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1 Une taxonomie empirique des SSLL 1 pour mieux appréhender les enjeux stratégiques de la rencontre entre sphère marchande et non marchande Khaireddine MOUAKHAR Centre de Recherche NIMEC (EA 969) IAE de Caen 3 rue Claude Bloch BP 5160, 14075 CAEN CEDEX Tél : 06.71.32.32.26 / Mail : [email protected] Résumé : Le modèle productif de l’open source demeure l’exemple le plus illustratif de la rencontre de deux sphères fondamentalement opposées, l’une marchande, constituée par les sociétés de services et l’autre non marchande représentée par des communautés de bénévoles. En mobilisant ce secteur d’activité comme champ d’observation, cet article tente de mettre en lumière les enjeux liés aux échanges entre ces deux dernières. Nous posons deux principales questions. La première examine la prégnance des règles idéologiques de l’open source dans la détermination du positionnement stratégique des SSLL entre les deux pôles, marchand et non marchand. La deuxième s’attache, quant à elle, au rôle d’une stratégie d’hybridation dans le maintien d’une légitimité fonctionnelle au sein de ce secteur. Notre objectif empirique entend expliciter les raisons justifiant la participation des SSLL dans un mouvement social comme celui de l’open source. À travers une classification induite de quatre facteurs de différenciation, déclinés dans ce papier en variables clés de segmentation, nous avons réussi à positionner 71 SSLL francophones par rapport aux principaux fondements idéologiques de l’open source. Ainsi, trois comportements stratégiques différents ont été identifiés. Deux d’entre eux représentent des stratégies d’hybridation (les sociétaires et les diplomates), alors que le troisième se distancie de toutes considérations sociales (les profiteurs). Ces résultats montrent ainsi que la stratégie d’hybridation, vers laquelle tend la majorité des entreprises interrogées, semble être inéluctable au sein de ce secteur. De plus, notre étude empirique identifie cette dernière classe comme étant celle renfermant les entreprises profitant des efforts de la communauté du libre en transgressant les normes imposées par l’environnement institutionnel. Mots-clés : Marchand, non marchand, hybride, idéologie, open source 1 Sociétés de services en logiciels libres

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Une taxonomie empirique des SSLL1 pour mieux appréhender les enjeux stratégiques de la rencontre entre

sphère marchande et non marchande  

Khaireddine MOUAKHAR Centre de Recherche NIMEC (EA 969)

IAE de Caen 3 rue Claude Bloch BP 5160, 14075 CAEN CEDEX Tél : 06.71.32.32.26 / Mail : [email protected]

Résumé :

Le modèle productif de l’open source demeure l’exemple le plus illustratif de la rencontre de deux sphères fondamentalement opposées, l’une marchande, constituée par les sociétés de services et l’autre non marchande représentée par des communautés de bénévoles. En mobilisant ce secteur d’activité comme champ d’observation, cet article tente de mettre en lumière les enjeux liés aux échanges entre ces deux dernières. Nous posons deux principales questions. La première examine la prégnance des règles idéologiques de l’open source dans la détermination du positionnement stratégique des SSLL entre les deux pôles, marchand et non marchand. La deuxième s’attache, quant à elle, au rôle d’une stratégie d’hybridation dans le maintien d’une légitimité fonctionnelle au sein de ce secteur. Notre objectif empirique entend expliciter les raisons justifiant la participation des SSLL dans un mouvement social comme celui de l’open source. À travers une classification induite de quatre facteurs de différenciation, déclinés dans ce papier en variables clés de segmentation, nous avons réussi à positionner 71 SSLL francophones par rapport aux principaux fondements idéologiques de l’open source. Ainsi, trois comportements stratégiques différents ont été identifiés. Deux d’entre eux représentent des stratégies d’hybridation (les sociétaires et les diplomates), alors que le troisième se distancie de toutes considérations sociales (les profiteurs). Ces résultats montrent ainsi que la stratégie d’hybridation, vers laquelle tend la majorité des entreprises interrogées, semble être inéluctable au sein de ce secteur. De plus, notre étude empirique identifie cette dernière classe comme étant celle renfermant les entreprises profitant des efforts de la communauté du libre en transgressant les normes imposées par l’environnement institutionnel. Mots-clés : Marchand, non marchand, hybride, idéologie, open source

                                                            1 Sociétés de services en logiciels libres

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Introduction

À l’origine, le logiciel libre était produit par une sphère unique, non marchande, constituée

par l’ensemble des communautés de bénévoles (Coris, 2006 ; Benkaltoum, 2009). Capitalisant

sur la volonté des membres bénévoles qui le constituent, ce mode productif a été souvent

qualifié de mouvement social de par les valeurs qu’il promeut et les principes qu’il défend.

Du point de vue organisationnel, ces communautés sont formées par des Hackers animés par

une vision sociale et convaincus qu’une nouvelle société fondée sur le partage et l’altruisme

peut prospérer (Lévy, 1984 ; Himanen, 2001). De surcroît, les membres de ces communautés

s’opposent idéologiquement au modèle dominant du logiciel propriétaire-marchand qui

dessine l’industrie du logiciel depuis une trentaine d’années (Dauphin, 2008). Représentant

une sphère non marchande, le mode de développement communautaire est resté longtemps à

l’écart des réflexions et des enjeux économiques.

Toutefois, suite à l’intrusion marchande d’une variété de sociétés de services, une nouvelle

orientation s’est opérée aussi bien au niveau structurel par l’apparition de nouvelles sociétés

spécialisées dans les services open source (désormais SSLL), qu’au niveau de la logique

économique à travers le remplacement progressif de la gratuité par une économie plus

marchande et détachée davantage des valeurs sociales de ce mouvement (Lisein et al., 2009).

Cohabitant dans un même écosystème, ces deux sphères se sont rapidement distinguées. Si la

première est formée par des bénévoles travaillant en collaboration sur des projets prenant le

statut d’un bien commun, la viabilité de la deuxième est assurée par la vente de solutions open

source et la commercialisation de services associés de qualité.

Cependant, nous assistons ces dernières années à un rapprochement entre la sphère marchande

et la sphère sociale du libre autour de projets communs. Ceci est visible, notamment, à travers

une forte implication des SSLL dans des projets communautaires initiés par la sphère non

marchande de l’open source.

L’objectif de cet article est de comprendre les motifs et la nature des échanges entre ces deux

sphères à travers les différents comportements stratégiques possibles au sein de ce secteur.

Nous organiserons nos propos autour de trois principaux points. Dans un premier temps, nous

examinons les enjeux stratégiques de la rencontre entre sphère marchande et non marchande.

Nous avançons ainsi les motifs de la participation des SSLL dans la sphère non marchande et

nous discutons du rôle d’une stratégie hybride dans le maintien de la légitimité au sein de ce

secteur. L’examen de ces deux points nous amène à poser notre problématique et à énoncer le

but de notre approche empirique. Dans un deuxième temps, nous présentons les variables clés

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de l’étude et les différentes phases de la méthodologie. Enfin, nous dévoilons les résultats de

l’étude et nous discutons des différents comportements stratégiques identifiés. Enfin, la

conclusion sera consacrée aux apports de cette recherche pour les managers et à la proposition

d’une ouverture capable d’enrichir le présent travail.

