transport, et d'autre part, sur ce que Journy avait été nourri ce jour-là par la société de tir ; - Mais attendu que le caractère bénévole du transport n'impliquerait pas nécessairement que Journy, préposé de la société Zuber, Riéder, ait été de ce fait, soumis à l'autorité et à la direction de la société de tir ou de ses membres pour la conduite de la voiture ; que d'autre part, le commettant ne cesse pas d'exercer son pouvoir de direction sur son chauffeur du seul fait qu'il ne participe pas au transport ; qu'enfin le repas offert à Journy n'est pas plus démonstratif ; - Attendu, il est vrai, que l'arrêt déclare en outre, que le directeur de la société Zuber, Riéder ne pouvait donner à Journy ni ordres, ni instructions, mais que cette assertion se trouve infirmée par le fait qu'il lui a donné l'ordre d'effectuer le transport incriminé et qu'enfin, la cour de Besançon n'a visé aucune circonstance de nature à établir qu'à l'occasion dudit transport, Journy eût cessé d'être juridiquement sous l'autorité de la société Zuber, Riéder ; d'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte visé au moyen ; - Par ces motifs, casse et annule, mais seulement en ce qu'il a mis la société Zuber, Riéder hors cause, l'arrêt rendu...

� Doc. 18 : Ass. plén. 19 mai 1988

La Cour ; - Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : - Attendu selon l'arrêt attaqué (Lyon, 4e ch. C, 24 mars 1987), rendu sur renvoi après cassation, que M. Héro, inspecteur départemental de la Cie d'assurances « La Cité », qui l'avait chargé de rechercher, par prospection à domicile, la conclusion de contrats de capitalisation par des particuliers, a fait souscrire à Mme Guyot différents titres, et a détourné partiellement à son profit les sommes versées par celle-ci en contrepartie de la remise des titres ; qu'il a, sur l'action publique, été condamné par une décision correctionnelle ; - Attendu que la Cie « La Cité » fait grief à l'arrêt de l'avoir, sur l'action civile, déclarée civilement responsable de son préposé Héro, alors que, d'une part, en se bornant à relever que « La Cité » avait tiré profit des souscriptions, la cour d'appel n'aurait pas caractérisé en quoi cette société devrait répondre des détournements opérés par son préposé, privant ainsi sa décision de base légale, et alors que, d'autre part,

M. Héro n'aurait pas agi pour le compte et dans l'intérêt de la société « La Cité », mais utilisé ses fonctions à des fins étrangères à celles que son employeur lui avait assignées, de sorte que la cour d'appel aurait violé l'article 1384, alinéa 5, du Code civil, et l'article 593 du Code de procédure pénale ; - Mais attendu que le commettant ne s'exonère de sa responsabilité que si son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions ; - Et attendu que l'arrêt relève que M. Héro, en faisant souscrire à Mme Guyot des contrats de capitalisation, était dans l'exercice de ses fonctions et avait agi avec autorisation conformément à ses attributions ; que Mme Guyot avait la certitude qu'il agissait pour le compte de « La Cité », laquelle avait, au surplus, régulièrement enregistré les souscriptions et en avait tiré profit ; que de ces

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énonciations, d'où il résulte que M. Héro, en détournant des fonds qui lui avaient été remis dans l'exercice de ses fonctions, ne s'était pas placé hors de celles-ci, la cour d'appel a exactement déduit que

la société La Cité ne s'exonérait pas de sa responsabilité civile ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; - Par ces motifs, rejette...

� J. Mouly, Quelle faute pour la responsabilité civile du salarié ?, D. 2006, p. 2756.

1 - En admettant, avec son arrêt Costedoat(1), que « n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant »(2), la Cour de cassation s'est rangée à l'opinion d'une partie de la doctrine pour laquelle les fautes ordinaires du salarié constituent de simples risques d'entreprise que celle-ci doit donc supporter(3). Elle tentait aussi d'harmoniser les différents régimes de responsabilité du préposé selon que le dommage est causé au commettant ou à un tiers(4). Depuis 1958, la responsabilité du salarié à l'égard de l'employeur n'est en effet engagée qu'en cas de faute lourde et même, depuis 1990, de faute intentionnelle(5). Toutefois, cette nouvelle immunité, susceptible de priver la victime de toute réparation en cas d'insolvabilité du commettant, a pu apparaître comme un véritable « coup d'état judiciaire »(6). Comme on l'a fait judicieusement remarquer(7), la Cour de cassation s'est sans doute ici malencontreusement fourvoyée sur le terrain de l'obligation à la dette pour régler un simple problème de contribution. On peut néanmoins assez aisément corriger cet inconvénient en maintenant à titre subsidiaire, comme certains auteurs l'ont d'ailleurs déjà suggéré(8), le recours des victimes contre le préposé auteur des dommages, pour le cas où l'employeur ne serait pas en mesure de faire face à ses obligations (cf., en ces sens, l'art. 1359-1 c. civ. de l'avant-projet Catala). 2 - Il reste que, même ainsi tempérée, cette immunité a pu se voir reprocher de conduire à une déresponsabilisation excessive du préposé et de reposer sur une analogie fallacieuse avec la situation des dirigeants sociaux, lesquels, agissant pour le compte de la société, engagent naturellement la responsabilité personnelle de celle-ci, la leur étant alors logiquement exclue, sauf faute détachable(9). Au contraire, la responsabilité des commettants est une responsabilité du fait d'autrui, qui doit donc laisser subsister celle de l'auteur principal. Techniquement exact, ce dernier argument n'emporte toutefois pas la conviction. Il paraît difficile d'admettre en effet qu'un salarié, travailleur subordonné, reste responsable là où un dirigeant, jouissant d'une large autonomie, ne l'est plus. Quant à l'argument classique de la déresponsabilisation, il n'en reste pas grand chose lorsque l'on saura que ces mêmes auteurs, pour épargner le salarié, proposent un système d'assurance obligatoire, à la charge évidemment de l'entreprise, qui viendrait se substituer au salarié, lequel n'aurait donc là non plus rien à payer. En réalité, la réponse à l'argument de la déresponsabilisation se situe ailleurs. 3 - La voie a été ouverte par l'arrêt Cousin(10). Celui-ci a admis que, même lorsque le salarié est resté dans le cadre de sa mission, il peut encore être responsable en raison de la particulière gravité de la faute commise. La difficulté consiste alors à définir cette faute qui ressuscite la responsabilité du préposé en faisant cesser son immunité. Répudiant la faute lourde ou la faute personnelle, nombre d'auteurs(11) paraissent aujourd'hui se rallier à la faute intentionnelle, qui est déjà retenue, on l'a indiqué, pour la responsabilité du salarié à l'égard de l'employeur et qui aurait donc l'avantage d'unifier les deux régimes de responsabilité. Par ailleurs, elle créerait une véritable responsabilité personnelle du salarié, puisqu'une telle faute n'est pas susceptible d'être prise en charge par l'assurance éventuellement souscrite par l'employeur. C'est également, il faut le souligner, la solution retenue par l'avant-projet Catala de réforme du droit des obligations. La faute intentionnelle semble donc tenir la corde. 4 - On observera pourtant que cette notion n'est pas unitaire et peut recouvrir des réalités très diverses, parfois même des fautes assez banales dont on peut se demander si elles justifient vraiment à elles seules une résurgence de la responsabilité du salarié. En réalité, même si l'on accepte de se rallier à cette notion, il paraît bien difficile de faire totalement abstraction du critère objectif de la gravité de l'acte dommageable. Le critère de la faute intentionnelle paraît donc connaître un certain nombre de vicissitudes qui pourraient bien rendre son application plus malaisée qu'on avait pu le penser (I). D'autre part, si la commission d'une telle faute, à l'évidence, ne réalise pas un risque d'entreprise - ce qui justifie donc la renaissance de la responsabilité du salarié - , il est fort douteux à l'inverse qu'elle

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épuise à elle seule toutes les hypothèses excluant la réalisation d'un tel risque(12). Au contraire, la période actuelle met l'accent, notamment en droit pénal, sur un certain nombre de fautes particulièrement graves, certes non intentionnelles, mais volontaires et réalisant des prises de risques inadmissibles pour un individu, quel qu'il soit. Lorsque ce comportement n'est pas justifié par l'accomplissement de la mission du salarié, il ne réalise pas là non plus un risque d'entreprise. Il serait donc logique qu'il fasse également cesser l'immunité du préposé. Ce type de comportement s'identifie en réalité très largement à la notion de faute inexcusable, catégorie intermédiaire entre la faute intentionnelle et la faute lourde(13), qui permet de stigmatiser des comportements non intentionnels mais inacceptables, tout en évitant les dérives caractéristiques de la faute lourde. Cette notion pourrait très certainement rétablir un juste équilibre entre les intérêts en présence, sans pour autant pénaliser le préposé de manière excessive(14) (II). I - Les vicissitudes de la faute intentionnelle en matière de responsabilité civile du salarié 5 - Si le critère de la faute intentionnelle peut a priori paraître clair, l'expérience montre que, en pratique, les juges éprouvent la plupart du temps le besoin de le combiner avec des paramètres mettant également en évidence la gravité objective de l'acte. La faute intentionnelle apparaît ainsi comme une condition insuffisante de la responsabilité du salarié (A). La retiendrait-on néanmoins, comme certains le proposent, que l'on se trouverait alors confronté à la difficulté supplémentaire de devoir choisir entre les différentes conceptions de la faute intentionnelle, difficulté souvent aggravée encore par le fait que le comportement fautif du préposé peut également contrevenir aux préceptes du droit pénal, lequel ne retient pas nécessairement la même conception du dol. La faute intentionnelle apparaît ainsi de surcroît comme une condition imprécise de la responsabilité du salarié (B). A - La faute intentionnelle, condition insuffisante de la responsabilité du salarié 6 - Le constat peut d'abord être fait en ce qui concerne la responsabilité du préposé à l'égard de l'employeur. L'on se souvient que, depuis 1958, cette responsabilité n'est plus engagée en cas de faute ordinaire, la mise à contribution du salarié supposant au contraire une faute lourde de sa part, assimilée en réalité depuis 1990 à la faute intentionnelle(15). Il apparaît ainsi aujourd'hui que la faute dolosive est bien la condition de la responsabilité civile du préposé à l'égard du commettant. Par cette solution, la Cour de cassation a certainement voulu éviter que les dérives de la faute lourde, observées en droit commun, ne viennent vider de sa substance la jurisprudence de 1958. La responsabilité du préposé à l'égard de l'employeur apparaît ainsi doublement dérogatoire au droit commun(16). D'abord parce qu'elle évince la règle de l'indifférence de la gravité de la faute pour engager la responsabilité de son auteur ; ensuite parce qu'elle condamne le principe selon lequel la faute lourde est équipollente au dol et produit les mêmes effets que lui. Peut-être aurait-il été préférable d'ailleurs d'énoncer clairement que seule la faute dolosive du salarié engageait sa responsabilité à l'égard de l'employeur. 7 - Cela étant, si la faute intentionnelle est bien la condition de la responsabilité du salarié à l'égard de l'employeur, il apparaît néanmoins que toute faute intentionnelle de celui-ci n'est pas de nature à engager cette responsabilité. Il a été jugé par exemple que le vol commis par le préposé au préjudice du commettant, comportement constituant pourtant l'archétype de l'infraction pénale intentionnelle, ne constituait pas nécessairement une faute dolosive engageant la responsabilité civile du préposé(17). Certes, la décision peut sans doute s'expliquer, on le verra, par la conception plus ou moins large que l'on retient du dol au sens civil du terme. Il n'en demeure pas moins que l'on ne peut pas faire ici totalement abstraction de la gravité objective de l'acte commis ou de ses conséquences. La Cour de cassation considère en effet aujourd'hui que les menus larcins ne constituent pas une faute grave et ne font pas perdre au salarié ses indemnités de rupture(18). Or, si une telle faute, quoique intentionnelle, ne constitue pas une faute grave, elle est encore moins susceptible, en raison du principe de hiérarchie des fautes civiles, de constituer une faute lourde au sens de la jurisprudence de 1990. Elle ne saurait donc, à ce titre, engager la responsabilité du salarié au regard du commettant. Les fautes intentionnelles « bénignes », si l'on ose dire, laisseraient donc au salarié son immunité. La faute intentionnelle susceptible d'engager sa responsabilité supposerait au contraire une certaine gravité de l'acte ou mieux, sans doute, une certaine importance de son résultat. Il apparaît dès lors que la faute

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intentionnelle n'est pas la condition suffisante de la responsabilité du salarié à l'égard de l'employeur. Le même constat peut être fait en ce qui concerne sa responsabilité à l'égard des tiers. 8 - On n'insistera pas ici sur l'arrêt de la Chambre criminelle du 23 janvier 2001(19), même s'il a exclu, au nom d'une stricte application de la jurisprudence Costedoat, la responsabilité du salarié pourtant auteur d'une faute intentionnelle, de surcroît pénalement sanctionnée, mais dont la solution est aujourd'hui périmée. L'arrêt de référence est en effet désormais l'arrêt Cousin du 14 décembre 2001(20), qui a décidé que « le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l'ordre du commettant, une infraction ayant causé préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l'égard de celui-ci ». Même si la décision a fait l'objet d'interprétations divergentes et ne peut de toute façon prétendre à l'exhaustivité, la doctrine majoritaire s'accorde pour considérer que c'est désormais la faute pénale intentionnelle du salarié qui fait cesser son immunité et engage donc sa responsabilité à l'égard des tiers. Force est donc de constater que là encore, si la faute intentionnelle du salarié est une condition nécessaire de sa responsabilité, elle n'en est pas pour autant, comme pour sa responsabilité à l'égard de l'employeur, la condition suffisante. Il y faut une condition supplémentaire : la faute doit être pénalement incriminée(21). 9 - On explique généralement cette exigence supplémentaire par la volonté de la Cour de cassation de réserver la responsabilité du salarié aux hypothèses de fautes dolosives présentant une certaine gravité, puisque normalement seules celles-ci font l'objet d'une incrimination pénale(22). L'exigence d'une qualification criminelle reviendrait donc à donner, à côté de la dimension psychologique de la faute, un caractère plus objectif à celle-ci en fonction de la gravité de l'acte consommé. Cette solution, en écartant les fautes intentionnelles « ordinaires », aurait d'ailleurs l'avantage de rapprocher la situation des salariés de celle des dirigeants de sociétés dont la responsabilité, à l'égard des tiers, n'est engagée, on s'en souvient, que lorsqu'ils ont « intentionnellement commis une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales(23) ». Comme pour ces derniers, la responsabilité des salariés ne serait donc engagée qu'en cas de faute intentionnelle particulièrement grave. En tout cas, là encore, comme pour la responsabilité des salariés à l'égard de l'employeur, le caractère intentionnel de l'acte ne suffirait pas. Celui-ci devrait revêtir, en outre, une certaine gravité. Pour autant, il n'en résulte pas que les solutions soient désormais uniformes, indépendamment de la qualité de la victime du préposé. 10 - En effet, alors que, à l'égard des tiers, la responsabilité du salarié semble automatiquement engagée dès lors que le dol commis est pénalement incriminé, à l'égard de l'employeur, au contraire, des fautes pénales vénielles, quoique intentionnelles, tels les menus larcins, ne semblent pas revêtir, on l'a vu, une gravité suffisante pour avoir le même effet. L'explication de cette divergence est en réalité assez simple : le critère de gravité retenu n'est pas le même dans les deux cas, la jurisprudence se fondant tantôt sur la gravité de l'acte en lui-même, tantôt sur l'importance de ses effets. Même si le critère de la qualification pénale permet sans doute de justifier plus facilement une exception à l'arrêt Costedoat, on peut néanmoins douter de sa pertinence, d'autant qu'il ne paraît pas possible de toujours coupler les deux types de responsabilités pour éviter de faire peser sur le salarié une responsabilité pénale sans responsabilité civile corrélative(24). Une telle solution exigerait en effet de retenir une responsabilité civile du salarié chaque fois que sa responsabilité pénale est engagée, y compris pour des fautes d'imprudence bénignes, ce qui ruinerait le principe d'immunité. 11 - Cette condition de la qualification pénale devrait d'ailleurs susciter d'autres difficultés. La Cour de cassation a par exemple dû préciser qu'il n'était pas indispensable que le salarié ait été effectivement condamné pénalement pour que sa responsabilité civile puisse être retenue(25) ; en revanche, si des poursuites pénales ont été engagées, le juge civil, s'il a été saisi, devrait normalement surseoir à statuer dans l'attente de la décision répressive. Par ailleurs, en exigeant un cumul de qualifications civile et criminelle, la jurisprudence s'expose inévitablement à subir les interférences entre les deux notions de dol, civile et pénale, lesquelles ne sont pas strictement identiques, ce qui ajoute encore à l'imprécision de la faute intentionnelle. B - La faute intentionnelle, condition imprécise de la responsabilité du salarié 12 - Pendant longtemps, la notion de faute intentionnelle ou de dol civil est restée univoque, identifiée à la volonté de causer le dommage, voire même à l'intention de nuire à autrui. Son auteur devait non seulement avoir voulu l'acte dommageable, mais aussi son résultat. Plus récemment, néanmoins, s'est fait jour en droit français, semble-t-il sous l'influence du droit allemand, une

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conception plus large de cette catégorie de fautes, davantage assimilée à la mauvaise foi qu'à la malveillance. Dans cette conception, il ne serait pas nécessaire que l'individu ait voulu les effets de l'acte accompli, il suffirait qu'il les ait consciemment et délibérément prévus et acceptés. La faute intentionnelle serait ainsi davantage caractérisée par le « mépris des intérêts d'autrui » que par le recherche du préjudice(26). Selon certains, même, l'intention pourrait s'identifier en droit civil à la simple conscience de la réalisation possible du dommage, celui qui agit malgré l'existence de risques pouvant être considéré comme les ayant acceptés pour le cas où ils se réaliseraient. Ce faisant néanmoins, comme il a été remarqué(27), l'on fait entrer certaines formes d'imprudences graves, les imprudences volontaires, dans la catégorie des fautes intentionnelles, ce qui n'est sans doute pas de bonne politique. Il reste de toute façon que la faute intentionnelle oscille aujourd'hui entre deux types de comportements : la recherche volontaire du dommage ou la simple acceptation de celui-ci. Or, s'agissant de la responsabilité du préposé, le droit positif n'a pas clairement fait le choix entre ces deux conceptions. 13 - Certes, en ce qui concerne la responsabilité du salarié à l'égard de l'employeur, la solution paraît assez claire. La Cour de cassation, sauf quelques arrêts dissidents, s'en tient en effet à la conception classique et étroite de la faute dolosive(28). Selon elle, il ne suffit pas que les faits reprochés au salarié comportent un élément intentionnel, faut-il encore qu'ils impliquent la volonté du préposé de nuire à l'employeur(29). Ainsi, comme on l'a déjà signalé, dès lors que le salarié qui commet un vol au détriment de l'employeur n'a eu pour but que de se procurer un avantage pour lui-même et non la volonté de nuire à celui-ci en lui portant préjudice, il n'engage pas sa responsabilité civile. Comme on l'a écrit(30), ici « le mal n'a pas été voulu en tant que tel », pour le mal ; la faute intentionnelle n'est donc pas caractérisée parce que, en l'occurrence, elle ne se ramène pas à la simple conscience de nuire à autrui, mais suppose au contraire la recherche à dessein du préjudice. La poursuite d'un intérêt personnel par le salarié exclut donc son dol et, par voie de conséquence, sa responsabilité. 14 - La solution peut se comprendre dans la mesure où la faute intentionnelle, ainsi rigoureusement circonscrite, permet d'éviter les dérapages que les jurisprudences de 1958 et 1990 avaient pour objectif de conjurer. Elle pourra néanmoins étonner, car la responsabilité du salarié à l'égard de l'employeur est une responsabilité contractuelle. Or, on admet généralement que c'est pour ce type de responsabilité, entre contractants se devant mutuellement confiance et loyauté, que la notion moderne de faute intentionnelle, ramenée à la simple mauvaise foi, doit prévaloir(31). C'est d'ailleurs initialement pour elle qu'elle avait été imaginée par la doctrine(32) et c'est bien entre cocontractants qu'elle a été introduite en droit français par le célèbre arrêt Société des comédiens français du 4 février 1969(33). Au contraire, en droit positif, le salarié qui a commis de graves indélicatesses à l'encontre de son employeur n'est pas obligé de l'indemniser dès lors qu'il n'a pas agi à dessein pour nuire à l'entreprise, alors même qu'il aurait été pénalement condamné(34). On en conviendra, la solution n'encourage guère à la loyauté entre cocontractants - alors que pourtant le droit du travail semble lui aussi de plus en plus gagné par la notion de bonne foi (cf. art. L. 120-4 c. trav.) - et l'immunité du salarié confine ici très largement à l'irresponsabilité pure et simple. A l'inverse, lorsque la responsabilité du préposé est recherchée par un tiers et qu'elle est donc de nature délictuelle, c'est la conception étroite de la faute intentionnelle qui devrait prévaloir. Il ne semble pas pourtant que tel soit le cas. 15 - La jurisprudence étant ici plus récente et par conséquent moins abondante, il faut évidemment faire preuve de prudence. On ne retrouve pas cependant, dans les arrêts de la Cour de cassation, la même volonté de cantonner la faute intentionnelle à l'intention de nuire du salarié, ni la référence à la poursuite d'un intérêt personnel exonérant ce dernier de toute responsabilité. Au contraire, la Cour de cassation paraît s'intéresser ici à la volonté du salarié d'accomplir l'acte plutôt qu'à la recherche par ce dernier du préjudice que celui-ci est de nature à produire. Ainsi, dans son arrêt Cousin, l'Assemblée plénière note que le salarié avait été « condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis une infraction ayant causé préjudice à un tiers ». On peut ainsi constater que, tout en utilisant le terme d' « intention », c'est en réalité la volonté du salarié de commettre l'infraction qui est relevée, non sa volonté de produire le dommage. Il semble donc bien qu'il suffise ici que le salarié ait eu la conscience que son acte allait causer un dommage pour que sa responsabilité soit engagée. La Chambre criminelle n'adopte pas une position différente puisque, dans son arrêt du 7 avril 2004, en énonçant à son tour que « le préposé qui a intentionnellement commis une infraction

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ayant porté préjudice à un tiers engage sa responsabilité à son égard »(35), elle n'exige pas chez le salarié la recherche du résultat. On pourrait encore faire le même constat avec la Chambre sociale en matière de harcèlement moral(36). 16 - On constate ainsi que la responsabilité du salarié à l'égard des tiers est beaucoup plus large que celle encourue à l'égard de l'employeur. Non seulement, en effet, l'intention de nuire à l'entreprise n'est pas requise, la recherche d'un intérêt personnel par le salarié n'étant pas de nature à l'exonérer, mais encore la simple acceptation du dommage sans recherche précise de celui-ci suffit à restaurer la responsabilité du travailleur. C'est donc bien ici la conception large de la faute intentionnelle qui est retenue par le droit positif, celui-ci consacrant ainsi une inversion des solutions, puisque la conception étroite du dol est retenue en matière contractuelle, là où est préconisée une conception large, et qu'au contraire est consacrée la conception large en matière délictuelle, là où l'on s'accorde à maintenir la conception étroite. Sans doute cette solution peut-elle s'expliquer par la volonté de protéger les tiers victimes, parfaitement étrangers aux conditions de réalisation du dommage. On peut même penser que si demain était admise, quelle que soit la gravité de sa faute, une responsabilité subsidiaire du salarié pour le cas d'insolvabilité de l'employeur, ce défaut pourrait être aisément corrigé. Des difficultés pourraient bien néanmoins perdurer tant que la Cour de cassation maintiendra, pour engager la responsabilité du préposé à l'égard des tiers, l'exigence, pour sa faute, d'une qualification criminelle. 17 - C'est en réalité poser ici la délicate question de l'identité des fautes intentionnelles, civiles et pénales, identité rejetée d'ailleurs par une partie de la doctrine en raison du particularisme du droit répressif(37). En tout cas, en exigeant une qualification pénale en ce qui concerne la responsabilité civile du salarié à l'égard des tiers, la jurisprudence, on l'a déjà signalé, expose la faute intentionnelle civile à subir les interférences du dol pénal. On se rappelle, par exemple, et c'est une première illustration de ces interférences, que le droit pénal retient une conception abstraite de l'intention, indifférente au mobile(38). Il n'est donc pas surprenant que, pour engager la responsabilité du salarié à l'égard des tiers, la Cour de cassation n'exige pas, comme en droit pénal, l'intention de nuire, simple mobile, alors que pourtant la solution inverse prévaut, on l'a vu, s'agissant de sa responsabilité à l'égard de l'employeur ; cependant, dans ce dernier cas, la faute civile n'a pas subi la « contamination » du droit pénal. Il est classique également de distinguer, en droit criminel, le dol général du dol spécial, même si les auteurs ne sont pas unanimes sur ce point(39). Ce dernier supposerait une intention spécialement tournée vers le résultat, tandis que, pour le premier, une simple volonté de l'acte pourrait suffire dès lors que, le résultat en étant inséparable, l'agent, en voulant l'acte, en aurait nécessairement accepté les conséquences(40). Même si certains auteurs considèrent que, en matière de responsabilité du salarié à l'égard des tiers, le droit positif fait référence au dol spécial(41) - les infractions relevées supposent en effet normalement un dol de cette nature - , il faut bien reconnaître pourtant que les formules utilisées évoquent davantage le dol général, c'est-à-dire beaucoup plus la volonté de commettre l'infraction que de rechercher le dommage qu'elle produit. En particulier, l'attendu utilisé par la Chambre sociale, dans son arrêt du 21 juin 2006(42), relevant que le salarié avait « sciemment » harcelé, au sens de l'article L. 122-49 du code du travail, ses subordonnés, est tout à fait caractéristique de cette catégorie de dol. Or, le dol général, en mettant l'accent sur la volonté de l'acte plus que sur la recherche de son résultat, celui-ci étant seulement au mieux accepté, renvoie évidemment à la conception large de la faute intentionnelle. Il ne faut donc pas s'étonner - et c'est la seconde illustration des interférences du droit pénal - que, s'agissant de la responsabilité du salarié à l'égard des tiers, ce soit cette conception qui ait prévalu en jurisprudence. En définitive, l'exigence d'une qualification pénale, dont on pouvait penser pourtant qu'elle aurait strictement cantonné la responsabilité civile du salarié, a paradoxalement contribué au contraire à son extension. 18 - Force est donc de constater, s'agissant de la responsabilité du salarié, que le droit positif n'a pas clairement choisi entre les deux conceptions de la faute intentionnelle, appliquant successivement l'une ou l'autre selon la qualité de la victime. La référence à cette catégorie de fautes n'aura finalement pas contribué à l'harmonisation des solutions qu'on aurait pu espérer. Dans ces conditions, est-il encore bien raisonnable de faire de la faute intentionnelle le critère de la résurgence de la responsabilité du salarié, alors que de toute façon elle n'épuise pas l'ensemble des hypothèses excluant la réalisation d'un risque d'entreprise devant rester à la charge de cette dernière ? Ne convient-il pas au contraire de prendre également en compte d'autres comportements particulièrement graves, volontaires mais non intentionnels, et que l'on ne saurait tolérer quel qu'en soit leur auteur, fût-il un salarié ? Une réponse positive s'impose, mais qui oblige alors à préciser quels peuvent être ces comportements.

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II - La recherche d'un critère de remplacement : la faute inexcusable 19 - Le juge dispose ici de plusieurs solutions possibles. La faute lourde, depuis qu'elle a donné lieu à une nouvelle définition plus restrictive(43), est sans doute mieux adaptée que naguère aux problèmes soulevés par la responsabilité civile du salarié. Certaines propositions faites par la doctrine en la matière paraissent bien d'ailleurs correspondre peu ou prou à cette définition(44). Il n'est pas sûr toutefois que la jurisprudence soit prête à l'adopter, d'autant que cette nouvelle définition, par ailleurs trop centrée sur l'inaptitude du débiteur, n'a peut-être pas une portée générale. L'on pourrait songer aussi à la faute personnelle(45), visée naguère par l'arrêt Rochas, et utilisée dans des circonstances voisines par le droit administratif(46). Cette notion n'a cependant pas fait l'objet d'une définition générale précise, la jurisprudence décidant au cas par cas. Il n'est donc pas certain qu'elle puisse ici être utilisée efficacement. 20 - Il reste que, pour limiter la responsabilité d'un débiteur considéré comme digne de protection, le législateur a conçu depuis longtemps une nouvelle catégorie de fautes, intermédiaire entre la faute intentionnelle et la faute lourde : la faute inexcusable. Celle-ci paraît bien correspondre en réalité à cette « incurie exceptionnelle » et inacceptable mentionnée par des auteurs pour justifier la résurgence d'une responsabilité du salarié à l'égard des tiers(47). Elle pourrait donc constituer un critère pertinent de cette responsabilité (A), d'autant que la jurisprudence a toujours circonscrit cette faute dans des limites raisonnables lorsqu'elle est l'oeuvre du salarié (B). A - La faute inexcusable, critère pertinent de la responsabilité du salarié 21 - Même les auteurs favorables à une large immunité du salarié admettent aujourd'hui que la responsabilité de ce dernier ne doit pas seulement renaître lorsqu'il commet une faute intentionnelle, mais plus généralement chaque fois qu'il se rend coupable d'une faute ne correspondant pas à la réalisation d'un risque normal, et donc prévisible, de l'entreprise. Ainsi Mme le professeur Viney écrit-elle que le salarié doit « continuer à répondre personnellement de ses fautes graves dont les conséquences ne relèvent pas normalement des risques de l'activité à laquelle il participe »(48). Et pour cet auteur, la faute grave du préposé est celle « à laquelle le commettant ne pouvait pas s'attendre » soit parce qu' « elle procède d'une malhonnêteté caractérisée », soit parce qu'elle révèle « une incurie exceptionnelle»(49). La faute « désimmunisante »(50) du salarié devrait donc être caractérisée avant tout par la circonstance qu'elle ne pouvait entrer dans les prévisions de l'employeur. N'étant pas alors prévisible pour ce dernier, elle ne réalise plus un risque normal de l'entreprise qu'il doit supporter. La responsabilité du salarié doit au contraire réapparaître. Ces situations incluent bien sûr la faute intentionnelle, en cas de malveillance ou de poursuite d'un intérêt personnel égoïste, mais aussi la faute non intentionnelle particulièrement énorme qui révèle une incurie manifeste du salarié. Ce point de vue ne paraît guère contestable. On y apportera néanmoins une réserve. 22 - La définition donnée par Mme Viney n'est en réalité pas très éloignée de la faute lourde qu'elle risque ainsi de faire resurgir, avec son cortège de difficultés. Il serait donc sans doute préférable de cantonner la responsabilité du salarié à une catégorie particulière d'imprudences graves : les imprudences volontaires, ce qui exclurait les pures négligences, même lourdes, en particulier par leurs conséquences. La faute non intentionnelle du salarié engageant sa responsabilité devrait correspondre à une prise de risques délibérée et inacceptable. Il conviendrait aussi bien évidemment, mais de cela tout le monde en est d'accord, que l'imprudence du salarié n'ait pas été provoquée, ni directement ni indirectement, par l'attitude de l'employeur ou l'organisation défaillante de l'entreprise. La notion de risques d'entreprise suffirait en effet alors à rétablir la responsabilité de celle-ci. Il conviendrait donc, pour qu'il engage sa responsabilité, que le salarié ait pris de sa propre initiative un risque volontaire grave ou adopté un comportement particulièrement dangereux qui n'était justifié en rien par la tâche à accomplir. Or, une telle définition n'est pas très éloignée de la définition de la faute inexcusable, du moins telle qu'elle est comprise en droit social. 23 - Dans cette discipline, la faute inexcusable s'entend en effet d' « une faute d'une gravité exceptionnelle, dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l'absence de toute cause justificative et se distinguant par le défaut d'un élément intentionnel de la faute visée au paragraphe 1 de la loi du 9 avril 1898 »(51). On constate donc que cette faute, comme celle proposée pour engager la responsabilité du salarié, suppose une gravité exceptionnelle, excluant les fautes courantes faisant partie des risques d'entreprise. Elle suppose aussi

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l'absence de toute justification. Elle ne doit donc pas pouvoir s'expliquer par les nécessités d'exécution de la tâche du salarié, ni provenir d'une insuffisance de moyens de l'entreprise. D'une certaine façon, cette faute devient ainsi détachable des fonctions du salarié. Enfin, si elle n'a pas à être une faute intentionnelle supposant la recherche d'un résultat, elle suppose néanmoins un élément volontaire en ce qui concerne l'acte accompli. Il ne doit pas s'agir d'une négligence pure, mais d'une prise de risques volontaire exposant autrui à des dangers dont le préposé devait avoir conscience. Le salarié doit avoir adopté délibérément un comportement dangereux, en particulier en contrevenant gravement à son devoir de sécurité (art. L. 230-3 c. trav.). Les violations manifestes et conscientes de ce devoir pourraient ainsi donner lieu à une résurgence de la responsabilité du salarié. Il semble bien d'ailleurs que la Cour de cassation se soit déjà engagée dans cette direction. 24 - Ainsi, dans un arrêt en date du 28 mars 2006(52), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a-t-elle décidé que « le préposé..., auteur d'une faute qualifiée aux sens de l'article 121-3 du code pénal, engage sa responsabilité civile à l'égard du tiers victime de l'infraction, celle-ci fût-elle commise dans l'exercice de ses fonctions ». En l'occurrence, le salarié avait violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité imposée par la loi ou le règlement. Certains ont dès lors soutenu que la décision se situait dans la ligne de la jurisprudence antérieure exigeant une faute intentionnelle pénalement qualifiée(53). Une lecture attentive de l'arrêt montre cependant qu'il n'en est rien. En effet, le salarié avait seulement volontairement accompli l'acte ayant provoqué le dommage, sans avoir pour autant recherché celui-ci. On ne pouvait même pas considérer qu'il avait accepté les conséquences de cet acte, puisque la réalisation du préjudice n'était pas certaine, mais seulement possible(54). On se trouvait donc en présence d'un simple dol éventuel qui, on le sait, ne constitue pas un dol véritable(55), sauf à faire absorber les imprudences conscientes par la notion de faute intentionnelle(56). On peut donc ainsi constater que la Cour de cassation admet de retenir la responsabilité du salarié dans des hypothèses de « simples » prises de risques volontaires de la part du travailleur, sans exiger de véritable faute intentionnelle au sens classique du terme, dès lors qu'il s'agit de comportements particulièrement dangereux pour autrui. 25 - De toute façon, en visant la faute qualifiée aux sens (au pluriel !) de l'article 121-3 du code pénal, la Cour de cassation inclut dans sa jurisprudence non seulement les prises de risques volontaires, mais aussi les « fautes caractérisées ». Or, cette dernière ne relève plus de la faute délibérée, pour se définir plus simplement comme la faute « qui expose autrui à un risque d'une particulière gravité que son auteur ne pouvait ignorer ». Par l'accent mis sur l'exposition d'autrui à un risque d'une particulière gravité, abstraction faite de toute intention, la faute caractérisée renvoie ainsi bien davantage à la faute inexcusable qu'à la faute intentionnelle(57). La Cour de cassation, au moins dans sa formation répressive, semble donc bien progressivement admettre la responsabilité du salarié en l'absence de faute dolosive, pour le cas d'imprudences graves et inadmissibles de sa part, même si la solution demande encore confirmation. 26 - Il convient en effet de remarquer que l'arrêt du 28 mars 2006 concernait un salarié titulaire d'une délégation de pouvoir et disposant ainsi d'une large autonomie dans l'exercice de ses fonctions. On pourrait donc soutenir que c'est cette circonstance qui justifie la solution retenue, laquelle, dès lors, ne serait pas transposable aux autres salariés. On rappellera pourtant que la Cour de cassation n'est plus disposée aujourd'hui à exclure de l'immunité les salariés, tels les médecins, bénéficiant d'une indépendance technique dans l'accomplissement de leur travail(58). On ne voit pas dès lors pourquoi il en irait autrement pour les salariés délégataires qui, de surcroît, même s'ils agissent à la place de l'employeur, ne participent pas directement, comme lui, aux profits de l'entreprise. La Cour de cassation a d'ailleurs déjà eu, par le passé, l'occasion de statuer sur le cas des salariés délégataires et les a traités comme les autres salariés subordonnés, dès lors qu'ils n'ont pas été dirigeants de fait(59). D'autre part, il paraît normal de considérer que les salariés délégataires, qui agissent à la place du chef d'entreprise et pour son compte, engagent, comme les dirigeants sociaux, la responsabilité civile personnelle de l'employeur - on rappellera qu'ils engagent déjà la responsabilité pénale de ce dernier lorsqu'il est une personne morale - ; ils ne devraient donc pouvoir être inquiétés, comme eux, qu'en en cas de « faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal » de leurs fonctions(60). La délégation de pouvoir donnée à un salarié, loin d'aggraver son sort, devrait donc au contraire l'améliorer, en transformant le préposé en organe de la société qui l'emploie. La circonstance que le salarié ait été en l'occurrence délégataire ne saurait donc avoir déterminé la solution retenue. Il convient au contraire de considérer que la Cour de cassation admet désormais la responsabilité du

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salarié même en l'absence de faute intentionnelle, lorsqu'il a adopté un comportement dangereux inadmissible aux sens de l'article 121-3 du code pénal. Au fond, cette solution n'est pas surprenante. 27 - La faute qualifiée au sens de l'article 121-3 du code pénal, en effet, a été imaginée par le législateur pour faire exception, à titre de correctif, au principe d'irresponsabilité pénale des auteurs indirects de dommages, dans les hypothèses où il paraîtrait choquant qu'ils soient exonérés de toute sanction. On comprendrait mal, dans ces conditions, qu'un sort différent fût fait à la responsabilité civile et que, là où ressurgit, malgré le principe d'immunité, la responsabilité pénale ne réapparaisse pas également la responsabilité civile de l'auteur du dommage, en l'occurrence celle du salarié, lorsqu'il a lui aussi commis une faute qualifiée au sens de l'article 121-3. C'est d'ailleurs la solution qu'avait proposée un auteur de façon prémonitoire dès 2002(61). Il reste que la faute inexcusable, à l'instar de la faute intentionnelle, ne fait pas l'objet d'une définition unitaire. Comme elle encore, elle a même reçu parfois une acception large, qui pourrait bien, le cas échéant, menacer l'immunité de principe du salarié. Il convient donc de vérifier que cette faute n'est pas de nature à remettre en cause cette immunité. En réalité, ce risque est ici très faible car, lorsqu'elle est l'oeuvre du salarié, la faute inexcusable peut aisément être circonscrite. B - La faute inexcusable, critère circonscrit de la responsabilité du salarié 28 - Il convient d'abord de rappeler que la faute inexcusable est utilisée par le droit positif dans plusieurs hypothèses bien distinctes. On la retrouve en premier lieu dans le droit des accidents de la circulation issu de la loi du 5 juillet 1985, même si ce n'est pas là qu'elle est initialement apparue. En cette matière, néanmoins, la Cour de cassation, dans une série d'arrêts(62), en a donné une définition très étroite qui, appliquée au salarié pour déterminer les contours de sa responsabilité, préserverait à l'évidence l'immunité de principe dont il bénéficie. Cela étant, il faut reconnaître qu'une telle transposition apparaît bien hypothétique compte tenu des différences de contexte. 29 - On retrouve également la notion de faute inexcusable dans le droit des transports. Les textes y donnent d'ailleurs cette fois une définition expresse de la faute inexcusable, celle-ci devant s'entendre soit de la « faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable »(63), soit de celle qui « résulte d'un acte ou d'une omission accompli témérairement et avec la conscience qu'un danger en résultera probablement »(64). Les auteurs n'ont pas manqué de relever le caractère restrictif de ces définitions. En particulier, elles paraissent retenir une appréciation concrète de la conscience du danger par l'auteur de la faute, qui devrait normalement cantonner la faute inexcusable aux cas extrêmes de comportement réellement impardonnables. Malheureusement, il faut bien reconnaître que la jurisprudence s'est plutôt orientée vers une appréciation abstraite de la faute inexcusable(65), qui la rapproche ainsi très largement de celle du droit social. C'est donc en définitive à cette dernière notion qu'il convient de se référer. 30 - En droit social, les juges ont en effet retenu, on l'a vu précédemment, une conception in abstracto de la faute inexcusable. En l'absence de définition légale, la jurisprudence a fait référence, pour la caractériser, à la conscience du danger que « devait » avoir son auteur. Plus encore, depuis les célèbres arrêts amiante(66), la faute inexcusable de l'employeur se ramène au simple « manquement [de celui-ci] à son obligation de sécurité [dès lors] qu'il aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ». Ainsi, non seulement la condition de la conscience du danger se trouve affaiblie par l'appréciation abstraite qui en est faite, mais l'exigence de gravité de la faute est désormais considérablement atténuée, pour ne pas dire anéantie, par la simple référence à la violation de l'obligation de sécurité, quelles qu'en soient les circonstances. On observe ainsi une évolution semblable à celle enregistrée en matière de faute lourde, où la violation d'une obligation essentielle a pu suffire à caractériser cette dernière. Cette évolution ne remet pourtant pas en cause le choix de la faute inexcusable comme critère de la responsabilité du salarié. 31 - Il convient en effet d'observer que cette nouvelle définition ne vise que l'employeur lui-même ; elle n'est pas, selon la jurisprudence, applicable au salarié(67). Pour lui, c'est donc l'ancienne définition, intégrant la gravité exceptionnelle de l'acte, qui perdure. Mieux, la Cour de cassation a toujours fait pour la faute inexcusable, lorsqu'elle est l'oeuvre du salarié, une appréciation particulière, beaucoup plus étroite, notamment en refusant de s'engager trop avant dans une appréciation abstraite du comportement du préposé(68). La faute inexcusable du salarié n'a donc pas connu les mêmes extensions que celle de l'employeur. Elle est beaucoup mieux circonscrite que cette dernière. Son

