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N O 3 SEPTEMBRE 2005 LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION Eine Welt Un solo mondo Un seul monde www.ddc.admin.ch La microfinance, clé de la lutte contre la pauvreté ? Désormais, les milieux financiers s’y intéressent également Angola: un redémarrage difficile, malgré les diamants et le pétrole Les programmes cash sont rares et souvent controversés, mais la Suisse fait des expériences positives

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NO 3SEPTEMBRE 2005LE MAGAZINE DE LA DDCSUR LE DÉVELOPPEMENTET LA COOPÉRATION

Eine WeltUn solo mondoUn seul monde www.ddc.admin.ch

La microfinance, clé de la lutte contre la pauvreté? Désormais, les milieux financiers s’y intéressent également

Angola: un redémarrage difficile, malgré les diamants et le pétrole

Les programmes cash sont rares et souvent controversés, mais la Suisse fait des expériences positives

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Sommaire

DOSSIER

DDC

HORIZONS

FORUM

CULTURE

Un seul monde No3 / Septembre 20052

MICROFINANCECes banques qui ne prêtent qu’aux pauvres Si certaines conditions sont réunies, l’accès aux servicesfinanciers permet aux personnes défavorisées d’échapper à l’engrenage de la pauvreté. Cet instrument suscite désormais également l’intérêt des milieux financiers.

6Un tremplin pour le développement Entretien avec Ruth Egger, économiste spécialisée dans le développement du secteur financier

12Du groupe d’entraide à la banque commerciale En Équateur, la Suisse aide des coopératives financières à se transformer en banques professionnelles au service de la population indigène

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ANGOLADu pétrole, des diamants et tant de pauvreté Trois ans après la fin de la guerre, l’Angola reste profondémentmarqué par quatre décennies d’affrontements meurtriers

16Des candidats jusqu’au bout de la rueIsabel do Carmo Pedro Marques évoque le rêve le plus cher de nombreux jeunes Angolais

20

Indispensable harmonisationLe directeur de la DDC Walter Fust explique qu’il estnécessaire d’harmoniser les efforts de coopération

21Deuxième vie pour une étoile libérienneLa Fondation Hirondelle, spécialisée dans la création demédias en zones de crise, vient de relancer Radio Star au Liberia

22

Une aide sonnante et trébuchanteL’Aide humanitaire de la DDC fait de bonnes expériencesavec des projets cash, comme ceux qui sont menés enAsie du Sud pour soutenir les victimes du tsunami

26Qui émigre? L’écrivaine sénégalaise Ken Bugul parle de la migration

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«La tradition n’est jamais figée» Interview de l’écrivaine sénégalaise Aminata Sow Fall,pionnière de la littérature africaine francophone

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Éditorial 3Périscope 4DDC interne 25Au fait, qu’est-ce qu’un CSLP? 25Service 33Impressum 35

Un seul monde est édité par la Direction du développement et de lacoopération (DDC), agence de coopération internationale intégrée auDépartement fédéral des affaires étrangères (DFAE). Cette revue n’estcependant pas une publication officielle au sens strict. D’autres opinionsy sont également exprimées. C’est pourquoi les articles ne reflètent pasobligatoirement le point de vue de la DDC et des autorités fédérales.

L’eau courante, enfin! Avec l’aide de la Suisse, cinq communes du Kosovoréhabilitent leur réseau d’alimentation en eau, qui setrouvait dans un état déplorable

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L’être humain produit toutes sortes de biens – pommes

de terre, vêtements, pioches, coton, crèmes glacées...

– qu’il vend ensuite sur le marché. Une partie du revenu

lui sert à acheter d’autres produits destinés à couvrir ses

besoins de base, comme la nourriture, les soins de santé

ou la formation. Il réinvestit l’autre partie dans son com-

merce pour produire de nouveaux biens, lesquels seront

à leur tour vendus, assurant ainsi l’existence d’un indi-

vidu, d’une famille, d’un village, d’une région, voire de

toute une économie.

Si ce système semble évident en théorie, sa réalisation

est nettement plus compliquée. Le principe de l’écono-

mie de marché a beau être d’une simplicité enfantine, son

application au quotidien demeure inaccessible à des mil-

liards d’êtres humains. Pour fabriquer un produit de-

mandé par le marché, il faut des semences, de la matière

première, du bois, du lait, etc. Or, l’acquisition de ces

biens suppose que l’on puisse emprunter de l’argent.

Ceci est valable aussi bien au Nord qu’au Sud. Mais l’ob-

tention d’un crédit s’avère souvent bien plus difficile dans

les pays en développement. À vrai dire, cette situation

n’est pas logique. Chacun sait en effet que les habitants

des pays en développement font preuve d’une créativité

inouïe (sous nos latitudes, on parlerait de capacité d’in-

novation) dans la lutte quotidienne pour la survie. Il est en

outre établi que le domaine du microcrédit, explicitement

prévu pour les très petites entreprises, connaît des taux

record de remboursement. Ceux-ci atteignent par exem-

ple 95 pour cent au sein de la Grameen Bank, au Bangla-

desh, aujourd’hui connue dans le monde entier.

La microfinance est cependant loin d’être ouverte à tous:

à l’heure actuelle, plus d’un milliard de personnes n’ont

pas accès aux services financiers institutionnels. Pour-

tant, ce domaine ne cesse d’aligner les succès. Et une

récente recherche historique sur le développement éco-

nomique de l’Europe vient de démontrer que le bon fonc-

tionnement du secteur financier a joué un rôle tout aussi

important que la Révolution industrielle dans cet essor.

Il en a peut-être même été le véritable moteur. Lisez à

ce sujet notre dossier qui débute à la page 6.

Celui qui n’entend pas produire lui-même des biens

doit chercher un emploi et mettre ses compétences au

service d’autrui. C’est ce qu’a fait Isabel do Carmo Pedro

Marques, étudiante à Luanda, avec une volonté claire-

ment affirmée: «Nous, les jeunes Angolais, ne deman-

dons pas que l’on nous fasse des cadeaux. Nous vou-

drions simplement avoir la possibilité de participer à la

reconstruction du pays, afin de pouvoir plus tard être fiers

de notre travail». Son témoignage, à la page 20, montre

à quel point il est difficile de trouver un premier emploi en

Angola.

Harry Sivec

Chef médias et communication DDC

(De l’allemand)

Simple, mais inaccessible

Un seul monde No3 / Septembre 2005 3

Editorial

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La démographie au servicede la croissance(gn) «Dieu merci, nos projets derégulation des naissances ontéchoué.» Sous ce titre, un quoti-dien indien évoquait récemmentune étude de la banque GoldmanSachs, selon laquelle l’Inde est leseul pays au monde dont l’éco-nomie connaîtra une croissanceannuelle constante de 5% jus-qu’en 2050. Cette prévisions’explique par la croissance démographique ininterrompue,considérée par beaucoup d’In-diens comme une «mine d’ordémographique».Avec environ1,1 milliard d’habitants, l’Indereprésente aujourd’hui déjà 17%de la population mondiale. Ellecomptera 1,4 milliard d’indivi-dus en 2025 et même 1,6 mil-liard en 2050.Vers 2020, elle présentera un excédent de 47 millions de personnes en âgede travailler, alors que les paysoccidentaux, mais aussi la Chine,souffriront d’une pénurie demain-d’œuvre. Selon cetteétude, c’est surtout la Chine quiva perdre du terrain, après avoirfortement réduit sa croissancedémographique en imposant lemodèle de l’enfant unique. Dès2010, l’Inde devrait en effet atteindre une croissance écono-mique plus forte que son éter-nelle rivale asiatique. D’ici 2050,elle pourrait devenir la troisièmenation économique la plus richedu monde, derrière la Chine etles États-Unis. Pour y parvenir,

elle devra néanmoins consentirdes investissements massifs dansla formation, la création d’em-plois et l’infrastructure. Faute dequoi, sa croissance démogra-phique risque de se muer en ma-lédiction.

La santé par les chenilles (bf) Riches en protéines, les in-sectes comestibles contribuent à la sécurité alimentaire enAfrique centrale. Selon une étudede l’Organisation des NationsUnies pour l’alimentation etl’agriculture (FAO), 70% des habitants de la République dé-mocratique du Congo (RDC)consomment régulièrement deschenilles et des larves. Cette pro-portion atteint 85% en Répu-blique centrafricaine et même91% au Botswana. La valeur nu-tritionnelle de ces insectes estétonnante: 100 grammes de che-nilles séchées contiennent 53grammes de protéines; ils peu-vent couvrir les besoins quoti-

diens d’une personne en cal-cium, potassium, zinc, magné-sium, phosphore et fer; leur va-leur énergétique représente 430kilocalories. La FAO précisequ’il vaut mieux consommer desinsectes issus de la forêt, car ilsn’ont pas été exposés aux pesti-cides, contrairement à ceux deschamps. Sur les marchés locaux,ces concentrés de protéines sontsurtout vendus par des femmes,pour qui ils constituent une im-portante source de revenus. Lachenille Sapelli – considéréecomme une délicatesse – s’estmême frayé un chemin jusquesur les marchés urbains et lescartes des restaurants. Mieux en-core: la RDC exporte des che-nilles séchées vers la France et laBelgique.

Une course et un préservatif( jls) Quelque 350 taxis de Libre-ville, la capitale gabonaise, parti-cipent à une campagne de sensi-bilisation sur le sida. Peints en rouge et blanc, ils arborentdes slogans et des messages deprévention. Les chauffeurs distri-buent gratuitement à leursclients des préservatifs et des dé-pliants d’information, tout ensuscitant des discussions concer-nant le virus VIH et les moyensde s’en protéger. Les usagers, lesjeunes en particulier, apprécientcette initiative qui fait des taxisun espace privilégié d’informa-tion et d’échange sur les ques-tions sexuelles, un thème tabou

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dans les familles. L’opération aété lancée par la mairie de laville dans le but de réduire laprévalence du sida qui atteignait8,1% à fin 2003. En moins dedeux mois, elle a permis de dis-tribuer près de 300000 préserva-tifs et autant de dépliants. Enéchange de leur participation, leschauffeurs de taxis bénéficientd’une ristourne sur leur taxe annuelle d’exploitation.

Tuiles écologiques sur le toit du monde(bf) L’industrie de la tuile est

l’un des principaux fournisseursd’emplois du Népal.Au total, lesquelque 500 tuileries du paysoccupent environ 150000 per-sonnes. La moitié d’entre ellestravaillent dans la vallée deKatmandou, où le développe-ment rapide de la capitale dopela demande de matériel deconstruction. Les fours, qui fonc-tionnent à plein régime de la finde l’automne au début du prin-temps, sont toutefois extrême-ment polluants.Avec l’appui dela DDC notamment, certainestuileries se sont déjà équipées

d’un nouveau type de four, bienplus économique et écologique,qui pourrait provoquer unemini-révolution au Népal. Cefour vertical, dépourvu de toutcomposant technique coûteux,utilise un procédé chinois quidate des années 70: les tuilescrues ne sont plus introduites parune ouverture latérale, mais parle haut du four. Comparé auxanciens, le nouveau four rejettedans l’atmosphère huit foismoins de polluants, ce qui réduitd’autant l’exposition du person-nel aux toxines. En outre, laconsommation d’énergie est inférieure de 40% à celle des systèmes classiques.

Le nouvel esclavage (bf) L’Afrique du Sud est l’unedes principales destinations dutrafic d’êtres humains sur lecontinent noir. Les victimes quiy sont acheminées, essentielle-ment des femmes et des enfants,viennent de plus de dix paysafricains, indique un rapport del’Unicef. Selon les témoignages

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fournis par certaines femmes, lestrafiquants peuvent compter surla complicité de douaniers cor-rompus. C’est surtout en taxiqu’ils font franchir la frontièreaux femmes venues du Mozam-bique, par exemple. Une ressor-tissante du Lesotho a rapportéque personne n’avait contrôlé ses papiers d’identité à la douanesud-africaine. Lorsque les fonc-tionnaires se montrent plus vigi-lants, comme c’est le cas auBotswana, les trafiquants em-pruntent des trajets plus longs en transitant par les pays voisins.Parallèlement à ces réseaux ré-gionaux, des filières mondialesalimentent le marché sud-afri-cain de la prostitution. De nom-breuses femmes et jeunes fillesoriginaires de Thaïlande sontainsi introduites illégalementdans le pays. Sur place, la majo-rité d’entre elles sont exploitéesà des fins sexuelles, d’autres sontutilisées comme main-d’œuvre.La pauvreté constitue la cause laplus visible de la traite des êtreshumains.

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Microfinance

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Les personnes contraintes de vivre avec moins d’un dollar parjour ont rarement accès aux services financiers. Pourtant, cetinstrument leur permettrait d’échapper à l’engrenage de lapauvreté. La coopération au développement en est conscientedepuis longtemps. Mais il a fallu attendre jusqu’à aujour-d’hui pour que les milieux financiers voient eux aussi dans la microfinance un moyen de lutter contre la pauvreté. DeGabriela Neuhaus.

La DDC et la micro-financeDepuis plus de 30 ans, laDDC œuvre pour renforcerles systèmes financiersdans ses pays partenaires.Actuellement, elle consa-cre au total 25 millions defrancs par an pour soutenirdes projets de micro-finance dans 20 pays du Sud et de l’Est. Son engagement se fonde surl’idée que le bon fonction-nement du secteur finan-cier et l’accès aux servicesfinanciers sont des condi-tions préalables au déve-loppement économique etsocial. Pays de la banquepar excellence, la Suissedispose en matière finan-cière de vastes connais-sances et d’une solide expérience dont ses parte-naires sont heureux de tirerprofit. Voici les domainesd’action de la DDC dans le domaine de la micro-finance:– Renforcement et déve-loppement des institutionsqui permettent aux pauvresd’accéder aux services financiers.– Développement d’infra-structures adaptées auxbesoins de la microfinance(institutions de formation,réviseurs, bureaux de cré-dit, etc.). – Amélioration du contexteéconomique et financierdans les pays partenaires.

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Le 21 de chaque mois, les femmes de Buro,un petitvillage de l’État du Gujarat, en Inde, se réunissentpour discuter de leurs besoins communs et desactivités à entreprendre.À l’issue de la réunion,unecollecte est organisée et chaque participante verse10 roupies (28 centimes). «Lorsque l’une d’entrenous est confrontée à des difficultés financières,en raison d’un accident ou d’une grossesse parexemple, nous lui prêtons la somme nécessaire»,explique Naseem, l’initiatrice de ce mouvement.Il existe non seulement en Inde, mais partout dans le monde, des milliers de groupes d’entraidecomme celui-ci.On ne soulignera jamais assez leur importance.Lorsque les pauvres ont besoin d’argent, ils sont engénéral obligés de s’adresser à des usuriers, à moinsde solliciter leur famille, leurs proches ou leursvoisins, qui sont le plus souvent tout aussi dému-nis. Ils n’ont aucun accès aux services bancairesinstitutionnels : il leur est impossible par exempled’obtenir un crédit à des conditions favorablespour se lancer dans une activité indépendante oude placer leurs économies sur un compte rému-néré afin de parer à un éventuel coup dur.

