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HISTOIRE DU DROIT MARITIME
L ’UNION
OU LES AVENTURES D’UN CAP-HORNIER
DANS LA TOURMENTE DE 1914
JEREMY DRISCH
MASTER 2 DROIT ET SECURITE DES ACTIVITES MARITIMES ET
OCEANIQUES
2
Urbain-Victor Chatelain
Avant-port de Dunkerque
INTRODUCTION
« Le long des quais les grands
vaisseaux, que la houle incline en silence ne
prennent pas garde aux berceaux que la main
des femmes balance. Mais viendra le temps des
adieux ; car il faut que les femmes pleurent et
que les hommes curieux tentent les horizons
qui leurrent ». Ainsi commence le poème de Sully Prudhomme qui convient certainement à
l’ambiance qui devait être celle du port de Dunkerque la veille du 24 juillet 1914. Sur les
quais, les grands vaisseaux à quatre mâts sur lesquels flottait le pavillon de la compagnie
Bordes, se préparent à partir. L’Union doit partir le lendemain. Tous les marins s’affairent
pour que le départ pour Port Talbot au Pays de Galles se fasse sans soucis. A bord, le
troisième lieutenant Paul Chatelain vérifie que toutes les denrées nécessaires à la traversée
soient présentes. Cet officier, est le cambusier. Appelé aussi le « lieutenant de cages à
poules », il gère la cambuse1 et distribue les rations de nourriture
et de vin. C’est pour lui une grande première. Agé de presque 20
ans, il a déjà effectué un voyage en tant que matelot sur un
paquebot entre sa première et sa deuxième année à l’école de
commerce de Paris. Inscrit maritime à Marseille, il avait franchit
le canal de Suez et avait été jusqu’à Yokohama au Japon. Sinon,
ce jeune homme a vécu la plupart du temps à Chaumont où il est
né, à Paris et à Poitiers avant d’embarquer à Dunkerque. Il est
issu d’une famille bourgeoise. Son père, Urbain-Victor Chatelain, agrégé de lettre et de
grammaire, est un poète. Il participera à la fondation de la « Revue des poètes ». Auteur d’une
thèse remarquée sur Fouquet, il reçoit le prix Thérouanne de l’Académie française sur la
proposition spontanée du Professeur Ernest Lavisse2 et sera fait chevalier de la Légion
d’honneur le 9 juillet 1936. Paul Chatelain compte parmi ses cousins, les futurs généraux
Luyt3 et Vauthier4 qui s’illustreront dans la guerre qui se prépare.
1 Lieu de stockage de l’intendance 2 Extrait d’un journal de Chaumont de 1936 – Archives familiales 3 Le général Luyt sera après la guerre, le gouverneur de la place de Metz. Avant la deuxième guerre mondiale, il vivra sa retraite en tant que Maire dans un petit village de Bourgogne.
3
Quatre-mât remorqué dans le port de Dunkerque
Le départ de Paul Chatelain semble soudain. Son père lui écrira un jour : « J’ai été
surpris de ton brusque silence et de ton départ sans adieu. J’en connaîtrai peut être les
raisons quelque jour. »5.
Ce jeune officier va donc faire ses armes sur l’Union, un quatre-mâts carré6 en fer un
peu plus âgé que lui. Lancé en 1882 en Ecosse, c’est le premier quatre-mâts armé par la
Maison Bordes. Sa construction aura coûté 740 609 francs-or. Long de 87,52 mètres et large
de 13,08 mètres, il peut porter 73000 quintaux de nitrate de soude du Chili. Son nom est là
pour rappeler l’union entre Antoine-Dominique Bordes et ses trois fils, associés à l’armement
cette année là.
Le 24 juillet à 3h30, l’Union quitte le port de Dunkerque, mais Paul Chatelain
explique « la brise est trop forte et d’une aire mauvaise nous [empêchant] de nous mettre en
route »7. Le voilier finit par mouiller en rade de Dunkerque et pendant plusieurs jours,
explique t-il, le remorqueur refuse de partir. La brise demeure trop forte. Finalement, le 27
juillet, l’ Union appareille enfin. Le 30 à 4 heures, les marins peuvent voir la terre : « Dans la
brume, on entend un sifflet de vapeur »8.
Dans le même temps, la situation
internationale se dégrade. En effet, le 28
juillet, l’Autriche-Hongrie mobilise
contre la Serbie. Le 29, c’est la Russie
qui déclare unilatéralement la
mobilisation contre l’Autriche-Hongrie.
Le 1er août, soit deux jours après l’arrivée
de l’Union à Port Talbot, l’Allemagne
déclare la guerre à la Russie, et à 16h00,
la France décrète la mobilisation générale. L’Union surpris par le déclenchement de ce conflit
mondial est obligé d’attendre jusqu’à début septembre au Pays de Galles. Il partira le 7
septembre avec une cargaison de charbon pour son dernier voyage.
4 Le général Vauthier est l’auteur d’un ouvrage sur la défense anti-aérienne dans l’entre-deux guerre. La fin de sa carrière militaire est largement assombrie par le fait qu’il fut chef d’Etat-Major du Maréchal Pétain à la veille de la seconde guerre mondiale lorsque ce dernier était ambassadeur à Madrid. 5 Lettre d’Urbain-Victor Chatelain écrite à Paris le 9 octobre 1914 – Archives familiales 6 Le quatre-mâts carré porte un mât d'artimon grée d'un artimon, et d'une phare carré (ensemble de plusieurs voiles carrés en étage: un perroquet de fougue et une perruche). 7 Journal personnel de Paul Chatelain entre Dunkerque et Port Talbot – Archives familiales 8 Ibid.
4
Durant ce laps de temps, se mettra en place du côté allemand un système qui vise à la
maîtrise des océans et des voies commerciales maritimes internationales. A cet effet, l’empire
germanique parce que ne disposant que de peu de navires militaires mais d’une flotte
importante de navires commerciaux va, en application de la convention (VII) de la Haye du
18 octobre 1907 relative à la transformation des navires de commerce en bâtiment de guerre,
se créer une flotte de corsaires et de croiseurs.
