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UNE ENDBMIE D’AFFECTIONS OCULAIRES PROVOQUBES PAR L’HYDROGRNE SULFUR& CHEZ DES OUVRIERS TRAVAILLANT A UN TUNNEL Par Victor Larsen.’) Pendant la construction d’un tunnel sous le Sund pour Bvacuer le contenu des Cgouts A 4 km. environ dans la mer - cela, afin d’amCliorer l’eau souvent assez malpropre - il survint chez des ouvriers, la premi6re fois en juillet 1941, quelques phenom6nes d’irritation, surtout des yeux, et on ne pouvait se faire une idCe de la nature de ces phBnom8nes. Des cas pareils Ctaient survenus antkrieurement pendant les constructions de tunnels sous le port de Copenhague: le tun- nel sous Havnegade, 1856-58. sLe percement du tunnel fut entravB par diffCrents gaz (hydroghe sulfur6 et hydrure d’ar- senic)l) qui se d6veloppaient dans le calcaire et attaquaient si fortement les yeux des ouvriers que ceux-ci ne pouvaient travailler que peu de temps A la fois, mais on rBussit a ter- miner le travail malgri: les ressources imparfaites de 1’Cpo- quee; puis, le tunnel parall6le a celui de Havnegade, 1900- 01: spendant le travail au nouveau tunnel, les ouvriers furent atteints de maladies oculaires comme pendant celui de l’ancien tunnel en 1856-58, mais en raison de la ventilation plus forte, la maladie ne s’Ctendit pas beaucoup.<< Comme il survint aussi des ph6nomGnes d’irritation pen- dant la construction du nouveau tunnel et que les cas ocu- l) L’hydrure d’arsenic est un poison violent, et si ce gaz avait *) ReCu le ler Oct. 1943. -- 6th prksent, les ouvriers seraient probablement morts.

UNE ENDÉMIE D'AFFECTIONS OCULAIRES PROVOQUÉES PAR L'HYDROGÈNE SULFURÉ CHEZ DES OUVRIERS TRAVAILLANT À UN TUNNEL

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UNE ENDBMIE D’AFFECTIONS OCULAIRES PROVOQUBES PAR L’HYDROGRNE SULFUR& CHEZ DES

OUVRIERS TRAVAILLANT A UN TUNNEL

Par Victor Larsen.’)

Pendant la construction d’un tunnel sous le Sund pour Bvacuer le contenu des Cgouts A 4 km. environ dans la mer - cela, afin d’amCliorer l’eau souvent assez malpropre - il survint chez des ouvriers, la premi6re fois en juillet 1941, quelques phenom6nes d’irritation, surtout des yeux, et on ne pouvait se faire une idCe de la nature de ces phBnom8nes. Des cas pareils Ctaient survenus antkrieurement pendant les constructions de tunnels sous le port de Copenhague: le tun- nel sous Havnegade, 1856-58. sLe percement du tunnel fut entravB par diffCrents gaz (hydroghe sulfur6 et hydrure d’ar- senic)l) qui se d6veloppaient dans le calcaire et attaquaient si fortement les yeux des ouvriers que ceux-ci ne pouvaient travailler que peu de temps A la fois, mais on rBussit a ter- miner le travail malgri: les ressources imparfaites de 1’Cpo- quee; puis, le tunnel parall6le a celui de Havnegade, 1900- 01: spendant le travail au nouveau tunnel, les ouvriers furent atteints de maladies oculaires comme pendant celui de l’ancien tunnel en 1856-58, mais en raison de la ventilation plus forte, la maladie ne s’Ctendit pas beaucoup.<<

Comme il survint aussi des ph6nomGnes d’irritation pen- dant la construction du nouveau tunnel et que les cas ocu-

l) L’hydrure d’arsenic est un poison violent, et si ce gaz avait

*) ReCu le l e r Oct. 1943.

--

6th prksent, les ouvriers seraient probablement morts.

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laires ktaient les plus prononcks, on me demanda d’essayer de trouver la cause de ces genes.

