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41 UN CARRE DANS UN TRIANGLE De l’utilisation de textes anciens pour résoudre un problème Patrick GUYOT Irem de Dijon REPERES - IREM. N° 51 - avril 2003 Première étape : sensibilisation au problème. La classe concernée par l’expérience décri- te ici est une seconde professionnelle, pre- mière année de BEP MMIC (Métiers de la Mode et des Industries Connexes), constituée de vingt filles ayant pour la plupart quelques dif- ficultés en français écrit et oral, mais montrant toujours de la bonne volonté. Le point de départ était de tester la com- préhension d’un énoncé simple sous forme d’une question, afin de préparer le travail qui devait suivre. Je souhaitais en effet évi- ter que les élèves ne puissent résoudre le pro- blème à cause d’une incompréhension du sens de l’énoncé. La question a été posée oralement à dix minutes de la fin d’un cours, et répétée trois fois : « Inscrire un carré dans un tri- angle ». La seule consigne qui ait été donnée est : « Vous choisissez le triangle que vous vou- lez, vous avez jusqu’à la sonnerie pour répondre à la question. » A l’heure dite, j’ai ramassé les feuilles, les ai photocopiées avant de les redonner la séan- ce suivante pour poursuivre le travail. Le dépouillement des résultats a permis d’affi- ner ce que nous évoquions plus haut, et de mettre en évidence une difficulté fréquemment rencontrée : l’(in)exécution des consignes, ou plutôt l’(in)adéquation entre les objectifs du professeur et la réalisation des élèves. Le problème le plus important est venu du mot « inscrire ». La simple lecture du Petit Résumé : Il s’agit ici de conter une expérience réalisée en cours de mathématiques avec une clas- se de seconde professionnelle. Inscrire un carré dans un triangle, tel est le prétexte à cette acti- vité, mais, après une phase d’appropriation de l’énoncé du problème, on propose aux élèves deux modes de résolution à partir de textes anciens, l’un, géométrique, de Marolois, l’autre, algébrique, d’Al Khwarizmi, et on recherche la justification de ces méthodes. A partir de cette description, on essaiera de montrer les enjeux et les avantages de ce type de démarche.

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UN CARRE DANSUN TRIANGLE

De l’utilisation de textes anciens pour résoudre

un problème

Patrick GUYOTIrem de Dijon

REPERES - IREM. N° 51 - avril 2003

Première étape :sensibilisation au problème.

La classe concernée par l’expérience décri-te ici est une seconde professionnelle, pre-mière année de BEP MMIC (Métiers de la Modeet des Industries Connexes), constituée devingt filles ayant pour la plupart quelques dif-ficultés en français écrit et oral, mais montranttoujours de la bonne volonté.

Le point de départ était de tester la com-préhension d’un énoncé simple sous formed’une question, afin de préparer le travailqui devait suivre. Je souhaitais en effet évi-ter que les élèves ne puissent résoudre le pro-blème à cause d’une incompréhension du sensde l’énoncé.

La question a été posée oralement à dixminutes de la fin d’un cours, et répétée trois

fois : « Inscrire un carré dans un tri-angle ». La seule consigne qui ait été donnéeest : « Vous choisissez le triangle que vous vou-lez, vous avez jusqu’à la sonnerie pour répondreà la question. »

A l’heure dite, j’ai ramassé les feuilles, lesai photocopiées avant de les redonner la séan-ce suivante pour poursuivre le travail. Ledépouillement des résultats a permis d’affi-ner ce que nous évoquions plus haut, et demettre en évidence une difficulté fréquemmentrencontrée : l’(in)exécution des consignes, ouplutôt l’(in)adéquation entre les objectifs duprofesseur et la réalisation des élèves.

Le problème le plus important est venudu mot « inscrire ». La simple lecture du Petit

Résumé : Il s’agit ici de conter une expérience réalisée en cours de mathématiques avec une clas-se de seconde professionnelle. Inscrire un carré dans un triangle, tel est le prétexte à cette acti-vité, mais, après une phase d’appropriation de l’énoncé du problème, on propose aux élèves deuxmodes de résolution à partir de textes anciens, l’un, géométrique, de Marolois, l’autre, algébrique,d’Al Khwarizmi, et on recherche la justification de ces méthodes. A partir de cette description,on essaiera de montrer les enjeux et les avantages de ce type de démarche.

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Larousse Illustré nous permet de ne pas enêtre étonnés :

Inscrire.... Math. Tracer une figure àl’intérieur d’une autre, inscrire un tri-angle dans un cercle.

Pour le professeur, la phrase de l’énoncédu problème est précise, pour l’élève elle prêteà réflexion, à hésitation, voire à confusion : unefigure tracée « à l’intérieur d’une autre », ainsique l’écrit le Petit Larousse, doit-elle être encontact avec cette autre ? La définition du motinscrit dans le même dictionnaire est beau-coup moins ambiguë sur ce sujet :

Inscrit. Se dit d’un polygone dont tousles sommets sont sur une courbe donnée,ou d’une courbe tangente à tous les côtésd’un polygone donné.

