356
UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES SOCIALES, POLITIQUES ET ECONOMIQUES EVOLUTIONS DES PRATIQUES DE G.R.H., DES ROLES DES D.R.H. ET DES MODELES DE MANAGEMENT DANS DES ENTREPRISES DE TELECOMMUNICATIONS BELGES ET CHILIENNES DANS UN CONTEXTE DE CHANGEMENT. ANALYSE COMPARATIVE. Thèse présentée en vue de l’obtention du grade de Docteur en Sciences Politiques par Fernando MONTUPIL Directeur : Professeur Luc WILKIN Année Académique 2003-2004

UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

  • Upload
    others

  • View
    4

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES

FACULTE DES SCIENCES SOCIALES, POLITIQUES ET ECONOMIQUES

EVOLUTIONS DES PRATIQUES DE G.R.H., DES ROLES DES D.R.H. ET DES MODELES DE MANAGEMENT DANS DES ENTREPRISES DE

TELECOMMUNICATIONS BELGES ET CHILIENNES DANS UN CONTEXTE DE CHANGEMENT. ANALYSE COMPARATIVE.

Thèse présentée en vue de l’obtention du grade de Docteur en Sciences Politiques par

Fernando MONTUPIL

Directeur : Professeur Luc WILKIN

Année Académique 2003-2004

Page 2: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

2

REMERCIEMENTS Je tiens à remercier tous ceux et toutes celles qui m’ont encouragé et aidé dans cette enrichissante démarche intellectuelle. Je remercie particulièrement les dirigeants, les cadres, les employés et les dirigeants syndicaux des entreprises dans lesquelles l’analyse empirique de cette recherche s’est déroulée. Je remercie notamment Messieurs Luc Welvaert, Directeur Auditeur, et Charles Cartuyvels, Directeur de Relations Professionnelles du District-Sud, de Belgacom (Belgique) ; Mr. Bruno Philippi, Président, et Mme. Loreto Mandujano, Gérante du Personnel, de même que Messieurs Oscar Garretón, ex-Président, Víctor Nuñez, ex-Vice-président des R.H., et Mme. Mónica Gallardo, ex-Gérante d’organisation et développement, de Telefónica-CTC (Chili) et Mr. Bernard Merck, Directeur délégué à la DRH chez France Télécom (France).

Mes remerciements vont aussi à mon Directeur de thèse le Professeur Luc Wilkin pour avoir accepté d’assumer la direction de cette thèse et avoir suivi cette recherche ainsi qu’à tous les membres de mon Jury, les Professeurs Mateo Alaluf, Jean-Michel De Waele, Jean-Louis Genard, tous de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et Gérard Warnotte, de l’Université Catholique de Louvain (UCL). Leurs nombreux commentaires et suggestions ont été très précieux pour moi.

Je tiens à remercier le Professeur François Pichault, de l’Université de Liège, par ses riches observations théoriques et le Professeur Nathalie Delobbe, de l’Université Catholique de Louvain, par ses conseils méthodologiques.

J’adresse aussi ma sincère gratitude au Professeur Solange Simons, de l’ICHEC, et aux Mesdames Nicole Moguilevsky et Valérie De Waegenaere par leurs conseils et leur travail dévoué de correction de la langue française.

Enfin, je tiens à exprimer mes infinis remerciements à mon épouse Patricia et à mon fils Javier qui mon fortement encouragé tout au long de cette expérience, surtout dans les moments difficiles. Leur infatigable soutien a été fondamental pour l’aboutissement de ce travail.

Page 3: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

3

TABLE DE MATIERES

INTRODUCTION GENERALE 12

PARTIE I : FONDEMENTS THEORIQUES CHAPITRE I: LA PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE 17 CHAPITRE II: LA REVUE DE LA LITTERATURE 28

I.- LES PARADIGMES 28

1.- Le rationalisme 29

2.- L’approche contingente 30

3.- Le paradigme politique 31

4.- Quelques considérations sur le changement 38

5.- Déterminisme ou constructivisme ? 39

II.- LE MANAGEMENT ET L’EMERGENCE DE LA GRH : UNE CONSTRUCTION SOCIALE ET HISTORIQUE 40 III: LES THEORIES ET LES MODELES 43

1.- LE CONTENU 45

1. 1.- Les pratiques de gestion des ressources humaines (GRH) 45

1. 2.- Les différents rôles ou types de direction des ressources humaines (DRH) 49

1. 2. 1.- Tendances et attentes des DRH 49

1. 2. 2.- Typologies des rôles de la DRH 53

1. 3.- Les modèles de management (M) 58

1. 3. 1.- Le management classique 58

1. 3. 2.- Le management politique 60

1. 3. 3.- Le management instrumental ou « californien » 64

2.- LE CONTEXTE (INTERNE) 68

2. 1.- Les configurations organisationnelles 69

2. 1. 1.- La division et la coordination du travail 70

Page 4: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

4

2. 1. 2.- Les buts 71

2. 1. 3.- La distribution du pouvoir 72

2. 2.- Les stratégies d’entreprise 73

3.- LE CONTEXTE (EXTERNE) 78

3. 1.- Les modèles de relations professionnelles et le système politique 79

3. 1. 1.- Le débat autour des conceptions socio-politiques différentes 80

a)- La conception de l’arbitrage 80

b)- La conception de la complémentarité 81

3. 1. 2.- Le modèle néo-corporatiste et les relations professionnelles 82

a)- Le modèle confrontationnel 85

b)- Le modèle pluraliste 86

c)- Le modèle corporatiste ou « néo-corporatiste » 86

3. 2.- La culture nationale 89

3. 2. 1.- L’approche culturaliste 91

3. 2. 2.- L’approche socio-culturelle ou de la culture politique 93

3. 2. 3.- Quelques notions de la culture nord-américaine ou culture WASP 96

3. 3.- Le marché du travail et la législation sociale 99

3. 4.- Le marché de biens et services 100

CHAPITRE III : LE CADRE D’ANALYSE ET LES HYPOTHESES 101

I.- LE CADRE GLOBAL 101

II.- LES VARIABLES ET LES HYPOTHESES 103

1.- LE CONTENU 104

1. 1.- Les modèles de gestion des ressources humaines 104

1. 1. 1.- Le modèle objectivant 104

1. 1. 2.- Le modèle conventionnaliste 106

1. 1. 3.- Le modèle individualisant 107

1. 2.- Les modèles des rôles de direction des ressources humaines 110

1. 2. 1.- Le rôle d’agent administratif 113

1. 2. 2.- Le rôle d’expert opérationnel 114

1. 2. 3.- Le rôle de partenaire stratégique 114

1. 3.- Les modèles de management 116

1. 3. 1.- Le management classique 117

1. 3. 2.- Le management politique 118

1. 3. 3.- Le management instrumental ou « californien » 118

Page 5: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

5

2.- LE CONTEXTE INTERNE 121

2. 1.- Les configurations organisationnelles 121

2. 1. 1.- La configuration bureaucratique 121

2. 1. 2.- La configuration professionnelle 122

2. 1. 3.- La configuration adhocratique 122

2. 2.- Les stratégies d’entreprise 124

2. 2. 1.- La stratégie de diminution des coûts 124

2. 2. 2.- La stratégie de la qualité 124

2. 2. 3.- La stratégie de différenciation 124

3.- LE CONTEXTE EXTERNE 126

3. 1.- Le marché des biens et services 126

3. 2.- Les modèles de relations professionnelles et le système politique 127

3. 2. 1.- Le modèle confrontationnel et « latin » 128

3. 2. 2.- Le modèle pluraliste et « anglo-américain » 128

3. 2. 3.- Le modèle néo-corporatiste et « rhénan » 128

3. 3.- Le marché du travail et la législation sociale 129

3. 4.- La culture nationale 131

3. 4. 1.- L’autorité et les rapports hiérarchiques 131

3. 4. 2.- Le pouvoir 131

3. 4. 3.- La liberté 131

4.- LE PROCESSUS 132

4. 1.- Les acteurs et les changements 132

CHAPITRE IV : LA METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE 136

I.- LES PARADIGMES ET LA CONSTRUCTION DU CADRE

D’ANALYSE DE LA RECHERCHE 136

1.- Les paradigmes de la recherche 137

2.- La construction du cadre d’analyse 137

3.- La comparaison internationale et l’échantillon de la recherche 143

II.- LA RECOLTE ET LE TRAITEMENT DES DONNEES 146

1.- La récolte des données 146

2.- Le traitement des données 147

3.- La validation des données 148

4.- Les limites du cadre d’analyse et de la recherche 150

Page 6: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

6

PARTIE II: RECHERCHE EMPIRIQUE: LES ETUDES DE CAS

CHAPITRE V: UNE ANALYSE CONTEXTUALISEE : PRESENTATION DES ETUDES DE CAS 152

I.- LE CAS DE BELGACOM (BELGIQUE) 153

1.- La situation nationale 153

2.- BELGACOM 154

3.- Quelques résultats économiques et indicateurs de performance et de qualité 159

II.- LE CAS DE TELEFONICA-CTC (CHILI) 161

1.- La situation nationale 161

2.- TELEFONICA-CTC 163

3.- Quelques résultats économiques et indicateurs de performance et de qualité 167

CHAPITRE VI: LE CAS DE BELGACOM-BELGIQUE 170

Section I : CONTEXTE EXTERNE 170

1.- Le marché des biens et services 171

1. 1.- La régulation du marché 171

1. 2.- La concurrence 172

1. 3.- L’évolution de la technologie 175

2.- Le modèle des relations professionnelles et le système politique 177

2. 1.- Le type de concertation entre partenaires sociaux 177

2. 2.- Les forces et logiques des organisations sociales 178

2. 3.- Les caractéristiques et degré d’institutionnalisation de la

concertation sociale 180

2. 4.- Le type de revendication syndicale et style de négociation collective 181

2. 5.- L’intervention de l’Etat et le système politique 182

2. 6.- L’interaction étroite avec le processus de construction de

l’Union Européenne 184

3.- Le marché du travail et la législation sociale 187

3. 1.- La qualification de la main-d’œuvre 187

3. 2.- La législation sociale 188

4.- La culture nationale 191

4. 1.- L’autorité et rapports hiérarchiques 192

4. 2.- La conception du pouvoir 194

Page 7: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

7

4. 3.- La liberté et l’autonomie 195

Section II : CONTEXTE INTERNE 196

1.- Configurations organisationnelles 196

1. 1.- La division du travail 196

1. 2.- La coordination du travail 198

1. 3.- Les buts 198

1. 4.- La localisation du pouvoir entre les acteurs 198

2.- Les stratégies 199

2. 1.- La stratégie de diminution des coûts 199

2. 2.- La stratégie de la qualité 200

Section III : EVOLUTION DES PRATIQUES DE GRH, DES ROLES DE

DRH ET DES MODELES DE MANAGEMENT 202

1.- Contenus spécifiques des pratiques de GRH et leur évolution 202

1. 1.- Entrées d’effectifs 202

1. 2.- Départs d’effectifs 203

1. 3.- Formation 205

1. 4.- Evaluation 209

1. 5.- Promotion 210

1. 6.- Rémunération 212

1. 7.- Relations professionnelles 214

2.- Contenus spécifiques des rôles de la DRH et leur évolution 216

2. 1.- Missions principales 216

2. 2.- Taille 218

2. 3.- Profils des professionnels-DRH 220

2. 4.- Clients de la DRH 224

2. 5.- Pouvoir de la DRH 225

2. 6.- Position organisationnelle du chef de la DRH 225

3.- Contenus spécifiques des modèles de management et leur évolution 226

3. 1.- Conception d’entreprise et des travailleurs 226

3. 2.- Style de management 227

3. 3.- Importance donnée aux ressources humaines 229

3. 4.- Importance donnée aux relations professionnelles 229

Section IV : ANALYSE DES CONTENUS (GRH, DRH, M) SELON

LES SIX AXES EXPLICATIFS DE TRANSFORMATION 235

1.- Configuration bureaucratique influençant plutôt des pratiques de GRH

objectivantes, des rôles de DRH d’agent administratif et un management classique 235

Page 8: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

8

2.- Stratégies de diminution des coûts et d’amélioration de la qualité corrélées

avec des pratiques de GRH objectivantes et individualisantes, des rôles de

DRH d’agent administratif et de partenaire stratégique et un management

classique et politique 237

3.- Marché hostile stimulant des pratiques de GRH individualisantes, des rôles

de DRH de partenaire stratégique et un management instrumental 238

4.- Modèle néo-corporatiste et social-démocrate de relations professionnelles

stimulant des pratiques de GRH conventionnalistes, des rôles de DRH d’expert

opérationnel et un modèle de management politique 240

5.- Un marché du travail et une législation sociale stimulant des changements

contradictoires vers des pratiques de GRH individualisantes et objectivantes,

des rôles de DRH de partenaire stratégique et d’agent administratif et de

modèles de management instrumental et classique en même temps 244

6.- Culture latine « hybride » imbriquée avec des pratiques de GRH

conventionnalistes et individualistes, des rôles de DRH d’expert

opérationnel et de partenaire stratégique et des managements politique

et instrumental 246

Section IV : ANALYSE PROCESSUELLE ET JEUX D’ACTEURS 247

CHAPITRE VII: LE CAS DE TELEFONICA-CTC-CHILE 256

Section I : CONTEXTE EXTERNE 256

1.- Le marché des biens et services 257

1. 1.- La régulation du marché 257

1. 2.- La concurrence 258

1. 3.- L’évolution de la technologie 260

2.- Le modèle des relations professionnelles et le système politique 260

2. 1.- Le type de concertation entre partenaires sociaux 260

2. 2.- Les forces et logiques des organisations sociales 262

2. 3.- Les caractéristiques et degré d’institutionnalisation de la concertation

sociale 263

2. 4.- Le type de revendication syndicale et style de négociation collective 264

2. 5.- L’intervention du Gouvernement et/ou Etat 264

3.- Le marché du travail et la législation sociale 267

3. 1.- La qualification de la main-d’œuvre 267

3. 2.- La législation sociale 268

Page 9: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

9

4.- La culture nationale 270

4. 1.- L’autorité et rapports hiérarchiques 270

4. 2.- La conception du pouvoir 272

4. 3.- La liberté et l’autonomie 272

Section II : CONTEXTE INTERNE 275

1.- Configurations organisationnelles 275

1. 1.- La division du travail 275

1. 2.- La coordination du travail 277

1. 3.- Les buts 278

1. 4.- La localisation du pouvoir entre les acteurs 278

2.- Les stratégies 279

2. 1.- La stratégie de diminution des coûts 279

2. 2.- La stratégie de la qualité 280

Section III : EVOLUTION DES PRATIQUES DE GRH, DES ROLES DE

DRH ET DES MODELES DE MANAGEMENT 283

1.- Contenus spécifiques des pratiques de GRH et leur évolution 283

1. 1.- Entrées d’effectifs 283

1. 2.- Départs d’effectifs 284

1. 3.- Formation 286

1. 4.- Evaluation 289

1. 5.- Promotion 290

1. 6.- Rémunération 292

1. 7.- Relations professionnelles 295

2.- Contenus spécifiques des rôles de la DRH et leur évolution 300

2. 1.- Missions principales 301

2. 2.- Taille 302

2. 3.- Profils des professionnels-DRH 303

2. 4.- Clients de la DRH 305

2. 5.- Pouvoir de la DRH 305

2. 6.- Position organisationnelle du chef de la DRH 306

3.- Contenus spécifiques des modèles de management et leur évolution 307

3. 1.- Conception d’entreprise et des travailleurs 307

3. 2.- Style de management 309

3. 3.- Importance donnée aux ressources humaines 312

3. 4.- Importance donnée aux relations professionnelles 313

Section IV : ANALYSE DES CONTENUS (GRH, DRH, M) SELON LES

Page 10: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

10

SIX AXES EXPLICATIFS DE TRANSFORMATION 319

1.- Configuration bureaucratique impliquant des pratiques de GRH objectivantes,

des rôles de DRH d’agent administratif et un management classique 320

2.- Stratégies de diminution des coûts et d’amélioration de la qualité influençant

des pratiques de GRH du modèle objectivant et individualisant, des rôles de

DRH d’agent administratif et de partenaire stratégique et des modèles de

management classique et politique en même temps 321

3.- Marché très concurrent stimulant des pratiques de GRH individualisantes,

des rôles de DRH de partenaire stratégique et un management instrumental 323

4.- Modèle de relations professionnelles confrontationnel et latin

corrélé à des pratiques de GRH du modèle objectivant, des rôles de

DRH d’agent administratif et un modèle de management classique 324

5.- Qualification moyenne de la main-d’œuvre et faible prégnance de la

législation sociale donnant lieu, en même temps, à des pratiques de GRH

des modèles conventionnaliste et individualisant, des rôles de la DRH d’expert

opérationnel et de partenaire stratégique et des modèles de management

politique et « californien » 325

6.- Culture latine imbriquée plutôt avec des pratiques de GRH du modèle

objectivant, des rôles des DRH d’agent administratif et d’un modèle de

management classique 327

Section V : ANALYSE PROCESSUELLE ET JEUX D’ACTEURS 328

PARTIE III : SYNTHESE DES CAS ET CONCLUSIONS 336

SYNTHESE DES CAS 336

1.- Evolutions du contenu (pratiques de GRH, rôles des DRH, modèle de

management) et des contextes de changement (analyse transversale) 336

1. 1.- Configurations organisationnelles 337

1. 2.- Stratégies d’entreprise 338

1. 3.- Marché des biens et services 340

1. 4.- Modèle des relations professionnelles et système politique 341

1. 5.- Marché du travail et législation sociale 343

1. 6.- Culture nationale 344

2.- Analyse processuelle et jeux d’acteurs (analyse comparée) 348

2. 1.- L’entreprise belge 348

2. 2.- L’entreprise chilienne 351

Page 11: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

11

CONCLUSIONS 354

BIBLIOGRAPHIE LISTE DES TABLEAUX LISTE DES FIGURES

ANNEXES

Page 12: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

12

INTRODUCTION GENERALE

Depuis pratiquement deux décennies, nous assistons à des restructurations profondes, à des processus de réingénierie, de délocalisations, de sous-traitances, de fusions, de outsourcing, à des réductions drastiques d’effectifs, à la précarisation des emplois, qui bouleversent fortement et quotidiennement la vie des organisations.

D’autre part, la globalisation de l’économie, l’introduction des nouvelles technologies (en particulier, les technologies de l’information et de la communication), l’avènement de la nouvelle économie et le développement de la société cognitive, configurent l’environnement extraordinairement changeant auquel sont confrontées les organisations.

Dans ce contexte, il se pose une exigence de productivité et compétitivité des entreprises, il y a un questionnement sur les rôles que devraient jouer le management et la gestion des ressources humaines ; des demandes de plus d’efficacité des directions de ressources humaines (DRH)1 au sein des entreprises. Souvent la légitimité des DRH et de la fonction de gestion des ressources humaines (GRH) ont été mises en question.

Diverses propositions novatrices, parfois contradictoires, ont vu le jour pour essayer de justifier ces rôles. Depuis des années, des critiques sévères se sont exprimées contre le management classique et la gestion des ressources humaines traditionnelle qui avaient déjà montré de graves signes de faiblesse et de dysfonctionnement. Depuis les années 80, on connaît un nouveau discours managérial qui se veut optimiste, volontariste, même révolutionnaire sur la valeur des ressources humaines. Le renouvellement des modes de gestion apparaît de plus en plus comme la seule voie de sortie des entreprises. Plusieurs théoriciens prônent que la clé de la réussite économique des entreprises dépend du facteur humain, c’est cela qui fait la différence.

Partout, de nouveaux modèles de management (M), de nouvelles pratiques de GRH et/ou des nouveaux rôles de DRH plus ou moins corrélés à de nouveaux modèles d’organisation et à d’autres facteurs du contexte sont proposés. La « bonne » gestion des hommes devient une exigence du monde hautement concurrentiel d’aujourd’hui et ces nouveaux modèles visent à garantir le bon équilibre social et une meilleure performance des entreprises ; on prône une responsabilisation accrue et une plus grande prédisposition du personnel au changement et au travail.

1 DRH : sigle utilisé principalement pour se référer à l’équipe de direction des ressources humaines. Cependant, il sera parfois aussi utilisé, selon le contexte, pour se référer au directeur de ressources humaines. GRH : il s’agit de la fonction de gestion de ressources humaines ; dans ce travail plus exactement, il fait référence aux pratiques de gestion des ressources humaines. M : il fait référence aux modèles de management.

Page 13: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

13

Dans ce cadre, l’objet de notre recherche est triple : analyser la nature des changements qui se sont produits dans les pratiques de GRH, les rôles des DRH et les modèles de management dans des entreprises situées dans des contextes différents.

Nous essayerons d’éclaircir une question centrale, à savoir : quels sont les changements principaux des pratiques de GRH, des rôles des DRH et des modèles de management dans des organisations situées dans des environnements différents et changeants ?

Il s’agit de décrire et d’expliquer les processus complexes par lesquels ces changements ont eu lieu dans les entreprises, comment et pourquoi ils se produisent. Simultanément, nous voudrions comparer et relever les différences de ces changements dans ces trois domaines -GRH, DRH, M- entre les organisations étudiées, expliquer quels sont les facteurs qui peuvent expliquer ces différences.

Nous essayons d’appréhender l’entreprise non seulement comme un instrument technico-économique mais aussi, et surtout, comme un système socio-politique, comme un ensemble social composé des personnes avec des rationalités, des valeurs et des intérêts différents mais qui, nécessairement, doivent travailler ensemble, en poursuivant des objectifs communs et en réalisant un travail le plus performant possible. C’est dans ce contexte que le management, les pratiques de GRH et les rôles que jouent les DRH, prennent toutes leur importance.

Nous pensons que cette recherche comporte un intérêt scientifique particulier à plusieurs égards. D’abord parce que les études faites par la communauté scientifique sur les pratiques de GRH, les rôles des DRH et les modèles de management sont, en général, peu abondants et au Chili, en particulier, pratiquement inexistants. Deuxièmement, parce qu’une étude comparative internationale sur ce sujet, à notre connaissance, n’a pas été faite jusqu’à présent. Nous avons voulu savoir comment la GRH, le management et les rôles des DRH pratiquées au Chili se situent par rapport à celles pratiquées en Europe. En conséquence, cette recherche prétend contribuer à faire avancer un peu plus les connaissances dans ces domaines importants et elle pourrait avoir aussi une utilité pratique indéniable.

Pour réaliser cette recherche qualitative nous avons choisi trois entreprises des télécommunications situées en Belgique, Chili et France -cette dernière seulement pour vérifier une partie des variables choisies-, confrontées à des processus de changements profonds, en général, et au niveau des pratiques de GRH, des rôles des DRH et des modèles de management, en particulier. La façon dont le management agit, les pratiques de GRH mises en œuvre, le positionnement des DRH dans chaque contexte, représentent un défi majeur pour l’avenir des ressources humaines et pour la performance de ces organisations.

Dans cette comparaison, nous essayons d’abandonner toute approche ethnocentrique que ce soit «Européenne» ou «Chilienne » ; en d’autres termes, dans cette démarche comparative nous ne cherchons pas - parce que nous n’y croyons pas- à relever et à proposer un «one best way» concernant les DRH, la GRH et/ou le management utilisable partout ailleurs. Nous privilégions plutôt une démarche holistique en même temps que contextualisée ; en effet, les caractéristiques de la GRH, la DRH, le management et les comportements des acteurs concernés devront être compris et n’auront de sens que dans le cadre de leur contexte spécifique. Notre comparaison essaie donc de respecter cette approche.

Du point de vue théorique, notre étude est pluridisciplinaire dans la mesure où nous utilisons les apports de la sociologie des organisations, de la sociologie du travail, de la science politique et la théorie de gestion des ressources humaines. Nous avons fait appel aussi aux apports du management interculturel lors de l’analyse de l’influence de la culture sur le management et la GRH.

Nous nous sommes basés sur les modèles théoriques proposés notamment par Pichault et Nizet (1995, 2000) - qui ont revisité les théories de Mintzberg - traitant les pratiques de GRH

Page 14: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

14

en interrelation avec le contexte (externe et interne), pour construire la partie principale de notre modèle théorique d’analyse. Cependant, dans la mesure où nous avons voulu prendre en compte d’autres variables utiles à notre analyse, telles que les rôles des DRH et les modèles de management, nous avons complété notre cadre d’analyse en faisant appel à des auteurs tels que Crouch (1993, 1994), Ulrich (1997), Messine (1987), Peters et Watermans (1983), parmi d’autres.

Les hypothèses proposées prétendent analyser l’interrelation, plus que la relation de cause à effet, qui s’établit entre les variables du contexte et les pratiques de GRH, les rôles des DRH et les modèles de management. De même, notre analyse vise à montrer la mobilisation que font les acteurs des éléments du contexte et le jeu de pouvoir entre eux. Par conséquent, simultanément à l’usage de ces modèles théoriques, nous analysons ces phénomènes sous le triple approche des paradigmes rationaliste, politique et de la contingence. Autrement dit, nous rejetons le fait de nous cantonner dans notre analyse à un simple déterminisme mais nous préférons une sorte d’équilibre entre un déterminisme et un constructivisme, tout en privilégiant ce dernier.

Nous avons constaté que dans les changements des pratiques de GRH, des rôles des DRH et des modèles de managements des trois entreprises, il y a des similitudes ainsi que de fortes différences.

Parmi les premières, on constate, par exemple, une similitude dans les techniques managériales et de GRH d’origine nord-américains, la maîtrise technologique et du marché en forte concurrence. Quant aux différences, par exemple, elles se situent au niveau des modèles des relations professionnelles et des systèmes politiques, du processus d’individualisation des pratiques de GRH, etc.

Au niveau méthodologique, nous utilisons l’approche contextualiste proposée par Pettigrew (1987, 1997) et adéquate pour l’analyse des changements toujours appréhendés sous plusieurs dimensions et qui nous permet l’utilisation des différentes approches théoriques. Il s’agit d’une recherche qualitative et comparative réalisée à travers deux études de cas (des entreprises de télécommunications situées en Belgique et Chili) et une étude partielle pour vérifier quelques variables dans un troisième cas (France) où nous utilisons tant approches hypothético-déductives qu’une proposition inductive pour l’analyse du sujet. Les modes de recherche retenus ont été, d’abord, des interviews semi-dirigées dans chaque entreprise ainsi que des analyses des documents internes aux entreprises et de la presse publique de chaque pays concernant le sujet.

Cette thèse est organisée en trois parties et sept chapitres.

La première partie est consacrée principalement à la discussion théorique et à la démarche méthodologique utilisée et comporte deux chapitres.

Le Chapitre I expose la problématique de la recherche avec la question principale et les questions secondaires à éclaircir et oriente la discussion théorique.

Le Chapitre II présente, dans une première partie, une revue de la littérature internationale (y compris chilienne) concernant la GRH, les rôles des DRH et les modèles de management ainsi que les rapports que ceux-ci établissent avec des facteurs de l’environnement externe et interne à l’entreprise dans un cadre de comparaison internationale. Nous essayons d’exposer ici les principaux courants théoriques, les contradictions et la discussion qui se développent sur ce sujet.

Dans le chapitre III, nous précisons de façon plus opérationnelle le cadre d’analyse et les hypothèses qui guiderons notre recherche. Enfin, le Chapitre IV présente la méthodologie utilisée dans le travail de terrain.

Page 15: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

15

La deuxième partie, traite des études de cas réalisées dans le cadre de l'étude empirique (deux études de cas complets et une troisième étude partiel). Elle est divisée en quatre Chapitres (V, VI, VII).

Le Chapitre V est consacré à une présentation globale du contexte national ainsi que des caractéristiques principales de chaque entreprise analysée.

Le Chapitre VI étudie en détail le cas de l’entreprise belge.

Le Chapitre VII étudie avec précision le cas de l’entreprise chilienne. Dans les deux cas, nous introduisons l’analyse sur des variables étudiées du troisième cas français.

La troisième partie, enfin, présente les résultats globaux de l’analyse comparative, la vérification des hypothèses et les conclusions de la recherche.

Page 16: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

16

PARTIE I

FONDEMENTS THEORIQUES

Page 17: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

17

CHAPITRE I

LA PROBLEMATIQUE DE LA RECHERCHE

La globalisation et l’explosion de la « nouvelle économie ».

Depuis les années 80, la restructuration du capitalisme mondial devient plus profonde. La mondialisation ou la globalisation de l’économie ainsi que le fulgurant développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) sont deux faits majeurs dans les principaux pays industrialisés, donc l’Europe occidentale.

Ces changements structurels permettent l’intégration et l’interdépendance des transferts de produits mais aussi des flux immatériels tels que les services, le capital financier, les informations, les idées, les images, les valeurs au niveau mondial. Il s’agit maintenant d’un capitalisme capable de fonctionner en réseau mondial grâce aux NTIC (Castells, 2001). Ils vont générer une baisse extraordinaire des coûts, du temps de transport et de communication. A peine quelques années plus tard, ce processus touche les pays en voie de développement et nouvellement industrialisés, donc l’Amérique latine.

Ce redéploiement du capitalisme, cependant est contradictoire. D’après Boltanski et Chiapello (1999) ces vingt dernières années nous avons connu plutôt un capitalisme florissant ; durant cette période les taux de profit ont été souvent plus élevés qu’aux époques antérieures. Bien que l’Europe occidentale ait connu une croissance ralentie, les revenus du capital, quant à eux, sont en progression. Ainsi en France (situation à peu près comparable en Belgique et le reste des pays Européens), « le taux de marge des entreprises non individuelles, qui avant avait fortement diminué dans les années 60 et 70 (-2,9 points de 1959 à 1973, -7,8 points de 1973 à 1981), a été restauré dans les années 80 (+ 10 points de 1981 à 1989) et se maintient depuis (-0,1 points de 1989 à 1995). De 1984 à 1994…les cotisations sociales se sont accrues dans les mêmes proportions (+ 24,3%) mais pas les salaires nets (+9,5%). Pendant les mêmes dix années, les revenus de la propriété (loyers, dividendes, plus-values réalisées) augmentaient de 61,1% et les profits non distribués de 178,9% » (Boltanski et Chiapello, 1999, p.19).

La dérégulation des marchés financiers, leur décloisonnement et la création de nouveaux produits financiers ont multiplié les possibilités de profits purement spéculatifs, par lesquels le capital s’accroît sans passer par un investissement dans une activité de production. « Entre 1983 et 1993, la capitalisation boursière de Paris (nombre de titres multipliés par leur cours) est passée de 225 à 2700 milliards de francs pour les actions et de 1000 à 3900 milliards de francs pour les obligations. Les entreprises multinationales sont également sorties gagnantes de ces années de redéploiement du capitalisme mondial. Le ralentissement de l’économie mondiale depuis bientôt trente ans ne les a pas vraiment affectées et leur part dans le PIB mondial, lui-même en hausse, n’a cessé d’augmenter, de 17% au milieu des années 60 à plus de 30% en 1995. On considère qu’elles contrôlent les deux tiers du commerce international… » (Boltanski et Chiapello, 1999, p. 20).

Page 18: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

18

Nous assistons à des changements de l’organisation interne du travail dans les entreprises et à des transformations du tissu productif. Ils augmentent partout les délocalisations des entreprises vers des régions ou des pays -notamment du Tiers Monde-, avec une main d’œuvre moins chère ; la poussée de la stratégie de la flexibilité, tant externe qu'interne, qui permet de travailler autrement mais aussi de reporter sur les salariés et sur les sous-traitants, le poids de l’incertitude marchande.

En France, le développement de la sous-traitance directe a été considérable, passant de 5,1% du chiffre d’affaire industriel en 1974 à 8,9 % en 1991, et se maintenant à ce niveau jusqu’à ce jour. Si nous parlons de la sous-traitance élargie, où on considère en plus les achats auprès de fournisseurs de pièces, de sous-ensembles ou de services (gardiennage, restauration,...) alors nous avons un volume de sous-traitance élargie de l’ordre de 21% de la production industrielle (Boltanski et Chiapello, 1999).

Ce mouvement croissant d’externalisation touche tant les fonctions d’exécution (nettoyage, gardiennage, transport, blanchisserie, restauration, …) que les services (conseil, études, recherche, services informatiques, juridiques, comptables, …) et les services de location de biens (bâtiments, salles de conférences, activités de crédit-bail,…). Ce mouvement général d’externalisation, facilité par les NTIC, contribue à expliquer l’accroissement des entreprises de petite taille, des PME, en interrelation tant avec l’entreprise mère qu’entre elles. Dans le même temps apparaissent de nouvelles structures d’entreprise : l’entreprise en réseau ; distincte des grandes entreprises hiérarchiques de la période industrielle (Castells, 2001). La moindre concentration du tissu productif n’est donc qu’apparente puisque la concentration et l’influence des groupes sont fortes. Autre phénomène important à relever, celui des fusions, surtout des entreprises du même domaine économique.

Parallèlement à la sous-traitance, le travail intérimaire, les emplois temporaires, le travail à temps partiel ont proliféré partout. D’après le Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail belge l’évolution récente a été importante dans tout ce type de travail. Ainsi, le travail à temps partiel a connu une augmentation d’un total de 480.000 personnes, en 1995, à 645.000 personnes, en 1999 (Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail, 2000) ; le marché du travail est devenu dual entre, d’un côté, les salariés avec un statut plus favorable (contrat à duré indéterminée) et, de l’autre, ceux qui ont des statuts précaires (temps partiel, contrat à durée déterminée, etc.).

Des bouleversements des entreprises du secteur des télécommunications.

Depuis les années 80, il existe un marché beaucoup plus concurrentiel, caractérisé par l’incertitude, la rapidité des échanges et l’exigence de la qualité. L’organisation traditionnelle, pyramidale, rigide, typique de l’étape taylorienne, commence à éclater et de nouvelles formes organisationnelles, plus flexibles, apparaissent sous forme de réseau avec un centre et une périphérie ou d’autres formes inédites.

Un discours managérial qui appelle à la primauté des objectifs financiers plutôt séparés du social, à la flexibilité organisationnelle et numérique, à la diminution des coûts directs de la main d’œuvre, même en période de forte crise de l’emploi en Europe, est plus présent lors de ces deux dernières décennies. Ce discours est accompagné, au niveau politique, d’une politique néo-libérale.

Sous cette séparation de l’économique et du social, s’est développée donc fortement une précarisation des emplois.

Les entreprises du secteur des télécommunications -ainsi que d’autres entreprises high- tech du secteur des services (technologie informatique, médias, etc.)-, comprises dans ce qu’on a

Page 19: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

19

appelé la « nouvelle économie », ont vécu une croissance extraordinaire, notamment lors des années 90, poussées fortement par cette logique financière et dans le cadre de la bulle spéculative boursière. Il s’agit de faire le maximum de bénéfices dans le moindre temps possible et rester très dépendant des évolutions de la Bourse. Par conséquent, certains préconisent une forte dérégulation et le maximum de flexibilité.

Les processus de restructurations et de changements s’accompagnaient très souvent de plans massifs de réduction d’effectifs qui ne répondaient pas toujours à des pertes réelles mais plutôt au besoin de profit accru. Ainsi en Europe, en octobre 1998 le conglomérat allemand Siemens a annoncé un plan de restructuration portant sur 60.000 salariés (14% de ses effectifs mondiaux), malgré un bénéfice net de 9 milliards de FF en 1997-1998 ; en décembre 1998, Volvo annonce 5.300 suppressions de postes (7,3% de ses effectifs), malgré un bénéfice net de 300 millions de FF au trimestre précédent; le jour même l’action monte de 4,3%. En mars 1999, Alcatel annonce la suppression de 12.000 emplois (10% des effectifs), alors que le groupe a obtenu un bénéfice net de 15,3 milliards de FF en 1998 ; l’action d’Alcatel a aussitôt grimpé de 5,2% (Durieux et Jourdain, 1999). C’est ce qu’on a appelé les « licenciements boursiers », expressions claires de cette logique managériale financière.

Au printemps 2000, l’explosion de la bulle spéculative s’est produite autour des valeurs de la « nouvelle économie » et les affaires de corruption chez plusieurs multinationales, des cabinets de consultance, dont ENRON et Andersen, aux E.U., sont les premiers et les plus spectaculaires.

La crise de cette « économie-casino » a déclenché une crise boursière et de confiance qui a entraîné d’autres faillites à répétition, tels que WorldCom –l’ex-flEuron nord-américain de la nouvelle économie- et des énormes difficultés dans le secteur des télécommunications au niveau mondial. En Europe, le climat des affaires s’est également détérioré mais il n’a pas eu l’ampleur ni la forme prises aux E.U. parce que le système de contrôle comptable et financier et le contexte socio-économique sont différents. Cependant, on ne peut guère nier non plus les énormes difficultés financières, notamment des dettes, chez KPN, FranceTélécom, DeutscheTélécom, etc.

Des nouvelles pertes d’emplois apparaissent, cette fois-ci en raison de l’effondrement de la nouvelle économie. D’après le cabinet de recrutement Challenger, en Belgique le secteur des télécommunications a éliminé 165.840 postes de travail dans le premier semestre 2002, 27% de plus que durant la première moitié de 2001 ; l’année dernière les télécoms avaient perdu 317.777 emplois, c’est-à-dire que le nombre de pertes d’emploi pourrait dépasser celui de 2001 (L’Echo, 10-07-2002).

D’autre part, parallèlement à la dérégulation du marché financier et la globalisation de l’économie, la pression pour la privatisation des entreprises publiques et pour la diminution de l’action régulatrice de l’Etat, a continué sans relâche. « Le compromis social qualifié de « fordien » par les économistes du travail est largement remis en question pour être remplacé par un modèle au sein duquel les notions de flexibilité et de compétence occupent des places centrales » (Gilbert et Parlier, 1999, p. 399). « La capacité à développer rapidement de nouveaux produits, dans de bonnes conditions de qualité et de coût, est évidemment au cœur des stratégies concurrentielles modernes, caractérisées par le passage d’une économie de masse à une économie de variété et de réactivité et fondée sur de nouveaux modes d’organisation du travail » (Burlaud et Eglem, 1999, p.659).

Des réalités contradictoires des pratiques de GRH, des rôles des DRH et des modèles de management.

Dans ce contexte et ces tendances, nous nous intéressons aux changements qui, à leur tour, se sont produits dans les entreprises de télécommunications et, par conséquent, dans les

Page 20: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

20

pratiques de gestion des ressources humaines (GRH), les rôles des directions de ressources humaines (DRH) et les types de management (M) appliqués au sein des entreprises. A ces trois niveaux, les changements et les rôles des acteurs peuvent être variés, voire contradictoires.

Au niveau de la gestion des ressources humaines (GRH), il existe une série de contradictions telles que l’exigence d’une forte implication dans le travail et à l’entreprise par rapport aux contrats à durée déterminée, les licenciements à n’importe quel moment, les plans de retraite anticipée ; ou bien l’exigence d’un niveau de formation chaque fois plus élevé par rapport à la précarité des offres d’emplois et à la croissance du travail « atypique » dans les entreprises (Brabet, 1993) ; ou encore la demande d’un travail en équipe et en synergie et, paradoxalement, le développement de l’individualisation de la formation et de l’employabilité dans les entreprises.

Au niveau des DRH il y a aussi des pratiques contradictoires. Les DRH sont sensés, d’une part, jouer un rôle catalyseur et motivateur des employés mais, d’autre part, il semblerait que elles se limitent à accompagner cette stratégie de diminution des coûts et d’exécuter les licenciements qui s’imposent ou simplement d’externaliser le maximum d’activités de GRH., surtout dans les entreprises dirigées sous une logique managériale financière.

Les DRH sont souvent critiquées d’être trop bureaucratiques, passives et réactives ; en étant des services trop chers et réalisant un travail à très faible valeur ajoutée pour l’entreprise.

Alors la question qui revient est : quelle est ou doit-être la valeur ajoutée humaine de la DRH ?

Par conséquent, des tendances à une forte réduction du nombre des professionnels de la DRH et à une automatisation très poussée du département R. H. (intranet, internet,…) sont apparues dernièrement (Nerron, 2000; Wils, Labelle et Guérin, 2000).

D’après Cornet (1999b), les DRH sont plutôt perçues comme des exécutants de politiques définies souvent sans leur avis, comme des acteurs de l’opérationnel et de la mise en œuvre, et pas comme des acteurs clés dans des processus de changements et d’innovations. Une enquête à ce propos signale: « Ils n’ont pas de vision et de poids stratégique dans la société. Ils ne sont pas préparés et aptes à jouer un rôle de leader ou de facilitateur du changement. Ils voient généralement leur fonction comme instrumentale. C’est le parent pauvre du projet de changement parce qu’il n’a pas souvent pris beaucoup de place, de pouvoir. Leur profil: juriste, psychologue, etc. mais pas gestionnaire du changement…Ils sont un peu coincés : le changement est défini sans eux et puis on leur dit: maintenant, faites passer la pilule, gérez le changement pour qu’il n’y ait pas de heurts, de résistances » (Cornet, 1999b, p.7).

D’autres auteurs soucieux surtout de la diminution des coûts, sont encore moins indulgents. Ainsi, Stewart critique la bureaucratie, le manque de valeur ajoutée et les lourdes dépenses du département des R.H. et propose d’éliminer ce département : « C’est un département où les employés dépensent 80% de leur temps en tâches administratives routinières … c’est aussi une organisation où le salaire moyen annoncé pour le staff du personnel professionnel a augmenté de 30% l’année passée aux E.U.… Je ne veux pas dire qu’il faut améliorer le département des ressources humaines … Je veux dire qu’il faut abolir celui-ci. Eliminer, effacer, détruire, atomiser celui-ci » (Stewart, 1996, pp. 67-68) (notre traduction).

Il existe aussi des DRH, notamment en Europe, qui privilégient et développent des politiques de dialogue et de concertation sociale avec les organisations syndicales qui touchent fortement les pratiques de GRH. Cependant, ces pratiques n’échappent pas à des critiques et des contradictions. La concertation sociale est souvent culpabilisée d’être la cause des rigidités à travers les contrats collectifs, les règles et les lois. Les syndicats sont souvent critiqués d’être opposés aux changements, à la flexibilité, etc. D’où l’obsession parfois

Page 21: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

21

d’ignorer, de diviser et/ou d’affaiblir l’action syndicale. Or, est-t-il vrai que la concertation sociale est la cause des rigidités, que les syndicats s’opposent aux changements et bloquent une DRH à appliquer une GRH dynamique et moderne ?

Les directions des ressources humaines (DRH) sont appelées à jouer des nouveaux rôles pour permettre une meilleure gestion des ressources humaines et répondre aux besoins de performance des entreprises. Mais on ne pourrait pas comprendre effectivement le rôle d’une DRH isolée des pratiques de GRH parce qu’elles sont étroitement liées et se conditionnent mutuellement. De même, il serait difficile de séparer les pratiques de GRH et les rôles des DRH du management de l’organisation. Une DRH, par exemple, ne pourrait pas jouer un rôle proactif et stratégique ou entamer un type de formation, sans l’accord et l’appui explicite du top management. Un type de rôle de la DRH et les pratiques de GRH sont fortement déterminés par le modèle de management appliqué et/ou par la disposition et volonté politique du manager principal.

De même, le management qui privilégie le travail avec les organisations syndicales n’est pas le même que celui qui insiste sur la flexibilité et la productivité sans tenir compte des organisations syndicales. Ce sont trois aspects ou variables (DRH, GRH et M) qui se conditionnent mutuellement.

Les types de management, les pratiques de GRH et les rôles des DRH évoluent grâce à la confluence de plusieurs facteurs contextuels et à l’action et prises de position des acteurs (individuels et/ou collectifs) au sein des organisations en question.

Notre objectif sera, d’abord, de décrire, analyser et comparer les changements des pratiques de la GRH, des rôles des directions des ressources humaines (DRH) et des modèles de management (M), dans des entreprises situées dans des pays et des contextes différents et changeants, et, deuxièmement, relever les différences et les similitudes des ces changements et le positionnement qu’adoptent les acteurs dans ces contextes spécifiques.

Nous délimiterons et nous observerons, dans chaque cas, quelques facteurs du contexte sensés stimuler ce changement et les acteurs agissant sur ces changements.

Des multiples approches pour des problèmes complexes.

Une des «raisons indiscutables » pour laquelle on entame des changements au niveau de la GRH, de la DRH et/ou du management (M) au sein des organisations, c’est pour répondre aux exigences du marché. Elle est présentée parfois comme la seule raison logique et naturelle. Mais est-ce la seule raison logique ? Cela va dépendre certainement des intérêts et de l’approche utilisée pour analyser cette réalité.

Il s’agit, dans notre cas, de la gestion de collectifs humains et pas simplement de la gestion des « choses » ou des chiffres économiques.

Les pratiques de GRH, les rôles des DRH ainsi que le type de management mis en œuvre dans les entreprises sont l’objet mais, en même temps, le sujet de notre analyse, d’où la complexité de la démarche et l’exigence de ne pas rester cantonné dans une seule approche mais plutôt d’utiliser une vision multidimensionnelle pour essayer de saisir le plus objectivement la totalité de cette problématique sociale. La GRH ne se résume pas à l’application de nouvelles techniques performantes.

Le management et la GRH dominants d’aujourd’hui se veulent essentiellement volontaristes, motivationnels et instrumentaux (Warnotte, 1996). Cette approche ne tient pas compte de la complexité de la réalité, et avec certaines de ses techniques ne fait qu’accentuer la dualisation

Page 22: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

22

de la société. En citant Galambaud : « Tout appel à l’implication est perçu comme un leurre dans la mesure où les forces qui sont à l’œuvre tendent au morcellement de l’entreprise, à l’externalisation des activités, à la délocalisation. Les directeurs des ressources humaines se trouvent particulièrement en porte-à-faux par rapport aux modèles de motivation, d’implication et de développement des personnes qui constituent les fers de lance de la gestion des ressources humaines » (Warnotte, 1996, p. 56).

Les problèmes humains tels que l’anxiété, le manque de confiance, les conditions de travail, la formation, les relations professionnelles, les relations avec les institutions, les partis politiques et le gouvernement, la protection de l’environnement, etc. sont aussi des problèmes centraux, telles que l’efficacité et la compétitivité, et doivent continuer à préoccuper les professionnels des ressources humaines et les entreprises.