Le travail au tunnel se fait de la manikre suivante: A environ 1750 m. de la c6te, on a construit une >>ile puitsu d’oh on a fork dans le trefonds A 30 m. environ sous la mer. Le trkfonds se compose ici comme presque partout au Dane- mark, de calcaire de Faxe. De ce puits on a perck du c6tk Est et du c6tk Ouest des tunnels de 2,lO-3,OO m. environ de hauteur et de 2,3-2,5 m. de largeur dans lesquels les con- duits d’kgouts seront posks. Des quantitks considkrables d’eau contenant 2 % de sel, c’est-A-dire comme l’eau au fond du Sund, filtraient dans le tunnel en pluie fine ou en fortes sources constantes qui, dans le tunnel de 1’Est donnaient jusqu’A 1,5 litre a la seconde. Dans le tunnel de l’Ouest, les sources ktaient plus grandes et plus difficiles a arreter’). Durant le temps oh j’ai ktk occupk A ces recherches, la ventila- tion s’est faite ainsi: pendant les premibres 20 minutes apr&s l’explosion, il y a aspiration - les tubes de ventilation ar- rivent A quelques mbtres du front de taille - puis la ventila- tion est tournke et de l’air frais est soufflk dans le tunnel et chasse ainsi le mauvais air devant soi comme un bouchon. En juillet 1941, la ventilation atteignait environ 1/2 m3 A la seconde, mais elle fut augmentke graduellement et il se montra que chaque fois qu’elle ktait augmentke, les phknomhes d’ir- ritation cessaient pendant quelque temps. Le 15/10 1941, elle fut augmentke A 0,9 m3 A la seconde et, A partir de ce moment, B part un cas isolk le 7/11, il n’y eut plus de nouveaux cas jusque vers le lO/ll, alors que la ventilation, en raison du manque de tubes, avait baissk A 0,5 m3 A la seconde. Le 23/11, la ventilation fut de nouveau augmentbe B 0,75 m3 h la se- conde, et les cas d’irritation cessbrent jusque vers la fin de janvier. Les cas isolks de dkcembre, de meme que celui du 7/11, survinrent chez des ouvriers qui ktaient occupks au net- toyage du fossk et qui travaillaient donc A des endroits moins bien ventilks. La ventilation fut augmentke le 512 42 a 2 m3 A la seconde et le 17/2 42 A 3 m3 A la seconde. Dans ces deux

’) C’est pour cette raison qu’on a di3, temporairement, renoncer au tunnel de 1’Ouest.

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dernikres augmentations l’effet ne fut pas si kvident que dans les preckdentes pour ce qui concerne la diminution des cas oculaires. J’en dirai plus tard la cause. On a observk en tout 163 cas d’irritation chez 50 ouvriers entre le 1917 41 et le 1013 42. Les cas se produisirent, comme on peut le voir sur le calendrier, en masses, et les premiers survinrent quand on fut arrive a 560 mktres dans le tunnel de l’Est, et c’est dans ce tunnel seulement qu’il y a eu des phknomknes d’ir- ritation. Au debut, ce fut au front de taille que ces cas se produisirent mais, lorsque la ventilation fut amkliorke et que le front de taille se trouva Bloignk de la zone dangereuse, a 780 m. Est, les phknomknes d’irritation se montrkrent dc prhfkrence et aprks le 1013 42 exclusivement chez les ouvriers qui circulaient dans le tunnel et qui ktaient occupCs au net- toyage du fossk, 0,5 m. environ plus bas que le plancher, (assez frkquents, car l’hydrogkne sulfure est plus lourd que l’air) h la position des rails, au bouchage des sources, etc..

L’affection oculaire se montre par une brQlure, un picote- ment, une cuisson, des sensations de grains de sable dans l’oeil et comme une vision de halo autour d’un rkverbkre. La sensation commenGa, dans quelques cas, une demi-heure a trois quarts d’heure aprbs la descente dans le tunnel; dans d’autres cas, seulement quelques heures - jusqu’a 7 heures - plus tard, mais, dans l’entier, les sympthmes n’ktaient pas spkcialement prononces pendant que les ouvriers se trouvaient dans le tunnel ; par contre, ils augmentaient considkrablement quand les ouvriers remontaient a la lumibre du jour ou plus tard, quand ils rentraient chez eux, et souvent les douleurs ktaient si fortes qu’ils ne pouvaient circuler seuls, car ils ne pouvaient ouvrir les yeux B cause de photophobie. Quand ils venaient se faire examiner A cette phase, on trouvait (en plus des gCnes subjectives sus-nommkes) : une photophobie et un larmoiement, un clignenient des ycux et une injection modkrke de la conjonctive; la cornke ktait 1Cgbrement granulke, cha- grinke, avec de petites ampoules, grandes coinme des pointes d’kpingle et 16gkrcment troublkes d’oii rksultait une lkgkre diminution visuelle qui toutefois ittait difficile de juger A cause de la photophobie. Le plus souvent, CBS phCnoinl?nes ittaicnt comme un ruban de 3-4 mm. de largeur par-dessus la cornke,

