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HISTOIRE DU DROIT MARITIME L’UNION OU LES AVENTURES DUN CAP-HORNIER DANS LA TOURMENTE DE 1914 JEREMY DRISCH MASTER 2 DROIT ET SECURITE DES ACTIVITES MARITIMES ET OCEANIQUES

Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

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Page 1: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

HISTOIRE DU DROIT MARITIME

L ’UNION

OU LES AVENTURES D’UN CAP-HORNIER

DANS LA TOURMENTE DE 1914

JEREMY DRISCH

MASTER 2 DROIT ET SECURITE DES ACTIVITES MARITIMES ET

OCEANIQUES

Page 2: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

2

Urbain-Victor Chatelain

Avant-port de Dunkerque

INTRODUCTION

« Le long des quais les grands

vaisseaux, que la houle incline en silence ne

prennent pas garde aux berceaux que la main

des femmes balance. Mais viendra le temps des

adieux ; car il faut que les femmes pleurent et

que les hommes curieux tentent les horizons

qui leurrent ». Ainsi commence le poème de Sully Prudhomme qui convient certainement à

l’ambiance qui devait être celle du port de Dunkerque la veille du 24 juillet 1914. Sur les

quais, les grands vaisseaux à quatre mâts sur lesquels flottait le pavillon de la compagnie

Bordes, se préparent à partir. L’Union doit partir le lendemain. Tous les marins s’affairent

pour que le départ pour Port Talbot au Pays de Galles se fasse sans soucis. A bord, le

troisième lieutenant Paul Chatelain vérifie que toutes les denrées nécessaires à la traversée

soient présentes. Cet officier, est le cambusier. Appelé aussi le « lieutenant de cages à

poules », il gère la cambuse1 et distribue les rations de nourriture

et de vin. C’est pour lui une grande première. Agé de presque 20

ans, il a déjà effectué un voyage en tant que matelot sur un

paquebot entre sa première et sa deuxième année à l’école de

commerce de Paris. Inscrit maritime à Marseille, il avait franchit

le canal de Suez et avait été jusqu’à Yokohama au Japon. Sinon,

ce jeune homme a vécu la plupart du temps à Chaumont où il est

né, à Paris et à Poitiers avant d’embarquer à Dunkerque. Il est

issu d’une famille bourgeoise. Son père, Urbain-Victor Chatelain, agrégé de lettre et de

grammaire, est un poète. Il participera à la fondation de la « Revue des poètes ». Auteur d’une

thèse remarquée sur Fouquet, il reçoit le prix Thérouanne de l’Académie française sur la

proposition spontanée du Professeur Ernest Lavisse2 et sera fait chevalier de la Légion

d’honneur le 9 juillet 1936. Paul Chatelain compte parmi ses cousins, les futurs généraux

Luyt3 et Vauthier4 qui s’illustreront dans la guerre qui se prépare.

1 Lieu de stockage de l’intendance 2 Extrait d’un journal de Chaumont de 1936 – Archives familiales 3 Le général Luyt sera après la guerre, le gouverneur de la place de Metz. Avant la deuxième guerre mondiale, il vivra sa retraite en tant que Maire dans un petit village de Bourgogne.

Page 3: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

3

Quatre-mât remorqué dans le port de Dunkerque

Le départ de Paul Chatelain semble soudain. Son père lui écrira un jour : « J’ai été

surpris de ton brusque silence et de ton départ sans adieu. J’en connaîtrai peut être les

raisons quelque jour. »5.

Ce jeune officier va donc faire ses armes sur l’Union, un quatre-mâts carré6 en fer un

peu plus âgé que lui. Lancé en 1882 en Ecosse, c’est le premier quatre-mâts armé par la

Maison Bordes. Sa construction aura coûté 740 609 francs-or. Long de 87,52 mètres et large

de 13,08 mètres, il peut porter 73000 quintaux de nitrate de soude du Chili. Son nom est là

pour rappeler l’union entre Antoine-Dominique Bordes et ses trois fils, associés à l’armement

cette année là.

Le 24 juillet à 3h30, l’Union quitte le port de Dunkerque, mais Paul Chatelain

explique « la brise est trop forte et d’une aire mauvaise nous [empêchant] de nous mettre en

route »7. Le voilier finit par mouiller en rade de Dunkerque et pendant plusieurs jours,

explique t-il, le remorqueur refuse de partir. La brise demeure trop forte. Finalement, le 27

juillet, l’ Union appareille enfin. Le 30 à 4 heures, les marins peuvent voir la terre : « Dans la

brume, on entend un sifflet de vapeur »8.

Dans le même temps, la situation

internationale se dégrade. En effet, le 28

juillet, l’Autriche-Hongrie mobilise

contre la Serbie. Le 29, c’est la Russie

qui déclare unilatéralement la

mobilisation contre l’Autriche-Hongrie.

Le 1er août, soit deux jours après l’arrivée

de l’Union à Port Talbot, l’Allemagne

déclare la guerre à la Russie, et à 16h00,

la France décrète la mobilisation générale. L’Union surpris par le déclenchement de ce conflit

mondial est obligé d’attendre jusqu’à début septembre au Pays de Galles. Il partira le 7

septembre avec une cargaison de charbon pour son dernier voyage.

4 Le général Vauthier est l’auteur d’un ouvrage sur la défense anti-aérienne dans l’entre-deux guerre. La fin de sa carrière militaire est largement assombrie par le fait qu’il fut chef d’Etat-Major du Maréchal Pétain à la veille de la seconde guerre mondiale lorsque ce dernier était ambassadeur à Madrid. 5 Lettre d’Urbain-Victor Chatelain écrite à Paris le 9 octobre 1914 – Archives familiales 6 Le quatre-mâts carré porte un mât d'artimon grée d'un artimon, et d'une phare carré (ensemble de plusieurs voiles carrés en étage: un perroquet de fougue et une perruche). 7 Journal personnel de Paul Chatelain entre Dunkerque et Port Talbot – Archives familiales 8 Ibid.

Page 4: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

4

Durant ce laps de temps, se mettra en place du côté allemand un système qui vise à la

maîtrise des océans et des voies commerciales maritimes internationales. A cet effet, l’empire

germanique parce que ne disposant que de peu de navires militaires mais d’une flotte

importante de navires commerciaux va, en application de la convention (VII) de la Haye du

18 octobre 1907 relative à la transformation des navires de commerce en bâtiment de guerre,

se créer une flotte de corsaires et de croiseurs.

