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Un seul monde N o 3 / SEPTEMBRE 2013 LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION www.ddc.admin.ch États fragiles Vivre dans la peur, la violence et la pauvreté – un reportage au Honduras Myanmar : après l’ouverture, la désillusion Aide humanitaire : le difficile accès aux victimes

Un seul monde 3/2013€¦ · 30 Les exclus du pastoralisme Carte blanche : l’Éthiopien Getachew Gebru explique pourquoi un nombre croissant d’éleveurs sont contraints de renoncer

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Un seul mondeNo3 / SEPTEMBRE 2013LE MAGAZINE DE LA DDCSUR LE DÉVELOPPEMENTET LA COOPÉRATIONwww.ddc.admin.ch

États fragilesVivre dans la peur, la violenceet la pauvreté – un reportageau Honduras Myanmar : après l’ouverture, la désillusion

Aide humanitaire : le difficileaccès aux victimes

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Un seul monde est édité par la Direction du développement et de la coopération (DDC), agence de coopération internationale intégrée au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Cette revue n’est cependant pas une publication officielle au sens strict. D’autres opinions y sont également exprimées. C’est pourquoi les articles ne reflètent pas obligatoirement le point de vue de la DDC et des autorités fédérales.

Un seul monde No 3 / Septembre 20132

3 Éditorial4 Périscope26 DDC interne33 Service35 Coup de cœur avec Sandro Lunin35 Impressum

D D C

F O R U M

ÉTATS FRAGILES6 L’école à l’abri des barbelés

La grande majorité des jeunes Honduriens n’ont pratiquement rien connu d’autreque la pauvreté, la peur, l’insécurité et l’absence de perspectives

11 «Beaucoup de gens se taisent parce qu’ils ont peur »Entretien avec la sociologue hondurienne Julieta Castellanos

13 Réformer la police pour enrayer la violenceDans les pays fragiles, la DDC et d’autres donateurs renforcent les institutions étatiques, afin d’améliorer les conditions de vie

17 Faits et chiffres

18 Transition douloureuse vers la démocratieAprès des décennies de dictature et de repli sur soi, le Myanmar s’ouvreau monde à une vitesse vertigineuse

21 Une journée sur le terrain avec… Peter Tschumi, directeur de coopération et ambassadeur suppléantde la Suisse à Yangon

22 Home Sweet Home Nwet Kay Khine parle des jeunes de son village, qui émigrent en Thaïlande

23 L’écologie enseignée aux petits MacédoniensUn projet de la DDC soutient l’éducation à l’environnement dans lesécoles de Macédoine

24 Des pistes vers le développement Dans l’est du Burkina Faso, la construction de pistes rurales améliorel’accès des habitants aux marchés et aux services de base

27 Dilemmes pour accéder aux victimes de conflitsDans les zones de guerre, les organisations humanitaires ont de plus en plusde difficultés à accéder aux victimes

30 Les exclus du pastoralisme Carte blanche : l’Éthiopien Getachew Gebru explique pourquoi un nombrecroissant d’éleveurs sont contraints de renoncer à ce métier dans son pays

31 « Il n’y a plus ni Hutus ni Tutsis au Rwanda» Entretien avec l’écrivaine rwandaise Scholastique Mukasonga

H O R I Z O N S

C U L T U R E

D O S S I E R

Sommaire

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Éditorial

Un seul monde No 3 / Septembre 2013 3

Un vent impitoyable balaie le petit village de l’HindouKouch. Au fond de la vallée, la boue et les pierres char-riées par les eaux ont tout recouvert. La crue de la ri-vière a détruit les rares terres fertiles. Bien que la neigetapisse encore les zones ombragées, les gens ne por-tent que de modestes sandales en cuir. Je me trouvedans la vallée de Swat, que l’armée pakistanaise a re-conquise aux talibans, maison après maison, il y aquelques années. Aujourd’hui encore, la région restepeu sûre.

Changement de décor : Ciudad Bolívar, dans la banlieuede Bogotá. Dans ces cabanes et autres logements de fortune vivent des gens venus des zones rurales.Fuyant le conflit entre la guérilla, les paramilitaires etl’armée, ils ont fini par arriver ici après plusieurs étapes.La plupart d’entre eux étaient de petits paysans. Raressont ceux à qui la capitale permettra de réaliser leurrêve, à savoir trouver nourriture et emploi. Je quittecette zone peu hospitalière avant la tombée de la nuit.Car, alors, les bandes armées en prennent le contrôle etni la police ni l’armée n’osent plus s’y aventurer.

À Port-au-Prince, l’air est chargé d’une lourde humiditétropicale. Circulant à moto ou poussant des carriolessur les routes démolies, les gens passent rapidementdevant des maisons effondrées. Ici, la terre a tremblé.Depuis l’avion, au moment d’atterrir dans la capitalehaïtienne, on voyait déjà les forêts déboisées, grandesbalafres dans un paysage malmené. Au bord de lachaussée, j’aperçois de longues files d’attente : lesCasques bleus de l’ONU distribuent de l’eau et de lanourriture. Tout à coup, une citation de Cicéron me vientà l’esprit : «Tout en restant silencieux, ils crient. »

Voilà les images de quelques contextes fragiles. Lesgens qui y vivent n’ont guère de liberté. La peur et lespénuries sont leur lot quotidien. Dans ces pays, la luttecontre la pauvreté piétine, alors qu’elle a fait de grandsprogrès au niveau mondial. L’État n’est plus en mesured’assumer ses tâches fondamentales. Les services de

base – éducation et soins médicaux, par exemple – fontle plus souvent défaut.

Ces prochaines années, la Suisse s’engagera davan-tage dans les pays fragiles. En plus de son aide huma-nitaire, elle réalisera des programmes permettantd’améliorer durablement les conditions de vie. C’est ceque le Conseil fédéral et le Parlement ont décidé enadoptant la stratégie 2013 –2016 de la coopération internationale. Les efforts ne seront pas déployés là où l’on peut escompter un succès rapide, mais là où la misère humaine est la plus criante.

La DDC a déjà obtenu de bons résultats lors d’inter-ventions dans de tels contextes. C’est d’ailleurs l’unedes raisons qui expliquent l’accroissement de son en-gagement. Notre action ne consistera pas à inonder cespays de projets, mais à soutenir les efforts locaux.L’objectif est de promouvoir leur autonomie. Dans cesconditions difficiles, une collaboration étroite avecd’autres donateurs et des organisations internationalesjoue un rôle d’autant plus important. Sur ce plan aussi,la DDC a fait beaucoup de chemin.

S’engager dans des contextes fragiles, c’est aussi ris-quer les revers et les échecs. Nous devrons en tirer lesleçons. Ces enseignements nous aideront à progresser– et, avec nous, les habitants de la vallée de Swat, deCiudad Bolívar et de Port-au-Prince.

Martin DahindenDirecteur de la DDC

(De l’allemand)

La conférence annuelle de la coopération internatio-nale, qui se tiendra le 27 septembre au Palais desCongrès de Lugano, portera sur le thème «Un mondefragile : les perspectives des jeunes ». Informations :www.ddc.admin.ch/ca_cd

Tout en restant silencieux, ils crientDDC

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Patricio Crooker/Archivolatino/laif

Vishwanath Srikantaiah

Un seul monde No 3 / Septembre 20134

Périscope

taire. » Une telle solution passebien entendu par le condition-nement des eaux usées, destiné à éliminer tout risque de conta-mination. Chaque année, un êtrehumain produit 500 litres d’urineet 50 kilos de matières fécales. À l’échelle de la populationmondiale, ces quantités pour-raient remplacer 40% des engraischimiques.www.irc.nl/page/72840

Moins d’enfants, plus de croissance(bf ) Bien des pays pauvresvoient leur développement entravé par la persistance d’uneforte croissance démographique.S’ils parviennent à réduire leurtaux de natalité, ils ont de gran-des chances d’enregistrer desprogrès socioéconomiques et derécolter ainsi le «dividende dé-mographique ». C’est le cas duBangladesh. Selon l’Institut berlinois pour la population etle développement, ce pays de150 millions d’habitants a pris à temps les bonnes décisions. Il ainvesti dans la formation, réalisédes programmes de planning fa-milial et encouragé l’intégrationdes femmes sur le marché dutravail. Résultat : les Bangladaisesont aujourd’hui en moyenne 2,4enfants, contre six il y a 25 ans.La part des actifs dans la popula-tion s’est accrue, tandis quecelles des personnes économi-quement dépendantes – enfants

Une année dédiée à la «graine d’or »( jls) Le quinoa se cultive depuis des millénaires dans lesAndes, à plus de 4000 mètres d’altitude, où il constituel’alimentation de base des populations indigènes. Depuisquelques années, il connaît un succès grandissant nonseulement en Amérique latine, mais également dans lespays du Nord. En hommage aux peuples qui ont su pré-server cette culture ancestrale, l’ONU a proclamé 2013«Année internationale du quinoa». Elle entend aussi promouvoir une céréale qui pourrait renforcer la sécurité alimentaire. Le quinoa possède en effet une haute valeurnutritive : il contient tous les acides aminés essentiels, desoligo-éléments et des vitamines. De surcroît, la «grained’or » des Andes s’adapte à des climats très variés, voirehostiles, et à des températures allant de -8 à 38 degrés.Elle supporte également la sécheresse et pousse donc facilement dans des zones semi-arides. L’ONU estime que cette résistance fait du quinoa une culture de choixpour la région du Sahel, où la malnutrition est endémique.www.fao.org/quinoa-2013

Internet à la portée des analphabètes(gn) Il sera bientôt possible, pourles personnes non alphabétiséeset n’ayant pas d’ordinateur, d’al-ler chercher toutes sortes derenseignements sur Internet.Voices, un programme à com-mande vocale, leur permettra denaviguer sur la Toile, et mêmede twitter, en se servant simple-ment de leur téléphone por-table. Il est actuellement à l’essaiau Mali, dans le cadre d’un sys-tème d’information pour lespaysans. Comparé à d’autres lo-giciels de diffusion d’informa-tions, basés sur l’envoi de SMS,Voices a l’avantage d’être acces-sible directement à tous les utili-sateurs, relève Mary Allen, direc-

trice de l’organisation malienneSahel Eco. Le défi consiste àcréer une base de données enlangue locale, car le moteur derecherche doit pouvoir saisir lesquestions posées oralement etoffrir des réponses appropriéessous forme de fichiers audio.www.mvoices.eu

Les entreprises ghanéennesbientôt à sec(bf ) Ce n’est plus l’Asie, maisl’Afrique, qui est la locomotivede l’économie mondiale. Sur lecontinent noir, 350 millions depersonnes appartiennent déjà àla classe moyenne. Cependant, lemanque d’eau potable, qui tou-che surtout les régions urbaines,freine la croissance. Les investis-

sements consacrés à l’adductiond’eau exercent une influenceénorme sur les résultats de l’éco-nomie africaine, car nombred’entreprises ont besoin de cetteressource pour fonctionner. Lesautres investissements – irriga-tion, électricité ou extension desréseaux routier et ferroviaire –ne jouent qu’un rôle secondaire.Prenons le cas du Ghana, où86% des habitants n’ont pas accès à de l’eau potable et à desinstallations sanitaires appro-priées. L’économie, qui reposeavant tout sur l’or, le cacao et le pétrole, devrait afficher cetteannée une croissance de 8%. Or, des experts prévoient que ce pays va au-devant de graves difficultés s’il ne réhabilite pasl’ensemble de ses canalisations.«La crise de l’eau potable affectedéjà les performances de notreéconomie », affirme l’économisteRobert Darko Osei, chercheur à l’Université du Ghana.www.ug.edu.gh

Des eaux usées pleines de nutriments(gn) En Inde, on appelle honey-suckers – littéralement « téteursde miel » – les camions qui vi-dangent les fosses septiques et leslatrines. Bien que leur charge-ment soit loin de fleurer bon lemiel, il se vend comme des pe-tits pains : les paysans recourentde plus en plus aux excrémentshumains pour fertiliser leurschamps. En général, ils font sécher ces boues de vidange, afin de détruire les agents patho-gènes et d’accroître la concen-tration des nutriments. PayDrechsel, de l’Institut interna-tional de gestion de l’eau(IWMI), au Sri Lanka, estconvaincu qu’à l’avenir, on utilisera toujours davantage leseaux usées pour la productionde nourriture : «Au lieu d’éva-cuer nos problèmes en tirant lachasse, nous devons nous effor-cer de boucler le cycle alimen-

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Sven Torfinn/laif

Redux/laif

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Dessin de Jean Augagneur

et vieux – a diminué. Comme lesouligne l’institut allemand, unetelle modification de la pyra-mide des âges peut avoir un effetconsidérable sur les perfor-mances économiques nationales.Selon le Rapport de l’ONU surle développement humain 2013,le Bangladesh est l’un des pays

qui ont le plus progressé cesdernières années sur le plan des revenus, de la santé et de la formation.www.berlin-institut.org,«Demografische Dividende »

L’enveloppe de salaire remplacée par un SMS( jls) La République démocra-tique du Congo a décidé l’andernier de verser le salaire de sesfonctionnaires sur des comptesbancaires. Jusqu’ici, enseignants,policiers, militaires et autresagents de l’État étaient payés enliquide par leurs supérieurs. Lenouveau système, d’abord mis en place dans les grandes villes,devrait se généraliser cette an-née. C’est l’essor des services fi-nanciers par téléphone portable,ou mobile banking, qui a rendupossible cette petite révolution.

En effet, si les succursales ban-caires sont rares à l’intérieur dupays, les portables, eux, sont omniprésents. Lorsque le salairearrive sur son compte, le clienten est informé par un SMS quicontient un code. Il peut alorsretirer son argent dans la bou-tique d’un opérateur télépho-nique. Le principal avantage

pour les fonctionnaires est qu’ilsperçoivent enfin la totalité deleur paie. Auparavant, chaque niveau de la hiérarchie prélevaitsa dîme au passage. Il n’était pasrare qu’un soldat, rémunéréthéoriquement 60 dollars parmois, n’en reçoive que cinq.

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DO

SS

IE

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L’école à l’abri des barbelésLa majeure partie de la population du Honduras a moins de 30 ans. Selon les sociologues, c’est là une chance unique pourle développement d’un pays. La réalité est toutefois différente :la plupart des jeunes Honduriens vivent depuis leur naissancedans un contexte fragile. Ils n’ont pratiquement rien connud’autre que la pauvreté, la peur, l’insécurité et l’absence deperspectives. Un reportage de Gabriela Neuhaus.

Dans leur école bien protégée, les élèves se sentent en sécurité. Ils peuvent jouer librement et travailler dur pour réaliserun jour leurs rêves.

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Gabriela Neuhaus

Eros Hoagland Redux/laif

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États fragiles

La date de l’interview était fixée. Un endroit sûravait été trouvé dans cette ville de San Pedro Sulaqui affiche le taux d’homicides le plus élevé dumonde. Jovel Miranda, notre contact sur place, avaittout organisé. Mais la rencontre prévue avec lui etdeux membres des maras, ces gangs de jeunes trèsviolents, n’aura jamais lieu. Quelques heures aprèsavoir fixé le rendez-vous, ce père de famille de 31ans est mort. Tué par balles, précise une voix de fem-me au téléphone. Lui-même avait appartenu à unepandilla (voir texte en marge page 8) avant de mi-liter pour la réinsertion des jeunes ayant quitté cesbandes armées. Il a été exécuté par deux inconnus,alors qu’il circulait dans le taxi de son père.

Comme tant d’autres qui ont renoncé aux activi-tés criminelles pour recommencer leur vie dans lalégalité, Jovel Miranda aurait été victime de règle-ments de comptes internes, selon Mgr RomuloEmiliani, archevêque de San Pedro Sula : « J’ai ac-compagné 200 jeunes désireux de sortir des gangs.Jusqu’ici, 66 ont été assassinés. Avec Jovel, cela fait67. » Engagé depuis des années aux côtés des ado-lescents vivant dans la précarité, l’homme d’Égliseconnaît bien le monde des maras.D’autres avancent des explications différentes. Cecrime pourrait être de nature politique, car JovelMiranda, qui dirigeait une organisation venant enaide aux jeunes, était une personnalité très expo-sée. Selon une troisième source, il aurait fourni àdes journalistes des informations sur des délits danslesquels la police avait collaboré étroitement avecles bandes criminelles.