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rkpondant assez A la partie de la cornCe qui est la moins pro- tCgCe par les paupieres; dans d’autres cas, plus diffus sur la corn6e. Cette dernihre Ctait d’ailleurs normale ainsi que la sensibilitk, de m&me que l’examen de l’oeil montra du reste des conditions toutes normales. I1 n’y avait pas de coloration de fluoresckine de la cornCe et, en rhgle gCnCrale, les deux yeux ktaient Cgalement atteints, mais il pouvait aussi arriver qu’un seul oeil le fiit. Quand les ouvriers venaient se faire examiner plus tard, par exemple le lendemain, les douleurs, le larmoiement et la photophobie avaient augment6 dans les cas prononds et la cornCe offrait a p r h la coloration de fluoresdine, une image tres singulihe: un ruban vert, fine- ment pointill6 par-dessus la cornCe, rkpondant au domaine des vCsicules maintenant brisCes qui ont un CpithClium ap- paremment normal entre elles. Les points Ctaient en rcgle g6nCrale si petits qu’on ne pouvait les voir qu’avec la lampe A fente et la loupe, et il n’y avait pas de confluence des points. Au bout de 48 heures environ, il n’y avait plus de coloration de fluoresckine - les vices Cpithkliaux Ctaient guCris -; les paupicres n’etaient en gCnCral pas atteintes, mais les ouvriers ayant une conjonctivite ou une blCpharite, ktaient g6nCralement les plus disposCs. Outre les symptbmes oculaires, il n’y en avait que quelques autres: un peu de picotement dans le nez, un peu de toux et d’irritation du pharynx et rarement un peu de nausCe. Une plainte souvent rCpCtCe Ctait que les cigarettes avaient mauvais goiit et que parfois la nourriture avait aussi un goiit changk et dCsagrCa- ble. Une seule fois il y eut des cas plus graves d’un autre genre, alors qu’un foreur et un contre-maitre, malgrC la d6- fense, Ctaient descendus dans le tunnel tandis que la ventila- tion Ctait arrCtCe; l’un s’6vanouit et l’autre se sentit trhs mal: nausCe, sueur froide, oppression, toux et vertige, mais il n’Ctait toutefois pas si ma1 qu’il ne piit trainer son camarade jusqu’au puits oh il y avait de l’air frais et d’oh il put tCl6- phoner pour avoir du secours. Un ouvrier eut le nystagmus qui, peut-&tre, doit Ctre interprCtC comme le nystagmus des mineurs ou, peut-Ctre, comme une suite de l’intoxication.

Les symptames oculaires ont Ct6 les seuls qui aient exigC un traitement, les autres incommoditCs disparaissant peu de

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temps aprks que les ouvriers Ctaient remontCs A l’air frais. Les premiers cas ont CtC traitCs par des bains indiffkrents tels que l’eau ophtalmique, l’infusion de camomille, compresses chaudes et pommade de 2 % de noviforme et, parfois, en outre avec un collyre de cocaine 1 % qui causait une violente brdlure sans toujours donner de soulagement. I1 se montra bientdt qu’une pommade (noviforme) contenant Y2-1 % de cocaine basiquel) faisait le plus vite disparaitre les douleurs dans la plupart des cas et, probablement, guCrissait aussi le plus rapidement les vices CpithCliaux, peut-Ctre parce que les yeux Ctaient plus en repos quand il n’y avait pas de douleurs. Les ouvriers appellent cette pommade ,La pominade miracu- leuse<. De plus, on a trait& quelques ouvriers a la clinique ophtalmique et dans la salle de pansements du Rigshospital avec de l’eau sucrCe, sans aucun rksultat, a ce que disent la plupart ‘des ouvriers. On a naturellement aussi essay6 de leur faire porter des masques ou des lunettes protectrices, mais les verres Ctaient vite recouverts de la h u e du forage. I1 n’y avait que le conducteur du wagonnet que piit porter des lunet- tes protectrices avec assez de sucds.

Le seul moyen effectif pour empCcher l’apparition des symptbmes oculaires s’est montrC Ctre l’augmentation de la ventilation et, A certains moments, cela comporta de grandes difficultks, entre autres en raison du manque de matkriaux; il y a aussi des limites pour la grosseur des tubes, car il faut aussi de la place pour les wagonnets.