L’ Union est entrainé malgré lui dans la tourmente de la première guerre mondiale. La

question sera de comprendre pourquoi le nom de ce voilier sera retenu dans le monde

maritime en tant que victime de la Grande guerre. A travers l’expérience de Paul Chatelain,

nous tenterons de comprendre le mécanisme qui se mit en place et entraina la perte du premier

voilier français. Pour cela, il est nécessaire d’appréhender le symbole qu’est ce navire. A la

fois premier quatre-mâts d’un armement en tête du commerce maritime français et dont les

intérêts sont ceux de la nation française à l’heure de la guerre, il est le premier navire français

touché par la redoutable organisation mise sur pied par les allemands. Et contrairement à une

idée reçue, la France a besoin de ses marins, et encore plus de ses marins cap-horniers ; or

ceux-ci seront souvent la cible de la justice.

Ainsi, l’Union, un des derniers cap-horniers de l’armement Bordes (Section I), sera la

première prise française (Section III) du conflit mondial qui se jouera sur les eaux (Section

II).

SECTION I : L’ UNION, UN DES DERNIERS CAP-HORNIERS DE L ’ARMEMENT BORDES

1914 est une année qui marque le début du déclin des cap-horniers à voile. Le canal de

Panama ouvre cette année-là, et les navires à vapeur commencent à prendre le dessus. Ce sera

le début du déclin de l’armement Bordes, le premier armateur européen de cap-horniers (A),

dont fait partie l’Union (B).

A°/ Les cap-horniers de l’armement A.D. Bordes

L’armement A.D. Bordes et plus tard ADB et fils (1), à la veille de la guerre reste

toujours compétitif alors qu’apparaissent les premiers navires à vapeur. Ce qui fait

certainement la force de cet armement, ce sont les compétences de ses cap-horniers (2).

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5

Antoine-Dominique Bordes

Chargement de voiliers Bordes en Nitrate à Iquique (Chili)

1°/ L’armement A.D. Bordes

En 1847, Antoine-Dominique Bordes, agent maritime posté au Chili depuis 1835

s’associe avec le capitaine au long-cours Ange-Casimir Le Quellec pour créer une compagnie

maritime. Le but de cette compagnie est d’exporter au Chili des produits français et de

ramener en France des marchandises sud-américaines telles que du cuir, de la laine ou des

minerais. Leur compagnie est basée à Bordeaux, d’où partent

également leurs voiliers pour Valparaiso. Ce trajet représente environ

170 jours de navigation pour la dizaine de navires9 qu’ils ont à

l’époque.

En 1868, le Capitaine Le Quellec décède. Antoine-Dominique

Bordes rentre en France et rachète au fils du Capitaine ses parts.

Bordes devient donc le seul maître à bord. Il change alors de stratégie

pour ne faire que dans l’importation de nitrate de soude du Chili, un

produit massivement utilisé par les agriculteurs français. Afin

d’approvisionner les ports de Bordeaux, la Palice et Nantes, il commande 14 voiliers dans des

chantiers écossais.

Alors que la compagnie évolue bien et désireux de se développer dans le nord de la France, il

envoie l’un de ses agents ouvrir une

succursale à Dunkerque en 1874. La

demande étant très forte, le port de

Dunkerque devient vite le centre de

l’armement d’Antoine-Dominique

Bordes. En 1896, plus de la moitié du

nitrate importé y sera déchargé.

En 1880, Antoine-Dominique Bordes est

rejoint par ses fils Adolphe, Antonin et

Alexandre et alors profitant de la crise

qui secoue les armements, ADB et fils

rachètent 11 voiliers à leurs concurrents. A la mort du père en 1881, la société compte 41

navires. Les frères Bordes font désormais construire des quatre-mâts, bien plus rapides que

leurs prédécesseurs.

9 Un voilier en fer de 800 tonnes, Blanche et Louise, et neuf en bois

Page 6: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

6

En 1905, l’armement Bordes est classé premier mondial des compagnies maritimes à voiles.

A la veille de la première guerre mondiale, l’armement des frères Bordes compte 46

navires, 60 capitaines, 170 officiers et 1400 matelots et maîtres. Il importe la moitié du nitrate

européen. Ce nitrate est important pour la confection de la poudre. Il fut donc primordial pour

l’effort de guerre. Pendant le conflit, 122 voyages approvisionnèrent les ports français et 18

voiliers couleront.

Dès 1923, la compagnie se sépare de certains de ses navires. La crise qui l’affecte depuis la

fin de la guerre l’a conduit à faire faillite en 1935, victime de la guerre, de la concurrence

féroce, et des crispations socio-économiques.

Cette faillite signe la fin d’un temps, celui des cap-horniers à voile, un monde bien à

part dans la marine marchande.

2°/ Les cap-horniers

C’est en 1577 que le pirate anobli par la cour d’Angleterre, Francis Drake découvre un

passage plus au sud que celui trouvé par Fernand de Magellan en 1520. Pourtant ce passage

sera très peu emprunté jusqu’au 31 janvier 1616, date où deux hollandais (Isaac Lemaire et

Guillaume Schouten) tentant d’ouvrir une nouvelle route commerciale passent le cap qu’ils

nommeront Horn. Le premier français à y passer sera le malouin Jacques Gouin de

Beauchesne le 9 janvier 1701.

Le canal de Panama n’ouvrant

qu’en 1914, le cap Horn deviendra vite le

passage obligé entre l’Atlantique et le

Pacifique pour les navires marchands et les

baleiniers.

Le cap Horn est un passage extrêmement

difficile à prendre. Il faut faire face aux

vents, aux tempêtes, aux icebergs, ce qui

parfois empêche les navires de passer. Le

record est détenu par le voilier américain

Edward Sewall qui dut, en 1904, croiser durant deux mois dans les parages du Horn avant de

réussir à le passer. L’Armement Bordes conseillait à ses capitaines : « Pour doubler le cap

Horn, l’expérience a prouvé qu’il faut passer aussi près de terre que possible. » Malgré cela,

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L’Union à Port Talbot en 1906

de 1830 jusqu’à environ 1925, le Cap Horn est le point de passage des trois quarts du

commerce maritime européen. Les routes maritimes passant par le Cap Horn se verront

renforcées par la découverte d’or sur la côte ouest de l’Amérique du Nord vers 1850. On y

voit donc passer des voiliers long-courriers et des clippers. Il s’agira la plupart du temps, de

trois-mâts en bois ou en fer, de quatre-mâts en fer ou en acier, voir parfois de cinq-mâts.

L’ouverture du canal de Panama le 3 août 1914 et l’augmentation des navires à vapeur

signeront la fin des voiliers cap-horniers.