Un contexte hostile qui entrave le développementComme souvent au Honduras, on ne connaîtra pro-bablement jamais la vérité. Si tout le monde parledes crimes violents qui se commettent dans le paysjour après jour, ceux-ci sont rarement élucidés.«Les unes des journaux et les statistiques consacréesau nombre d’homicides engendrent une culture de la terreur et de la peur, que l’État ne fait qu’ali-menter», regrette Wilfredo Serrano Muñoz, un étu-diant en sociologie âgé de 24 ans. Il estime que lesjeunes n’ont aucune perspective dans ce pays et quetout adolescent est d’emblée soupçonné d’être uncriminel.Ce constat n’est pas faux, confirme Itsmania Pine-

Tout adolescent des quartiers pauvres est d’emblée soup-çonné d’être un criminel.

Amérique centrale

Panama

Nicaragua

Mexique

San Salvador

Bélize

Guatemala Honduras

Costa Rica

Océan Pacifique

Mer des Caraïbes

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Julien Chatelin/laif

Stephen Ferry/Redux/laif

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da Platero, une militante des droits de l’homme quitravaille depuis vingt ans avec les adolescents desquartiers pauvres : «En 2004, le gouvernement apromulgué une loi contre les maras, selon laquellele simple fait d’appartenir à un tel gang ou celui deporter un tatouage étaient punissables. » La loi acertes été abrogée en 2007, mais le gouvernementa maintenu sa politique répressive contre les jeunes– connue sous le nom de mano dura. Il est avéré que,dans de nombreux cas, les forces de l’ordre ou le personnel carcéral ont littéralement exécuté des enfants et des adolescents. «En même temps que les jeunes, on a criminalisé la pauvreté, car ilsemble que les bandes criminelles recrutent leursmembres dans les quartiers défavorisés », ajoute Itsmania Pineda. Eugenio Sosa, professeur de sociologie à l’Univer-sité nationale autonome du Honduras (Unah), pen-se lui aussi que cela ne mène à rien de soupçonnersans discernement tous les jeunes des quartierspauvres. À son avis, l’accroissement de la violenceet de la criminalité est dû au fait que la populationa doublé au cours des trente dernières années, tan-dis que l’économie a stagné. La jeunesse devraitmettre son potentiel au service du développementdu pays. Au lieu de cela, elle évolue dans un contex-te hostile, sans espoir de trouver un emploi régu-lier. «Cette situation a généré une économie baséesur la violence», affirme Eugenio Sosa. «Certainsdeviennent délinquants pour survivre, d’autres pours’enrichir toujours davantage. » Les auteurs des dé-lits sont issus de toutes les couches de la société. Le

plus souvent, ils échappent aux sanctions, ce qui fa-vorise encore la violence et crée un climat de peuret d’insécurité.

Tous ne rêvent pas d’émigrationSan Lorenzo, paisible ville frontalière du sud du pays,est épargnée par ce climat délétère. En s’entretenantavec les habitants, on constate avec surprise qu’ilsne parlent pas tout le temps de meurtres et d’assas-sinats. La vie publique semble détendue dans cettepetite cité proprette. Beaucoup de ses maisons colorées sont neuves. Elles ont été construites grâ-ce à l’argent que les émigrants honduriens envoientau pays depuis les États-Unis ou l’Europe.Après avoir interrompu ses études pour des raisonséconomiques, Judith Hernandez a confié ses deuxenfants à des parents et est partie en Espagne, oùelle a travaillé pendant sept ans comme auxiliaire.Les 300 euros qu’elle envoyait chaque mois ont ser-vi à nourrir la famille et à entretenir la maison. Auprintemps dernier, Judith n’a plus trouvé de travailen Espagne, à cause de la crise, et est revenue au pays.Elle cherche maintenant un emploi aux États-Unis.Son frère et le père de sa fille y sont déjà établis. Ilstravaillent dans la construction de routes.Pratiquement chaque famille de San Lorenzo a desproches à l’étranger. L’émigration n’est pourtant pasle rêve de tous. Martin José, un pêcheur de 23 ans,et ses confrères, savent qu’ils ne partiront pas : «Nousmenons une vie saine ici et avons tout ce qu’il nousfaut. » Ils viennent de vendre les poissons pêchés cematin. Comme chaque week-end, ils espèrent

Des gangs locaux et nationauxÀ l’instar du Guatemala etdu Salvador, le Hondurascompte de nombreuxgangs criminels, qui sontlargement responsables del’escalade de la violence.On distingue les maras,actives dans l’ensemble dupays, et les pandillas, dontle rayon d’action se limite à un quartier ou à une ré-gion. À l’origine, il s’agis-sait de groupes de jeunesdont les membres affi-chaient leur appartenanceen arborant des tatouages.Avec leurs rituels et leurslois implacables, cesgangs sont devenus pourbeaucoup une familled’adoption. Les maras, en particulier, ne sont plusuniquement des bandesde jeunes. Dotées destructures mafieuses, ellessont étroitement liées autrafic international d’armeset de drogue. Elles recru-tent fréquemment despandillas et des adoles-cents comme assistants.Elles les chargent de ven-dre de la drogue locale-ment, d’encaisser l’argentdu racket, voire d’exécuterdes meurtres.

Au Honduras, les fusillades en pleine rue font partie de la vie quotidienne.

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Julien Chatelin/laif

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États fragiles

maintenant gagner quelques sous supplémentairesen emmenant des touristes visiter les forêts de man-groves.

La débrouillardise est de mise À Tegucigalpa, la capitale, beaucoup d’habitantsdoivent également lutter pour s’en sortir. Même lerevenu des fonctionnaires n’est pas garanti. Com-me nombre de ses collègues enseignants, SuyapaMartínez n’a plus touché son salaire depuis cinqmois, car l’État est exsangue. Élevant seule ses en-fants, elle continue malgré tout d’enseigner pourgarder son poste. Le matin, avant d’entreprendre lelong trajet en bus qui la conduit à son travail, elleprépare de la soupe que son fils Francisco va vendrepar portions dans le quartier durant la journée. Geronimo, un voisin de 17 ans, subvient à ses be-soins en commercialisant des chips qu’il confec-tionne lui-même. Quant à la famille de Josselin, 12ans, elle vit de la vente de tortillas.C’est grâce à de telles micro-entreprises que la ma-jorité des habitants de Las Torres peuvent plus oumoins garder la tête hors de l’eau. Hélas, l’insécu-rité n’arrange pas les choses dans ce quartier situéjuste derrière le City Mall, le plus grand centre com-mercial d’Amérique centrale : Las Torres est le fiefde la mara Salvatrucha, explique Itsmania PinedaPlatero, qui vit ici. «Passé 17 heures, les membresde la bande ne laissent plus les gens de l’extérieurpénétrer dans le quartier. Souvent, nous n’osons plussortir et restons enfermés chez nous, comme si nousétions en guerre. »

Des baskets sur les lignes électriquesTegucigalpa est réputée particulièrement dange-reuse. Tous ceux qui en ont les moyens se déplacenten voiture ou font appel à un taxi de confiance,même pour des trajets très courts. Ils vivent dansdes lotissements fermés, protégés par des murs éle-vés et des clôtures électrifiées. La classe moyennene passe pas ses loisirs dans des lieux publics, maisdans des galeries marchandes étroitement sur-veillées.Quand on ose une balade à travers le centre-ville,on est toutefois surpris par la normalité qui y règne.Sur la place de la cathédrale, de jeunes chrétienschantent et dansent, des enfants chassent les pigeons,un père achète une glace à sa fille… Un coupled’amoureux flâne dans la zone piétonne, où de nou-veaux magasins se sont ouverts et où des arbres ontété plantés récemment. Un simple regard en l’airsuffit cependant pour rappeler que le danger est belet bien là : une paire de baskets est accrochée à laligne électrique. On dit que c’est le moyen utilisépar les trafiquants de drogue et les bandes crimi-nelles pour marquer leur territoire.«Dans mon quartier, la drogue fait partie du quo-tidien», raconte Jason, 16 ans. Très jeune, il a rejointun gang. Depuis, il a vécu le plus souvent dans larue. Il raconte que les plus âgés des mareros en-voyaient les mineurs vendre de la drogue, afin de fi-nancer leur propre consommation. Cannabis, co-caïne, crack, Jason dit avoir goûté à tout ce qui seprésentait. Jusqu’au jour où un inconnu a essayé dele tuer. Sans doute un trafiquant appartenant à une

Les groupes de jeunes reconnaissables à leurs tatouages sont devenus depuis longtemps des gangs dotés de structuresmafieuses – à droite, un membre de la «mara» Salvatrucha assassiné.

Triste recordLe Honduras détient le re-cord du monde des homi-cides : alors que l’on dé-nombrait 34 assassinatspour 100000 habitants en 2004, ce taux a atteint85,5 en 2012. Au total,7172 personnes ont ététuées l’an dernier, en majo-rité par balles. Selon lesestimations officielles,quelque 800000 armes,dont 81% ont été acquisesen toute illégalité, sont encirculation dans ce paysde 8 millions d’habitants.C’est surtout dans lesvilles et dans les régionsdu nord que la violence a redoublé ces dernières années. San Pedro Sula,par exemple, enregistre enmoyenne 3,3 assassinatspar jour, dont la plupartsont liés à des activités cri-minelles. Au nombre desvictimes, on compte aussibeaucoup de journalistes,d’avocats et de défenseursdes droits de l’homme.

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Gabriela Neuhaus (3)

Un seul monde No 3 / Septembre 201310

bande rivale. Ce jeune garçon chétif a eu une chan-ce inouïe de survivre à ses blessures par balles. Il s’enremet lentement dans le centre de réhabilitationpour anciens toxicomanes, le Proyecto Victoria.«Les plus grandes difficultés ne commencent gé-néralement qu’après la désintoxication», observeMario Fumero, qui a fondé en 1977 ce centreunique en son genre au Honduras. «Drogue, vio-lence et bandes criminelles forment un tout. Celuiqui veut s’en sortir ne peut plus retourner dans sonenvironnement habituel. Il doit recommencer sa vieailleurs. » La mère de Jason a d’ailleurs déménagédans un quartier où personne ne connaît l’histoirede son fils. L’adolescent n’en craint pas moins le jouroù il devra quitter le havre de paix que représentele Proyecto Victoria.

«C’était l’un des meilleurs»Dans le quartier pauvre de Los Pinos, les rues ca-hoteuses sont désertes. Récemment rénovée, l’éco-le est entourée de hauts murs et de barbelés. C’estune protection contre les voleurs et les trafiquantsde drogue, qui constituent une menace permanen-te, expliquent les élèves. À l’intérieur du bâtiment,ils se sentent en sécurité et travaillent dur afin deréaliser leurs rêves : Libni, 14 ans, veut étudier la mé-decine pour pouvoir aider les gens. Dans cette clas-

«Un peu compliqué»Interrogés sur leur situa-tion, les Honduriens répon-dent souvent par unesimple phrase : «C’est un peu compliqué. »Jonathan, qui vit chez sagrand-mère et ne trouvepas de travail, utilise cetteexpression pour résumerson échec scolaire. Ungardien décrit ainsi le faitde devoir traverser la ville àpied dans l’obscurité, afind’arriver à l’heure à sontravail. «Un peu compli-qué» qualifie aussi la viede ce professeur quichange sans cesse de numéro de téléphone por-table pour des raisons desécurité, ou la situation decette mère célibataire quidoit nourrir ses trois en-fants tout en essayant derattraper ses années descolarité.

se du degré secondaire, d’autres élèves aspirent à devenir avocat, vétérinaire, architecte, ingénieur,psychiatre ou enseignant. Ces jeunes savent cepen-dant combien ils devront lutter pour atteindre leurobjectif : tous vivent dans des conditions précaires.Leurs familles manquent souvent d’argent pouracheter de l’eau potable et de la nourriture.«Si je veux passer mon bac, puis aller à l’universi-té, je devrai travailler pour gagner de quoi vivre etfinancer ces coûteuses études », souligne Libni. Lechômage élevé, le climat de violence, les bandes cri-minelles et la drogue ne font qu’aggraver une si-tuation déjà difficile. Pour des raisons de sécurité,beaucoup d’écoles ont par exemple supprimé lescours du soir. Cette mesure pénalise avant tout lescentaines de milliers de personnes qui doivent tra-vailler toute la journée pour s’offrir une formationou des cours de perfectionnement.«Les choses ne font qu’empirer », regrette ItsmaniaPineda. La pauvreté s’accroît, tout comme la vio-lence et, avec elle, la peur. Cette militante ne pen-se pas que l’on arrêtera un jour les meurtriers deJovel Miranda, un homme qu’elle a connu et vive-ment apprécié. Pour rendre hommage, elle dit sim-plement : «C’était l’un des meilleurs. » ■

(De l’allemand)

Ambiance détendue dans la zone piétonne de Tegucigalpa, où Betsy et sa mère vendent des noix grillées et des sucre-ries. Les enfants issus de milieux modestes doivent lutter pour survivre.

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Gabriela Neuhaus

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États fragiles

Un seul monde: Pourquoi l’insécurité et la vio-lence sont-elles nettement plus présentes auHonduras que dans les pays voisins où lesconditions-cadres sont similaires ?Julieta Castellanos : En tant que scientifique,j’étudie ce problème depuis les années 90. Àl’époque, nous avions peur d’être entraînés dans lesconflits qui ravageaient les pays voisins. Du fait decette situation, une multitude d’armes circulaientdéjà au Honduras. Quand la paix est revenue, leGuatemala, le Salvador et le Nicaragua ont reçu dela communauté internationale une aide destinée àleur reconstruction. Le Honduras, en revanche, aété exclu de ce processus, parce qu’il n’avait pas subide guerre civile. Cependant, les conséquences deces conflits pesaient également sur nous, bien en-tendu.

Quels en ont été les effets sur le Honduras ?Lorsque les guérillas n’ont plus eu besoin d’armes,les trafiquants ont cherché d’autres débouchés.L’offre est vite devenue excédentaire : même lesépiceries vendaient des armes ; on pouvait acheterune Kalachnikov pour 70 dollars. Ce trafic a atti-ré des milieux toujours plus larges : la guérilla co-lombienne s’en est mêlée, tout comme le crime organisé mexicain. Cela a préparé le terrain pourla traite d’êtres humains, les gangs criminels et, surtout, le trafic de drogue. Via les bandes d’ado-

lescents, beaucoup de jeunes ont acquis des armes.Plus personne n’avait le contrôle de la situation.Cette dérive, qui a commencé il y a vingt ans, acausé des dégâts énormes. La désagrégation de l’État, à laquelle nous assistons actuellement, en est une conséquence directe.

Qu’entendez-vous par «désagrégation del’État » ?La faiblesse de l’État hondurien transparaît de troismanières. Dans plusieurs régions, comme l’est dupays, l’État est totalement absent. Ailleurs, il estcertes encore présent – juges, policiers et procu-reurs sont toujours en place –, mais nombre de sesinstitutions ont été infiltrées par le crime organi-sé. Troisièmement, le pays accumule les faiblessesstructurelles et les conflits socioéconomiques. C’estla combinaison de ces trois éléments qui a fait dela sécurité un thème aussi crucial depuis quelquesannées.

Quelles sont les mesures les plus urgentes àprendre pour éviter que la situation s’aggra-ve encore?Dans un premier temps, l’État doit montrer qu’ilest en mesure d’assumer sa fonction de contrôle. Iln’y parviendra qu’à condition de procéder à uneépuration radicale de la police et de la magistratu-re. Des changements s’imposent de toute urgencepour casser ce mélange fait de peur, d’incompé-tence ainsi que de connivence entre les forces del’ordre et les milieux du crime. À moyen terme, ilfaudra aussi envisager un renforcement institu-tionnel de la police, de la justice et des servicesd’enquête.

Vous soulignez sans cesse qu’un rôle impor-tant dans ce processus revient à la commu-nauté internationale.Le crime organisé opère à un tel niveau qu’un paysn’a pratiquement aucune chance de le combattre

«Beaucoup de gens se taisent parcequ’ils ont peur »Naguère havre de paix au cœur de l’Amérique centrale, le Hon-duras risque de sombrer dans la violence et l’anarchie. Les gensne font pas confiance à l’État, qu’ils considèrent comme unemenace. Gabriela Neuhaus a interrogé Julieta Castellanos surles causes de cette fragilité, les comparaisons avec les paysvoisins et les moyens de remédier à la situation.