L’argent, c’est le pouvoirSi ce constat vaut surtout pour les pays du Sud, iln’est pas facile non plus dans les pays industrialisésd’obtenir un crédit initial pour créer une petiteentreprise. Les banques commerciales ne veulentcourir aucun risque et n’accordent un crédit quesur la base d’un nantissement sous forme de biensimmobiliers ou de cautions. Les petits clients nereprésentent de toute façon qu’un intérêt margi-nal pour les banques, car leur prise en charges’avère coûteuse et peu rentable.«En refusant à certains groupes la reconnaissance

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qui leur permettrait de participer pleinement à lasociété, les mécanismes institutionnels chargésd’attribuer des ressources financières pratiquentune politique conduisant à l’exclusion sociale.»C’est en ces termes que Naila Kabeer, écono-miste bangladaise, résume les difficultés aux-quelles sont confrontées des millions de per-sonnes à travers le monde. Hansruedi Pfeiffer,responsable du développement du secteur finan-cier à la DDC, renchérit : «Environ 90 pour centdes pauvres dans les pays où nous travaillonsn’ont pas accès aux services financiers. C’est de ladiscrimination pure et simple. L’accès à l’argentest une question de pouvoir.» Il y a longtemps que la coopération suisse au dé-veloppement tient compte du secteur financier.Mais le concept de microfinance n’est véritable-ment débattu que depuis les années 80. À l’épo-que, les milieux du développement ont commen-cé à réaliser que les systèmes financiers existantsconstituent un obstacle à la croissance et au déve-loppement. C’est l’économiste bangladais Mu-hammad Yunus qui en a apporté la preuve la pluséclatante. Ses recherches, entamées à la suite d’unefamine, l’ont amené à conclure que l’on pourraitaider les plus pauvres des Bangladais en mettant àleur disposition un très petit capital. Il suffiraitd’un prêt modique pour que des vanniers, des tis-serandes ou des conducteurs de rickshaw cessentd’être dépendants des usuriers et échappent ainsiau cercle vicieux de la pauvreté.Après avoir mené des essais fructueux dans plu-sieurs villages, ce professeur d’économie a tenté en vain de convaincre les banques commercialesd’accorder des petits crédits aux pauvres. C’estpourquoi il a décidé en 1983 de fonder la GrameenBank, avec l’appui de la Banque nationale du

Joan Wangechi, cheffed’une petite entrepriseet mère seule, Kenya«Depuis 1997, je bénéficiede prêts accordés par leKenya Women FinanceTrust. Cela m’a permis dedévelopper mon atelier, oùje couds des vêtements féminins qui sont ensuiteachetés par des gros-sistes. J’ai créé mon entre-prise car j’avais besoind’argent pour élever mesdeux enfants. À présent,leur éducation ne me poseplus de problèmes. L’unest au collège et l’autre àl’université.»

Irene Castro Quilca,agricultrice et cliente fidèle de SEPAR, uneinstitution de micro-finance au Pérou«La SEPAR ne m’a passeulement fourni lesmoyens nécessaires pouraccroître la productivité etles revenus de mon entre-prise. Elle m’a aussi donnéconfiance en moi. Elle m’aconvaincue que je pouvaischanger des choses quej’avais toujours considé-rées comme immuables.De plus, j’ai pu comptersur l’amitié et la solidaritéde femmes confrontées àune situation similaire.»

Ruckmani, quincaillèreet mère de onze enfants, Inde«Avec onze enfants et unmari peu fiable qui ne rap-portait jamais d’argent à la maison, il était difficile de mener une vie paisible.C’est seulement quandmes enfants se sont ma-riés et ont quitté la maisonque je suis devenuemembre de Sangam etque j’ai emprunté 200 rou-pies. Avec cet argent, j’aiacheté de la ferraille quenous avons polie puis recyclée en divers objetsutiles comme des cou-teaux. Nous en avons tiréun bon prix. Un deuxièmeemprunt m’a permis d’ou-vrir une petite quincaillerie.À présent, mon mari etmoi travaillons ensembledans ce magasin et nousencaissons jusqu’à 100roupies par jour. Il m’arrivemême de songer à agran-dir mon commerce.»

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Un seul monde No3 / Septembre 2005 9

Microfinance

Bangladesh et d’organismes internationaux. Entrès peu de temps, cet établissement a remporté unsuccès phénoménal. Son existence a grandementcontribué à améliorer les conditions de vie delarges groupes de la population bangladaise.

La révolution de la microfinanceLes banques commerciales refusaient les petits cré-dits, car elles craignaient de ne jamais récupérer lessommes avancées. C’est tout le contraire qui s’estproduit : la microfinance est le secteur dans lequelles emprunteurs se montrent le plus scrupuleux.Au sein de la Grameen Bank, le remboursementdes crédits atteint le taux remarquable de 95 pourcent.Les pauvres n’étant pas en mesure d’offrir unegarantie matérielle, la Grameen a opté pour uneapproche qui se distingue totalement de celle desbanques conventionnelles : pour obtenir un crédit,les intéressés – en général des femmes – doivent seconstituer en un groupe qui se portera garantpour le remboursement du prêt. La pression dugroupe et la peur de perdre la face incitent sesmembres à respecter les échéances de rembourse-ment. Les microcrédits ont aussi leur prix : pourun crédit classique auprès de la Grameen Bank,l’emprunteuse doit payer 16 pour cent d’intérêtset rembourser le capital en une année par trancheshebdomadaires.Ce service financier destiné aux pauvres a rapide-ment été reproduit ailleurs dans le monde, sous lesformes les plus variées mais aussi avec des succèsvariables. On parle néanmoins d’une «révolution

de la microfinance » qui s’est déroulée dans lesannées 90. Pour Dirk Steinwand, expert financierde l’agence allemande de développement GTZ,cephénomène a entraîné un changement de para-digme concernant le financement du développe-ment.Aujourd’hui, les institutions de la microfinancecomptent quelque 100 millions de clients dans le monde. On estime que le volume des créditsaccordés atteint 1,5 milliard de francs. Pourtant,selon les indications du Groupe consultatif d’assis-tance aux plus pauvres (GCAP), plus d’un milliardde personnes n’ont toujours pas accès aux servicesfinanciers institutionnels. Pour faire connaître etapprécier davantage le potentiel de cette forme decrédits, l’ONU a proclamé 2005 «Année du micro-crédit».Kofi Annan a justifié l’initiative en ces ter-mes: «L’accès durable au microfinancement contri-bue à atténuer la pauvreté en générant des reve-nus, en créant des emplois, en donnant aux enfantsla possibilité d’aller à l’école, en permettant auxfamilles d’obtenir des soins médicaux et en don-nant les moyens aux populations de faire les choixqui répondent le mieux à leurs besoins.»

Au-delà du microcréditLes microcrédits ne sont que l’un des nombreuxservices financiers qui sont aujourd’hui proposésaux pauvres sous l’appellation générique de mi-crofinance. Beaucoup d’institutions de microfi-nance (IMF) ont été fondées par des groupes d’en-traide. De ce fait, elles possèdent souvent le statutjuridique d’organisations non gouvernementales.

«La Grameen Bank partdu principe que le créditest un droit de l’homme.Dans son système, celuiqui ne possède rien estconsidéré comme un can-didat absolument prioritairepour l’octroi d’un prêt. Lesdécisions de la GrameenBank ne se fondent passur les biens matériels del’emprunteur, mais sur sonpotentiel. » Muhammad Yunus, fonda-teur de la Grameen Bank

«La microfinance est au-jourd’hui le modèle domi-nant dans les activités de lacoopération internationaleau développement.» Dirk Steinwand, expert enmicrofinance auprès de laGTZ

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Un seul monde No3 / Septembre 200510

L’une des priorités actuelles de la coopération audéveloppement consiste à professionnaliser cesinstitutions et à les rapprocher des systèmes ban-caires nationaux.Mais il ne faut surtout pas que les IMF y perdentleurs relations de proximité avec les clients. Ellesdoivent continuer de fournir des produits et desconseils qui correspondent aux besoins et auxmoyens de leur clientèle. Le microcrédit est certesla plus connue de leurs prestations, mais ce n’estpas nécessairement la plus demandée. Les produitsd’épargne occupent une place tout aussi impor-tante : les pauvres déposent à la banque environquatre fois plus d’argent qu’ils n’en demandentsous forme de crédits. Dans nombre de pays, lespossibilités d’économiser restent cependant trèslimitées, car une institution qui accepte des fondsd’épargne doit remplir des exigences particulière-ment élevées en matière de sécurité.La gestion de l’épargne requiert par ailleurs uncertain savoir-faire. Il est essentiel d’assurer juste-ment aux petits épargnants, qui vivent au jour lejour, la possibilité de retirer rapidement leur pécu-le pour faire face à d’éventuelles difficultés.Le prêtsur gage est une autre prestation qui répond fortbien aux besoins des populations pauvres.Les IMF peuvent également pratiquer le leasingde chars ou de petites machines pour les travauxdes champs, un système particulièrement appréciéen Afrique.Le transfert d’argent est l’un des principaux ser-vices de la microfinance. Chaque année, des mil-

« Il ne faut considérer la mi-crofinance ni comme l’acti-vité sympathique et louabled’une organisation à butnon lucratif, ni comme uneentreprise de relations pu-bliques mise sur pied pardes banques. La micro-finance doit être perçuecomme le fondement dessystèmes financiers natio-naux. Les institutions demicrofinance ne doiventpas se comporter commedes banques convention-nelles. Il s’agit bien plusd’amener ces dernières àadopter le comportementdes institutions de micro-finance.»Nancy Barry, présidente de la Banque mondiale des femmes

lions de travailleurs migrants envoient à leursfamilles des sommes totalisant environ 200 mil-liards de dollars. C’est pourquoi de plus en plusd’IMF proposent des services de transfert à destarifs avantageux. Enfin, lorsque l’économie mo-nétaire et l’économie de marché font leur appari-tion, la demande d’assurances ne manque pas desuivre. Nombre d’IMF vendent ainsi des policesd’assurance-vie. Un emprunteur a tout intérêt às’assurer pour éviter que les membres de sa famil-le ne soient contraints, en cas de décès, de rem-bourser son crédit.

Des « investissements sociaux» lucratifs?L’idée de combattre la pauvreté avec des instru-ments rentables n’a rien de nouveau, mais ellepeine à s’imposer dans la coopération au dévelop-pement. Jusqu’ici, seuls des acteurs actifs dans ledomaine social se sont engagés sur ce terrain, àl’instar de la coopérative de développement Oiko-credit, dont le siège se trouve aux Pays-Bas. Crééeà l’initiative de milieux religieux en 1975, cettedernière s’est spécialisée dans l’octroi de micro-crédits.Plus récemment, le monde international de la fi-nance a commencé de s’intéresser aux « investisse-ments sociaux» qui visent à réaliser une plus-valuesociale en plus du rendement économique. Plu-sieurs institutions financières suisses l’ont démon-tré il y a deux ans en mettant sur pied Respons-Ability, qui collabore avec la DDC et le seco.Cette plate-forme d’investissement a pour objec-

Jorgen Schytte / Still Pictures

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Un seul monde No3 / Septembre 2005 11

tif de fournir des produits et des services qui assu-rent le relais entre le marché financier et la coopé-ration au développement. De cette manière, elleentend consolider les liens du secteur privé avecles pays en développement.ResponsAbility offre des possibilités de refinance-ment commercial à certaines institutions de micro-finance reconnues dans les pays en développement.«Une participation renforcée du secteur financierprivé libère des ressources que la coopération audéveloppement peut utiliser là où les besoins sontplus urgents », explique Klaus Tischhauser, direc-teur de ResponsAbility. Il cite deux domaines quinécessitent encore des fonds de la coopération, etnon des investissements: la promotion de la micro-finance rurale et l’élaboration de modèles nova-teurs.Selon l’économiste Mascha Madörin, ces res-sources internationales privées, dont l’offre gran-dit rapidement, recèlent toutefois certains dangerspour les IMF du Sud. En effet, le financement àgrande échelle des microcrédits par des empruntsétrangers équivaudrait à augmenter la dette exté-rieure des pays en développement : «Les mesuresvisant à promouvoir l’autonomie des pauvres obli-geraient ainsi les pays défavorisés à exporter da-vantage.Une hausse des exportations serait la seulemanière de financer un service de la dette plusélevé.»

Un virage à ne pas manquerL’intégration des IMF dans le système financier

international est à double tranchant et souligne unproblème inhérent à la promotion de la microfi-nance au service de la lutte contre la pauvreté :l’accès aux services financiers améliore la situationsociale et économique des clients. Si ces derniersapprennent à se servir efficacement des nouveauxinstruments mis à leur disposition, leurs exigencesvont rapidement se développer. Ils demanderontdes crédits plus élevés, des assurances plus diversi-fiées, de meilleures conditions d’épargne, etc. Ensomme,une institution de microfinance doit gran-dir avec ses clients. Ce faisant, elle se rapprocheratoujours plus des banques conventionnelles. Maiselle ne doit pas pour autant perdre de vue sonobjectif premier, qui est de garantir à tous l’accèsaux services financiers. Par ailleurs, toute croissan-ce augmente aussi la complexité et les exigencesimposées au personnel.L’indispensable professionnalisation de la gestionrisque d’éloigner les IMF de leurs clients. Expo-sées à une concurrence croissante, ces institutionspourraient en outre être amenées à négliger lescoûteux services qu’elles dispensent aux pauvresdes zones rurales. Malgré ces dangers, les innom-brables succès remportés par la microfinance jus-tifient totalement son engagement en tant qu’ins-trument de développement. ■

(De l’allemand)

Microfinance

Holland, Hoogte / laif

Liens utiles

Page d’accueil d’Interco-operation, partenaire de la DDC dans le cadre del’Année internationale dumicrocrédit : www.intercooperation.ch/finance/main

Site de ResponsAbility :www.responsability.ch

Site du Groupe consultatifd’assistance aux plus pau-vres (anglais) :www.cgap.org

Site de la Grameen Bank:www.grameen-info.org

Le site de la DDC contientd’autres liens vers des pa-ges consacrées à la micro-finance et à ses institutions:www.ddc.admin.ch

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Un seul monde No3 / Septembre 200512

Un seul monde:Aujourd’hui, tout le mondechante les vertus de la microfinance en tantque moyen de lutter contre la pauvreté.Quelle est son importance pour la coopéra-tion au développement?Ruth Egger : Une institution financière peutcontribuer au développement dans la mesure où ilexiste un minimum d’infrastructures et un accès àd’autres prestations : si le client ne gagne rien eninvestissant son crédit et ses économies, il ne créepas de plus-value. Il faut un marché pour vendreles produits et des gens capables d’innover. Nousne sommes pas tous nés entrepreneurs. Il faut aussiun accès à l’information et à la technologie ainsiqu’un certain degré de stabilité et de légalité.Grâce aux conseils agricoles et aux nouvellesconnaissances, le paysan pourra augmenter le ren-dement de son champ, ce qui lui permettra d’in-vestir son crédit de manière rentable et d’en cou-vrir les frais. Dans le cas contraire, il risque des’endetter davantage.Lorsque les conditions géné-

rales sont remplies et que le produit est approprié,la promotion du secteur financier constitue uninstrument utile et efficace pour lutter contre lapauvreté.