1. LES DEUX SPHÈRES DE L’OPEN SOURCE : ENJEUX ET PROBLÉMATIQUE

Représentant la sphère non marchande de l’open source, les communautés des bénévoles

représentent sans contestation les structures fondatrices du libre. Or, depuis quelques années,

elles se partagent le développement des logiciels open source avec une sphère marchande

représentée par des sociétés de services. Par conséquent, après un début marqué par la gratuité

et le partage élargi, le mouvement de l’open source a pris le tournant vers le monde capitaliste

constitué par une sphère marchande n’hésitant pas à saisir les opportunités d’affaires que

présente l’open source. Nous présentons sur la figure n°1 le mode de fonctionnement de

chacune de ces deux sphères.

Figure n°1 : Le logiciel libre est produit par deux sphères

Dans le cas de la sphère marchande, représentée dans cet article par les SSLL, les solutions

proposées sont accompagnées d’une panoplie de services associés. Ces entreprises réalisent

leurs gains grâce au revenus de ces derniers, d’où l’appellation de « client final » employée

dans la désignation de l’utilisateur de ces solutions. En revanche, dans le cadre de la sphère

non marchande, l’idéologie de l’open source suppose que « des utilisateurs » peuvent jouer le

rôle de bêta-testeurs en contre partie des solutions qui leur seront accessibles librement. Dans

cette logique, l’utilisateur est reconnu comme bénévole par le biais de sa participation dans le

processus de développement.

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L’intrusion des SSLL dans le secteur de l’open source a permis d’assurer le lien entre la

communauté des bénévoles et les clients finaux. Pour ce faire, les SSLL exploitent les

développements des communautés en les adaptant en formes finales commercialisées sur le

marché. Leur positionnement stratégique est a priori purement marchand à travers les

services d’adaptation et les suivis qu’elles proposent afin de se rendre, par ce fait,

indispensables.

Par conséquent, le modèle communautaire plaidant pour la liberté et l’ouverture a pris le

tournant menant vers l’univers marchand et l’élargissement du marché au grand public. Ce

changement de cap est particulièrement délicat car il peut s’expliquer de deux façons

différentes. D’un côté, nous pouvons supposer que le succès, voire l'engouement que les

logiciels libres suscitent, favorise l’apparition d’un nouveau paradigme productif nécessitant

sa démocratisation et donc son élargissement à l’industrie du logiciel. De l’autre côté, ce

glissement marchand peut être traduit comme un affaiblissement du pouvoir idéologique du

libre représenté par des principes fondateurs n’arrivant pas à s’imposer dans une société de

plus en plus capitaliste (Fitzgerald, 2006). Quoi qu’il en soit, cette orientation marchande

semble gagner du terrain au détriment des valeurs historiques ayant donné naissance à ce

mouvement. Les entreprises de ce secteur sont devenues plus exigeantes en termes de gain et

de rentabilité.

Paradoxalement, on assiste depuis quelques temps à un retour aux fondements idéologiques

de l’open source matérialisé, notamment, par les liens étroits qu’entretiennent les SSLL avec

les communautés de bénévoles autour des projets open source (Archambault, 2003 ; Jullien,

2007).

Il est ainsi intéressant de s’interroger sur les motifs de la participation de ces entreprises dans

la sphère non marchande et comprendre ainsi les enjeux d’une telle implication sociale.

1.1. LES MOTIFS DE LA PARTICIPATION DES SSLL DANS LA SPHERE NON MARCHANDE : UNE REVUE

L’implication des SSLL dans les communautés du libre et leur volonté de soutenir les

membres bénévoles paraît incompatible avec leurs aspirations économiques et leurs attentes

en termes de rentabilité financière. Or, depuis quelques temps, les prestataires de services

s’investissent davantage dans le libre, soit en participant dans des communautés existantes,

soit en créant, eux même, des fondations ou des communautés de bénévoles. Parmi les

entreprises les plus impliquées dans cette démarche, nous pouvons citer, à titre d’exemple,

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IBM qui a investit en 2001 prés d’un milliard de dollars dans le système d’exploitation libre

Linux.

Nous pensons que ces réalités économiques doivent être examinées de plus près compte tenu

de l’importance des investissements engagés par ces sociétés. Ceci exige de nous une

interrogation sur les facteurs poussant des entités commerciales à s’impliquer dans des projets

open source distribués librement et souvent gratuitement au grand public.

Plusieurs travaux ont tenté de comprendre cette posture qui semble, pour le moins,

incompatible avec les aspirations des dirigeants, notamment, en termes de rentabilité. Dans ce

sens, plusieurs auteurs ont mis l’accent sur le rôle des entreprises dans les communautés de

l’open source (Jullien et Zimmermann, 2011), d’autres ont cherché à comprendre les raisons

d’une telle démarche (Bonaccorsi et al., 2006). Ils soutiennent que les entreprises qui

contribuent dans les communautés open source sont mues par la viabilité commerciale et

l'apprentissage technologique dont elles peuvent bénéficier dans une relation de

coopération. En ce sens, Meissonier et al. (2008) expliquent : « La communauté du logiciel

libre représente pour les entreprises une source de nouvelles connaissances tant sur le design

des applications que sur les business models rattachés à la conception de systèmes

d'information. En effet, pour les développeurs et les informaticiens, la communauté open

source constitue un réseau d'apprentissage privilégié. » (p.3).

D’autres travaux ont abordé de plus près les différentes formes d’implication des entreprises

dans les communautés du libre. Nous pouvons citer ceux de Jullien (2007) qui a pu montrer

qu’il existe effectivement un lien entre l’implication des entreprises dans les communautés et

le niveau de participation de leurs salariées dans les projets communautaires. Jullien (2007) a

pu également montrer qu’il existe plusieurs niveaux d’implication qui sont probablement

fonction de la culture interne des entreprises. Il soutient que la plupart des entreprises

qualifient leur implication comme un usage communautaire et reconnaissent que cette

dernière rejoint l’axe social de l’open source et reste compatible avec la philosophie du libre,

celle fondée sur la coopération et le partage.

De leur côté, Batikas et Miralles (2008) ont étudié la décision des entreprises à contribuer

dans les communautés open source. Leur démarche a débuté par une observation des

mutations qui animent le secteur de l’open source. Ces auteurs affirment que « l’open

source se déplace d’une année à une autre d'un modèle axé uniquement sur les développeurs

communautaires et les universités à une situation où le conducteur principal

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est l'industrie. »2 (p.2). Ils se sont concentrés, ensuite, sur la question suivante : pourquoi les

entreprises choisissent de contribuer aux communautés au lieu de suivre une

approche purement marchande? Selon Batikas et Miralles (2008), la participation des

entreprises dans les communautés du libre leur permettent de collecter des informations en

lien avec les produits, services et clients qui finalement peuvent les conduire à l'ouverture de

nouvelles niches de marché. Les travaux de Teece (1986) apportent à ce niveau quelques

explications. Cet auteur soutient que dans les industries à faibles régimes d'appropriation, la

propriété des actifs complémentaires détermine les bénéfices. C'est le cas du secteur de l’open

source où les entreprises tentent de «gérer» ou «gouverner» les communautés comme des

actifs complémentaires afin de parvenir à des bénéfices techniques ou diminuer leur écart

avec le leader de leur secteur.