Kochan, en citant le rapport sur Les Perspectives des Ressources Humaines signale que : « L’insécurité dans le travail est en train de détruire la confiance dans l’économie des Etats-Unis, justement quand celle-ci est la plus efficace, flexible et compétitive du monde industriel. Tout le monde connaît les étapes de ces deux dernières décennies. Les salaires réels de la plupart du personnel sont gelés et n’arrivent pas à remonter dans les années 90 dans les industries manufacturières, où la croissance de la productivité et de la rentabilité ont été relativement satisfaisant. L’inégalité des revenus a augmenté. La restructuration a détruit la loyauté du compromis d’assurance entre les travailleurs administratifs et directifs et les grands pourvoyeurs d’emplois » (Kochan, 1998, pp. 136-137) (notre traduction). Le management peut être conçu de façon plus large et il peut être appliqué de façon plus coordonnée avec les syndicats, les employeurs et les gouvernements. Le management peut développer des aptitudes de rassembleur, de constructeur de coalitions et de « solutionneur» de problèmes sociaux et politiques comportant des intérêts différents.

Les ressources humaines peuvent être gérées en tenant compte de plusieurs facteurs et en veillant au respect, à un traitement juste et à l’égalité d’opportunités pour établir un esprit de confiance et de motivation : « Une enquête de Towers Perrin (1995) réalisée auprès de 3.300 employés de grandes compagnies montre, par exemple, que 75 % des personnes sondées affirmaient qu’ils étaient motivés à coopérer pour le succès de l’entreprise… Towers Perrin conclut que les employés veulent du respect, de la justice et des réponses à leurs besoins, et le plus significatif est le besoin de flexibilité. Les employés veulent de la stabilité, c’est-à-dire, un compromis avec ces normes de base. Les professionnels du travail/vie rappellent aux autres dirigeants que traiter les employés comme « des personnes intégrales » est une qualité essentielle de direction » (Lobel, 1998, p.313) (notre traduction).

Dans la mesure où il s’agit d’une comparaison internationale, nous sommes confrontés à plusieurs contextes différents, que ce soit au niveau des systèmes politiques, le rôle de l’Etat, les histoires socio-politiques récentes, les modèles des relations professionnelles, la culture nationale, la législation sociale, parmi d’autres facteurs. Il s’agit d’analyser en quoi ces facteurs du contexte influencent les changements du contenu de notre recherche (GRH, DRH et M).

D’autre part, nous observons une différence concernant la nature des entreprises dans le sens où l’une est totalement privée (Chili) tandis que les autres ont la particularité d’être des sociétés anonymes de droit public (Belgique et France), par conséquent, il s’agit d’analyser en quoi ce statut pourrait influencer les changements observés. Cette question est d’autant plus importante qu’on critique souvent les entreprises publiques pour leur manque d’efficacité et, à l’inverse, on postule les entreprises privées comme étant les championnes de l’efficacité et la productivité.

Il ressort de cette problématique l’existence de facteurs autres que le seul contexte conditionnant les pratiques de GRH, les rôles des DRH ou les types de management. Le

Page 23: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

23

comportement de tous les acteurs de l’organisation ne sont pas seulement tributaires de contraintes mais aussi des interprétations et des intérêts particuliers où les composants idéologiques et politiques des acteurs sont aussi importants. De ce fait, leurs comportements et leurs actions devront être compris en étroite liaison avec la société à laquelle elles appartiennent.

Les interprétations, les intérêts et les actions des personnes ne sont pas neutres. Ils peuvent aussi sous-tendre des valeurs, des pensées idéologiques et politiques différentes, comme nous essayerons de le montrer lors de notre étude.

Il s’agit d’évaluer les évolutions qui ont eu lieu dans les pratiques de GRH, les rôles des DRH et les modèles de management dans ces deux, voire trois, contextes différents.

La question principale qu’on se pose est : quels sont les changements (les tendances dominantes) des pratiques de GRH, des rôles des DRH et des modèles de management dans des organisations situées dans des environnements (externe et interne) fortement changeants et différents ?

Des questions secondaires qui nous essayerons aussi d’éclaircir sont : quelles sont les différences et similitudes principales trouvées à ce sujet dans ces entreprises ? Comment et pourquoi ces évolutions se produisent-elles de cette façon et quel est le sens particulier qu’elles adoptent dans leurs environnements respectifs ?

Nous allons décrypter et expliquer les changements produits au sein de chaque entreprise sous l’angle de différentes approches et toujours de façon contextualisée. Nous nous éloignerons d’une approche normative et, par conséquent, il est loin de notre propos de conseiller un one best way managériale à chaque entreprise. Cependant, une analyse détaillée comme celle-ci, entamée sous des approches théoriques différentes, apportera des éléments importants et points de vue différents qui pourront aider effectivement à préciser des politiques et des mesures normatives.

En considérant la complexité de la réalité sociale et la difficulté de la saisir complètement, nous nous inscrivons plutôt dans une vision holistique d’analyse. Il nous semble que les changements du management, des pratiques de GRH et/ou des rôles des DRH doivent et peuvent mieux s’expliquer, non par une seule cause, sinon par une multitude des facteurs ou variables qui agissent sur eux et interagissent avec eux.

Nous envisageons d’expliquer notre problématique en utilisant une approche contextualiste d’analyse (Pettigrew, 1987 ; Brouwers, Cornet, Gutierrez et al., 1997) (voir Ch. IV) qui permet d’analyser le processus temporel du changement en prenant largement en considération non seulement les variables multidimensionnelles du contexte, mais aussi la dynamique des acteurs confrontés et situés dans ces contextes.

En suivant cette approche contextualiste, nous considérons trois groupes de variables principales, nommés par leurs auteurs comme: le contexte, le processus et le contenu, en étant le contenu notre objet de recherche.

Les variables « indépendantes » du contexte (externe et interne) peuvent agir sur les variables « dépendantes » du contenu, à savoir, les pratiques de gestion des ressources humaines (GRH), les rôles des directions de ressources humaines (DRH) et le management (M), mais à travers les acteurs qui interprètent et agissent intentionnellement (processus) dans ce contexte. Donc, on parlera plutôt de multiples interrelations entre tous ces groupes de variables qui s’influencent mutuellement.

A travers cette approche nous utiliserons différentes théories ou modèles théoriques qui prennent en compte des dimensions multiples à ce sujet. Vu la complexité des phénomènes sociaux et donc du changement social et organisationnel, nous avons choisi de réaliser une

Page 24: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

24

analyse pluridimensionnelle en prenant en considération des multiples variables; par conséquent, nous ferons usage de typologies ou de modèles qui facilitent cette démarche. Les typologies «sont nécessairement réductionnistes des pratiques concrètes développées par les entreprises, mais elles fournissent les indispensables cadres de référence sans lesquels aucune structuration du champ des ressources humaines n’est possible. Ce souci d’organisation du domaine ne répond pas au seul impératif de la démarche académique classique, il est aussi l’expression de la préoccupation d’un certain nombre de responsables de la fonction sociale qui soulignent la nécessité de pouvoir restituer leurs pratiques de gestion des ressources humaines dans un contexte plus général, historique, culturel, stratégique, etc.» (Besseyre des Horts, 1987, p.154).

Précisions conceptuelles préliminaires

Dès à présent nous précisons l’usage de certaines variables utilisées par la suite.

Les facteurs ou variables du contexte ou environnement externe qui pourraient influencer les rôles des DRH, les pratiques de GRH et/ou le management peuvent être nombreuses, ainsi par exemple : l’économie et le type de production, le marché du travail, le type de relations professionnelles, le marché de biens et services, la technologie, les traditions historiques, l’Etat et le système politique, le niveau d’éducation de la société, les organisations sociales, la culture nationale, en ce compris toutes leurs valeurs, traditions, habitudes, qui la singularisent. Il sera important savoir comment ces variables peuvent conditionner le fonctionnement des entreprises.

Parmi celles de l’environnement interne, on relève habituellement la stratégie d’entreprise (celle des affaires et celle de groupe) et la structure organisationnelle, où l’on incorpore, à son tour, la taille, l’âge et la technologie de l’entreprise.

Par management nous entendrons une notion plus large que la seule gestion. Il « recouvre plusieurs éléments de nature différente : une structure d’organisation, des pratiques de gestion, un système de représentation et un modèle de personnalité… Ces quatre aspects du management (organisation, gestion, valeurs et personnalité) forment un « système socio-mental » au carrefour de l’économique, du politique, de l’idéologique et du psychologique. Ce système déborde largement les frontières des entreprises hyper modernes » (Aubert et de Gaulejac, 1991, p.21).

Quant à la gestion des ressources humaines (GRH), quoique conscients de la diversité de conceptions et d’appellations qu’elle comporte et de l’évolution de ces dernières décennies, nous utiliserons simplement l’appellation de gestion des ressources humaines comme synonyme d’autres appellations telles que: «gestion du personnel», «administration du personnel», «gestion sociale», «administration des ressources humaines», «politique sociale», «gestion stratégique des ressources humaines», etc.

Nous retiendrons les définitions suivantes : «La GRH est à la fois un corps de «connaissances» et une activité exercée par des membres de l’entreprise, l’un et l’autre se structurant historiquement en étroite interdépendance. En dehors du corps de connaissances aujourd’hui baptisé GRH, d’autres réalités reçoivent en effet une dénomination similaire: une entité organisationnelle, la Direction des Ressources Humaines et ses membres, directeurs ou responsables… ; des discours formalisés, officialisés, parfois légalisés, portant sur la communication, les relations sociales, la gestion des effectifs, les carrières, le recrutement, la rémunération,…; les pratiques concernant les mêmes domaines, conduites par des spécialistes, mais aussi par d’autres cadres…; des unités de formation…» (Brabet, 1993, p.16).

Page 25: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

25

D’après Galambaud (2002), si la pensée économique s’intéresse surtout au profit qui proviennent essentiellement de facteurs externes et fort peu au fonctionnement de l’entreprise, la pensé gestionnaire est centrée sur le fonctionnement de l’entreprise. «La gestion n’a pas pour ambition de résoudre des problèmes, elle a pour ambition d’optimiser l’usage des ressources. Elle a pour ambition de concevoir, conduire et contrôler des systèmes performants de décisions et non de traiter les dysfonctionnements de l’organisation…La quête de l’efficacité, la quête de la performance, voilà l’objet même de la gestion…La gestion de ressources humaines est un choix managérial…La gestion, et pas seulement la gestion des ressources humaines, ne se définit pas seulement par son objet, qu’elle partage avec tout acte managérial. Elle se définit également par une façon particulière d’assurer une optimisation des ressources, par une façon particulière de prendre des décisions censées produire cette performance recherchée. Si la gestion se définit par son objet, elle se définit également par son projet : la représentation intelligible des interventions des acteurs au sein des organisations… Ce qui forme la gestion, c’est tout à la fois son objet et son projet… Mais la recherche de la performance est difficile, même un mystère… A l’évidence, le lien entre ‘pratiques sociales’, entre gestion des ressources humaines et ‘performance économique’ n’est pas aisé à identifier, à concevoir, à penser. Et pourtant ce lien semble exister ou du moins certains dirigeants croient en son existence » (Galambaud, 2002, pp. 18-22).

Si dans les changements des pratiques de GRH, des rôles de DRH et des modèles de management sont identifiées comme causes les variables du contexte, nous parlerons d’une approche contingente déterministe ; par contre, si on considère plutôt que ce sont les acteurs avec leurs interprétations, leurs intérêts et leurs jeux de pouvoir qui conditionnent ces changements, alors nous nous situons dans une perspective politique.

Les rôles du service, département ou direction de ressources humaines (DRH) « traduisent un mode particulier de fonctionnement d’un ensemble d’acteurs (i.e., gestionnaires et professionnels de ressources humaines) qui travaillent dans un service établi de façon formelle » (Labelle et Dyer, 1992, p. 675). De façon plus large, les rôles des DRH peuvent aussi être définis «en fonction des notions de besoins en matière de gestion des ressources humaines et d’attentes vis-à-vis des DRH. En effet, un rôle se définit par rapport à une attente, qui correspond à la façon souhaitée par un acteur de satisfaire un besoin … le rôle se distingue de l’emploi par sa flexibilité dans la mesure où les rôles peuvent être combinés de différentes manières pour articuler diverses actions à l’intérieur d’un emploi donné» ( Wils, Labelle et Guérin, 2000).

Les directions de ressources humaines (DRH) seront conçues et aménagées selon les objectifs, les stratégies, les besoins externes et internes et le type de fonctionnement organisationnel. L’importance accordée aux DRH sera toujours un choix décidé par les dirigeants de l’organisation.

En accord avec Pichault, Warnotte et Wilkin, nous entendons par direction de ressources humaines (DRH), «le service ou l’entité dont la mission prioritaire est de prendre en charge une partie plus au moins étendue selon les organisations, de la fonction ressources humaines. Une telle prise en charge peut aller de la définition des politiques à la mise en œuvre de certaines d’entre elles, en passant par des missions de conseil et de support fonctionnel au reste de l’organisation» (Pichault, Warnotte et Wilkin, 1998, p.17). Nous devrons donc expliquer comment cette entité se compose, agit et s’adapte lors du processus de changement pour jouer le(s) rôle(s) qu’on leur demande. Nous utiliserons la notion d’entité, de service, d’unité ou de département des ressources humaines comme des synonymes.

Nous distinguerons le service de la fonction des ressources humaines dans le sens où la fonction est un « ensemble de responsabilités d’encadrement … où sont en cause tous les gestionnaires … dont le type d’autorité est une autorité hiérarchique directe » (St-Onge,

Page 26: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

26

Audet, Haines et al., 1998, p.9), c’est-à-dire des activités qui dépassent le département des ressources humaines, tandis que le service est une unité administrative spécialisée, avec quelques spécialistes et avec une autorité de conseil et une autorité fonctionnelle. Pour notre propos, nous privilégierons l’analyse de cette entité comme une unité globale, comme un ensemble social, mais cela n’exclura pas de considérer le rôle exceptionnel qu’une personne peut y jouer, dans une situation spécifique.

Contextualisme et prédominance de l’acteur social

Nous nous éloignons de la conception universaliste et de l’approche normative très fréquente dans la plupart d’ouvrages et « best-sellers ». Nous privilégions l’usage de plusieurs théories dans le cadre d’une approche contextualiste parce qu’elle nous permet de prendre en compte tant le contexte (externe et interne) que l’action dynamique des acteurs concernés. Dans notre analyse, plus que le déterminisme contextuel, les acteurs occupent une place centrale et une attention particulière.

Nous entendons par acteur soit une personne, soit un collectif de personnes ressemblées autour des intérêts ou des enjeux communs (organisation sociale ou politique, groupe de pression, institutions, etc.); par conséquent, dans ce sens on parlera tantôt d’une personne de l’entreprise, tantôt de toute une entité, département ou organisation.

Nous faisons usage de l’approche politique des organisations parce qu’elle permet d’aborder l’action des acteurs et la dynamique des organisations en considérant tous leurs intérêts contradictoires et le jeu de pouvoir entre eux.

Cette approche considère le groupe humain en action, prend en compte la dimension du pouvoir des acteurs, conçoit les acteurs avec un degré de liberté et d’initiative, avec ses contradictions et ses conflits, ses enjeux de pouvoir et de négociation (Crozier et Friedberg, 1977). Elle intègre des concepts clés, parfois tabous, tels que : le pouvoir, la politique, le conflit, la coalition et la négociation, souvent oubliés dans l’approche managériale instrumentale. « Le fonctionnement des organisations résulte d’une multitude de rationalités plus ou moins convergentes et divergentes déterminées par le statut et les rôles » (Weiss, 1999, p. 574).

Bref, nous voulons décrire, analyser et comparer les changements des pratiques de GRH, des rôles des DRH et des modèles de management qui ont eu lieu dans des entreprises qui évoluent dans des contextes de deux pays différents; ensuite relever leurs différences et similitudes. Pour cela, nous utiliserons l’approche contextualiste d’analyse qui nous permettra de prendre en compte tant l’influence du contexte (externe et interne) ainsi que la perception et la mobilisation que font les acteurs des variables de ce contexte, en utilisant différents modèles théoriques.

Notre étude restera surtout descriptive, analytique et comparative.

Avant d’expliquer en détail ce que sera notre cadre d’analyse théorique (Chapitre III), nous analyserons la littérature scientifique en rapport avec notre sujet (Ch. II).

Page 27: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

27

CHAPITRE II

Page 28: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

28

REVUE DE LA LITTERATURE

Dans ce chapitre nous procédons à une revue et discussion de certains paradigmes et théories pertinentes à notre sujet, toujours avec un esprit critique. Ces paradigmes et théories nous permettront d’expliquer plus en profondeur notre problématique.

Tout d’abord, nous passerons en revue et nous analyserons divers paradigmes et notions importantes pour notre propos : le rationalisme, l’approche contingente, le paradigme politique et la notion de changement.

Dans un deuxième temps, nous situerons brièvement notre sujet dans un contexte historique concret.

Dans un troisième temps, nous évoquerons différentes théories et/ou modèles théoriques de la théorie des organisations, de la GRH et du management. Nous relèverons leur utilité ainsi que les contradictions que, parfois, elles comportent.

Dans la mesure où notre recherche s’inscrit dans une approche contextualiste d’analyse, elle s’articule autour de trois concepts-clés: le contexte, le contenu et le processus; le contenu étant l’objet de notre recherche (Ch. IV). Cette approche ouverte d’analyse nous permet d’utiliser simultanément plusieurs paradigmes et théories pour analyser les processus de changements qui s’opèrent dans les entreprises.

Nous allons donc analyser ici les différents modèles théoriques dans le cadre de deux des trois concepts-clés : le contenu et le contexte. Le processus sera analysé dans le Ch. III.

I.- LES PARADIGMES

Nous faisons référence à différents paradigmes qui sont comme des prismes nous donnant une vision spécifique de la réalité et agissant comme la base des théories spécifiques que nous utiliserons dans notre analyse.

Dans le domaine du management nous relevons trois paradigmes utiles pour l’analyse des changements des pratiques de GRH, des rôles des DRH et des modèles de management, à savoir: le rationalisme, la contingence et l’approche politique.

1.- Le rationalisme

Il s’agit de la volonté constante de trouver des réponses logiques et cohérentes aux problèmes techniques de la production et de la conduite des hommes au travail, réponses souvent définies a priori.

En s’inspirant notamment des travaux de Pichault (1993), de Brouwers, Cornet et Pichault (1995) et de Brouwers, Cornet et Gutierrez (1997), on peut dire que le courant rationaliste s’inscrit dans une perspective normative dans la mesure où il participe au conseil managérial.

Page 29: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

29

Il est d’abord un modèle d’action et une des perspectives les plus classiques héritée du taylorisme.

Il ne se préoccupe pas d’interpréter la réalité organisationnelle, mais il s’agit, en citant Ansoff, « d’une méthode pour déterminer l’orientation d’une firme et de la guider vers des objectifs » ou, d’après Porter, pour « aider une firme à analyser son secteur d’activités et à prévoir l’évolution de ce dernier, à situer la place de ses concurrents ainsi que la sienne et à mettre en œuvre, face à cette concurrence, une stratégie adaptée à ses activités particulières » (cités par Brouwers, Cornet et Pichault, 1995, p. 14). Ce rationalisme, nous pouvons le retrouver notamment dans le processus de définition de stratégies ou de planification stratégique des organisations.

Un ensemble de principes caractérise le raisonnement rationaliste. D’abord, l’information joue un grand rôle dans l’ensemble du processus de décision; elle permet au décideur d’adopter une démarche entièrement raisonnée où les différentes étapes à suivre ont pu être décomposées, analysées et, dans la mesure du possible, quantifiées. Le décideur dispose, préalablement à toute prise de décision, d’une information complète sur l’ensemble des solutions susceptibles d’être appliquées au problème qui se pose à lui - principe d’exhaustivité- et il est capable de choisir la meilleure solution - principe d’optimisation.

En plus, le décideur est censé être muni d’outils d’évaluation efficaces qui l’aident à surveiller le bon accomplissement du processus - principe de contrôle - et à réviser en conséquence ses objectifs, les ressources affectées à la solution du problème ou la décision elle-même - principe de rétroaction (Brouwers, Cornet et Pichault, 1995).

Le rationalisme postule que le pôle de décision est unique, soit parce que le gestionnaire est seul le décideur, soit parce que les autres membres de l’organisation partagent les mêmes valeurs et les mêmes objectifs; par conséquent, on écarte la possibilité de conflits d’intérêts ou on ignore les opinions du reste des membres. Les objectifs et la prédétermination des tâches doivent s’exécuter comme prévu; il n’y aura pas de changement des objectifs et les savoir-faire empiriques existant sur les lieux de travail et qui pourraient améliorer les prévisions échappent à toute tentative de formalisation a priori.

La formulation de la stratégie, pour les théoriciens rationalistes, doit commencer par une analyse exhaustive des possibilités offertes par l’environnement (opportunités et menaces) et du potentiel de l’entreprise (forces et faiblesses) (Porter, 1990). Après cette analyse, la direction adopte une série de décisions successives relatives aux objectifs à poursuivre et précise donc les procédures et les moyens à mettre en œuvre. Dans cette démarche, la formulation et l’implémentation de la stratégie sont deux phases bien distinctes.

D’après l’approche rationaliste, les décisions stratégiques, et les changements organisationnels qui en découlent, doivent suivre, pour mener au succès, une série d’étapes ordonnées de manière séquentielle, prévues, cohérentes et contrôlées.

Bref, le rationalisme ou planification rationnelle repose sur un énoncé clair d’objectifs à atteindre, que les décideurs cherchent à optimiser dans un environnement nécessairement prévisible, l’évaluation consiste donc en la mesure des résultats obtenus, le degré d’accomplissement des objectifs initiaux. Il y a une séparation radicale entre la phase de formulation du projet (conception) et la phase de mise en œuvre (implantation) (Brouwers, Cornet et Pichault, 1995).

2.- L’approche contingente

Les théoriciens de la contingence s’efforcent de montrer, à partir de travaux empiriques, que la performance de l’organisation dépend de la congruence entre la structure organisationnelle

Page 30: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

30

et son environnement; autrement dit, que les organisations présentent des formes organisationnelles distinctes, résultat d’un processus d’adaptation à la diversité des conditions de l’environnement. Parmi les théoriciens les plus cités, nous retrouvons : Burns et Stalker, Woodward, Perrow, Lawrence et Lorsch, Mintzberg.

L’approche contingente a aussi un caractère normatif et n’est pas très éloignée du rationalisme. Ses principes ne concernent plus la planification stratégique, mais le modèle d’organisation à adopter pour maximiser les performances de l’entreprise. Ici, le succès d’une forme organisationnelle donnée dépend de la capacité des dirigeants d’une part, à interpréter convenablement les conditions auxquelles l’entreprise doit faire face et, d’autre part, à y ajuster leur organisation; dont un rôle clé est accordé à la direction. Nous le considérons dans la mesure où on va considérer différentes variables du contexte externe qui agissent sur ou en interrelation avec les acteurs de l’entreprise.

Ainsi, Lawrence et Lorsch relèvent: « nous avons trouvé une relation fondamentale entre les variables externes ( l’incertitude, la diversité et la nature des contraintes de l’environnement), les états internes de différenciation et d’intégration et les procédures de résolution des conflits. Si les structures organisationnelles et les procédures sont congruentes avec les contraintes de l’environnement, les résultats de cette étude suggèrent que l’entreprise doive être efficace vis-à-vis de son environnement … Plus les différents secteurs de l’environnement sont imprévisibles et incertains, plus bas tendent à être les centres de décisions dans l’échelle hiérarchique » (Lawrence et Lorsch, 1989, p.150). Les entreprises les plus performantes sont celles dont le modèle d’organisation est le mieux adapté au rythme de changement des conditions techniques et de marché.

L’approche configurationnelle de Mintzberg (1982, 1986) se base aussi sur l’hypothèse qu’à un environnement donné, des formes d’organisation réussissent mieux que d’autres selon le respect de certaines conditions. D’après Mintzberg, l’efficacité d’une organisation dépend de la cohérence entre des paramètres de conception (spécialisation des postes de travail, procédures bureaucratiques, tailles des unités, système de planification et de contrôle, mécanismes de liaison, décentralisation, etc.) et les facteurs de contingence (l’âge et la taille de l’entreprise, les techniques utilisées, les conditions du secteur de l’entreprise en question, le pouvoir). Un des rôles clés des dirigeants c’est d’arriver à de bons ajustements entre la division du travail et les mécanismes de coordination, à bien gérer le flux de matériaux et d’information et les processus de décision. Cet auteur propose ainsi cinq formes organisationnelles typiques (Mintzberg, 1982) et, dans sa recherche d’harmonie structurelle, l’organisation réelle penchera vers l’une de ces configurations. Nous y reviendrons.

Pour la théorie de la contingence, en résumé, aucune forme organisationnelle ne prévaut en efficacité; il n’y a plus une seule et meilleure organisation. Une organisation ne peut être efficace que dans la mesure où l’ensemble des paramètres internes est compatible avec les exigences et les contraintes de l’environnement dans lequel elle opère. Divers types d’organisation correspondent à des environnements différents. Les changements qui se produisent dans l’environnement imposent donc des changements organisationnels et la responsabilité des dirigeants sera d’ajuster l’entreprise à son environnement tout en assurant la cohérence interne.

En résume, le modèle contingent apprécie la performance en termes d’adéquation aux contraintes du contexte (d’où la notion de fit développé par plusieurs auteurs). Le changement est rapporté à des variations intervenues dans le contexte, contraignant l’équipe dirigeante à adapter les stratégies et les structures de l’entreprise (Brouwers, Cornet et Pichault, 1995).

3.- Le paradigme politique

Page 31: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

31

L’approche politique conteste les approches rationaliste et contingente par leur logique notamment idéaliste, rationaliste et déterministe de la réalité sociale. Or, l’observation de la réalité organisationnelle montre que ces postulats ne sont pas tout à fait vrais.

Le paradigme politique commence à se structurer dans les années 60 et depuis lors il a fait l’objet d’importants apports dont certains sont aujourd’hui des références incontournables. Il s’agit des auteurs tels que Crozier (1963), Crozier et Friedberg (1977), Pfeffer (1981), Mintzberg (1986). Plus récemment Pichault (1993), Eraly (1995) ont abordé aussi ce paradigme.

Des auteurs tels que Child (1972), critiquant le rationalisme et l’approche contingente, et March et Simon (1964), relevant la notion de « rationalité limitée », avaient déblayé quelque peu le chemin du paradigme politique.

En suivant Crozier et Friedberg, dans L’acteur et le système (1977), nous relevons du modèle politique ou stratégique quatre notions fondamentales, à savoir : l’acteur, l’organisation, les stratégies et le pouvoir.

L’acteur : le concept d’acteur est au centre de l’analyse stratégique. Les individus ou les groupes formant une organisation sont des agents libres ou autonomes et non des agents passifs répondant de manière mécanique aux stimuli qu’on leur impose. Ces auteurs se basent sur deux postulats à ce propos. D’abord, un être humain a des idées, des buts, des intérêts et il essaie de les réaliser ; « l’homme ne pouvait être considéré seulement comme une main, ce que supposerait implicitement le schéma taylorien d’organisation, ni même non plus comme une main et un cœur, comme le réclamaient les avocats du mouvement des relations humaines…il est aussi et avant tout une tête, …un agent autonome qui est capable de calcul et de manipulation et qui s’adapte et invente en fonction des circonstances et des mouvements de ses partenaires » (Crozier et Friedberg, 1977, p. 44). Deuxièmement, l’individu conserve toujours une marge de liberté, une marge de manœuvre, même dans les organisations les plus formalisées et les plus totalitaires; «la conduite humaine ne saurait être assimilée en aucun cas au produit mécanique de l’obéissance ou de la pression des données structurelles. Elle est toujours l’expression et la mise en œuvre d’une liberté, si minime soit-elle » (Crozier et Friecberg, p. 45). Il est donc toujours en mesure de faire des choix, d’agir ou de réagir.

L’organisation : Crozier et Friedberg conçoivent l’organisation comme un construit social. Ainsi, ils rompent avec les approches naturaliste et déterministe de l’action collective. Les problèmes d’organisation, nos modes d’action collective ne sont pas « des donnés naturelles » qui surgiraient en quelque sorte spontanément et dont l’existence irait de soi. Ils ne sont pas le résultat automatique du développement des interactions humaines, d’une sorte de dynamique spontanée qui porterait les hommes en tant qu’êtres sociaux à s’unir, à se grouper, à s’organiser. Ils ne sont pas non plus la conséquence d’une logique déterminée d’avance par la « structure objective » des problèmes à résoudre, c’est-à-dire par la somme des déterminations extérieures. « Ils ne constituent rien d’autre que des solutions toujours spécifiques que des acteurs relativement autonomes, avec leurs ressources et capacités particulières, ont créées, inventées, instituées pour résoudre les problèmes posés par l’action collective et, notamment, le plus fondamental de ceux-ci, celui de leur coopération en vue de l’accomplissement d’objectifs communs, malgré leurs orientations divergentes » (Crozier et Friedberg, 1977, p.15).

L’organisation devient une création, une œuvre humaine. Ces auteurs replacent le facteur humain au centre de l’organisation, de son fonctionnement et de son analyse. N’importe quel fait dans l’organisation porte l’empreinte des choix humains : les divisions du travail, les technologies, les règles, les conditions de travail, les stratégies, les rémunérations …Plus récemment Eraly relevait: « Une organisation n’agit pas par elle-même, elle n’a pas

Page 32: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

32

d’objectifs’, de ‘valeurs’, de ‘sentiments’ qui lui soient propres…Contre toute réification (autrement dit, contre l’illusion de la substance derrière le substantif), nous partons du postulat que l’organisation n’est rien d’autre à chaque moment qu’un ensemble structuré d’actions et d’interactions entre des hommes » (Eraly, 1988, p.14). Et il ajoute : « Il n’existe pas de déterminisme simple suivant lequel une technique ou une technologie pourrait « causer » une organisation sociale. Ni non plus un « facteur technique » qui se tiendrait isolé du facteur humain : tout est « humain » dans l’entreprise, c’est-à-dire que tout est produit, conçu, acheté, décidé, utilisé, interprété, imposé par des hommes » (Eraly, 1995, p.55).

Le concept de construit social exclut toute simplification de l’organisation comme l’œuvre d’un agent unique, exclut toute réduction de l’organisation à la seule personne de son dirigeant, d’un « leader surhumain ». L’organisation est avant tout une création humaine, une création collective et, donc elle se compose des hommes et des femmes qui agissent et interagissent quotidiennement autour des intérêts spécifiques dans un endroit concret, c’est un système d’action concrète.

Les stratégies : le fonctionnement réel d’une organisation est le résultat d’une série d’actions articulées auxquelles participent les différents acteurs. Les stratégies s’inscrivent dans un système d’action concret ; pour atteindre leurs buts ou promouvoir leurs intérêts, les acteurs développent des comportements stratégiques ou des stratégies qui prennent forme et sens dans la situation.

Crozier et Friedberg (1977) définissent le concept de stratégie autour des quelques observations empiriques :

- « L’acteur n’a que rarement des objectifs clairs et encore moins des projets cohérents » : ceux-ci sont multiples, plus ou moins ambigus, plus ou moins explicites, plus ou moins contradictoires. L’acteur changera en cours d’action, en rejettera certains, en découvrira d’autres, il réajustera son projet. Or, il serait illusoire de considérer son comportement comme toujours réfléchi et guidé par des idées et des objectifs clairs au départ.

- « Pourtant son comportement est actif ». S’il est toujours contraint et limité, il n’est jamais directement déterminé.

- « C’est un comportement qui a toujours un sens ». Le fait qu’on ne puisse le rapporter à des objectifs clairs ne signifie pas qu’il ne puisse être rationnel. Au lieu d’être rationnel par rapport aux objectifs, il est rationnel, d’une part, par rapport à des opportunités et au contexte et, d’autre part, par rapport au comportement des autres acteurs.

Les stratégies développées sont toujours rationnelles mais d’une rationalité limitée. A ce sujet, relève Crozier et Friedberg: « Nous raisonnons en suivant une logique a priori, selon laquelle l’homme, dans une perspective synoptique, chercherait la meilleure solution à tout problème. Ce raisonnement est beaucoup trop encombrant mais, en même temps, il est faux. L’être humain est incapable d’optimiser. Sa liberté et son information sont trop limitées pour qu’il y parvienne. Dans un contexte de rationalité limitée, il décide de façon séquentielle et choisit chaque problème qu’il a à résoudre la première solution qui correspond pour lui à un seuil minimal de satisfaction » (Crozier et Friedberg, 1977, p. 45). Ils ajoutent en critiquant ce mode de raisonnement mécaniste que « contre ces nouvelles illusions scientistes et/ou technocratiques, on ne répétera jamais assez cette constatation fondamentale: il n’y a pas de systèmes sociaux entièrement réglés ou contrôlés. Les acteurs individuels ou collectifs qui le composent ne peuvent jamais être réduits à des fonctions abstraites et désincarnées. Ces sont des acteurs à part entière qui, à l’intérieur des contraintes souvent très lourdes que leur impose

Page 33: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

33

« le système », disposent d’une marge de liberté qu’ils utilisent de façon stratégique dans leurs interactions avec les autres » (Crozier et Friedberg, p.28).

Le modèle politique, aussi appelé stratégique, met l’accent sur la diversité des intérêts à l’œuvre lorsque s’enclenche un processus de changement. L’acteur ne peut pas se comprendre hors de son contexte. « Alors que la réflexion en termes d’objectifs tend à isoler l’acteur de l’organisation à qui elle l’oppose, la réflexion en termes de stratégie oblige à chercher dans le contexte organisationnel la rationalité de l’acteur et à comprendre le construit organisationnel dans le vécu des acteurs » (Crozier et Friedberg, 1977, p. 57).

En se référant à ces auteurs, Morin, Savoie et Beaudin (1994) ajoutent que la détermination des objectifs organisationnels est le résultat d’un aménagement entre les différents groupes qui forment l’organisation ; ces groupes ont des intérêts différents qui forcent l’organisation à établir des objectifs hiérarchisés afin d’éviter certaines contradictions dans les finalités de chacun. « Par définition, un objectif vu sous l’angle politique est une continuelle négociation et ne peut être tenue pour acquis comme il le serait dans la perspective économique ou sociale. De plus, la détermination des objectifs implique la reconnaissance des intérêts et des valeurs d’un certain nombre de constituants » (Morin, Savoie et Beaudin, 1994, p. 66).

Le pouvoir : Le pouvoir est un concept multiforme et un phénomène universel. Il existe des pouvoirs formels ou officiels et des pouvoirs informels, qui peuvent soit appuyer les pouvoirs officiels, soit devenir de contre-pouvoir. Ces auteurs analysent le pouvoir dans le cadre spécifique de l’organisation et font remarquer qu’une situation organisationnelle donnée ne contraint jamais totalement l’acteur.

Les individus puisent leur pouvoir dans les zones d’incertitude qu’ils contrôlent. Le pouvoir est la capacité pour certains individus ou groupes d’agir sur d’autres individus ou groupes; il s’agit d’une conception relationnelle du pouvoir. Par conséquent, à chaque échelon de la hiérarchie, les acteurs tentent, dans la réalisation de leur travail quotidien et dans les négociations qu’ils mènent avec leurs supérieurs hiérarchiques, de conquérir ou de préserver une zone d’incertitude qui leur laisse une marge de manœuvre suffisante. Cette zone d’incertitude constitue précisément ce dont ils peuvent se prévaloir dans la négociation.

Qu’il soit dirigeant ou subordonné, celui-ci gardera toujours une marge de liberté et de négociation. Grâce à cette marge de liberté, chaque acteur dispose ainsi de pouvoir sur les autres acteurs, pouvoir qui sera d’autant plus important que la source d’incertitude qu’il contrôle sera pertinente pour ceux-ci et les affectera de façon substantielle dans leurs capacités propres de poursuivre leur propre stratégie.

Pour Crozier et Friedberg, le pouvoir a les caractéristiques suivantes :

- « le pouvoir est donc une relation, et non pas un attribut des acteurs ». Il ne peut se manifester que par sa mise en œuvre dans une relation ; il ne peut se développer qu’à travers l’échange entre les acteurs engagés dans une relation donnée.

- « c’est une relation instrumentale… Dire que toute relation de pouvoir est instrumentale vise simplement à souligner que, comme toute relation de négociation, le pouvoir ne se conçoit que dans la perspective d’un but qui, dans une logique instrumentale, motive l’engagement de ressources de la part des acteurs ».

- « c’est une relation non transitive ». Le pouvoir est inséparable des acteurs engagés dans une relation et aussi des actions demandées ; chaque action constitue un enjeu spécifique autour duquel se greffe une relation de pouvoir particulière.

- « c’est une relation réciproque, mais déséquilibrée ». Elle est réciproque puisqu’il y a négociation, donc échange. Mais aussi déséquilibré parce que l’échange peut favoriser

Page 34: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

34

l’une des parties. On parle alors d’une relation de pouvoir et dans cette relation s’établit un rapport de forces.

Or, ce sont les forces de chacune des parties en présence, leur puissance et leur atout respectifs, qui détermineront le résultat d’une relation de pouvoir.

Concevoir l’organisation comme un système politique permet de comprendre la manière dont les acteurs se comportent lorsqu’ils doivent faire face à une contrainte ou à une situation nouvelle. Face au changement, il y a le risque de changer les équilibres des acteurs et d’intensifier la compétition pour de nouvelles ressources et de nouvelles positions de pouvoir. Chaque acteur ou groupe essaye alors d’imposer sa propre rationalité. La conduite d’un changement n’apparaît plus comme un processus séquentiel, maîtrisé et formel mais comme une initiative, avec des degrés d’incertitude, qui donne lieu à un processus de discussion et de négociations aux multiples acteurs. Crozier et Friedberg (1977) insistent sur le rôle déterminant des mécanismes de jeu de pouvoir, des enjeux et des mécanismes de négociations qui vont contribuer à faire dévier tout projet de réforme ou à bloquer tout changement radical et à se contenter, souvent, des maigres adaptations. Le statu quo a beaucoup de chance de se perpétuer. Il n’y aura du changement que si le système d’action se transforme, si les acteurs y participent, et s’il y a apprentissage collectif de nouveaux modèles de relations entre acteurs.

Le modèle politique conduit logiquement à ne plus se contenter d’un critère unique d’évaluation des processus de changement –qu’il s’agisse des objectifs initialement fixés ou des contraintes du contexte. Il n’est dès lors plus aussi facile de recourir à des techniques et méthodes formalisées, comme dans le modèle de la planification et dans le modèle contingent. Le processus en cours doit, au contraire, être envisagé sous différents angles, en tenant compte de la satisfaction conjointe d’intérêts divergents (Brouwers, Cornet et Pichault, 1995; Pichault, 1993).

Le modèle politique est inadapté à la formalisation dans la mesure où, pendant le processus de changement, des phénomènes de pouvoir imprévisibles se développent.

Donc, l’approche politique est plus riche et utile à l’analyse de notre sujet.

3.1.- Les limites du modèle stratégique et politique de Crozier et Friedberg.

Bien que cette approche politique s’avère particulièrement éclairante, elle a aussi ses limites. Une des plus importants, d’après Vandewattyne (1998), est celle qui concerne le rapport à l’histoire ; privilégiant le présent et l’avenir ampute l’organisation et ses acteurs de leur passé. Cependant, Pettigrew nous donne la possibilité de le dépasser à travers leur approche contextualiste.

Une deuxième limite est relative à la dimension culturelle de l’action organisée. En effet, privilégiant l’indétermination des acteurs, ils détachent le monde de l’action, des stratégies et des jeux de pouvoir de celui -plus profond- des structures mentales, des représentations et des valeurs. Dans la mesure où dans l'analyse on prend en compte des variables du contexte externe (la culture nationale, le marché du travail, etc.), nous sommes obligés à faire appel à d’autres auteurs.

Troisièmement, cette approche privilégie le contexte interne de l’organisation. L’analyse du jeu des acteurs, de leur rapport de forces et de leurs actions, est faite en fonction des variables endogènes. Or l’environnement externe n’apparaît que comme une variable très marginale, très périphérique.

3.2.- Besoin d’autres contributions théoriques

Page 35: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

35

Notre analyse sur les changements se situe dans le cadre d’une approche holistique et en interrelation aussi avec des variables externes, telles que : les relations professionnelles et le système politique, le marché de biens et services, etc., par conséquent, nous faisons appel à des auteurs, tels que Crouch, Visser, Mintzberg, etc.

Quant au sujet du pouvoir dans l’organisation, la notion de Crozier est restrictive. Il y a des acteurs et des jeux de pouvoir qui interviennent de l’extérieur des organisations, tels que : le marché, les partis politiques, les organisations syndicales, l’Etat, etc. Or, le pouvoir n’est pas seulement une relation instrumentale exercée notamment à travers une stratégie de pression (chez Crozier), mais l’exercice du pouvoir peut adopter aussi deux modalités typiques: les stratégies de pression et les stratégies de légitimation (Bourgeois et Nizet, 1995 ; Pfeffer, 1981). D’autre part, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation, il y aura une distribution inégalitaire du pouvoir entre les acteurs. Donc il faut considérer la notion de rapport de forces entre les acteurs pour comprendre les changements ; le face-à-face entre acteurs ou groupe d’acteurs, n’est pas toujours si malléable. Ainsi par exemple, il est évident que le rapport de force et la marge de manœuvre entre la haute direction et les simples employés est inégalitaire et, en général, ce rapport est en faveur du top management (Pfeffer, 1981 ; Mintzberg, 1986). Nous retiendrons plutôt cette approche plus large du pouvoir et elle est ainsi comprise et incorporée dans les théories et modèles qu’on utilisera par la suite.

Une autre approche basée sur les visions du monde et de l’homme (de Woot, 1998) relève, en Occident, deux conceptions du pouvoir, à savoir : le pouvoir de domination et le pouvoir de service.

Le pouvoir de domination - plus froid, calculateur, cynique- naît de la croyance que le monde est une jungle et que les hommes sont mauvais et, par conséquent, il faut utiliser la force, la ruse et ne suivre les règles morales que lorsqu’elles coïncident avec l’intérêt de l’organisation ou la raison d’Etat. Le pouvoir de service –plus humaniste, démocratique, imprégné des valeurs éthiques- agit comme si le monde pouvait être civilisé et que l’homme était perfectible, par conséquent, c’est par les lois, la justice, l’éthique qu’on établira la concorde et la paix.

En systématisant ces deux courants, on peut distinguer des comportements différents. Ainsi, le courant du pouvoir de domination est lié aux comportements suivants : « une forte personnalisation du pouvoir, des ambitions et des appétits vigoureux, le secret et la méfiance, le manque d’écoute, un sentiment de supériorité personnelle, la méconnaissance - et parfois le mépris- des humains, une certaine vanité ou une vanité certaine, un climat de cour et des courtisans. Ces éléments peuvent former un modèle d’exercice du pouvoir ». Par contre, le pouvoir de service, « s’articule sur les éléments suivants : la participation et l’adhésion, le sens du bien commun, la confiance et la transparence, l’écoute et la communication, l’animation d’un jeu collectif, le respect et la connaissance des hommes, une certaine humilité, un climat de liberté » (de Woot, 1998, pp. 16-17).

4.- Quelques considérations sur le changement

Le changement est une des préoccupations fondamentales des managers et il bouscule fortement la vie des organisations.

Il y a plusieurs approches et définitions sur le changement. Un changement n’est jamais neutre; il peut produire des enjeux très différents, voire contradictoires; à la limite, pour les théories fondées sur l’hypothèse de la stabilité et de l’ordre telle que dans l’école classique, le changement ne devrait même pas exister. Force est donc de préciser sous quel angle nous le traitons.

Page 36: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

36

D’après Watzlawick, « un changement marque le passage d’un état 1 à un état 2. Il se mesure par la transformation d’une entité organisationnelle sur l’une ou l’autre des dimensions suivantes: la vision de l’organisation, sa culture, sa structure, ses modes de management et/ou les hommes » (Watzlawick, 1975, p. 29). D’autre part, Crozier et Friedberg (1977) postulent que « le changement doit être considéré comme un problème sociologique, nous voulons dire que ce sont des hommes qui changent, que non seulement ils ne changent pas passivement, mais qu’ils changent dans leur collectivité : non pas individuellement, mais dans leurs relations les uns avec les autres et dans leur organisation sociale » (Crozie et Friedberg, p.379).

En ce qui concerne les organisations, nous pouvons remarquer, de plus, deux conceptions fondamentales du changement, celle de Chandler (Chandler, 1989; Godelier, 1998) et celle de Petrigrew (Petrigrew, 1987 ; Godelier, 1998).

Pour Chandler le changement ne se fait pas naturellement mais sous la pression de l’environnement, qui est donc une contrainte. Dans une phase de croissance et de bouleversement de l’environnement, l’entreprise sera exposée à des crises. Le changement peut aussi être une réponse à des avancées technologiques. Ces sont les industriels qui imposent le changement avec leur vision économique. Chandler peut être identifié au courant contingent dans la mesure où il relie le changement aux contraintes imposées par l’environnement et on constate une forme de déterminisme économique (Godelier, 1998).

La crise est conçue comme une rupture créatrice et le changement organisationnel est une condition pour que le changement stratégique réussisse, par conséquent les entreprises traversent des étapes marquées par des crises. Durant une période de temps, plusieurs modèles structurels peuvent coexister dans une entreprise, mais progressivement les anciennes structures doivent être éliminées.

Quant au rôle du manager, il est très important dans la pensée chadlerienne. Ce sont les managers qui détiennent le pouvoir d’initier le changement et de le conduire. Il distingue plusieurs catégories de managers mais ce sont seulement les managers supérieurs, ceux qui disposent de l’initiative et du pouvoir de changer, qui, en appliquant une stratégie, peuvent diriger le changement. La stratégie peut être séparée en deux phases qui se succèdent linéairement: la préparation et l’application.

Dans ce schéma, « on ne peut que constater la faible place laissée dans le changement aux autres salariés et aux syndicats. Chandler se justifie de deux façons: il les évoque (1988) mais conclut qu’ils n’ont eu que des influences indirectes sur les choix stratégiques des entreprises. Il admet par ailleurs ne pas avoir eu le temps de les analyser » (Godelier, 1998, p.26, en citant Mc Graw).

Chez Pettigrew, par contre, la stratégie est un processus incrémental, où décision stratégique et changement organisationnel sont pratiquement indissociables.

Le changement est construit autour de deux dilemmes: la survie et la régénération. Quand il y a crise, en général rare, les dirigeants peuvent éventuellement l’utiliser pour changer mais essentiellement le changement se déroule par régénération. Le changement n’est pas automatique mais dépend du contexte externe et interne de l’entreprise.

Ce qui est important, dans la conception de Pettigrew, c’est la capacité des managers de gérer les conflits et les négociations qui se déroulent dans et hors de la hiérarchie formelle, par conséquent la question du pouvoir est centrale.

