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Quand avez-vous parlé pour la première fois des abus ? En 1990, j’ai écrit à l’évêque auxiliaire de l’épo- que pour dénoncer ses agissements et demander son transfert. Mais rien n’a bougé durant un an. Ensuite, Gilbert Hubermont a dû quitter Aubange pour Fla- winne, près de Namur. Est-ce le hasard ou à cause de ma lettre ? Je ne saurais le dire… Cette même année 91, l’abbé Léonard fut consacré évêque, j’en profitai pour lui écrire. Je lui faisais part de ma vocation, de mon amour pour Dieu et de mon désir de devenir prêtre. Mon rêve était d’entrer au séminaire… Dans ce courrier, je dénonçais aussi le comportement du vicaire ! Quelques semaines après son ordination, monseigneur Léonard est venu à Aubange. Il me fit monter dans sa voiture devant tout le monde et me parla du vicaire. Je lui ai expliqué qu’il ve- nait d’être muté et lui ai répété mon désir d’être séminariste. Nous avons gardé des contacts par courrier, il me conseillait d’ailleurs d’aller consulter un psychologue. Vous n’avez plus jamais eu de contacts avec le vicaire Hubermont ? Si ! De Flawinne, il continuait de m’écrire. Au début, il m’en voulait, se doutant bien que je devais être la cause de son transfert. Puis il m’a invité à lui rendre visite. Il me promettait d’être raisonnable et j’y suis allé quelquefois. A chaque fois, les choses ont recommencé. J’avais pourtant 18 ans, mais je ne pou- vais pas dire non ! Impossible de résister… J’étais comme une victime consentante qui veut se confron- ter à ses démons. Dans l’espoir d’être enfin respecté sans doute… A Flawinne, le scénario d’Aubange s’est répété. Gilbert Hubermont s’est investi auprès des jeunes de la commune, il était adoré par tous les pa- roissiens. Et pourtant là aussi, il a dû quitter les lieux en quelques jours. On peut facilement en imaginer les raisons… En 1994, vous entrez au séminaire de Namur. Pour vous, c’est enfin le bonheur ? Au début, oui ! Mais j’ai très vite compris le but de la manœuvre. Ils ont tenté de me canaliser, de me faire taire. Tout d’abord, ils m’ont isolé. Les professeurs ont prétendu que je n’avais pas le ni- veau, ils ont donc créé pour moi seul une année préparatoire. Je n’avais que quelques heures de cours par semaine. Je passais l’essentiel de mon temps à rêver, couché sur mon lit. Ensuite, on m’a fortement conseillé de suivre une thérapie pour régler « mon problème » ! Mais ce thérapeute a fait avancer les choses. Il m’a dit qu’il fallait que je dé- nonce les faits au sein de l’Eglise. Alors, j’ai parlé à mon conseiller spirituel, le frère de monseigneur Léonard, et au vicaire judiciaire. Après une pre- mière enquête, le vicaire judiciaire m’a annoncé que Gilbert Hubermont niait les faits. Je lui ai ré- pondu : « Pas de problème, je vous apporte tous ses courriers ! » Quatre mois plus tard, une con- frontation est organisée à l’évêché de Namur : le vicaire Hubermont a tout avoué en bloc. Mais il me demandait de ne pas ébruiter l’affaire afin de ne pas nuire à sa famille. Ils m’ont promis à l’épo- que d’intervenir dans les frais de ma thérapie. Le vicaire judiciaire m’a même demandé pardon au nom de l’Eglise et m’a supplié de ne pas porter plainte. Comment aurais-je pu refuser ? Sinon, ils m’auraient viré du séminaire ! Vous avez pourtant dû quitter précipitamment le séminaire dans des circonstances un peu trou- bles ! En effet, en 1997. J’ai été piégé ! J’étais mal dans ma peau, les autres séminaristes se moquaient sans cesse de moi. Ma voix n’avait pas mué, ils me surnommaient « la demoiselle » ou « le petit Jojo ». Je m’étais alors attaché à un séminariste qui m’ai- dait dans mes travaux d’études. Mes carences af- fectives m’ont à nouveau fait craquer. J’étais jaloux de l’attention que ce séminariste portait aux au- tres. Comme si j’étais redevenu le petit garçon d’Aubange. Je lui ai écrit pour lui faire part de cette jalousie. Quelques