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Toujours rebondir Une petite fille en Auvergne Yvonne Duverger

Une petite fille en Auvergne - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332872494.pdf · soir avant de s’endormir, sa maman lui tenant ce langage : «

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Une petite fille en Auvergne

Yvonne Duverger

12.08 641830

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 144 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 12.08 ----------------------------------------------------------------------------

Toujours rebondir Une petite fille en Auvergne

Yvonne Duverger

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Elise s’est endormie brutalement

« Ma petite Jany, que va-t-elle devenir ? »

Ce sont les derniers mots de sa mère Elise, foudroyée par la mort dans les bras de son mari Claude, devant leur petite Jany, âgée de dix-huit mois. La petite fille regarde sa maman endormie sans vraiment comprendre ce qui se passe. Ces paroles, dures de réalité sont rapportées par son père de nombreuses années plus tard, à Jany devenue suffisamment grande pour les entendre. La fillette âgée d’à peine neuf ans questionne à nouveau Claude, elle veut savoir : « Dis papa, comment elle est morte maman ? », « Elle m’a appelé », « Claude vite, vite, je sens que mon cœur me lâche, j’ai voulu me lever pour faire mon lit et…, oh là là ! Aide-moi… », m’a-t-elle supplié. « Je l’ai prise dans mes bras pour la soutenir, ses dernières paroles ont été pour toi : « Ma petite Jany que va-t-elle devenir ? », répète à nouveau Claude à sa fille. A cette époque-là, cette phrase

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n’avait pas bouleversé Jany qui l’a parfaitement mémorisée. Elle a même été un élément moteur au cours de sa vie d’adulte.

Elise a dû garder la chambre depuis son accouchement, voilà bientôt trois semaines. En effet, si la naissance du petit Gérard s’est très bien passée, Elise risque à chaque instant de faire une phlébite et de ce fait on lui a recommandé de garder le lit. Y a-t-il un traitement possible ?

La petite Jany se trouve être ce jour-là, présente dans la chambre de sa maman, bien qu’elle aille regarder très souvent à la fenêtre son papa qui scie du bois juste devant la maison. En effet, Claude vient d’acheter une scie circulaire électrique qui lui permet d’effectuer cette tâche tout seul. Alerté par des cris venant de l’intérieur, Claude se précipite pour rejoindre sa femme.

« Non, non, ce n’est pas vrai, ne nous laisse pas », s’écrie Claude qui ne peut affronter cette douloureuse réalité. « Reviens, reviens, ne pars pas, nous avons besoin de toi. Elise, Elise, je t’en prie reste avec nous… Tiens bon, je suis là, il y a les petits », supplie Claude convaincu d’être entendu par sa femme et croyant celle-ci encore vivante. Alertée par les cris de son fils, Danièle la grand-mère accourt, elle essaye de réanimer Elise, une fois, deux fois, sans succès. Il n’y a plus de pouls…

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On appelle Jeannot, le voisin, qui court chercher des secours au village et appeler le médecin. Il n’y a pas de téléphone au hameau. Le temps s’écoule, les minutes représentent des heures… mais que fait-il ce médecin ?

« Non, non, c’est trop injuste, mais pourquoi ? », hurle Danièle, qui doit se rendre à l’évidence, Elise ne respire plus. « Où est-il ce Dieu qui nous abandonne ? Si tu veux quelqu’un, prends-moi mais pas elle, elle a trente trois ans, non, non ce n’est pas possible, pas cela, que vont-il devenir ces petits, sans leur maman ? C’est trop injuste, qu’a-t-elle fait pour mériter cela, Elise ? Avec son mari, ils viennent seulement de se retrouver… après cette si longue guerre… Comment va-t-il surmonter cela, mon Claude ? », interroge la grand-mère en colère. Danièle s’adresse à ce Dieu qu’elle juge plus que cruel car il les laisse tomber dans un moment crucial, alors qu’elle l’a tant prié, qu’elle a cru en lui.

Claude a repris Elise dans ses bras. Il refuse cette mort, il ne peut pas y croire. Il entend encore les derniers mots prononcés par sa femme, ils raisonnent dans sa tête. Elle va reparler, pense-t-il. Il veut s’en convaincre : « Elise réveille-toi, je t’en prie, réveille-toi ! Tu ne peux pas partir comme cela, nous abandonner. J’ai besoin de toi ! Je t’aime, je t’aime tant, tu ne peux pas nous laisser », insiste Claude voulant croire à un miracle.