L’image clinique n’a donc rien de particulikrement carac- tCristique et ressemble a ce qu’on trouve dans plusieurs ac- tions des gaz nuisibles sur les yeux, p. ex. le gaz chlor- hydrique, l’acide fluorhydrique et les vapeurs de salpCtre, la vulcanisation, les vapeurs d’ammoniac et de formol, et l’hy- droghe sulfur6.

Ce qui diffkre quelque peu est seulement: 1) Les incommoditCs sont le moins prononcCes aussi long-

temps que les ouvriers sont dans le tunnel, et elles aug- mentent notablement quand ils remontent a l’air frais.

l) On a donne cette pommade h l’inghieur du puits pour le traite- ment provisoire.

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2 ) Les cigarettes et en partie aussi la nourriture ont rnauvais goQt dans le tunnel et les premiers temps aprks l’ascension des ouvriers.

On n’a pas constatk de changements durables. Les rechutes sont frkquentes, mais on n’a pas constatk avec certitude de cas de sensibilitk acquise. Aucun ouvrier n’y kchappa com- plbtement, mais quelques-uns n’ktaient que lkgbrement at- teints. Les plus exposks ktaient, comme nous l’avons dit, ceux qui avaient dkjh une irritation des yeux, p. ex. une blkpharite ou une conjonctivite. 11 y avait une grande diffkrence indivi- duelle dans la sensibilitk et, chez quelques-uns, il y avait peut-Gtre quelque augmentation de la sensibilitk, tandis que chez d’autres, plutBt une certaine augmentation de la rk- sistance.

16 ouvriers ont eu 1 accks 1s - - - 2 -

6 - - - 3 - 4 - 6 - - - 5 - 3 - - -

s - - - 6 - 4 - - - 7 - 1 - - - 8 - 2 - - - 13 - en tout 50 ouvriers et 163 cas.

De plus, chez 15 ouvriers on a examini: la skdimentation, les pktkchies (Gothlin) , le temps d’hkmorragie ( D u k e ) , le Sahli, les krytrocytes, leucocytes, thrombocytes, I’index et I’aspect des corpuscules du sang. Tous ces examens ont kt6 normaux h part une seule skdimentation augmentke qui ktait due A une affection rhumatismale (renseignement du mkdecin du malade). Un ouvrier est mort d’une mkningite mkningococ- cique, ce qui ne peut gukre &tre mis en relation avec les p h h o - mbnes d’irritation.

Ainsi, on a constatt dans le tunnel de I’Est une action locale sur les yeux et en partie sur les organes respiratoires et, une seule fois, des cas universels graves. Le seul nioyen sfrr pour tuiter les accts se montra &tre une augmentation de la ventilation. Les masques et les lunettes protectrices ne purent &tre portts qu’exceptionnellement pour raison de travail.

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I1 semble que c’est la premikre fois que des affections de ce genre soient survenues dans des travaux de tunnels. Dans ,Der Tunnel<< par Lukas, il y a une liste des plus grandes entreprises de tunnels jusqu’en 1926, et i l ne semble pas y avoir un seul cas de ce genre, et dans le service des construc- tions de tunnels de Siemens, on ne connait kgalement pas de tels cas.

Mais quelle est la cause de cette irritation? On a pu d’abord exclure toutes les conditions qui Ctaient

les memes dans les tunnels de 1’Est et de I’Ouest, c’est-A-dire les explosifs et leurs sous-produits et les combinaisons even- tuelles avec le chlorure de sodium (on a employ6 de l’aerolithe et des nitroexplosifs de sarete semblables), l’kclairage (lan- ternes A acktylkne) et l’irritation mecanique de la poussikre du forage dont, toutefois, on peut difficilement parler puisque la poussikre devient immkdiatement de la boue. La seule dif- fkrence immkdiate entre les deux moitiks du tunnel ktait que, dans celui de l’Est, i l y avait une faible odeur d’hydrogkne sulfurk, beaucoup moins que dans bien des laboratoires chi- miques, mais un Cchantillon de I’eau, analyse au laboratoire chimique de Struer (29/7 41) , a donne le resultat suivant:

>>Un kchantillon d’eau, marque >>Skakt@cc 430 m. Est, ne contenait pas de quantites apprkciables d’hydrogkne sulfur6 ou d’arsenic. On trouva dans l’eau:

Calcium (Ca) 0,48 g/l Magnium (Mg) 0,89 g/l Chlorure (CI) 13,42 g/l

rkpondant h : Clorure de calcium (CaClz) Chlorure de magnesium (MgClz) reste: chlorure de sodium (NaC1)

1.74 g/l 3,49 g/l

16,43 g/l

La pierre calcaire reque en mCme temps ne contenait pas de quantitk apprkciable de sulfure.