L’ Union est entrainé malgré lui dans la tourmente de la première guerre mondiale. La
question sera de comprendre pourquoi le nom de ce voilier sera retenu dans le monde
maritime en tant que victime de la Grande guerre. A travers l’expérience de Paul Chatelain,
nous tenterons de comprendre le mécanisme qui se mit en place et entraina la perte du premier
voilier français. Pour cela, il est nécessaire d’appréhender le symbole qu’est ce navire. A la
fois premier quatre-mâts d’un armement en tête du commerce maritime français et dont les
intérêts sont ceux de la nation française à l’heure de la guerre, il est le premier navire français
touché par la redoutable organisation mise sur pied par les allemands. Et contrairement à une
idée reçue, la France a besoin de ses marins, et encore plus de ses marins cap-horniers ; or
ceux-ci seront souvent la cible de la justice.
Ainsi, l’Union, un des derniers cap-horniers de l’armement Bordes (Section I), sera la
première prise française (Section III) du conflit mondial qui se jouera sur les eaux (Section
II).
SECTION I : L’ UNION, UN DES DERNIERS CAP-HORNIERS DE L ’ARMEMENT BORDES
1914 est une année qui marque le début du déclin des cap-horniers à voile. Le canal de
Panama ouvre cette année-là, et les navires à vapeur commencent à prendre le dessus. Ce sera
le début du déclin de l’armement Bordes, le premier armateur européen de cap-horniers (A),
dont fait partie l’Union (B).
A°/ Les cap-horniers de l’armement A.D. Bordes
L’armement A.D. Bordes et plus tard ADB et fils (1), à la veille de la guerre reste
toujours compétitif alors qu’apparaissent les premiers navires à vapeur. Ce qui fait
certainement la force de cet armement, ce sont les compétences de ses cap-horniers (2).
5
Antoine-Dominique Bordes
Chargement de voiliers Bordes en Nitrate à Iquique (Chili)
1°/ L’armement A.D. Bordes
En 1847, Antoine-Dominique Bordes, agent maritime posté au Chili depuis 1835
s’associe avec le capitaine au long-cours Ange-Casimir Le Quellec pour créer une compagnie
maritime. Le but de cette compagnie est d’exporter au Chili des produits français et de
ramener en France des marchandises sud-américaines telles que du cuir, de la laine ou des
minerais. Leur compagnie est basée à Bordeaux, d’où partent
également leurs voiliers pour Valparaiso. Ce trajet représente environ
170 jours de navigation pour la dizaine de navires9 qu’ils ont à
l’époque.
En 1868, le Capitaine Le Quellec décède. Antoine-Dominique
Bordes rentre en France et rachète au fils du Capitaine ses parts.
Bordes devient donc le seul maître à bord. Il change alors de stratégie
pour ne faire que dans l’importation de nitrate de soude du Chili, un
produit massivement utilisé par les agriculteurs français. Afin
d’approvisionner les ports de Bordeaux, la Palice et Nantes, il commande 14 voiliers dans des
chantiers écossais.
Alors que la compagnie évolue bien et désireux de se développer dans le nord de la France, il
envoie l’un de ses agents ouvrir une
succursale à Dunkerque en 1874. La
demande étant très forte, le port de
Dunkerque devient vite le centre de
l’armement d’Antoine-Dominique
Bordes. En 1896, plus de la moitié du
nitrate importé y sera déchargé.
En 1880, Antoine-Dominique Bordes est
rejoint par ses fils Adolphe, Antonin et
Alexandre et alors profitant de la crise
qui secoue les armements, ADB et fils
rachètent 11 voiliers à leurs concurrents. A la mort du père en 1881, la société compte 41
navires. Les frères Bordes font désormais construire des quatre-mâts, bien plus rapides que
leurs prédécesseurs.
9 Un voilier en fer de 800 tonnes, Blanche et Louise, et neuf en bois
6
En 1905, l’armement Bordes est classé premier mondial des compagnies maritimes à voiles.
A la veille de la première guerre mondiale, l’armement des frères Bordes compte 46
navires, 60 capitaines, 170 officiers et 1400 matelots et maîtres. Il importe la moitié du nitrate
européen. Ce nitrate est important pour la confection de la poudre. Il fut donc primordial pour
l’effort de guerre. Pendant le conflit, 122 voyages approvisionnèrent les ports français et 18
voiliers couleront.
Dès 1923, la compagnie se sépare de certains de ses navires. La crise qui l’affecte depuis la
fin de la guerre l’a conduit à faire faillite en 1935, victime de la guerre, de la concurrence
féroce, et des crispations socio-économiques.
Cette faillite signe la fin d’un temps, celui des cap-horniers à voile, un monde bien à
part dans la marine marchande.
2°/ Les cap-horniers
C’est en 1577 que le pirate anobli par la cour d’Angleterre, Francis Drake découvre un
passage plus au sud que celui trouvé par Fernand de Magellan en 1520. Pourtant ce passage
sera très peu emprunté jusqu’au 31 janvier 1616, date où deux hollandais (Isaac Lemaire et
Guillaume Schouten) tentant d’ouvrir une nouvelle route commerciale passent le cap qu’ils
nommeront Horn. Le premier français à y passer sera le malouin Jacques Gouin de
Beauchesne le 9 janvier 1701.
Le canal de Panama n’ouvrant
qu’en 1914, le cap Horn deviendra vite le
passage obligé entre l’Atlantique et le
Pacifique pour les navires marchands et les
baleiniers.
Le cap Horn est un passage extrêmement
difficile à prendre. Il faut faire face aux
vents, aux tempêtes, aux icebergs, ce qui
parfois empêche les navires de passer. Le
record est détenu par le voilier américain
Edward Sewall qui dut, en 1904, croiser durant deux mois dans les parages du Horn avant de
réussir à le passer. L’Armement Bordes conseillait à ses capitaines : « Pour doubler le cap
Horn, l’expérience a prouvé qu’il faut passer aussi près de terre que possible. » Malgré cela,
7
L’Union à Port Talbot en 1906
de 1830 jusqu’à environ 1925, le Cap Horn est le point de passage des trois quarts du
commerce maritime européen. Les routes maritimes passant par le Cap Horn se verront
renforcées par la découverte d’or sur la côte ouest de l’Amérique du Nord vers 1850. On y
voit donc passer des voiliers long-courriers et des clippers. Il s’agira la plupart du temps, de
trois-mâts en bois ou en fer, de quatre-mâts en fer ou en acier, voir parfois de cinq-mâts.
L’ouverture du canal de Panama le 3 août 1914 et l’augmentation des navires à vapeur
signeront la fin des voiliers cap-horniers.
La compagnie Bordes saura organiser un commerce entre l’Amérique du sud et
l’Europe pour apporter du charbon et revenir avec du nitrate. L’Union sera l’un des navires
faisant parti de ce vaste commerce intercontinental.
