Un monde de machines et Astroboy à Roboland

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  • 8/7/2019 Un monde de machines et Astroboy Roboland

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    Un monde de machines et Astroboy Roboland

    Dbut, donc, du cycle "Un monde de machines" qui se tient au Forum des Images (deParis, en France, c'est--dire le pays qui, bien qu'il soit celui de de la Mettrie et Verne,

    s'obstine nanmoins affirmer que la fiction proccupation scientifique n'est qu'un

    sous-produit amricain et japonais), depuis le 2 mars et jusqu'en mai.

    Une programmation clectique. Pour le moins.

    Bien cal sur ses deux bons mois, le programme du cycle en profite pour pousser trs loin, etmme parfois la limite de l'intelligible, l'clectisme dont on a pourtant dj l'habitude avecles cycles du Forum. Dire que la programmation part dans toutes les directions est la moindredes assertions : en effet, la notion de machine a t envisage sous toutes ses acceptions,physique, sociale, mcanique, biomcanique, systmique et mme sexuelle (de loin laslection la plus discutable, mais encore une fois, le contexte prvaut). Pour un sujet aussilarge (ou vague), le panel de notions qu'on peut y rattacher est virtuellement infini, et avec un

    peu de rhtorique, on peut faire entrer n'importe quoi dans le corpus. C'est la limite querencontre, a priori, le cycle tel qu'il se prsente.

    Si on peut imaginer le cheminement de pense qui justifie l'apparition de la trilogie Bourne oude Salo de Pasolini, la prsence carrment capillotracte d'un Thelma et Louise, par exemple,ou mme d'un Orgazmo,qui par ailleurs fait bien plaisir, a de quoi laisser dubitatif quand dansle mme temps on n'a droit qu'au premier Tetsuo ou au second Ghost in the Shell. Onregrettera principalement que des films importants, voire essentiels de la thmatiquecyberntique soient absents du cycle en raison des circonvolutions de droits d'exploitation :adieu 2001, trilogiesMatrixet Star Wars, Blade Runneret mme MetropolisouLe Golem...En revanche, la thmatique de l'aspect social du monde du travail, qui va jusqu'au filmd'entreprise ou la publicit d'lectromnager est trs bien vue et apporte un regard moinsstrotyp sur le sujet, mme si on ne coupera pas au sempiternel Les Temps Modernes.

    L'quation programmation un peu trop maline sur les bords + public forte composantegermanopratine se retrouvait dans la soire d'ouverture, notamment lors du raout d'aprs-projection, o passaient porte d'oreille points Godwin mal dgrossis ("tout de mme, toutesces machines, a fait trs homme parfait nazi"... Sic !), inculture revendique comme untendard de bon got (les considrations entendues sur le doc de Caro, notamment quant laculture du manga, valaient pour la plupart leur pesant de Bgaudeau) et autres amphigourisbien-mis n'ayant aucun rapport avec le sujet mais sans doute beaucoup avec les

    proccupations immdiates de ressortissants d'arrondissements priphriques l'le de la Cit,capables de tout ramener Freud, Debord et BHL (encore une fois, sic !) une vitesse quiforce l'admiration.

    Il tait, avouons-le, savoureux lors du pr-programme de la soire, d'entendre ricaner sur lekitsch de vieilles publicits d'quipements mnagers, une salle remplie au moins 75% depossesseurs d'Iphones ! Cet ethnocentrisme tant culturel que temporel, trs bien portmanifestement, confirme l'ide trs en rapport au demeurant avec la thmatique du cycle quinous intresse, que nous vivons moins dans le futur vu par l'Orwell de 1984 (d'ailleursprogramm dans le cycle), que dans leMeilleur des Mondesimagin par Huxley : une strictesocit des loisirs dont on n'imagine mme plus qu'elle puisse avoir des frontires ou des

    manquements, et o chacun est trs content de la place qu'il occupe dans une socit/poquedont il n'a ni les moyens ni le dsir de penser autre chose que du bien... Quitte ne pas voir

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    dans le ridicule de l'autre (ici, les mnagres des annes 50) le strict miroir du sien (il seraitintressant de mettre en regard les publicits d'poque et le marketing contemporain), et secontenter de montrer du doigt. Bref.Astroboy Roboland

    trangement, le documentaire ralis il y a deux ans pour Canal + par Marc Caro est biendans cette tonalit gourmande mais partielle qui semble caractriser la programmation ducycle.

    A priori sympathique, le film pche tout de mme par son incapacit choisir entre ledocumentaire de cration, voire d'ambiance, et la vulgarisation la plus pdagogique et terre--terre que sans doute on lui rclamait. Sur ses trs (trop) courtes 52 minutes, le film tente desurvoler l'impact culturel, puis effectif, de la science-fiction robotique du vingtime siclenippon sur la technologie qui voit le jour sous nos yeux l'heure actuelle, en prenant commefil rouge la figure d'Astroboy. Pas anodin quand on sait l'importance du personnage dans la

    caractrisation mme de son pays, comparable celles de Superman pour les tats-Unis oud'Astrix pour nos rivages. A peine esquiss, ce motif cde la place, via un chapitrage pasidiot autour de l'anatomie du personnage, un survol des avances technologiques en matirede locomotion, sensorialit, prhension, etc., des robots modernes.