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utilisation pour délimiter la responsabilité du salarié ne devrait donc pas ruiner l'immunité de principe dont il jouit depuis la jurisprudence Costedoat, mais seulement y apporter un tempérament raisonnable. On remarquera d'ailleurs que la loi du 10 juillet 2000 vise les risques que l'auteur de la faute ne « pouvait » ignorer, formule qui là encore exclut manifestement toute appréciation par trop abstraite du comportement. La solution préconisée ne devrait donc pas remettre en cause ces orientations. 32 - Dans la conception proposée, la faute inexcusable du salarié ne serait en définitive qu'une sorte de prolongement, sur le terrain de l'imprudence consciente, de la faute intentionnelle. Un auteur, pourtant favorable à celle-ci pour engager la responsabilité du travailleur, a d'ailleurs admis qu'il est à peu près inévitable que les juges, dans leur appréciation, ne fassent glisser insensiblement la seconde vers la première(69). La faute inexcusable du salarié ne serait pas ainsi une simple « variante de la faute lourde » que l'on a pu, à juste titre, stigmatiser lorsqu'elle émane de l'employeur ou du transporteur(70). On peut au contraire penser que, parce que la jurisprudence adopte une conception fonctionnelle de la faute inexcusable, variable au gré des intérêts à protéger, la faute inexcusable du salarié, s'agissant de sa responsabilité à l'égard des tiers, conservera sa singularité, notamment grâce à son caractère exceptionnellement grave, impliquant une prise de risques volontaire et inadmissible, souvent contre « la sécurité corporelle » des tiers(71). Ainsi définie, la faute inexcusable devrait perdre toute nocivité au regard du principe d'immunité du salarié, tout en permettant de respecter au mieux le droit des victimes à obtenir réparation. La situation du salarié ne serait d'ailleurs pas très différente alors de celle des agents publics qui, outre les hypothèses de poursuite d'un intérêt propre ou de malveillance, ne sont responsables personnellement que de leurs comportements excessifs et, selon l'expression même d'un auteur, de leurs conduites inexcusables et inadmissibles(72). 33 - La faute inexcusable présenterait également l'avantage de restaurer une certaine moralisation des rapports de travail et favoriserait sans doute aussi la responsabilisation des préposés(73). Encore, sur ce dernier point, faut-il se montrer prudent. En effet, lorsque l'employeur a souscrit une assurance de responsabilité, l'assureur devrait normalement prendre à sa charge l'indemnisation des victimes, sans qu'il dispose d'un recours contre le préposé, celui-ci étant prohibé par le code des assurances. Ce n'est que lorsque le dommage provient d'une faute intentionnelle que l'assureur retrouve son droit de recours et que le salarié supporte donc pleinement les conséquences de sa faute (art. L. 121-12 c. assur.). On pourrait penser qu'il y a là un argument sérieux en faveur de la faute intentionnelle comme critère de la responsabilité du salarié. Reste que, si l'on accepte d'appliquer ce critère, l'on peut néanmoins difficilement retenir, sauf à consacrer une quasi-irresponsabilité du salarié, la conception étroite de la faute intentionnelle. Or, comme seule cette dernière, selon la jurisprudence(74), exclut la garantie de l'assureur, il y aura bien aussi, avec cette faute, des hypothèses où la réparation ne pèsera pas sur le salarié responsable, mais sur l'assureur. L'argument n'est donc pas décisif. En réalité, le droit des assurances ne saurait permettre ici de régler le problème, parce que la souscription d'une police d'assurance n'est pas obligatoire pour l'employeur. Il y aura de toute façon toujours des hypothèses où le salarié bénéficiera d'immunités particulières, renforcées, notamment lorsque le fait dommageable constituera un accident du travail (art. L. 451-1 CSS). Pour toutes ces raisons, il serait donc souhaitable que la responsabilité du salarié réapparaisse, même à défaut d'élément intentionnel, chaque fois qu'il a commis « consciemment et sans raison valable une faute d'une exceptionnelle gravité faisant courir à autrui un risque inadmissible qu'il ne pouvait ignorer ». (1) Cass. ass. plén. 25 févr. 2000, JCP G 2000, II, 10295, concl. R. Kessous, note M. Billiau, et I, 241, n° 16, obs. G. Viney ; D. 2000, Jur. p. 673, note P. Brun, et Somm. p. 467, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 2000, p. 582, obs. P. Jourdain ; Resp. civ. et assur. 2000, chron. n° 11, par H. Groutel, et n° 22, par C. Radé : Les limites de l'immunité du préposé ; Bull. Joly 2000, p. 645, obs. J.-F. Barbiéri. (2) Hypothèse qui ne s'identifie pas nécessairement à l'absence d'abus de fonction, cf. H. Capitant, F. Terré et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, 11e éd., p. 342. (3) Cf. notamment M.-T. Rives-Lange, Contribution à l'étude de la responsabilité des maîtres et commettants, JCP 1970, I, 2309, et H., L. et J. Mazeaud, Traité de la responsabilité civile, par A. Tunc, 6e éd., t. 1, n° 927; adde, G. Viney, note sous Cass. com. 12 oct. 1993, D. 1994, Jur. p. 124. (4) Cf. en ce sens, R. Kessous, concl. préc. (5) Cass. soc. 27 nov. 1958, D. 1959, Jur. p. 20, note R. Lindon ; JCP 1959, II, 11143, note Brèthe de la Gressaye ; 29 nov. 1990, Dr. soc. 1991, p. 105, note G. Couturier ; D. 1991, IR p. 6. (6) Cf. notamment M. Billiau, note préc. (7) G. Durry, Plaidoyer pour une révision de la jurisprudence Costedoat ou une hérésie facile à corriger, Mélanges M. Gobert, Economica, 2004, p. 549. (8) P. Jourdain, obs. préc. sous l'arrêt Costedoat.

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(9) J.-F. Barbiéri, Responsabilité de l'entreprise et responsabilité de ses salariés. A la recherche de l'équilibre perdu, Mélanges M. Despax, PU Toulouse I, 2002, p. 141. (10) Cass. ass. plén. 14 déc. 2001, JCP G 2002, II, 10026, note M. Billiau ; D. 2002, Jur. p. 1230, note J. Julien, Somm. p. 1317, obs. D. Mazeaud, et Somm. p. 2117, obs. B. Thullier ; RTD civ. 2002, p. 109, obs. P. Jourdain ; Resp. civ. et assur. 2002, chron. n° 4, par H. Groutel ; Gaz. Pal. 2002, p. 124, concl. R. de Gouttes, note Y. Monnet. (11) Cf. par exemple C. Radé, art. préc. ; M.-C. Guérin, La faute intentionnelle de celui qui agit pour le compte d'autrui, LPA, 11 janv. 2006, n° 8, p. 6 ; adde, M.-T. Rives-Lange, art. préc.. (12) G. Viney et P. Jourdain, Les conditions de la responsabilité civile, 2e éd., LGDJ, n° 808 s. (13) G. Viney, Remarques sur la distinction entre la faute intentionnelle, la faute inexcusable et la faute lourde, D. 1975, Chron. p. 263. (14) Bien que la notion de préposé soit effectivement plus large que celle de salarié, l'on emploiera ici indifféremment les deux termes. On raisonnera d'ailleurs pour l'essentiel sur la situation du salarié travaillant sous la subordination d'un employeur. Dans la pureté des principes, il faudrait toutefois se demander si les solutions ainsi dégagées sont aussi applicables au préposé du droit civil. (15) Cass. soc. 29 nov. 1990, préc. (16) J.-B. Laydu, La responsabilité civile du salarié: contractuelle ou délictuelle ?, Dr. soc. 1995, p. 147. (17) Cass. soc. 6 juill. 1999, Bull. civ. V, n° 326 ; Dr. soc. 1999, p. 961, obs. J. Savatier ; D. 1999, IR p. 208. (18) Cass. soc. 15 nov. 1989, Bull. civ. V, n° 662 (vol d'une pièce de viande). (19) Resp. civ. et assur. 2001, n° 212, comm. H. Groutel. (20) Préc. supra, note 10. (21) A. Paulin, L'embellie de l'infraction pénale désimmunisante, RRJ 2006, I, p. 97. (22) Cf. notamment en ce sens, M.-C. Guérin, article préc. On remarquera également que la Cour de cassation dans son communiqué sur l'arrêt du 21 juin 2006 (infra, note 36), relatif au harcèlement moral, ne manque pas de relever aussi l' « extrême gravité » de la faute commise par le préposé. (23) Cass. com. 20 mai 2003, D. 2003, Jur. p. 2623, note B. Dondero, AJ p. 1502, obs. A. Lienhard, et 2004, Somm. p. 66, obs. J.-C. Hallouin ; JCP G 2003, I, 108, n° 1, obs. J.-J. Caussain, F. Deboissy et G. Wicker, et II, 10178, note F. Reifegerste ; Rev. sociétés 2003, p. 479, note J.-.F Barbiéri ; RTD com. 2003, p. 523, obs. J.-P. Chazal et Y. Reinhard, et p. 741, obs. C. Champaud et D. Danet. (24) Cf., sur ces points, R. Kessous et F. Desportes, Les responsabilités civiles et pénales du préposé et l'arrêt de l'Assemblée plénière du 25 février 2000, Rapport de la Cour de cassation 2000, La Doc. française. (25) Cass. crim. 7 avr. 2004, Bull. crim., n° 94 ; D. 2004, IR p. 1563. (26) G. Viney et P. Jourdain, préc., n° 619 s. (27) Ibid., n° 621. (28) J.-J. Touati, J.-Cl. Travail, Fasc. 30-40, n° 49 s. ; B. Bossu, La faute lourde du salarié, Dr. soc. 1995, p. 26, qui note cependant que certains arrêts se montrent plus sévères à l'égard du salarié. (29) Cf., par exemple, Cass. soc. 3 oct. 2000, TPS 2000, comm. 380. (30) B. Bossu, art. préc. (31) G. Viney et P. Jourdain, préc., not. n° 622. (32) R. Jambu-Merlin, Dol et faute lourde, D. 1955, Chron. p. 84. (33) Cass. 1re civ. 4 févr. 1969, JCP 1969, II, 16030, note J. Prieur ; D. 1969, Jur. p. 601, note J. Mazeaud. (34) Cass. soc. 16 mai 1990, Bull. civ. V, n° 228 ; D. 1990, IR p. 154 ; toutefois, Cass. soc. 16 janv. 1991, n° 90-43198. (35) Arrêt préc., note 25. (36) Cass. soc. 21 juin 2006, JCP S 2006, 1566, note C. Leborgne-Ingelaere ; D. 2006, IR p. 1770, obs. C. Dechristé ; RDT 2006, p. 245, note P. Adam ; cf. C. Radé, Dr. soc. 2006, p. 826. (37) G. Viney, Introduction à la responsabilité civile, LGDJ, 2e éd., n° 148. (38) J. Leroy, Droit pénal général, LGDJ, 1re éd., n° 372 s. (39) Cf. par exemple A. Decocq, Droit pénal général, éd. Colin, coll. U, 1971, p. 217. (40) R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, t. 1, Cujas, 7e éd., n° 596. (41) F. Desportes, Faute pénale et responsabilité civile du préposé, RRJ 2002, n° 8-9, p. 712. (42) Arrêt préc., note 36. (43) Cass. ch. mixte 22 av. 2005, D 2005, Jur. p. 1864, note J.-P. Tosi, AJ p. 1225, obs. E. Chevrier, Pan. p. 2750, obs. H. Kenfack, et Pan. p. 2844, obs. B. Fauvarque-Cosson ; JCP G 2005, II, 10066, note G. Loiseau ; BICC 15 juill. 2005, p. 17, rapport D. Garban et avis R. de Gouttes ; Dr. et patrimoine, oct. 2005, p. 36, note G. Viney ; RTD civ. 2005, p. 604, obs. P. Jourdain, et p. 779, obs. J. Mestre et B. Fages ; RDC 2005, p. 651, avis R. de Gouttes et note D. Mazeaud. (44) Cf., notamment, G. Viney et P. Jourdain, op. cit., n° 811-3. (45) Cf. G. Viney, note préc., D. 1994, Jur. p. 124 ; adde, S. Fournier, La faute personnelle du préposé, LPA, 23 juill. 1997, n° 88, p. 15. (46) Cf., sur ces points, B. Puill, Les fautes du préposé : s'inspirer de certaines solutions du droit administratif ?, JCP G 1996, I, 3939 ; S. Frémeaux, L'excès de mission dans la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés, Dr. et patrimoine 2002, n° 12, p. 40. (47) G. Viney, obs. préc., JCP G 2000, I, 241, n° 19. (48) Ibid., n° 18. (49) Ibid., n° 19. (50) Selon l'expression de A. Paulin, préc., RRJ 2006, I, p. 97. (51) Cass. ch. réun. 15 juin 1941, DC 1941, p. 117, note A. Rouast ; JCP 1941, II, 1705, note J. Mihura. (52) JCP S 2006, I, 1448, note J.-F. Césaro, et G, 2006, note J. Mouly, à paraître ; D. 2006, IR p. 1252. (53) J.-F. Césaro, note préc.

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(54) Selon la doctrine « civiliste » dominante, seule la certitude du dommage permet de retenir la faute intentionnelle, B. Bossu, art. préc., et les références citées. (55) Cf. Y Mayaud, La volonté à la lumière du nouveau code pénal, Mélanges J. Larguier, p. 203. On relèvera également que la loi du 10 juill. 2000 ayant introduit dans le code pénal les dispositions instituant la notion de faute qualifiée au sens de l'art.121-3 est relative, selon son propre titre, aux « infractions non intentionnelles ». Cf. toutefois Cass. crim. 9 mars 1999, Rev. sc. crim. 1999, p. 581, obs. Y. Mayaud ; D. 2000, Somm. p. 227, obs. J. Mouly, et Jur. p. 581, note M.-C. Sordino et A. Ponseille. (56) D. Nguyen Thanh, Contribution à l'étude de la faute contractuelle : la faute dolosive et sa place actuelle dans la gamme des fautes, RTD civ. 1973, p. 496. (57) G. Vachet, L'incidence de la loi du 10 juillet 2000 sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, Dr. soc. 2001, p. 47. (58) Cass. 1re civ. 9 nov. 2004, JCP G 2005, II, 10020, concl. Duval-Arnould, note S. Porchy-Simon ; D. 2005, Jur. p. 253, note F. Chabas, et Pan. p. 407, obs. J. Penneau ; RTD civ. 2005, p. 143, obs. P. Jourdain. (59) Cf. par exemple Cass. crim. 28 juin 2005, n° 04-84281 ; adde, Cass. crim. 23 janv. 2001, préc. supra, note 19. (60) Cf., sur ces points, E. Ayissi Manga, Préposé et responsabilité, RRJ 2002-2, p. 750. (61) J.-F. Barbiéri, art. préc., supra note 9. (62) Cass. 2e civ. 20 juill. 1987, Bull. civ. II, n° 160 et 161. (63) Loi du 2 mars 1957. (64) Art. 25 modifié de la convention de Varsovie du 12 oct. 1929. (65) Cass. 2e civ. 5 mars 1964, JCP 1964, II, 13696, note M. de Juglart ; plus récemment, Cass. com. 14 mars 1995, Bull. civ. IV, n° 86 et 87. (66) Cass. soc. 28 févr. 2002, D. 2002, Jur. p. 2696, note X. Prétot ; JCP G 2002, II, 10053, concl. Benmakhlouf, et I, 186, n° 23, obs. G. Viney ; RTD civ. 2002, p. 310, obs. P. Jourdain. (67) Cass. 2e civ. 27 janv. 2004, D. 2004, Somm. p. 2185, obs. L. Noël. (68) G. Viney et P. Jourdain, op. cit., n° 616, spéc. p. 574 in fine. (69) C. Radé, Droit du travail et responsabilité civile, LGDJ, Bibl. droit privé, t. 282, n° 233. (70) Ibid., n° 616-1. (71) Ibid. (72) R. Chapus, Droit administratif, t. 1, 13 éd., Domat, n° 1331 s. En ce qui concerne les dirigeants, une harmonisation des solutions, sinon une uniformisation, supposerait un durcissement de la jurisprudence à leur égard, qui est néanmoins réclamée par beaucoup d'auteurs (G. Auzero, L'application de la notion de faute personnelle détachable des fonctions en droit privé, Dalloz Affaires 1998, p. 502 ; V. Wester-Ouisse, Critique d'une notion imprécise : la faute du dirigeant séparable de ses fonctions, ibid. 1999, p. 782). (73) Pour cette raison, elle devrait également prévaloir dans les rapports entre employeurs et salariés.

(74) Cf. par exemple, P. Malinvaud, Droit des obligations, Litec, 8e éd., n° 569

� Doc 20 : Ass. Plén. 25 février 2000 La Cour ; - (...) Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la SCA du Mas de Jacquines et M. Bortino ont demandé à la société Gyrafrance de procéder, par hélicoptère, à un traitement herbicide de leurs rizières ; que, sous l'effet du vent, les produits ont atteint le fonds voisin de M. Girard, y endommageant des végétaux ; que celui-ci a assigné en réparation de son préjudice la SCA du Mas de Jacquines, les époux Reynier, M. Bortino, M. Costedoat, pilote d'hélicoptère, et la société Gyrafrance ; - Sur le moyen unique du pourvoi n° G 97-20.152, pris en ses deux branches : (...) ; - Mais sur le moyen unique du pourvoi n° T 97-17.378, pris en sa première branche : - Vu les articles 1382 et 1384, alinéa 5, du Code civil ; - Attendu que n'engage pas sa responsabilité à

l'égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ; - Attendu que, pour retenir la responsabilité de M. Costedoat, l'arrêt énonce qu'il aurait dû, en raison des conditions météorologiques, s'abstenir de procéder ce jour-là à des épandages de produits toxiques ; - Qu'en statuant ainsi, alors qu'il n'était pas prétendu que M. Costedoat eût excédé les limites de la mission dont l'avait chargé la société Gyrafrance, la cour d'appel a violé les textes susvisés. - Par ces motifs, casse...

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SEANCE 18 LA RESPONSABILITE MEDICALE

I. – Jurisprudence

� Cass. civ. 20 mai 1936 : D¨1936, 1, p. 88, rapp. Josserand. � Cass. 1re civ., 7 octobre 1998 : JCP G 1998, II, 10179, rapp. P. Sargos. � Cass. 1re civ., 29 juin 1999 : JCP G 1999, II, 10138, rapp. P. Sargos. � Cass. 1re civ., 9 novembre 1999 : JCP G 2000, II, 10252, note Ph. Brun. � Cass. 1re civ., 8 novembre 2000 : JCP G 2001, II, 10493, rapp. P. Sargos. � Cass. 1re civ., 27 mars 2001 : Resp. civ. et ass. 2001, comm. n° 196. � Cass. 1re civ., 9 octobre 2001 : D. 2001, p. 2470. � Cass. 1re civ., 13 novembre 2002 : JCP G 2003, I, 152, note G. Viney. � Cass. 1re civ., 7 décembre 2004 : Resp. et ass. 2005, comm. 60. � Cass. 1re civ., 11 juin 2009, n° 08-16.914. � Cass. 1re civ. 3 juin 2010, n°09-13.591 : D. 2010, p. 1522, note P. Sargos.

II. – Doctrine

� P. Sargos, Confirmation et approfondissement du nouveau fondement de la responsabilité civile médicale et de la problématique et méthodologie de la perte de chance, D. 2010, p. 2682. � D. Bert, Feu l’arrêt Mercier, D. 2010, p. 1801.

� P. Sargos, Deux arrêts « historiques » en matière de responsabilité médicale générale et de responsabilité particulière liée au manquement d'un médecin à son devoir d'information, D. 2010, p. 1522.

� Ch. Radé, De la rétroactivité des revirements de jurisprudence, D. 2005, p. 988.

III. – Exercices

- Commentaire d’arrêt : Cass. 1re civ., 3 juin 2010.

- A partir des documents joints, vous vous interrogerez sur la rétroactivité des revirements de jurisprudence.

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I. Jurisprudence Cass. civ., 20 mai 1936 LA COUR ; Sur le moyen unique : Attendu que la dame Mercier, atteinte d’une affection nasale, s’adressa au docteur Nicolas, radiologue, qui lui fit subir, en 1925, un traitement par les rayons X à la suite duquel se déclara chez la malade une radiodermite des muqueuses de la face ; que les époux Mercier, estimant que cette nouvelle affection était imputable à une faute de l’opérateur, intentèrent contre celui-ci, en 1929, soit plus de trois années après la fin du traitement, une demande en dommages-intérêts pour une somme de 200 000 francs ; Attendu que le pourvoi reproche à l’arrêt attaqué, rendu par la cour d’appel d’Aix le 16 juillet 1931, d’avoir refusé d’appliquer la prescription triennale de l’art. 638 du code d’instruction criminelle à l’action civile intenté contre le docteur Nicolas par les époux Mercier, en considérant que cette action tenait son origine, non du délit de blessures par imprudence prétendument commis par le praticien, mais du contrat antérieurement conclu entre celui-ci et ses clients et qui imposait au médecin l’obligation de donner « des soins assidus, éclairés et prudents », alors que, d’après le pourvoi, ledit contrat ne saurait comporter une assurance contre tout accident involontairement causé, et que, dès lors, la responsabilité du médecin est fondée sur une faute délictuelle tombant sous l’application des

art. 319 et 320 du code pénal et justifiant en conséquence l’application de la prescription triennale instituée par ces textes ; Mais attendu qu’il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat comportant, pour le praticien, l’engagement, sinon, bien évidemment, de guérir le malade, ce qui n’a d’ailleurs jamais été allégué, du moins de lui donner des soins, non pas quelconques, ainsi que parait l’énoncer le moyen du pourvoi, mais consciencieux, attentifs et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science ; que la violation, même involontaire, de cette obligation contractuelle, est sanctionnée par une responsabilité de même nature, également contractuelle ; que l’action civile, qui réalise une telle responsabilité, ayant ainsi une source distincte du fait constitutif d’une infraction à la loi pénale et puisant son origine dans la convention préexistante, échappe à la prescription triennale de l’art. 638 du code d’instruction criminelle ; Attendu que c’est donc à bon droit que la cour d’Aix a pu déclarer inapplicable en l’espèce ladite prescription pénale, et qu’en décidant comme elle l’a fait, loin de violer les textes visés au moyen, elle en a réalisé une juste et exacte application ; D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; Par ces motifs, rejette.

Cass. 1re civ., 7 octobre 1998 Attendu que M. X..., né en 1943, souffrait d'une gonarthrose évolutive du genou droit, qui présentait une désaxation de 10 degrés environ ; que tous les traitements auxquels il avait été soumis ayant échoué, le docteur Y... a procédé en décembre 1990 à une intervention chirurgicale qui a permis de modifier l'angle d'axation du membre inférieur ; qu'à la suite de cette intervention M. X... a souffert des conséquences d'un syndrome de loge dont il a demandé la réparation au praticien ; que l'arrêt confirmatif attaqué (Pau, 16 octobre 1996) l'a débouté de sa demande ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche et le second moyen, pris en sa troisième branche : (sans intérêt) ;

Sur la deuxième branche du premier moyen et la première et deuxième branches du second moyen :

Attendu que M. X... reproche encore à la cour d'appel d'avoir décidé que le médecin n'était pas tenu de l'informer du risque d'atteinte du nerf sciatique lors de l'ostéotomie de valgisation en raison du seul fait qu'un tel risque était exceptionnel dès lors qu'il pouvait être évalué à seulement 1 %, et d'avoir estimé qu'il ne justifiait pas d'un préjudice ;

Mais attendu que la cour d'appel, statuant par motifs propres ou adoptés, a constaté, d'une part, qu'eu égard au caractère évolutif de la gonarthrose du genou dont était atteint M. X... et à l'échec de tous les traitements antérieurs, l'opération qu'il avait subie était indispensable et seule de nature à améliorer son état, d'autre part, que cette intervention avait effectivement abouti à l'amélioration escomptée, et que M. X..., qui avait récupéré l'usage de son genou et pouvait exercer des activités professionnelles et récréatives, telles

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que le cyclisme et la chasse, auxquelles il s'adonnait avant l'intervention, ne souffrait, en définitive, du fait du syndrome de loge, que de troubles sensitifs moindres que ceux découlant de la non-réalisation de l'opération chirurgicale ; que l'absence de préjudice résultant pour M. X... de la perte de la faculté qu'il aurait eue, s'il avait été informé, de refuser l'intervention, étant ainsi caractérisée, l'arrêt

est légalement justifié par ces seules énonciations, abstraction faite du motif erroné mais surabondant suivant lequel un risque n'avait pas à être révélé au patient en raison du seul fait que sa réalisation était exceptionnelle ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.

Cass. 1re civ., 29 juin 1999 Attendu que M. Y..., qui souffrait d'une arthrose tricompartimentale du genou gauche, a été opéré le 29 janvier 1988 dans un établissement de santé, la Clinique Ambroise-Paré, par le docteur X..., qui lui a posé une prothèse totale de ce genou ; qu'après cette intervention, M. Y... a souffert d'une infection nosocomiale due à des staphylocoques dorés dont l'éradication a nécessité plusieurs interventions chirurgicales et des changements de prothèse, la consolidation n'intervenant que le 31 décembre 1990 et M. Y... étant atteint d'une IPP lui interdisant la poursuite de son activité professionnelle ; qu'il a engagé une action tant contre l'établissement de santé que contre M. X..., mais que l'arrêt attaqué, estimant que ces derniers n'avaient commis aucune faute à l'occasion de l'apparition de l'infection nosocomiale, les a mis hors de cause de ce chef ; que la cour d'appel a toutefois retenu que M. X... n'avait pas informé son patient du risque d'infection nosocomiale inhérent à la pose de la prothèse et évalué le préjudice en résultant pour M. Y... à la somme de 70 000 francs ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident de M. X... : (sans intérêt) ;

Mais sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches du pourvoi principal de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis :

Vu les articles 1147 du Code civil et L. 376-1 du Code de la sécurité sociale ;

Attendu que pour rejeter le recours de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis tendant au remboursement des prestations qu'elle avait servies à M. Y..., l'arrêt attaqué a énoncé qu'elle ne pouvait exciper utilement de la faute d'information retenue à l'encontre du docteur X... pour prétendre à quelque indemnisation que ce soit, dès lors que cette faute est étrangère à l'affection elle-même ayant entraîné les débours de cette Caisse et qu'en outre, le préjudice qui en a résulté pour M. Y..., de nature morale, lui est personnel ;

Attendu, cependant, que dans le cas où la faute du médecin a fait perdre au patient la chance d'échapper à une atteinte à son intégrité physique, le dommage qui en résulte pour lui est fonction de la gravité de son état réel et de toutes les conséquence en découlant ; que sa réparation ne se limite pas au préjudice moral mais correspond à une fraction des différents chefs de préjudice qu'il a subis, de sorte qu'au titre des prestations qu'ils ont versées en relation directe avec le fait dommageable, les tiers payeurs peuvent exercer leur recours sur la somme allouée à la victime en réparation de la perte de chance d'éviter une atteinte à son intégrité physique, à l'exclusion de la part d'indemnité de caractère personnel ;

D'où il suit qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur la troisième branche du même moyen :

Vu l'article 1147 du Code civil ;

Attendu que le contrat d'hospitalisation et de soins conclu entre un patient et un établissement de santé met à la charge de ce dernier, en matière d'infection nosocomiale, une obligation de sécurité de résultat dont il ne peut se libérer qu'en rapportant la preuve d'une cause étrangère ;

Attendu que pour débouter M. Y... de sa demande formée contre la Clinique Ambroise-Paré à raison de la survenance de l'infection nosocomiale, la cour d'appel a énoncé quaucune négligence ou défaillance fautive ne pouvait être reprochée à cet établissement de santé pendant la phase pré et postopératoire ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, sauf en ce que qu'il a décidé que M. X... était responsable, en raison de l'absence d'information sur le risque d'infection nosocomiale, de la perte de chance subie par M. Y..., l'arrêt rendu le 19 décembre 1996, entre les parties, par la cour d'appel

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de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient

avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.

Cass. 1re civ., 9 novembre 1999 Sur le moyen unique pris en ses trois branches :

Attendu que Mme Morisot, s'étant blessée en descendant d'une table d'examen radiographique, a mis en cause la responsabilité du praticien, M. X... ; qu'elle reproche à l'arrêt confirmatif attaqué (Douai, 18 septembre 1997) de l'avoir déboutée de son action alors que le médecin aurait inversé la charge de la preuve et manqué à son égard à son obligation de sécurité et d'assistance ;

Mais attendu, d'abord, que s'il est exact que le contrat formé entre le patient et son médecin met à la charge de ce dernier, sans préjudice de son recours en garantie, une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les matériels qu'il utilise pour l'exécution d'un acte médical d'investigation ou de soins, encore faut-il que le patient démontre qu'ils sont à l'origine de son dommage ; que la cour d'appel, statuant par motifs propres ou adoptés, a constaté que la table d'examen, dont Mme Morisot avait pris l'initiative de descendre sans l'autorisation

du médecin, ne présentait aucune anomalie ; que c'est par une appréciation souveraine tirée de ces constatations que la cour d'appel, sans inverser la charge de la preuve, a retenu que ce matériel n'était pas à l'origine du dommage subi par Mme Morisot ;

Attendu, ensuite, que dans l'accomplissement de l'examen radiographique lui-même, le médecin n'est tenu que d'une obligation de moyens ; qu'à cet égard les juges du fond ont constaté que Mme Morisot ne présentait aucune particularité et n'était sous l'influence d'aucun produit ayant pu affaiblir ses capacités physiques ou de discernement qui auraient nécessité de la part de M. X... une vigilance particulière ; qu'enfin, ils ont relevé que l'état du sol n'était pas en cause ; que la cour d'appel a pu en déduire que l'accident, imputable à la seule initiative de Mme Morisot, n'engageait pas la responsabilité de son médecin ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.

Cass. 1re civ., 8 novembre 2000

Vu les articles 1135 et 1147 du Code civil ;

Attendu que la réparation des conséquences de l'aléa thérapeutique n'entre pas dans le champ des obligations dont un médecin est contractuellement tenu à l'égard de son patient ;

Attendu que M. Y..., atteint d'une hydrocéphalie, a fait l'objet d'une intervention chirurgicale, réalisée par M. X..., neurochirurgien, consistant à dériver le liquide céphalo-rachidien suivant la technique lombo-péritonéale ; qu'immédiatement après l'intervention, il a présenté une paralysie irréversible des membres inférieurs associée à une incontinence urinaire et anale ; que l'arrêt attaqué, après avoir exclu toute faute commise par le praticien et constaté que l'état de M. Y... résultait d'un infarctus spontané du cône médullaire directement imputable à l'opération, a, néanmoins, condamné M. X... à réparer le préjudice résultant de la survenance de cet aléa thérapeutique au motif qu'il était tenu d'une obligation contractuelle de sécurité dès lors " qu'indépendamment de toute faute prouvée de la part du praticien, a été causé au patient, à l'occasion de l'exécution des investigations ou des soins, un dommage à

l'intégrité physique ou mentale du patient qui présente les caractéristiques, d'abord d'être sans relation avec l'échec des soins ou les résultats des investigations, ensuite d'être sans rapport connu avec l'état antérieur du patient ou avec l'évolution prévisible de cet état, enfin de découler d'un fait détachable de l'acte médical convenu, mais sans l'exécution duquel il ne se serait pas produit, en sorte que ce dommage nouveau et hétérogène apparaît comme de nature purement accidentelle " ;

Attendu qu'en statuant ainsi alors qu'elle avait constaté la survenance, en dehors de toute faute du praticien, d'un risque accidentel inhérent à l'acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deux dernières branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 décembre 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

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Cass. 1re civ., 27 mars 2001 Sur le moyen unique :

Vu les articles 1135 et 1147 du Code civil ;

Attendu que la réparation des conséquences de l'aléa thérapeutique n'entre pas dans le champ des obligations dont un médecin est contractuellement tenu à l'égard de son patient ;

Attendu que M. X..., médecin, a réalisé sur Mlle Y... une ostéotomie de l'infrastructure maxillaire supérieure dont il est résulté une cécité de l'oeil droit de la patiente ; que l'arrêt attaqué, après avoir exclu toute faute commise par le praticien et constaté que la cécité résultait d'un accident vasculaire, a néanmoins condamné le médecin au motif qu'il était tenu d'une " obligation de sécurité qui l'oblige à réparer le dommage causé à son patient par un acte chirurgical nécessaire au

traitement, même en l'absence de faute, lorsque le dommage est sans rapport avec l'état antérieur du patient ni avec l'évolution prévisible de cet état " ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté la réalisation, en dehors de toute faute du praticien, d'un risque accidentel inhérent à l'acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 janvier 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

Cass. 1re civ., 9 octobre 2001 LA COUR : - Attendu qu'à partir du mois de juin 1974, M. Y, médecin, a suivi la grossesse de M X ; que, lors de la visite du 8 mois, le 16 décembre 1974, le praticien a suspecté une présentation par le siège et a prescrit une radiographie foetale qui a confirmé cette suspicion ; que, le samedi 11 janvier 1975, M. Y a été appelé au domicile de M X en raison de douleurs, cette dernière entrant à la clinique J... - devenue clinique T... - le lendemain dimanche 12 janvier dans l'après-midi, où une sage-femme lui a donné les premiers soins, M. Y examinant sa patiente vers 19 heures, c'est-à-dire peu avant la rupture de la poche des eaux, la naissance survenant vers 19H30 ; qu'en raison de la présentation par le siège un relèvement des bras de l'enfant, prénommé Franck, s'est produit, et, lors des manoeuvres obstétricales, est survenue une dystocie de ses épaules entraînant une paralysie bilatérale du plexus brachial, dont M. Franck X a conservé des séquelles au niveau du membre supérieur droit, son IPP après consolidation étant de 25 % ; qu'après sa majorité, ce dernier a engagé une action contre le médecin et la clinique en invoquant des griefs tirés des fautes commises lors de sa mise au monde et d'une absence d'information de sa mère quant aux risques inhérents à une présentation par le siège lorsque l'accouchement par voie basse était préféré à une césarienne ; que l'arrêt attaqué l'a débouté ; Sur le moyen unique, pris en ses première et cinquième branches : - Vu l'article 455 du nouveau code de procédure civile ; - Attendu que M. Y a procédé à l'accouchement de M X dans le lit de celle-ci, sur une bassine, lui-même et une sage-femme tenant chacun une jambe de la parturiente ;

qu'eu égard à ces conditions de réalisations de l'accouchement, à propos desquelles le rapport d'expertise précisait que les manoeuvres réalisées sur la bassine pour traiter la dystocie « n'en ont certainement pas été facilitées », M. Franck X avait fait valoir dans ses conclusions qu'il existait à la clinique une « salle de travail » dotée d'une table d'accouchement et que les raisons de son absence d'utilisation pour un accouchement dangereux par le siège étaient restées inconnues ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ; Et sur les deuxième, troisième et quatrième branches du moyen : - Vu les articles 1165 et 1382 du code civil ; - Attendu que la cour d'appel a estimé que le grief de défaut d'information sur les risques, en cas de présentation par le siège, d'une césarienne et d'un accouchement par voie basse, ne pouvait être retenu dès lors le médecin n'était pas en 1974 contractuellement tenu de donner des renseignements complets sur les complications afférentes aux investigations et soins proposés et ce d'autant moins qu'en l'espèce le risque était exceptionnel ; Attendu, cependant, qu'un médecin ne peut être dispensé de son devoir d'information vis-à-vis de son patient, qui trouve son fondement dans l'exigence du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, par le seul fait qu'un risque grave ne se réalise qu'exceptionnellement ; que la responsabilité consécutive à la transgression de cette obligation peut être recherchée, aussi bien par la mère que par

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son enfant, alors même qu'à l'époque des faits la jurisprudence admettait qu'un médecin ne commettait pas de faute s'il ne révélait pas à son patient des risques exceptionnels ; qu'en effet, l'interprétation jurisprudentielle d'une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l'époque des faits considérés et nul ne peut se prévaloir d'un droit acquis à une jurisprudence figée ; d'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; Par ces motifs, casse et annule, dans toutes ses

dispositions, l'arrêt rendu le 10 février 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Grenoble ; condamne M. Y et la clinique T... aux dépens ; dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé.

Cass. 1re civ., 13 novembre 2002 I.

Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu que le 6 octobre 1993 M. X... a procédé à l'ablation d'un nodule situé sur la glande thyroïde de Mme Y... ; que celle-ci souffrant de désordres vocaux persistants après l'opération a assigné en référé, le 5 mai 1994, M. X... ainsi que M. Z... qui l'avait suivie après l'opération, reprochant au premier d'avoir lésé le nerf récurrent et au second de n'avoir pas posé le diagnostic qui aurait permis une réintervention précoce ; que l'expert judiciairement commis a dit que l'ablation du nodule était indiquée, que l'intervention avait été conduite selon une bonne technique chirurgicale et conformément aux données actuelles de la science et que la lésion du nerf récurrent constituait une complication exceptionnelle de l'isthmectomie dont la raison était inconnue, le nerf étant situé trop loin du champ opératoire pour être sectionné ; que l'arrêt attaqué (Rouen, 15 novembre 2000) a débouté Mme Y... de ses demandes ;

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de ses demandes tendant à voir condamner M. X... à réparer les dommages qu'elle avait subis à la suite de l'atteinte portée à son nerf récurrent lors de l'intervention qu'il avait pratiquée, alors, selon le moyen :

1 / qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la réalisation de l'isthmectomie n'impliquait pas l'atteinte portée à cette occasion au nerf récurrent de sorte que la cour d'appel ne pouvait exclure la faute du chirurgien sans constater que ce nerf présentait une anomalie rendant son atteinte inévitable et que dès lors l'arrêt est dépourvu de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;

2 / qu'en ne recherchant pas s'il ne résultait pas d'un courrier du 2 novembre 1993 où M. X... avait expressément réfuté l'hypothèse d'une atteinte au

nerf récurrent évoquée par celui-ci que l'attention de M. X... avait été attirée en temps utile sur cette éventualité et si celui-ci en ne procédant pas aux investigations requises n'avait pas privé Mme Y... d'un traitement spécifique à une date où celui-ci aurait pu être envisagé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;

3 / que la méconnaissance par un médecin de son obligation d'informer son patient des risques graves inhérents à l'intervention qu'il envisage de pratiquer ou du traitement qu'il envisage de lui administrer, cause à ce patient un préjudice que la cour d'appel ne pouvait refuser de réparer sans violer l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu, d'abord, que les juges du fond, s'appuyant sur le rapport de l'expert ont estimé que le chirurgien n'avait commis aucune maladresse et que la cause de la lésion du nerf récurrent était indéterminable ; qu'ils ont pu en déduire qu'il s'agissait d'un aléa inhérent à l'acte médical exclusif de faute ; qu'ensuite, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ni de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision en relevant que l'évolution de la récupération n'imposait pas qu'un traitement fût envisagé avant un délai de six mois et qu'aucun retard préjudiciable ne pouvait être imputé à M. X... ; qu'enfin, la violation de l'obligation d'information incombant au praticien ne peut être sanctionnée qu'autant qu'il en résulte un préjudice dont l'existence est souverainement constatée par les juges du fond ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel, qui a relevé qu'il n'était pas démontré qu'informée du risque exceptionnel tenant à l'acte chirurgical dont la nécessité était admise par l'expert compte tenu du danger inhérent à la présence d'un nodule, la patiente aurait refusé l'intervention et en déduit qu'elle ne démontre pas que l'absence d'information lui ait causé un préjudice indemnisable, a statué comme elle l'a

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fait ; Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.

II.

