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Un gros mensonge - Numilog

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JEUNESSE

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ISABELLE DELPUECH

Isabelle Delpuech est née en 1962 sous le signe des Gémeaux. Quand elle avait 10-12 ans, elle rêvait d'être

championne olympique d'athlétisme. Maintenant qu'elle est grande, qu'elle a fait de longues études (sciences politiques, histoire), qu'elle a été ins- titutrice puis journaliste, qu'elle est maman de deux garçons (Raphaël et Hugo), c'est dans les histoires qu'elle écrit que les rêves deviennent réalité. Elle adore écouter et parler avec les enfants, les siens et ceux des autres :

comme la célèbre psychanalyste Françoise Dolto, elle pense qu'ils détiennent certains secrets de la vie.

Isabelle Delpuech a publié un roman dans la collection Cœur Grenadine

de Bayard-Presse, Bleu comme la nuit. Elle écrit actuellement un livre

d'entretiens avec un généticien, à paraître en juin 2000.

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UN GROS MENSONGE

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ISABELLE DELPUECH

UN GROS MENSONGE

Illustrations : Nicolas Thers

H HACHETTE

Jeunesse

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© Hachette Livre, 2000.

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À Alain, mon parrain. À Judith et Thibaut, mes filleuls.

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C'était dans la cour, pendant la récré du matin. Lundi, jour de l'anglais et de la gymnastique. Je n'aime pas le lundi, même si j'aime et l'anglais et la gymnas- tique. Je ne sais pas ce qui m'a pris, peut-être cette ambiance de lundi jus- tement. Les copines m'ont soudain regardée avec des yeux ronds comme

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des soucoupes, et elles se sont écriées ensemble, un vrai choeur :

« Un grand frère ? Toi ? Et pourquoi tu ne nous l'as pas dit avant ? »

D'habitude, c'est vrai, on annonce plutôt l'arrivée d'un petit frère, ou d'une petite sœur, enfin l'arrivée d'un bébé. Par exemple, Juliette qui a eu un petit frère, Bill. Non, mais c'est incroyable, il a dit, mon père, un pré- nom américain ! Oui, pour mon père, Bill, c'était le comble de l'horreur, mais je n'ai rien dit à Juliette. Martin aussi (c'est le plus bagarreur des garçons) a eu un bébé, une fille, mais je ne sais pas comment elle s'appelle et puis Martin n'en a pas vraiment fait un événement. Je vous donne des exemples de petits frères ou petites sœurs que je connais.

Mais moi, c'est un grand frère que j'ai annoncé. Et mes copines n'en sont pas revenues. Et c'est comme ça que mes ennuis ont commencé. Disons

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qu'au début, il a fallu simplement que je réponde aux questions.

« Quel âge il a ? — Vingt et un ans. » Elles se sont toutes exclamées, parce

que nous, on n'a que dix ans, sauf Élo- die qui en a onze parce qu'elle a redou- blé.

« Comment il s'appelle ? — Pierre, mais en fait personne ne

l'appelle par ce prénom. On le sur- nomme Petrus, c'est du latin et ça veut dire Pierre. C'est mon père qui a trouvé ça.

— Et il habite chez vous ? Pourquoi est-ce qu'on ne l'a jamais vu ?

— Il habite dans une autre ville. Il fait ses études.

— Mais où ? — A Lyon. — À Lyon ? » Je voyais bien, à leurs têtes, qu'elles

n'en revenaient pas. Aussi j'avais droit

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à des questions qui fusaient de tous les côtés et je ne pouvais pas faire autre- ment maintenant : je devais leur répondre !

« Et qu'est-ce qu'il fait à Lyon ? — Il fait ses études. — Quoi, comme études ? — Photographe ornithologue. Il

prend des photos d'oiseaux, il voyage beaucoup pour les trouver, il les épie, il observe leurs nids, les migrations, tout ça.

— Qu'est-ce que c'est chouette ! s'est exclamée Juliette. Et il t'emmène parfois ? »

J'ai répondu que oui, mais déjà une autre question. Élodie. Celle-là, c'est une fine mouche : c'est Mme Lours, notre maîtresse, qui le dit.

« Et il a des fiancées ? Tu en as vu ? » J'ai rigolé, mais je ne savais pas trop

quoi répondre. C'est vrai qu'un grand frère, ça doit avoir des fiancées, et moi,

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pauvre gourde, je n'y avais jamais pensé.

Heureusement, la cloche a sonné. Finies la récré et les questions. C'était l'heure de la gymnastique et j'avais les jambes qui flageolaient. Toutes les quatre, on s'est dirigées, avec les autres CM2, vers le gymnase de l'école. Un brouhaha d'enfer, là-dedans. Mais Élo- die, la fine mouche, n'a pas manqué de me poser la question que je redoutais depuis le début :

« Et on pourra le voir, ton frère ? Il ne vient jamais te chercher à l'école... Tu nous le présenteras ?

— Evidemment ! » j'ai répondu. Ma tête bourdonnait un peu. Mon

grand frère. Pierre. Petrus. Oui, oui. Bien sûr que je le leur présenterai. Il nous emmènerait dans une grande forêt où, au sommet de certains arbres, des oiseaux ont niché. Il nous montre-

rait. Mon grand frère. Petrus. J'avais

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posé mon sac de sport et, assise sur le banc, j'enlevais maintenant mes chaus- sures. Petrus. Et puis, j'ai entendu la voix de Luce, ma copine chérie. Elle était lointaine, cette voix.

« Marion... tu es toute pâle. Marion ! Marion ! »

Je me suis secouée. C'était comme si je sortais d 'un brouillard. Je crois bien que je lui ai souri.