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Soudain il se souvient que sa petite Jany est là, il la prend dans ses bras. Elle veut toucher sa maman, elle lui parle, elle la secoue : « Maman, maman », appelle la petite fille en s’approchant du lit, elle veut lui faire un bisou. Pas de réponse, Jany veut savoir, elle questionne : « Papa, elle dort maman ? » A sa maman endormie, elle donne un dernier baiser sur son visage encore tiède. « Elle se réveillera dans très, très longtemps ! », affirme son papa.

Devenue adulte, Jany s’interroge. Pour un enfant très petit, la croyance en la vie éternelle inculquée par la religion catholique pourrait donner un sens à la mort. Annoncer à un enfant que sa maman ressuscitera un jour, même lointain, est certainement plus facile. Jany se prête à imaginer que ce Dieu plein de bonté des chrétiens aurait pu rappeler Elise dans son paradis, pour que celle-ci puisse veiller davantage sur elle et son papa afin de les protéger ? Avec Dieu et les Anges ils seraient plus disponibles, plus efficaces, là haut qu’ici-bas. « L’union fait la force », a-t-on coutume d’affirmer. Il suffit d’y croire.

Elise a-t-elle lutté ? S’est-elle battue pour vivre à tout prix ? Etait-elle trop fatiguée, épuisée ? Un cumul de travail trop lourd pour elle et un vécu douloureux justifieraient-ils ce manque de résistance pour continuer à vivre ? Elise était l’aînée d’une famille de douze enfants, souvent sollicitée par sa mère pour élever ses petits frères et sœurs. Elle a dû laver à la main, chaque

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jour, des couches en tissu ; très jeune. Dès quatorze ans, elle travaillait dans les fermes avoisinantes pour aider ses parents. Le paradis lui ouvrant ses portes aujourd’hui était-il la solution ? Ou alors… un endroit pour se reposer… avant… son retour prochain… auprès des siens… justifiant ainsi la vie éternelle. Toutes ces croyances, qui prônent certes l’acceptation de la disparition d’une femme si jeune laissent sceptique devant les remarques non dissimulées de ces mêmes personnes. « Elle va trouver la paix dans l’au-delà, le plus dur c’est pour ceux qui restent ». Crédulité ? Ou forme de vie facile en se réfugiant derrière la religion sans se poser de questions ?

La petite Jany a toujours rêvé et imaginé chaque soir avant de s’endormir, sa maman lui tenant ce langage : « J’ai vu ce que tu as fait aujourd’hui, j’ai vu les efforts que tu as fait à l’école pour obéir, pour aider ton papa en rentrant, je sais que c’est difficile pour toi, mais sache que je suis toujours là et que je veille sur toi ! », « Maman je t’aime, je pense tout le temps à toi », dit Jany à celle qu’elle veut croire près d’elle, « Je t’aime aussi très, très fort et sache que je suis toujours près de toi, je te serre dans mes bras, je te couvre de bisous partout, partout », entend la fillette avant de s’endormir. Jany croyant toujours sa maman vivante, lui sera-t-il facile de se construire ? Et d’accepter d’être aimée par une autre femme qui pourrait remplacer sa maman puisque celle-ci n’est donc pas morte?

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La rencontre d’Elise et de Claude

Suzette et Elise se retrouvent à la sortie du travail de cette dernière. « Ma chère cousine, je t’invite à notre soirée costumée samedi prochain. Nous serons quelques copains et copines. Je voudrais te présenter un ami de Paul qui devrait te plaire ? Alors tu viens ? », « Je t’avoue que je suis bien tentée, il va falloir que je réussisse à convaincre les parents… je te confirme cela demain, si tu veux bien ? », interroge Elise en guise de réponse.

Elise est impatiente de rentrer chez elle. Elle habite encore chez ses parents qui sont artisans sabotiers et elle doit souvent les aider pendant ses jours de repos. Elle va en parler à son père qui aime bien Suzette, il ne pourra pas lui refuser. « Suzette m’invite samedi pour une soirée dansante chez elle, je pourrai y passer à mon retour du travail et m’habiller là-bas. Qu’est-ce que tu en penses ? », lui demande-t-elle. « Qui sera là ? Vous serez

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nombreux ? Tu connais les autres ? », interroge Didier, « Rien que des amis à Suzette et quelques copains de Paul, nous ne serons pas très nombreux. Tu es d’accord ? », insiste Elise. « Bon, bon, je ne dis pas non, mais il faut que je voie avec ta mère », conclut le père d’Élise.