La vue des résultats des élèves nous per-mettra de mettre en évidence les obstacles ren-contrés, et de revenir sur l’interprétation dumot inscrire.

Les productions ont été classées en trois« familles » présentées ci-contre...

Première « famille » : constructions exactes,ou tout au moins acceptables (figures 1 à 11).

Les onze élèves concernées ont pré-senté un travail qui répondait à la questionposée, même si quelques traits de construc-tion subsistants laissent planer un doutequant à la justesse de la méthode utiliséepour les figures 7 et 11. La figure 2 com-porte deux carrés, l’élève a expliqué par lasuite avoir tracé le petit carré en premier,puis le second après quelques temps deréflexion.

Deuxième « famille » : Inscriptions du carréinexactes (figures 12 à 17).

Les carrés 14, 16, 13 et 17 ont res-pectivement un, deux et trois sommets encontact avec le triangle. Les carrés 12 et15, intérieurs au triangle, ne « touchent »pas celui-ci.

Chaque carré tracé est bien à l’intérieurdu triangle. La définition du mot inscriredonnée par le Petit Larousse englobe-t-elle cescas ? Il faudrait plutôt penser à la définitionpar le même dictionnaire du mot inscrit, plusprécise, et qui impose aux sommets de la figu-re inscrite d’être en contact avec le triangle.La discussion qui suivra conduira la classe àrejeter ces figures comme ne répondant pasà la question posée.

Troisième « famille » : Réponses incorrectesou absence de réponse (figures 18 à 20).

La figure 18 montre une inscription de tri-angle dans un carré. Dans la phrase de l’énon-cé oral, le mot carré était prononcé en effet avantle mot triangle, il a peut-être été logique pourcette élève de commencer par tracer le carrépuis d’y inscrire un triangle. Elle n’auraitretenu que les mots qui lui semblaient impor-tants: inscrire, carré et triangle, et elle auraitdonc construit une figure utilisant les trois mots.

La figure 19 présente un quadrilatèrequi n’est manifestement pas un carré, etqui a été dessiné à main levée, comme pourse débarrasser. Enfin la dernière imagemontre le cas d’une élève qui a écrit qu’ellene peut pas réaliser ce qu’on lui demande(« je peux pas » ; «impossible»), pressentantune construction irréalisable : en mathé-matiques, il arrive qu’on ait à faire des tra-

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vaux qui s’avèrent infaisables après réflexion,et cela ne perturbe pas les élèves de propo-ser ce type de réponse.

Lors de la séance suivante, après avoirrendu leur production aux élèves, j’ai enga-gé un débat sur la construction, sa faisabili-té, et les valeurs respectives des dessinsqu’elles avaient proposés, qui a bien mis enévidence les difficultés constatées lors del’observation des tracés.

Une élève l’exprime en disant: «On nepeut pas mettre les quatre sommets du carré

car le triangle n’a que trois côtés.» et uneautre enchaîne en ajoutant fort justement : «Doncil faut deux sommets sur un même côté du tri-angle parce que pour inscrire comme il faut,les coins du carré doivent toucher les bords dutriangle.» Cette dernière affirmation a dû êtreassez longuement discutée car elle ne faisaitpas a priori l’unanimité, les élèves ayant à cœurde soutenir leur propre construction. Ce n’estqu’à l’issue de ces échanges qu’elles n’ont pasvalidé les constructions 12 à 17.

Construire un carré dans un trianglepréalablement tracé : là semble être la plus

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grande difficulté. Deux élèves ont alors avouéavoir construit d’abord le carré, puis le triangle«autour», la première ayant agi en toute bonnefoi, alors que la deuxième a déclaré l’avoir faitavec la sensation d’avoir triché, car elle avaitperçu qu’elle ne respectait pas l’ordre préco-nisé par l’énoncé.

Deux autres élèves, en fin de discussion,et qui n’avaient pas pris part au débat quis’était engagé, se sont déclarées étonnéesque leurs camarades aient ressenti des dif-ficultés devant la réalisation de cet exercice,mais la suite a montré que toutes deux, sansse concerter (elles n’étaient pas voisines),avaient tracé un triangle rectangle (figures1 et 3), ce qui rend effectivement la construc-tion plus évidente. Nous pouvons d’ailleursremarquer la forme particulière (isocèles,rectangles ou équilatéraux) de la plupartdes triangles, le triangle scalène n’étantmanifestement pas la norme chez nos élèves.Plusieurs idées peuvent expliquer ces faits :lors d’une construction, n’a-t-on pas géné-ralement tendance à tracer un trianglepresque isocèle, ou presque équilatéral, sansmême y prendre garde ? ou bien, les élèvesveulent-elles simplifier le problème, commeon vient de l’évoquer ? On peut aussi rappelerà leur décharge que la consigne de départ étaitde tracer le triangle de leur choix.