La compagnie Bordes saura organiser un commerce entre l’Amérique du sud et

l’Europe pour apporter du charbon et revenir avec du nitrate. L’Union sera l’un des navires

faisant parti de ce vaste commerce intercontinental.

B°/ L’ Union

L’ Union, sera le premier quatre-mâts de l’armement Bordes (1) répondant ainsi à un

besoin bien précis comme le démontre ses caractéristiques (2) et sa longue vie (3).

1°/ Le premier quatre-mâts de l’Armement Bordes

Dans le désert d’Atacam, dans

l’ancienne province péruvienne du Tarapaca

(côte ouest de l’Amérique du Sud,

l’exploitation du nitrate ne cesse de

s’accentuer. Antoine-Dominique Bordes ne

tarde pas à investir dans ce domaine en en

organisant lui-même la commercialisation en

France. A cet effet, il commence par diriger

le transport de cette marchandise vers le port

du Havre en 1874. Ensuite, il dirige ce

commerce vers Dunkerque où il a donné des instructions pour faire construire les entrepôts

nécessaires et pour que le responsable de sa succursale développe des contacts avec les

agriculteurs du Nord pour la vente de nitrate.

Page 8: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

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L’Union grée en quatre-mâts carré

Antoine-Dominique Bordes a toujours réussi à spécialiser ses navires en fonction de la

marchandise, du trajet et de l’évolution des techniques. Après les trois-mâts en bois, puis ceux

en métal, des navires qui ont fait leurs preuves dans le commerce de pondéreux, il doit faire

construire des navires pouvant transporter plus de charges, donc plus grands mais aussi plus

rapides.

L’ Union est le premier quatre-mâts carré en fer commandé par Antoine-Dominique

Bordes. Il sera construit à Greenock en Ecosse, par Russel & Cie pour un coût de 740 609

francs, soit 349 francs le tonneau.

Le capitaine Guillaume Le Querhic a de l’expérience dans la construction navale. Il est

donc envoyé par Monsieur Bordes afin de contrôler l’avancée des travaux à Greenock.

L’ Union est lancé le 12 septembre 1882. Il appareille le 26 octobre avec à son bord trente-

quatre hommes sous les ordres du Capitaine Le Querhic. Il livre à Bordeaux, le 3 novembre,

1766 tonnes de charbon. Il est francisé à son arrivée, puis chargé de 1900 tonnes de poteaux

de mine, retourne en Angleterre prendre la cargaison aller de son voyage inaugural dans les

mers du Sud, à savoir 3221 tonnes de charbon de Cardiff.

2°/ Ses caractéristiques

En plus d’être un navire

gréé en quatre-mâts carré en fer,

innovation technique à l’époque,

l’ Union est doté de chaudières.

Ainsi, les treuils servant au

transbordement des marchandises,

les pompes de cale, les treuils à

brasser les vergues et le guindeau

pour virer l’ancre fonctionneront à la vapeur. Cette nouveauté permet de réduire le nombre de

marins nécessaires à la manœuvre sur un tel bateau, bien que la surface de toile soit

imposante. En effet, l’Union est doté de quatre mille mètres carrés de voile.

Il est long de 97 mètres, large de 14,15 mètres avec un tirant d’eau de 7 mètres à

pleine charge. Sa mâture se compose de quatre mâts dont le grand-mât domine le navire à

environ 43 mètres de hauteur.

Page 9: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

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L’Union après transformation : quatre-mâts barque

En plus d’être un navire pratique et doté des dernières technologies pour le transport

de nitrate et de charbon, il est aussi un voilier confortable adapté au long-cours. Claude et

Jacqueline Briot dans leur ouvrage sur les cap-horniers français réunissant les informations

des différents journaux de l’époque expliquent : « Le salon est placé à l’arrière ; il est vaste,

bien aéré et éclairé par une claire-voie en verre dépoli. Les lambris sont en bois de teck verni

avec décorations dorées ; de chaque côté sont installées onze cabines, dont cinq pour le

capitaine et les officiers, et les autres réservées pour des passagers. »10

Cette œuvre de l’armement Bordes connaitra une longue carrière de cap-hornier avant

son dernier voyage en 1914.

3°/ Un voilier à la vie longue

Pour son voyage inaugural, l’Union transporte donc du charbon gallois destiné à Rio

de Janeiro. Il y fait escale du 27 mars au 30 avril 1883. A Iquique au Chili, du 27 juin au 28

juillet, 3175 tonnes de nitrate de soude sont arrimées dans les cales à destination de

Dunkerque, rallié le 5 novembre 1883. C’est durant ce voyage qu’Antoine-Dominique Bordes

décèdera. Il est en effet mort le 28 mai durant le premier voyage du navire qui devait

symboliser par son nom la transmission de l’armement à ses fils.

A partir de là, la plupart de

voyages de l’Union s’effectueront

entre Dunkerque, Port Talbot,

Valparaiso et Iquique.

Lors de son trente-deuxième

voyage, l’Union est en rade d’Iquique

lors de l’ouragan du 23 juin 1911. Son

mât de misaine est cassé. De plus,

abordé par le quatre-mâts Madeleine,

lui-même de l’armement Bordes, une

voie d’eau se déclare en dessous de la ligne de flottaison. Avec l’aide de marins d’autres

navires, la voie d’eau est aveuglée. Il peut repartir pour l’Europe où il devra être réparé. A ce

10 BRIOT Jacqueline et Claude, « Cap-horniers français tome II : Histoire de l’armement Bordes et de ses navires », Editions Chasse-Marée, Dournenez, 2003, p. 266

Page 10: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

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La flotte du Vice-amiral von Spee devant Valparaiso

moment, il sera transformé en quatre-mâts barque. Cela signifie que le dernier mât est grée en

brigantine avec une voile triangulaire.

L’Union aura effectué près d’une quarantaine de voyages avant d’assister au premier

conflit mondial.

SECTION II : L’ UNION, AUX PREMIERES LOGES D’UN CONFLIT MARITIME MONDIAL

A°/ Contexte maritime international

Peu de temps après la déclaration de guerre, les voiliers marchands commencent à être

attaqués par des navires de guerre allemands se battant pour le contrôle du Pacifique et de

l’Atlantique sud (1). A côté de ces navires militaires, les allemands arment leurs paquebots à

vapeur pour en faire des « croiseurs auxiliaires » (2). L’objectif de l’Empire germanique est

de hâter la fin du conflit en détruisant les moyens d’approvisionnement des alliés.