Quelles sont les principales fonctions desservices financiers destinés aux pauvres? Prenons le cas d’un petit entrepreneur qui se voitproposer aujourd’hui 20 pièces de tissu à un prixtrès avantageux. S’il n’a pas accès au crédit néces-saire, il ne peut pas accepter l’offre.Autrement dit,il rate une occasion de développer son commerce.Certaines situations présentent un caractère d’ur-gence: sur les hauts plateaux boliviens, les paysanssont souvent contraints de vendre une vache lors-qu’un membre de la famille doit se faire soigner àl’hôpital.Non seulement la famille perd une sour-ce de revenus, mais elle ne tire pas un bon prix dela vente. Ceux qui n’ont pas la possibilité d’épar-gner en toute sécurité ou d’obtenir un créditapproprié sont privés du tremplin qui leur per-

Parmi les instruments de lutte contre la pauvreté, la micro-finance a le vent en poupe et pas seulement parce que 2005 estl’Année internationale du microcrédit. Mais les institutions demicrofinance ne sont pas nouvelles. Elles ne sont pas non plusun remède miracle. Interrogée par Gabriela Neuhaus, l’écono-miste Ruth Egger souligne leur potentiel et leurs limites.

Un tremplin pour le

Ruth Egger, économiste,est spécialisée dans le dé-veloppement du secteur fi-nancier. Elle s’engage dansce domaine depuis plus de30 ans. Après avoir obtenuson doctorat à l’Universitéde Zurich, elle a travaillé de1974 à 1981 pour la DDCau Népal et en Bolivie, oùelle s’occupait du dévelop-pement rural. Jusqu’à fin2004, elle a été vice-direc-trice d’Intercooperation. Au sein de cet organismesuisse de développement,elle a dirigé l’équipe Finan-ces/Entreprises/Marchés et a assuré l’appui tech-nique des projets de laDDC destinés à promou-voir le secteur financier. Ellea ainsi soutenu la mise surpied et le développementd’institutions financières en Asie, en Afrique, enAmérique latine et en Euro-pe de l’Est. Ruth Eggers’intéresse particulièrementà la promotion des produitsd’épargne, à la créationd’institutions financièresdans les zones rurales et àl’aide aux ménages pauvres,tout en réservant une at-tention spécifique aux pré-occupations des femmes.

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mettrait d’échapper à l’engrenage de la pauvreté.Leur potentiel de développement reste inexploité,ce qui nuit tant à l’individu qu’à l’économie dansson ensemble. Cela a d’ailleurs été démontré parde récentes recherches historiques : le bon fonc-tionnement du secteur financier a joué un rôle aumoins aussi important que la Révolution indus-trielle dans l’essor économique de l’Europe.

Quel est l’effet social des institutions de mi-crofinance?La microfinance revêt de toute évidence une im-portance non seulement économique mais aussisociale. Le fait d’accéder aux services financiersrenforce l’estime de soi et favorise l’empowerment.Lorsque je peux choisir entre le prêteur et l’insti-tut financier, j’ai une option qu’Amartya Sennomme liberté mais aussi pouvoir. Lorsque labanque me juge digne de crédit, mes voisins me considèrent avec respect, ce qui me remplit defierté. Au départ, nombre d’organismes de créditet d’épargne sont de très petites structures autogé-rées, au sein desquelles les gens apprennent en-semble à gérer de l’argent, à tenir un livret d’épar-gne, à planifier. Dans les pays du Sud, ce sontsurtout les femmes qui ont recours aux servicesfinanciers. Selon leur situation familiale, elles n’enretirent pas que des avantages, car les investisse-ments et l’obligation de rembourser un empruntconstituent souvent une charge supplémentaire.

Existe-t-il des différences culturelles dans l’at-titude face aux institutions de microfinance?On n’a pas cessé de vouloir copier la GrameenBank. D’après mon expérience, ce n’est pas lasolution. Les institutions de microfinance doivents’adapter aux conditions locales. Si le systèmefonctionne si bien au Bangladesh, ainsi qu’en Indeet en Indonésie, c’est notamment grâce à la densi-té de la population. De plus, l’État joue un rôleessentiel en fournissant des fonds. En Amériquelatine, les services de la microfinance sont pourl’instant concentrés sur les villes. Et le système decrédits collectifs, très prisé en Asie, y fonctionneplutôt mal. De plus, l’épargne peine à s’imposer,pour des raisons historiques et culturelles. Il en vatout autrement en Afrique occidentale où les mar-chandes paient pour que quelqu’un vienne cher-cher la recette de la journée et aille la déposer surun compte d’épargne:quand l’argent est en dehorsde la maison, il ne risque pas de disparaître. L’Eu-rope de l’Est, pour sa part, possède beaucoup debanques et le niveau de formation est élevé. Danscette région, il s’agit surtout de consolider le sys-tème existant et de l’adapter à la nouvelle situa-tion.

Quelles sont les perspectives? De quelle ma-nière faut-il progresser?Il existe dans le monde entre 5000 et 10000 ins-titutions qui proposent aux pauvres des services demicrofinance. Pourtant, des millions d’individusn’y ont toujours pas accès. Les besoins sont doncénormes.Mais il n’est pas facile d’améliorer l’offre,en particulier dans les zones rurales. Pour que lesservices financiers demeurent abordables dans lesrégions peu peuplées, leurs coûts doivent êtreabaissés. Il est important que les institutions demicrofinance soient intégrées dans le systèmefinancier d’un pays et qu’elles puissent se refinan-cer sur le marché local afin d’assurer leur durabi-lité à long terme. ■

(De l’allemand)

développementMicrofinance

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(gn) En 1997, Alfonso Chango a fondé avec d’au-tres étudiants l’organisation Mushuc Runa, ce quisignifie « l’homme nouveau» en quechua. Installéesur l’Altiplano équatorien, cette coopérative a étéla première à fournir aux populations indigènesun accès à l’épargne et au crédit. Douze moisaprès sa création, elle comptait déjà 348 clients.Aujourd’hui, ils sont plus de 46000. Les bénéficesde Mushuc Runa ont atteint 215000 dollars en2003 et ses actifs dépassent actuellement 20 mil-lions de dollars.Ce succès est étroitement lié au projet CREAR,que l’organisation de développement Swisscontactgère depuis 1998 sur mandat de la DDC. «Nom-bre de ces coopératives se lancent avec trois foisrien. Dans le cas de Mushuc Runa, nous avonstout d’abord dû introduire une comptabilité, puis

élaborer ensemble un plan d’exploitation. Petit àpetit, elle s’est muée en une véritable institutionbancaire», explique Hanspeter Neff, qui a dirigé leprojet de 2000 à fin 2002.

Savoir-faire et service de proximité CREAR collabore aujourd’hui avec 18 coopéra-tives financières. Celles-ci sont toutes installéesdans la région des hauts plateaux, où la DDCmène depuis 35 ans des activités visant à réduire lapauvreté. Grâce à CREAR, la population ruralebénéficie désormais de services financiers quicontribuent à améliorer sa situation économique.Daniel León, 49 ans, de Chimbo, a ainsi utilisé sonpremier microcrédit pour acheter une petitemachine destinée à la fabrication de crèmes gla-cées. Il a d’abord travaillé seul, puis d’autres crédits

En Équateur, ce sont essentiellement des coopératives qui pro-posent des services financiers à la majorité de la population.Nombre d’entre elles, issues de petits organismes d’entraide,se sont rapidement développées ces dernières années. Surmandat de la DDC, Swisscontact aide certaines d’entre elles àdevenir des banques professionnelles.

Du groupe d’entraide àla banque commerciale

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lui ont permis d’élargir son entreprise. Aujour-d’hui, Daniel León emploie douze personnes etpossède trois camions qui assurent la distributiondes glaces.Après la crise économique des années 1998-1999,environ 60 pour cent des banques équatoriennesont fait faillite. Dès lors, les coopératives finan-cières ont connu un essor fulgurant et jouissentplus que jamais de la confiance de la population.Étant des organismes d’entraide, elles ont l’avanta-ge d’être proches des clients. Le revers de la mé-daille, c’est que leurs responsables ne possèdent pastoujours le savoir-faire nécessaire pour dirigerefficacement une institution de microfinance. Etc’est là qu’intervient CREAR: pour chaque nou-velle coopérative admise dans le projet, on procè-de tout d’abord à une analyse globale de sesbesoins et de son potentiel. Sur cette base, desmesures sont prises en premier lieu pour assurer laformation du personnel : les gérants des coopéra-tives CREAR peuvent suivre les cours d’une uni-versité privée à Quito qui forme des spécialistesdans le domaine bancaire. Des investissementslogistiques sont également nécessaires : MushucRuna, par exemple, est devenue nettement plusefficace depuis que ses agents disposent de motospour aller rencontrer les clients dans les villages.

Plus de crédits, moins d’épargneLa plupart des 18 coopératives CREAR propo-sent les trois services suivants : microcrédits, épar-gne et transfert d’argent depuis l’étranger, ce der-nier service occupant une place de choix dans unpays dont les ressortissants émigrés assurent unelarge part du revenu national.La demande est importante dans le domaine ducrédit, bien que les coopératives exigent jusqu’à35 pour cent d’intérêts. Cela représente un écartconsidérable par rapport aux taux de l’épargne quine dépassent pas 4 pour cent. «Une banque sainedoit s’assurer un revenu solide», explique Hans-peter Neff. «La gestion de petits crédits dans lesrégions rurales s’avère très coûteuse, c’est pour-quoi les taux sont si élevés.» L’emprunteur a mal-gré tout avantage à demander un crédit à unecoopérative, car l’autre solution serait de s’adresserà un usurier, qui exige jusqu’à 120 pour cent d’in-térêts.En collaboration avec les coopératives, CREAR alancé des campagnes publicitaires pour promou-voir l’épargne : «L’histoire a appris aux Équato-riens qu’il vaut mieux posséder des terres et dubétail, plutôt que de déposer son argent à labanque.Tous ont cependant un bas de laine chezeux », constate Hanspeter Neff. À l’aide d’an-nonces diffusées sur les radios locales ou dans les

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bus, de posters et d’actions de persuasion baséessur le porte-à-porte, les coopératives sont parve-nues à augmenter progressivement le volume del’épargne au cours des dernières années.

Croissance et professionnalisationLes coopératives appuyées par CREAR sontdevenues des banques professionnelles qui offrentdes produits durables à la population rurale. Pourconsolider ce processus, la DDC entretient un dia-logue permanent avec le gouvernement. Le butest de régler la surveillance des coopératives finan-cières et de créer des conditions générales qui per-mettront même à de petites structures commeMushuc Runa de devenir concurrentielles.Cette dernière repose aujourd’hui sur des basessolides : initialement, 80 pour cent des conseils etde la formation, ainsi qu’une partie des investisse-ments, étaient financés par l’aide au développe-ment; aujourd’hui, c’est la coopérative qui assurela totalité du financement. Son directeur AlfonsoChango pense déjà à l’étape suivante : il souhaiteproposer une carte bancomat à sa clientèle. ■

(De l’allemand)

InvestisseursinternationauxLa demande de crédits ne cessant de croître, lescoopératives financièreséquatoriennes sontconstamment confrontéesà des problèmes de liquidi-tés. Bien qu’elles soientparvenues ces dernièresannées à accroître sensi-blement leurs capitauxpropres, les plus grandesd’entre elles cherchent au-jourd’hui les moyens de serefinancer sur le marché international. Riobamba etCacpeco, deux coopéra-tives soutenues parCREAR, ont franchi ce paset ouvert des crédits au-près de ResponsAbility. La solution s’avère idéalepour les deux partenaires,car les investisseurs sont àla recherche d’institutionsfinancières novatrices pourdévelopper leurs fonds àcaractère social. La pré-sence de CREAR instaurele climat de confiance nécessaire et permet àRiobamba et à Cacpecode suivre une croissanceprudente et régulière.

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Microfinance

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Si l’on inclut les années de lutte pour l’indépendance, l’Angolaa traversé quatre décennies de conflit armé. Il n’est guère sur-prenant dès lors que son développement économique accuseun retard équivalant au moins à cette durée. Trois ans après lafin de la guerre, un constat s’impose: le redémarrage est diffi-cile malgré le pétrole et les diamants. De Peter Baumgartner*.

«Bienvenue en Angola, notre patrie commune!»À côté de l’aéroport de Huambo,dans le centre del’Angola, cet écriteau surplombe le centre de ré-ception provisoire réservé aux réfugiés qui ren-trent au pays. Il est un peu corrodé par les intem-péries, mais de toute façon, sa mission est bientôtterminée. Les opérations de rapatriement vonts’achever cette année avec le retour de 50000réfugiés qui avaient fui vers la Zambie et la Nami-bie. Il s’agit de l’arrière-garde d’un exode sanspareil, même pour le continent africain. La guerrea poussé un demi-million d’Angolais à chercherrefuge dans les pays voisins. Et près de 4 millions

de personnes ont dû quitter leurs villages pourvivre durant des mois ou des années dans uneautre partie du pays.À eux seuls, ces chiffres donnent une idée des dif-ficultés que pose la réintégration non seulementdes réfugiés mais aussi des anciens rebelles del’Unita. Des milliers de réfugiés ont regagné leurpatrie au prix d’efforts majeurs, avançant sur desroutes et des ponts détruits, qui étaient le plus sou-vent minés. À l’arrivée, ils étaient pleinementconscients du travail qui les attendait lorsque lesservices d’aide au retour leur ont remis un saccontenant une scie, une hache, un marteau, des

Du pétrole, des diamantset tant de pauvreté

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Heine Pedersen / Still Pictures

clous et une pioche. Dans les villages, on construitaussi des écoles. Cette année, les enfants qui lesfréquentent sont plus nombreux que l’an dernier.Le réseau des routes déminées ne cesse de s’éten-dre.Mais le véritable essor se fait attendre: l’Angolamanque toujours de ressources.