Afin de clore ce débat de vingt minutesenviron, j’ai demandé aux élèves de proposerune technique, une recette de construction pource problème ; il est apparu comme une évi-dence pour elles que seule une successiond’essais peut permettre d’arriver à une solu-tion «satisfaisante». Entendons par satisfai-sante celle qui donne de bons résultats, véri-fiables par des mesures (une élève a ainsi pudire : « j’ai un vrai carré avec 4 côtés égaux »).Mais toutes furent d’accord pour reconnaître

qu’une méthode par approximations succes-sives n’était pas acceptable pour l’esprit,habituées qu’elles sont depuis le collège àdevoir justifier leur travail en mathéma-tiques. Résultat mitigé donc : bonne figure sion s’applique, mais pas de preuve de l’exac-titude du tracé.

J’ai alors suggéré que j’avais en ma pos-session deux méthodes, connues depuis trèslongtemps, pour arriver «du premier coup» àtracer la «bonne» figure, celle qui satisferaitaux conditions de l’énoncé ; la première est uneméthode purement géométrique, la secondes’appuie sur l’algèbre.

Cette première partie a été riche en infor-mations sur le mode de fonctionnement desélèves, mais a également «mis le moteur enmarche» : en effet, après la discussion sur ladifficulté de la construction, les élèves étaientconcernées par ce problème et le simple faitde leur proposer une solution (et même deux)a entraîné chez elles une volonté de pour-suivre.

Premier intermède :retour vers … l’énoncé.

Avant de continuer la description du tra-vail réalisé, tournons-nous vers le sujet lui-même, et vers son traitement mathématique.L’inscription de figures est un sujet réguliè-rement rencontré par celui qui parcourt lesouvrages de mathématiques à travers lessiècles. Pour l’inscription particulière d’uncarré dans un triangle qui concerne notrepropos, nous pouvons citer Chuquet, Pierodella Francesca, Fibonacci ou Luca Pacioli, pourne pas aller au-delà du XVIème siècle. Laplupart ont étudié un triangle particulier,isocèle ou équilatéral.

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Si nous observons par exemple La Géo-métrie du premier cité, Nicolas Chuquet, écri-te en 1484 ([Chu1484]), nous avons deux trai-tements différents du problème, mais dans lesdeux cas avec un triangle équilatéral. La pre-mière méthode qu’il présente consiste à cal-culer le côté du triangle équilatéral connais-sant le côté du carré 4 (ce qui lui donne le résultatsuivant, en modernisant la transcription,

) ; la deuxième méthode permet

de calculer le côté du carré inscrit dans un tri-angle équilatéral de côté 8 (on obtient pour le

côté du carré ).

Pour mieux mettre en perspective ce quia été réalisé avec mes élèves, et pour ne pasmultiplier les exemples rencontrés dans l’his-toire, on peut extraire deux traitements par-ticuliers du problème.

Le premier est issu d’un ouvrage de 1901de Monsieur Dauzat, inspecteur d’Académie([Dau1901]), qui a été écrit à destination desprofesseurs de mathématiques. Voir page ci-contre ce qu’il en dit.

M. Dauzat suppose le problème résolu etl’analyse ; le petit carré inscrit DEFG étanttracé, on va démontrer que le grand quadri-latère BHIC est lui aussi un carré. Le dernierparagraphe donne pour terminer la méthodegénérale de construction.

Un manuel récent de seconde générale delycée propose un traitement différent lorsd’un exercice. Le chapitre contenant cet exer-cice est consacré à l’homothétie, et l’énoncé pri-vilégie bien entendu son utilisation. L’homo-thétie utilisée pour la démonstration n’estactuellement (en 2002) plus au programme decette classe, mais le mode de raisonnement en

24768 −

311365

3137 +

jeu est significatif d’une évolution par rapportà ce qu’on pouvait proposer en 1901 ; il ne s’agitplus ici de démarrer du problème résolu, maisde suivre pas à pas la construction en justi-fiant chaque étape nécessaire pour atteindrel’objectif final (voir page suivante).

Il apparaîtra dans la suite de cet exposéque les pratiques utilisées avec mes élèves deBEP se distinguent nettement à la fois des pro-positions méthodologiques du livre à destinationdes professeurs de Monsieur Dauzat, et desquestions du manuel de seconde générale.

Les élèves de BEP se voient en effet le plussouvent proposer une méthode expérimenta-le, qui privilégie le visuel et les constructionsà tous les niveaux, et même lors de la réflexionet de la justification, comme nous allons le voiren poursuivant notre description.

Deuxième étape :la résolution « géométrique ».