jours plus tard, les directeurs du séminaire m’ont convoqué. Ils avaient retrouvé la lettre déchirée en morceaux et l’avaient recons- tituée avec du papier collant. Ils m’ont contraint à signer un document dans lequel je reconnaissais « avoir entretenu de- puis plusieurs mois une relation ambiguë avec… et avoir passé une demi-heure chez l’abbé Hubermont ressentant un manque d’amitié ». En signant ces « aveux », je pensais sau- ver ma vie et ma foi. Mais à la fin de l’entretien, ils m’ont dit que je devais avoir quitté les lieux pour la fin de la se- maine. La machine venait de me broyer… Et quelle hypo- crisie ! L’autre séminariste n’a pas été renvoyé ! Il est prêtre aujourd’hui. Et tous les autres, ceux qui glissaient des « mots doux » sous ma porte ? Avez-vous l’impression que l’on attendait la bonne oc- casion pour se débarrasser de vous ? Oui, mais je l’ai compris trop tard… Après cette sanc- tion inattendue, je suis allé voir monseigneur Léonard. Il avait les larmes aux yeux et m’a conseillé d’attendre deux ans, le temps que ces directeurs aient quitté les lieux, pour réintégrer le séminaire. Naïvement, j’ai cru à ses promes- ses… Puis, celui que je croyais être mon protecteur est in- tervenu auprès des responsables du séminaire pour que j’ob- tienne un sursis. Le temps de trouver un travail et un lo- gement. Dans leur grande « bonté », j’ai été autorisé à dor- mir dans une cave en payant 125 euros de loyer par mois. Cela a duré quelques semaines. J’ai tenté de trouver du tra- vail et poursuivi ma thérapie, mais ils n’intervenaient tou- jours pas dans les frais. Il m’a fallu du temps pour compren- dre que l’on m’avait traité comme un moins que rien. Ils voulaient gagner du temps, c’est tout ! Ce n’est qu’en 2001 que j’ai décidé de porter plainte devant la justice des hom- mes contre Gilbert Hubermont et monseigneur Léonard. Et comme le dit une campagne d’Amnesty International : « Je veux devenir le cauchemar de mes bourreaux ! » Joël Devillet a rédigé « Violé par un prêtre », un témoignage-vérité publié par les éditions de l’Arbre. ENQUÊTE :GEORGES HUERCANO – PHOTOS : D.R. POUR ÉCRIRE À GEORGES HUERCANO : [email protected] En février 2004, le tribunal correctionnel d’Arlon doit constater que les faits sont prescrits. Malgré les aveux du vicaire, Joël ne peut pas poursuivre Gilbert Hubermont au pénal. Sur les conseils de son avocat, il décide alors de demander une réparation civile. Contre l’ancien vicaire et contre l’évêque. Mais le 19 février dernier, le tribunal civil a débouté en partie Joël Devillet. Il demandait réparation à l’évêché de Namur suite à son éviction du séminaire en 1997. Le tribunal a estimé que cette demande n’était pas fondée. Par contre, en ce qui concerne le dommage moral et psychologique, le tribunal réserve sa décision dans l’at- tente de l’issue du procès que Joël a intenté au civil contre l’abbé pédophile. Pour Pierre Chomé, l’avocat de Joël Devillet, le dos- sier Hubermont risque d’évoluer : « Je viens de recevoir le courrier de la mère d’un jeune homme qui habitait Fla- winne au cours de la période Hubermont. Cette maman se plaint des agissements contre son fils. L’affaire ressem- ble à celle de Joël. Cette fois encore, l’évêché a été pré- venu, mais il n’a pas bronché. Une plainte a été déposée au parquet de Namur en 2007, des auditions ont été or- ganisées, mais rien ne bouge… Qu’attend-on ? De nou- velles victimes ? » Retrouvez Georges Huercano du lundi au jeudi, de 12 h 30 à 13 h, sur dans l’émission « Fait divers ». 27 UNE AUTRE VICTIME ? « A l’évêché, on m’a traité comme un moins que rien » L’abbé Hubermont, et l’extrait d’une lettre qu’il a fait parvenir à sa jeune victime. 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Page 1: UNE AUTRE VICTIME?doccdn.simplesite.com/d/67/22/283726781708771943/a325fb8...frontation est organisée à l’évêché de Namur: le vicaire Hubermont a tout avoué en bloc. Mais il