Attendu que M. X..., gastro-entérologue, a pratiqué les 26 novembre 1992 et 27 octobre 1995 des coloscopies avec ablation de polypes sur M. Y... ; qu'à l'occasion de la seconde coloscopie, M. Y... a subi une perforation intestinale à l'origine d'une péritonite ayant nécessité le lendemain une colostomie ; que M. Y... a recherché la responsabilité de M. X..., en faisant notamment valoir qu'à l'issue de la première coloscopie, ce dernier ne l'avait pas informé de la nécessité d'un contrôle médical au terme d'un délai d'un an et qu'il n'avait pas bénéficié d'une surveillance suffisante à l'issue de la seconde coloscopie ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. Y... fait grief à la cour d'appel (Rennes, 22 novembre 2000) d'avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1 / qu'il incombe au médecin spécialiste que consulte le patient d'alerter ce dernier quant au délai à l'intérieur duquel un nouvel examen sera nécessaire, peu important les éléments d'information qu'il peut fournir au médecin traitant ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 1137 et 1147 du Code civil ;

2 / que le chef de l'arrêt ayant rejeté la demande ne peut être considéré comme légalement justifié, sur le terrain du lien de cause à effet, à raison de l'information que le médecin traitant aurait donné au patient, dès lors que l'arrêt est dubitatif quant au point de savoir si le médecin traitant a bien répercuté à M. Y... l'information que lui avait transmis le spécialiste ; qu'à cet égard l'arrêt est dépourvu de base légale au regard des articles 1137 et 1147 du Code civil ;

Mais attendu que la violation de l'obligation d'information, laquelle incombe personnellement au praticien, ne peut être sanctionnée qu'autant qu'il en résulte pour le patient un préjudice dont les juges du fond apprécient souverainement l'existence ; que l'arrêt attaqué ayant souverainement constaté que M. Y... n'avait souffert d'aucune perte de chance consécutivement au manquement invoqué du praticien à son obligation d'information, le moyen, qui critique des motifs erronés mais surabondants, est inopérant (…).

Cass. 1re civ., 7 décembre 2004

Sur le moyen unique :

Vu l'article 1147 du Code civil ;

Attendu que Mme X... a subi, le 12 décembre 1980, une tympanoplastie réalisée par M. Y..., oto-rhino-laryngologiste ; qu'à la suite d'une paralysie faciale secondaire à l'intervention, M. Y... a adressé sa patiente à un confrère qui a retiré la prothèse qu'il avait posée ; que, le 13 janvier 1999, Mme X... a recherché la responsabilité de M. Y... en invoquant un manquement à son obligation d'information ;

Attendu que pour condamner M. Y... à réparer l'entier préjudice lié à la paralysie faciale, l'arrêt attaqué relève qu'il n'avait pas averti sa cliente du risque de paralysie lié à la pose d'une prothèse, que si l'intervention chirurgicale était nécessaire compte-tenu de la suspicion d'un cholestéatome, la pose d'une prothèse n'était pas indispensable, que la survenance du dommage dont il était demandé réparation constituait la réalisation du risque qui aurait dû être signalé et que Mme X... avait été

privée de toute possibilité de choix du fait du défaut d'information ;

Attendu, cependant, que la violation d'une obligation d'information ne peut être sanctionnée qu'au titre de la perte de chance subie par le patient d'échapper par une décision peut être plus judicieuse, au risque qui s'est finalement réalisé et que le dommage correspond alors à une fraction des différents chefs de préjudice subis qui est déterminée en mesurant la chance perdue et ne peut être égale aux atteintes corporelles résultant de l'acte médical ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 novembre 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen.

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Cass. 1re civ., 11 juin 2009

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu qu'imputant sa contamination par le virus l'hépatite C au traitement de ses varices, réalisé entre le 27 septembre 1981 et le 11 janvier 1982 par injection d'un liquide sclérosant, Mme X... a recherché la responsabilité de M. Y..., son médecin ;

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt (Bordeaux, 16 avril 2008) de l'avoir déclaré responsable de la contamination de Mme X... par le virus de l'hépatite C et de l'avoir condamné à lui verser une indemnité en réparation de son préjudice, alors, selon le moyen, que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ; qu'en conséquence, une partie à un procès ne peut se voir opposer une règle de droit issue d'un revirement de jurisprudence lorsque la mise en oeuvre de celle-ci aboutirait à la priver d'un procès équitable ; qu'en 1981 et 1982, la jurisprudence mettait à la charge du médecin, en matière d'infection nosocomiale, une obligation de moyens et n'a mis à sa charge une obligation de sécurité de résultat qu'à compter du 29 juin 1999 ; que l'application du revirement de jurisprudence du 29 juin 1999 à la responsabilité des médecins pour des actes commis avant cette date a pour conséquence de priver le médecin d'un procès équitable, dès lors qu'il lui est reproché d'avoir manqué à une obligation qui, à la date des faits qui lui sont

reprochés, n'était pas à sa charge ; qu'en décidant néanmoins que M. Y... était tenu d'une obligation de sécurité de résultat en raison des actes qu'il avait pratiqués sur Mme X... entre le 27 septembre 1981 et le 11 janvier 1982, bien que ceux-ci eussent été réalisés avant le revirement de jurisprudence ayant consacré l'existence d'une obligation de sécurité de résultat, la cour d'appel a privé M. Y... du droit à un procès équitable, en violation des articles 1147 du code civil et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s'en prévaut n'est pas privée du droit à l'accès au juge ; que le moyen n'est pas fondé en sa première branche ;

Et attendu qu'aucun des griefs du moyen unique, pris en ses autres branches, ne serait de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Cass. 1re civ., 3 juin 2010

Attendu qu'ayant subi, le 20 avril 2001, une adénomectomie prostatique, M. X... qui s'est plaint d'impuissance après cette intervention, a recherché la responsabilité de M. Y..., urologue, qui l'avait pratiquée ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que le médecin, tenu de suivre son patient aussitôt qu'il l'a opéré, doit être diligent et prudent

dans l'exécution de cette obligation, dont il ne peut se décharger; qu'ainsi, viole ladite obligation le médecin qui se désintéresse du sort de son patient au point de ne le recevoir en consultation qu'un mois après l'avoir opéré, sauf à ce qu'il eut été convenu avec ce dernier que, durant ce délai de latence, il serait substitué par un autre médecin dans l'exécution de son obligation de suivi post-opératoire ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que M. Y... n'a reçu en consultation M. X... que le 25 mai 2001, soit plus d'un mois après avoir pratiqué sur lui une adénomectomie prostatique, et en jugeant néanmoins que ce médecin n'avait pas failli à son obligation de suivi post-opératoire au prétexte qu'un autre urologue avait "vu" son patient, sans constater qu'il avait été convenu avec M. X... que son

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obligation de suivre ce dernier serait exécutée par cet autre urologue, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

2°/ que seul le fait du créancier constituant une force majeure exonère totalement le débiteur défaillant ; qu'en l'espèce, en écartant la faute de M. Y... consistant à avoir violé son obligation de suivi post-opératoire au motif que M. X... n'avait pas pris rendez-vous avec lui à l'issue de la seconde consultation en date du 16 juillet 2001, soit trois mois après l'intervention chirurgicale, sans caractériser le comportement imprévisible et irrésistible de M. X... qui aurait interdit son suivi par M. Y... aussitôt après l'opération, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1148 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que M. X... n'avait pas été laissé sans surveillance postopératoire, que le suivi avait été conforme aux données acquises de la science, que le praticien avait reçu le patient à deux reprises et prévu de le revoir une troisième fois, ce qui n'avait pas été possible en raison de la négligence de M. X..., la cour d'appel a pu en déduire l'absence de manquement fautif dans le suivi postopératoire ; que les griefs ne sont pas fondés ;

Mais sur la troisième branche du moyen :

Vu les articles 16, 16-3, alinéa 2, et 1382 du code civil ;

Attendu qu'il résulte des deux premiers de ces textes que toute personne a le droit d'être informée, préalablement aux investigations, traitements ou

actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n'est pas à même de consentir ; que le non-respect du devoir d'information qui en découle, cause à celui auquel l'information était légalement due, un préjudice, qu'en vertu du dernier des textes susvisés, le juge ne peut laisser sans réparation ;

Attendu que pour écarter toute responsabilité de M. Y... envers M. X..., l'arrêt, après avoir constaté le manquement du premier à son devoir d'information, retient qu'il n'existait pas d'alternative à l'adénomectomie pratiquée eu égard au danger d'infection que faisait courir la sonde vésicale, qu'il est peu probable que M. X..., dûment averti des risques de troubles érectiles qu'il encourait du fait de l'intervention, aurait renoncé à celle-ci et aurait continué à porter une sonde qui lui faisait courir des risques d'infection graves ;

En quoi la cour d'appel a violé, par refus d'application, les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition rejetant la demande en paiement d'une indemnité au titre du manquement au devoir d'information, l'arrêt rendu le 9 avril 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

II. Doctrine Confirmation et approfondissement du nouveau fondement de la responsabilité civile médicale et de la problématique et méthodologie de la perte de chance Pierre Sargos, Président de chambre honoraire à la Cour de cassation 1 - Par deux arrêts des 28 janvier (n° 09-10.992) et 3 juin (n° 09-13.591) 2010, la Cour de cassation a, par le premier, abandonné le fondement contractuel de la responsabilité médicale « générale » pour la baser désormais sur l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, et, par le second, consacré un même abandon, mais au profit de l'article 1382 du code civil - et également 16 et 16-3 - en matière de responsabilité afférente au manquement d'un médecin à son devoir d'information Le premier arrêt était aussi intéressant sur le terrain de la notion de perte de chance

L'arrêt commenté ici, auquel la Cour de cassation attache une grande importance puisqu'il fait l'objet de la plus large publication, vient conforter le changement de fondement de la responsabilité médicale, dont il ne faut toutefois pas surestimer la portée (I), et illustre de façon didactique la problématique et la méthodologie de la perte de chance (II).

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I - Changement et continuité de la responsabilité médicale, ou les feux toujours ardents de l'arrêt Mercier 2 - Cet arrêt, que l'on pourrait appeler l'« arrêt de la grippe maligne », dont M B. a souffert, à partir du 8 décembre 2003, pour en mourir le 15 décembre, met en cause la faute imputée à un médecin, sur laquelle on reviendra de façon précise dans la seconde partie de cette note. Les juges du fond (TGI Brest, 19 déc. 2007 et Rennes, 3 juin 2009, n° 08/00160) n'ont pas contesté la faute du praticien, mais ils ont débouté les ayants droit de la défunte de leur action indemnitaire au motif que cette faute n'avait pas fait perdre à M B. une chance de survie. Tout à fait classiquement, au regard du fondement contractuel de la responsabilité médicale depuis l'arrêt Mercier du 20 mai 1936 (DP 1936. 1. 88, note E. P. [Eustache Pilon], rapp. Josserand, concl. Matter ; S 1937. 1. 321, note Breton ; Gaz. Pal. 1936. 2. 41 ; RTD civ. 1936. 691, obs. Demogue ; GAJC, 12 éd., t. 2, Dalloz, n° 162 ; GADS, Dalloz, n° 33), le moyen invoquait, dans sa première branche, la violation de l'article 1147 du code civil et, dans sa seconde, l'article 1134. Une cassation est intervenue sur la première branche, toutefois non au visa de l'article 1147 susvisé, mais à celui de l'article L. 1142-1, I, du code de la santé publique, suivant lequel « Hors le cas ou leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé... ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ». Est donc conforté de façon solennelle l'abandon de la responsabilité contractuelle pour tous les faits dommageables commis postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002. 3 - Mais encore faut-il s'entendre sur la portée exacte de cet abandon. D'aucuns ont parlé de « Requiem pour l'arrêt Mercier » (chron. préc. de P. Stoffel-Muck et C. Bloch), d'autres de « feu l'arrêt Mercier » (note préc. de L. Bert). C'est sonner le glas un peu vite. Pour rester dans le registre du « feu », on dira que celui de l'arrêt Mercier brille toujours avec une inextinguible ardeur. Plutôt que de requiem, on parlera même d'apothéose de l'arrêt Mercier car les arrêts des 28 janvier et 14 octobre 2010 y sont implicitement en germe, dès lors qu'une loi particulière est intervenue, et consacrent le point le plus important qu'il avait tranché. Il y a les vagues et l'écume des vagues. L'écume est certes belle, mais seule compte la vague qui emporte tout. L'écume de l'arrêt Mercier, c'est l'affirmation de la nature contractuelle de la responsabilité pour répondre à une revendication quasi-unanime à l'époque de la doctrine et résoudre une question de prescription (maintenant sans intérêt puisque depuis la bienvenue « loi Hyest » du 17 juin 2008 toutes les actions en responsabilité nées d'un événement ayant entraîné un dommage à la personne se prescrivent par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé, cf. art. 2226 c. civ.). La vague de l'arrêt Mercier, c'est le plus extraordinaire obiter dictum de l'histoire de la Cour de cassation. Alors, en effet, qu'il lui suffisait, pour écarter la prescription de trois ans des délits, d'affirmer que la responsabilité civile médicale était de nature contractuelle, ce qui impliquait alors une prescription de trente ans, l'arrêt énonce, sans que cela soit nécessaire à la solution du litige, le contenu même de l'obligation du médecin, à savoir donner des « soins consciencieux, attentifs, et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science », sa responsabilité n'étant engagée qu'en cas de faute dans l'exécution de cette obligation. Et cet obiter dictum n'est nullement remis en cause, bien au contraire, par le nouveau fondement textuel de la responsabilité médicale. Eustache Pilon, ancien professeur à la faculté de droit de Paris, devenu conseiller à la Cour de cassation, et qui avait rapporté le 12 novembre 1934 l'affaire Mercier devant la chambre des requêtes - dont il devint par la suite président, son successeur étant Félix Mazeaud, « auteur » de l'arrêt Teyssier - ne s'y trompait d'ailleurs pas dans sa note précitée signée E. P. Il soulignait ainsi, au-delà de la question de la qualification, l'importance de cette détermination de l'obligation du médecin en y voyant « la mesure et la limite » de sa responsabilité. Il faisait même l'observation, dont le temps a confirmé la pertinence, que « le fait qu'un contrat soit intervenu ne saurait absorber et fondre dans le creuset contractuel toutes les fautes dommageables à l'un des contractants. Un même rapport de droit peut être générateur à la fois de responsabilité contractuelle ou de responsabilité délictuelle... en matière de responsabilité médicale n'y a-t-il pas nécessairement place pour cette coexistence des deux responsabilités contractuelle et délictuelle ? ». Le rapporteur de l'arrêt Mercier, Josserand, insistait aussi sur l'importance de la « prestation de soins », soins qui devaient, selon les termes de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 16 juillet 1931 frappé par le pourvoi, être « assidus, prudents et éclairés », formule que la Cour de cassation a remanié superbement dans les termes ci-dessus.

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De son côté le procureur général, Matter, dans ses conclusions de référence, synthétisait de magistrale façon les devoirs du médecin en soulignant qu'il devait donner des soins conformes à la conscience et à la science médicale. 4 - L'article R. 4127-32 du code de la santé publique, issu du code de déontologie médicale du 6 septembre 1995, a consacré l'obiter dictum de l'arrêt Mercier - qui est son apport fondamental - en énonçant que « Dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande, le médecin s'engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science en faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers compétents ». L'importance des normes déontologiques (cf. GADS, Dalloz, n° 59), notamment celles de données acquises de la science, est encore illustrée par un autre arrêt de la même chambre du 14 octobre 2010 (n° 09-68.471), qui, à propos de l'intoxication salicylique d'un bébé auquel un praticien avait prescrit de la catalgine, énonce que le principe de la liberté de prescription du médecin (art. R. 4127-8 CSP) ne trouve application que dans le respect du droit de toute personne de recevoir les soins les plus appropriés à son âge et à son état, conformes aux données acquises de la science (art. R. 4127-32 CSP) et ne lui faisant pas courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (art. R. 4127-8 CSP). La loi du 4 mars 2002 a été dans le même sens que le code de déontologie, en reprenant également d'autres acquis jurisprudentiels issus de la « doctrine Mercier » ( notamment le titre 1 du CSP sur les droits des personnes malades et des usagers du système de santé). Le « masque contractuel » de la responsabilité médicale, avec en particulier le recours sus-évoqué de plus en plus important au fondement déontologique de celle-ci, puis le développement légal (not. lois bioéthiques de 1994) de la prise en compte des droits de la personne en matière de santé, dissimulait en réalité, avant même l'entrée en vigueur de la loi susvisée, le passage à une responsabilité de nature légale. L'article L. 1142-1 du code de la santé publique n'a fait qu'enlever le masque, tout en consacrant la faute comme fondement majeur de la responsabilité des médecins, et plus généralement des professionnels de santé, cette faute s'appréciant par rapport au devoir de conscience et de science des médecins tel que défini par l'arrêt Mercier. On peut donc parler, avec M F. Dreifuss-Netter, de « feu la responsabilité contractuelle du médecin » (RCA 2002. Chron. 17), mais non de « feu l'arrêt Mercier », sauf à confondre l'écume et la vague. 5 - Pour autant, cette responsabilité de nature légale n'est pas exclusive de la relation contractuelle entre un patient et le médecin qu'il a choisi, ce choix signant le contrat. On en revient ainsi à la situation antérieure à l'arrêt Mercier où le rapport contractuel était reconnu depuis un arrêt de la chambre des requêtes du 21 août 1839 (DP 1839. 2. 204), mais où la responsabilité était légale, c'est-à-dire fondée sur la faute des articles 1382 et 1383 du code civil (Req. 18 juin 1835, Thouret-Noroy c/ Guigne, DP 1835. I. 300, concl. Dupin ; S. 1835. I. 401 ; GADS, Dalloz, n° 29-32). Un même retour à une responsabilité légale a été opéré par l'arrêt sus-évoqué du 3 juin 2010 en ce qui concerne la responsabilité née d'un défaut d'information ; ce qui remet en vigueur la doctrine de l'arrêt Teyssier du 28 janvier 1942 (DC 1942. 63 ; GADS, Dalloz, n° 1-2, 4-6 et 85) dont les moyens étaient fondés sur l'article 1382 du code civil, fondement délictuel que la chambre des requêtes n'avait pas remis en cause nonobstant l'arrêt Mercier. En dehors des fautes de conscience ou de science, la responsabilité du médecin choisi par son patient peut donc continuer à avoir un fondement contractuel ; on peut ainsi penser à un engagement particulier du médecin -comme la date d'une opération programmée - qu'il ne respecterait pas. II - La problématique et la méthodologie de la perte de chance en matière médicale 6 - La relation des faits de cette affaire - qui est tirée de l'arrêt de la cour d'appel - doit être précise si on veut bien en analyser la portée quant à la perte de chance. Le 8 décembre 2003, M B., âgée de 45 ans, a fait appel aux services de SOS médecins en raison d'un symptôme fébrile associé à une toux et à une dyspnée à l'effort. Le médecin a prescrit divers médicaments (Helicidine, Claradol, Lamaline, Advil). Son état ne s'améliorant pas, M B. a consulté le 10 décembre le docteur K., remplaçant de son médecin traitant, qui a prescrit des comprimés vitaminés Upsa, de l'Efferalgan et des inhalations. Elle a de nouveau sollicité ce médecin le 12 décembre, qui s'est borné à ordonner un complément de traitement à base d'Orelux et de Bryonia. M B., inquiète de l'aggravation de son état, s'en est ouverte à un parent, médecin en retraite, qui a conseillé de faire une analyse sanguine et une radiographie thoracique, qui ont été réalisées le 13 décembre. L'examen radiologique a révélé un syndrome alvéolaire du lobe supérieur gauche

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compatible avec une pneumopathie. M B. a alors été hospitalisée en urgence et mise sous antibiothérapie par Clamoxyl. Elle a présenté dans l'après-midi du 15 décembre un syndrome de défaillance multi-viscéral avec une instabilité hémodynamique, insuffisance respiratoire aiguë et dégradation de l'état neurologique, et est morte dans la nuit. L'expertise médicale a conclu à un décès des suites d'une grippe maligne avec syndrome de détresse respiratoire aiguë et mis en cause la responsabilité du docteur K., car l'état de M B. le 10 décembre, et plus encore le 12, aurait dû l'inciter à faire réaliser des investigations supplémentaires et à la faire hospitaliser sans délai. Enfin, l'expert a observé qu'il était extrêmement difficile de dire si l'évolution eut été différente en cas d'hospitalisation plus rapide La cour d'appel admet que le docteur K. a bien commis une faute, mais écarte toute perte de chance de survie au motif que s'il était certain que l'hospitalisation plus rapide aurait permis d'avancer l'administration de l'antibiothérapie, aucun élément ne permettait de dire que cela aurait évité la dégradation brutale de l'état de santé de M B. et son décès, la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë dont elle était décédée n'ayant pu être déterminée. Une cassation est prononcée au motif que « la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, de sorte que ni l'incertitude relative à l'évolution de la pathologie, ni l'indétermination de la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë ayant entraîné le décès n'étaient de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise, laquelle avait eu pour effet de retarder la prise en charge de M B., et la perte d'une chance de survie de cette dernière ». 7 - Cette cassation est d'une parfaite orthodoxie au regard de la perte de chance qui, ainsi que l'a souligné M Maryse Deguergue dans son propos introductif du dossier « Le préjudice. Regards croisés privatistes et publicistes » (RCA, mars 2010. 7) n'est pas une forme d'atténuation du lien de causalité, mais un préjudice nouveau à part entière. La perte de chance en matière médicale, comme le relève le Rapport annuel de la Cour de cassation de 2007, p. 268) repose sur la combinaison d'une incertitude et d'une certitude. L'incertitude tient au fait que si la faute n'avait pas été commise il ne peut être certain que la guérison, ou au moins une amélioration de l'état du patient, aurait pu être obtenue. La certitude tient au fait que si la faute n'avait pas été commise, le malade avait une chance de guérison ou d'amélioration et que la faute l'a privé de cette chance. En négatif ceci signifie que seule la certitude de la moindre chance d'échapper au dommage permet d'écarter ce préjudice. Cette problématique, consacrée par l'arrêt, reposant sur le conflit d'un élément d'incertitude et d'un élément de certitude donne la clé de la méthodologie de la perte de chance : - la première démarche consiste à caractériser l'incertitude quant au lien de causalité entre la faute retenue et l'entier dommage du patient. Cette incertitude était bien caractérisée en l'espèce - et c'est souvent le cas en matière de soins appropriés mis en oeuvre avec un retard fautif - par l'expertise médicale, non contestée par la cour, faisant état de la difficulté à déterminer si l'évolution eut été différente sans la faute commise par le docteur K. ; - la seconde démarche, dès lors que l'incertitude exclusive d'une indemnisation de l'entier dommage est établie, consiste à rechercher si le malade avait une chance d'amélioration de son état, ou de survie comme dans la présente affaire, dont il a été privé par la faute commise. Or, cette recherche ne peut se faire en se bornant à faire référence à une incertitude sur l'évolution de la pathologie ou l'indétermination de la cause du syndrome survenu. De tels éléments d'incertitude n'ont d'effet que sur le lien de causalité entre la faute et l'entier dommage, non sur le lien de causalité entre cette faute et le préjudice spécifique qu'est la perte de chance. En décider autrement revient à nier l'existence et la spécificité de la perte de chance en tant que préjudice distinct. L'absence de lien de causalité entre la faute et la perte de chance ne peut être caractérisée que par la constatation que, même si la faute n'avait pas été commise, il est certain que le patient n'avait aucune possibilité d'échapper au dommage réalisé. Or, les énonciations de la cour d'appel ne caractérisent pas une telle certitude quant à l'absence de toute chance de survie de M B. On peut d'ailleurs penser que le vice du raisonnement de la cour d'appel tient à

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l'insuffisante précision des questions posées à l'expert dans le cadre de sa mission. On n'insistera d'ailleurs jamais assez sur l'importance de la réflexion sur le contenu de la mission expertale. 8 - « L'arrêt de la grippe maligne » illustre l'un des aspects de la problématique - encore souvent incomprise - de la perte de chance, à savoir en nier la certitude par le recours à des éléments d'incertitude n'ayant d'effet que sur la caractérisation de l'absence de lien certain entre la faute et l'entier dommage. Mais il est un autre écueil qui est de nier la certitude de ce lien pour privilégier un recours à la réparation, nécessairement moindre, de la seule perte de chance. L'arrêt déjà cité du 28 janvier 2010 en est une excellente illustration. Une personne souffrant de douleurs épigastriques dues à un reflux gastro-oesophagien provoqué par une hernie hiatale avait subi une intervention chirurgicale consistant en une vagotomie et une pyloroplastie, dont il était résulté de violentes et persistantes douleurs. Le tribunal de grande instance, sur la base des conclusions de l'expertise médicale, avait condamné le praticien à réparer l'entier dommage du patient au motif qu'outre une absence d'information, il avait commis une faute en pratiquant une vagotomie et une pyloroplastie qui n'avaient aucune justification médicale. Mais la cour d'appel, tout en admettant que l'intervention était inutile et inadaptée à la pathologie, avait réduit l'indemnisation à la seule perte de chance de refuser l'intervention si l'information avait été donnée. La cassation intervenue en des termes normatifs et didactiques met l'accent sur le fait que l'entier préjudice devait être réparé, et non la seule perte de chance liée à une violation du devoir d'information, car la réalisation d'une intervention chirurgicale non justifiée et non adaptée est la cause directe et certaine de l'entier préjudice du patient 9 - Les deux arrêts du 28 janvier et du 14 octobre 2010 se situent ainsi, d'abord, dans la dynamique d'un nouveau fondement légal de la responsabilité médicale, mais avec les nuances précisées dans la première partie, ensuite, dans la démonstration didactique des deux grands risques de la perte de chance : la privilégier alors qu'il existe en réalité une relation causale certaine entre la faute et l'entier préjudice, la nier en contestant sa certitude par des éléments d'incertitude qui ne sont pertinents que pour écarter le lien causal entre la faute et l'entier préjudice. Feu l'arrêt Mercier ! Daniel Bert, ATER à l'Université de Versailles, Laboratoire DANTE L'arrêt Mercier (Civ. 20 mai 1936, DP 1936. 1. 88, rapp. Josserand et concl. Matter ; RTD civ. 1936. 691, obs. Demogue ; GAJC, 12 éd., 2008, n° 162-163) fait incontestablement partie des grands arrêts du XX siècle. Depuis cette décision, la jurisprudence soumet dans son ensemble la relation médicale au droit des contrats, considérant qu' « il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat ». Si cette solution est solidement ancrée dans la jurisprudence, la reconnaissance d'un rapport contractuel liant le patient à son médecin n'échappe pas à la critique. Certes, hormis les hypothèses où le patient n'a pu donner son consentement ni à l'acte médical, ni au choix du praticien, il existe bien un accord entre le patient et son médecin. Mais cet accord est-il vraiment créateur d'obligations à la charge du médecin ? En effet, « lorsqu'un particulier a recours au service d'un médecin, (...) outre le fait qu'il lui demande un service et s'engage à le rémunérer, il ne discute pas avec lui des obligations auxquelles il entend que le professionnel soit soumis » (P. Serlooten, Vers une responsabilité professionnelle, Mélanges Hébraud, 1981, p. 805, spéc. n° 13). Il est donc artificiel de rattacher des prétendues obligations d'information ou de sécurité qui seraient de l'essence d'un contrat médical, dans la mesure où c'est la loi qui prescrit ces normes de comportement et non pas l'accord de volonté des parties. Dès lors, « puisque la liberté et la volonté individuelle n'ont pas participé à la création des obligations du professionnel, puisque ces obligations ne sont pas d'origine contractuelle, il est difficile de voir dans leur violation une responsabilité contractuelle » (P. Serlooten, op. et loc. cit.). De façon encore plus décisive, on a fait valoir que « la relation médicale se ramène mal à une banale relation contractuelle [...] parce qu'elle touche au corps et à la vie, aux mystères de l'être, là où le contrat est affaire d'avoir ; le médecin ne peut pas être considéré comme un simple prestataire de services » (P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 2 éd., 2004, n° 321). On ne saurait trouver plus belle formule. Il semblerait en réalité que la reconnaissance d'un contrat médical par l'arrêt Mercier ait eu pour but de faire échec au principe de l'unité des prescriptions civile et pénale. Ne jouant qu'en matière délictuelle, ce principe obligeait les victimes réclamant réparation à se soumettre au délai de prescription de l'action publique lorsque la faute à l'origine de leur dommage constituait également une infraction. Entendu largement par la jurisprudence, ce principe s'appliquait à toute action civile, même intentée devant le juge civil, indépendamment de toutes

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poursuites pénales. L'unité des prescriptions avait pour effet de priver les victimes du bénéfice de la prescription trentenaire pour les soumettre à une prescription de plus en plus réduite, selon la gravité de l'infraction. La consécration de la responsabilité contractuelle du médecin aboutissait donc à faire échec au principe de la solidarité des prescriptions. Nonobstant la suppression du principe de l'unité des prescriptions civile et pénale, par la loi du 23 décembre 1980, la nature contractuelle de la responsabilité médicale a été maintenue par la jurisprudence. Une autre raison avancée à l'insertion de la relation médicale dans l'orbe du droit des contrats tiendrait à la crainte d'y appliquer le principe général de la responsabilité du fait des choses dont l'arrêt Jand'heur (Ch. réun., 13 févr. 1930, DP 1930. 1. 57, rapport Le Marc'hadour, concl. Matter, note Ripert ; S. 1930. 1. 121, note Esmein), rendu peu de temps avant l'arrêt Mercier, consacre le caractère de plein droit. L'abandon de la responsabilité contractuelle du médecin est consacré par la loi du 4 mars 2002 qui pose un régime unique de responsabilité civile professionnelle (F. Dreifuss-Netter, Feu la responsabilité contractuelle du médecin ?, RCA 2002, chron. n° 17), dépassant le clivage des responsabilités contractuelle et délictuelle et même au-delà des responsabilités civile et administrative. La Cour de cassation n'hésite pas désormais à viser l'article 1382 du code civil pour engager la responsabilité du médecin pourtant lié contractuellement à son patient, comme l'illustre un récent arrêt de la première chambre civile du 3 juin 2010 (n° 09-13.591, D. 2010. 1522 , note P. Sargos), promis aux honneurs du Rapport annuel de la Cour de cassation. Dans cette affaire, la première chambre civile condamne un médecin à réparer les conséquences fautives de l'inexécution de l'obligation d'information au visa de l'article 1382. Il convient de voir dans cette solution un virage de la Cour de cassation sanctionnant par les règles de la responsabilité délictuelle la méconnaissance de l'inexécution de l'obligation d'information du médecin lié contractuellement à son patient. L'arrêt est qualifié - à juste titre - d' « historique » par le président Sargos (op. cit., p. 1525). Selon le haut magistrat, « le manquement à l'obligation de recueillir le consentement éclairé du patient, qui repose sur le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, dépasse la sphère contractuelle et ne peut être réparé que sur la base de l'article 1382 du code civil ». La solution n'est pourtant pas nouvelle. Elle peut être rapprochée des décisions rendues en matière notariale. La nature de la responsabilité du notaire dépend ainsi de la fonction notariale, qui possède elle-même une double nature. La jurisprudence retient que lorsque ces professionnels agissent en vertu d'un mandat, les règles de la défaillance contractuelle s'appliquent, tandis que lorsqu'ils agissent en tant qu'officiers ministériels ès qualités, ils engagent leur responsabilité délictuelle vis-à-vis de leurs clients. Ces décisions entérinent le fait que, en ce qui concerne les activités professionnelles organisées, les obligations artificiellement rattachées au contrat par un procédé bien connu de « forçage » traduisent en réalité de véritables normes de comportement. Partant, elles ne peuvent tirer leur fondement que de la loi et non de l'accord des parties. Les responsabilités civiles notariale et médicale préfigurent l'émergence d'un nouvel ordre de responsabilité. Le temps n'est-il pas venu de consacrer de lege ferenda une responsabilité civile professionnelle autonome (P. Serlooten, op. cit. ; G. Viney, Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, LGDJ, 2 éd., 1995, n° 243 s. ; J.-S. Bergé (dir.), La responsabilité professionnelle : une spécificité réelle ou apparente, LPA 11 juill. 2001, p. 3 ; D. Bert, Le droit de l'activité professionnelle indépendante. Essai d'une théorie générale, thèse, UVSQ, 2010), détachée de l'opposition obsolète et inique entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle ?

Deux arrêts « historiques » en matière de responsabilité médicale générale et de responsabilité particulière liée au manquement d'un médecin à son devoir d'information Pierre Sargos, Président de chambre honoraire à la Cour de cassation 1 - Commentant l'arrêt Perruche (Cass., ass. plén., 17 nov. 2000, Bull. ass. plén., n° 9 ; D. 2001. 316, concl. J. Sainte-Rose, 332, note D. Mazeaud et P. Jourdain, 489, chron. J.-L. Aubert, 492, chron. L. Aynès, 1263, chron. Y. Saint-Jours, 1889, chron. P. Kayser, 2002. 2349, chron. B. Edelman, et 2796, obs. F. Vasseur-Lambry ; RTD civ. 2001. 77, obs. B. Markesinis, 149, obs. P. Jourdain, 103, obs. J. Hauser, 226, obs. R. Libchaber, et 2001. 547, obs. P. Jestaz) le journal LeMonde des 19/20 novembre 2000 (p. 13), le qualifiait d'« arrêt historique ». On ne prendra pas parti sur la pertinence de ce qualificatif en ce qui concerne cette décision. En revanche, on n'hésitera pas à qualifier d'historiques les deux arrêts rendus le 28 janvier (Civ. 1, 28 janv. 2010, n° 09-10.992 ; D. 2010.440 ; RDSS 2010. 375, obs. F. Arhab-Girardin) et le 3 juin 2010 (Civ. 1, 3 juin 2010, n° 09-13.591) par la première chambre civile de la Cour de cassation. Ces arrêts, en effet, modifient les fondements mêmes du droit de la responsabilité médicale générale et du droit de la responsabilité spécifique liée au manquement d'un médecin à son devoir d'information du patient, condition du recueil de son consentement éclairé.

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Or, sur trois siècles, on ne recense en ce domaine que trois arrêts pouvant être qualifiés d'historiques (mais il y a bien sûr d'autres grands arrêts) : - L'arrêt Thouret-Noroy, rendu le 18 juin 1835 par la chambre des requêtes de la Cour de cassation (DP 1835. 1. 300, concl. Dupin ; S. 1835. 1. 401.), qui a décidé que, nonobstant la loi du 29 ventôse an XI (10 mars 1803) relative à l'exercice de la médecine (Duvergier, 1836, t. 14, 2 éd., p. 12 ; cette loi a été abrogée en 1892) les dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil étaient applicables aux médecins commettant des fautes dans l'exercice de leur art. - L'arrêt Mercier rendu le 20 mai 1936 par la chambre civile de la Cour de cassation (DP 1936. 1. 88, rapp. Josserand, concl. Matter, note signée E. P. (Eustache Pilon) ; S. 1937. 1. 321, note Breton ; RTD civ. 1936. 691, obs. Demogue ; GAJC, 11 éd., n° 161 ; Gaz. Pal. 1936. 2. 41 ; Leçons de droit civil, 9 éd., par F. Chabas, p. 493) qui a substitué au fondement délictuel un fondement contractuel à la responsabilité médicale (la responsabilité délictuelle subsistant cependant en l'absence de contrat). - L'arrêt Teyssier rendu le 28 janvier 1942 par la chambre des requêtes de la Cour de cassation (DC 1942. 63 ; Gaz. Pal. 1942. 1. 177), fondateur de l'éthique médicale en ce qu'il proclame que le respect de la personne humaine impose au praticien, avant de réaliser une opération sur son patient, d'obtenir son consentement éclairé par l'information et qu'en violant cette obligation, il commet une atteinte grave aux droits du malade et manque à ses devoirs médicaux. Les fondements retenus par les deux premiers arrêts sont remis en cause par l'arrêt du 28 janvier (I), tandis que celui du 3 juin renforce singulièrement, après des errements, la portée de l'arrêt Teyssier (II). On s'interrogera aussi sur la problématique des revirements de jurisprudence (III). I - Le nouveau fondement de la responsabilité médicale générale 2 - L'arrêt du 28 janvier 2010 concerne une personne souffrant de douleurs épigastriques dues à un reflux gastro-oesophagien provoqué par une hernie hiatale qui subit le 16 juillet 2002 - c'est-à dire sous l'empire de la loi du 4 mars 2002 - une intervention chirurgicale consistant en une vagotomie et une pyloroplastie, dont il était résulté de violentes et persistantes douleurs. Le tribunal de grande instance, retenant une double faute, absence d'information sur le risque inhérent à l'intervention d'une part, faute médicale d'autre part, l'expertise ayant démontré le caractère injustifié de la vagotomie et de la pyloroplastie, avait indemnisé la patiente de l'ensemble de ses préjudices, mais la cour d'appel, bien qu'elle ait aussi admis que l'intervention était inutile et inadaptée à la pathologie, avait réduit l'indemnisation à la seule perte de chance. L'arrêt de cassation corrige heureusement cette erreur et définit, conformément à l'article 16-3 du code civil, la condition d'atteinte à l'intégrité du corps humain - en sus du consentement - c'est-à-dire une nécessité médicale pour la personne, ou, à titre exceptionnel, dans l'intérêt thérapeutique d'autrui. A ce titre l'arrêt serait déjà important car il va dans le sens de la limitation de dérives abusives de la notion de perte de chance - qui ne peut jamais permettre une indemnisation totale puisqu'elle représente une fraction des préjudices - alors que dans cette affaire le praticien avait commis une faute consistant à réaliser une intervention sans nécessité médicale, faute qui était à l'origine de l'entier dommage. 3 - Mais l'intérêt « historique » de cet arrêt réside dans le visa de cassation qui - outre l'article 16-3 du code civil déjà cité - ne vise que l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, alors que le moyen, classiquement, invoquait aussi l'article 1147 (+ 1149) du code civil, c'est-à-dire la responsabilité contractuelle. L'omission, qui n'est pas fortuite, des textes concernant la responsabilité contractuelle, signifie clairement que, désormais, pour tous les faits dommageables survenus après l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, le fondement de la responsabilité médicale repose sur le seul code de la santé publique. On ne peut que se féliciter de ce choix unificateur, d'autant plus bienvenu que dans la réalité la distinction entre la faute délictuelle et contractuelle n'avait plus guère de signification dès lors que la jurisprudence définissait de plus en plus les fautes par référence au code de déontologie médicale,

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maintenant intégré dans le code précité (P. Sargos, La révolution éthique des codes de déontologie des professions médicales et ses conséquences juridiques et judiciaires, D. 2007. 811 ; 2009. 1302, obs. J. Penneau ; E. Terrier, Protection juridique du patient : pour une consécration du modèle déontologique, JCP E 2002. 17). On citera aussi un arrêt récent renforçant la prise en compte de la déontologie (Civ. 1, 27 nov. 2008, n° 07-15.963, Bull. civ. I, n° 273 ; D. 2008. 3085) qui énonce qu'en présence d'un doute diagnostique le médecin a le devoir, en application des articles 32 et 33 du code de déontologie médicale, de recourir à l'aide de tiers compétents ou de concours appropriés. Ce choix unificateur permet aussi au juge administratif et au juge judiciaire de statuer désormais sur un même fondement : la loi du 4 mars 2002. II - Le nouveau fondement et le renforcement de la responsabilité liée au manquement au devoir d'information du médecin 4 - L'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 3 juin 2010 concerne un homme atteint depuis plusieurs années de troubles urinaires s'aggravant pour lesquels un urologue a préconisé et réalisé en avril 2001 une adénomectomie prostatique, mais sans l'informer au préalable du risque grave d'impuissance inhérent à cette intervention, risque qui s'est réalisé. La cour d'appel avait estimé qu'eu égard à la pathologie dont souffrait le patient et à l'absence d'alternative thérapeutique, il aurait accepté l'opération, même informé du risque d'impuissance, et lui a refusé toute indemnisation. La troisième branche du moyen - qu'il est important de reproduire pour comprendre la portée considérable de cet arrêt - faisait valoir que « l'obligation du médecin d'informer son patient avant de porter atteinte à son corps est fondée sur la sauvegarde de la dignité humaine ; que le médecin qui manque à cette obligation fondamentale cause nécessairement un préjudice à son patient, fût-il uniquement moral, que le juge ne peut laisser sans indemnisation ; qu'en décidant au contraire que M. S. n'aurait perdu aucune chance d'éviter le risque qui s'est réalisé et auquel le docteur P. l'a exposé, la cour d'appel a violé les articles 16-1, 16-2 et 1147 du code civil ». En cassant la décision de la cour d'appel sur ce moyen, l'arrêt du 3 juin 2010 réalise donc un revirement complet par rapport à un arrêt très critiqué du 6 décembre 2007 (Civ. 1, 6 déc. 2007, Bull. civ. I, n° 380 ; D. 2008. 192, note P. Sargos, 804, chron. L. Neyret, et 2894, obs. P. Brun et P. Jourdain ; 2009. 1302, obs. J. Penneau ; RTD civ. 2008. 303, obs. P. Jourdain, et 272, obs. J. Hauser ; V. égal. M. Bacache et A.-E. Crédeville, Pour une indemnisation au-delà de la perte de chance, D. 2008. 1908 et 1914 ; JCP 2008. II. 125, n° 3, obs. Stoffel-Munck) décidant que le préjudice moral ne pouvait être indemnisé en matière de manquement d'un médecin à son devoir d'information. Désormais, la réparation du préjudice moral devient non seulement possible, mais obligatoire en cas de manquement au devoir d'information. Pour les raisons développées dans les divers commentaires critiques de l'arrêt du 6 décembre 2007, on approuvera la Cour de cassation d'avoir eu la sagesse de ce retour à l'orthodoxie de la réparation du préjudice moral né d'un défaut d'information, d'autant que les textes les plus récents renforcent la protection des personnes en ce domaine. Ainsi l'article 3 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - qui a la même valeur que le Traité de Lisbonne depuis l'entrée en vigueur de ce dernier le 1 décembre 2009 - impose que, dans la cadre de la médecine et de la biologie, le consentement libre et éclairé de la personne concernée soit respecté. Un droit aussi fondamental ne pouvait rester sans réparation effective. Dès lors, même si les juges estiment que le patient informé aurait accepté de courir le risque grave qui s'est réalisé, le manquement au devoir d'information doit être réparé en tant que tel. Encore faut il, pour que ce droit à réparation soit effectif et non pas théorique, que la somme allouée ne relève pas du dérisoire, ce qui méconnaîtrait aussi le principe de proportionnalité, lequel a une importance croissante, y compris dans les évaluations pécuniaires des effets de la responsabilité (V. Com. 15 déc. 2009, n° 08-21.906, D. 2010. 10 ; Rev. sociétés 2010. 256, note N. Morelli ; JCP 2010. 155. 285, note P. Delmotte et P. Roussel Galle). Dans l'affaire ayant fait l'objet de l'arrêt du 6 décembre 2007, la cour d'appel avait ainsi accordé 3 000 € seulement en réparation du préjudice moral de la victime

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afférent à l'absence d'information sur le risque grave qui s'était réalisé (hémiplégie pendant les trois ans partant de l'opération jusqu'au décès). On peut penser qu'une somme aussi faible n'assure pas une réparation respectant le principe de proportionnalité et, plus largement, la dignité humaine, et n'incite pas au respect du devoir d'information. D'une façon générale d'ailleurs, il est regrettable que les juges du fond soient trop restrictifs dans leur évaluation du préjudice moral en matière d'atteinte à la personne humaine, même si une heureuse tendance pour une plus juste évaluation commence à se manifester (V. nos remarques dans un point de vue sur la réparation des préjudices d'agrément : D. 2010. 1089 ). 5 - L'arrêt précité du 6 décembre 2007 avait paru apporter un changement au fondement de la responsabilité en matière d'information du patient en visant non plus l'article 1147 du code civil, mais l'article 1382. Toutefois un lecteur avisé avait évidemment compris (V. § 5 in fine de notre note préc. concernant cet arrêt) que ce visa procédait d'une erreur matérielle dont on exprimait le souhait qu'elle perdure. Le doute est désormais levé, et de façon éclatante, par l'arrêt du 3 juin 2010, qui devient ainsi « historique ». Il vise en effet l'article 1382 du code civil, alors que le moyen se référait à l'article 1147 ; et la formule suivant laquelle cet article interdit au juge de laisser sans réparation le préjudice né du manquement au devoir d'information du médecin caractérise, sans l'ombre d'une équivoque, le passage en cette matière de la responsabilité contractuelle à la responsabilité délictuelle. On ne peut que s'en féliciter, et en féliciter la première chambre civile, car le manquement à l'obligation de recueillir le consentement éclairé du patient, qui repose sur le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, dépasse la sphère contractuelle et ne peut être réparé que sur la base de l'article 1382 du code civil, lequel exprime une autre exigence reconnue par le Conseil constitutionnel lorsqu'il énonce que « la faculté d'agir en responsabilité met en oeuvre l'exigence constitutionnelle posée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dont il résulte que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » (Cons. const., 9 nov. 1999, n° 99-419 DC, D. 2000. 424, obs. S. Garneri ; RTD civ. 2000. 109, obs. J. Mestre et B. Fages, et 870, obs. T. Revet). On ajoutera que le rejet des deux premières branches du moyen est aussi intéressant en ce qu'il confirme que le suivi post opératoire doit être conforme aux données acquises de la science, concept « inventé » par l'arrêt Mercier, et qui figurent maintenant à l'article R. 4127-32 du code de la santé publique. III - La problématique des revirements de jurisprudence 6 - Ces dernières évolutions sont heureuses, tant au plan du changement des fondements de la responsabilité médicale dans les deux domaines sus-évoqués, qu'à celui d'une meilleure réparation des préjudices nés de la réalisation d'un risque grave non révélé. Mais on ne peut manquer d'éprouver un malaise devant les variations jurisprudentielles qui, en matière d'information du patient, se sont succédées depuis l'arrêt Teyssier, lequel, dans la réponse au dernier moyen, posait clairement le principe de la réparation intégrale de tous les préjudices consécutifs à la réalisation d'un risque non révélé au patient. Cette doctrine avait été fermement reprise par un arrêt de cassation rendu en 1986 (Civ. 1, 11 févr. 1986, n° 84-10.845, Bull. civ I, n° 24 ; D. 1987. 19, note J. Penneau). Il s'agissait d'un médecin et d'un chirurgien qui avaient omis d'informer les parents d'une jeune fille du risque grave et de réalisation élevée de paralysie faciale de l'intervention qu'ils avaient préconisée, et que le second avait réalisée, pour remédier à la surdité dont leur fille était atteinte. La cour d'appel avait décidé que le défaut d'information ne pouvait permettre de condamner les praticiens à réparer l'intégralité du préjudice et limité leur condamnation à 50 %. La Cour de cassation avait cassé cet arrêt en énonçant que « le manque d'information était la cause exclusive du dommage et que la responsabilité des deux médecins était engagée pour l'intégralité du préjudice ». On se perd dès lors en conjectures sur les raisons, car aucune explication n'a été donnée, ni dans l'arrêt, ni dans le rapport annuel, du revirement intervenu à peine quatre ans après (Civ. 1, 7 févr. 1990, Bull.