C’est ainsi que la rencontre avec celui qui est devenu son mari, a eu lieu lors de la soirée costumée chez Suzette. Ce fut pour Elise un jour inoubliable. Invitée par sa cousine, épouse de Paul le meilleur ami de Claude, elle découvre un beau jeune homme très brun et svelte qui aime passionnément la danse où il excelle évidemment.

Après des valses, un tango, un paso-doble et quelques autres danses, Elise s’est tout naturellement laissée séduire par Claude. Il faut dire qu’à vingt-quatre ans, elle est très belle. Ses grands yeux noisette, son regard chaud ont également eu raison de Claude, un véritable coup de foudre pour chacun d’eux.

La maison de Suzette et de Paul est grande et se situe à l’ouest du bourg. Cet isolement peut permettre de hausser le son de la musique, de rire aux éclats et de se laisser emporter dans les tourbillons d’une soirée endiablée sans déranger les voisins, qui d’ailleurs, pour la plupart sont présents à la fête. Celle-ci bat son plein, très animée par Suzette, connue pour son excentricité. Sa garde robe habituelle aux couleurs toujours très vives, justifient son choix pour

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un bal costumé, fantaisiste, voire baroque. Le déguisement rendu obligatoire par Suzette ce jour-là, correspond tout à fait à son côté original qui n’est plus un secret pour personne au village. L’ambiance créée par Suzette est à l’évidence une somme de rires, de joie, de bonheur. Les deux couples furent rapidement rejoints par une dizaine d’autres, tous plus joyeux les uns que les autres.

Ces instants merveilleux et festifs furent-ils à l’origine de cette décision importante prise par Claude et Elise quelques semaines plus tard ? On pourrait en effet se poser la question puisqu’ils envisagèrent de s’unir par un mariage venant sans doute concrétiser leurs sentiments amoureux naissants.

Ils auraient sans doute vécu de longs jours heureux, sans l’annonce de la guerre de 1939-1945 dans les quelques mois qui suivirent, venant interrompre brutalement leur idylle.

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Une belle amitié pendant la guerre

Les derniers moments avant le départ de Claude sont remplis d’émotions confuses et douloureuses. Cela a été trop vite. Ils sont à peine mariés. C’est difficile d’envisager de se quitter. « Je sais, ma chérie, ça ne va pas être facile. Cette guerre arrive trop vite. J’ai envie de croire qu’elle ne durera pas. Surtout ne t’inquiète pas Elise, je t’écrirai et je suis certain de revenir rapidement ! », promet Claude face à l’annonce de cette terrible séparation. « Je t’avoue que cela me fait très peur de rester toute seule alors que nous venons seulement de nous marier », lui répond Elise en se réfugiant dans ses bras. « Tu pourras demander l’aide de Martie. Et n’hésite surtout pas à te faire aider par ta famille. Sache que je penserai très fort à toi », ajoute Claude tendrement. Instants difficiles mais qui se veulent rassurants pour les jeunes mariés…

Claude sera fait prisonnier aussitôt et cela

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pendant cinq longues années. Le début d’une solitude difficile pour Elise, bien qu’une longue correspondance s’instaure, certes parfois irrégulière… mais combien importante. Elle va leur permettre d’accepter cet éloignement : « As-tu reçu du courrier ? », demande Elise à Martie, sa belle sœur, dont le mari Louis est aussi prisonnier en Allemagne. Elle reste sans nouvelles à ce jour. « Moi, j’ai reçu une lettre, Claude me dit qu’il est dans une ferme, qu’il est bien nourri et que les gens sont gentils… », continue Elise. Savoir son mari prisonnier des Allemands aurait pu angoisser Elise. Le fait qu’il soit dans une ferme la rassure. Il se trouve dans un cadre qu’il connaît.

Il faudra le courage, l’audace, la volonté de ces deux femmes, Elise et Martie, pour faire fonctionner les deux propriétés terriennes en plein essor. Animées par l’amour qu’elles vouent à ces deux hommes, Claude et Louis, les deux frères, dont elles sont séparées, Elise et Martie se sont alliées en se donnant les moyens, non seulement de maintenir les terres en l’état mais aussi de les faire fructifier.

« Elise, n’hésite pas à me faire savoir quand tu as besoin d’un coup de main ; tu sais que mes parents m’aident beaucoup et que je pourrai me libérer facilement », propose Martie autour d’un chocolat chaud. « Merci, Martie ; quatre kilomètres nous séparent mais je pense que j’aurai vraiment