Julieta Castellanos est rectrice de l’Université nationale autonome duHonduras (Unah), àTegucigalpa, depuis 2009.Cette sociologue portel’espoir de la société civile.Elle a déjà réalisé et publiéde nombreux travaux surdes thèmes tels que lesdroits de l’homme et laviolence. Depuis que l’unde ses fils a été tué par lapolice en octobre 2011,elle milite en première lignepour l’épuration des forcesde l’ordre et l’instaurationd’une justice efficace. Ellea également lancé une ré-forme en profondeur del’Unah. Aujourd’hui, cetteuniversité est l’une desrares institutions duHonduras qui se battentcontre la corruption et ladégradation de l’État. Son engagement a valu àJulieta Castellanos de re-cevoir cette année le prixinternational Femmes decourage, décerné par leDépartement d’État améri-cain.

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Gabriela Neuhaus

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à lui seul. Même un État aussi puissant que leMexique n’y parvient pas, alors qu’il possède bienplus de moyens que nous. Les délits doivent êtrepoursuivis à l’échelon international – ce n’est pasfacile, mais c’est essentiel. Nous avons aussi besoind’un soutien technique, par exemple pour assurerla formation scientifique des enquêteurs ou desagents de renseignement.

Que pensez-vous du soutien actuel ?La communauté internationale a désormais com-pris ce qu’il faut faire. Comme par le passé, la ma-jorité des donateurs continuent cependant à misersur la prévention. Cet aspect est important et né-cessaire. Au stade où nous en sommes, je trouvetoutefois que faire de la prévention revient à allerpuiser de l’eau à une centaine de kilomètres pouréteindre une maison qui est la proie des flammes.Ce dont nous avons surtout besoin dans l’immé-diat, c’est d’un appui technique. Nous devons ren-forcer la police, les autorités d’instruction et la jus-tice pour parvenir à contrôler la criminalité.

Bien que les gens souffrent énormément dela précarité ambiante, la plupart ne réagis-sent pas. Pourquoi ?Par peur. Beaucoup préfèrent payer la taxe de pro-tection, exigée par les racketteurs, qu’aller trouverla police. Ils risquent en effet de tomber sur unagent corrompu. Nombre de gens sont victimes ou

témoins de crimes, mais ils se taisent parce qu’ilsont peur. De surcroît, les citoyens n’ont plus aucunlien avec l’État. Comment le pourraient-ils ? L’État ne résout aucun problème, n’offre aucuneprotection. Jour après jour, les habitants luttent pour survivre, et ce combat, ils sont totalement seuls pour le mener.

Dans ce contexte, quel est le rôle de l’uni-versité ainsi que de l’Alliance pour la paix etla justice, dont vous êtes la cofondatrice ?Nous définissons clairement l’orientation que de-vrait suivre le développement. À ce titre, l’univer-sité joue un rôle crucial : nous estimons par exemplequ’il nous incombe de formuler des propositionsconcernant le développement et la transformationde notre pays. C’est là une responsabilité énormeet nous sommes persuadés que nous devons l’as-sumer. Concrètement, la priorité absolue revient à la sécurité. Son rétablissement ne peut plus attendre. Des changements s’imposent de toute urgence. ■

(De l’espagnol)

Des mesures techniques peuvent accroître la sécurité : depuis l’installation d’un système de surveillance, les meurtres ontfortement baissé à Puerto Cortés.

Pauvreté, guerre et drogueMalgré une proximité géo-graphique et des similitu-des historiques, les paysd’Amérique centrale sonttrès différents les uns desautres. Le Costa Rica faitfigure de bon élève. AuGuatemala, au Salvador et au Nicaragua, les guer-res civiles de la fin du 20e

siècle ont fait des centai-nes de milliers de morts.Le Honduras n’a pas étésecoué par un tel conflit,mais les Contras nicara-guayens, soutenus parWashington, opéraient de-puis son territoire. Fuyantla pauvreté généralisée,nombre de Centraméri-cains partent travailler auxÉtats-Unis. En raison de sasituation géographique, larégion s’est retrouvée cesdernières années au cœurdu trafic international dedrogue. Cela vaut notam-ment pour le Honduras,dont la structure étatiquemenace de s’effondrer. On estime que 80% de ladrogue destinée au marchéaméricain transite par sonterritoire.

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Gabriela Neuhaus

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(gn) José Arturo Hernandez s’applique à tracer unelettre après l’autre. Armé d’un cahier et d’uncrayon, il s’est réfugié dans des toilettes défec-tueuses afin de mieux se concentrer. En effet, niles dortoirs étouffants, ni la cour intérieure, sur-peuplée et bruyante, n’offrent un minimum d’in-timité : la prison de Puerto Cortés, conçue pourquarante détenus, en accueille actuellement 152.La plupart d’entre eux sont jeunes, voire trèsjeunes. Ils ont été condamnés pour vol, meurtre,violence domestique, trafic ou consommation dedrogue.

La réinsertion est possible«À leur libération, ils veulent retrouver la socié-té », explique la juge Jetty Estrada. «Nous devonsutiliser judicieusement le temps de leur détentionpour les préparer à ce moment. » Elle sait par ex-périence que la réinsertion est possible. C’est pour-quoi cette jeune juriste déploie de grands effortsafin de mettre sur pied des moyens appropriés. Elle

a notamment obtenu qu’une partie des détenus dePuerto Cortés puissent purger leur peine sous laforme de travail au service de la communauté oudans des hôpitaux. Bien des prisonniers ont ainsi, pour la première foisde leur vie, l’occasion de montrer qu’ils sont ca-pables d’exercer un emploi. Les cours quotidienssont d’ailleurs suivis avec assiduité. C’est ici queJosé Arturo a appris à lire, à écrire et à compter.Enfant, il n’a pas pu aller à l’école, car sa familleétait trop pauvre. Avec les compétences acquises,il espère trouver à sa sortie un emploi de ma-nœuvre dans le port.Le soutien dispensé aux adolescents et aux adultesdélinquants s’inscrit dans un vaste programme desécurité qui a permis à Puerto Cortés d’engran-ger des succès considérables ces six dernières années.Cette ville portuaire de 70000 habitants, situéedans le nord du pays, est régulièrement citée enexemple. Son cas prouve en effet que des mesures

Stratégie de la DDCpour les États fragilesLe programme régional2013 –2017 de la DDCpour l’Amérique centralese distingue plus qu’avantdes programmes conçuspour le Nicaragua et leHonduras. L’escalade de la violence au Hondurasrequiert en effet des mesu-res spécifiques. Spéciale-ment axé sur les activitésdans les États fragiles, le programme comprendquatre points :• Suivi trimestriel de la situation politique.

• Les programmes sont axés sur les causes de laviolence. Au Honduras, ils comprennent notam-ment des projets dans le secteur de la sécurité, tels que la réforme de la police, l’appui à cinq « villes plus sûres » et le renforcement des droits de l’homme.

• Gestion des projets sensible aux conflits.

• Orientation des activités traditionnelles sur des groupes cibles et à ris-ques ; par exemple, l’amélioration des atelierspopulaires dans le do-maine de la formation.www.ddc.admin.ch

Réformer la police pour enrayer la violenceComme c’est le cas dans beaucoup de pays fragiles, l’insécu-rité et la violence entravent le développement du Honduras. Afinde créer les bases nécessaires à l’amélioration des conditionsde vie, la communauté internationale – dont la Suisse – appli-que de nouvelles approches. Celles-ci visent à renforcer direc-tement les institutions de l’État, telles la justice et la police.

Exercice de combat rapproché à l’Académie nationale de police : les agents doivent être mieux formés pour pouvoir enrayer l’escalade de la violence.

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appropriées, appliquées avec la volonté requise,peuvent enrayer la criminalité : le nombre d’actesde violence a reculé ; joggeurs et promeneurs osentà nouveau profiter de la plage, même le soir, cequ’ils ne faisaient plus depuis longtemps. En 2006,un comité de sécurité réunissant les différents ac-teurs locaux – milieux politiques, administration,secteur privé, Église et organismes sociaux – a dé-cidé de s’attaquer à la violence croissante. Avecl’appui financier de la Banque mondiale, il a pumettre en place des programmes sociaux ainsiqu’une centrale d’appel efficace, fiable et ouverte24 heures sur 24. Des caméras de surveillance ontété installées aux endroits stratégiques de la villeet les patrouilles de police équipées d’appareilsGPS. «Nous pouvons ainsi faire intervenir effica-cement les quelques véhicules dont nous dispo-sons, tout en suivant de près les activités de la police », explique Allan David Ramos, maire dePuerto Cortés.

Un cadre propice au trafic de drogueLa police hondurienne suscite une grande mé-fiance dans la population, et cela à juste titre : desenquêtes ont révélé d’innombrables cas de cor-ruption, d’implications dans des affaires crimi-nelles et de brutalités. Une opération d’épurationa été lancée par le gouvernement, mais elle n’a pasproduit beaucoup d’effets jusqu’ici. De plus, les ef-fectifs sont largement insuffisants et l’équipementinadéquat.

«La faiblesse de l’État ainsi que sa tendance à la corruption font du Honduras une plaque tour-nante attrayante du trafic international de drogue»,observe Kurt Ver Beek, de l’organisation citoyen-ne Alliance pour la paix et la justice. Selon lui, c’estla raison pour laquelle on assiste depuis quelquesannées à une telle escalade de la violence. Pour re-dresser le cap, le pays a besoin de toute urgenced’une nouvelle culture politique, de transparenceet de bonne gouvernance. Kurt Ver Beek est per-suadé que les trafiquants de drogue trouverontd’autres filières et se déplaceront ailleurs lorsqu’ilsrencontreront trop de résistance au Honduras.

Soutien international à la réforme de la policeLa situation précaire en matière de sécurité a des effets dévastateurs sur l’économie et la société :alors que le Nicaragua, pays voisin, enregistre desprogrès remarquables dans la lutte contre la pau-vreté, le Honduras n’avance pas. Pour favoriser sondéveloppement, la communauté internationale adès lors décidé d’appliquer de nouvelles approches,destinées à renforcer les organes de sécurité de l’État et à améliorer le respect des droits de l’hom-me.Active au Honduras depuis 1977, la DDC a éga-lement réagi en élaborant une stratégie spéciale-ment conçue pour la situation actuelle. «Nousavons renforcé notre présence sur place et concen-trons nos activités sur des domaines comme les

Les policiers logent dans des locaux rudimentaires et le manque d’infrastructures entrave le travail.

La police change de tonSur l’esplanade de l’Aca-démie nationale de police,des cadets s’exercent pourla prochaine parade etd’autres s’entraînent aucombat rapproché. « Lesdisciplines classiques neconstituent qu’une petitepartie de la formation »,souligne le directeur LeonelSuaceda. Selon lui, lestemps où la police s’enprenait brutalement auxjeunes sont révolus : « Lespoliciers apprennent l’em-pathie. À l’avenir, ils de-vront faire de la préventiondans les quartiers et servirde modèles aux jeunes vivant dans la précarité. »Cette nouvelle philosophietrouve un écho positifparmi les 280 aspirants quisuivent la formation d’offi-cier. « Je viens d’une familledéchirée », confie MarlenZelaya, 21 ans. «Non seu-lement cette formation megarantit un emploi stable,mais elle me permet aussid’exercer un métier nobleet de servir la société. »

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droits de l’homme, la justice et la police. Nous nousattaquons ainsi au cœur du problème », expliqueJürg Benz, responsable du bureau de coopérationde la DDC à Tegucigalpa. La Suisse soutient no-tamment la réforme de la police, coordonnée parla Banque interaméricaine de développement(BID) en collaboration avec les autorités hondu-riennes. Outre une contribution financière, elleréalise des projets complémentaires. Cette réfor-me ambitieuse, pour laquelle les donateurs bilaté-raux et multilatéraux mettent à disposition 66millions de dollars, vise à réorienter et à renforcerl’appareil sécuritaire de l’État. Elle doit égalementappuyer certaines villes qui s’efforcent, à l’instar dePuerto Cortés, d’améliorer leur sécurité.

Manque d’effectifs et d’équipementsEn intervenant dans le secteur de la police, tant la

BID que la DDC s’aventurent sur un terrain nou-veau pour la coopération au développement et quiprésente de grands risques. « La situation politiqueau Honduras est aujourd’hui tellement fragile querien ne garantit la réussite du projet », concèdeThomas Jenatsch, du desk Amérique centrale à la DDC. L’option a malgré tout été retenue, car laréforme, si elle est menée à bien, créera une basesolide pour le développement futur. Voulant évi-ter que la restructuration de la police se fonde uni-quement sur des critères technocratiques ou soitinstrumentalisée par un groupe politique, la DDCapporte également un appui à l’Alliance pour lapaix et la justice. Elle renforce les capacités de cette plate-forme à suivre et à contrôler le pro-cessus de réforme.La situation du Comayagua révèle toute l’ampleurde la tâche à accomplir, ne serait-ce que pour lut-

Le surpeuplement des prisons viole les droits de l’homme. Ici, on ne fait rien sans argent – beaucoup de détenus essaientde gagner quelques lempiras en accomplissant de petits travaux manuels.

Une alliance solide et fiableL’Alliance pour la paix et lajustice (APJ) regroupe desONG, des syndicats, desÉglises, des entreprisesprivées, des universités etd’autres organisations dela société civile. Dans unclimat marqué par la peuret la morosité politique, savoix est l’une des plusécoutées du pays. L’APJœuvre surtout pour l’assai-nissement et la réforme dela sécurité publique et dela justice. Sa plus éminentereprésentante est JulietaCastellanos, rectrice del’Université nationale auto-nome du Honduras.Contrairement à nombred’hommes et de femmespolitiques, les membres de l’APJ jouissent d’unegrande confiance auprèsde larges couches de lapopulation et au sein de la communauté internatio-nale.www.pazyjusticiahondu-ras.com

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Perspectives pour les jeunesLe Honduras est le seulpays d’Amérique centraleà compter autant d’ado-lescents qui ne travaillentpas et n’étudient pas :24% des jeunes âgés de12 à 24 ans appartiennentà ce «groupe à risque».Des projets de préventionvisent à leur offrir d’autresperspectives que la partici-pation à des gangs crimi-nels et au trafic de drogue.Le programme «Projoven»,lancé par la DDC, entendainsi améliorer les atelierspopulaires que des ser-vices sociaux ont mis surpied dans nombre dequartiers. «À l’avenir, cescours de formation élé-mentaire devront êtreadaptés aux besoins dumarché», souligne RolfKral qui a conçu ce pro-gramme sur mandat de la DDC. Actuellement, lesformations proposéescomprennent surtout lacoiffure, la couture et lasoudure. Le premier projetpilote a consisté à ouvrirune boulangerie-école etl’on prévoit un cours pourmécaniciens sur moto.

ter contre la corruption et les activités criminelles.Juan López Rochez, chef de la police de ce dé-partement, représente la nouvelle génération. Enrecevant une délégation de la DDC, il expliqueque le meilleur moyen de combattre la crimina-lité consiste à établir un rapport de confianceentre la police et la population. En même temps, Juan López Rochez souligne lesterribles lacunes qui empêchent la police de fournir un travail efficace : le département du Comayagua, qui compte presque un demi-milliond’habitants, ne dispose que de 500 policiers. Deplus, ces derniers n’ont pas assez de véhicules, d’ap-pareils radio et même d’armes. Il n’y a pas de lo-caux séparés dans lesquels ils pourraient mener desinterrogatoires délicats. Les procès-verbaux sontrédigés à la main faute d’ordinateurs. Enfin, la di-vision des recherches manque à la fois de person-nel et des moyens techniques correspondant auxnormes actuelles. En visitant la caserne, on estd’ailleurs surpris par le caractère rudimentaire deslogements des policiers.