Le leadership est un vecteur de changement parmi d’autres, car il y aura des acteurs qui voudront contrôler plus de moyens pendant le changement, d’autres tenteront de l’empêcher. Donc, il n’y a pas ici une vision de changement où les dirigeants décident et les autres

Page 37: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

37

appliquent, mais plutôt un degré de discussion, de négociation et de partage de responsabilités.

L’étude du changement s’articule autour de trois éléments reliés entre eux: le contexte, le contenu et le processus, comme on le verra (Pettigrew, 1987). La notion de processus est ici clé, c’est le processus qui est lui-même le changement et c’est dans ce cadre que la dynamique du pouvoir évolue.

Pettigrew rejette un déterminisme où l’environnement serait un ensemble de contraintes. « La crise ou les transformations extérieures ne suffisent pas à expliquer l’apparition du changement dans l’organisation. Il s’agit d’un processus interactif mettant en relation les multiples dimensions de l’environnement macro et micro-sociétal, et les composantes de l’entreprise, conçue comme un ensemble fermé » (Godelier, 1998, p.28). Le changement se concrétise dans la mesure où une stratégie alternative deviendra une force de débat et de proposition et est portée par suffisamment d’acteurs. Le rôle du leader consiste donc à mettre en œuvre des compétences d’analyse, de tactique mais aussi de négociation et de cristallisation de nouvelles stratégies et des structures alternatives. Le pouvoir des dirigeants est réparti entre les acteurs.

Notre approche sur le changement s’inscrit plutôt dans la lignée de Pettigrew.

De plus, dans le changement il y aura toujours une marge d’incertitude et d’ambivalence; on ne peut pas tout prévoir ni garantir l’atteinte de tous les objectifs prédéfinis dans la mesure où les enjeux changent et que des nouvelles contradictions apparaissent pour les acteurs au cours du temps. Il faut aussi accepter de le concevoir comme un processus de gestion de l’ambivalence (Perret, 1998).

Changements et rôle de la DRH

De même, deux notions théoriques sur le changement s’avèrent importantes à ce sujet : le rôle de la fonction ressources humaines au cours du changement et la nécessaire et difficile évaluation qu’on peut porter sur celui-ci.

En effet, le rôle de la fonction R.H. dans le changement -exercé essentiellement par la DRH- peut être divers. En suivant Delavallée (1999) on peut distinguer, au moins, deux rôles :

a) une première conception de la conduite du changement organisationnel qui peut se résumer à l’adéquation besoins/ressources ;

b) une deuxième, où la DRH n’est plus subordonnée au choix technique et adopte une attitude plus proactive, « parce que le facteur humain y est appréhendé comme le moteur du changement organisationnel, elle participe tout à la fois à l’émergence de solutions possibles, au choix d’une d’entre elles, et à la mise en œuvre de la solution retenue, sans que ces étapes ne soient pour autant complètement séquentielles » (Delavallée, 1999, p. 550).

La DRH peut jouer un rôle essentiel dans le domaine de la conduite du changement à condition qu’elle ait le pouvoir suffisant et que dans l’organisation l’individu soit considéré comme un véritable acteur. En partageant cette responsabilité avec d’autres directions fonctionnelles, soit la DRH peut participer au déclenchement du changement, en étant souvent mieux placé que les autres pour le faire ; soit elle peut participer en outre au pilotage du projet et à l’animation des processus qui structurent toute démarche de changement, ce qu’on appelle parfois l’accompagnement. « Pour répondre à ces sollicitations, voire pour les devancer et être force de proposition en matière de conduite de changement organisationnel, la fonction RH doit ainsi poursuivre son mouvement entamé de déspécialisation [d’une part, la GRH n’est pas une compétence exclusive des hommes de personnel, mais investit tous les centres de responsabilité d’une organisation ; et d’autre part, les hommes doivent posséder

Page 38: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

38

des capacités de compréhension des autres fonctions et du sommet stratégique]. Ce faisant, n’est-ce pas alors dans la conduite du changement organisationnel que la Gestion des Ressources Humaines, dans et en dehors des Directions Ressources Humaines, trouvera la véritable dimension stratégique à laquelle elle aspire légitimement ? » (Delavallée, 1999, p. 552). On y reviendra.

Quant à la possibilité et nécessité d’évaluer le changement, certains signalent que cela est pratiquement impossible ; d’autres postulent l’exigence de la reconnaissance de la pluralité des enjeux et des accords aboutis comme objectif réussi du changement. Dans la mesure où le processus de changement est conçu comme irrémédiablement marqué par la divergence d’intérêts, par la nécessaire négociation et le jeu de pouvoir des acteurs, l’évaluation du changement doit se fonder sur le principe de la « satisfaction conjointe d’intérêts divergents » (Pichault, 1993 ; 2000). Ici l’hypothèse de la congruence est rejettée, en tout cas sa forme pure.

C’est donc le management politique qui permet un modus vivendi dans lequel les intérêts des uns et des autres sont globalement rencontrés, le raisonement est en termes de contraintes à satisfaire et l’ensemble des acteurs se trouve, d’une manière ou d’une autre, « gagnant » au terme du processus. « C’est en effet lorsqu’un style de management politique est adopté que les chances de réussite, entendue ici comme la satisfaction simultanée d’intérêts contradictoires, sont les plus grandes… Nous avons montré qu’un style de management politique de ressources humaines, qui reconnaît d’emblée la pluralité des acteurs et la divergence de leurs intérêts, était de nature à augmenter les chances de réussite d’un projet par rapport à un style de management panoptique, qui poursuivait uniquement des objectifs de rationalisation au mépris des divers intérêts en présence » (Pichault, 1993, pp. 107-111).

5.- Déterminisme ou constructivisme?

De la présentation précédente, nous pouvons en déduire que le rationalisme et l’approche contingente se rapprochent du déterminisme ; par contre, l’approche politique s’identifie plutôt au constructivisme.

Le déterminisme est une conception selon laquelle les phénomènes naturels et les faits humains sont causés par leurs antécédents. « Elle tend à penser la réalité comme un vaste système où tout état de choses se déduit rigoureusement d’un autre ; elle bannit la contingence et le hasard, … » (Akoun et Ansart, 1999, p. 142).2

Le modèle déterministe, pour expliquer la réalité, repose sur un lien de causalité linéaire qui pourrait être isolé de toute influence et ainsi, par un rapport logique, identifier et résoudre sans faille le problème. Au niveau des organisations, il est utilisé la séquence environnement-stratégie-structure… comme logique explicative. Ce paradigme fournit ou fournirait un moyen simple, efficace et directement opérationnel pour résoudre les problèmes humains; mécanisme imprégné d’une logique d’exactitude, « scientifique ». Cela expliquerait le fait qu’il soit encore dominant dans le monde occidental. L’organisation est conçue comme un système qui existe en soi, détaché des hommes qui la composent et qui peut être étudiée empiriquement comme une chose.

Cependant, la complexité des problèmes humains montre, à travers les faits de la vie quotidienne, que le déterminisme est aujourd’hui un peu simpliste et insuffisant comme mécanisme d’analyse et d’explication.

2 A. Akoun et P. Ansart (sous dir.) (1999). Dictionnaire de sociologie, Ed. Robert/Seuil, Paris.

Page 39: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

39

D’après Landier, « la pensée déterministe et mécaniciste laisse place à une « science du chaos »; les raisonnements fondés sur la causalité linéaire laissent place à la théorie des systèmes et à l’exploration des systèmes complexes;

- la démarche analytique, qui consistait à « démontrer » la réalité en autant de parties « claires et distinctes » selon les principes formulés par Descartes, laisse place à une démarche « holistique » prenant en compte l’interdépendance des phénomènes et la non-séparabilité de ces « événements énergétiques » qui constituent la matière de l’univers;

- le rationalisme, au sens étroit du terme, montre ses limites; il n’y a pas de percée technologique sans un zeste de passion; il n’y aurait pas eu l’avion sans le rêve d’Icare; c’est la réhabilitation de l’intuition, du « cerveau droit », du rêve, de la qualité par rapport à la quantité » (Landier, 1991, p. 171). Pour cet auteur, nous assistons aujourd’hui à un changement de paradigme dans le management.

Le constructivisme postule que le réel n’existe pas séparé du sujet. La science est une construction mentale et ses lois conviennent à l’esprit humain, la science est ce que l’homme connaît en le construisant par ses actions; l’observateur est concepteur et modélisateur de la réalité, il se projette sur l’objet observé.

« Le constructivisme n’invente pas ou n’explique pas une réalité indépendante de nous. Il montre au contraire qu’il n’y a ni intérieur, ni extérieur, ni objet, ni sujet ou plutôt que la distinction radicale entre sujet et objet –à l’origine de la construction d’innombrables « réalités »- n’existe pas, que l’interprétation du monde en fonction de paires de concepts opposés n’est qu’une invention du sujet, et que le paradoxe débouche sur l’autonomie » ( Watzlawick, 1988, p. 354). Appliqué à la recherche en GRH, le constructivisme traite l’organisation comme une collectivité vivante, construite par des hommes cherchant à agir sur leur environnement pour en tirer des avantages ou atteindre un état plus satisfaisant. « Les dimensions pertinentes sont donc la détermination des finalités de l’entreprise (sa légitimité, ses frontières, ses pouvoirs), les pensées partagées et admises (artefacts) sur l’environnement et le fonctionnement de l’organisation, les actions sur le réel (pratiques observable) et interactions, l’évolution des pensées et des pratiques au cours de l’action. Le consensus social n’est pas postulé a priori, mais traité comme une occurrence socialement construite entre un groupe d’individus placés dans une situation commune, dotés d’une stratégie personnelle (but, vision du réel) mais de pouvoirs différents (juridique, statutaire, réel, d’information, de savoir, de savoir-faire) » ( Piganiol-Jacquet, 1994, p. 25). L’organisation est étudiée par l’entremise des décisions, des actions et des croyances des individus par rapport à l’organisation; l’organisation et son efficacité n’existent pas en soi, mais sont tributaires des choix des gestionnaires (Morin, Savoie et Beaudin, 1994).

En analysant la dynamique des acteurs dans le cadre de la relation de pouvoir, Bourgeois et Nizet ajoutent: « Le raisonnement [déterministe] est insuffisant, et même insatisfaisant. En effet, il laisse supposer que les conditions influencent le choix de l’acteur de manière directe, immédiate. Il ne laisse pas place à l’idée selon laquelle l’acteur peut percevoir, il peut se représenter ces conditions de différentes manières. … Le concept de représentation désigne les constructions mentales qu’un sujet élabore à propos d’une situation spécifique. Ces constructions sont élaborées dans une situation donnée et sont finalisées par la tâche et la nature des décisions à prendre… » (Bourgeois et Nizet, 1995, p. 77-79).

Or, entre les extrêmes du déterminisme et du constructivisme, il y a lieu à une posture consciente de la relative liberté des acteurs mais dans le cadre limité des organisations et en considérant la gestion comme une discipline finalisée.

Page 40: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

40

II.- LE MANAGEMENT ET L’EMERGENCE DE LA GRH : UNE CONSTRUCTION SOCIALE ET HISTORIQUE

Dans les années 80 est réapparue avec force la critique du capitalisme industriel, du taylorisme. Plusieurs facteurs confluent et expliquent ceci.

Au niveau du contexte économique, dès les crises du pétrole et économique de 1972-73, une crise structurelle s’installa en Europe occidentale avec seulement une certaine reprise à la fin des années 80 et au début des années 90. Une restructuration économique profonde voit le jour avec ses délocalisations, ses fermetures, ses restructurations, ses licenciements et, donc, ses chômeurs.

Le coût de la main d’œuvre des pays de l’Europe occidentale plus l’apparition des nouveaux concurrents avec des nouveaux produits, à moindres coûts et parfois même de meilleure qualité dans le marché mondial, complètent les contraintes.

L’arrivé en force des Japonais en Occident avec leurs niveaux de productivité, la qualité de leurs produits et leur type de management éblouissent les Occidentaux et alarment les Américains. Des gourous du management nord-américain tels que Peters et Waterman (1983) commentant les performances de Sony et Matsushita installées alors au cœur des E.U. signalent: « En l’espace de cinq ans, sans changer véritablement la main-d’œuvre du Midwest américain, la poignée de cadres supérieurs japonais a réussi à ramener les coûts de réparation sous garantie de 22 millions à 3,5 millions de dollars, à diminuer le taux des défauts de fabrication pour cent postes de 140 à 6, à réduire les réclamations survenant dans les quatre-vingt dix jours après la vente de 70% à 7%, et à ramener la rotation du personnel de 30% à 1% par an » ( Peters et Waterman, p. 59). Et en citant Fortune ajoutent : « Ils excellent dans la qualité des finitions, des portes qui ne gauchissent pas, des matériaux qui sont beaux et résistent bien, et une peinture sans défaut. Le plus important, c’est que les voitures japonaises ont acquis une réputation de fiabilité, justifié par le taux, généralement faible, de réclamations sous garantie qu’elles connaissent » ( Peters et Waterman, 1983, p. 57). Un autre économiste américain, W. Ouchi (1982), relève: « Nous savons que le taux de la productivité du Japon a été de quatre cents pour cent supérieur à celui de l’Amérique de l’après-guerre » ( Ouchi, p. 14), et propose d’étudier à fond le management japonais, d’en tirer des leçons et d’adapter ses techniques managériales à la réalité américaine, de développer avec force un nouveau management nord-américain, lui-même fait cette démarche et propose sa Théorie Z.

La sortie de la crise devait passer invariablement par un allégement des coûts de l’entreprise - modération salariale, réduction des charges sociales et de la fiscalité-, l’assainissement des finances publiques, la flexibilisation du marché du travail, la réduction des contraintes administratives, etc. Dans ce contexte, le discours et la pratique patronales se radicalisent ; ils deviennent de plus en plus néo-libéraux. Face à un acteur patronal de plus en plus offensif, les syndicats adoptent une attitude de plus en plus défensive et la concertation sociale s’affaiblit (Vandewattyne, 1998).

Au niveau politique, c’est la période du triomphe du néo-libéralisme incarné par Thatcher en Angleterre et Reagan aux Etats Unis. En Amérique Latine les années 80 correspondent à la fin des dictatures militaires, au lent et difficile retour à la démocratie et à la forte installation du modèle néo-libéral partout, dont une de ses plus fortes expressions est le taux de privatisations dans l’économie, le plus fort de toutes les régions du monde.

En 1989, la chute du mur de Berlin et l’effondrement des régimes communistes de l’Est Européen font perde la bipolarité politique du monde et l’hégémonie capitaliste se consolide dans le monde. Le courant socialiste Européen résiste tant bien que mal à ce changement du

Page 41: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

41

tableau mondial. Les accords au niveau du GATT, par exemple en 1993, justifient et sanctionnent la victoire des partisans du libre échange, de la mondialisation de l’économie. Dans ce contexte on essaye de construire une unité Européenne, performante au niveau économique et équitable au niveau social.

Le discours qui accompagne ce changement insiste sur le fait qu’il faut s’adapter à cet environnement, l’entreprise s’adapte ou périt, mais cet environnement apparaît systématiquement comme une donnée exogène et ingérable auquel il faut se soumettre, comme s’il s’agissait d’un fait naturel.

Au niveau des modèles et des techniques managériales, à partir des années 80, les innovations conceptuelles et techniques se multiplient à une vitesse vertigineuse. A peine un concept commence-t-il à se faire connaître qu’un autre apparaît. Un discours principal est constamment martelé, celui de la critique de l’entreprise pyramidale et bureaucratique, trop « rigide » et peu compétitive. La bureaucratie est critiquée, la hiérarchie rejetée ; « la hiérarchie est une forme de coordination à bannir tant qu’elle repose sur une domination ; cette fois il ne s’agit pas seulement de libérer les cadres mais tous les salariés…Les motifs invoqués pour justifier cette charge antihiérarchique sont souvent d’ordre moral et participent d’un refus plus général des rapports dominants-dominés. Elles sont aussi rapportées à une évolution inéluctable de la société : les hommes ne veulent plus être commandés ni même commander » (Boltanski et Chiapello, 1999, p. 112).

L’entreprise idéale est recherchée; il faut apprendre des japonais et les dépasser. Dès la fin des années 70, l’entreprise japonaise est présentée comme un modèle d’excellence et, servant de guide, elle a fourni bon nombre de concepts qui ont marqué le management et les entreprises. En peu de temps, le vocabulaire managérial s’est enrichi d’une quantité énorme des nouveaux termes : culture d’entreprise, compétences, projet d’entreprise, juste à temps, cercle de qualité, qualité totale, normes ISO 9000, certification, structure ad hoc, reengineering, entreprise qualifiante, gestion des connaissances, gestion des ressources humaines, etc.

Vandewattyne résume et compare cette innovation managérial en trois vagues. La première vague, au début des années 80, est celle de la culture d’entreprise, du management participatif et de la gestion des ressources humaines. Autrement dit, celle des projets et chartes d’entreprises, des cercles de qualités et de l’arrivé du directeur des ressources humaines aux entreprises. Des auteurs tels que Peters et Waterman, Ouchi, Deal et Kennedy, Pascale et Athos, parmi d’autres, peuvent être cités comme des champions du renouveau managérial.

Une deuxième vague est celle de la qualité totale. Elle se traduit par la montée en puissance de nouveaux outils de gestion dont les normes ISO 9000. D’autres théoriciens, tels que Deming, Juran et Ishikawa, se mettent en évidence.

Une troisième vague, plus radicale, peut être identifiée par le concept de reengineering, développé par James Champy et Michael Hammer (1993, 1995) (Vandewattyne, 1998).

D’après Aubert et de Gaulejac, la logique de la sociologie industrielle, influencée par la théorie marxiste, qui analyse l’entreprise comme une instance de reproduction des antagonismes de classes structurés au niveau socio-économique par la contradiction capital/travail, donc de reproduction de la division sociale du travail, est substitué par la logique managériale. Les notions d’exploitation, de lutte de classes, de domination et aujourd’hui, des inégalités sociales, sont plutôt « oubliées ».

Un nouveau discours idéologique et théorique émerge avec force. La logique du capitalisme managérial vise à dissoudre la contradiction capital/travail par un double renversement : « ce n’est plus le travailleur qui est exploité puisqu’il est invité à travailler pour lui-même, à devenir son propre patron, à devenir son propre actionnaire ; parallèlement, le capital tend à

Page 42: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

42

se dissoudre dans l’organisation. Ce n’est plus la possession du capital qui donne le contrôle sur l’entreprise, c’est la maîtrise de l’organisation qui permet de contrôler le capital …Alors que, dans le système capitaliste classique, c’est le capital qui confère le pouvoir sur l’organisation, on assiste actuellement au phénomène inverse : l’organisation s’approprie son capital en mettant en place un certain nombre de dispositifs… :- la dissociation dans les grandes entreprises privées entre la détention de la propriété et l’exercice du pouvoir ; -la généralisation de la propriété auto-contrôlée ; - la technocratisation du pouvoir ; - la montée du capital financier » (Aubert et de Gaulejac, 1991, pp. 40-41).

Tandis que dans les décennies antérieures, on valorisait une économie moderne fondée d’une part sur des entreprises qui utilisent les techniques du management (américain) le plus récent et d’autre part sur un Etat qui pratique une planification souple (rôle compris comme complément nécessaire à la vie des entreprises), aujourd’hui on critique ce même Etat comme étant bureaucratique et un obstacle au nécessaire flexibilité des marchés, notamment du travail, et des entreprises. « La lutte menée dans les années 90 a donc pour objet d’éliminer en grande partie le modèle d’entreprise forgé à la période antérieure, d’une part en délégitimant la hiérarchie, la planification, l’autorité formelle, le taylorisme, le statut de cadre et les carrières à vie dans une même firme et d’autre part, en réintroduisant des critères de personnalité et l’usage des relations personnelles qui en avaient été évacuées » (Boltanski et Chiapello, 1999, p.133). La sécurité (de travail et de vie) n’est plus à l’ordre du jour ; l’apologie du changement, du risque et de la mobilité se substitue alors à l’idée de sécurité ; le nouveau discours managérial exalte la créativité, la flexibilité, l’autonomie, l’employabilité, la pluricompétence, la disponibilité, la convivialité, l’intuition visionnaire, la sensibilité aux différences, l’attrait pour l’informel, l’écoute par rapport au vécu, etc. « en mettant l’accent sur la polyvalence, la flexibilité de l’emploi, l’aptitude à apprendre et à s’adapter à de nouvelles fonctions plutôt que sur la possession d’un métier et sur des qualifications acquises, mais aussi sur les capacités d’engagement, de communication, sur les qualités relationnelles, le néomanagement se tourne vers ce que l’on appelle de plus en plus souvent le « savoir-être », par opposition au « savoir » et au « savoir-faire » ( Boltanski et Chiapello, p. 151).

Dans ce contexte, la gestion des ressources humaines (GRH) prend un nouvel élan et réapparaît comme une discipline avec une plus grande importance et une évolution inégalée auparavant.

Cependant, il ne faudra pas oublier non plus la longue marche parcourue et les importants apports depuis les premiers théoriciens de l’école classique, tels que Taylor, Weber, Fayol ; l’école des relations humaines avec Mayo, Maslow, Mc Gregor, etc. ; l’école des systèmes avec Von Bertalanffy, etc. jusqu’aux toutes nouvelles théories imprégnées, en général, par cette nouvelle approche.

Il nous semble non nécessaire, pour notre type d’étude, de s’étendre sur le long développement historique de cette discipline, raison pour laquelle on se limite à ce bref rappel.

Cependant, ce qui est important c’est de relever que les théories managériales actuelles ont aussi été construites dans un contexte historique bien déterminé par des acteurs avec des intérêts concrets, par conséquent, démunis d’une neutralité à toute épreuve.

III.- LES THEORIES ET LES MODELES

Page 43: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

43

L’approche contructiviste nous permet de prendre en compte la diversité, la multiplicité de facteurs ou variables du contexte et l’action des acteurs. Cette approche devient donc pluridimensionnelle et nous faisons appel à plusieurs modèles théoriques. Nous nous écartons de la conception universaliste qui prône la « best » théorie ou les « best practices » applicables partout et dans n’importe quel contexte.

Dans la mesure où notre objet d’analyse sont des phénomènes sociaux dans des entreprises, nous sommes obligés de nous éloigner des positions extrêmes et nous optons plutôt pour une perspective constructiviste raisonnée ; donc nous rejetons tant un déterminisme mécaniciste qu’un constructivisme absolument relativiste.

Par conséquent, lors de notre revue de la littérature les modèles théoriques seront présentés, dans un premier temps, dans une perspective contingente, c’est-à-dire sous l’approche de l’influence du contexte sur les organisations. Cependant, dans un deuxième temps, l’analyse traitera l’action des acteurs concernés dans ces changements.

Les modèles théoriques présentés (chacun comportant des multiples variables) doivent être compris comme des « idéaux-types », dans le sens de Weber ; ce sont des prototypes théoriques qui nous aident à saisir et à analyser la réalité observée, sans que pour autant on les retrouve identiquement dans la réalité. Si nous utilisons plusieurs modèles théoriques, c’est parce que nous croyons qu’il n’y a pas une seule façon de concevoir ni d’appliquer le management et la gestion des ressources humaines.

Nous utilisons et simplifions les propositions théoriques de Pichault et Nizet explicitées dans Comprendre les organisations. Mintzberg à l’épreuve des faits (Nizet et Pichault, 1995) et notamment Les pratiques de gestion des ressources humaines (Pichault et Nizet, 2000), basées, à leur tour, sur une analyse revisitée de Mintzberg.

Ces auteurs établissent un rapport cohérent entre les pratiques de GRH et certaines variables du contexte externe et interne des organisations, plus exactement, une interrelation avec le marché du travail, le marché des biens et services, les valeurs culturelles, etc. (contexte externe) ; les configurations organisationnelles, les stratégies d’entreprise (contexte interne). Dans une logique contingente, les modèles de pratiques de GRH pourraient se comprendre comme la variable dépendante de la modélisation proposée, influencée donc par les variables des contextes.

Au total, ces auteurs proposent cinq modèles de pratiques de GRH, à savoir: le modèle arbitraire, le modèle objectivant, le modèle conventionnaliste, le modèle individualisant et le modèle valoriel, reliés aux variables du contexte externe et interne respectivement. Chaque modèle de GRH est décrit, à son tour, sur base de 11 variables, à savoir : entrées d’effectifs, départs d’effectifs, intégration et culture, formation, évaluation, promotion, rémunération, temps de travail, communication, participation, relations professionnelles (Pichault et Nizet, 2000, pp. 113-166).

Or, en ce qui concerne le contenu, tout en se basant sur ces auteurs, nous simplifions leur modèle des pratiques de GRH et nous ajoutons, en plus, l’analyse des rôles des DRH et des modèles de management. De même, en ce qui concerne le contexte (externe et interne) nous retiendrons certaines variables et nous ajoutons d’autres variables estimées pertinentes pour le sujet.

Comme évoqué au début de ce chapitre, nous analyserons les différents modèles théoriques dans le cadre de deux concepts-clés de l’approche contextualiste : le contenu et le contexte (voir Fig. 1)3 .

3 Une explication détaillée de l’approche constructiviste et de cette figure sera faite dans les chapitres III et IV.

Figure 1

Influences des contextes externe et interne sur GRH, DRH et M.

Contexte externe : • Marché de biens et services • Modèle de relations professionnelles et système politique

Page 44: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

44

1.- LE CONTENU :

Dans le contenu, nous proposons trois importants groupes de variables, à savoir :

• les pratiques de gestion des ressources humaines (GRH),

• les rôles des directions de ressources humaines (DRH), et

• les modèles de management (M).

1. 1.- LES PRATIQUES DE GESTION DES RESSOURCES HUMAINES (GRH)

Pour notre propos, nous retiendrons seulement trois de ces modèles de pratiques de GRH, à savoir : le modèle objectivant, le modèle conventionnaliste et le modèle individualisant. Dans chacun des modèles, sept variables sont choisies, à savoir : entrées d’effectifs, départs d’effectifs, formation, évaluation, promotion, rémunération et relations professionnelles.

Ces choix tiennent à plusieurs raisons. En ce qui concerne les modèles, d’abord, nous voulons simplifier le cadre d’analyse pour pouvoir a posteriori tester plus adéquatement les variables; deuxièmement, parce qu’il n’est pas nécessaire d’utiliser les modèles arbitraire et valoriel référés à des réalités fort différentes de celles des grandes entreprises modernes et de haute technologie, objet de notre étude. Quant aux choix des variables de GRH, nous choisissons que sept variables parce que celles-ci s’avèrent parmi les plus importantes et les plus

Page 45: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

45

sollicitées lors des analyses de GRH (Meignant, 2000), d’autre part, parce qu’elles sont les plus pertinentes pour notre étude.

Ces variables seront exposées plus en détail dans le cadre d’analyse (Ch. III). Nous nous limiterons ici seulement à quelques observations générales et à compléter quelques variables.

Le modèle objectivant est caractérisé par une tendance à l’application des critères impersonnels, uniformes, dans les diverses dimensions de GRH, assimilés principalement à l’entreprise taylorienne, hiérarchisée et bureaucratique.

Le modèle conventionnaliste caractérisé par l’utilisation des critères qui sont aussi uniformes mais plus négociés entre les acteurs, donc sujets à certaine flexibilité, leurs membres maîtrisant plus les techniques modernes de GRH ; modèle qui peut être assimilés à des grandes organisations modernes, dont leurs structures peuvent être un mélange de divisions spécialisées avec une autonomie relative.

Le modèle individualisant est axé sur l’individualisation et la flexibilisation des pratiques de GRH, en utilisant des critères non uniformes mais plutôt variés, même « contradictoires », dans les pratiques de GRH; il est identifié à l’entreprise moderne, changeante et flexible, de préférence sans accords formels entre les acteurs sociaux.

Ces modèles des pratiques de GRH sont corrélés, en principe, avec différents types de management. Dans ce sens, le modèle individualisant se retrouvera normalement plus corrélé avec le management instrumental. Le fait que celui-ci soit plus présent actuellement ne signifie pas que les autres modèles n’existent pas. Il nous semble que certaines techniques de GRH de l’abondant arsenal technique moderne, la plupart appartenant à ce modèle, peuvent aussi être utilisées dans le cadre d’autres approches managériales. Dans ce sens, il nous semble nécessaire de relever quelques notions supplémentaires non mentionnées par Pichault et Nizet mais utiles à cette étude, à savoir: le coaching, l’empowerment, la gestion des compétences, l’organisation qualifiante, la gestion des connaissances et le bilan social.

Le coaching : signifie développer des capacités d’accompagnement et de supervision permettant d’établir des relations efficaces, respectueuses et équitables avec les subordonnés, elle est appliquée aujourd’hui même au top management. Cette pratique est née dans les années 80, liée aux exigences de la performance d’entreprise, d’une part, et à la nécessité, d’autre part, de développer des capacités managériales « humaines » et pas seulement techniques. Actuellement, cette pratique ne concerne pas seulement la sphère économique et des entreprises mais elle se répand dans plusieurs autres domaines tels que le monde sportif, artistique, etc. Leur finalité consiste théoriquement à aider l’individu, volontairement, dans sa réalisation professionnelle.

« Le coaching, un moyen de formation qui gagne en popularité (Foucher, 1997), exprime la relation qui s’établit entre l’employé et son supérieur immédiat à l’intérieur d’un cycle de gestion du rendement. Avec la technique du coaching, le supérieur hiérarchique (le coach) aide l’employé sous sa direction à apprendre de ses expériences professionnelles. La communication, la collaboration, le respect mutuel, l’encouragement, le soutien individuel et la rétroaction sont les ingrédients essentiels à la réussite du coaching et au développement du savoir-faire de l’apprenant » (St-Onge, Audet, Haines et al., 1998, p. 282). Ces auteurs citent une étude menée auprès de 342 personnes relevant 20 responsabilités du coach envers son personnel. « Ce sont, par ordre d’importance, les suivantes : 1)- Créer un esprit d’équipe ; 2)- Favoriser l’autonomie ; 3)- Savoir écouter et comprendre ; 4)- Faire participer son personnel ; 5)- Soutenir son personnel lors de difficultés ; 6)-Responsabiliser chacun vis-à-vis d’un mandat ; 7)- Maintenir à jour les compétences ; 8)- Considérer les membres du personnel comme des partenaires ; 9)- Valoriser la contribution de chacun ; 10)- Faciliter le développement ; 11)- Faciliter le rendement ; 12)- Reconnaître de façon tangible le

Page 46: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

46

rendement ; 13)- Agir comme modèle ; 14)- Définir un mandat précis pour chacun ; 15)- Affronter les employés difficiles ; 16)- Etablir une communication bilatérale ; 17)- Donner une rétroaction négative aux employés sans le brimer ; 18)- Préciser les attributs des mandats confiés ; 19)- Faire participer le personnel à l’entretien d’évaluation du rendement ; 20)- Effectuer un suivi régulier du rendement » (St-Onge, Audet, Haines et al., pp. 347-348).

L’empowerment 4: c’est l’art de responsabiliser ou de distribuer le pouvoir. « Technique ou énoncé qui consiste à permettre à chacun de s’approprier son travail, de prendre des décisions à son niveau, d’être évalué sur ses résultats. L’empowerment permet d’affronter l’évolution de l’entreprise en donnant à chacun le pouvoir d’agir pour aider l’entreprise dans l’attente de ses résultats » (Cabin, 2000, p. 389). De nombreux auteurs attribuent la véritable origine de ce courant à Mary Parker Foller, sociologue américaine des années 1920-1930. Elle proposait une autre notion et pratique du pouvoir ; au lieu d’utiliser le « pouvoir sur », c’est-à-dire, appliquer le pouvoir d’une personne sur une autre personne ou groupe, il était possible de développer la notion du « pouvoir avec », c’est-à-dire un pouvoir organisé en commun, un pouvoir coactif et non coercitif. A l’époque ces idées ne se sont pas propagées auprès du grand public, mais depuis la fin des années’80, ce courant émerge à nouveau car l’environnement socio-industriel a changé et il existe aujourd’hui de fortes pressions sur les organisations concernant leur rentabilité, de la concurrence accrue, le besoin d’une meilleure attention aux clients.

L’empowerment doit être compris comme la délégation de l’autonomie de la gestion des tâches ; ainsi il est plus pertinent de s’appuyer sur les individus constitués en équipes réunissant de multiples connaissances leur permettant d’assumer la responsabilité collégiale d’un processus, d’un produit ou d’un service (Lapière et Libert (L’équipe), 2002). Mais donner de l’autonomie c’est renoncer aussi à une partie du pouvoir, ce qui interpelle souvent les chefs qui, précisément, ont des difficultés à le partager. Par conséquent, une condition importante de ce mode de gestion est l’authenticité du dirigeant quant à sa pratique, l’exigence d’une certaine confiance dans leurs collaborateurs et d’être sincère et vrai quant au partage du pouvoir.

La gestion des compétences peut être comprise soit comme un simple dispositif de contrôle du travail des employés, soit comme un véritable dispositif de développement des compétences adéquates et validées par l’organisation. D’après Zarifian (1999) « la compétence est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur les situations professionnelles auxquelles il est confronté » (Zarifian, p. 70). « La compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des connaissances acquises et les transforme, avec d’autant plus de force que la diversité des situations augmente » ( Zarifian, p. 74). Pour Paradeise et Lichtenberger : « Le « modèle de la compétence » repose sur l’engagement et la mobilisation des salariés et valorise la coopération, l’autonomie et la responsabilité » (Paradeise et Lichtenberger, 2001, p. 33). Par conséquent, les exigences envers les salariés sont de mobilisation contre la conformité ; d’autonomie et interdépendance contre la subordination et l’isolement, et de confiance contre le contrôle bureaucratique.

Il est clair que cette démarche met à dure épreuve l’organisation dans la mesure où elle est incompatible et irréalisable dans une organisation figée ou sous un management autoritaire. De même, elle présente d’autres contradictions ou problèmes à résoudre. Puisqu’il y a de l’initiative, de la responsabilité, de l’apprentissage collectif, il y aura donc une plus grande prise du pouvoir et il n’est pas toujours évident que la haute direction soit prête à le partager.

Sur la compétence sociale et le savoir-être tant sollicités actuellement, il peut y avoir deux approches différentes. Celle qui met l’accent sur les traits de personnalité et les aptitudes de

4 En espagnol, empoderamiento ; en français, délégation des responsabilités, responsabilisation ou habilitation.

Page 47: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

47

l’individu et dont leur évaluation devient très compliquée et subjective ; soit celle qui met l’accent sur le comportement et les attitudes, c’est-à-dire sur la manière dont un individu appréhende son environnement « en situation » et la manière dont « il se comporte », dans ce cas l’évaluation est référée à l’action réalisée. La première approche étant si chère au monde anglo-saxon ; la seconde, d’après Zarifian, « est la seule à avoir une relation valable avec la logique de compétence ».

L’organisation qualifiante c’est la conjonction de trois propriétés importantes: « une organisation qui puisse répondre aux exigences de la compétitivité économique, une organisation qui détienne un pouvoir formateur explicite et reconnu, une organisation de la gestion de l’emploi et des compétences » (Parlier, Perrien et Thierry, 1997, p.5). Pour ces mêmes auteurs, les caractéristiques de l’organisation qualifiante sont au nombre de quatre : 1)- la première est d’être plus riche en contenu ; 2)- une deuxième est d’être plus éducative ; 3)- une autre est d’être plus autonome ; 4)- la quatrième est d’être plus compétitive. Or, ceci comporte des conséquences importantes du point de vue du management des ressources humaines. La mise en œuvre d’une organisation qualifiante remet en cause l’ensemble de la ligne managériale, notamment dans les quatre domaines suivants : la réduction du nombre des échelons hiérarchiques ; la redistribution des capacités de décision au plus près du terrain ; le partage des pouvoirs avec les opérateurs ; le tutorat (Parlier, Perrien et Thierry, 1997).

Pour Cadin et Amadieu une organisation qualifiante repose sur cinq dimensions : « une organisation conçue en fonction des compétences présentes des personnes qu’elle emploie ou recrute et de manière à les développer continûment grâce aux situations qu’elle aménage et aux dispositions d’apprentissage qu’elle comporte ; une organisation qui a un potentiel d’utilisation des compétences... ; une organisation construite pour évoluer en fonction des compétences… ; un système de salaire et de carrières fondés sur les compétences acquises et non sur les postes ou fonctions occupées ; un accord explicite, rendu possible par une distribution des avantages, et auquel les syndicats peuvent souscrire » (Cadin et Amadieu, 1997, p. 38). D’autre part, Boltanski et Chiapello (1999) ajoutent qu’on peut voir dans le thème de l’« organisation qualifiante » une tentative pour faire passer le développement de l’employabilité du statut d’ « objectif social » à celui d’ « enjeu économique » .

La gestion des connaissances (Knowledge management), est une autre des nouvelles notions qui prend de l’importance puisqu’elle passe progressivement d’une logique centrée sur l’outil de production à une logique de valorisation des savoir-faire de l’entreprise, du capital connaissance de l’organisation.

La gestion des connaissances devient un élément structurant de l’organisation dans la mesure où l’entreprise évolue sur base de sa capacité à codifier, disséminer et enrichir sa connaissance collective en permanence ; elle devient l’outil le plus puissant dont une entreprise dispose aujourd’hui pour se différencier, pour être plus compétitive. Il faut savoir déterminer les compétences clés et différenciantes de l’organisation et développer la production ou les services, leur efficacité, en fonction des atouts qu’on possède. « Les outils traditionnels du management sont à mon sens partiellement inadaptés pour faire face aux évolutions à venir. Ils ne peuvent plus suffire à gérer les changements et anticiper des besoins ou des marchés, par nature de plus en plus volatiles. Rendre pérenne les savoir-faire, c’est modifier en profondeur les modes d’organisation et de fonctionnement pour permettre aux acteurs une toute autre flexibilité » (Bück, 1999, p. 44).

Il est nécessaire de créer les conditions d’une culture du partage, de la collaboration, d’une transparence entre acteurs, par la mise en place d’un management des savoir-faire et des compétences au profit d’une collectivité d’intérêts. Ceci oblige donc de changer les systèmes organisationnels centrés sur le pouvoir hiérarchique et le statut, pour favoriser l’émergence de structures plates. Ce qui importe n’est plus le pouvoir en tant que tel, mais la valeur d’utilité

Page 48: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

48

des savoir-faire individuels et collectifs, ce qui nous renvoie à une autre forme de gestion des ressources humaines. « Le management des savoir-faire est par ailleurs d’une logique plus large que la simple gestion des ressources humaines, fût-elle prévisionnelle ou anticipée…Le véritable capital de chaque organisation ne sera plus financier ou patrimonial, mais bel et bien représenté par le savoir-faire utile dans l’action, permettant ainsi la formation de valeurs additionnelles, perçues comme uniques par le client potentiel » (Bück, 1999, p. 45). La pérennité et l’efficacité des entreprises sont intimement lié à la gestion des connaissances, « certaines entreprises ont déjà des systèmes particulièrement élaborés, comme la méthode REX (retours d’expériences) pour le CEA, MACH2 pour EDF, ASTEL pour France Télécom … » (Bück, p. 43).

Le bilan social (ou rapport social) est un autre outil important pour la GRH. « Document de synthèse qui récapitule les principales données chiffrées permettant d’apprécier la situation sociale de l’entreprise. Il est établi annuellement [en France] pour les entreprises ou les établissements de plus de trois cents salariés. Les informations sont transmises aux actionnaires et à l’inspection du travail après avis consultatif du comité d’entreprise» (Plane, 2000, p. 115). Tant en France qu’en Belgique celui-ci est rendu obligatoire par la loi.

Ces techniques - certaines nouvelles, d’autres pas tellement-, sont souvent identifiées au modèle individualisant de la GRH et au management instrumental, cependant certaines, telles que la gestion de connaissances, le bilan social, etc., peuvent être associées parfaitement à d’autres modèles managériaux et de GRH, tels que le modèle conventionnaliste. On y reviendra.

Le modèle individualisant de GRH prôné avec force actuellement comme les « best practices » par un certain type de management, n’est pas la seule gestion efficace et moderne. Il nous semble qu’il s’agit plutôt d’un choix managérial. Brabet (1993) a relevé aussi trois modèles de GRH, à savoir : le modèle instrumental, le modèle d’arbitrage managérial et le modèle de la gestion des contradictions ; ici le modèle de gestion des contradictions peut être aussi considéré comme un type de management nouveau et nécessaire dans un contexte complexe, concurrent et changeant comme l’actuel (Brabet, 1993, Ch. III ; Piganiol-Jacquet, 1994, pp. 28-37).

Nous avons aussi complété la variable relations professionnelles, en utilisant la typologie de Crouch (Crouch, 1993 ; Visser, 1996) décliné sur trois modèles de relations professionnelles que nous analyserons plus loin. Ce choix se justifie dans la mesure où dans les sociétés belge (et Européennes en général) et chilienne, la présence des organisations syndicales est une réalité évidente dans les entreprises ; même dans des entreprises flexibles et individualisantes. Si bien le modèle individualisant de GRH suppose habituellement l’absence du partenaire syndical (ce qui peut être vrai aux Etats-Unis), le fait est qu’en Europe, en général les organisations syndicales existent et il est impossible les ignorer au moment de s’attaquer aux problèmes sociaux et économiques. En incorporant plus largement cette variable dans notre cadre de recherche, il nous semble répondre à une exigence de la réalité dont nous voulons analyser.

1. 2.- LES DIFFERENTS ROLES OU TYPES DE DIRECTION DES RESSOURCES HUMAINES (DRH).

Nous avons voulu proposer et utiliser une typologie des rôles des DRH. Dans cette perspective, d’abord nous présentons un diagnostique de la situation actuelle des DRH. Deuxièmement, nous analyserons diverses propositions théoriques de différents auteurs sur les rôles des DRH.

Page 49: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

49

Dans le future

Figure 2

Clarification des fonctions de R.H.

1. 2. 1.- TENDANCES ET ATTENTES DES DRH

Si nous auscultons la réalité actuelle quant au nombre des effectifs -et par conséquent des coûts- du personnel du département des ressources humaines (DRH), quelques caractéristiques dominantes se dégagent.

Une enquête réalisée par la CEGOS (France) auprès de 145 entreprises de cinq grands secteurs tels que la métallurgie, la chimie, la banque-assurance, les services et autres industries (Rios et Gautier, 1996), a constaté que l’effectif du département RH représente en moyenne 1,8 % de l’effectif total de l’entreprise. Dans les entreprises de moins de 5.000 personnes, l’effectif RH reste proche de 1,8 % (1 : 56), tandis qu’au-delà de ce nombre le ratio s’élève à 2,4%. Quant aux activités de la fonction RH, l’activité de la paie et d’administration occupe 43% de l’effectif total de RH, étant de loin l’activité la plus importante; la deuxième activité la plus importante est la formation, en utilisant 14% de l’effectif total RH.

Par ailleurs, entre 1990 et 1993, chez Hewlett-Packard (E.U.), le ratio professionnels RH : employés a changé de 1:53 à 1:80 et il est souhaité que ce ratio soit de 1:100 en 1996 (Ulrich, 1997). En général, note Peters, « pendant la décennie passée, dans la mesure où une entreprise après une autre avait diminué leur organisation, la profession des ressources humaines était minée par le concept des ratios des ressources humaines … La proportion de 1: 50 est passé successivement à 1:100, à 1:150, à 1: 250 [0,4%], etc. » (Peters, 1998, p. 270).

« Selon une récente enquête de la Conférence Board du Canada, le ratio moyen d’embauche est de 8 professionnels en ressources humaines pour 1000 employés, soit 8: 1000. Toutefois, ce ratio décroît avec la taille des entreprises: il s’élève à 17:1000 dans les petites entreprises … et à 5,6:1000 dans les très grandes entreprises » (St-Onge, Audet, Haines et al., 1998, p. 48). Nous observons donc une tendance à une forte diminution du nombre d’effectifs de la DRH. De même, la tendance remarquée dans certaines entreprises à l’externalisation de diverses fonctions de R.H., notamment les tâches administratives, le recrutement et la sélection, la formation, la rémunération, le marketing, etc. S’ajoute la forte incorporation des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) dans toute l’organisation, donc dans les DRH.

Dans la redéfinition du rôle de la DRH chez Amoco Corporation (E.U.) leur Vice-président de R.H. signale que cette compagnie voulait même changer la façon dont s’employait le temps dans le service RH. « Le défi pour réaliser ce changement dans la répartition du temps (plus stratégique, consultatif et de développement au lieu d’orientation/administration de l’exécution) dépend fondamentalement du fait de changer une série d’aptitudes et de compétences du personnel de ressources humaines. Pour cela, nous nous concentrerons sur des aires très concrètes de responsabilités des ressources humaines » (Ulrich, Losey et Lake, 1998, p.169) (notre traduction). Aujourd’hui, Amoco emploie 65 % du temps dans des activités d’exécution et de l’administration et seulement 10% du temps dans des activités de planification stratégique des ressources humaines. Par contre, à l’avenir elle veut utiliser seulement 25% de son temps dans des activités d’exécution et de l’administration et 25% dédiés à la planification stratégique des RH, comme le montre la Figure 2 repris du même auteur.

Page 50: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

50

D’après une enquête de CEGOS (France) (Rios et Gautier, 1996), les domaines de préoccupation ou d’activités prioritaires des DRH, pendant les trois dernières années, avaient été les suivants:

- gestion de la formation,

- gestion des emplois et des compétences,

- gestion des rémunérations,

- évaluation du personnel,

- traitement social des restructurations.

D’autre part, une étude conduite par le cabinet Anderson Consulting auprès de 200 dirigeants de grandes entreprises françaises, signale que « le facteur humain est aujourd’hui identifié et reconnu comme le premier frein au changement… » et parmi les préoccupations principales « la conduite du changement arrive en tête des préoccupations des DRH, toute tailles d’entreprises confondues » (Delavallée, 1999, pp. 527-528).

Face au contexte de changement beaucoup d’auteurs (des théoriciens ou des praticiens) proposent le changement de la DRH vers de nouveaux rôles, notamment celui de partenaire stratégique (Ulrich, 1997; Ulrich, Losey et Lake, 1998; St-Onge, Audet, Haines et al., 1998; Wils, Labelle et Guérin, 2000). En effet, d’après une enquête réalisée par la société ASTER (France), en 1998, auprès de 80 DRH de grandes et moyennes entreprises dans le but de vérifier l’hypothèse selon laquelle la DRH évoluerait vers un rôle de stratège et sur leur rôle dans la conduite du changement, il est constaté « un paradoxe dans les positions des DRH, qui à la fois mettent en place activement des outils nouveaux pour favoriser le changement, mais en même temps ne revendiquent pas fermement leur rôle de pilotes de changement » ( Cougard, 1998, p. 56).