À cet égard, Dahlander et Wallin (2006) affirment que les entreprises ont besoin d’accéder

aux développeurs de la communauté afin de convertir le savoir faire créé au sein de cette

dernière en actif complémentaire.

Enfin, les résultats des travaux d’Oh et Jeon (2007) ont révélé que la participation des

entreprises est très variable, notamment en présence de forces extérieures. Ces résultats

fournissent un certain appui à la difficulté d'établir et de maintenir une « masse critique » dans

les communautés virtuelles (Markus et al., 2000 ; Butler, 2001).

Au vu de ces éléments, il est clair que l’implication des entreprises dans les communautés du

libre est considérée par la littérature comme une approche stratégique. Ceci émane du fait

qu’elle permet à ces entités de tirer profit de ses avantages, notamment en termes

d’apprentissage et de réputation. D’autres raisons ont été avancées comme, par exemple,

l'amélioration de l'image des entreprises vis-à-vis des développeurs, ou l'auto-formation des

employés par la participation à des projets innovants (Lerner & Tirole, 2002).

Des conflits peuvent donc survenir entre une entreprise qui participe à un projet open source

et les membres de la communauté. Ils tiennent leurs origines dans la différence de

l'orientation, la motivation et l'attitude (Oh et Jeon, 2007) .Cela a amené Osterloh et al. (2003)

à mettre l’accent sur l’importance d’une idéologie partagée, constituée par un ensemble de

règles dans le maintien des co-développements open source. Ils ont constaté que les

entreprises doivent gagner la confiance de la communauté en faisant preuve de respect des

valeurs idéologiques du libre. Cette conformité aux règles communautaires de l’open source                                                             2 En anglais: « FLOSS is shifting the last years from a model driven purely by the developers’ community and universities support to one where the main driver is industry. »

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est justifiée donc par la recherche d’une légitimité fonctionnelle au sein du champ

organisationnel. Nous examinons ce point dans ce qui suit.

1.2. MAINTIEN DE LA LEGITIMITE DES SSLL PAR UNE STRATEGIE HYBRIDE

La légitimité suppose que les entreprises se conforment à un ensemble de règles et de

normes émanant d’institutions règlementaires et de collectifs professionnels. Or, la

particularité de l’open source est la présence d’une structure sociale apte à évaluer la

légitimité des entreprises de par son rôle historique dans la naissance des logiciels libres.

Nous parlons, ici, des communautés de l’open source organisées autour d’une orientation

sociale et instaurant des routines, des normes et des valeurs mettant en avant l’intérêt

collectif.

Par conséquent, les entreprises se trouvent inéluctablement face à un choix de positionnement

sur un axe comportant deux orientations. La première est économique (ou purement

marchande), à travers laquelle les organisations nouent des contrats, diffusent leurs produits et

réalisent des bénéfices. La deuxième s’avère plus contraignante et, souvent, en désaccord avec

la première. Elle correspond à une orientation sociale fondée sur une forte idéologie et

constituée par un ensemble de valeurs sociales plaidant essentiellement pour la coopération et

la transparence dans les échanges.

Ainsi, toute société opérant dans le secteur de l’open source doit prouver un certain degré

d’assimilation de cette idéologie en intégrant certaines règles communautaires permettant son

rapprochement vers la sphère sociale.

Nous illustrons à travers la figure n°2, chacune de ces orientations en rappelant les valeurs qui

animent chacune d’entre elles.

Figure n°2 : Le positionnement des entreprises entre le social et le marchand.

 

Comme l’illustre le graphique ci-dessus, chaque SSLL détient un choix de positionnement

entre deux directions peu consensuelles, l’une fondée sur l’idéologie et l’autre sur l’efficience.

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Dans cette logique plusieurs niveaux d’assimilation des règles sont possibles. Cela dépend,

par exemple, de la culture de l’entreprise, de la vision de ses dirigeants ou de la nature des

solutions développées. A priori, une infinité de positions couplant l’économique et le social

sont envisageables.

Par conséquent, plusieurs nivaux de légitimité sont donc accordés aux entreprises ayant opté

pour un compromis entre le social et le marchand. Dans cette logique, le niveau de légitimité

d’une SSLL varie en fonction de son rapprochement au pôle social. Au regard des

communautés de bénévoles, plus une SSLL intègre des valeurs liées à l’altruisme et à la

coopération, plus elle est légitime au sein du champ organisationnel.

En conclusion, les SSLL cherchant à légitimer leur position au sein du champ organisationnel

doivent concevoir un dispositif stratégique leur permettant de réconcilier les exigences de

chacune des deux orientations précédemment examinées. Nous parlons dans ce cas d’une

stratégie hybride permettant à l’entreprise d’acquérir sa légitimité fonctionnelle au sein de ce

secteur. Enfin, la diversité des stratégies hybrides est une conséquence de la multitude des

niveaux de légitimité possibles (positions intermédiaires sur la graphique).

1.3. PRESENTATION DE LA PROBLEMATIQUE

Nous pensons qu’une première interrogation se légitime naturellement : dans quelle

mesure les SSLL sont affectées par les règles idéologiques de l’open source ?

Cela revient à mesurer l’effet de l’idéologie communautaire de l’open source sur les

entreprises. La pertinence de cette question émane du fait qu’elle permet d’expliquer la

diversité des comportements stratégiques de ces entreprises et donc les bénéfices qu’elles

escomptent d’une interaction avec la sphère non marchande.

Nous soutenons, ici, l’idée selon laquelle le comportement stratégique des entreprises n’est

pas autonome mais peut être influencé par des règles initiées principalement par les

communautés de bénévoles. Ceci s’effectue par le biais d’un ensemble de normes et de

standards que les communautés proposent et auxquels tout acteur doit se conformer afin

d’accéder au statut de légitime.

L’objectif de ce papier consiste dès lors à comprendre la manière dont les SSLL arrivent à

travers leurs interactions avec la sphère non marchande à maintenir leur légitimité au sein de

ce secteur. Cela nous amène à considérer au centre de cette réflexion deux positions extrêmes.

Nous les schématisons ci-dessous l’axe stratégique du secteur de l’open source.

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Figure n°3: L’axe stratégique de l’open source

Une orientation vers la sphère marchande suppose que les SSLL intègrent parcimonieusement

les règles fondatrices du libre faisant ainsi du logiciel libre un bien marchand. Ainsi, aucune

considération communautaire n’influe les développements ou la distribution des logiciels. La

sphère marchande va ainsi chercher à profiter des travaux de la communauté sans en donner

de contrepartie. À l’inverse, une orientation sociale suppose une parfaite adoption des règles

communautaires du libre pouvant se concrétiser par une implication forte dans les

communautés et un compromis entre l’économique et le social. Dans ce cas, nous parlons de

stratégies hybrides permettant de réconcilier le marchand et le social.  