Il s’agissait ici de faire connaître auxélèves un mode de construction simple àmettre en œuvre, mais aussi de les aider à vali-der leur travail à l’aide de leurs connais-sances mathématiques.

Le texte qui leur a été présenté est issude la Géométrie de Samuel Marolois([Mar1616]). Né vers 1572 et mort avant 1627,celui-ci vécut aux Pays-Bas, a enseigné lesmathématiques et a exercé plusieurs fonc-tions techniques. Il a écrit en particulier uneGéométrie, que nous avons évoquée, et unouvrage sur les fortifications 1.

1 Le groupe «Mathématiques en Bourgogne» issu de l’IREMde Dijon étudie les œuvres de Marolois depuis quelquesannées, et a déjà publié deux brochures consacrées à sa Géo-métrie.

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Inscrire un carré dans un triangle donné. Fig. 44

Soit ABC (fig.44) le triangle donné et DEFG le carré à inscrire. Considé-rons que les deux droites AB et AC issues du point A passent par les som-mets D et G du carré à inscrire, et menons par le même point A les droitesAE et AF qui passent par les deux autres sommets E et F du carré. En pre-nant alors le point A comme centre de similitude directe et la droite BC commehomologue de DG, si l’on mène par les points B et C des parallèles aux droitesDE et GF jusqu’à leurs rencontres en H et I avec les droites AE et AF, en joi-gnant H et I par une droite, on forme une figure BHIC semblable au carréinscrit, car cette figure est homothétique du carré DEFG.

On peut d’ailleurs, sans faire appel à la théorie des figures homothé-tiques, démontrer très facilement que le quadrilatère BHIC est un carré. Leproblème se résout donc ainsi : construire, sur BC pris pour côté, un carréBHIC ; joindre par des droites les sommets H et I de ce carré au sommet Adu triangle ; mener par les points de rencontre E et F de ces droites avec BC,des parallèles ED et FG à la direction HB ; joindre enfin les deux points Det G.

Ouvrage de M. Dauzat, 1904.

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Comprendre une construction.

Soit un triangle ABC. On désire construire un carré EFGH dont le côté [EF]est inclus dans le segment [BC], et les sommets G et H sont respectivement despoints de [AB) et de [AC].

1° Reproduire la construction ci-dessous en trois étapes, avec un triangle ABCtel que BC = 6cm et de hauteur AK = 4 cm.

2° Rédiger chaque étape de cette construction (sans justifier).

Quel semble être le rapport de l’homothétie qui transforme le carré BCMN enGHEF ?

3° Le point A se projette orthogonalement en K sur [BC] et en K’ sur [NM].Soit h l’homothétie de centre A qui transforme K’ en K.

a) Justifier que h(M) = E et h(N) = F.b) Quelle est l’image de la droite (MC) par h ? de la droite (AC) ?

En déduire l’image du point C par l’homothétie h.c) Déterminer l’image de B par h.d) Démontrer que le quadrilatère EFGH est un carré.

([Déc1998])(Chapitre 16 : Homothéties, (page 349 : travaux pratiques, 3, module)

Manuel de seconde générale

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Nous donnerons tout d’abord l’intégrali-té du texte concernant notre sujet (voir au verso,page suivante), puis nous verrons que lesélèves ne l’ont pas étudié en totalité.

La propriété évoquée, la 4. du 6. d’Eucl.,est la quatrième proposition du sixième livredes Éléments d’Euclide. Elle dit que dans lestriangles équiangles, les côtés autour desangles égaux sont proportionnels. C’est un théo-rème plus général que notre actuel théorèmede Thalès qui ne concerne que des trianglesà côtés parallèles, et pas la totalité des trianglessemblables.

Les élèves de BEP n’ont pas étudié cetteproposition 4 du sixième livre d’Euclide maiselles connaissent le théorème de Thalès et ils’agissait donc de faire fonctionner une jus-tification utilisant ce théorème.

Mon choix a donc été de leur fournir la figu-re accompagnée du texte, mais uniquementjusqu’à « au triangle susdit », et de leur deman-der dans un premier temps de réaliser elles-mêmes la figure comme Marolois l’indique. Lesélèves ont travaillé consciencieusement, maisdeux critiques de leur part doivent être rele-vées : le fait que Marolois nomme le quadri-latère ACDE au lieu de ACED, ce qui consti-tue pour elles une erreur manifeste, et, fauteaussi importante à leurs yeux, que des pointsnon utilisés (O, I, M) apparaissent, ce quej’ai pu faire accepter en disant que je n’avaispas fourni le texte complet et qu’elles consta-teront, lors de la justification qu’elles aurontà faire, que ces points pourront intervenir.