B°/ L’ Union
L’ Union, sera le premier quatre-mâts de l’armement Bordes (1) répondant ainsi à un
besoin bien précis comme le démontre ses caractéristiques (2) et sa longue vie (3).
1°/ Le premier quatre-mâts de l’Armement Bordes
Dans le désert d’Atacam, dans
l’ancienne province péruvienne du Tarapaca
(côte ouest de l’Amérique du Sud,
l’exploitation du nitrate ne cesse de
s’accentuer. Antoine-Dominique Bordes ne
tarde pas à investir dans ce domaine en en
organisant lui-même la commercialisation en
France. A cet effet, il commence par diriger
le transport de cette marchandise vers le port
du Havre en 1874. Ensuite, il dirige ce
commerce vers Dunkerque où il a donné des instructions pour faire construire les entrepôts
nécessaires et pour que le responsable de sa succursale développe des contacts avec les
agriculteurs du Nord pour la vente de nitrate.
8
L’Union grée en quatre-mâts carré
Antoine-Dominique Bordes a toujours réussi à spécialiser ses navires en fonction de la
marchandise, du trajet et de l’évolution des techniques. Après les trois-mâts en bois, puis ceux
en métal, des navires qui ont fait leurs preuves dans le commerce de pondéreux, il doit faire
construire des navires pouvant transporter plus de charges, donc plus grands mais aussi plus
rapides.
L’ Union est le premier quatre-mâts carré en fer commandé par Antoine-Dominique
Bordes. Il sera construit à Greenock en Ecosse, par Russel & Cie pour un coût de 740 609
francs, soit 349 francs le tonneau.
Le capitaine Guillaume Le Querhic a de l’expérience dans la construction navale. Il est
donc envoyé par Monsieur Bordes afin de contrôler l’avancée des travaux à Greenock.
L’ Union est lancé le 12 septembre 1882. Il appareille le 26 octobre avec à son bord trente-
quatre hommes sous les ordres du Capitaine Le Querhic. Il livre à Bordeaux, le 3 novembre,
1766 tonnes de charbon. Il est francisé à son arrivée, puis chargé de 1900 tonnes de poteaux
de mine, retourne en Angleterre prendre la cargaison aller de son voyage inaugural dans les
mers du Sud, à savoir 3221 tonnes de charbon de Cardiff.
2°/ Ses caractéristiques
En plus d’être un navire
gréé en quatre-mâts carré en fer,
innovation technique à l’époque,
l’ Union est doté de chaudières.
Ainsi, les treuils servant au
transbordement des marchandises,
les pompes de cale, les treuils à
brasser les vergues et le guindeau
pour virer l’ancre fonctionneront à la vapeur. Cette nouveauté permet de réduire le nombre de
marins nécessaires à la manœuvre sur un tel bateau, bien que la surface de toile soit
imposante. En effet, l’Union est doté de quatre mille mètres carrés de voile.
Il est long de 97 mètres, large de 14,15 mètres avec un tirant d’eau de 7 mètres à
pleine charge. Sa mâture se compose de quatre mâts dont le grand-mât domine le navire à
environ 43 mètres de hauteur.
9
L’Union après transformation : quatre-mâts barque
En plus d’être un navire pratique et doté des dernières technologies pour le transport
de nitrate et de charbon, il est aussi un voilier confortable adapté au long-cours. Claude et
Jacqueline Briot dans leur ouvrage sur les cap-horniers français réunissant les informations
des différents journaux de l’époque expliquent : « Le salon est placé à l’arrière ; il est vaste,
bien aéré et éclairé par une claire-voie en verre dépoli. Les lambris sont en bois de teck verni
avec décorations dorées ; de chaque côté sont installées onze cabines, dont cinq pour le
capitaine et les officiers, et les autres réservées pour des passagers. »10
Cette œuvre de l’armement Bordes connaitra une longue carrière de cap-hornier avant
son dernier voyage en 1914.
3°/ Un voilier à la vie longue
Pour son voyage inaugural, l’Union transporte donc du charbon gallois destiné à Rio
de Janeiro. Il y fait escale du 27 mars au 30 avril 1883. A Iquique au Chili, du 27 juin au 28
juillet, 3175 tonnes de nitrate de soude sont arrimées dans les cales à destination de
Dunkerque, rallié le 5 novembre 1883. C’est durant ce voyage qu’Antoine-Dominique Bordes
décèdera. Il est en effet mort le 28 mai durant le premier voyage du navire qui devait
symboliser par son nom la transmission de l’armement à ses fils.
A partir de là, la plupart de
voyages de l’Union s’effectueront
entre Dunkerque, Port Talbot,
Valparaiso et Iquique.
Lors de son trente-deuxième
voyage, l’Union est en rade d’Iquique
lors de l’ouragan du 23 juin 1911. Son
mât de misaine est cassé. De plus,
abordé par le quatre-mâts Madeleine,
lui-même de l’armement Bordes, une
voie d’eau se déclare en dessous de la ligne de flottaison. Avec l’aide de marins d’autres
navires, la voie d’eau est aveuglée. Il peut repartir pour l’Europe où il devra être réparé. A ce
10 BRIOT Jacqueline et Claude, « Cap-horniers français tome II : Histoire de l’armement Bordes et de ses navires », Editions Chasse-Marée, Dournenez, 2003, p. 266
10
La flotte du Vice-amiral von Spee devant Valparaiso
moment, il sera transformé en quatre-mâts barque. Cela signifie que le dernier mât est grée en
brigantine avec une voile triangulaire.
L’Union aura effectué près d’une quarantaine de voyages avant d’assister au premier
conflit mondial.
SECTION II : L’ UNION, AUX PREMIERES LOGES D’UN CONFLIT MARITIME MONDIAL
A°/ Contexte maritime international
Peu de temps après la déclaration de guerre, les voiliers marchands commencent à être
attaqués par des navires de guerre allemands se battant pour le contrôle du Pacifique et de
l’Atlantique sud (1). A côté de ces navires militaires, les allemands arment leurs paquebots à
vapeur pour en faire des « croiseurs auxiliaires » (2). L’objectif de l’Empire germanique est
de hâter la fin du conflit en détruisant les moyens d’approvisionnement des alliés.