Entre ces deux extrêmes, des positions intermédiaires sont tout à fait concevables. Nous nous

fixons ici l’objectif de les découvrir à travers notre étude empirique.

Notre méthodologie porte sur un échantillon de 71 sociétés de services actives en logiciels

libres francophone. La plus ancienne SSLL interrogée fut créée en 1984 et la plus récente en

2010. Entre ces deux dates plusieurs entreprises ont vu le jour dans ce secteur confirmant bien

l’intérêt économique de l’open source. En effet, la plupart des entreprises ont été créées dans

le courant des années 2000, ce qui correspond à l’émergence de la sphère marchande dans

l’économie du libre (Coris, 2006). Enfin, le nombre de salariés permanents dans ces

entreprises varie de 1 à 120.

2. PRÉSENTATION DES VARIABLES ET DE LA MÉTHODOLOGIE

Cette deuxième section est divisée en deux volets. Dans un premier temps, nous dévoilons

les variables clés de l’étude à travers lesquelles nous ambitionnons de classer notre

échantillon. Dans un second temps, nous nous penchons sur la phase d’opérationnalisation des

variables. Ainsi, nous présentons, d’abord, l’échelle de mesure utilisée et la procédure de

codage retenue. Ensuite, nous exposons la méthode de calcul préconisée et enfin le type

d’analyse menée.

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2.1. LES VARIABLES CLES DE L’ETUDE : UNE OPERATIONNALISATION DU MODELE DE LISEIN ET AL. (2009)

Toute entreprise souhaitant intégrer l’open source doit garantir la liberté de l’utilisation,

l’étude, la distribution et l’amélioration du logiciel à tous ceux qui le souhaitent sans aucune

discrimination (définition de la FSF3).

À partir de quatre libertés fondamentales, Lisein et al. (2009) ont déduit quatre principes

constituant la philosophie de l’open source, à savoir : le principe argumentaire, le rapport à la

communauté, l’orientation des services associés et le régime d’appropriabilité. À travers une

étude de six cas d’entreprises actives dans le domaine de l’open source publiée dans Systèmes

d’Information et Management, Lisein et al. (2009) ont tenté de mettre en évidence les

modèles économiques adoptés par ces sociétés afin de positionner leur offre de produits et/ou

de services et générer un retour lucratif à leurs activités.

Nous empruntons ces quatre facteurs de différenciation que nous déclinons en variables clés

de classification dans notre étude quantitative. Cette approche est conforme aux

recommandations. À ce sujet, Malhotra et al. (2007) expliquent : « les variables doivent être

choisies à partir de recherches antérieures, d’éléments de théorie ou de la prise en compte

des hypothèses à tester » (p. 560).

Nous tâcherons de développer dans ce qui suit chacune de ces variables grâce à une lecture

ciblée de la littérature.

2.1.1. V1 : Le principe argumentaire

Pour cette première variable, notre intérêt doit porter sur le niveau d’acceptation des règles

du libre par les entreprises. Cela nous amène à nous interroger sur les différents types de

facteurs poussant des entités marchandes à s’impliquer dans un mouvement social comme

celui de l’open source. Ceci revient à connaître la principale motivation des entreprises à

prendre part au libre.

En général, nous pouvons distinguer au moins deux logiques contradictoires capables de

motiver les entreprises à développer du libre, d’une part, une conviction de la supériorité des

logiciels libres qui engendrerait l’adoption de ses règles fondamentales par les entreprises,

                                                            3 La Free Software Foundation (FSF) (littéralement « Fondation pour le logiciel libre »), est une organisation américaine à but non lucratif fondée par Richard Stallman le 4 octobre 1985, dont la mission mondiale1 est la promotion du logiciel libre et la défense des utilisateurs. La FSF aide également au financement du projet GNU depuis l'origine. Son nom est associé au mouvement du logiciel libre.

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d’autre part, l’exploitation de la notoriété de ce mouvement à des fins exclusivement

marchandes qui distancerait les entreprises de l’idéologie communautaire du libre.

A priori, la conciliation de ces deux extrêmes est possible. Premièrement, les entreprises ne

peuvent pas être totalement marchandes dans un secteur où le code source, principal facteur

de différenciation et source d’avantage concurrentiel, est ouvert et accessible à tous.

Deuxièmement, ces dernières ne peuvent s’inscrire totalement dans une idéologie sociale en

se substituant aux communautés d’utilisateurs-développeurs mettant, de ce fait, en jeu leur

pérennité économique.

En somme, une SSLL se positionne dans ce secteur en fonction de son niveau d’implication

dans ce courant plaidant pour la liberté de l’information et l’ouverture de la technologie, et ce,

à travers sa participation dans les associations du libre, sa politique d’embauche des membres

de la communauté et sa capacité à défendre le mouvement de l’open source. Sur le plan

méthodologique, l’idéologie poursuivie par une SSLL implique un comportement stratégique

bien déterminé lié au poids qu’elle accorde respectivement à ces trois deniers éléments.

Les items utilisés portent sur les trois thèmes suivants :

- L’importance de l’appartenance à une ou plusieurs association(s) du libre

- L’embauche des membres de la communauté

- L’approche commerciale de l’entreprise et la notoriété de l’open source

2.1.2. V2 : Le rapport à la communauté

Cette variable s’intéresse aux liens qu’entretiennent les SSLL avec les communautés du

libre. Or les divergences argumentaires examinées ci-dessus ne sont pas sans conséquence sur

ces interactions.

En effet, les différences de logiques motivant les entreprises et les communautés à s’engager

dans l’open source (Bonaccorsi et Rossi, 2003 ; West et O'Mahony, 2005) ont donné lieu à

des problèmes de transparence dans l’échange entre ces deux sphères. Les entreprises sont

motivées principalement par le profit alors que les communautés sont motivées par d’autres

facteurs d’ordre social et moral s’éloignant relativement de toutes considérations

économiques (Grassineau, 2009).

En ce sens, Dahlander et Magnusson (2005) ont d’abord observé puis étudié la nature des

relations pouvant relier une entreprise développant des solutions libres aux communautés

d’utilisateurs-développeurs. Ces auteurs ont mis l’accent sur les différentes approches liant les

communautés du libres et les entreprises de l’open source. Il en ressort trois types de relations

possibles :

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-La symbiose « symbiotic » : la relation est avantageuse aux deux parties, l’entreprise et la communauté (firm gains–community gains). -Le commensalisme « commensalistic » : la relation est profitable pour l’entreprise et sans conséquence pour la communauté (firm gains–community indifferent). -Le parasitisme « parasitic » : la relation est avantageuse à l’entreprise au détriment de la communauté (firm gains–community loses).

En adoptant une relation de « symbiose », l’entreprise participe financièrement dans la

communauté soit par les dons et les parrainages, soit par l’embauche des membres de la

communauté. Dans une relation de « commensalisme », les entreprises participent aux

communautés existantes sans s’investir ni à travers le financement, ni dans le développement,

mais plutôt dans l’encadrement des travaux de cette dernière et le soutient médiatique des

projets en cours de réalisation. Ainsi, une SSLL est dans une relation de type commensalisme

si cela procure à l’entreprise l’avantage d’acquérir une image sociale favorable.

