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Un effet immuno-allergique rare et grave du traitement antituberculeux : la neutropénie au pyrazinamide

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Page 1: Un effet immuno-allergique rare et grave du traitement antituberculeux : la neutropénie au pyrazinamide

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REVAL-491; No. of Pages 4

Fait clinique

Un effet immuno-allergique rare et grave du traitement antituberculeux :la neutropénie au pyrazinamide

Pyrazinamide-induced neutropenia: One new case

H. Moubachir *, I. Id Ahmed, J.E. Bourkadi, G. IraqiService de pneumologie, hôpital Moulay-Youssef, CHU Ibn Sina, Rabat, Maroc

Reçu le 6 juillet 2012 ; accepté le 2 novembre 2012

Résumé

Introduction. – Le pyrazinamide est un antituberculeux majeur, généralement bien toléré. Ses effets indésirables sont bien connus, parmi lesquelsdes effets indésirables hématologiques sévères, rarement rapportés.Observation. – Il s’agit d’un patient âgé de 12 ans, sans antécédents particuliers connus, traité pour tuberculose ganglionnaire confirméehistologiquement par rifampicine, isoniazide et pyrazinamide. Le traitement a été pris pendant 15 jours, puis arrêté pour rupture de stock pendantcinq jours. Deux heures après la reprise du traitement, l’enfant a présenté un syndrome pseudo-grippal aigu avec neutropénie à 1080/mL, justifiantl’arrêt des antituberculeux. La reprise du traitement, en commençant par le pyrazinamide à faible dose, a entraîné une récidive et fait suspecter lepyrazinamide. L’arrêt, puis le test de réintroduction de cette molécule confirmant le diagnostic, le pyrazinamide a été arrêté définitivement etl’enfant a été mis sous rifampicine, isoniazide et éthambutol. Par ailleurs, le bilan réalisé a mis en évidence une sérologie VIH positive. À notreconnaissance, ce cas est le premier cas de neutropénie induite par le pyrazinamide rapporté dans la littérature.Conclusion. – À travers cette observation, nous insistons sur le caractère exceptionnel de cet effet indésirable lié au pyrazinamide que le cliniciendoit connaître, ainsi que sur la fréquence des effets indésirables des antituberculeux chez les sujets VIH positifs.# 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Accidents immuno-allergiques ; Hypersensibilité ; Pyrazinamide ; Neutropénie ; VIH

Abstract

Introduction. – Pyrazinamide is a major antituberculosis, generally well tolerated. Side effects are well known. Among them, severehaematological side effects have been rarely reported.Clinical case. – We report the case of a 12-year-old patient, without history of lung diseases, treated for lymph node tuberculosis confirmedhistologically by rifampicin, isoniazid, and pyrazinamide for 15 days. Treatment was stopped due to interruption of the drugs stock for 5 days. Twohours after resumption of treatment, the child presented an acute influenza-like illness with neutropenia at 1080/mL, justifying stoppingantituberculosis treatment. Pyrazinamide was then reintroduced in low doses, but lead to recurrence of clinical symptoms. The response to evictionand reintroduction of pyrazinamide diagnosed the responsability of this drug, which was stopped. The child was then treated with rifampicin,isoniazid and ethambutol. Moreover, the biological tests showed a positive HIV serology. To our knowledge, this case is the first case ofpyrazinamide-induced neutropenia reported in the literature.Conclusion. – Based on this observation, we emphasize the exceptional nature of this side effect related to pyrazinamide, that the clinician shouldknow, as well as the frequency of adverse effects of antituberculosis drugs among HIV positive patients.# 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Drug allergy; Adverse effects; Pyrazinamide; Neutropenia; HIV

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

Revue française d’allergologie xxx (2012) xxx–xxx

* Auteur correspondant. Lotissement Chrifa, rue 05, Num18, Casablanca, Maroc.Adresse e-mail : [email protected] (H. Moubachir).

Pour citer cet article : Moubachir H, et al. Un effet immuno-allergique rare et grave du traitement antituberculeux : la neutropénie aupyrazinamide. Rev Fr Allergol (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.reval.2012.11.001

1877-0320/$ – see front matter # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.reval.2012.11.001

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1. Introduction

L’allergie aux antituberculeux est rapportée dans environ5 % des cas, et est donc relativement rare [1]. Chez les patientsinfectés par le VIH, l’incidence de ces réactions atteintnéanmoins 25 % [2]. Elle peut mettre en jeu le pronostic vital.Des réactions hématologiques, allant de la thrombopénie à lapancytopénie, ont été décrites avec tous les antituberculeux, etrelèvent de mécanismes toxiques ou immuno-allergiques.

