Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

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  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    1/46

    Denise Detragiache

    Un aspect de la politique démographique de l'Italie fasciste : la

    répression de l'avortementIn: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 92, N°2. 1980. pp. 691-735.

    Résumé

    Denise Detragiache, Un aspect de la politique démographique de l'Italie fasciste. La répression de l'avortement, p. 691-735.

    La répression de l'avortement, élément essentiel de la politique démographique du fascisme italien, est étudiée ici sous l'empiredu code Rocco, expression la plus achevée des intentions du régime en la matière.

    L'objet de cette répression - l'avortement juridiquement sanctionné - est précisé dans ses contours, et situé dans le cadre du

    phénomène sociologique dont il n'est qu'un aspect.

    Quant à la répression elle-même, le régime soulignait - pour la déplorer -l'indulgence de la magistrature du ventennio à l'égard de

    cette infraction particulière. Une analyse plus poussée permet d'affirmer que certains magistrats furent nettement plus indulgents

    que d'autres. Mais tous ne s'attirèrent pas les foudres - d'ailleurs impuissantes - du régime : seuls les juges de la Cour d'appel de

    Turin eurent ce privilège. Leur opposition systématique à cet aspect de la politique démographique du Pouvoir avait été reconnue

    pour ce qu'elle était : une manifestation particulière d'antifascisme.

    Citer ce document / Cite this document :

    Detragiache Denise. Un aspect de la politique démographique de l'Italie fasciste : la répression de l'avortement. In: Mélanges de

    l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 92, N°2. 1980. pp. 691-735.

    doi : 10.3406/mefr.1980.2571

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5110_1980_num_92_2_2571

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_mefr_2452http://dx.doi.org/10.3406/mefr.1980.2571http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5110_1980_num_92_2_2571http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5110_1980_num_92_2_2571http://dx.doi.org/10.3406/mefr.1980.2571http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_mefr_2452

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    DENISE DETRAGIACHE

    UN ASPECT DE LA POLITIQUE DÉMOGRAPHIQUE

    DE

    L ITALIE

    FASCISTE :

    LA RÉPRESSION DE L AVORTEMENT

    Le 28

    janvier 1924, dans

    un discours prononcé à l'assemblée

    du parti

    national

    fasciste, Mussolini rend

    un vibrant

    hommage

    au

    peuple

    italien,

    «laborieux et prolifique»1. La

    croissance

    démographique

    de

    l'Italie, qu'il

    célèbre ainsi

    pour

    la première

    fois

    depuis son arrivée au pouvoir, ne laisse

    pourtant

    d'être

    source de

    difficultés.

    Elle

    est

    -

    il le reconnaîtra lui-même

    quelques mois plus

    tard2

    - la «donnée fondamentale» du

    problème

    du

    sous-développement

    d'une partie de l'Italie, cette

    Italie des «

    bassi

    » de

    Naples,

    des

    communes sans routes, sans

    eau,

    sans cimetière, cette Italie de la misère

    qui

    s'étend

    de Messine

    à Reggio de Calabre. Pourtant,

    il ne

    veut

    pas

    freiner

    cette

    croissance

    :

    «

    Jamais

    je

    ne

    ferai

    de

    propagande

    malthusienne

    ou

    néo

    malthusienne

    », dit-il, «je ne

    crois

    d'ailleurs pas

    au

    sérieux scientifique de

    ces

    doctrines. Le seul

    fait

    que la décadence épouvante les autres

    nations signifie

    que nous devons être

    satisfaits de notre développement vigoureux3

    ».

    Moins de trois ans plus tard,

    c'est

    le cri d'alarme du discours dit de

    « l'Ascension », qui se veut « coup de fouet démographique » à la nation italien

    ne4.

    C'est

    que

    les

    premières

    données

    chiffrées

    véritablement sérieuses,

    dans

    le

    domaine

    démographique,

    ne commencent à être

    connues qu'alors.

    Jusque-là

    on

    pouvait parler à juste titre

    d'une

    «crise de la statistique italienne»5.

    De

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    3/46

    692

    DENISE DETRAGIACHE

    nombreuses

    négligences,

    et parfois

    même

    des

    fraudes,

    avaient

    été

    le

    fait

    des

    administrations communales,

    lors

    du

    recensement de 1921 :

    des

    chiffres

    avaient

    été

    gonflés —

    surtout

    dans le Sud et dans les

    Iles

    pour

    tenter de

    minimiser

    l'étendue

    de

    l'émigration

    et

    de dissimuler une partie

    des pertes de

    la guerre,

    dans

    le but évident de ne

    rien

    perdre

    des

    avantages que le

    pouvoir

    central

    pouvait

    lier à une

    certaine

    ampleur

    de la population.

    Une fraude d'un

    autre type était le

    fait des

    administrés eux-mêmes : les déclarations, pour

    les

    naissances

    survenues

    vers

    la

    fin

    d'une

    année,

    étaient couramment

    retardées

    au

    mois

    de

    janvier

    de l'année suivante : les filles rajeunissaient ainsi d'une

    année

    solaire,

    et les garçons voyaient leur départ pour le

    service

    militaire

    reculé d'un

    an6.

    La

    loi du 9 juillet 19267 met fin

    à cette situation

    en

    créant

    l'Institut

    central

    de la statistique qu'elle

    place sous

    la

    dépendance

    directe du chef du gouverne

    ment.outes

    les

    données autrefois

    recueillies en ordre

    dispersé

    peuvent

    maintenant être regroupées et surtout

    contrôlées,

    et le régime se trouve ainsi

    doté

    d'«

    un instrument pour l'action de gouvernement dans le

    présent

    et dans

    l'avenir».

    Son

    importance est

    tout

    particulièrement soulignée

    dans le domaine

    des

    données démographiques dont

    Mussolini affirme

    déjà «

    que

    leur accroiss

    ement

    u

    leur

    déclin

    permettent

    de

    prévoir

    le destin des

    peuples»8.

    Mais, une fois

    les

    chiffres connus, l'enthousiasme tombe

    vite,

    et

    c'est la

    brutale

    vérité

    que

    Mussolini

    révèle

    aux

    députés9:

    «Depuis

    cinq

    ans

    nous

    continuons à dire

    que la population

    italienne

    déborde. Ce n'est pas

    vrai Le

    fleuve ne déborde

    plus

    : il est en train de

    rentrer

    assez

    rapidement dans

    son

    lit ».

    Devant

    la

    froide

    réalité des chiffres, il

    lui faut

    bien se rendre

    à

    l'évidence :

    le

    taux

    de natalité de l'Italie — qui suit en cela l'évolution de l'ensemble des

    Scritti

    e discorsi. .,

    V,

    p. 477). Cf. aussi

    la

    circulaire

    de Mussolini du 30 décembre

    1926

    aux administrations et organismes

    publics,

    étatiques et para-étatiques

    {Opera

    omnia

    .,

    XXII,

    p.

    464

    sq.).

    6 Cf.

    sur

    ce point

    : Massimo Livi Bacci, Donna, fecondità e

    figli.

    Due secoli di

    storia

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    4/46

    L'ITALIE

    FASCISTE ET

    LA

    RÉPRESSION DE L'AVORTEMENT 693

    pays

    d'Europe

    occidentale

    -

    est

    tombé en

    quarante

    ans

    de

    39

    pour

    1000

    (la

    «pointe» de 1886) à 27

    pour

    1000. Certes, le chef du gouvernement relève

    aussi une baisse

    corrélative de la

    mortalité,

    mais qui ne saurait

    masquer

    la

    « décadence » de la «

    race

    italienne », c'est-à-dire du « peuple italien dans son

    expression physique ». Ce

    n'est pas

    l'Italie des grandes propriétés rurales

    qu'il

    dénonce, mais l'Italie de

    Nord

    -

    de

    nombreuses

    régions sont

    déjà

    au-

    dessous de 27 pour 1000 - où l'urbanisme industriel «stérilise le peuple» et où

    règne

    «

    la

    lâcheté

    infinie

    des classes

    sociales

    dites

    supérieures

    ».

    La

    situation

    des grandes métropoles que

    sont

    Turin, Milan

    et Gênes,

    se révèle catastrophi

    que

    ses yeux,

    si on

    la compare à celle

    de

    villes comme

    Palerme,

    Naples ou

    Rome. Et la

    décadence,

    d'année en

    année,

    ne fait que croître.

    Il

    y

    va

    de la

    «

    puissance

    politique

    et donc économique et

    morale

    »

    de

    l'Italie qui,

    si

    elle veut

    avoir

    une importance

    réelle sur la scène internationale, « doit se présenter

    au

    seuil de la

    deuxième moitié

    de ce

    siècle avec une population

    non

    inférieure à

    soixante

    millions d'habitants».

    Tel est

    l'objectif que

    s'est fixé le Régime.

    Ainsi est donné le départ de la «

    bataille

    démographique » que va

    livrer le

    pouvoir fasciste, en

    usant

    de

    tout l'arsenal

    de

    moyens, tant préventifs

    que

    répressifs,

    dont il peut disposer, le tout sur fond d'intense propagande en

    faveur

    de la famille

    et de

    la natalité.

    Il

    s'agit de

    réveiller

    dans

    le

    peuple

    l'instinct

    procréateur

    qu'un

    désir

    grandissant de bien-être est venu

    affaiblir.

    Le mariage, pour

    être fécond, doit

    être jeune10,

    et

    la

    femme y doit

    trouver

    son plein épanouissement. Quittant

    le

    monde du travail

    pour remplir

    sa

    fonction

    naturelle

    -

    la

    maternité

    -,

    elle

    laissera

    ainsi à son compagnon

    toutes les

    chances de s'y

    faire

    une place, et de

    recouvrer sa virilité perdue. Alors,

    «une

    légion

    d'hommes lèverait

    son front

    humilié», car

    ce travail, qui «cause

    chez la femme la perte

    des

    attributs

    génératifs,

    porte

    chez l'homme à une

    très

    forte virilité,

    physique

    et

    moral

    e»11.