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civ. I, n° 39 ; D. 1991. Somm. 183, obs. J. Penneau ; RTD civ. 1992. 109, obs. P. Jourdain). Cet arrêt a en effet décidé que le chirurgien qui manque à son obligation d'éclairer son patient sur les conséquences éventuelles du choix de celui-ci d'accepter l'opération qu'il lui propose, le prive seulement d'une chance d'échapper, par une décision peut-être plus judicieuse, au risque qui s'est finalement réalisé, perte qui constitue un préjudice distinct des atteintes corporelles résultant de l'opération. Encore cet arrêt préservait-il le préjudice moral, lequel était encore réaffirmé par un arrêt récent (Civ. 1, 27 juin 2006, n° 05-13.753) énonçant que le dommage résultant d'une perte de chance née d'un défaut d'information « ne se limite pas au préjudice moral ». On a vu qu'à peine un peu plus d'un an après, l'arrêt du 6 décembre 2007 procédait à un revirement, là encore sans l'ombre d'une explication, en interdisant la réparation du préjudice moral. Vient d'intervenir, heureusement, le revirement sur ce revirement par l'arrêt du 3 juin 2010 qui rétablit le droit et l'équité. Et un autre arrêt (Civ. 1, 11 mars 2010, n° 09-11.270, D. 2010. 1119, note M. Bacache) améliore encore le sort des victimes en décidant qu'en cas de manquement d'un médecin à son devoir d'information elles peuvent demander à l'ONIAM la réparation intégrale des conséquences de la réalisation d'un accident médical dont le risque n'avait pas été révélé, et qui, bien sûr, est advenu sans faute du praticien. On en revient ainsi - mais avec quelles contorsions juridiques ! - à la réparation intégrale de l'arrêt Teyssier, sauf lorsque les conséquences du risque réalisé ne réunissent pas les conditions de gravité prévues par l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. Dans ce cas, en effet, la victime devra continuer à agir devant une juridiction sur la base de la doctrine de la perte de chance de refuser l'intervention si le risque avait été révélé. On peut penser, eu égard au fait que la plupart des litiges concernent la réalisation de risques graves, que ces cas seront en nombres réduits. 7 - Toutes ces péripéties - sinon palinodies - attirent une nouvelle fois l'attention sur l'importance que doit attacher toute juridiction à la décision de procéder à un revirement de jurisprudence qui, intrinsèquement, porte atteinte à la prévisibilité du droit, c'est-à-dire à la sécurité juridique. Il faut donc, comme l'exige la jurisprudence de la CEDH (18 janv. 2001, n° 27238/95, X c/ Royaume Uni, pt 70, D. 2002. 2758, note D. Fiorina) une « raison valable » et proportionnée au droit ou à la liberté à renforcer, grâce au revirement rétroactif, pour y procéder. Certes, le temps est passé des diatribes doctrinales excessives sur le mal absolu que représenterait la rétroactivité jurisprudentielle. Le Conseil d'Etat (7 oct. 2009, n° 309499, SETIL, AJDA 2009. 2480, note J.-D. Dreyfus, 2437, obs. P.-A. Jeanneney, et 2010. 1062, étude E. Untermaier) énonce ainsi que « l'application rétroactive d'une jurisprudence nouvelle, qui ne comporte pas de réserve relative à son application dans le temps, n'est que l'effet des voies normales de recours au juge, et en particulier du contrôle du juge de cassation », de sorte qu'il n'y a pas de violation de l'article 6 de la Convention EDH. La Cour de cassation de son côté (Civ. 1, 11 juin 2009, n° 07-14.932, D. 2009. 2599, obs. I. Gallmeister, 2058, chron. P. Chauvin, N. Auroy et C. Creton, et 2567, chron. N. Molfessis) décide que « la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée dés lors que la partie qui s'en prévaut n'est pas privée du droit d'accès au juge.» La CEDH par l'important arrêt Unedic (18 déc. 2008, n° 20153/04) a expressément admis que la sécurité juridique ne faisait pas obstacle à l'application rétroactive de la jurisprudence. Et un arrêt encore plus récent (14 janv. 2010, n° 36815/03, Atanasovski c/ Macédoine) renforce cette prise de position en précisant que les exigences de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime ne consacrent pas un droit acquis à une jurisprudence constante, mais il faut qu'il y ait une motivation suffisante du revirement ; dans cette affaire d'ailleurs la motivation était inexistante de

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sorte que la République de Macédoine a été condamnée Cette exigence de motivation suffisante, qui doit être de nature à démontrer qu'il y a des « raisons valables » de modifier une interprétation jurisprudentielle, est une obligation que devrait s'imposer toute juridiction, notamment lorsqu'elle a une mission d'interprétation unificatrice de la règle de droit. Certaines chambres se sont engagées dans la voie de cette recherche de « raisons valables » pour apprécier s'il y a lieu ou non de procéder à un revirement, comme le démontre le commentaire figurant au Rapport annuel 2006 de la Cour de cassation (p. 284/285) dans une affaire où il a été estimé que de telles raisons n'existaient pas. On veut espérer que toutes les chambres de la Cour s'astreindront à cette discipline car un revirement est toujours une décision grave.

De la rétroactivité des revirements de jurisprudence Christophe Radé, Professeur à l'université Montesquieu-Bordeaux IV L'essentiel La polémique suscitée par la remise du rapport de la Commission Molfessis sur les revirements de jurisprudence montre à quel point le juge français n'est guère préparé à se soumettre aux exigences du principe de sécurité juridique. Et pourtant, devant l'emprise grandissante de la Cour de cassation sur des pans entiers de notre droit, il apparaît plus que nécessaire d'accepter de remettre en cause la conception historique de l'office du juge. 1 - L'importance prise ces dernières années par la jurisprudence, notamment en droit du travail, n'a pas manqué de relancer le débat récurrent sur le rôle du juge et la légitimité de ses décisions(1). Au sein des critiques qui pleuvent sur la jurisprudence en général et sur la Cour de cassation en particulier (2), la question des effets des revirements(3) sur la situation des justiciables occupe aujourd'hui le devant de la scène. L'inquiétude suscitée par la rétroactivité inhérente à tout revirement de jurisprudence n'est pas nouvelle mais le débat s'est amplifié sous l'effet conjugué de la promotion du principe de sécurité juridique et de la multiplication des évolutions jurisprudentielles(4). Contrainte de prendre position sur la conformité de l'application immédiate des solutions jurisprudentielles nouvelles au principe de sécurité juridique, la Cour de cassation, toutes chambres confondues, a considéré que le phénomène était inhérent à l'office du juge et que les justiciables ne sauraient par conséquent revendiquer le droit au maintien d'une jurisprudence « figée »(5), « immuable » (6), ou encore « constante »(7) C'est sans doute l'application dans le temps des arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 10 juillet 2002 en matière de clauses de non-concurrence(8) qui a mis le feu au poudre et conduit le premier président de la Cour de cassation, M. Guy Canivet, à demander à un groupe de travail, présidé par notre collègue Nicolas Molfessis, de réfléchir sur le phénomène(9). Les analyses et propositions de la commission n'ont pas manqué de provoquer la vive réaction du président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, soucieux de replacer le débat sur le terrain de la justification des décisions prises au regard des libertés fondamentales des salariés(10). 2 - L'examen des conclusions du rapport de la Commission Molfessis et la lecture de la réponse du président Pierre Sargos montrent à l'évidence la complexité du débat car il semble bien difficile de séparer nettement la question de l'application dans le temps des arrêts de la Cour de cassation de celle qui concerne l'opportunité même des revirements. Il semble toutefois qu'un changement significatif est en train de s'opérer au sein de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui accepte désormais de se soumettre aux exigences du principe de sécurité juridique, marquant sans aucun doute un tournant important (I). Mais cette évolution est-elle suffisante pour assurer la protection effective et efficace du principe de sécurité juridique ? Rien n'est moins sûr. Les remarques qui suivent n'ont, bien entendu, pas pour objet

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de jeter la pierre à la Cour de cassation ni de stigmatiser, au-delà du simple exercice d'un devoir de « critique », la pratique des revirements de jurisprudence qui font partie intégrante du fonctionnement de notre système. Nous voudrions simplement livrer ici quelques réflexions et formuler, en guise de contribution au débat, certaines propositions supplémentaires (II). I - La Cour de cassation et le respect du principe de sécurité juridique 3 - Jusqu'à une période très récente, la Cour de cassation avait écarté l'argument tiré de la violation du principe de sécurité juridique en se fondant sur la nature même de l'office du juge, et n'avait d'ailleurs pas jugé nécessaire d'assurer la publication de ses décisions. Le 17 décembre 2004, et pour la première fois, la Chambre sociale a accepté de se plier aux exigences de ce principe et de prendre position publiquement dans le débat(11) (A). L'examen de cette décision montre toutefois que le changement de motivation n'entame en rien la volonté de la Cour d'appliquer de manière immédiate les nouvelles conditions de validité des clauses de non-concurrence énoncées dans ses arrêts du 10 juillet 2002, de telle sorte que le débat reste entier (B). A - La Cour de cassation soumise à une exigence de motivation au regard du principe de sécurité juridique 4 - C'est à l'occasion de la définition des nouvelles conditions de validité des clauses de non-concurrence, dégagées le 10 juillet 2002, qu'a donc été posée, pour la première fois, la question de l'application dans le temps du revirement par un justiciable devant la Chambre sociale de la Cour de cassation (12). Un employeur se plaignait de l'application de ces arrêts à une clause de non-concurrence valablement conclue à la fin de l'année 1992, date à laquelle la jurisprudence n'exigeait pas de contrepartie financière, et faisait valoir « que le moyen relevé d'office tendant à l'application à la présente instance de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 relative à la nullité des clauses de non-concurrence qui ne comportent pas de contrepartie financière, porte atteinte au principe de sécurité juridique prescrit par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ». L'argument avait été balayé par la Haute juridiction, dans un arrêt étrangement non publié rendu le 7 janvier 2003, qui a considéré que « la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable prévu par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable, l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du droit » (13). Une décision de justice ne créant pas de norme, au sens formel du terme, elle ne saurait modifier l'état du droit positif et, partant, porter atteinte au principe de sécurité juridique. L'effet interprétatif de la décision de justice produirait alors inéluctablement un effet rétroactif puisque l'interprétation, qui n'est pas séparable de la norme interprétée, est censée s'appliquer dans les mêmes conditions que celle-ci. Frustrant pour le justiciable, l'argument reposait sur une analyse très classique de l'office du juge héritée de la Révolution française et partagée d'ailleurs par les autres chambres de la Cour de cassation (14). 5 - Sans doute conforme au dogme français du juge, simple interprète de la loi, l'explication ne pouvait convaincre. Non seulement la créativité de la jurisprudence est une réalité que nul ne pourrait nier, mais de surcroît la Chambre sociale de la Cour de cassation ne répondait pas réellement à l'argument, tel qu'il est envisagé par la Cour européenne des droits de l'homme qui traite de manière identique les atteintes au principe de sécurité juridique, qu'elles émanent du législateur ou des juridictions nationales (15). Pour le justiciable, en effet, il importe peu de savoir si la règle nouvelle qu'on lui impose rétroactivement résulte de l'adoption d'une loi nouvelle ou d'un changement dans l'interprétation jurisprudentielle d'une loi ancienne. Dans les deux hypothèses, le litige est en effet tranché par application d'une règle de droit, pure ou interprétée, dont le justiciable n'avait pas eu connaissance au

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moment des faits et dont il n'a donc pas pu, par hypothèse, tenir compte dans ses prévisions. La Cour de cassation ne peut donc, à son égard, se retrancher derrière une lecture aussi formelle de l'office du juge ; au regard du justiciable, créancier de sécurité juridique à l'égard de l'Etat, le revirement de jurisprudence porte effectivement atteinte à la sécurité juridique. 6 - Soucieuse de ne pas éluder le débat et de répondre sur le fond à l'argument tiré de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la Chambre sociale de la Cour de cassation a modifié son argumentation, sans toutefois changer de cap. Toujours à propos de l'application dans le temps de sa nouvelle jurisprudence relative aux conditions de validité des clauses de non-concurrence, la Haute juridiction a affirmé, dans un arrêt précité rendu le 17 décembre 2004 et cette fois-ci objet de la plus grande publicité, que « l'exigence d'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence répond à l'impérieuse nécessité d'assurer la sauvegarde et l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle » et que « loin de violer les textes visés par le moyen et notamment l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel en a au contraire fait une exacte application en décidant que cette exigence était d'application immédiate ». La question de la rétroactivité des revirements de jurisprudence devant la Chambre sociale de la Cour de cassation se pose donc désormais en des termes nouveaux puisque celle-ci reconnaît implicitement, mais nécessairement, que ses revirements menacent effectivement la sécurité juridique(16). Le débat s'est donc déplacé vers l'analyse de « l'impérieuse nécessité » qui justifie cette atteinte ; c'est d'ailleurs tout le sens, et tout l'intérêt, de la réponse du président Pierre Sargos. B - La position de la Cour de cassation soumise à un examen critique 7 - Le « dialogue » qui s'est instauré entre la commission Molfessis et le président de la Chambre sociale de la Cour de cassation montre combien il est difficile de faire abstraction du débat entourant la nécessité même du revirement de jurisprudence pour ne s'intéresser qu'aux conditions de son application dans le temps. La force d'attraction du revirement est tout à fait compréhensible. Si un revirement apparaît contestable dans son principe, son application rétroactive n'en est logiquement que plus critiquable. Mais si le revirement réalise un « progrès », alors la tentation est grande de lui conférer la plus grande portée possible ; c'est d'ailleurs pour cette raison que la jurisprudence considère aujourd'hui que les lois qui relèvent du champ de l'ordre public social doivent s'appliquer immédiatement aux conventions en cours, ce qui est contraire aux principes qui gouvernent l'application de la loi nouvelle aux actes juridiques conclus antérieurement(17). C'est d'ailleurs sans doute pour cette raison précise que le débat autour de la rétroactivité des revirements s'est enflammé après les arrêts rendus le 10 juillet 2002, tant la solution a pu déranger, et grande a été la tentation de se servir du débat sur son application dans le temps pour contester indirectement la nécessité du revirement intervenu. Il semble donc nécessaire de revenir sur l'exigence nouvelle d'une contrepartie financière comme condition de validité des clauses de non-concurrence (1) avant de s'intéresser à la question de l'application dans le temps du revirement (2). 1 - L'embarrassante exigence d'une contrepartie pécuniaire aux clauses de non-concurrence 8 - La Cour de cassation a-t-elle eu raison d'imposer, le 10 juillet 2002, une contrepartie financière comme nouvelle condition de validité de la clause de non-concurrence en droit du travail ? La réponse à cette question, qui ne peut-être, par définition, que propre à chacun, détermine bien entendu le regard que l'on peut poser sur la portée du revirement dans le temps. Il nous semble que cette question en masque en réalité une autre, plus essentielle, mais également plus dérangeante, qu'il faut pourtant bien se poser : la Cour de cassation n'a-t-elle pas outrepassé son rôle en décidant d'introduire une nouvelle condition de validité à la clause de non-concurrence ? Or, la réponse à la question de la légitimité même du revirement est étroitement liée à celle de la base juridique de la décision. Si cette base est solide et explicite, alors la Cour s'est contentée d'éclairer le

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sens obscur d'une disposition légale existante et la légitimité même de son intervention n'est pas contestable. Mais si cette base est fragile et que le texte visé, pour reprendre le mot d'un auteur, n'a été qu'un simple « prétexte », alors on peut s'interroger sur les limites du pouvoir créateur du juge(18). 9 - La première remarque que l'on peut faire est que le revirement intervenu en 2002 a été présenté comme un progrès dans la recherche d'une meilleure protection du « principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle »(19), ce qu'a d'ailleurs rappelé la Cour dans son arrêt du 17 décembre 2004(20). Or, c'est précisément cette justification qui ne nous convainc pas. La nécessaire conciliation entre l'intérêt de l'entreprise et la liberté du travail passe incontestablement par un contrôle minutieux portant sur les intérêts de l'entreprise protégés par la clause (principe de nécessité) et sur l'étendue de celle-ci dans sa triple dimension spatiale, temporelle et professionnelle (principe de proportionnalité). De ce point de vue, l'exigence cumulative de ces trois critères, introduite par les arrêts du 10 juillet 2002, semble parfaitement légitime. Mais nous ne comprenons pas en quoi l'exigence d'une contrepartie financière rendrait plus effective la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle car si elle rend bien le salarié plus riche, elle ne le rendra pas plus libre. C'est en réalité l'annulation des clauses dépourvues de contrepartie financière qui protège plus efficacement la liberté du travail, en libérant le salarié de toute obligation, et non l'exigence d'une contrepartie financière. 10 - Sur le terrain du respect des libertés fondamentales, d'ailleurs, on s'étonnera qu'à aucun moment ne soit évoquée la liberté d'entreprendre de l'employeur qui puise également ses racines dans la Constitution et le principe fondamental de liberté(21). Or, la préservation des intérêts de l'entreprise doit également entrer en ligne de compte non seulement dans le débat sur la validité des clauses de non-concurrence, mais plus encore lorsqu'on s'interroge sur la portée du revirement dans le temps puisque ce sont bien les entreprises qui pâtissent directement et exclusivement de la rétroactivité des arrêts rendus le 10 juillet 2002. Une même remarque vaut d'ailleurs pour l'application rétroactive du revirement intervenu en 1998 à propos de l'étendue de l'obligation d'information du médecin où, si la nécessité de préserver la dignité du patient a été soulignée, à juste titre, les droits fondamentaux du médecin, à commencer par la liberté d'exercice professionnel, ne sont même pas envisagés. Ce n'est donc pas sur le terrain des libertés qu'il convenait de se situer pour déterminer s'il était légitime d'imposer une contrepartie financière, mais sur celui de la cause de l'obligation de non-concurrence (22). Il nous semble par conséquent que cette exigence est littéralement sans fondement et que la Chambre sociale de la Cour de cassation a ici créé une nouvelle règle de droit sans pouvoir raisonnablement prétendre avoir interprété une norme existante. 11 - Même à admettre que l'exigence d'une contrepartie financière aurait pu et dû être explicitement fondée sur les dispositions de l'article 1131 du code civil, ce qui n'a pas été le cas, il nous semble que ce fondement, pourtant le plus adéquat, ne suffisait pas à fonder la solution finalement retenue, en tout cas pas de manière aussi évidente. La cause ne peut en effet se résumer à la seule contrepartie immédiate et particulière de l'obligation. Non seulement la cause renvoie également, dans une conception plus subjective, aux motifs déterminants de l'engagement des parties, mais lorsqu'elle concerne un contrat dans son ensemble, et pas seulement une obligation particulière, elle décrit l'équilibre recherché entre les prestations. Or, la clause de non-concurrence ne peut être envisagée indépendamment des autres éléments de la relation de travail. La plupart du temps inscrite au coeur même du contrat, au milieu d'autres clauses, elle s'intègre dans un tout, véritable entrelacs de droits et d'obligations. En exigeant, depuis 1992 et avant d'ailleurs l'adoption de la loi du 31 décembre 1992 et de l'article L. 120-2 du code du travail, que la clause de non-concurrence apparaisse comme « indispensable à la protection des intérêts légitimes

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de l'entreprise », « en raison des fonctions du salarié », la Cour de cassation avait déjà recherché la cause de cette obligation particulière dans la relation de travail considérée dans son ensemble(23). C'est alors l'examen des fonctions occupées par le salarié qui interdira de valider la clause de non-concurrence d'un simple laveur de vitres(24), d'un magasinier(25) ou d'un employé des pompes funèbres (26), et c'est encore cet examen qui permettra à l'entreprise d'interdire valablement à un cadre, ou à un commercial ayant accès au fichier client, à un « savoir-faire spécifique »(27) ou à des données confidentielles sur la stratégie commerciale de l'entreprise, d'utiliser ces informations au service d'un concurrent pendant le temps où elles menacent l'intérêt de l'entreprise(28). Dans de très nombreuses hypothèses, la clause de non-concurrence constitue bien la contrepartie des fonctions exercées au sein de l'entreprise qui garantissent au salarié un niveau de rémunération à la hauteur de ses responsabilités ; et lorsqu'elle concerne un salarié n'ayant pas ce statut, la Cour de cassation vérifie que l'application de la clause ne le prive pas de la possibilité effective « d'exercer une activité conforme à sa qualification professionnelle » (29). La contrainte que constitue l'obligation de non-concurrence se trouve alors compensée globalement par les avantages dont jouit le salarié dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail et se trouve, de ce fait, causée par anticipation. En admettant de se situer sur le terrain de l'article 1131 du code civil, le moins que l'on puisse dire est que l'absence de cause n'était pas criante, ni même le fait que la clause de non-concurrence sans contrepartie financière serait impérieusement nécessaire pour assurer la sauvegarde et l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle. Nous pensons donc que l'exigence d'une contrepartie financière spécifique ne devrait pas être imposée par principe mais uniquement après un examen minutieux des conditions d'exécution du contrat de travail et lorsqu'il apparaît que l'obligation de non-concurrence ne trouve pas de compensation dans le niveau de rémunération perçu par le salarié. 12 - Il est incontestable que la nécessité d'imposer une contrepartie était depuis longtemps discutée, et qu'il pouvait paraître juste de l'imposer. Mais l'adjonction d'une nouvelle condition de validité à la clause de non-concurrence, de par ses implications juridiques, économiques et professionnelles, devait résulter d'une décision politique prise à l'issue d'un débat démocratique mené soit au Parlement, soit dans le cadre de la négociation collective. Il ne suffit alors pas de relever que le Parlement, qui en aurait eu l'occasion, n'est pas intervenu par la suite pour contredire la jurisprudence et de suggérer qu'il faudrait voir dans ce silence une forme de ratification implicite du revirement, pour s'assurer rétrospectivement de la légitimité de la décision. 2 - De la nécessité de faire une application immédiate de l'exigence d'une contrepartie pécuniaire 13 - Le rapport sur les revirements de jurisprudence propose de confier à la Cour de cassation elle-même le soin de déterminer les conditions d'application dans le temps de ses propres revirements. Répondant par anticipation à cette proposition, la Chambre sociale de la Cour de cassation a considéré, dans son arrêt précité du 17 décembre 2004, que le revirement devait s'appliquer à toutes les clauses conclues antérieurement au 10 juillet 2002 dans la mesure où cette application immédiate répond « à l'impérieuse nécessité d'assurer la sauvegarde et l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle ». Doit-on alors se satisfaire de la réponse apportée, conforme en tous points aux souhaits de la commission puisque l'arrêt a été rendu en formation de section et dans un moyen où seule était discutée la question de l'application du revirement dans le temps ? Il ne nous semble pas. Le moins que l'on puisse dire est que dans cette affaire la Chambre sociale de la Cour de cassation est à la fois juge et partie puisqu'elle devait déterminer elle-même si ses arrêts rendus le 10 juillet 2002 se justifiaient pas une nécessité suffisante pour devoir s'appliquer de manière immédiate. Or, peut-on sérieusement imaginer que la Cour de cassation, qui fait précéder ses décisions de débats riches et nécessairement contradictoires, pourrait confirmer l'un de ses revirements tout en admettant que des intérêts supérieurs s'opposent à une application immédiate ?

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La lecture de l'arrêt rendu le 17 décembre 2004 montre d'ailleurs bien que la question de la légitimité du revirement et celle de son application dans le temps sont, dans l'esprit des magistrats, indissociables et que le refus de moduler ses effets dans le temps est fondé sur la seule légitimité du revirement lui-même. 14 - Or, l'application rétroactive du revirement met en cause d'autres intérêts que la seule liberté du travail puisqu'elle conduit à fragiliser des milliers de clauses valablement conclues avant le revirement, clauses dont la nécessité, au regard des intérêts de l'entreprise, et la proportionnalité, au regard de la protection de la liberté du salarié, auraient par ailleurs été vérifiées. La fragilité des clauses dépourvues de contrepartie financière conclues avant le 10 juillet 2002 est d'ailleurs extrême et se trouve renforcée par l'intransigeance de la jurisprudence en matière de modification du contrat de travail. L'employeur n'a en effet pas le droit d'imposer au salarié la révision de la clause et l'introduction d'une juste contrepartie financière, même pour répondre aux exigences jurisprudentielles nouvelles. Il s'agirait en effet d'une modification du contrat de travail que le salarié serait en droit de refuser(30). Or, on sait que ce droit est absolu et qu'il ne saurait être remis en question sous prétexte que la révision lui serait plus favorable (31) ou conforme à la commune intention des parties, comme cela pourrait être le cas (32). Il n'est d'ailleurs pas certain ici que la révision du contrat pour introduire une contrepartie financière serait nécessairement plus favorable au salarié puisque cette modification sécuriserait la clause et, partant, l'obligation de non-concurrence qui y figure. Or, en refusant cette révision, le salarié se réserve une option qui lui est incontestablement plus favorable ; s'il retrouve un emploi qui tombe sous le coup de la prohibition, alors il aura tout intérêt à demander l'annulation de la clause pour défaut de contrepartie ou plus simplement à attendre que l'employeur en réclame l'exécution pour exciper de sa nullité. Dans l'hypothèse où son nouvel emploi n'entrerait pas dans les prévisions de la clause, alors il pourra au contraire agir en justice pour obtenir le paiement d'une indemnité compensant l'absence de contrepartie (33). Par ailleurs, et sauf lorsque la loi en dispose autrement, le droit de refuser une proposition de modification du contrat de travail est absolu et, pour le moment en tout cas, non susceptible d'abus(34), même si ce refus serait, selon nous, susceptible de heurter l'exigence de bonne foi qui pèse également sur le salarié(35). L'employeur, qui ne dispose pas des moyens juridiques de sécuriser les clauses conclues avant le revirement, se trouve donc pieds et poings liés ; cette raison ne suffirait-elle pas, en elle-même, à s'opposer à ce que les clauses valablement conclues sous l'empire de la jurisprudence ancienne puissent être rétroactivement annulées ? 15 - Il paraît donc indispensable de déterminer les critères qui doivent conduire à écarter l'application immédiate d'une jurisprudence nouvelle, dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, de la Cour européenne des droits de l'homme, du rapport sur les revirements de jurisprudence et des décisions rendues dernièrement tant par la Cour de cassation que par le Conseil d'Etat Or, une jurisprudence nouvelle qui conduit à annuler des actes juridiques valablement formés sous l'empire d'une solution jurisprudentielle antérieure nous paraît devoir rentrer dans la liste des exceptions qui devraient être admises. C'est d'ailleurs en ce sens qu'a statué dernièrement le Conseil d'Etat dans son arrêt AC ! rendu le 11 mai 2004(36). Dans cette affaire, le Conseil d'Etat a rappelé que « l'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu », mais « que, toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif (...) de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de

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l'annulation ; qu'il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine ». Dans l'un de ses arrêts rendus le 8 juillet 2004, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a également décidé de ne pas faire une application immédiate de la nouvelle interprétation d'une règle de procédure à une affaire en cours dès lors que « l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales »(37). Il nous semble également que, en matière de responsabilité civile pour faute, toute interprétation visant à faire peser sur le responsable une nouvelle obligation de faire ou de ne pas faire ne devrait pas produire d'effet rétroactif (38) 16 - L'introduction rétroactive d'une nouvelle condition de validité pour les clauses de non-concurrence, qui prête en soi à discussion, est alors plus difficilement admissible encore que le Parlement lui-même ne se le serait jamais permis, et n'aurait d'ailleurs peut-être pas été autorisé à le faire par le Conseil constitutionnel qui, sur fondement de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789(39), vérifie que l'application rétroactive de dispositions nouvelles en matière civile repose sur un « motif d'intérêt général suffisant » qui ne prive pas « de garanties légales des exigences constitutionnelles»(40). La plupart des lois récentes respectent d'ailleurs scrupuleusement le principe de sécurité juridique et ne se déclarent applicables qu'aux actes conclus postérieurement à leur entrée en vigueur(41), ou à des actes antérieurs mais réalisés à compter du jour où l'adoption de la loi nouvelle était normalement prévisible pour le justiciable(42). 17 - La Cour de cassation se trouve alors placée dans une situation paradoxalement très favorable et jouit d'un double privilège exorbitant. En premier lieu, en tant que juridiction suprême, sa jurisprudence n'est soumise à aucun contrôle et seul le Parlement est en mesure d'intervenir pour la contredire ; mais il est alors singulier d'attendre du Parlement qu'il prenne position sur la nécessité de conforter ou d'infirmer la jurisprudence. Certes, les justiciables peuvent saisir la Cour européenne des droits de l'homme et se plaindre d'une violation de la Convention. Mais, sauf en matière pénale où la loi du 15 juin 2000 a mis en place un mécanisme de révision, les arrêts rendus par la Cour de Strasbourg ne sauraient justifier la remise en cause de la chose jugée par une juridiction nationale(43). En second lieu, la Cour de cassation dispose, grâce au contrôle de la conventionnalité de la loi, du pouvoir d'écarter une disposition légale ou réglementaire qu'elle jugerait contraire au principe de sécurité juridique (44). La Cour de cassation peut alors ignorer le principe de sécurité juridique tout en exerçant un contrôle sur son respect par le Parlement ! II - Les garanties du respect du principe de sécurité juridique 18 - La Commission Molfessis a suggéré que la Cour de cassation pourrait décider de moduler dans le temps les effets de certaines de ses jurisprudences. Cette proposition est intéressante mais ne nous semble pas de nature à garantir effectivement le respect du principe de sécurité juridique (A). D'autres mécanismes pourraient alors être imaginés (B). A - Les garanties à droit constant : l'appel à l'autodiscipline 19 - La proposition de la Commission Molfessis visant à permettre à la Cour de cassation de moduler

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les effets dans le temps de ses décisions semble raisonnable et n'impliquerait aucune modification du cadre juridique existant. On sait d'ailleurs que la première Chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 6 juin 2000, avait procédé à une telle modulation pour tenir compte de la condamnation de la France par la Cour de Strasbourg dans l'affaire Bellet (45), que la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a refusé de censurer une décision afin de ne pas priver le justiciable du droit à un jugement équitable(46) et que le Conseil d'Etat a également montré la voie dans son arrêt du 11 mai 2004 s'agissant de l'annulation d'un acte administratif (47). Comme l'a souligné la Commission, il est souhaitable que la question de l'application du revirement dans le temps fasse l'objet d'un débat distinct afin d'éviter que la question de l'opportunité même du revirement ne vienne polluer la discussion sur l'application dans le temps de cette décision, les problèmes étant nécessairement d'une nature différente. 20 - Dans ces conditions, nous pensons que la question de l'application du revirement dans le temps ne devrait pas être traitée au sein de la chambre qui aurait vocation à rendre l'arrêt, précisément pour éviter la confusion des enjeux. On pourrait alors imaginer que tout revirement de jurisprudence, qui pose la question de principe de sa compatibilité avec le principe de sécurité juridique, pourrait être soumis à l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, ou à l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat, afin que le débat relatif au « motif impérieux » ait lieu de la manière la plus large possible et que des conseillers, qui n'appartiennent pas à la chambre qui souhaite le revirement, puissent statuer de manière plus détachée sur la question de son application dans le temps(48). Par ailleurs, et lorsque la question de l'application immédiate d'un revirement de jurisprudence se pose devant les juges du fond, il serait souhaitable que ces derniers utilisent la procédure de la saisine pour avis afin de permettre de dégager, tant devant la Cour de cassation que le Conseil d'Etat, des principes clairs applicables à tous les litiges. Ces pratiques n'impliqueraient aucune modification du droit existant et le premier président de la Cour de cassation, par ailleurs commanditaire du rapport sur les revirements de jurisprudence, pourrait alors user des pouvoirs que lui confère l'article L. 131-2 du code de l'organisation judiciaire pour saisir l'Assemblée plénière lorsque la question se pose. B - Les garanties impliquant une réforme des règles applicables au procès 21 - Si l'appel à l'autodiscipline aurait sans doute l'avantage de poser la question en terme de principes, il ne répondrait pas à l'objection majeure selon laquelle la Cour de cassation demeurerait à la fois juge et partie. Or, laisser le soin à l'auteur d'une « norme jurisprudentielle » de déterminer si le revirement doit ou non produire immédiatement effet ne nous semble guère compatible avec le droit au procès équitable consacré par l'article 6 § 1 de la Convention européenne, même si on peut penser que la Haute juridiction s'acquitterait de sa mission avec toute l'objectivité et la neutralité nécessaires. La seule solution véritablement satisfaisante impliquerait donc l'intervention d'une autorité de contrôle chargée de statuer sur la question précise de l'application du revirement dans le temps. Or, cette intervention nécessiterait, par la force des choses, une modification du droit existant. Plusieurs procédés pourraient en effet être envisagés. 22 - Le premier consisterait à élargir à l'ensemble des litiges la procédure issue de la loi du 15 juin 2000 qui a ouvert un recours en révision devant une commission ad hoc placée près la Cour de cassation, lorsque la France a été condamnée par la Cour de Strasbourg en matière pénale. On pourrait alors imaginer, sur le modèle de l'article 626-1 du code de procédure pénale, que « Le réexamen d'une décision définitive peut être demandé au bénéfice de toute personne lorsqu'il résulte d'un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme que la décision qui l'a condamnée a été prononcée en violation des dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou de ses protocoles additionnels, dès lors que, par sa nature et sa gravité, la violation constatée entraîne pour le justiciable des conséquences dommageables auxquelles la « satisfaction

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équitable » allouée sur le fondement de l'article 41 de la Convention ne pourrait mettre un terme ». Ce réexamen permettrait alors, sur la question précise de l'application rétroactive d'un revirement, d'exercer un contrôle sur les décisions de la Cour de cassation et, le cas échéant, de remettre en cause la portée du revirement dans le temps. Cette procédure aurait le mérite de s'appuyer sur un dispositif existant mais n'irait sans doute pas dans le sens d'un procès mené « dans un délai raisonnable » qui constitue un autre droit reconnu aux justiciables dans le cadre de l'article 6 § 1 Conv. EDH. La Cour de cassation demeurerait par ailleurs, in fine, seule juge de la nécessité de réviser le procès et, partant, de se désavouer pour tenir compte de la condamnation de la Cour de Strasbourg. 23 - Une autre solution consisterait à mettre en place un mécanisme de question préjudicielle portant sur l'application du revirement dans le temps. Ce mécanisme existe déjà dans le champ du droit communautaire, devant la Cour de Luxembourg, mais pourrait être étendu à la Cour européenne des droits de l'homme pour assurer une interprétation homogène parmi les quarante-six Etats membres du Conseil de l'Europe. Mais l'intervention de la Cour de Strasbourg risquerait de ralentir la procédure, compte tenu des difficultés qui sont aujourd'hui les siennes pour trancher rapidement les différends qui lui sont soumis, et pourrait introduire dans le raisonnement des éléments étrangers à notre système juridique qui ne permettraient sans doute pas d'apprécier avec toute la justesse nécessaire les motifs qui pourraient justifier qu'en France il soit fait ou non application immédiate d'un revirement de jurisprudence. Dans la mesure où le Conseil constitutionnel statue déjà sur la conformité des lois au principe de sécurité juridique, on pourrait imaginer que la Cour de cassation le saisisse chaque fois qu'elle prétend faire application immédiate d'une jurisprudence nouvelle. Cette procédure aurait l'avantage d'aligner le contrôle exercé sur la loi et celui exercé sur la jurisprudence et de permettre ainsi un traitement égal dans les deux hypothèses, au regard des exigences constitutionnelles. C'est alors la question des modalités de contrôle de la conformité des « lois » à la Constitution qu'il conviendrait plus largement de revoir et de l'accès des justiciables au Conseil constitutionnel. La possibilité de saisir le Conseil pour exciper de l'inconstitutionnalité d'une application rétroactive d'un revirement jurisprudentiel devrait alors nécessairement accompagner la mise en place d'un recours pour contester la conformité des lois qui ont échappé au contrôle du Conseil dans le cadre de la procédure actuelle. Or, on sait que toutes les tentatives pour modifier la Constitution en ce sens ont jusqu'à présent échoué. 23 - Quelle que soit la solution qui pourrait être retenue (compétence de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation ou recours à une autre juridiction), le débat suscité par les revirements de jurisprudence et leur application dans le temps doit impérativement être replacé dans un contexte plus large. Les magistrats, singulièrement lorsqu'ils siègent à la Cour de cassation, sont tenus d'apporter des réponses concrètes et immédiates aux attentes et revendications des justiciables. Or, c'est d'abord au Parlement et aux partenaires sociaux qu'il appartient de répondre à ces attentes. C'est donc également dans l'amélioration de la qualité du travail législatif que réside une partie des solutions aux problèmes posés par les revirements de jurisprudence.