Il est nécessaire également de signaler aulecteur que si les élèves n’ont pas eu de réac-tion notable devant la formulation et l’ortho-graphe du texte c’est parce qu’elles avaient déjàeu l’occasion de travailler sur un énoncé de Maro-

lois. Mais il est évident que l’attitude lors dela première rencontre est un mélange d’amu-sement et d’étonnement : des mathémati-ciens qui ne savaient pas s’exprimer et écri-re correctement ! Le fait qu’une langue évolue,même sur une courte période (moins de quatresiècles entre Marolois et nous) est loin d’allerde soi, et il est nécessaire lors de ce premiercontact avec un texte ancien, de prendre unmoment pour montrer des exemples d’évolu-tion de mots usuels.

Nous sommes ensuite passés à la validationde la méthode utilisée, en procédant parpaliers successifs. Nous devons prouver queFGIH est un carré. Or que savons-nous de cequadrilatère ? Une discussion collective apermis de mettre en évidence le fait que FGIHpossède deux angles consécutifs droits. Quemanque-t-il donc pour que FGIH soit uncarré ? Plusieurs opinions s’affrontent, etnous nous sommes mis d’accord sur le procé-dé à utiliser pour accepter ou rejeter uneaffirmation : c’est de construire ce qui a étéproposé en essayant de le mettre en défaut.Les solutions avancées ont été successive-ment : rajouter un angle droit (rejeté car onpeut obtenir un rectangle), rajouter deuxangles droits (rejeté car on peut encore obte-nir un rectangle), avoir quatre côtés égaux(accepté car on aura toujours un carré, c’estd’ailleurs sa définition).

Mon intervention a alors été nécessaire poursuggérer que les quatre côtés égaux n’étaientpeut-être pas indispensables. Avec deux côtésseulement on a vu que l’on pouvait obtenir unrectangle, donc ce n’était pas suffisant, maisavec trois côtés égaux, les conditions sem-blent toujours réunies pour le carré. Il a suffide montrer que si HF = FG = GI alors (HI) seraparallèle à (FG), et les angles seront tousdroits, la figure sera bien le carré souhaité.

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Prop. 48.Dans un triangle inscrire un quaré.

Construction.147.

Soit le triangle ABC. auquel on veult inscrire un quaré, soit de la base AC. faict le quareACDE. puis soyent menees le lignes BE. & BD. qui couperont le triangle en la base AC.aux points FG. je di que FG. est le coste du quaré pour inscrire au triangle susdit, qu’ilsoit ainsi il aparoistra ayant prolongé les costez AB. BC. jusqu’à ce qu’ils rencontrent labase du quaré DL. aux points L, & M, car il est evident que EK. a proportion contre KB.cõme G, O. a OB. par la 4. du 6. d’Eucl. Mais EK. est la moitie du coste du quare inscriptau triangle BLM. le coste GO. sera donc aussi le coste de la moitie du quare inscript autriangle A, B, C. car les dicts triangles sont proportionaux, ce qui estoit requis de faire.

Le texte de Marolois

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Les angles droits sont donnés par l’énon-cé, notre travail va donc consister à recher-cher l’égalité de trois des côtés de FGIH. SiMarolois nous demande de tracer d’abord lecarré ACED, nous devons l’utiliser. C’est à cemoment qu’une élève a vu une situation de Tha-lès dans la partie centrale de la figure (triangleBDE).

Je me suis appuyé sur cette découvertepour leur demander de trouver deux autrestriangles avec des situations analogues et dedonner les égalités de rapports obtenus.

La figure ci-dessous, «éclatée» en sous-figures, a permis aux élèves éprouvant leplus de difficultés d’arriver au résultat qui a

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été formulé de différentes façons mais que nousavons fini par écrire :

= = = = = =

Les premier, quatrième et septième rap-ports sont égaux et possèdent des numérateurségaux (AD = CE = DE comme côtés du carréACED), leurs dénominateurs HF, IG et FG sontdonc égaux et on obtient bien le carré FGIH.

Pour terminer cette partie qui aura duréenviron une heure et pour revenir sur une idéeévoquée plus haut, j’ai signalé aux élèves quele triangle dessiné dans l’ouvrage de Maroloisest équilatéral et leur ai demandé si la métho-de reste valable pour tout triangle. Desconstructions ont alors été réalisées, qui ontbien mis en évidence la généralité de cette pro-position.

Deuxième intermède : Maroloispropose d’inscrire… autrement.

La méthode précédente, si elle est simpleet rigoureuse, n’est pas la seule présentéepar Marolois. Comme à de nombreuses reprisesdans son ouvrage pour d’autres propriétés, elleest suivie d’une seconde solution, pour laquel-le l’auteur ne récrit pas la proposition, qui estdonc toujours la proposition 48, mais il notesimplement en début de cette nouvelle métho-de, « Autrement », comme nous pouvons le lirepage ci-contre.