    Pour atteindre cet

    objectif,

    le pouvoir joue de l'incitation, mais aussi de la

    sanction, une

    sanction

    qui

    peut

    frapper

    tout

    aussi bien

    les

    facultés financières

    de

    l'individu

    (avec l'impôt

    sur

    les célibataires),

    que

    sa liberté d'aimer et de

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    5/46

    694

    DENISE DETRAG IACHE

    d'opportunité

    familiale,

    mais

    participation

    à une

    vaste œuvre

    patriotique12

    dans laquelle se trouve engagé le

    pays

    tout entier»13.

    En dépit

    des

    efforts

    déployés,

    l'échec, pourtant,

    sera

    patent, ainsi qu'en

    témoignent les

    données

    statistiques

    concernant

    cette

    période, aussi bien pour

    la

    natalité que

    pour la croissance

    démographique14

    :

    Natalité

    (0. pour 1000 habitants)15

    PÉRIODE

    1921-1935

    1926-1930

    1931-1935

    1936-1940

    1941-1945

    ......

    Italie

    29,9

    27,1

    24,0

    23,4

    19,9

    Nord

    26,6

    23,5

    20,3

    19,8

    16,6

    Centre

    28,2

    24,7

    21,5

    21,2

    17,5

    Sud

    36,3

    33,8

    30,8

    29,7

    25,3

    Iles

    31,0

    29,9

    27,2

    27,2

    24,2

    12

    Le discours,

    dès

    le début, déborde largement la sphère

    de

    la vie privée,

    la

    virilité

    exaltée par le

    Duce

    devenant

    celle

    du peuple italien tout entier.

    La tonalité

    sera dès lors

    franchement

    xénophobe,

    et

    de

    plus en plus

    marquée

    par un bellicisme grandissant.

    L'expansion territoriale sera, en

    matière

    de politique extérieure, le

    signe

    de la vitalité

    retrouvée : « Un

    peuple

    viril réalise dans ses frontières sa propre

    sécurité

    et

    refuse

    de

    confier son avenir aux mains suspectes des

    étrangers »

    (discours prononcé

    par

    Mussolin

     Milan, le

    1er

    novembre

    1936,

    Cf.

    Édition

    définitive des œuvres et

    discours

    de Benito

    Mussolini,

    Paris,

    p. 131

    sq.,

    spécialement,

    p.

    135).

    «La

    guerre va

    à

    l'homme comme

    la

    maternité

    à

    la femme ...

    ». «

    L'histoire nous enseigne que la guerre

    est le

    phénomène qui

    accompagne le développement de l'humanité » (Discours de Mussolini à la Camera dei

    deputati, le 26 mai

    1934,

    Scritti e discorsi

    ..,

    IX, p. 59 sq., spécialement, p. 98). «Nous

    cherchons

    à

    utiliser notre territoire

    jusqu'à

    son

    dernier arpent.

    Mais

    le territoire, à un

    certain

    moment, sera arrivé à son point de saturation du fait d'une population qui

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    6/46

    L'ITALIE

    FASCISTE ET

    LA

    RÉPRESSION DE L'AVORTEMENT

    695

    Croissance

    démographique

    (Excédent des nés

    vivants

    sur les

    morts)

    (Q.

    pour 1000 habitants)16

    PÉRIODE

    1921-1925

    1926-1930

    1931-1935

    1936-1940

    1941-1945

    Italie

    12,9

    11,3

    9,9

    9,6

    5,3

    Nord

    10,6

    8,6

    7,2

    6,8

    3,0

    Centre

    12,2

    10,3

    8,9

    8,9

    3,6

    Sud

    16,7

    15,5

    14,4

    13,7

    9,2

    Iles

    14,4

    13,7

    11,8

    12,3

    7,8

    En

    dépit de différences régionales

    appréciables

    - les Iles et

    surtout

    le Sud

    nettement plus «prolifiques»

    que le

    Centre et

    le Nord

    - le déclin est net, et

    se

    poursuit régulièrement pendant

    toute la

    période considérée. Le

    Duce

    s'était

    d'ailleurs assez

    vite rendu

    compte

    de la difficulté de

    l'entreprise17

    et,

    devant

    l'évidente persistance de la chute

    démographique,

    il

    réduit

    bientôt ses exigen

    ces

    l'objectif

    de

    60 millions d'habitants

    visé en

    1927 n'est

    plus, en 1933, que

    de

    50 millions18. Mais

    la

    cadence, au

    lieu de

    ralentir,

    se

    précipite. Alors, au

    vu

    des

    données

    statistiques

    de

    l'année

    1936,

    c'est

    le

    constat

    d'échec

    à

    la question

    de

    savoir quel

    est,

    globalement, le résultat

    de

    la

    politique démographique du

    régime, il répond : « Elle a pratiquement

    échoué.

    Puisque

    non seulement

    on

    n'a

    pas

    remonté le courant

    non seulement le déclin ne

    s'est

    pas arrêté,

    mais

    on

    a

    vu

    un tel déclin

    assumer

    une vitesse catastrophique et

    la

    natalité

    descendre

    à

    des

    coefficients

    tels

    que d'ici peu

    ils

    seront au niveau

    des

    coefficients

    français

    »

    19.

    16

    Ibid., tableau 77, p. 80.

    17 Cf. en

    particulier

    sa circulaire aux préfets, «riservata e

    importante

    », du 25 janvier

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    7/46

    696

    DENISE DETRAGIACHE

    Les

    efforts,

    pourtant, ne

    sont

    pas

    abandonnés20,

    mais

    le

    cœur

    n'y

    est

    plus

    :

    dès 1933, il

    est recommandé

    aux

    journaux de

    ne plus

    parler de

    «bataille

    démographique»

    on

    ne

    saurait

    parler

    de bataille

    lorsqu'on a

    le

    sentiment

    que celle-ci est perdue21. C'est le «problème démographique» qui sera inscrit

    à l'ordre du jour du Grand Conseil du Fascisme qui se réunit le 3 mars 1937.

    L'heure

    est

    à

    la gravité.

    Après

    avoir pris

    acte

    du

    déclin

    de la

    natalité

    pendant

    le

    cycle 1924-1936,

    le Grand

    Conseil, dans son communiqué

    final,

    souligne

    l'importance

    capitale

    que

    revêt,

    pour

    l'Italie

    fasciste,

    cette

    bataille

    qui

    ne

    se

    nomme plus : « Le

    problème

    démographique étant le

    problème

    de la

    vie

    et de

    sa continuation, est en réalité le problème des problèmes, puisque sans

    la

    vie

    il n'y a pas de jeunesse,

    ni

    de puissance

    militaire, ni

    d'expansion économique,

    ni d'avenir

    assuré

    de la

    Patrie»22.

    Mais,

    rien

    de

    bien

    nouveau dans les mesures

    prises23 : le comuniqué final publié par

    le Grand

    Conseil

    parle seulement

    de

    «perfectionner la politique démographique du régime».

    Le problème démographique

    est

    vu

    désormais

    comme

    un

    problème

    avant

    tout d'ordre

    moral,

    dont la solution ne peut dès lors être trouvée

    que

    dans la

    bonifica morale de

    cette

    Nation qui s'assoupit dans

    un

    désir de bien-être et de

    joie de vivre, et perd tout sens

    du devoir24.

    Dans ces conditions, l'unique

    recours

    possible

    reste25 la

    religion

    qui, seule,

    peut

    transformer le peuple en

    profondeur, et

    le « moraliser ».

    Le

    régime,

    à

    travers la

    presse

    officielle,

    tend

    la

    main

    à l'Église

    :

    comme

    l'écrit Brucculeri,

    «

    l'homme

    qui a

    dans l'âme

    la

    profonde

    conviction

    que le devoir de

    la

    transmission de

    la

    vie

    est imposé

    par

    Dieu, ne prendra pas

    facilement

    le pli de frauder

    l'éthique

    conjugale, mais

    affrontera

    confiant les obligations

    et

    les

    sacrifices

    auxquels Dieu

    a lié

    le

    succès

    20 // Popolo

    d'Italia,

    5

    février

    1937,

    Si rivede Pangloss,

    dans Opera omnia ., XXVIII,

    p.

    116-117.

    21 A.C.S.,

    Agenzia Stefani, carte

    Manlio Morgagni,

    b. 70, f. 9, s.f. 2, velina

    du

    25 février

    1933.

    22

    Le texte initial, corrigé de

    la

    main

    de Mussolini,

    se

    terminait

    par ces

    mots,

    plus

    terribles

    encore:

    «...

    ni

    expansion économique, ni régime,

    ni

    empire» (A.C.S.,

    S.P.D.,

    carteggio

    riservato, Gran Consiglio, b. 30, f. 242/R, s. f. 15) (c'est

    nous

    qui

    soulignons).

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    8/46

    L'ITALIE

    FASCISTE ET

    LA

    RÉPRESSION DE L'AVORTEMENT

    697

    d'une

    vie

    immortelle»26.

    L'homme,

    et

    plus

    encore la

    femme,

    plus

    sensible

    que

    lui

    à l'influence

    de l'Église,

    et à laquelle le

    Duce s'adresse

    à

    présent

    direct

    ement

    our exiger d'elle

    qu'elle

    fasse son devoir: donner la «première

    empreinte» éducative

    à

    des enfants «que

    nous

    désirons nombreux

    et

    robust

    es»27.

    Il faut

    donc, avec l'aide de l'Église, instaurer l'Ordre moral2S.

    Il s'agit

    de

    lutter

    contre le «

    désir

    insatiable de jouissance matérielle » qui s'est

    répandu

    après

    la

    guerre

    dans

    toutes

    les classes sociales,

    tendance

    qualifiée

    de

    «

    dange

    reuse» et qu'il

    s'agit

    d'« endiguer» et de «combattre»

    par

    deux moyens: la

    persuasion — elle

    sera

    l'œuvre des « éducateurs

    du

    peuple » - et la répression,

    qui

    aura

    pour

    objectif

    la neutralisation,

    puis

    la destruction des «foyers

    d'infection»,

    et

    «c'est là le

    devoir

    des autorités de police»29.