Pauvreté extrêmeTrente années de guerre civile laissent des cica-trices profondes. Outre les habituelles disparitésentre ville et campagne, la capitale Luanda et larégion côtière s’en tirent mieux que le haut pla-teau central et le sud-est du pays, régions qui nesuscitaient déjà guère l’intérêt des colons portu-gais.Les infrastructures de transports sont en gran-de partie anéanties, l’industrie quasiment inexis-tante et plus de la moitié de la population n’a pasde travail.L’Angola compte parmi les pays où la mortalitéinfantile est la plus élevée et il faudra attendre desannées avant que les soins de santé primaires soientaccessibles à tous. Il y a deux ans, le pays a reculéde deux points au classement mondial selon l’in-dicateur du développement humain. Il occupemaintenant la 166e place sur 177 pays évalués.Environ 68 pour cent des habitants vivent en des-sous du seuil de pauvreté, dont un tiers dans unepauvreté extrême.Pourtant, l’Angola est l’un des pays les plus richesdu monde. Il possède d’énormes réserves de pé-

trole, dont il est le deuxième producteur africainaprès le Nigeria. L’or noir assure 90 pour cent deses recettes d’exportation. Le sous-sol renfermeégalement des diamants, du minerai de fer, duphosphate, du cuivre, de l’uranium, etc.Alors qu’ilétait jadis renommé pour ses grandes plantationsde café et de sucre, pour ses cultures de coton, decacahuètes, de tabac et de légumes en tous genres,l’Angola mettra beaucoup de temps avant de re-trouver son autonomie alimentaire.Selon les données officielles, le pétrole a rapportél’an dernier 8 milliards de dollars et les diamants763 millions. Pour l’année en cours, la croissanceéconomique du pays est évaluée à 15 pour cent.Chaque ouverture d’un nouveau champ pétrolifè-re donne un coup de fouet à l’économie.La croissance est cependant virtuelle. La Banquemondiale atteste certes une amélioration de lasituation macro-économique, mais cette richessen’a guère contribué jusqu’ici au développement,même dans les régions épargnées par la guerre.Premièrement, l’appareil étatique, omniprésent,absorbe près des deux tiers du produit national (le gouvernement a par exemple acheté deux véhi-cules blindés tout terrain pour 1,6 million de dol-lars). Deuxièmement, des déficits structurels et lacentralisation extrême entravent l’essor du pays.Troisièmement, et c’est le point crucial, la volontépolitique fait défaut pour promouvoir le dévelop-pement.

Angola

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L’objet de tous lesjoursLe pensadorRares sont les maisons où il ne trône pas sur unmeuble ou un rebord defenêtre. On le trouve danspresque tous les marchés,en différentes grandeurs,mais avec toujours lamême élégance dépouillée:O pensador (le penseur)est un homme assis, lescoudes appuyés sur lesgenoux, la tête entre lesmains, le regard songeur.Depuis des siècles, il sym-bolise la sagesse, le calmeet l’harmonie. Cette sta-tuette est produite parl’ethnie des Chokwés,dans le nord-est du pays,réputée pour son art de lasculpture. Si le pensadorest la seule image del’unité nationale angolaise,au point de figurer en fili-grane sur les billets debanque, il ne le doit passeulement à l’écoleChokwé. Ravagé par ladomination et l’exploitationcoloniales, puis par uneterrible guerre civile,l’Angola ne possédait plusaucune caractéristiquecommune à l’ensemble de la population. Les mo-queurs portent toutefois un autre regard sur le pen-sador : ils y voient la repré-sentation du simple citoyenangolais se demandant ceque la classe dirigeantepeut bien faire de l’argentdu pétrole qu’elle s’appro-prie.

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Richesse choquanteLe journaliste Rafael Marques, maintes fois em-prisonné pour ses dénonciations de la corruption,constate «une absence d’enthousiasme, malgrél’accord de paix et l’argent du pétrole». Cela s’ex-plique avant tout par la répartition inégale desrichesses. À Luanda, ce déséquilibre transparaîtsurtout dans le nombre impressionnant de luxueuxvéhicules tout terrain. Le fossé entre riches etpauvres ne cesse de se creuser.Seule une petite élite profite directement despétrodollars.C’est dans le bureau du président JoséEduardo dos Santos que se décide l’utilisation decet argent, comme d’ailleurs tout ce qui concernela politique en général. Faute de transparence, iln’existe aucun contrôle sur les revenus pétroliers.Et les personnes appartenant au petit cercle desprivilégiés n’ont aucun intérêt à ce que la situa-tion change.Selon les analyses de la Banque mondiale, le pé-trole a rapporté 17,8 milliards de dollars entre 1997et 2002. Sur ce total, 4,2 milliards se sont «perdus»,c’est-à-dire qu’ils ont été détournés vers des comp-tes privés. Au printemps 2003, le cabinet d’ana-lystes «The Economist Intelligence Unit» a indiquéque 59 personnes en Angola se partageaient unefortune de 3,95 milliards de dollars. En comparai-son, le produit intérieur brut, que les 13 millionsd’habitants contribuent à créer, a atteint 10,2 mil-liards de dollars en 2002. La volonté d’enrichisse-ment personnel n’a donc pas disparu ; seules lesméthodes de corruption et la dissimulation se sontperfectionnées.C’est surtout en raison du manquede transparence que les États occidentaux et laBanque mondiale hésitent à accorder des créditspour reconstruire le pays.Le gouvernement ango-lais prend les choses avec flegme: un crédit de 2,3milliards, accordé par la puissance économiquechinoise, vient de lui donner raison et de renfor-cer sa position dans les négociations avec les dona-teurs occidentaux.

L’espoir des élections de 2006La majorité de la population est bien trop absor-bée par la survie au quotidien pour pouvoir sepréoccuper de ces questions et réclamer une plusjuste répartition des biens. Les traces de la guerresont encore très présentes.Et il faut du temps pourmettre en place les structures d’une société civile.De plus, la radio et la télévision d’État reflètentune autre réalité politique. Certes, les dispositionsrépressives qui jugulaient la liberté d’expression en Angola ont été quelque peu assouplies. Mais on refuse toujours à la station catholique RadioEcclesia, captée seulement à Luanda, le droitd’émettre sur l’ensemble du pays. Cet émetteurtrès respecté est considéré comme un contre-poidsà la radio publique.Une telle politique est d’autant plus surprenanteque le parti gouvernemental MPLA est solide-ment installé à la tête de l’État, ce qui a sans nuldoute assuré au pays une certaine stabilité au coursdes dix dernières années. L’opposition associée aupouvoir – l’Unita, qui est désormais un parti poli-tique – est affaiblie par des querelles intestines etl’arrogance de ses représentants dans les zonesrurales n’a d’égale que leur ignorance.Il est peu probable que les élections parlementairesde 2006 modifient les rapports de force, sanscompter que le MPLA compte consacrer 320 mil-lions de dollars à la campagne électorale. Le scru-tin pourrait néanmoins provoquer quelques re-mous dans cet État qui n’est pas « défaillant »,contrairement à d’autres pays africains ravagés parune guerre civile. ■

(De l’allemand)

* Peter Baumgartner a été correspondant du «Tages-Anzeiger» en Afrique de 1994 à 2004. Il est aujour-d’hui journaliste à Nairobi, au Kenya.

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(bf ) La division Aide humanitaire et Corps suissed’aide humanitaire (CSA) de la DDC est à l’œu-vre en Angola depuis 1995.Au début, ses activitésse sont concentrées sur la réhabilitation du réseaude transports et la reconstruction de ponts néces-saires à l’agriculture et au petit commerce.À l’épo-que, le bureau de coopération à Luanda et lebureau technique de Huambo réalisaient eux-mêmes des programmes et des projets, parallèle-ment à l’aide fournie par le biais d’agences onu-siennes, d’organisations non gouvernementalesinternationales et de partenaires locaux. Depuis lareprise du conflit et la réorientation du program-me en 1998, la DDC travaille exclusivement encollaboration avec des organisations partenaires.Doté d’un budget de 7,8 millions de francs en2004, son programme est principalement destinéà la région située autour de la ville de Huambo,sur le haut plateau. Il comprend aujourd’hui troisthèmes prioritaires :

Services sanitaires de base: Les efforts portentsur le renforcement des capacités de diagnosticmédical et l’amélioration des prestations dans ledomaine de la santé génésique. Ils visent à enrayerla propagation du sida.

Sécurité alimentaire : Le programme aide lesgroupes défavorisés à améliorer leur autosubsis-tance par l’agriculture. Il renforce les capacités descommunes afin qu’elles aient un meilleur accèsaux moyens de production nécessaires à l’aug-mentation de la productivité agricole.

Promotion de la paix et réconciliation na-tionale: Les activités visent à promouvoir la for-mation et la sensibilisation en faveur d’une résolu-tion pacifique du conflit. Des programmes favo-risent l’empowerment de la société civile. Ils sontmenés en collaboration avec la Division politiqueIV du Département fédéral des affaires étrangères.

Faits et chiffresNomRépublique d’Angola

CapitaleLuanda (env. 5 millionsd’habitants)

Superficie1,24 million km2

PopulationEnv. 13 millions d’habitants

Groupes ethniquesL’Angola compte environ 90 ethnies différentes, dontvoici les principales :Ovimbundus: 38% (hautplateau central)Kimbundus: 23% (Luandaet son arrière-pays) Bakongos: 13,5% (nord-ouest et enclave deCabinda)Lundas/Chokwés: 8% (est du pays)

LanguesLe portugais est la langueofficielle. Elle est couram-ment utilisée et coexisteavec de multiples dérivés de la langue bantoue.

Indicateurs sociauxMoins de 15 ans: 46%Espérance de vie : 37 ansMortalité infantile : 192‰Incidence du sida: 5,2%Analphabètes: 44% deshommes, 72% des femmes

ReligionsReligions indigènes: 47%Catholiques: 38%Protestants : 15%

Produits d’exportationPétrole et diamants.L’exportation des autresressources minières et desprincipaux produits agrico-les, tels que le coton, lesucre ou le café, a étéanéantie par la guerre civileet n’a pas encore été remisesur pied.

La Suisse et l’AngolaSanté, réconciliation, sécurité

Angola

Repères historiques

1482 Le navigateur portugais Diego Cao découvrela côte angolaise.1491 Les premiers marchands et missionnairesarrivent à la cour du manikongo Nzinga Nkuwu,qui règne sur le royaume du Kongo. Le manikon-go se convertit au christianisme.Jusqu’au 17e s. L’Angola connaît diverses formesd’organisation sociale, allant des royaumes du nordaux petites communautés villageoises qui caracté-risent la moitié sud du pays.Jusqu’au milieu du 19e s. L’Angola est le terrainde chasse des marchands d’esclaves portugais. Lescaptifs sont transportés par bateau vers le Brésil.1928 Le Portugal se lance dans l’exploitation éco-nomique de l’Angola. La population est contrain-te au travail forcé.1961-1974 Guérilla contre les colonisateurs por-tugais.1966 Scission entre l’Union nationale pour l’indé-pendance totale de l’Angola (Unita) et le Mouve-ment populaire de libération de l’Angola (MPLA),dominé par les citadins. L’Unita contrôle de largesportions du haut plateau, au centre du pays, négli-gé par les Portugais.1974 Révolution des Œillets au Portugal. Le nou-veau gouvernement renonce aux colonies.1975 Des divergences éclatent lors des négocia-tions sur la formation d’un gouvernement angolaiset débouchent sur des affrontements armés entreles mouvements de libération. Le 11 novembre,l’Angola accède officiellement à l’indépendance.

1975-2002 Guerre civile entre l’Unita et le gou-vernement contrôlé par le MPLA. D’obédiencemarxiste-léniniste, le MPLA reçoit l’appui del’URSS et de Cuba, tandis que l’Afrique du Sud etles États-Unis soutiennent l’Unita, tournée vers lecapitalisme.1991 Accord de paix entre le gouvernement etl’Unita.1992 Jonas Savimbi, dirigeant de l’Unita, ne re-connaît pas la victoire du MPLA aux élections. Laguerre civile reprend.1994 Le Protocole de Lusaka marque le débutd’une période relativement stable. L’Unita contrô-le la majeure partie des régions rurales de l’Angolaet finance son fonctionnement par l’exploitationdes diamants, tandis que le MPLA, toujours aupouvoir, se concentre sur les réserves de pétrole.1998 Pression internationale sur Savimbi. L’ONUimpose des sanctions visant à réduire le trafic des «diamants du sang» qui servent à financer les opé-rations militaires.Le pays sombre à nouveau dans laguerre.2002 Le 22 février, Jonas Savimbi est assassiné.L’Unita renonce à son statut de mouvement rebel-le pour devenir un parti politique. Le 2 mars, ellecommence à négocier un cessez-le-feu avec legouvernement. Un accord de paix est signé le 4avril à Luena. La guerre civile est terminée. Bilan:1,5 million de morts et 4,5 millions de réfugiés oupersonnes déplacées.

Namibie

Atlantique

Congo BrazzavilleEnclave deCabinda

Angola

Luanda

Botswana

R.D. Congo

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Isabel do Carmo PedroMarques est une étu-diante âgée de 24 ans. Elle suit des cours de droiten troisième année à l’Uni-versité Agostinho Neto deLuanda, la seule universitépublique d’Angola. Latranche d’âge des 18-30ans représente la majoritéde la population angolaise.Des milliers de jeunes fré-quentent encore l’univer-sité, de nombreux autresont déjà terminé leur for-mation. Tous caressent unmême rêve, presque im-possible, celui de trouverun premier emploi.

Des candidats jusqu’au bout de la rue

Angola

On peut dire beaucoup de choses sur la recherched’un premier emploi. Je voudrais être objectivedans cette contribution et vous raconter ce quim’est arrivé il y a deux semaines.Le Jornal de Angolaa fait paraître une annonce mettant au concoursdifférents postes dans une banque qui venait s’ins-taller dans le pays. Les candidats étaient invités àse présenter le vendredi à huit heures du matinpour passer un test d’admission. Cependant, l’an-nonce était formulée de manière très vague. Ellen’indiquait même pas quelles exigences étaientrequises ni quels documents il fallait fournir avecla postulation.

Vous ne devinerez jamais ce que j’ai découvert enarrivant sur place. Moi-même, je n’aurais jamaispu imaginer pareille scène : il n’était que 7 heures20, et déjà un énorme groupe de plus de 2000candidats se pressaient dans un local prévu pour500 personnes ; une immense file d’attente s’étaitformée, elle commençait devant la porte du bâti-ment où les tests devaient se dérouler et s’étendaitjusqu’au bout de la rue.

C’était une tragédie : les gens se battaient pourpouvoir entrer et passer le test psychotechnique;des policiers frappaient des jeunes ; il a même fallufaire intervenir la brigade canine pour tenter decontrôler la foule. Cependant, tous ces efforts ontété vains, car les personnes luttaient de toutesleurs forces pour qu’on leur donne la possibilitéde subir le test. Ceci, chers lecteurs, n’est pas un

conte. J’étais là, au milieu de la foule. Moi aussi,j’avais l’espoir de passer ce test et de trouver untravail.

Les offres d’emploi sont une véritable farce, caron ne sait jamais si les postes mis au concoursexistent réellement ou pas. Les conditions poséespar les entreprises, tant privées que publiques,sont les suivantes : licence universitaire, deux ansd’expérience professionnelle, maîtrise de l’anglaisécrit et parlé, des notes dont la moyenne annuel-le dépasse 14 points. Ceci est totalement absurdedans un pays où il n’existe qu’une universitépublique, où l’année académique commence enjanvier et finit en janvier de l’année suivante et oùl’évaluation ne porte pas sur ce que l’on sait, maissur qui l’on est. En effet, seuls les fils et les fillesdes familles au pouvoir obtiennent des placesdans les grandes entreprises, comme les compa-gnies du secteur pétrolier ou de l’industrie dudiamant.

Chers lecteurs, si je devais dire tout ce que j’ai dûendurer pour obtenir mon premier emploi, celaoccuperait la totalité de cette revue. Cela m’at-triste de décrire ainsi mon pays. Il est affligeant de voir autant de jeunes sans perspective de vie.Les uns sont déjà formés, les autres sont en coursde formation, mais rares sont ceux qui auront,comme moi, la chance de démontrer leur poten-tiel. Beaucoup de ces jeunes finissent par vendredes marchandises dans la rue. D’autres sombrentdans la délinquance, ce qui ne fait qu’amplifier laviolence régnant dans la capitale, Luanda.