Soluble dans l’eau C1 0,24 % repondant Zt CaClz 0,11 % - - - C a 0,04 % - NaCl 0,28%

- Mg trace. - -

Nous n’Ctions pas plus avands. La thCorie de l’hydrogkne sulfur6 que nous nous Ctions faite, avait Ctk affaiblie par l’analyse.

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Des affections oculaires continuant de survenir, nous avons fait analyser, le 2818 41, du be‘ton avec des traces de taches vertes qui se montrkrent Ctre des compositions de fer.

L’eau de la paroi: C1 13,3 g/l pH 7.4. Plaques gommeuses de la paroi: le contenu de la bouteille sentait

t rbs fort l’hydrogbne sulfur6 et donna, aprbs le sbchage, une forte reaction de soufre et de ses compositions.

De grandes quantitks danhydride sulfureux disparurent a la combustion et le reste de la cendre contenait surtout des composi- tions de calcium. On peut penser que les plaques ont 6t6 formBes par l’activit6 des bact6ries du soufre dans l’eau riche en calcaire et contenant de l’hydrogbne sulfur&

On avait de nouveau un point d’appui pour que ce fiit l’hydroghe sulfur6 et on s’adressa a M. le Dr. Madsen et M . Malchow Moller de 1’Institut Technologique. Cependant, aprks une visite dans le tunnel, le Dr. Madsen se montra fort sceptique quant a la th6orie de l’hydrogkne sulfur6 en raison du peu d’odeur, bien qu’il eiit Ct6 renseign6 que l’hydrogkne sulfur6 est une neurotoxine qui, dans certaines concentrations, paralyse les nerfs olfactiques. On sent d6jA l’hydrogkne sul- fur6 dans 1-2 parties de 1.000.000 de parties d’air.

C’est pourquoi on analysa d’abord:

Le contenu de sel dans l’eau qui filtrait dans le tunnel: 2 % NaCl, l’eau de condensation: pH 6,5 (dans le tunnel de 1’Ouest: 8,05).

Cela ne pouvait pas expliquer l’apparition des phbnomknes. Finalement, la teneur en hydrogkne sulfur6 de l’air fut

analys6e. Dans une 6preuve provisoire, il se montra que du papier d’ac6tate de plomb se brunit immkdiatement et cela signifie, selon Schmolczyk et Cobler, environ 340 parties d’hy- drogkne sulfur6 dans 1.000.000 de parties d’air.

On a conduit 50 litres d’air du tunnel a travers l’ac6tate de plomb, et, a l’analyse du prCcipit6, on a constat6 une teneur de 165/1.000.000 ou 1 : 6000 d’hydrogkne sulfur6, ce qui non seulement irrite les yeux, le nez et le pharynx et donne un goQt de m6tal dans la bouche, mais cela peut aussi &re mortel pendant un sbjour prolong6 (Flury-Zernik) . Kn. 0 . M ~ l l e r d6clare que la limite de concentration toxique est vers 0,Ol % de volume ( l O O / l . O O O . O O O ) et que les concentrations de 0,l % de volume (1.000/1.000.000) sont mortelles en moins d’une

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heure. Pour irriter les yeux il suffit, dans certains cas, d’une concentration de 10-15/1.000.000 (Flury-Zernik) .

En prenant des Cchantillons de l’air a diff6rents endroits du tunnel, on trouva:

Tunnel de 1’Ouest Zt 300 m. de l’entrbe: l’hydrogbne sulfur6 ne put pas &re d6montrb. Tunnel de 1’Est - 220m. - - le plancher 130 cm3 H,S/m3

- 109 - 54 -

- - 580m. - - - - 840m. - - -

- - - -

- - - m m . - - le plafond 29 - - - - 8 6 0 m . - - le plancher 49 - -

Cependant on commenga a employer une autre mCthode pour la dktermination de la quantiti! d’hydrogbne sulfur6 en partant de la formule ordinaire: H,S + 2 J = 2 HJ + S. La methode n’est peut-Ctre pas aussi exacte que celle de l’acktate de plomb, mais toute suffisante pour obtenir des valeurs com- paratives. Les valeurs sont placCes sur la courbe ou l’on voit aussi les effets de l’augmentation de la ventilation. On trouva des quantitks considbrables d’hydrogbne sulfur& a certains endroits du tunnel, surtout entre 600 m. Est et 900 m. Est. A l’analyse de l’eau du fossC, on constata que l’augmentation d’hydrogbne sulfur6 Ctait la plus forte vers 785 m. Est. L’ac- croissement Ctait 0 vers 600 m. Est et, de 18 au puits, la perte d’hydrogbne sulfur6 ktait plus grande que l’augmentation.