    Par-dessus tout a, est saupoudr au petit bonheur une assez vague vocation des enjeuxculturels sur la semblance que l'on rclame de nos robots et les motions investies dans ceux-ci. Beaucoup trop de sous-sujets pour un 52 minutes, dont le projet de base n'est en aucun casd'offrir des spculations pointues sur son objet. On restera donc sur sa faim sur tous les sujetsabords, en ayant le sentiment de n'avoir rien appris sur aucun. Frustrant, d'autant queplastiquement le mme sentiment d'entre-deux se fait jour : des plans trs bien construits,troublants dans le brio qu'a parfois Caro filmer les machines comme si elles taient vivantes(de son propre aveu, il a construit quelques squences comme un docu animalier), ctoientdes interview assez platement cadres, voire des squences entires o la ra semble avoirabdiqu. Trop ambitieux pour sa dure, et surtout trop brouillon pour son propos, ledocumentaire noie les pistes passionnantes qu'il ouvre et les constructions thmatiques qu'ilmet en place sous cette impression, partiellement fausse, de demi-chec.

    Cette dispersion semble malheureusement l'apanage de Marc Caro ralisateur ; directeurartistique de gnie (on regrettera d'ailleurs de ne pas voirVibroboy dans la programmation ducycle), dveloppeur d'univers visuels d'une rare cohrence de par chez nous (il suffit de voir

    les films de Jeunet depuis qu'il a arrt de collaborer avec lui), faisant preuve d'une granderigueur ditoriale dans la distribution de DVDs il y a quelques temps, Caro est un ralisateurperfectible. Ds qu'il est derrire une camra pour raconter une histoire, on le sent peu l'aiseet pour tout dire encore peu solide Astroboy Robolandconfirme ce que Dante 01laissaitsupposer. Il y a peu douter que dans des conditions de production optimales, lui laissantvraiment les coudes franches pour crer nouveau des univers-mondes, le monsieur donnerasa mesure (dans le cas de Dante 01, adapter du Bordage n'tait peut-tre pas non plus l'ide dusicle pour un premier long). On attendra beaucoup plus de ses interventions diverses,toujours plaisantes et intressantes, que de ce documentaire qui ne lui rend pas assez justice.

    Mche bien, c'est plein de boulons mais a tient au corps

    Attention, qu'on se comprenne bien : le cycle Un Monde de Machines est concoct par

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    une quipe qu'on devine trs motive, sympathique et tout fait louable dans ses intentions.La politique du Forum des Images vis--vis de la culture cinmatographique est exemplaire ence sens qu'elle n'opre jamais de hirarchie dans les films montrs (ce qui est moins le cas dela Cinmathque, par exemple), et certainement pas en fonction de leur pays de production oudu "genre" o ils voluent ou n'voluent pas. Ce qui est bien trop rare.

    On aura donc, ici, quelques levs de sourcils sur l'apparition de certains films, ou mmethmes, dans un cycle qui semble n'avoir rien voir avec eux (une thmatique sur le zombie,dans son acception hatienne, aurait par exemple t pertinente). Cependant, c'est l'envieboulimique de films qui pousse, on le sent, l'quipe cette plthorique programmation. Etpuisqu'on n'a pas d'examen de fin de semestre passer sur le corpus prsent, on n'aura pas s'inquiter de son aspect un peu boursouffl. On n'aura qu' se rjouir de pouvoir voir certainsfilms qu'on n'avait jusque l que l'occasion de voir en vido, ou qui n'avaient eu que descarrires ridicules en salles dans de bonnes conditions. Ple-mle, les bonnes nouvelles senomment Moon, Orgazmo, Tetsuo, Innocence, le Gant de Fer, les films de Fleisher,Screamers, Avalon ou encore A Scanner Darkly. On redcouvrira aussi 1984,Monsters Inc,Pi,Christine (un Carpenter en salle !),Cable Guy, Terminator 2,Total Recall(la confrencesur K. Dick sera aussi un must-see), Frankenstein, et I Robot, qui vaut bien mieux que cequ'on en a dit l'poque, et bien entendu Demolition Man, l'un des meilleurs blockbusters desannes 90, injustement conspu depuis, pour la perspective Huxleyienne dont nous parlionsplus haut...

    On pourra aussi sauter les passages obligs par Chaplin, Vertov, Godard ou Tati. A cethtroclite mais pantagrulique buffet, on en a tant goter qu'on peut se passer de graissins.