Perspectives d’avenir et cours de formationAméliorer l’équipement et la formation de la po-lice n’est toutefois que l’une des étapes sur la voievers davantage de sécurité. S’inspirant de l’expé-rience de Puerto Cortés, d’autres communes ontélaboré des concepts locaux de sécurité. Elles les

mettent en œuvre, notamment avec l’appui de laDDC, dans le cadre du projet «Villes plus sûres ».Cela inclut en particulier des mesures dont on es-compte un effet préventif. L’an dernier, à PuertoCortés, 31 adolescents vivant dans la précarité ontainsi obtenu leur diplôme d’électricien ou de sou-deur, après une formation d’une année. Il existe de tels « ateliers populaires » dans de nom-breuses villes. Dans le quartier de Villanueva à Tegucigalpa, les cours de soudure de Julio CesarBautista sont par exemple très appréciés. Le maîtred’apprentissage sait enthousiasmer ses protégés etles aide même ensuite à créer leur propre entre-prise. Kelvin, 21 ans, a réussi à franchir ce pas difficile :avec deux collègues, il fabrique des portes métal-liques qu’il vend dans tout le quartier. «La concur-rence est grande, mais nos produits sont de bon-ne qualité et notre clientèle les apprécie », déclarefièrement ce jeune entrepreneur. ■

(De l’allemand)

Des cours de soudure ou de boulangerie offrent aux jeunes des quartiers pauvres d’autres perspectives que la participa-tion à des gangs criminels.

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États fragiles

Faits et chiffres

Fragilité de l’État et développementSelon la définition de l’OCDE, «un État est fragile lorsque legouvernement et les instances étatiques n’ont pas les moyenset/ou la volonté politique d’assurer la sécurité et la protectiondes citoyens, de gérer efficacement les affaires publiques et delutter contre la pauvreté au sein de la population». Dans cespays, les institutions étatiques sont très faibles ou sur le pointde s’écrouler. La population vit dans une pauvreté extrême ; elleest exposée à la violence, à la corruption et à l’arbitraire.

Les dix principes de l’OCDE pour l’engagement dans les États fragiles1. Prendre le contexte comme point de départ.2. Ne pas nuire. 3. Faire du renforcement de l’État l’objectif central.4. Accorder la priorité à la prévention. 5. Reconnaître qu’il existe des liens entre les objectifs politiques, sécuritaires et de développement. 6. Promouvoir la non-discrimination comme fondement de sociétés stables et sans exclus. 7. S’aligner sur les priorités locales d’une manière différente selon le contexte.8. Convenir de mécanismes concrets de coordination entre acteurs internationaux.9. Agir vite… mais rester engagé assez longtemps pour avoirdes chances de réussite.10. Éviter de créer des poches d’exclusion.www.oecd.org/fr/cad/incaf/38368761.pdf

Les enfants dans les conflits Selon les estimations du Fonds des Nations Unies pour l’enfance(Unicef), environ 1 milliard d’enfants et d’adolescents viventdans des régions où sévissent des conflits armés. La moitié des34 millions de réfugiés dans le monde sont des enfants.

LiensUn seul monde 2/2012Le dossier «États fragiles » décrit la coopération au développe-ment dans les contextes fragiles et conflictuels. Il donne des exemples en Asie centrale, au Sri Lanka, au Népal et au Soudandu Sud. À télécharger ou à commander sur www.ddc.admin.ch, «Un seul monde»

Engagement de la DDC dans les États fragileswww.ddc.admin.ch, chercher «États fragiles »

Étude sur la violence au Honduraswww.hsfk.de, chercher «Honduras»

Global Peace Index : classement des pays et des régions dumonde selon leur degré de pacifisme www.visionofhumanity.org

Avec 86 meurtres pour 100000 habitants par an, le Honduras détientle taux d’homicides le plus élevé du monde, selon le classement del’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.

Statistique mondiale des homicides

Homicides

0,00 - 2,99

3,00 - 4,99

5,00 - 9,99

10,00 - 19,99

20,00 - 24,99

25,00 - 34,99

> = 35

Aucune indication

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Claudius Schulze/laif

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HO

RIZ

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Il y a seulement deux ans, Yangon avait encore l’aird’une ville provinciale hors du temps. Son centrehistorique tombait en ruine. Les voitures qui cir-culaient dans les rues étaient pratiquement toutesde vieux modèles des années 80. Mais depuis, lessignes de progrès se multiplient dans l’ex-capitaledu Myanmar : des embouteillages interminablesbloquent tous les axes ; partout, on construit, onmartèle, on soude, on défonce l’asphalte. Deshommes d’affaires affluent du monde entier. Lesprix des chambres d’hôtel ont logiquement prisl’ascenseur. Des nuées de touristes envahissent cepays d’Asie du Sud-Est depuis qu’il est redevenufréquentable. On voit s’ouvrir un peu partout desmagasins, des restaurants et des bars.Ce boom est une conséquence directe de l’ouver-ture politique du Myanmar, décidée il y a deux anspar le président Thein Sein. Depuis son entrée en

fonction en mars 2011, cet ancien général a abolila censure préalable de la presse et libéré plusieurscentaines de prisonniers politiques. Des négocia-teurs du gouvernement ont conclu des accords decessez-le-feu avec presque toutes les milices eth-niques de ce pays dévasté par la guerre. L’icône ducombat pour la démocratie, Aung San Suu Kyi, estactuellement députée au Parlement qui siège dansla nouvelle capitale Naypyidaw. Ses convictions luiavaient valu de passer près de quinze ans en rési-dence surveillée durant la dictature.

Libres, mais toujours aussi pauvresL’essor économique ne s’est pas encore propagéjusque dans les immenses quartiers ouvriers quibordent la zone industrielle de Hlaing Thar Yar, aunord-ouest de Yangon. Des centaines de milliers detravailleurs sont installés ici avec leur famille. La plu-

Transition douloureuse versla démocratieAprès un demi-siècle de repli sur soi et de dictature militaire,le Myanmar s’ouvre au monde à une vitesse vertigineuse – tantsur le plan politique qu’économique. Depuis deux ans, il sem-ble être avide de progrès et de démocratie. Cependant, cetteévolution ne profite de loin pas à toutes les catégories socia-les et des groupes minoritaires de la population sont régu-lièrement victimes de violences. De Sascha Zastiral*.

L’atmosphère de renouveau est perceptible jusque dans les quartiers périphériques de Yangon.

Myanmar ou Birmanie?Après 1988, les générauxau pouvoir ont changé lenom en anglais de nom-breuses localités, qui dataitde l’ère coloniale. Ainsi,Rangoon a été rebaptiséeYangon. La Birmanie estdevenue le Myanmar. Ces deux derniers termesdérivent de Bamar, qui désigne l’ethnie majoritaire.Mais le changement denom a rapidement fait l’objet d’affrontements politiques. Beaucoup dedémocrates le refusenttoujours. Ils continuent de parler de Birmanie, notamment parce que«Myanmar» ne reflète passuffisamment le caractèremultiethnique du pays. Ilscontestent que l’ancien régime ait eu le droit demodifier cette appellation.Aung San Suu Kyi elle-même fait maintenantpreuve d’une certaine am-bivalence à ce sujet : enanglais, elle parle toujoursde Burma, tandis que dansses discours en birman,elle utilise désormais leterme de Myanmar.

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Bettina Flitner/laif

Julien Chatelin/laif

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Myanmar

Myanmar

Yangon

Malaisie

Chine

Thaïlande

Bangladesh

Océan Indien

Inde

Laos

part d’entre eux logent dans de simples cabanes enbambou ou en bois. Leurs conditions de vie sontdifficiles : il n’y a ni eau courante ni réseau d’égout.Le dispensaire étatique, qui se trouve à proximité,manque souvent de médicaments. Quand ils ontbesoin d’une assistance médicale, les habitants serendent donc plutôt dans la clinique ouverte parl’Unicef il y a bien des années.Hla Nyunt vit avec sa femme depuis plus de vingtans dans cette banlieue. Il a 56 ans, travaille com-me veilleur de nuit dans une usine et gagne ainsiun peu plus de 40 francs par mois. Le couple ha-

Le Myanmar en bref

NomRépublique de l’Union du Myanmar

Superficie676578 km2

Population55 millions

CapitaleNaypyidaw

Âge moyen27 ans

EthniesBirmans (Bamars) 68%Shans 9%Karens 7%Rakhines 4%Chinois 3%Autres 9%

Produit intérieur brutpar habitant835 dollars

Produits d’exportationGaz naturel, articles enbois, légumineuses, poisson, riz, textiles, jadeet pierres précieuses

bite dans une construction branlante en bambou,qui abrite sept personnes sur deux étages. Plusieursgrandes affiches représentant Aung San Suu Kyi or-nent la pièce. Hla Nyunt est membre de la Liguenationale pour la démocratie (LND), le parti diri-gé par la figure de proue de l’opposition. Un petittéléviseur en couleur et un lecteur de DVD trô-nent sur une table en bois.L’épouse de Hla Nyunt se tient dans une hutte pla-cée devant la maison et servant de cuisine. Elleépluche de l’ail et des oignons, un travail qui luirapporte un franc par jour. Ses sept enfants habi-tent dans le voisinage. Eux aussi vivent de petitsboulots occasionnels. «Certains changements sesont déjà produits. Avant, il était impossible d’ex-primer une idée politique ou de revendiquer quoique ce soit. Aujourd’hui, c’est tout différent. Lesgens peuvent critiquer le gouvernement », obser-ve Hla Nyunt. «Sur le plan économique, en re-vanche, les choses n’ont guère évolué. Au contrai-re, les produits alimentaires ont tellement renché-ri en deux ans que beaucoup d’ouvriers ont de lapeine à mettre chaque jour suffisamment de nour-riture pour tous sur la table familiale. »

Déferlement de haine et de violencesBeaucoup d’habitants estiment que l’ouverturepolitique du Myanmar n’apporte pas de véritables

progrès. Si l’essor économique auquel ils aspirentse réalise vraiment un jour, cela profitera essentiel-lement, selon eux, aux élites qui dirigeaient le paysdu temps de la dictature militaire.La frustration provoquée par l’espoir déçu d’un vé-ritable décollage économique est sans doute à l’ori-gine de la tendance la plus inquiétante de ces deuxdernières années : on assiste de plus en plus souventà des flambées de violences religieuses. Les heurtsles plus graves se sont produits l’an passé dans la province de Rakhine, à l’ouest du pays. Après lemeurtre d’une jeune bouddhiste, imputé à des

membres de l’ethnie rohingya, des attaques contrecette minorité musulmane ont rapidement dégé-néré en véritables pogroms. Deux vagues de vio-lences successives ont fait des centaines de victimes,de confession musulmane pour la plupart. Lesagresseurs ont détruit des quartiers et des villagesentiers. Plus de 120000 Rohingyas sont aujour-d’hui parqués dans des camps de réfugiés qu’ilsn’ont pas le droit de quitter et où ils manquent detout.Ces derniers mois, on a vu se multiplier les atten-tats contre des musulmans, qui représententquelque 5% de la population birmane. Il ne se pas-se guère de semaine sans que l’on fasse état de nou-veaux actes de violence contre cette communau-té religieuse. Souvent, les agressions font suite à descampagnes d’incitation à la haine, lancées par desbouddhistes extrémistes.Le plus célèbre de ces fanatiques est le moinebouddhiste Ashin Wirathu. Âgé de 45 ans, il a étéemprisonné jusqu’à l’an dernier en raison d’un dis-cours haineux qui avait déclenché en 2003 des vio-lences mortelles contre des musulmans. Ashin Wi-rathu a retrouvé la liberté dans le cadre d’une am-nistie accordée aux prisonniers politiques. Il aimmédiatement repris ses diatribes et ses insultesracistes. Il exhorte ses compatriotes à prendre leursdistances par rapport aux musulmans, à éviter leurs

Tandis que les villes sont en effervescence, les zones rurales restent à l’écart du boom économique.

Naypyidaw

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Ian Teh/VU/laif

Sascha Zastiral

Un seul monde No 3 / Septembre 201320

Minorité persécutéeSelon les Nations Unies,les Rohingyas sont l’unedes minorités les plus per-sécutées du monde. Cetteethnie compte environ800000 personnes, dontla plupart vivent dansl’ouest du Myanmar. Enmajeure partie de confes-sion musulmane, ils sontapparentés aux Bengalisdu Bangladesh voisin,mais avec une langue etune culture qui leur sontpropres. Alors que lesRohingyas sont sansdoute présents dans la région depuis plusieurscentaines d’années, leMyanmar ne leur accordepas le statut de citoyens.Beaucoup de Birmans lesconsidèrent comme desimmigrants illégaux, venusde l’actuel Bangladesh. Larépression et les persécu-tions ont conduit de trèsnombreux Rohingyas à seréfugier au Bangladesh etdans d’autres pays d’Asiedu Sud.

Avec l’ouverture du pays, l’offre de produits – y compris les médicaments et les journaux – a rapidement augmenté.

magasins, à ne pas se marier avec eux ou encore àne pas leur vendre de terrains. Il leur recomman-de aussi de se détourner de la cheffe de l’opposi-tion Aung San Suu Kyi, dont le parti serait, com-me toutes les autres grandes formations politiquesdu pays, infiltré par les musulmans.

Les minorités n’ont guère confianceCes violences répétées finissent effectivement parporter atteinte à la réputation d’Aung San Suu Kyi,mais surtout à l’étranger. La politicienne garde lesilence sur ce sujet, malgré la gravité des violencesqui sont perpétrées. De toute évidence, elle ne veutpas s’aliéner la sympathie de la majorité bouddhiste.Les esprits critiques trouvent que la lauréate du prixNobel de la paix devrait user de son prestige et deson autorité morale pour exiger la cessation de cesbrutalités.Au siège de la LND, dans le quartier de Bahan àYangon, Tin Oo est assis à son bureau. À 85 ans, levice-président du parti est pétillant d’énergie. Lors-qu’on lui demande ce qu’il pense des violences per-sistantes contre les musulmans, il explique qu’autemps de la dictature militaire, des fonctionnairescorrompus avaient laissé s’installer dans le pays denombreux immigrants en provenance du Bangla-desh et de l’Inde. Cela contribue aux problèmes ac-tuels, selon lui : « Il s’agit pour nous d’examiner siles gens qui vivent ici sont vraiment établis depuislongtemps, si leurs parents habitaient déjà notrepays. Le cas échéant, ils ont le droit de rester. Cesont des citoyens birmans à part entière. » Pour lesautres, « le droit humain fondamental de vivre enpaix s’applique en tous les cas ». Tin Oo pense quele développement du pays requiert un climat deconfiance. « Il ne faut pas que les gens craignent dese voir exproprier en faveur de grands projets in-

dustriels – en soi inéluctables – sans être indemni-sés comme il convient. Cette question concerneen particulier les minorités ethniques. Nous devonsfaire tout notre possible pour obtenir leur confian-ce et rétablir l’unité nationale. »

Appel à la cohabitation pacifiqueMais beaucoup de gens semblent avoir perduconfiance, tout au moins à l’égard de la police. Ils’est formé dans plusieurs quartiers de Yangon,comme dans de nombreuses autres localités dupays, des milices citoyennes au sein desquellestoutes les religions sont représentées. Elles consti-tuent une réaction à la retenue dont font preuveles leaders politiques et à l’inaction des autorités.La nuit, ces gardes surveillent les accès à leur quar-tier, pour empêcher que des inconnus y pénètrentet provoquent des désordres. Selon des témoinsoculaires, les auteurs des récentes violences venaientde l’extérieur des communautés affectées.Ces temps, de jeunes activistes distribuent dans lesrues de Yangon des papillons, des tee-shirts et desautocollants appelant à une coexistence pacifique.Selon l’un des initiateurs de cette action intitulée«Prions pour le Myanmar », 95% des passants pren-nent volontiers les autocollants et les tee-shirts quileur sont offerts. ■

*Sascha Zastiral, journaliste indépendant, est le corres-pondant en Asie du Sud notamment de la «Neue Zür-cher Zeitung » et de médias allemands

(De l’allemand)

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Un seul monde No 3 / Septembre 2013 21

Myanmar

DDC

Certains vœux sont exaucés plus vite que d’au-tres. En juillet de l’année dernière, ma femme etmoi, couchés sur un pré de l’Engadine, rêvions àce que seraient nos destinations préférées si laDDC m’assignait une nouvelle mission à l’étran-ger. Le Myanmar figurait parmi les pays que nousavions énumérés. Je n’imaginais alors absolumentpas que cette possibilité me serait offerte à la mi-septembre. Puis, tout est allé très vite : la deman-de est arrivée un samedi après-midi, la décision aété prise le surlendemain et un mois plus tard,j’étais en route pour Yangon.

