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Ann Pathol 2004 ; 24 : 209-10 © Masson, Paris, 2004 209 Lettre à la rédaction Accepté pour publication le 5 février 2004 Tirés à part : J.Y. Scoazec, voir adresse en début d’article. e-mail : jean-yves.scoazec@chu- lyon.fr Un kyste rétro-rectal inhabituel Valérie Hervieu (1) , Roger Dardelin (2) , Jean-Yves Scoazec (1) (1) Service Central d’Anatomie et Cytologie Pathologiques, Hôpital Edouard Herriot, 69347 Lyon Cedex 03. (2) Laboratoire d’Anatomie Pathologique, Centre Hospitalier, Chambéry. Hervieu V, Dardelin R, Scoazec JY. Un kyste rétro-rectal inhabituel. Ann Pathol 2004 ; 24 : 209-10 An unusual retrorectal cyst Key words: sacrococcygeal region, dermoid cyst, retrorectal cyst, malformative lesions. Mots-clés : région sacro-coccygienne, kyste dermoïde, kyste rétrorectal, pathologie malformative. EUX articles récents parus dans les Annales de Pathologie ont attiré l’attention sur la grande diversité des lésions tumorales ou pseudo-tumora- les susceptibles de se développer dans la région rectale (1, 2). Le problème le plus fréquemment rencontré est celui du diagnostic d’une formation kysti- que de siège rétro-rectal. Ce type de lésion entre habituellement dans l’une des trois grandes catégories suivantes : (a) hamartomes kystiques rétro-rectaux, (b) kystes épidermoïdes, et (c) tératomes. Les deux premières correspondent à des lésions malformatives habituelle- ment bénignes, même si les hamarto- mes kystiques comportent un risque de dégénérescence carcinomateuse [1]. Le troisième groupe a un pronostic réservé, dépendant de la nature des constituants tissulaires présents et de leur degré de malignité. Nous rappor- tons ici un exemple d’un autre type, exceptionnel, de lésion kystique rétro- rectale. Un homme de 38 ans consultait pour une sensation de gêne périnéale et des suintements anaux. Le toucher rectal permettait de percevoir une masse rétrorectale de consistance molle ; la pression de cette masse entraînait l’apparition d’écoulements blanchâtres et grumeleux. Une rectoscopie mon- trait l’existence d’un pertuis localisé au voisinage de la ligne pectinée. Une excision de la masse était décidée. L’intervention permettait de réséquer progressivement la totalité de la lésion, développée dans la région pré- sacrée, s’étendant à travers le sphincter anal et communiquant avec le canal anal par un fin pertuis. Cette lésion était kystique et contenait un matériel grumeleux, blanchâtre, mêlé de poils bien reconnaissables. L’étude histolo- gique du matériel communiqué mon- trait que la lésion correspondait à une formation kystique, d’environ 25 mm dans son plus grand diamètre, limitée par une paroi fibreuse épaisse, rema- niée par de larges foyers d’ulcérations tapissés par un tissu de granulation inflammatoire. Dans les zones non remaniées, la paroi était tapissée par un épithélium malpighien bien diffé- rencié, d’architecture et de différencia- tion normales (figure 1). Quelques formations pilaires étaient retrouvées dans la lumière (figure 1) ou enchâs- sées dans la paroi (figure 2). Il n’existait pas d’autres annexes cutanées identi- fiables. Aucun autre constituant tissu- laire n’était retrouvé. Enfin, aucun autre épithélium que l’épithélium mal- pighien n’était mis en évidence sur la surface interne de la paroi kystique. L’évolution post-opératoire a été sans complication ; il n’a pas été observé de séquelle ni de récidive. Le diagnostic proposé est celui de kyste dermoïde présacré. Les argu- ments retenus en faveur de ce diagnos- tic sont les suivants : (a) le caractère uniloculaire de la lésion qui communi- quait avec le canal anal par un pertuis, (b) la présence d’un seul type d’épithé- lium le long de la paroi kystique, (c) le caractère malpighien de cet épithé- lium, (d) la présence de formations pilaires dans la lumière de la lésion, (e) l’absence d’autre constituant tis- sulaire, épithélial ou non épithélial. Ces éléments rendent improbables deux autres hypothèses diagnostiques : D