Quand avez-vous parlé pour la première foisdes abus?

En 1990, j’ai écrit à l’évêque auxiliaire de l’épo-que pour dénoncer ses agissements et demander sontransfert. Mais rien n’a bougé durant un an. Ensuite,Gilbert Hubermont a dû quitter Aubange pour Fla-winne, près de Namur. Est-ce le hasard ou à cause dema lettre? Je ne saurais le dire… Cette même année91, l’abbé Léonard fut consacré évêque, j’en profitaipour lui écrire. Je lui faisais part de ma vocation, demon amour pour Dieu et de mon désir de devenirprêtre. Mon rêve était d’entrer au séminaire… Dansce courrier, je dénonçais aussi le comportement duvicaire ! Quelques semaines après son ordination,monseigneur Léonard est venu à Aubange. Il me fitmonter dans sa voiture devant tout le monde et me

parla du vicaire. Je lui ai expliqué qu’il ve-nait d’être

muté et lui ai répété mon désir d’être séminariste.Nous avons gardé des contacts par courrier, il meconseillait d’ailleurs d’aller consulter un psychologue.

Vous n’avez plus jamais eu de contacts avec levicaire Hubermont?

Si ! De Flawinne, il continuait de m’écrire. Audébut, il m’en voulait, se doutant bien que je devaisêtre la cause de son transfert. Puis il m’a invité à luirendre visite. Il me promettait d’être raisonnable etj’y suis allé quelquefois. A chaque fois, les choses ontrecommencé. J’avais pourtant 18 ans, mais je ne pou-vais pas dire non ! Impossible de résister… J’étaiscomme une victime consentante qui veut se confron-ter à ses démons. Dans l’espoir d’être enfin respectésans doute… A Flawinne, le scénario d’Aubange s’estrépété. Gilbert Hubermont s’est investi auprès desjeunes de la commune, il était adoré par tous les pa-roissiens. Et pourtant là aussi, il a dû quitter les lieuxen quelques jours. On peut facilement en imaginerles raisons…

En 1994, vous entrez au séminaire de Namur.Pour vous, c’est enfin le bonheur?

Au début, oui ! Mais j’ai très vite compris lebut de la manœuvre. Ils ont tenté de me canaliser,de me faire taire. Tout d’abord, ils m’ont isolé. Lesprofesseurs ont prétendu que je n’avais pas le ni-veau, ils ont donc créé pour moi seul une annéepréparatoire. Je n’avais que quelques heures decours par semaine. Je passais l’essentiel de montemps à rêver, couché sur mon lit. Ensuite, on m’afortement conseillé de suivre une thérapie pourrégler « mon problème » ! Mais ce thérapeute a faitavancer les choses. Il m’a dit qu’il fallait que je dé-nonce les faits au sein de l’Eglise. Alors, j’ai parléà mon conseiller spirituel, le frère de monseigneurLéonard, et au vicaire judiciaire. Après une pre-mière enquête, le vicaire judiciaire m’a annoncéque Gilbert Hubermont niait les faits. Je lui ai ré-pondu : « Pas de problème, je vous apporte tousses courriers ! » Quatre mois plus tard, une con-frontation est organisée à l’évêché de Namur : levicaire Hubermont a tout avoué en bloc. Mais ilme demandait de ne pas ébruiter l’affaire afin dene pas nuire à sa famille. Ils m’ont promis à l’épo-que d’intervenir dans les frais de ma thérapie. Levicaire judiciaire m’a même demandé pardon aunom de l’Eglise et m’a supplié de ne pas porterplainte. Comment aurais-je pu refuser ? Sinon, ilsm’auraient viré du séminaire !

Vous avez pourtant dû quitter précipitammentle séminaire dans des circonstances un peu trou-bles !