Page 51: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

51

L’étude constate que pour 93% des DRH, le changement est bien une réalité qui les bouleverse et pour 66% des DRH, ces mutations concernent tous les métiers de l’entreprise. Cependant, quant au rôle de stratège ou de pilotage des changements, les DRH de ces mêmes entreprises françaises semblent moins à l’aise pour accompagner les acteurs des changements. Même si les conditions générales, telles que le climat et le dialogue sociaux, sont favorables, les relais sont peu efficaces. Ceci signifie que pour les DRH, les relations sociales n’ont pas toute leur efficacité parce que, par exemple, les salariés sont mal préparés ou parce que le management est peu associé au dialogue social; d’autre part, les managers constituent aussi un relais faible parce que, eux non plus, n’ont pas démontré leur capacité à traiter les problèmes humains. Il y a des abondantes critiques de la part des DRH vis-à-vis des managers par leur manque de compétences pour traiter les problèmes humains liés aux changements et par leur manque d’anticipation sur les évolutions des métiers et de l’organisation.

D’après ces données, il est évident qu’ils n’agissent pas comme des véritables partenaires stratégiques. Cependant, les Directions Générales ne s’engagent pas toujours correctement dans la gestion des ressources humaines dans le contexte d’un processus de changement. « La gestion des ressources humaines est considérée par la Direction Générale comme un levier important du changement, dans le discours seulement, pas dans les faits » (Cougard, 1998, p. 60). Le problème n’est pas seulement des politiques mais des attitudes pratiques adéquates face aux changements; il est évident que c’est une faiblesse et une responsabilité non seulement des DRH mais aussi des Directions Générales.

Quant aux attentes des entreprises vis-à-vis de la fonction RH, l’enquête de la CEGOS-France, citée auparavant, fait apparaître cinq attentes principales:

- mobiliser le personnel sur les objectifs stratégiques de l’entreprise,

- préserver la paix sociale et la cohésion de l’entreprise,

- préparer le personnel aux activités et aux métiers de demain,

- développer les compétences,

- développer la qualité du management.

Les trois premières attentes, et notamment la première, se trouvent très haut dans le classement des entreprises.

Pour répondre à ces attentes, les DRH se déclarent prêtes à progresser dans trois directions: le partage de la fonction RH, son implication stratégique et le renforcement de son professionnalisme.

En ce qui concerne les perspectives ou les exigences posées aux professionnels des ressources humaines pour les prochaines années, Gratton a travaillé dans un processus de réflexion avec plus de 20 équipes composées de hauts dirigeants, de plus de 20 firmes multinationales, sur des questions telles que la structure qu’adopterait l’organisation, quels seraient les éléments clés de la culture, comment agiraient les chefs, quelle forme adopterait l’architecture des R.H. et les attributs et qualités essentielles de la main d’œuvre. Les analyses et discussions de ces hauts cadres, dans une perspective de l’année 2005, ont identifié et conseillé des aires et des facteurs principaux tels que:

1.- Créer du travail en équipes horizontales,

2.- Décentraliser la prise de décisions,

3.- Faciliter la communication et l’apprentissage

4.- Diriger pour obtenir un haut rendement

Page 52: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

52

5.- Embaucher et garder les talents

6.- Créer un développement et une formation globale.

« Ces six facteurs d’impact stratégique décrits par les équipes de hautes performances établissent un large agenda pour la décennie prochaine. Ils dirigent le contenu du défi, ils identifient où on pourra gagner de l’influence. Cependant, je crois que le défi auquel nous nous confrontons dans les ressources humaines n’est pas le contenu - quoi- mais le processus - comment créer du travail dans une équipe horizontale-, comment nous pouvons diriger pour obtenir un haut rendement…Le défi est comment créer une compréhension réelle sur la manière dont les systèmes de ressources fonctionnent comme un tout, au lieu de minces interventions et construire et enchaîner des processus capables d’aider et enrichir la vision à long terme » (Gratton, 1998, pp. 330-331) (notre traduction).

Dans cette vision prospective sur les responsabilités souhaitées des DRH de demain, d’autres insistent sur la contribution économique de la DRH à la valeur ajoutée de l’entreprise, sur leur responsabilité dans l’affirmation d’une éthique d’entreprise (Freiche, 1999) ou encore - face à l’inévitabilité du changement et de la mondialisation- l’exigence de devenir des acteurs et conducteurs du changement des entreprises, à se transformer en acteur plus stratégique qu’administratif; à construire un leadership adapté à ce nouveau contexte de changement, à développer des capacités organisationnelles basées sur les connaissances et au-delà des compétences individuelles, à stimuler le transfert des connaissances, à coordonner, gérer et bien appliquer la nouvelle technologie; à mesurer plus et avec plus de précision les activités des ressources humaines (Ulrich, Losey et Lake, 1998).

1. 2. 2.- TYPOLOGIES DES ROLES DE LA DRH

De la même façon dont nous avons constaté la diversité des théories et des modèles de GRH, de nombreux théoriciens ont établi des typologies sur les différents rôles possibles (« idéaux types ») que les DRH peuvent jouer dans les entreprises.

De la revue de la littérature nous pouvons relever les rôles des DRH suivants :

a).- La typologie de Tyson et Fell (1986).

Ils ont proposé des rôles qui correspondent à des « types idéaux » construits d’après des études qualitatives. Ils distinguent trois types de direction des ressources humaines, à savoir : « l’exécutant », « l’administrateur de contrats » et « l’architecte » (termes en français employés par Foucher (1993) pour désigner respectivement : clerk of works, contracts manager et architect). Cette typologie a été aussi abordée par Gutierrez (1993) ; Petit, Belanger, Benabou et al. (1993).

Le type exécutant s’occupe surtout des tâches administratives routinières qui ont trait au personnel, le personnel est considéré comme constitué par des personnes avec un contrat de travail qui définit leurs droits et leurs obligations et dont la direction des ressources humaines est le garant. En général, le type exécutant n’a pas le même niveau de décision que les autres départements et il exécute les décisions prises par la direction. Son rôle est essentiellement réactif et le contenu de travail exprime une vision financière et de gestion à court terme: suivi des données comptables relatives aux dépenses salariales, prévisions budgétaires en fonction des modifications de la législation sur les salaires et des obligations de l’employeur. Il assure le recrutement et la sélection routiniers. Il apparaît comme le garant de la stabilité et de la continuité mais il ne joue aucun rôle important dans le besoin de changement de l’organisation.

Page 53: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

53

Le type administrateur de contrats a un rôle de soutien aux cadres hiérarchiques et exerce un rôle intermédiaire en matière de relations de travail. Ici, nous retrouvons des politiques et des procédures bien établies qui se sont développées par le biais des pratiques de relations professionnelles traditionnelles. Le type administrateur de contrats apparaît comme expert en matière de négociation collective et de clauses contractuelles et cherche une plus grande efficacité organisationnelle. Principalement, il interprète les procédures, les règles et clauses des contrats. Il n’a pas un rôle de conceptualisation et d’innovation visant la mise en valeur des compétences du personnel, il est surtout un pragmatique qui essaie que l’entreprise fonctionne mieux à court terme.

Le type architecte a un rôle de conceptualisation et d’innovation visant à mettre en valeur les compétences du personnel dans une perspective globale qui intègre les politiques du personnel à la stratégie de l’entreprise; il siège avec les autres membres du comité de direction et contribue aux décisions stratégiques et à la planification des ressources humaines. Ses activités peuvent comprendre la capacité de diagnostique, la résolution des problèmes et des conflits, la négociation, la médiation, le « coaching », la constitution des équipes de travail, etc. Il s’inscrit en conséquence dans une perspective de moyen et long terme.

b).- Les rôles de base trouvés par Labelle et Dyer (1992).

A partir d’une étude empirique auprès d’un échantillon de 264 organisations américaines de divers secteurs industriels, ces auteurs ont réalisé une étude empirique sur un ensemble de rôles de base joués par les services de ressources humaines. Les rôles faisant l’objet de cette étude sont ceux perçus plutôt que ceux observés et visent les comportements au niveau de l’entité dans son ensemble. Ils arrivent à dégager 5 rôles fondamentaux des services des ressources humaines, à savoir:

Le rôle stratégique est appelé ainsi lorsque les pratiques du service des ressources humaines se concentrent sur un besoin « important » ou à long terme d’une organisation; en conséquence, et parmi ses caractéristiques les plus remarquables, il agit comme partenaire stratégique, influence la haute direction, agit comme conseiller au moment de la prise de décisions stratégiques, planifie la gestion des ressources humaines, approuve les décisions importantes liées aux ressources humaines, relie la GRH à la stratégie de l’entreprise, analyse l’environnement.

Le rôle opérationnel se dégage lorsque les pratiques du service des ressources humaines se concentrent sur un besoin relié à ses activités courantes. Parmi ses pratiques les plus typiques, il règle les problèmes quotidiens, informe les employés, réalise les activités de GRH de base (embauche, rémunération), informe les cadres hiérarchiques, fait des tâches administratives, fait le suivi des lois, politiques et procédures.

Le rôle de service aux employés comporte l’attitude d’aide ou d’assistance. Les pratiques dominantes ici retrouvées sont: les enquêtes sur les besoins des employés, les enquêtes sur les perceptions et sur les satisfactions des employés, la création des programmes d’aide pour et avec les employés, la création de mécanismes de solutions de conflits.

Le rôle de service aux cadres hiérarchiques est de soumettre les décisions importantes aux cadres hiérarchiques. Il ajuste ses priorités avec celles des cadres hiérarchiques, intègre les suggestions des cadres hiérarchiques dans les activités de ressources humaines, il modifie les activités de GRH à la demande des cadres hiérarchiques, il rend les activités plus faciles à utiliser par les cadres hiérarchiques.

Le rôle de gestion de la qualité correspond à des pratiques qui mettent l’accent sur les exigences techniques des produits et services de ressources humaines. Ce rôle vérifie si les

Page 54: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

54

activités de ressources humaines appuient les opérations, analyse les forces et faiblesses du service des ressources humaines, détermine les besoins à l’égard des innovations en GRH, évalue la satisfaction à l’égard des services des ressources humaines, améliore la qualité des outils de RH, utilise des critères techniques pour évaluer les activités de RH.

c).- Le modèle à rôles multiples de Ulrich (1997).

Ces dernières années, les rôles des professionnels des RH ont été vus en terme de transition de l’opérationnel au stratégique, du quantitatif au qualitatif, de l’administratif au consultatif, du réactif au proactif, etc. Ulrich dans Human Resource Champions (1997), en s’éloignant de cette approche presque bipolaire, propose un cadre d’analyse basé sur deux axes principaux: 1) un premier axe centré sur les professionnels de RH, et 2) un autre axe représentant les activités des professionnels de RH. Le premier axe peut être stratégique et de long terme ou opérationnel et quotidien; l’axe des activités peut comporter le management de processus ou le management des personnes. La combinaison de ces deux axes donne lieu à quatre rôles, à savoir: le partenaire stratégique, l’expert administratif, le serviteur des employés, et l’agent de changement.

Le rôle de partenaire stratégique, c’est d’abord faire en sorte que les pratiques des ressources humaines aident à l’accomplissement des objectifs des affaires de l’entreprise ; de même la DRH participe au processus de définition de la stratégie des affaires. La tâche principale de la DRH ou du manager de RH est de veiller constamment à la cohésion de l’organisation et de ses valeurs avec les objectifs stratégiques fixés par la direction générale. Elle consacrera du temps dans les problèmes stratégiques, elle aura une participation active dans la planification de la stratégie de l’entreprise.

Le rôle d’expert administratif doit assurer l’efficacité dans le processus de gestion des ressources humaines à travers le recrutement, la formation, l’évaluation, la rétribution et la gestion adéquate de l’ensemble des employés dans l’organisation; participer à l’installation et mise en route des processus de gestion des RH; assurer que ces processus seraient administrés avec efficacité; consacrer du temps dans des problèmes opérationnels; participer activement à l’étude et à la mise en place de ces processus .

Le rôle de serviteur des employés se préoccupe des problèmes, des intérêts et besoins quotidiens des employés ; participe à l’amélioration de l’engagement des employés; il s’assure que les politiques et programmes répondent aux besoins personnels des employés; il participe activement à l’écoute, au sondage régulier du moral des employés; à la recherche des solutions et à répondre aux besoins et aux demandes des employés; il consacre beaucoup de temps à ces activités.

Le rôle d’agent de changement aide l’organisation à s’adapter au changement; cela signifie que la DRH participe dans le façonnement du changement culturel pour le renouvellement et la transformation; il assure que les processus et les programmes des ressources humaines augmentent la capacité de l’organisation au changement; il consacre du temps en développant des nouveaux comportements pour maintenir l’entreprise compétitive; la DRH participe activement au renouvellement organisationnel, au changement ou à sa transformation.

L’originalité de l’approche d’Ulrich c’est que ces différents rôles peuvent (et doivent) agir simultanément dans une organisation (rôles multiples). Il ne s’agit pas de concevoir simplement ces rôles dans un processus de transition ou d’évolution temporelle d’un rôle (par exemple, opérationnel) à un autre (par exemple, stratégique) et conduisant à l’abolition forcée de l’un d’eux. Même si, ces derniers temps, on plaide pour que les DRH assument davantage un rôle de partenaire stratégique, dans une entreprise, il y aura toujours besoin, par exemple, du rôle de serviteur des employés et ainsi de suite. En conséquence, il sera nécessaire

Page 55: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

55

d’établir un compromis entre ces différents rôles un peu contradictoires pour résoudre les tensions inhérentes et permettre le bon fonctionnement. Les professionnels des ressources humaines doivent établir un équilibre entre, par exemple, le rôle d’agent de changement, de l’innovation et le rôle d’expert administratif soucieux de la continuité, de la discipline, de l’ordre et de la stabilité. Il est évident que chaque entreprise aura un équilibre spécifique à établir parmi les rôles de leur DRH. De même, la responsabilité de la gestion des ressources humaines est une responsabilité partagée entre les professionnels des RH et les managers de la ligne hiérarchique.

Cependant, même si le modèle à rôles multiples est enrichissant et la co-responsabilité avec la ligne hiérarchique novatrice à ce sujet, cette approche, d’après Procter et Currie, reste ouvertement normative et l’analyse est centrée surtout sur les rôles des DRH. Même si on plaide pour l’écoute des autres, le problème au niveau de l’ensemble des travailleurs d’une entreprise est « qu’il n y a pas une réelle considération sur comment tout ceci se produit. Dans la mesure où ceci arrive, c’est le professionnel des RH qui décide: il n’y a pas une prise en considération des relations ni de la négociation… Le rôle de la fonction sera plutôt le résultat d’un processus continuel de négociations entre groupes… A l’intérieur de chacun des quatre rôles, le travail sera partagé dans des proportions variables avec les managers hiérarchiques, les employés, les consultants externes et d’autres groupes » (Procter et Currie, 1999, p.1079) (notre traduction). Hiltrop ajoute que « la seule limite de ce livre est l’absence de prise en compte des dimensions culturelles de chaque organisation. En effet, dans le monde, des environnements politiques, sociaux et culturels particuliers ont engendré des modèles nationaux de management tout à fait spécifiques » (Hiltrop, 1997, p. 18).

d).- Les rôles génériques des professionnels en ressources humaines de Wils, Labelle et Guérin (2000).

Sur base des études empiriques (Labelle et Dyer, 1992 ; Labelle, Wils, Guérin, 1997 ; Wils, Labelle et Guérin, 2000), ces auteurs analysent la transformation des rôles des DRH et réalisent une synthèse qui relie le profil des nouveaux rôles joués par les DRH aux questions des compétences des professionnels en ressources humaines en vue de s’adapter au nouveau contexte. La particularité de cette approche est d’incorporer dans l’analyse les compétences nécessaires des professionnels des ressources humaines pour assumer les nouveaux rôles.

Ils proposent un modèle intégrateur qui définit les rôles en fonction des notions de besoins en matière de gestion des ressources humaines et des attentes vis-à-vis des DRH. Ainsi, ils postulent que les différents rôles joués par une DRH sont une réponse aux attentes et aux besoins de son environnement. Ce modèle montre que les acteurs de toute organisation ont trois besoins fondamentaux: des besoins d’alignement ( niveau organisationnel) qui touchent à la compréhension par les DRH des enjeux de l’organisation ; des besoins de soutien logistique ( niveau fonctionnel) qui sont reliés à l’expertise unique des DRH pour faire face à ces enjeux et, des besoins de service (niveau interpersonnel) qui ont trait à l’interaction des clients avec leur DRH pour mettre en œuvre les réponses à ces défis. Les besoins des acteurs s’expriment généralement sous la forme d’attentes vis-à-vis des DRH qui définissent, à leur tour, leurs rôles.

Ils distinguent donc trois rôles génériques que les DRH doivent jouer pour répondre aux besoins et aux attentes spécifiques, à savoir :

Le rôle générique d’architecte: une DRH doit assumer des rôles d’architecte pour satisfaire les besoins d’alignement qui s’expriment sous la forme d’attentes organisationnelles de cohérence, notamment d’une cohérence avec leur environnement externe. Ce rôle a été qualifié comme stratégique étant donné que ces enjeux découlent souvent des questions

Page 56: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

56

d’alignement ou de cohérence vis-à-vis de la stratégie de l’organisation, c’est-à-dire de satisfaire les besoins d’efficacité externe. Il doit y avoir une bonne compréhension et participation des facteurs clés de succès tels que les marges bénéficiaires, la satisfaction du client et la qualité des produits et services.

Le rôle générique d’expert en intendance: une DRH doit jouer ce rôle pour répondre aux besoins de soutien logistique qui se manifestent sous forme d’attentes fonctionnelles de professionnalisme. Ce rôle d’expert se fonde essentiellement sur la gestion de la qualité du soutien logistique assuré par la DRH : qualité des produits en ressources humaines (exemple: activités, processus, etc.), qualité des systèmes dont la DRH est responsable (tant au niveau de leur conception que leur gestion), qualité des expertises externes (consultants). Bref, il s’agit de faire preuve de professionnalisme de façon à assurer que le soutien logistique fourni soit de qualité.

Traditionnellement, ce rôle d’expert s’est limité à celui de « technicien » (application de conventions collectives, utilisation des techniques de sélection, recours à l’évaluation des emplois, formulaires, gestion des dossiers des employés, etc.). Le rôle d’expert se modifie de plus en plus pour passer d’une expertise technique à une expertise professionnelle (professionnalisme de haut niveau). Contrairement au technicien, le professionnel maîtrise un éventail de compétences qu’il met à profit pour relever les défis organisationnels. Il s’agit donc d’un rôle plus analytique, d’avantage axé sur la résolution des problèmes. Si le technicien gère des problèmes simples (paie, etc.), le professionnel « dessine », implante et gère des systèmes complexes (évaluation des compétences, gestion de carrières) et, surtout, produit l’information dont les acteurs ont besoin pour prendre des décisions.

Le rôle générique de catalyseur: une DRH doit endosser des rôles de catalyseur pour combler les besoins de service (surtout destinés aux clients internes) qui se matérialisent sous la forme d’attentes interpersonnelles d’intervention professionnelle. Une DRH doit aussi savoir interagir avec ses clients, soit, principalement, la haute direction, les gestionnaires et les employés. Jouer un rôle de catalyseur consiste à définir une relation avec des clients-cibles, c’est-à-dire à choisir une façon de les servir. Ce rôle touche, d’abord et avant tout, à la notion de service aux clients internes, visant à faciliter le bon fonctionnement de la gestion des ressources humaines. Il répond à des attentes d’intervention professionnelle qui se feront sentir tant en cas de conflit (exemple: supervision inadéquate du personnel, communication déficiente de la haute direction, etc.) que dans la gestion quotidienne (ex. : services aux gestionnaires, participation au processus décisionnel, etc.). Il ne s’agit plus de fournir simplement un conseil par téléphone, mais bien de collaborer avec les gestionnaires du début jusqu’à la fin de l’intervention professionnelle.

Les DRH ne se limitent pas à jouer qu’un seul rôle. Les différents rôles proposés par ces auteurs, à l’égal qu’Ulrich, peuvent s’exprimer simultanément. Ces rôles coexisteront et s’exprimeront à des degrés différents et il y aura toujours un prédominant, d’où la notion de rôle générique.

Pour mieux répondre au besoin d’un milieu complexe et changeant, ils soulignent la nécessité d’intégrer globalement et avec cohérence les différents rôles pour répondre aux besoins de l’entreprise. D’après ces auteurs, les rôles sont complémentaires en raison de leur interdépendance. Or, il existe une hiérarchie de rôles génériques qu’il faut respecter : les rôles d’expert en intendance (rôle fonctionnel) doivent être modelés sur les rôles d’architecte (rôle organisationnel) et les rôles de catalyseur, c’est-à-dire en fonction des deux autres rôles. Continuer à jouer les rôles traditionnels ou jouer un nouveau rôle sans changer les autres, risque de conduire les DRH à leur perte. L’équilibre entre les rôles est un problème récemment soulevé par les recherches et de plus en plus étudié et il deviendrait une exigence pour une gestion harmonieuse de ces rôles.

Page 57: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

57

Cependant, cette approche typologique des rôles a été critiquée par d’autres auteurs, surtout après la publication du livre d’Ulrich, Human Resources Champions, parce que, parmi les multirôles des DRH, la prépondérance du rôle stratégique pour les DRH était extraordinairement fonctionnel à la stratégie d’entreprise et ne concédait pas une réelle importance aux rôles des acteurs dans la perception et l’implémentation de ces rôles. Ainsi, concluent Procter et Curie: « La conclusion principale est que les rôles que la fonction personnel prennent seront le résultat de leurs interactions avec d’autres groupes à l’intérieur de l’organisation. En plus de considérer la variété ou l’éventail de rôles que la fonction personnel peut adopter, tant du point de vue académique que pratique nous avons besoin de comprendre le processus à travers lequel ils arrivent là. En d’autres termes, si les managers du personnel veulent devenir de promoteurs du changement stratégique, ils veulent comprendre où et comment ils peuvent faire cela » (notre traduction) (Procter et Curie, 1999, p.1089).

Pour ces professionnels, il se pose le problème de la transformation, du renouvellement et/ou de l’acquisition des compétences nécessaires. D’après une étude de Yeung et al. (1996), cité par Wils, Labelle et Guérin, les dirigeants des ressources humaines « estiment que seulement 10 à 35% de leurs professionnels possèdent actuellement les nouvelles compétences requises. Dans la même veine, Mohrman et ses collègues (1996) estiment que, dans plus de 50% des entreprises, au moins 40% des professionnels en ressources humaines ne possèdent pas les compétences nécessaires » (Wils, Labelle et Guérin, 2000, p.20).

A nouveau, c’est la DRH qui doit établir un équilibre entre la quantité et la qualité des professionnels en considérant, individuellement, les compétences générales et/ou spécifiques nécessaires. Nous n’aborderons pas ici le vaste et complexe domaine du type de formation pour avoir les compétences correspondantes requises.

En s'inspirant de toutes ces études et en tirant d’Ulrich la notion de rôles multiples, nous proposons les trois rôles des DRH suivants:

a)- le rôle d’Agent Administratif,

b)- le rôle d’Expert Opérationnel et

c)- le rôle de Partenaire Stratégique.

Ces rôles seront explicités en détail dans le cadre d’analyse (Ch. III).

1. 3.- LES MODELES DE MANAGEMENT

Dans la pensée traditionnelle, le management est souvent limité aux aspects économiques et financiers de la vie des entreprises, négligeant trop souvent les aspects humains. Mais, tel que nous l’avons précisé dans notre problématique (Ch. I), le management implique une conception beaucoup plus large de l’homme au travail ; il doit considérer les rapports sociaux dans l’entreprise, une conception d’entreprise et leur positionnement dans la société. Leur domaine est tellement vaste qu’il mériterait, à lui seul, une étude exclusive, mais tel n’est pas notre objectif.

En suivant des auteurs tels que Messine (1987), Peters et Waterman (1983), Coutrot (1998), Aubert et de Gaulejac, (1991), Aktouf (2000), Brabet (1994), Sparrow et Hiltrop (1994), nous distinguerons trois différents types de management, à savoir : le management classique, le management politique et le management instrumental ou « californien ».

Page 58: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

58

Ces trois modèles « idéaux-types » choisis pour compléter notre cadre d’analyse ont une corrélation théorique avec les trois modèles types des rôles des DRH et des pratiques de GRH (Pichault et Nizet, 2000), déjà énoncés. Cela ne veut pas dire qu’ils existent tels quels dans la réalité ni que soient les seuls types de managements existants. De même, les variables privilégiées dans chaque modèle de management sont celles liées spécialement aux problèmes des pratiques de GRH.

1. 3. 1.- Le management classique

Dans les années 1970, le management et ses théories se sont intensément attelés à la tâche d’élaboration de techniques et d’instruments qui aideraient à toujours faire plus et plus vite. Pour réussir il fallait s’arranger pour faire produire ce qui avait était décidé par la direction. Cette philosophie, propre du taylorisme et du fordisme, devait assurer le succès aux entreprises qui arrivaient à s’assurer la mainmise sur un bien ou une gamme de biens, il suffisait alors d’« inonder » le marché. La créativité, l’initiative et la conception étant du ressort de spécialistes, des départements nobles de recherche-développement et de planification, tout le reste de l’entreprise n’est là que pour exécuter, avec diligence et soumission, les plans de travail et les objectifs ; le management était très directif, même autoritaire. L’employé idéal y reste « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut », obéissant strictement aux consignes élaborées par les cadres analystes et planificateurs.

Tant en Europe qu’aux Etats-Unis, aujourd’hui tout le monde s’accorde à critiquer ce type de management.

En relevant - avec une certaine ironie- quelques caractéristiques et principes du modèle, Peters et Waterman (1983) affirment que les producteurs dont les coûts sont bas sont les seuls à être sûrs de réussir à tous les coups, ceux qui survivent font toujours moins cher. Le travail du manager est de prendre des décisions, et les plus dures, et donner des ordres ; la mise en œuvre ou l’exécution est secondaire. « Changez toute l’équipe de direction s’il vous faut assurer une mise en œuvre efficace. Contrôlez tout, la tâche du manager est d’assurer que tout est bien en ordre et sous contrôle ; détaillez bien la structure d’organisation, faites de longues descriptions de postes. Choisissez les bonnes mesures d’incitation et la productivité suivra ; si on donne aux personnes d’importants stimulants financiers directs pour bien se conduire et faire du bon travail, le problème de productivité est réglé » (Peters et Waterman, 1983, p. 63). Les affaires sont les affaires et rien d’autre ; si vous savez lire les rapports financiers, vous pouvez gérer n’importe quoi ; les gens, les produits et les services représentent seulement ces ressources que vous devez aligner pour obtenir de bons résultats.

Or, dans un contexte qui change à grande vitesse et où les degrés d’incertitude sont grandissants, cette rationalité est totalement dépassée. Il s’agit d’un management « orthodoxe » basé sur l’autorité, sur un ordre imposé par « l’organisation », dont leur conception (et le traitement) de l’être humain au travail est d’être comme un instrument de production, comme une sorte de « mécanisme à besoins », comme un être de maximisation rationnelle et égoïste de ses gains, comme une ressource qu’il faut rentabiliser et surveiller, comme un coût qu’il faut contrôler et minimiser (Aktouf, 2000).

Cependant, en Europe il adopte des caractéristiques particulières dues aux forces sociales et politiques existantes. Le fordisme, en tant que modèle de régulation, impliquait une contractualisation à long terme du rapport salarial, avec des limites rigides aux licenciements et une programmation de la croissance du salaire indexé sur les prix et la productivité générale ; il fut adopté le processus de concertation sociale pour arriver à des accords, sans pour autant exclure les conflits sociaux autour surtout du rapport salarial. De plus une vaste

Page 59: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

59

socialisation des revenus à travers l’Etat-providence assurait un revenu permanent aux travailleurs salariés. La contrepartie en était l’acceptation par les syndicats des prérogatives de la direction (Linhart, 1994). Ce n’est pas parce qu’il y a une certaine négociation collective que ce management est moins directif et vertical.

D’après Brabet (1993), dans cette optique - qualifié par elle comme «modèle instrumental »-, l’entreprise est considérée comme un instrument rationnel de production dont l’objet est l’efficacité économique, et cette efficacité économique peut s’équilibrer avec l’efficacité sociale. Il y aurait entre les divers membres de l’organisation une convergence d’intérêts; les dirigeants sont indiscutablement l’acteur principal dans l’entreprise, guidant celle-ci en fonction de leurs choix rationnels et de leurs valeurs, tandis que les salariés sont considérés comme « conditionnables », stimulés notamment par des incentifs économiques et financiers, il prévaut la conception de l’ « homo économicus ».

Ce management, hérité du taylorisme, est dépassé et les théories qui s’en inspirent sont actuellement assez critiquées. Cependant ces discours ne l’empêchent pas d’être vivant et encore fort pratiqué, y compris dans les E.U. La forte hiérarchisation, la grande concentration du pouvoir dans la haute direction, la bureaucratie et les dysfonctionnements fréquents dans ces types d’entreprises - privés et publiques- ont déjà été largement analysées et critiquées (Crozier, 1963).

En fait, les théories managériales qui s’en inspirent ont en commun une démarche analytique de décomposition-recomposition cartésienne, peu adaptée à la globalité et à la complexité des problèmes humains. Elles supposent une séparation entre la pensée et l’action, par exemple lors de la stratégie. Elles ont une conception particulière de l’entreprise: « un tout doté d’une « personnalité » indépendante de celle des personnes, aux frontières nettes, une organisation transparente et malléable, gouvernée par des dirigeants anonymes, désintéressés, omniscients et omniprésents qui conçoivent les stratégies adéquates (optimales) et pilotent leur mise en œuvre. L’entreprise est un instrument asservi (au sens systémique du mot) à des buts réputés exogènes. Déterminisme de l’environnement, fatalité de la technologie, sont des présupposés dominant la majorité des méthodes, et répétés à longueur de discours…supposent que les différents buts sont naturels, universels et non contradictoires » (Terence, 1997, p. 81).

D’après Coutrot (1998), aujourd’hui le néotaylorisme tente de régénérer la vision mécaniste de la société par l’introduction des nouvelles technologies. Les néotayloriens espèrent échapper au dilemme, en séparant changement technologique et changement social, pour ne retenir que le premier.

1. 3. 2.- Le management politique

Nous décrivons ce type de management en suivant surtout à Coutrot (1998) et Messine (1987). Le premier montrant le modèle du « toyotisme à la française » ; le deuxième avec la description du management pratiqué par certains managers nord-américains, appelés «les Saturniens ».

Il semble avoir un consensus quant à la critique au taylorisme et au modèle classique de management. Cependant, ce consensus disparaît quant aux théories et aux propositions qui essayent de le remplacer ; elles sont diverses et contradictoires.

Les réussites économiques japonaises et de certaines économies Européennes avaient développé d’autres conceptions et d’autres facteurs de succès puisqu’elles se sont rendu compte qu’il n’était plus suffisant faire plus et plus vite au moindre coût ; mais il s’agissait plutôt de faire mieux, plus « créatif » et plus fiable.

Page 60: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

60

Dans le cadre de certaines tendances plus radicales des théories actuelles du management, Aktouf relève: «1) - la remise en question de l’ordre établi, du pouvoir unilatéral, de l’accaparement patronal du profit, de la conception instrumentale de l’employé comme autant d’obstacles à la créativité collective, à l’adaptation, à l’innovation, à la « déviance créative » ;…2)- « La dénonciation d’une certaine absence d’éthique et d’honnêteté vis-à-vis des employés, des dégâts de l’accaparement excessif et unilatéral des fruits du travail sur l’engagement et la productivité des travailleurs, du comportement égoïste et de court terme des dirigeants qui empêchent, de fait, que l’employé puisse être traité et vivre comme une personne humaine » (Aktouf, 2000, p. 118).

Ce management assume le fait qu’il puisse y avoir des contradictions d’intérêts entre les personnes travaillant dans les organisations, qu’elles sont parfois vivaces et qu’il faut donc négocier et se mettre d’accord à différents niveaux. La logique des intérêts et des objectifs convergents entre patrons (dirigeants) et travailleurs est écartée. La réalité sociale est conçue comme diverse et, par conséquent, il devient nécessaire l’accord pour travailler ensemble.

Le toyotisme à la française ou toyotisme hybridé, décrit par Coutrot, se caractérise par : un niveau de qualification de la main-d’œuvre et des dépenses de formation élevée, les innovations technologiques et organisationnelles restent néanmoins présentes dans nombre d’établissements de cette catégorie, liées à des politiques plutôt actives, les pratiques salariales flexibles sont très répandues, et surtout l’individualisation des salaires, presque générale. La compétitivité ne repose pas sur le prix, mais bien davantage sur la qualité et l’adaptation à une clientèle spécifique. Le contrôle du travail repose très peu sur des sanctions disciplinaires, mais largement sur des procédures de contrôles systématiques des performances individuelles, l’organisation du travail se distingue par des fortes incitations à la coopération directe entre salariés de services différents, un degré de prescription des tâches relativement faible, cependant la polyvalence est encore peu développée et on maintient plutôt une forte spécialisation de tâches et métiers. « Concernant les variables d’organisation du travail, cette configuration est, plus que la précédente, proche de la firme J d’Aoki - où la décentralisation des microdécisions au niveau des opérateurs est équilibrée par la gestion formalisée, centralisée et à long terme, des carrières individuelles par un puissant service de personnel. Ce mode de contrôle du travail est bien sûr cohérent avec le niveau élevé de qualification du personnel et l’investissement dans des politiques de communication et de participation directe. Cependant, le faible développement de la polyvalence vient nuancer cette identification au modèle J » (Coutrot, 1998, pp. 49-50).

Il s’agit des établissements plutôt de grande taille, appartenant plus souvent que les autres aux secteurs de l’énergie, des banques, des assurances, des grandes entreprises nationales, des grandes entreprises proches de l’Etat (ex-nationalisées, etc.), mais aussi de grandes entreprises de la distribution, industrielles et bancaires de taille moyenne. Ce sont des entreprises qui ont subi de nombreuses restructurations. L’évaluation des salariés repose sur l’atteinte des objectifs individuels négociés entre salarié et hiérarchie ; les accords salariaux, sur une diversité des thèmes, sont nettement plus fréquents qu’ailleurs et les employeurs valorisent cette relation professionnelle avec les syndicats. « Tout se passe comme si, en France, les entreprises ne pouvaient concéder une relative souplesse dans l’organisation du travail, accorder de réelles marges d’autonomie aux opérateurs, bref démontrer un certain degré de confiance en leurs salariés, que dans un cadre relativement protégé de la concurrence internationale : c’est le modèle de la confiance protégée. A cet égard, l’actuel mouvement de déréglementation et de restructuration-privatisation des services publics laisse plutôt augurer le développement de relations néo-fordistes dans ces entreprises… » (Coutrot, 1998, pp. 51-52).

D’autre part, Messine (1987) décrit ce management en se basant sur l’exemple de la General Motors (E.U.), avec leur opération Saturn, dont Coutrot fait aussi référence. Il s’agit d’un

Page 61: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

61

exemple qui exprime une tendance minoritaire de patrons nord-américains pratiquant un autre type de management.

En 1985, le patron de la General Motors établissait une convention collective avec le syndicat - l’UAW (Union of Automobile Workers) - qui marque une transformation complète de la philosophie des conventions collectives aux Etats-Unis. L’usine Saturn présentera trois caractéristiques importantes : elle sera intégrée, flexible et modulaire. Toutes ces innovations établies reposent sur un projet social, sur une nouvelle « micro-société », fondée sur des bases solides et durables.

Il s’agit d’une petite « révolution » managériale. Ce projet déplace, en quelque sorte, le terrain même de la négociation et il échange deux concessions majeures, contre deux acquis nouveaux.

Les deux concessions majeures : 1)- l’UAW accepte une bien plus grande souplesse en ce qui concerne l’organisation du travail, et 2)- il admet une certaine flexibilité salariale. Le syndicat accepte le principe d’une rémunération dont seuls, en moyenne, 80% seront fixes et prédéterminées, 20% seront variables et indexés. Le salaire de base donc sera 20% au-dessous du niveau moyen des salaires dans le reste de l’industrie automobile.

Les deux acquis majeurs : 1)- 80% des effectifs de Saturn bénéficieront d’une garantie d’emploi à vie (sur base de l’ancienneté); 2)- un système de décision par consensus ou codécision est mis en place à tous les niveaux de l’entreprise.

Les objectifs sont affichés conjointement par les deux parties : substituer le consensus à l’autorité hiérarchique ; à cette fin, mettre en place des structures de concertation ; responsabiliser les travailleurs dans la recherche de la qualité et de la productivité ; forger un esprit communautaire ; abolir les cloisonnements techniques, sociaux et culturels hérités du taylorisme (exemple de changements: usage du parking, de la cantine, de la cravate, etc.).

L’opération Saturn a constitué un archétype, mais ce n’est pas le seul exemple. A la même époque, L. Iacocca, président de Chrysler, fait entrer le patron de l’UAW, au conseil d’administration de son groupe, et justifiait cette décision : « Qu’avons-nous en fait à cacher aux syndicats ? Qu’avons-nous à dissimuler aux travailleurs ? Qui mieux que les syndicats, peuvent nous aider à construire des voitures meilleures et à moindre coût ? » (Messine, 1987, p. 115).

Pourquoi avoir construit un nouveau pacte social, négocié avec les syndicats au lieu d’avoir appliqué la conception de la « communauté californienne », individualiste et a-syndicale ?

Messine l’explique ainsi. « Pour être complète, solide et durable, la coopération des salariés ne peut pas reposer sur des faux-semblants, des pratiques manipulatoires et des ambiguïtés. Elle doit procéder d’un contrat clair et loyal entre gens sérieux. S’il y a des intérêts convergents (il vaut mieux pour tous que l’entreprise ou la branche, se porte bien), les patrons saturniens ne cherchent généralement pas à occulter les divergences… Les fordiens prospères avaient de quoi s’acheter le luxe du mépris, alors que les saturniens acculés à la rigueur doivent condescendre au dialogue…Aussi combatifs soient-ils, les « Saturniens » ne croient pas aux solutions « radicales », à l’atomisation absolue des travailleurs et de la société ou à l’extinction définitive du contrat collectif et du syndicalisme » (Messine, 1987, pp. 114-116 ).

Deux spécialistes nord-américains du droit du travail, Freeman et Medoff, constatent que le syndicalisme offre aujourd’hui deux visages. « La vision de face nous le présente comme un monopole », destiné à faire pression à la hausse sur les salaires, « tandis que, de profil, il est l’expression d’une voix collective face à la direction », indispensable contrepoint dialectique au décideur dans une entreprise vivante. En effet, « le risque de perdre son emploi est trop

Page 62: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

62

grave pour qu’un individu isolé ose s’exprimer ». ( Avec cette phrase, les deux auteurs américains réintroduisent opportunément la subordination de fait du salarié à l’employeur, que les « Californiens » avaient escamoté dans leur vision individualiste mystificatrice : la relation employeur-salarié n’est pas symétrique...). Pour que les salariés s’expriment réellement, il leur faut une voix collective et autonome : « Si les chefs d’entreprise se servent des négociations collectives comme d’un moyen de s’informer sur la façon dont les choses se passent au niveau des ateliers, le syndicalisme devient un atout positif dans l’entreprise » (Messine, 1987, p.117).

Sur des échantillons très larges, ces mêmes auteurs constatent que le bilan économique de la syndicalisation est plutôt positif, « les entreprises syndiquées présentent une meilleure efficacité et une productivité plus élevée ; une moindre inégalité dans les salaires ; une plus grande stabilité de la main d’œuvre ; pour des surcoûts sociaux modestes (moins de 0,3% du PNB). Conclusion (implicite) : il faut progressivement supprimer le « visage monopole » du syndicalisme, qui renchérit « artificiellement »…les coûts salariaux, et il faut renforcer son « visage expression collective »…il faut réduire la fonction traditionnelle du syndicat relative à la négociation salariale, pour avantager un syndicalisme de proposition, tout entier tendu vers l’efficacité opérationnelle » (Messine, p. 118).

Le « pacte saturnien » tend ainsi à remplacer le « pacte fordien ». La négociation axée sur le revenu et la codification des tâches cède la place à une négociation axée sur l’emploi, la technique, le management et le pouvoir.

En résumé, le modèle « saturnien » se résigne à la négociation d’un nouveau type de pacte social, dans lequel la répartition du pouvoir est un enjeu, au même titre que la répartition du revenu l’était dans le pacte fordien. Entre ces différents modèles, l’Etat omniprésent ne procède pas non plus à des choix clairs. Il bascule, selon les lieux, les moments, la conjoncture politique.

La nécessité du changement social en profondeur, c’est ce qu’ont compris, chacun à sa manière, les patrons « Saturniens » et les « Californiens ».

Les managers saturniens auront cette tendance à reconnaître les syndicats comme des acteurs dans l’entreprise et ils déploieront des efforts conséquents vers un nouveau type de compromis avec les salariés organisés, axé sur la recherche de la productivité et de la compétitivité.

« Les patrons saturniens sont porteurs d’un nouveau projet historique pour le capitalisme avancé. Face à la crise, sur un marché désormais mondialisé, la mobilisation de toutes les intelligences, de toutes les énergies et de toutes les bonnes volontés est devenu vital. Pour l’obtenir, les saturniens semblent prêts à négocier un nouveau mode de répartition du pouvoir. A quelles conditions ?…Ils ne souhaitent pas casser la machine, mais seulement en partager la conduite. L’avant-garde patronale est prête à ouvrir un nouveau terrain de négociation avec les syndicats, sur les schémas d’organisation et de pouvoir, à la condition impérative que les syndicats acceptent les règles du jeu fondamentales : pour se développer et garantir l’emploi, l’entreprise doit faire des profits ; pour faire des profits, elle doit être compétitive ; l’ultime décision stratégique ne se partage pas. Les patrons saturniens se prononcent pour un régime moderne de collaboration de classes, vécu au quotidien dans le travail et la gestion de l’entreprise…Le compromis proposé consiste, schématiquement, à accorder aux organisations de salariés une part de pouvoir (le rapport de forces en décidera) et la possibilité d’intervenir dans la gestion du capital, à condition qu’elles déposent les armes. Il va souvent de pair avec un « donnant-donnant » qui troque des garanties d’emploi contre la flexibilité salariale. Les syndicats sont priés de s’intégrer pleinement aux mécanismes de reproduction du système social, dans une perspective « loyale et constructive » : en abandonnant toute prétention à la critique radicale, et, même au-delà, en

Page 63: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

63

assumant de manière active les impératifs de rentabilité et de compétitivité…c’est admettre que la performance sur le marché est l’objectif premier pour tous, condition de survie pour l’entreprise, et donc de maintien de l’emploi» (Messine, 1987, p. 138).

En se différenciant de l’ancien pacte fordien, les saturniens pratiquent donc un microréformisme.

Cependant, ce modèle managérial a ses limites et ses dangers. D’abord, le patron saturnien rappelle qu’en dernière instance le pouvoir lui appartient, à lui seul. Il veut « limiter les dégâts » et veille à ne pas se laisser grignoter… Il est, de ce point de vue, très hostile à tout syndicalisme politisé, porteur d’un projet social d’ensemble. Il y voit l’ingérence inadmissible d’un pouvoir extérieur dans les affaires de l’entreprise, un défi à l’autorité. Il préfère le « syndicat maison », coupé de toute perspective globale.

En principe, cette logique prône un équilibre entre l’économique et le social, mais s’il y a risque économique, un déséquilibre s’installe et le poids essentiel retombera sur les salariés (des licenciements et/ou des plans sociaux apparaissent). L’emploi des salariés reste, en dernier ressort, suspendu aux aléas du marché. Les mécanismes destinés à limiter le coût social des crises doivent être essentiellement recherchés dans le champ politique et institutionnel. Le champ ouvert n’est pas négligeable, un terrain de négociation, de luttes et d’entente qui peut faire face à toute sorte de défi si la concertation des acteurs sociaux est positive.

C’est le modèle managérial abondamment présent en Europe occidentale où la concertation sociale est devenue habituelle.

1. 3. 3.- Le management instrumental ou « californien ».

C’est le management à la mode. Les théoriciens des différents courants convergent donc sur un point : donner une plus grande importance à la personne humaine, à ses attitudes et à ses comportements dans son travail, l’entreprise doit s’humaniser. Il faut absolument trouver les moyens de passer d’une manière de gérer et de concevoir l’employé qui en fait un rouage-passif-obéissant, à une tout autre où il deviendrait quasiment l’inverse, c’est-à-dire un collaborateur-complice-actif.

Le Prix de l’Excellence5, dont leurs auteurs sont des gourous du management instrumental, prône: « la notion la plus importante, comme nous l’avons maintes fois répété, c’est que ce ne sont pas un ou deux facteurs qui font marcher tout cela. Bien sûr, le champion, le champion de la direction et l’équipe d’innovation sont au cœur du processus. Mais lorsqu’ils réussissent, c’est seulement parce que : les héros abondent, le système de valeurs encourage le grappillage, l’échec est accepté, il existe une orientation vers l’art de la niche et des rapports étroits avec le client, …les communications intenses et informelles sont la norme, …la structure non seulement sert mais appuie l’innovation, et l’absence de surplanification et de paperasserie est évidente, comme l’est la présence de la concurrence interne » (Peters et Waterman, 1983, p. 239).

L’entreprise californienne moderne est le prototype de l’entreprise flexible, le royaume de l’information, de la responsabilisation, de la motivation, de l’esprit d’entreprise, de l’engagement communautaire, de la qualité. D’après leurs théoriciens, dans ces entreprises

5 Un des best seller du management nord-américain. Il a connu un succès fulgurant aux Etats-Unis et il a été vendu dès la première année à près d’un million d’exemplaires. Puis, il a été traduit en plusieurs langues et vendu dans le monde entier.

Page 64: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

64

sont retrouvées la constance de l’engagement et la cohérence de la démarche et du comportement.

« Le message des « Californiens » est simple : il faut désormais investir dans le travail des hommes. Il faut, proclament-ils, prendre conscience de ce que le travail est un capital, peut-être même le plus précieux, le plus décisif, le « capital humain ». Il y a donc lieu de gérer les ressources humaines comme on gérait dans le passé les ressources financières et les ressources techniques : avec sérieux. Le « management des ressources humaines » devient une expression à la mode, et les anciens directeurs du personnel y gagnent des galons et de la considération » (Messine, 1987, p. 86).