Un kyste rétro-rectal inhabituel

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A n n P a t h o l 2 0 0 4 ; 2 4 : 2 0 9 - 1 0

© M a s s o n , P a r i s , 2 0 0 4 209

Lettreà la rédaction

Accepté pour publicationle 5 février 2004

Tirés à part : J.Y. Scoazec, voir adresse en début d’article. e-mail : [email protected]

Un kyste rétro-rectal inhabituel

Valérie Hervieu(1), Roger Dardelin(2), Jean-Yves Scoazec(1)

(1) Service Central d’Anatomie et Cytologie Pathologiques, Hôpital Edouard Herriot, 69347 Lyon Cedex 03.(2) Laboratoire d’Anatomie Pathologique, Centre Hospitalier, Chambéry.

Hervieu V, Dardelin R, Scoazec JY. Un kyste rétro-rectal inhabituel. Ann Pathol 2004 ; 24 : 209-10

An unusual retrorectal cystKey words: sacrococcygeal region, dermoid cyst, retrorectal cyst, malformative lesions.

Mots-clés : région sacro-coccygienne, kyste dermoïde, kyste rétrorectal, pathologie malformative.

EUX articles récents parus dans lesAnnales de Pathologie ont attiré

l’attention sur la grande diversité deslésions tumorales ou pseudo-tumora-les susceptibles de se développer dansla région rectale (1, 2). Le problème leplus fréquemment rencontré est celuidu diagnostic d’une formation kysti-que de siège rétro-rectal. Ce type delésion entre habituellement dans l’unedes trois grandes catégories suivantes :(a) hamartomes kystiques rétro-rectaux,(b) kystes épidermoïdes, et (c) tératomes.Les deux premières correspondent àdes lésions malformatives habituelle-ment bénignes, même si les hamarto-mes kystiques comportent un risquede dégénérescence carcinomateuse[1]. Le troisième groupe a un pronosticréservé, dépendant de la nature desconstituants tissulaires présents et deleur degré de malignité. Nous rappor-tons ici un exemple d’un autre type,exceptionnel, de lésion kystique rétro-rectale.Un homme de 38 ans consultait pourune sensation de gêne périnéale et dessuintements anaux. Le toucher rectalpermettait de percevoir une masserétrorectale de consistance molle ; lapression de cette masse entraînaitl’apparition d’écoulements blanchâtreset grumeleux. Une rectoscopie mon-trait l’existence d’un pertuis localisé auvoisinage de la ligne pectinée. Uneexcision de la masse était décidée.L’intervention permettait de réséquerprogressivement la totalité de lalésion, développée dans la région pré-sacrée, s’étendant à travers le sphincteranal et communiquant avec le canalanal par un fin pertuis. Cette lésion

était kystique et contenait un matérielgrumeleux, blanchâtre, mêlé de poilsbien reconnaissables. L’étude histolo-gique du matériel communiqué mon-trait que la lésion correspondait à uneformation kystique, d’environ 25 mmdans son plus grand diamètre, limitéepar une paroi fibreuse épaisse, rema-niée par de larges foyers d’ulcérationstapissés par un tissu de granulationinflammatoire. Dans les zones nonremaniées, la paroi était tapissée parun épithélium malpighien bien diffé-rencié, d’architecture et de différencia-tion normales (figure 1). Quelquesformations pilaires étaient retrouvéesdans la lumière (figure 1) ou enchâs-sées dans la paroi (figure 2). Il n’existaitpas d’autres annexes cutanées identi-fiables. Aucun autre constituant tissu-laire n’était retrouvé. Enfin, aucunautre épithélium que l’épithélium mal-pighien n’était mis en évidence sur lasurface interne de la paroi kystique.L’évolution post-opératoire a été sanscomplication ; il n’a pas été observé deséquelle ni de récidive. Le diagnostic proposé est celui dekyste dermoïde présacré. Les argu-ments retenus en faveur de ce diagnos-tic sont les suivants : (a) le caractèreuniloculaire de la lésion qui communi-quait avec le canal anal par un pertuis,(b) la présence d’un seul type d’épithé-lium le long de la paroi kystique, (c) lecaractère malpighien de cet épithé-lium, (d) la présence de formationspilaires dans la lumière de la lésion,(e) l’absence d’autre constituant tis-sulaire, épithélial ou non épithélial.Ces éléments rendent improbablesdeux autres hypothèses diagnostiques :