Cette démarche est intéressante et méri-terait également d’être étudiée en classe,même si cela n’a pas été le cas ici. Elle pro-pose en réalité en un seul paragraphe deuxtechniques indépendantes. La première, très

DE—–FG

BE—–BG

BC—–BI

CE—–IG

BD—–BF

BA—–BH

AD—–HF

brève, permet d’obtenir le côté HI du carré ;la deuxième (à partir de : « ou ayant prolon-gé… »), plus longue, demande de tracer un carréextérieur n’ayant avec le triangle que le pointB en commun. La proposition de Maroloisd’élever la perpendiculaire GF « a vostre dis-cretiõ », c’est-à-dire à l’endroit de votre choix,ne peut qu’être un motif d’intérêt supplé-mentaire pour les élèves, qui souhaiterontvérifier le bon fonctionnement de la méthodedans plusieurs cas sur la même figure. Cer-taines se contenteront de faire une ou deuxconstructions, mais la plupart montrent uneréelle curiosité et désirent comprendre pour-quoi « ça marche ».

Troisième étape : la résolution « algébrique ».

Ayant épuisé les ressources du procédé géo-métrique, j’ai présenté aux élèves un texte conte-nant une approche réellement différente.Écrit par Muhammad Ibn Musa al-Khwariz-mi (780-850), astronome et mathématicienayant vécu à Bagdad, il est extrait d’un ouvra-ge resté célèbre (al-Kitab al-Mukhtasar fihisab al jabr wal l-muqabala, ou abrégé ducalcul par les procédés de la restauration etde la comparaison) car un mot du titre, al jabr,a donné le substantif «algèbre». Dans le mêmeordre d’idée, on peut évoquer «algorithme», quidérive directement du nom de notre auteur.

Le problème présenté par al-Khwarizmiapparaît comme un problème géométrique, maisles élèves s’aperçoivent vite que son mode derésolution ne l’est pas. Les termes imagésont été discutés avec les élèves avant de cher-cher à comprendre la technique mise enœuvre : on parle du « ventre » de la terre, et

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Autrement148.

Soit eslevé la perpendiculaire G, F. a vostre discretiõ & en soit formé le quaré G, F.E, D. puis soit tiree E. H passante par E. lors du point H. soit menee la perpendiculaireH, I. qui est le costé du quaré, ou ayant prolongé le coste AC. & du point B eslevée la per-pendiculaire B, M. jusqu’a ce qu’elle rencontre ladite ligne prolongee A, C. en M. & suricelle perpendiculaire soit faict le quare B, M. N, O. puis du point N. soit faicte la ligneN, A. & ou qu’icelle coupe le coste C, B. soit faicte la perpendiculaire KL. sur la base A,B. qui sera le coste du quare requis.

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de ses « flancs ». Mais deux mots ont néces-sité une explication, « chose » et «mãl» : la chosedont il est question est ce qu’on appelleaujourd’hui l’inconnue et qu’on représentesouvent dans un calcul par la lettre x. Le mãl(signifiant le bien, la fortune, d’où la sourced’amusement pour la classe, le mãl c’est le bien)correspond au carré de l’inconnue x, autrementdit x 2. Le texte original est présenté ci-contre(des élèves d’origine maghrébine se sont amu-sées à retrouver des mots qu’elles savaient lire),et nous le faisons suivre par la traduction 2 :

11.4. < Problème d’arpentage >

Si on dit : une terre triangulaire, ses deuxcôtés <ont> dix coudées, dix coudées, et labase douze coudées, et dans son ventre uneterre carrée. Quel est le côté du carré ?

La méthode pour cela consiste à connaîtrela hauteur de la <terre> triangulaire et c’esten multipliant la moitié de la base — etc’est six —, par lui-même ; il vient trente-six.Retranche-les de l’un des deux côtés courtsmultiplié par lui-même — et c’est cent —. Ilreste soixante-quatre. Prends sa racine, huit,et c’est la hauteur. Son aire est quarante-huitcoudées et c’est ta multiplication de la hau-teur par la moitié de la base, qui est six.

Nous considérons un des côtés de la <terre>carrée <égal à> une chose et nous la multi-plions par elle-même ; il vient un mãl. Nousle conservons. Puis, nous constatons qu’il nousreste deux triangles sur les deux flancs dela <terre> carrée et un triangle au-dessus d’elle.Quant aux deux triangles qui sont sur les deuxflancs, ils sont égaux et leurs hauteurs sont

les mêmes et elles sont sur un angle droit.Leur aire est que tu multiplies une chose parsix moins un demi d’une chose, il vient sixchoses moins la moitié d’un mãl. Et c’est l’airedes deux triangles ensemble qui sont surles deux flancs du carré.

Quant à l’aire du triangle supérieur, c’esten multipliant huit moins une chose, et c’estla hauteur, par la moitié d’une chose ; il vientquatre choses moins la moitié d’un mãl.