1°/ Opérations navales

Dans le Pacifique, demeure depuis

1870 une escadre allemande. Lorsque la

guerre éclate, elle se trouve sous le

commandement du vice-Amiral von Spee et

est composée de deux croiseurs cuirassés et

de trois croiseurs légers. Menant une guerre

de course, la flotte britannique cherche le

contact avec la flotte de von Spee. La rencontre a lieu le 1er novembre 1914 devant Coronel,

un port chilien au sud de Valparaiso. L’escadre britannique se laisse surprendre par la flotte

allemande. Constatant leur faiblesse, le croiseur cuirassé Good Hope où se trouve le

commandant de l’escadre, l’Amiral Cradock, part à la rencontre de l’ennemi, laissant ainsi le

temps aux autres navires de s’échapper. La flotte anglaise est anéantie et les allemands

contrôlent alors le Pacifique. Cette défaite porte un coup dur au mythe de l’invincibilité de la

Royal Navy, jusqu’alors invaincue depuis la Bataille de Chesapeake en 1781.

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11

Le croiseur Karlsruhe

Bientôt pourtant, elle pourra prendre sa revanche. Le vice-amiral von Spee reçoit

l’ordre de rejoindre l’Allemagne. Ayant organisé la concentration de son escadre à Mas à

Fuera, il appareille dans la nuit du 15 au 16 novembre (après un mois d’hésitation) pour la

côte argentine. Pensant que la flotte anglaise a quitté les îles Falklands, il veut en profiter pour

faire un raid sur la base navale de Port Standley. Mais à son tour, il se fait surprendre.

L’amirauté britannique avait placé là ses plus récents croiseurs anéantissant ainsi l’escadre de

von Spee le 8 décembre 1914. La flotte allemande ne s’en sortira seulement qu’en 1916.

2°/ La chasse aux navires marchands

A côté du conflit naval de la première guerre mondiale, la marine allemande arme des

navires pour faire la chasse aux navires marchands comme le montre l’exemple du Kronprinz

Wilhelm.

Bien avant que l’empire germanique

ne lance la guerre sous-marine, il se fonda sur

une organisation quasi-parfaite de ses flottes

(militaires et marchandes) pour perturber

l’approvisionnement des alliés et favoriser le

trafic vers l’Allemagne. Cette organisation

existe depuis avant la guerre. Il faut

comprendre que pour s’assurer le contrôle du commerce maritime international, de nombreux

agents et des navires prêts à être armés pour une surface maritime considérable sont

nécessaires.

Environ 60% du commerce maritime allemand était entre les mains de dix compagnies

concertées réunies en une puissante union au service du gouvernement. Ainsi, six ans avant le

début de la grande Guerre, l’Empire avait donné des instructions aux commandants de

paquebots. La règle était qu’en cas de conflit imminent, les navires devaient se rendre en port

neutre pour y attendre des ordres. Un manuel des croiseurs leur fut transmis, indiquant les

points de rendez-vous vers lesquels les croiseurs devaient se diriger sans retard en vue de

recevoir leur armement. Cela pouvait être près des Bahamas, près de l’Ile de Trinidad, etc. Un

certain nombre de centres de ravitaillement avec un officier le commandant étaient prévus.

Par exemple, dans l’Atlantique, zone principale d’opérations des corsaires qui étant donné la

Page 12: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

12

Après 8 mois de course, le Kronprinz Wilhelm se rend à Newport (Etats-Unis)

richesse circulant sur cet océan comptait comme centres New York, Las Palmas, La Havane,

Rio de Janeiro, et Buenos Aires. Ces commandants, souvent des espions sous couverture

diplomatique, avaient la responsabilité des charbonniers présents dans sa zone. Une fois cette

organisation mise en place, le but des corsaires et croiseurs auxiliaires était d’arraisonner tout

navire marchand pouvant leur apporter du charbon ou des vivres, mais aussi de les couler sans

laisser de traces.

Le paquebot Kronprinz

Wilhelm est un exemple de ces

croiseurs auxiliaires qui

menaceront le commerce maritime

international durant l’année 1914

et dont l’Union sera l’une des

premières victimes.

Le Kronprinz Wilhelm est un

ancien paquebot de la

Norddeutscher Lloyd. Il prit le nom du fils du Kaiser Guillaume II, et est le sister-ship du

Kaiser Wilhelm der Grosse. Lancé en 1901, il obtient le ruban bleu (récompense attribué au

navire qui a effectué la transatlantique la plus rapide) en 1902. En effet, il mit 5 jours, 57

minutes entre Cherbourg et New-York avec une vitesse

moyenne de 23,09 nœuds.

A la veille de la guerre, le Kronprinz Wilhelm quitte

précipitamment le port de New-York. Il fut l’un des rares à

pouvoir sortir sans en être empêché par les autorités nord-

américaines. En effet, quelques jours avant, il avait reçu des

instructions pour charger de grosses quantités de vivres.

Une fois le charbonnage terminé, il parti le 3 août à 8h10.

Sous couvert de l’obscurité, à petite allure, le paquebot

sortit du port dans la nuit du 3 au 4 août et pour faire route

au sud. Rendez-vous avait été fixé par le croiseur Karlsruhe

pour le 6 août au large des Bahamas afin que le paquebot

soit transformé en croiseur auxiliaire. Le 6 à sept heures du

matin, les deux navires se rencontraient. Le croiseur lui

installa (ce qui aujourd’hui peut paraitre dérisoire), une paire de canons de 85 m/m, 290 obus

Page 13: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

13

L’Union vu de la mature

et des mitrailleuses. Le commandant civil dut céder sa place à un officier du croiseur, le

capitaine de corvette Paul Thierfelder, un commandant dont plusieurs de ses choix furent

critiqués par la suite11.

A 10h45, les deux navires se laissèrent surprendre par un croiseur anglais. Les opérations de

transbordement durent être arrêtées en urgence. Chacun partit dans un sens différent. Le

Kronprinz Wilhelm fit route ver le Nord-Nord-Est et près de deux mois et demi plus tard il

croiserait la route de l’Union.

B°/ Le droit de la prise maritime

Paradoxalement, cette organisation militaire semble en tout point conforme au droit

international de l’époque. Depuis toujours, les nations ont organisé la guerre de course, mais

en 1914, plusieurs traités s’appliquent

en particulier.

La convention (VII) de la Haye

du 18 octobre 1907 relative à la

transformation des navires de

commerce en bâtiment de guerre tente

de donner quelques règles à cette

transformation, mais vise surtout à

interdire certains comportements.