Nous, les jeunes Angolais, ne demandons pas quel’on nous fasse des cadeaux. Nous voudrions sim-plement avoir la possibilité de participer à lareconstruction du pays, afin de pouvoir plus tardêtre fiers de notre travail.

Je vous quitte avec une phrase d’encouragementpour celles et ceux qui pourraient se trouver dansla même situation que mes concitoyens et moi :«Le plus important, c’est d’avoir le courage d’avan-cer et l’espoir de changer notre pays. » ■

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Un seul monde No3 / Septembre 2005 21

L’harmonisation occupe une place centrale dans ledébat sur la politique de développement.Mais querecouvre exactement ce terme?

Premièrement, l’harmonisation doit permettre demieux coordonner les différents acteurs et leursagendas dans le système international de la coopé-ration au développement. Elle constitue une né-cessité permanente, car les nombreux intervenants(organismes onusiens, institutions de développe-ment et de financement, partenaires bilatéraux,ONG, etc.) ne cessent d’évoluer dans un contextedynamique.Par exemple, les cadres et les collaborateurs chan-gent de poste, ou alors certains acteurs sont appe-lés à prendre en charge des domaines qui n’appar-tiennent pas à leurs activités principales. De plus,les acteurs sont en compétition pour accéder auxsources de financement, lesquelles exercent uneinfluence sur l’établissement de l’agenda. Com-ment s’étonner dès lors que la politique s’en mêle,avec ses intérêts cachés ou clairement affichés?L’harmonisation de la coopération internationalese fonde sur le dialogue, le partenariat et la conti-nuité. L’ajustement de la coordination reste undevoir permanent.

Deuxièmement, l’harmonisation porte aussi surles pratiques de mise en œuvre de l’aide bilatérale.Il s’agit de coordonner – par exemple entre laSuisse, les Pays-Bas, la Suède, la Norvège etl’Allemagne – la planification des activités dans lespays d’intervention. L’orientation des prestationsdoit s’inscrire dans les politiques nationales delutte contre la pauvreté.Les bailleurs de fonds doi-vent également harmoniser les contenus de l’aideet les approches.

En fait, cela devrait aller de soi. Pourtant, il reste

beaucoup à faire dans ce domaine: le dialogue nepeut fonctionner sur le terrain et dans les centralesque s’il existe une véritable volonté de le mener,si la plus-value à créer est manifeste et si les gou-vernements des pays en développement sont sur lamême longueur d’onde.

De leur côté, les pays donateurs doivent pour-suivre leurs efforts de décentralisation. La coordi-nation et l’harmonisation s’opèrent sur place, dansles pays d’intervention, entre des grands et despetits partenaires, qui tous souhaitent accéder auxforums et organes concernés. Ce point revêt uneimportance particulière pour la Suisse, qui n’a pasl’intention de faire cavalier seul et qui entendapporter une contribution active.Voilà pourquoila DDC et le seco s’attachent à appliquer ensem-ble les décisions prises au sein du Comité d’aideau développement de l’OCDE.

Même si les progrès ne sont pas faciles à réaliser, ilimporte de consentir davantage d’efforts interna-tionaux en matière d’harmonisation. ■

Walter FustDirecteur de la DDC

(De l’allemand)

Indispensable harmonisation

Opinion DDC

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Un seul monde No3 / Septembre 200522

( jls) Les armes se sont tues au Liberia depuis queCharles Taylor a été chassé du pouvoir en août2003. Quelque 15000 casques bleus préserventune paix fragile. Ce petit pays d’Afrique occiden-tale, dévasté par quatorze ans de guerre civile,s’efforce de reconstruire ses infrastructures et sesinstitutions. Des élections présidentielles et légis-latives, les premières depuis la fin de la guerre,sont prévues pour le 11 octobre prochain.Les émissions de Star Radio font une large placeà la préparation de ce scrutin. Elles aident lesélecteurs à comprendre les enjeux et à se forgerune opinion. La plupart des autres radios sontcontrôlées par l’un ou l’autre des partis en lice.«Star Radio répond à une réelle demande de lapart du public», relève Darcy Christen, de la Fon-dation Hirondelle (FH) à Lausanne. «Dans unepériode instable de transition, comme celle quetraverse actuellement le Liberia, la population aun besoin accru d’informations crédibles, équili-brées et non partisanes. » La radio reste le princi-

pal moyen de communication dans un pays où letaux d’illettrisme dépasse 70 pour cent.

Réduite au silence Au Liberia, le retour de Star Radio était trèsattendu. Durant ses premières années d’existence,de 1997 à 2000, cette station était devenue la pluspopulaire du pays. Bénéficiant du soutien de plu-sieurs pays occidentaux, dont la Suisse, elle pou-vait se permettre d’aborder des sujets jugés tabous,comme la corruption, la guerre ou le trafic dediamants. Les autres médias s’engouffraient alorsdans la brèche et traitaient à leur tour ces thèmessensibles.«Star Radio a été une source d’émulation dans lepaysage médiatique. Elle a contribué à améliorerla qualité générale de la presse libérienne», se sou-vient Darcy Christen. Mais l’information objec-tive et critique de Star Radio avait le don d’irri-ter le président Taylor.Après diverses tracasseries,l’ancien seigneur de guerre a fini par ordonner en

Deuxième vie pour une étoile Fo

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Muselée pendant plusieurs années, Star Radio a pu reprendreses émissions en mai dernier au Liberia. Seule station indé-pendante du pays, elle fournit des informations complètes etimpartiales en vue des élections générales de cet automne. Elleest soutenue par la fondation suisse Hirondelle, spécialiséedans la création de médias en zones de crise.

Radio Ndeke LukaQuand les casques bleusde l’ONU ont quitté laRépublique centrafricaineen 2000, leur radio a étéreprise par la FondationHirondelle sous le nom deNdeke Luka, « l’oiseau debon augure». Dans ce paysoù de multiples crises poli-tico-militaires ont grave-ment affecté la populationcivile, Radio Ndeke Luka seconcentre sur des thèmestels que le développement,la sécurité, la gouvernance,le maintien de la paix et le respect des droits del’homme. La station émet24 heures sur 24 en modu-lation de fréquence vers lacapitale Bangui. Elle diffuseun programme quotidiend’une heure en ondescourtes, qui couvre l’en-semble du territoire.

Agence HirondelleDepuis 1996, l’Agenced’information, de docu-mentation et de formation(AIDF) suit les travaux duTribunal pénal internationalpour le Rwanda, à Arusha,en Tanzanie. À l’origine, sesdépêches étaient destinéesà Radio Agatashya.Lorsque cette station a étéfermée, « l’agence Hiron-delle» a élargi ses activités.Aujourd’hui, elle livre desinformations en français,anglais et swahili à diffé-rents médias locaux et in-ternationaux. Composéede huit journalistes africainset d’un chef de projetfrançais, l’AIDF est le seulmédia à couvrir quotidien-nement les audiences dece tribunal.

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Un seul monde No3 / Septembre 2005 23

Radio Okapi Lancée en 2002, RadioOkapi a pour mission d’ac-compagner le processusde paix et de soutenir laréunification nationale enRépublique démocratiquedu Congo (RDC), un paysravagé par six années deguerre civile. Elle est laseule radio dont les émis-sions peuvent être captéesdans toute la RDC, quicompte 56 millions d’habi-tants. Géré par la Fonda-tion Hirondelle en partena-riat avec la Mission desNations Unies au Congo,ce vaste réseau radiopho-nique comprend un studioà Kinshasa et huit stationsrégionales. C’est le projetle plus ambitieux que lafondation ait jamais mis sur pied. Une dizaine dejournalistes occidentauxappuient quelque 150collaborateurs locaux. Lesémissions sont diffusées enfrançais et dans les quatrelangues nationales (lingala,swahili, kikongo et tshiluba).

libérienne

Tribunal international pour le Rwanda. Elle offreégalement un appui technique à la radio-télévi-sion du Timor oriental. Ses projets sont financéspar la DDC et une dizaine d’autres bailleurs defonds institutionnels.La Fondation Hirondelle considère l’informationimpartiale comme un puissant instrument depaix, susceptible de favoriser la réconciliationnationale et la reconstruction. Ses médias respec-tent une stricte éthique journalistique, dont lesprincipes sont transmis aux collaborateurs par lechef de projet. «Ce cadre est toujours un journa-liste de haut niveau. Il gère la radio et représentela fondation auprès des autorités », précise Jean-Pierre Husi, directeur de la FH. «Dans plusieurssituations très tendues, la présence d’un respon-sable expatrié a évité de graves problèmes à nosmédias. » Très attachée au pluralisme de la presse, Hiron-delle veille à ne pas concurrencer les stations exis-tantes.Ainsi, elle s’interdit tout recours à la publi-cité, ajoute Jean-Pierre Husi. «Aussi longtempsque nos radios bénéficient de financements inter-nationaux, il serait déloyal de mordre dans legâteau publicitaire qui fait vivre les autres sta-tions. Notre présence ne doit en aucune manièreporter préjudice aux autres médias. » ■

mars 2000 la fermeture définitive de cet émet-teur, qui faisait par ailleurs concurrence aux radiosde son propre groupe de presse. L’interdiction n’aété levée qu’après le départ du dictateur, chassédu pouvoir en 2003.Le temps de réunir le financement nécessaire, laFondation Hirondelle a relancé son projet à la findu mois de mai dernier.Elle a pu réengager beau-coup de journalistes libériens qui faisaient partiede l’ancienne équipe. Star Radio est aujourd’huiencore la seule station à couvrir l’ensemble duterritoire national, émettant en modulation defréquence vers la capitale Monrovia et en ondescourtes vers les zones rurales plus éloignées. Lesbulletins d’information sont diffusés en 17 lan-gues locales, en anglo-libérien, en anglais et enfrançais.Un réseau de quinze correspondants couvre l’ac-tualité régionale. « Il est important que les pro-grammes donnent aux auditeurs une vision del’unité nationale», souligne Darcy Christen.Deuxexpatriés – un chef de projet et une administra-trice – apportent leur savoir-faire aux collabora-teurs locaux. Ils se retireront d’ici une année, lors-que le personnel libérien sera en mesure d’assurercomplètement le contrôle de la station.

La radio, instrument de paixLe redémarrage de Star Radio coïncide avec ledixième anniversaire de la Fondation Hirondelle.Celle-ci a été créée en 1995 pour soutenir RadioAgatashya, une station à vocation humanitaire quis’adressait aux populations de la région des GrandsLacs après le génocide rwandais. Par la suite, la FHa mis sur pied plusieurs autres émetteurs indé-pendants dans des pays en crise ou sortant d’uneguerre civile.Hormis Star Radio, elle réalise aujourd’hui troisprojets en Afrique: Radio Okapi en Républiquedémocratique du Congo, Radio Ndeke Luka enCentrafrique et une agence de presse auprès du

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Un seul monde No3 / Septembre 200524

(mr) Conduites trouées, filtres inefficaces, installa-tions rouillées, compteurs manquants, toits démo-lis : à la fin de la guerre du Kosovo, les installationsde traitement de l’eau et le réseau de distributionétaient complètement délabrés.Une grande partiede l’eau s’infiltrait dans le sol avant d’arriver dansles maisons raccordées. Le mécontentement a ra-pidement grandi au sein de la population. Aupoint que pratiquement plus personne n’acceptaitde payer les factures d’eau.Pour remédier à cette situation, la DDC et leSecrétariat d’État à l’économie (seco) ont lancédivers projets dans cinq communes situées au suddu Kosovo: Gnjilane/Gjilan, Kacanik,Vitina/Viti,Kosovska Kamenica et Urosevac/Ferizaj.La popu-lation de la région comprend de nombreux réfu-giés revenus de Suisse, mais aussi d’importantesminorités ethniques (Serbes, Roms et Ashkalis).Ces groupes ne bénéficiant que d’une liberté demouvement limitée, ce sont justement eux quiont besoin d’un approvisionnement en eau sûr etopérationnel.

« Il ne s’agissait pas seulement de réhabiliter lesinstallations, mais aussi de sensibiliser la popula-tion», explique Martin von Kaenel,mandaté par laDDC et le seco pour veiller à la réalisation du pro-jet. «Une campagne d’information a été organiséepour expliquer aux gens que seul le paiement ré-gulier des factures d’eau permettra de maintenirles installations en bon état. »Cela suppose toutefois que les autorités soient enmesure de facturer correctement la consomma-tion d’eau.Après avoir réparé les installations et lesconduites, on a donc installé des compteurs. Enoutre, le personnel administratif a dû apprendre àtenir une comptabilité sur un système informa-tique et à vérifier le paiement des factures. Enfin,la Mission intérimaire des Nations Unies auKosovo (MINUK) a décidé de regrouper les ins-tallations de traitement de l’eau au niveau régio-nal, afin qu’elles fournissent à la population desservices plus efficaces. ■

(De l’allemand)

Définir le statut du KosovoL’ONU doit fixer cette an-née encore le calendrierdes négociations sur lestatut final du Kosovo. Lamajorité de la populationalbanaise souhaite la créa-tion d’un État indépendant.Les troubles de mars 2004ont montré qu’une nou-velle escalade de la vio-lence risquerait de s’éten-dre à l’ensemble de larégion. La fondation d’unÉtat kosovar n’ira pas sansmal. Les structures héri-tées de l’ex-Yougoslavieont été démantelées. Cetteprovince n’a jamais connuni un modèle de sociétépluraliste ni un État de droitdémocratique. De plus,l’instauration d’une écono-mie de marché n’en estqu’à ses balbutiements etle Kosovo compte parmiles régions les plus pauvresd’Europe: environ 50% dela population vit en dessousdu seuil de pauvreté.

L’eau courante, enfin !

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Pendant des décennies, le réseau d’alimentation en eau duKosovo s’est trouvé dans un état déplorable. Six ans après lafin de la guerre, il est devenu normal pour les ménages koso-vars de voir couler de l’eau au robinet. Les travaux de réhabili-tation ont été réalisés avec l’aide de la DDC et du seco.