« T'en fais pas, Luce. C'est rien. » En cachette, je lui ai donné un bon-

bon. J 'en ai toujours plein les poches. Je les achète en bas de chez moi, chez l'épicier. Et puis, on a enfilé nos tenues, et on a rejoint les autres. Quel soulage- ment ! Elles semblaient nous avoir oubliées.

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Après la gymnastique, il y a eu la récré d'avant la cantine, et puis la cantine, et puis la récré d'après la can- tine. Jamais je n'avais trouvé une jour- née de classe aussi longue. Et pourtant, il faisait beau, un grand soleil et un ciel bleu à se rouler dedans. A la cantine, il y avait un des menus que je préfère avec en entrée des carottes râpées et en dessert de la mousse au chocolat.

J'adore les carottes râpées. J'adore la mousse au chocolat. Je n'avais pas faim. Une grosse boule s'était installée au fond de ma gorge, et ça faisait comme si je ne pouvais plus rien ava- ler de la journée. J'ai donné ma mousse à Luce, qui m'a dévisagée avec un drôle d'air.

Elle se doutait bien, Luce, que quelque chose ne tournait pas rond. Mais alors, pourquoi ne me posait-elle aucune question ? Bizarre, bizarre... Je lui avais dit :

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« On ne va pas à la table d'Élodie, cette fois. D'ac ? »

Luce n'avait pas fait de commentaire sur cette nouvelle lubie. De tout le repas, elle ne m'a pas non plus reparlé de Petrus, mon grand frère. Je respirais un peu. A la table d'en face, il y avait des garçons de la classe et puis aussi de l'autre CM2 : ils racontaient des blagues, des blagues assez bêtes mais moi, j'aime les blagues bêtes des gar- çons, surtout que là, il y avait Gaspard, et Gaspard je l'aime. Malgré ma boule au fond de la gorge, ça m'a fait du bien.

J'ai réussi à ne pas croiser Élodie de tout l'après-midi. En classe, je ne l'ai pas regardée une seule fois. Et quand la cloche de la sortie a sonné, j'ai vrai- ment traîné pour ranger mon cahier et le livre de maths dans le cartable. Luce est sortie en vitesse parce qu'elle a danse le lundi soir. J'étais la dernière. « Sauvée ! » je me suis dit. Mais dans

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la cour, qui est-ce que je vois ? Élodie. Elle m'attendait, c'est sûr. Et Juliette, où était-elle passée, celle-là ? D'habi- tude, elles ne se quittent pas d'une semelle. Si j'avais su... Quel pot de colle ! Elle m'a fait signe.

« On part ensemble ? elle m'a demandé.

— C'est que j'ai un rendez-vous. Chez le dentiste. Une carie qui me fait mal, tu ne peux pas savoir. »

A mon grand soulagement, elle ne m'a pas demandé d'autre explication. Elle n'a pas cherché non plus à me suivre.

« A demain, alors ? Salut ! — Salut. » Je suis partie dans la direction

opposée à la sienne. J'ai pris des rues au hasard, des rues que je connais un peu pour m'y être promenée avec maman. Pas très loin de la maison. J'ai regardé les vitrines. Parfois, je me

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retournais de peur qu'Élodie m'ait suivie. Je n'avais pas envie de rentrer à la maison.

Oh ! la belle boulangerie ! J'ai collé mon nez à la vitre :

d'énormes gâteaux s'étalaient sous mes yeux, et puis aussi des petits fours, et des croissants, des pains au chocolat, et dans des petits paniers bien décorés tout un tas de bonbons verts et roses, très écœurants à voir mais sûrement très sucrés comme je les aime. La nuit commençait à tom- ber. « C'est tout de même le mois de novembre ! » dirait maman. Le sol- stice d'hiver qui vient. Elle adore. Maman, si tu savais... A l'intérieur, la boulangerie était tout illuminée. J'ai poussé la porte. Sa clochette a tinté, et une dame jeune et grosse avec des cheveux frisés blonds s'est avancée derrière le comptoir. Elle m'a demandé en souriant :

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Vous vous souvenez, il ne me restait

plus que trois jours avant la venue de Petrus, dont deux jours et demi de classe. Et en plus, maintenant, ma mère savait que je m'étais inventé un grand frère, mon père aussi devait le savoir, et la mère de Juliette, et peut-être même que Juliette le savait aussi.

En arrivant à l 'école, je n'avais qu 'une trouille, c'est que Juliette ait tout raconté : alors, là, quelle honte !

J 'ai retrouvé Luce dans la cour, mais pas de Juliette en vue, pas de Mario ni d'Élodie non plus, pas de Tibère. J 'ai imaginé qu'ils étaient en train de com- ploter contre moi. Luce m'a demandé les vingt francs que je lui devais, et quand je lui ai dit que je les avais oubliés (c'était vrai), elle n'a pas appré-

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cié, elle a dit qu'elle en avait assez de moi, que je n'étais pas une bonne copine.

Je savais bien, que je n'étais pas une bonne copine, ces temps-ci, mais j'étais dans un tel pétrin ! Si je lui avais tout dit, à Luce, elle m'aurait trouvée encore pire.

J'ai aperçu Gaspard, qui traversait la cour à toute allure avec le cartable au dos, mais je ne sais même pas si lui, il m'aime, alors à quoi ça me sert... ?

Heureusement, la cloche a sonné et, une fois en classe, j'ai enfin repéré Juliette, à côté d'Élodie, et Mario, à sa place, et Tibère, qui a suspendu son anorak en même temps que moi.

Juliette a tourné la tête, elle m'a fait un signe. Elle avait sa tête normale, et son sourire aussi était normal. J'ai res- piré un grand coup. Tout semblait bien plus calme dans ma classe que dans ma