Ainsi, les belligérants qui sont amenés

à user de cette technique doivent

placer ce navire sous leur contrôle

immédiat et le doter d’un équipage militaire. Le navire doit porter les marques militaires de

l’Etat du pavillon et l’équipage soumis à une discipline militaire. C’est ainsi que le comte

Alfred von Niezychowski racontant ses aventures en tant qu’officier sur le Kronprinz Wilhelm

explique : «Dans le même temps, le Capitaine Grahn12 prenait des précautions pour éviter

une capture en camouflant le navire, une large partie de l’équipage étant occupé avec des

11 Voir par exemple : KEBLE CHATTERTON Edward, « Les coureurs des mers », Payot, Paris, 1931 12 Le capitaine Grahn était le commandant civil du paquebot jusqu’à ce que celui-ci ne soit transformé en navire auxiliaire. Il aura le rang de premier lieutenant lorsque le Capitaine de Corvette Thierfelder prendra le commandement militaire du navire.

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pinceaux et des pots de peinture à repeindre l’extérieur du bateau »13. De même, il explique

plus tard qu’en tant qu’officiers de la marine marchande, ils « furent automatiquement et

complètement intégré en tant qu’officier de la marine, avec tous leurs pouvoirs et

attributions »14.

Une autre convention de La Haye du même jour, cette fois relative à certaines

restrictions quant à l’exercice du droit de capture dans la guerre maritime, prévoit des règles

précises quant aux prises possibles ainsi que le traitement des prisonniers. Elle garantit

notamment la liberté postale, ce qui nous permet aujourd’hui d’avoir des courriers de Paul

Chatelain du temps de sa captivité. Un régime est prévu pour l’équipage en captivité. En effet,

ceux-ci ne sont pas considérés comme des prisonniers de guerre à partir du moment où ils

s’engagent à ne pas servir sur un navire ennemi ou tout simplement dans les forces ennemies.

Dans ce contexte maritime international troublé, l’Union, parti de Port Talbot début

septembre va se retrouver être le premier cap-hornier français arraisonné par un croiseur

allemand.

SECTION III : L’ UNION, PREMIERE PRISE FRANÇAISE

A°/ Chronologie d’un drame

1°/ Départ de Port Talbot

Dans son journal de bord, Paul Chatelain raconte le 30 juillet, jour de

l’arrivée de l’Union à Port Talbot : « Le capitaine de la Valentine et sa femme

dinent à bord, le capitaine s’en va, il faut leur faire un dîner soigné sans savoir

avec quoi ! ». La Valentine est un autre voilier de l’armement Bordes réputé pour

avoir fait la plus rapide traversée d’un navire de l’armement en 1903. Il relia

Iquique au Chili à l’Ile de Wight en Angleterre en 56 jours. Son capitaine, à l’été

1914, est le capitaine Félix Guillou, considéré comme le meilleur de l’armement.

Curieusement, ce navire fût capturé le 4 novembre 1914 par le navire corsaire allemand Prinz

Ertel Friedrich, et incendié et coulé le 19 aux Iles de Pâques. L’équipage fut sain et sauf.

13 Comte Alfred von NIEZYCHOWSKI, « The cruise of the Kronprinz Wilhelm », Doubleday, Doran & Cie, New-York, 1931 p. 14 : “Meantime, Captain Grahn was taking precautions against capture by having the ship camouflaged, a large part of the crew being busy with brush and paint pot repainting the vessel’s exterior.” 14 Ibid. p.18 : « We, the merchant officers, became automatically full-fledged naval officers, with all their powers and duties. »

Page 15: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

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L’Union par gros temps

Les capitaines Guillou et Grégoire sont donc tous les deux à Port Talbot lorsque

l’Allemagne déclare la guerre à la France le 3 août. Ils sont accompagnés de Louis Quénet,

capitaine d’armement de l’armement à Port Talbot. Il doit répondre à leurs besoins sur place.

Avec lui, ils se rendent au consulat de France pour savoir s’ils peuvent quitter le Pays de

Galles. La Valentine prête à partir, prend le départ. Mais l’Union n’achève son chargement

qu’un mois plus tard.

Or, le 7 septembre 1914 au matin, l’équipage refuse de partir vu l’état de guerre. Se

rendant avec deux matelots au consulat. Le Consul de Cardiff invita l’équipage à partir sur le

navire. Ils finirent par accepter.

2°/ Abordage

Urbain-Victor Chatelain reçoit chez lui à Paris, une

lettre datée du 7 Novembre 1914. Son fils lui écrit : « Mon

cher Père, Nous avons été capturé en mer par un navire

allemand. Nous sommes à son bord depuis le 28 octobre. »15

Le capitaine de l’Union, le capitaine Grégoire, racontera lui-

même dans un rapport de mer qu’ils ont été arraisonné par un

vapeur allemand. Voici un extrait de ce rapport : « Le 28

octobre 1914, après une nuit de calme et brises folles, la brise

prenant au matin au nord-est je faisais route au sud 35° W du

monde quand à 7h30 du matin, j’aperçus à environ deux

quarts par bâbord un vapeur se dirigeant au N. 30° E. environ. Je fis venir d’un quart sur

bâbord pour pouvoir signaler et donner de nos nouvelles [...]. Il hissa le signal ‘mettez en

panne’ et arbora le pavillon de la marine de guerre allemande, Il avait du monde paré à ses

canons et, avec la faible brise qui régnait, le peu de chance qu’il y avait à fuir durant le jour,

aucune fumée en vue ne pouvant faire espérer des secours d’un bâtiment français ou allié, je

mis en panne. Une embarcation de ce vapeur, qui était le Kronprinz Wilhelm vint à bord avec

des hommes armés et deux officiers qui demandèrent les papiers du navire [...]. Ils permirent

à l’équipage de prendre les effets personnels, mais s’opposèrent à ce que je prisse mes cartes

et mes instructions nautiques ainsi que nos livres de navigation, confisquant mon sextant et

celui des officiers, longues-vues, etc., propriété personnelle, et chose pour laquelle je

15 Lettre de Paul Chatelain du 7 novembre 1914 écrite à bord du Kronprinz Wilhelm – Archives familiales

Page 16: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

16

L’équipage de l’Union lors du lavage du pont

protestait encore. Des embarcations vinrent prendre l’équipage et je quittai l’Union le

dernier, après avoir recommandé à chacun de se munir de sa ceinture de sauvetages. J’ai

essayé, une fois l’équipage embarqué, alors que nous attendions l’embarcation qui avait

conduit les hommes à bord du Kronprinz Wilhelm, de descendre dans la cale pour mettre le

feu dans le charbon. Les officiers allemands avaient envoyé un homme après moi, ce qui

m’empêcha d’exécuter mon dessein »16.