Les voies du taylorisme sont dépassées, mais les objectifs du maximum de profit à court terme et du contrôle du pouvoir, sont loin de l’être ; les principes fondamentaux restent présents. Les patrons californiens ont compris qu’ils doivent renoncer à imposer leur pouvoir aux salariés par la force, par le règlement autoritaire et par le contrôle. Il leur faut trouver des méthodes alternatives. « Ils les trouvent dans deux règles de comportement qui, pour être souvent implicites, n’en sont pas moins des données fondamentales de leur politique : l’individualisation des salariés, et le consensus communautaire. La direction de l’entreprise « californienne » veut éviter d’avoir affaire à un sujet collectif bien identifié, susceptible de bénéficier d’un rapport de forces favorable. Elle désire au contraire traiter avec une constellation de salariés individualisés, tactique s’appuyant sur une philosophie individualiste, profondément cohérent avec les théories de l’économie libérale où le travail est une marchandise » (Messine, 1987, p. 90).

L’entreprise individualiste ouvre une ère nouvelle, conséquence logique de l’individualisation, la mise en concurrence des salariés entre eux est appréciée, surtout parmi les cadres ; la consigne est « que le meilleur gagne ».

Le management californien vise à l’autocontrôle plutôt qu’au contrôle, à conditionner plutôt qu’à contraindre. Il souhaite abolir la distance entre le travailleur et l’entreprise, démesurément élargie par le taylorisme. « Le manager californien « extrême » pourrait faire graver, en lettres d’or au-dessus de sa cheminée, la devise : Il faut vivre pour travailler, et non travailler pour vivre »6 (Messine, p. 93).

Il est prônée la gestion participative pour motiver le travailleur, au plan intellectuel et au plan affectif : un travail intéressant, un travail utile, non aux tâches imbéciles. La notion de finalité morale présente l’immense avantage non seulement de motiver les travailleurs, mais d’aller plus loin, se surpasser en les responsabilisant…Plus les fondements éthiques sont forts, plus les défaillants sont susceptibles d’être culpabilisés. Les bases d’un autocontrôle rigoureux sont ainsi jetées.

Coutrot (1998), en se référant à la situation française parle du néo-fordisme, du modèle de l’autonomie contrôlée et des relations sociales conflictuelles.

D’autres auteurs précisent que le discours managérial instrumental se caractérise par:

- la survalorisation de l’action : « ici, pas d’états d’âme, l’important c’est l’action » ;

- l’adaptabilité ou la flexibilité permanente : il faut être mobile, disponible au changement, capable de s’adapter à des situations différentes, prêt à affronter l’incertitude, le changement devient une valeur en soi ;

- l’équivalence entre progrès économique et progrès social : « ce qui est bon pour General Motors est bon pour l’Amérique » : le développement social et l’épanouissement des individus passent nécessairement par la réussite des entreprises ; l’augmentation des profits,

6 Souligné par nous

Page 65: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

65

signe de la réussite économique, est le moteur du bien-être général ; l’économique et le social sont réconciliés par une dissolution du social dans l’économie ;

- la conciliation entre l’intérêt individuel et l’intérêt de l’entreprise : la contradiction entre le capital et le travail appartient à une vieille théorie qu’il faut maintenant jeter à la poubelle ; ce management cherche la réconciliation de l’actionnaire et du travailleur par la création d’un hybride mi-patron, mi-employé, qui assimile les contraires ; le management propose une solidarité organique entre l’individu et l’entreprise par un intéressement direct aux résultats ;

- le mythe de la réussite : réussir, gagner, être les meilleurs ; il établit une équivalence entre la réussite personnelle et la réussite professionnelle, une fusion entre l’individu et l’entreprise ; la réalisation de soi-même passe par une réponse positive aux exigences de l’entreprise ; c’est parce qu’elle a une bonne image de marque que l’individu se sent valorisé, sur de lui, se sent un battant ;

- l’obligation d’être fort : dans cet « univers concurrent et impitoyable » ne peuvent survivre que les puissants; à cette volonté de puissance de l’entreprise répond l’apologie du héros : produire des hommes capables de faire des coups, de travailler chaque fois plus, de monter des opérations fructueuses, de dynamiser l’entreprise, il faut toujours réussir ( Aubert et de Gaulejac, 1991, pp. 103-106).

Il faudra ajouter d’autres impressionnantes innovations managériales articulées autour des idées clés : des entreprises maigres travaillant en réseau avec une multitude d’intervenants, une organisation du travail en équipe ou par projets, orientés vers la satisfaction du client, et une mobilisation générale des travailleurs grâce aux visions de leurs leaders. L’entreprise « maigre », « allégée », « dégraissée », etc., est accompagnée de certains principes organisationnels –rappelons-le, souvent repris et adaptés des Japonais- comme le juste à temps, la qualité totale, le processus d’amélioration continue (Kaizen), les équipes autonomes de production, les cercles de qualité, le Kan Ban, les propositions d’amélioration permanentes avec la série de zéros, prôné par Archier et Serieyx (1984): zéro panne, zéro délai, zéro défaut, zéro stock, zéro papier. Cette entreprise maigre « a perdu la plupart de ses échelons hiérarchiques pour garder que 3 à 5, souvent accompagné d’un élargissement des responsabilités (increasing the span of control), qui revient à attribuer plus de personnes à gérer par un moindre nombre de cadres, allant du ratio, traditionnel de 1 cadre pour 6 à 10 employés à un ratio considéré acceptable aujourd’hui de 1 cadre pour 20 à 30 employés » (Boltanski et Chiapello, 1999, p. 116).

La notion de leader gagne en importance, devient presque mythique, et leur rôle est un point clé du dispositif du management californien. Il doit orienter, pas commander, à des êtres flexibles, individualistes, créatifs, battants, sensés s’auto identifier aux objectifs de l’entreprise. « Tout repose sur les épaules d’un être exceptionnel qu’on ne sait pas toujours former ni même recruter…Plus largement le néomanagement est peuplé d’êtres exceptionnels : compétents pour de nombreuses tâches, se formant en permanence, adaptables, capables de s’auto organiser et de travailler avec des gens très différents… ». De nouveaux métiers apparaissent comme celui « de coach dont le rôle est d’offrir un accompagnement personnalisé permettant à chacun de développer tout son potentiel, …une sorte de responsables de l’apprentissage ». Le terme de manager employé d’abord pour qualifier les cadres des directions générales des grandes entreprises, dans les années 80-90 est utilisé pour désigner ceux qui manifestent leur excellence dans l’animation d’une équipe, dans le maniement des hommes, par opposition aux ingénieurs tournés vers la technique ou aux cadres, associés à une catégorie jugée obsolète (identifié à la stabilité, la rigidité). « Les auteurs des années 90 utilisent ainsi le terme de manager…pour cerner les qualités des hommes les mieux ajustés à l’état actuel du capitalisme et à l’environnement fait d’« incertitude » et de « complexité » dans lequel sont plongées les entreprises. Les managers

Page 66: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

66

ne cherchent pas à encadrer ni à donner des ordres ;…ils ont compris que ces rôles étaient périmés. Ils deviennent donc « animateurs d’équipe », « catalyseurs », « visionnaires », « coachs », « donneurs de souffle » (Boltanski et Chiapello, 1999, pp. 118-124).

Ce management à l’intention de gommer les tensions et les conflits, il fonctionne comme un mécanisme d’occultation des problèmes réels de pouvoir. Mais ceux-ci n’en cessent pas pour autant d’exister et il « efface » seulement les manifestations apparentes. Dans les secteurs en crise, surtout lorsqu’ils sont anciennement syndicalisés, les divergences d’intérêts entre managers, actionnaires et salariés ne peuvent être dissimulés et le mythe de l’égalité d’intérêts éclate.

Le syndicalisme est évidemment un obstacle pour ce management. Les managers « californiens » éviteront à tout prix que les salariés se regroupent comme acteur social collectif, doté de sa propre volonté et ayant une position de force autonome face au management. Ils sont militants ardents de l’antisyndicalisme, pour eux les travailleurs sont des individus isolés, qui passent un contrat « libre », de vendeur libre de force de travail à une entreprise libre…« [Le syndicalisme] est accusé de mille maux anticoncurrentiels : il rigidifie ce qui doit être flexible, il entrave le libre jeu des lois du marché ; il refuse les nouvelles technologies…Le syndicat est décrit comme une forme « collectiviste » dépassée. Reynolds justifie théoriquement l’antisyndicalisme : les syndicats entravent la liberté des échanges sur le marché de travail. Naisbitt ajoute: la société américaine évolue vers un non-syndicalisme presque absolu » et « le mouvement syndical est mort » (Messine, 1987, p. 92 ). D’ailleurs, dans la Silicon Valley, vitrine du modèle économique néo-libéral nord-américain, il n’y a pas de syndicats.

Il prône l’unité autour d’un sujet unique : l’entreprise ; leurs divers composants ne peuvent pas et ne doivent pas avoir d’autre existence en dehors d’elle. Il n’y a plus de sujets multiples, porteurs de choix et d’intérêts divergents ; il faut faire comme si la direction, les actionnaires et le personnel étaient la même chose, une sorte de « communauté de frères égalitaires ». Il est cherché un idéal d’entreprise, qui fait appel à des valeurs, à l’autocontrôle, pour être plus rentable, proche, par certains aspects, de la communauté monastique religieuse. Cette vision de l’entreprise, individualiste et consensuelle, répond bien à la théorie économique libérale et à la culture nord-américaine ; ce management avec d’autres moyens tombe dans un certain « totalitarisme californien » qui n’est pas fondamentalement un totalitarisme d’appareil répressif, mais plutôt un totalitarisme de conditionnement psychologique.

L’ère de la qualité et de la créativité étend ses exigences et montre que tous les employés doivent être partie prenante, actifs et pensants. Mais les modèles de managements, notamment le classique et aussi l’instrumental, ont d’énormes difficultés à mettre en œuvre véritablement leurs principes. Or, nous constatons plutôt des contradictions flagrantes entre un et l’autre. Au fond, ces modèles ne sont pas armés, en termes conceptuels et théoriques, pour comprendre à sa juste mesure l’ampleur de la complexité sociale et les conséquences de ces bouleversements.

D’après Aktouf, depuis la fin des années 1970, « les théories « tournent en rond » à l’intérieur du traditionnel cadre du fonctionnalisme utilitariste nord-américain et de la pensée économique néo-classique » ( Aktouf, 2000, p. 114). Pour lui, il faut une philosophie de gestion et une conception du travail et du travailleur profondément différent. Il ajoute, « il n’est pas besoin d’une très grande analyse pour se rendre compte qu’un appareillage théorique adéquat fait cruellement défaut : l’arbre fonctionnalo-consensuel [nord-américain] masque depuis près d’un siècle la forêt d’oppositions et de contradictions qui minent aussi bien le champ disciplinaire que le terrain d’application du management » ( Aktouf, p. 113).

Le management participatif a aussi ses vices et limites. Le consensus, en produisant du conformisme et en éliminant les déviants, risque fort de stériliser la créativité et d’étouffer les

Page 67: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

67

initiatives les plus originales et les plus prometteuses ; elle exclut l’idée même des déviances, « culture d’entreprise » oblige; or les innovations et le progrès sont par définition des déviances.

D’autre part, l’individualisme a ses limites. Il est difficile de prôner, à la fois, le travail d’équipe, la coopération, la transparence, et de dresser les cadres les uns contre les autres dans une course acharnée au résultat et à la promotion. Le complément et antidote indispensable de l’individualisme, c’est le sens communautaire, plus généralement désigné sous le vocable de « consensus », mais un consensus biaisé puisqu’on suppose que les objectifs des employés s’identifieraient naturellement à ceux de la direction.

Comment éviter que le collectif de travail formé, informé, motivé, autonome, responsable, ne puisse pas revendiquer les contreparties de ces nouvelles et précieuses vertus, en termes de rémunération et de pouvoir ? L’autonomie et l’autodétermination ne peuvent se concevoir sans cession d’une parcelle de pouvoir, de « droits » de gestion et de décision, de « droits » de disposition des moyens, des profits, etc.

« C’est là un autre volet des limites du réformisme managérial des années 1980 : il s’obstine à refuser de s’engager dans la remise en question des fondements de la façon dont est concrètement vécu le rapport au travail dans l’entreprise. Par l’implicite conservation du statu quo pour tout ce qui touche au pouvoir, au contrôle des profits, à la division du travail, il ne peut s’agir là que d’un humanisme de façade, d’un humanisme tronqué. Il s’agit d’un management reformiste » (Aktouf, 2000, p. 115).

Il s’agit d’un courant dominant du management nord-américain qui se répand aussi comme courant dominant en Amérique latine.

2.- LE CONTEXTE (INTERNE) :

Source: Pichault et Nizet, 2000, p. 168. Adapté.

Figure 1 b

Influences des contextes externe et interne sur GRH, DRH et M.

Contexte externe : • Marché de biens et services • Modèle de relations professionnelles

et système politique • Marché du travail et législation soc. • Culture nationale

DRH

GRH

M

Configurations Organisationnelles:

Stratégies d’entreprise:

Page 68: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

68

Pour comprendre les changements qui se produisent au niveau des pratiques de GRH, des rôles de DRH et du management, nous prenons en compte les éléments du contexte (externe et interne) qui peuvent influencer et conditionner ceux-ci. Pour cela, nous reprenons la typologie proposée par Pichault et Nizet (2000).

Dans le contexte interne nous prenons en considération : les configurations organisationnelles et les stratégies d’entreprise (voir Fig.1 b).

2. 1.- Les configurations organisationnelles

Tant la structure que la stratégie de l’entreprise ont été largement utilisées comme des facteurs contribuant à maîtriser le devenir de l’entreprise.

Nous analysons les pressions et les opportunités offertes par l’environnement et l’adoption de telle structure ou telle stratégie pour répondre aux objectifs décidés par la direction.

Il y a deux approches principales quant à l’explication des déterminants de la structure d’entreprise: le courant « historiens d’affaires » et le courant de la contingence. Le premier explique que la structure est déterminée par la stratégie (thèse de Chandler) et le deuxième affirme que c’est l’environnement externe, avec ces incertitudes, qui détermine ou conditionne la structure (thèse de Lawrence et Lorsch, parmi d’autres). La théorie de la contingence pose comme principe explicatif celui du déterminisme contextuel, le contexte impose un tel degré de contrainte sur les individus créant ou modifiant la structure d’une organisation qu’ils ne peuvent qu’adapter. Pettigrew, pour sa part, affirme que la structure ne suit pas la stratégie (Chandler, 1989; Lawrence et Lorsch, 1989; Desreumaux, 1997). Or, ces deux approches ont une vision partielle et limitée du problème.

Aujourd’hui, des tentatives de dépassement et de synthèse proposent des modèles qui coalignent plusieurs variables, « des modèles qui décrivent des interrelations multiples entre les variables d’environnement, de stratégie et de structure […] et refusent de considérer les deux principes comme correspondant à des relations de causalité unidimensionnelle simples» (Desreumaux, 1997, p. 3168).

Il y a plusieurs typologies des structures d’entreprises. Sans rentrer dans le détail, il peut être citée une première typologie composée par: la structure fonctionnelle, la structure divisionnelle et la structure matricielle (Desreumaux, 1997).

Le modèle de Burns et Stalle qui propose deux types purs à considérer comme les extrémités d’un continuum: a)- le modèle « mécaniste » et b)- le modèle « organique ».

Parmi les formes plus récentes de structures, nous pouvons signaler: la « structure en réseau » (des notions proches sont: organisation polycentrique, polycellulaire) (Livian, 1999, p.478), tant pour de grandes entreprises multinationales (exemple : Benetton, etc.) que pour des entreprises d’un autre profil telles que : la communauté Linux, Dell, le réseau de la région de Prato (Italie), etc. (Malone et Laubacher, 1999). Il est signalé aussi d’un modèle d’organisation post-bureaucratique (Desreumaux, 1997). En tout le cas, ce qui caractérise ces derniers types de structures organisationnelles est: la réduction du nombre de niveaux hiérarchique, donc, des structures plates, l’accroissement de la flexibilité, la décentralisation (des « strategic business units »), la transversalité (des « task forces », des groupes-projet).

D’autre part, dans un esprit d’intégration et de synthèse, Mintzberg (1982) propose cinq configurations structurelles, à savoir: la structure simple, la bureaucratie mécaniste, la bureaucratie professionnelle, la structure divisionnelle et l’adhocratie.

Page 69: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

69

Les configurations organisationnelles proposées par Nizet et Pichault (1995) sont principalement basées sur celles de Mintzberg (1982). Ils ont revisité Mintzberg et proposent les cinq configurations suivantes : la configuration entrepreneuriale, la configuration missionnaire, la configuration bureaucratique, la configuration adhocratique et la configuration professionnelle. La configuration missionnaire s’écarte clairement de celles proposées par Mintzberg.

De la typologie de Pichault et Nizet (1995, 2000) et pour les raisons déjà évoquées, nous ne retiendrons que trois configurations, à savoir : a)- la configuration bureaucratique, b)- la configuration professionnelle et c)- la configuration adhocratique. Dans chacune des configurations les trois dimensions principales d’analyse seront : la division et la coordination du travail, les buts et la distribution du pouvoir dans l’organisation.

Nous exposons, en général, les trois caractéristiques ou dimensions des configurations organisationnelles.

2. 1. 1.- La division et la coordination du travail

Dans la constitution d’une structure organisationnelle, la façon dont elle divise, d’une part, et coordonne, d’autre part, le travail des opérateurs de l’entreprise est importante. D’après Mintzberg «la structure d’une organisation peut être définie simplement comme la somme totale des moyens employés pour diviser le travail entre tâches distinctes et pour ensuite assurer la coordination nécessaire entre ces tâches» (Mintzberg, 1982, p. 18).

La manière dont la division du travail se pose chez les opérateurs ou membres qui sont «à la base» et en contact direct avec le produit ou avec le client comporte deux dimensions: horizontale et verticale.

La division du travail sera forte sur la dimension horizontale si le travailleur a un nombre limité de tâches à accomplir, autrement dit un petit nombre de tâches répétitives, et faible dans le cas contraire.

Dans la dimension verticale de la division du travail, on parlera de division verticale forte s’il y a une séparation nette entre la conception du travail et son exécution, c’est-à-dire si le travailleur ne participe guère à la conception de son travail et cette fonction est assurée par les analystes de la technostructure. La division sera faible si ceux qui réalisent le travail sont aussi ceux qui le conçoivent.

La coordination du travail peut être assurée par les mécanismes suivants (Mintzberg, 1982, pp. 17-24 ; Nizet et Pichault, 1995, pp. 33-45 ; Pichault et Nizet, 2000, p. 43) :

- l’ajustement mutuel: c’est la coordination du travail par la communication informelle entre les opérateurs; des échanges de leurs compétences et leurs savoir-faire, sans contrôle spécifique de la hiérarchie.

- la supervision directe: lorsqu’un supérieur a la responsabilité du travail de plusieurs travailleurs et leur donne des consignes, des ordres, contrôle directement le travail qu’ils effectuent.

- la standardisation des procédés ou des résultats: s’opère à travers des personnes extérieures à la ligne de commandement hiérarchique - appelés les analystes - interviennent par des règlements, des machines, des systèmes d’information, etc., pour fixer les tâches que les travailleurs doivent réaliser ou les résultats qu’ils doivent atteindre. Il s’agit de programmer à l’avance certains aspects du travail.

- la standardisation des qualifications: a lieu quand des travailleurs qualifiés sont affectés à des postes où ils vont mettre en œuvre le savoir et savoir-faire qu’ils ont acquis lors de leur

Page 70: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

70

formation; ce qui est programmé, ce sont les formations que doivent avoir les opérateurs ou professionnels occupant tel ou tel poste de travail, par exemple un chirurgien.

- la standardisation des normes ou des valeurs: des analystes programment et diffusent (par le biais de journaux, d’affiches, etc.) des valeurs auxquelles les travailleurs sont censés adhérer. Mintzberg appelle la standardisation des normes comme «l’idéologie organisationnelle» que consisterait en «un système de croyances et de valeurs à propos de l’organisation, auquel tous les membres de l’organisation adhèrent; c’est un système qui est différent de celui d’autres organisations» (Mintzberg, 1986, p. 222). Le contrôle du travail s’effectue essentiellement par le biais d’une idéologie qui tente d’obtenir l’adhésion de chaque travailleur aux valeurs organisationnelles et de gagner ainsi son implication dans la vie de l’entreprise.

2. 1. 2- Les buts

Cette problématique a été analysée en détail tant par Minztberg dans son ouvrage "Le Pouvoir dans les organisations" (1986, pp. 43-58 et III partie) que par Nizet et Pichault (1995, pp. 97-128). Le point de vue de Mintzberg à ce propos peut être résumé en deux propositions principales partagées par Nizet et Pichault. D’abord les organisations poursuivent habituellement plusieurs buts; position en claire contradiction avec certains économistes classiques qui tentent de comprendre le fonctionnement du marché à partir de l’hypothèse que les entreprises poursuivent un seul but: le profit. D’autre part, il postule que les buts organisationnels sont promus par différents acteurs, tant des acteurs internes que des acteurs externes à l’organisation, en opposition à ces mêmes économistes qui considèrent qu’une entreprise peut être personnifiée à un seul individu, le chef d’entreprise. Au sein d’une organisation, il y a alors des buts multiples, même contradictoires, poursuivis par des acteurs différents, qui malgré ceci, peuvent coexister.

Considérés isolément les uns des autres, ces buts peuvent être caractérisés de deux manières:

a) Distinction entre les buts de mission et les buts de système,

b) Distinction entre le degré d’opérationnalité des buts.

a)- Le but de mission est tout but qui se réfère aux produits, aux services ou encore aux clients de l’organisation. Lorsqu’une chaîne de distribution affirme se soucier de la satisfaction de sa clientèle, il s’agit d’un but de mission ; la même chose pour l’hôpital qui fait un effort particulier pour accueillir les malades.

Nous considérons comme but de système, tout but qui s’énonce en référence à l’état de l’organisation ou à ses membres, indépendamment des biens et des services qu’elle produit. Une organisation qui, pendant les périodes florissantes, thésaurise des ressources excédentaires qui lui permettront de survivre lorsque les conditions se seront détériorées, poursuit un but de système, puisque c’est bien de la survie de l’organisation dont il est question (Nizet et Pichault, 1995, pp. 98-104).

b)- Quant à l’opérationnalité des buts, un but est opérationnel lorsqu’il est aisé de déterminer si (ou dans quelle mesure) il est atteint ou non; il est non opérationnel lorsqu’il est difficile, voire impossible de déterminer s’il est atteint ou non. Le cas de la NASA offre un exemple d’un but opérationnel dans la mesure où on lui avait fixé comme objectif, lors de sa création, d’envoyer un homme sur la lune avant la fin de la décennie soixante. Par contre, un directeur d’école primaire qui indique que le but de l’école est de préparer les enfants à la vie, est un exemple d’un but peu opérationnel (Nizet et Pichault, 1995, pp. 103-110).

Page 71: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

71

2. 1. 3.- La distribution du pouvoir

Une troisième composante importante des configurations est la manière dont le pouvoir est distribué entre les acteurs.

La question de la distribution du pouvoir passe évidemment par un repérage des acteurs dans l’organisation. Mintzberg (1986) a réalisé une analyse approfondie du sujet et a proposé une typologie; Nizet et Pichault (1995) en adaptant cette typologie ont proposé sept catégories d’acteurs dans les organisations.

- Les opérateurs, sont les travailleurs qui se trouvent «à la base» de l’organisation, ceux qui sont en contact avec les produits et les clients. En général, ils ont un degré de qualification faible. S’ils ont un degré de qualification élevé, ils seront appelés des professionnels.

- Le sommet stratégique comprend des personnes qui ont la responsabilité d’ensemble de l’organisation. Il est constitué du directeur, du comité de direction, le cas échéant de son secrétariat, etc.

- La ligne hiérarchique est constituée par les acteurs situés entre le sommet stratégique et les opérateurs. Suivant le type d’organisation, cette ligne hiérarchique peut être plus ou moins longue.

- Le support logistique: c’est une des catégories d’acteurs qui sont à l’extérieur de la ligne de commandement qui va du sommet stratégique aux opérateurs. Il remplit une série de fonctions annexes, telles que le service juridique, le nettoyage des bâtiments, le restaurant d’entreprise, etc.

- Les analystes: l’autre catégorie qui reste à côté de la ligne de commandement. Ils s’occupent des différentes formes de standardisation dont on a déjà parlé. Ils mettent au point des machines, conçoivent des systèmes informatiques, élaborent des règlements de travail, ont en charge la comptabilité, la communication interne, etc.

- Les propriétaires de l’organisation: ceci soit dans le sens financier (par exemple, un actionnaire d’entreprise privée), soit dans le sens légal (par exemple, un ministre ayant la responsabilité d’un organisme d’Etat).

- les associations d’employés: syndicats (pour le personnel peu qualifié) et corporations professionnelles (pour le personnel qualifié).

Selon le type d’organisations, ces acteurs exercent plus ou moins de pouvoir. Le pouvoir est compris ici, d’après Pichault et Nizet (2000), surtout dans le sens du pouvoir informel, à savoir la capacité d’influencer effectivement les décisions de l’organisation, et en particulier les décisions importantes, appelées stratégiques. Il est clair qu’il y a un pouvoir formel qui émane de l’autorité et il est ancré dans le sommet hiérarchique. L’autorité et le pouvoir informel peuvent aller de pair, mais il arrive aussi fréquemment que la distribution de l’une s’écarte clairement de la distribution de l’autre.

Pour localiser le pouvoir dans l’organisation, deux méthodes sont possibles. La première consiste à identifier les acteurs formellement habilités à prendre les décisions; la seconde consiste à déterminer les acteurs qui, de fait, influencent les processus de décision.

Enfin, quant aux systèmes d’influence, le pouvoir sera localisé, suivant les organisations, chez un ou plusieurs acteurs déterminés. Une telle localisation du pouvoir est liée, selon Mintzberg, à la prédominance d’un mécanisme de coordination.

Page 72: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

72

Ces deux variables - localisation du pouvoir chez tel(s) acteur(s) et prédominance de tel mécanisme de coordination - permettent d’identifier les systèmes d’influence. Ils sont quatre:

a)- Le système de contrôle personnel, où le pouvoir est localisé dans le sommet stratégique; le mécanisme de coordination dominant est la supervision directe.

b)- Le système de contrôle bureaucratique, où le pouvoir peut être localisé au sommet stratégique, mais aussi dans le haut de la ligne hiérarchique, chez les analystes de la technostructure ou chez le propriétaire. Globalement, la standardisation des procédés et des résultats maintient la prééminence de ceux qui détiennent l’autorité: sommet stratégique et ligne hiérarchique.

c)- Le système de contrôle idéologique: d’après Nizet et Pichault (1995), le pouvoir le plus important est localisé au sommet stratégique et chez les analystes de l’idéologie. Le mécanisme de coordination c’est la standardisation des normes.

d)- Le système des compétences spécialisées. Globalement, il s’agit des fonctionnements décentralisés, tant horizontalement que verticalement ; par conséquent, il est difficile de parler de localisation de pouvoir. Le pouvoir est réparti et localisé dans des équipes de professionnels tantôt de la ligne hiérarchique, tantôt de la technostructure, tantôt du support logistique. Dans certains cas, les formes organisationnelles acquièrent la forme d’une structure matricielle. Dans ce système, plus que dans d’autres, les opérateurs exercent une part du pouvoir et le sommet stratégique a moins de pouvoir et fait preuve de loyalisme.

2. 2.- Les stratégies d’entreprise

Des auteurs, notamment du courant de la contingence (Chandler, 1989; Lawrence et Lorsch, 1989; Porter, 1990), postulent que la stratégie de l’entreprise est très sensible aux aléas de l’environnement externe et qu’elle déterminerait les pratiques de gestion des ressources humaines et la structure organisationnelle.

Une stratégie d’entreprise, d’après l’approche classique de stratégie, «est une combinaison des ‘fins’ (des objectifs) que s’efforce d’atteindre la firme et des ‘moyens’ (des mesures) par lesquelles elle cherche à les atteindre. Les termes choisis pour désigner certains concepts diffèrent selon les firmes. Par exemple, certaines firmes utilisent des mots tels que «mission» ou «finalités» à la place du terme «objectifs », d’autres parlent de «tactique» plutôt que des «mesures opératoires» ou de «mesures fonctionnelles. Toutefois, la distinction entre les fins et les moyens permet de capter la notion fondamentale de stratégie» (Porter, 1990, p. XII).

La stratégie d’entreprise désigne les décisions importantes prises par les responsables des entreprises, décisions qui ont des effets à long terme et qui impliquent d’importantes ressources financières, matérielles, humaines, etc. Une distinction s’impose entre les stratégies d’affaires (business strategy), qui concernent davantage les unités de production d’un bien ou d’un service, et les stratégies de groupe, qui se référent davantage au niveau décisionnel supérieur d’une organisation multidivisionnelle (corporate strategy) (Pichault et Nizet, 2000). Nous ne tiendrons compte que des stratégies d’affaires, qu'on appellera simplement stratégie d’entreprise.

Différents types de stratégies d’entreprise

Parmi les grandes catégories de stratégies d’entreprise, nous pouvons citer: la stratégie des coûts, la stratégie de différentiation, la stratégie de concentration ou focalisation de l’activité (Porter, 1990), la stratégie de l’innovation (Sengenberger, 1991), la stratégie d’utilisation

Page 73: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

73

parcimonieuse des actifs (Miller, 1996), la stratégie de la qualité, la stratégie de la flexibilité (Pichault et Nizet, 2000).

De nombreux chercheurs ont privilégié l’étude de la relation déterministe de la stratégie sur la GRH. Certains par l’intermédiaire des structures organisationnelles, d’autres en se focalisant directement au lien stratégie-GRH, indépendamment des structures, et s’intéressant spécialement à la performance de l’entreprise.

Cette relation doit regrouper les actions de GRH les plus appropriées à l’intégration des ressources humaines à la stratégie. D’après Guérin (1995), cette intégration peut se faire au moyen de deux processus :

a)- un processus d’alignement,

b)- un processus d’influence.

Le processus d’alignement « est la vision classique (et réactive) de la planification stratégique. Des décisions de nature plus stratégique actionnent des exigences en matière de RH qui, confrontées aux tendances des deux environnements, mettent en évidence des défis relatifs aux RH qui doivent être relevés par la stratégie de GRH ;…des actions sont envisagées pour adapter les RH aux exigences de la stratégie externe et des autres stratégies internes » (Guérin, 1995, p. 154).

L’élaboration de modèles stratégiques de GRH congruents à diverses stratégies, le plus souvent réduits à la stratégie compétitive, a été très en vogue dans les années 80 et 90 (Dyer et Holder, 1988 ; Schuler, Galante et Jackson, 1987 ; Jackson et Schuler, 1995 ; Youndt, Snell, Dean et al., 1996 ; Whright et Sherman, 1999). L’analyse s’est même raffinée au point de se préoccuper de l’alignement exclusif de certaines activités de GRH, comme la rémunération, l’évaluation du personnel, la dotation, la gestion des carrières, etc. Cependant, ces divers modèles d’alignement ont des faiblesses notoires. Guérin et Wils en analysant de façon critique ces modèles signalent : « En résumé, les modèles ou les alignements-types de l’approche contingente présentent certaines faiblesses dont celle de n’exprimer, le plus souvent, que des relations bivariées entre les déterminants du contexte stratégique et les pratiques de gestion des ressources humaines. Ce faisant, ils présentent des simplifications excessives de la réalité qui ignorent les nombreuses interrelations entre les déterminants des pratiques. Ils présentent aussi l’inconvénient de masquer le fait que ces pratiques découlent de processus décisionnels et non du contexte stratégique. Comme telles, elles sont influencées par la personnalité des acteurs, leurs ressources, leurs enjeux et les luttes de pouvoir qui les animent » (Guérin et Wils, 1990, p. 698).

Le processus d’influence, où des actions sont envisagées pour développer prévisionnellement les RH dans un sens qui augmente les capacités organisationnelles et favorise l’élaboration de stratégies externe ou interne plus ambitieuses. « Il devient donc nécessaire de travailler à faire évoluer la réalité des RH non seulement pour l’aligner sur la stratégie compétitive (aspect réactif) mais aussi pour permettre la formulation de stratégies compétitives plus ambitieuses (aspect proactif)…Une certaine « vision » de ce que sera l’organisation de demain et des changements qui l’assailliront est donc nécessaire pour se faire une idée des futurs besoins en RH et envisager aujourd’hui, en les intégrant à la stratégie de GRH, les actions qui transformeront cette main-d’œuvre (par exemple : sa culture, sa capacité de recherche ou sa capacité de gestion) et seront à la source des avantages compétitifs de demain » (Guérin, 1995, p. 157).

Cette relation déterministe stratégie-GRH a été étudiée surtout par des chercheurs anglo-saxons dans la perspective de déterminer quelle est la meilleure adéquation (« fit ») entre une stratégie donnée et les pratiques de gestion des ressources humaines et qui serait caractéristique d’une firme performante. Cette intégration nécessaire entre la stratégie et la

Page 74: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

74

gestion des ressources humaines est appelée, dans le langage des auteurs nord-américains, le management stratégique des ressources humaines (MSRH)7 (Tichy, Fombrun et Devanna, 1982; Chadwick et Cappelli, 1999) ou la gestion stratégique des ressources humaines (Wright et Sherman, 1999).

D’autre part, la stratégie sera en relation étroite avec la structure ou, d’après la terminologie utilisée par Mintzberg, la configuration organisationnelle de l’entreprise. Cette interrelation a été clairement établie par de nombreux auteurs (Lawrence et Lorsch, 1989; Mintzberg, 1982; Miller, 1996).

En suivant Sengenberger (1991), nous relevons trois types principaux de stratégies, à savoir: 1)- la réduction des coûts du travail, 2)- l’amélioration de la qualité et 3)- le développement de l’innovation.

1)- La stratégie de réduction des coûts du travail: dans ce cas les décideurs essayent de récupérer la compétitivité principalement à travers la diminution des coûts, notamment des coûts salariaux. Les mesures caractéristiques dans ce type de stratégie sont:

- la négociation des concessions, c’est-à-dire, la réduction temporelle ou permanente des salaires, des prestations sociales complémentaires, etc.

- l’élargissement des heures de travail (exemple : travail de weekend) ou les horaires flexibles de travail selon les besoins de la production,

- l’introduction ou l’extension des modalités d’emplois atypiques, tels que : les contrats à durée déterminée, le travail à temps partiel, les entreprises à travail temporel, etc.

- des modifications de la législation du travail pour alléger les coûts de production, tels que les taxes aux entreprises, la diminution des coûts salariaux, diminution d’entraves légales pour licencier ou embaucher, etc.

- les délocalisations des entreprises vers des régions ou des pays avec une main-d’œuvre moins chère et des législations sociales moins contraignantes.

2)- La stratégie d’amélioration de la qualité, elle tient à augmenter la fiabilité du produit ou du service et à la satisfaction des clients par amélioration des processus de production. Elle est souvent liée à l’innovation.

3)- La stratégie de développement de la capacité d’innovation et d’adaptation: elle permet une concurrence avec des produits et des services de meilleure qualité, avec un meilleur design, des produits adaptés aux demandes des clients et dans un temps approprié; une production adaptée aux demandes changeantes du marché. Pour cela, il faut une réorganisation du système de production et du travail et pas seulement une modification des prix ou des quantités produites. Cette nouvelle organisation du travail a comme caractéristiques principales :

- la réintégration de la conception et de l’exécution du travail, ce qu’implique la rupture des lignes conventionnelles qui divisent les dirigeants et les employés,

- la réduction des classifications des postes de travail, l’élargissement et l’enrichissement de ces postes et, donc, la tendance à la polyvalence et flexibilité des travailleurs,

- la formation professionnelle des travailleurs, avec une régulation du marché du travail au-delà de l’entreprise prise individuellement pour que cette formation ait lieu effectivement,

- une plus grande participation et contrôle des travailleurs dans la prise de décisions,

7 En anglais, Strategic Human Resource Management (SHRM).

Page 75: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

75

- une plus grande coopération entre entrepreneurs et travailleurs (Sengenberger, 1991, pp. 263-264).

La mise en oeuvre de ces types de stratégies est complètement différente quant à la considération de la main-d’œuvre comme facteur de développement et à la restructuration industrielle. « Dans le premier cas [diminution des coûts], la main d’œuvre est considérée comme profondément statique et passive, comme simple ou principal facteur de coût, tel que le coût de la terre ou d’un prêt bancaire. Dans cette approche, l’entrepreneur a intérêt à maintenir le coût du travail, tel que le prix de n’importe quel autre facteur de production, le plus bas possible. Par contre, si la force compétitive est basée sur la capacité d’innovation, la mission de la main d’œuvre est considérée d’une manière beaucoup plus active et dynamique […] Si il est possible de libérer l’initiative, l’engagement, l’auto responsabilité et la coopération des travailleurs dans le processus de production, augmenteront fortement la productivité et la flexibilité de l’entreprise » (Sengenberger, 1991, p. 266) (notre traduction).

D’autres auteurs, tels que Porter (1990), Miller (1996), Pichault et Nizet (2000), confirment ces différentes stratégies d’entreprise. Ils distinguent aussi différents types de stratégie d’affaires, à savoir:

- la stratégie de diminution des coûts (ou de prix bas), qui cherche à produire moins cher que le concurrent à travers les économies d’échelle, minimiser les dépenses de toute nature et dicter le prix du marché;

- la stratégie de la qualité, qui tente d’accroître la satisfaction des clients par une amélioration des processus de production et/ou des services;

- la stratégie de la différenciation, qui vise à doter le produit d’une attractivité particulière, soit en innovant de manière systématique, soit en travaillant son image de marque et sa présentation et s’évader de la contrainte des prix;

- la stratégie de la flexibilité, qui développe une grande capacité d’adaptation de l’organisation aux besoins du marché par le recours à l’innovation de procédés.

Les stratégies d’entreprise et la GRH

Pour mieux comprendre les liens avec les configurations de Pichault et Nizet, nous faisons appel aux propositions de Dyer et Holder (1988). Ils ont réalisé une analyse assez complète non seulement du rapport stratégie-pratiques de RH mais en considérant aussi des variables telles que la structure organisationnelle et la technologie. En ce qui concerne la gestion stratégique des ressources humaines (GSRH), ils proposent une typologie à partir de trois stratégies de GRH, à savoir: d’incitation (inducement), d’investissement (investment) et d’implication (involvement).

En suivant Dyer et Holder (1988), nous constatons que lorsqu’il s’agit d’une stratégie de GRH d’incitation, elle est en rapport avec une stratégie d’affaires basé sur le prix bas et/ou sur la qualité. Dans ce cas, ces entreprises se caractérisent par une structure organisationnelle hiérarchisée et centralisée et une technologie traditionnelle avec des changements lents et évolutifs. Cette stratégie d’incitation poursuit plusieurs objectifs (de contribution, de composition, de compétence et d’engagement du personnel) et utilise divers moyens (recrutement, développement, rétribution, système de travail, supervision, etc.) pour y arriver.

La contribution des travailleurs est vivement sollicitée, ils sont encouragés le comportement fiable et l’obtention de normes très élevées de performance. Le contrôle des coûts est rigoureux, les dépenses doivent être minimales ainsi que le nombre d’effectifs. L’engagement réside sur une logique instrumentale avec un degré de paternalisme, c’est-à-dire que la forte

Page 76: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

76

utilisation de la performance est liée aux stimulants salariaux (exemple: paiement à la pièce plus bonus, etc.); le salaire devient le stimulant principal. Ceux qui ne répondent pas aux normes de performance sont rapidement licenciés. Le système du travail est bien défini, planifié et contrôlé sur base des normes préétablies. Le développement des carrières n’est pas très poussé et la formation est minimale et liée strictement au poste de travail. Le pouvoir de décision est hautement centralisé.

Dans cette description, il y a des caractéristiques convergentes avec les propositions du modèle objectivant de Pichault et Nizet, modélisation que nous analyserons plus loin.

D’autre part, la stratégie de GRH d’investissement établit des liens privilégiés avec une stratégie d’affaires de différenciation; différenciation de produits, de services et/ou de la qualité. La structure organisationnelle typique est centralisée et plus mince, avec une technologie moderne qui a des changements continuels, parfois des changements rapides.

L’excellence et l’initiative des travailleurs sont demandées comme contribution à l’entreprise. Les normes de performance sont élevées. La sélection cherchera des talents hautement formés, des personnes de haut niveau. La haute compétence est l’objectif requis des employés, le changement technologique implique une certaine flexibilité aussi des employés pour maîtriser ce changement et pour éviter des licenciements. Par conséquent, le développement des employés est encouragé, il s’agit d’être le meilleur pour contribuer plus et mieux; les investissements en formation sont énormes non seulement pour les postes de travail immédiat mais aussi pour un développement des compétences de long terme, c’est-à-dire continuel. Des encouragements pour des carrières de long terme permettrait d’obtenir un haut niveau de contribution et d’engagement à l’entreprise. Son encouragées les initiatives, une autonomie relative mais le management établit exactement les normes de performances et réalise un contrôle centralisé. Le travail en groupe serait possible et stimulé. Les rétributions sont basées sur le type de travail, les mérites et d’autres bénéfices. Le contrôle est large mais l’encadrement aussi. Les employés ont une liberté de décision et d’initiative dans leur travail, cependant cela ne signifie pas non plus une participation dans tous les domaines. Ils sont stimulés le respect, la justice, la sécurité, l’autonomie relative et le bien être social des employés (exemple: crèches, soins de santé, etc.) dans l’organisation. La communication est bonne et des moyens pour l’améliorer sont créés tels que des enquêtes d’opinion, des réunions, etc.

Nous retrouvons ici d’abondantes corrélations avec les caractéristiques du modèle conventionaliste proposé par Pichault et Nizet.

Enfin, la stratégie de GRH d’implication, est plutôt corrélée avec une stratégie d’innovation, permettant des produits ou des services différenciés, de flexibilité (organisationnelle), mais aussi avec une stratégie de prix et de qualité (comme dans la stratégie d’incitation) dans des marchés hautement concurrentiels. Les structures organisationnelles retrouvées ici sont des firmes de petite taille et décentralisées ou des unités de production liées à des compagnies plus grandes avec par exemple des structures matricielles. La technologie est flexible et très avancée, il s’agit de la technologie de pointe.

Quant à la contribution, un niveau important d’initiative, de la créativité avec des performances élevées et une grande flexibilité des employés sont attendues.

Le but poursuivi est d’obtenir un grand engagement des employés, une identification non seulement à l’organisation mais aussi à leur mission et leur travail. Des travailleurs très compétents au sens large et à tous les niveaux sont requis. Pour augmenter ce niveau d’engagement, il y a une redistribution de l’autorité, un flux important d’information, une augmentation des connaissances de base et des compétences des employés. Le personnel exerce des initiatives, de la créativité, de l’autonomie pour résoudre des problèmes liés au

Page 77: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

77

travail. Il y a une participation aux décisions et on encourage des politiques pour l’enrichissement des tâches, l’auto-formation et la formation de groupes semi-autonomes et le self-engagement. La supervision sera minimale. La rétribution est basée sur les compétences mais aussi sur la distribution du profit et autres bénéfices flexibles. Il y a du temps flexible au travail. Quant au développement des carrières, le développement des compétences est encouragé pour faire face à la flexibilité du travail et faciliter la fonctionnalité horizontale du travail. Les licenciements sont minimisés (Dyer et Holder, 1988, pp. 1- 46).

Cette dernière typologie de GRH de Dyer et Holder, nous rapproche certainement du modèle de GRH individualisant de Pichault et Nizet.

Par conséquent, nous sommes en mesure d’établir les corrélations8 entre les stratégies, les structures et la GRH dans notre cadre d’analyse (voir Ch. III).

3.- LE CONTEXTE (EXTERNE) :

L’environnement externe est une notion devenue importante après avoir considéré l’organisation comme un système ouvert. L’environnement externe peut être compris comme un flot d’informations dont la source est extérieure à l’organisation, comme un ensemble des ressources rares que les organisations se partagent ou se disputent ou comme environnement perçu. Nous retiendrons comme environnement externe d’une organisation «un ensemble 8 Le terme corrélation est utilisé ici pour signaler une relation théorique et plus spécifique entre ces trois variables ; par exemple, entre une stratégie de diminution de coûts, une configuration bureaucratique et un modèle objectivant de GRH.

Source: Pichault et Nizet, 2000, p. 168. Adapté.

Figure 1 c

Influences des contextes externe et interne sur GRH, DRH et M.

Contexte externe : • Marché de biens et services • Modèle de relations professionnelles et

système politique • Marché du travail et législation sociale • Culture nationale

DRH

GRH

M

Configurations Organisationnelles:

Stratégies d’entreprise:

Page 78: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

78

mouvant d’informations et des ressources rares, internes et externes, ou perçues comme telles par certains de ses membres» (Wils, Le Louarn et Guérin, 1991, p.134).

D’après Pichault et Nizet (2000), il faudrait considérer dans l’environnement externe: le marché du travail et la politique de réglementation sociale, le marché des biens et services, les valeurs culturelles et la technologie. Par contre, Wils, Le Louarn et Guérin (1991) proposent cinq composantes principales: l’économie, la technologie, la main d’œuvre, les valeurs et attitudes et les lois et institutions. Nous pouvons ajouter en plus, le modèle productif et industriel, le système politique, le marché financier ou boursier, l’Etat et leurs institutions, comme des variables du contexte externe.

Dans ce vaste environnement externe, nous avons choisi seulement 4 variables, à savoir : 1)- le marché du travail et la législation sociale, 2)- le modèle de relations professionnelles et le système politique, 3)- le marché des biens et services et 4)- la culture nationale.

Deux raisons justifient ce choix. La première tient à une raison d’ordre pratique. Dans ce domaine il est absolument nécessaire de limiter la quantité de variables à considérer pour pouvoir après les vérifier convenablement. Deuxièmement, ce sont les variables qui nous permettent de relever de la façon la plus éloquente et directe les changements et les différences qui peuvent exister dans les contextes nationaux divers. En effet, ceci constitue un des objectifs de notre étude comparative.

De la typologie suivie, nous avons complété la variable sur les modèles des relations professionnelles et le système politique, pour les raisons déjà expliquées, et nous avons ajouté la culture nationale, variable importante à considérer dans une comparaison internationale.