2. Observation

L’enfant B.S, âgé de 12 ans, sans antécédents pathologiquesconnus, a consulté pour des tuméfactions cervicales progressi-vement croissantes, évoluant depuis six mois dans un contextede fièvre, sueurs nocturnes et amaigrissement non chiffré.L’examen clinique et le bilan réalisé ont objectivé desadénopathies cervicales et médiastinales bilatérales. La biopsied’adénopathie cervicale a mis en évidence un granulomeépithélio-gigantocellulaire, avec présence de nécrose caséeuse,et a permis de conclure à une adénite tuberculeuse.L’hémogramme et l’ionogramme effectués avant l’initiationdu traitement étaient normaux, alors que la sérologie VIH étaitpositive.

Le traitement par rifampicine (300 mg/j), isoniazide(150 mg/j) et pyrazinamide (600 mg/j), a été bien tolérépendant les 15 premiers jours, mais a du être arrêté pendant cinqjours pour rupture de stock. Deux heures après la reprise dutraitement, l’enfant a présenté des vomissements, une fièvre à38 8C et des frissons. L’examen clinique a objectivé desœdèmes palpébraux, un énanthème, un catarrhe nasoconjonc-tival, une toux grasse et des arthralgies. Un traitementsymptomatique (antihistaminique et corticothérapie) a étéinstauré. L’hémogramme réalisé en urgence a mis en évidenceune neutropénie à 1080/mL, et le traitement antituberculeux aété arrêté. Le dossier a été discuté avec les hématologues afind’éliminer une cause autre que médicamenteuse à laneutropénie. Ces derniers ont aussi incriminé les antitubercu-leux, et n’ont pas indiqué de médullogramme. L’hémogrammede contrôle, après dix jours d’arrêt de traitement s’estnormalisé, avec un taux de polynucléaires neutrophiles à3570/mL.

La reprise du traitement, en commençant par le pyrazinamide àfaible dose (supposé le moins imputable), a induit, en deux heures,une récidive des symptômes et de la neutropénie (2017/mL).La réponse à l’arrêt, puis à la réintroduction du pyrazinamide, aconfirmé le diagnostic d’hypersensibilité à ce médicament.La reprise progressive du traitement antituberculeux, en

Tableau 1Fréquence des allergies aux antituberculeux [1,3].

Série Effectif

Duth et al. (1983) 814

Combs et al. (1990) 1062

Ormerod et Horsfield (1996) 1317

Fekih et al. (2008) 2279

Pour citer cet article : Moubachir H, et al. Un effet immuno-allergiqpyrazinamide. Rev Fr Allergol (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.reval.

commençant par l’éthambutol à dose pleine (620 mg/L), puisl’isoniazide (150 mg/j) et, enfin, la rifampicine (300 mg/j), tousles trois jours, a été parfaitement tolérée, tant cliniquement quebiologiquement.

3. Discussion

Les manifestations allergiques aux antituberculeux sontrelativement rares. Leur fréquence a été évaluée par différentsauteurs (Tableau 1) [1,3]. Elles concernent tous les anti-tuberculeux majeurs. Dans la série de Fekih et al., lesmédicaments incriminés, par ordre de fréquence décroissante,étaient le pyrazinamide (28 % des cas), la rifampicine (23 %), lastreptomycine (23 %) et l’isoniazide (7 %). Le pyrazinamidereprésente l’antituberculeux le plus souvent impliqué dans lasurvenue de réactions secondaires immuno-allergiques [3]. Tanet al. ont relevé 5,4 % d’effets cutanés dus aux antituberculeux,imputables au pyrazinamide dans 2,4 % des cas [4]. Il s’agitprincipalement de rash cutané [5].

L’effet immuno-allergique le plus fréquemment observé estle syndrome pseudo-grippal, qui survient quelques heures aprèschaque prise de rifampicine et régresse spontanément dans lesheures suivantes [1,6], mais, à notre connaissance, aucun cas desyndrome pseudo-grippal secondaire à la prise de pyrazinamiden’a été rapporté dans la littérature. Les autres réactionsimmuno-allergiques sont des anémies hémolytiques, desinsuffisances rénales aiguës, des manifestations anaphylac-tiques [7], incluant les états de choc, et, enfin, desthrombopénies [8,9]. La fréquence des neutropénies induitespar le traitement antituberculeux est difficile à évaluer. Ellevarie de 0,06 % à 2,3 %, et est fréquemment associée à unethrombocytopénie [1,10]. Aucun cas de neutropénie isolée, liéeau pyrazinamide n’a, à notre connaissance, été rapporté endétail.