L’ Union est alors 33°57’S et 49°37’W à la hauteur du Rio de la Plata. Il a dans ses

soutes environ 3400 tonnes de charbon.

3°/ Le sort des prisonniers

Les prisonniers sont installés dans les cabines de seconde classe du luxueux croiseur

auxiliaire. Paul Chatelain dira dans le courrier qu’il écrit à son père le 7 novembre 1914

« nous y sommes très bien traités ». Au capitaine Grégoire de dire qu’ils sont traités « avec

humanité et bienveillance »17. De plus, il raconta que

le 28 octobre, le commandant du Kronprinz Wilhelm,

le capitaine de corvette Paul Thierfelder proposa à

l’équipage de l’ Union de signer un engagement de

ne pas prendre les armes contre l’Allemagne et de ne

pas se livrer à des actes d’hostilité contre l’Empire

Allemand, en échange de leur libération. Le capitaine

de l’Union explique alors : « Je conseillai aux deux

mousses et au matelot Coulombel, âgé de 50 ans, de

signer, mais laissai les autres hommes de l’équipage libres d’agir selon leur conscience ».

Trois semaines plus tard, le 22 novembre, les 27 prisonniers qui ont signé l’engagement

proposé par les marins allemands se retrouvent sur le vapeur allemand Sierra Cordoba qui

suit le Kronprinz Wilhelm et arrivent à Montevideo où ils sont débarqués.

16 Cité dans LE COAT Brigitte et Yvonnick, « Cap-horniers français Tome I : Mémoires de marins de voiliers de l’armement Bordes », Edition Chasse-Marée/Armen, Dournenez, 2002 p.275 17 Ibid.

Page 17: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

17

Le paquebot Oronsa au port de la Rochelle

4°/ Les réfractaires

Paul Chatelain explique à son père dans son courrier, que seul trois membres de

l’équipage de l’Union ont refusé de signer. Il précise « nous sommes gardés prisonniers

jusqu’à la fin de la guerre ou plutôt, comme je l’espère, jusqu’à ce qu’un croiseur anglais ou

français viennent nous délivrer. » Le capitaine de l’Union précise « Avec le second, Monsieur

Julien, et le cambusier, Monsieur Chatelain, nous sommes restés prisonniers de guerre sur le

Kronprinz Wilhelm ». Pour lui, en ne

signant pas ce papier, il remplit son devoir

« de bon français », et s’assure surtout

qu’en cas de prise du Kronprinz Wilhelm, il

pourra conserver le pouvoir de revendiquer

l’ Union et sauvegarder les droits et intérêts

qui lui ont été confiés. Pour Paul Chatelain,

le pourquoi de cette décision est simple.

Etant né en 1894, il fait partie de la classe 14. Il est censé être mobilisé. Or, s’il signe cet

engagement à ne pas se battre contre l’empire germanique, s’il est de nouveau fait prisonnier

par les allemands, il pourra être fusillé sans autre forme de procès.

Les trois officiers seront rejoints le 21 novembre par l’équipage du trois-mâts nantais

Anne de Bretagne qui sera vidé et bombardé par les marins du Kronprinz Wilhelm. Il

transportait du bois du Nord de l’Europe.

Finalement, Paul Chatelain écrivit à bord du vapeur anglais de la Pacific Steam

Navigation Cie l’Oronsa le 7 janvier 1915 « Mes chers parents, nous avons fini par nous

rendre compte du peu de chances que nous avions d’être délivrés et nous avons signé ». De

fait, l’Union a coulé, ce qui ne permet plus aucune revendication de la part du Capitaine, et ils

signent le 20 décembre le document en question. Le Capitaine Grégoire, son second et son

troisième lieutenant furent donc déposés à Las Palmas le 3 janvier 1915 par le paquebot

allemand Otavi avant de rejoindre le port de la Rochelle La Palice à bord du vapeur anglais.

Aux alentours du 14 janvier, ils sont en France. Le journal nantais « Le Phare de la Loire »

annonce dans son édition du 9 janvier 1915 : «Le vapeur allemand OTAVI est arrivé le 4

Janvier à Las Palmas avec les équipages du vapeur anglais BELLEVUE, du vapeur français

MONT AGEL, du voilier français ANNE DE BRETAGNE, ainsi que deux officiers et un marin

de l’UNION. Ces navires ont été coulés par le KRONPRINZ WILHELM. L’OTAVI a ravitaillé

Page 18: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

18

L’Union fini par couler le 22 novembre avec encore 800 tonnes de charbon

le corsaire en charbon, vivres et munitions. Le nombre d’officiers et marins débarqués à Las

Palmas s’élève à 61 hommes qui seront rapatriés à La Palice par le vapeur anglais

ORONSA. ».

5°/ Le sort de l’Union

Lorsque le quatre-mâts fut

vidé de son équipage le 28 octobre

1914, les marins du Kronprinz

Wilhelm déverguèrent les voiles.

La mâture haute fût calée, les mâts

et les vergues de perroquet jetés à

la mer. Le croiseur auxiliaire

allemand pris alors le voilier en

remorque. Le 1er novembre, il

retrouvait son annexe, le Sierra

Cordoba, un autre paquebot allemand, à 400 ou 500 miles du lieu l’Union fût capturé.

Le Kronprinz Wilhelm est un paquebot qui nécessite une grande consommation de charbon, or

le voilier contient environ 3000 tonnes de charbon à son bord. Il essaye à plusieurs reprises

d’accoster le quatre-mâts (le 2 novembre, et le 6 et 7 le long du Sierra Cordoba) mais sans

succès. Dans les jours qui suivent, la mer se calme et l’accostage du voilier, et le charbonnage

du croiseur s’effectue.

Le 22 novembre, l’Union, très avarié par les chocs qu’il a subi pendant les accostages chavire

sur tribord et coule avec encore 800 tonnes de charbon à son bord. Il aura été remorqué

pendant 23 jours par le corsaire allemand. Le Kronprinz Wilhelm mit deux embarcations à

l’eau pour recueillir toute épave pouvant donner des indications sur le navire disparu.

Le capitaine Grégoire raconte : « Le 22 novembre 1914, alors que l’Union a été pratiquement

vidé de son charbon, l’équipe du croiseur qui se trouvait à bord fait des signaux et

abandonne le navire. L’Union faisait plus d’eau que ses pompes n’arrivaient à en épuiser.