Enfin, à travers une relation de type « parasitisme », les entreprises exploitent directement les

travaux de la communauté. Ceci peut aller jusqu'à l’appropriation de développements libres à

des fins commerciales. En effet, certaines SSLL s’approprient des logiciels libres en leur

intégrant des codes propriétaires permettant ainsi leur privatisation, et donc leur exploitation

marchande (O’Mahony, 2003).

Enfin, les entreprises se positionnent par rapport à cette variable par le biais de leur

participation dans les communautés, de la fréquence et de la nature des échanges avec leurs

membres bénévoles. Ces questions portent donc sur :

- La fréquence des échanges avec les communautés open source

- Le recours aux développements communautaires

- Les dons destinés aux communautés open source

2.1.3. V3 : L’orientation des services associés

Le système productif du libre présuppose que la distribution des développements réalisés

soit gratuite. À ce propos Mangolte (2006) souligne : « les activités de développement et de

travail sur le code sont maintenues à l'écart, en règle générale, des problèmes de

financement et des préoccupations commerciales » (p.11). Par conséquent, la valeur perçue du

logiciel ne doit pas résider dans son prix, mais plutôt dans les services qui l’entourent.

Au sein des communautés du libre, la redistribution s’effectue gratuitement et écarte

catégoriquement toute possibilité de vente des logiciels. Ainsi, d’un point de vue idéologique,

les financements sont souvent indépendants des activités commerciales proprement dites.

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13

En appliquant ce raisonnement à une entreprise active dans l’open source, nous soutenons que

l’intérêt doit porter plus sur la valeur ajoutée générée par les services gravitant autour des

logiciels plutôt que sur les revenus liés à la vente des licences. Contrairement à Lisein et al.

(2009) pour qui les entreprises actives dans l’open source se différencient par rapport à deux

orientations commerciales, à savoir « produits/services » et « client », notre distinction

s’opère uniquement en fonction du degré d’importance accordé par les SSLL aux services

associés. En effet, une orientation « client » est évidente et ne constitue pas, selon nous, une

dimension spécifique au secteur de l’open source. En effet, la raison d’existence de toute

entité marchande, quelque soit son domaine d’activité, est obligatoirement la satisfaction de

besoins spécifiques.

Notre analyse portera donc uniquement sur le degré de rapprochement des SSLL vers une

orientation « services ». Autrement dit, un positionnement distant de l’esprit libertaire de

l’open source se traduit par une concentration commerciale sur le produit. Dans ce cas, le

financement de l’activité s’effectue, essentiellement, par le prix de vente des produits libres.

En conséquence, les deux orientations, évoquées précédemment, à savoir, sociale et

marchande sont perceptibles à travers cette variable. Il s’agit désormais de savoir si des

positions intermédiaires sont envisageables.

En résumé, le financement de l’activité d’une SSLL peut provenir essentiellement de deux

modes bien distincts : soit par le biais des revenus des services associés, soit de la vente des

solutions développées (prix de la licence). Bien évidemment, une approche combinant ces

deux logiques est tout à fait plausible. Il s’agit, pour nous, d’identifier les proportions de

chacune d’entre elles afin de pouvoir positionner l’entreprise par rapport au mode de

fonctionnement communautaire axé sur les services. En ce sens, les items retenus sont :

- Proportion des services associés payants

- L’importance des revenus provenant des services

- Financement des développements par les services

2.1.4. V4 : Le régime d’appropriation

L’émergence d’une sphère marchande au sein du mouvement du libre a engendré

l’apparition de plusieurs types de licences hybrides qui se différencient par rapport au degré

d’ouverture qu’elles permettent. En commentant les conséquences de l’intrusion des activités

marchandes dans le libre, Foray et Zimmermann (2002) développent : « De là est né un

ensemble de licences plus hybrides, visant à concilier développement coopératif et intérêts

privés au sein des OSS. » (p.10). Cette réalité traduit la volonté des entreprises à créer de la

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valeur à partir d’un produit ayant les caractéristiques d’un « bien commun » et dont les

facteurs clés de succès (codes sources) sont accessibles à tous. Ceci a engendré l’imagination

de plusieurs dispositifs juridiques permettant l’exploitation marchande des logiciels libres en

agissant sur leur régime d’appropriabilité.

Plusieurs auteurs se sont penchés sur cette problématique en essayant de comprendre la raison

de telles manœuvres (Foray et Zimmermann, 2002 ; Välimäki, 2003) et la diversité des

niveaux d’appropriabilité (Muselli, 2004 ; 2006).

Muselli (2006) a étudié les stratégies commerciales des sociétés de services actives dans

l’open source à travers le type de licences qu’elles utilisent.

Le schéma suivant situe différentes positons possibles en fonction du niveau d’appropriabilité

adopté.

Figure n°4 : les niveaux d’ouverture en fonction de la licence utilisée (inspiré de Muselli, 2007)

Propriétaire Stratégie Hybride Open Source

Fermeture Ouverture affaiblie Ouverture au maximum

Sous une licence de type open source pure, le régime d’appropriabilité est affaibli au

maximum et nous parlons même d’inappropriabilité. Alors que l’utilisation d’une licence

hybride augmentera le niveau d’appropriabilité par l’intégration de clauses restrictives

empruntées aux licences propriétaires.

Par ailleurs, nous tenons à préciser que le régime d’appropriation d’une SSLL n’est pas

uniquement mesurable à travers le type de licences utilisées. Cette variable doit prendre en

compte tout élément susceptible d’agir sur le niveau d’ouverture de la solution développée.

Nous signifions par là, la complexité des codes sources ou encore la proportion des extensions

propriétaires intégrées dans l’applicatif vendu sous un label open source.

En somme, un logiciel open source authentique doit être distribué avec son code source

permettant ainsi son utilisation, sa copie, son amélioration, sa modification et sa distribution

élargie. Enfin, les licences hybrides jouent le rôle de leviers stratégiques à travers la gestion

des droits de propriété intellectuelle. Les clauses fixées par les licences informatiques

déterminent le régime d’appropriabilité et les modalités de création de valeur. Ces éléments

réunis constituent les spécificités des projets open source et différencient plusieurs types de

comportements stratégiques. Les trois relatives à ces thèmes portent sur les trois éléments

suivants :

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- L’utilisation des licences hybrides

- La complexité des codes sources

- L’intégration d’extensions propriétaires dans les solutions libres

2.2. CONSTRUCTION DE L’OUTIL DE MESURE

Notre étude est de type quantitatif. Elle utilise comme outil de collecte de données un

questionnaire composé de 27 questions. Pour les douze questions liées aux variables de

classification, une même échelle d’évaluation a été préconisée. Les items sont agencés suivant

un ordre ascendant et chacun d’eux correspond à une note allant de 1 à 5 traduisant le degré

d’implication des entreprises dans la sphère non marchande. Nous retraçons, ci-après,

l’échelle utilisée pour les quatre variables clés de la classification (V1, V2, V3 et V4).  