1°/ Opérations navales
Dans le Pacifique, demeure depuis
1870 une escadre allemande. Lorsque la
guerre éclate, elle se trouve sous le
commandement du vice-Amiral von Spee et
est composée de deux croiseurs cuirassés et
de trois croiseurs légers. Menant une guerre
de course, la flotte britannique cherche le
contact avec la flotte de von Spee. La rencontre a lieu le 1er novembre 1914 devant Coronel,
un port chilien au sud de Valparaiso. L’escadre britannique se laisse surprendre par la flotte
allemande. Constatant leur faiblesse, le croiseur cuirassé Good Hope où se trouve le
commandant de l’escadre, l’Amiral Cradock, part à la rencontre de l’ennemi, laissant ainsi le
temps aux autres navires de s’échapper. La flotte anglaise est anéantie et les allemands
contrôlent alors le Pacifique. Cette défaite porte un coup dur au mythe de l’invincibilité de la
Royal Navy, jusqu’alors invaincue depuis la Bataille de Chesapeake en 1781.
11
Le croiseur Karlsruhe
Bientôt pourtant, elle pourra prendre sa revanche. Le vice-amiral von Spee reçoit
l’ordre de rejoindre l’Allemagne. Ayant organisé la concentration de son escadre à Mas à
Fuera, il appareille dans la nuit du 15 au 16 novembre (après un mois d’hésitation) pour la
côte argentine. Pensant que la flotte anglaise a quitté les îles Falklands, il veut en profiter pour
faire un raid sur la base navale de Port Standley. Mais à son tour, il se fait surprendre.
L’amirauté britannique avait placé là ses plus récents croiseurs anéantissant ainsi l’escadre de
von Spee le 8 décembre 1914. La flotte allemande ne s’en sortira seulement qu’en 1916.
2°/ La chasse aux navires marchands
A côté du conflit naval de la première guerre mondiale, la marine allemande arme des
navires pour faire la chasse aux navires marchands comme le montre l’exemple du Kronprinz
Wilhelm.
Bien avant que l’empire germanique
ne lance la guerre sous-marine, il se fonda sur
une organisation quasi-parfaite de ses flottes
(militaires et marchandes) pour perturber
l’approvisionnement des alliés et favoriser le
trafic vers l’Allemagne. Cette organisation
existe depuis avant la guerre. Il faut
comprendre que pour s’assurer le contrôle du commerce maritime international, de nombreux
agents et des navires prêts à être armés pour une surface maritime considérable sont
nécessaires.
Environ 60% du commerce maritime allemand était entre les mains de dix compagnies
concertées réunies en une puissante union au service du gouvernement. Ainsi, six ans avant le
début de la grande Guerre, l’Empire avait donné des instructions aux commandants de
paquebots. La règle était qu’en cas de conflit imminent, les navires devaient se rendre en port
neutre pour y attendre des ordres. Un manuel des croiseurs leur fut transmis, indiquant les
points de rendez-vous vers lesquels les croiseurs devaient se diriger sans retard en vue de
recevoir leur armement. Cela pouvait être près des Bahamas, près de l’Ile de Trinidad, etc. Un
certain nombre de centres de ravitaillement avec un officier le commandant étaient prévus.
Par exemple, dans l’Atlantique, zone principale d’opérations des corsaires qui étant donné la
12
Après 8 mois de course, le Kronprinz Wilhelm se rend à Newport (Etats-Unis)
richesse circulant sur cet océan comptait comme centres New York, Las Palmas, La Havane,
Rio de Janeiro, et Buenos Aires. Ces commandants, souvent des espions sous couverture
diplomatique, avaient la responsabilité des charbonniers présents dans sa zone. Une fois cette
organisation mise en place, le but des corsaires et croiseurs auxiliaires était d’arraisonner tout
navire marchand pouvant leur apporter du charbon ou des vivres, mais aussi de les couler sans
laisser de traces.
Le paquebot Kronprinz
Wilhelm est un exemple de ces
croiseurs auxiliaires qui
menaceront le commerce maritime
international durant l’année 1914
et dont l’Union sera l’une des
premières victimes.
Le Kronprinz Wilhelm est un
ancien paquebot de la
Norddeutscher Lloyd. Il prit le nom du fils du Kaiser Guillaume II, et est le sister-ship du
Kaiser Wilhelm der Grosse. Lancé en 1901, il obtient le ruban bleu (récompense attribué au
navire qui a effectué la transatlantique la plus rapide) en 1902. En effet, il mit 5 jours, 57
minutes entre Cherbourg et New-York avec une vitesse
moyenne de 23,09 nœuds.
A la veille de la guerre, le Kronprinz Wilhelm quitte
précipitamment le port de New-York. Il fut l’un des rares à
pouvoir sortir sans en être empêché par les autorités nord-
américaines. En effet, quelques jours avant, il avait reçu des
instructions pour charger de grosses quantités de vivres.
Une fois le charbonnage terminé, il parti le 3 août à 8h10.
Sous couvert de l’obscurité, à petite allure, le paquebot
sortit du port dans la nuit du 3 au 4 août et pour faire route
au sud. Rendez-vous avait été fixé par le croiseur Karlsruhe
pour le 6 août au large des Bahamas afin que le paquebot
soit transformé en croiseur auxiliaire. Le 6 à sept heures du
matin, les deux navires se rencontraient. Le croiseur lui
installa (ce qui aujourd’hui peut paraitre dérisoire), une paire de canons de 85 m/m, 290 obus
13
L’Union vu de la mature
et des mitrailleuses. Le commandant civil dut céder sa place à un officier du croiseur, le
capitaine de corvette Paul Thierfelder, un commandant dont plusieurs de ses choix furent
critiqués par la suite11.
A 10h45, les deux navires se laissèrent surprendre par un croiseur anglais. Les opérations de
transbordement durent être arrêtées en urgence. Chacun partit dans un sens différent. Le
Kronprinz Wilhelm fit route ver le Nord-Nord-Est et près de deux mois et demi plus tard il
croiserait la route de l’Union.
B°/ Le droit de la prise maritime
Paradoxalement, cette organisation militaire semble en tout point conforme au droit
international de l’époque. Depuis toujours, les nations ont organisé la guerre de course, mais
en 1914, plusieurs traités s’appliquent
en particulier.
La convention (VII) de la Haye
du 18 octobre 1907 relative à la
transformation des navires de
commerce en bâtiment de guerre tente
de donner quelques règles à cette
transformation, mais vise surtout à
interdire certains comportements.