Après avoir continué à gîter de plus en plus, il va chavirer et sombrer par environ 27° sud et

34° ouest. »

Page 19: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

19

Le Anne de Bretagne vu de la mature

B°/ Pendant ce temps là, en France

En France, plus que jamais, la complexité administrative se trouve bouleversé par la

guerre. La méconnaissance de l’arraisonnement de l’Union (1) s’ajoute aux imbroglios

juridiques posés par le statut des marins de l’armement Bordes (2).

1°/ La connaissance du drame

Durant nos recherches, une de nos questions était de

savoir si la France était au courant de l’arraisonnement de

l’ Union. Bien sur, le Phare de la Loire rapportait dès le 12 août

1914 « qu’un croiseur allemand croise sur les côtes chiliennes ».

D’ailleurs dans un courrier envoyé à son fils le 9 octobre 1914,

Urbain-Victor Chatelain explique «Je crois d’ailleurs que tu

n’aurais pas couru plus de risques sur terre que sur mer. Les

journaux anglais m’apprennent qu’il y a encore dans le Pacifique

deux ou trois croiseurs allemands qui font la chasse aux navires

de commerce. Je souhaite que la marine japonaise, notre alliée,

débarrasse promptement les mers de ces corsaires, et que vous arriverez sans encombre à

Valparaiso »18.

D’après nos recherches, il semblerait que la nouvelle de la capture de l’Union ne fut connue

qu’en janvier 1915 puisque le 9 janvier 1915, le Phare de la Loire annonce l’arrivée des trois

officiers du voilier et explique les circonstances de leur capture. Et ce n’est que dans une lettre

du 20 janvier 1915 que le ministre des Affaires étrangères informe le ministre de la Marine de

ces faits en précisant : « J’ai l’honneur de vous en faire part à toutes fins utiles, en vue de

l’application des dispositions de la convention XI de la Haye (1907) »19.

Ce manque d’information sur l’affaire se conjuguera ou accentuera les problèmes

rencontrés juridiquement par les marins de l’armement Bordes.

18 Lettre du 9 octobre 1914 écrite à Paris par Urbain-Victor CHATELAIN – Archives familiales 19 Cité dans LE COAT Brigitte et Yvonnick, « Cap-horniers français Tome I : Mémoires de marins de voiliers de l’armement Bordes », Edition Chasse-Marée/Armen, Dournenez, 2002, p. 276.

Page 20: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

20

L’albatros, symbole des cap-horniers

2°/ Le statut des marins cap-horniers

Comme nous l’avons déjà dit, Paul

Chatelain, est de la classe 1914. Dès le

déclenchement de la guerre, il doit être

mobilisé. Or, doté d’un sursis daté du 20 juillet

1914 comme souvent accordé aux marins de la

marine marchande, il embarque régulièrement

sur l’Union. Pourtant, son père lui apprend dès

le 9 octobre, qu’une enquête est ouverte sur son

compte. Vite considéré comme « insoumis »,

les visites des gendarmes se multiplient rue du Père Lachaise où vit la famille Chatelain. Dans

le même temps, Urbain-Victor Chatelain, contacte le Préfet de la Seine, le Commandant de

recrutement, mais chacun lui assure que l’enquête est normale. Ils suivent la procédure. Il

conseille alors à son fils de se rendre au consulat de France au Chili dès qu’il le peut afin de

régulariser sa situation.

Paul Chatelain n’est pas le seul et nombre de marins pourtant en situation régulière se

retrouvent poursuivis pour désertion. Or, les marins de l’armement Bordes sont

irremplaçables pour la conduite des voiliers de charge. Théoriquement, vis-à-vis des autorités

militaires, ils sont dès lors considérés comme « inscrits maritimes détachés de leur corps pour

être embarqués sur les navires affectés au transport de nitrates de soude intéressant la Défense

nationale ». Donc, en principe, tant qu’ils sont embarqués, ces hommes sont affectés à

l’armement, mais dès qu’ils cessent de naviguer, ils repassent sous autorité militaire. Cette

situation particulière due à l’importance du nitrate fut tout de même une source permanente de

conflits entre la maison Bordes et l’administration de la Marine comme le montre le cas de

Paul Chatelain. La société transmettra à ses capitaines d’armement ce mot : « Nous avons

reçu du sous secrétariat d’Etat de l’artillerie et des munitions la dépêche qui précise très

exactement la situation des inscrits maritimes détachés au titre de notre maison. Tous les

hommes mis à notre disposition jusqu’au 15 février dernier l’ont été sur le « vu de la formule

imprimée n°3757/6 » et depuis cette date, ils ont été détachés jusqu’à nouvel ordre, par

décision du sous-secrétariat d’Etat de l’Artillerie et des munitions »20. Les conflits entre la

20 Ibid.p. 272

Page 21: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

21

marine nationale et la compagnie ne cesseront seulement qu’en 1916 lorsqu’une décision du

ministère de la Guerre lèvera les ambiguïtés du statut des marins cap-horniers.

Pour Paul Chatelain, une fois débarqué à la Rochelle, il du rejoindre Rouen sans passer voir sa

famille. Le 16 avril 1915, il écrit à son père : « Mon cher père, je crois que je suis sauvé. Le

commandement chargé de l’instruction a dû d’ailleurs te l’écrire lui-même ce matin. Grâce à

toi et au certificat de Mr de Chabert, il a bien voulu chercher à m’obtenir un non-lieu pour

irresponsabilité ». Il ne doit certainement cette relaxe précoce qu’aux relations que possède

son père, ce qui ne fut pas le cas de tous les marins de la compagnie.

CONCLUSION

Relaxé, Paul Chatelain sera immédiatement réaffecté à une autre unité, le 405ème

Régiment d’infanterie. Lors de la troisième bataille de l’Artois, le 8 octobre 1915, il

succombera après avoir reçu une balle en pleine tête.

Son père recevra le 19 janvier 1922, un courrier de la Compagnie française d’armement et

d’importation de nitrate de soude, nouveau nom de la Compagnie Bordes, proposant à Paul

Chatelain une indemnité de captivité près de huit ans après les faits.

Le Kronprinz Wilhelm, après huit mois de navigation, avec quatorze navires coulés à son

actif, et bien abimé par les différentes manœuvres d’abordage fut contraint par manque de

charbon de revenir dans un port neutre : Newport aux Etats-Unis21. L’équipage fut interné, le

navire remis en état et utilisé par les américains après leur entrée en guerre comme

transporteur de troupes sous le nom de USS Baron von Steuben.