Certains facteurs de risque ont été incriminés dans la genèsede l’allergie aux antituberculeux :

� l’âge, du fait de modifications de la pharmacocinétique desmédicaments chez les sujets âgés [1,11] ;� le sexe : Ormerod et Horsfield ont montré que ces réactions

sont significativement plus fréquentes chez les femmes quechez les hommes [12] ;� des facteurs génétiques : Covic et al. rapportent que la

prédisposition génétique pourrait constituer un facteurpotentiel important dans l’allergie médicamenteuse [13] ;� un terrain immunodéprimé : les patients immunodéprimés

sont plus à risque de développer des manifestationsd’hypersensibilité aux antituberculeux, et, chez les patients

Sujets présentants uneréaction allergique (%)

Réactions allergiques parmiles effets indésirables (%)

5,6 54,71 15,62,4 47,71,3 11,1

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Tableau 2Stades d’imputabilité selon le centre collaborateur d’Uppsala (Suède) de l’OMS pour la pharmacovigilance internationale [4,14].

Imputabilité Critères requis

Certaine Événement (clinique ou biologique) survenu dans un délai plausible après l’introduction du médicament,et non lié à une maladie intercurrente, ni à un autre médicament ou produit chimiqueÉvolution médicalement et pharmacologiquement pertinente après l’arrêt du médicamentEntité clinique définie ou phénomène pharmacologique reconnu, récidivant après la réintroduction, le cas échéant

Probable Événement survenu dans un délai acceptable après l’introduction du médicament et vraisemblablement nonimputable à une maladie intercurrente,ni à un autre médicament ou produit chimiqueÉvolution cliniquement pertinente après l’arrêt du médicament

Possible Événement survenu dans un délai acceptable après l’introduction du médicamentAutres explications (maladie, autre médicament) possiblesÉvolution après l’arrêt du médicament, incertaine, voire inconnue

Improbable Événement survenu dans un délai rendant le lien causal improbable, mais non impossibleD’autres maladies ou médicaments peuvent constituer des explications plausibles

Conditionnelle/inclassée Événement déclaré comme effet indésirableDonnées complémentaires en attente, les données disponibles ne permettant pas d’évaluer le lien de causalité

Non évaluable/inclassable Effet indésirable potentielImpossibilité de se prononcer faute de données suffisantes ou en raison de données contradictoires, qu’on ne peutcompléter ou vérifier

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infectés par le VIH, l’incidence de telles réactions peutatteindre 25 % [1,11] ;� la voie d’administration : la voie parentérale est la plus

immunogène et entraîne généralement des réactions plusviolentes que la voie orale ;� les traitements intermittents et la répétition des administra-

tions, qui exposent à la survenue de manifestations immuno-allergiques.

Dans le cas de notre patient, les facteurs de risques ont été unterrain immunodéprimé et l’interruption du traitement.

Le diagnostic d’hypersensibilité médicamenteuse estactuellement bien codifié. Il repose essentiellement surl’interrogatoire, les signes cliniques et le bilan allergologique.On approche le diagnostic grâce à des critères d’imputabilité(Tableau 2) [4,14]. Dans le cas ici rapporté, l’imputabilité dupyrazinamide était certaine compte tenu des réponses del’enfant à l’arrêt, puis à la réintroduction du médicament.

La mise en évidence d’une réaction allergique de type I(IgE-dépendante) nécessite des tests cutanés, si possible avecles formes injectables, en prick, et en intradermoréactionlorsque les pricks sont négatifs. Dans le cas du pyrazinamide,pour lequel il n’existe pas de forme injectable, le diagnosticrepose sur la régression des symptômes lors de l’arrêt dutraitement, et sur leur récidive lors de sa réintroduction [1,8,14].

Les effets indésirables peuvent être plus ou moins graves.Les effets mineurs sont en général gérables par une adaptationdu traitement et/ou l’instauration d’un traitement symptoma-tique, tandis que les effets plus sérieux nécessitent l’interrup-tion du traitement. La conduite pratique vis-à-vis d’un effetindésirable aux antituberculeux doit être raisonnée afin d’éviterl’interruption thérapeutique sans justification rationnelle.Les réactions d’hypersensibilité graves aux antituberculeuxconduisent à arrêter le traitement jusqu’à disparition des signes

Pour citer cet article : Moubachir H, et al. Un effet immuno-allergiqpyrazinamide. Rev Fr Allergol (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.reval.

cliniques. Par la suite, il faut identifier le médicamentresponsable en introduisant le moins suspect à faibles doseset sous surveillance, en milieu hospitalier [1]. Si le médicamentresponsable est le pyrazinamide, le traitement antituberculeuxpeut être poursuivi sans ce principe actif, que l’on remplacera,si possible, par un autre médicament (éthambutol), enprolongeant la durée du traitement.

4. Conclusion

À notre connaissance, le cas ici rapporté est le premier cas deneutropénie importante induite par le pyrazinamide. Leclinicien doit connaître cet effet indésirable très rare dupyrazinamide, afin de ne pas mettre en jeu le pronostic vital dupatient.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

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Pour citer cet article : Moubachir H, et al. Un effet immuno-allergiqpyrazinamide. Rev Fr Allergol (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.reval.

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