Figure n°5: Échelle utilisée pour les variables V1, V2, V3 et V4

 

Afin de donner du sens à ces scores, l’orientation de l’échelle de mesure est concrétisée par

deux extrémités, l’une correspond à une orientation non marchande et l’autre exprime une

forte implication marchande. Entre ces deux bornes, plusieurs positions hybrides sont

possibles (marchande, non marchande et hybride).

La codification des résultats a consisté en l’attribution à chaque SSLL d’une note sur cinq

pour chacune des variables (questions). Une fois les scores enregistrés, l’étape suivante

consiste alors à explorer statistiquement ces données. Ceci doit passer par le calcul du score

global de chaque variable et pour chaque entreprise. À cet effet, nous avons construit un

modèle quantitatif grâce auquel la classification s’opèrera. Ce dernier suppose une agrégation

des quatre facteurs de discrimination choisis.

Comme l’indique le tableau n°1, le score de chacune des variables est déduit d’une moyenne

simple des notes obtenues sur les trois sous-variables qui lui sont affiliées. Une note sur 5 est

attribuée à chaque entreprise pour chacune des quatre variables de classification (V1, V2, V3

et V4).

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Tableau n°1 : Modèle de calcul des scores des variables clés  

Variables de classification Formule de calcul 4

Principe argumentaire VARIABLE 1 : (V1 ASS + V1 EMBS + V1 NOTL) / 3

Rapport à la communauté VARIABLE 2 :

(V2 ECOM + V2 EFOR + V2 DONS) / 3

Orientation des services VARIABLE 3 :

(V3 SEP+V3 REVS+V3 FINS) /3

Régime d’appropriation VARIABLE 4 :

(V4 LHY+V4 CODE+V4 PROP) /3

 

En conclusion, le modèle quantitatif est constitué par l’articulation des quatre variables clés

de l’étude. L’analyse a consisté au calcul de la moyenne simple de chaque variable qui n’est

autre que la somme des trois notes obtenues et divisée par trois

2.2.1. Le type de classification choisie : une taxonomie empirique

D’une manière générale, la taxonomie empirique permet de classer les entreprises en

groupes relativement homogènes. Cette méthode s’applique aux variables quantitatives et elle

ne se réfère pas aux typologies théoriques disponibles dans la littérature. Elle consiste à

répartir une population donnée en un nombre défini de groupes hétérogènes. À l’intérieur de

chaque groupe, les individus sont semblables en fonction des variables de classification (V1,

V2, V3 et V4).

Notre étude quantitative a été menée dans le but d’identifier différents groupes de SSLL en

fonction de leur pondération aux quatre variables clés de l’étude. Cette approche est souvent

utilisée en management et s’inscrit généralement dans une logique configurationnelle. Par

conséquent, chaque configuration obtenue est censée décrire un comportement stratégique

différent.

                                                            4 Avec : V1 ASS : Pensez-vous que l'appartenance à une association du logiciel libre est importante? V1 EMBS: Embaucheriez-vous un ou plusieurs salarié(s) membre d'une communauté? V1 NOTL: Est-ce que votre approche commerciale repose sur la notoriété du libre? V2 ECOM : Entretenez-vous des échanges avec les communautés du libre? V2 EFOR : Vous adressez-vous à des forums ou plateformes de la communauté? V2 DONS: Faites-vous des dons à une ou plusieurs communautés du logiciel libre? V3 SEP : Est-ce que vos services associés sont payants? V3 REVS : Est-ce que les revenus des services sont importants par rapport au revenu global? V3 FINS : Est-ce que les coûts de développement sont financés par les revenus des services? V4 LHY : Utilisez-vous des licences hybrides (alternant libre et propriétaire)? V4 CODE : Est-ce que les codes sources développés sont complexes? V4 PROP : Que représente la proportion des applicatifs propriétaires dans vos solutions ? 

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3.1. PRESENTATION DES CLASSES OBTENUES

Les résultats de la première classification hiérarchique (méthode de Ward) ont permis de

déterminer le nombre de classes requis pour la méthode non hiérarchique. Nous avons retenue

la solution à trois groupes car elle débouche sur des classes comportant respectivement 25, 24

et 22 entreprises5.

Nous avons procédé, dans un deuxième temps, par une classification en nuées dynamiques

(non hiérarchique). Cette méthode permet d’identifier des entreprises relativement homogènes

suivant les caractéristiques choisies. En intégrant le nombre de groupe (fixé à trois par la

méthode de Ward), elle a fait ressortir la répartition finale illustrée dans le tableau ci-dessous.

La première classe est composée de 19 entreprises contre 34 pour la classe 2, et 18 pour la

classe 3.

Tableau n°2 : Nombre d'observations dans chaque classe

1 19,000

2 34,000

Classe

3 18,000

Observations Valides 71,000

Valeurs Manquantes ,000

Il est hautement recommandé d’effectuer un test de Scheffé d’analyse de la variance afin

d’avoir des informations sur la contribution de chaque variable à la séparation des groupes.

Aucune solution de classification ne peut être acceptée sans une évaluation statistique de sa

fiabilité et de sa validité. Autrement dit, l’interprétation des profils n’est valide que si les

propriétés des classes sont significativement différentes les unes des autres.

Pour ce faire, nous avons appliqué l’analyse de la variance (ANOVA) qui permet d’évaluer la

qualité de la classification. Le tableau n°3 reprend les résultats obtenus pour un niveau de

significativité fixé à 95%. Cela revient à dire que le niveau de signification pour chaque

variable ne doit pas dépasser 0,05. Une signification au-delà de cette borne implique que la

variable correspondante est non discriminante, c'est-à-dire, qu’elle ne permet pas de

distinguer des attitudes différentes.

                                                            5 Etant donné que les tailles relatives des classes doivent être pertinentes (minimum 10% de l’échantillon et groupes équilibrés).

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Tableau n°3 : Résultats de l’analyse de variance (ANOVA), test de Scheffé (F)6

Classe Erreur Les quatre variables clés de la classification Moyenne

des carrés ddl Moyenne

des carrés ddl

F Signification

principe argumentaire 4,382 2 ,436 68 10,048 ,000rapport à la communauté 2,043 2 ,283 68 7,213 ,001orientation des services 16,540 2 ,166 68 99,902 ,000régime d'appropriation 5,211 2 ,263 68 19,833 ,000

Selon le test de Scheffé (F) les quatre variables sont discriminantes. Les moyennes des

variables ont toutes montré des différences significatives entre les trois classes.

3.1.1. Une comparaison multiple des classes obtenues

La lecture des centres de classes finaux permet de donner une signification aux différents

groupes déterminés. Ce faisant, nous avons pu connaître, non seulement, le score obtenu par

chaque classe sur les variables clés de l’étude mais aussi les moyennes pour chaque groupe

d’entreprises. Ces résultats sont rapportés dans le tableau ci-dessous.