Cela explique pourquoi je ne parle pas encore lebirman. Normalement, un tel séjour se préparelongtemps à l’avance. Mais devant l’ouverture dé-mocratique qui se précisait au Myanmar, la Confé-dération a décidé sans attendre d’étoffer considé-rablement son engagement dans ce pays. Pour mafonction, on a cherché quelqu’un de très expéri-menté. J’ai pu me mettre rapidement dans le bain.Par bonheur, ma femme est venue me rejoindre à Yangon aussitôt après avoir réglé toutes les ques-tions liées à son travail. Quant à nos enfants, ils étudient et restent donc en Suisse.

Alors que les collaborateurs birmans arrivent ra-rement au bureau avant 8 heures 30, je commen-ce ma journée plus tôt pour éviter les embou-teillages. Yangon est en effervescence depuis l’ou-verture du pays. Il y a chaque jour davantage devoitures, de touristes et d’étrangers en voyages d’af-faires. Toutefois, les infrastructures ne suivent pas.Les prix des hôtels et des appartements ont dou-blé en une année. L’atmosphère de renouveau esttrès perceptible dans l’ancienne capitale. En re-vanche, un certain scepticisme flotte sur les régionsplus fragiles du pays. Ainsi, une bonne douzainede négociations de paix sont actuellement en coursavec les rebelles appartenant à des minorités eth-niques. La Suisse soutient une partie de ces pour-parlers en conseillant les participants.

En tant que directeur de coopération et ambassa-deur suppléant, je me suis beaucoup occupé ces

Un engagement accruAlors que le Myanmar vivaitdepuis 1962 sous une dic-tature militaire, un civil a accédé à la présidence le 4 février 2011. En réponseà sa politique d’ouverture,les sanctions internationalescontre ce pays ont alorsété assouplies. En juin2012, la Suisse a décidéd’ouvrir une ambassade au Myanmar. La DDC et laDivision Sécurité humaine(DSH) du DFAE ont intensi-fié leurs activités. L’ambas-sade, la DDC et la DSHsont installées dans lesmêmes locaux. Elles pour-suivent une stratégie inté-grée. Outre les activités diplomatiques habituelles,les secteurs prioritairessont les suivants : accrois-sement des revenus et formation professionnelle ;agriculture et sécurité ali-mentaire ; santé, presta-tions sociales et gouver-nance locale ; promotion dela paix, démocratisation etprotection des populationsvulnérables.www.ddc.admin.ch/mekongwww.swiss-cooperation.admin.ch/mekong

Une journée sur le terrain avec...Peter Tschumi, directeur de coopération et ambassadeur suppléant de la Suisse à Yangon

derniers mois de développement institutionnel.Avant l’ouverture d’une ambassade en novembre2012, la Suisse n’était plus représentée au Myan-mar que par un programme d’aide humanitaire etune vingtaine de personnes. Depuis lors, l’effectifa augmenté régulièrement. Nous serons environquarante à la fin de 2013, sans compter les mem-bres de nos deux antennes sur le terrain. Notre bu-reau à Yangon compte un petit tiers de Suisses, tousles autres collaborateurs sont Birmans. Il faudra encore un peu de temps pour bien roder les pro-cessus de travail et assurer un fonctionnement har-monieux de l’équipe.

Sur le plan opérationnel, par contre, les chosesavancent à grands pas. Nous profitons notammentdu bon travail effectué par notre aide humanitai-re qui a lancé, après le cyclone Nargis en 2008, unvaste programme de reconstruction centré sur lesbâtiments scolaires. L’édification d’une nouvelleécole suscite de la confiance à l’égard de la Suisseet peut aussi servir de point de départ pour d’autresaspects du développement communautaire. Idéa-lement, cela nous permettra peut-être un jour deréunir d’anciens ennemis autour d’une table, afinde planifier ensemble des projets utiles pour leurrégion. ■

(Propos recueillis par Mirella Wepf ; de l’allemand)

« Un certain scepticisme flotte sur les régions

fragiles du pays. »

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Martin Sasse/laif

Un seul monde No 3 / Septembre 201322

Myanmar

Je suis heureuse de revenir dans mon village natalpour le Festival de l’eau. C’est l’occasion de revoirmes amis d’enfance qui résident temporairement enThaïlande. Jusqu’ici, ils étaient des travailleurs mi-grants sans papiers, occupant des em-plois dits «3D», à savoir sales, difficileset dangereux (dirty, difficult and dange-rous). Grâce à la nouvelle politique dugouvernement thaïlandais, ils ont pu seprocurer des documents d’identité, cequi leur permet de revenir chez euxplus souvent et sans risques.

Dans l’État de Môn, l’émigration demasse a commencé au début des années2000. Chaque famille fournit des tra-vailleurs au marché thaïlandais. Bienque la vie de migrant soit pleine de dangers, la plupart des jeunes quittentleur village dès l’adolescence. Ils pensentque l’éducation ne paie pas, contraire-ment aux emplois en Thaïlande. À leursyeux, la formation coûte trop cher pource qu’elle rapporte. Les salaires sont basau Myanmar, tant dans le secteur publicque privé. De plus, le système éducatifs’est dégradé sous la dictature. Les pa-rents disaient : «Si nos enfants ne peu-vent pas gagner leur vie après le collè-ge, à quoi bon les envoyer à l’école ? »

Les jeunes tendent d’autant plus à émi-grer que les villageois vouent un grandrespect à ceux qui envoient de l’argentà la maison. La plupart des filles n’ontle choix qu’entre un mariage précoceet l’émigration. Toute personne quiépouse un homme riche ou qui envoie de l’argentà sa famille passe pour héroïque. Je ne serai jamaisune héroïne ou quelqu’un que les jeunes envient.Alors que mes amis ont arrêté l’école pour aller tra-vailler en Thaïlande, j’ai choisi les études. Sous le

Home Sweet Homerégime militaire, la majorité des Birmans se trou-vaient dans une situation précaire. Mes parents nefaisaient pas exception. Les villageois s’inquiétaientde mon goût pour l’école. Quand j’ai eu 16 ans, ils

m’ont demandé : «Vas-tu maintenantpartir vers la montagne?», ce qui dé-signait la frontière thaï. À 18 ans, quandje me suis inscrite à l’Université deYangon, ils m’ont dit : « Pourquoidonnes-tu autant de soucis à tes pa-rents? Sois une bonne fille. Tu vois bienque d’autres familles reçoivent des sousde leurs enfants. » Puis, à mes 22 ans :«Pourquoi ne te maries-tu pas main-tenant ? Encore des diplômes… C’estinsensé ! » À mes 25 ans : «Combiengagnes-tu par mois ? » Quand j’ai eu 30 ans, ils se sont lassés de poser desquestions.

En fait, ils ne pouvaient pas voir monévolution en dehors du village. J’aiobtenu des bourses pour étudier àl’étranger, je suis rédactrice dans unjournal influent et je suis la représen-tante locale d’une ONG européenne.Cela ne signifie rien pour eux. À leursyeux, je suis restée la même – ma coif-fure, ma façon de m’habiller n’ont paschangé. Ma famille n’est pas plus richequ’autrefois.

De mon côté, j’observe de l’instabili-té chez ces personnes et une dégrada-tion du tissu social. Autrefois, les villa-geois étaient plus honnêtes et cor-diaux. La vie doit être dure pour eux.

Cette lutte pour gagner de l’argent à l’étranger estimpitoyable. Tolérance et solidarité vont en s’ame-nuisant. Les gens deviennent plus matérialistes. Laseule chose qui n’ait pas changé dans mon village,c’est l’opinion sur l’éducation.

Actuellement, le Myanmar ouvre son économie àde la main-d’œuvre qualifiée. Une bonne forma-tion est plus nécessaire que jamais. Comment sur-vivront-ils ? Pourront-ils éternellement comptersur l’économie thaïe ? Certainement pas. Mon vil-lage sera-t-il un pourvoyeur de travailleurs manuelspour le nouveau Myanmar modernisé? Ce n’est pasl’avenir que je lui souhaite. Je voudrais faire quelquechose pour que cela change. Où commencer ?J’éprouve de la pitié pour eux, mais eux aussi meconsidèrent comme une pauvre fille. ■

(De l’anglais)

Nwet Kay Khine, 34 ans,

est journaliste et analyste

politique au sein du groupe

de presse birman Living

Color Media. Cette jeune

femme, qui vit à Yangon,

est titulaire de deux mas-

ters, l’un en relations inter-

nationales et développe-

ment, l’autre en jour-

nalisme, médias et mon-

dialisation. Elle enseigne

également divers sujets

liés à la presse et au déve-

loppement dans le secteur

de l’éducation non for-

melle. Nwet Kay Khine

tient une chronique dans

l’hebdomadaire The Voice

Weekly. Elle y traite du dé-

veloppement du Myanmar,

en le comparant avec celui

d’autres pays.

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Un seul monde No 3 / Septembre 2013 23

DD

C

priorité. » Faute d’études comparatives, bien desmunicipalités n’ont pas encore réalisé que certainesmesures environnementales, comme les économiesd’eau et d’énergie, peuvent avoir des incidences po-sitives sur leur budget. C’est pourquoi la DDC a prolongé son engagementde trois ans, soit jusqu’en 2015. Il en résulte d’ailleursdes synergies bénéfiques pour le projet de protec-tion de la nature qui vient de démarrer dans la val-lée de la Bregalnica. En vue du débat sur l’équilibreà trouver entre exploitation et protection des res-sources naturelles dans cette région, Oxo a élabo-ré un nouveau matériel pédagogique. Celui-ci trai-te de façon pratique des sujets tels que la biodiver-sité et la protection de l’environnement en zonerurale. ■

(De l’allemand)

L’écologie enseignée aux petits MacédoniensTout a commencé par l’initiative d’une organisation non gou-vernementale dans certaines écoles de Macédoine. Aujour-d’hui, l’éducation à l’environnement fait partie du programmescolaire officiel, notamment grâce à l’appui de la DDC. La sen-sibilisation aux questions écologiques ouvre la voie à de nou-veaux progrès dans ce domaine.

Apprendre et vivrel’écologie à l’écoleLe mouvement mondialdes « éco-écoles » a étécréé en 1994 par une or-ganisation danoise. L’idéede base était d’inculqueraux enfants et aux adoles-cents, dans leur quotidienscolaire, un comportementresponsable à l’égard del’eau, de l’énergie et desdéchets. Dans la mesureoù ils appliquent ensuite àla maison ce qu’ils ont ap-pris, ces jeunes deviennentles promoteurs d’un modede vie plus écologique. Leséco-écoles utilisent un sys-tème de bonus, les amélio-rations s’effectuant en septétapes dont chacune com-porte un objectif précis àatteindre. En Macédoine,l’organisation Oxo a lancéles premières éco-écolesen 1998. Aujourd’hui, il yen a dans tout le pays.Elles se disputent les prixoctroyés pour un engage-ment remarquable en fa-veur de l’environnement.Cela va de la journée decollecte des déchets jus-qu’à la pose de panneauxsolaires sur le toit du bâti-ment scolaire.www.eco-ecole.org

(gn) Dans la vallée idyllique de la Bregalnica, il im-porte d’améliorer la gestion de l’eau afin qu’elle réponse aux critères européens. La Suisse soutientà la fois des projets d’exploitation plus intensive desressources locales et les efforts déployés pour pro-téger un paysage exceptionnel. Pour ce faire, ellecollabore étroitement avec l’organisation écologis-te Oxo qui accomplit depuis les années 90 un tra-vail de pionnier dans le domaine de l’éducation àl’environnement.Oxo a commencé par élaborer une documentationpédagogique, puis elle a pris contact avec des écoles.Les enseignants ont été enthousiasmés par la thé-matique. Sous la devise «Nous n’avons aucune pla-nète de rechange», ils s’emploient à améliorer le bi-lan écologique de leurs établissements et à sensibi-liser leurs élèves aux problèmes environnementaux.Ces activités s’appuient sur les directives du mou-vement international Éco-École.

Bénéfique pour le budget communalLa DDC soutient cette campagne en Macédoinedepuis 2002. La valeur et le succès du projet l’ontconduite à encourager dès 2010 un processus vi-sant à institutionnaliser l’éducation à l’environne-ment, jusque-là facultative, et à l’inscrire au pro-gramme scolaire. Des étapes importantes ont déjàété franchies : on a créé un service de coordinationet intégré le thème «environnement» dans le ma-tériel scolaire. Mais la concrétisation n’atteint pas partout le ni-veau souhaité, reconnaît Romana Tedeschi, chargéede programme à la DDC: «La gestion des écoles etdu corps enseignant est placée sous la responsabili-té des communes. Or, pour ces dernières, les pré-occupations écologiques ne sont souvent pas une

L’éducation à l’environnement peut passer par la présen-tation d’une pièce de théâtre ou par la confection d’unerobe avec des déchets.

DDC (2)

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Helvetas Swiss Intercooperation

Un seul monde No 3 / Septembre 201324

( jls) Alors que les transports sont un facteur essen-tiel du développement en milieu rural, le BurkinaFaso manque encore cruellement de pistes carros-sables en toute saison. Dans les campagnes, beaucoupde villages ne sont reliés à l’extérieur que par dessentiers de brousse. Leurs habitants doivent parcou-rir des kilomètres à pied ou à vélo pour se rendredans un centre de santé, au marché ou à l’école. À la saison des pluies, ils sont parfois coupés du mon-de pendant plusieurs mois, car les bas-fonds envi-ronnants sont inondés. Depuis le début des années2000, le gouvernement burkinabè s’efforce d’élar-

Des pistes vers le développementDans l’est du Burkina Faso, la DDC soutient la construction depistes rurales afin d’améliorer l’accès des habitants aux mar-chés et aux services de base. Les travaux sont exécutés parles villageois eux-mêmes, selon la méthode dite « à haute intensité de main-d’œuvre ». Ce programme a déjà permis de désenclaver une population de plus de 500000 personnes.

gir son réseau de pistes afin de désenclaver des zonesrurales. C’est l’objectif de sa Stratégie nationale detransport rural.

Accompagnement des élus locaux Pour contribuer à la réalisation de cette stratégie, laDDC a lancé en 2002 un programme de construc-tion de pistes rurales dans l’est du pays. À ce jour,elle a déjà financé l’aménagement de plus de 300km de pistes et de 126 ouvrages destinés au fran-chissement de cours d’eau ou de bas-fonds. Ces in-frastructures ont rompu l’isolement d’une cinquan-

Environ 900 emplois sont proposés chaque mois à la population locale pour la construction des pistes rurales.

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Helvetas Swiss Intercooperation

25Un seul monde No 3 / Septembre 2013

Himo d’hier et d’aujourd’huiLa méthode Himo a étéconçue dans les années70 par le Bureau interna-tional du travail, afin delutter contre le chômageélevé dans les pays endéveloppement. Son seulobjectif étant à l’époqued’occuper des travail-leurs, elle donnait demaigres résultats sur leplan technique et écono-mique. Entre-temps, leconcept a évolué. Il tientcompte des coûts, de larentabilité et de la qualité.En outre, les travaux sontconfiés à de petites entre-prises locales, ce quicontribue au développe-ment du secteur privé.Ainsi, la méthode Himopermet de créer de nom-breux emplois dans unerégion, en construisantdes infrastructures du-rables à des prix compéti-tifs. Dans les pays où lessalaires sont bas, leschantiers Himo coûtent10 à 30% moins cher queceux basés sur l’utilisa-tion intensive d’équipe-ments et de machines.

taine de villages, ce qui représente plus de 500000habitants.Conformément à la politique de décentralisation,les communes sont les maîtres d’ouvrage. Elles sontcensées planifier la construction des pistes, lancer desappels d’offres, désigner l’entreprise qui exécutera les travaux, puis en assurer la supervision. «Nous lesassistons dans ces démarches, car c’est un rôle nou-veau pour elles et leurs compétences sont limitées.Tous les élus locaux ne sont pas alphabétisés», in-dique Lionel Giron, coordinateur en Afrique del’Ouest d’Helvetas Swiss Intercooperation, l’orga-nisation qui met en œuvre ce programme.

Quand l’homme remplace la machineCes chantiers sont particuliers dans la mesure où l’onn’y voit ni bulldozer, ni niveleuse, ni aucun autre engin typique des travaux routiers, mais une multi-tude d’ouvriers maniant la pelle, la pioche et labrouette. Le programme se fonde en effet sur la mé-thode à haute intensité de main-d’œuvre (Himo).Les habitants des villages construisent eux-mêmesles pistes dont ils bénéficieront. De petites entrepriseslocales recrutent sur place l’abondante main-d’œuvre dont elles ont besoin, à savoir des maçons,qui suivent une brève formation préalable, et denombreux tâcherons. La construction se concentresur la saison sèche, pendant laquelle les paysans ontpeu à faire dans les champs. Le programme offre ainsi plus de 900 emplois parmois, dont 135 sont occupés par des femmes. Lesouvriers touchent entre 3,30 et 5,65 francs suissespar jour, selon les tâches effectuées.