Mais d’oh vient l’hydrogbne sulfurC? On avait remarqui: que quelques-unes des sources bouil-

lonnaient tout doucement en pCnCtrant dans le tunnel, et a l’analyse, il se montra que quelques-unes contenaient des quantitCs considkrables d’hydrogkne sulfur&.

De 68 sources analysCes quant B la teneur d’hydrogbne sulfur&, nous mentionnerons:

Source Zt 610 m. Est: 10 - -640m. - 4,5 -

- 735 m. - 36,9 - - - 782 m. - 75,4 - - - 796 m. - 65,2 -

- 803 m. - 42,3 - - 880 m. - 24,4 - - 940 m. - 5,5 -

mg/l hydrogene sulfur6 ou 7,2 cm3/l - 3,2 - - 26,5 -

- 54,6 - - 47,3 - - 30,5 - - 17,7 - - 3,9 -

- - - - - - - - - - - -

- - - - - -

(Malchow- Moller) Acta Ophthalmol., Vol. 21. IV. 19

+2m

DY -2 -4 -6 -6 -10

- 12 -14 - I6 -18

c

$ 1 , JV vv 0

I1 ne peut donc gubre y avoir de doute que l’hydroghe sulfur6 provient des sources. C‘est bizarre qu’elles d6gagent de l’hydrogbne sulfur6 dks qu’elles entrent dam le tunnel, car l’eau peut dissoudre beaucoup plus d’hydroghe sulfur6 qu’il en est question ici (1 volume d’eau dissout 4’4 volumes d’hy- drogbne sulfur6 A Oo 760 m. (Flury-Zernik), mais cela doit s’expliquer par ce que l’eau d6gage de l’hydroghe sulfur6

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jusqu’a ce qu’il y ait Cquilibre entre la tension de l’hydroghe sulfur6 dans l’air et dans l’eau pknktrante.

On peut voir de la courbe que la teneur en hydroghne sulfur6 diminue beaucoup vers le puits, ce qui peut Ctre dii a deux choses (Madsen) :

I) Le d6layement de l’eau p6n&rante, mais alors la teneur en hydrogene sulfur6 dans le foss6 devrait &tre plus grande que dans les sources, et cela n’est pas le cas.

11) L’oxygknation de l’hydroghne sulfur6 complete, formant de l’eau et de l’anhydride sulfureux, ou incomplete, formant de l’eau et du soufre A l’aide des bact6ries. Et on pense (Madsen) que c’est ceci qui se produit.

I 1

(Dr. Madsen)

Partant de cette penske, on a examin6 - sans r6sultat d’ailleurs - si on pourrait augmenter l’oxygknation par l’in- sufflation d’ozone, par catalysateur ou par la pulv6risation de l’eau. La quantit6 d’hydroghe sulfur6 qui doit absorber l’oxyghe se monte A 80 m3 ou 100 kg. en 24 heures. La source A 782 m. Est est la plus grande, car elle d6bite 1,5 1. A la) seconde et est malheureusement aussi la plus riche en hydro- ghne sulfur&. La source A 796 m. Est, qui est assez riche en hydrogkne sulfur&, ne d6bite que 0,2 1. A la seconde, et la plupart des autres sources, assez pauvres en hydrogene sul-

19.

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fur6, d6bitent 0,2 1. A la seconde ou moins encore - 4, cependant, 0,5 1. A la seconde. 29 sources en tout ont 6t6 analys6es.

Quand on regarde une coupe du sol sous-marin avec l’in- dication de 1’6paisseur de la couche de limon, pour autant qu’on la connait d’aprbs les sondages existants, on trouve a environ 780 m. Est, un Cpaississement de la couche de limon - un >>sac de limonc, comme l’appelle M a l c h o w M e l l e r -, et comme le limon du sol sous-marin entre en fermentation anahrobie, M a l c h o w M d e r pense que l’hydrogbne sulfur6 pro- vient du sol sous-marin, car :

1) A environ 780 m. Est, il y a un asac de limoncc. 2) On y a constate un maximum d’hydrogene sulfur6 dans le tunnel. 3) On y a constat6 un maximum d’hydrogene sulfur6 dans le foss6. 4) On y a constat6 un maximum d’accroissement d’hydrogene sulfu-

re dans le foss6. 5) I1 y a la une source ayant une teneur maximum en hydrogene

sulfur6.