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SEANCE 19 REGIME DES OBLIGATIONS

La circulation de l’obligation : cession et délégation L’extinction de l’obligation

LA CESSION I. – Jurisprudence

• Cession de créance

� Cass. Com. 23 juin 1992 : Bull. Civ. IV, n° 245 � Cass. Com. 4 juin 1996 : D. 1996, Jur. p. 630 � Cass. Com. 21 novembre 2000, n° 1975 FS-P : Bull. civ. IV, n° 180 ; D. 2001, p. 123. � Cass. Com. 7 décembre 2004, n° 1777 FP-P+B+I : D. 2005, p. 230.

• Cession de dette

� Cass. Com. 16 novembre 1993 : Bull. civ. IV, n° 406 ; RTD civ. 1994, p. 607, obs. J. Mestre.

• Cession de contrat

� Cass. Com. 7 janvier 1992 : Bull. civ. IV, n° 3 � Cass. Com. 6 mai 1997 : D. 1997. p. 588, note Ch. Jamin et M. Billiau ; D. 1998. p. somm. p. 136, obs. H. Le Nabasque ; RTD civ. 1997, p. 936, obs. J. Mestre � Cass. Com. 6 juin 2000 : D. 2001, p. 1345, note D. Krajeski. � Cass. Civ. 3ème, 13 juillet 1999 : D. 2000, p. 195, note E. Jeuland. � Cass. Civ. 3ème, 12 décembre 2001, n° 1751 FS-P+B : D. 2001, p. 984.

II. Articles

• C. Civ., Art. 1753 • C. Ass., Art. L. 121-10 • C. Trav., Art. L. 1224-1

III. – Doctrine

� F. PETIT, Réflexions sur la sécurité dans la cession de créance dans l'avant-projet de réforme du droit des obligations, D. 2006, p. 2819

� Ch. LACHIEZE, L’autonomie de la cession conventionnelle de contrat, D. 2000, p. 184 � Ch. LARROUMET, La descente aux enfers de la cession de contrat, D. 2002, p. 1555 � E. JEULAND, Proposition de distinction entre la cession de contrat et la substitution de personne, D. 1998 p. 356

IV. – Exercices

� Commentaire d’arrêt : Com. 6 juin 2000. � Cas pratique.

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Cas pratique :

Rodolphe Boulanger, lors de son séjour aux urgences de la Clinique Bellepluie, a rencontré Christine avec qui il coule depuis quelques mois des jours heureux….hormis les petites difficultés dont il vient vous faire part.

Son amie Christine est radiologue. Elle a conclu avec la clinique Bellepluie, en janvier

1992, un contrat d’exercice libéral. La clinique Bellepluie, devant faire face à des difficultés financières, fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire et est sur le point d’être reprise par la société MacSanté. Christine souhaite connaître votre point de vue sur le sort de son contrat. Elle est notamment préoccupée par le sort de son obligation d’exclusivité vis-à-vis de la clinique Bellepluie.

Rodolphe, quant à lui, vient vous consulter à plus d’un égard.

Pour les besoins de son activité professionnelle, il a conclu un contrat de fourniture de

parpaings avec la société Mika. Il apprend aujourd’hui, depuis plus de dix ans de relation, que le PDG de la société Mika a décidé de reconvertir son entreprise et qu’il a cédé le contrat le liant à Rodolphe à la société Fore. Cette dernière lui demande de payer une facture d’un montant très élevé. Que lui conseillez-vous ?

Il souhaite également vous interroger au sujet d’une difficulté que rencontre son ami M.

Sorel. Ce dernier garde en effet un ressentiment à l’égard de son ex fiancée. Il a cédé une créance d’un montant de 10 000 euros, dont son ex fiancée est débitrice, à un ami avocat à qui il doit justement cette somme au titre des parts qu’il a acheté dans sa SCP « Defoitte et Louche ». Mais ce n’est pas tout : il a également cédé sa créance à Christine, qui lui avait prêté cette somme pour l’achat de la dernière tondeuse autoportée de chez Jack and Dexter. Qu’en pensez-vous ?

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� Articles C. Civil, Art. 1753 :

Le sous-locataire n'est tenu envers le propriétaire que jusqu'à concurrence du prix de sa sous-location dont il peut être débiteur au moment de la saisie, et sans qu'il puisse opposer des paiements faits par anticipation.

Les paiements faits par le sous-locataire, soit en vertu d'une stipulation portée en son bail, soit en conséquence de l'usage des lieux, ne sont pas réputés faits par anticipation. C. Assurances, Art. L. 121-10 :

En cas de décès de l'assuré ou d'aliénation de la chose assurée, l'assurance continue de plein droit au profit de l'héritier ou de l'acquéreur, à charge par celui-ci d'exécuter toutes les obligations dont l'assuré était tenu vis-à-vis de l'assureur en vertu du contrat.

Il est loisible, toutefois, soit à l'assureur, soit à l'héritier ou à l'acquéreur de résilier le contrat. L'assureur peut résilier le contrat dans un délai de trois mois à partir du jour où l'attributaire définitif des objets assurés a demandé le transfert de la police à son nom.

En cas d'aliénation de la chose assurée, celui qui aliène reste tenu vis-à-vis de l'assureur au paiement des primes échues, mais il est libéré, même comme garant des primes à échoir, à partir du moment où il a informé l'assureur de l'aliénation par lettre recommandée.

Lorsqu'il y a plusieurs héritiers ou plusieurs acquéreurs, si l'assurance continue, ils sont tenus solidairement du paiement des primes.

Il ne peut être prévu le paiement d'une indemnité à l'assureur dans les cas de résiliation susmentionnés.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables au cas d'aliénation d'un véhicule terrestre à moteur. C. Travail, Art. L. 1224-1 (ancien art. L. 122-12) :

Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. � Cass. Com. 23 juin 1992 Sur le moyen unique, pris en sa première branche : Vu les articles 1234 et 1243 du Code civil ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Sodam, qui avait fourni des marchandises à Mme X... pour les besoins de son commerce, l'a assignée en paiement du solde de sa dette ; que pour résister à cette demande Mme X... a soutenu qu'elle s'était libérée de cette dette en procédant, après la cessation de son activité commerciale, à la dation en paiement de son fonds de commerce et de l'ensemble des éléments qu'y étaient attachés, y compris les créances sur la clientèle ; Attendu que pour rejeter la demande de la société Sodam l'arrêt, après avoir considéré qu'il n'y a pas eu remise à cette société du fonds de commerce de Mme X..., retient que celle-ci lui a

cédé des créances " pour couvrir " sa dette envers elle et que le cédant ne doit garantir que l'existence de la créance mais non la solvabilité du débiteur cédé de sorte que la société Sodam, qui a accepté la cession sans autre garantie, ne peut reprocher à Mme X... les difficultés qu'elle rencontre pour le recouvrement de certaines sommes auprès de débiteurs insolvables ou récalcitrants ; Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, alors que la cession de créances n'emporte pas par elle-même extinction de la dette du cédant envers le cessionnaire, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si le créancier avait consenti à la remise de cette dette en contrepartie de la cession par le débiteur de créances qu'il détenait sur des tiers, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

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PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen ; CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 juin 1988, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en

conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse

� Cass. Com. 4 juin 1996

LA COUR : - Sur le moyen unique, pris en sa première branche : - Vu les art. 1134 et 1690 c. civ. ; - Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (CA Bordeaux, 16 mars 1994), que la Sté Carrosserie nouvelle a acheté, en avril 1987, à la Sté Geime un banc de contrôle électronique Universal Bench au moyen d'un contrat de crédit-bail conclu, avec la Sté Loca PMI, le 16 oct. 1987 pour une période de cinq ans ; que la Sté Carrosserie nouvelle a assigné les Stés Loca PMI, Geime et Universal Bench en résolution du contrat de vente, en faisant valoir que le banc de contrôle ne fonctionnait pas, en remboursement des loyers payés et en paiement de dommages-intérêts ; - Attendu que pour déclarer irrecevable la demande de la Sté Carrosserie nouvelle en résolution de la vente, après avoir relevé que la clause litigieuse stipulait que « le locataire bénéficiera des garanties consenties par le constructeur ou le fournisseur et attachées à la propriété du matériel loué. A cet effet, la Sté Loca PMI délègue par les présentes et pour ce faire au locataire tous ses droits et actions contre le constructeur ou le fournisseur concerné »,

l'arrêt retient que ladite clause ayant pour effet de transférer au locataire l'action en résolution de la vente, le consentement exprès du vendeur à ce transfert des actions du crédit-bailleur acquéreur du matériel au crédit preneur était nécessaire ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'en l'état de la clause litigieuse du contrat de crédit-bail, par la délégation faite, par la Sté Loca PMI à la Sté Carrosserie nouvelle, le bailleur avait transféré au locataire ses droits contre le fournisseur concernant la garantie des vices cachés et que l'assignation en résolution du contrat de vente du fournisseur par le preneur qui invoquait, avec le bailleur, la clause litigieuse, opérait signification de la cession de créance de garantie, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; Sur la demande présentée au titre de l'article 700 NCPC : - (non commentée) ; Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, casse et [...] renvoie devant la Cour d'appel de Toulouse...

� Cass. Com. 21 novembre 2000 Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 29 avril 1997), qu'avant d'être mise en redressement judiciaire, le 15 septembre 1992, la société Sepi a cédé à la banque Scalbert Dupont, selon les modalités de la loi du 2 janvier 1981, les créances qu'elle avait sur la société Clemessy, au titre de travaux qu'elle avait effectués ; que la société Clemessy n'a pas accepté la cession et a opposé au cessionnaire la clause de ses conditions générales de prestations et fournitures, interdisant à ses cocontractants de céder leurs créances sans son consentement écrit et préalable, ainsi qu'une exception de compensation, pour un certain montant, avec une créance de dommages-intérêts qu'elle prétendait détenir contre la société Sepi au titre de malfaçons affectant les travaux réalisés ; Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la société Clemessy reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la banque Scalbert Dupont la somme de 151 279,04 francs, majorée des intérêts légaux à compter du 11 décembre 1992 alors, selon le moyen : 1° que le contrat, s'il n'a d'effet obligatoire qu'entre les parties, est opposable aux tiers qui ne peuvent rien faire qui soit de nature à empêcher son exécution ; qu'en affirmant que la clause d'agrément conclue entre elle-même et la société Sepi n'était pas opposable à la banque Scalbert Dupont qui n'était pas partie au contrat, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1165 du Code civil ; 2° qu'en toute hypothèse, le cessionnaire d'un contrat devient partie au contrat dont les clauses s'imposent à lui au titre de l'effet obligatoire du contrat ; qu'en l'espèce, la cession de la créance que la société Sepi possédait sur elle, à la banque

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Scalbert Dupont, a eu pour effet d'emporter le transfert de toutes les clauses contenues dans le contrat initial ; que devenue titulaire de la créance de la société Sepi, et donc partie au contrat initial, la banque Scalbert Dupont avait pour obligation de respecter le contenu des clauses et l'état de la créance y afférente ; qu'en soumettant néanmoins l'opposabilité de l'incessibilité de la créance, faute d'agrément préalable du débiteur cédé, à l'acceptation par la banque des conditions initiales posées par le contrat initial et acceptées par la société Sepi, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1165 et 1689 du Code civil ; 3° qu'en présence d'une clause subordonnant la cession de créance à l'autorisation du débiteur cédé, la banque cessionnaire, qui réclame le paiement du titre cédé, a pour obligation de rapporter la preuve que les conditions requises pour ouvrir droit au paiement sont réunies ; qu'en estimant néanmoins qu'il appartenait à ce débiteur cédé, d'établir que la clause subordonnant la cession de créance à son

autorisation faute de quoi ledit débiteur cédé ne devait se libérer qu'entre les mains de son créancier initial, la société Sepi était opposable à la banque Scalbert Dupont, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ; Mais attendu qu'après avoir décidé, à juste titre, que la banque Scalbert Dupont, cessionnaire de la créance née du contrat souscrit entre la société Clemessy et la société Sepi, n'était pas partie à ce contrat, la cour d'appel en a déduit à bon droit que la banque cessionnaire n'était pas engagée par la clause d'agrément y figurant sauf si elle l'avait acceptée, ce que la société Clemessy n'établissait pas ; qu'ainsi, sans inverser la charge de la preuve, les juges du fond ont fait une exacte application des textes susvisés ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ; Sur le second moyen, pris en ses deux branches : (Publication sans intérêt) ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.

� Cass. Com. 7 décembre 2004 Statuant tant sur le pourvoi principal présenté par la CRCAM d'Aquitaine que sur le pourvoi incident présenté par la société Labat-Merle (la société Labat) ; Attendu, selon l'arrêt déféré, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 10 octobre 2000, pourvoi n° P 97-21.744), que, par acte du 27 janvier 1992, la société Euroméca a cédé à la CRCAM d'Aquitaine (la Caisse), selon les modalités de la loi du 2 janvier 1981 codifiée sous les articles L. 313-23 et suivants du Code monétaire et financier, la créance qu'elle détenait sur la société Labat au titre d'une commande que celle-ci lui avait passée ; que la société Labat n'a pas accepté cette cession, dont elle avait reçu notification, et a réglé le solde de la facture à la société Euroméca, en règlement judiciaire depuis le 19 février 1992 ; que la Caisse a fait assigner la société Labat en paiement ; Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche : Vu les articles L. 313-23, L. 313-24 et L. 313-27 du Code monétaire et financier ; Attendu qu'il résulte de ces textes que, même si son exigibilité n'est pas encore déterminée, la créance peut être cédée et que, sortie du patrimoine du cédant, son paiement n'est pas

affecté par l'ouverture de la procédure collective de ce dernier postérieurement à cette date ; Attendu que pour rejeter la demande de la Caisse en paiement de la créance par la société Labat, débiteur cédé, l'arrêt retient que la créance cédée est née de la livraison et même de la fabrication postérieure au jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société Euroméca, entreprise cédante, et que ce jugement fait obstacle aux droits de la Caisse sur les créances nées de l'exécution du contrat au cours de la période d'observation et exigibles au jugement d'ouverture ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, la cession prenant effet entre les parties et devenant opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau, la cour d'appel, qui a relevé que la cession avait pris effet entre la société Euoméca et la Caisse avant l'ouverture de la procédure collective, ce dont il résulte que le paiement que la société Labat ne contestait pas devoir, et qu'elle avait effectué après avoir reçu notification de la cession, n'était pas libératoire, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les textes susvisés ; Et sur le pourvoi incident : Attendu que ce pourvoi se trouve privé d'objet par la cassation consécutive au pourvoi principal ;

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PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er octobre 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Agen ; Condamne la société Labat-Merle aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille quatre.

� Cass. Com. 16 novembre 1993 Sur le moyen unique : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 25 octobre 1989), que les époux Y..., actionnaires de la société Ordd, se sont portés cautions hypothécaires de celle-ci au profit de la société Crédit à l'équipement des petites et moyennes entreprises (le Cepme) ; que, par acte du 7 février 1985, les époux Y... ont vendu à M. Z... la totalité de leurs actions ; qu'il était stipulé que M. Z... s'engageait à lever la caution et à assurer un transfert d'hypothèque, " le tout dans la mesure du possible ", et qu'il mettrait tout en oeuvre pour faire lever la caution solidaire des époux Y... ; que, le 26 avril 1985, M. Z... a cédé à M. X... les actions acquises des époux Y... ; que ceux-ci ont assigné M. Z... en paiement des sommes qu'ils avaient réglées ou qu'ils seraient conduits à régler au Cepme en leur qualité de cautions de la société ; Attendu que M. Z... fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande alors, selon le pourvoi, qu'en présence des conclusions de M. Z...

soutenant que par la cession du 26 avril 1985 il avait fait promettre par M. X... en faveur des époux Y... des avantages équivalents, l'arrêt attaqué qui, au lieu de rechercher s'il ne ressortait pas de ladite cession la volonté de M. X... de s'engager envers les époux Y..., a procédé par une simple affirmation dénuée de tout motif de nature à l'expliquer ou à la justifier, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1121 du Code civil ; Mais attendu qu'ayant retenu que M. Z... était tenu, en vertu de l'acte du 7 février 1985, de rembourser aux époux Y... les sommes dues au Cepme, la cour d'appel n'avait pas à rechercher si M. X... avait eu, à son tour, la volonté de s'engager dans les mêmes termes envers les époux Y..., dès lors qu'il n'était pas établi, ni même allégué, que ces derniers avaient consenti à ce que M. Z... fût libéré de son propre engagement ; que le moyen n'est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.

� Cass. Com. 7 janvier 1992 Sur le moyen unique, pris en ses trois branches : Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Montpellier, 15 mars 1990), qu'ayant, pour une durée déterminée, conclu avec la société Grands Garages de l'Hérault (société GGH) un contrat de location de matériel informatique dont elle s'était engagée à assurer la maintenance, la société CMC a été mise en liquidation des biens le 10 novembre 1982 ; que par convention du 24 novembre 1982 conclue entre le syndic et la société Data 100, aux droits de laquelle se trouve la société Northern Télécom Data Systems (société Northern Data), les contrats liant la société CMC aux utilisateurs des équipements informatiques ont été cédés à la société Northern Data ; que la société GGH a fait

connaître à celle-ci, par lettres des 9 mars et 28 avril 1983, son intention de mettre fin à un contrat devenu, selon elle, une " convention tacite à durée indéterminée " et de ne régler la redevance mensuelle que jusqu'au 31 juillet 1983 ; que la société Northern Data a répliqué que le contrat devait s'exécuter jusqu'à son terme, soit le 31 décembre 1983, sauf la possibilité pour le locataire de procéder à sa résiliation anticipée en s'acquittant de l'indemnité contractuelle égale à 90 % du montant des redevances restant à courir jusqu'à cette date ; qu'elle a ensuite assigné la société GGH en paiement de l'indemnité ; Attendu que la société GGH fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande alors, selon le pourvoi, d'une part, que le contrat conclu intuitu

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personnae, dont le contrat d'entreprise est par sa nature propre un des exemples les plus significatifs, ne peut faire l'objet d'une cession ; qu'il résulte par hypothèse de cette incessibilité, l'impossibilité de rendre opposable au prétendu cédé la cession interdite néanmoins alléguée par l'accomplissement de l'une ou l'autre des formalités légales requises en cas de cession conventionnelle autorisée et a fortiori par une simple acceptation tacite suppléant à ces formalités ; qu'en énonçant en l'espèce que le caractère intuitu personae du contrat GGH-CMC n'avait pas à être examiné et en décidant en conséquence que, même revêtue de ce caractère, cette convention pouvait faire l'objet d'une cession opposable au cédé dès lors qu'il y aurait tacitement acquiescé par sa prétendue exécution de ce même contrat, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1690 du Code civil ; alors, d'autre part, que les faits, tels les paiements par le cédé au cessionnaire, présentés comme constituant l'exécution du contrat ne peuvent caractériser l'acceptation ou l'acquiescement du cédé seuls de nature à rendre inutile l'une ou l'autre des formalités exigées par l'article 1690 du Code civil ; qu'à supposer en l'espèce que le contrat GGH-CMC ait pu faire l'objet d'une cession, l'opposabilité de cette cession à la société GGH ne pouvait résulter de son paiement sans protestation d'une seule facture, ce prétendu fait d'exécution du contrat réputé transmis n'étant pas à lui seul susceptible d'établir la reconnaissance sans équivoque de l'existence du transport au contraire immédiatement dénoncée après ce paiement ; qu'en décidant néanmoins que la société GGH avait " manifesté son acquiescement " en poursuivant l'exécution du contrat initial par le paiement de factures relatives à des interventions de Northern Data, sans au surplus distinguer entre la seule facture acquittée avant protestation et celles acquittées postérieurement, pour interdire en conséquence à la société GGH de se prévaloir de l'inopposabilité de la cession résultant de l'inobservation des formalités légales requises, la cour d'appel a en toute hypothèse de nouveau violé l'article 1690 du Code civil ; et alors, enfin, que l'extinction du contrat intuitu personae GGH-CMC résultant nécessairement de la disparition de la société CMC ne pouvait laisser place qu'à un nouveau contrat tacite à durée

indéterminée entre les sociétés GGH et Northern Data ; que l'intention d'exécuter de la société GGH ne pouvait dès lors porter que sur ce nouveau contrat seul existant et non sur le contrat initial définitivement éteint ; qu'il en résulte que la cour d'appel ne pouvait justifier la volonté qu'elle prête à la société GGH de poursuivre le contrat initial qu'en excluant le caractère intuitu personae de cette convention qui interdisait sa continuation par transmission et établissait corrélativement que la société GGH n'avait pu avoir pour intention que d'exécuter le seul contrat susceptible de recevoir exécution, celui né tacitement entre elle et la société Northern Data après l'extinction du précédent contrat avec la société CMC ; qu'en délaissant délibérément cette question capitale qu'elle déclare indifférente, la cour d'appel n'a pas justifié la volonté de la société GGH de poursuivre l'exécution du contrat initial et privé en conséquence sa décision de toute base légale au regard des articles 1134 et 1690 du Code civil ; Mais attendu que le fait qu'un contrat ait été conclu en considération de la personne du cocontractant ne fait pas obstacle à ce que les droits et obligations de ce dernier soient transférés à un tiers dès lors que l'autre partie y a consenti ; que l'arrêt relève qu'informée le 26 novembre 1982 par lettre du syndic de la société CMC, laquelle n'avait pas disparu du seul fait de l'ouverture de la procédure collective, et de la société Northern Data que celle-ci assurerait désormais la maintenance des équipements informatiques et percevrait les redevances contractuelles, la société GGH a poursuivi sans réserve l'exécution du contrat ; qu'elle a ainsi réglé les factures mensuelles, dès le 2 décembre 1982 et pour les mois de janvier, février et mars 1983, et a sollicité, pour la même période, l'intervention des services techniques de la société Northern Data ; qu'ayant ainsi, sans se fonder sur le paiement d'une seule facture, constaté que la société GGH avait manifesté de façon non équivoque sa volonté d'accepter la cession du contrat litigieux à la société Northern Data, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi

� Cass. Com. 6 mai 1997

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Arrêt 1 : n° 95-16335 LA COUR - Sur le second moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 1134 du code civil ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (CA Dijon, 1re ch., 23 mars 1994), que la société GSM Côte d'Azur (société GSM) a assigné la société Hubert Rougeot (société Rougeot) en paiement de factures relatives à des matériaux commandés par cette dernière société à la société Carrière du Val-de-Saône (CVS) ; - Attendu que, pour condamner la société Rougeot à payer à la société GSM les factures émises par celles-ci, l'arrêt retient qu'un contrat de commercialisation pour une durée d'une année est intervenu par lequel la société CVS a confié à la société GSM la revente de l'ensemble de sa production, que

cette convention, renouvelable par tacite reconduction, n'a pas été dénoncée dans les formes, six mois à l'avance ; - Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, sans rechercher si, dans le contrat conclu entre la société CVS et la société Rougeot ou ultérieurement, cette dernière société avait donné son consentement à la substitution de sa cocontractante, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur tout autre grief : casse et annule... renvoie devant la Cour d'appel de Besançon...

Arrêt 2 : 95-10.252 Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, que la société Jean-Michel Gobet et la société Spie Trindel ont conclu un contrat de maintenance, réservant à cette dernière la faculté de " librement céder... les droits et obligations issus du présent contrat ou substituer toute société de son choix dans le bénéfice des droits et la charge des obligations en résultant " ; que la société Gobet a refusé de payer les redevances convenues à la société Pro-Telcom, que la société Spie Trindel s'était substituée ; Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : Attendu que la société Gobet fait grief au jugement de la condamnation prononcée contre elle, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la substitution d'un tiers dans les droits et obligations d'une partie au contrat, fût-elle autorisée préalablement par le cocontractant, n'est opposable à celui-ci que si elle lui a été signifiée ou s'il a été partie à la cession ; qu'en estimant que la substitution de la société Pro-Telcom dans les droits et obligations de la société Spie Trindel était opposable à la société Gobet, motif pris de ce que le contrat de maintenance prévoyait à l'origine une faculté de substitution et qu'une " lettre circulaire " avait annoncé la substitution intervenue au profit de la société Pro-Telcom, le Tribunal, qui ne constate pas que la société Gobet avait personnellement reçu copie de la " lettre circulaire ", a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1690 du Code civil ; et alors, d'autre part, que, dans une lettre dépourvue de toute ambiguïté, la société Pro-Telcom, prenant acte des protestations de la société Gobet, indiquait qu'elle renonçait à exiger la mise en oeuvre de la

faculté de substitution prévue au contrat de maintenance conclu entre la société Gobet et la société Spie Trindel ; qu'en écartant ce document, invoqué par la société Gobet, au seul motif que la lettre " avait été faite certainement dans un souci de conciliation ", le Tribunal s'est prononcé par un motif inopérant et a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; Mais attendu que, se référant à la stipulation contractuelle de substitution, qui ne prévoyait ni l'information de la société Gobet ni un agrément par elle, le Tribunal a, justement, retenu que cette société ne pouvait s'opposer à son application ; que le moyen n'est pas fondé ; Mais sur le second moyen : Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; Attendu qu'en condamnant, sans motiver cette décision, la société Gobet à payer à la société Pro-Telcom la somme de 1 500 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, le Tribunal a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Gobet à payer à la société Pro-Telcom la somme de 1 500 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, le jugement rendu le 28 septembre 1994, entre les parties, par le tribunal de commerce de Nevers ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal de commerce de Bourges.

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Note de L. AYNES, D. 1998, p. 25. 1 - La Chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé, le 6 mai 1997, qu'une cour d'appel ne pouvait pas condamner un acheteur à payer les factures émises par une société substituée à son fournisseur « sans rechercher si, dans le contrat conclu entre [le fournisseur] et [la société cliente] ou ultérieurement, cette dernière société avait donné son consentement à la substitution de sa cocontractante » (1). L'histoire ne dit pas si la substitution, dans cette affaire, a porté sur la livraison du matériel ou seulement le paiement du prix, ni si le contrat conclu entre le fournisseur initial et le substitut, qualifié dans l'arrêt de « contrat de commercialisation », constituait bien une convention de cession. Mais admettons que cet arrêt intéresse la cession de contrat. La règle positive est donc la suivante : la cession d'un contrat n'est possible qu'avec le consentement, actuel ou anticipé, du cédé. 2 - Certains commentateurs en ont déduit que cet arrêt condamnait la notion même de cession translative de contrat. Le remplacement d'une partie par un tiers impliquerait la conclusion d'un contrat nouveau avec le « cessionnaire », contrat auquel le « cédé » serait appelé à consentir, conformément aux règles gouvernant la formation des contrats (2) ; une telle déduction me paraît dangereuse et contestable. 3 - Dangereuse : si la réalisation d'une cession de contrat autorisée par le cédé implique nécessairement la conclusion d'un contrat nouveau entre celui-ci et le cessionnaire, fût-ce aux mêmes conditions que l'ancien, comme en cas de tacite reconduction, alors les droits et obligations des parties après la cession ont une cause nouvelle : les sûretés constituées antérieurement au profit du cédé ou par le cédé disparaissent (3) ; la date et la durée du contrat sont nouvelles ; les règles gouvernant la formation et la forme du contrat doivent être respectées à nouveau (4)... Le cédé et le cessionnaire seraient surpris de découvrir qu'à leur volonté de continuer le contrat cédé, s'oppose une analyse juridique fondée sur... le respect de la volonté contractuelle ! 4 - Contestable : cette analyse repose en effet sur un postulat : tout consentement serait nécessairement contractuel, en un double sens. Il aurait toujours pour objet la formation d'un contrat (une offre ou une acceptation) et ferait toujours de son auteur une partie contractante. C'est négliger qu'en de nombreux cas la loi exige qu'une personne consente à un contrat, sans que celle-ci devienne partie à ce contrat. Voici quelques exemples puisés au hasard dans le code civil : art. 215, 595 ; 930, al. 2 ; 1415, 1861... sans parler des autorisations qui parsèment le régime des incapables (5). Tout consentement n'est donc pas l'expression d'une volonté créatrice, pour celui qui le donne, de droits ou d'obligations. On voit d'ailleurs à quelle extrémité peut conduire une telle confusion : le consentement du cédé donné au moment de la conclusion du contrat serait l'acceptation anticipée de l'éventuelle et future offre de nouveau contrat que constituerait la cession de contrat ! (6). Dans cette analyse, que devient enfin l'ancien contrat, si l'on admet que cédé et cessionnaire sont liés par un nouveau rapport de droit ? Disparaît-il et pour quelle raison ? Se maintient-il avec le cédant, le cédé étant alors partie à deux contrats distincts ? Le consentement du cédé, même anticipé, vaudrait-il mutuus dissensus ? 5 - Ces complications extrêmes sont évitées, si l'on admet en principe que, conformément à la volonté des parties, le lien qui unit le cédé au cessionnaire après la cession de contrat est celui-là même qui unissait le cédé au cédant. C'est ce qu'affirme avec netteté la Cour de cassation ; et depuis longtemps : le cessionnaire est lié au cédé « en vertu du contrat transmis » (7), sans création d'obligation nouvelle (8). Le contrat initial se poursuit avec le cessionnaire et conserve notamment la durée originairement convenue (9). Ce que traduit encore l'utilisation répétée, dans la loi (10) et les décisions judiciaires, des expressions de « cession de contrat », « substitution dans les droits et obligations nés du contrat » ou encore « transfert » de ceux-ci à un tiers. 6 - Que cet effet translatif soit subordonné, comme le décide aujourd'hui la Cour de cassation, au consentement actuel ou antérieur du cédé, voilà ce qu'il faut expliquer. On peut y parvenir en examinant l'objet (I) et le rôle (II) de ce consentement.

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I. Objet du consentement du cédé 7 - En consentant à la cession actuelle ou future du contrat qui le lie au cédant, le cédé ne devient pas partie à la cession de contrat. Il se borne à rendre cessible le contrat, c'est-à-dire à le doter d'une qualité supplémentaire, en accord avec son cocontractant. Cette qualité est elle-même susceptible de degrés ; tel est le génie de la liberté contractuelle. 8 - La convention de cession est un contrat translatif auquel seuls sont parties le cédant et le cessionnaire. C'est, en effet, entre eux seulement qu'il produit des effets nouveaux. Parce qu'elle ne crée pas de droits ou d'obligations dont le cédé ne soit déjà tenu, en vertu du contrat initial, les effets de la cession à l'égard du cédé relèvent seulement de l'opposabilité de la convention de cession. Toute convention - particulièrement le transfert de droits et d'obligations pré-existants - est par nature opposable aux tiers ; et lorsque cette opposabilité est susceptible de faire grief, elle est soumise à certaines conditions de publicité ; jamais au consentement du tiers intéressé. Ainsi, lorsque le contrat est cessible par la volonté des parties ou la force de la loi, l'opposabilité de la cession de contrat au cédé peut, tout au plus, dépendre d'une telle formalité (11), ou d'une information, ou d'aucune formalité particulière (12) ; en tout cas, jamais du consentement du cédé (13). Ainsi, la convention de cession n'est-elle pas un contrat à trois parties. 9 - Tout autre est la question de savoir si le contrat est cessible ; cette cessibilité, aptitude du contrat à circuler, est une qualité intrinsèque du contrat ; elle lui permet de résister aux événements pouvant affecter l'une des parties contractantes, ou même de former l'objet d'un commerce juridique (ex. : commerce des options, des promesses de vente, ...). La loi peut doter certains contrats de cette qualité (14). Elle peut aussi les en priver (15). En l'absence de telles dispositions, l'hésitation était permise. On pouvait penser qu'hormis la présence d'un intuitus personae intense ou d'une clause d'incessibilité, tout contrat était naturellement cessible (16). La Chambre commerciale vient d'en décider autrement : en l'absence de consentement du cédé, le contrat est incessible. On peut le regretter. Au moins l'objet de ce consentement est-il clairement identifié : rendre le contrat cessible. C'est pourquoi il peut être donné lors de la conclusion du contrat, ou postérieurement. 10 - Cette qualité du contrat est susceptible de degrés ; aux parties d'en décider. La cessibilité peut être pure et simple, ou assortie de modalités. Parmi celles-ci figure la clause d'agrément. Le contrat est cessible, mais le cédé se réserve d'apprécier la personne du cessionnaire. Cette appréciation, dont dépend l'exercice effectif de la faculté de cession, est susceptible d'un contrôle judiciaire (17). D'autres modalités ont trait à la libération du cédant : il peut être convenu que, contrairement au principe général (18), celui-ci demeurera tenu des obligations postérieures à la cession, aux côtés du cessionnaire. II. Rôle du consentement du cédé 11 - En somme, la cession du contrat est une faculté inhérente à la qualité de partie au contrat ; la Chambre commerciale décide aujourd'hui qu'en l'absence de disposition légale son exercice nécessite l'accord du cocontractant. Le rôle de cet accord n'est pas de rendre le cédé partie à la convention mais de lever un obstacle à l'exercice de la faculté de cession. Il s'agit d'une autorisation, qui « ne rend pas l'autorisé titulaire d'un droit, d'un pouvoir ou d'une liberté qu'il ne possédait pas. Elle ne crée pas entièrement une nouvelle prérogative. Elle ne fait que compléter la jouissance par la possibilité d'exercice » (19). Aussi l'autorisation peut-elle être donnée généralement (dans le contrat initial) ou spécialement (au moment de la cession). Et le pouvoir d'autoriser la cession a pour finalité, comme beaucoup d'autres autorisations, « d'assurer une certaine protection de l'autorisant lui-même » (20). 12 - Cette analyse paraît convenir exactement à la situation. Elle conduit à se demander si, à défaut d'une autorisation donnée initialement, le cédé peut refuser discrétionnairement son consentement au moment où lui est exposé le projet de cession. Il ne s'agit pas de surmonter un refus de contracter, puisque ce consentement ne débouche pas sur la conclusion d'un nouveau contrat. Admettre que le cédé soit maître absolu de son choix est souvent lui ouvrir une faculté de résiliation, si la continuation du contrat avec le cédant est devenue difficile ou impossible (21). On peut observer en outre que la plupart des autorisations, en droit privé, sont susceptibles d'un contrôle judiciaire (22) ; que le cédé doit enfin exécuter

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le contrat de bonne foi, et que refuser une autorisation qui ne lui cause pas grief est abuser, au détriment du cédant et du cessionnaire, de sa position contractuelle. L'avenir dira si le contrôle juridictionnel de l'attitude des parties contractantes, au cours de l'exécution du contrat, qui s'est étendu ces dernières années, permet d'anéantir un refus de consentement abusif (23). Rien ne s'y oppose en principe : l'autorisation est exercée dans l'intérêt du cédé ; elle ne doit pas devenir une arme tournée contre la force obligatoire du contrat. (1) Cass. com., 6 mai 1997, Bull. civ. IV, n° 117 ; Defrénois 1997, art. 36633, note critique D. Mazeaud ; D. 1997, Jur. p. 588, note approbative M. Billiau et C. Jamin ; Contrats, conc. consomm. 1997, n° 146, obs. L. Leveneur. (2) M. Billiau et C. Jamin, note préc., D. 1997, Jur. p. 588 ; V. déjà, J. Ghestin, avec la coll. de C. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, 2e éd., n° 691 ; V. plus circonspect, C. Jamin, Cession de contrat et consentement du cédé, D. 1995, Chron. p. 131, note 6 . V. aussi, mais dans une autre perspective, car cet auteur critique la nécessité d'un consentement du cédé : D. Mazeaud, note préc., Defrénois 1997, art. 36633, n° 9. (3) La règle de l'accessoire (c. civ., art. 1692) implique une transmission du droit que garantissent les sûretés. (4) Ex. : mention du taux effectif global du prêt ; information précontractuelle imposée par la loi Doubin... (5) B. Thullier, L'autorisation, étude de droit privé, LGDJ, 1996, préf. A. Bénabent. (6) M. Billiau et C. Jamin, note préc., n° 10. (7) Cass. 1re civ., 14 déc. 1982, Bull. civ. I, n° 360 ; D. 1983, Jur. p. 416, note L. Aynès ; V. aussi : Cass. civ., 7 janv. 1947, JCP 1947, II, n° 3510, note J. Becqué ; RTD civ. 1947, p. 201, obs. Carbonnier. (8) Cass. com., 12 oct. 1993, Bull. civ. IV, n° 333 ; D. 1994, Jur. p. 353, note Playoust . (9) Cass. com., 7 janv. 1992, Bull. civ. IV, n° 3 ; JCP 1992, I, n° 3591, n° 17, obs. Jamin ; RTD civ. 1992, p. 762, obs. Mestre ; D. 1992, Somm. p. 278, obs. Aynès . (10) Pour ne citer que des exemples récents : L. 13 juill. 1992, art. 18 ; L. 31 déc. 1989, art. 1er, al. 2 ; L. 25 janv. 1985, art. 86. (11) V. notamment, la jurisprudence critiquable imposant le respect des formalités de l'art. 1690 c. civ. en matière de cession de bail commercial : Cass. ass. plén., 14 févr. 1975, D. 1975, Jur. p. 349 ; RTD com. 1975, p. 472, obs. Pedamon ; et les incertitudes quant à l'application des mêmes formalités à la cession de promesse unilatérale de vente : Cass. 3e civ., 27 nov. 1990, Bull. civ. III, n° 248 ; D. 1990, IR p. 300 ; 7 juill. 1993, Bull. civ. III, n° 111 ; D. 1994, Jur. p. 597, note J.-P. Clavier ; D. 1994, Somm. p. 211, obs. A. Penneau ; sur cette question, V. M. Behar- Touchais, Retour sur la clause de substitution, Et. L. Boyer, Toulouse, 1996, p. 85 s. ; Malaurie et Aynès, Contrats spéciaux, 11e éd., n° 116. (12) Cass. com., 6 mai 1997, Bull. civ. IV, n° 118 ; D. 1997, Jur. p. 588 préc., 2e arrêt . C'est le cas dans la plupart des cessions imposées ou permises par la loi. (13) Ex. : Cass. 3e civ., 7 juill. 1993, préc. ; Cass. com., 6 mai 1997 préc. (14) Par exemple : le bail commercial (art. 35, Décr. 1953), la vente d'immeuble à construire (art. 1601-4 c. civ.), le contrat de vente de voyage (L. 13 juill. 1992), les contrats nécessaires à la continuation de l'entreprise (art. 86 L. 25 janv. 1985)... (15) Ex. : Contrat de location de la loi de 1948, bail rural... (16) L. Aynès, La cession de contrat et les opérations juridiques à trois personnes, Economica, 1983, n° 330 s. (17) V. par exemple lorsque la loi impose la cessibilité (bail commercial) : Cass. com., 19 févr. 1963, Bull. civ. III, n° 110 ; JCP 1963, II, n° 13299, note F. G., tête d'une longue série jurisprudentielle. (18) Cass. 3e civ., 12 juill. 1988, Bull. civ. III, n° 125 ; 15 janv. 1992, JCP éd. E 1993, I, n° 234, obs. M.-L. Izorche. (19) B. Thullier, thèse préc., n° 95. (20) B. Thullier, thèse préc., n° 267. (21) Ex. : le cédant a cédé son entreprise. Dans l'affaire jugée par la Chambre commerciale le 6 mai 1997, le cédé doit-il payer quelqu'un ? Et si les marchandises ont été livrées par le cessionnaire ? (22) B. Thullier, thèse préc., n° 97 : « Le système d'autorisation ne s'accommode guère d'un pouvoir discrétionnaire de l'autorisant », et n° 328 s. (23) La Chambre commerciale se serait épargné cette difficulté si elle avait jugé que le contrat était en principe cessible : à défaut d'une clause d'incessibilité, c'eût été au cédant de démontrer que la cession lui cause un préjudice, ce qui eût relevé du contentieux banal de l'exécution contractuelle.

� Cass. Com. 6 juin 2000 Sur le moyen unique, pris en sa première branche : Vu l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 ; Attendu que le fait qu'un contrat ait été conclu en considération de la personne du cocontractant ne fait pas obstacle à ce que les droits et obligations de ce dernier soient

transférés à un tiers dès lors que l'autre partie y a consenti ; Attendu que M. Y... a confié la défense de ses intérêts dans une instance prud'homale à M. X..., avocat membre d'une société civile professionnelle ; qu'il a conclu avec celui-ci, personnellement, une convention d'honoraires prévoyant, outre le paiement d'honoraires au

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temps passé, un honoraire de résultat ; que, lors de l'audience de conciliation, M. X... s'était fait remplacer par l'un de ses associés, l'adversaire de M. Y... a présenté une proposition transactionnelle que M. Y... a acceptée après avoir pris conseil de l'avocat remplaçant de M. X... ; Attendu que le premier président a décidé que la convention d'honoraires ne pouvait s'appliquer, du fait que M. X... n'avait pas assuré personnellement la défense de son client et a fixé les honoraires de l'avocat selon les règles du droit commun ; Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il relevait que M. Y... avait admis que l'associé de

son conseil l'assiste lors de l'audience de conciliation, constatant par là même que M. Y... avait donné son consentement à la suppléance de son cocontractant, le premier président a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 7 juillet 1997, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant le premier président de la cour d'appel de Toulouse.