    La

    politique démographique apparaît ainsi comme

    étroitement

    liée à une

    vision déterminée de la société civile

    et

    de

    ses

    rapports avec l'État, du rôle

    qu'y

    doivent

    jouer

    la

    famille

    et

    l'individu

    et,

    au

    sein

    de

    la

    famille,

    en

    tout

    premier

    lieu,

    la

    femme. Particulièrement

    révélatrices

    de cette conception sont

    les quelques lignes

    que

    le Dr

    Giulio

    Rugiu a consacrées

    aux

    objectifs visés

    par

    la

    politique

    démographique

    du

    régime. À côté de l'assistance apportée

    aux

    familles

    nombreuses,

    à la maternité et à

    l'enfance,

    à côté des

    freins

    mis à

    l'urbanisation et

    à

    l'émigration,

    et de la taxation du

    célibat,

    «les mesures

    prises

    par

    le gouvernement

    italien

    dans le

    domaine

    démographique sont en

    substance

    destinées

    ...

    à placer

    les familles

    nombreuses très haut dans l est

    ime ublique; ... à renforcer l'institution de la

    famille,

    le

    sentiment

    religieux et

    celui de solidarité patriotique,

    qui sont

    de

    puissants

    alliés de

    l'instinct

    généti

    que;...

    à interdire toute forme de propagande pour la rationalisation des

    naissances; ...

    à

    exalter

    la

    femme

    et à la tenir en grande considération, en

    contrariant cependant énergiquement le développement du féminisme

    dont

    l'influence néfaste

    sur

    la

    natalité

    est

    indéniable;

    ... à

    rendre plus prompte

    et

    sévère l'action pénale

    contre le

    délit d'avortement

    provoqué»30.

    26 A. Brucculeri, art. cit., L'Avvenire d'italia, 10

    mars

    1937.

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    9/46

    698

    DENISE DETRAGIACHE

    L appel

    à

    l'Église

    se

    fera

    à

    visage

    découvert le

    9

    janvier

    1938

    :

    dans

    la

    «

    sala regia

    » du

    Palazzo

    Venezia,

    devant un auditoire

    de

    soixante archevêques

    et évêques, et de quelques deux

    mille

    prêtres et curés, Mussolini

    sollicite

    l'assemblée « de

    collaborer ... à

    la lutte

    pour

    le

    renforcement numérique

    des

    italiens, parce

    que

    seules les familles nombreuses fournissent les gros

    batail

    lons

    ans lesquels

    on

    n'emporte pas

    les victoires.

    Et l'Italie,

    nation

    catholique,

    a encore davantage

    le

    devoir

    d'être,

    par

    sa

    puissance intrinsèque et par

    sa

    force

    démographique,

    un

    bastion de

    la

    civilisation chrétienne»31.

    Mais avec l'entrée en

    guerre

    de

    l'Italie,

    le 10 juin 1940, les mesures du

    régime en faveur de la politique démographique finissent de s'essouffler

    complètement.

    C'est à l'histoire de

    l'échec

    de

    cette

    politique que nous allons nous

    attacher. Nous

    le

    ferons

    ici

    à travers le problème de la répression de l'avorte-

    ment, particulièrement emblématique tant

    de la

    volonté

    répressive du

    régime

    que

    des

    limites

    de

    la

    répression,

    et

    ce,

    dans

    le

    cadre juridique

    plus

    large

    fourni par ce

    que l'on

    a appelé le «droit pénal de

    la famille»32.

    On est en

    présence

    ici d'un

    exemple

    frappant du rôle fondamental joué

    par le Droit, et par ses interprètes -

    la

    magistrature

    du

    ventennio - dans

    l'Italie

    fasciste.

    On ne saurait trop souligner, à cet égard, l'importance extrême

    qu'a revêtu le juridique

    dans la

    problématique

    du Fascisme,

    comme

    instr

    ument

    de

    légitimation du

    pouvoir

    (dans

    un

    but

    de

    propagande aussi

    bien

    intérieure qu'extérieure), de la part d'un régime qui se voulait

    totalitaire

    : ce

    n'est pas par hasard

    que les

    termes

    de « dictature

    légale

    » ont été utilisés pour

    le désigner33.

    L'adhésion

    de la magistrature à

    la politique du

    régime en matière

    d'avor-

    tement était

    donc

    la clef de voûte de tout le système

    répressif

    mis en

    place

    dans ce domaine.

    Mais,

    voulant

    légitimer

    son

    pouvoir

    par

    le

    respect

    de

    l'ordre

    juridique

    qu'il

    avait lui-même

    instauré, le

    Fascisme n'a

    pas

    vu

    qu'il

    risquait de se faire

    prendre

    au piège de son propre légalisme34.

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    10/46

    L'ITALIE

    FASCISTE ET

    LA

    RÉPRESSION DE LAVORTEMENT

    699

    I

    - L'avortement

    juridictionnellement sanctionné

    Les dispositions

    en la

    matière

    du Code

    Zanardelli

    de

    188935

    avaient déjà

    été renforcées par

    le Texte

    unique

    des lois de Pubblica

    sicurezza

    du 6

    novembre 1926, art. 112-1 15

    36.

    Mais c'est

    sutout

    le Code

    Rocco

    de

    1930 qui est la parfaite

    traduction des

    intentions

    du

    régime en

    la

    matière.

    La

    répression

    de

    toutes

    les

    menées

    «

    antidémographiques »

    fait l'objet,

    à

    la

    suite

    d'une

    intervention

    personnelle de

    Mussolini37, d'un titre spécial

    du

    Code, le titre X : Dei delitti contro l'integrità e

    la

    sanità

    della stirpe (délits

    contre

    l'intégrité et la santé de la descendance).

    Une importance

    toute particulière

    y

    est

    attachée à

    la

    répression

    de

    l'avortement (art. 545 sq. du Code), à propos duquel Alfredo Rocco écrit, dans

    son rapport au Roi38 : « L'avortement provoqué, en portant atteinte à la

    maternité

    corne

    source

    intarissable

    de

    la

    vie

    des

    individus

    et

    de

    l'espèce,

    constitue

    en

    réalité une

    offense

    à

    la

    vie même

    de la race et,

    partant,

    de la

    Nation et de l'État».

    le de l'État » : « J'ai eu à plusieurs reprises l'occasion de relever que

    des demandes,

    émanant

    de

    certaines

    administrations

    concernent des mesures législatives

    visant

    à

    limiter,

    voire

    exclure

    tout

    à

    fait, le

    contrôle

    juridictionnel

    portant sur

    certains actes

    de

    l'administration publique. Une

    telle

    direction

    est

    nettement

    contraire aux

    principes

    du

    Régime fasciste, lequel veut que l'action de

    l'administration

    publique se

    déroule

    de façon

    pleinement

    légale

    Celle-ci

    ne doit donc mettre aucun obstacle à ce

    que

    s'exerce

    dans

    toute sa

    plénitude,

    en

    conformité

    avec notre système, la protection juridictionnelle

    établie comme sauvegarde des droits et des intérêts

    légitimes

    qui pourraient être lésés

    par les

    actes administratifs.

    Aucune

    dérogation — comme j'eus

    déjà à le faire observer par

    la

    circulaire

    du 3 août

    1941-XIX

    n° 22232 - ne doit donc être apportée à

    un

    point

    aussi

    fondamental

    du

    système

    juridictionnel

    de

    l'État

    aussi

    bien

    pour

    ce

    qui

    concerne

    l'activité

    de la juridiction administrative que pour celle de la juridiction ordinaire» (Circulaire

    communiquée

    par le chef

    du cabinet du

    ministre de

    l'intérieur, Bindi,

    à

    l'ensemble des

    services du Ministère de l'intérieur, A.C.S., Min. Interno, Direzione generale demografia e

    razza,

    b.

    1, /.

    1, prot.

    n° 530-46).

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    11/46

    700

    DENISE DETRAGIACHE

    La

    répression

    de

    l'avortement

    sous

    toutes

    ses formes

    sera

    donc

    la

    pierre

    angulaire

    du

    volet

    répressif

    de

    la

    «bataille démographique» que livre

    le

    régime39.

    L'avortement, au

    sens du

    droit pénal,

    c'est

    toute interruption volontaire

    du

    processus

    physiologique de la grossesse entraînant la mort du

    fruit

    de la concept

    ionLe

    Code

    Rocco,

    dans

    ses articles

    545

    sq., distingue

    trois types d'avorte-

    ment provoqué : l'avortement d'une femme non consentante (art. 545), le

    plus

    grave

    et

    le

    plus

    lourdement

    puni

    (7

    à

    12

    ans

    de

    réclusion);

    l'avortement

    d'une

    femme consentante

    (art. 546)

    (2

    à

    5

    ans de réclusion pour

    l'avorteur

    et pour

    l'avortée); et

    l'avortement que la femme se procure à elle-même (art. 547) (là

    4 ans de

    réclusion). À

    côté de

    ces trois incriminations principales, le Code

    Rocco

    prévoit deux

    incriminations complémentaires :

    l'instigation

    à

    l'avort

    ement

    'une

    femme enceinte,

    avec

    administration

    de «moyens

    appropriés»

    (art.

    548)

    (6

    mois à 2 ans de

    réclusion),

    et les actes abortifs pratiqués sur

    une

    femme

    tenue

    pour enceinte

    (art.

    550),

    dès

    lors

    qu'il

    en

    résulte

    une lésion

    corporelle

    ou la mort.

    Les

    peines

    prévues

    sont alors celles de la lésion

    corporelle (art. 582-583) ou

    de l'homicide involontaire

    (art.

    584).

    Seules

    nous retiendront ici

    les

    trois incriminations

    principales puisque,

    dans les deux derniers cas, il n'y a pas,

    par

    définition, d'avortement procuré :

    l'instigation n'est pas suivie d'effets, et c'est à tort

    que

    la femme a été tenue

    pour enceinte40.