Des travaux pénibles… pour une bonnecausePour que les entreprises puissent compter sur deséquipes régulières, il était nécessaire que les com-munautés concernées adhèrent pleinement au pro-jet. C’est pourquoi des animateurs ont été chargésd’expliquer aux villageois les avantages du désen-clavement. «Ce sont des travaux pénibles. Il fautcreuser, rouler de grosses pierres, étendre de la laté-rite à la pelle, damer la piste», rappelle Lionel Gi-ron. «Les gens se décourageraient bien vite s’ils nevoyaient pas l’intérêt qu’ils peuvent tirer de ces in-frastructures. » Les avantages ont été mis en évidence par une étu-de d’impact en 2011. Celle-ci a montré que les pistesrurales avaient sensiblement amélioré les conditionsde vie dans la région. Les gens accèdent beaucoupplus facilement aux centres de santé, aux écoles et àd’autres services de base. Les ambulances peuvent al-ler dans les villages pour évacuer des malades ou desfemmes sur le point d’accoucher. La mobilité accruea également une incidence sur la situation écono-

Les nouvelles pistes ont sensiblement amélioré les condi-tions de vie dans la région.

mique: les paysans écoulent leurs produits au mar-ché, alors qu’ils étaient autrefois condamnés à pra-tiquer une agriculture de subsistance. Des commer-çants viennent même dans les villages pour y ache-ter la production locale. Ainsi, le pouvoir d’achat, quigrimpe d’abord grâce au travail sur les chantiers, semaintient ensuite avec le développement de l’acti-vité économique.

L’épineuse question de l’entretienL’un des intérêts de l’approche Himo est qu’elle per-met d’assurer l’entretien permanent d’une piste :l’ayant construite de leurs propres mains, les villa-geois sont parfaitement capables de la réparer. Res-

te à savoir quelle autorité doit leur en donner lemandat. Les différents acteurs n’ont pas encore trou-vé un dispositif efficace. «Nous sommes en train deréfléchir à la manière de transférer davantage de res-ponsabilités aux communes», indique Max Streit,chargé de programme à la DDC. «En tout cas, il estnécessaire que cette question soit tranchée avant lafin du programme, prévue pour juin 2015.» La méthode Himo a convaincu le gouvernementburkinabè qui a décidé l’an dernier d’en faire un ins-trument privilégié de sa politique de désenclave-ment. «C’est une évolution très positive», se réjouitLionel Giron. «Cela signifie que notre expériencepourra maintenant être reproduite à l’échelle natio-nale. » Il reste plusieurs milliers de pistes à construi-re ou à réhabiliter au Burkina. D’autres donateursont manifesté leur intérêt pour de tels projets. ■

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Un seul monde No 3 / Septembre 201326

DDC interne

Adrien Michel/DDC

Des PME dans les zones rurales du Bénin(bm) Sur les 140000 entre-prises du Bénin, à peine untiers se trouvent dans deszones rurales. Ce sont pour la plupart de petites exploita-tions familiales qui n’em-ploient aucun salarié. Afin depromouvoir le développementéconomique et la créationd’emplois, la DDC cofinanceun projet visant à dynamiserl’entrepreneuriat dans lemonde rural. Le but est derenforcer ou de créer de pe-tites et moyennes entreprisespar la mise à disposition decapitaux privés, de même quepar des appuis à la formationet à l’innovation. Parmi les filières identifiées figurent laproduction, la transformationet la commercialisation desproduits agricoles, ainsi que laproduction d’énergie locale. Durée du projet : 2013 – 2017Volume : 3,7 millions CHF

Contre la faim dans lesGrands Lacs(bm) Le Rwanda et le Burundiaffichent des taux très élevésde malnutrition. La DDC y co-finance un programme, mis en œuvre par quatre agencesonusiennes, qui vise à réduireles causes de ce fléau dansles groupes de population lesplus vulnérables. Parmi les résultats attendus figurentl’amélioration de la productionagricole au niveau des mé-nages, la promotion d’unenourriture enrichie destinéeaux enfants en bas âge et aux

femmes, ainsi que des cam-pagnes de sensibilisation etd’information sur l’alimenta-tion et les règles d’hygiène. Durée du projet : 2013 – 2016Volume : 5,8 millions CHF

Accueil des réfugiés syriensau Liban(ung) Le Liban subit de pleinfouet les effets de la guerre enSyrie. Il compte déjà sur sonterritoire plus de 380000 réfu-giés venus de ce pays voisin.Un grand nombre d’entre eux vivent dans des familles d’ac-cueil, mais ces dernières ontde plus en plus de difficultés à trouver des moyens de sub-sistance. L’Aide humanitairede la DDC entame la deuxiè-me phase d’un projet qui ré-pond à leur détresse. À WadiKhaled et à Akroum, villesproches de la frontière sy-rienne, elle leur apporte uneaide financière directe. Ceprojet devrait bénéficier à plusde 1800 familles d’accueil et à 15000 réfugiés syriens. Durée du projet : 2013Volume : 2,6 millions CHF

Les légumes prennent le chemin de l’école( jah) Manger à sa faim ne rimepas toujours avec alimentationéquilibrée. Environ 2 milliardsd’êtres humains souffrentd’une déficience en micro-nutriments, un phénomèneégalement appelé « faim silen-cieuse». La DDC soutient unprojet de jardinage scolairedans six pays du Sud (BurkinaFaso, Tanzanie, Bhoutan,Népal, Indonésie, Philippines).L’objectif est d’améliorer l’ali-mentation des élèves et deleurs familles. À un importanttravail de sensibilisations’ajoute la sélection de fruitset de légumes riches en

micronutriments et adaptésaux conditions climatiques.Les produits de ces jardinssont servis dans les cantinesscolaires. Durée du projet : 2012 – 2015Volume : 3,7 millions CHF

Préserver les forêts andines(jah) Les «mesures d’atténua-tion adaptées au contexte national » (MAAN) seront àl’avenir un élément clé du financement de la lutte contrele changement climatique.Elles ont pour but de réduireles gaz à effet de serre dansun cadre propice au dévelop-pement. Avec le soutien de laDDC, le Chili est l’un des pre-miers pays à développer untel instrument pour le secteurforestier. Ce projet vise nonseulement à diminuer lesémissions, mais également àrapprocher les propriétairesforestiers du marché nationalet international du carbone età assurer une meilleure répar-tition des bénéfices. Durée du projet : 2013 – 2014Volume : 1,6 million CHF

Vers le développement de la vallée du Rasht(mpe) La vie n’est pas faciledans la vallée isolée du Rasht,au Tadjikistan. Cette région demontagne est la plus pauvredu pays et subit régulièrementtoutes sortes de catastrophesnaturelles. Il y règne en outreune instabilité politique chro-nique. Dans cet environne-ment particulièrement fragile,la DDC a décidé, en collabo-ration avec la Fondation AgaKhan, d’assurer une transitiondes activités humanitairesvers un développement plusdurable. Son programme seconcentre sur l’eau potable etla santé, mais comporte aussi

d’autres volets, dont la pré-vention des catastrophes na-turelles et une meilleure ges-tion des ressources naturelles.La DDC se montre pionnièreen intervenant dans cette région. Elle ouvre la voie àd’autres bailleurs de fonds. Durée du projet : 2013 – 2017 Volume : 9,6 millions CHF

Cyberadministration en Ukraine(mpe) Pour renforcer son ac-tion dans le secteur de la gou-vernance locale en Ukraine, la DDC a lancé un projet de cyberadministration. Elle en-tend soutenir les citoyens enbutte à une bureaucratie com-pliquée, inefficace et sujette à la corruption. Il s’agit de pro-mouvoir une offre de servicesmodernes, rapides et transpa-rents de la part des commu-nes. L’ambition n’est pas derésoudre tous les problèmesdes municipalités du jour aulendemain, mais de donnerune impulsion et une juste direction à la nécessaire réforme de l’administration locale, pour que celle-ci soiten mesure de proposer desservices de qualité à la popu-lation. Durée du projet : 2013 – 2014Volume : 300000 CHF

DDC

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Daniel McCabe/Redux/laif

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MChoqué par la vision de milliers de soldats blessésqui agonisaient faute de soins sur le champ de ba-taille de Solferino, Henri Dunant a lancé une idéerévolutionnaire : toutes les victimes d’une guerresont des êtres humains et méritent d’être secou-rues, sans aucune discrimination. Ce principe vainspirer la création du CICR en 1863 et celle dessociétés nationales de la Croix-Rouge, ainsi quel’élaboration du droit international humanitaire(DIH). Jusqu’à la moitié du 20e siècle, le CICR a été laseule structure internationale à intervenir dans leszones de conflits. Il a été rejoint ensuite par lesagences onusiennes et par de nombreuses organi-sations non gouvernementales (ONG). La plupartdes acteurs humanitaires respectent aujourd’huiquatre principes fondamentaux : l’humanité, l’im-partialité, la neutralité et l’indépendance.

Les humanitaires moins bien acceptésSelon le DIH, les parties aux conflits ne peuventpas refuser arbitrairement la fourniture d’une as-sistance humanitaire. Depuis une dizaine d’années,les organisations humanitaires ont pourtant de plusen plus de peine à obtenir leur consentement. Lesbelligérants sont réticents à leur accorder l’accès auxvictimes, soit parce qu’ils perçoivent ces organisa-tions comme des alliées de l’Occident, soit parcequ’ils veulent contrôler strictement l’aide dispen-sée sur leur territoire. Certains États autoritaires et groupes armés sontdes interlocuteurs particulièrement difficiles. Lors-qu’ils ne rejettent pas en bloc l’aide extérieure, ilsla soumettent à des conditions très restrictives.«Pour pouvoir sauver des vies, les humanitaires sontparfois amenés à faire des compromis, voire à cé-der sur les principes fondamentaux. Cela leur pose

Dilemmes pour accéder auxvictimes de conflitsAlors que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) fêtecette année ses 150 ans, de nouveaux défis se posent à l’actionhumanitaire. Les organisations actives, comme lui, dans des zo-nes de conflits ont de plus en plus de difficultés à accéder auxvictimes. Elles doivent parfois faire des compromis pour pou-voir déployer leur aide. De Jane-Lise Schneeberger.

Dans certaines régions de la République démocratique du Congo, les équipes humanitaires de l’ONU ne se déplacentque sous la protection des Casques bleus.

Manuels sur l’accès humanitaireUne réunion d’experts,convoquée par la Suisse,s’est penchée en 2008 surles difficultés d’accès auxvictimes dans les conflitsarmés. Elle a abouti à deuxconclusions : le cadre juri-dique applicable dans cedomaine manque de clartéet il est nécessaire dedévelopper des instru-ments pratiques pouraméliorer l’accès. En colla-boration avec divers ac-teurs humanitaires, leDFAE a donc élaboré etmis en consultation deuxpublications sous le titregénéral HumanitarianAccess in situations of ar-med conflict. L’une résumeles règles pertinentes dudroit international en lamatière, l’autre proposeune méthodologie à l’in-tention des travailleurs hu-manitaires confrontés àces questions. Les deuxbrochures seront disponi-bles dès septembre. www.dfae.ch, «Documen-tation », «Publications »,«Droits de l’homme, politi-que humanitaire, migration»

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Jan Grarup/laif

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d’importants dilemmes moraux et peut s’avérercontre-productif à long terme», relève Anne deRiedmatten, chargée de programme à l’Aide hu-manitaire de la DDC.

Accès total ou partiel aux victimesUne des restrictions les plus fréquentes est l’inter-diction de pénétrer dans certaines zones sensibles,alors que l’accès est possible ailleurs. Premier di-lemme: une organisation impartiale peut-elle n’ai-der qu’une partie des victimes ? « Il faut parfois semontrer pragmatique », répond Yves Daccord, di-recteur général du CICR. «Nous pouvons accep-ter une telle condition temporairement, mais nousrevenons à la charge et réitérons sans cesse notredemande de pouvoir accéder à toutes les popula-tions dans le besoin. »Certaines ONG n’hésitent pas à enfreindre l’in-terdiction d’accès. «Nous préférons toujours tra-vailler avec le consentement de l’État, mais lorsquela négociation échoue, nous envisageons d’autresoptions dans les zones non contrôlées par le gou-vernement », reconnaît Bruno Jochum, directeurgénéral de la section suisse de Médecins sans Fron-tières (MSF). Dans la province soudanaise du Kor-dofan du Sud, dont l’accès est bloqué depuis deuxans par le gouvernement, MSF a choisi d’entrer directement dans les territoires aux mains des re-belles. Elle tient cependant les autorités soudanaisesinformées de ses activités. Les agences onusiennes n’ont pas la même margede manœuvre qu’une ONG à cet égard. Elles sont

tenues de respecter la souveraineté des États.«Quand c’est un gouvernement qui interdit l’ac-cès, nous lui rappelons ses obligations découlant duDIH. Les résultats de ce plaidoyer sont variables »,indique Geneviève Boutin, cheffe de la section Po-litique humanitaire à l’Unicef. «Nous n’avons pasle même moyen de pression lorsque l’accès est blo-qué par un groupe armé qui ne recherche aucunelégitimité politique et ne se sent donc pas lié parle DIH. »

Se taire ou partir Les humanitaires ont aussi la possibilité d’alerter lesmédias pour faire pression sur les belligérants. D’ha-bitude discret, le CICR intervient publiquementdans certains cas, s’il ne parvient pas à résoudre unblocage par le dialogue bilatéral. En 2009, il a ain-si révélé que des blessés palestiniens mouraient àGaza en attendant les secours, parce que les am-bulances n’étaient pas autorisées à circuler. Cependant, la dénonciation publique pose aussi undilemme éthique, car elle peut entraîner des re-présailles. Durant la phase finale de la guerre au SriLanka, la plupart des organisations humanitaires sesont tues sur l’ampleur des massacres, un silence quileur sera reproché. MSF en faisait partie : « Si nousavions pris la parole publiquement, cela aurait si-gnifié notre expulsion immédiate. Vu la possibilitépour nos équipes de sauver des vies en pratiquantla chirurgie, nous avons privilégié l’assistance », sesouvient Bruno Jochum. À l’époque, le gouverne-ment sri lankais avait mis en place un « stratagème

Il y a deux ans, les milices «chebabs» ont expulsé de Somalie 17 organisations humanitaires qui venaient en aide à la population.

Présent sur tous les frontsLe CICR emploie quelque13000 personnes. Il inter-vient dans plus de quatre-vingt pays pour fournir pro-tection et assistance auxvictimes de conflits inter-nationaux ou internes. Ses plus grandes opéra-tions se déroulent actuelle-ment en Afghanistan, enIrak, en Somalie, en RDC,au Soudan du Sud et enSyrie. Le CICR offre unelarge palette de serviceshumanitaires, qui va de lavisite de prisonniers à larecherche de disparus, enpassant par la fourniturede prothèses, l’approvi-sionnement en eau pota-ble, les services médicauxou l’assistance économi-que. Son financement estassuré essentiellement parles gouvernements occi-dentaux. La contributionde la Suisse est la deu-xième en importance,après celle des États-Unis.Elle se monte cette annéeà 119 millions de francs.

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James Hill/laif

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d’intimidation» des acteurs humanitaires, commel’a relevé en 2012 un rapport de l’ONU.

Rester malgré tout ou se retirer Il arrive qu’un État ou un groupe armé annule l’ac-cès précédemment accordé. En 2009, le Soudan achassé du Darfour dix ONG internationales. Deuxans plus tard, les milices chebabs expulsaient de Somalie 17 organismes humanitaires.Une organisation peut aussi partir de sa propre ini-tiative, si elle estime ne plus pouvoir remplir sa mis-sion. Cette décision représente toutefois un gravedilemme, tant elle est lourde de conséquences pourles victimes. «Le retrait total reste finalement assezexceptionnel. Sachant qu’il est généralement trèscompliqué de regagner l’accès, l’organisation choi-sit plutôt de geler seulement une partie de ses ac-tivités », note Anne de Riedmatten. En avril der-nier, le CICR a ainsi suspendu ses visites de pri-sons en Ouzbékistan, faute de pouvoir faire sontravail de protection des détenus. Il a maintenu uneprésence réduite dans ce pays.