� Cass. Civ. 3ème, 13 juillet 1999 Joint les pourvois n°s 97-18.926 et 97-18.927 ; Sur le premier moyen de chacun des pourvois : Vu l'article 1689 du Code civil ; Attendu que, dans le transport d'une créance, d'un droit ou d'une action sur un tiers, la délivrance s'opère entre le cédant et le cessionnaire par la remise du titre ; Attendu, selon les arrêts attaqués (Chambéry, 30 juin 1997 96/181 et 182), que, par un acte du 31 octobre 1992, la société JPP Promotion a reconnu devoir la somme de 3 300 000 francs à M. X... ; que, par un second acte du 25 mai 1993, la société JPP Promotion s'est engagée à vendre à M. X... divers lots d'un immeuble moyennant le prix de 3 300 000 francs payable par compensation, avec la créance constatée par l'acte du 31 octobre 1992 ; que la promesse étant conclue avec faculté de substitution au profit de M. X..., ce dernier s'est substitué la société civile immobilière ... (SCI) ; que M. X... a assigné la société JPP Promotion en réitération forcée de la promesse ; que la SCI est intervenue volontairement en se prévalant de l'acte de substitution ; que la société JPP Promotion ayant été mise en liquidation judiciaire, M. X... a

déclaré sa créance ; Attendu que, pour rejeter cette créance, l'arrêt n° 96/181 retient que l'acte de substitution entraînait nécessairement cession de la créance de sorte que M. X... n'avait plus la qualité de créancier ; Qu'en statuant ainsi, alors que la substitution d'un tiers au bénéficiaire d'une promesse unilatérale de vente prévoyant cette faculté ne constitue pas une cession de créance, la cour d'appel, qui a constaté que la promesse avait été enregistrée le 25 mai 1993 et qu'elle prévoyait que la société JPP Promotion pourrait refuser de réitérer l'acte en versant à M. X... la somme de 3 300 000 francs augmentée d'un intérêt, a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen de chacun des pourvois : CASSE ET ANNULE, dans toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 30 juin 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

� Cass. Civ. 3ème, 12 décembre 2001 Met hors de cause la Banque de Neuflize Schlumberger Mallet Demachy ; Sur le premier moyen : Vu l'article 1275 du Code civil ; Attendu que la délégation par laquelle un débiteur donne au créancier un autre débiteur qui s'oblige envers le créancier, n'opère point novation, si le créancier n'a expressément déclaré

qu'il entendait décharger son débiteur qui a fait la délégation ; Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 21 octobre 1999), qu'en 1986, la Société la construction française (SCF), maître de l'ouvrage, a, par convention d'intervention d'architecte, chargé MM. X..., Saada et Lanteri d'une mission de maîtrise d'oeuvre en vue de la construction

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d'un groupe d'immeubles ; que la SCF s'est substituée, pour l'exécution du programme, la société civile immobilière (SCI) Les Terrasses de Thalassa, aux droits de laquelle vient la société en nom collectif (SNC) Thalassa ; que le projet n'ayant pu être mené à bien après réalisation d'études préliminaires, les architectes ont sollicité le paiement d'un solde d'honoraires ; Attendu que pour rejeter les demandes formées par les architectes contre la SCF, l'arrêt retient que cette société s'est substituée la SCI dans l'exécution de ses obligations, conformément à la faculté qui lui avait été accordée dans la convention d'intervention d'architecte, et que, dans ses conclusions d'appel, la SCF avait indiqué que la SCI avait accepté d'être la seule interlocutrice des maîtres d'oeuvre ; Qu'en statuant ainsi, alors que la seule acceptation par le créancier de la substitution d'un nouveau débiteur au premier, même si elle n'est assortie d'aucune réserve, n'implique pas, en l'absence de déclaration expresse, qu'il ait entendu décharger le débiteur originaire de sa dette, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; Et sur le second moyen : Vu l'article 1844-3 du Code civil ;

Attendu que la transformation régulière d'une société en une société d'une autre forme n'entraîne pas la création d'une personne morale nouvelle ; Attendu que pour rejeter les demandes formées par les architectes contre la SNC, l'arrêt retient que les demandeurs ne sollicitaient pas la condamnation de cette société, qui n'offre pas de leur payer les sommes allouées ; Qu'en statuant ainsi, tout en condamnant la SCI au paiement des sommes réclamées, alors qu'elle avait constaté que la SNC avait déclaré être aux droits de la SCI, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes formées par MM. X..., Saada et Lanteri contre la Société la construction française et contre la société en nom collectif Thalassa, l'arrêt rendu le 21 octobre 1999, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

� F. PETIT, Réflexions sur la sécurité dans la cession de créance dans l'avant-projet de réforme du droit des obligations, D. 2006. p. 2819

1 - Un avant-projet de réforme du droit des obligations forgé par une équipe de trente-six rédacteurs a été remis au garde des Sceaux le 22 septembre dernier. Constituant le fruit d'un travail coordonné par M. Catala, les propositions qu'il contient visent à combler les lacunes de notre code civil et à adapter celui-ci aux nécessités économiques modernes (1). Ce faisant, cet avant-projet ambitionne de rendre au code civil français son rayonnement international (2) afin de lui permettre de devenir une source d'inspiration des codificateurs européens (3). Pour autant, un certain nombre d'intervenants au colloque tenu à la Sorbonne le 25 octobre 2005 (4) et, plus récemment, M. Catala lui-même, ont présenté l'avant-projet comme une base de réflexion destinée à ouvrir la discussion sur les réformes à entreprendre (5). C'est à cette invitation que nous entendons répondre en procédant à certaines remarques concernant la cession de créance. 2 - L'avant-projet comporte un chapitre VI intitulé « Des opérations sur les créances » inclus dans un sous-titre I « Du contrat et des obligations conventionnelles en général » proposant de modifier le chapitre VII du code civil « Du transport des créances et autres droits incorporels » incorporé au titre sixième du code civil « De la vente ». D'ores et déjà, force est de constater que l'avant-projet adopte une approche nouvelle. La cession de créance n'y est pas conçue comme une variété de vente, originale en raison de l'objet sur lequel elle porte, mais s'inscrit au sein d'un groupe d'opérations, comme la subrogation personnelle, la délégation ou encore la novation, qui considérées « sous l'angle économique [...] entretiennent des liens de parenté étroits » (6). Compte tenu des évolutions de l'économie moderne, le but poursuivi par cet avant-projet est donc de satisfaire au « besoin impératif d'efficacité, de sécurité et de rapidité » (7) qu'exige « l'activité quotidienne des professionnels de l'argent et du crédit » (8). 3 - Ce souci de moderniser la cession de créance est satisfait par trois grandes innovations. D'abord,

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l'avant-projet opte pour une définition large de la cession de créance (9) afin de permettre « d'accueillir, sans difficulté, la cession à titre de garantie » (10) et suit ainsi logiquement une voie empruntée par nombre de pays européens. Ensuite, il propose de consacrer la possibilité de céder des créances futures. Enfin, constatant que l'exigence d'une notification par acte extrajudiciaire imposée par l'article 1690 du code civil est une « formalité lourde et, souvent, décourageante » (11), les rédacteurs de l'avant-projet proposent de l'abandonner pour un système reposant à la fois sur une règle de forme très simple, la rédaction d'un écrit, et sur de nouveaux principes gouvernant l'opposabilité de la cession. 4 - Néanmoins, cette dernière innovation invite à se demander si l'objectif de sécurité de la circulation des créances fixé comme l'un des buts de la réforme est atteint en matière de cession de créance. D'une part, les rédacteurs ont choisi de rendre la cession opposable aux tiers (12) à la date figurant sur l'acte établissant la cession. Une telle proposition ouvre de larges possibilités de cessions successives d'une même créance pour un cédant aux abois. Aussi, il convient de se demander si l'objectif de sécurité poursuivi par l'avant-projet est pour autant atteint à l'égard des tiers (I). D'autre part, l'avant-projet propose la mise en place de règles spéciales concernant l'opposabilité de la cession au débiteur cédé en la soumettant à une notification. Ce faisant, l'avant-projet envisage ce dernier comme un véritable tiers à la cession et invite à élargir le nombre des exceptions qu'il pourra opposer pour échapper au paiement de la dette cédée, en lui permettant par exemple de se prévaloir contre le cessionnaire d'une remise de dette accordée par le cédant entre la date de la cession et celle de la notification. Si cette solution assure une bonne sécurité du débiteur cédé, en revanche, sa compatibilité avec l'objectif de sécurité de circulation des créances, affiché par l'avant-projet, semble devoir être discutée (II). I - Sécurité et opposabilité de la cession aux tiers Article 1254, alinéa 2, de l'avant-projet : « Dès ce moment [l'établissement de l'acte constatant la cession de créance], le transfert de la créance est réputé accompli à l'égard des tiers et leur est opposable sans formalité ». 5 - La suppression de la formalité prévue à l'article 1690 du code civil semble inspirée des solutions retenues en matière de cession Dailly (13) et de certaines législations étrangères (14). Elle conduit à lui substituer une opposabilité immédiate de la cession aux tiers (15), et à considérer ainsi que « l'établissement de l'écrit qui constate la cession opère à lui seul et par lui-même le transfert, et celui-ci est censé accompli, sans notification, erga omnes » (16). Cette proposition n'est pas sans danger, tout particulièrement en raison des risques accrus de double mobilisation d'une même créance. Les rédacteurs prennent même le soin de proposer de transposer l'adage prior tempore potior jure (17) pour résoudre les conflits qui pourraient naître entre cessionnaires successifs d'une même créance. Le choix ainsi opéré semble difficilement compatible avec l'objectif de sécurité de circulation des créances (A). Par ailleurs, puisque le risque de double mobilisation d'une même créance est multiplié, il est regrettable que l'avant-projet ne propose pas de trancher la question du recours du véritable cessionnaire d'une créance contre un prétendu mobilisateur payé à tort par le débiteur cédé (B). A - Opposabilité immédiate et mobilisations successives d'une même créance 6 - L'article 1690 du code civil établit les conditions d'opposabilité aux tiers d'une cession de créance en imposant au cessionnaire soit de signifier la cession intervenue au débiteur cédé, soit d'obtenir l'acceptation de la cession par le débiteur cédé dans un acte authentique. La présence de cette disposition dans le code civil conduit à faire du débiteur cédé un « centralisateur » des informations concernant la cession de la créance. De la sorte, l'article 1690 du code civil met en place un mécanisme ayant pour fonction d'éviter le risque de voir une même créance cédée successivement au profit de plusieurs personnes. 7 - La règle posée à l'article 1690 du code civil est toutefois très critiquée. Vestige de l'ancien droit (18), la

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protection que cette disposition est censée assurer n'est pas très efficace dans la mesure où il ne pèse pas d'obligation de renseignement sur le débiteur cédé, sauf disposition légale particulière (19). Dès lors, il apparaît difficile de faire reposer sur le seul débiteur cédé l'efficience de l'information des tiers à la cession. Les imperfections du système de publicité en vigueur, auxquelles s'ajoutent le coût important et la lourdeur que son respect impose, ont ainsi conduit la doctrine à militer en faveur de la suppression de l'article 1690 du code civil (20) et la pratique à se tourner vers d'autres instruments pour réaliser la circulation des créances (21). 8 - Une solution aurait pu consister à étendre le mécanisme de la cession Dailly à d'autres créances que les créances professionnelles et surtout à d'autres cessionnaires qu'aux seuls établissements de crédit définis par l'article L. 511-1 du code monétaire et financier. Mais, face au refus du gouvernement de procéder à une telle extension du domaine de la cession Dailly (22), c'est nécessairement vers une réforme de la cession de droit commun qu'il semble falloir se diriger. 9 - Aussi, prenant acte des critiques faites à la cession de créance telle qu'elle se présente actuellement dans le code civil, l'avant-projet supprime l'obligation faite au cessionnaire d'accomplir une formalité pour rendre la cession d'une créance opposable aux tiers et prévoit dans son article 1254 que dès l'établissement de l'acte de cession, « le transfert de la créance est réputé accompli à l'égard des tiers et leur est opposable sans formalité ». Ce texte propose donc désormais de prendre en compte la date apposée sur l'acte de cession et non plus celle de sa signification au destinataire (ou de son acceptation) pour résoudre la question de son opposabilité aux tiers. Cette solution calquée sur le mécanisme mis en place par la cession Dailly (23) est empreinte d'une grande liberté. En effet, elle conduit à considérer le transfert de propriété de la créance comme acquis à l'égard des tiers à la date de l'écrit qui la constate. Cette cession offre donc un instrument de circulation des créances, qu'elles soient professionnelles ou non, ouvert à tous les cessionnaires, établissement de crédit ou non. Toutefois, cette liberté n'est-elle pas trop grande ? Ne remet-elle pas en cause l'objectif de sécurité dans la circulation des créances poursuivi par les rédacteurs de l'avant-projet ? 10 - D'une part, en matière de cession Dailly, le principe de l'opposabilité de la cession à la date apposée sur le bordereau de cession a contribué à la multiplication d'un contentieux lié à la double mobilisation des créances. En effet, dans la mesure où la cession de créances professionnelles régie par le code monétaire et financier ne fait l'objet d'aucune publicité, il est aisé pour un cédant aux abois de se procurer du crédit en mobilisant plusieurs fois une même créance. Les difficultés financières de ce dernier rendent toute obligation de garantir le paiement de la créance cédée sans intérêt et conduisent à régler la question entre les mobilisateurs successifs de la créance. Il s'agit alors de trancher un conflit opposant les titulaires de droits concurrents sur une même créance. Jusqu'ici, puisque la cession de droit commun n'est opposable aux tiers qu'à compter de sa signification, les tiers peuvent se renseigner des cessions déjà existantes auprès du débiteur cédé, et ainsi prévenir le risque de double mobilisation d'une même créance (24). Toutefois, en empruntant à la cession Dailly le principe d'opposabilité de la cession à la date apposée sur l'acte de cession, l'avant-projet laisse entrevoir une augmentation du nombre des conflits liés à la double mobilisation d'une même créance et, par là même, permet de prédire l'apparition d'un contentieux abondant. 11 - D'autre part, le risque ainsi entrevu semble encore plus important qu'en matière de cession Dailly. En effet, jusqu'ici les conflits entre mobilisateurs successifs d'une même créance concernent essentiellement les créances professionnelles cédées au profit d'établissements de crédit, ce qui peut apparaître comme un élément permettant de limiter la naissance de ce type de conflit. De fait, lorsqu'une personne propose de céder une créance à sa banque, la méfiance de celle-ci à l'égard de son client, dont la situation financière peut laisser à penser que la créance risque de faire l'objet d'une double mobilisation, la conduit à refuser certaines mobilisations. En revanche, en envisageant la possibilité de céder n'importe quelle créance à n'importe quelle personne, la proposition de l'avant-projet laisse déjà deviner les risques que peut présenter cette solution quant au surendettement des particuliers. En effet, la cession de créance de droit commun, telle qu'elle figure dans l'avant-projet, apparaît comme un instrument permettant de faciliter l'accès au crédit à double titre. D'abord la simplicité de la cession permettra à des organismes de prêt d'inciter plus encore leurs clients à la consommation de crédit (pourquoi ne pas envisager par exemple la

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cession des créances de salaire à venir (25)). Ensuite il est déjà permis de faire les rêves les plus sombres quant aux idées qui pourront naître chez une personne incapable de suivre le rythme de remboursement de ses emprunts. La cession de créance apparaît tellement simple que l'on imagine déjà la pratique de cessions de « cavalerie » destinée à maintenir artificiellement l'illusion d'une situation financière saine, alors qu'en réalité elle contribuera à aggraver son surendettement. 12 - Il est vrai que le système de « publicité » tel qu'il existe actuellement n'est pas satisfaisant. Pour autant le supprimer semble dangereux car il n'existe plus aucun moyen pour le cessionnaire d'une créance de se préserver du risque de double mobilisation. N'aurait-il pas été préférable d'organiser un système de « publicité » de la mobilisation des créances reposant sur une obligation de renseignement du débiteur cédé, consistant en un devoir d'information de l'état des mobilisations dont il a connaissance à l'égard des mobilisateurs, ou des futurs mobilisateurs, qui en font la demande (26). Un tel système présente, bien entendu, des défauts en ce qu'il alourdit le mécanisme de circulation des créances et fait peser un devoir de renseignement sur le débiteur cédé, étranger à la cession. Néanmoins, il offre des avantages dans la mesure où le mobilisateur dispose d'un moyen simple pour rendre fiable la transmission de la créance à son profit. 13 - Mettre en place un système d'opposabilité immédiate de la cession fait donc naître le risque, déjà avéré en matière de cession Dailly, du développement d'un contentieux lié à la double mobilisation des créances. Mais ce danger n'est pas seul, il s'accompagne d'une autre question qui a vu le jour en matière de cession Dailly, celle de la restitution des fonds versés au second mobilisateur d'une créance. B - Opposabilité immédiate et restitution des fonds versés au second mobilisateur d'une créance 14 - La mobilisation successive d'une même créance peut occasionner un conflit entre les personnes qui prétendent avoir un droit sur la créance. Prenons un exemple : un créancier aux abois a besoin d'obtenir du crédit. Il cède une première fois, le 5 du mois, sa créance à un cessionnaire A, puis une seconde fois, le 10 du mois, à un autre cessionnaire B. B, plus diligent, notifie sa créance en premier et obtient paiement de la part du débiteur cédé le 12. Le 15 du mois, A réclame au débiteur cédé le paiement de la créance mobilisée. Ce dernier ayant déjà payé refuse de s'exécuter. Comment trancher cette question ? 15 - Il convient de raisonner en deux temps. D'abord, cette situation implique de rechercher qui des deux cessionnaires est propriétaire de la créance, et aurait dû en conséquence recevoir le paiement. Sur ce point, l'avant-projet rappelle la règle de principe : premier en date, plus puissant en droit (27). La résolution des conflits s'opère donc conformément aux mécanismes déjà connus en comparant la date à laquelle chaque mobilisateur a acquis ses droits sur la créance. Puisque la cession de créance est opposable aux tiers dès l'établissement par le cédant et le cessionnaire de l'acte écrit constatant la transmission de la créance, c'est à compter de la date de l'établissement de cet écrit que le cessionnaire peut opposer son droit aux autres mobilisateurs. Ainsi, le conflit se tranche en faveur de celui qui le premier peut opposer son droit aux tiers. Dans notre cas, A, premier en date, est celui qui aurait dû être payé. 16 - Mais le conflit a éclaté après que le débiteur cédé a payé sa dette entre les mains d'un second cessionnaire qu'il croyait être son créancier. Si le paiement est fait de bonne foi entre les mains de celui qu'il pouvait légitimement considérer comme étant son créancier, le débiteur cédé se sera valablement libéré, et n'encourra pas le risque de payer une seconde fois sa dette au véritable titulaire de la créance. En effet, la solution actuellement posée à l'article 1240 du code civil est reprise dans l'avant-projet à l'article 1222 prévoyant que « le paiement fait de bonne foi entre les mains d'un créancier apparent est valable ». Le cessionnaire ne peut donc plus réclamer le paiement de la créance cédée au débiteur cédé. Mais, alors, peut-il réclamer au second cessionnaire payé à tort ? 17 - L'avant-projet n'aborde pas cette question. Pourtant la Cour de cassation accorde au titulaire de la créance le droit d'agir pour obtenir la restitution de la somme perçue par le second cessionnaire (28). Si cette solution jurisprudentielle doit être approuvée en ce qu'elle rétablit le titulaire de la créance dans ses droits, elle ne paraît pas évidente dès lors que l'on s'interroge sur le fondement de cette action. D'abord, le second cessionnaire n'est pas le débiteur du premier. Ensuite, le cessionnaire apparaît comme le propriétaire d'une créance déjà payée, c'est-à-dire d'une créance éteinte. Le fondement de son action ne peut donc reposer sur son droit de propriété puisque l'objet même de ce droit a disparu (29).

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18 - Le principe du recours du premier cessionnaire contre le cessionnaire payé à tort est approuvé par la doctrine (30) qui a tenté de l'expliquer. Certains y voient une action en répétition de l'indu (31). Cette explication paraît difficilement concevable dans la mesure où la répétition de l'indu permet à celui qui a payé, le solvens, de réclamer le remboursement de ce qu'il a versé par erreur. Or, dans l'hypothèse qui est la nôtre, l'action est exercée par le cessionnaire qui ne peut être regardé comme un solvens. D'autres proposent d'analyser l'action du véritable cessionnaire contre le cessionnaire payé à tort en une action de in rem verso (32). Enfin, certains considèrent que le recours du cessionnaire antérieur pourrait être fondé directement sur l'opposabilité de son droit aux ayants cause ultérieurs du cédant (33). Ces deux dernières explications permettent toutes deux de fonder l'action en restitution du titulaire de la créance contre le cessionnaire payé à tort. Les rédacteurs de l'avant-projet auraient pu opter pour l'un ou l'autre des fondements ou même proposer de mettre en place une disposition organisant un tel recours en reprenant la solution de la Cour de cassation. 19 - L'opposabilité immédiate de la cession conduit à entacher la cession de créance de droit commun des mêmes maux que ceux qui touchent la cession Dailly. La souplesse conférée à la circulation des créances a donc un prix car elle affaiblit la sécurité des créanciers et la confiance qu'ils peuvent avoir dans cet instrument. C'est ce même sentiment que fait naître l'étude de la situation du débiteur cédé. II - Sécurité et opposabilité de la cession au débiteur cédé Article 1254-2 de l'avant-projet : « La cession de créance ne devient opposable au débiteur que par la notification qui lui en est faite, sur papier ou sous forme électronique, par le cédant ou par le cessionnaire ». 20 - Concernant le débiteur cédé, l'avant-projet expose dans son article 1257 les exceptions qu'il peut opposer au cessionnaire pour échapper au paiement que ce dernier lui réclame. D'abord, l'article 1257, alinéa 2, reprend une solution déjà connue ; le débiteur peut opposer au cessionnaire toutes les exceptions inhérentes à la dette qui sont antérieures à la cession. Cette proposition est complétée par l'intégration d'une solution jurisprudentielle autorisant le débiteur cédé à opposer « la compensation de dettes connexes dans ses rapports avec le cédant » (34). Par ailleurs, l'avant-projet complète cette liste en proposant dans l'article 1257, alinéa 4, de permettre au débiteur cédé d'opposer « au cessionnaire l'extinction de la créance pour toute cause antérieure à la date à laquelle la cession de celle-ci lui a été rendue opposable ». Cette proposition règle la question de l'opposabilité des exceptions extérieures (ou non inhérentes) à la dette nées dans une période déterminée : celle qui précède la notification de la cession au débiteur cédé. Cette solution permet de reprendre une solution classique qui consiste à admettre que le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire le paiement qu'il a effectué entre les mains du cédant ou d'un mobilisateur qu'il pouvait légitimement tenir pour son véritable créancier. Son paiement, fait de bonne foi, est libératoire ; le cessionnaire ne peut le contraindre à payer une seconde fois (35). 21 - Toutefois, en visant « l'extinction de la créance pour toute cause antérieure » à la notification, l'avant-projet autorise le débiteur cédé à opposer les exceptions résultant d'une modification des caractères de la créance (comme par exemple une remise de dette ou une prorogation de terme). De la sorte, les termes de l'article 1257, alinéa 4, laissent entrevoir une solution dangereuse qui conduit à faire subir par le cessionnaire une modification de la créance accordée par un cédant sans droit. Cette faiblesse trouve son origine dans le fait que l'article 1254-2 de l'avant-projet (36) organise à l'égard du débiteur cédé une véritable opposabilité de la cession à compter de sa notification alors que celui-ci n'est pas un véritable tiers à cette opération. Ce faisant, il est possible de douter de l'adaptation du terme « opposabilité » à la situation du débiteur cédé dans la mesure où elle renforce considérablement sa situation (A). Aussi, sur ce point, il semble possible de s'interroger sur l'opportunité de dégager une autre solution consistant à reprendre celle retenue en matière de cession Dailly (B). A - Opposabilité et situation du débiteur cédé 22 - Si l'avant-projet retient une opposabilité erga omnes de la cession à la date indiquée sur l'écrit qui la constate, il prévoit que la cession n'est opposable au débiteur cédé qu'à compter de la notification qui lui est faite (37). Cette solution implique de considérer que, en principe, les tiers doivent respecter la cession

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intervenue, conformément au principe de l'effet relatif des conventions prévu à l'article 1165 du code civil, repris par l'article 1165-2 de l'avant-projet (38), à compter de la date figurant sur l'acte de cession. Ainsi, les tiers ne peuvent faire valoir de droit sur la créance dès lors que leur droit est né après la date à laquelle la cession est devenue opposable à leur encontre. Toutefois, par exception, le débiteur cédé est tenu au respect du contrat de cession de créance, non à compter de la date de l'établissement de l'écrit qui constate la cession, mais seulement à compter de la notification qui lui en est faite. Cette solution est lourde de conséquences. En effet, durant la période qui s'étale entre la cession elle-même et sa notification, le débiteur cédé n'a pas à respecter la cession intervenue. En conséquence, une remise de dette, une novation, une prorogation de terme et plus généralement une modification de l'étendue de la créance cédée accordée par le cédant postérieurement à la cession, mais antérieurement à sa notification, pourraient constituer autant d'exceptions opposables au cessionnaire. C'est d'ailleurs ce que laisse penser la formule large de l'article 1257, alinéa 4, de l'avant-projet, qui laisse au débiteur cédé la possibilité de se prévaloir de « l'extinction de la créance pour toute cause antérieure » à la notification. 23 - Le choix des rédacteurs s'explique aisément par une volonté de protection des intérêts du débiteur cédé. En effet, raisonner en terme d'opposabilité immédiate à l'égard du débiteur cédé, comme à l'égard de n'importe quel tiers à la cession, paraît inadapté. D'abord, si le débiteur cédé est un tiers à la cession en ce qu'il ne participe pas à l'accord de volontés intervenu entre le cédant et le cessionnaire, il est tout de même dans une situation particulière dans la mesure où la cession de créance va conduire à l'obliger au paiement envers un nouveau créancier. Il ne s'agit donc pas tant d'opposer au débiteur cédé la cession que de déterminer dans quelles conditions il va devoir payer le cessionnaire (39). Ensuite, l'opposabilité immédiate de la cession conduit en principe à interdire au débiteur cédé de pouvoir se libérer entre les mains d'une autre personne que le cessionnaire sous peine de devoir payer une seconde fois. Une telle solution est dangereuse pour le débiteur cédé qui, tant qu'il ignore l'existence de la cession, doit pouvoir se libérer valablement entre les mains de celui qu'il croit être son créancier. Aussi, la protection du débiteur cédé commande que certaines entorses soient apportées au principe d'opposabilité de la cession à son égard. 24 - L'article 1257, alinéa 4, vise à garantir cette protection en permettant au débiteur cédé de se prévaloir à l'encontre du cessionnaire d'une extinction de la créance trouvant son origine dans un paiement effectué avant la notification, c'est-à-dire avant que la cession ne lui soit opposable. Mais, en choisissant de différer la date de l'opposabilité de la cession à l'égard du débiteur cédé à la notification de la cession, l'avant-projet renforce considérablement la situation du débiteur cédé, et crée de grands risques pour les cessionnaires qui peuvent voir disparaître la créance dont ils sont titulaires par les agissements d'un cédant malhonnête. Il convient donc de suggérer une autre solution. B - Proposition : la reprise de la solution adoptée en matière de cession Dailly 25 - Le problème de la place du débiteur cédé dans la cession tient au fait qu'il n'est pas un tiers comme les autres. Il est directement concerné par l'objet de la cession. Il semble donc que la solution doit tendre vers un équilibre en ménageant deux intérêts : la protection du cessionnaire qui doit pouvoir obtenir le paiement de la créance qui lui a été cédée, et la protection du débiteur cédé lequel, tant qu'il n'a pas connaissance de la cession, doit pouvoir se libérer entre les mains de celui qu'il croit être son créancier. 26 - Pour atteindre cet équilibre, il convient d'envisager la question sous deux angles différents. D'abord, une fois la cession intervenue, la protection des créanciers doit interdire que le cédant puisse modifier l'étendue de la créance cédée. La solution apparaît d'autant plus justifiée que le cédant n'est plus titulaire de la créance et n'a plus le pouvoir d'accorder une prorogation de terme ou une remise de dette au débiteur cédé. Il faut dans ce cas donner toute sa force à l'opposabilité de la cession pour priver le débiteur cédé de la possibilité de se prévaloir d'une modification de l'étendue de sa créance. Mais, alors, pour que le système soit efficace, l'opposabilité doit être immédiate. Néanmoins, il apparaît nécessaire, pour garantir la sécurité du débiteur cédé, d'admettre que tant que la cession ne lui a pas été notifiée, celui-ci peut se libérer de sa dette entre les mains de celui qu'il croit être son créancier, c'est-à-dire au cédant ou à un mobilisateur de second rang. Dans cette mesure, l'apparence doit primer l'opposabilité de la cession pour laisser le débiteur se prévaloir d'un paiement libératoire contre le cessionnaire.

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27 - Cette protection du débiteur cédé est assurée par l'avant-projet qui lui permet d'opposer un certain nombre d'exceptions au cessionnaire. En effet, les rédacteurs prennent le soin de poser un principe : le débiteur cédé « peut opposer au cessionnaire l'extinction de la créance pour toute cause antérieure à la date à laquelle la cession de celle-ci a été rendue opposable » (40). De plus, la reprise du principe de l'article 1240 du code civil dans l'article 1222 de l'avant-projet garantit au débiteur cédé la possibilité de se libérer valablement entre les mains de celui qu'il croit être son créancier. 28 - Ainsi, seule la règle visant à soumettre l'opposabilité de la cession au débiteur cédé à la notification de la cession semble devoir être modifiée. Pour ce faire, il est possible de s'inspirer des règles régissant la cession Dailly et de ne laisser à la notification de la cession au débiteur cédé jouer qu'un rôle informatif (41). De la même manière, la notification constituerait alors une véritable défense de payer adressée au débiteur cédé lui interdisant de payer une autre personne que le cessionnaire sous peine d'exécuter un paiement de mauvaise foi non libératoire. 29 - Il semble donc possible de ménager les intérêts du cessionnaire et du débiteur cédé de la manière suivante. Tout en conservant le texte de l'article 1254 qui prévoit l'opposabilité immédiate aux tiers, il convient de supprimer l'article 1254-2. Ainsi, la cession est opposable au débiteur cédé qui doit la respecter dans les mêmes conditions que n'importe quel tiers. L'étendue de l'obligation est alors fixée dès l'établissement de l'écrit qui la constate à l'égard du débiteur cédé, qui ne peut, même de bonne foi, invoquer à son profit une remise de dette, une prorogation de terme,... Par ailleurs, tant que le débiteur cédé n'a pas été averti de la cession, il doit pouvoir effectuer un paiement libératoire entre les mains de celui qu'il croit être son créancier. Il semble alors nécessaire de modifier l'article 1257, alinéa 4, de l'avant-projet de la manière suivante : « Il peut également opposer au cessionnaire le paiement fait de bonne foi entre les mains du cédant ou d'un créancier apparent » et de lui ajouter un alinéa 5 : « A tout moment, le cédant ou le cessionnaire peut notifier la cession au débiteur cédé, sur papier ou sous forme électronique ». 30 - Le succès de la réforme de la cession de créance de droit commun dépend de l'équilibre qui sera instauré entre les impératifs de sécurité du cessionnaire et du débiteur cédé et les exigences de souplesse réclamées par la pratique. En l'état actuel, la réforme proposée par l'avant-projet assure une grande simplicité de circulation des créances. En revanche, il semble que l'objectif de sécurité n'est pas atteint. Pour cela, l'organisation d'une « publicité » de la cession en imposant au débiteur cédé une obligation de renseignement sur les mobilisations dont il a connaissance, la mise en place d'une « opposabilité » immédiate mais limitée à l'égard du débiteur cédé, laissant à ce dernier la possibilité de se prévaloir d'un paiement libératoire, ou encore la prise en compte des risques liés au surendettement des particuliers sont autant de pistes qui peuvent tendre vers le but recherché par les rédacteurs de l'avant-projet. (1) P. Catala, Présentation générale de l'avant-projet in Avant-projet de réforme du droit des obligations (articles 1101 à 1386 du code civil) et du droit de la prescription (articles 2234 à 2281 du code civil), Rapport à M. Pascal Clément, garde des Sceaux, ministre de la Justice, 22 sept. 2005, p. 6 (www.justice.gouv.fr/publicat/rapport/RAPPORTCATALASEPTEMBRE2005.pdf) : « Notre espoir est que l'avant-projet serve l'entreprise qui donnera à la France un droit civil adapté à son époque et une voix dans le concert européen ». (2) P. Catala, Il est temps de rendre au code civil son rôle de droit commun des contrats, JCP 2005, I, 170, p. 1740 : « cet avant-projet vise à rendre au Code civil son rayonnement international. [...] Toutefois, il s'agit en priorité de consolider son rôle dans l'Hexagone ». (3) P. Catala, préc., note 1. (4) Colloque sur le thème : La réforme du droit des contrats : projet et perspectives. (5) P. Catala, Bref aperçu sur l'avant-projet de réforme du droit des obligations, D. 2006, Chron. p. 535 : « toute entreprise de cette nature comporte, dans sa version initiale, des limites et des lacunes. Un débat ouvert et loyal ne peut qu'entretenir l'intérêt soulevé par l'avant-projet dans la communauté juridique, depuis sa remise au garde des Sceaux ; il ne peut que l'aider à devenir projet ». (6) H. Synvet, Exposé des motifs, Opérations sur créances (art. 1251 à 1282), in Avant-projet du droit des obligations (articles 1101 à 1386 du code civil) et du droit de la prescription (articles 2234 à 2281 du code civil), Rapport préc., p. 58. (7) Ibid. (8) Ibid. (9) Art. 1251 de l'avant-projet : « La cession de créance est une convention par laquelle le créancier cédant transmet tout ou partie de sa créance à un tiers cessionnaire, par vente, donation ou autre titre particulier ». (10) H. Synvet, Exposé des motifs, Opérations sur créances (art. 1251 à 1282), préc., p. 58. (11) Ibid., p. 59. (12) Traditionnellement, le tiers à la cession est celui à qui la cession pourrait faire grief en l'empêchant de faire valoir un droit

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concurrent de celui du cessionnaire sur la créance. Il s'agit principalement des créanciers du cédant, qui voient une créance sortir de leur droit de gage, et des mobilisateurs successifs de la créance, qui détiennent un droit sur la créance cédée. V. sur ce point J. François, Droit civil, Les obligations, Régime général, 1re éd., Economica, 2000, n° 374 ; B. Starck, H. Roland et L. Boyer, Droit civil, Les obligations, Régime général, 6e éd., Litec, 1999, par H. Roland, n° 22 ; J. Ghestin, M. Billiau et G. Loiseau, Traité de droit civil, Le régime des créances et des dettes, LGDJ, 2005, n° 321. (13) V. infra, n° 9. (14) Par exemple, l'art. 1690 du code civil belge prévoit : « La cession de créance est opposable aux tiers autres que le débiteur cédé par la conclusion de la convention de cession. La cession n'est opposable au débiteur cédé qu'à partir du moment où elle a été notifiée au débiteur cédé ou reconnue par celui-ci ». (15) Art. 1254, al. 2, de l'avant-projet précité. (16) G. Cornu, Introduction au Livre troisième - titre III, Des obligations, in Avant-projet du droit des obligations, préc., p. 10. (17) Art. 1254-3 de l'avant-projet : « Le conflit entre cessionnaires successifs d'une même créance se résout en faveur du premier en date ». (18) Dans l'Ancien droit, la signification de la cession était destinée à opérer la saisine de la créance transmise, et permettait au cessionnaire de faire reconnaître erga omnes son droit exclusif sur la créance. Mais le Code civil ne reprend pas la référence à la saisine. Dès lors, la signification de l'article 1690 du code civil apparaît comme un mécanisme destiné à assurer une fonction de publicité : les tiers sont ainsi supposés pouvoir se renseigner auprès du débiteur cédé quant à la réalité des droits d'une personne qui se prétend le créancier d'une obligation et propose de céder son droit. V. sur ce point C. Larroumet, Les opérations juridiques à trois personnes en droit privé, thèse, Bordeaux, 1968, n° 35 et 36. (19) Par exemple l'art. 44 de la loi n° 91-650 du 9 juill. 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution prévoit que « le tiers saisi est tenu de déclarer au créancier l'étendue de ses obligations à l'égard du débiteur ainsi que les modalités qui pourraient les affecter et, s'il y a lieu, les cessions de créances, délégations ou saisies antérieures ». (20) V. notamment en ce sens J. Carbonnier, Droit civil, t. 4, Les obligations, 22e éd., PUF, coll. Thémis droit privé, 2000, n° 81 ; J. François, op. cit., n° 372 ; C. Larroumet, thèse préc., n° 36 s. ; B. Starck, H. Roland et L. Boyer, op. cit., par H. Roland, n° 26 et 31. (21) C. Dugué, Réhabilitons la cession de créance de droit commun !, RD banc. et fin. 2004, p. 163. (22) Réponse du garde des Sceaux à une question de M. le député J. Bignon, JOAN Q, 27 janv. 2003, p. 600. (23) L'art. L. 323-27 c. mon. et fin. dispose « la cession [...] prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau lors de sa remise [...] sans qu'il soit besoin d'autre formalité ». (24) Même s'il ne pèse pas sur le débiteur cédé d'obligation de renseignement, les tiers disposent en fait de la possibilité de s'adresser à celui-ci pour être informés des cessions dont il pourrait avoir connaissance. (25) Dans les proportions définies aux art. L. 145-2 et R. 145-2 c. trav. (26) C'est l'une des « orientations concevables » dégagée par le Doyen Carbonnier (op. cit., n° 319). (27) L'art. 1254-3 de l'avant-projet prévoit que « le conflit entre cessionnaires successifs d'une même créance se résout en faveur du premier en date ». (28) Cass. com. 19 mai 1992, RTD com. 1992, p. 665, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié ; RD bancaire 1992, p. 236, obs. F. J. Crédot et Y. Gérard. (29) M. Billiau, La transmission des créances et des dettes, LGDJ, 2002, n° 47. Si l'auteur admet que la créance est éteinte et ne peut donner lieu à la revendication d'un droit de propriété sur la créance, l'auteur suggère d'autoriser une action en revendication en considérant qu'il est possible d'admettre « que le droit du cessionnaire, titulaire de la créance, se reporte sur la valeur, c'est-à-dire sur la quantité de monnaie entrée dans le patrimoine du cessionnaire accipiens ». (30) Sur ce point, V. J. François, op. cit., n° 436 ; M. Billiau, op. et loc. cit. ; adde, notes 31 et 32. Contra M. Cabrillac, Les conflits entre les cessionnaires d'une même créance transmise par bordereau, D. 1990, Chron. p. 127 , n° 9 s., spéc. n° 15. (31) F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficultés, Instruments de crédit et de paiement, 6e éd., LGDJ, coll. Manuel, 2003, n° 775, p. 655, note 69. (32) En ce sens, V. P. Crocq, Propriété et garantie, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, t. 248, 1995, n° 394, p. 352 et 353. (33) En ce sens, C. Larroumet, Le conflit entre cessionnaires successifs d'une créance transmise par bordereau, JCP E 1990, II, 15877, n° 7 s., spéc. n° 11 : « En ce qui concerne le recours du premier cessionnaire contre le second, celui-ci est la sanction la plus normale de l'opposabilité d'une cession occulte, lorsque le second cessionnaire en date a été payé sur la foi de l'apparence résultant d'une notification ». (34) C'est ce que prévoit l'art. 1257, al. 3. Ce faisant, l'avant-projet vise la compensation intervenue après l'établissement de l'acte de cession de la dette cédée avec ce que doit le cédant au débiteur cédé lorsqu'il s'agit de dettes connexes. Il reprend une solution jurisprudentielle (Cass. com. 19 mars 1991, JCP E 1991, II, 174, note D. Legeais, et 1991, I, 73, n° 23, obs. M. Cabrillac et P. Pétel ; RJ com. 1992, n° 1, p. 24 ; note M. Pédamon ; D. 1991, Jur. p. 542 , note G. Duboc, et Somm. p. 257, obs. F. Derrida) permettant au débiteur cédé d'opposer la compensation dont les conditions ne sont réunies qu'après la date apposée sur l'écrit constatant la cession en cas de connexité des créances réciproques (c'est-à-dire lorsque les créances prennent leur source soit dans un seul et même acte juridique créant des obligations à la fois pour le débiteur et le créancier, soit dans un accord cadre régissant l'ensemble des rapports entre les parties, soit dans une opération économique globale donnant lieu à une série de contrats dépendant d'un même cadre contractuel). Sur cette question V. G. Ripert et R. Roblot par P. Delebecque et M. Germain, Traité de droit commercial, t. 2, 17e éd., LGDJ, 2004, n° 3040 ; F. Pérochon et R. Bonhomme, op. cit., n° 178-1, et la jurisprudence citée. (35) V. sur ce point J. François, op. cit., n° 386 et 389 s. ; J. Ghestin, M. Billiau et G. Loiseau, op. cit., n° 304. C'est la solution qu'autorisent les art. 1240 et 1691 c. civ. (36) Article préc. (37) Art. 1254-2 de l'avant-projet, préc. (38) Art. 1165-2 de l'avant-projet : « Les conventions sont opposables aux tiers ; ceux-ci doivent les respecter et peuvent s'en prévaloir, sans être en droit d'en exiger l'exécution ». (39) V. sur ce point C. Larroumet, thèse préc., n° 36, p. 68 ; adde, J. François, op. cit., n° 369. (40) C'est le texte de l'art. 1257, al. 4, de l'avant-projet. (41) En matière de cession Dailly, la combinaison des art. L. 323-27 et L. 323-28 c. mon. et fin. conduit à considérer que la

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cession est opposable au débiteur cédé à la date apposée sur le bordereau, comme à l'égard de n'importe quel tiers. Mais le domaine de cette opposabilité est réduit dans la mesure où, jusqu'à ce que la cession lui soit opposable, le débiteur cédé peut effectuer un paiement libératoire entre les mains du cédant ou de celui qu'il croit légitimement être son créancier. Sur ce point V. notamment F. Pérochon et R. Bonhomme, op. cit., n° 768 s. et la jurisprudence citée.