    39

    II s'agit, bien entendu,

    de

    l'avortement

    pénalement

    sanctionné, notion plus

    étroite

    que celle

    que

    retient la science médicale

    laquelle étudie,

    outre l'avortement procuré,

    l'avortement thérapeutique (justifié en droit

    pénal

    au

    titre de Γ« état de nécessité » de

    l'article 54 du

    Code

    pénal) et

    l'avortement spontané.

    Elle se distingue également de la

    notion d'avortement propre à

    l'Église

    catholique qui confond dans le même opprobe

    l'avortement criminel

    et

    l'avortement thérapeutique

    (Cf.

    sur

    ce

    point,

    l'encyclique

    Casti

    conubii du

    3 décembre

    1930: «Pour

    ce qui

    est de l'indication

    médicale

    et thérapeuti

    que...

    quelle

    raison pourra

    jamais avoir la

    force de

    rendre

    excusable de quelque

    manière que

    ce

    soit le meurtre

    direct

    de l'innocent

    ?

    Parce qu'ici, il s'agit justement de

    cela.

    Qu'elle

    s'inflige

    à

    la

    mère

    ou qu'elle s'applique

    à l'enfant,

    èlle

    va

    toujours

    à

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    12/46

    L'ITALIE FASCISTE

    ET

    LA RÉPRESSION DE L'AVORTEMENT

    701

    II

    nous

    faut

    toutefois

    préciser

    que la

    présente étude

    ne

    prétend

    pas

    à

    l'exhaustivité.

    Elle ne se veut

    ni

    compte-rendu systématique de la doctrine, ni

    analyse de l'ensemble de la jurisprudence des cours et

    tribunaux. Le

    point de

    vue adopté

    est

    sensiblement différent :

    il

    s'agit

    en effet de restituer,

    aussi

    fidèlement

    que

    possible,

    la pratique répressive, laquelle

    s'exprime

    certes à

    travers les décisions

    juridictionnelles, mais dont

    on n'aurait

    qu'une vue

    incomplète

    si l'on

    ne tenait pas

    compte

    également de ses liens avec

    les

    éventuelles

    interventions

    du

    pouvoir.

    Les sources

    utilisées

    seront donc,

    avant

    tout,

    des

    sources d'archives :

    essentiellement celles

    du Ministero dell'Interno, de la Segreteria

    particolare

    del

    Duce41,

    et

    du

    Ministero di

    Grazia

    e Giustizia,

    du moins

    pour

    ce

    qui est

    des

    versements faits à

    l'Archivio

    centrale dello Stato42.

    À une

    rapide

    esquisse

    du domaine

    et de la portée de la répression pénale

    en

    matière

    d'avortement provoqué, pourra ainsi faire suite une analyse plus

    fine

    de

    l'attitude

    de

    la

    magistrature

    italienne devant

    cette

    forme

    de

    déli

    nquance et devant la volonté politique exprimée en la matière

    par

    le pouvoir

    fasciste.

    II

    - Domaine et portée

    DE LA

    RÉPRESSION

    PÉNALE DE

    L'AVORTEMENT

    PROVOQUÉ

    La

    source essentielle à laquelle

    nous nous référerons

    ici est

    un

    «rapport

    sur

    les infractions

    d'avortement

    provoqué jugées pendant l'année 1941

    »40.

    la grossesse de la femme. Il importe de relever

    aussi

    que, si

    les

    peines prévues

    en

    matière d'avortement provoqué par le

    Code

    Rocco sont plus

    lourdes

    que

    celles de

    l'art. 315

    du

    Code

    pénal

    français

    (texte

    du

    D.

    L. du 29

    juillet

    1939),

    elles

    ne

    laissent

    d'être

    infiniment

    moins sévères

    que

    celles

    qui

    furent

    instaurées

    par

    la

    suite par

    le

    gouvernement de Vichy. La loi du

    15

    février 1942 rendra en effet avorteurs et

    avorteuses

    passibles de la peine de mort. Remarquons

    également

    que, parmi

    les

    trois incriminat

    ionsetenues, la première n'a donné lieu

    qu'à

    un contentieux extrêmement réduit.

    Aucun

    cas

    d'avortement

    procuré

    à

    une femme non consentante

    ne figurait

    dans

    les

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    13/46

    702

    DENISE

    DETRAGIACHE

    Mais

    avant

    de

    passer

    à son

    étude

    une

    remarque

    préliminaire

    s'impose

    :

    elle concerne

    la question,

    à laquelle

    on se

    heurte inévitablement,

    du nombre

    réel d'avortements

    provoqués

    par rapport à ceux dont les

    autorités

    judiciaires ont

    connaissance.

    La

    difficulté, sur ce point,

    est double

    : en

    premier

    lieu, les

    données

    statistiques,

    lorsqu'elles

    existent

    et sont

    fiables,

    ne rendent

    compte

    que

    d'une petite

    partie

    du phénomène.

    La

    grande majorité des

    avortements

    provoqués reste inconnue

    des autorités judiciaires,

    et

    ce dans

    une mesure

    extrêmement

    difficile

    à

    déterminer.

    «Le

    rapport

    entre

    le

    nombre

    d'avorte

    ments considérant comme tel

    toute expulsion d'un

    fœtus au

    bout

    d'une

    période maximale de gestation de 6-7 mois) et le nombre total de conceptions,

    calculé par

    différents

    auteurs, est compris -

    écrit

    Mario De Vergottini - entre

    les valeurs de

    5

    et 40%

    »43.

    En second lieu, les

    chiffres

    dont

    on

    dispose, et qui

    ne concernent

    donc

    que l'ensemble des avortements

    connus

    des autorités

    judiciaires

    (avortements provoqués), ou autres

    (avortements spontanés

    et

    thérapeutiques),

    sont

    manifestement sous-évalués.

    Ceux

    que

    cite

    Antonio

    Vis-

    co44

    et qui sont fournis

    par

    la Direction générale de

    la

    Santé

    publique du

    Ministero dell'Interno,

    sont

    en effet

    les

    suivants :

    A Ν

    E S

    1932

    1933 .........

    1935 .........

    1936

    1937

    1938

    1939

    Nombre

    total

    d'avortements

    connus des autorités

    65 679

    68 440

    73

    754

    75 812

    86 011

    90 334

    91987

    Avortements

    dénoncés

    comme

    suspects

    271

    150

    1425

    2039

    2647

    2547

    1406

    Avortements

    provoqués

    754

    731

    15

    13

    22

    45

    33

    Or, un

    sondage

    que

    nous

    avons

    effectué pour la seule Procura generale de

    Turin, parmi les

    dossiers

    d'avortement de

    l'année

    1938,

    versés

    à l'A.C.S.

    par

    le

    Ministero di Grazia e Giustizia45, nous a

    permis

    de retrouver la

    trace

    d'au

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    14/46

    L'ITALIE FASCISTE

    ET

    LA RÉPRESSION DE L'AVORTEMENT 703

    Dans ces

    conditions,

    seules

    sont

    permises des considérations

    très

    général

    esui ne sortent malheureusement guère du

    domaine

    des vérités d'évidence

    - auxquelles

    les

    chiffres

    n'apportent

    rien - comme, par

    exemple,

    la très faible

    proportion,

    par rapport

    au

    nombre

    total

    d'avortements

    connus, des avorte-

    ments considérés comme suspects46, et,

    parmi

    ces derniers, la très faible

    proportion de ceux qui

    sont

    pénalement

    sanctionnés47.

    Mais, bien

    que

    les

    chiffres

    du Ministero dell'Interno ne soient pas fiables, il semble pourtant que

    l'on

    puisse

    faire

    à

    leur

    propos

    deux

    remarques

    :

    d'une

    part,

    l'accroissement

    régulier

    et constant du nombre d'avortements

    (alors

    que la

    natalité,

    on le sait,

    diminue tout

    aussi régulièrement),

    et,

    à

    partir de 1934-35,

    une inversion

    du

    rapport existant entre

    les

    avortements dénoncés et les avortements

    provoqués,

    qui

    peut être

    attribuée

    à un plus grand

    zèle policier qui

    n'aurait

    pas trouvé auprès

    de

    la magistrature l'écho

    espéré48. Giorgio Florita

    écrit à ce propos que « la police,

    qui

    nécessairement fut

    l'instrument du

    Ministère

    de

    l'intérieur

    dans

    toutes

    les

    manifestations

    d'ordre

    politique,

    fut

    mobilisée

    pour

    la

    répression de

    délits

    46 Les

    avortements

    étaient

    connus

    des

    autorités de diverses

    manières.

    En premier

    lieu, l'enquête pouvait

    être

    déclenchée

    à

    la

    suite

    de la découverte

    d'un fœtus, mais,

    la

    plupart du

    temps, les

    auteurs de l'avortement restaient

    inconnus,

    et il faut dire que

    cette hypothèse

    était assez

    peu

    fréquente.

    Dans bien

    des cas,

    en revanche, les autorités

    étaient

    saisies

    par

    des

    dénonciations

    écrites

    -

    le plus

    souvent anonymes,

    qui

    pouvaient,

    d'ailleurs,

    se

    révéler

    calomnieuses.

    Mais

    les principaux

    auxiliaires

    de

    la

    police

    étaient

    incontestablement

    les

    membres du corps médical, médecins et chirurgiens, auxquels la

    loi faisait obligation de

    dénoncer au

    médecin provincial -

    qui

    devait en référer aux

    autorités

    tous les

    cas

    d'avortement dont

    ils

    pouvaient avoir connaissance dans

    l'exercice de leurs fonctions (Art.

    9 de la

    loi

    du

    23

    juin

    1927

    1070,

    précisée

    par les

    circulaires aux préfets du Ministero dell'Interno, des 15

    février 1929,

    13 septembre

    1931

    n° 20400-4-A.G. 3371, et

    10 mars

    1932 (dans Eugenio Menna, Le provvidenze del regime

    fascista

    per

    la

    battaglie

    demografica in

    Italia, leggi,

    decreti,

    circolari, istruzioni, note e

    richiami,

    1936,

    p.

    255

    sq.).