<Tout> ceci est l’aire du carré et l’airedes trois triangles, et c’est dix choses, <qui>égalent quarante-huit, et c’est l’aire du grandtriangle.

De cela, la chose est quatre coudées etquatre cinquièmes de coudée, et c’est chacundes côtés de la <terre> carrée.

Et voici sa figure :

La lecture de ce document a été à la foissource d’intérêt et de difficultés pour lesélèves. L’origine de l’auteur et le vocabulai-re exotique ont provoqué de la curiosité, maisen même temps cette description inhabituel-le a vite entraîné une demande d’aide. Jeleur ai proposé de détailler ce qui est effectuédans chaque phrase prise séparément. Letravail commun a permis d’obtenir le décou-page suivant :

2 Cette traduction nous a été fournie par Ahmed Djebbar, pro-fesseur à l’Université de Lille, que nous remercions, et quiest par ailleurs auteur de «Une histoire de la science arabe»paru en 2001 aux Éditions du Seuil (collection Points-Sciences).

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Première phrase : c’est l’énoncé du problèmecontenant la description de la figure. L’élémentrecherché est le côté du carré.

Deuxième phrase : elle contient deuxparties, la première permet de calculer la hau-teur du triangle à l’aide de la propriété dePythagore, la deuxième de calculer son aireen appliquant la formule connue par lesélèves.

Troisième phrase : la plus délicate carles deux termes « chose » et « mãl » y appa-raissent, et l’auteur demande de découper letriangle en quatre polygones, le carré, un tri-angle au-dessus, et un triangle de chaquecôté du carré. J’ai alors suggéré de choisir l’écri-ture algébrique que nous connaissons, en pre-nant x pour la chose ; l’aire du carré est le mãl,x2, et de l’utiliser pour retranscrire la suite descalculs.

Quatrième phrase : les aires des triangles

latéraux sont égales chacune à , ce qui

donne : pour ensemble des

deux triangles.

Cinquième phrase : l’aire du triangle

supérieur est égale à .

Sixième phrase : on obtient :

x2 + +

= 10x = 48 = aire du grand triangle.

Septième et dernière phrase : le côté cher-ché mesure 4 coudées et 4/5 de coudée, cequ’on écrit aujourd’hui 4,8 coudées.

2xx4

2−

2xx6

2−

2xx4

2x)x8(

2−=−

2xx6)

2x6(x

2−=−

2

)2x6(x −

Il ne s’agissait plus alors que de vérifierles résultats donnés par al-Khwarizmi, cequi n’a pas posé de problème particulier, sice n’est l’écriture finale du résultat sous uneforme fractionnaire. Le fait qu’au Xème siècle,l’écriture décimale 4,8 n’existait pas fut unevraie surprise pour la classe, mais leur fit bienentrevoir l’existence d’une réelle modifica-tion des connaissances mathématiques aucours du temps. L’écriture des nombres abeaucoup évolué à travers les siècles avantde se stabiliser au cours du XVIIème siècledans la forme décimale qu’on connaîtaujourd’hui, mais leur raconter l’histoire deces écritures n’aurait certainement pas eu lamême efficacité sur ces élèves : en effet la lec-ture de ce nombre 4 et 4/5 les a installées dansune situation de demandeuses d’informa-tion, et non de simples réceptionnaires deconnaissances transmises.

Deux interventions ont également eu lieupendant cette phase de travail. Lors de lalecture de l’énoncé, une élève attentive et« bien dressée » a formulé la remarque quel’auteur avait donné une aire de 48 coudéesau lieu d’écrire 48 coudées carrées. La deuxiè-me intervention a concerné la forme isocèledu triangle utilisé. Pourrait-on utiliser latechnique proposée avec n’importe quel trianglecomme on l’a montré avec la technique géo-métrique ? La classe a alors rapidementconstaté que la méthode présentée fonction-nait bien pour des raisons de symétrie, maisqu’elle ne s’appliquait plus dans le cas géné-ral d’un triangle quelconque.

Je suis ensuite revenu sur la questioninitiale de l’inscription d’un carré dans untriangle. Comment faut-il utiliser la métho-de d’al-Khwarizmi qui nous donne seulementla mesure du côté du carré, mais ne nousfournit pas la méthode de construction

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comme Marolois ? Trois solutions ont été pro-posées :

Une élève propose des « essais succes-sifs », en déplaçant la règle parallèlement àla hauteur, jusqu’à ce qu’on obtienne « juste »4,8 cm (plutôt que continuer à parler des cou-dées, les élèves ont spontanément utilisé lescentimètres).

Une deuxième améliore la première endisant qu’il suffisait de mesurer 4,8 cm sur lahauteur , puis 2,4 cm de chaque côté du piedde la hauteur sur la base, et on complète faci-lement le carré.

La troisième solution a été de découperun carré de papier de 4,8 cm de côté et de leplacer dans le triangle jusqu’à ce qu’il soit bieninscrit.