� Ch. LACHIEZE, L'autonomie de la cession conventionnelle de contrat, D. 2000, p. 184 1 - La cession conventionnelle de contrat, entendue comme la cession de contrat résultant d'un accord de volonté (1), suscite un débat passionné. Elle a ses partisans, mais ceux-ci prétendent qu'elle ne suppose pas le consentement du cédé (2). Cette conception nous paraît contraire au principe posé à l'art. 1134, al. 1er, c. civ. : la force obligatoire du contrat interdit que l'une des parties se substitue un tiers sans le consentement de l'autre (3), sauf bien sûr lorsque la loi l'y autorise (4). Faut-il donc se rallier à l'opinion des adversaires de la cession conventionnelle de contrat qui nient son existence précisément parce qu'elle suppose le consentement du cédé (5) ? 2 - La présente étude se propose de défendre une opinion différente : bien qu'elle suppose le consentement du cédé, la cession de contrat conventionnelle nous paraît constituer une institution juridique autonome. Si cette proposition était confirmée, l'institution serait vivante et permettrait de préciser la nature et le régime juridique de conventions, parfois prévues par les textes (6), et que l'on rencontre assez fréquemment dans la pratique : les conventions de cession de contrat ou de substitution de personne (7), qui soulèvent de redoutables problèmes de qualification. 3 - Pour éprouver l'autonomie de la cession conventionnelle de contrat, il faut envisager deux questions : la cession conventionnelle de contrat est-elle possible en l'état actuel du droit positif ? Présente-t-elle un intérêt pratique ? 4 - Les adversaires de la cession de contrat conventionnelle répondent négativement à l'une et l'autre question (8). Pour ces auteurs, la cession conventionnelle de contrat serait impossible du fait de la nature même du contrat - le contrat étant un lien et non un bien (9) dont la force obligatoire ne pourrait s'exercer qu'à l'égard de ceux qui ont participé à sa formation (10) - et parce que le consentement du « cédé » ajouté à celui du « cessionnaire » réaliserait nécessairement la formation d'un contrat nouveau (11). Elle serait inutile puisque l'opération visée - placer le cessionnaire dans la position contractuelle du cédant - pourrait être réalisée par la formation d'un contrat nouveau identique au contrat initial. Les conventions improprement dénommées cession conventionnelle de contrat seraient en réalité des opérations créatrices, mais produiraient tout de même le résultat recherché (12). 5 - C'est pourtant une réponse affirmative que nous semblent appeler l'une et l'autre questions dont dépend l'autonomie de la cession conventionnelle de contrat. La thèse de l'inutilité de la cession conventionnelle de contrat repose sur un postulat qui est reçu sans aucune discussion par la doctrine : l'opération visée pourrait être réalisée par le procédé de la formation d'un contrat nouveau. Ce postulat peut être discuté. Un contrat nouveau, formé entre le « cédé » et le « cessionnaire », serait nécessairement différent du contrat initial. Nous pensons pouvoir démontrer que seule la cession de contrat permet de placer un tiers dans la position de l'une des parties contractantes, en opérant le transfert du contrat (13). Il restera alors à éprouver la thèse de l'impossibilité de la cession conventionnelle de contrat. Considérée isolément, celle-ci se révèle bien fragile. En vertu du principe de liberté des conventions, il faudrait en effet que l'institution nouvelle contrarie une règle impérative pour qu'elle doive être rejetée. Or il n'en est rien ; l'opération dont elle est l'instrument s'insère parfaitement dans le droit objectif : elle ne menace aucune institution connue et ne présente pas de danger spécifique. La cession de contrat conventionnelle possède donc les deux caractères nécessaires à sa pleine reconnaissance comme institution juridique autonome : elle est utile (I) et possible (II). I - L'utilité de la cession conventionnelle de contrat

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6 - Seule la cession conventionnelle de contrat permet de remplacer une partie contractante par un tiers sans modifier la substance du contrat. Les mécanismes connus du droit positif, qui supposent la formation d'un contrat nouveau, ne permettent pas d'atteindre ce résultat. La spécificité de la cession conventionnelle de contrat se vérifie sur différents points : les exceptions inhérentes à la formation du contrat cédé sont opposables entre le cédé et le cessionnaire (A) et la position contractuelle conserve toutes ses caractéristiques (B). A - L'opposabilité des exceptions inhérentes à la formation du contrat cédé 7 - L'effet translatif de la cession conventionnelle de contrat a pour conséquence de rendre opposables, dans les relations entre le cédé et le cessionnaire, les exceptions inhérentes à la procédure de formation du contrat qui a été réalisée entre le cédant et le cédé. Il convient d'analyser le fondement de ce principe d'opposabilité des exceptions (1) pour en mesurer la portée (2). 1 - Fondement du principe d'opposabilité des exceptions 8 - La cession conventionnelle ne remet pas en cause l'existence du contrat. Partant, la procédure d'échange des consentements du cédé et du cédant, qui a permis la formation du contrat, demeure le critère de la validité du contrat ; c'est encore la régularité de cette procédure qui doit déterminer la validité de ce contrat qui unit désormais le cédé et le cessionnaire. Le cessionnaire peut donc opposer au cédé les exceptions tirées de l'accord des volontés du cédé et du cédant qui appartenaient au cédant avant la cession (14), et le cédé peut opposer au cessionnaire les exceptions dont il disposait envers le cédant. Il faut insister sur le fait que le cessionnaire est un ayant cause ; succédant au cédant au jour où la cession produit son effet, il n'est pas réputé avoir participé à la formation du contrat. Il ne devient donc pas partie au contrat (15), au sens de l'art. 1165 c. civ., puisque ce texte ne reconnaît comme partie que ceux qui ont participé à la formation du contrat (16). Les exceptions inhérentes au contrat cédé sont donc efficaces au-delà de la sphère de l'effet relatif telle qu'elle est définie par l'art. 1165 c. civ. (17). 9 - Si un contrat nouveau était formé, les exceptions inhérentes au contrat initial, et notamment celles tirées de la formation de ce contrat, seraient inefficaces. Ainsi, le « cédé » ne pourrait pas invoquer les exceptions fondées sur les qualités propres au « cédant » (vice du consentement, incapacité notamment) (18). Cependant, certaines exceptions inhérentes au contrat nouveau pourraient être identiques aux exceptions relatives au contrat initial (19). 2 - Portée du principe d'opposabilité des exceptions 10 - Le fondement du principe d'opposabilité des exceptions permet d'en cerner la portée. Le principe ne concerne que les exceptions inhérentes au contrat, c'est-à-dire les exceptions qui se fondent sur un vice affectant le contrat lui-même, ce vice pouvant notamment trouver son origine dans la personne de l'un des contractants. Au contraire, les exceptions qui n'affectent pas le contrat mais sont attachées à la personne du cédant ne sont pas concernées par ce principe puisqu'elles ne peuvent être transmises avec le contrat (20). 11 - Il faut ajouter que le principe d'opposabilité des exceptions inhérentes au contrat cédé ne fait pas obstacle à l'efficacité de certaines exceptions tirées de l'acte de cession. Cette question dépasse le cadre de la présente recherche et relève d'une étude spécifique du régime de la cession conventionnelle de contrat. Mais on peut indiquer les principes essentiels. Le régime de ces exceptions est très différent selon que le cédé est ou non partie à la convention de cession. Dans l'hypothèse où le cédé est partie à la convention de cession, il nous semble que les exceptions inhérentes à cet acte pourront être invoquées efficacement au cours de l'exécution du contrat cédé. En effet, puisque le cédé et le cessionnaire sont tous deux parties à la convention de cession et que celle-ci a permis de transférer au cessionnaire la position contractuelle, on peut penser que le principe de l'effet relatif ne fait pas obstacle à l'efficacité, dans le cadre du contrat cédé, des exceptions inhérentes à la convention de cession. Cette solution n'est guère satisfaisante, car le régime des exceptions dans le cadre de l'exécution du contrat cédé est ainsi profondément bouleversé par la cession de contrat. Dans l'hypothèse où le cédé n'est pas partie à la convention de cession, l'acte de cession est plus « neutre » : le principe de l'effet relatif interdit alors que les exceptions inhérentes à cette convention soient efficaces dans les relations entre le cédé et le cessionnaire ; seules les exceptions opposables aux tiers pourront être

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invoquées dans les relations entre le cédé et le cessionnaire (21). B - Le maintien des caractères de la position contractuelle 12 - L'effet translatif de la cession conventionnelle de contrat permet de maintenir les caractères de la position contractuelle : ainsi la durée du contrat (1) et la loi applicable au contrat (2) restent les mêmes. 1 - La durée du contrat 13 - Cette question ne présente d'intérêt que pour les contrats à durée déterminée en cours d'exécution. Alors que le transfert ne modifie pas la durée du contrat (22), il semble bien qu'un contrat nouveau aurait une durée nouvelle. La doctrine est divisée sur ce point. M. L. Aynès a soutenu que le contrat nouveau aurait une durée nouvelle ; MM. C. Jamin et M. Billiau affirment au contraire que la durée du contrat ne serait pas modifiée par une opération créatrice. On peut ne pas être convaincu par l'opinion de MM. C. Jamin et M. Billiau. Certes, par application du principe de liberté contractuelle, les parties peuvent en principe fixer librement le terme du contrat et donc conférer au contrat nouveau une durée égale à la durée qui restait au contrat initial. Mais nous pensons pouvoir démontrer que, dans certaines hypothèses, la durée du contrat nouveau serait nécessairement nouvelle. 14 - Tout d'abord, la conception défendue par MM. J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau selon laquelle « le régime de la cession conventionnelle de contrat pourrait s'inspirer de celui de la délégation de créance » (23) peut faire douter de cette possibilité de conférer au contrat nouveau une durée identique à celle qui restait à courir au contrat initial. En effet, lorsque la délégation porte sur une créance - plus exactement, lorsque c'est un débiteur qui est délégué - ces auteurs considèrent que, même si l'obligation créée à la charge du délégué est déterminée par référence à une obligation du délégant envers le délégataire, le délai de prescription de l'obligation du délégué est nécessairement nouveau. Ils critiquent la décision rendue par la Première chambre civile de la Cour de cassation le 17 mars 1992 ayant admis que le délégué qui s'est engagé pour ce que devait le délégant au délégataire est libéré lorsque l'engagement du délégant est éteint par la prescription (24). La première Chambre civile aurait opéré une « confusion des genres » : l'opération telle qu'elle la conçoit serait en réalité une reprise de dette, et non une délégation (25), car la nouveauté de l'obligation du délégué impliquerait un délai de prescription nouveau ! Si l'on admettait cette analyse (26), on voit mal ce qui justifierait que le mécanisme de la délégation n'ait pas sur la durée du contrat le même effet que sur le délai de prescription de la créance. Ensuite, il faut bien voir que les parties seraient parfois dans l'impossibilité de conférer au contrat nouveau une durée égale à la durée qui restait au contrat initial. Ainsi, sachant que l'art. 10 de la loi n° 89-462 du 6 juill. 1989 prévoit une durée minimum de trois ans pour le bail d'habitation et que les baux d'habitation régis par cette loi sont le plus souvent conclus pour une durée de trois ans, il est généralement impossible de conclure un bail nouveau avec une durée égale à celle qui restait au bail initial. 2 - La loi applicable au contrat 15 - La cession conventionnelle de contrat produit un effet spécifique dans l'hypothèse où une loi nouvelle intéressant le contrat est entrée en vigueur. On sait que le principe est que les contrats en cours demeurent régis par la loi en vigueur au jour de leur formation (27). Partant, la cession conventionnelle de contrat ne fait pas échapper le contrat à la loi ancienne, alors qu'un contrat nouveau se trouverait placé sous l'empire de la loi nouvelle. Les parties pourraient parfois éviter cette conséquence de la formation d'un contrat nouveau en reprenant, dans le contrat nouveau, le contenu de la loi ancienne. Mais cette possibilité d'éviter ce qui constitue un « effet naturel » de la formation d'un nouveau contrat n'est pas absolue car les parties ne pourraient écarter les dispositions impératives de la loi nouvelle. 16 - Le régime des baux d'habitation régis par la loi du 1er sept. 1948 fournit un exemple de cette spécificité de la cession conventionnelle de contrat. La cession conventionnelle d'un bail régi par la loi de 1948, qui suppose le consentement du cédé ( (28), permet le maintien du contrat sous l'empire de cette

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loi ; la cession conventionnelle confère donc au cessionnaire les droits que la loi de 1948 assure au preneur (29). La distinction entre la cession conventionnelle de contrat et les mécanismes réalisant la formation d'un contrat nouveau revêt ici un intérêt pratique évident, le maintien du contrat sous l'empire de la loi de 1948 n'étant intéressant que pour le preneur à bail ! La cession conventionnelle de contrat apparaît bien comme l'instrument d'une opération juridique originale. Elle est donc utile ; il nous semble qu'elle est également possible. II - La possibilité de la cession conventionnelle de contrat 17 - La cession conventionnelle de contrat peut être admise en l'état actuel du droit positif. Aucune règle, aucun principe juridique ne fait obstacle à la reconnaissance de cette institution nouvelle (A). Certains auteurs ont formulé des objections pratiques à la cession conventionnelle de contrat. Ces objections ne pourraient justifier le rejet de l'institution, mais il importe de démontrer que l'institution nouvelle est fonctionnelle (30) ; nous soulignerons donc la fragilité des objections pratiques à la cession conventionnelle de contrat (B). A - L'absence d'obstacle théorique 18 - La cession conventionnelle de contrat ne contredit aucun principe juridique essentiel. Bien au contraire, l'admission de cette institution permettrait d'expliquer sans difficulté certaines figures contractuelles admises en droit positif. La conception qui refuse d'admettre la cession conventionnelle de contrat nous paraît donc critiquable (1) ; nous pensons pouvoir affirmer l'existence de cette institution (2). 1 - Critique de la conception affirmant l'impossibilité de la cession conventionnelle de contrat 19 - La conception qui refuse d'admettre la cession conventionnelle de contrat est défendue principalement par MM. J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau. Ces auteurs considèrent que la cession conventionnelle de contrat ne peut être admise en droit français sous peine de « déformer inutilement des principes juridiques acquis ». Pour schématiser, on peut présenter la théorie proposée par ces auteurs sous la forme d'un syllogisme : la cession conventionnelle de contrat suppose le consentement des trois principaux intéressés : le cédé le cédant et le cessionnaire, or l'accord de volonté est le critère de la formation du contrat, donc l'accord de volonté entre le cédé et le cessionnaire « engendre un contrat nouveau et qui se forme entre le cédé et le cessionnaire, dont les caractéristiques sont exactement identiques au contrat cédé » (31). 20 - En dépit de l'éminence de ses auteurs, cette théorie n'emporte pas notre conviction. Non seulement elle ne paraît pas exclure la possibilité d'une cession de contrat conventionnelle (V. infra, n° 21), mais en plus le mécanisme proposé par ces auteurs présente l'inconvénient d'affaiblir la sécurité de l'opération, et de rendre difficilement explicables certaines solutions admises par le droit positif et qui paraissent satisfaisantes. La sécurité de l'opération serait affaiblie si le consentement du « cédé » avait pour objet la formation d'un contrat nouveau car ce consentement serait librement rétractable tant qu'il n'a pas été suivi de celui du « cessionnaire ». L'analyse proposée par MM. C. Jamin et M. Billiau, qui interprètent le consentement du cédé comme une acceptation anticipée de l'offre de formation d'un contrat nouveau que serait la cession conventionnelle de contrat (32), ne permet pas d'éviter cette possibilité de rétractation. Si l'on s'en tient au sens habituel des termes, l'« acceptation anticipée » est en réalité une offre, l'acceptation étant la dernière manifestation de volonté et l'offre l'avant-dernière. Cette offre, n'étant assortie d'aucun délai, pourrait être librement rétractée. On pourrait admettre que le cédé s'est obligé, dans le contrat initial, à maintenir son offre, ou bien à accepter l'offre de formation d'un contrat nouveau qui sera émise par le tiers « cessionnaire » désigné ultérieurement, cette analyse permettant de raisonner en termes d'acceptation anticipée. Mais le résultat auquel on parvient alors n'est pas pleinement satisfaisant : analysée comme une obligation née du contrat initial, l'offre - ou l'« acceptation anticipée », comme on voudra - est une obligation de faire, susceptible d'être exécutée ou de ne l'être pas. Les données du problème sont les mêmes que dans la promesse unilatérale de vente dont la jurisprudence considère qu'elle fait naître une obligation de faire à la charge du promettant : cette obligation n'étant pas susceptible d'exécution forcée, il s'ensuit que, pendant la durée de l'option et tant que le bénéficiaire n'a

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pas levé l'option, le promettant peut utilement se rétracter ; il fait ainsi obstacle à la formation du contrat et n'encourt que des dommages-intérêts (33). La doctrine critique cette jurisprudence et souhaiterait que l'obligation du promettant soit susceptible d'exécution forcée. Une contribution doctrinale récente (34) vient renouveler les termes du débat : la promesse unilatérale de vente n'engendrerait aucune obligation à la charge du promettant, l'existence de l'offre étant en réalité « un effet instantané et automatique du contrat » sur lequel les parties n'ont plus de prise ; la promesse unilatérale de vente, n'ayant pas à être exécutée, ne serait pas susceptible d'être inexécutée. Cette analyse permettrait de conférer à l'offre du cédé un caractère définitif, mais il n'est pas évident qu'elle soit applicable à « l'acceptation anticipée » du cédé (35). On peut donc redouter que la conception défendue par MM. J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau ne soulève sur ce point des difficultés théoriques comparables à celles qui caractérise la promesse unilatérale de vente, et qu'elle conduise la jurisprudence à adopter une solution aussi perturbante. En outre certaines solutions admises en droit positif seraient difficilement explicables. Par exemple, lorsque le cédé a consenti de façon anticipée à la cession, celle-ci peut être valablement réalisée par une convention conclue entre les seuls cédant et cessionnaire. C'est l'apport essentiel de l'arrêt Gobet du 6 mai 1997, précité, que d'avoir énoncé que la clause de substitution prévoyant qu'une partie pouvait céder librement sa position contractuelle permet à celle-ci de se substituer un tiers unilatéralement, c'est-à-dire par une convention conclue avec le seul cessionnaire, à laquelle le cédé est tiers (36). Le cédé n'étant pas partie à la convention de cession, comment pourrait-on expliquer que celle-ci puisse former un contrat nouveau entre le « cédé » et le « cessionnaire » ? Le « cédé » pourrait-il être tiers à la « convention de cession » et partie au contrat créé par celle-ci ? M. C. Jamin répond par l'affirmative, mais cela le conduit à proposer de dissocier la qualité de partie à la cession du contrat de celle de partie au contrat de cession (37) ! La conception défendue par MM. J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau nous paraît donc appeler certaines réserves. L'admission de la cession conventionnelle de contrat ne se heurte pas à de telles difficultés théoriques. 2 - Existence de la cession conventionnelle de contrat 21 - L'existence de la cession conventionnelle de contrat dépend de la possibilité de réaliser le remplacement d'une partie par un tiers sans passer par la formation d'un contrat nouveau. Si l'on veut bien admettre que le changement de personne n'entraîne pas de facto un changement de contrat (38), toute la difficulté réside dans les effets du consentement du cédé. Il faut démontrer que le consentement du cédé ajouté à celui du cessionnaire ne réalise pas la formation d'un contrat nouveau. Il est nécessaire de distinguer selon que la cession conventionnelle se réalise par un accord de volonté tripartite ou bien est permise par un consentement anticipé du cédé. 22 - a) La cession conventionnelle de contrat peut être réalisée par un accord de volonté entre les trois intéressés. Dans cette hypothèse, l'opération satisfait aux conditions de formation d'un contrat nouveau. Mais cela n'interdit pas qu'elle réalise le transfert du contrat existant, qui est le résultat recherché par les parties. L'accord de volonté étant effectivement le critère de la formation du contrat, la rencontre des volontés du cédé, du cédant et du cessionnaire engendre nécessairement la formation d'une convention tripartite. Mais rien n'interdit que cette convention ait pour effet le transfert du contrat existant : un contrat, au sens large de convention, peut avoir pour objet de substituer un tiers à une partie dans les liens d'un contrat. Le rôle de la volonté comme critère de la formation du contrat n'exclut pas, nous semble-t-il, qu'un accord de volonté ait pour effet le transfert d'un contrat ; il interdit tout au plus qu'un accord de volonté produise un effet de droit sans avoir donné lieu à la formation d'un contrat - au sens large de convention -, ce qui est tout différent. La convention de cession de contrat ne perd pas son effet translatif lorsqu'elle est conclue par un accord de volonté tripartite (39). 23 - b) La cession conventionnelle de contrat peut être réalisée par un accord de volonté entre les seuls cédant et cessionnaire, lorsque les parties au contrat ont aménagé cette possibilité (40). Dans ces hypothèses, l'admission de la cession conventionnelle de contrat permet d'éviter les complications que susciterait une explication en termes de formation d'un contrat nouveau (V. supra, n° 20).

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Ainsi les difficultés relatives à une possible rétractation par le cédé de son consentement anticipé ne se posent pas. La possibilité pour l'une des parties de céder sa position contractuelle sans requérir le consentement de l'autre est une caractéristique du contrat qui ne peut être remise en cause que par un accord de volonté des parties (41). Le consentement anticipé à la cession de contrat ne peut être rétracté car ce consentement est rendu irrévocable lorsqu'il est inséré dans le contrat cédé : il possède une force contractuelle et ne peut donc être remis en cause que par l'accord des contractants. C'est ce qu'exprime la Cour de cassation dans l'arrêt Gobet du 6 mai 1997 en énonçant que « se référant à la stipulation contractuelle de substitution, qui ne prévoyait ni l'information de la société Gobet ni un agrément par elle, le tribunal a, justement, retenu que cette société ne pouvait s'opposer à son application » (42). Au contraire, un consentement anticipé à la formation d'un contrat nouveau ne peut être rendu irrévocable en l'état actuel du droit positif. De même, l'absence d'accord de volonté entre le cédé et le cessionnaire n'est pas de nature à faire obstacle à la cession de contrat. La cession conventionnelle de contrat ne suppose pas que le cédé soit partie au contrat de cession ; elle peut être valablement opérée par un simple accord de volonté entre le cédant et le cessionnaire - formant la convention de cession - dès lors que le cédé a consenti à rendre le contrat cessible. 24 - c) La cession conventionnelle de contrat paraît donc tout à fait admissible en droit français aujourd'hui. L'institution trouve sans difficulté sa place dans le régime du contrat. Elle est l'instrument d'une opération originale : la substitution de personne dans la position contractuelle ; cette substitution n'étant au fond qu'une modification subjective du contrat (43), réalisée par la volonté conjuguée des parties contractantes et du cessionnaire qui accepte de reprendre la position contractuelle du cédant. La cession conventionnelle de contrat, comme toute modification conventionnelle du contrat, est permise par l'art. 1134 c. civ. : l'alinéa 2 fonde les parties à agir sur le contrat existant, et la cession conventionnelle, parce qu'elle permet la sauvegarde du lien contractuel, peut trouver une justification solide dans l'alinéa 3 de l'art. 1134 (44). Cette institution permet d'expliquer certaines figures contractuelles connues de la pratique et s'inscrit dans le fil d'une évolution qui prend en compte la valeur patrimoniale du contrat et tend à imposer l'idée que si le contrat est essentiellement un lien, il doit parfois être appréhendé par le droit comme un bien. A tel point que l'aspect patrimonial prime parfois la conception subjective au point d'imposer certaines modifications du contrat aux parties : ainsi lorsque le législateur prévoit la cession de contrat à l'occasion de la cession d'un bien, lorsqu'il permet au juge d'imposer la cession de contrats pour sauvegarder les chances de redressement de l'entreprise en difficulté, ou encore lorsqu'il autorise l'une des parties à modifier unilatéralement le contrat (45). B - La fragilité des objections pratiques 25 - Les auteurs qui refusent d'admettre l'existence de la cession conventionnelle de contrat soulignent les difficultés que susciterait l'institution nouvelle, du point de vue des trois principaux intéressés (1) ainsi que des garanties qui couvrent les engagements du cédant (2). Ces difficultés ne paraissent pas insurmontables, mais l'on ne doute pas que si l'institution est admise comme nous l'espérons, elle révélera à l'avenir d'autres aspects de son utilité et suscitera de nouvelles difficultés, comme toute institution juridique vivante. 1 - La situation des trois principaux intéressés 26 - Une des questions les plus classiques est celle de l'information du cédé : celui-ci doit-il être informé de la réalisation de la cession et selon quel procédé ? Aucun problème ne se pose lorsque le cédé doit encore donner son consentement ou même un simple agrément : dans ces hypothèses la cession ne peut s'opérer sans qu'il en ait connaissance. La situation est plus délicate lorsque le cédé a consenti par avance à la cession, dans une clause du contrat cédé, sans se réserver une possibilité d'agrément, car dans ce cas la cession peut très bien s'opérer à son insu. Il est évident que le cédé qui ignore que la stipulation contractuelle de substitution a été mise en

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oeuvre ne peut se voir reproché de continuer à considérer le cédant comme son partenaire contractuel. La bonne foi étant présumée, il conviendrait de prouver - par tous moyens - que le cédé avait connaissance de la cession pour engager sa responsabilité. Afin d'éviter toute complication, le cédant et le cessionnaire ont intérêt à informer le cédé de la réalisation de la cession. L'information doit pouvoir être réalisée selon tout procédé efficace ; telle est la solution consacrée par l'arrêt Gobet du 6 mai 1997 (46). 27 - S'agissant du cessionnaire, sa situation peut s'avérer délicate au stade de la formation de la convention de cession. Puisque les règles gouvernant la formation et la forme du contrat cédé n'ont pas à être respectées lors de la cession, le cédé n'est pas tenu de délivrer au cessionnaire les renseignements que la loi lui imposait de fournir lors de la formation du contrat. Les adversaires de la cession conventionnelle de contrat voient là un danger (47). On peut comprendre les craintes de ces auteurs, mais il ne faut cependant pas oublier que le cédant - comme le cédé - est tenu à différents titres (obligation générale de bonne foi notamment) d'informer correctement le cessionnaire. 28 - Au sujet du cédant, la question qui se pose est celle de savoir s'il est ou non libéré par l'effet de la cession. La clause de substitution ou la convention de cession peuvent préciser le sort du cédant : prévoir qu'il restera tenu à titre de co-débiteur ou de débiteur accessoire. A défaut, on doit considérer que, puisque le cessionnaire reprend la position contractuelle du cédant pour l'avenir, celui-ci, pour l'avenir également, prend la position de tiers qui était celle du cessionnaire. Il faut souligner que, de même que le cessionnaire ne devient pas partie au sens de l'art. 1165, de même le cédant ne devient pas tiers au sens habituel du terme. C'est lui qui a contracté ; c'est de la validité de son consentement lors de la formation du contrat que dépend, même après la cession, la validité du contrat. Mais il a quitté sa position contractuelle et se trouve donc déchargé des obligations à naître du contrat (48). 2 - Le régime des sûretés 29 - La cession de contrats assortis de sûretés peut susciter certaines difficultés (49). Parmi celles-ci, la question des effets sur le cautionnement du changement de débiteur principal nous intéresse plus particulièrement puisqu'elle motive les réserves d'une partie de la doctrine à l'égard de la cession conventionnelle de contrat. Certains auteurs considèrent en effet que le transfert du contrat implique que la caution qui garantit les dettes pesant sur le cédant est tenue de garantir les dettes du cessionnaire ; la cession conventionnelle de contrat imposerait donc à la caution de garantir un débiteur nouveau, qu'elle ne connaît peut-être pas (50). Il serait fâcheux que la cession conventionnelle de contrat produise de tels effets à l'égard de la caution qui est tiers à l'acte de cession ! Il nous semble que la cession conventionnelle de contrat n'entraîne pas une telle conséquence. Le changement de débiteur entraîne l'extinction du cautionnement : la caution reste tenue de garantir les dettes qui pèsent sur le cédant, mais ne garantit pas les dettes du cessionnaire - à moins bien sûr qu'elle n'y consente. Plusieurs arguments justifient cette solution. Tout d'abord il est évident que la considération de la personne du débiteur est essentielle pour le garant (51). Ensuite, s'agissant du cautionnement, l'objet de l'engagement de la caution est de garantir les dettes qui peuvent naître à la charge du débiteur principal dans le cadre du contrat, et non de garantir l'exécution du contrat indépendamment de la personne du débiteur principal. Enfin, le caractère accessoire du cautionnement interdisant que la caution soit tenue plus sévèrement que le débiteur principal, la libération de celui-ci pour l'avenir doit s'accompagner de la libération de la caution dans les mêmes conditions. Ces arguments ont conduit la jurisprudence à admettre que, à la suite d'une cession judiciaire de contrat, la caution n'est pas tenue de garantir les créances nouvelles nées du chef du repreneur (52). On ne voit pas ce qui justifierait une solution différente dans la cession conventionnelle de contrat. Conclusion 30 - La cession conventionnelle de contrat possède donc les qualités d'une institution juridique autonome. Elle est utile, puisqu'elle correspond, seule, à un besoin de la pratique, et elle s'intègre sans difficulté dans le régime du contrat. La reconnaissance de l'autonomie de la cession conventionnelle de contrat nous paraît s'imposer. A défaut, il faudrait tenter d'expliquer les conventions de cession de contrat et autres substitutions de

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personne, qui semblent de plus en plus fréquentes en pratique, comme des figures contractuelles créatrices d'un contrat nouveau. Certaines institutions juridiques - délégation, stipulation pour autrui notamment - ainsi que certaines notions connues et éprouvées seraient exagérément sollicitées (53). Et ce n'est qu'après avoir déformé jusqu'à l'excès des mécanismes et des notions connus que la cession conventionnelle de contrat obtiendrait la reconnaissance de son autonomie. Mais puisque c'est toujours ainsi que le droit progresse... (54). (1) La cession de contrat conventionnelle est volontaire ; elle s'oppose à la cession légale (qui est imposée par la loi, ex. : art. 35-1, al. 2, Décr. 30 sept. 1953 ; art. 1743, al. 1, c. civ. ; art. L. 121-10 c. assur. ; art. L. 121-12, al. 2, c. trav.) et à la cession judiciaire (art. 86, L. 85-98 du 25 janv. 1985) qui sont des cessions forcées, accessoires au transfert d'un bien ou d'une entreprise. (2) Selon ces auteurs le consentement du cédé ne serait nécessaire que pour les contrats conclus intuitu personae ou contenant une clause d'incessibilité : P. Malaurie et L. Aynès, Les obligations, 9e éd., Cujas, 1998, n° 778 s., spéc. 790 ; L. Aynès, La cession de contrat et les opérations juridiques à trois personnes, Economica, 1983, n° 330 s. ; Les clauses de circulation du contrat, in Les principales clauses des contrats conclus entre professionnels, PUAM, 1990, p. 131 s. ; L. Aynès, obs Cass. com., 7 janv. 1992, D. 1992, Somm. p. 278 ; C. Larroumet, La cession de contrat : une régression du droit français ?, Mélanges M. Cabrillac, 1999, p. 151 s. V. également, plus nuancé, mais regrettant l'exigence systématique d'un consentement du cédé, D. Mazeaud, Defrénois 1997, p. 977 s. (3) La convention de cession ne produit donc aucun effet à l'égard du cédé qui n'a pas consenti à l'opération ; la haute juridiction a récemment rappelé cette solution (Cass. com., 6 mai 1997, SA Hubert Rougeot c/SA GSM Côte d'Azur, Bull. civ. IV, n° 117 ; D. 1997, Jur. p. 588 , note M. Billiau et C. Jamin) et précisé que ce consentement peut être donné dans une stipulation du contrat cédé (Cass. com., 6 mai 1997, SA Gobet c/SA Pro Telcom, Bull. civ. IV, n° 118 ; D. 1997, Jur. p. 588 , note M. Billiau et C. Jamin). (4) Ex. : art. 1717 c. civ. ; l'art. 9 de la loi n° 89-462 du 6 juill. 1989 prévoit une possibilité d'échange de logements sans le consentement du cédé ; art. 1601-4, 1831-3, al. 1er, et 1994 c. civ. (5) J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, Traité de droit civil, Les effets du contrat, 1re éd., 1992, n° 1047 et s. ; 2e éd., 1994, n° 691 et s. ; C. Jamin, Cession de contrat et consentement du cédé, D. 1995, Chron. p. 131 ; M. Billiau, Cession de contrat ou « délégation » de contrat ?, JCP 1994, I, n° 3758 ; Cass. com., 6 mai 1997, préc., D. 1997, Jur. p. 588, note M. Billiau et C. Jamin ; C. Jamin et M. Billiau, Cession conventionnelle du contrat : la portée du consentement du cédé, D. 1998, Chron. p. 145 ; M. Billiau, Le point sur la cession conventionnelle de contrat, Petites affiches, 6 mai 1998, p. 46. - Les partisans de la cession conventionnelle de contrat considèrent généralement que l'exigence de consentement du cédé prive la cession conventionnelle de contrat de son autonomie, D. Mazeaud, Defrénois 1997, p. 977 s., spéc. n° 9, « la Cour condamne cette institution puisque l'exigence d'un consentement aboutit fatalement à la création d'un contrat nouveau » ; L. Aynès, Cession de contrat, Journal des agréés, 1999, p. 194, spéc. n° 15. Mais M. Aynès refuse cette exigence et propose une interprétation restrictive de la jurisprudence, qui n'exigerait qu'une simple autorisation du cédé, L. Aynès, La cession de contrat : nouvelles précisions sur le rôle du cédé, D 1998, Chron., p. 25 (pour une critique de cette interprétation, C. Jamin et M. Billiau, op. cit. D. 1998, Chron. p. 145, spéc. n° 3). (6) Ex : art. 78, al. 1, L. 1er sept. 1948 ; art. 8, L. n° 89-462, 6 juill. 1989. (7) Sur le fond, la notion de substitution de personne ne nous paraît pas distincte de celle de cession de contrat ; V. J.-L. Aubert, Y. Flour et E. Savaux, Les obligations, t. 3, Le rapport d'obligation, Armand Colin, 1999, n° 396, qui observent que « l'idée de substitution paraît être utilisée surtout comme référence à l'effet d'une cession autorisée par avance » (en italique dans le texte) ; V. également C. Nourissat, JCP éd. N, 1999, I, p. 874 s. Contra : V. not. E. Jeuland, Essai sur la substitution de personne dans un rapport d'obligation, LGDJ, 1999 ; Proposition de distinction entre la cession de contrat et la substitution de personne, D. 1998, Chron. p. 356 , pour cet auteur la substitution de personne dans un rapport d'obligation constituerait une notion juridique autonome. (8) V. not. J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, préc., n° 691 et s., spéc. n° 694, où les auteurs affirment que la cession conventionnelle de contrat conduirait à « déformer inutilement des principes juridiques acquis » ; C. Jamin, op. cit. D. 1995, Chron. p. 131 ; M. Billiau, Cession de contrat ou « délégation » de contrat ?, préc. (9) V. surtout A. Sériaux, Droit des obligations, 2e éd., PUF, 1998, n° 176. (10) J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, préc. n° 689 s. ; C. Jamin, JCP 1992, I, n° 3591, spéc. n° 21. (11) J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, préc., spéc. n° 691 ; logiquement, ces auteurs admettent l'existence des cessions de contrat légales, qui ne supposent pas le consentement du cédé (préc., n° 709), ainsi que des cessions volontaires autorisées par la loi sans le consentement du cédé, mais ils qualifient celles-ci de cessions légales (préc., n° 709 s.). Il peut sembler préférable de qualifier de cession conventionnelle toutes les cessions ayant pour origine une convention - même celles que la loi les rend possibles sans le consentement du cédé -, les cessions légales étant celles qui ont leur source dans la loi, en ce sens, J.-L. Aubert, Y. Flour et E. Savaux, préc., n° 406 et note 1, p. 251. (12) J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, préc., n° 691 et s., les auteurs affirment que le mécanisme qu'ils défendent préserve « l'utilité sociale qui s'attache à la cession de contrat » puisque « le cédant peut transférer la charge de ses obligations sur un tiers, le cessionnaire, et lorsque le cédé donne son accord à la cession, un nouveau contrat, identique à l'ancien mais liant deux parties nouvelles, prend forme sans qu'il soit besoin de négocier son contenu » (n° 693, en italique dans le texte). V. ég. C. Jamin, JCP 1992, I, n° 3591, n° 22 ; M. Billiau, Cession de contrat ou « délégation » de contrat ?, préc., spéc. n° 4. (13) Il faut observer que l'opération dénommée cession de contrat, qu'elle soit d'origine conventionnelle, légale ou judiciaire (V. supra, note n° 1), consiste en un transfert de la position contractuelle, une substitution de personne dans les liens du contrat et non, à proprement parler, en un transfert du contrat (en ce sens, J. M. Mousseron, Technique contractuelle, éd. F. Lefebvre, 2e éd. 1999, n° 488 et 489) ; V. ég. A. Sériaux, préc., mais l'auteur n'admet pas la substitution volontaire. La dénomination de cession de la position contractuelle, retenue notamment par le code civil portugais (art. 424 à 427, qui parlent de cession de posicao contratual) serait plus satisfaisante. (14) En ce sens, V. not., R. Juan, J.-Cl. Contrat distribution, Fasc. 95, Transfert d'obligations, n° 246 ; M.-L. Izorche, J.-Cl. Contrats Distribution, Fasc. 160, Circulation du contrat, n° 124 ; C. Larroumet, Les opérations juridiques à trois personnes, thèse,

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Bordeaux, 1968, n° 133, p. 137 ; C. Lachièze, Le régime des exceptions dans les opérations juridiques à trois personnes, thèse, Bordeaux, 1996, n° 713. (15) La qualité d'ayant cause du cessionnaire nous conduit à rejeter l'affirmation généralement admise selon laquelle il deviendrait partie au contrat ou contractant (V. not., P. Malaurie et L. Aynès, Les obligations, 9e éd., Cujas, 1998, n° 789). Il semble préférable d'énoncer que le cessionnaire est le successeur du cédant dans la position contractuelle de celui-ci puisqu'il ne devient pas rétroactivement celui qui a ab initio conclu le contrat ; cf. J.-L. Aubert, Les obligations, t. 1, L'acte juridique, éd. Armand Colin, 1998, n° 446 et 447. (16) Par application de l'art. 1165, la distinction des parties et des tiers s'opère au stade de la formation du contrat. M. Ghestin a proposé un renouvellement de la distinction des parties et des tiers qui pourrait s'opérer en cours d'exécution du contrat (V. J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, préc., n° 335 s. et les références citées) ; selon le nouveau critère proposé par M. Ghestin, le cessionnaire investi de la position contractuelle par l'effet d'une cession de contrat conventionnelle pourrait, nous semble-t-il, être qualifié de partie. (17) La cession de contrat opère un déplacement de l'effet relatif (en ce sens, J.-L. Aubert, L'acte juridique, préc., n° 447, p. 322). MM. Ghestin, Jamin et Billiau, préc., n° 709 s., décrivent l'effet produit par la cession légale de contrat comme une extension de la force obligatoire. (18) En ce sens : C. Jamin, JCP 1991, I, n° 3591, n° 17 s., spéc. 22. (19) D'une part, le contrat nouveau, dont le contenu a été déterminé par référence au contrat initial, pourrait être entaché de certains vices identiques à ceux qui entachaient le contrat initial. D'autre part, les parties au contrat nouveau pourraient subordonner la validité - ou l'exécution - de ce contrat à l'absence d'exceptions opposables entre le « cédé » et le « cédant » ; cette solution doit être exprimée dans le contrat nouveau ; elle ne saurait être déduite d'une simple référence au contrat initial, V. J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, préc. n° 701. (20) Ces exceptions, que nous qualifions de strictement personnelles, ne sont efficaces qu'au profit de la personne qui détient la qualité qui les fondent. Elles sont peu nombreuses ; l'art. 15 c. civ. fonde une exception de ce type au profit du ressortissant français ; V. C. Lachièze, thèse préc., spéc. n° 7 et n° 500 s. (21) V. C. Lachièze, thèse préc., n° 694, Le cédé et le cessionnaire pourront notamment invoquer les causes de nullité absolue de l'acte de cession. Pour une analyse différente, V. L. Aynès, thèse préc., n° 129, Les exceptions inhérentes à la convention de cession seraient inefficaces dans les relations cédé-cessionnaire. (22) La cession de contrat ne produit en soi aucun effet sur la durée du contrat. Toutefois la convention de cession peut prévoir une modification de certains éléments du contrat cédé, et notamment de la durée de ce contrat ; pour un exemple, V. Cass. com., 9 juin 1998, RJDA 1998, n° 1210, p. 905 ; RTD civ. 1999, p. 101, obs. J. Mestre , l'arrêt n'est cependant pas d'une parfaite clarté sur ce point. (23) M. Billiau, Cession de contrat ou... préc., n° 4 ; J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, préc. n° 695. (24) JCP 1992, II, n° 21922, 1re esp., note M. Billiau ; D. 1992, Jur. p. 481, note L. Aynès , la Cour de cassation a jugé que le délégué qui s'était engagé à rembourser une dette déterminée du délégant envers le délégataire « est seulement obligé au paiement de la dette du délégant envers le délégataire, et (...) se trouve déchargé de son obligation lorsque la créance de ce dernier est atteinte par la prescription ». (25) En ce sens : M. Billiau, note sous Cass. com., 25 févr. 1992, et Cass. 1re civ., 17 mars 1992, JCP 1992, II, n° 21922 ; J. Mestre, RTD civ. 1992, p. 765 ; P. Simler, J.-Cl. Civil, art. 1271 à 1281, Fasc. 40, n° 85 ; J. François, Les opérations juridiques triangulaires attributives, thèse, Paris II, 1994, n° 453, p. 455, l'auteur estime que « c'est la validité de la cession de dette que la Première chambre civile de la Cour de cassation a entendu consacrer ». (26) Cette analyse peut être discutée. Il est admis que la nouveauté de l'obligation du délégué n'exclut pas que celle-ci soit identique, par son objet, à l'obligation du délégant envers le délégataire ; tel est précisément le cas lorsque délégué s'est engagé pour ce que devait le délégant (V. not., F. Hubert, Essai d'une théorie de la délégation en droit français, thèse, Poitiers, 1899, spéc. n° 50 p. 31 où l'auteur écrit que l'obligation du délégué est « pour ainsi dire moulée sur l'obligation primitive qui a été prise pour point de départ » ; E. Gaudemet, étude sur le transport des dettes à titre particulier, thèse, Dijon, 1898, Paris, Rousseau, p. 241 s. ; L. Aynès, thèse préc., n° 58). Et l'identité d'objet explique que la prescription qui atteint la dette du délégant frappe également celle du délégué, en ce sens, V. not., D. Mazeaud, Defrénois 1997, p. 1002. L'auteur n'a pas manqué de souligner que cette solution est bien difficile à concilier avec le principe de l'inopposabilité des exceptions tel qu'il est traditionnellement compris (spéc. note 8 p. 1005) ; pour une tentative d'explication au moyen de concepts nouveaux, V. C. Lachièze, thèse préc., n° 254 s., spéc. n° 258. (27) Cass. com., 15 juin 1962, Bull. civ. III, n° 313. Le principe de survie de la loi ancienne peut cependant être écarté par une disposition de la loi nouvelle, mais le caractère d'ordre public de la loi nouvelle ne suffit pas pour entraîner l'application immédiate de cette loi aux effets à venir des contrats en cours : V. not., Cass. 3e civ., 1er juill. 1987, Bull. civ. III, n° 138 ; Cass. 1re civ., 17 mars 1998, Bull. civ. I, n° 115 ; RTD civ. 1999, p. 378, obs. J. Mestre . (28) L'art. 78, al. 1, de la loi de 1948 énonce que ce transfert n'est possible que si une clause du contrat l'autorise, ou avec l'accord écrit du bailleur. (29) Le cessionnaire bénéficie notamment du droit au maintien dans les lieux, conformément à l'art. 4, al. 2, de la loi de 1948 ; F. Magnin, J.-Cl. Civil, art. 1708 à 1762, Fasc. 335, n° 45. Le législateur, conscient de l'effet spécifique de la cession de contrat, a admis la majoration du loyer dans le cas où la faculté de cession est attribuée contractuellement au bailleur (art. 27, al. 2, L. 1er sept. 1948). (30) Cet aspect ne peut être négligé, au regard de la finalité sociale du droit ; cf. F. Gény, Science et technique en droit privé positif, Sirey, 1914-1924, pour Gény, bien souvent « la mission du juriste se ramène à résoudre les intérêts, qu'il doit accorder, en concepts d'un maniement assez aisé et assez souple, pour enfermer la vie sociale dans un cadre accomodé à sa complexité, à sa mobilité, à sa fluidité incessante » (t. I, p. 163 et 164 ; V. ég. pour le développement de cette idée, t. III, p. 175 à 257). (31) J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, préc., n° 691 s. ; C. Jamin et M. Billiau, note préc., D. 1997, Jur. p. 588, spéc. n° 10 ; C. Jamin, op. cit., D. 1995, Chron. p. 131 ; M. Billiau, Cession de contrat ou « délégation » de contrat ?, préc. V. ég. D. Mazeaud, note préc., Defrénois 1997, p. 977 s., spéc. n° 9. (32) C. Jamin et M. Billiau, note préc., spéc. n° 10, la cession de contrat serait « un mode original de formation d'un nouveau contrat » ; M. Billiau, Le point sur la cession conventionnelle de contrat, préc., spéc. n° 2.