Ainsi, les belligérants qui sont amenés
à user de cette technique doivent
placer ce navire sous leur contrôle
immédiat et le doter d’un équipage militaire. Le navire doit porter les marques militaires de
l’Etat du pavillon et l’équipage soumis à une discipline militaire. C’est ainsi que le comte
Alfred von Niezychowski racontant ses aventures en tant qu’officier sur le Kronprinz Wilhelm
explique : «Dans le même temps, le Capitaine Grahn12 prenait des précautions pour éviter
une capture en camouflant le navire, une large partie de l’équipage étant occupé avec des
11 Voir par exemple : KEBLE CHATTERTON Edward, « Les coureurs des mers », Payot, Paris, 1931 12 Le capitaine Grahn était le commandant civil du paquebot jusqu’à ce que celui-ci ne soit transformé en navire auxiliaire. Il aura le rang de premier lieutenant lorsque le Capitaine de Corvette Thierfelder prendra le commandement militaire du navire.
14
pinceaux et des pots de peinture à repeindre l’extérieur du bateau »13. De même, il explique
plus tard qu’en tant qu’officiers de la marine marchande, ils « furent automatiquement et
complètement intégré en tant qu’officier de la marine, avec tous leurs pouvoirs et
attributions »14.
Une autre convention de La Haye du même jour, cette fois relative à certaines
restrictions quant à l’exercice du droit de capture dans la guerre maritime, prévoit des règles
précises quant aux prises possibles ainsi que le traitement des prisonniers. Elle garantit
notamment la liberté postale, ce qui nous permet aujourd’hui d’avoir des courriers de Paul
Chatelain du temps de sa captivité. Un régime est prévu pour l’équipage en captivité. En effet,
ceux-ci ne sont pas considérés comme des prisonniers de guerre à partir du moment où ils
s’engagent à ne pas servir sur un navire ennemi ou tout simplement dans les forces ennemies.
Dans ce contexte maritime international troublé, l’Union, parti de Port Talbot début
septembre va se retrouver être le premier cap-hornier français arraisonné par un croiseur
allemand.
SECTION III : L’ UNION, PREMIERE PRISE FRANÇAISE
A°/ Chronologie d’un drame
1°/ Départ de Port Talbot
Dans son journal de bord, Paul Chatelain raconte le 30 juillet, jour de
l’arrivée de l’Union à Port Talbot : « Le capitaine de la Valentine et sa femme
dinent à bord, le capitaine s’en va, il faut leur faire un dîner soigné sans savoir
avec quoi ! ». La Valentine est un autre voilier de l’armement Bordes réputé pour
avoir fait la plus rapide traversée d’un navire de l’armement en 1903. Il relia
Iquique au Chili à l’Ile de Wight en Angleterre en 56 jours. Son capitaine, à l’été
1914, est le capitaine Félix Guillou, considéré comme le meilleur de l’armement.
Curieusement, ce navire fût capturé le 4 novembre 1914 par le navire corsaire allemand Prinz
Ertel Friedrich, et incendié et coulé le 19 aux Iles de Pâques. L’équipage fut sain et sauf.
13 Comte Alfred von NIEZYCHOWSKI, « The cruise of the Kronprinz Wilhelm », Doubleday, Doran & Cie, New-York, 1931 p. 14 : “Meantime, Captain Grahn was taking precautions against capture by having the ship camouflaged, a large part of the crew being busy with brush and paint pot repainting the vessel’s exterior.” 14 Ibid. p.18 : « We, the merchant officers, became automatically full-fledged naval officers, with all their powers and duties. »
15
L’Union par gros temps
Les capitaines Guillou et Grégoire sont donc tous les deux à Port Talbot lorsque
l’Allemagne déclare la guerre à la France le 3 août. Ils sont accompagnés de Louis Quénet,
capitaine d’armement de l’armement à Port Talbot. Il doit répondre à leurs besoins sur place.
Avec lui, ils se rendent au consulat de France pour savoir s’ils peuvent quitter le Pays de
Galles. La Valentine prête à partir, prend le départ. Mais l’Union n’achève son chargement
qu’un mois plus tard.
Or, le 7 septembre 1914 au matin, l’équipage refuse de partir vu l’état de guerre. Se
rendant avec deux matelots au consulat. Le Consul de Cardiff invita l’équipage à partir sur le
navire. Ils finirent par accepter.
2°/ Abordage
Urbain-Victor Chatelain reçoit chez lui à Paris, une
lettre datée du 7 Novembre 1914. Son fils lui écrit : « Mon
cher Père, Nous avons été capturé en mer par un navire
allemand. Nous sommes à son bord depuis le 28 octobre. »15
Le capitaine de l’Union, le capitaine Grégoire, racontera lui-
même dans un rapport de mer qu’ils ont été arraisonné par un
vapeur allemand. Voici un extrait de ce rapport : « Le 28
octobre 1914, après une nuit de calme et brises folles, la brise
prenant au matin au nord-est je faisais route au sud 35° W du
monde quand à 7h30 du matin, j’aperçus à environ deux
quarts par bâbord un vapeur se dirigeant au N. 30° E. environ. Je fis venir d’un quart sur
bâbord pour pouvoir signaler et donner de nos nouvelles [...]. Il hissa le signal ‘mettez en
panne’ et arbora le pavillon de la marine de guerre allemande, Il avait du monde paré à ses
canons et, avec la faible brise qui régnait, le peu de chance qu’il y avait à fuir durant le jour,
aucune fumée en vue ne pouvant faire espérer des secours d’un bâtiment français ou allié, je
mis en panne. Une embarcation de ce vapeur, qui était le Kronprinz Wilhelm vint à bord avec
des hommes armés et deux officiers qui demandèrent les papiers du navire [...]. Ils permirent
à l’équipage de prendre les effets personnels, mais s’opposèrent à ce que je prisse mes cartes
et mes instructions nautiques ainsi que nos livres de navigation, confisquant mon sextant et
celui des officiers, longues-vues, etc., propriété personnelle, et chose pour laquelle je
15 Lettre de Paul Chatelain du 7 novembre 1914 écrite à bord du Kronprinz Wilhelm – Archives familiales
16
L’équipage de l’Union lors du lavage du pont
protestait encore. Des embarcations vinrent prendre l’équipage et je quittai l’Union le
dernier, après avoir recommandé à chacun de se munir de sa ceinture de sauvetages. J’ai
essayé, une fois l’équipage embarqué, alors que nous attendions l’embarcation qui avait
conduit les hommes à bord du Kronprinz Wilhelm, de descendre dans la cale pour mettre le
feu dans le charbon. Les officiers allemands avaient envoyé un homme après moi, ce qui
m’empêcha d’exécuter mon dessein »16.