La sécurité au détriment de la neutralitéLes restrictions d’accès peuvent aussi être liées àl’insécurité. Dans un tel contexte, la protection dupersonnel soulève une épineuse question éthique,que résume Ed Schenkenberg, directeur de la fon-dation Dara International : «Le recours à une es-corte militaire compromet la neutralité des huma-nitaires. Malheureusement, c’est parfois le seulmoyen d’accéder aux victimes. Vaut-il mieux se

déplacer sous escorte ou rester les bras croisés dansla capitale ? » En Somalie, la plupart des équipes internationales sont actuellement protégées par desgardes armés.Pour le CICR et MSF, ce pays reste une excep-tion. Les deux organismes restent viscéralement op-posés à une protection militaire, préférant négocierdes garanties de sécurité avec les belligérants. LesNations Unies, elles, n’utilisent des escortes qu’endernier recours, s’il n’existe aucune solution civi-le pour répondre aux besoins humanitaires. Danscertaines zones de la République démocratique duCongo, leurs équipes se déplacent aujourd’hui sousla protection des Casques bleus.

Pilotage à distance ou accès directVu les risques encourus, certaines organisations, notamment les onusiennes, confient la distributionde l’aide à des intermédiaires locaux et gèrent lesopérations à distance. «Lorsque des menaces di-rectes visent nos équipes, nous travaillons via unetierce partie. Cela nous permet de rester présents,même en cas d’insécurité extrême », explique Geneviève Boutin. «Nous choisissons des parte-naires bien connus dans la région, qui ne consti-tuent pas des cibles au même titre que le person-nel de l’ONU.» Le CICR, lui, tient à avoir un accès direct aux victimes, comme le souligne Yves Daccord : «En ayant nos propres collaborateurs surle terrain, nous pouvons mieux évaluer les besoinset comprendre les enjeux. Cela facilite égalementle dialogue avec toutes les parties prenantes. » ■

En Ouzbékistan – ici, un groupe de réfugiés à la frontière du Kirghizstan – , le CICR a réduit ses activités, car il ne pou-vait pas visiter les prisons selon ses procédures de travail habituelles.

Deux années anniversairesPlusieurs commémorationssont organisées en 2013et en 2014 sur le thème«150 ans d’action humani-taire ». On célèbre nonseulement les 150 ans du CICR, mais aussi ceuxde la première conventionde Genève sur le droit in-ternational humanitaire etde la conférence interna-tionale qui créa le conceptdes sociétés nationales dela Croix-Rouge. Le CICRétant son principal parte-naire humanitaire, la Suissea choisi de s’associer auxcélébrations. Elle veut sai-sir l’occasion de ces anni-versaires pour mieux faireconnaître à l’étranger sonengagement en faveur durespect du droit internatio-nal humanitaire et des vic-times de conflits armés,ainsi que son rôle d’Étatdépositaire des Conven-tions de Genève.

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Getachew Gebru

Un seul monde No 3 / Septembre 201330

Carte blanche

Bonne Huka, une femme de 52 ans appartenant à l’ethniedes Boranas, habite aujourd’huià la périphérie de Yabello,bourg rural situé à 570 km dela capitale éthiopienne Addis-Abeba. Veuve, elle doit nourrirune famille de neuf personnes.Auparavant, elle vivait dans unvillage. Mais quand une épidé-mie doublée d’une sécheresse a décimé les troupeaux locaux,Bonne Huka a perdu quinzetêtes de bétail. Ce coup du sort l’a forcée à déménagerpour venir s’installer à Yabello.Actuellement, elle exerce di-verses activités qui ne requiè-rent pas de compétences parti-culières, comme la fabricationde charbon ou la vente de boisà brûler. Cela lui procure l’ar-gent nécessaire pour entretenirsa famille et payer les frais sco-laires de sa fille. Elle espèrepouvoir de nouveau vivre del’élevage un jour ou l’autre. Desmilliers d’autres éleveurs semi-nomades connaissent le même

Les exclus du pastoralisme

Getachew Gebru, titulaired’un doctorat en sciences ani-males, est cofondateur et direc-teur adjoint de Maril (Managingrisk for improved livelihoods),une organisation privée de recherche et développementbasée en Éthiopie. Il présideégalement la Société éthio-pienne de production animale. M. Gebru a réalisé de nom-breuses recherches et des ac-tivités de sensibilisation sur lagestion des risques pastorauxen Éthiopie et dans le nord duKenya.

sort : victimes de facteurs in-ternes et externes, sur lesquelsils n’ont aucune prise, ils sontcontraints d’abandonner leurmétier. Chaque année, environ10% de la population pastoralerenonce à ce mode de vie tra-ditionnel qui ne parvient plus àla nourrir.

Ces anciens éleveurs doiventalors reconstruire leur existencesur d’autres bases. Pour beau-coup, la vie sédentaire neconstitue pas forcément unerupture avec leur parenté etleurs voisins restés nomades.Elle leur apporte plutôt lesmoyens de survivre dans un environnement naturel et socialdifficile.

Les pauvres sont toujours plusvulnérables. Plusieurs facteursexpliquent leur tendance crois-sante à quitter le pastoralisme :les difficultés matérielles provo-quées par des sécheresses récur-rentes, les conflits, la dégrada-

tion de l’habitat, la baisse de laproductivité et une croissancedémographique qui s’accélère.Les éleveurs pauvres souffrentparticulièrement durant les pé-riodes de sécheresse : les mieuxlotis partent alors avec leur bé-tail à la recherche d’eau et defourrage, abandonnant à leursort les plus démunis.

La récente augmentation del’aide d’urgence dispensée dansles zones pastorales a permis de sauver des vies, mais cela neconstitue pas un moyen suffi-sant pour sortir la populationde la précarité. Prévoir à longterme constitue à cet égard un impératif humanitaire. Ilconvient d’intervenir à la foispour renforcer la source de re-venus que constitue le pastora-lisme et pour encourager unecertaine diversification. Depuisquelques années, les donateursse montrent plus intéressés àsoutenir ce système d’élevagenomade.

Depuis peu, les bailleurs defonds coordonnent mieux leursprogrammes qui visent à sécu-riser la production dans deszones rurales d’Éthiopie. Leurintérêt accru pour le pastora-lisme s’explique par le change-ment climatique et l’urgentenécessité d’accroître la rési-lience de ce système.

Il y a une convergence entre lenouveau point de vue, qui per-çoit l’élevage nomade commeune activité viable, et le besoind’améliorer les conditions devie, notamment en trouvantd’autres sources de revenus. Il s’agit de prendre en comptetoute la filière du commerce du bétail ainsi que la gestiondes ressources naturelles, d’inté-grer la prévention, l’atténuationet la résolution des conflits, de

mieux utiliser les systèmesd’alerte précoce et de renforcerl’engagement politique.

Les zones pastorales peuvent etdoivent retrouver le chemin del’autonomie et de la croissance.Une relance des activités éco-nomiques facilitera le retourdes familles d’éleveurs, tout encréant de nouveaux emplois et des sources de revenus pourceux qui ont définitivementabandonné le pastoralisme.C’est exactement ce qu’espèrentBonne Huka et les autres. ■

(De l’anglais)

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Tiane Doan na Champassak/VU/laif

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sues hérissées de clous, puis lesjetaient à la rivière. Petite fille,j’ai été profondément marquéepar la vision de ces corps quedes torrents d’eau charriaientvers le lac. Ce qui s’est passé en1994 n’a été qu’une répétition àgrande échelle des tueries quiont ensanglanté le pays pendant35 ans.

Vous viviez déjà en Francequand le génocide a eu lieu.Quel a été le sort de votrefamille ?J’ai perdu mes parents, mes cinqfrères et sœurs restés au pays,ainsi que la plupart de mes ne-veux et nièces. Après de longuesrecherches, nous avons localisétrois fillettes qui avaient miracu-leusement échappé à la mort. Autotal, 37 membres de ma famille

ont été massacrés. Comme tantd’autres victimes, ils n’ont eudroit à aucune sépulture. Je mesuis mise à écrire pour les sortirdu charnier et recouvrir leurscorps d’un linceul de papier.

Après trois livres centrésprincipalement sur votrevécu personnel, vous avezopté pour la fiction. Votreroman Notre-Dame du Nil apour cadre un pensionnat dejeunes filles, où se reflètentles haines raciales qui déchi-rent la société rwandaise.N’y a-t-il pas aussi une partautobiographique dans ce livre ?Un écrivain part toujours de sespropres expériences. Les person-nages de mon roman sont fictifs,mais je me suis identifiée d’unecertaine manière à celui deVirginia, l’une des deux élèvestutsies. Comme elle, j’ai bénéfi-cié du «quota ethnique » qui au-torisait 10% de Tutsis dans les ly-cées. Et ce n’est pas par hasard sij’ai situé l’action au début desannées 70, époque où j’étaismoi-même lycéenne. On sentaitalors monter inexorablement lahaine raciale et la volonté d’ex-terminer les Tutsis, ce que j’airestitué dans le livre. Cela dit, lerecours à la fiction m’a permisde prendre une certaine distancepar rapport à mon vécu. Je vou-lais comprendre les causes pro-fondes du génocide et montrercomment nous en étions arrivéslà. Ce roman m’a amenée à laconclusion que nous avons tousété manipulés, tant les victimesque les bourreaux.

« Il n’y a plus ni Hutus ni Tutsis au Rwanda»L’écriture est d’abord un devoir de mémoire pour la Rwandaise Scholastique Mukasonga. Ses livres racontent la montée inexorable de la haine raciale et lesmassacres successifs, signes avant-coureurs du génocide de 1994. Cette écri-vaine en exil, lauréate du prix Renaudot 2012, se dit pourtant persuadée que laréconciliation est possible. Entretien avec Jane-Lise Schneeberger.

Un seul monde : C’est en 2006que vous avez publié votrepremier livre Inyenzi ou lesCafards, un récit autobiogra-phique qui illustre la vie desTutsis au Rwanda. Qu’est-cequi vous a amenée à prendrela plume à 50 ans ?Scholastique Mukasonga :En réalité, le manuscrit existaitdepuis dix ans. J’ai commencé à écrire juste après le génocided’avril 1994, dans le but deconserver la mémoire de ma fa-mille. C’est la mission que mesparents m’avaient confiée 21 ansplus tôt, en 1973, lorsqu’unenouvelle vague de violence déferlait sur les Tutsis. Commej’avais eu la chance d’accéder à l’enseignement secondaire etd’apprendre le français, ils ontdécidé que je devrais vivre, afin

de témoigner. Ils m’ont fait sor-tir du Rwanda en me disant :«Tu seras notre mémoire quandl’extermination arrivera. Grâce à toi, nous avons une chance dene pas disparaître comme descafards. » Ce terme péjoratif étaitutilisé pour désigner les Tutsis.

Vos parents redoutaient déjàdes actes d’extermination?À partir d’avril 1973, ils savaientque, tôt ou tard, leur tour vien-drait et ils s’étaient résignés àmourir. Comme beaucoup deTutsis, ils pressentaient le géno-cide. Nous étions habitués à laviolence et à la haine. Des mas-sacres avaient déjà eu lieu en1959, en 1963 et en 1967.C’était à chaque fois un mini-génocide. Les miliciens hutustuaient les Tutsis avec des mas-

Site mémorial de Murambi – entre 45 et 50000 Tutsis ont été massacrés dans cette ville en 1994.

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Sven Torfinn/laif

Dirk Gebhardt/laif

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En quoi consistait cette ma-nipulation?Les colonisateurs belges ont fa-briqué de toutes pièces des caté-gories ethniques, allant jusqu’àdéfinir une différence physiqueentre Hutus et Tutsis. Sur cettebase, ils ont introduit en 1931une carte d’identité mention-nant l’appartenance ethnique.Or, les ethnies n’existent pas auRwanda. Aucun critère physiquene permet de distinguer unHutu d’un Tutsi. Tout le mondeparle la même langue, le kinya-rwanda. Il n’y a pas de régionsoccupées par un groupe plutôtque l’autre. La première mesureque le gouvernement a prise aulendemain du génocide a étéd’éradiquer cette maudite carte

d’identité ethnique. Aujour-d’hui, il n’y a plus ni Hutus niTutsis au Rwanda. C’est ce quifait notre force.

Croyez-vous qu’une paixdurable puisse s’instaurerdans votre pays ?Je suis profondément convain-cue que nous allons vers la ré-conciliation. Nous nous don-nons les moyens de dépassercette haine qui nous a détruits.Les nouvelles autorités ont laresponsabilité de restaurer l’uniténationale et de créer un pays oùtout le monde aura sa place. Onvoit déjà les premiers résultats decette politique. Aujourd’hui, leRwanda est en plein essor. C’estune nation qui travaille et qui

est tournée vers le développe-ment.

Qu’attendez-vous de lacommunauté internationale ?Nous avons besoin de son appuisur le plan judiciaire. Le Tribunalinternational d’Arusha a ferméses portes. Au Rwanda, la juri-diction traditionnelle des gacacaa fait tout son possible pour ju-ger les coupables. Malheureuse-ment, la majorité des respon-sables du génocide se cachentencore dans les pays occiden-

Scholastique Mukasongaest née en 1956 dans la pré-fecture de Gikongoro, auRwanda. En 1960, sa famillefaisait partie des Tutsis dépor-tés à Nyamata, une région in-habitée et insalubre. La jeunefille a étudié dans un lycée deKigali, avant de fuir son pays à l’âge de 17 ans. Réfugiée au Burundi, elle y rencontre son futur mari, un ethnologuefrançais. Depuis 1992,Scholastique Mukasonga vit

La juridiction traditionnelle des « gacaca » a fait tout son possible pour juger les coupables.

Mémorial du génocide à Kigali, avec des photos de disparus.

en Normandie, où elle travaillecomme assistante sociale. Elle a publié deux récits auto-biographiques, Inyenzi ou lesCafards (2006) et La femmeaux pieds nus (2008), puis unrecueil de nouvelles, intituléL’Iguifou (2010). Son premierroman Notre-Dame du Nil,paru en 2012, a remporté plusieurs prix littéraires, dont le Renaudot.

taux. Ce sont eux qui ont incitéles Hutus à prendre des machet-tes pour aller tuer leurs voisins,leurs amis. Ils doivent répondrede leurs actes. Nous demandonsaux pays occidentaux de les ar-rêter et de les poursuivre en jus-tice. Les génocidaires ne peuventpas continuer de vivre en touteimpunité. ■

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33Un seul monde No 3 / Septembre 2013

ServiceMus

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Un disque pour sauver lestortues de mer(er) Formé de 365 îlots coral-liens, l’archipel de San Blas (ouKuna Yala) se situe dans la merdes Caraïbes, sur la côte nord-estdu Panama. Les 32000 IndiensKuna qui l’habitent bénéficientd’une semi-autonomie et vivent

en harmonie avec la nature.C’est ici que le groupe folklo-rique Gammibe Gun Galu a été créé en 1973 par SantiagoCampillo. En 2012, il a enregis-tré son premier CD, dont les recettes sont consacrées à la protection des tortues de mermenacées d’extinction. Chaquemorceau est dédié à une espèceanimale. On croit y reconnaîtredes cris d’animaux dans les pal-miers, dans la forêt pluviale ousur le sable corallien, des trillesd’oiseaux ou le piétinement dutapir. Les musiciens jouent àchaque fois une autre flûte dePan, faite à la main avec des ro-seaux, des pinces de crabe ou un

crâne de tatou. Quant au rythme,ce sont des femmes qui le don-nent sur des calebasses ou desmaracas. Il en résulte une mu-sique minimaliste à la SteveReich, poussée à l’extrême.Comme le rythme, les sonoritéset leur intensité varient de façonquasi imperceptible, formant uncontinuum filigrané qui enve-loppe et berce notre oreille. «Gammibe Gun Galu» (label YaukGalu/en ligne), http ://gammibe-gun-galu.bandcamp.com

