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formation | hématologie 12 OptionBio | lundi 22 novembre 2010 | n° 445 S i le myélome multiple représente environ 1 % des patho- logies néoplasiques, et 10 % des pathologies hémato- logiques, il est la 2 e cause de maladie hématologique après les lymphomes non hodgkiniens. Sans que l’on sache pourquoi, les hommes sont plus atteints que les femmes, et la population noire plus fréquemment que les Caucasiens ; avec une médiane à environ 60 ans, 2 % des patients atteints ont moins de 40 ans. Physiopathologie Le myélome multiple est une maladie clonale des plasmocy- tes qui sont passés dans le centre germinatif des ganglions, comme en témoignent les hypermutations dans les régions codant pour les parties hypervariables des chaînes légères. Ces plasmocytes se relocalisent dans le micro-environnement osseux, perturbé par les cellules malignes mais qui, au moins au départ, leur est favorable. On considère aujourd’hui que le myélome multiple provient d’une gammapathie bénigne ou MGUS (monoclonal gammo- pathy of undetermined significance), dont le risque d’évolution maligne en myélome multiple est stable dans le temps et est d’environ 1 % par an. Ceci explique la nécessité de suivre, à vie et de manière régulière, les patients porteurs de MGUS. Si cette gammapathie bénigne évolue, elle le fera soit dans le sens d’un myélome multiple intramédullaire, symptomatique, soit dans le sens d’un myélome dit indolent ou smoldering myeloma. Ce dernier ne conduira pas obligatoirement à un myélome multiple symptomatique : on considère que cette probabilité est de 10 % par an dans les 5 premières années après le diagnostic. Génétique du myélome Sur le plan génétique, peu d’anomalies ont été mises en évi- dence, dès 1985, notamment du fait de l’étude sur les cellules en métaphase, et sachant par ailleurs que le myélome est une maladie relativement peu proliférative. Cependant, la présence d’anomalie sur le chromosome 13 (monosomie ou délétion) était déjà identifiée comme un facteur de mauvais pronostic. Depuis, le tri possible des plasmocytes selon l’expression du marqueur CD138, associé à la technique d’hybridation in situ ont permis de révéler des anomalies cytogénétiques récurren- tes dans plus de 95 % des cas, dont certaines ont une valeur pronostique. Deux types de myélome multiple intramédullaire ont ainsi été distingués : les myélomes dits non hyperdiploïdes, considérés comme étant de mauvais pronostic, contrairement aux myélo- mes multiples intramédullaires hyperdiploïdes. Action des plasmocytes sur les cellules osseuses Dans son environnement médullaire, le plasmocyte malin interagit notamment avec les ostéoblastes, les ostéoclastes, la matrice intercellulaire, selon des mécanismes actuellement relativement bien identifiés (rôle des cytokines, interleukines...). Il perturbe l’équilibre entre les cellules osseuses, dans le sens où il favorise l’action des ostéoclastes et inhibe les ostéoblas- tes. Quelques exemples de ces interactions complexes sont présentés ci-après. Action du plasmocyte malin sur les ostéoclastes L’activation des ostéoclastes passe par le système rank-ligand. La néosynthèse de ce ligand par les cellules stromales est stimulée Une amélioration sensible du traitement du myélome multiple Même si malheureusement le myélome multiple demeure une pathologie encore incurable aujourd’hui, l’avancée des connaissances de ces dernières années a permis d’améliorer de façon notable sa prise en charge, notamment par l’association de chimiothérapie intensive et d’autogreffe. Encore plus récemment, des molécules comme la thalidomide ou son dérivé le lénalidomide, voire le bortézomib, inhibiteur du protéasome, ont introduit de nouvelles options thérapeutiques. Les critères mêmes de rémission ont d’ailleurs évolué avec l’amélioration de cette prise en charge. Plasmocyte humain anormal de la moelle osseuse | (MET colorisé, x 16 000 pour une image de 8 x 10 inches). © BSIP/Phototake/Franklin

Une amélioration sensible du traitement du myélome multiple

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formation | hématologie

12 OptionBio | lundi 22 novembre 2010 | n° 445

Si le myélome multiple représente environ 1 % des patho-logies néoplasiques, et 10 % des pathologies hémato-logiques, il est la 2e cause de maladie hématologique

après les lymphomes non hodgkiniens. Sans que l’on sache pourquoi, les hommes sont plus atteints que les femmes, et la population noire plus fréquemment que les Caucasiens ; avec une médiane à environ 60 ans, 2 % des patients atteints ont moins de 40 ans.