    Ces

    dispositions

    devaient ensuite

    être

    reprises

    par

    les

    art.

    24

    et 103

    du

    T. U.

    des lois

    sanitaires,

    approuvé par

    R. D.

    du 27 juillet 1934.

    Si

    le

    médecin

    omettait de faire

    cette

    dénonciation, il était passible d'une amende de 100 à 1000 lires

    (art. 103

    du

    T. U.). Mais

    si

    cette omission était

    dictée

    par

    la

    volonté

    d'aider

    à

    dissimuler

    un avortement délictueux, il était, pour la doctrine

    dominante,

    coupable de

    complicité

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    15/46

    704

    DENISE DETRAGIACHE

    contre

    la

    maternité,

    et,

    par

    des

    primes

    et

    des

    menaces

    de mesures

    disciplinai

    res

    ut continuellement incitée à

    agir.

    Une

    copie des

    rapports

    de la police

    à

    l'autorité

    judiciaire devait être envoyée au Ministère, qui

    la

    passait au crible et

    ne

    manquait

    jamais

    de faire des observations, de réclamer des suppléments

    d'enquête, de

    primer

    ou de

    punir

    les

    fonctionnaires

    enquêteurs. Dans les

    commissariats de police furent créés des bureaux spécialisés dans la répres

    sion

    es délits

    contre

    la maternité, tandis qu'à Rome,

    à

    la Direction de la

    police,

    des inspecteurs généraux

    étaient

    prêts

    à

    se

    transporter

    dans

    les

    provinces

    pour suivre

    personnellement des

    investigations et pour instruire

    des enquêtes sur des officiers de

    police

    judiciaire

    jugés négligents.

    Rien de

    semblable n'advenait

    pour

    les homicides particulièrement

    barbares,

    les vols

    avec violence ou menaces, ou pour d'autres infractions.

    Un commissaire

    de

    police pouvait tomber dans l'erreur en conduisant une enquête

    pour

    homicid

    e

    t

    laisser le coupable s'échappe

    sous

    son nez, ou,

    pis encore, arrêter un

    innocent

    à

    la

    place

    du

    coupable

    :

    humanum

    est

    errare.

    Mais

    il

    ne

    lui

    était

    pas

    permis de se

    tromper

    dans les enquêtes sur les

    avortements

    procurés»49.

    Cette précision apportée, l'analyse des données fournies par

    le

    rapport à

    la Segreteria

    particolare del Duce50

    nous

    permet,

    en

    commentant

    les

    tableaux

    que

    nous avons

    dressés

    à

    partir de

    ces

    données, d'étudier plus en détail :

    1)

    Le

    nombre

    d'

    avortements

    connus

    des

    autorités

    judiciaires

    :

    (Cf.

    le

    tableau

    I,

    en annexe).

    Compte tenu de la

    répartition

    géographique des circonscriptions judiciai

    resue

    nous avons

    choisies, on

    peut voir

    que les avortements provoqués

    étaient

    plus nombreux dans le

    Nord

    et le Centre de l'Italie

    que

    dans le Sud et

    l'Italie insulaire. Naples semble être

    une

    exception pour le

    Sud, mais

    si

    l'on

    compare les taux

    d'avortements

    délictueux

    pour

    100 000 habitants,

    on

    voit que

    Naples

    a tout de même

    un taux

    inférieur

    à ceux de l'Italie septentrionale et

    centrale.

    En

    comparant maintenant les

    chiffres

    fournis

    pour chaque

    Procura

    generale avec ceux qui sont donnés pour l'ensemble de l'Italie,

    on

    peut

    remarquer - et cela est d'importance, nous le verrons plus loin -

    que la

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    16/46

    L'ITALIE

    FASCISTE

    ET

    LA

    RÉPRESSION

    DE L'

    AVORTEMENT

    705

    circonscription de

    Turin

    est

    celle

    qui

    se rapproche

    le

    plus

    de

    la

    moyenne

    nationale.

    2) Le profil

    des

    femmes avortées (Cf. les tableaux

    II

    et

    III

    en annexe).

    On peut le dessiner à partir de trois

    éléments,

    mentionnés dans

    le

    rapport : l'appartenance

    sociale

    de ces

    femmes,

    leur

    état civil,

    et

    les motifs qui

    les

    ont

    poussées à avorter.

    L'appartenance

    sociale (tableau II) :

    On

    remarquera

    ici que les

    avortements délictueux

    sont particulièrement

    nombreux

    dans

    la classe

    ouvrière et

    dans la

    paysannerie (le

    rapport parle ici

    de

    classe rurale),

    tout en l'étant davantage dans la première que dans la

    seconde. Mais il faut

    tenir compte bien

    évidemment sur ce

    point

    des dévelop

    pements différentiels

    de

    l'industrialisation

    entre

    Nord

    et

    Sud

    :

    s'il

    y

    a plus de

    femmes de

    milieux

    ouvriers dans le Nord, il y

    a

    en

    revanche davantage

    de

    femmes

    de la

    paysannerie

    dans le

    Sud. Quant à la

    rubrique

    intitulée

    autres

    classes sociales, rien

    n'est précisé

    dans

    le

    rapport sur

    ce qu'elle

    recouvre.

    Mais

    l'étude

    des

    dossiers pénaux d'avortement que nous avons eus entre

    les

    mains,

    et

    que nous analyserons plus loin, fait

    apparaître

    de très nombreux

    cas

    d'avortements délictueux subis par

    des

    domestiques,

    des

    petites employées

    du

    commerce et de l'hôtellerie, quelque cas de femmes sans

    profession {casalingh

    e ,

    t

    de rares

    prostituées. Quoi qu'il

    en

    soit,

    il

    est extrêmement rare que ces

    femmes

    soient

    de condition sociale élevée : dans les

    dossiers

    que

    nous avons

    étudiés,

    une seule

    était dans ce cas

    (une cantatrice,

    jugée

    à Milan).

    Tous

    les auteurs contemporains s'accordaient en effet à déplorer le

    fait

    que

    les

    théories

    néomalthusiennes

    étaient largement diffusées et pratiquées

    dans

    les

    couches

    les

    plus

    aisées

    de

    la

    société. Un

    tel

    fait

    ne

    saurait pourtant

    signifier que l'avortement n'y était pas pratiqué. On peut

    penser

    que les

    femmes de la bourgeoisie et de l'aristocratie

    avortaient

    aussi,

    mais dans des

    conditions toutes

    différentes

    : dans de bien meilleures conditions sanitaires,

    d'abord,

    ce

    qui diminuait d'autant

    les

    risques de

    complications,

    et donc de

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    17/46

    706

    DENISE DETRAGIACHE

    dames et de demoiselles fortunées. Le

    jeune

    médecin

    n'était

    pas un

    phare

    de

    la science mais il était fils d'un haut

    magistrat,

    ce qui représentait une

    garantie

    absolue»51.

    Les statistiques de la Segreteria particolare

    del

    Duce

    sont

    ici particulièrement éloquentes, puisque

    sur

    580 cas

    recensés

    pour l'ensemble

    de l'Italie en

    1941,

    7 seulement

    intéressent

    des femmes de

    «condition sociale

    élevée

    ».

    On a d'ailleurs remarqué, plus généralement, que la

    fécondité

    de

    ces

    femmes

    était

    moins

    élevée

    que

    celle

    des femmes

    des

    classes sociales

    moins

    favorisées. Quelles que

    soient

    les causes

    précises

    de ce moindre

    niveau

    de

    fécondité52, il semble en tout

    cas que

    l'on

    puisse avancer qu'il

    y

    a

    «sans doute

    une relation inverse entre le niveau social et économique des différents

    groupes professionnels et leur niveau de fécondité»53 : plus le niveau social et

    économique

    augmente

    - ce qui

    va

    d'ailleurs de pair avec

    un

    accroissement du

    niveau d'instruction —

    plus le

    niveau

    de

    fécondité

    diminue.

    L'état civil (Cf. le

    tableau

    II) :

    Ces femmes sont célibataires pour

    la plupart, mais on peut

    cependant

    remarquer

    que le

    nombre

    de

    femmes mariées est loin

    d'être négligeable54:

    dans les

    circonscriptions

    de

    Rome

    et de

    Naples,

    il dépasse même le nombre

    de célibataires.

    On remarque

    enfin

    que

    le nombre de mineures

    est

    très

    faible

    par

    rapport

    au

    nombre de majeures.

    Les

    motifs

    qui ont poussé les femmes à

    avorter

    (Cf.

    le tableau

    III en

    annexe) :

    Le rapport au

    Duce est ici peut-être plus

    intéressant

    parce

    qu'il

    ne dit pas

    que

    par

    ce

    qu'il dit. Les motifs

    retenus sont,

    à

    cet

    égard, particulièrement

    51

    Giorgio

    Florita,

    op. cit., p. 116.

    52 Et la part respective de chacune de ces

    causes

    dans l'explication du phénomène.

    Il semble en

    particulier

    très difficile de faire la part de ce

    qui

    revient à la contraception

    et de

    ce

    qui

    revient

    à l'avortement.

    Les

    analyses, parfois

    très

    sophistiquées, de

    Massimo

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    18/46

    L'ITALIE

    FASCISTE ET

    LA

    RÉPRESSION

    DE L'AVORTEMENT 707

    instructifs55 : à côté de motivations de caractère

    objectif,

    comme la santé de la

    femme56,

    une

    tare

    héréditaire

    (motivi

    eugenici)57,

    et

    les

    motifs «économiq

    ues»58, ur lesquels

    on

    insiste

    particulièrement dans la

    presse officielle59,

    seules

    deux

    causes

    de caractère subjectif

    sont

    retenues. La première joue le

    rôle de circonstance atténuante

    et

    se trouve

    donc ainsi

    valorisée

    : c'est

    la

    cause d'honneur (art.