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(a) celle d’un hamartome kystique rétro-rectal : cette lésion est habituellementmultiloculaire ; elle peut comporter desfoyers de révêtement épithélial malpighien,mais constamment dépourvu de formationspilaires et toujours associé à d’autres typesd’épithéliums [1, 3] ; (b) celle d’un tératomekystique présacré : le diagnostic ne peutêtre retenu qu’en présence de dérivés destrois feuillets embryonnaires [4]. Il fautcependant insister sur le fait que, dans cettelocalisation présacrée inhabituelle, le dia-gnostic de kyste dermoïde ne peut êtreretenu avec certitude que si la lésion a étéenlevée et examinée en totalité. Dans le cascontraire, le matériel examiné peut en effetne représenter qu’un contingent d’unelésion plus complexe, en particulier térato-mateuse.Les kystes dermoïdes présacrés sont interpré-tés par certains auteurs comme des tératomessimples. Il s’agit plus vraisemblablement delésions malformatives, équivalents des kystesdu sinus pilonidal, de siège rétro-sacré,beaucoup plus fréquents. Le kyste der-moïde présacré est une lésion exception-nelle, habituellement découverte chezl’enfant, où elle peut s’associer à d’autresmalformations [4, 5]. Comme dans notreobservation et comme dans quelques autrescas de la littérature [6-8], elle peut cepen-dant n’être découverte que chez l’adulte, oùelle est souvent isolée.Notre observation souligne la diversité deslésions malformatives susceptibles d’êtreobservées dans la région rétro-rectale [8] :cette diversité traduit la complexité des

mécanismes impliqués dans le développe-ment embryonnaire de la région sacro-coccygienne [4, 5].

Références

[1] Le Pessot F, Ranty ML, Lemoine F, Koning E,Michot F, Métayer J. Hamartome kystique rétro-rec-tal. Ann Pathol 2003 ; 23 : 157-60.

[2] Comperat E, de Saint-Maur PP, Chatelain D, Parc R,Fléjou JF. Une tumeur fibreuse solitaire rétrorectale.Ann Pathol 2003 ; 23 : 379-80.

[3] Hjermstad BM, Helwig EB. Tailgut cysts. Report of53 cases. Am J Surg Pathol 1988 ; 89 : 139-47.

[4] Bale PM. Sacrococcygeal developmental abnormali-ties and tumors in children. Persp Pediatr Pathol 1984 ;1 : 9-56.

[5] Lemire RJ, Beckwith JT. Pathogenesis of congenitaltumors and malformations of the sacrococcygealregion. Teratology 1982 ; 25 : 201-13.

[6] Guillem P, Ernst O, Herjean M, Triboulet JP.Tumeurs rétrorectales : intérêt de la voie abdominaleisolée. Ann Chir 2001 ; 126 : 138-42.

[7] Martin Martin E, Perez San Jose C, Cotano Urruti-coechea JR, Atin del Campo V, Aguinagalde Pinedo M,Sabas Olabarria JA et al. Developmental cysts in thepresacral space in adults. Gastroenterol Hepatol 2002 ;25 : 601-4.

[8] Lev-Chelouche D, Gutman M, Goldman G, Even-SapirE, Meller I, Issakov J et al. Presacral tumors : a practicalclassification and treatment of a unique and heteroge-neous group of diseases. Surgery 2003 ; 133 : 473-8.

FIG. 1. — Formation pilaire (flèche) dans la lumière d’un kyste à revêtement malpighien.

FIG. 1. — Pilous formation (arrow) in the lumen of a cyst lined by squamous epithelium (HPS × 120).

FIG. 2. — Formations pilaires enchâssées dans la paroi de la lésion, au sein d’une zone remaniée.

FIG. 2. — Pilous formations located within the cyst wall, in an area of granulation tissue. (HPS × 300).