PhysiopathologieLe myélome multiple est une maladie clonale des plasmocy-tes qui sont passés dans le centre germinatif des ganglions, comme en témoignent les hypermutations dans les régions codant pour les parties hypervariables des chaînes légères. Ces plasmocytes se relocalisent dans le micro-environnement osseux, perturbé par les cellules malignes mais qui, au moins au départ, leur est favorable.

On considère aujourd’hui que le myélome multiple provient d’une gammapathie bénigne ou MGUS (monoclonal gammo-pathy of undetermined significance), dont le risque d’évolution maligne en myélome multiple est stable dans le temps et est d’environ 1 % par an. Ceci explique la nécessité de suivre, à vie et de manière régulière, les patients porteurs de MGUS. Si cette gammapathie bénigne évolue, elle le fera soit dans le sens d’un myélome multiple intramédullaire, symptomatique, soit dans le sens d’un myélome dit indolent ou smoldering myeloma. Ce dernier ne conduira pas obligatoirement à un myélome multiple symptomatique : on considère que cette probabilité est de 10 % par an dans les 5 premières années après le diagnostic.

Génétique du myélomeSur le plan génétique, peu d’anomalies ont été mises en évi-dence, dès 1985, notamment du fait de l’étude sur les cellules en métaphase, et sachant par ailleurs que le myélome est une maladie relativement peu proliférative. Cependant, la présence d’anomalie sur le chromosome 13 (monosomie ou délétion) était déjà identifiée comme un facteur de mauvais pronostic. Depuis, le tri possible des plasmocytes selon l’expression du marqueur CD138, associé à la technique d’hybridation in situ ont permis de révéler des anomalies cytogénétiques récurren-tes dans plus de 95 % des cas, dont certaines ont une valeur pronostique.Deux types de myélome multiple intramédullaire ont ainsi été distingués : les myélomes dits non hyperdiploïdes, considérés comme étant de mauvais pronostic, contrairement aux myélo-mes multiples intramédullaires hyperdiploïdes.

Action des plasmocytes sur les cellules osseusesDans son environnement médullaire, le plasmocyte malin interagit notamment avec les ostéoblastes, les ostéoclastes, la matrice intercellulaire, selon des mécanismes actuellement relativement bien identifiés (rôle des cytokines, interleukines...). Il perturbe l’équilibre entre les cellules osseuses, dans le sens où il favorise l’action des ostéoclastes et inhibe les ostéoblas-tes. Quelques exemples de ces interactions complexes sont présentés ci-après.

Action du plasmocyte malin sur les ostéoclastesL’activation des ostéoclastes passe par le système rank-ligand. La néosynthèse de ce ligand par les cellules stromales est stimulée

Une amélioration sensible du traitement du myélome multiple

Même si malheureusement le myélome multiple demeure une pathologie encore incurable aujourd’hui, l’avancée des connaissances de ces dernières années a permis d’améliorer de façon notable sa prise en charge, notamment par l’association de chimiothérapie intensive et d’autogreffe. Encore plus récemment, des molécules comme la thalidomide ou son dérivé le lénalidomide, voire le bortézomib, inhibiteur du protéasome, ont introduit de nouvelles options thérapeutiques. Les critères mêmes de rémission ont d’ailleurs évolué avec l’amélioration de cette prise en charge.

Plasmocyte humain anormal de la moelle osseuse |(MET colorisé, x 16 000 pour une image de 8 x 10 inches).

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par le plasmocyte, le rank-ligand interagit alors avec son récepteur rank en surface des ostéoclastes qui sont alors activés.Dans le même temps, le plasmocyte malin inhibe l’expression de l’ostéoprotégéine, dont le rôle physiologique est de limi-ter l’activation des ostéoclastes via le système rank. Tout ceci aboutit finalement à une augmentation importante de lyse osseuse.