    551 du

    Code pénal). La circulaire

    du

    Garde

    des

    sceaux

    du 6 novembre

    1939 n°

    2382 précise

    à

    cet égard que le motif de «sauver

    l'honneur

    »

    ne

    peut

    s'identifier

    qu'avec

    «

    la

    fin

    d'éviter

    le

    déshonneur

    dérivant

    de la

    connaissance

    qu'autrui pourrait avoir de la faute de la

    femme

    qui

    s'est

    rendue

    coupable

    de rapports sexuels illicites»60. On

    peut

    remarquer qu'il

    55 Le régime s'est attaché à déterminer

    les

    causes de l'avortement pour le mieux

    combattre. Ainsi, une

    circulaire

    aux préfets du

    6

    avril

    1936,

    n° 40 leur

    prescrit-elle

    de

    contrôler tous les

    cas d'avortements dénoncés par

    les

    médecins - qu'ils

    soient

    déclarés

    comme spontanés ou comme

    provoqués

    -

    et

    d'informer

    le

    Ministère

    de

    leurs

    causes

    «

    de

    manière à

    y

    répondre par des remèdes

    adaptés, préventifs

    et répressifs» (A.C. S.,

    Ministero dell'Interno,

    Dir.

    Gen. demografia e razza., b.

    13, f. 46).

    56 Pour la Cour de cassation, le

    fait

    pour la femme de ne pas être - par suite d'une

    très grave

    maladie

    - en

    état

    de poursuivre

    la

    grossesse

    jusqu'à

    son

    terme ne

    fait

    pas

    disparaître le caractère

    délictueux de

    l'avortement provoqué

    (Cass.

    pen. 19 dec. 1935,

    Cerlotti,

    Rivista penale 1936,

    I,

    429), et ce,

    même

    si

    un

    médecin

    l'avait

    mise

    en

    garde

    contre le danger d'une grossesse éventuelle. La nécessité de l'avortement thérapeutique

    doit

    toujours

    être

    rigoureusement

    vérifiée, et

    seul un chirurgien

    spécialisé

    en

    obstétri

    que

    eut

    le pratiquer (art.

    1 du

    D,

    du 6 décembre 1928 n°

    3112 pris

    pour l'application

    de la

    loi

    du

    23 juin 1927

    1070) (Cass. pen. 16

    avril

    1943,

    Pastori,

    Riv.

    pen.

    1945,

    p. 61).

    57 La circonstance que le nouveau-né puisse

    être

    une créature faible, tarée, ne fait

    pas disparaître le délit

    d'avortement

    provoqué (Cass. pen. 8 juillet 1931, Bet, La Giustizia

    pen.,

    1931, I, 1073).

    58

    Le

    fait

    pour

    une femme

    de se

    trouver

    dans

    le besoin

    et

    de

    recourir pour cette

    raison

    à

    l'avortement,

    ne

    peut

    être

    considéré,

    au

    regard

    de

    la

    jurisprudence, comme un

    «

    motif

    de particulière valeur morale et sociale »

    (circonstance

    atténuante générique de

    l'art. 62

    al.

    1 du

    Code

    pénal) : Cass. pén.

    1er

    décembre

    1939,

    Cordera,

    Annali

    di diritto e

    procedura

    pen.,

    art. cité.,

    1940.

    II. 621.

    59 Cf. en

    particulier

    Manlio

    Pompei, (cf.

    supra, note 24).

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    19/46

    708

    DENISE DETRAGIACHE

    s'agit

    du

    motif

    qui

    est,

    de

    très

    loin,

    le

    plus

    souvent

    invoqué

    -

    pour des

    raisons

    évidentes

    - mais aussi, ainsi

    qu'en

    témoigne le rapport, le plus souvent

    retenu.

    Il

    en est

    ainsi

    dans

    toutes

    les

    circonscriptions à

    l'exception de

    celle

    de

    Rome où prévalent

    les

    autres

    motifs sur

    lesquels nous reviendrons. La seconde

    motivation de nature subjective retenue

    par

    les auteurs du

    rapport

    est,

    quant

    à

    elle, ouvertement blâmée dès sa formulation.

    Ce sont

    les motifs

    purement

    hédonistes

    (limitation

    du nombre d'enfants

    pour

    se soustraire aux devoirs de la

    maternité).

    Le

    docteur

    Giulio

    Rugiu

    écrit

    à

    ce

    propos

    :

    «

    La

    sélection

    matrimon

    ialeoue comme un premier frein, en favorisant le mariage des femmes les

    plus belles

    et les plus riches,

    lesquelles

    sont, le

    plus souvent,

    pour des raisons

    psychologiques, constitutionnelles

    et héréditaires,

    les moins fécondes. Et,

    après le

    mariage,

    à la

    préoccupation

    de la femme pour sa

    propre

    beauté

    s'ajoute

    le souci commun aux deux époux d'assurer à leurs

    enfants

    le plus

    grand

    degré possible

    d'aisance et de considération sociale.

    La

    participation

    toujours

    croissante de

    la

    femme

    à des

    travaux autrefois

    réservés

    à

    l'homme

    et

    nécessitant son absence

    du

    foyer

    domestique, concourt

    ensuite, elle aussi, à

    éloigner la

    femme

    de la maternité»61.

    Giulio

    Rugiu

    remarque

    que

    ces

    causes

    «de décadence démographique agissent

    plus

    fortement

    sur

    les classes culti

    vées et

    aisées que sur les classes pauvres,

    et

    davantage sur les populations des

    villes

    que sur

    celles

    des

    campagnes»,

    mais

    il

    ajoute

    cependant

    non

    sans un

    certain

    cynisme,

    que

    «

    les conditions

    de

    la

    vie

    moderne

    facilitent

    ...

    la

    diffu

    sion du

    mal,

    qui finit

    par attaquer

    les classes pauvres,

    dans leurs

    éléments les

    plus intelligents et les plus ambitieux»62, ce

    qui

    fait «que les habitants d'une

    grande ville ont la natalité non pas de la classe

    sociale

    à laquelle ils appartien

    nent,

    ais de

    celle à laquelle

    ils

    désirent appartenir»63.

    Quant aux autres motifs auxquels se réfère le rapport,

    rien

    n'est indiqué

    sur

    leur

    nature,

    et

    ce

    simple

    fait

    témoigne

    de l'incompréhension

    profonde

    qu'avait

    le

    pouvoir

    fasciste

    de

    ce phénomène social

    pourtant

    si

    largement

    répandu, comme du

    schématisme

    qui présidait

    à

    son examen.

    Les dossiers

    pénaux

    d'avortements étudiés

    à l'A.C.S. nous permettent

    ici

    de

    compléter le

    rapport au

    Duce. On peut

    faire figurer

    dans la rubrique

    «autres

    motifs»,

    notamment

    :

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    20/46

    L'ITALIE

    FASCISTE

    ET

    LA

    RÉPRESSION

    DE L'AVORTEMENT 709

    - le cas, envisagé

    par

    Rugiu, des femmes qui veulent continuer à

    travailler hors

    du foyer;

    - celui des femmes qui ne s'entendent plus avec leur mari, souvent

    absent, et

    qui

    sont

    dès lors

    fort

    peu soucieuses d'accepter

    une nouvelle

    maternité

    -

    celui des femmes,

    souvent

    célibataires

    et

    transplantées dans

    une

    grande ville, qui, bien que

    ne

    craignant

    pas le «

    déshonneur

    » -

    elles sont trop

    anonymes

    pour le

    craindre

    se

    trouvent

    dans

    un

    état

    de

    totale

    solitude,

    matérielle et morale;

    - le cas, encore, des femmes qui ne se

    sentent

    pas

    assez

    mûres psycho

    logiquement,

    ou pas

    assez équilibrées

    affectivement, pour assumer une matern

    ité

    u'elles

    n'ont pas désirée;

    - celu i des femmes qui, déjà avancées en âge,

    déjà

    mères de

    grands

    enfants,

    reculent devant

    la

    «honte» d'afficher ainsi devant

    eux la réalité

    vivante

    de

    leur

    sexualité;

    - d'autres

    motivations, enfin, plus ou moins conscientes, pourraient

    être

    invoquées

    comme la peur de la souffrance - les douleurs de l'accouche

    ment, ou celle de la mort64.

    Quoi qu'il en soit,

    les

    cas qu'il nous a été donné

    d'étudier

    témoignent

    amplement

    du fait

    que

    l'avortement

    est toujours,

    dans

    les classes sociales

    défavorisées,

    la

    solution

    de

    la

    misère,

    de l'ignorance

    et

    du

    désespoir. L'énumé-

    ration des

    procédés

    abortijs - mentionnés dans les

    dossiers

    - auxquels ces

    femmes ont

    parfois

    recours

    au

    péril de

    leur

    santé et de leur vie, est

    particuli

    èrement

    loquente.

    Les

    procédés

    abortijs :

    À

    côté des

    procédés

    traditionnels,

    plus

    ou moins

    efficaces,

    mais

    en tout

    cas peu

    dangereux

    pour la femme qui s'y soumet (tels

    que

    bains de pieds,

    irrigations vaginales d'eau très chaude ou

    très

    froide,

    fortes

    purges,

    ingestion

    de seigle ergoté, de pastilles de quinine, ingestion ou

    application

    locale

    de

    queues

    de persil

    .), nombreux sont

    les

    cas

    dans

    lesquels une avorteuse -

    plus

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    21/46

    710

    DENISE DETRAGIACHE

    duit

    dans

    le

    vagin,

    ingestion

    d'un sublimé

    corrosif,

    application

    locale

    de

    pastilles de

    permanganate65,

    irrigations

    vaginales

    avec des liquides irritants ou

    même caustiques, à

    de très

    hautes températures

    Rinaldo Pellegrini

    et Amieto

    Loro dressent, dans leur Précis de médecine

    légale, un tableau sinistre

    des complications qui

    accompagnent fréquemment

    de tels avortements : «

    II faut

    rappeler

    qu'aux

    avortements

    criminels fait suite

    de manière

    fréquente la mort

    de

    la femme

    par

    intoxication;

    par infection

    puerpérale

    par perforations

    des

    fornix

    vaginaux ou

    de

    l'utérus

    ...

    par

    embol

    ies

    raisseuses ... et

    gazeuzes

    ... par

    hémorragies

    importantes

    de résidus

    placentaires. Il peut s'ensuivre aussi,

    chez les femmes

    qui

    survivent,

    des cystites

    gangreneuses,

    des

    adhérences,

    des

    annexes

    .,

    la stérilité,

    des

    ménorragies,

    la

    tendance

    à avorter

    spontanément

    lors

    de

    grossesses ultérieures»66.