Le calcaire est malheureusement aussi beaucoup plus poreux qu’a d’autres endroits, cela se montre par une source qui a un trbs grand d6bit d’eau, d’ou le trks grand dkgagement d’hydrogbne sulfur6 dans le tunnel. A environ 1125 m. Est et a 1700 m. Est, se trouvent kgalement des ,sacs de limoncc, mais comme les sources y sont trbs petites B cause de la non- porositk du calcaire, il n’y a que de petites quantitks d’hydro- gkne sulfur6 qui p6nbtrent dans le tunnel.

La raison pour laquelle les augmentations de la ventilation les 5/2 et 1712 42 ne donnbrent pas de diminution des cas, mais apparemment et paradoxalement une augmentation, doit Ctre celle que tous les ouvriers travaillaient alors au nettoyage du foss6, a l’amklioration du tunnel ou au bouchage des sour- ces A l’endroit le plus dangereux, A 782 m. environ.

I1 est Ctabli, aprbs ce qui s’est pass&, qu’a certains endroits du tunnel, il se trouve des quantit6s notables d’hydrogbne sulfur6 et comme

4 ) L’hydroggne sulfurd, dans les concentrations trouvkes, peut pro- voquer des cas oculaires d u m&me genre que ceux qu’on a con- states chez les ouvriers d u tunnel,

2) les cas oculaires dtaient plus frdquents quand les ouvriers se

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trouvaient prds des sources les p l u s riches e n hydrogSne sul fur6 o u quand l a vent i lat ion n’dtait p a s completement e f f ec t i ve , c o m m e il e n t t a i t le cas pour les ouvriers occupds a u net toyage d u foss6 o u bien pour le conducteur d u wagonne t q u i devait passer plu- sieurs f o i s p a r j o u r le passage dangereux,

3) d a n s le t unne l de l‘Ouest o u la s i tuat ion t t a i t toute pareille a celle d u t u n n e l de Z‘Est, i l n e surwint p a s d’hydrogdne sul fur6 ni de cas oculaires,

j e me crois autorisk de conclure que les affections oculaires observkes sont dues A l’hydrogbne sulfur6.

I1 n’y a pas de motif de parler longuement ici de la toxico- logic et de la pharmacologie de l’hydrogbne sulfurk: c’est sur- tout Henderson & Haggard et Pohl qui s’en sont occupks. L’hydrogbne sulfurk est un agent d’irritation pour les yeux et les organes respiratoires et, de plus, une neurotoxine. I1 faut sans doute chercher la raison de ses effets caractkristiques sur les yeux dans ce que I’hydrogbne sulfur&, quand il entre en contact avec un tissu humide, s’allie avec les alcalis (l’hydro- gbne sulfur6 est un acide faible) d’oh survient l’irritation, en partie parce que le sulfure ronge, en partie parce que les alcalis sont enlev6s des tissus. Le sulfure de sodium est rCsorbC, hy- drolysk et dCgage l’hydrogbne sulfur6 lequel, pour autant qu’il ne s’oxygbne pas, en faibles quantitks diminue l’irritabi- lit6 des nerfs, en plus grandes quantitks augmente, et en grandes quantit6s paralyse le systbme nerveux (Henderson & Haggard) . I1 produit chez les animaux une narcose, et la mort en convulsions est causke par la paralysie de la respi- ration. D’autres pensent que l’hydrogbne sulfur6 agit comme un toxique sur le ferment d’oxydation a base de fer dans les cellules, par quoi la respiration interne des cellules est d6- truite.

L’intoxication par I’hydrogbne sulfur6 survient en beau- coup d’endroits: dans les laboratoires chimiques, dans la fa- brication du sulfure de carbone, du lapis-lazuli et d’autres sulfures, dans l’industrie soudibre de Leblanc, chez les ouvriers occupks A la fabrication du caoutchouc et surtout de la soie artificielle ; c’est surtout dans cette dernikre industrie que les cas sont fr6quents. Legge a remarqu6 que les cas se pro- duisent frkquemment le 3me jour de travail ou le lundi, quand les ouvriers ont Ct6 libres le dimanche. Les cas surviennent