En effet, en 1997. J’ai été piégé ! J’étais maldans ma peau, les autres séminaristes se moquaientsans cesse de moi. Ma voix n’avait pas mué, ils mesurnommaient « la demoiselle » ou « le petit Jojo ».Je m’étais alors attaché à un séminariste qui m’ai-dait dans mes travaux d’études. Mes carences af-fectives m’ont à nouveau fait craquer. J’étais jalouxde l’attention que ce séminariste portait aux au-tres. Comme si j’étais redevenu le petit garçond’Aubange. Je lui ai écrit pour lui faire part de cettejalousie. Quelques jours plus tard, les directeursdu séminaire m’ont convoqué. Ils avaient retrouvéla lettre déchirée en morceaux et l’avaient recons-

tituée avec du papier collant. Ils m’ont contraint à signer undocument dans lequel je reconnaissais « avoir entretenu de-puis plusieurs mois une relation ambiguë avec… et avoirpassé une demi-heure chez l’abbé Hubermont ressentant unmanque d’amitié ». En signant ces « aveux », je pensais sau-ver ma vie et ma foi. Mais à la fin de l’entretien, ils m’ontdit que je devais avoir quitté les lieux pour la fin de la se-maine. La machine venait de me broyer… Et quelle hypo-crisie ! L’autre séminariste n’a pas été renvoyé ! Il est prêtreaujourd’hui. Et tous les autres, ceux qui glissaient des « motsdoux » sous ma porte ?

Avez-vous l’impression que l’on attendait la bonne oc-casion pour se débarrasser de vous?

Oui, mais je l’ai compris trop tard… Après cette sanc-tion inattendue, je suis allé voir monseigneur Léonard. Ilavait les larmes aux yeux et m’a conseillé d’attendre deuxans, le temps que ces directeurs aient quitté les lieux, pourréintégrer le séminaire. Naïvement, j’ai cru à ses promes-ses… Puis, celui que je croyais être mon protecteur est in-tervenu auprès des responsables du séminaire pour que j’ob-tienne un sursis. Le temps de trouver un travail et un lo-gement. Dans leur grande « bonté », j’ai été autorisé à dor-mir dans une cave en payant 125 euros de loyer par mois.Cela a duré quelques semaines. J’ai tenté de trouver du tra-vail et poursuivi ma thérapie, mais ils n’intervenaient tou-jours pas dans les frais. Il m’a fallu du temps pour compren-dre que l’on m’avait traité comme un moins que rien. Ilsvoulaient gagner du temps, c’est tout ! Ce n’est qu’en 2001que j’ai décidé de porter plainte devant la justice des hom-mes contre Gilbert Hubermont et monseigneur Léonard.Et comme le dit une campagne d’Amnesty International :« Je veux devenir le cauchemar de mes bourreaux ! » ■

Joël Devillet a rédigé « Violé par un prêtre », un témoignage-véritépublié par les éditions de l’Arbre.

ENQUÊTE : GEORGES HUERCANO – PHOTOS : D.R.POUR ÉCRIRE À GEORGES HUERCANO : [email protected]

En février 2004, le tribunal correctionnel d’Arlon doitconstater que les faits sont prescrits. Malgré les aveux duvicaire, Joël ne peut pas poursuivre Gilbert Hubermont aupénal. Sur les conseils de son avocat, il décide alors dedemander une réparation civile. Contre l’ancien vicaire etcontre l’évêque. Mais le 19 février dernier, le tribunal civila débouté en partie Joël Devillet. Il demandait réparationà l’évêché de Namur suite à son éviction du séminaire en1997. Le tribunal a estimé que cette demande n’était pasfondée. Par contre, en ce qui concerne le dommage moralet psychologique, le tribunal réserve sa décision dans l’at-tente de l’issue du procès que Joël a intenté au civil contrel’abbé pédophile.

Pour Pierre Chomé, l’avocat de Joël Devillet, le dos-sier Hubermont risque d’évoluer : « Je viens de recevoir lecourrier de la mère d’un jeune homme qui habitait Fla-winne au cours de la période Hubermont. Cette mamanse plaint des agissements contre son fils. L’affaire ressem-ble à celle de Joël. Cette fois encore, l’évêché a été pré-venu, mais il n’a pas bronché. Une plainte a été déposéeau parquet de Namur en 2007, des auditions ont été or-ganisées, mais rien ne bouge… Qu’attend-on ? De nou-velles victimes ? »

Retrouvez Georges Huercano du lundi au jeudi, de 12h30 à 13 h, sur dans l’émission «Fait divers».

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UNE AUTREVICTIME?

«A l’évêché, on m’a traité commeun moins que rien»

L’abbé Hubermont, et l’extrait d’une lettre qu’il a faitparvenir à sa jeune victime.

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