Dans une première approche, nous considérons l’influence des variables de l’environnement externe sur les changements des GRH, des DRH et du management; il s’agit là d’une approche contingente et/ou rationaliste. Dans une deuxième approche, nous analysons la perception et la mobilisation que les acteurs font des variables du contexte externe, dans ce cas il s’agit d’une approche politique.

Nous posons cette double exigence dans la mesure où les actions sociales que nous analysons ont lieu dans le cadre des organisations sociales avec des contraintes spécifiques et objectives, telles que un délai de production, un temps de travail, des lois sociales précises à respecter, un budget limité à gérer, etc.

Dans cette partie, nous analysons spécialement les deux variables que nous avons ajoutées, à savoir : les modèles des relations professionnelles et le système politique, et la culture nationale. Les autres deux variables seront vues très superficiellement, mais reprises en détail dans notre cadre d’analyse.

3. 1.- Les modèles de relations professionnelles et le système politique

Les relations professionnelles établies dans l’entreprise ne peuvent pas être comprises séparées du contexte économique, socio-politique et institutionnel national.

Leur traditionnelle importance et influence en Europe et leur existence -quoique plus relative- en Amérique Latine, justifient leur prise en compte dans cette étude.

En Europe, ces deux dernières décennies, l’organisation industrielle de presque tous les pays a expérimenté des changements profonds. Les caractéristiques de l’ancien modèle fordiste, telles que : la production en série, les faibles coûts unitaires, les économies d’échelle, la stabilité du marché intérieur, le pouvoir d’achat des travailleurs aidé par des politiques keynesiennes, la protection sociale, des relations professionnelles relativement stabilisées et

Page 79: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

79

l’instauration d’un Etat du bien-être stable, ont souffert des changements radicaux ou des disparitions (Sengenberger, 1991).

3. 1. 1.- Le débat autour des conceptions socio-politiques différentes.

Les changements qui s’opèrent dans l’économie et les entreprises ne sont pas seulement le produit des déterminismes économiques, technologiques ou environnementaux mais aussi le résultat des choix socio-politiques.

Les pays d’Europe occidentale, rappelons-le, ont essayé de résoudre la contradiction d’une économie capitaliste compétitive avec une solidarité sociale. Logique de marché capitaliste mais avec concertation sociale; de la compétitivité et de la protection sociale en même temps. Ce modèle a fonctionné stablement et avec du succès pendant la période de l’après 2ème Guerre mondiale jusqu’au début des années 1970.

Cependant compte tenu de la crise économique et du fort chômage, aujourd’hui le débat est ouvert entre ceux qui considèrent qu’il faut réduire l’étendue de la protection sociale actuellement accordée et ceux qui pensent que d’autres options sont possibles. A ce sujet, Fitoussi (1996) parle d’une conception de l’arbitrage et une conception de la complémentarité.

a)- La conception de l’arbitrage postule qu’aucune économie ne dispose des ressources suffisantes pour entretenir durablement un chômage de masse qui a caractérisé l’Europe occidentale ces deux dernières décennies et que les coûts financiers de fonctionnement de ce type de société sont considérables. Ces coûts élevés résultent des dépenses de la protection sociale et ils ont un effet pervers sur la compétitivité nationale.

Selon cette conception, « il existerait un arbitrage politique entre compétitivité et cohésion sociale : plus de l’une ne pourrait être obtenue qu’aux dépens de l’autre … Les politiques publiques en découlent: déréglementation du marché du travail, accroissement des inégalités, baisse des prélèvements obligatoires, et par voie de conséquence des dépenses publiques et des services rendus par les collectivités publiques» (Fitoussi, 1996, p. 210). Les justifications théoriques, qui ont déjà été exposées auparavant, signalent que la globalisation des marchés intensifie la concurrence et notamment celle des pays à bas salaires et faible niveau de protection sociale, que le progrès technologique se fait aux dépens de la main d’œuvre non qualifiée, etc. donc, il ne reste qu’à accroître la flexibilité du marché du travail. « Le retour au plein-emploi est à ce prix: nos sociétés ne peuvent rester riches que si certaines catégories de travailleurs deviennent plus pauvres et leur sort plus précaire» (Fitoussi, p.210). L’idée de l’arbitrage revient alors à annoncer à l’avance que beaucoup seront exclus du partage des fruits de l’expansion future.

Cette logique économique privilégie le gain financier à court terme. Le niveau anormalement élevé des taux d’intérêt, quelles qu’en soient les raisons, est un symbole fort: il signifie que les revenus de la rente sont favorisés par rapport aux revenus du travail et de l’activité d’entreprise. Or, même avec une croissance faible certains groupes sociaux se sont appropriés une partie des bénéfices; donc les revenus d’une fraction de la population peuvent continuer à croître par redistribution d’un volume donné de richesse, plutôt que par la croissance de ce volume.

La justification empirique viendrait de la simple observation: « à regarder superficiellement les évolutions qui se sont produites de part et d’autre de l’Atlantique depuis deux décennies, on peut avoir l’impression que chaque région a choisi un modèle d’adaptation différent dans une commune adversité : l’Europe est singularisée par un chômage de masse, alors que les Etats-Unis connaissent une croissance, non moins inquiétante, du nombre des travailleurs

Page 80: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

80

pauvres. L’existence entre chômage et pauvreté, s’en trouverait confortée» (Fitoussi, 1996, p.212).

Ce qui est important dans cette thèse c’est la conception du contrat social et du statut du travail qu’elle porte. Pour eux, le travail n’est pas un facteur d’intégration sociale (non seulement d’un individu mais éventuellement de toute une famille), sinon une marchandise; s’il est abondant, il faut, pour qu’il trouve preneur, que son prix baisse librement.

b)- La conception de la complémentarité postule, par contre, que le travail n’est pas assimilable à une simple marchandise mais c’est un projet individuel d’intégration dans une collectivité. Cette thèse trouve qu’il y a complémentarité parce que la compétitivité est un moyen de mieux servir la cohésion sociale, et la cohésion sociale la compétitivité. Elle préfère une logique de croissance à une logique de conflits de répartition, soit des parts de marché ou du revenu national. Ce qui est important n’est pas le montant des prélèvements obligatoires mais leur utilisation pour l’investissement et pour la préservation de la cohésion sociale. Leurs fondements théoriques et empiriques peuvent se résumer ainsi : « La dépense publique d’investissement suscite des externalités qui accroissent l’efficacité du fonctionnement du secteur privé. Il en va en particulier ainsi des dépenses publiques d’éducation, de R&D, de santé, d’infrastructure… La dépense publique d’investissement élève ainsi durablement le sentier de croissance de l’économie. Il s’ensuit que le taux des prélèvements obligatoires n’a pas grande signification, puisqu’une dépense publique plus élevée pourrait aussi bien accélérer la croissance des revenus du secteur privé » (Fitoussi, 1996, p. 215).

Dans une démocratie, les dépenses publiques sont un élément déterminant du contrat social, elles portent pour l’essentiel sur des projets qui assurent l’équité et l’égalité des chances, tels que l’éducation, la santé, le transport, etc. Quant à la redistribution des revenus à travers le système fiscal et social, elle accroît le degré de cohésion sociale, et les théories modernes du marché du travail montrent, que cela est favorable à la productivité et donc à la compétitivité, « des niveaux trop bas de salaires sont peu incitatifs pour les travailleurs les moins qualifiés, et ne favorisent pas l’investissement des entreprises dans la formation interne. Le taux de rotation de la main-d’œuvre est en effet très élevé lorsque le niveau des salaires est trop faible, les salariés n’ayant aucun intérêt à investir dans une relation durable avec l’entreprise, ni à témoigner d’un effort soutenu au travail. De même, les entreprises n’ont pas d’incitation à former une main-d’œuvre, qui par définition ne restera pas longtemps dans l’entreprise, car elles ne bénéficieront pas du fruit de leur investissement en formation. La théorie du salaire d’efficience montre qu’il existe alors une marge d’augmentation des salaires qui permet en même temps d’accroître la compétitivité, parce que la productivité augmente davantage que les salaires, ce qui réduit les coûts salariaux » (Fitoussi, 1996, p. 215).

Il faut comprendre donc que la cohésion sociale est aussi un investissement auquel sont associées des externalités positives pour l’emploi et le niveau de vie.

Les justifications empiriques résultent de l’analyse des pays tant en Europe que dans le Sud-Est asiatique où il a eu des « miracles » économiques. Il se trouve que parmi les pays développés, ceux qui ont connu le moins de problèmes de chômage et de pauvreté sont l’Allemagne et le Japon, « c’est-à-dire ceux dont la grille des salaires est la plus resserrée et dont les taux d’intérêt réels ont le moins augmenté. Parmi les nouveaux pays industrialisés, ceux dont la croissance fut la plus élevée, sont aussi ceux dont le degré d’inégalités dans la répartition des revenus a décru le plus vite. Hongkong, Singapour, Taïwan, la Corée et bien d’autres pays dont les performances furent remarquables, tous ont mis en œuvre une politique destinée à renforcer la cohésion sociale, à mieux partager la croissance » (Fitoussi, p. 216). Il semble ainsi exister une corrélation directe entre cohésion sociale (ou moins d’inégalités de revenu) et performance économique (ou croissance).

Page 81: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

81

Dans ce sens, Coutrot affirme que dans la production, les valeurs et les normes des collectifs de travail jouent un rôle de première importance. Il est tout à fait erroné d’opposer une logique sociale, seulement porteuse d’équité, à une logique économique unique, fondée sur la concurrence et seule porteuse d’efficacité. Il ne faudra pas oublier non plus qu’il n’existe pas une seule manière d’organiser la production et que les critères de l’efficacité économique sont socialement déterminés. « Tout dépend des critères d’efficacité que la société décide de privilégier à un moment de son histoire. Le fordisme était sans doute le système de production le plus efficace –si l’on inclut dans les critères d’efficacité l’assurance d’une certaine stabilité et d’une certaine sécurité pour la masse des travailleurs organisés. L’entreprise autogérée est certainement très efficace –si l’on considère comme un objectif en soi le respect du droit de chaque travailleur à participer aux décisions importantes qui le concernent. Le modèle sociotechnique suédois a prouvé son efficacité –si l’on inclut dans celle-ci la reconnaissance de la dignité et de l’intelligence des travailleurs. En revanche, si l’on réduit l’efficacité à la seule rentabilité financière, la firme néo-libérale est sans doute imbattable » (Coutrot, 1998, p. 262). Cette entreprise et ce management instrumental sont habitueellement présentées comme ceux qui ont fait leurs preuves et donc dignes d’être imités, en oubliant souvent qu’il s’agit d’un choix fait dans un contexte économique, social et politique concret.

Aujourd’hui, nous observons une tendance dominante, celle de la conception de l’arbitrage, qui a, évidemment, ses conséquences au niveau du management. Nous sommes en présence d’une forte offensive néo-libérale qui prône partout les mérites de son modèle. « Un néo-libéralisme sans discernement est devenu la pensée dominante de nombreux gouvernements et organisations internationales » (Crouch et Streeck, 1996, p.9). Et dans les entreprises, l’empire d’un seul acteur privilégié: les actionnaires, et un but principal: le gain financier, est devenu le leit motiv de leurs activités. «L’importance de la valeur pour l’actionnaire empêche de traiter les clients comme des êtres humains… Je n’aime pas cette tendance actuelle. Il faut plutôt chercher un équilibre entre les actionnaires, les employés, les cadres, les clients, les fournisseurs et les gens qui habitent près des usines » (Mintzberg, 2001, p. X).

Les changements mentionnés ci-dessus ont eu indiscutablement des effets marquants sur les relations professionnelles et sur tout le modèle néo-corporatiste traditionnel, mais ceux-ci ne se traduisent pas nécessairement et uniquement par un affaiblissement des relations professionnelles.

3. 1. 2.- Le modèle néo-corporatiste et les relations professionnelles.

Les relations professionnelles ne concernent pas seulement les employeurs et les syndicats, mais aussi les partis politiques au sein d’un Gouvernement et les institutions d’Etat. La forme particulière qu’elles adoptent dans chaque pays est déterminée dans une large mesure par les supports politiques, sociaux, culturels et historiques dans lesquels tous les systèmes sont construites.

En regardant le capitalisme mondial nous constatons qu’il y a différents types de sociétés capitalistes et, par conséquent, elles influeront de façon diverse les relations professionnelles. Le capitalisme nord-américain n’est pas identique aux capitalismes Européens. De même, les démocraties nord-américaine, Européennes et latino-américaines sont différentes. Or, il n’est pas possible d’analyser ni de comprendre le management et la gestion des ressources humaines, sans tenir compte des relations professionnelles et des acteurs sociaux et politiques concrets dans ces sociétés.

Quelques précisions sur le modèle néo-corporatiste.

Le terme de corporatisme remonte au XIX siècle et a été fortement critiqué par son lien avec une certaine idéologie conservatrice et liée aux régimes fascistes. Pour éviter toute confusion

Page 82: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

82

avec des formes spécifiques de corporatismes liées à des régimes fascistes, d’autres appelations ont vu le jour : « néo-corporatisme », « quasi-corporatisme », « corporatisme-sociétal ».9 D’autres, parlent simplement de concertation sociale (Goetschy, 1983). Cette concertation peut être compris comme un système particulier de représentation des intérêts du capital et du travail lié à l’évolution du système capitaliste dans le cadre d’un régime démocratique.

La concertation sociale « est la forme la plus poussée de co-décision à trois : aux représentants des travailleurs et à ceux des employeurs s’ajoutent les pouvoirs publics. Ces derniers, habitués à prendre formellement les décisions, s’engagent à les traduire dans des orientations économiques et sociales de la politique gouvernementale. Ce type de décision, produit d’une concertation, connaît alors un cheminement semblable à celui d’une décision découlant d’un programme gouvernemental » (Arcq, 1982, p. 16).

Weiss entend par relations professionnelles10, « l’ensemble des rapports individuels, de groupe et collectivement organisés qui se nouent dans, à propos ou à l’occasion du travail et de l’emploi dans une société industrialisée », notamment entre les syndicats, les organisations patronales et le gouvernement respectif (Weiss, 1993, p. 254).

Autre concept qu’on assimile à la concertation, mais dont la portée peut être plus restreinte est celle de la négociation collective. Celui-ci « sert aujourd’hui à désigner le processus décisionnel par lequel des représentants des salariés, des employés et, éventuellement, de l’Etat fixent et contrôlent un ensemble de règles substantives et procédurales. Ces règles concernent donc aussi bien la gestion des relations de travail et de l’emploi (normes de salaire, temps de travail, reconnaissance de la qualification, modalités d’embauche et de licenciement, etc.) que les rapports entre les protagonistes du système de relations professionnelles (reconnaissance du fait syndical, obligation ou non de négocier, etc.) (Lallement, 1996, p. 78).

D’après Lallement (1996), depuis la Seconde Guerre mondiale il est possible distinguer trois modèles généraux de relations professionnelles, dont nous reproduisons leurs caractéristiques dans le tableau 1.

Tableau 1

Les modèles de relations professionnelles depuis la Seconde guerre mondiale: trois types idéaux.

9 Le « néo-corporatisme » est une expression devenue classique en sciences sociales au début des années 1970 et forgé notamment par des politologues anglo-saxons. 10 En anglais Industrial Relations ; en espagnol Relaciones Laborales.

Page 83: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

83

Industrialisme Néo-corporatisme Néo-libéralisme

Nature et forme de l’expression des intérêts

Explicitation totale des intérêts ; jeux politiques de pression ; pluralisme décentralisé

Autocontrôle partiel des intérêts ; concertation coopérative

Explicitation totale des intérêts ; jeux politiques de pression ; pluralisme décentralisé

Structures Négociation collective libre ; volontarisme

Institutionnalisation de la participation politique

Antisyndicalisme ou enfermement des relations professionnelles dans l’entreprise

Acteurs Patronat et syndicats Etat et syndicats Patronat

Période Années cinquante-soixante Années soixante-dix Années quatre-vingt, début des années quatre-vingt-dix

Pays type Etats-Unis Autriche, Suède, Norvège, etc.

Etats-Unis, Angleterre, etc.

Source : Lallement, 1996, p. 114, répris d’Inagami (1991).

La concertation sociale ou néo-corporatisme est la conception grâce à laquelle « l’histoire de l’humanité a cessé de se concevoir comme l’histoire de la lutte de classes … Les anciens postulats et la symbolique belliciste qui a caractérisé le vocabulaire politique de la gauche (mobilisation-démobilisation des masses, combat social, révolution et victoire) sont remplacés par le rituel célébré à la table de négociation,… la concertation sociale…amène à l’équilibre et à l’harmonisation d’intérêts, non à la victoire d’aucun des partenaires » (Espina, 1991, p.36) (notre traduction). D’autre part, il ne cherche pas non plus le consensus d’intérêts, ni ne s’attend à une harmonie sociale complète, par conséquent, une certaine forme de lutte sociale et politique restent absolument valables.

Le néo-corporatisme, ajoute Visser, « se réfère à une structure hautement organisée, concentrée et coordonnée de représentations d’intérêts (syndicats et employeurs), combinée avec un haut niveau de participation de la part des groupes d’intérêts organisés pour créer et développer des politiques publiques » (Visser, 1996, p. 26).

Dans ce système, l’Etat et le Gouvernement peuvent jouer des rôles très importants, mais dont le degré et la forme d’intervention seront fortement déterminés par le régime politique et le type des forces sociales et politiques existants dans un pays donné.

En suivant Schmitter (1991), nous pouvons affirmer que l’Etat est l’appareil institutionnel permanent de domination sur un territoire déterminé au travers d’une coalition légitime; le Régime c’est la configuration de l’appareil qui gouverne l’Etat et le Gouvernement, c’est le parti, la coalition politique ou le groupe de personnes concrètes qui dominent un régime dans une période déterminée.

Le type de régime le plus adéquat pour la concertation sociale c’est, évidemment, la démocratie. Cette affirmation est vraie par définition puisque la concertation implique la décision volontaire, adoptée par des groupes sociaux organisés de manière autonome, de s’engager dans diverses perspectives politiques. Donc, les régimes doivent être démocratiques et compter avec les forces sociales et politiques, avec une culture politique encline à ce type d’engagement.

Cependant, les démocraties ne sont pas toutes propices au néo-corporatisme ; c’est le cas de la démocratie nord-américaine. Ceci est ainsi, non seulement par l’absence de partis politiques de gauche importants, par la présence d’un syndicalisme particulier, mais aussi par une vision de société de stabilité et d’une logique qui ignore les contradictions sociales profondes. Une vision prônée, depuis longtemps, par une sociologie fonctionnaliste et par l’héritage très

Page 84: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

84

profond du Dunlop11. «Définir le système de relations industrielles à la manière de Dunlop ou de Flanders, en termes de règles et de régulation est non seulement trop restrictive mais, bien plus encore, implique une attitude conservatrice en mettant l’accent sur la manière dont le conflit est contenu et contrôlé plus que sur la raison de son apparition. Ce conservatisme est renforcé par la référence à la notion de système qui … a comme conséquence de renforcer cet aspect de stabilité, d’équilibre inhérent à la vision. C’est sans doute la référence explicite à Parsons qui conçoit la société comme autorégulée et autoreproduite (self regulating and self maintening) qui est responsable du statisme de l’approche dunlopienne, de son caractère conservateur qu’on lui a souvent reproché, de la faible attention portée aux conflits alors que conflit et coopération, stabilité et instabilité méritent tout autant d’attention les uns que les autres. Le fonctionnalisme souligne le consensus ou le contenu normatif des systèmes sociaux qui en assurent la cohésion et le maintien » (Caire, 1996, p. 54).

Quant aux partis politiques et aux gouvernements qui facilitent le néo-corporatisme, Schmitter signale, « d’après l’expérience Européenne, il semble exister un type particulier de gouvernement qui a plus de succès dans l’implantation et développement de la concertation sociale que n’importe quel autre. Il s’agit des gouvernements dominés par les partis socio-démocrates » (Schmitter, 1991, p. 69). Dans certains pays Européens, dont la Belgique, l’Allemagne, etc., la concertation sociale a été appuyée aussi par les partis démocrate-chrétiens.

D’après cet auteur, l’Etat peut accomplir trois fonctions dans ce modèle, les fonctions de: minima, maxima et intermédiaire ou « mini-max ». Ces propositions rejoignent celles de Visser (1996) qui distingue aussi trois rôles : un rôle minimal de l’Etat dans le modèle pluraliste, une intervention importante de l’Etat dans le modèle confrontationnel et un Etat jouant un rôle simplement d’accompagnateur dans le modèle typiquement néo-corporatiste.

Les modèles de relations professionnels de Crouch.

Crouch (1993, 1994, 1991), en considérant deux variables principales, à savoir: le pouvoir du travail organisé et le niveau d’articulation organisationnel entre le capital et le travail, propose trois modèles de relations professionnelles: le modèle confrontationnel (contestational model), le modèle pluraliste (pluralist model) et le modèle néo-corporatiste (corporatist model) (Crouch, 1993; Visser, 1996). Il s’agit des « idéaux-types » utiles à l’analyse théorique et aux comparaisons. L’idée primordiale dans la pensée de Crouch est de considérer le degré d’échange, de relation, qu’établissent, de manière autonome, le travail organisé (les syndicats) et le capital organisé (les représentants des organisations patronales). Ce degré d’échanges, cette qualité des relations entre les syndicats et les employeurs, façonne le type de relation professionnelle établi.

a)- Le modèle confrontationnel: le capital et le travail se sentent comme des étrangers ou inconnus, ils sont fort éloignés, avec une relation en gestation et, en général, leur relation est conflictuelle. Donc leur relation conflictuelle ressemble à des négociations (match) à somme nulle.

b)- Le modèle pluraliste: la fréquence des échanges augmente; une des raisons peut être l’augmentation du pouvoir des syndicats qui peuvent maintenant formuler plus de demandes ou exprimer plus de plaintes qu’auparavant ou la multiplication des niveaux ou points d’interactions. Les deux partenaires ont intérêt à diminuer le degré de conflits, donc ils développent des procédures pour mener à bien la relation et notamment les conflits; l’intérêt des deux parties est alors de réduire les coûts des conflits. Ce modèle insiste sur la 11 Célèbre sociologue nord-américain spécialiste des relations industrielles et qui a marqué l’analyse sociologique nord-américaine.

Page 85: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

85

fragmentation des structures syndicales et rejette explicitement les organisations centralisées comme incompatibles avec le pluralisme.

c)- Le modèle corporatiste ou néo-corporatiste: les négociations sont ici à somme positive, cependant ceci implique aussi une perte de chaque côté. Il y a un échange plus dense et fluide et une plus grande confiance entre les partenaires sociaux. Dans cette relation rationnelle il s’agira d’évaluer les sacrifices et les gains que chacun est disposé à accepter. Dans ce cadre, les conflits et les coûts inhérents diminuent fortement. Cependant, même si les échanges relationnels sont abondants, les intérêts restent opposés et, donc, les conflits sont toujours possibles (Crouch, 1993).

Pour l'analyse des relations professionnelles, nous utilisons les trois modèles de Crouch. On y reviendra.

Il est clair que la qualité des relations professionnelles va aussi dépendre des caractéristiques propres aux acteurs sociaux, de leurs cultures sociales et politiques, de leurs histoires particulières.

Les modèles du syndicalisme Européen.

Concernant la culture sociale du syndicalisme Européen, Donnadieu et Dubois (1995) proposent une autre approche qui peut être complémentaire à la typologie de Crouch, présentée auparavant, et utile à notre propos. Cette typologie est basée essentiellement sur le système de valeurs et de représentation du monde implicite à chaque syndicalisme et qui détermine son comportement et ses modes d’action. Ils distinguent trois modèles de culture sociale et syndicale, à savoir : le modèle « rhénan »12, le modèle « anglo-américain » et le modèle « latin ».

a. 1)- Le modèle « rhénan » : c’est un modèle marqué d’abord par un choix de participation ou de coopération des syndicats à la gestion de l’économie et de l’entreprise. Il est fondé sur des syndicats uniques, c’est-à-dire en situation de quasi-monopole de fait dans la catégorie socioprofessionnelle ou sur le territoire concerné. Ce syndicalisme tire sa puissance de leur masse d’adhérents, fidélisés par l’existence de services importants, tels qu’assurances sociales, retraite, chômage, logement, etc.

Les relations sociales s’organisent préférentiellement suivant le cas au niveau de la branche, de l’interprofession ou de l’entreprise, mais toujours sur une base de collaboration responsable. Le domaine d’intervention est la gestion économique et sociale et le type d’intervention, c’est l’accord collectif et même la co-gestion comme dans le cas allemand. Les pouvoirs de représentations du personnel sont étendus et efficaces. En citant Brunhes ils affirment « par tradition, les syndicats de ces pays participent au pouvoir de l’entreprise plus qu’ils ne le contestent. Cela ne signifie pas que la vie sociale se déroule sans conflit : il y en a eu et il y en aura encore de fort durs, tant dans l’entreprise qu’au niveau de la branche ou de la nation ; et les grèves sont autant plus dures que la puissance financière des syndicats leur permet de soutenir les grévistes. Mais ces conflits respectent des règles écrites ou implicites. La grève sauvage ou la grève préventive ne sont pas dans les mœurs » (Donnadieu et Dubois, 1995, pp. 97-99).

b. 1)- Le modèle « anglo-américain » : ce type de syndicalisme a historiquement pris naissance en Angleterre, mais il existe aussi, sous une variante originale, aux Etats-Unis et au Canada. La caractéristique de ce type de syndicalisme est de se refuser à intervenir dans la gestion des entreprises et de l’économie, considérée comme l’affaire des « patrons », pour 12 Nous utiliserons le concept « rhénan » dans un sens large et, par conséquent, comme un synonyme de social-démocrate, nordique ou germanique. Quelques auteurs, par contre, font de différences entre ces trois concepts.

Page 86: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

86

revendiquer le plus efficacement possible l’amélioration des statuts du travail : horaires, salaires, emploi, environnement, sécurité, etc. L’essentiel de l’activité syndicale est consacré à la convention et au contrat, au niveau de la branche ou de l’entreprise, raison pour laquelle on pourrait qualifier un tel modèle de contractualisme utilitaire.

Ce syndicalisme affirme son influence à travers une situation de monopole entretenu par des clauses de nature légale ou organisationnelle (le prélèvement automatique des cotisations, l’union shop (E.U.), etc.). Il peut développer aussi une diversité de services aux adhérents (assurances sociales, retraite, ...) afin de légitimer sa mission et accroître l’intérêt de l’adhésion.

c. 1)- le modèle « latin » : dans ce modèle le pluralisme syndical est une donné de base qui prend des modalités spécifiques selon les pays, mais toujours issue des mouvements idéologiques et philosophiques très présents dans la société ; souvent il y aura des syndicats ou organisations sociales d’origine marxiste, chrétienne ou bien « laïque », par opposition aux autres précédentes, et même pouvant recouvrir les courants les plus divers (social-démocratie, anarcho-syndicalisme, gauchisme, etc.). Il est possible de parler ici encore de syndicalisme de classe ou de masse. Il s’agit d’un syndicalisme de militants, organisé notamment par ses idées et où prévaut une logique de solidarité collective.

Il existe ici une culture sociale « de combat et de la contestation et cela explique pourquoi ce syndicalisme a toujours éprouvé une grande réticence à s’engager dans des politiques de compromis social avec le patronat, soit sous forme d’une contractualisation des rapports sociaux (comme dans le syndicalisme anglo-américain), soit sous forme d’une véritable participation à la gestion économique et sociale (comme dans le modèle rhénan). Mais ce comportement entraîne une certain déresponsabilisation des représentants de ce syndicalisme » (Donnadieu et Dubois, 1995, p. 100). Il s’agit aussi d’un syndicalisme réticent à un engagement à la gestion de l’entreprise ou de l’économie. C’est un type de syndicalisme qui caractérise à l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce et en partie la France.

Par ailleurs, dans ce syndicalisme la division syndicale a rendu difficile, sinon impossible, l’instauration de contraintes organisationnelles du type union shop utilisé aux E.U. ou d’un prélèvement automatique des cotisations aux adhérents. Ces syndicats n’ont pas su développer suffisamment les activités de service, qui ont été le plus souvent abandonnés au mouvement associatif et mutualiste. Donc, il n’est pas étrange que ces syndicats se tournent souvent vers l’Etat pour essayer d’obtenir par la loi ce qui n’a pas été acquis par le contrat ou par la participation à la gestion.

D’après ces auteurs cités, les modèles coopératifs ou participatifs, singularisés par le modèle rhénan ou social-démocrate, se trouvent de préférence dans les pays scandinaves, en Allemagne et en Belgique, quoique avec de connotations particulières, et les modèles confrontationnels ou adversatifs, singularisés par les modèles anglo-américain et latin –chacun avec ses particularités-, dans des pays tels que la Grande Bretagne, les Etats-Unis, l’Italie, l’Espagne, la Grèce et l’Amérique latine.

Nous avons imbriqué ces deux approches pour avoir un cadre d’analyse plus complet. Par conséquent, nous distinguerons les trois modèles suivants : le modèle confrontationnel et « latin », le modèle pluraliste et « anglo-américain » et le modèle néo-corporatiste et « rhénan ».

Il faut cependant constater que depuis ces deux dernières décennies, le modèle néo-corporatiste ou « rhénan » s’affaiblit et/ou se transforme. Le syndicalisme de masse typique de la société industrielle Européenne d’antan s’affaiblit. L’Etat qui l’avait accompagné, appelé Etat-providence, diminue en importance et a été réaménagé, le tout dans le cadre d’une

Page 87: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

87

forte confrontation des forces politiques de la droite et de la gauche Européenne (Rosanvallon, 1981).

Bien que le néo-corporatisme en Europe s’est affaibli dû notamment à la diminution de la force des organisations syndicales et à la poussé du modèle néo-libéral, il n’a pas disparu. Les organisations syndicales et ce modèle lui-même sont encore des réalités bien présentes.

En effet, à partir des années 1980 le taux de syndicalisation baisse fortement presque partout, sauf dans des pays tels que la Belgique et les pays scandinaves. « En France le taux de syndicalisation (nombre de syndiqués par rapport à la population active salariée) qui était de 20% en 1976 est ainsi actuellement de l’ordre de 9%… ; c’est aussi l’un des pays où la baisse de leurs effectifs fut la plus importante : -12,5 points, soit 56% de chute. Seuls quatre pays ont perdu plus en valeur absolue : Autriche - 16 points ; Pays Bas –13,5 points ; Portugal –29 points ; Espagne –16,4 points, mais en valeur relative seule l’Espagne a connu une chute plus forte (de 60%) l’amenant à un taux de syndicalisation de 11%, le Portugal ayant perdu 48% avec un taux de syndicalisation qui est encore de 31,8 % en 1990. Les syndicats du Royaume-Uni…ont perdu à peine 4,3 et se maintiennent à un taux de syndicalisation de 39% des salariés. Certains pays ont même vu leur syndicalisation augmenter : Belgique, Danemark, Finlande, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Suède » (Boltanski et Chiapello, 1999, p. 347 et p. 724).

Face aux critiques vis-à-vis des syndicats par leur faible contribution, voire leur blocage, à la productivité des entreprises, Coutrot postule, en revanche, que le travail est plus productif dans les entreprises françaises syndicalisées. « L’analyse en termes de fonction de production indique un différentiel de productivité ‘globale’ d’environ 4% en faveur des entreprises où existe une représentation collective du personnel en 1992. Ce différentiel est cependant plus significatif pour la présence de délégués du personnel que pour celle de délégués syndicaux. La théorie de l’effet ‘voice’ [participation] prévoit que la communication interne stimule l’efficacité des travailleurs : de fait, c’est la productivité du travail qui est accrue en présence de syndicat…Plus que le différentiel de productivité globale, toutefois, ce qui saute aux yeux est le caractère asymétrique de cet impact sur l’efficacité des facteurs de production. Toutes choses égales par ailleurs, la productivité partielle du travail est de 8% plus élevée dans les entreprises à présence syndicale, mais celle du capital est de 8% plus faible » (Coutrot, 1998, p. 72).

Dans le même sens, un important rapport de la Banque Mondiale (2002)13 conclut que le taux de syndicalisation et la pratique de négociations collectives sont des éléments déterminants des résultats du marché de l’emploi et de la performance économique des entreprises et d’un pays. Les travailleurs syndiqués et couverts par des conventions collectives, aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays en développement, bénéficient de salaires plus élevés en moyenne, sont mieux formés, réduisent les disparités salariales entre travailleurs qualifiés et non qualifiés, ainsi qu’entre les hommes et les femmes. De même, la présence des syndicats et de bonnes relations professionnelles semblent améliorer la productivité des entreprises. De plus, l’institutionnalisation des relations professionnelles entre syndicats, employeurs et gouvernements permet, au pays, de mieux se prémunir et de mieux réguler les chocs venant des marchés internationaux (Aidt et Tzannatos, 2002). Ces auteurs rejoignent les propos de Coutrot et de Messine, ce dernier cité auparavant lors de la présentation du modèle de management politique (Ch. II ).

Aujourd’hui, « tous les Européens sont confrontés à deux alternatives radicales quant à la formulation des politiques: un modèle néo-libéral et individualiste ou un modèle néo-corporatiste et collectiviste. Il n’y a aucune doute que le premier a obtenu plus de succès et 13 Ce rapport a examiné plus d’un millier d’études sur les effets positifs sur la performance des syndicats et des négociations collectives dans plusieurs pays du monde.

Page 88: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

88

que le second est sur la défensive dans la dernière décennie et demi » (Schmitter, 1991, p. 74). Dans ce cadre, certains théoriciens et politiciens du néo-libéralisme affirment que le néo-corporatisme est condamné à disparaître.

D’autres auteurs, par contre, pensent que le système social et politique complexe de l’Europe ne peut pas être amélioré par des restructurations radicales simplistes ou par l’application d’un modèle néo-libéral. « La complexité des formes et des niveaux de l’activité collective n’est pas destinée à disparaître - ni dans le secteur privé ni dans le public- comme résultat de drastiques opérations de simplification, de telles opérations ne sont pas «conseillables » pour obtenir une amélioration de l’efficacité du système de relations professionnelles ni du système économique et social dans son ensemble » (Treu, 1991, p. 279) (notre traduction).

3. 2.- La culture nationale

Nous considérons la culture nationale comme une des variables du contexte externe, « influençant » les acteurs des organisations dans leur façon de travailler. Il s’agit d’analyser en quoi et comment la culture nationale conditionne certains comportements des hommes, la manière de pratiquer la GRH, la façon d’appliquer les techniques du management -souvent les mêmes partout- dans les organisations sociales. Nous constatons que, par exemple, un professionnel, maîtrisant plus ou moins les mêmes outils théoriques et techniques de sa profession, les utilisera souvent de façon différente et agira autrement dans leurs relations sociales, selon sa culture et son pays d’origine. Donc, des notions telles que : l’esprit d’équipe, l’autorité et la hiérarchie, le temps, l’espace, l’autonomie, parmi d’autres, adopterons des modalités différentes selon la culture nationale donnée.

Nombreuses sont les études et les approches consacrées à ce sujet (Hofstede, 1987 ; d’Iribarne, 1989, 1998, 2000; Hall, 1971 ; Deval, 1993 ). Cependant la notion de culture est vaste et n’est pas homogène ; par conséquent, nous pouvons aussi parler des cultures locales, régionales, d’entreprise, familiales, etc., voire des sous-cultures de professions, de couches ou classes sociales.

La culture nationale influence, sans doute, mais pas toute seule. D’autres facteurs tels que l’histoire, les institutions -donc l’Etat-, la technologie, etc., peuvent aussi intervenir dans ce conditionnement. Il se pose donc le problème de bien cerner ou isoler ce qu’on veut analyser dans un sujet vaste et complexe. D’autre part, il se pose l’exigence de ne pas tomber non plus dans des stéréotypes culturels superflus ou d’utiliser des explications « culturalistes » rapides et non vérifiées par des constatations empiriques. Ainsi, par exemple, dire que la culture chilienne serait responsable de la tendance à l’improvisation et de l’at the last minute du chilien ou, à l’inverse, que la culture belge est responsable de la ponctualité et de l’ordre du belge, en leur donnant une validité universelle et prise isolée et hors d’un contexte, ne veut rien dire et n’a aucune validité scientifique, d’où notre souci permanent de contextualiser notre analyse.

Il y a plusieurs définitions de culture. Ainsi, pour Hofstede, la culture est «une programmation collective de l’esprit humain qui permet de distinguer les membres d’une catégorie d’hommes par rapport à une autre» (Bollinger et Hofstede, 1987, p. 27). Deval, en citant Tylor, signale que «la culture … prise dans son sens ethnologique large, est cet ensemble complexe englobant les connaissances, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes ainsi que les autres capacités et habitudes acquises par l’homme en tant que membre d’une société» (Deval, 1993). Il précise, «l’idée de culture ne se réduit pas à l’addition d’éléments épars mais renvoie à une congruence, à une logique unificatrice qui se situe au-delà des comportements réels … La culture est effectivement intégratrice en ce sens

Page 89: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

89

qu’elle assure la communication entre les acteurs sociaux et donc la pérennité de leurs actions. Elle permet le lien social, ce lien qui unit les acteurs, mais qui rend cohérent une action ou familier un objet et sa façon de l’utiliser » (Deval, 1993, 15). Ph. d’Iribarne (1999), à son tour, conçoit la culture « comme un contexte d’interprétation », il aborde notamment le domaine qui concerne la manière dont les hommes s’organisent pour vivre ensemble et il parle des cultures politiques. On y reviendra.

La culture nationale peut être un des facteurs explicatifs de nombreux phénomènes du comportement des acteurs sociaux. La culture apparaît comme le réservoir, transmis et soigneusement élaboré par l’histoire, d’un ensemble de valeurs, de règles et de représentations collectives qui se manifestent au plus profond des rapports humains. La culture peut jouer tantôt comme une force de conservatisme et de blocage, tantôt comme une force de changement (Sainsaulieu, 1987). Dans toute cette démarche à ce sujet, nous essayons de ne pas la concevoir seulement comme une force de conservatisme.

Une autre justification s’impose autour de notre variable culturelle.

Nous assistons à un processus de mondialisation de l’économie, à une révolution des technologies de l’information et de la communication (TIC), à la délocalisation des entreprises et à un monde sans frontières pour les informations et le flux monétaire. Cette transformation du paysage mondial fait présager à certains que les mœurs, les traditions, bref la culture, vont progressivement s’homogénéiser et que les différences culturelles inéluctablement disparaîtrons. Ils sont présentés comme des exemples de cette tendance « inéluctable » les succès de Coca-Cola, de Mc Donald’s, l’adoption des jeans ou la massification de l’usage de la langue anglaise, etc., dans le monde entier ou presque.

Cette polémique sur l’unification ou universalisation reste encore ouverte et elle a eu ses origines dans la fameuse thèse de la convergence de Kerr qui stipulait « que la logique de l’industrialisation fondée sur le développement technologique allait minimiser à terme les différences sociétales émanant des traditions nationales et des systèmes politiques et sociaux » (cité par Goetschy, 1989, p. 150). Récemment, Strange (1996) réaffirme cette idée : « Les changements technologiques et la récente mobilité du capital et du savoir ont donc remplacé les marchés locaux par les marchés mondiaux à un rythme soutenu durant ces dernières décennies, tandis que les institutions nationales qui influent sur les entreprises en concurrence ont relativement peu changé. Ainsi, il est impossible d’avancer que les forces largement statiques de divergence entre les formes de capitalisme moderne ont été submergées par les forces essentiellement dynamiques de convergence dérivées de changements structurels de l’économie mondiale…Il est normal pour les politologues et sociologues d’ignorer ces disparités lorsqu’ils se préoccupent davantage de la nature des Etats en tant que variable prépondérante indépendante, que de la nature des marchés… » (1996, p. 254) « la logique des marchés mondiaux visant à obtenir des biens et des services de plus en plus nombreux va-t-elle altérer, lentement mais sûrement, les anciennes divergences jusqu’à amener les versions nationales de production et d’échange capitaliste encore plus près d’un modèle commun ? J’ai … opté pour cette dernière option » ( Strange, 1996, p. 247).

Cette approche, s’est manifestée aussi au niveau culturel et du management. Les entreprises se développeraient plus ou moins de la même façon et, malgré certains décalages historiques, à la fin on arriverait au même but. Ce courant de la gestion affirme que le management serait basé sur des principes universels, clairs et rationnels ; qui prônerait une application correcte du savoir scientifique et technique de la gestion pour que les entreprises réussissent, indépendamment des contextes et des cultures nationales. La concurrence mondiale exigerait de plus en plus l’abandon des habitudes locales au profit des best practices, comme garantie de succès. «Si les pratiques nationales ou locales s’en écartaient, il faudrait les modifier.

Page 90: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

90

Selon ces auteurs, dans l’avenir, l’universalité des pratiques de saine administration nous conduirait à des sociétés de plus en plus semblables. Ce principe d’évolution devrait s’appliquer même aux pays pauvres du Tiers-Monde qui, eux aussi en devenant riches, seraient administrés exactement comme des pays riches» (Bollinger et Hofstede, 1987, p.15).

Est-ce que la « pensée unique », la « technologie unique » nous amènerait à une « culture unique » ? Des auteurs tels que Hirata (1989), dans une étude comparative entre le Brésil, la France et le Japon, a fortement critiqué ce déterminisme technologique et managérial et a montré le non-fondé de cette thèse. Au-delà de la mondialisation, les différences et les cultures nationales ou régionales demeurent. Malgré une gestion standardisée et des techniques communes, les entreprises continuent à s’embrouiller pour gérer convenablement des groupes humains avec des cultures différentes. « L’univers des différences culturelles leur paraît souvent déroutant, inépuisable de complexité, insaisissable … Ces différences se manifestent de manière souvent larvée et irritante: par des résistances qui paraissent sans fondement à appliquer les directives venues d’ailleurs ou des conseils des consultants internationaux, par des malentendus entre locaux et expatriés … La perception de ces difficultés varie beaucoup d’une entreprise à l’autre » (d’Iribarne, 1998, p. 15). Si des différences culturelles existent et demeurent, alors le management interculturel devient plutôt une exigence du management moderne.

En s’éloignant de cette posture universaliste, nous optons pour analyser l’imbrication entre la culture nationale, le management et la GRH.

A ce sujet, nous distingueons deux approches ou théories différentes: l’approche culturaliste et l’approche socioculturelle ou de la culture politique.

3. 2. 1.- L’approche culturaliste

Elle conçoit l’entreprise en étroite interrelation avec son environnement culturel (national ou local). Il est difficile de comprendre la vie d’une organisation sociale sans prendre en compte les valeurs, les mœurs, les traditions, les mythes, etc., des caractéristiques qui composent la culture environnante. Pour comprendre les comportements des acteurs sociaux à l’intérieur de l’entreprise, il est pertinent donc analyser les caractéristiques spécifiques et/ou les changements du contexte culturel. Cette problématique a été abordée par de nombreux auteurs, tels que G. Hofstede (1987), Hall (1971), Bollinger et Hofstede (1987), Gauthey et Xardel (1990), Dupriez et Simons (2000).

G. Hofstede (hollandais, expert en management interculturel) a été un des pionniers en Europe à étudier l’influence de la culture sur le management. Nous le relevons dans la mesure où, dans son étude, il a qualifié la culture belge comme une culture latine, en considérant ensemble, tant la culture flamande que la culture wallonne-francophone. Par conséquent, ceci est un point de repère important pour notre démarche.

La recherche d’Hofstede se base sur sa conception de la culture comme « un programme mental hiérarchisé » qui constituerait l’élément permanent d’une société. Il propose l’idée d’une correspondance entre le programme mental d’une population et le type d’organisation et de gestion qui se développent dans un pays et qui les distinguent de celles des autres pays.

Dans son étude, devenu classique, sur les différences culturelles dans 53 pays, Hosftede a pris en considération quatre critères pour décrire les cultures nationales, à savoir : 1)- individualisme ou collectivisme, 2)- grande ou petite distance hiérarchique, 3)- fort ou faible contrôle de l’incertitude, 4)- masculinité ou féminité (Hofstede, 1987 ; Bollinger et Hofstede, 1987, Cazal, 1998). Ces quatre variables de la culture nationale agiraient de la façon suivante :

Page 91: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

91

a) Individualisme-collectivisme : prend en compte la relation entre l’individu et ses congénères. Il y aura des sociétés dans lesquelles les liens entre individus seront extrêmement lâches, où chaque individu veillera seulement à ses intérêts propres et peut-être à ceux de sa famille, situation possible grâce à une très grande liberté que ce type de société accorde à chacun de ses membres. L’identité et le management sont basés sur l’individu, les bases des politiques et pratiques sont la promotion de l’initiative individuelle. Donc, il s’agira d’une société individualiste. Par contre, dans une société collectiviste les liens entre individus sont extrêmement forts. Chacun est censé veiller aux intérêts de son groupe et ne pas avoir d’autres opinions que celles de son groupe, c’est-à-dire moins de liberté personnelle; l’identité et le management sont basés sur le groupe, les bases des politiques et pratiques sur la loyauté et le sens du devoir.

b) Distance hiérarchique: il s’agit de la manière dont la société traite le problème de l’inégalité entre les hommes; l’inégalité tant en force physique qu’en capacité intellectuelle, devenue au cours du temps en inégalité de pouvoir et de richesse. Bien que toutes les sociétés soient inégales, certaines le sont plus que d’autres. Or, certaines sociétés s’efforcent d’atténuer ces inégalités de puissance et de richesse, d’autres les acceptent. Le degré d’inégalité est mesuré par une échelle des distances hiérarchiques et le degré de distance hiérarchique est lié, dans les organisations, au degré de centralisation de l’autorité et au degré d’autocratie de la direction. Dans des sociétés avec une forte distance à l’autorité, le degré de centralisation sera fort, la différenciation des titres et des statuts forte et le style de management autocratique.

c) Contrôle de l’incertitude: cette dimension tient à la manière dont la société répond à la notion du temps et se positionne auprès de lui, c’est-à-dire que les hommes vivront avec une incertitude face à l’avenir dans la mesure où on ne peut pas le maîtriser complètement à l’avance. Certaines sociétés, appelées «sociétés à faible contrôle de l’incertitude», conditionnent les membres à l’acceptation de cette incertitude, ces membres tendent à accepter chaque jour comme il vient, ils ont une tendance naturelle à se sentir seulement en sécurité relative; ils prennent assez facilement des risques personnels, la structuration des activités est limitée, la résistance émotionnelle au changement est faible. Dans d’autres sociétés, appelées «à fort contrôle de l’incertitude», les individus sont élevés dans la perspective de vaincre l’avenir, la population de ces sociétés montre une plus grande anxiété puisque l’avenir reste imprévisible; donc les institutions cherchent à créer la sécurité et à éviter les risques, la prévision et la structuration des activités sont importantes, la résistance émotionnelle au changement est forte.

d) Masculinité-féminité: dans cette dimension, le problème fondamental est la division des rôles entre les sexes, mais aussi une certaine attitude face à la qualité des relations sociales. Les sociétés « à mentalité masculine» maximisent la division du rôle social des sexes, les valeurs masculines traditionnelles sont dominantes, les valeurs tiennent à l’importance de la figuration, de la réalisation de quelque chose de visible, de gagner beaucoup d’argent. Dans cette «société masculine», le héros est le réalisateur, le surhomme, les attributs des managers sont le leadership, l’indépendance et la réalisation de soi; la définition de la réussite est la richesse et la reconnaissance. Dans les sociétés «à mentalité féminine » cette division est relativement peu marquée, les valeurs dominantes pour tout le monde sont celles qui sont plus traditionnellement associées au rôle de la femme: la modestie, la valorisation de la qualité des relations personnelles (plus que l’argent), la solidarité, le souci de la qualité de la vie et de la préservation du milieu, la sympathie du public va à l’antihéros, les attributs des managers sont l’idéal de service; la définition de la réussite est le service, les contacts, la qualité de la vie.