Une colère toujours actuelle(er) Le chanteur d’origine algé-rienne Rachid Taha saisit l’audi-teur par sa voix gutturale et ex-pressive. On perçoit toujours,chez cet artiste de 55 ans, la colère contre la xénophobie et le racisme, qu’il exprimait déjà il y a plus de trente ans avec songroupe de l’époque, Carte de séjour, et qui a fait de lui l’enfantterrible de la scène musicalefrançaise. Datant de 1993 etmaintenant réarrangé pour sonneuvième album solo, le mor-ceau Voilà voilà en témoigne.Rachid Taha marie Orient etOccident. Il s’appuie sur d’excel-lents musiciens pour créer unrock’n’raï mêlant des riffs magis-traux de guitare électrique aujeu du luth maghrébin et de lamandole, ainsi que l’électro à latradition. C’est ainsi qu’avec unparlé-chanté évocateur et la voixd’Oum Kalsoum, Rachid Tahatournoie magnifiquement dansl’aura de cette légendaire chan-teuse égyptienne. En duo avecJeanne Added, il propose aussiune version arabo-anglaise de

Festival balkanique(hel) La culture est un vecteurde démocratie et contribue àla résolution de conflits. Ellefournit d’innombrables occa-sions de favoriser le dévelop-pement social, peut constituerune source de revenus et per-met d’établir des liens avec les plus démunis. Preuve enest le Programme culturelsuisse (SCP) dans les Balkansoccidentaux, qui s’est achevérécemment : durant quatorzeans, la Suisse a aidé des mil-liers de créateurs – individus,groupes ou organisations – àréaliser toutes sortes de pro-ductions et de manifestations ;elle a financé notamment desactions et des projets delongue haleine qui dépassaient

It’s Now or Never, l’interprétationpar Elvis Presley de l’immortelO Sole Mio napolitain. Cet airrisque bien d’être fredonnélongtemps par ceux qui ont lebonheur de l’entendre.Rachid Taha : «Zoom»(Naïve/Musikvertrieb)

Le chant du cygne d’Hector Zazou(er) Le tout dernier album ducompositeur français HectorZazou, décédé fin 2008, tient ses promesses. Quatre voix fémi-nines ensorcelantes, allant du soprano léger au contralto avecses inflexions plus graves, sont au premier plan. Ces solistes, quiforment l’Eva Quartet, ont faitpartie du célèbre chœur LeMystère des Voix bulgares. Leurchant s’élève au-dessus du somp-

le cadre régional et n’étaientpas limités à certaines catégo-ries sociales. La publicationCultural Encounters tire un bilan de cette aventure. Parailleurs, divers projets artis-tiques parrainés par le SCPseront présentés à partir d’octobre, lors du festivalCulturescapes qui se tiendradans différentes localitéssuisses. Cette manifestationpluridisciplinaire sera l’occa-sion de découvrir la créationbalkanique contemporaine. • Festival CulturescapesBalkan 2013, à partir du 19 octobre jusqu’en décembre ;programme sous www.culturescapes.ch • François Matarasso : «Cultural Encounters –SwissCultural Programme in SouthEastern Europe 1999 – 2012», à télécharger sous www.scp-ba.net• «Kultur und... Entwicklung – Die Wirkungsdebatte amBeispiel des Swiss CulturalProgramme Balkan SCP», 6 décembre, KornhausforumBerne, www.kornhausforum.ch

tueux tapis sonore produit parune instrumentation complexe.Douze morceaux brillammentarrangés mettent en valeur plusde cinquante musiciens excep-tionnels venant d’horizons trèsdivers (jazz, rock, pop, folk,world, électronique, avant-garde). Laurie Anderson, reineaméricaine de la musique expé-rimentale, pose des paroles éclai-rantes sur la supplique orthodoxedes cantatrices bulgares, l’accom-pagnement étant assuré par leBollywood Orchestra indien.Hector Zazou fait ainsi preuved’une magie intemporelle danscette œuvre posthume qui jettedes ponts polyphoniques entresonorités archaïques et musiquesde notre temps.Eva Quartet & Hector Zazou :«The Arch» (Elen Music)

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Un seul monde No 3 / Septembre 201334

Film

/DVD

La résistance modernepasse par Internet(dg) Leurs voix sont ignorées,interdites, censurées. Mais YoaniSánchez, Zeng Jinyan et FarnazSeifi ne se laissent pas intimider.Ces femmes intrépides, héroïnesdu documentaire Forbidden Voices(qui a obtenu plusieurs distinc-tions), représentent une nouvellegénération de résistantes mo-dernes, connectées à Internet. À Cuba, en Chine et en Iran,ces pionnières font chanceler,grâce à leurs blogs, le monopolede l’information détenu par l’État. Le film suit l’itinéraire dan-gereux de ces rebelles contempo-raines et montre l’usage qu’ellesfont des médias sociaux –Facebook, YouTube ou Twitternotamment – pour dénoncer lesdysfonctionnements dans leurspays. La pression politiquequ’elles créent ainsi a des réso-nances planétaires, au point queTime Magazine les classe parmiles voix politiques les plus in-fluentes du monde. Basé surleurs témoignages émouvants et sur des prises de vues clandes-tines, Forbidden Voices rend hommage à la détermination de ces femmes courageuses.Barbara Miller : «ForbiddenVoices », documentaire, Suisse2012, durée 92 minutes, dès 16ans ; informations : Films pour unseul monde, tél. 031 321 00 30,www.filmeeinewelt.ch

Marché du travail de la coopérationLe Centre d’information, deconseil et de formation pour les professions de la coopération internationale (cinfo) a publiéen juin son deuxième Rapportsur le marché suisse du travail de la coopération internationale. Ce

document fournit de précieuxrenseignements sur les em-ployeurs, les formations offertes,les profils demandés, les postes àrepourvoir, etc. Il sert d’ouvragede référence pour les spécialistesde la coopération au développe-ment et les professionnels inté-ressés, ainsi que pour les cadresd’entreprises et les responsablesdes ressources humaines.www.cinfo.ch

L’eau unit(bf ) L’eau a la faculté d’unircomme celle de susciter desconflits, une évidence plus fla-grante en Asie centrale que dansn’importe quelle autre régiondu monde. Toutefois, ce n’est passeulement l’eau qui rapproche le Kazakhstan, le Kirghizstan, leTurkménistan et l’Ouzbékistan,mais également la richesse deleurs cultures, une grande abon-dance de ressources naturelles,des paysages exceptionnels etdes gens fascinants. Le livreWater Unites, rédigé par les chercheurs allemands JenniverSehring et Alfred Diebold,montre à la fois l’étonnante diversité de cette vaste région etson état de dépendance à l’égardde l’eau. Combinant ouvragescientifique et album de photos,il se divise en deux parties. Lapremière présente (en anglais)des informations générales sur laproblématique de l’eau et sur lagestion transfrontalière de cetteressource vitale. Dans la secondepartie, des photos – la merd’Aral asséchée, de splendides

glaciers ou des marchés bigarrés– font découvrir au lecteur lespaysages et les habitants de cetterégion.Jenniver Sehring et Alfred Diebold :«Water Unites – From the Glaciersto the Aral Sea », éditions Trescher,Berlin 2012

Des Kirghizes oubliés de tous(bf ) Le corridor du Wakhan, àl’est de l’Afghanistan, est telle-ment isolé qu’il a échappé auxévénements qui se sont déroulésdans ce pays depuis les années70. Au bout de ce corridor setrouve le Petit Pamir, un plateauaride et désertique à plus de4200 mètres d’altitude, bordépar les plus hautes chaînes demontagnes du monde. Ce paysage lunaire abrite quelque

800 habitants, des éleveurs kir-ghizes, qui vivent dans desconditions extrêmes. En hiver, la température peut tomber àmoins 50 degrés. Il n’y a niroute, ni école, ni hôpital et levillage le plus proche se situe àplusieurs semaines de cheval.Depuis douze ans, le photo-graphe français Matthieu Paleyet sa femme Mareile ont par-couru le Petit Pamir en toutessaisons. Ils ont produit un livrede photos et de textes, en colla-boration avec l’ethnologue TedCallahan – un des rares scienti-fiques à s’être spécialisé sur lesKirghizes afghans du Pamir. Leur ouvrage témoigne du dé-nuement absolu dans lequel vitce peuple semi-nomade, quireste malgré tout attaché à saterre. Il montre de sublimes paysages rarement photographiésjusque-là.

Matthieu Paley, Mareile Paley etTed Callahan : «Pamir – Oubliéssur le toit du monde », éditions de la Martinière, Paris 2012

Vous avez de la monnaie?(bf ) Pourquoi faire du chinoisune branche obligatoire dans les écoles secondaires albanaises ?Pourquoi la petite monnaie est-elle si rare dans les magasins deBelgrade ? Et pourquoi les tam-pons exercent-ils un effet ma-gique dans les Balkans ? AndreasErnst répond à de telles ques-tions dans une chronique de laNeue Zürcher Zeitung. Il est lecorrespondant du quotidien zurichois dans cette région, où il vit depuis de nombreuses an-nées (d’abord à Skopje, puis à Belgrade). Ses petits textes sursa patrie d’adoption ont été re-groupés dans un livre, rédigé enallemand et en serbe. L’auteurs’est vu décerner pour cet ou-vrage le prix de journalisme del’organisation allemandeSüdosteuropa-Gesellschaft.Andreas Ernst : «Haben SieKleingeld ? » éditions BernardWaeber/Glosarijum, Belgrade 2012

Exilé pour une petite bête(bf ) Mana Neyestani, né en1973 à Téhéran, est l’un desprincipaux caricaturistes poli-tiques iraniens. Arrêté et en-fermé dans la prison d’Evin, il a pu ensuite se réfugier enMalaisie. Tout avait commencéen 2006 par un dessin anodin,paru dans un journal pour en-fants, qui représentait un cafard.L’auteur était très loin d’imagi-ner les émeutes que cette illus-tration allait provoquer et quiont même fait des morts. Il avaitplacé dans la bouche de l’insecteun mot en azéri, langue parléepar un peuple minoritaire vivantdans le nord de l’Iran. Les Azériss’étaient indignés d’être pris – selon eux – pour des cafards. Le dessinateur et son rédacteuren chef ont été immédiatement

Livres et broch

ures

Rap

port

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Un seul monde No 3 / Septembre 2013 35

ImpressumUn seul monde paraît quatre fois par année,en français, en allemand et en italien.

Éditeur :Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéraldes affaires étrangères (DFAE)

Comité de rédaction :Martin Dahinden (responsable)Catherine Vuffray (coordination globale)Marie-Noëlle Bossel, Beat Felber, Patrick Kohler, André Marty, Pierre Maurer,Özgür Ünal

Rédaction :Beat Felber (bf–production)

Gabriela Neuhaus (gn), Jane-LiseSchneeberger (jls), Mirella Wepf (mw), ErnstRieben (er), Luca Beti (version italienne)

Graphisme : Laurent Cocchi, Lausanne

Photolitho et impression :Vogt-Schild Druck AG, Derendingen

Reproduction :Les articles peuvent être reproduits, avecmention de la source, à condition que la rédaction ait donné son accord. L’envoi d’un exemplaire à l’éditeur est souhaité.

Abonnements et changements d’adresse :Le magazine peut être obtenu gratuitement(en Suisse seulement) auprès de :

DFAE, Service de l’information, Palais fédéral Ouest, 3003 Berne,Courriel : [email protected]él. 031 322 44 12Fax 031 324 90 47www.ddc.admin.ch

860215346

Imprimé sur papier blanchi sans chlore pourprotéger l’environnement

Tirage total : 52200

Couverture : école dans le quartier pauvre deLos Pinos, à Tegucigalpa ; Gabriela Neuhaus

ISSN 1661-1675

Coup de cœur

Des langages scéniques originaux

Sandro Lunin est depuis six ans ledirecteur artistique du TheaterSpektakel à Zurich. Il met l’accentsur les productions de danse et dethéâtre venant des pays du Sud.

Voyager, tant à titre privé que pro-fessionnel, est pour moi une véri-table passion. En outre, cela faitplus de trente ans que je travailledans les domaines de la danse etdu théâtre. Quel que soit l’endroitdu monde où je me trouve, jem’arrange pour assister à un spec-tacle ou rencontrer un membre demon réseau. Dans les métropolesdu Sud, des productions remar-quables se créent actuellement.On y développe des langages scéniques originaux. Ce sont destravaux de haut niveau qui évo-quent les problèmes de la vie locale. En présentant ces piècesau public suisse, nous lui donnonsl’occasion de jeter un regard d’ini-tié sur des pays en développementou émergents. Le Theater Spek-takel a également adopté la for-mule des formats courts. Nous of-frons ainsi une plate-forme à destalents du Sud qui n’ont souventpas les moyens de réaliser desprogrammes couvrant toute une soirée. Cette année, je me réjouis d’accueillir deux nouvellesproductions congolaises et uneversion brésilienne de Mademoi-selle Julie de Strindberg.

(Propos recueillis par Mirella Wepf)

Form

ation co

ntinue

emprisonnés. C’est ainsi qu’acommencé l’odyssée qui a fina-lement poussé Mana Neyestani à l’exil. Aujourd’hui, il vit enFrance, grâce à l’organisationReporters sans Frontières. Il a relaté son histoire dans la bandedessinée Une Métamorphose ira-nienne, qui critique égalementl’impitoyable régime en placedans son pays et les rouages in-ternationaux de l’asile.Mana Neyestani : «Une Métamor-phose iranienne », éditions çà et là,Bussy-Saint-Georges 2012

Liens entre religion et développement( jls) On assiste à un regain de ferveur religieuse dans lemonde, accompagné par unemontée de l’intégrisme. Ce phénomène a des implicationsdirectes sur les politiques et lespratiques du développement.C’est à ces liens que la Revue internationale de politique de déve-loppement consacre son édition2013. Une quin zaine d’auteurs

analysent les réticences et lesdifficultés des praticiens du dé-veloppement à intégrer la reli-gion dans leurs démarches. Ilsexaminent des initiatives ré-centes d’agences multilatérales etbilatérales de coopération visantà établir des partenariats avec lesorganisations caritatives confes-sionnelles, lesquelles sont deve-nues des acteurs incontournablesdu système d’aide. La revue éva-lue aussi dans quelle mesure certains mouvements religieux,notamment en Afrique du Sud,au Brésil, en Chine et au SriLanka, proposent d’autres ap-proches que les normes néo-libérales et démocratiques dudéveloppement. «Revue internationale de politiquede développement », 4/2013,Institut de hautes études internatio-nales et du développement, Genève,www.poldev.revues.org

Formation postgradeVoici les cours proposés parl’EPFZ pendant le semestre d’automne 2013 dans le cadre dela préparation au diplôme post-grade pour les pays en dévelop-pement (Nadel) :Formation professionnelle entrelutte contre la pauvreté et déve-loppement économique (17-20.9)Planification et suivi de projets(23-27.9)Relevé et analyse de donnéesqualitatives (2-4.10)Organiser et piloter des pro-

grammes-pays (7-11.10)Évaluation de projets (22-25.10)Décentralisation et gouvernancelocale (30.10-1.11)Perspectives «micro» et «macro»dans la lutte contre la pauvreté (5-8.11)Analyses de résultats : méthodeset applications (12-15.11)Gestion de réseaux et de systè-mes de coopération (19-22.11)Problèmes stratégiques actuels de la coopération au développe-ment (3-6.12)Renseignements et inscriptions :www.nadel.ethz.ch

Des spécialistes du DFAEviennent à vousSouhaitez-vous obtenir des in-formations de première main surla politique étrangère ? Des spé-cialistes du Département fédéraldes affaires étrangères (DFAE)sont à la disposition des écoles,des associations et des institu-tions, pour présenter des exposéset animer des débats sur diverssujets de la politique étrangère.Le service de conférences estgratuit. Il n’est toutefois dispo-nible qu’en Suisse et trente per-sonnes au moins doivent partici-per à la manifestation.Informations : Service de conférencesdu DFAE, Service de l’information,Palais fédéral Ouest, 3003 Berne ;tél. 031 322 31 53 / 44 12; fax 031 324 90 47 / 48 ; courriel : [email protected]

Divers

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«Certains deviennent délinquants pour survivre, d’autres pour s’enrichirtoujours davantage. »Eugenio Sosa, page 8

«Au stade où nous en sommes, faire de la prévention revient à aller puiserde l’eau à une centaine de kilomètrespour éteindre une maison qui est laproie des flammes. » Julieta Castellanos, page 12

« La majorité des responsables du génocide se cachent encore dans lespays occidentaux. »Scholastique Mukasonga, page 32