L’ Union est alors 33°57’S et 49°37’W à la hauteur du Rio de la Plata. Il a dans ses
soutes environ 3400 tonnes de charbon.
3°/ Le sort des prisonniers
Les prisonniers sont installés dans les cabines de seconde classe du luxueux croiseur
auxiliaire. Paul Chatelain dira dans le courrier qu’il écrit à son père le 7 novembre 1914
« nous y sommes très bien traités ». Au capitaine Grégoire de dire qu’ils sont traités « avec
humanité et bienveillance »17. De plus, il raconta que
le 28 octobre, le commandant du Kronprinz Wilhelm,
le capitaine de corvette Paul Thierfelder proposa à
l’équipage de l’ Union de signer un engagement de
ne pas prendre les armes contre l’Allemagne et de ne
pas se livrer à des actes d’hostilité contre l’Empire
Allemand, en échange de leur libération. Le capitaine
de l’Union explique alors : « Je conseillai aux deux
mousses et au matelot Coulombel, âgé de 50 ans, de
signer, mais laissai les autres hommes de l’équipage libres d’agir selon leur conscience ».
Trois semaines plus tard, le 22 novembre, les 27 prisonniers qui ont signé l’engagement
proposé par les marins allemands se retrouvent sur le vapeur allemand Sierra Cordoba qui
suit le Kronprinz Wilhelm et arrivent à Montevideo où ils sont débarqués.
16 Cité dans LE COAT Brigitte et Yvonnick, « Cap-horniers français Tome I : Mémoires de marins de voiliers de l’armement Bordes », Edition Chasse-Marée/Armen, Dournenez, 2002 p.275 17 Ibid.
17
Le paquebot Oronsa au port de la Rochelle
4°/ Les réfractaires
Paul Chatelain explique à son père dans son courrier, que seul trois membres de
l’équipage de l’Union ont refusé de signer. Il précise « nous sommes gardés prisonniers
jusqu’à la fin de la guerre ou plutôt, comme je l’espère, jusqu’à ce qu’un croiseur anglais ou
français viennent nous délivrer. » Le capitaine de l’Union précise « Avec le second, Monsieur
Julien, et le cambusier, Monsieur Chatelain, nous sommes restés prisonniers de guerre sur le
Kronprinz Wilhelm ». Pour lui, en ne
signant pas ce papier, il remplit son devoir
« de bon français », et s’assure surtout
qu’en cas de prise du Kronprinz Wilhelm, il
pourra conserver le pouvoir de revendiquer
l’ Union et sauvegarder les droits et intérêts
qui lui ont été confiés. Pour Paul Chatelain,
le pourquoi de cette décision est simple.
Etant né en 1894, il fait partie de la classe 14. Il est censé être mobilisé. Or, s’il signe cet
engagement à ne pas se battre contre l’empire germanique, s’il est de nouveau fait prisonnier
par les allemands, il pourra être fusillé sans autre forme de procès.
Les trois officiers seront rejoints le 21 novembre par l’équipage du trois-mâts nantais
Anne de Bretagne qui sera vidé et bombardé par les marins du Kronprinz Wilhelm. Il
transportait du bois du Nord de l’Europe.
Finalement, Paul Chatelain écrivit à bord du vapeur anglais de la Pacific Steam
Navigation Cie l’Oronsa le 7 janvier 1915 « Mes chers parents, nous avons fini par nous
rendre compte du peu de chances que nous avions d’être délivrés et nous avons signé ». De
fait, l’Union a coulé, ce qui ne permet plus aucune revendication de la part du Capitaine, et ils
signent le 20 décembre le document en question. Le Capitaine Grégoire, son second et son
troisième lieutenant furent donc déposés à Las Palmas le 3 janvier 1915 par le paquebot
allemand Otavi avant de rejoindre le port de la Rochelle La Palice à bord du vapeur anglais.
Aux alentours du 14 janvier, ils sont en France. Le journal nantais « Le Phare de la Loire »
annonce dans son édition du 9 janvier 1915 : «Le vapeur allemand OTAVI est arrivé le 4
Janvier à Las Palmas avec les équipages du vapeur anglais BELLEVUE, du vapeur français
MONT AGEL, du voilier français ANNE DE BRETAGNE, ainsi que deux officiers et un marin
de l’UNION. Ces navires ont été coulés par le KRONPRINZ WILHELM. L’OTAVI a ravitaillé
18
L’Union fini par couler le 22 novembre avec encore 800 tonnes de charbon
le corsaire en charbon, vivres et munitions. Le nombre d’officiers et marins débarqués à Las
Palmas s’élève à 61 hommes qui seront rapatriés à La Palice par le vapeur anglais
ORONSA. ».
5°/ Le sort de l’Union
Lorsque le quatre-mâts fut
vidé de son équipage le 28 octobre
1914, les marins du Kronprinz
Wilhelm déverguèrent les voiles.
La mâture haute fût calée, les mâts
et les vergues de perroquet jetés à
la mer. Le croiseur auxiliaire
allemand pris alors le voilier en
remorque. Le 1er novembre, il
retrouvait son annexe, le Sierra
Cordoba, un autre paquebot allemand, à 400 ou 500 miles du lieu l’Union fût capturé.
Le Kronprinz Wilhelm est un paquebot qui nécessite une grande consommation de charbon, or
le voilier contient environ 3000 tonnes de charbon à son bord. Il essaye à plusieurs reprises
d’accoster le quatre-mâts (le 2 novembre, et le 6 et 7 le long du Sierra Cordoba) mais sans
succès. Dans les jours qui suivent, la mer se calme et l’accostage du voilier, et le charbonnage
du croiseur s’effectue.
Le 22 novembre, l’Union, très avarié par les chocs qu’il a subi pendant les accostages chavire
sur tribord et coule avec encore 800 tonnes de charbon à son bord. Il aura été remorqué
pendant 23 jours par le corsaire allemand. Le Kronprinz Wilhelm mit deux embarcations à
l’eau pour recueillir toute épave pouvant donner des indications sur le navire disparu.
Le capitaine Grégoire raconte : « Le 22 novembre 1914, alors que l’Union a été pratiquement
vidé de son charbon, l’équipe du croiseur qui se trouvait à bord fait des signaux et
abandonne le navire. L’Union faisait plus d’eau que ses pompes n’arrivaient à en épuiser.