Page 92: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

92

A partir des mesures statistiques obtenues dans chacun de ces quatre critères de comportement, Hofstede a construit une typologie de ces cultures nationales (Bollinger et Hofstede, 1987, Ch. VIII).

Dans son étude, il qualifie la Belgique comme un pays de culture latine, sans trouver aucune différence entre Wallons et Flamands, au même titre que le Chili. Si nous observons, par exemple, l’indice de la distance hiérarchique, la Belgique a un indice de 65 et le Chili un 63 14, qui ne les différencierait pratiquement pas (Bollinger et Hofstede, 1987, p.86). Or, nous voudrions vérifier si effectivement à ce sujet il y a tellement de similitudes.

Ces caractéristiques auront des conséquences en matière de GRH et on peut dire que l’accroissement du niveau d’individualisme favorise le modèle individualisant de GRH. D’autre part, lorsqu’il y a une grande distance hiérarchique, il est logique de voir s’instaurer un modèle objectivant de GRH.

La tendance à contrôler l’incertitude plaide également en faveur du modèle objectivant de GRH. Par contre, la propension élevée à la prise de risque semble s’accommoder davantage de modèles fondés sur les conventions ou les accords interpersonnels, de type conventionnaliste ou individualisant.

Le culturalisme a été critiqué comme une approche « attrape-tout », nébuleuse et qui relève les aspects conservateurs et fixes d’une société. La critique sur Hofstede porte sur leur faible pouvoir de généralisation de cette approche (Maurice, 1989); d’autre part, « ces approches centrées sur les sens risquent de ne privilégier que l’aspect statique d’une société » (Deval, 1994, p. 16); ou bien « parler de culture, c’est, affirment les critiques, ignorer le rôle fondamental de l’action dans l’existence des sociétés; c’est oublier l’histoire, le changement incessant des hommes et des choses, et s’enfermer dans une vision fixiste; … c’est présenter les hommes comme enfermés dans une essence, c’est prétendre qu’ils subissent leur destin au lieu de le construire » (d’Iribarne, 1998, pp. 269-270). Enfin, il est impossible de comprendre finement une culture avec des données chiffrées des dimensions supposées avoir un sens indépendamment des temps et des lieux, « comme son auteur le fait remarquer, quatre paramètres sont peu de choses pour caractériser les finesses d’une culture: « sur le globe, note-t-il pour faire image, Paris se trouve à la même latitude que Ulan Bator, mais cela ne signifie pas que ces deux villes ont le même climat » (d’Iribarne, 2000a, p. 70).

3. 2. 2.- L’approche socio-culturelle ou de la culture politique.

Dans cette approche, nous faisons référence aux propositions notamment de Ph. d’Iribarne (1985, 1989, 1991, 1998, 2000). Les recherches de cet auteur et de son équipe ont inclus une vingtaine de pays dans le monde, notamment en Europe occidentale.

Il est difficile de repérer les éléments culturels qui interviennent dans la régulation des rapports sociaux du travail, la complexité de voir quel élément culturel agit sur l’organisation et les acteurs. Or, il convient tout d’abord de situer l’entreprise dans un contexte social précis, à la différence de l’approche culturaliste.

Si la culture concerne tellement la vie des entreprises, c’est principalement parce qu’elle affecte la manière de gouverner les hommes. « Or, étrangement, les sciences sociales ne se sont guère intéressées jusqu’ici à la façon dont tout ce qui, institutions, règles, procédures, relève de l’organisation volontaire et consciente de la société, est influencé par les mœurs » (d’Iribarne, 1998, p. 7).

14 L’échelle de distance hiérarchique va de 0 (faible distance) à 110 (grande distance).

Page 93: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

93

Chez d’Iribarne il faut distinguer trois acceptions du terme culture : a) d’abord, elle désigne tout ce qui relève du « folklore » : la musique, l’art, la langue, la cuisine, la mode, …; dans ce cas, la mondialisation a un effet uniformisateur indéniable ; b) deuxièmement, la culture peut renvoyer à la notion d’identité ; la mondialisation a pour conséquence, dans ce cas, une exacerbation de la revendication identitaire ou régionaliste, parfois isolationniste, comme ce le cas aujourd’hui dans plusieurs endroits du monde; c) enfin, elle peut être comprise comme l’expression d’une vision commune des règles de vivre ensemble, une conception de l’organisation et de la coopération sociales (celle-ci appelée, culture politique) ; ici la mondialisation a peu d’effets et les cultures politiques persisteront (d’Iribarne, 2000b).

Cet auteur, donc, analyse la culture nationale sous l’approche plutôt d’une culture politique.15 Culture politique dans le sens où elle relève des notions communes dans toutes les sociétés, telles que : l’exercice de l’autorité, la gestion des conflits, la liberté, le pouvoir, l’organisation de la coopération entre pairs, la justice, l’égalité, l’éthique. « Beaucoup, parmi ceux qui s’intéressent au fonctionnement des organisations, associent la notion de culture à des habitudes, des coutumes, des attitudes, ou encore des valeurs. Et il est vrai que, lorsqu’on observe la diversité des sociétés, on est frappé par des différences, parfois spectaculaires, de manières d’agir… Quand l’anthropologie contemporaine parle de culture, ce n’est pas cela qu’elle privilégie, mais des questions d’interprétation… Les humains ne cessent d’interpréter » (d’Iribarne, 1998, p. 256). L’homme ne cessera jamais de décoder une attitude, un geste, un bonjour, une critique, un panneau, etc.

Sur la culture politique nous précisons encore, « chaque culture catégorise à sa manière les aliments, l’espace, le temps, les couleurs, etc. et construit un univers de sens qui régit chacun de ces domaines. Nos recherches n’abordent que l’un d’entre eux : celui qui concerne la manière dont les hommes s’organisent pour vivre ensemble, au sein d’une société nationale comme d’organisations particulières, c’est-à-dire, en prenant le terme dans le sens le plus large, les cultures politiques. En utilisant ce terme, nous n’ignorons pas que la vie en société est régie par de multiples institutions, politiques, juridiques, sociales … Quand on considère cette dimension de la culture, il est particulièrement pertinent de parler de culture nationale (ce qui n’est pas forcement le cas pour les habitudes culinaires, vestimentaires ou musicales). Dans un Etat-nation, fortement intégré, les institutions politiques et juridiques ne peuvent être communément acceptées, dans le succès comme dans l’épreuve, dans la paix comme dans la guerre, que si les citoyens ont des conceptions suffisamment communes des voies par lesquelles arbitrer entre les intérêts, répartir les charges et distribuer les bénéfices, désigner ceux qui accèdent au pouvoir » (d’Iribarne, 1998, p. 262).

Nous pouvons ajouter, « le management consiste à faire vivre des hommes autour d’un projet commun : c’est une activité politique. Pour que des gens arrivent à travailler ensemble au quotidien, il faut qu’ils partagent certaines conceptions fondamentales de ce qu’est la justice, la dignité humaine, l’égalité, la liberté, l’ordre social, etc. Or, c’est le plus souvent dans le cadre de l’Etat-nation que ces visions fondatrices se sont construites de façon durable » (d’Iribarne, 2000b, p. 44). Il peut y avoir des identités différentes mais, en même temps, une culture politique qui réunit ces identités. Dans une étude fait en Belgique, il a constaté que « si Wallons et Flamands avaient des identités différentes, ils partageaient une conception identique de la vie en commun et de l’organisation sociale » (d’Iribarne, 2000b, p. 45).

Dans chaque société il existe une certaine manière d’arbitrer entre la liberté de chacun et le respect des autres, une manière de gérer la sécurité et l’insécurité des droits des travailleurs, une manière d’établir et respecter les règles internes à l’entreprise, ce qui suppose avoir une notion commune de ce qui est la liberté, la sécurité, etc. De même, les rapports hiérarchiques

15 On parle aussi de culture politique pour se référer aux pratiques et au fonctionnement des institutions du

pouvoir politique d’un pays : élections, type de scrutins, périodicité des mandats, normes parlementaires, etc.

Page 94: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

94

acquièrent une caractéristique particulière dans le sens où il peut y avoir ou pas, par exemple, une définition précise et claire des objectifs et des responsabilités aux subordonnés, un exercice de l’autorité et un contrôle plus ou moins fort, une concentration du pouvoir plus forte dans la haute hiérarchie, etc.

Ces éléments présentes à l’intérieur d’une entreprise reflètent donc que des éléments similaires existent au niveau de toute la société en question.

C’est vrai que les individus sont influencés par les programmes mentaux qu’ils ont acquis dans leurs milieux sociaux d’origine, mais les entreprises sont elles-mêmes en relation d’interdépendance avec toutes les institutions de ces mêmes sociétés. Comprendre les régulations sociales qui se construisent dans les fonctionnements organisés de travail devient un axe majeur d’analyse (Sainsaulieu, 1987). Le concept de « pacte social » est utilisé pour tenter d’établir un lien entre la culture sociétale et celle de l’organisation, il analyse des éléments culturels imbriqués avec des rapports sociaux.

Dans Logique de l’honneur (1989), en comparant trois cultures différentes, cet auteur relève des caractéristiques telles que, par exemple, les Français considèrent comme inadéquate une approche contractuelle des travailleurs, ici il faut rendre service sans être servile et il faut être flexible dans le cadre d’une société très divisée en métiers, classes, corps, hiérarchies. Par contre, aux Etats-Unis, la gestion se caractérise par une approche contractuelle, où il faut rester « fair » (juste, honnête, loyal), l’idée qu’on travaille pour ses égaux est forte. Aux Pays-Bas, on peut caractériser la gestion des entreprises par la forte affirmation de l’individu en même temps que le respect de l’autre, où il y a beaucoup de dialogue et le besoin d’écouter et d’expliquer, la force est dans le groupe de pairs et l’exigence du consensus est un facteur-clé.

Dans le même sens que d’Iribarne, Deval ajoute que l’approche choisie est toujours d’analyser la culture imbriquée avec d’autres facteurs du contexte social, de « privilégier le processus social », d’analyser « le fait social total », de comprendre que « tous ces phénomènes sont à la fois juridiques, économiques, religieux et même esthétiques, morphologiques … ils sont des « tout », des systèmes sociaux entiers ». Plus exactement, dans leur analyse de la liaison entre la culture et la GRH on prend en considération des aspects de l’histoire, des aspects de la culture, la relation homme-groupe social, l’influence de la religion, le système éducatif de chaque pays, la formation et les pratiques et rituels de séduction des entreprises (méthodes et rituels de recrutement, de sélection, etc.) (Deval, 1993). Cependant, malgré l’importance indéniable assignée à la culture, il faut éviter tout dérapage quant à la justesse de leur utilisation. « Il est ainsi absurde et dénué de tout fondement de vouloir transformer un mode managérial d’un pays à un autre au seul motif « que cela marche bien là-bas ». Tout comme il est vain de vouloir séparer un mode d’organisation humain de son contexte culturel » (Deval, 1993, p.20).

Pour identifier et catégoriser les cultures politiques nationales il faudra décoder ou interpréter des notions communes. Il s’agit d’analyser la signification que prennent, dans des sociétés concrètes, de simples concepts tels que, par exemple : l’exercice de l’autorité, la gestion des conflits, l’organisation de la coopération entre pairs, le pouvoir, la justice, la liberté, l’égalité, la dignité, la responsabilité, la solidarité ou l’éthique. « Pour tenter de catégoriser les cultures, il paraît plus fécond de s’intéresser aux différences entre les réalités que recouvre une même notion (justice, égalité, liberté ou dignité) dans des contextes différents et aux effets de ces différences sur les institutions et les pratiques … si l’on s’intéresse aux cultures politiques des sociétés Européennes ou à des sociétés qui ont hérité de leurs visions du monde, et aux fonctionnements d’entreprises dont ces cultures sont porteuses, il est très éclairant de considérer la diversité de ce que l’on entend par liberté au sein de chacune d’elles. Ainsi, dans le monde anglo-saxon, c’est le propriétaire, libre de négocier les conditions de tout engagement dans une action commune … Dans le monde germanique, …

Page 95: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

95

celui qui gère en commun avec ses pairs, les affaires de la communauté… » (d’Iribarne, 2000a, p. 72).

Les comparaisons entre cultures peut-être s’avèrent plus faciles à travers des chiffres ou des échelles d’attitudes. Mais, cette approche a du mal à montrer la cohérence interne d’une culture ou à expliquer le sens qu’y prennent les actions des personnes.

Nous privilégions cette approche de la culture politique parce que, d’abord, elle conçoit les éléments de la culture non isolés mais imbriqués à des rapports sociaux, à toute une organisation sociale dans un contexte concret; deuxièmement, elle permet de rendre compte, plus exactement, du sens que prennent les actions des acteurs sociaux sous l’influence d’une culture nationale.

Dans ce cadre, nous montrons et analysons l’imbrication et/ou l’influence de trois aspects (ou sous-variables) de la culture politique (nationale), à savoir : a)- l’autorité et le rapport hiérarchique, b)- le pouvoir et c)- la liberté, sur le management, les pratiques de GRH et les rôles des DRH. Nous préciserons plus loin ces notions dans notre cadre d’analyse.

3. 2. 3.- Quelques notions sur la culture nord-américaine ou culture WASP.

Même si notre objectif est d’analyser spécialement l’influence des cultures nationales belge et chilienne, la forte présence et l’expansion du management instrumental nord-américain tant en Belgique (et en Europe) que, plus encore, au Chili (et en Amérique latine), nous amènent nécessairement à considérer et à présenter quelques caractéristiques principales de la culture nord-américaine. Ceci, à notre avis, permettra d’éclaircir davantage notre démarche comparative.

A ce propos, nous relevons trois éléments importants qui caractérisent cette culture, à savoir: la conception du travail imprégné d’une éthique religieuse, l’utilitarisme et l’individualisme.

Une étude classique de Max Weber (1964) a déjà analysé l’importance de l’influence religieuse - d’une éthique ascétique protestante- sur la formation de ce que celui-ci a appelé « l’esprit du capitalisme » et la spécificité de cet esprit aux Etats-Unis. Il a montré que la conception du travail capitaliste nord-américain est marquée du sceau de l’ascétisme puritain protestant. Bien qu’aujourd’hui elle est un peu dépouillée de l’éthique puritaine d’antan, elle reste encore fortement imprègnée de cette logique. Cette hargne pour le travail et cette volonté de gagner de l’argent sont l’un des facteurs qui expliquent la forte accumulation des richesses dans ce type de capitalisme. Cet auteur affirme, « l’ascétisme voyait le ‘summum’ du répréhensible dans la poursuite de la richesse en tant que ‘fin’ en elle-même, et en même temps il tenait pour un signe de la bénédiction divine la richesse comme ‘fruit’ du travail professionnel. Plus important encore, l’évaluation religieuse du travail sans relâche, continu, systématique, dans une profession séculière, comme moyen ascétique le plus élevé et à la fois preuve le plus sûre, la plus évidente de régénération et de foi authentique, a pu constituer le plus puissant levier qui se puisse imaginer de l’expansion de cette conception de la vie que nous avons appelé, ici, l’esprit du capitalisme » (Weber, 1964, p. 211). Le travail doit s’accomplir comme s’il était un but en soi, un devoir, indépendamment des bas ou des hauts salaires, comme une conduite dictée par Dieu. Comme un tel état d’esprit n’est pas un produit de la nature, il est possible et explicable par le long processus d’éducation accompli par l’éthique ascétique puritaine du protestantisme de l’époque.

Weber ajoute : « Pour résumer ce que nous avons dit jusqu’à présent, l’ascétisme protestant, agissant à l’intérieur du monde, s’opposa avec une grande efficacité à la ‘jouissance’ spontanée des richesses et freina la ‘consommation’, notamment celles des objets de luxe. En revanche, il eut pour effet psychologique de ‘débarrasser’ des inhibitions de l’éthique

Page 96: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

96

traditionaliste le ‘désir d’acquérir’. Il a rompu les chaînes [qui entravaient] pareille tendance à acquérir, non seulement en la légalisant, mais aussi, comme nous l’avons exposé, en la considérant comme directement voulue par Dieu » (Weber, 1964, p. 209).

Un notable héritier de cette culture, tel que B. Franklin - cité par Weber-, confirme cette logique dans sa pensée économique en prônant: « Souviens-toi que le ‘temps’, c’est de l’’argent’. Celui qui, pouvant gagner dix shillings par jour en travaillant, se promène ou reste dans sa chambre à paresser la moitié du temps, bien que ses plaisirs, que sa paresse, ne lui coûtent que six pence, celui-là ne doit pas se borner à compter cette seule dépense…Souviens-toi que le ‘crédit’, c’est de l’’argent’… Souviens-toi que l’argent est par nature, ‘générateur et prolifique’. L’argent engendre l’argent, ses rejetons peuvent en engendrer davantage, et ainsi de suite…Il faut prendre garde que les actions les plus insignifiantes peuvent influer sur le ‘crédit’ d’une personne. Le bruit de ton marteau à 5 heures du matin ou à 8 heures du soir, s’il parvient à ses oreilles, rendra ton créancier accommodant six mois de plus ; mais s’il te voit jouer au billard ou bien s’il entend ta voix dans une taverne alors que tu devrais être au travail, cela l’incitera à te réclamer son argent… Cela prouvera, en outre, que tu te souviens de tes dettes ; ‘tu apparaîtras comme un homme scrupuleux et honnête’, ce qui augmentera encore ton ‘crédit’ » (Weber, 1964, p. 46). Nous constatons bien que c’est une logique particulière qui est prônée, un ethos ; c’est le travail acharné pour gagner de l’argent, toujours plus d’argent, l’argent comme une fin en soi, sans complexe puisque, en principe, ce n’est pas pour la jouissance de l’homme.

Mais, en même temps, il s’agit d’une culture imprégnée d’utilitarisme. « Toutes les admonitions morales de Franklin sont teintées d’utilitarisme. L’honnêteté est ‘utile’ puisqu’elle nous assure le crédit. De même, la ponctualité, l’application au travail, la frugalité ; ‘c’est pourquoi’ ce sont là des vertus…ces vertus, comme toutes les autres, ne seraient des vertus que dans la mesure où elles seraient réellement utiles à l’individu ; et la simple apparence suffirait si elle pouvait assurer le même service » (Weber, p. 49). Voilà donc une conception du travail modelé et imprégné par une éthique religieuse puritaine et utilitariste.

L’individualisme est aussi lié à cette éthique ascétique religieuse. Le croyant doit vivre selon la volonté de Dieu et s’efforcer de suivre l’exemple des apôtres. Ce qui compte c’est de travailler loyalement, même si c’est pour un bas salaire, cela plaira infiniment à Dieu. L’ascétisme protestant a créé « la ‘motivation’ psychologique par laquelle le travail en tant que ‘vocation’ [Beruf] constitue le meilleur, sinon l’’unique’ moyen de s’assurer de son état de grâce. D’autre part, l’ascétisme protestant légalisait l’exploitation de cette bonne volonté au travail tout en interprétant l’activité d’acquisition de l’entrepreneur comme une ‘vocation’. Il est évident que la productivité du travail, au sens capitaliste du terme, devait être puissamment favorisée par cette poursuite ‘exclusive’ du royaume de Dieu au moyen du devoir professionnel considéré comme une vocation, et par l’ascétisme rigoureux que la discipline de l’Eglise imposait par sa nature même aux classes non possédantes » (Weber, 1964, p. 220). Le travail en tant que vocation est tel, tant pour l’ouvrier que pour le patron, au-delà de leurs conditions socio-économiques ; « le labeur et l’esprit industrieux constituent leur devoir envers Dieu ».

Le puritanisme religieux stimule l’initiative personnelle, justifie les mobiles individualistes de l’acquisition matérielle rationnelle. Tout individu, avec son travail honnête, sa conduite irréprochable et en ayant foi en Dieu, peut progresser dans sa vie sociale et économique. Il s’agit d’une sorte de témoignage personnel permanent envers Dieu. Les exploits individuels ne font qu’accomplir la volonté de Dieu et en quelque sorte manifeste la recherche des mérites nécessaires pour avoir sa grâce. La position de l’homme par rapport à ses semblables passe au deuxième plan, les différences des conditions socio-économiques concrètes

Page 97: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

97

auxquelles sont confrontés les hommes et les contradictions objectives qui existent entre les classes sociales, ne font pas partie de leurs préoccupations principales.

D’autres auteurs qualifient cette culture, la culture WASP ( pour « White Anglo-Saxon Protestant »). Celle-ci a été construite, à l’origine, sur un certain racisme et un élitisme blanc. Elle prône que la lutte pour la survie caractérise l’espèce humaine et seuls les plus forts, les plus doués et les meilleurs survivent. La réussite économique d’un homme, parti de rien, est possible grâce à la volonté de Dieu et, donc, celui-ci peut s’enrichir parce que le profit est légitime, mais il devra partager une partie de sa richesse avec son entourage, comme une manifestation de son dévouement à son prochain et à Dieu. La compétition est seule maître du jeu, elle découle naturellement de la liberté totale d’entreprendre dont dispose chaque individu. Il s’agit d’une culture mélangée d’un darwinisme social et d’une idéologie religieuse et égalitaire, cet égalitarisme imprégné d’un idéalisme religieux qui, contradictoirement, ne se vérifie pas dans la vie réelle (Gotovitch, 2002).

Aujourd’hui, cet esprit religieux puritain et contradictoire, reste fort présent dans la culture nord-américaine. Cette culture WASP a joué certainement un rôle important dans l’unité nationale et le dynamisme économique du peuple nord-américain. De même, elle a influencé fortement une certaine conception d’entreprise comprise comme une « communauté » d’hommes égalitaires, d’intérêts communs (presque des « frères » unis par la foi en Dieu) et un certain management utilitariste.

Dans la conception du management et du manager nord-américain, il y a trois éléments étrangement mêlés: la croyance, l’éthique et le narcissisme. A ce propos, Aubert et de Gaulejac expliquent : « le narcissisme qui sous-tend la « morale » de l’excellence est l’éthique protestante des temps modernes. Narcissisme et éthique protestante obéissent, dans ce cas, à la même logique : tout comme l’entrepreneur protestant investissait dans son travail, pour échapper au silence de Dieu et pour voir dans sa réussite les signes de son élection et de son salut, l’homme managérial investit dans l’entreprise pour échapper au vide social, au manque de référent, au manque de sens et pour voir dans son travail et sa carrière les signes de son accomplissement personnel. L’accomplissement personnel dans un travail et une carrière est devenue maintenant, tout comme aux débuts du capitalisme, la seule façon de voir qu’on a conquis un absolu, et qu’on sera sauvé, mais sauvé non par rapport au Dieu extérieur et transcendant, mais bien par rapport à soi-même, par rapport à ce Dieu « instantané », ce « Dieu en soi », ce Dieu « narcissisé », pourrait-on dire… Le référent n’est plus dans l’autre monde, il est dorénavant terrestre : l’auto accomplissement est la seule justification de l’existence » (Aubert et de Gaulejac, 1991, p. 163).

Dans le même sens, en citant Nadoulek, ces auteurs signalent que la conception anglo-saxonne consiste à considérer une entreprise « comme un univers d’organisation rationnelle du travail où demeurent des îlots d’irrationalité qui doivent être progressivement éliminés pour accroître les performances et la compétitivité… Dans la conception anglo-saxonne, il y aurait ainsi une conception de la vérité, une distinction entre les bons et les méchants, les winners et les losers, dont on voit d’ailleurs encore toute la prégnance dans les positions adoptées et les discours tenus durant la guerre du Golfe » (Idem, p. 278). Actuellement, nous devons ajouter les discours « de l’axe du mal » par rapport à l’Irak et à d’autres pays.

Or, un tel esprit religieux modelant de telle façon et avec une telle intensité une culture nationale et donc le management des entreprises, nous semble inexistant tant en Belgique, en France ou au Chili. Dans ces pays, ce sont plutôt les conceptions politiques et sociales et/ou d’autres sources religieuses qui prévalent.

Enfin, des situations telles que les fusions des entreprises et institutions internationales, les joint-ventures, le travail entre équipes de nationalités différentes, la gestion de la mobilité géographique, l’arbitrage entre le global et le local, etc., sont autant de situations où l’aspect

Page 98: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

98

culturel est présent et où on a besoin de compétences-clés pour gérer la diversité, pour la gestion interculturelle et internationale des ressources humaines.

3. 3.- Le marché du travail et la législation sociale

Le marché de travail peut être structuré par plusieurs composantes : la qualification, l’âge, le degré de féminisation, le caractère multiethnique de la main-d’œuvre, le taux de chômage, la pyramide des âges, le rapport emploi-population ; de même, les composantes de la législation sociale peuvent être plus ou moins abondantes tels que : le code du travail, des lois sur la santé et la sécurité du travail, des lois sur les normes de travail, des lois sur les personnes handicapées, etc. (Wils, Le Louarn et Guérin, 1991). Chacune de ces variables va influencer d’une manière spécifique le management et les pratiques de GRH ; ainsi par exemple un taux de chômage élevé encourage un management de flexibilité numérique dans les entreprises. En suivant Pichault et Nizet (2000), nous nous intéresserons plus particulièrement à la qualification.

Le marché du travail peut encore être caractérisé par un type de régulation donné. De fait, l’intervention de l’Etat est présente dans tous les pays ; ainsi il régule, surtout dans les organismes publics, les barèmes salariaux fixé par convention collective, les règles de la gestion des départs, du recrutement, le temps de travail, l’information obligatoire du personnel, etc. Quant aux travailleurs à temps partiel, par exemple, la législation sociale belge oblige l’employeur à engager toute personne qui fournit un nombre minimum de 25 heures durant trois mois consécutifs, dans le cadre d’un contrat de travail stipulant ce nombre d’heures ; ceci encouragera l’application du modèle objectivant ou, en tout le cas, fait difficile la mise en pratique du modèle individualisant (Pichault et Nizet, 2000).

Il y a une tendance significative en Europe occidentale, depuis les années quatre-vingt, à la décentralisation de la négociation collective (qui accompagne la chute du taux de syndicalisation) révélée par diverses enquêtes (Sparrow et Hiltrop, 1994, pp. 590-614 ). Cette évolution des relations professionnelles peut s’interpréter à la fois comme un changement :

- de niveau : de la négociation intersectorielle à l’accord intra-entreprise ;

- d’objet : d’une problématique des salaires à l’aménagement du temps de travail, à l’emploi, à la flexibilité, etc. ;

- d’acteurs : de la délégation syndicale à la pratique du référendum.

Nous assistons à « une dérégulation politique du marché du travail, au profit d’une autorégulation juridique (via les accords d’entreprise, etc.). La concurrence accrue sur le marché du travail, la diversité des situations économiques des entreprises, la toute-puissance des firmes multinationales qui imposent leur modèle de relations sociales, les impératifs de la flexibilité sont autant de facteurs à l’origine de la décentralisation, au point que certains y voient le risque d’une disparition pure et simple du concept de relations professionnelles » (Pichault et Nizet, 2000, p.173). Forcement, le rôle des pouvoirs publics change aussi et essaie, en accord avec les coalitions politiques présentes, d’aménager ces processus de dérégulation. Cependant ces évolutions globales n’empêchent pas l’existence de situations nationales et/ou régionales spécifiques.

Ce qui nous intéressera ici c’est de prendre en compte le degré de prégnance de la législation sociale nationale.

3. 4.- Le marché de biens et services

Page 99: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

99

Il s’agit de voir comment ce marché conditionne le management et la GRH.

En suivant Pichault et Nizet (2000), nous pouvons dire que la majeure partie de la littérature consacrée aux relations marché/GRH se concentre sur l’état de la demande. Ces auteurs, cependant, considèrent aussi d’autres caractéristiques du marché (stabilité du marché, intensité de la pression concurrentielle, etc.) par rapport à la GRH, en allant « à contre-courant de la littérature prescriptive consacrée à la gestion stratégique des ressources humaines qui, même en période de restructuration, prône l’adoption de modèles de GRH centrées sur l’individualisation et la mobilisation autour de valeurs clés » (Pichault et Nizet, 2000, p. 177).

Il est devenu courant que lorsqu’il y a hostilité du marché, des pratiques de restructuration (downsizing)16 se mettent en place et que, par conséquent, c’est le modèle hard de GRH qui est privilégié (Pichault et Nizet, 2000 ; Pichault, Warnotte et Wilkin, 1998 ; Sparrow et Hiltrop, 1994), c’est-à-dire des réductions d’effectifs via des plans de départs volontaires et préretraites ou simplement des licenciements. La distinction entre les modèles hard et soft de GRH consiste en ce que, « le premier repose sur une conception instrumentale des ressources humaines, considérées comme un facteur de production dont il s’agit de surveiller constamment les performances, tandis que le second insiste plutôt sur la nécessité de l’implication et de la motivation permanente des employés » (Pichault et Nizet, 2000, p. 176).

Plus exactement, nous nous intéresserons au déclin de la demande, à la stabilité, à l’instabilité et à l’hostilité du marché des télécommunications.

Cependant, il faudra paradoxalement considérer aussi le rôle régulateur que l’Etat a joué et joue encore. C’est le cas aujourd’hui dans le secteur des télécommunications en Europe occidentale et dans certains pays de l’Amérique latine.

Lors de la présentation de notre cadre d’analyse (Ch. III), ces modèles théoriques seront précisés et déclinés en variables et indicateurs.

16 Dowsizing : réduction des effectifs.

Page 100: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

100

CHAPITRE III

LE CADRE D’ANALYSE ET LES HYPOTHESES

En suivant les différents modèles théoriques revus, de manière générale dans le chapitre précédent, nous précisons maintenant le cadre d’analyse et les hypothèses de travail dans une logique plus opérationnelle.

I.- LE CADRE GLOBAL

Rappelons, d’une part, que notre recherche s’inscrit dans une approche contextualiste qui s’articule autour de trois concepts : le contexte (externe et interne), le contenu et le processus (voir Ch. IV).

Nous établissons ici les interrelations entre ces trois concepts, dans un premier temps sous une approche contingente. Autrement dit, les rapports du contexte externe, composé des quatre variables suivantes : le marché des biens et services, le marché du travail et la législation sociale, les modèles de relations professionnelles et la culture nationale ; du contexte interne (les configurations organisationnelles et les stratégies d’entreprise) et du contenu, à savoir : les pratiques de GRH, les rôles des DRH et les modèles de management. De même, nous établissons par la suite, les interrelations entre le contenu et le processus, c’est-à-dire, entre les GRH, les DRH et les modèles de management (M) et le positionnement des acteurs dans ces changements au cours d’une période donnée, sous une approche politique (Fig. 1 d).

Figure 1 d

Influences des contextes externe et interne sur GRH, DRH et M.

Contexte externe : • Marché de biens et services • Modèle de relations professionnelles et système politique • Marché du travail et législation sociale • Culture nationale

Page 101: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

101

D’autre part, nous montrons les liens privilégiés établi entre les paradigmes, les modèles et les sources théoriques. Cela veut dire que presque tous les phénomènes sociaux et organisationnels qui nous occupent pourraient être analysés indistinctement sous la logique de chacun de ces paradigmes. Les trois paradigmes, à savoir : rationaliste, contingent et politique, restent comme une base des approches d’analyses différentes de la réalité observée et sont comprises dans les théories mentionnées.

Nous privilégions le paradigme politique tout en considérant les autres approches.

Les différents modèles et variables utilisés, ont été pris et/ou inspirés par différentes théories et/ou auteurs dont le lien est présenté dans le tableau 2, qui a un simple caractère récapitulatif et explicatif.

Tableau 2

Rapports privilégiés entre paradigmes, modèles et théories.

Paradigmes :

Modèles ou groupes de variables dans le cadre de l’approche contextualiste :

Théories ou sources théoriques privilégiées :

CONTENU :

- modèles des pratiques de GRH

- modèles des rôles de DRH

Modèles de Pichault et Nizet

Inspiré de Ulrich ; Labelle et Dyer; Wils,

Page 102: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

102Rationnaliste

Contingent

Politique

- modèles de management

___________________________________

CONTEXTE :

Interne :

- stratégies d’entreprise

- structures organisationnelles

Externe :

- marché du travail et législation sociale

- concertation sociale et relations professionnelles

- marché de biens et services

- culture nationale

___________________________________

PROCESSUS :

(changements, acteurs, jeux de pouvoirs,..)

Labelle et Guérin

Inspiré de Messine, Peters et Waterman, Ouchi, Aubert et de Gaulejac, Coutrot, Boltanski et Chiapello

____________________________________

Modèles de Pichault et Nizet ; théorie des configurations de Mintzberg

Modèle de Pichault et Nizet

Modèles de Crouch, Schmitter, Visser

Modèles de Pichault et Nizet

Approche socio-culturelle d’Iribarne

_________________________________ Théories de Crozier et Friedberg ; Pfeffer ; Pettigrew, Pichault

II.- LES VARIABLES ET LES HYPOTHESES

Nous présentons, dans chacun des trois concepts-clés de l’approche contextualiste, les différents modèles et les explications pertinentes qui serviront de base, par la suite, à l’analyse de la réalité organisationnelle. De même, les hypothèses sont présentées en rapport logique avec les modèles formulés.

1.- CONTENU

1. 1.- LES MODELES DES PRATIQUES DE GESTION DES RESSOURCES HUMAINES (GRH)

En nous basant sur Pichault et Nizet (2000), nous avons choisi trois modèles des pratiques de GRH : le modèle objectivant, le modèle conventionnaliste et le modèle individualisant.

Page 103: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

103

Chaque modèle de GRH est défini successivement par rapport aux variables suivantes: l’entrée d’effectifs, le départ d’effectifs, la formation, l’évaluation, la promotion, la rémunération et les relations professionnelles. Nous avons fait une adéquation importante en incorporant la dimension des relations professionnelles à la modelisation de Pichault et Nizet -que nous avons déjà justifiée- en utilisant les modèles proposés par Crouch, cette fois-ci au niveau de l’entreprise.

1. 1. 1.- Le modèle objectivant

Dans le modèle objectivant, il y a une tendance de systématisation et d’application des critères impersonnels uniformes des diverses dimensions caractéristiques de la gestion des ressources humaines.

Dans la gestion des entrées des effectifs, l’accent est mis principalement sur les processus de recrutement plutôt que sur la sélection des candidats adéquats. Par conséquent, dans la description détaillée du poste, l’appel à des nouvelles candidatures est soumis à des règles précises telles que l’appel prioritaire aux candidatures internes ou, au contraire, aux candidatures externes, appel aux concours en vue de constituer des «réserves de recrutement». La gestion des entrées est marquée par une logique planificatrice (gestion prévisionnelle des ressources humaines) et par l’utilisation des outils quantitatifs (calcul du taux de roulement, etc.).

L’organisation précise ses besoins par le biais de la définition de poste, qui établit à la fois les tâches à réaliser et les conditions de leur réalisation. Cette gestion des effectifs est soumise à des règles formelles, sous l’étroite surveillance syndicale qui protège le statut des travailleurs.

La gestion des départs est aussi régulée par des critères prédéterminés et dont les formes d’application - que ce soit le licenciement sec, la mise en retraite anticipée, le non-renouvellement des contrats temporaires, etc. - sont négociés avec les organisations représentatives du personnel. Dans ce cas, il s’agit de se mettre d’accord sur le montant des indemnités de compensation, de fixer des quotas dans chaque groupe professionnel visé, de préciser l’âge limite au-dessus duquel les départs prendront la forme d’une mise à la retraite anticipée, etc. Des éventuelles solutions alternatives au licenciement font aussi l’objet des négociations collectives ou des accords tels que des limitations, voire réductions de la masse salariale, semaine plus courte, etc.

La formation et, en général, le développement, restent limités à des formations procédurales centrées sur l’acquisition de compétences spécifiques et/ou de savoir-faire techniques, avant toutes fonctionnelles à l’efficacité organisationnelle. La gestion de ces formations (public visé, budget, voire contenu et mode de transmission, etc.) est désormais soumise, selon Pichault et Nizet, à la surveillance syndicale, d’autant plus que ces formations peuvent être considérées pour des évaluations postérieures. En Belgique et en Europe occidentale en général, «elle est d’ailleurs souvent l’apanage d’organes paritaires, ce qui ne manque pas de stimuler la tendance à l’institutionnalisation: des départements spécifiques apparaissent, une programmation annuelle est définie, des crédits-formation sont octroyés, le ratio dépense de formation/masse salariale est publié dans le bilan social, etc.» (Pichault et Nizet, 2000, p.122).

L’évaluation fait intrinsèquement partie du modèle objectivant. Elle contrôle le respect des règles, mais la recherche constante d’équité et le fait d’éviter les situations de discrimination et de favoritisme, la condamne à un certain niveau de généralité. Traditionnellement, ce sont des critères standardisés qui s’appliquent à l’ensemble des membres de l’organisation, quels que soient leur niveau hiérarchique et leur fonction. Dans des versions plus modernes, ces critères sont spécifiques de l’exercice d’une fonction particulière, ayant préalablement fait

Page 104: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

104

l’objet d’une description détaillée mais, malgré les méthodes appliquées pour évaluer l’individu il reste encore un niveau de généralité difficile à éviter.

Dans ce modèle, la promotion s’effectue davantage en fonction de règles impersonnelles - et non nécessairement liées aux résultats de l’évaluation - qui s’appliquent à tous de la même manière: l’ancienneté, la réussite de concours, la détention de certains diplômes sont les critères utilisés pour décider de l’occupation d’un poste. Les développements des classifications et qualifications des fonctions ont évolué, ceci non sans difficulté, dans la mesure où il est toujours difficile de préciser le travail et les hiérarchies implicites.

Les normes salariales sont établies pour tous les travailleurs. «Deux orientations sont alors possibles: soit le salaire au rendement, typique du taylorisme, où les travailleurs connaissent à l’avance les normes en deçà desquelles il vaut mieux ne pas se trouver; soit le salaire au temps réglementé, défini uniformément dans le cadre d’accords collectifs - au niveau sectoriel ou au niveau de l’entreprise - et souvent présenté comme le signe d’une avancée sociale par rapport au modèle arbitraire. Dans les deux cas, les principes qui régissent le système de rémunération sont déterminés a priori et sont donc connus à l’avance par les membres de l’organisation» (Pichault et Nizet, 2000, pp. 124-125). Naro (1993) montre que ce système est le reflet de la culture bureaucratique et de leur réglementation qui de cette façon peut établir une hiérarchie salariale. Le principe fondamental à suivre est qu’il faut rémunérer un poste ou une fonction, et non un individu, après avoir évalué sur la base des paramètres clairs et pertinents.

Globalement, selon Crouch, ce sont des relations professionnelles confrontationnelles qui prévalent; ce qui signifie que la relation entre syndicats et direction est plutôt conflictuelle, avec une certaine méfiance. Souvent des difficultés existantes pour arriver à des accords collectifs, accords établis sur des revendications essentielles et minimales, mais qui ne donnent pas accès à des participations plus larges des employés sur la vie de l’entreprise. Ici l’organisation syndicale apparaît cependant comme l’intermédiaire obligé qui mobilise les masses ouvrières ou d’employés et les représente, par un système de délégation, vis-à-vis de la direction. Pichault et Nizet signalent que « on est donc en présence d’une forme institutionnelle de participation, où les délégués ont à exprimer les revendications de la base dans le cadre de lieux de négociation formels tels que le comité d’entreprise, le comité de sécurité et hygiène, etc. » (Pichault et Nizet, 2000, p. 127). Comme le notent Donnadieu et Dubois, ce sont les rapports entre ligne hiérarchique et opérateurs, d’une part, et entre direction et représentants du personnel, d’autre part, qui constituent par excellence les lieux d’exercice de la relation sociale, tantôt dominée par une logique d’opposition - «le contre-pouvoir salarial utilisant l’arme du conflit pour maintenir l’exercice du pouvoir patronal dans les limites tolérables»-, tantôt par une logique de participation - «marquée par l’élaboration en commun de règles ou par la coopération au sein d’institutions régulatrices» (Donnadieu et Dubois, 1995, p. 46).

1. 1. 2.- Le modèle conventionnaliste

Dans ce modèle les membres de l’organisation (souvent très qualifiés) disposent, individuellement, d’une grande maîtrise informelle sur la plupart des dimensions de la GRH. Les critères appliqués et les modalités de leur coexistence sont l’objet de débats, d’accords et d’élections (mandats) provisoires pour une période déterminée. Mais la plupart du temps les professionnels conservent une maîtrise sur la distinction entre ce qui relève de leur sphère d’autonomie et ce qui peut faire l’objet de conventions avec leurs pairs. Un premier exemple d’organisations appartenant à ce modèle sont les universités (Nizet et Pichault, 1995). Modèle aussi présent dans certaines entreprises publiques ou privés où il y a présence syndicale et une GRH un peu différente (Dyer et Holder, 1988; Gutierrez, 1993).

Page 105: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

105

L’accès aux emplois dans ce type d’organisations est généralement réglementé par la loi et ces conditions d’accès ont souvent été fixées sous l’influence des associations professionnelles qui parviennent ainsi à contrôler le marché du travail, en conséquence les candidats doivent être porteurs du diplôme adéquat. Dans ce cas, la gestion des entrées est collégiale et décentralisée. Si bien que le recrutement peut se faire soit par la mobilisation de réseaux informels (rencontres, congrès, réunions scientifiques, etc.), soit par des appels formels, c’est plutôt la sélection qui centre toute l’attention, à travers l’examen des dossiers au sein d’une commission ad hoc, la constitution d’un jury chargé d’apprécier, au cours d’un entretien, les qualifications effectives du candidat, la validation du choix par l’assemblée et/ou la direction. La planification des effectifs, à leur tour, est largement décentralisée dans le premier type d’organisations, mais centralisée dans les entreprises publiques ou plus classiques.

Les départs, par contre, ne sont pas très fréquents et en général - outre les départs «naturels» liés à l’âge - ne sont pas gérés par un mécanisme très élaboré. Si c’est le cas, ces départs sont très négociés avec les syndicats.

Quant à la formation, soit il n’y a pas d’effort organisationnel collectif à ce sujet, soit dans les entreprises avec forte présence syndicale, un effort organisationnel est fait. En citant Begin, ces auteurs affirment, «les systèmes de développement destinés aux professionnels sont limités dans la mesure où les organisations se fondent essentiellement sur le haut niveau de formation préalable de leurs employés pour contrôler leur comportement à l’égard des buts organisationnels (standardisations des qualifications). La décision de s’engager dans des activités de formation ou de développement de carrière est souvent décentralisée aux professionnels du centre opérationnel qui se fournissent en matière de formation auprès de leurs associations professionnelles respectives» (Pichault et Nizet, 2000, p. 138).

La formation à l’entrée joue un rôle central en tant que mécanisme de coordination, mais la formation «au quotidien» est largement aux mains des opérateurs, des professionnels eux-mêmes. Il s’agit de pratiques d’autoformation. Knowless - cité par Pichault et Nizet- parle ainsi de la notion d’apprentissage autodirigé (self-directed learning) qu’il définit comme «un processus dans lequel les individus prennent l’initiative, avec ou sans l’aide d’autres, pour faire le diagnostic de leurs besoins d’apprentissage, pour formuler leurs objectifs, identifier les ressources matérielles et humaines pour apprendre, pour choisir et mettre en œuvre les stratégies d’apprentissage appropriées et évaluer les effets de l’apprentissage» (Pichault et Nizet, 2000, p. 139). Nous trouverons dans ce type d’organisation une culture organisationnelle très éclatée en une multitude de factions et d’alliances d’intérêts établissant des équilibres constamment modifiés. En général, la formation est extensive et le personnel d’une haute compétence technique.

L’évaluation et la promotion sont étroitement liées. L’évaluation est faite soit par les pairs, soit par un organisme ou des méthodes plus centralisées et formalisées. Les règles de promotion sont connues puisqu’elles ont été élaborées et négociées collégialement ou avec les syndicats; elles sont aussi formalisées puisque la sécurité d’emploi est utilisée comme moyen d’impliquer le personnel hautement qualifié dans la vie de l’organisation. Les processus et/ou les résultats peuvent être standardisés ou pas selon le type d’entreprise. Dans ce dernier cas, les critères restent cependant subjectifs. C’est la reconnaissance par les pairs, sur la base de critères constamment soumis à débats, qui sert de base à la promotion ou à l’éviction. La particularité du système de promotion dans ce modèle est l’instauration d’un régime de mandats à durée déterminée pour les postes à responsabilité administrative, ceci évitera la concentration du pouvoir sur certains collègues. Les critères d’évaluation seront mélangés entre les normes préétablies et les mérites dans les entreprises avec présence syndicale.

Page 106: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

106

La rémunération établit un équilibre entre échelles barémiques, bonifications pour «mérites exceptionnels» et autorisation d’effectuer des activités extérieures rétribuées (pour les professionnels de haut niveau comme les professeurs universitaires). Ces dernières sont tolérées dans la mesure où elles sont liées à la reconnaissance professionnelle des personnes concernées et peuvent constituer une source additionnelle de revenu, elles sont parfois aussi réglementées.