Avec la fin de ce croiseur auxiliaire, s’achève une période de la guerre maritime sous couvert

des règles des différentes conventions de la Haye que viendra bousculer le lancement de la

guerre sous-marine. Le commerce maritime après un nouvel élan s’en trouvera de nouveau

affecté jusqu’à la fin de la guerre, ressentant encore les conséquences quelques années après.

21 The New York Times, 12 avril 1915

Page 22: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

22

ANNEXES

Page 23: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

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ANNEXE N°1

Lettre de Paul Chatelain à son père Urbain-Victor Chatelain

Ecrite à bord du Kronprinz Wilhelm

Le 7 novembre 1914

Page 24: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

24

ANNEXE N°2

Extrait du Journal « The New York Times » publié le 12 avril 1915

Page 25: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

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ANNEXE N°3

Lettre de la Maison Bordes reçue par Urbain-Victor Chatelain en 1922

Page 26: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

26

ANNEXE N°4

In LE COAT Brigitte et Yvonnick, « Cap Horn, une vie, un mythe », Pascal Galodé éditeurs, Saint Malo, 2008 p.95

Page 27: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

27

BIBLIOGRAPHIE

ARCHIVES :

• Médiathèque de Nantes :

- Quotidien « Le phare de la Loire », 1914 (octobre-novembre-décembre), 1915

(janvier-février-mars), cote MIC B5

• Archives départementales de Paris et Chaumont

• Archives familiales :

- Lettres de Paul Chatelain

- Lettres de Urbain-Victor Chatelain

- Carnet de bord de Paul Chatelain

OUVRAGES :

• BARBANCE Marthe, « Vie commerciale de la route du Cap-Horn au XIXème siècle.

L’armement A.D. Bordes et fils », S.E.V.P.E.N., Paris, 1969

• BRIANT Théophile, « Les derniers marins cap-horniers », Edition Fernand Lanore,

Paris, 1978

• BRIOT Claude et Jacqueline, « Cap-horniers français Tome II : Histoire de

l’armement Bordes et de ses navires », Editions Chasse-Marée, Dournenez, 2003

• BUFFETAUT Yann, « La Grande Guerre sur mer, 1914-1918 », Marines Edition,

Nantes, 1998

• CHACK Paul et ANTIER JJ, « Histoire maritime de la première guerre mondiale »,

Tome 1, France Empire, 1969

• IRVING John, « La chasse aux croiseurs allemands : Coronel et les Falklands (1er

novembre - 8 décembre 1914) », Collection de mémoires, études et documents pour

servir à l’histoire de la guerre mondiale, Payot, Paris, 1928

• KEBLE CHATTERTON Edward, « Les coureurs de mers (le Dresden – le Karlsruhe

– Le Wolf – Le Kronprinz Wilhelm – le Prinz Eitel Friedrich – Le Moewe) »,

Collection de mémoires, études et documents pour servir à l’histoire de la guerre

mondiale, Payot, Paris, 1931.

Page 28: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

28

• LACROIX Louis, « Les derniers cap-horniers français », préface de Jean Randier,

Editions maritimes et d’outre-mer, Paris, 1968

• LE COAT Brigitte et Yvonnick, « Cap Horn, une vie, un mythe », Les maritimes,

Pascal Galodé éditeurs, Saint-Malo, 2008

• LE COAT Brigitte et Yvonnick, « Cap-horniers français Tome I : Mémoires de

marins de voiliers de l’armement Bordes », Edition Chasse-Marée/Armen, Dournenez,

2002

• MILLOT Gilles, « Les grands voiliers, long-courriers, cap-horniers, voiliers-écoles »,

Les Albums Chasse-marée, Editions Chasse-Marée, Dournenez, 1989

• NIEZYCHOWSKI Alfred (Comte von), « The cruise of the Kronprinz Wilhelm »,

Préface du Contre-Amiral Walter McLean (US Navy) et introduction du comte Felix

von Luckner, Doubleday, Doran and Company, inc., New York, 1931.

• PICARD Henri, « La fin des Cap-horniers : les dernières aventures des long-

courriers français », Edita Vilo

REVUES :

• LE COAT Brigitte et Yvonnick, « Les voiliers Bordes dans la guerre (1914-1918) » in

Revue Chasse-Marée n°155 , pp 22-36

• L’épopée des grands cap-horniers dunkerquois, Dunkerque magazine, n°184, avril

2008, pp 27 à 30

Page 29: Un cap-hornier dans la tourmente de 1914

29

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION ..................................................................................................................p.2

SECTION I : L’U NION , UN DES DERNIERS CAP-HORNIERS DE L ’ARMEMENT BORDES............P.4

A°/ Les cap-horniers de l’armement A.D. Bordes...................................................p.4

1°/ L’armement A.D. Bordes............................................................................p.5

2°/ Les cap-horniers.........................................................................................p.6

B°/ L’Union ................................................................................................................p.7

1°/ Le premier quatre-mâts de l’Armement Bordes ........................................p.7

2°/ Ses caractéristiques....................................................................................p.8

3°/ Un voilier à la vie longue...........................................................................p.9

SECTION II : L’U NION , AUX PREMIERES LOGES D’UN CONFLIT MARITIME MONDIAL ........P. 10

A°/ Contexte maritime international......................................................................p.10

1°/ Opérations navales...................................................................................p.10

2°/ La chasse aux navires marchands............................................................p.11

B°/ Le droit de la prise maritime en 1914..............................................................p.13 SECTRION III : L’U NION , PREMIERE PRISE FRANÇAISE ......................................................P.14

A°/ Chronologie d’un drame...................................................................................p.14

1°/ Départ de Port Talbot...............................................................................p.14

2°/ Abordage...................................................................................................p.15

3°/ Le sort des prisonniers..............................................................................p.16

4°/ Les réfractaires.........................................................................................p.17

5°/ Le sort de l’Union.....................................................................................p.18

B°/ Pendant ce temps là, en France........................................................................p.19

1°/ La connaissance du drame.......................................................................p.19

2°/ Le sort des cap-horniers...........................................................................p.20

CONCLUSION .....................................................................................................................p.21

Annexes.................................................................................................................................p.22

Annexe 1 – Lettre de Paul Chatelain du 7 novembre 1915........................................p.23

Annexe 2 – Article du New York Times du 12 avril 1915........................................p.24

Annexe 3 – Lettre de l’Armement Bordes du 22 janvier 1922..................................p.25

Annexe 4 – Carte des routes principales des cap-horniers.........................................p.26

Bibliographie........................................................................................................................p.27

Table des matières................................................................................................................p.29