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Des femmes au premier plan (sfx) Nommée par le Conseil fé-déral à la tête de l’ambassade deSuisse au Bangladesh, DoraRapold a pris ses fonctions enjuin dernier. Jusqu’à récemment,elle était vice-directrice de laDDC et cheffe de la division des Ressources thématiques. Lanouvelle ambassadrice à Daccaest également coordinatrice desprogrammes de la DDC dans ce pays. Née en 1952 à Thalwil,Dora Rapold a étudié la socio-logie à Zurich, Munich etMexico, en mettant l’accent surles questions de développement.Ses études ont été couronnéespar un doctorat sur le dévelop-pement rural et le rôle de lafemme. Dora Rapold a d’abordtravaillé dans la recherche, puispour des organismes privés dedéveloppement et pour le HCR.Elle est entrée en 1989 à laDDC, où elle a dirigé dès 1992le service des organisations non

gouvernementales. Coordina-trice en Afrique du Sud de 1995à 1998, elle a mis sur pied leprogramme suisse d’aide à cepays. Puis elle a repris la direc-tion de la division des Servicessectoriels et, en 2000, celle de la division des Ressources thé-matiques.Pour lui succéder à la tête decette division, la DDC a nomméBeate E.Wilhelm. Née en 1965,celle-ci a étudié la géographie à l’Université de Stuttgart(Allemagne), sa ville natale, enprivilégiant la géographie éco-nomique et l’organisation duterritoire. En 1999, elle a obtenuson doctorat à l’Université deZurich avec une thèse consacréeau transfert de connaissances etde technologie.Après avoir tra-vaillé pour l’Institut Frauenhoferd’économie et d’organisation dutravail et l’Institut Frauenhoferde la fabrication et de l’automa-tion à Stuttgart, elle a été cheffe

de projet à l’Université de Saint-Gall. En 2001, Beate Wilhelmest entrée chez z-link, à Zurich,une institution active dans le domaine du transfert deconnaissances et de technologie.En 2002, elle a repris la directionde cette interface entre l’écono-mie, l’administration et les hautesécoles.

Médiation suisse au Népal( jtm) Après avoir dirigé depuis2001 la section Prévention et transformation des conflits àla DDC, Günther Bächler seconsacre désormais à une nou-velle tâche. Depuis le 1er mai, ilest conseiller spécial pour la pro-motion de la paix au Népal, unmandat qui lui a été confié parla Division politique IV duDFAE. Sa mission, qui devraitdurer deux ans, vise à créer desconditions favorables à une réso-lution pacifique du conflit. Lacoopération suisse est active au

Népal depuis plus de quaranteans, principalement dans les régions de montagne extrême-ment pauvres. Une interminableguerre politique et sociale en-trave la lutte contre une pau-vreté largement répandue. C’estpourquoi la Confédération a décidé de compléter ses autresprogrammes en s’engageant da-vantage dans le domaine de latransformation de conflits. Lorsde sa réunion de cette année, laCommission des droits del’homme de l’ONU a adoptéune résolution, présentée par la Suisse, sur la situation desdroits de l’homme au Népal.Et le gouvernement népalais aaccepté que l’ONU déploie desobservateurs sur place. La Suisseentend profiter de cet élan né à Genève pour travailler avecd’autres États intéressés à la réso-lution du conflit armé au Népal.

DDC interne

(bf ) L’abréviation CSLP correspond à Cadre stratégique delutte contre la pauvreté. Ce concept a été mis au point par laBanque mondiale et le Fonds monétaire international qui l’ontprésenté en 1999,notamment en vue de réaliser les Objectifs duMillénaire pour le développement (OMD) fixés par les NationsUnies. Les CSLP sont propres aux pays concernés. Ils se basentsur le principe suivant : les pays pauvres élaborent eux-mêmesdes stratégies dans le but de développer leur économie et de lut-ter contre la pauvreté, et ils se chargent de les mettre en œuvre;de leur côté, les pays donateurs soutiennent ce processus. LesCSLP sont élaborés de manière participative sous la responsabi-lité du gouvernement national. Cela signifie que l’ensemble de la société civile – partis, parlements, syndicats, associationspatronales, organisations non gouvernementales,Églises, coopé-ratives et communautés de base – participe à leur élaboration età leur mise en œuvre. Les CSLP comprennent des aspects éco-nomiques, financiers et sociaux. Ils analysent la pauvreté et lesmoyens de l’atténuer.La Suisse s’engage en faveur de ces stratégies, qui constituent unmécanisme essentiel au service des pays concernés et de la com-munauté internationale pour harmoniser et rendre plus effi-caces les efforts de développement. Elle les considère commedes documents majeurs pour l’orientation de la coopérationinternationale vers deux objectifs : réduire la pauvreté et attein-dre les OMD. C’est pourquoi elle soutient activement les CSLP

Au fait, qu’est-ce qu’un CSLP?

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Un seul monde No3 / Septembre 2005

dans les pays avec lesquels elle coopère.Compte tenu de ses res-sources limitées, la DDC doit cependant rester sélective. Elleappuie en particulier les efforts qui tendent vers un ancragelarge et démocratique au sein de la population, qui renforcentla participation des parlements, de la société civile et du secteurprivé, et qui permettent aux couches les plus pauvres de faireentendre leur voix dans la discussion des processus de dévelop-pement.

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Un seul monde No3 / Septembre 200526

propriétaires d’acheter le matériel nécessaire et definancer les travaux. Il est versé en plusieurs tran-ches, liées aux différentes étapes de la construc-tion qui ont été convenues. Au besoin, les villa-geois peuvent faire appel à l’aide de profes-sionnels du bâtiment.En cas de catastrophe ou de conflit, la commu-nauté internationale fournit généralement uneaide humanitaire traditionnelle. Elle acheminedès que possible des secours sur place et aménagedes abris provisoires. Cette aide est indispensable.Toutefois, il est souvent apparu que des verse-ments directs bien ciblés complétaient de maniè-re optimale l’aide conventionnelle.Malgré les bonnes expériences déjà réunies, lesprojets cash restent controversés. Depuis 1999, la

Six mois environ après le terrible séisme qui adévasté l’Asie du Sud, la reconstruction bat sonplein dans toute la région. C’est aussi le cas au SriLanka, où les villageois des régions de Matara,dans le sud de l’île, et de Trincomalee, dans l’est,ont entrepris de reconstruire eux-mêmes leursmaisons. Les bâtiments qui renaissent ne sont nistandardisés ni préfabriqués. Les victimes du tsu-nami peuvent en effet décider à quoi ressemble-ront leurs habitations. Et ils les bâtissent avec l’ai-de d’autres villageois sinistrés.Ces travaux individuels correspondent aux be-soins réels des victimes. Ils sont financés par descontributions en espèces, qui sont octroyées dansle cadre d’un projet cash destiné à soutenir lareconstruction des maisons. L’argent permet aux

Une aide sonnante et trébuchante

L’aide humanitaire sous forme de contributions financièresreste rare et suscite encore des controverses. Pourtant, la di-vision Aide humanitaire de la DDC a fait jusqu’ici de bonnesexpériences avec ce qu’elle appelle des «projets cash», com-me ceux qui ont été réalisés par exemple en Asie du Sud aprèsle tsunami. De Maria Roselli.

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Qu’est-ce qu’un projet cash?Au lieu d’une aide humani-taire classique, qui prend laforme de vivres et de pres-tations en nature, les béné-ficiaires reçoivent des ver-sements en espèces pourcouvrir leurs besoins lesplus urgents. Les projetscash correspondent néan-moins à des besoins et àdes situations spécifiques. Cash pour la reconstruc-tion d’habitations privées :les personnes dont la mai-son a été détruite reçoiventde l’argent pour la recons-truire.Cash pour les famillesd’accueil : les familles quirecueillent des réfugiés oudes personnes déplacéesbénéficient d’un soutien financier. Cash pour les victimes decatastrophes naturelles :les personnes sinistrées,qui ont perdu leur maisonou leurs moyens de subsis-tance, reçoivent un péculequi les aide à reprendreleur avenir en main.Cash pour les plus vulné-rables : l’argent versé per-met aux personnes défavo-risées de couvrir leursbesoins essentiels (vivres,médicaments, bétail).

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tés locales qui ont pris en main l’enregistrementdes bénéficiaires. Selon les critères retenus, seulesétaient admises les personnes dont la maison avaitété détruite ou endommagée par le tsunami.En outre, leur habitation devait se situer à unemplacement où il est possible de la reconstruireconformément à la nouvelle loi en vigueur, soit à100 mètres au moins de la plage. Les habitants neremplissant pas ces conditions étaient exclus duprojet. Les bénéficiaires ont reçu une somme de2500 dollars si leur maison avait été complète-ment détruite ou 1000 dollars si elle avait été dé-truite jusqu’à 40 pour cent.Les autorités ont établi la liste des bénéficiaires surla base de ces critères. Les collaborateurs de laDDC ont ensuite procédé à des contrôles aléa-toires. Par ailleurs, la liste a été affichée dans lesvillages afin de garantir un contrôle social. «Tous leshabitants ont pu la consulter, mais cela n’a suscitépratiquement aucune réclamation. Au contraire,le projet a été très bien accepté», constate ReneKüng, coordinateur de l’Aide humanitaire de laDDC au Sri Lanka.

Renforcement de l’esprit communautaireLa DDC a déjà fait de bonnes expériences avecses programmes cash dans les Balkans, dans lenord et le sud du Caucase, en Moldavie et enMongolie. Le recours à des contributions finan-cières se justifie pour différentes raisons : la pre-

DDC a réalisé 15 projets de ce type et entend lesmultiplier à l’avenir. «Même si de nombreux pré-jugés subsistent au niveau international, noussommes totalement convaincus que cette formed’aide est efficace », déclare Mathias Rickli, res-ponsable des projets cash à la DDC.

Des listes précises pour éviter les abusCertains expriment leur scepticisme. Ils craignentsurtout que l’aide financière n’engendre des abus,bien que la fourniture de marchandises coûtebeaucoup plus cher et que la distribution échap-pe souvent à tout contrôle. Ils argumentent queles produits font défaut sur les marchés locaux etque les bénéficiaires ne sont pas en mesure d’uti-liser judicieusement une contribution en argentliquide. À leurs yeux, la remise d’argent pose enoutre des problèmes de sécurité.Mathias Rickli rejette ces arguments : «Selon lesexpériences réunies dans le cadre de nos projets,le risque d’abus n’est pas plus grand avec des ver-sements en liquide qu’avec la distribution demarchandises.Au contraire ! » Pour éviter les abusdans la mesure du possible, il importe de sélec-tionner et d’enregistrer les bénéficiaires avec leplus grand soin. Ceux-ci doivent remplir des cri-tères très précis. Un tel projet ne sera perçu demanière positive que si les personnes concernéesle jugent équitable et transparent. Dans le cas desactivités menées au Sri Lanka, ce sont les autori-

Un seul monde No3 / Septembre 2005 27

Conditions préalablesUn projet cash ne peutêtre mis en œuvre sansque quatre conditions fon-damentales aient été rem-plies. Premièrement, legouvernement local et sonadministration doivent êtreprêts à coopérer avec leprojet. Deuxièmement,l’enregistrement des béné-ficiaires doit être assuré.Cela n’est possible que sila situation politique eststable et si la sécurité descollaborateurs locaux etexpatriés est garantie.Troisième condition: il estindispensable que les bé-néficiaires puissent êtreidentifiés sans la moindreambiguïté (pièces d’iden-tité officielles). Enfin, il fautun système bancaire oupostal qui fonctionne bienau niveau local, faute dequoi les versements nepourront pas être assurés.

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mière d’entre elles est le faible coût administratifet la possibilité de mettre en œuvre un projetrapidement. De plus, les frais de transaction sontfaibles en comparaison avec la livraison de se-cours, car il n’y a aucun coût de transport ou destockage dans des entrepôts.D’autres facteurs plaident pour les versementsciblés d’argent liquide.Dans les régions de Mataraet de Trincomalee, les villageois concernés ontpar exemple participé dès le début à la planifica-tion et à la reconstruction des maisons. Cela les aaidés à surmonter leur statut de victimes et àprendre leur destin en main.Par ailleurs, le projet a tenu compte de la solida-rité traditionnelle entre les villageois et s’estemployé à la promouvoir. Les membres de lacommunauté reconstruisent leurs maisons ens’aidant les uns les autres. Pour assurer que lesmaisons de tous les bénéficiaires puissent êtrebâties, les paiements sont effectués en quatre tran-ches. La première, qui a déjà été versée, devaitfinancer les fondations. Le deuxième versementn’aura lieu que lorsque tous les bénéficiairesauront achevé la première étape des travaux. «Decette manière, on vient aussi en aide aux femmesseules et aux personnes qui n’ont aucune notiondu bâtiment», explique Rene Küng.

Les familles d’accueil, un soutien sanspareil«Aux côtés des personnes directement frappéespar une catastrophe, d’autres sont touchées indi-rectement : les familles ou les individus qui offrentspontanément un gîte aux victimes. La DDC estpersuadée qu’une aide ciblée à ces hôtes impro-

visés peut stabiliser les mouvements de popula-tion dans une région en crise», explique HannesHerrmann, responsable d’un projet de la DDC àBanda Aceh (Indonésie). Ce projet offre un sou-tien aux familles qui ont recueilli sous leur toit lesvictimes du tsunami.Un protocole d’accord a été signé entre la DDCet le gouvernement indonésien pour la mise enœuvre du projet. À la suite du raz-de-marée, lesfrais de logement, de nourriture, d’électricité, dechauffage et d’eau ont représenté une lourdecharge pour des budgets familiaux le plus souventmodestes. Ils ont largement dépassé les possibili-tés de l’hospitalité traditionnelle, au demeurantfort généreuse. Cependant, si tout le monde s’ac-cordait à reconnaître l’effort des familles d’ac-cueil, ni les autorités nationales ni les organisa-tions humanitaires ne l’avaient jusqu’ici récom-pensé à sa juste valeur.«Le projet cash réalisé par la Suisse a donné unsigne positif », se réjouit Mathias Rickli. En Indo-nésie, il a en effet permis de soutenir quelque7500 familles qui avaient recueilli des victimes dutsunami. Grâce à lui, 40000 à 50000 personnessinistrées ont ainsi pu vivre dans un cadre familialplutôt que dans un camp, ce qui facilitera leurretour à la «vie normale». ■

(De l’allemand)

La preuve par leschiffresEntre 1999 et 2004, l’Aidehumanitaire de la DDC aconsacré environ 24 mil-lions de francs à diversprojets cash. Au total, 360000 personnes en ontbénéficié. Un soutien finan-cier a été accordé à quel-que 57000 familles ayantrecueilli des réfugiés ou despersonnes déplacées, àenviron 8000 personnestouchées par une catastro-phe naturelle et à 15000personnes socialementdéfavorisées. Cette aide aconsidérablement facilitéleur réhabilitation sociale.

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Les causes de l’émigration sontdiverses : les guerres, les dictatu-res, la corruption ou l’exploita-tion érigées en institution,la détérioration des termes del’échange, le mépris.L’émigration est une décisiondouloureuse. La personne quiémigre se trouve au bout du dé-sespoir, au bout de la raison, aubout de la vie. Quand une per-sonne quitte son milieu, elle setrouve dans un état second. Sonpays est saccagé par des diri-geants et des gens sans scrupules,avec la complicité des gouver-nements du Nord. Ces derniers,qui s’insurgent contre l’immi-gration, devraient réfléchir aulieu de se barricader. Leursfrontières seront défoncéesd’une manière ou d’une autre.La horde qui avance du Sudvers le Nord, de l’Est versl’Ouest, est poussée par uneforce terrible. L’imagination de ces desperados est si aiguiséequ’elle contrecarrera toute poli-tique pure et dure en matièred’immigration.