Après avoir continué à gîter de plus en plus, il va chavirer et sombrer par environ 27° sud et
34° ouest. »
19
Le Anne de Bretagne vu de la mature
B°/ Pendant ce temps là, en France
En France, plus que jamais, la complexité administrative se trouve bouleversé par la
guerre. La méconnaissance de l’arraisonnement de l’Union (1) s’ajoute aux imbroglios
juridiques posés par le statut des marins de l’armement Bordes (2).
1°/ La connaissance du drame
Durant nos recherches, une de nos questions était de
savoir si la France était au courant de l’arraisonnement de
l’ Union. Bien sur, le Phare de la Loire rapportait dès le 12 août
1914 « qu’un croiseur allemand croise sur les côtes chiliennes ».
D’ailleurs dans un courrier envoyé à son fils le 9 octobre 1914,
Urbain-Victor Chatelain explique «Je crois d’ailleurs que tu
n’aurais pas couru plus de risques sur terre que sur mer. Les
journaux anglais m’apprennent qu’il y a encore dans le Pacifique
deux ou trois croiseurs allemands qui font la chasse aux navires
de commerce. Je souhaite que la marine japonaise, notre alliée,
débarrasse promptement les mers de ces corsaires, et que vous arriverez sans encombre à
Valparaiso »18.
D’après nos recherches, il semblerait que la nouvelle de la capture de l’Union ne fut connue
qu’en janvier 1915 puisque le 9 janvier 1915, le Phare de la Loire annonce l’arrivée des trois
officiers du voilier et explique les circonstances de leur capture. Et ce n’est que dans une lettre
du 20 janvier 1915 que le ministre des Affaires étrangères informe le ministre de la Marine de
ces faits en précisant : « J’ai l’honneur de vous en faire part à toutes fins utiles, en vue de
l’application des dispositions de la convention XI de la Haye (1907) »19.
Ce manque d’information sur l’affaire se conjuguera ou accentuera les problèmes
rencontrés juridiquement par les marins de l’armement Bordes.
18 Lettre du 9 octobre 1914 écrite à Paris par Urbain-Victor CHATELAIN – Archives familiales 19 Cité dans LE COAT Brigitte et Yvonnick, « Cap-horniers français Tome I : Mémoires de marins de voiliers de l’armement Bordes », Edition Chasse-Marée/Armen, Dournenez, 2002, p. 276.
20
L’albatros, symbole des cap-horniers
2°/ Le statut des marins cap-horniers
Comme nous l’avons déjà dit, Paul
Chatelain, est de la classe 1914. Dès le
déclenchement de la guerre, il doit être
mobilisé. Or, doté d’un sursis daté du 20 juillet
1914 comme souvent accordé aux marins de la
marine marchande, il embarque régulièrement
sur l’Union. Pourtant, son père lui apprend dès
le 9 octobre, qu’une enquête est ouverte sur son
compte. Vite considéré comme « insoumis »,
les visites des gendarmes se multiplient rue du Père Lachaise où vit la famille Chatelain. Dans
le même temps, Urbain-Victor Chatelain, contacte le Préfet de la Seine, le Commandant de
recrutement, mais chacun lui assure que l’enquête est normale. Ils suivent la procédure. Il
conseille alors à son fils de se rendre au consulat de France au Chili dès qu’il le peut afin de
régulariser sa situation.
Paul Chatelain n’est pas le seul et nombre de marins pourtant en situation régulière se
retrouvent poursuivis pour désertion. Or, les marins de l’armement Bordes sont
irremplaçables pour la conduite des voiliers de charge. Théoriquement, vis-à-vis des autorités
militaires, ils sont dès lors considérés comme « inscrits maritimes détachés de leur corps pour
être embarqués sur les navires affectés au transport de nitrates de soude intéressant la Défense
nationale ». Donc, en principe, tant qu’ils sont embarqués, ces hommes sont affectés à
l’armement, mais dès qu’ils cessent de naviguer, ils repassent sous autorité militaire. Cette
situation particulière due à l’importance du nitrate fut tout de même une source permanente de
conflits entre la maison Bordes et l’administration de la Marine comme le montre le cas de
Paul Chatelain. La société transmettra à ses capitaines d’armement ce mot : « Nous avons
reçu du sous secrétariat d’Etat de l’artillerie et des munitions la dépêche qui précise très
exactement la situation des inscrits maritimes détachés au titre de notre maison. Tous les
hommes mis à notre disposition jusqu’au 15 février dernier l’ont été sur le « vu de la formule
imprimée n°3757/6 » et depuis cette date, ils ont été détachés jusqu’à nouvel ordre, par
décision du sous-secrétariat d’Etat de l’Artillerie et des munitions »20. Les conflits entre la
20 Ibid.p. 272
21
marine nationale et la compagnie ne cesseront seulement qu’en 1916 lorsqu’une décision du
ministère de la Guerre lèvera les ambiguïtés du statut des marins cap-horniers.
Pour Paul Chatelain, une fois débarqué à la Rochelle, il du rejoindre Rouen sans passer voir sa
famille. Le 16 avril 1915, il écrit à son père : « Mon cher père, je crois que je suis sauvé. Le
commandement chargé de l’instruction a dû d’ailleurs te l’écrire lui-même ce matin. Grâce à
toi et au certificat de Mr de Chabert, il a bien voulu chercher à m’obtenir un non-lieu pour
irresponsabilité ». Il ne doit certainement cette relaxe précoce qu’aux relations que possède
son père, ce qui ne fut pas le cas de tous les marins de la compagnie.
CONCLUSION
Relaxé, Paul Chatelain sera immédiatement réaffecté à une autre unité, le 405ème
Régiment d’infanterie. Lors de la troisième bataille de l’Artois, le 8 octobre 1915, il
succombera après avoir reçu une balle en pleine tête.
Son père recevra le 19 janvier 1922, un courrier de la Compagnie française d’armement et
d’importation de nitrate de soude, nouveau nom de la Compagnie Bordes, proposant à Paul
Chatelain une indemnité de captivité près de huit ans après les faits.
Le Kronprinz Wilhelm, après huit mois de navigation, avec quatorze navires coulés à son
actif, et bien abimé par les différentes manœuvres d’abordage fut contraint par manque de
charbon de revenir dans un port neutre : Newport aux Etats-Unis21. L’équipage fut interné, le
navire remis en état et utilisé par les américains après leur entrée en guerre comme
transporteur de troupes sous le nom de USS Baron von Steuben.