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chez les ouvriers qui se tiennent la oh la masse de viscose est pressCe dans un acide diluC a travers les filibres. On a aussi vu des lCsions des yeux causCes par l’hydrogbne sulfurC chez des ouvriers travaillant dans des bains sulfureux mC- dicaux, les tanneries, l’industrie des betteraves sucribres, chez les Cgoutiers et les vidangeurs (dans ces deux dernibres cat& gories, on a, parait-il, constat6 une atrophie du nerf optique) , (Archangelski), mais cela semble Ctre des cas tout exception- nels. Chez les Romains on croit avoir rencontrk la cCcitC chez les vidangeurs et on a consid6rC cette infirmit6 comme une maladie professionnelle. I1 y a des diffkrences individuelles assez grandes dans la sensibilitk pour l’hydrogbne sulfurC, et l’irritation des yeux et des organes respiratoires peut manquer completement. On trouve aussi des individus ayant une hyper- sensibilitk qui d’ailleurs peut Ctre acquise; les plus expos& aux cas oculaires sont les gens qui souffrent de blkpharite ou de conjonctivite. On peut assez rapidement s’habituer A l’odeur, mais pas au poison.

Flury-Zernik Cnumbre 46 professions ayant le risque d’in- toxication par l’hydrogbne sulfur6, mais les travaux de tun- nels n’y sont pas mentionnCs et, comme il a CtC dit, le service des tunnels chez Siemens n’avait auparavant pas rencontrC de lCsions oculaires causCes par l’hydrogbne sulfurb. Je ne saurais dire si l’eau de mer en est la cause, car la plupart des tunnels sont construits sous l’eau douce.

On n’a pas constatk la couche jaune-verdAtre sur les dents que Floret croit avoir observCe chez des ouvriers expos& a l’hydrogbne sulfur&

Les yeux sont atteints pour peu que la concentration de l’hydrogbne sulfur6 soit 10--1511 .OOO.OOO.

On a aussi pens6 pouvoir Ctablir l’image d’une intoxica- tion chronique par I’hydrogBne sulfurC: conjonctivite, bron- chite, maux de tCte, fatigue gknCrale, vertige, troubles digestifs avec diarrhCe, mauvais teint, amaigrissement, ankmie, dC- mangeaisons, Cruptions cutanCes avec tendance aux. furoncles et aux infections, mais cette image n’a pas CtC observke parmi les ouvriers du tunnel; on ne pouvait sQrement pas s’y at- tendre, car ils ont Ct6 relativement expos& peu de temps A l’hydrogbne sulfurk.

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Le nystagmus peut survenir et on l’a aussi constat6 chez un des ouvriers, mais on ne peut pas dire s’il est dii Q l’hydro- gbne sulfur6 ou si c’est le nystagmus des mineurs.

La forme la plus connue d’intoxication d’hydrogbne sulfur6 est sans contredit l’oracle de Delphes oh la prCtresse, selon Lewis, aurait 6tC sous l’influence de l’hydrogbne sulfur6 quand elle prophCtisait; d’autres auteurs pensent cependant que le don de proph6tie Ctait dii a l’oxyde de carbone.

Comine thkrapie, on a recommand6: novocaine + supra- renine, dionine et pommade contenant du Scharlachtrot 1-3 % ( M i t o ) , pommade de Pagensstecher ou d’huile de foie de morue avec de l’huile d’olive.

Rtsumd. Pendant la construction d’un tunnel sous le Sund (1941-

1942)’ il survint chez 50 ouvriers 163 cas d’intoxication se manifestant par des symptames oculaires (douleurs, photo- phobie, larmoiement, ainsi que de petites v6sicules de la corn6e qui se brisbrent dans le courant de 24 heures environ). Les cas se montrbrent 6tre provoquks par l’hydroghe sulfur6 le- quel, probablement, provenait de tissus organiques du fond de la mer en fermentation anakrobie. C’est, qu’on sache, la premibre fois qu’on dkcrit une endCmie d’intoxication d’hydro- gbne sulfur6 pendant la construction de tunnels, surtout dans un tunnel apparemment trbs bien ventilk. Aux symptames connus de l’intoxication d’hydrogbne sulfur& on peut ajouter : 1) Les cigarettes et en partie la nourriture avaient mauvais goiit pendant et juste aprbs le sCjour dans le tunnel, et 2 ) les douleurs dans les yeux n’Ctaient que mod6rCment prononckes pendant le sbjour dans le tunnel a cause de l’effet 1Cgbrement anesthksiant de l’hydroghe sulfurk, mais elles augmentaient notablement quand les ouvriers atteints remontaient A l’air frais.

Le traitement a 6tC: ventilation amClior6e comme prCventif et, quand l’irritation Ctait survenue: bain indiffkrent, pom- made avec cocaine basique, compresses et dispensation de travail pendant 1-2 jours.

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