Tableau n°4 : Centres de classes finaux

Classe d’affectation Les variables de classification 1 2 3

principe argumentaire 3,91 3,29 2,96 rapport à la communauté 3,40 2,97 2,76

orientation des services 4,40 4,59 2,96

régime d'appropriation 3,12 4,04 3,59 moyennes des classes 3,70/5 3,72/5 3,06/5

La première classe détient un score moyen de 3,70 sur 5 sur l’ensemble des quatre variables

qui représentent pour nous les fondements idéologiques de l’open source. Cela implique que

son degré d’assimilation de l’idéologie du libre est assez élevé par rapport à la troisième

classe qui détient, quant à elle, un score moyen de 3,06 sur 5. Ainsi, cette classe semble être

celle renfermant les SSLL les moins influencées par les pressions idéologiques de l’open

source. De son côté, la deuxième classe dispose du score moyen le plus élevé par rapport aux

deux précédentes. Elle est, de ce fait, la classe la plus respectueuse de l’idéologie de la

communauté.

                                                            6 Nous tenons à préciser que nous avons choisi le test de Scheffé parce qu’il ne demande pas que tous les échantillons utilisés dans l’ANOVA aient la même taille. Le test de Tukey, lui, par exemple, requiert des échantillons de même taille.

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Toutefois, il est important de noter que cette description est loin de refléter la réalité. Malgré

son utilité, elle demeure insuffisante et incapable d’expliquer la distinction opérée. Ceci est

imputable au raisonnement cumulatif effectué. En effet, la moyenne des scores sur la base

desquels nous avons interprété les trois classes ne permet pas de ressortir les spécificités de

chaque groupe et leur positionnement à l’égard de chaque facteur de différenciation pris

isolément. Par conséquent, il demeure pertinent de mener une comparaison multiple afin de

pouvoir comparer l’effet des variables clés de l’étude sur le positionnement de chaque groupe

d’entreprises.

Pour ce faire, nous avons mené un test Post Hoc (a posteriori) permettant d’affirmer si les

valeurs affectées sur une variable sont suffisamment éloignées (différente selon un niveau de

significativité de 0,05) d’une classe à une autre. Cela consiste sur le plan pratique à comparer

les scores obtenus par les trois classes sur les variables prises deux à deux afin de savoir si des

différences significatives de comportement sont observables.

Cette approche est indispensable à l’interprétation des classes dans la mesure où elle nous

permettra d’identifier les modalités (faible, moyen, fort) de chaque classe.

En procédant de la sorte, nous avons obtenu les résultats résumés dans le tableau n°5. En se

référant aux particularités de chaque classe et à leurs modalités, nous avons pu affecter des

désignations renvoyant à une spécificité clé pour chaque groupe d’entreprises. Ainsi, nous

nommons « sociétaires » les entreprises appartenant à la première classe, « diplomates » celles

renfermées dans la deuxième classe et, enfin, « profiteurs » les SSLL de la troisième classe.

Tableau n°5 : Modalités des trois classes7

Les sociétaires Les diplomates Les profiteurs

V1 3,9121 (fort) 3,2938 (faible) 2,9628 (faible)

V2 3,4039 (fort) 2,9701 (faible) 2,7604 (faible)

V3 4,4032 (fort) 4,5882 (fort) 2,9628 (faible)

V4 3,1235 (faible) 4,0398 (fort) 3,5928 (moyen)

Le traitement statistique de la méthode de comparaison multiple, nous a permis de détecter

trois niveaux distincts (faible, moyen, fort). Du point de vue statistique, il existe entre ces trois

groupes trois dissemblances significatives en fonction des variables de classification. Cela dit,

deux classes peuvent bien avoir une modalité identique sur une même variable.

                                                            7 Les modalités se comparent par colonne et non par ligne.

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3.1.2. Présentation des trois comportements stratégiques obtenus

La classification opérée a permis de répondre à notre problématique en dévoilant trois

comportements stratégiques possibles. Les deux premiers (les sociétaires et les diplomates)

sont de type hybride, alors que le troisième est plutôt marchand. Il renferme les entreprises qui

participent dans la sphère non marchande exclusivement dans une optique de profit.

Nous détaillons les caractéristiques de chaque classe dans ce qui suit.  

Classe 1 : les sociétaires (stratégie hybride)

Effectif : 19

Cette première classe renferme 19 SSLL pour lesquelles les principes fondateurs du libre

semblent être adoptés. En effet, près de la moitié de ces entreprises sont fondatrices

d’associations de logiciel libre et ont un rôle d’encadrement dans les communautés open

source. De ce fait, plusieurs membres des communautés d’utilisateurs-développeurs sont

embauchés par ces entreprises. Quatorze d’entre elles affirment avoir embauché la majorité de

leurs salariés par le biais des communautés du libre. Leur approche commerciale ne repose

qu’en partie sur la notoriété grandissante des logiciels libres. Ainsi, leur principale motivation

pour développer de l’open source est d’ordre éthique et moral. Leurs dirigeants pensent que

les logiciels doivent être, avant tout, ouverts. Cette manière d’appréhender le libre montre

ainsi l’influence de la sphère non marchande se manifestant dans les stratégies marchandes

des grandes entreprises. Toutes ces entreprises entretiennent des échanges fréquents avec les

communautés. Durant la phase de développement de leurs solutions, les salariés de ces SSLL

sollicitent l’aide des communautés en cas de besoin. En contre partie, la majeure partie de ces

entreprises accordent des aides financières aux communautés du libre sous une forme de

contre don. Les revenus de ces entreprises, constitués principalement des revenus des

services, financent pratiquement la totalité des coûts de développements entrepris.

En revanche, la moitié de ces SSLL utilisent des licences hybrides (alternant libre et

propriétaire). Du point de vue du système de régulation, ces SSLL protègent leurs

programmes en développant des codes sources complexes limitant, par la même, leur

appropriation par les sociétés concurrentes. Enfin, un tiers de ces entreprises intègre des

applicatifs propriétaires (allant jusqu'à 50% de la solution de base) dans leurs solutions

désignées comme open source. Ce dernier point nous paraît très contradictoire avec les

valeurs que ces entreprises communiquent. De ce fait, l’interprétation de cette classe doit se

faire avec prudence et mérite d’être plus approfondie.

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Classe 2 : Les diplomates (stratégie hybride)

Effectif : 34

 Cette classe est celle qui renferme le plus grand nombre d’entreprises (34 SSLL). C’est le

modèle vers lequel tendent la plupart des SSLL. Elle est également constituée par les plus

grandes entreprises du marché francophone du libre.