Quand les pays du Nord sou-tiennent les dictatures, entre-tiennent des économies deguerre, arment les uns et les autres, continuent de sucer lesressources de la planète, mépri-sent les règles de justice et demorale dont pourtant ils se targuent. Quand des pays ditsdéveloppés, même au-dessus detout soupçon, accueillent dans

les coffres de leurs banques lesbiens qui appartiennent auxpeuples, des biens détournés pardes dirigeants et des individuscorrompus, cupides et stupides.Quand un enfant d’un paysproducteur de cacao ne mangepas de chocolat. Quand les fem-mes de la Sierra Leone et duLiberia ne portent pas de dia-mants. Quand un Congolais de la RDC, dont le pays peutnourrir et étancher la soif detout le continent, en arrive àmanger des semelles bouilliesou fouille dans les poubelles descoopérants, des ambassades etautres expatriés à la recherched’une feuille de salade flétrie ou d’une couenne de jambon.Quand des peuples entiers sontréduits à la misère et à l’errance.Quand les sous-sols de leurspays servent de décharges auxdéchets nucléaires. Que peuventfaire ces peuples ?

Les pays dits développés doiventvoir dans l’immigration lesméfaits de leur indifférence, lesconséquences de leurs relationsavec le reste du monde, où vivent aussi des êtres humains.Pour l’instant, ils la perçoiventcomme l’afflux d’innombrables«étrangers » venus «manger leurpain» et «dépuceler » leurs fillesqui ne l’étaient plus. Les paysdits développés doivent revoirleur approche. Cela implique la régularisation des personnesdéjà immigrées, qui paieront

alors des taxes et des impôts.D’autre part, les pays du Nordpeuvent contribuer à fixer ceuxqui ne sont pas encore partis,notamment en cessant l’exploi-tation éhontée de leurs pays eten reconsidérant la politiqued’aide au développement.

Les pays du Nord se sont enri-chis, et ils continuent de le faire,avec les ressources humaines etnaturelles des pays d’origine deces immigrés.Tous, sans excep-tion. Les conférences de Berlinen 1885 et de Yalta en 1945n’auraient pas dû décider le dé-coupage du gâteau colonial oule partage du monde entre vain-queurs, mais plutôt la restitutionde leur dignité humaine à tousles peuples de la Terre. Si l’onn’y prend garde, l’immigrationne sera qu’une étape dans unedynamique irréversible quimenacera la sérénité indécentedes vautours et des charognardsrepus. Et puis, nous sommestous des étrangers, tous des im-migrés. Que celui qui ne l’estpas jette la première pierre surun immigré ! ■

Qui émigre?Carte blanche

Ken Bugul, de son vrai nomMariètou Mbaye Biléoma, estune écrivaine sénégalaise néeen 1947. En langue wolof, son pseudonyme signifie «Personne n’en veut». Elle a étudié au Sénégal et enBelgique. Depuis vingt ans,elle vit avec sa famille à PortoNovo, au Bénin. Son dernierroman Rue Félix-Faure estparu ce printemps aux édi-tions Hoëbeke. Cinq autresouvrages l’avaient précédé:Le baobab fou (NouvellesÉditions africaines, 1982),Cendres et braises (L’Har-mattan, 1994), Riwan ou lechemin de sable (Présenceafricaine, 1999), La folie et lamort (Présence africaine,2000) et De l’autre côté du regard (Le Serpent à plumes,2003). Ken Bugul a reçu en1999 le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire. À côté deson métier de romancière, elleanime des ateliers d’écriturepour des gens de milieux dé-favorisés, elle est active dansle commerce d’objets d’art etd’œuvres culturelles, et elle atravaillé durant dix ans pourune organisation internationale de développement.

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qu’avant, car le pouvoir d’achata augmenté dans quelquesgroupes sociaux. L’aumône estl’un des piliers de l’islam, reli-gion majoritaire au Sénégal. Lescroyances traditionnelles, ellesaussi, érigent la charité en de-voir. À l’aumône spontanées’ajoutent les dons prescrits par

le marabout. Les gens pensentque celui-ci peut changer lecours de leur destin grâce à sascience occulte. Ils vont le voirs’ils sont au chômage, si leurménage ne marche pas, etc. Lemarabout leur enjoint générale-ment de faire la charité afin defaciliter le travail mystique.

Un seul monde: Dans votredeuxième roman La Grèvedes bàttu, paru en 1979, vousmontriez l’utilité sociale desmendiants dans un pays oùl’on fait l’aumône dans l’es-poir d’influencer son destin.La situation est-elle diffé-rente aujourd’hui?

Aminata Sow Fall : La mendi-cité a empiré, surtout à cause de l’exode rural. À l’époque, lesgens mendiaient par nécessité.Maintenant, ils le font souventpar facilité, au lieu d’aller cher-cher du travail. Quant à ceuxqui font l’aumône, ils se mon-trent parfois plus généreux

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Pionnière de la littérature africaine francophone, Aminata Sow Fall observe de-puis trente ans les mœurs et le fonctionnement de la société sénégalaise. Sesromans, traduits en quinze langues, abordent avec humour et finesse desthèmes tels que le système des castes, la mendicité, la migration ou les nou-veaux riches. Entretien avec Jane-Lise Schneeberger.

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«La tradition n’est jamais figée»

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Le phénomène de la mendicitéenfantine s’est également ampli-fié. Jadis, le maître de l’école coranique enseignait l’humilitéà ses élèves, les talibés, en les envoyant mendier des restes denourriture. Cette tradition a ététotalement dévoyée.Aujour-d’hui, de prétendus maraboutsexploitent de très jeunes enfantsqui doivent leur rapporter cha-que jour une certaine sommed’argent.

Les traditions sont très pré-sentes dans vos livres. Quesont-elles pour vous? Unpatrimoine à préserver ouune entrave au progrès?Les traditions constituent notreculture originale. Ce sont deshabitudes, des gestes qui ont été

élaborés au fil des siècles. La tradition n’est jamais figée, elleévolue avec l’histoire. On nepeut pas marcher à reculons.Au fur et à mesure que le tempspasse, de nouvelles donnéesnous amènent à réajuster noscertitudes. Cela dit, tout ce quiest culturel ne va pas nécessaire-ment dans le sens du progrès.Certaines traditions sont des entraves à la dignité humaine et se perpétuent le plus souventpar ignorance. C’est le cas del’excision. Sur la dizaine d’eth-nies que compte le Sénégal,seules quelques-unes la prati-quent. Ce n’est donc pas unerègle générale. Dans l’ethniewolof, à laquelle j’appartiens,l’excision n’existe pas. Il fautéduquer les femmes, pour

qu’elles prennent conscience deleurs droits et résistent à cettetradition néfaste.

Autre pratique discrimina-toire à l’égard des femmes,la polygamie est ancrée dansla loi au Sénégal. Êtes-vousfavorable à son abolition?Je suis opposée à la polygamie.Mais il ne sert à rien de légifé-rer pour l’abolir, car les genspasseront outre. Là encore, toutpeut se régler par l’éducation etla conviction. Si les femmes re-fusent d’entrer dans un ménagepolygame, cette pratique dispa-raîtra d’elle-même. Hélas, nousen sommes encore loin. Selon leCode de la famille, le futur maridoit choisir devant l’officierd’état civil entre la polygamie

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et la monogamie. Et le mariagen’est conclu que si la futureépouse donne son accord. Or,les statistiques montrent que lamajorité des couples se marientsous le régime de la polygamie.Cela signifie que les femmes ontcautionné cette option.

Un autre de vos ouvrages,Douceurs du bercail, dénonceles tracasseries subies par les Africains à leur arrivéeen Europe et prône l’amour de la terre natale.Désapprouvez-vous lesjeunes qui émigrent à la re-cherche d’une vie meilleure?L’émigration peut être un enri-chissement, une sorte d’initia-tion, à condition toutefois deconserver sa dignité et de ne pas

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être maltraité. Le pays d’immi-gration ne doit pas vous perce-voir comme un mendiant. Fuirest rarement une solution auxproblèmes économiques. Certes,les émigrants qui trouvent unemploi envoient de l’argent àleur famille. Mais c’est un cerclevicieux. Ils se privent de tout,ils vivent dans des conditionsmisérables. Cela ne dure pas.Je conseillerais aux jeunes de seréaliser d’abord dans leur proprepays, de créer la richesse ici.Plus tard, s’ils ont besoin d’émi-grer pour acquérir de nouvellesconnaissances, ils pourront par-tir en possédant déjà quelquechose. En outre, je crois quenous avons le devoir de contri-buer au développement de nospays.L’Association des femmes com-merçantes sénégalaises est un casexemplaire. Ces femmes sontparties de rien, elles vendaientdes cacahuètes au coin de larue. Puis elles ont tenu des étalssur les marchés et se sont misesà voyager en Afrique pour ache-ter des tissus.Aujourd’hui, ellesgagnent énormément d’argent.Leur association professionnelleest la plus puissante du pays.Et quand elles se rendent en

Europe ou en Asie, personne ne songe à les expulser ou à leur refuser un visa. Même si 40 pour cent d’entre elles sontillettrées.

La majorité de la populationn’a pas eu, comme elles, lachance d’échapper à la pau-vreté. De quoi l’Afrique a-t-elle besoin pour accélé-rer son développement?Ce qui nous manque, c’est ladiscipline, le sens de l’organisa-tion et la méthode. Nous de-vons croire dans nos possibilitéset avoir la volonté de nous ensortir par nous-mêmes. Les gou-vernements africains se sont trophabitués à l’aide internationale.Nous n’allons tout de même pasdevenir des assistés permanents.Les bénéficiaires de l’aide devraient fixer une échéance à partir de laquelle ils se dé-brouilleront seuls. Mais une tellevision doit être soutenue par lafierté nationale, une valeur quidemande encore à être cultivée.Cela me révolte par exempleque l’on organise des cérémo-nies officielles pour remercierles bailleurs de fonds, lesquelssont présentés comme des bien-faiteurs. L’aide n’est pas de la

charité. Nous remboursonsmême beaucoup plus que lessommes prêtées. Je suis peut-être idéaliste, mais je pense quechacun doit penser à ce qu’ilpeut apporter lui-même à sonpays.Au lieu d’avoir l’œil bra-qué sur le donateur.

C’est dans cet esprit quevous avez créé en 1989 àDakar le Centre d’anima-tion et d’échanges culturels(CAEC)?À l’époque, les organisations locales de développement sepréoccupaient uniquement dubien-être matériel de la popula-tion. Mais l’être humain ne vitpas que pour son ventre. Il a besoin de développer égalementsa conscience, sa pensée, sesrêves. La culture lui fournitcette nourriture spirituelle. L’artet la littérature forgent la tolé-rance, ils préservent les peuplesde l’obscurantisme et du fana-tisme.Voilà pourquoi j’ai lancéce projet, qui inclut un centrede débats, une librairie et lamaison d’édition Khoudia. Jel’ai fait par idéal, en sachantd’emblée qu’aucun des trois volets ne fonctionnerait commeune entreprise commerciale. Cesont mes droits d’auteur qui financent le CAEC. Par la suite,j’ai fondé à Saint-Louis uncentre international de rencon-tres et de conférences, qui seconstruit progressivement.Celui-là est appelé à être ren-table. Les rentrées financières seront investies dans de nou-veaux projets culturels. ■

Aminata Sow Fall est née en1941 à Saint-Louis, au Sénégal.Après avoir obtenu son bacca-lauréat, elle va étudier les lettresmodernes à la Sorbonne. De re-tour au pays, elle enseigne la lit-térature. Son premier roman, LeRevenant (1976), est également lepremier ouvrage de fiction publiépar une Africaine francophone. De1979 à 1988, elle est directricedes Lettres et de la Propriété in-tellectuelle au ministère de la cul-ture. Elle dirige également leCentre d’études des civilisations.En 1980, La Grève des bàttureçoit le Grand Prix littéraire del’Afrique noire. Quelques annéesplus tard, la romancière fonde leCentre d’animation et d’échangesculturels (CAEC) et le Bureau afri-cain pour la défense des libertésde l’écrivain, à Dakar, ainsi que leCentre international d’études, derecherches et de réactivation surla littérature, les arts et la culture(CIRLAC), à Saint-Louis. AminataSow Fall a également publiéL’Appel des arènes (1982),L’Ex-Père de la nation (1987),Le Jujubier du patriarche (1993),Douceurs du bercail (1998), Ungrain de vie et d’espérance (2002)et Festins de la détresse (2005).

Un livre équitableLe dernier roman d’Aminata SowFall, Festins de la détresse, inau-gure la collection « terres d’écritu-res», coéditée par neuf éditeursfrancophones, dont sept africains.La maison d’édition sénégalaiseKhoudia, fondée par l’écrivaine, etles Éditions d’en bas à Lausannefigurent parmi ce groupe d’édi-teurs indépendants qui ont décidéd’unir leurs forces pour publierdes textes littéraires et poétiques.Cette collection porte le label « le livre équitable» qui atteste uneédition solidaire et un prix acces-sible aux lecteurs des pays duSud. Selon une règle de péréqua-tion établie entre les coéditeurs,les maisons africaines supportentdes coûts de production et de diffusion moins élevés que cellesdu Nord. De ce fait, le prix devente peut être adapté au pouvoird’achat de chaque pays.

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L’Europe de l’Est au sud des Alpes( jtm) Cette année, le «FocusEurope de l’Est» se tiendra pour la première fois au Tessin.La conférence annuelle de lacoopération suisse avec l’Est,qui aura lieu le 11 novembre àl’Hôtel de la Paix à Lugano,sera centrée sur l’Ukraine. L’andernier, la population de ce paysa exigé des élections démocra-tiques, la transparence et undroit de consultation, autant devaleurs que toute une série deprojets de la DDC et du secovisent à promouvoir depuis desannées. La «révolution orange»ne fut-elle qu’une rocade poli-tique ou a-t-elle vraiment induitune évolution des mentalités?Quelle est aujourd’hui la situa-tion politique, économique etsociale de l’Ukraine? Voilà lesquestions auxquelles les hôtesukrainiens de la conférence etdes experts suisses tenterontd’apporter des réponses. La con-férence accueillera notammentYouri Androukhovitch, uneétoile montante de la littératureukrainienne dont les livres sontsalués par la critique (Mon Europeest paru en français aux éditionsNoir sur blanc). On attend aussile discours de la conseillèrefédérale Micheline Calmy-Rey.Étant donné que les participantsvivant au nord des Alpes ont unlong voyage à faire pour se ren-dre au Tessin, le programme selimite à une demi-journée (de13 à 18 heures). Une conférencedestinée aux étudiants aura lieuà l’Université de Lugano dans lamatinée.