    Devant les manifestations d'une

    telle

    détresse, quelle a été l'attitude de la

    magistrature

    italienne du ventennio? Quelle a

    été

    la réaction des juges à

    l'égard de

    ces

    femmes,

    et

    des hommes

    impliqués

    parfois

    avec

    elles

    dans

    les

    affaires d'avortements délictueux? Ici encore le

    rapport au

    Duce, maintes fois

    cité,

    nous

    fournit des

    renseignements précieux, même s'ils

    ne concernent que

    la seule année 1941 (cf. le

    tableau

    IV en annexe).

    L'attitude de la magistrature italienne devant

    l'avortement provoqué (année

    1941).

    Il faut

    tout de

    suite

    remarquer l'écrasante proportion de femmes jugées

    (75,55%)

    par rapport

    à celles des hommes (24,44%), et également le fait que

    ces femmes ont souvent recours à d'autres femmes,

    parentes,

    amies, sage-

    femmes67, qui se retrouvent ensuite avec elles devant le juge. En

    revanche,

    rares sont les hommes qui subissent le même sort, et

    plus

    rares

    encore

    les

    médecins, coupables

    d'avoir pratiqués un avortement délictueux ou

    de

    s'être

    65 Caustique

    très

    puissant.

    66 Rinaldo Pellegrini, Amieto

    Loro, Compendio di medicina legale, I, Padova, 1935,

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    22/46

    L'ITALIE

    FASCISTE ET

    LA

    RÉPRESSION

    DE L'AVORTEMENT 711

    rendus complices d'un avortement

    provoqué68. La condition

    sociale des

    fem

    mes

    qui

    se

    retrouvent

    devant

    le

    juge

    pour

    avoir avorté

    l'explique

    certainement

    pour partie, l'assistance médicale gratuite

    n'ayant

    ici guère

    lieu

    de

    s'appliquer.

    Das raisons psychologiques interviennent également, selon toute vraisemblanc

    eui leur

    fait

    préférer, pour

    l'avortement

    lui-même, une sage-femme à un

    médecin, celui-ci n'intervenant que

    dans

    un second temps, soit pour terminer

    ce que la première a commencé69, soit parce que des complications ont rendu

    nécessaire

    l'hospitalisation de

    la

    patiente.

    Mais d'autres raisons

    l'expliquent

    encore.

    Il

    apparaît, à la lecture des circulaires adressées dans ce domaine

    par

    le

    Ministero dell'Interno aux

    préfets,

    que les

    médecins

    provinciaux

    n'exer

    çaient pas avec toute la diligence souhaitée en haut lieu leur

    fonction

    de

    68

    II faut remarquer, à

    cet

    égard,

    dans

    l'interprétation

    des

    textes,

    une divergence

    entre

    le

    Ministère,

    appuyé par

    la

    majeure partie

    de

    la

    doctrine,

    d'une

    part,

    et

    la

    jurisprudence, d'autre part. Alors

    que,

    pour les

    premiers,

    l'un

    des

    buts de

    la

    dénonciat

    iones avortements

    par les

    médecins

    au

    médecin provincial est la répression pénale

    (Cf. en particulier

    la

    circulaire

    du Ministero

    dell'Interno

    du

    13

    septembre

    1931), le

    défaut

    de

    dénonciation

    étant une

    violation

    de l'obligation

    de «

    référer

    » de l'art.

    365

    al.

    1

    du Code

    pénal

    («Quiconque, ayant dans

    l'exercice d'une

    profession

    médicale

    prêté sa

    propre

    assistance ou œuvre dans des

    cas qui

    peuvent

    présenter les

    caractères

    d'un délit

    pour lequel il

    y

    aurait lieu de poursuivre

    d'office,

    omet d'en

    référer

    ou en

    réfère

    tardivement

    à

    l'autorité

    judiciaire

    »,

    est

    puni

    d'une amende

    pouvant

    aller

    jusqu'à

    5000

    lires.),

    et pouvant s'analyser, s'il y a

    dol,

    en un cas de complicité

    (art.

    378 C.

    P.),

    il en

    va

    tout

    autrement pour

    la jurisprudence.

    Prenant

    appui sur l'alinéa 2

    de

    l'art. 365

    C.

    P.,

    selon lequel la disposition de l'alinéa 1

    «ne

    s'applique pas lorsque le

    rapport

    exposerait

    la personne assistée

    à

    des

    poursuites», elle en déduit que

    si la

    dénonciation propre à

    l'avortement -

    posée pour la première fois par l'art.

    9 de la

    loi

    du 23 juin 1927 n° 1070 -

    n'était

    devenue

    qu'un cas de

    «rapport»

    de

    l'art.

    365 du

    Code

    pénal

    de 1930,

    elle

    aurait

    perdu

    du

    même coup

    tout caractère obligatoire du fait de l'alinéa 2 de cet article.

    L'obligation

    de

    dénoncer

    les

    avortements

    doit

    donc

    s'apprécier indépendamment

    de

    l'art. 365 C.P. dont elle

    ne constitue

    pas

    un

    cas particulier. Elle s'analyse pour la

    jurisprudence comme une obligation

    a but purement statistique et

    administratif,

    qui ne

    pèse d'ailleurs que sur

    les

    médecins

    à l'égard

    du médecin

    provincial, mais

    non sur ce

    dernier à l'égard

    des

    autorités (ce qui laisse entier le secret

    professionnel)

    (Trib. Milan,

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    23/46

    712

    DENISE DETRAGIACHE

    surveillance à l'égard de leurs confrères qui ne dénonçaient pas toujours

    scrupuleusement

    les

    cas

    d'avortements dont

    ils

    pouvaient

    avoir

    connaissanc

    e70.e Ministère insiste

    sur le

    fait que la surveillance doit

    être

    particulièr

    ementerrée sur le

    «cercle

    étroit

    de

    ceux qui, se dédiant aux

    pratiques

    délictueuses

    de

    l'avortement, cherchent à

    éluder

    la dénonciation pour

    ne

    pas

    encourir

    les

    rigueurs

    de la loi

    ...

    »,

    et fait

    remarquer à ce propos « que

    le

    faible

    nombre

    de

    dénonciations

    peut

    être, dans

    de

    nombreux

    cas,

    l'indice

    le

    plus

    sérieux

    de

    l'infraction

    à

    l'obligation

    de

    dénonciation»71.

    Il

    recommande,

    en

    conséquence,

    la

    plus

    grande vigilance à l'endroit

    de

    ces médecins, «en usant

    des moyens

    efficaces que la loi

    sur la

    Pubblica sicurezza fournit à cet

    effet.

    «La circulaire

    aux préfets du 6 avril 1936, n°

    40 72

    relève, de manière

    plus

    explicite encore, que, pour la

    période 1932-1935,

    «faible est le nombre de

    poursuites dirigées

    contre

    des médecins

    responsables

    d'avortements déli

    ctueux

    ou

    même

    d'une carence

    dans

    l'accomplissement

    de

    la délicate fonction

    de surveillance qui

    leur

    incombe

    ».

    Et

    le

    Ministère

    voit

    dans

    ce

    phénomène

    un

    indice à

    la

    fois

    du peu de zèle des

    praticiens,

    qui

    répugnent à

    trahir la

    confiance d'un

    patient,

    et du laxisme des

    médecins

    provinciaux

    à l'égard des

    confrères qui

    «dénoncent

    comme

    avortements

    spontanés,

    dûs

    à «une cause

    imprécisable », des cas dans lesquels les éléments mêmes qui sont contenus

    dans la

    dénonciation laissent pour

    le moins

    soupçonner qu'il

    puisse

    s'agir d'un

    fait

    délictueux

    ».

    En conséquence,

    le

    Ministère rappelle à l'ordre

    les

    médecins

    provinciaux,

    «

    car,

    conformément

    à

    des

    directives supérieures,

    leur

    action sera

    l'objet

    d'un contrôle

    attentif

    de la part

    de ce bureau

    ».

    Une

    étude poussée des

    données

    fournies

    par

    les

    dossiers pénaux

    d'avorte-

    ment

    montrerait

    sans

    doute

    aussi

    que, moins souvent jugés que les femmes,

    les hommes, qu'il s'agisse de simples particuliers ou de médecins, sont aussi,

    proportionnellement

    moins souvent condamnés qu'elles, le doute sur

    leur

    participation

    aux

    manœuvres

    abortives

    étant plus facilement

    admis73.

    C'est

    • d'autant plus vrai

    pour

    les

    médecins qui bénéficient

    en outre des

    ressources

    de leur art et de l'esprit de corps de leur profession. Sur

    eux,

    de

    surcroît,

    ne

    pesait pas la

    sorte

    de

    présomption

    de

    solidarité - même

    rémunérée - avec les

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    24/46

    L'ITALIE

    FASCISTE ET LA RÉPRESSION DE L'AVORTEMENT 713

    femmes

    qui désiraient avorter,

    qui jouait au

    contraire

    contre

    les sage-

    femmes74.

    Outre

    cette

    remarque relative au sexe des condamnés,

    on

    peut aussi

    constater le nombre

    relativement

    élevé des acquittements, le pourcentage le

    plus faible étant celui de Palerme (20%), le plus

    élevé,

    celui de Milan (44,14%),

    Florence et Rome

    étant

    très voisines de la moyenne nationale (38.30%), alors

    que

    Turin est nettement au-dessous (27,84%).