Bien que la dernière méthode ait étéreconnue plus longue à mettre en œuvre, ellea eu la préférence de la majorité, peut-être parcequ’elles se reconnaissent dans un exercicecomportant un tracé avec découpage commelors de leur travail en atelier (fabrication degabarits).

Bilan et conclusion.

Environ trois heures ont été consacréesà ces travaux qui ont permis aux élèves de ren-contrer des contenus mathématiques variésinclus dans le programme de mathématiquesdes classes de BEP. Nous pouvons citer les pro-priétés des figures géométriques simples, lethéorème de Thalès (reconnaître une « situa-tion de Thalès », utiliser le théorème lui-même), l’égalité des rapports, les équations (mise

en équation et résolution), le calcul littéral,l’utilisation des formules des aires de figuressimples, l’inscription de figures. Mais nousdevons insister également sur les échanges fré-quents pour valider, accepter, démontrer ourejeter une proposition.

Une discussion collective a été nécessai-re plusieurs fois, entre des élèves désireusesde défendre leur conception, mais ne refu-sant pas d’écouter les arguments de leurscamarades, et de les accepter si leur métho-de leur semblait meilleure. C’est d’ailleurs àcette occasion qu’on peut relever l’importan-ce qu’il y a de traiter un problème qui a prisdu sens par des tracés préliminaires et unemise en commun, et qui a vu sa solution appa-raître sous deux formes très différentes, rele-vant toutes deux d’une période passée, maispas dépassée. En effet, les contenus et méthodesabordés restent bien d’actualité.

Une phrase extraite d’un article d’EvelyneBarbin, présidente de la commission inter-Irem« Épistémologie et Histoire des Mathéma-tiques », et datant de 1995, me semble biencorrespondre à l’intérêt de la mise en place d’unetelle situation :

« Le professeur de mathématiques doitenseigner les mathématiques comme un pro-cessus historique et un objet culturel. Maisil ne s’agit pas ici de calquer l’enseigne-ment sur l’histoire, mais de saisir dans l’his-toire les problèmes qui donnent significationaux savoirs. »

([Bar1995])

En effet, la syntaxe et l’écriture, originales,n’ajoutent pas une difficulté supplémentairedans les cas évoqués, mais provoquent bienchez les élèves une volonté de compréhen-sion des exercices décrits intégrés dans un «pro-

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cessus historique» ; le dépaysement, les inter-rogations suscitées par les textes permettentune réflexion sur un plan culturel.

Du point de vue des connaissancesmathématiques, la présentation de deuxméthodes très éloignées pour résoudre unmême problème agit sur les représenta-tions des élèves, et leur permet de donnerdu sens aux méthodes et aux savoirs qu’ellesont pu étudier par ailleurs, comme le pré-conisait la phrase ci-dessus.

Nous ne voudrions pas terminer cet articlesans évoquer deux faits qui nous semblentimportants. Lors de ce travail aucune élèven’a posé la fameuse question du « à quoi çasert ? », mais chacun des lecteurs comprendbien que l’inscription d’un carré dans un tri-angle n’a pas une grande utilité pour unecouturière, et l’intérêt rencontré lors de la

résolution du problème aura été le moteur dela classe.

Enfin j’ai souhaité rechercher chez lesélèves si elles avaient le sentiment qu’uneméthode était « meilleure » que l’autre. Et aulieu d’obtenir un pourcentage comparatif, j’aiconstaté que derrière ce mot de « meilleure »se cachaient des significations très diverses(on retrouve les ambiguïtés de vocabulaire évo-quées au début de l’article pour le mot inscrire).Pour l’une c’était la méthode la plus exacte,pour l’autre la plus rapide, ou encore la pluspratique, ou enfin celle qui plaît le plus.

Mais plutôt qu’une dissonance, n’est-ilpas juste de voir dans ces avis très divers, uneimplication des élèves, source de satisfactionchez le professeur, qui perçoit tout ce qu’unetelle attitude peut avoir de positif en termede formation, sans oublier l’aspect plaisir ?

Bibliographie

[Chu1979] : Nicolas Chuquet, La Géométrie, première géométrie algé-brique en langue française, 1484, introduction, texte et notes par Hervé l’Huillier,Vrin, Paris, 1979.

[Dau1901] : M. Dauzat, Éléments de méthodologie mathématique, Librai-rie Nony & Cie, Paris, 1901.

[Déc1998] : Maths seconde, collection Déclic, Hachette éducation, Paris, 1998.

[Mar1616] : Samuel Marolois, Geometrie contenant la theorie et prac-ticque d’icelle nécessaire à la fortification, Hagae-Comitis, ex Officina Hen-rici Hondii, Arnhemi, 1616.

[Bar1995] : Evelyne Barbin, Bulletin de l’APMEP n° 397, février 1995.