Action du plasmocyte malin sur les ostéoblastesLe mécanisme principal d’action du plasmocyte pour inhiber les ostéoblastes consiste en la production de la protéine DKK1. Si les plasmocytes normaux ne produisent pas cette protéine, et les plasmocytes de MGUS non plus, ou très peu, les plasmocytes malins le font ; le taux sérique de cette protéine est directement corrélé à l’atteinte osseuse. Les ostéoblastes immatures, pour induire la formation osseuse, empruntent la voie de signali-sation Wnt/bêta-caténine ; la protéine DKK1 inhibe cette voie et ainsi limite considérablement la prolifération et l’expansion des ostéoblastes.

Les critères de diagnostic de myélome multipleLes critères de l’OMS comportent trois éléments pour conclure à un myélome multiple : une protéine monoclonale sérique ou urinaire mise en évidence par électrophorèse et confirmée par immunofixation, une infiltration médullaire de plus de 10 % de plasmocytes dystrophiques (sur myélogramme le plus souvent, plus rarement sur biopsie de tumeur plasmocytaire), et des lésions osseuses ostéolytiques.Le fait d’associer électrophorèse et immunofixation augmente de façon très significative la sensibilité de cette recherche : environ 3 % seulement des patients n’ont pas de protéine monoclonale décelable. La mise en évidence de chaînes légères kappa ou lambda permet d’identifier et de suivre les myélomes oligo-sécrétants ; leur quantification aurait une valeur pronos-tique. L’ensemble des éléments du bilan de diagnostic d’un myélome multiple sont présentés dans le tableau I.Seul le myélome multiple intramédullaire, actif c’est-à-dire symptomatique, fait l’objet actuellement d’un traitement. On se

base alors sur les critères dits CRAB de l’International myeloma working group (IMWG) (tableau II).Il est possible d’observer d’autres manifestations comme une hyperviscosité sanguine symptomatique, une amylose AL ou des infections bactériennes récurrentes.

Les facteurs de pronosticLa classification de Durie SalmonSimple, toujours utilisée, la classification de Durie Salmon est corrélée à la masse tumorale et comporte trois stades (tableau III).

L’index pronostique international ou ISSDepuis quelques années cependant, on utilise également un index pronostique international ou ISS, basé sur les taux de bêta2-microglobuline et d’albumine et qui comprend également trois stades (tableau IV).Cet ISS permet une meilleure comparaison des différents essais cliniques que la classification de Durie et Salmon. Toutefois, il présente aussi des limites. Il n’est pas utilisable dans les autres pathologies à plasmocytes, il est peu informatif de la masse tumorale, notamment du fait de l’impact de l’insuffisance rénale

Tableau III. Classification de Durie Salmon.

Stade I < 0,6 x 1012 cellules/mm2)

1/ Hb > 10 g/100 mL 2/ Calcémie < 3 mmol/L 3/ Absence de lésion osseuse ou de tumeur plasmocytaire 4/ IgG < 50 g/L,

IgA < 30 g/L, BJ < 4 g/24 heures

Stade II (entre 0,6 et 1.3 x 1012 cellules/mm2)

Absence de l’un des critères du stade I mais aucun des critères de stade III n’est présent

Stade III (> 1,2 x 1012 cellules/mm2)

1/ Hb < 8,5 g/100 mL 2/ Calcémie > 3 mmol/L 3/ Lésions osseuses multiples 4/ IgG > 70 g/L,

IgA > 50 g/L, BJ >12 g/24 heures

Tableau I. Bilan de diagnostic de myélome multiple.

monoclonal détecté ni dans le sérum, ni dans les urines : quantifier les chaînes légères libres sériques kappa et lambda (rapport kappa/lambda)

t(4,14), t(14,16), Del 17p13, Del 13, t (14, 20), amplification 1q21

Tableau II. Critères CRAB pour décider de la mise sous traitement d’un myélome multiple.

C : calcémie > 2,75 mmol/L

R : insuffisance rénale par une créatininémie > 173 μmol/L

A : anémie par Hb > 10 g/100 mL

B : moelle osseuse (born) avec des signes de lésions osseuses lytiques essentiellement.

Tableau IV. Index pronostique international (ISS).

Stade bêta2-microglobuline (mg/L)

Albumine (g/dL) Survie médiane

I ≤ 3,5 > 3,5 62 mois

II < 3,5 < 3,5 44 mois

III > 5,5 29 mois

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14 OptionBio | lundi 22 novembre 2010 | n° 445

(surtout au stade III) et n’est donc pas intéressant pour appré-cier les éventuels risques thérapeutiques.