    Ces

    données paraissent

    conforter le jugement

    formulé par

    Guido

    Neppi

    Modona75, étayé par de

    nombreuses circulaires du Ministero

    di Grazia e

    Giustizia76, et selon lequel le régime

    fasciste

    se serait heurté, en matière de

    répression de

    l'avortement, à une attitude

    jugée en haut lieu comme beaucoup

    trop indulgente de la

    part

    de

    la

    magistrature, dont le Régime

    n'avait

    pourtant,

    par

    ailleurs,

    guère lieu de

    se plaindre77.

    Les premiers résultats

    de

    cette recherche, obtenus à

    partir de

    sources

    géographiquement plus

    diversifiées

    que

    celles

    de

    Neppi

    Modona78

    -

    et

    qu'il

    s'agit maintenant

    de préciser - permettent de nuancer quelque peu

    cette

    affirmation.

    Les documents

    sur

    lesquels nous avons

    travaillé

    sont

    essentiellement les

    dossiers

    intitulés

    «rapports informatifs

    sur

    les crimes et délits» (mais qui, en

    réalité, contiennent

    bien

    plus

    que

    de

    simples

    rapports informatifs), du

    fonds

    Ministero di Grazia e Giustizia, Direzione generale Affari penali, grazie e

    casellari,

    Divisione

    affari

    penali,

    archivio

    dell'Ufficio

    Primo,

    1938-1944,

    et

    plus

    spécialement

    ceux de

    ces dossiers

    qui

    sont

    contenus dans les liasses «avorte-

    ments»

    spéciales à ce délit, et établies

    année

    par

    année

    pour chaque

    Procura

    74

    A. Visco,

    dans son article cité

    supra, note 44,

    relève

    que le

    nombre

    de

    sage-femmes

    dénoncées

    comme suspectes

    a

    été

    : en 1935,

    de

    123; en 1936, de 47; en 1937, de 91 ; en

    1938,

    de

    71, et

    en

    1939

    de

    32

    (note

    19,

    p.

    73).

    75

    Guido

    Neppi Modona, La magistratura e il fascismo, dans Fascismo e società

    italiana,

    Torino, 1973, p.

    125

    sq., spécialement, p.

    145.

    76

    À

    partir de

    1928, tous les

    Gardes des

    sceaux

    ont

    pris

    une circulaire sur la

    question

    de

    la répression de l'avortement,

    au

    cours du

    ventennio

    :

    Rocco,

    en

    1928,

    sous

    l'empire

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    25/46

    714

    DENISE DETRAGIACHE

    generale. Quelques très rares dossiers se trouvent également - sans aucune

    logique

    apparente

    -

    dans

    d'autres

    liasses

    qui,

    soit

    ont

    été

    établies pour

    chaque

    circonscription

    judiciaire (comme

    les

    liasses «Justice», ou celles qui s'intitu

    lent«

    Délits

    accomplis

    sur

    des mineurs »), soit regroupent sous un

    titre

    général (militaires; prévenus mineurs; fonctionnaires;

    ministres

    du culte...)

    les délits correspondants, toutes

    circonscriptions

    mêlées.

    Devant l abondance de la documentation,

    un

    choix

    s'est

    avéré

    nécessaire.

    Ce

    choix devait permettre

    de dresser

    un

    tableau aussi

    complet

    et

    aussi

    fidèle

    que

    possible

    de la situation dans les différentes

    régions

    d'Italie,

    et

    c'est

    pourquoi

    il

    s'est porté sur

    les Procure

    generali

    de

    Turin, Rome, Naples, et

    Palerme, avec en

    outre

    quelques sondages dans celles de Milan (où trois

    années

    ont été

    entièrement explorées),

    Florence,

    Bologne

    et Gênes,

    ce qui

    représente

    le dépouillement de 56

    liasses contenant

    près de 5000 dossiers

    (4975, pour

    être précise).

    Ce

    choix

    a

    été

    fait

    non seulement

    parce

    qu'il

    permettait

    d'analyser

    des

    données concernant aussi

    bien

    le

    Nord,

    le Centre et

    le Sud de la

    péninsule,

    que

    l'Italie insulaire, mais aussi

    parce que les circonscriptions

    choisies per

    mettaient d'étudier des régions où se trouvent les villes les plus peuplées

    d'Italie, ce qui rend notre sondage évidemment

    beaucoup plus

    représentatif.

    Nous

    pouvions

    ainsi tenter de gagner en étendue ce que nous ne pouvions

    obtenir dans la durée.

    En

    effet, seule la période allant de

    1938

    à

    1944

    a

    fait

    l'objet,

    pour les

    «

    rapports

    informatifs

    sur

    les

    crimes et

    délits

    »,

    d'un versement

    du Ministero

    di Grazia e

    Giustizia à l'A.C.S.

    Une

    enquête menée

    au

    ministère

    même, à l'Ufficio primo de l'actuelle Direction

    des affaires

    pénales79

    nous a

    permis de constater que la très grande lacune dans le versement

    fait

    ne serait

    et ne pourrait pas être comblée car toutes les

    archives

    de l'Ufficio primo, en

    particulier

    pour

    la

    période

    qui

    va

    de 1922 à 1937, ont disparu.

    En revanche,

    tout

    ce

    qui

    concerne

    les

    grâces

    et

    les

    extraditions

    décidées

    à

    cette

    même

    époque est disponible.

    Ce

    sont donc tous les documents de cette période

    concernant

    la répression pénale

    proprement

    dite qui ont

    disparu, et

    ce, sans

    laisser de traces.

    Seule

    une recherche conduite

    au niveau

    local pourrait

    permettre

    de combler

    cette

    lacune importante,

    et

    d'élargir le champ temporel

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    26/46

    L'ITALIE FASCISTE

    ET

    LA

    RÉPRESSION

    DE

    L'AVORTEMENT

    715

    III

    -

    L'attitude

    de

    la

    magistrature

    italienne

    en

    matière de

    répression

    DE L'AVORTEMENT

    Si l'on veut s'efforcer de dresser une typologie de l'attitude des juges du

    ventennio

    dans

    le

    domaine de la

    répression

    de

    l'avortement,

    il

    importe

    d'établir

    une échelle des indices d'indulgence

    en la

    matière, et

    d'y

    situer

    les

    juges.

    Son étude

    nous

    permettra

    alors

    de

    constater

    que

    le juge piémontais

    -

    précisément choisi comme modèle

    par

    Guido

    Neppi

    Modona - remarquable

    mentrésent

    à tous

    les degrés

    de l'échelle, y

    occupe

    une place

    toute particul

    ière,ui interdit

    dès

    lors de

    la considérer

    comme représentatif de l'ensemble

    de la

    magistrature

    italienne de

    l'époque.

    1)

    Les

    indices d'indulgence.

    Une

    première série d'indices

    a trait à

    la motivation des jugements

    et arrêts

    ainsi que

    des

    ordonnances

    des

    juges d'instruction. Avec eux

    se

    trouve posé le

    problème, crucial

    entre tous, de

    la

    preuve

    des

    faits délictueux

    qui

    sont

    reprochés à l'inculpé, et

    de la

    justification qu'elle apporte à la décision

    juridictionnelle.

    La distinction, opérée par

    le

    Code

    Rocco,

    entre

    l'avortement

    proprement

    dit

    et

    les

    actes

    abortifs

    accomplis

    sur

    une

    femme tenue

    pour

    enceinte,

    a

    pour

    conséquence la nécessité

    impérieuse

    de

    prouver l'état

    de

    grossesse

    si

    l'on veut

    pouvoir

    prouver l'avortement. Là réside précisément la

    difficulté

    majeure sur

    l'existence de laquelle s'accordent tous les

    auteurs, qu'ils soient

    juristes ou

    spécialistes de médecine

    légale80.

    La femme était-elle enceinte? A-t-elle avor

    té?

    t,

    en l'absence

    d'avortement,

    des moyens en

    eux-mêmes

    susceptibles d'en

    provoquer

    un

    ont-ils été

    utilisés?

    Tel

    est

    le

    domaine

    de

    ce que

    l'on

    appelle

    la

    preuve générique de l'avortement, et telles sont les questions auxquelles doit

    répondre

    l'expertise médico-légale qui sera pratiquée

    sur

    la

    prévenue. Mais,

    bien souvent,

    du fait du laps de temps qui s'est

    écoulé

    depuis

    les faits

    contestés, l'expertise peut difficilement apporter

    une réponse

    certaine à ces

  • 8/17/2019 Un Aspect de La Politique Démographique de l'Italie Fasciste

    27/46

    716

    DENISE DETRAGIACHE

    ce

    a-t-elle

    admis

    que

    lorsque

    la

    preuve

    générique

    est

    incertaine,

    elle

    peut

    être

    complétée

    par

    des éléments de preuve dits

    «spécifiques»,

    tels

    que

    des

    témoi

    gnages, ou la confession de l'inculpée82. Bien

    plus,

    si la

    «preuve

    générique fait

    défaut ou

    chancelle, la grossesse

    et l'avortement

    peuvent valablement

    résulter

    de

    preuves spécifiques

    sûres et précises»83.

    Encore faut-il que l'existence - ou la non-existence - de telles preuves

    apparaisse à la lecture

    des

    jugements, arrêts, ou ordonnances rendus. Tel n'est

    pas

    toujours

    le

    cas,

    et

    c'est

    à

    ce

    premier

    niveau

    que

    l'on peut

    déceler

    un

    indice assez faible

    certes, mais

    un indice tout

    de

    même,

    de

    l'indulgence

    possible d'un

    juge

    ou

    d'un tribunal.

    Parmi

    les

    reproches d'ordre général adressés à la magistrature

    italienne

    du « ventennio »,

    le

    plus généralement répandu est

    certainement,

    en

    effet,

    celui

    de motiver

    de manière insuffisante ses

    décisions, que ce soit

    au stade

    de

    l'instruction ou à celui du jugement de

    premier degré ou d'appel.

    Il

    s'agit

    d'un indice d'indulgence

    assez

    faible

    dans

    la

    mesure

    une

    motivation insuffisante peut très bien ne recouvrir aucune intention particul

    ière. lle

    peut néanmoins être le

    fruit

    d'une

    attitude

    libérale

    qui entend

    se