Villes innovantes(glu) Plus de la moitié de la po-pulation mondiale vit dans desvilles. La société du 21e siècle estdonc confrontée au grand défid’assurer un développement ur-bain durable sur le plan écono-mique, écologique et social. Desexperts du monde entier se pen-

cheront sur cette problématiquedu 11 au 13 octobre à Genèvelors d’une manifestation inti-tulée S-DEV, abréviation corres-pondant à « sustainable develop-ment» (développement durable).Des représentants de l’écono-mie, de l’administration, des organisations non gouverne-mentales et de la recherche s’interrogeront sur la manière deconcevoir une urbanisation du-rable. Le programme comprendune conférence sur le thème «Villes innovantes au Nord et au Sud» ainsi qu’une expositionet divers ateliers. Des projetsconcrets seront présentés, no-tamment sur l’organisation destransports publics à Kuming(Chine) ou sur l’améliorationdes conditions de logement of-fertes aux personnes défavoriséesdans la ville serbe d’Uzice. Pourque les solutions à de tels pro-blèmes soient mises en évidence,cette plate-forme internationalesur le développement durableurbain se tiendra désormais chaque année.S-DEV, du 11 au 13 octobre,Palexpo, Genève. Informations :www.s-dev.org

Périple musical en Iran( jls) Les concerts de musiqueiranienne en Europe ne présen-tent généralement que la musi-que «classique» persane, jouéede préférence par des artistesbien connus. Le Festival Iran2005 a l’ambition de faire con-naître quelques-unes des richestraditions régionales de ce pays :la musique de guérison duBaloutchistan, l’art du luth duKhorassan, les bardes azéris et turkmènes, la musique du

Lorestan ou encore les chantsmystiques des Kurdes. Cette manifestation, soutenue par laDDC, se tient fin septembre àGenève puis dans d’autres villessuisses. Elle propose une sélec-tion d’artistes représentant lesgrandes écoles musicales régio-nales. Si certains d’entre euxjouissent déjà d’une réputationen dehors d’Iran, d’autres restentà découvrir. Le programme dufestival accorde également uneplace importante à la musiquesavante, qui prolonge la grandetradition du maqâm moyen-oriental apparu à Bagdad il y aplus de douze siècles.Festival Iran 2005,Théâtre del’Alhambra, Genève, du 22 septem-bre au 2 octobre ; les dates et leslieux des autres représentationsseront publiés dans la presse régionale

Appel aux esprits du vaudou(er) La musique vaudou d’Haïtiest surprenante pour nos oreilleshabituées aux charmes acous-tiques à la mode. Elle paraît peu accessible de prime abord et presque hypnotique tant elle est répétitive.Accompagnée dela crécelle, la voix forte du houngan (prêtre) appelle les loa(esprits) à pénétrer dans le corpsdes fidèles. S’enchaîne alors undialogue d’appels et de répartiesavec les voix tout aussi impres-sionnantes de la mambo(prêtresse) et des six membresdu chœur. Les quatre percus-sionnistes, exécutant des rythmesd’une complexité rare sur leursinstruments coniques, renforcentencore la densité spirituelle, lafusion entre rite et musique.Ces invocations acoustiques desesprits ont été enregistrées par la Société Absolument Guinin à Port-au-Prince.Avec ses expli-cations détaillées, l’album ouvrenos oreilles au culte vaudou et àsa culture qui a marqué le débutdu soulèvement des esclaves etl’évolution de la Consciencenoire.

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Divers artistes : «Spirits Of Life –Haitian Vodou» (Soul Jazz/RecRec)

Les amoureuxet le globe-trotter(er) Le dernier album d’Amadouet Mariam est de la pure afro-pop: accents mélodiques tradi-tionnels, modèles rythmiques etlignes vocales se rapprochent durock, du funk et du reggae.Des cascades bluesy à la guitareet une voix féminine grave etchaude s’accordent avec leséchantillonnages et les enregis-trements de bruits de rue, de crisd’enfants ou d’applaudissements.Les déclarations d’amour alter-nent avec des textes témoignantun engagement politique per-sonnel.Avec ses chansons à lafois simples et belles, « le coupleaveugle du Mali» a rencontré le musicien globe-trotter ManuChao. Ensemble, ils ont produitle CD Dimanche à Bamako.Résultat : l’histoire d’amour extraordinaire d’Amadou etMariam, couple à la villecomme à la scène depuis 25 ans,fait fureur dans toute l’Europe.Ce succès a quelque peu éclipséla sortie presque simultanée del’album Je pense à toi, qui reprendles plus belles chansons des trois

précédents disques réalisés par le duo malien. Le fait est que lesdeux CD méritent largementd’être écoutés. Ils proposent destonalités capables d’électriserl’auditeur et de susciter quelquesfrissons de plaisir.Amadou et Mariam: «Dimanche à Bamako» (Radio Bemba & AllOther/Warner Music) ;Amadou et Mariam: «Je pense à toi»(Universal Music France/UniversalMusic)

Bintou travaille, Abel boude (dg) Bintou vit avec son mariAbel et leurs deux enfants àOuagadougou, capitale duBurkina Faso. Un jour, une que-relle oppose les parents : Bintousouhaite envoyer leur fille Biba à l’école, mais son mari refuse depayer les frais d’écolage. Bintoudécide donc de gagner elle-même l’argent nécessaire. Grâce

à un petit crédit et à beaucoupde ténacité, elle réussit à mettresur pied un petit commerce demaltage du millet.Abel est pour-tant loin d’être enchanté par lanouvelle indépendance de safemme. Le film Bintou est unecomédie amusante qui abordedes sujets comme les rôles sociaux des hommes et des femmes, l’accès à l’éducation ou l’initiative individuelle. Lefilm a remporté plus de vingtrécompenses dans les festivals internationaux, notamment àMarrakech.Fanta Régina Nacro : «Bintou».Burkina Faso 2001. Moyen mé-trage de fiction, DVD, moré (v.o.),sous-titré français ou allemand,27 minutes, dès 14 ans.

Distribution, vente : Éducation etDéveloppement, tél. 021 612 00 81,[email protected] ;prix d'achat : 40 francs pour écoles et professeurs, 60 francs pour distribu-teurs (prêts externes). Informations :Service «Films pour un seul monde»,tél. 031 398 20 88,www.filmeeinewelt.ch

Mondialisation et justice(bf ) La première édition deGlobalisierung und Gerechtigkeit,qui évoque les causes et consé-quences de la mondialisation, estparue en 2001 sous la plume deRichard Gerster, spécialiste dudéveloppement. En 2002, elle areçu deux prix qui distinguentdes livres pouvant être utilisésdans les écoles : le prix PlanèteBleue de la fondation Éducationet développement et l’Ardoised’Or décernée par la sociétéJeunesse et Économie. Cet ou-vrage, accompagné d’un manueldestiné aux enseignants, vientd’être complètement remanié etmis à jour. Une nouvelle versionallemande est parue au prin-temps dernier et une traductionfrançaise est attendue pour septembre. Riche de 70 info-graphies, le livre présente demanière claire et concrète lesdifférents aspects de la mondiali-sation (de la croissance démo-graphique au désendettement et au tourisme, en passant parl’exode rural et les abus en ma-tière d’asile). L’auteur fournit desexemples venus du monde en-tier. Il décrit l’opposition entrepartisans et adversaires de lamondialisation. La liste des abréviations et le glossaire desprincipaux termes, qui figurent à la fin du livre, s’avèrent extrê-mement utiles.Richard Gerster : «Globalisierungund Gerechtigkeit». Éditions hep,Berne 2005. La version françaiseparaît en septembre aux ÉditionsLoisirs et pédagogie, à Lausanne.Elle est intitulée «Éthique et mon-dialisation?».

Bons amis(bf ) Né en 1966 dans le sud-ouest de la Tanzanie, John Kilakapeint depuis sa plus tendreenfance. À l’école, il s’attirait lesfoudres des enseignants car ildétournait l’attention des autresélèves en dessinant sur le tableaunoir, sans compter que sa passionfaisait fondre les maigres stocksde craies.Aujourd’hui, il peutvivre de son art et se voit mêmedécerner des prix internatio-naux: en avril dernier, la Foireinternationale du livre pourenfants de Bologne a décerné leprix «Nouveaux Horizons» àl’édition rwandaise d’un livred’images qui raconte l’histoirede deux amis, un rat et unéléphant.Voici comment le jurya expliqué son choix: «Les livresde John Kilaka éveillent dessentiments que l’on ne trouvepas dans les livres traditionnelspour enfants en Europe. Cetouvrage nous ramène à l’époqueoù des images artistiques –épargnées par les impératifs de la télévision – transmettaientencore les sagesses, les rêves etles visions d’une société.» Lelivre primé est paru simulta-nément en allemand sous le titreGute Freunde. Il est publié par le fonds Baobab pour la litté-rature enfantine, à Bâle. Le sitewww.baobabbooks.ch proposeun module d’enseignement, enallemand également, qui com-prend des suggestions d’approchedidactique, des fiches de travailainsi que des informations surl’auteur et la Tanzanie.John Kilaka: «Gute Freunde»,Éditions Baobab 2004

Noueuses de tapis(bf ) Plus connus chez nous sousle nom de «Gabbeh», les tapisnoués par les nomades occupentune place de choix dans la pro-duction iranienne de tapis.L’évolution de la société, avecses nouvelles exigences écono-miques et sociales, risque pour-

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Service

tant de réduire à néant une cul-ture accumulée au fil des siècles.En prenant l’exemple d’unejeune nomade, le livre Jayrandécrit le mode de vie et les va-leurs culturelles du nomadisme,à la fois avec réalisme et beau-coup de poésie. L’auteur de cetouvrage richement illustré estParviz Homayounpour, coordi-nateur en Iran du label STEPqui lutte pour des conditions detravail équitables dans la produc-tion et le commerce de tapis.Il explique avec sensibilité la viequotidienne des femmes, ainsique les traditions et l’art desnoueurs de tapis dans la régionde Fars, au sud de l’Iran.L’ouvrage est publié en éditionbilingue anglais/farsi. Ses textesont été traduits séparément enfrançais et en allemand.Parviz Homayounpour : «Jayran –tribal women & the chanteh», 2004.Prix: 58 francs. Le livre peut êtreobtenu auprès du label STEP, àBâle : [email protected], tél.061 271 77 66. Il est égalementdisponible dans quatorze points devente en Suisse, dont la liste figuresur le site www.label-step.org

L’Iran en bulles(bf/jls) Née en 1969, MarjaneSatrapi a grandi à Téhéran dansune famille d’intellectuels pro-gressistes. À l’âge de quatorzeans, ses parents l’ont envoyéepoursuivre ses études à Vienne.La jeune Iranienne, qui vit au-jourd’hui en France, est venue à la bande dessinée presque parhasard. C’est sur le conseil dudessinateur David B. qu’elle adécidé de recourir à ce moyend’expression pour raconter l’histoire de sa famille, son en-fance en Iran, l’exil solitaire enAutriche, puis le retour au pays.Résultat : une série de quatrevolumes, parus sous le titrePersepolis, qui constituent la première BD iranienne. Cetteimpressionnante chronique auto-biographique et politique s’estvendue en France à plusieursdizaines de milliers d’exemplai-res. En adoptant la perspectivede l’enfant qu’elle était à l’épo-que, Marjane Satrapi y décrit desévénements souvent traumati-

sants : la chute du chah, la guerrecontre l’Irak, les dérives de laRévolution islamique, les amiset les proches en prison, lesconditions de vie difficiles, lafuite à l’étranger. Persepolis aété primé à plusieurs reprises,notamment au Festival de labande dessinée d’Angoulême etau Salon du livre de Francfort.Marjane Satrapi : «Persepolis»,Éditions L’Association, 2001–2003

Portrait d’un continentmalmené( jls) Depuis 1989, le photogra-phe genevois Didier Ruef asillonné les régions les plusdévastées d’Afrique. Pendantune douzaine d’années, il aaccompagné les équipes deMédecins sans frontières surleurs terrains d’intervention:Ouganda, Rwanda, Burundi,Mozambique, Éthiopie, Soudan,Angola, Guinée, etc. Loin de seconcentrer sur les opérationshumanitaires, ses photos évoquentle désarroi des rescapés, les plaiesbéantes d’un continent marty-risé, les traces laissées par laguerre, la malnutrition et la ma-ladie. Mais elles expriment aussila force vitale de populations quine perdent pas espoir malgré laviolence de leur destin. Le pho-tographe a observé aussi bien lesjeux des enfants que les rites oules travaux quotidiens. «La leçonde ces photos, c’est donc l’éter-nelle leçon des sursauts des êtreshumains partout où ils affron-tent des épreuves majeures»,écrit dans sa préface l’historien

burkinabé Joseph Ki-Zerbo.Didier Ruef : «Afrique noire», 154photos noir-blanc. Éditions Infolio,2005

Féminisation de la migration( jls) Pendant longtemps, on a vudans la migration économiqueun phénomène essentiellementmasculin, les femmes apparais-sant comme les accompagnatri-ces «passives» d’un mari ou d’un père en quête d’emploi.Pourtant, les femmes constituentpresque la moitié de la popula-tion migrante dans le monde.Elles sont toujours plus nom-breuses à se déplacer de manièreautonome et non en tant quemembres d’une cellule familiale.La féminisation croissante de lamigration soulève différentesproblématiques qui ont été ana-lysées en janvier 2004 lors d’uncolloque international à Genève.L’Institut universitaire d’étudesdu développement (iuéd) a pu-blié début 2005 les actes de cecolloque. Les mêmes thèmessont approfondis dans un nou-veau numéro des Cahiers genreet développement.«Femmes en mouvement – Genre,migrations et nouvelle divisioninternationale du travail».Disponible gratuitement auprès del’iuéd:tél. 022 906 59 50,fax 022 906 59 53,[email protected]«Genre, nouvelle divisioninternationale du travail etmigrations», Cahiers genre etdéveloppement 5/2005, iuéd-efi,L’Harmattan

Impressum«Un seul monde» paraît quatre fois par année, en français, en allemand et en italien.

Editeur :Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéraldes affaires étrangères (DFAE)

Comité de rédaction :Harry Sivec (responsable) Catherine Vuffray (coordination globale) (vuc) Barbara Affolter (abb)Joachim Ahrens (ahj) Thomas Jenatsch (jtm)

Jean-Philippe Jutzi (juj)Antonella Simonetti (sia)Andreas Stauffer (sfx)Beat Felber (bf)

Rédaction:Beat Felber (bf–production)Gabriela Neuhaus (gn) Maria Roselli (mr)Jane-Lise Schneeberger (jls) Ernst Rieben (er)

Graphisme : Laurent Cocchi, Lausanne

Photolitho : Mermod SA, Lausanne

Impression : Vogt-Schild / Habegger AG,Soleure

Reproduction :Les articles peuvent être reproduits, avecmention de la source, à condition que la rédaction ait donné son accord. L’envoi d’unexemplaire à l’éditeur est souhaité.

Abonnements :Le magazine peut être obtenu gratuitement(en Suisse seulement) auprès de: DDC,Médias et communication, 3003 Berne,Tél. 031322 44 12Fax 031324 13 48E-mail : [email protected]

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Imprimé sur papier blanchi sans chlore pourprotéger l’environnement

Tirage total : 55500

Couverture: Jorgen Schytte / Still Pictures

ISSN 1661-1675

Page 36: Un seul monde 3/2005 - eda.admin.ch · à leur tour vendus, ... mie de marché a beau être d’une simplicité enfantine, son ... lants,comme c’est le cas au

Dans le prochain numéro:

La forêt, une ressource vitale: la gestion et la conservationdes forêts revêtent une importance croissante pour lespopulations défavorisées; en même temps, elles posent degrands défis et créent certaines tensions.

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