L’analyse cytogénétiqueL’anomalie cytogénétique est devenue le facteur pronosti-que majeur, même si aucune recherche jusqu’ici n’a permis d’adopter une attitude thérapeutique ciblée. Ainsi, les translo-cations (t4;14), (t14;16), et la délétion (del17p13) sont globa-lement considérées comme étant de mauvais pronostic, avec

retrouvées dans environ 15 %, 5 % et 10 % des myélomes. Il est à noter que la translocation (t11;14), retrouvée dans 20 % des cas, serait de bon pronostic.La délation sur le chromosome 13 par hybridation in situ est toujours prise en considération en matière de pronostic, mais uniquement maintenant si elle est associée à une des trois anomalies ci-dessus.Il est important de pondérer ces chiffres par le fait que si l’on réalise une analyse cytogénétique de toute pathologie à plas-mocytes, comme les MGUS par exemple, ces différentes ano-malies seront retrouvées, avec une fréquence différente mais elles existent déjà.

Les manifestations cliniques du myélomeLes principales manifestations cliniques du myélome mul-tiple sont telles que le patient consulte le plus souvent un rhumatologue, un néphrologue, un hématologue, voire un infectiologue.

Complications osseusesÀ la radiologie, les lésions osseuses sont caractéristiques, à l’emporte-pièce (cf. inhibition des ostéoblastes), et entraînent des risques de lésions fracturaires des os longs, des risques de compression médullaire par ostéolyse ou épidurite. L’apport du

dans le myélome multiple est encore mal défini.Les tableaux cliniques avec très fortes douleurs ont quasiment disparu du fait des traitements par bisphosphonates associés à l’efficacité des chimiothérapies sur le clone malin. Il existe des premiers essais cliniques d’anti-protéine DKK1 et anti-rank-ligand.

Tubulopathie myélomateuse

rénale par tubulopathie myélomateuse (20 % des myélomes).

une fièvre, une diarrhée, entre autres. Ce sont les chaînes légè-res, essentiellement lambda, qui en sont responsables. Ces

chaînes légères pénètrent par endocytose dans les cellules tubulaires proximales où elles vont activer les voies pro-in-flammatoires, et s’associer à la protéine de Tamm-Horsfall, pour former les cylindres tubulaires.Il est à noter une meilleure prise en charge de ces patients par l’utilisation récente de membranes de dialyse qui retiennent ces chaînes légères, et le traitement par bortézomib (Velcade®).

Déficit de l’immunité humoraleLe déficit de l’immunité humorale est quasiment une constance dans le myélome. Au moment du diagnostic, les plasmocytes normaux sont inhibés, ce qui conduit à une hypogamma-glo-bulinémie globale. Les isotypes opsonisants notamment impli-qués dans la défense vis-à-vis des germes encapsulés, sont touchés. Ceci explique que l’infection à pneumocoque soit une complication fréquente dans l’année qui suit le diagnostic de myélome.

Anémie

malins mais plutôt à l’inhibition de l’érythropoïèse – ces plas-mocytes malins fabriquant une protéine induisant l’apoptose des progéniteurs érythroïdes.

Le traitementMaladie malheureusement toujours incurable, il n’existe pas de thérapie ciblée actuellement. Cependant une amélioration sensible a été apportée par l’association d’une chimiothérapie

-mide et son dérivé, le lénalidomide d’une part, et le bortézomib, inhibiteur du protéasome (structure à rôle important dans la dégradation des protéines qui contrôlent la vie et la croissance des cellules) d’autre part, ont induit de nouvelles options théra-peutiques dont l’objectif est la rémission la plus complète chez le sujet jeune (c’est-à-dire moins de 65 ans).Les critères mêmes de rémission ont évolué avec l’amélioration de la prise en charge des patients. On considère qu’il y a rémis-sion complète devant l’absence de détection de composant monoclonal par électrophorèse et immunofixation associée à moins de 5 % de plasmocytes dans la moelle osseuse. |

ROSE-MARIE LEBLANC

consultant biologiste, Bordeaux (33)

[email protected]

SourceCommunication de D. Bouscary, (hôpital Cochin, Paris), lors des 52es Journées de biologie clinique de Necker, Paris, janvier 2010.