Si nous nous appuyons sur le score moyen des classes, nous verrons que les entreprises

appartenant à ce groupe sont celles qui assimilent le mieux les règles du libre. En revanche,

une analyse plus fine montre que ces SSLL ne sont pas encore persuadées de l’importance des

associations du logiciel libre. De plus, elles n’embauchent pas de membres de la communauté

et sont peu intéressées par cette démarche. Leur approche commerciale repose en partie sur la

notoriété du libre leur permettant, de ce fait, d’acquérir une image sociale d’ouverture. Les

échanges entretenus avec les communautés sont peu fréquents mais profitent exclusivement

aux entreprises cherchant des réponses à leurs problèmes de développements. Les aides

qu’elles accordent aux communautés de bénévoles sont stables mais se limitent à une fois par

an. Toutefois, les SSLL de ce groupe se distinguent par leur orientation vers les services et

leur niveau d’appropriabilité affaibli. En effet, ce sont, avant tout, des spécialistes de services

comme le conçoit l’idéologie du libre. Elles accordent plus d’importance à la valeur créée par

les services qu’aux produits développés. Ainsi les revenus des services représentent leurs

principales sources de financement. En constituant une différenciation par les services sur le

marché du libre, ces entreprises contrôlent très peu le niveau d’appropriabilité de leur solution

et s’engagent dans une stratégie d’ouverture proche de celle de l’open source pure. Les codes

sources développés sont assez simples et les licences utilisées sont exclusivement libres. Ces

entreprises laissent aux concurrents la possibilité de s’approprier leurs codes tout en

consolidant leur relation clients par le biais de services associés sophistiqués et personnalisés.

Classe 3 : Les profiteurs (stratégie marchande)

Effectif : 18

Cette classe est celle qui renferme les entreprises les moins influencées par les règles du libre.

Avec la moyenne de classe la plus faible, ces entreprises n’assimilent que très peu l’idéologie

d’ouverture de l’open source. Bien qu’elles appartiennent à des associations du libre, ces

entreprises n’ont pas embauché de salariés membres des communautés open source. D’une

manière générale, l’approche commerciale des entreprises de ce groupe repose principalement

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sur la notoriété et la réputation du libre. Elles profitent du progrès de l’open source pour

écouler leur base d’offre de services. Du point de vue communautaire, ces SSLL entretiennent

très peu d’échanges avec les communautés du libre. En revanche, elles s’adressent assez

souvent aux forums de l’open source pour chercher des solutions aux problèmes rencontrés

dans le développement de leurs solutions. En contre partie, les communautés ne perçoivent de

la part de ces entreprises aucune forme d’aide financière sérieuse (dons alloués au plus une

fois par an). En effet, ces entreprises exploitent les efforts communautaires sans pour autant

s’investir dans le renforcement de liens et d’aides mutuelles. Leur stratégie commerciale est

centrée principalement sur le produit logiciel plutôt que sur la valeur créée par les services

associés. En fait, les coûts de développement sont peu financés par les revenus des services.

Ceci explique que les revenus des services sont de moindre importance par rapport au revenu

global de ces entreprises. Du côté du régime d’appropriabilité, ces entreprises utilisent des

licences hybrides et affirment généralement que cette attitude dépend de la nature des

développements. Les solutions libres développées ne le sont que partiellement et des

extensions propriétaires y sont intégrées. Enfin, ces SSLL développent des codes sources

assez complexes limitant ainsi leur appropriation, mais surtout, leur partage élargi.

3.2. SYNTHESE DES TROIS POSTURES STRATEGIQUES IDENTIFIEES

Dans le tableau ci-après nous récapitulons les différents mécanismes stratégiques mobilisés

afin de proposer une vision transversale des positionnements des entreprises étudiées.

Tableau n°6 : Synthèse de la taxonomie

Principe argumentaire

Rapport communautaire

Orientation des services

Régime d’appropriation

profiteurs

S’investir dans une optique de profit

Opportuniste Très faible, la stratégie commerciale est centrée sur le produit

Affaibli, mais un système de contrôle fort

sociétaires

La volonté de soutenir le mouvement

Don et contre don Principalement, services sophistiqués et personnalisés

Augmenté par méfiance des concurrents « profiteurs »

diplomates

Se doter d’une image sociale

Gagnant- gagnant En grande partie, panoplie de services très diversifiés

faible, voire même innappropriabilité

La classe des « profiteurs » est constituée par les entreprises les moins influencées par

l’idéologie du libre mais profitant de l’image que leur procure une implication dans ce

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mouvement. Elles entretiennent des échanges avec les communautés dans une optique de

profit et les solutions développées s’inscrivent dans une volonté stratégique d’ouverture mais

cadrées par un système de régulation assez fort.

Le groupe des « sociétaires » renferment les entreprises s’impliquant dans l’open source dans

le but de soutenir le mouvement tout en profitant des facilités techniques que leur procurent

les communautés d’utilisateurs-développeurs. Les SSLL de cette classe sont à l’origine des

associations les plus influentes du secteur (FNILL, APRIL). Ce groupe comporte, en même

temps, les plus grands scores sur les variables « principe argumentaire et rapport

communautaire », laissant penser à une assimilation forte de la philosophie du libre, mais

également un score relativement faible sur la variable « régime d’appropriation ».

La classe des « diplomates » est formée, quant à elle, par des SSLL qui assimilent

moyennement les règles communautaires. En revanche, elles adoptent un régime

d’inappropriabilité du fait de l’ouverture de leurs licences et de la simplicité de leurs codes

sources. Elles jouent, ainsi, la carte des services pour se différencier des concurrents et

fidéliser sa clientèle. Ces SSLL essaient de trouver un compromis entre l’axe social et

marchand.

En résumé, le positionnement stratégique des SSLL dicte une attitude envers la sphère non

marchande et un niveau d’assimilation de l’idéologie de l’open source. Néanmoins, nous

avons montré que la plupart des entreprises semblent être fortement influencées par les règles

libertaires de l’open source et légitiment ainsi leur activité par une stratégie d’hybridation

permettant de concilier le marchand et le social.

 

 

 

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Conclusion

En procédant par une taxonomie empirique d’un échantillon de SSLL francophones, nous

avons réussi à identifier trois comportements stratégiques distincts. Se situant entre deux pôles

naturellement répulsifs (marchand et social), deux de ses comportements relèvent d’une

stratégie d’hybridation. Adoptée par la majorité des entreprises concernées par cette étude,

cette posture assure aux SSLL une légitimité d’action au sein de ce secteur. La classe des

profiteurs, quant à elle, est distancée de la sphère sociale de l’open source se positionnant,

ainsi, du côté de la sphère marchande.

Au-delà de ces résultats, la synthèse de la taxonomie propose une grille de lecture capable

d’orienter les dirigeants dans leurs choix stratégiques. Elle indique ainsi, les conséquences de

leurs actions et les enjeux de leur positionnement entre la sphère marchande et non

marchande. Cette grille de lecture est d’autant plus utile que les retombées d’une stratégie

illégitime sont sévèrement sanctionnées. En effet, la sphère sociale des logiciels libres détient

un pouvoir conséquent dans le processus de légitimation des entreprises de ce secteur. Elle

emploie, à cet effet, un réseau étendu, composé de membres partageant les mêmes valeurs et

convictions, et capables d’exclure toute entité transgressant les standards qu’il propose.

Par conséquent, une recherche s’interrogeant sur l’impact des pressions de la sphère non

marchande de ce secteur sur le niveau de légitimité des entreprises est capable d’enrichir ces

résultats et d’apporter une dimension d’analyse complémentaire.

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Références

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