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(33) La jurisprudence est ferme, en dépit des critiques doctrinales, depuis Cass. 3e civ., 15 déc. 1993, Bull. civ. III, n° 174 ; D. 1994, Jur. p. 507, note F. Bénac-Schmidt , Somm. p. 230, obs. O. Tournafond, et 1995, Somm. p. 87, obs ; L. Aynès ; V. le constat dressé - à regret - par D. Mazeaud, Defrénois 1996, p. 1371 s., spéc. p. 1372. (34) H. Lécuyer, Le contrat, acte de prévision, Mélanges François Terré, p. 643 s., spéc. p. 646-647. (35) L'offre du « cédé » peut très bien être postérieure à la formation du contrat, or l'effet du contrat est en principe indissociable de sa formation. Sur le caractère indissociable de l'effet du contrat et de sa formation, V. not. H. Lécuyer, Le contrat, acte de prévision, préc., spéc. p. 650, « on a quelque peine (...) à concevoir que la volonté puisse décrocher l'effet du contrat du moment de sa formation, alors que cet effet est le produit abstrait, immédiat et instantanné du contrat formé » ; V. ég. M. Fabre-Magnan, Le mythe de l'obligation de donner, RTD civ. 1996, p. 85 . (36) Les hauts magistrats ont d'abord mis en exergue le fait que le cédé ne participe pas à l'acte par lequel le cédé se substitue un tiers : « la société Pro-Telcom (cessionnaire) que la société Spie Trindel (cédant) s'était substituée »). Ils ont ensuite posé le principe que la substitution de personne est imposée au cédé par l'effet de la stipulation contractuelle de substitution - et non par la convention conclue entre le cédant et le cessionnaire - en énonçant que « se référant à la stipulation contractuelle de substitution (...) le tribunal a, justement, retenu que cette société ne pouvait s'opposer à son application ». Peut-on affirmer plus clairement que le cédé est tiers à l'acte réalisant la substitution ? Le principe que le cédé ayant consenti à la cession de façon anticipée est tiers à la convention de cession avait été affirmé antérieurement par certains auteurs (V. C. Jamin, op. cit., D. 1995, Chron. p. 131 s., spéc. p. 132, 2e col., cité infra note 38 ) et par la jurisprudence : Cass. 3e civ., 25 mars 1992, Bull. civ. III, n° 100 ; RTD civ. 1993, p. 155, obs. crit. J. Mestre . (37) C. Jamin, op. cit., D. 1995, Chron. p. 131 s., spéc. p. 132, 2e col., préc. L'auteur propose une explication qui n'emporte pas notre conviction : « dans la mesure où il (le cédé) y apporte ainsi son concours, il n'est pas tiers à la cession du contrat. Sa signification dans les termes de l'art. 1690 c. civ. n'est donc pas nécessaire. (...) En revanche, il devient un tiers au contrat de cession car il se borne à en autoriser au préalable la conclusion entre le cédant et le cessionnaire ». En réalité, selon la conception qui voit dans la cession conventionnelle de contrat un mode de formation d'un contrat nouveau, le cédé est nécessairement partie à la convention de cession (en ce sens, C. Jamin et M. Billiau, op. cit., D. 1998, Chron. p. 145, n° 1). (38) Dans le cas contraire, toute cession de contrat, qu'elle soit légale, judiciaire ou conventionnelle, serait impossible. (39) Pour un exemple de cession réalisée par une convention tripartite, V. Cass. com., 9 juin 1998, préc. (40) Cf. supra, n° 20 et note 36. (41) La question se pose de savoir si le consentement anticipé du cédé s'épuise en une seule cession, ou s'il autorise chaque titulaire de la position du cédant à se substituer unilatéralement un tiers. Les parties peuvent valablement exprimer leur volonté sur ce point ; à défaut, la possibilité de cession unilatérale doit nous semble-t-il être considérée comme un attribut de la position contractuelle, et peut donc être exercée par chacun des titulaires de celle-ci. Contra : C. Jamin et M. Billiau, note préc., spéc. n° 9. (42) SA Gobet c/ SA Pro-telcom, préc. (43) V. P. Malaurie et L. Aynès, préc., n° 791 ; J.-L. Aubert, Le contrat, Dalloz, 1996, coll. Connaissance du droit, p. 121 s. (44) V. not. A. Ghozi, La modification de l'obligation par la volonté des parties, thèse, LGDJ 1980, n° 14 et 15. (45) L'art. 34 du décret du 30 sept. 1953 permet au preneur d'imposer une modification au bailleur, en l'autorisant à adjoindre au bail des activités connexes ou complémentaires, V. H. Lécuyer, La modification unilatérale du contrat, in L'unilatéralisme et le droit des obligations, Economica, coll. Etudes juridiques, p. 47 et s. (46) Préc. L'arrêt affirme que le cédé qui a consenti à la cession dans une clause de substitution ne prévoyant ni agrément ni information ne peut s'opposer à l'application de cette clause ; cela revient à dire que la cession s'impose au cédé dès lors qu'il en a connaissance. (47) V. C. Jamin et M. Billiau, op. cit., D. 1998, Chron. p. 145. (48) Cependant, lorsque la cession conventionnelle est permise par la loi sans le consentement du cédé, le cédant doit répondre de celui qu'il s'est substitué et garantir l'exécution du contrat par celui-ci. Cette solution, prévue à l'art. 1994 c. civ. dans le cas de cession de la position de mandataire, nous semble être une application logique du principe de responsabilité (en ce sens, L. Aynès, thèse péc., n° 231). Il ne serait pas illogique, nous semble-t-il, d'appliquer ce principe lorsque le cédé a consenti par avance à la cession, sans se réserver la possibilité d'en contrôler les modalités. (49) V. en dernier lieu les difficultés suscitées par le sort de la caution du locataire en cas de vente de l'immeuble loué, Cass. com., 26 oct. 1999, D. 2000, Jur. p. 224 , note L. Aynès, et C. Larroumet, L'acquéreur de l'immeuble loué et la caution du locataire, D. 2000, Chron. p. 155 . (50) En ce sens, C. Jamin et M. Billiau, op. cit., D. 1998, Chron p. 145 ; H., L. et J. Mazeaud par F. Chabas, 9e éd., 1998, n° 1283, spéc. note 20. (51) V. not. P. Malaurie et L. Aynès, Les sûretés, La publicité foncière, Cujas, 8e éd., 1998, n° 275 ; cf. R. Saleilles, De la cession de dettes, annales de droit commercial français, étranger et internationnal, 1890, Doctr. p. 1 s., spéc. n° 25, où l'auteur écrit que « les garanties personnelles, telles que les cautions, sont censées avoir été fournies, moins en considération de la dette que de la personne du débiteur, si bien qu'elle disparaissent lorsque la personne disparaît ». (52) Cass. com., 12 oct. 1993, Bull. civ. IV, n° 333 ; D. 1994, Jur. p. 353, note O. Playoust ; JCP 1994, I, n° 3759, obs. M. Cabrillac et P. Pétel ; V. ég. Cass. com., 21 nov. 1995, Bull. civ. IV, n° 267 ; D. 1996, Somm. p. 336, obs. L. Aynès, et 1997, Somm. p. 5, obs. F. Derrida , l'arrêt décide qu'à la suite d'une cession judiciaire d'un crédit-bail en vertu de l'art. 86 de la loi du 25 janv. 1985, si la caution reste garante des loyers échus antérieurement à la cession, nés du chef du débiteur cédant, elle ne garantit pas les loyers postérieurs dus par le cessionnaire, dont elle n'a pas garanti les obligations. (53) En témoignent les difficultés rencontrées par MM. Jamin et Billiau pour analyser la situation juridique du cédé qui consent par avance à la cession, V. supra, n° 20. (54) P. Malaurie, Théorie générale des obligations, Deug 2e année, 1980, Les Cours du droit, p. 368, où l'auteur expose les analyses qui ont été tentées pour expliquer la stipulation pour autrui au moyen d'institutions connues : « Deux analyses, surtout, ont été tentées, l'une partant de l'offre, l'autre de la gestion d'affaires, c'est-à-dire qu'elles ont utilisé des institutions connues, pour justifier ce qui était inconnu et c'est toujours ainsi que le droit progresse ». V. ég. L. Aynès, thèse, préc., p. 17.

� Ch. LARROUMET, La descente aux enfers de la cession de contrat, D. 2002, p. 1555

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Depuis cinq ans environ, encore qu'il ait pu y avoir quelques précédents dans la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation a décidé d'instaurer un régime juridique de la cession de contrat qui est loin de faire l'unanimité parce que non seulement, d'un point de vue pratique, il alourdit considérablement les conditions de réalisation de cette opération, mais encore il manifeste un retour à une conception personnaliste du rapport d'obligation dont on pouvait penser qu'elle avait laissé la place à une conception beaucoup plus patrimoniale. Passe encore que, par deux arrêts rendus en 1997 (1), la Chambre commerciale de la Cour de cassation ait décidé, d'abord, que la cession de contrat suppose le consentement du cocontractant cédé et, ensuite, que lorsque ce consentement a été donné préalablement dans une stipulation appropriée du contrat cédé, il n'est pas nécessaire d'informer le cédé de la réalisation effective de la cession. L'exigence du consentement du cédé alourdit inutilement la réalisation de la cession, sans compter les lenteurs judiciaires pour vaincre un refus qui ne serait pas légitime. Seuls les contrats qui seraient conclus intuitu personae dans l'intérêt du cédé ne devraient pouvoir faire l'objet d'une cession qu'avec le consentement de celui-ci. Quant à l'absence d'obligation d'informer le cédé lorsqu'il a consenti préalablement à la cession, elle peut être lourde de conséquences pour le cédé qui ignorera qu'il a changé de cocontractant. En d'autres termes, dès lors que le cédé ne perd pas son débiteur initial tant qu'il ne l'a pas déchargé, il est inutile d'exiger son consentement à une cession du contrat, alors qu'il serait très utile de l'informer de l'existence de cette cession. La Cour de cassation a malencontreusement fait exactement le contraire. C'est contestable, mais cela ne dénature pas l'opération de cession qui, au-delà des exigences de la Cour suprême, peut être encore conçue comme une succession à titre particulier au rapport d'obligation. En effet, ce qui caractérise la cession de contrat, exactement de la même façon que la cession de créance, c'est qu'elle réalise effectivement une succession dans le rapport d'obligation issu du contrat cédé. Le cessionnaire prend la place du cédant dans ce rapport, de la même façon que l'héritier prend la place du défunt dans les contrats que celui-ci a pu conclure. Certes, dans la seconde hypothèse, la succession est à titre universel, tandis qu'elle est à titre particulier dans la première. Cependant, du point de vue conceptuel, cela n'a aucune importance. Ce qui est essentiel, c'est que le cessionnaire du contrat soit l'ayant cause du cédant. La cession de contrat n'atteint la plénitude de ses effets que par l'accomplissement de deux exigences. D'une part, il faut que le cessionnaire soit lié au cocontractant cédé et, d'autre part, il faut que le cédant soit libéré de ses obligations envers le cédé. En ce qui concerne le premier point, il n'est nullement nécessaire d'exiger le consentement du cédé soit pour permettre l'opération (2), soit pour la réaliser effectivement. La position contractuelle ou, si l'on préfère, les droits et les obligations résultant du contrat sont des choses qui sont dans le commerce et peuvent faire, par conséquent, l'objet d'un contrat de cession. En revanche, en ce qui concerne le second point, la libération du cédant, il est évident que celle-ci ne peut intervenir sans le consentement du cédé. Le créancier ne peut perdre son débiteur sans y consentir, cela serait contraire à l'article 1134 du code civil. En d'autres termes, si le consentement du cédé est indispensable pour dégager le cédant de ses obligations issues du contrat cédé, ce consentement n'est nullement nécessaire pour faire entrer le cessionnaire dans le rapport contractuel cédé. Cependant, il n'en résulte pas pour autant que si le cédé refuse de libérer le cédant, la cession du contrat est dépourvue d'effet. Le cessionnaire peut parfaitement entrer dans le contrat sans que le cédant en sorte. Il y aura, en ce cas, une cession imparfaite, par opposition à la cession parfaite, laquelle suppose la libération du cédant (3). Par un arrêt de la troisième Chambre civile du 12 décembre 2001 (4) la Cour de cassation, allant au-delà de sa déjà contestable jurisprudence de 1997, a dénaturé totalement la cession de contrat. Il s'agissait d'un contrat conclu entre un maître de l'ouvrage et des architectes pour la réalisation d'un projet de construction d'un ensemble immobilier. Une clause du contrat autorisait le maître de l'ouvrage à se substituer un tiers dans l'exécution de ses obligations. En d'autres termes, on était en présence d'une clause autorisant préalablement la cession du contrat. Le contrat fut effectivement cédé par le maître de l'ouvrage. Le projet de construction n'ayant pu être mené à bien alors que les architectes y avaient travaillé, ils ont demandé un complément d'honoraires au maître de l'ouvrage initial. La cour d'appel n'a pas fait droit à cette demande aux motifs que le contrat avait été cédé en application de la clause qui

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autorisait la cession. En d'autres termes, pour la cour d'appel, les cocontractants cédés devaient s'adresser au cessionnaire du contrat pour obtenir le paiement de leurs honoraires. La Cour de cassation a censuré les juges d'appel en considérant que « la seule acceptation par le créancier de la substitution d'un nouveau débiteur au premier, même si elle n'est assortie d'aucune réserve, n'implique pas, en l'absence de déclaration expresse, qu'il ait entendu décharger le débiteur originaire de sa dette ». Si la Cour de cassation s'en était tenue à cette seule motivation, il n'y aurait eu rien à dire. En effet, en l'absence de libération du cédant par le cédé, on aurait été en présence d'une cession imparfaite de contrat, le cessionnaire étant entré dans le contrat. Cependant, la Cour de cassation ne s'en est malheureusement pas tenue là. Elle a cassé l'arrêt de la cour d'appel au visa de l'article 1275 du code civil, en reprenant dans l'arrêt la formule même de cet article, qui est le siège de la délégation de créance. Or, la délégation n'a strictement rien à voir avec la cession de contrat, tout simplement parce qu'elle crée à la charge du délégué un engagement nouveau au profit du délégataire et qui, lorsqu'elle est imparfaite, vient se superposer à l'engagement du délégant envers le délégataire, tandis que, lorsqu'il s'agit d'une cession de contrat, le cessionnaire entre dans le rapport contractuel conclu entre le cédant et le cédé, ce qui veut dire qu'il est tenu de l'obligation même du cédant et qu'il ne peut donc s'agir d'un engagement nouveau. En d'autres termes, la délégation ne permet pas de réaliser une succession à titre particulier au rapport d'obligation (5). C'est une hérésie de voir dans la cession de contrat une application de la délégation, qu'elle soit parfaite ou imparfaite. Il est affligeant [regrettable] de constater que la Cour de cassation dénature une opération simple en lui appliquant des textes qui ne sont pas faits pour elle et cela d'autant plus qu'il était parfaitement inutile de se fonder sur l'article 1275 du code civil pour faire du consentement du cédé une condition nécessaire de la libération du cédant. Le principe général du droit selon lequel un débiteur ne peut pas être déchargé envers son créancier sans le consentement de celui-ci était suffisant. Au demeurant, ce principe est implicitement contenu dans l'article 1134 du code civil car ce serait, à l'évidence, une méconnaissance du respect dû à la parole donné que de se libérer de son obligation sans le consentement du créancier. (1) Cass. com., 6 mai 1997, D. 1997, Jur. p. 588 , note Jamin et Billiau ; Défrénois 1998, p. 977, obs. Mazeaud. (2) Sauf, bien entendu, l'hypothèse du contrat intuitu personae. (3) Cf. Marty, Raynaud et Jestaz, Droit civil, Les obligations, 2e éd., t. 2, n° 405 et 406. (4) D. 2002, Jur. p. 984 , note Jamin et Billiau. (5) Voir Aynès, Cession de contrat : nouvelles précisions sur le rôle du cédé, D. 1998, Chron. p. 25, n° 2 à 5 .

� E. JEULAND, Proposition de distinction entre la cession de contrat et la substitution de

personne, D. 1998 p. 356 La Cour de cassation a rendu dans quatre domaines différents des décisions qui peuvent paraître difficilement compatibles. Elle a tout d'abord par deux arrêts du 6 mai 1997 admis que la cession de contrat conventionnelle était possible à condition que le cédé ait donné son accord et en n'employant que le terme de substitution (1) ; elle a par ailleurs confirmé dans un arrêt du 19 mars 1997 que la substitution du bénéficiaire d'une promesse unilatérale de contrat n'était pas une cession alors que pour plusieurs auteurs il s'agit d'une hypothèse de cession de contrat (2). La Cour de cassation a également affirmé dans un arrêt du 14 oct. 1997 qu'en matière de substitution de mandataire, le mandataire substitué pouvait ignorer l'existence du mandant originaire (3) ; cette solution s'ajoute à une jurisprudence qui n'impose pas que le mandant soit informé de la substitution (4). Or il avait également été suggéré que la substitution de mandataire puisse être une cession de contrat (5). Il apparaît cependant que la substitution de mandataire ne nécessite pas que chaque partie extrême connaisse l'existence de la substitution ni a fortiori que le mandant donne son accord contrairement à la cession de contrat. Enfin la Cour de cassation a refusé, alors qu'elle admet la substitution de personne dans les hypothèses précédentes, de décider qu'en cas de non-respect d'un pacte de préférence l'acquéreur est remplacé par le bénéficiaire du pacte (6). Ces décisions se justifient et se discutent chacune dans leur domaine mais si on les place les unes à côté des autres, elles peuvent paraître contradictoires : la Cour admet la cession de contrat dans certains cas mais pas dans d'autres. Elle indique par ailleurs qu'il faut le consentement de toutes les parties, alors qu'elle dit en matière de substitution de mandataire que les parties peuvent ignorer la substitution. Enfin elle admet la substitution de personne dans certains cas mais pas en matière de pacte de préférence.

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Ces solutions deviendraient compatibles si l'on admettait qu'il ne s'agit pas dans chaque hypothèse d'une opération identique et en particulier si l'on distinguait la notion de cession de contrat et la notion de substitution de personne. Il paraît en effet possible, comme le suggérait Louis Boyer, de rapprocher la substitution du bénéficiaire d'une promesse unilatérale de la substitution de mandataire (7). Ces deux opérations entreraient toutes les deux dans la catégorie de la substitution de personne ; connaissant mieux la substitution de personne il serait plus facile de l'admettre en matière de pacte de préférence ; le terme de cession de contrat aurait quant à lui une acception propre. La notion de substitution de personne a, autrement dit, des répercussions sur la notion de cession de contrat puisque, en délimitant la substitution (I), on est conduit à préciser ce que peut être la cession de contrat (II). I. La délimitation de la substitution de personne Le rapprochement de la substitution du bénéficiaire d'une promesse unilatérale de contrat et de la substitution de mandataire permet de dégager la notion plus générale de substitution de personne dans un rapport d'obligation et de délimiter le domaine de cette notion. a) La notion de substitution de personne Il résulte de l'étude (8) des différentes hypothèses de substitution de personne qu'il existe une notion générale que l'on peut définir de la manière suivante : la substitution de personne est l'opération par laquelle une personne, le substitué, met en oeuvre une obligation née entre deux autres personnes, le substituant et une personne qui n'est pas modifiée, l'insubstitué, sans que le substituant ne disparaisse entièrement du rapport juridique et de telle sorte que le substitué et l'insubstitué soient directement liés entre eux (9). Dans la substitution du bénéficiaire d'une promesse unilatérale, le substituant est maintenu dans le rapport juridique en tant que partie « dormante ». Si le substitué ne lève pas l'option, il poura retrouver la faculté de bénéficier de la promesse (10). Il ne disparaît donc pas entièrement du rapport juridique et il y a un lien direct entre le promettant et le bénéficiaire substitué. En matière de substitution de mandataire, le substituant ne disparaît pas entièrement du rapport juridique puisque l'art. 1994 indique que « le mandataire répond de celui qu'il s'est substitué dans la gestion ». Il y a également un lien direct entre le mandant et le mandataire substitué qui leur permet d'agir contractuellement l'un contre l'autre. Certains y ont vu des actions directes réciproques (11) ; mais l'on peut se ranger aux côtés d'une partie de la doctrine qui considère, en conformité avec les travaux préparatoires, que ce sont les actions nées du mandat qui sont exercées par les parties extrêmes (12). Le maintien du substituant ne rend pas nécessaire l'information du mandant de la substitution ni même l'information du mandataire substitué de l'existence d'un mandant originaire. L'accord du mandant n'est donc pas a fortiori nécessaire. La notion de substitution de personne semble donc avoir des traits qui la distingue de la cession de contrat. On peut se demander pourquoi dans certains cas on met en oeuvre une substitution de personne et dans d'autres une cession de contrat. Le domaine de la substitution de personne est en réalité spécifique. b) Le domaine de la substitution de personne La substitution de personne n'est pas une opération translative d'obligation. Il n'y a pas en effet continuation entre deux personnes dans un rapport contractuel puisque le substituant ne disparaît pas entièrement. On peut parler d'opération déclarative dans la mesure où il s'agit d'un « acte qui permet à un droit préexistant mais inefficace de produire dans l'avenir tous ses effets » (13). Le droit ou l'obligation en cause dans une substitution de personne est préexistant mais inefficace dans la mesure où une partie ne peut ou ne veut le mettre en oeuvre ; la substitution permet de lui redonner un effet (14). Une substitution de personne pourrait donc être réalisée lorsqu'une véritable transmission des droits et des obligations est impossible. Il n'est dès lors pas surprenant de relever des cas de substitution de personne à propos des contrats conclus intuitu personae : la substitution de mandataire, la substitution du bénéficiaire d'une promesse unilatérale voire la substitution de caution (15).

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La cession d'un contrat conclu intuitu personae ne semble pourtant pas impossible si le cédé donne son accord (16). Il faut donc préciser un peu plus le domaine de la substitution de personne. Il apparaît que la substitution de personne a le plus souvent lieu dans un pouvoir au sens large, c'est-à-dire soit dans un droit-fonction (c'est-à-dire le pouvoir qui naît du contrat de mandat) soit dans un droit potestatif. Le droit potestatif est la prérogative qui permet de créer, de modifier ou d'éteindre un droit préexistant (17). Entrent notamment dans cette catégorie la promesse unilatérale et l'action en justice (18). En somme la notion de substitution de personne a vocation à opérer le remplacement d'une personne par une autre dans un pouvoir. La substitution d'acquéreur en cas de non-respect d'un pacte de préférence correspondrait à la notion et au domaine de la substitution de personne. Un pouvoir est en cause, celui qui est créé par le pacte de préférence en faveur d'un bénéficiaire. Si une personne achète le bien proposé sans respecter le pacte de préférence, elle se substitue au bénéficiaire du pacte, elle est le substitué et le bénéficiaire originaire le substituant. La substitution de contractant qui était demandée par le substituant dans l'arrêt du 30 avr. 1997 est donc une seconde substitution de personne qui serait destinée à effacer la première. Il n'y aurait pas un nouveau contrat de vente mais une substitution dans ce contrat (19). Ayant délimité la notion de substitution de personne il devient possible de préciser les contours de la cession de contrat. II. Des précisions concernant la cession de contrat La cession de contrat a déjà donné lieu à un débat important aussi bien sur son existence, sur ses conditions que sur ses effets et il ne s'agit pas ici de reprendre cette discussion (20) ; il s'agit simplement de tirer les conséquences de l'émergence de la notion de substitution de personne sur la notion de cession de contrat et de dégager les intérêts de la distinction entre la substitution de personne et la cession de contrat. a) Les conséquences de l'émergence de la notion de substitution de personne sur la notion de cession de contrat Il faut tout d'abord écarter la position qui consiste à ne voir dans les domaines examinés ci-dessus que des hypothèses de substitution. Cette conception large de la substitution de contractant qui semble être celle de la Cour de cassation puisqu'elle n'emploie que ce terme est également celle de M. Sériaux (21). Mais elle ne permet pas de distinguer les différentes opérations étudiées et génère donc une confusion. De plus elle ne correspond pas à la définition que l'on a essayé de dégager de la substitution de personne. Celle-ci implique en effet contrairement à la cession le maintien du substituant. Il faut au contraire si l'on retient une définition stricte de la substitution de personne reconnaître que la cession de contrat est une notion autonome. Le fait que la Cour de cassation emploie le terme de substitution dans les arrêts concernant la cession de contrat ne doit pas induire en erreur, elle emploie également ce terme dans d'autres domaines comme par exemple récemment le paiement pour autrui (22). L'émergence de la notion de substitution de personne conduit à préciser le particularisme de la cession de contrat qui est la continuation du cédant par le cessionnaire et donc la disparition totale du cédant du rapport juridique (hormis les hypothèses de clause de garantie). L'opération semble donc très proche d'une opération translative contrairement à la substitution. MM. Jamin et Billiau affirment cependant qu'il ne s'agit pas d'une opération translative en relevant que l'accord du cédé est constitutif d'un nouveau contrat (23). Sans entrer dans ce riche débat on peut noter que le caractère translatif de la cession de contrat correspond à la volonté des parties. Elles n'entendent pas en effet renégocier mais simplement transférer leur contrat (24). L'inconvénient est que les sûretés seraient transmises avec le contrat ce qui peut être, comme l'ont souligné MM. Jamin et Billiau, dangereux pour une caution (25). En réalité il n'y a pas d'inconvénient à ce que les sûretés attachées à la dette du cédé soient transmises puisque la personne dont la dette est garantie reste le cédé, au contraire cette solution renforce l'intérêt de la cession. Il est plus gênant en revanche que les sûretés attachées à la personne du cédant soient

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transmises puisque le cédant disparaît du rapport juridique. Le problème est similaire dans l'hypothèse où les parts d'une société sont transmises et où le gérant de la société qui les a vendues reste caution de cette société. Les parties organisent fréquemment dans ce cas une substitution de caution à côté de la cession de parts sociales. La nature de cette substitution est encore incertaine (26). On peut proposer la qualification de substitution de personne dans la mesure où elle crée un lien direct entre le créancier et la caution substituée sans, semble-t-il, que la caution substituante ne disparaisse entièrement du rapport juridique (27). La cession de contrat entraînerait donc contrairement à la substitution de personne la disparition du cédant. La distinction entre les deux notions permet notamment d'éclairer les solutions de la Cour de cassation. b) Les intérêts de la distinction entre la substitution de personne et la cession de contrat La distinction entre les notions de substitution de personne et de cession de contrat permettrait d'expliquer des solutions jurisprudentielles qui paraissent sinon incompatibles. La substitution du bénéficiaire d'une promesse unilatérale de contrat serait une substitution et non pas une hypothèse de cession. La position de la Cour de cassation serait ainsi expliquée. Les conditions d'une cession n'auraient donc pas à être remplies (notamment l'application de l'art. 1840 A CGI et les formalités de l'art. 1690). La substitution de mandataire ne serait pas non plus une cession de contrat, l'information de la substitution et l'accord des parties ne seraient donc pas nécessaires. Enfin une substitution d'acquéreur serait possible en cas de violation d'un pacte de préférence car une substitution non autorisée aurait été réalisée dans le bénéfice du pacte de préférence, une substitution inverse permettrait de mettre chacun à la place qui aurait du être la sienne lorsque le vendeur a décidé de vendre. La distinction proposée permettrait également de rendre compte des différences de rédaction des clauses dites de substitution. Les clauses de substitution sont neutres, elles peuvent recevoir des qualifications aussi diverses que celles de cession, de stipulation pour autrui (28) ou de mandat (29). Ces différentes qualifications peuvent s'expliquer par des différences dans leur mise en oeuvre (30) ou par des différences de rédaction. L'exemple du contrat de concession Eurotunnel illustre cette idée. L'art. 32 de ce contrat prévoit une possibilité de substitution (31) du concessionnaire en cas de défaillance de celui-ci par des entités contrôlées par les prêteurs qui ne doit durer que jusqu'au paiement des dettes (art. 32.1.6) alors que l'art. 31 stipule : « chacun des concessionnaires a la faculté (...) de transférer la présente concession ou les droits qu'elle lui confère, avec l'accord des concédants, à une entité quelconque ». Il y a dans l'esprit des parties deux mécanismes différents, la différence tient au fait que dans un cas il y a un remplacement provisoire d'une partie par une autre alors que dans l'autre il y a une continuation de personne. La distinction entre les notions de substitution de personne et de cession de contrat permet de rendre compte de la volonté des parties mais aussi de leur éviter une hésitation comme cela a apparemment été le cas dans l'affaire qui a donné lieu à un des arrêts du 6 mai 1997 puisque les parties avaient indiqué que l'une d'elles pouvait « librement céder... les droits et obligations issus du présent contrat ou substituer toute société de son choix dans le bénéfice des droits et la charge des obligations en résultant » (32). D'un point de vue théorique enfin, la distinction proposée rendrait compte de l'idée selon laquelle la personne n'est pas fongible et qu'elle est en principe insubstituable (33). Seule une substitution provisoire qui laisse le substituant en sommeil paraît envisageable (34). Il faut sinon, si l'on souhaite remplacer une personne par une autre dans un contrat, soit considérer le contrat comme un bien qui, à ce titre, peut être transmis à un tiers (35), soit conclure un nouveau contrat. (1) Cass. com., 6 mai 1997, Bull. civ. IV, n° 117 et 118 ; D. 1997, Jur. p. 588, note M. Billiau et C. Jamin ; D. 1998, Somm. p. 136, obs. H. Le Nabasque ; Defrénois 1997, art. 36633, p. 976, note D. Mazeaud ; RTD civ. 1997, p. 936, obs. J. Mestre ; L. Aynès, Cession de contrat : nouvelles précisions sur le rôle du cédé, D. 1998, Chron. p. 25 ; M. Billiau et C. Jamin, Cession conventionnelle du contrat : la portée du consentement du cédé, D. 1998, Chron. p. 145 ; M. Billiau, Le point sur la cession conventionnelle du contrat, Petites affiches, 6 mai 1998, p. 46. (2) Cass. 3e civ., 19 mars 1997, Bull. civ. III, n° 68 ; JCP 1997, I, n° 4030, obs. M. Billiau ; D. 1997, Somm. p. 341, obs. P. Brun ; les auteurs favorables à la qualification de cession sont P. Rémy, obs. sous Cass. 3e civ., 1er avr. 1987, RTD civ. 1987, p. 777, et L. Aynès, note sous même arrêt, D. 1987, Jur. p. 453 ; V. également M. Billiau, art. préc., Petites affiches, 6 mai 1998, l'auteur considère que les solutions concernant la cession de contrat et celles relatives à la substitution du bénéficiaire d'une promesse unilatérale sont incompatibles. (3) Cass. com., 14 oct. 1997, D. 1998, Jur. p. 115, rapport J.-P. Rémery ; D. 1998, Somm. p. 112, obs. P. Delebecque ; JCP 1998, I,

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n° 113, obs. C. Jamin. (4) Cass. com., 5 oct. 1993, Bull. civ. IV, n° 320 ; D. 1995, Jur. p. 169, note F. Auckenthaler . (5) Auckenthaler, ibid. (6) Cass. 3e civ., 30 avr. 1997, JCP 1997, II, n° 22963, note B. Thuillier ; D. 1997, Jur. p. 475, note D. Mazeaud ; RTD civ. 1998, p. 98, obs. J. Mestre ; C. Atias, La substitution judiciaire du bénéficiaire d'un pacte de préférence à l'acquéreur de mauvaise foi, D. 1998, Chron. p. 203 . (7) L. Boyer, Clause de substitution et promesse unilatérale de vente, JCP 1987, I, n° 3310 ; V. dans le même sens, M. Behar- Touchais, Retour sur la clause de substitution, Mélanges Louis Boyer, Presses de l'Université des sciences sociales de Toulouse, 1996, p. 85. (8) La notion de substitution de personne peut être dégagée à l'aide également de mécanismes tels que la substitution du bénéficiaire d'une assurance-vie, la substitution fidéi-commissaire, la substitution de commissionnaire et également l'action oblique et l'action ut singuli, V. pour l'argumentation complète notre thèse, Essai sur la substitution de personne dans un rapport d'obligation, Rennes, 1996, sous la dir. de L. Cadiet, compte rendu E. P., RTD civ. 1997, p. 1039. (9) Notre thèse, op. cit., p. 161, dans le choix du nom des parties, nous sommes revenus à la présentation la plus courante qui distingue le substituant et le substitué tout en conservant le terme d'insubstitué pour la partie qui n'est pas modifiée dans le rapport juridique. (10) Cass. 3e civ., 27 avr. 1988, D. 1989, Jur. p. 65, note I. Najjar. (11) C. Jamin, préc. (12) Notre thèse, op. cit., p. 75, n° 79, et p. 144, n° 159. (13) R. Merle, Essai de contribution à la théorie générale de l'acte déclaratif, thèse, Toulouse, 1947, p. 254. (14) Notre thèse, op. cit., p. 117 s., n° 125 s. (15) Pour un exemple récent de substitution de caution : Cass. com., 7 oct. 1997, Bull. civ. IV, n° 248. (16) Cass. com., 7 janv. 1992, RTD civ. 1992, p. 762, obs. J. Mestre ; D. 1992, Somm. p. 278, obs. L. Aynès . (17) I. Najjar, Le droit d'option, contribution à l'étude du droit potestatif, LGDJ, 1967, n° 99, p. 102. (18) Comme exemple de substitution de personne dans l'action en justice on peut citer l'action oblique et l'action ut singuli. V. notre thèse, p. 36 s., n° 36 s. (19) C'est la position de C. Atias, article préc. (20) V. pour les discussions les plus récentes les références sous la note 1. (21) Droit des obligations, PUF, 2e éd., 1998, n° 180, p. 656. (22) Cass. com., 1er avr. 1997, Bull. civ. IV, n° 90 ; D. 1997, IR p. 102 . (23) Article préc. (24) C'est la position de L. Aynès, article préc. (25) Article préc. (26) V. notre thèse, op. cit., n° 55, 62, 80, 110 et les décisions de cour d'appel citées sur ce sujet, les qualifications de novation, de délégation imparfaite et de cession de contrat ont été proposées (Cass. com., 11 mai 1993, JCP 1994, II, n° 22188, note P. Delebecque). (27) Cass. com., 11 mai 1993, préc. ; CA Versailles, 2 juill. 1992, Juris-Data, n° 045049, la caution substituante a été poursuivie car la caution substituée n'avait pas réitéré son engagement. (28) Cass. 3e civ., 2 juill. 1969, D. 1970, Jur. p. 150, note J.-L. Aubert ; V. également J. Ghestin, La nature juridique de la faculté de substitution stipulée dans une promesse de vente, Petites affiches, 30 oct. 1987, n° 130, p. 13. (29) Najjar, note sous Cass. 3e civ., 17 avr. 1984, D. 1985, Jur. p. 234. (30) V. notre thèse, op. cit., n° 34, p. 32 s. (31) Cette clause a failli être mise en oeuvre, V. La Tribune Desfossés, vendredi 28 juin 1996, p. 3. (32) Préc. (33) P. Ricoeur, Soi-même comme un autre, Seuil, 1990, p. 225 et 226. (34) E. Lévinas parlait à propos de la substitution de personne « d'escapade » in Autrement qu'être ou au-delà de l'essence, Le livre de poche, 1990, p. 182. (35) V. une critique de la patrimonialisation du contrat par C. Jamin, in Pour en finir avec la formation du contrat !, Petites affiches, 6 mai 1998, p. 25.

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SEANCE 20 LA PRATIQUE DU DROIT DES OBLIGATIONS

Révision – Correction du partiel