Avec la fin de ce croiseur auxiliaire, s’achève une période de la guerre maritime sous couvert
des règles des différentes conventions de la Haye que viendra bousculer le lancement de la
guerre sous-marine. Le commerce maritime après un nouvel élan s’en trouvera de nouveau
affecté jusqu’à la fin de la guerre, ressentant encore les conséquences quelques années après.
21 The New York Times, 12 avril 1915
22
ANNEXES
23
ANNEXE N°1
Lettre de Paul Chatelain à son père Urbain-Victor Chatelain
Ecrite à bord du Kronprinz Wilhelm
Le 7 novembre 1914
24
ANNEXE N°2
Extrait du Journal « The New York Times » publié le 12 avril 1915
25
ANNEXE N°3
Lettre de la Maison Bordes reçue par Urbain-Victor Chatelain en 1922
26
ANNEXE N°4
In LE COAT Brigitte et Yvonnick, « Cap Horn, une vie, un mythe », Pascal Galodé éditeurs, Saint Malo, 2008 p.95
27
BIBLIOGRAPHIE
ARCHIVES :
• Médiathèque de Nantes :
- Quotidien « Le phare de la Loire », 1914 (octobre-novembre-décembre), 1915
(janvier-février-mars), cote MIC B5
• Archives départementales de Paris et Chaumont
• Archives familiales :
- Lettres de Paul Chatelain
- Lettres de Urbain-Victor Chatelain
- Carnet de bord de Paul Chatelain
OUVRAGES :
• BARBANCE Marthe, « Vie commerciale de la route du Cap-Horn au XIXème siècle.
L’armement A.D. Bordes et fils », S.E.V.P.E.N., Paris, 1969
• BRIANT Théophile, « Les derniers marins cap-horniers », Edition Fernand Lanore,
Paris, 1978
• BRIOT Claude et Jacqueline, « Cap-horniers français Tome II : Histoire de
l’armement Bordes et de ses navires », Editions Chasse-Marée, Dournenez, 2003
• BUFFETAUT Yann, « La Grande Guerre sur mer, 1914-1918 », Marines Edition,
Nantes, 1998
• CHACK Paul et ANTIER JJ, « Histoire maritime de la première guerre mondiale »,
Tome 1, France Empire, 1969
• IRVING John, « La chasse aux croiseurs allemands : Coronel et les Falklands (1er
novembre - 8 décembre 1914) », Collection de mémoires, études et documents pour
servir à l’histoire de la guerre mondiale, Payot, Paris, 1928
• KEBLE CHATTERTON Edward, « Les coureurs de mers (le Dresden – le Karlsruhe
– Le Wolf – Le Kronprinz Wilhelm – le Prinz Eitel Friedrich – Le Moewe) »,
Collection de mémoires, études et documents pour servir à l’histoire de la guerre
mondiale, Payot, Paris, 1931.
28
• LACROIX Louis, « Les derniers cap-horniers français », préface de Jean Randier,
Editions maritimes et d’outre-mer, Paris, 1968
• LE COAT Brigitte et Yvonnick, « Cap Horn, une vie, un mythe », Les maritimes,
Pascal Galodé éditeurs, Saint-Malo, 2008
• LE COAT Brigitte et Yvonnick, « Cap-horniers français Tome I : Mémoires de
marins de voiliers de l’armement Bordes », Edition Chasse-Marée/Armen, Dournenez,
2002
• MILLOT Gilles, « Les grands voiliers, long-courriers, cap-horniers, voiliers-écoles »,
Les Albums Chasse-marée, Editions Chasse-Marée, Dournenez, 1989
• NIEZYCHOWSKI Alfred (Comte von), « The cruise of the Kronprinz Wilhelm »,
Préface du Contre-Amiral Walter McLean (US Navy) et introduction du comte Felix
von Luckner, Doubleday, Doran and Company, inc., New York, 1931.
• PICARD Henri, « La fin des Cap-horniers : les dernières aventures des long-
courriers français », Edita Vilo
REVUES :
• LE COAT Brigitte et Yvonnick, « Les voiliers Bordes dans la guerre (1914-1918) » in
Revue Chasse-Marée n°155 , pp 22-36
• L’épopée des grands cap-horniers dunkerquois, Dunkerque magazine, n°184, avril
2008, pp 27 à 30
29
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ..................................................................................................................p.2
SECTION I : L’U NION , UN DES DERNIERS CAP-HORNIERS DE L ’ARMEMENT BORDES............P.4
A°/ Les cap-horniers de l’armement A.D. Bordes...................................................p.4
1°/ L’armement A.D. Bordes............................................................................p.5
2°/ Les cap-horniers.........................................................................................p.6
B°/ L’Union ................................................................................................................p.7
1°/ Le premier quatre-mâts de l’Armement Bordes ........................................p.7
2°/ Ses caractéristiques....................................................................................p.8
3°/ Un voilier à la vie longue...........................................................................p.9
SECTION II : L’U NION , AUX PREMIERES LOGES D’UN CONFLIT MARITIME MONDIAL ........P. 10
A°/ Contexte maritime international......................................................................p.10
1°/ Opérations navales...................................................................................p.10
2°/ La chasse aux navires marchands............................................................p.11
B°/ Le droit de la prise maritime en 1914..............................................................p.13 SECTRION III : L’U NION , PREMIERE PRISE FRANÇAISE ......................................................P.14
A°/ Chronologie d’un drame...................................................................................p.14
1°/ Départ de Port Talbot...............................................................................p.14
2°/ Abordage...................................................................................................p.15
3°/ Le sort des prisonniers..............................................................................p.16
4°/ Les réfractaires.........................................................................................p.17
5°/ Le sort de l’Union.....................................................................................p.18
B°/ Pendant ce temps là, en France........................................................................p.19
1°/ La connaissance du drame.......................................................................p.19
2°/ Le sort des cap-horniers...........................................................................p.20
CONCLUSION .....................................................................................................................p.21
Annexes.................................................................................................................................p.22
Annexe 1 – Lettre de Paul Chatelain du 7 novembre 1915........................................p.23
Annexe 2 – Article du New York Times du 12 avril 1915........................................p.24
Annexe 3 – Lettre de l’Armement Bordes du 22 janvier 1922..................................p.25
Annexe 4 – Carte des routes principales des cap-horniers.........................................p.26
Bibliographie........................................................................................................................p.27
Table des matières................................................................................................................p.29