En général, dans ce type d’organisations à forte présence des professionnels hautement formés, le poids des organisations syndicales traditionnelles est faible et limité. Le faible taux de syndicalisation existant dans ces organisations indique que les relations sociales sont plutôt régies par le biais des associations professionnelles. L’explication que Mintzberg donne aux difficultés d’introduction des syndicats dans ce type d’organisations est que : « la syndicalisation, en cachant les différences professionnelles et celles des services et, plus encore, en mettant en cause le contrôle individuel du travail, cause de sérieux dommages à l’autonomie professionnelle et à la responsabilité individuelle. La responsabilité collective ne peut jamais remplacer la responsabilité individuelle dans ce genre d’organisations. La syndicalisation fait aussi du tort à une deuxième caractéristique clé du fonctionnement efficace de ces organisations: la collégialité; ceci implique en partie, un contrôle des spécialistes dans les prises de décisions administratives, soit directement par les spécialistes opérationnels ou par l’intermédiaire de leurs représentants occupant des positions administratives. La collégialité suppose que spécialistes opérationnels et administrateurs travaillent ensemble en ayant un intérêt commun. La syndicalisation, au contraire, suppose un conflit d’intérêt entre les deux» (Mintzberg, 1986, pp. 540-541).

Cependant, dans les entreprises plus classiques où il existe une présence syndicale, les relations professionnelles, d’après Crouch, seraient de type néo-corporatiste. Il est possible d’établir une concertation, un dialogue et une négociation rationnelle entre les partenaires sociaux. Les conflits sont plutôt rares et les accords établis sont de type gagnant-gagnant.

1. 1. 3.- Le modèle individualisant

Le modèle individualisant est axé sur la personnalisation du lien salarial dont les critères seront négociés dans le cadre notamment des accords interpersonnels. Dans ce cadre, il y aura donc une multiplicité de statuts et des modalités au sein de l’organisation.

Une pierre angulaire de la gestion des ressources humaines dans ce modèle est la notion de compétence. Selon Pichault et Nizet, « à la différence de la notion de qualification, qui reste associée à la description du poste de travail, la compétence renvoie à un savoir-faire opérationnel validé…: savoir-faire, c’est-à-dire capacité à faire (et pas seulement à connaître); opérationnel, c’est-à-dire mis en œuvre concrètement en situation de travail; validé, c’est-à-dire reconnu par le management de l’organisation» (Pichault et Nizet, 2000, p.128). Dans cette logique, le personnel devient donc la principale ressource de l’entreprise.

Les entrées des effectifs seront régulées via un processus de sélection très exigent. La sélection devient ici une démarche clé pour l’organisation, par conséquent, tous les méthodes possibles et pertinentes seront appliquées: multiplication d’entretiens et de tests d’aptitudes et de personnalité, entretiens «réalistes» cherchant à tester les réactions du candidat face à des situations concrètes qui lui sont présentées; appréciation à travers des «centres d’évaluation» (assessment centers) du comportement et des attitudes du candidat dans des situations qui ressemblent les conditions réelles du travail; des périodes de preuve du candidat dans l’entreprise elle-même (Sparrow et Hiltrop, 1994, pp. 339-351), etc. Le recrutement aura aussi une description «réaliste». Ainsi, les procédures de recrutement et de sélection utilisées figurent parmi les plus sophistiquées.

Page 107: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

107

Quant aux sorties, il faut signaler que la rotation ou turnover du personnel est très important mais basé sur une logique de valorisation des compétences. Le personnel hautement qualifié recherchera en permanence les meilleures conditions de travail (sociales et financières) et sera disposé aux départs volontaires. Les employés qui doivent partir auront souvent une gestion spéciale de départs, par exemple, l’essaimage (possibilité pour la personne licenciée de bénéficier, pendant une période limitée, d’un volume d’activité garanti lui permettant de lancer sa propre entreprise ou de travailler en sous-traitance avec l’ancienne entreprise); des programmes d’outplacement permettant à la personne licenciée de réaliser un bilan de compétences et de bénéficier d’un suivi psychologique dans sa recherche d’un nouvel emploi; des programmes de formation/reconversion pour la personne licenciée, etc.

La formation occupe une place importante dans ce modèle. Une véritable politique de formation à moyen et long terme est développée adoptant différentes formes: sur le tas, scolaire, autoformation, formation technique sur mesure, parrainage, etc. Les secteurs où la tendance à l’individualisation de la GRH est plus marquée sont les secteurs de l’informatique, banques/assurances, pétrochimie, service aux entreprises, etc. Dans un contexte de changement et d’incertitude, la formation devient un véritable investissement stratégique; tous ces secteurs où il y a une mutation du système productif privilégient des formations multidimensionnelles concernant non seulement les aspects économiques, techniques ou procéduraux, mais aussi les aspects comportementaux et psychosociaux (savoir-être).

La politique de formation constitue un instrument essentiel de gestion des compétences; après un processus d’évaluation et d’après son profil et leur potentiel, des programmes de formation « sur mesure » sont proposés aux collaborateurs sélectionnés, donc pas de plans massifs mais une forte sélectivité. Pichault et Nizet, en citant Meignant, expliquent: « Le ‘développement des ressources humaines’ est tiré par la gestion prévisionnelle des emplois qui, en anticipant sur les évolutions quantitatives et qualitatives des contenus d’emploi en fonction de la stratégie de l’entreprise et des modifications attendues de l’environnement, donne son dynamisme à l’ensemble […] Gérer les compétences, c’est assurer la cohérence et la solidarité des éléments de cet ensemble » (Pichault et Nizet, 2000, p. 131).

L’évaluation se base sur la capacité de chacun à mettre en œuvre ses compétences. Sur base des objectifs fixés auparavant, souvent de nature qualitative, étant donné la haute qualification des personnes, on procède à l’évaluation (entretien) au cas par cas de la personne concernée et de son supérieur hiérarchique. La direction par objectifs (DPO) apparaît comme une technique très appropriée dans ce modèle. L’évaluation peut aussi prendre la forme d’un coaching, cas où l’évaluation deviendra une négociation régulière autour des objectifs définis et des actions entreprises.

La promotion n’a plus un caractère automatique comme dans le modèle objectivant. Les différences statutaires sont peu importantes puisqu’en général il y aura une grande mobilité, soit horizontale, verticale ou géographique, cette mobilité évidemment est liée à l’évaluation. Les plans de carrières sont personnalisés et négociés cas par cas, révisables en fonction de la stratégie et du contexte. La politique de carrière vise à attirer et à maintenir dans l’organisation une main-d’œuvre de qualité et aux ambitions élevées.

La rémunération - très diversifiée- n’est appliquée et compréhensible que dans le cadre d’une politique générale de motivation. Mais le modèle individualisant se caractérise surtout par l’introduction du salaire variable. La gestion des ressources humaines développe diverses techniques de compensation, appelées incentives, tels que la mise à disposition d’une voiture de fonction, d’une assurance-groupe ou d’autres avantages extralégaux, financement des activités sportives ou culturelles, accès à une crèche d’entreprise, etc. Le salaire est déterminé en partie a posteriori en fonction des performances individuelles et/ou collectives. Le salaire

Page 108: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

108

adoptera diverses modalités telles que salaires au rendement, à la productivité, au mérite, à la performance, etc.

Les relations professionnelles se caractérisent, d’après Pichault et Nizet (2000), par le principe de l’expression directe au lieu de la délégation/représentation. La codécision, sur le plan opérationnel, managérial, voire stratégique, est stimulée par des formules du type: groupes semi-autonomes de production, groupes de projet interdépartementaux, etc. Ce partage des décisions et des informations devient un enjeu fondamental du fonctionnement de ce type d’entreprises. Dans ce cas, le scénario idéal est l’absence des organisations syndicales. Cependant, dans le cas d’une présence syndicale - situation habituelle en Europe – il est possible, d’après Crouch, d’établir un modèle pluraliste de relations professionnelles.

Malgré le système de valeurs différentes des partenaires, ils peuvent arriver à établir des accords minimaux sur des critères et des procédures de travail (voir tableau 3).

Tableau 3

Les trois modèles de GRH

Dimensions Modèle objectivant Modèle conventionnaliste

Modèle individualisant

Entrées des effectifs planification quantitative, plus d’importance accordée au recrutement qu’à la sélection, faible turnover

accès aux emplois réglementé, recrutement et sélection pris en charge par les professionnels et validés de manière collégiale et/ou pris en charge et validé par la direction

gestion prévisionnelle des compétences, forte importance de la sélection, recours à des méthodes sophistiquées

Départs des effectifs licenciements collectifs, préretraites, alternatives négociées dans le cadre de conventions collectives (réduction salariale, diminution du temps de travail)

départs très rares, seulement par décision volontaire ou sous la pression des pairs ou négociés avec les syndicats

départs volontaires en vue de mieux répondre aux aspirations professionnelles, actions d’accompagnement (essaimage, outplacement, reconversion, mobilité)

Formation centrée sur le savoir et savoir-faire, forte institutionnalisation, mode transmissif, centrage sur le court terme, importance moyenne dans la masse salariale

essentiellement aux mains des professionnels, qui définissent les critères de légitimité et/ou formation extensive organisée de manière formelle. En général, haute compétence

centrée sur le savoir-être, forte institutionnalisation, alternance de formes, centrage sur le long terme, forte importance dans la masse salariale, organisation qualifiante

Evaluation permanente, fondée sur une description de fonction, recourant à des critères standardisés (échelle de notation,..), sans influence nécessaire sur la promotion

fondée sur la reconnaissance professionnelle par les pairs, recourant à des critères définis de façon collégiale, sans influence directe sur la promotion ou sur base des normes préétablies et des mérites simultanément

fondée sur un bilan de compétences, prenant la forme de la DPO, de l’entretien d’évaluation ou des pratiques de coaching, recourant à des critères négociés au cas par cas, avec une influence directe sur la mobilité

Promotion à l’ancienneté ou sur la base de concours, avec mise au point d’une classification de fonctions

sur la base d’élections par les pairs; pour les postes à responsabilité administrative avec un système de mandats limités dans le temps ou par l’ancienneté et des critères préétablis

nomination directe au mérite (lié à l’évaluation), plan de carrières personnalisé

Page 109: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

109Rémunération salaire au temps réglementé

ou salaire au rendement, déterminé a priori

salaire négocié à l’entrée, puis inséré dans un système barémique, mais autorisation de rendre des services rémunérés à l’extérieur ou simplement sur base d’échelles barémiques et des parties variables

salaire individualisé avec partie variable, déterminé a posteriori, accompagné d’incentives (sports,..) et d’une mise à disposition de divers services

(assurances, crèches,..)

Relations professionnels et type de syndicalisme

principe de la délégation /représentation; modèle de relations professionnelles confrontationnelles et « latin »

principe de l’éthique professionnelle (influence des associations); modèle de relations professionnelles néo-corporatistes et « rhénan », s’il y a présence syndicale

principe de l’expression directe; modèle de relations professionnelles pluralistes et « anglo-américain », s’il y a présence syndicale

Source: Pichault et Nizet, 2000, p. 154-157. Adapté.

Ces trois modèles de pratiques de GRH de Pichault et Nizet (2000), nous pouvons les relier corrélativement à trois modèles de rôles des DRH et à trois modèles de management en établissant entre eux un rapport théoriquement logique. C’est ce que nous ferons par la suite.

1. 2.- LES MODELES DES ROLES DE LA DIRECTION DES RESSOURCES HUMAINES (DRH)

En s’inspirant notamment des auteurs tels que Ulrich (1997) ; Ulrich, Losey et Lake (1998); Labelle et Dyer (1992) ; Wils, Labelle et Guérin (2000) ; Batal (1997), nous proposons trois rôles «idéaux-types» de DRH, à savoir:

- le rôle d’Agent Administratif (AA),

- le rôle d’Expert Opérationnel (EO) et

- le rôle de Partenaire Stratégique (PS).

Chacun de ces trois rôles de DRH sont décrits par rapport à cinq dimensions qui vont les caractériser, à savoir: 1)- les missions ou responsabilités principales, 2)- les clients auxquels ils servent de préférence ou clients-utilisateurs, 3)- le profil des professionnels du département RH, 4)- le pouvoir du service DRH et 5)- la position organisationnelle du responsable-DRH.

Décrivons brièvement ces cinq dimensions.

1)- Quant aux missions : elles désignent en fait les finalités d’un service, d’une unité ou encore d’une situation de travail, selon le niveau où on se place, et leur formulation doit répondre à la question : « en quoi le service, l’unité de travail ou bien le poste, contribuent-ils à l’organisation ? Elles intègrent une idée de permanence et sont plus précises que la notion de fonction » (Batal, 1997, p.252).

Nous distinguerons ici quatre missions de la DRH, à savoir : a)- définir une politique de GRH et, éventuellement, co-définir la stratégie de l’entreprise; b)- conseiller à la direction ; c)- organiser la fonction ressources humaines ; d)- superviser et/ou gérer les relations professionnelles.

Page 110: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

110

a)- Définir une politique de GRH : la définition d’une politique donne de la cohérence aux actions de GRH et évite l’éparpillement des activités. Cette première mission revient à répondre aux questions suivantes :

- à quoi doit servir prioritairement la GRH dans l’entreprise ?

- quels sont les objectifs les plus importants à atteindre ?

- quelles sont les attentes partagées des acteurs de l’entreprise, notamment de la direction, de la ligne hiérarchique, des partenaires sociaux et des employés ? (Batal, 1997).

Dans la prise en compte des acteurs et dans la construction de notre cadre d’analyse, nous nous situons évidemment dans la logique du partenariat social, réalité évidente en Europe occidentale.

Par rapport à cette importante mission, il est possible de relever une panoplie de situations, depuis les DRH qui participent activement à la discussion, élaboration et explicitation verbal et écrite d’une politique de GRH, jusqu’à une pauvre participation et non-explicitation, en tout cas écrite, de la politique de GRH dans les entreprises. Dans les faits, il y aura toujours une politique de GRH dans une entreprise.

La co-définition de la stratégie de l’entreprise exprime l’éventuelle importance et la responsabilité que la direction accorde effectivement à la direction des ressources humaines (DRH).

b)- Conseiller la direction : la DRH, et notamment son directeur, peut conseiller la haute direction sur des dossiers et des décisions importantes. Or, cette mission peut être sporadique ou devenir une activité permanente de la DRH, selon, encore une fois, le rôle assigné et la légitimité accordée à la DRH dans l’entreprise.

c)- Organiser l’ensemble de la fonction ressources humaines : consiste à décider de la répartition des rôles entre les différents acteurs concernés, ainsi que entre les différents niveaux (national, local, régional, etc.) pour mettre en œuvre les politiques et les programmes définis et dans le délai décidé. Cette mission devrait répondre à la question du « comment faire » les choses et par conséquent, elle devra décider, par exemple, du rôle de la ligne hiérarchique dans la gestion des ressources humaines et de la coordination nécessaire avec les DRH, de quel programme de formation mettre en place pour quels objectifs, quel système de communication et de gestion de l’information sur le GRH il faut mettre en place, des attributions confiées aux directions locales ou aux personnes dans tel domaine, etc. C’est dans le cadre de cette mission que le responsable de la fonction va attribuer les moyens en optimisant le maximum possible les ressources disponibles.

d)- Superviser et/ou gérer les relations professionnelles : il s’agit de la responsabilité de la gestion des relations avec les organisations syndicales. Habituellement c’est le propre responsable de la DRH qui prend en charge cette mission, éventuellement secondé par une équipe. Il s’agit d’une activité importante, voire stratégique. La qualité de cette relation peut être déterminante pour le bon fonctionnement de l’entreprise.

Cette gestion des relations professionnelles peut être de différents types (confrontationnel, pluraliste ou néo-corporatiste), avec des niveaux de confiance, de collaboration et de qualité différentes, et, évidemment, avec des résultats divers.

2)- Les clients:

Un « client » peut être tout acteur (personne, organisation ou groupe de personnes) utilisateur des services offerts par la DRH, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise.

Ces clients-utilisateurs des services de la DRH peuvent être très divers. Parfois en nombre très restreint (par exemple, la seule direction), mais d’autre fois en nombre très élevé, en

Page 111: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

111

DRH

Haute direction

Cadres hiérarchiques

Pouvoirs publics

Employés

Professionnels spécialisés

Clients externes

Syndicats

Organismes locaux

Figure 3

Les clients-utilisateurs des services de la DRH

allant jusqu’à huit clients, comme le montre la Fig.3. Le nombre de clients-utilisateurs dépendra, encore une fois, de la logique managériale dominante, de la stratégie de l’entreprise, de la politique de GRH et/ou des missions assignées à la DRH.

Source : St-Onge, Audet, Haines et al., 1998, p. 669. Adapté.

3)- Profil des professionnels de la DRH : il s’agit des types de formation et des compétences spécifiques des professionnels membres de la DRH. Autrement dit, il a trait à leur formation de base initiale (savoirs), au savoir-faire acquis lors de leur parcours professionnel et à l’expérience spécifique acquise dans certains domaines particuliers.

4)- Pouvoir de la DRH : il s’agit de constater si cette entité participe, à travers surtout de son responsable, à l’égal des autres services, aux décisions les plus importantes et stratégiques de l’entreprise ; de voir l’influence et la légitimité surtout du responsable auprès des autres acteurs, notamment auprès de la haute direction. L’assignation d’un faible ou d’un important budget peut être interprétée aussi comme un signal de pouvoir, cependant ceci n’est pas un critère suffisant ; il peut y avoir des DRH avec des niveaux de pouvoir différents, parfois indépendamment du budget assigné.

5)- Position organisationnelle du responsable-DRH : il s’agit de savoir s’il participe ou non, de plein droit, à la plus haute instance de direction de l’entreprise. C’est une dimension un peu liée à la précédente.

Dans l’analyse portant sur les rôles des DRH, la DRH est conçue comme une entité globale, comme un acteur social d’ensemble où, malgré les différents rôles individuels des personnes qui la composent, un comportement collectif dominant ou principal devient caractéristique et remarquable, au-delà du rôle important que peuvent jouer les individualités.

Les trois rôles proposés sont:

1. 2.1.-Le rôle d’Agent Administratif

Page 112: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

112

Le rôle d’Agent Administratif (AA) se caractérise, quant aux missions, par une tendance plutôt à définir une politique de GRH a posteriori et de façon réactive à la stratégie de l’entreprise, normalement de façon implicite ou bien simplement elle exécutera les orientations politiques de GRH déjà prises et ordonnées par la direction, en tout cas, ce sera une politique cohérente avec le modèle objectivant de GRH. En général, elle ne participe pas à la définition de la stratégie de l’entreprise.

Elle conseillera la direction de façon très sporadique, plutôt sur les décisions tactiques et sur des problèmes conjoncturels que sur les décisions stratégiques. L’organisation de l’ensemble de la fonction ainsi que la DRH elle-même sera très centralisée et avec un fonctionnement plutôt bureaucratique, le contrôle sera exercée plutôt par la ligne hiérarchique, parfois parallèlement et sans coordination avec la DRH. Elle aura la responsabilité de superviser, et si c’est possible, de gérer des relations professionnelles correspondantes au modèle confrontationnel et « latin ».

La taille de la DRH tend à être, en général, grande.

Le profil des professionnels de la DRH est d’être fins connaisseurs de l’environnement interne à l’entreprise, des cadres spécialistes des relations humaines et d’avoir une capacité de négociation et de résolution des conflits sociaux, ce type de professionnels fait des tâches répétitives, routinières, beaucoup de paperasserie administrative.

Les clients privilégiés sont la haute direction, les cadres hiérarchiques et les employés.

Le pouvoir de la DRH-AA est faible ou nul. Caractérisée, en général, par une autonomie faible ou nulle, le manque de crédibilité et la non-participation dans les grandes décisions. Habituellement, elle ne sera pas membre de la direction ; si c’est le cas elle ne détient pas un véritable pouvoir. Les décisions stratégiques peuvent être prises même sans son avis; ceci veut dire que les problèmes de ressources humaines n’ont pas la même importance que les autres problèmes (financiers, ventes, clients, etc.) et la GRH doit suivre et s’adapter a posteriori aux décisions stratégiques de la haute direction. Le budget assigné est maigre.

Quant à la position organisationnelle du responsable du service, en général, il n’appartient pas à la direction. En général, il se chargera plutôt (et avec lui le service ) d’appliquer les décisions de la haute direction.

En résumé, cette DRH joue un rôle plutôt réactif, d’assistance, de suivi à la stratégie et aux décisions prises par la haute direction.

1. 2. 2.- Le rôle d’Expert Opérationnel

Les missions principales de la DRH-Expert Opérationnel sont de: définir de façon explicite ou implicite, une politique cohérente avec le modèle conventionnaliste de GRH, que celle-ci soit liée à la stratégie ; de participer sporadiquement et aléatoirement à la co-définition de la stratégie de l’entreprise. Conseiller la direction de façon intermittente, parfois de sa propre initiative (proactive), parfois à la demande de la direction, puisqu’elle ne fait pas partie toujours du véritable noyau de direction. Organiser la fonction GRH en mettant en place des programmes et des dispositifs avec des outils et des techniques importants et performants, avec une bonne expertise professionnelle; en général, encore faible déconcentration et autonomie. Il s’agit d’un management de personnes et de processus, avec une approche qui peut être à court ou à long terme.

Page 113: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

113

Gérer des relations professionnelles liées au modèle néo-corporatiste et « rhénan ».

La taille du département RH, en général, est moyenne.

Le profil des professionnels-DRH est celui d’un professionnel avec une haute expertise technique, très spécialisé et compétent dans leur domaine, utilisant des méthodes et des procédures pointues, mais pas tellement polyvalentes ; un « bon technocrate ».

Les clients de la DRH seront principalement la haute direction, les cadres hiérarchiques, les employés, les syndicats, les pouvoirs publics.

Le pouvoir de la DRH sera fluctuant ; elle peut s’attendre à un pouvoir important à cause de la haute spécialisation de leurs membres, une sorte de techno-structure spécialisée en ressources humaines (la technostructure typique de Mintzberg). Mais ceci n’est pas toujours le cas. Malgré l’expertise technique elle peut avoir une légitimité limitée et peu de pouvoir. Le budget assigné, en conséquence, peut fluctuer entre faible et important en relation avec l’influence du directeur et des rapports de forces des acteurs, surtout de la direction.

Sa position et leur pouvoir sont fluctuants.

Le directeur peut être membre de la direction mais ceci n’est pas toujours vrai.

Bref, la DRH-EO joue plutôt un rôle technocratique, réactif ou proactif, partagé entre un simple appui à la stratégie et des initiatives innovantes influençant fortement les décisions de la direction.

1. 2. 3.- Le rôle de Partenaire Stratégique

Chez la DRH-Partenaire Stratégique les missions principales peuvent être: proposer et définir une politique de GRH cohérente avec le modèle individualisant, participer activement et de plein droit à la co-décision de la stratégie de l’entreprise. Conseiller de façon permanente la direction en ayant habituellement une attitude proactive. Organiser la fonction RH de façon décentralisée avec des unités semi-autonomes et forte délégation de responsabilités sur les personnes de la DRH ; il y aura une tendance à externaliser des fonctions de RH. Gérer des relations professionnelles à caractère pluraliste, quand il y a présence syndicale.

La taille du département RH sera plutôt petite; diverses configurations organisationnelles pourront être mises en œuvre pour avoir plus de flexibilité.

Le profil des professionnels est celui d’un professionnel avec une vision globale et de long terme de la GRH et des affaires de l’entreprise, maîtrisant les problèmes de gestion et de stratégie, sensibles aux problèmes de l’environnement externe, en étant un bon conseilleur dans ces domaines. Il réalise des études clés et utiles à la prise de décisions de la direction ; il est plutôt polyvalent et avec un haut professionnalisme ; il est plutôt un agent de changement avec un leadership reconnu.

Les clients-utilisateurs de la DRH sont nombreux. Ils peuvent aller dès la haute direction, en passant par les syndicats, les employés, les cadres hiérarchiques, les professionnels spécialisés, jusqu’aux clients externes, les pouvoirs publics et les organisations locales.

Le pouvoir de la DRH est grand et reconnu. Le responsable de la DRH participe aux décisions les plus importantes de l’entreprise, il possède une grande influence avec une légitimité reconnue ; le budget assigné au département est important. Il y a une sorte de pouvoir technique et politique.

Page 114: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

114

La position organisationnelle du responsable de la DRH est claire ; il appartient de plein droit à la haute direction.

Bref, la DRH-PS joue un rôle proactif, stratégique et de changement, en ayant une vision globale de la GRH et des affaires de l’entreprise.

Nous résumons dans le tableau 4, les trois types de DRH analysés, en relevant surtout les caractéristiques les plus marquantes.

Tableau 4

Les rôles des directions des ressources humaines (DRH)

Dimensions Agent Administratif Expert Opérationnel Partenaire Stratégique

Missions principales :

. définir une politique ou des orientations principales de GRH,

. organiser la fonction GRH,

. gérer les relations

professionnelles,

politique cohérente avec modèle objectivant de GRH ; éparpillé, implicite, en réponse à la stratégie; elle ne participe pas à la décision de la stratégie ; conseille de façon sporadique et quand la direction le demande

très centralisée et bureaucratique

relations professionnelles liées au modèle confrontationnel et « latin »

politique cohérente avec modèle conventionnaliste de GRH ; implicite ou explicite, en essayant que soit cohérente avec la stratégie ; ne participe pas toujours à la co-décision de la stratégie ; conseille de façon intermittente, sous propre initiative ou à la demande de la direction

centralisée avec autonomie relative, programmes et dispositifs techniquement performants

relations professionnelles liées au modèle néo-corporatiste et « rhénan »

politique cohérente avec modèle individualisant de GRH ; discuté et décidé avec la direction, cohérente avec la stratégie ; co-décision de la stratégie d’entreprise ; conseille de façon proactive et en permanence.

flexibilité organisationnelle, décentralisée, avec de l’autonomie aux équipes et personnes

relations professionnelles liées au modèle pluraliste et « anglo-américain »

Taille de la DRH grande moyenne petite

Profils des professionnels-DRH

spécialistes en relations humaines, fins connaisseurs de l’environnement interne, réalisent des tâches répétitives, routinières, beaucoup de paperasserie, de « bons administrateurs »,

spécialistes de la GRH (recrutement, gestion des rémunérations,…), haute expertise des systèmes, des méthodes et des outils techniques de GRH, très peu polyvalents, de bons négociateurs, de « bons technocrates »,

professionnels avec une vision globale et de long terme, connaisseurs des affaires et de la stratégie d’entreprise, polyvalents, haut professionnalisme, leadership dans des périodes de changements, fins négociateurs, conseilleurs clés,

Clients de la DRH haute direction, employés et cadres hiérarchiques

haute direction, cadres hiérarchiques, syndicats, employés, pouvoirs publics

haute direction, employés, cadres hiérarchiques, professionnels spécialisés, p. publics, org. locales, syndicats, clients externes

Page 115: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

115Pouvoir de la DRH p. faible ou nul ; budget

faible p. relatif ou moyen, tributaire des circonstances et/ou des rapports des forces ; budget moyen

p. fort ; budget important

Position organisationnelle du chef du département RH

en général, non-membre de la haute direction

peut être membre ou pas de la haute direction

membre de la haute direction

Les trois rôles proposés ci-dessus peuvent coexister dans une même DRH dans la mesure où chacun de ces rôles est encore nécessaire, voire indispensable, au bon fonctionnement de l’entreprise. Les DRH sont, en réalité, des entités hybrides puisqu’elles peuvent et doivent jouer simultanément différents rôles.

Comme il a été relevé lors de la discussion théorique, malgré les tendances actuelles qui poussent les DRH à assumer des rôles de plus en plus stratégiques, dans les entreprises on aura encore besoin du rôle d’agent administratif pour résoudre, par exemple, certains problèmes sociaux quotidiens des employés. Nous rejoignons ici la notion de rôles multiples d’Ulrich vu auparavant. Or, dans le cadre d’un équilibre nécessaire –mais forcément instable- de ces trois rôles, il y aura toujours un rôle dominant qui donnera son profil générique à la DRH en question. Ainsi, si dans une DRH les activités et responsabilités majoritaires et dominantes sont celles du rôle d’agent administratif, nous parlerons alors d’une DRH avec un rôle d’agent administratif, et ainsi de suite.

1. 3.- LES MODELES DE MANAGEMENT (M)

Lors de la revue de la littérature sur le management, nous avons relevé trois archétypes ou modèles, à savoir: le management classique, le management politique et le management instrumental ou « californien ».

Nous caractériserons ces trois modèles de management sur base des quatre variables suivantes, plutôt liées à la GRH:

1)- La conception d’entreprise et des travailleurs : il s’agit de savoir comment le management conçoit l’entreprise et les travailleurs. L’entreprise peut être conçue, d’une part, comme une sorte de « boîte noire » où ce qui intéresse prioritairement est d’en sortir un produit ou un service sous une logique productiviste sans se soucier trop des problèmes sociaux qui accompagnent ce processus ou bien, d’autre part, comme un collectif social où il est question d’équilibrer l’économique et le social ; l’économique n’étant pas au détriment du social. Quant aux travailleurs, il s’agit de savoir si ceux-ci sont conçus plutôt comme un coût ou bien plutôt comme un investissement. Dans une certaine mesure, il s’agit aussi d’analyser la convergence ou la divergence flagrante des intérêts entre trois types d’acteurs classiques liés à l’entreprise : les actionnaires, les employés et les clients, et la position du management à ce sujet.

2)- Le style du management : celui-ci peut être directif, même autoritaire ou largement participatif ; pratiquant peut-être une DPO, l’empowerment, le coaching, le travail en équipes autonomes, un contrôle centralisé rigoureux ou un auto-contrôle; il peut être plus ou moins démocratique, avec un partage du pouvoir, etc.

3)- L’importance donnée aux R.H.: il s’agit de valoriser les ressources humaines à travers les politiques, les actions et les moyens mis à disposition à ce propos; la préoccupation pour la formation des employés, la recherche, reconversion et/ou promotion systématique des

Page 116: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

116

employés qualifiés à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation ; le développement des carrières.

4)- L’importance donnée aux syndicats et aux relations professionnelles : il est question de la fréquence et la qualité des rapports entre le management et les organisations syndicales, la fréquence des conflits sociaux, les dispositifs mis en place pour faciliter ces relations sociales.

Par conséquent, ces trois modèles de management seront compris comme suit.

1. 3. 1.- Le Management Classique

L’entreprise est une « entité rationnelle » qui réagit aux demandes/pressions du marché et répond aux attentes des actionnaires; tous leurs membres sont sensés comprendre cette « évidence » et, en principe, partager et appuyer ces intérêts et buts économiques. Malgré un discours rationaliste unificateur autour des objectifs de l’entreprise, les différences d’intérêts entre patrons (actionnaires), managers et employés se manifestent et il faut une certaine négociation, notamment avec les syndicats. Le management est sensé concevoir, planifier et diriger et les employés, sensés obéir et exécuter. Il privilégie l’économique. Le travailleur est un instrument de production et il est perçu comme un coût, quelqu’un qui doit être contrôlé étroitement, à qui on ne fait pas confiance. Dans l’organisation du travail l’idée est de mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, poste de travail qui a été a priori défini rationnellement.

Le management est plutôt directif, voire autoritaire. Le rôle des dirigeants est de diriger, en entendant par-là la définition et l’imposition des politiques, des objectifs et des plans à respecter et à exécuter. L’autorité hiérarchique pratique un management plutôt vertical, à travers des ordres et instructions impersonnels, et un contrôle fort. Le feedback et l’écoute des employés sont rares; la participation pratiquement inexistante. Il existe une distance marquée entre le chef et les subordonnés par conséquent le travail en équipe est difficile. Certaines pratiques de management tels que les cercles de qualité, l’empowerment, les équipes semi-autonomes, etc., sont pratiquement inviables.

Quant à l’importance attribuée aux R.H., celle-ci est faible ou nulle. S’il y a besoin de main-d’œuvre spécialisée, il faut la chercher plutôt à l’extérieur ; il manque une formation soutenue et un véritable développement des ressources humaines en interne.

Les syndicats sont un « fait imposé » et vus par le management comme dérangeants ; ils sont très peu valorisés comme des partenaires sociaux, la méfiance est présente. Les relations professionnelles se concrétisent au travers de négociations et d’accords, d’une part, sur les niveaux des salaires demandés par les syndicats et, de l’autre, par le respect de plans de production établis par la direction.

1. 3. 2.- Le Management Politique

Le supposé de base, c’est la divergence d’intérêts, notamment entre patrons (actionnaires), managers et employés ; on ne cherche pas à l’occulter, au contraire, on essaie de le gérer quotidiennement. L’entreprise est une organisation sociale, ses frontières sont ouvertes et perméables aux problèmes de la société, elle est en interrelation avec celle-ci; c’est un instrument de médiation entre l’engagement individuel et l’ordre social régnant, donc, l’entreprise n’est pas une simple institution économique, elle a aussi une finalité sociale, éthique et/ou nationale. Un effort est fait pour établir un équilibre entre l’économique et le social. Les travailleurs sont des sujets pensants, interpellants, créatifs: des acteurs. Ils sont

Page 117: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

117

sollicités pour apporter toute leur intelligence et toute leur énergie pour développer la compétitivité, faire des profits et garantir l’emploi. Le travailleur n’est pas seulement un coût mais plutôt un investissement, il devient un capital humain. Un compromis rationnel entre des intérêts différents, un régime moderne de collaboration de « classes » est possible.

Le management cesse d’être seulement directif et devient plus ouvert et participatif, il peut être un management par objectifs (DPO). Le contrôle du travail repose peu sur les sanctions disciplinaires mais largement sur des procédures de contrôle systématiques de performances individuelles ; dans le travail on incite fortement à la coopération directe entre salariés de services différents et le degré de prescription des tâches est relativement faible. Il y a plus de décentralisation de microdécisions au niveau des travailleurs mais équilibré par une gestion formalisée, centralisée et à long terme, ce mode de contrôle est cohérent avec le niveau élevé de qualification du personnel et l’investissement dans des politiques de communication et de participation directe. La concertation sociale avec les syndicats est fréquemment pratiquée. La délégation de responsabilités, l’empowerment, le coaching, etc. sont donc possibles. Le manager ne joue pas tout seul le rôle de direction ni de contrôle, les organisations syndicales peuvent aussi participer dans le rôle de régulateur social dans l’entreprise.

Les ressources humaines sont valorisées et on applique des politiques, des moyens et des techniques spécifiques pour développer leurs performances et leur bien-être social. Le travailleur devient un investissement plutôt qu’un coût, le développement des ressources humaines en interne est privilégié, donc la formation et la reconversion jouent un rôle majeur.

Les relations professionnelles sont habituellement constructives, basées sur des accords collectifs négociés, ce qui n’élimine pas les conflits ; les organisations syndicales sont respectées et le rôle de partenaire pratiqué par les syndicats est accepté. De la confrontation des idées et des intérêts il est possible d’arriver à des accords qui contribuent aux performances de l’entreprise.

1. 3. 3.- Le Management Instrumental ou « Californien »

La conception philosophique de l’entreprise est individualiste et « consensuelle ». L’augmentation des profits est le moteur du bien-être général, l’économique et le social sont « réconciliés » par une dissolution du social dans l’économique. Ce management prône la conciliation entre l’intérêt individuel et l’intérêt de l’entreprise, la contradiction entre le capital et le travail appartient au passé ; une harmonie de l’actionnaire et du travailleur est recherchée par la création d’un hybride mi-patron, mi-employé qui associe les contraires. Le prototype à construire c’est l’entreprise flexible, royaume de la concertation, de la responsabilisation, de l’esprit d’entreprise, du dépassement de soi, de l’engagement communautaire, avec la croyance de pouvoir construire une communauté cohérente autour de la pensée du management. Il existe la conscience que le travail est le capital le plus précieux, le plus décisif, par conséquent, il faut investir dans le capital humain. Les travailleurs doivent être partie prenante, actifs, motivés, engagés, polyvalents, pensants, acteurs, etc. ; d’un travailleur passif et obéissant il faut évoluer vers un collaborateur actif, autonome et complice. Cependant, le travailleur reste une marchandise à coter dans le marché, par conséquent d’appliquer sans problèmes la flexibilité numérique s’il le faut.

Le style de management est participatif ; le grappillage, la prise de risque, sont encouragés, l’échec est accepté. Il est prôné la gestion participative qui doit motiver les travailleurs au plan intellectuel et affectif. La finalité morale inculquée non seulement motive mais responsabilise, alors si les fondements éthiques sont forts, les défaillants sont susceptibles d’être culpabilisés. Il est question d’autocontrôle plutôt que de contrôle, le conditionnement

Page 118: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

118

des comportements plutôt que la contrainte des employés. Il s’agit d’abolir la distance entre les employés et la direction de l’entreprise, donc il y a un rejet du management autoritaire ; les managers renoncent à imposer leur pouvoir par la force, par le règlement autoritaire et par le contrôle.

L’adaptabilité et la flexibilité sont encouragées, toujours prêt au changement qui devient permanent, le travailleur doit être capable de s’adapter à des situations différentes. Le manager reste l’acteur central de l’organisation ; il joue le rôle central des activités de l’entreprise et son chef indiscuté. Les managers deviennent des « coachs », ils doivent orienter, pas commander, à des gens flexibles, créatifs, battants, individualistes, etc. L’empowerment, le coaching, sont prônés. Le management vise à gommer les contradictions d’intérêts entre les acteurs et à faire en sorte qu’il n’y ait pas de conflits ou à les éviter. Les organisations syndicales ne sont pas appréciées. Des techniques telles que : le juste-à-temps, la qualité totale, le processus d’amélioration continue (Kaizen), les équipes autonomes de production, les cercles de qualité, les propositions de zéro défaut, zéro délai, zéro panne, etc. sont vivement encouragés.

Les ressources humaines sont hautement valorisées et des politiques diverses et des techniques sont mises en œuvre dont leur but est d’augmenter l’efficacité de la main-d’œuvre et la compétitivité. Des efforts énormes en formation sont fait pour développer fortement une partie des ressources humaines de l’entreprise en essayant de les fidéliser mais, en même temps, il est appliquée une flexibilité numérique sur une autre partie (licenciements, plans de retraite anticipés), ce qui pose de fortes contradictions de gestion du personnel.

Quant aux relations professionnelles, la philosophie dominante est a-syndicale. Les organisations syndicales ne sont pas du tout appréciées et il est préférable travailler sans les syndicats ou les contourner ; ils sont accusés d’entraver le libre jeu des lois du marché, de rigidifier ce qui doit être flexible, de refuser les nouvelles technologies, etc. Il s’agit d’éliminer les conflits sociaux, de gommer les tensions sociales. Cependant, s’il y a des organisations syndicales il s’agira d’établir des rapports négociés avec eux, mais avec des politiques et attitudes contradictoires (tableau 5).

Tableau 5

Les modèles de management

Modèle Classique Modèle Politique Modèle Instrumental

Conception d’entreprise et des travailleurs

Entreprise comme « boîte noire » avec rationalité claire : faire des profits ; divisée entre ceux qui dirigent et ceux qui exécutent ; travailleur perçu plutôt comme un coût ; il

Entreprise comme ensemble sociale où on négocie un compromis entre intérêts différents ; elle n’a pas seulement une finalité économique mais aussi sociale et éthique ;

Entreprise avec des acteurs plutôt individualistes ; le profit c’est le moteur du bien-être général ; conciliation entre l’économique et le social par dissolution du social dans

Page 119: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

119doit être contrôlé, attitude de soumission ; manque de confiance entre direction et travailleurs

travailleur perçu plutôt comme acteur, un investissement et pas seulement comme un coût ; compromis rationnel et négocié de collaboration de « classes »

l’économique, de même conciliation entre l’intérêt individuel et de l’entreprise ; entreprise royaume de la flexibilité, de la responsabilisation, de l’engagement, de la motivation, etc. ; le travail est le capital le plus précieux, il faut investir dans les travailleurs

Style de management Directif, voire autoritaire ; vertical ; peu d’écoute envers les subordonnés ; on planifie et on commande, participation nulle

Plus ouvert et participatif, DPO ; relative autonomie des collaborateurs ; possible concentration sociale avec les syndicats et respect de ceux-ci, délégation relative de responsabilités aux collaborateurs

Participatif, qui essaie de motiver les travailleurs ; on prône l’autocontrôle plutôt que le contrôle, l’empowerment et le coaching, à travers un discours moralisant ; on prône la flexibilité, l’adaptabilité, être prêt aux changements ; pas de distance entre chef et collaborateurs

Importance donnée aux Ressources Humaines

R.H. peu ou nullement valorisées ; manque de formation et de développement

R.H. valorisées ; on privilégie le développement des R.H. plutôt en interne ; c’est un investissement important

R.H. hautement valorisées, énormes efforts en formation ; logique d’investissement pour avoir des R.H. performantes

Importance donnée aux R. Professionnelles et les syndicats

R.P. et les syndicats sont des « faits » imposés ; quand elles existent, elles sont instables ; des négociations souvent difficiles avec les syndicats

R. P. constructives ; accords négociés soigneusement entre des intérêts différents ; les organisations syndicales sont respectées et peuvent être des partenaires sociaux sérieux et utiles pour l’entreprise

R. P. et syndicalisme pas du tout appréciés, ils sont plutôt critiqués. On préfère travailler sans syndicats. S’il y a des R. P. alors sont contradictoires et instables

Les évolutions des rôles des DRH, des pratiques de GRH et des modèles de management,

peuvent être influencées par divers éléments de l’environnement tant externes qu’internes. Nous présentons ces interrelations par la suite.

2.- CONTEXTE (INTERNE)

2. 1.- LES CONFIGURATIONS ORGANISATIONNELLES

En suivant Pichault et Nizet (1995, 2000), la structure ou configuration organisationnelle d’une organisation a une certaine influence ou conditionnement sur les pratiques de GRH et, par conséquent, aussi sur les rôles de DRH et sur les modèles de management développés.

Page 120: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

120

Parmi les 5 configurations organisationnelles proposées, nous avons choisi, pour les raisons auparavant justifiées, les trois configurations organisationnelles suivantes : a)- configuration bureaucratique, b)- configuration professionnelle et c)- configuration adhocratique.

Les caractéristiques de ces trois configurations sont les suivantes:

2. 1. 1.- La configuration bureaucratique

Dans la théorie des organisations ainsi que chez Weber, la «bureaucratie» a trait à des organisations marquées par une forte division horizontale et verticale de travail, par la standardisation des procédés, la hiérarchisation exagérée des relations, etc.

La configuration bureaucratique se caractérise par ce qu’on a appelé un mode d’organisation taylorien. La division des opérateurs est forte tant sur la dimension horizontale - le travailleur a un nombre limité de tâches à accomplir - que sur la dimension verticale - il ne participe guère à la conception de son travail, cette fonction étant assurée par les analystes de la technostructure. Cependant, la polyvalence simple - via la rotation des tâches ou le développement de postes multifonctionnels - reste toujours possible: la division horizontale devient alors plus faible. La coordination se réalise essentiellement par des mécanismes fondés sur la formalisation: standardisation des procédés (les tâches à effectuer sont prévues par des machines, par des systèmes informatiques, etc.) ou des résultats (le travail peut être effectué comme le travailleur l’entend, mais celui-ci doit arriver à un résultat fixé à l’avance). Ces conditions contraignantes de division du travail impliquent la présence d’opérateurs peu qualifiés. Une variante de la configuration bureaucratique, c’est la structure divisionnalisée qui est constitué d’un ensemble d’entités relativement autonomes, appelés divisions, en relation avec une entité centrale, appelée siège.

Les buts de système prévalent sur les buts de mission et ils sont définis de manière précise, opérationnelle. Les dirigeants peuvent affirmer, aux yeux des acteurs externes de l’organisation, l’importance des missions de l’organisation, mais ce sont les buts de système qui inspirent les prises de décision, autrement dit, ce sont les buts de système qui sont opérants.

Du point de vue du pouvoir, la bureaucratie se caractérise par une forte centralisation du pouvoir au niveau du sommet stratégique et parfois chez le propriétaire (actionnaire principal, ministre de tutelle, etc.). Les analystes pèsent également de manière non négligeable sur certaines décisions. Les opérateurs, en revanche, sont démunis de pouvoir, au moins à titre individuel, puisque la standardisation des procédés et des résultats les prive de quasiment toute marge de manœuvre. C’est une des raisons pour lesquelles les associations de travailleurs (syndicats ou associations professionnelles) exercent, dans ce type d’organisation, une influence plus importante que partout ailleurs. D’autres raisons qui peuvent expliquer encore le pouvoir des syndicats sont l’âge et la taille de l’organisation, le caractère peu satisfaisant des conditions du travail, etc. (Mintzberg, 1986; Nizet et Pichault, 1995, pp. 222-224; Pichault et Nizet, 2000).

2. 1. 2.- La configuration professionnelle

Le terme «professionnel» indique ici que l’organisation emploie comme opérateurs des travailleurs qui ont un haut niveau de qualification. Ces compétences (savoir et savoir-faire) ont été acquises au cours de leur formation initiale dans des institutions de formation.

Pour ce qui est de la division du travail, la spécialisation est forte sur la dimension horizontale et faible sur la dimension verticale. Sur la dimension horizontale, les qualifications très

Page 121: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

121

poussées et très spécifiques dont sont dotés les opérateurs les amènent à travailler dans des créneaux étroits: à enseigner telle discipline scientifique pour un professeur d’enseignement secondaire ou supérieur, à procéder à tel type d’examen ou d’opération pour un médecin dans un hôpital, etc. Quant à la division verticale, du fait de leur qualification élevée, les opérateurs conçoivent eux-mêmes les tâches qu’ils effectuent; en conséquence, ils disposent d’une grande autonomie dans leur travail.

Il n’y a pas, dans la configuration professionnelle, de mécanisme de coordination centralisée. La coordination s’opère principalement par la standardisation des qualifications: du fait des formations qu’ils ont acquises, les travailleurs disposent des qualifications adéquates pour remplir les tâches qui leur incombent. Les professionnels cherchent à contrôler les décisions qui les concernent, par exemple, l’attribution des ressources financières et matérielles, le recrutement de nouveaux collègues, etc. Pour ce faire, ils s’impliquent dans des mécanismes de liaison reposant sur les relations professionnelles tels que: les postes de liaison, les groupes de projets, les comités permanents, etc.

Au niveau des buts, l’autonomie des opérateurs se traduit par le fait que chaque catégorie de professionnels - parfois chaque individu - poursuit des buts spécifiques inspirés bien plus par des préoccupations professionnelles que par des buts de missions propres à l’ensemble de l’organisation. Ces différentes préoccupations ne peuvent se traduire, au niveau des buts généraux de l’organisation, que par des formulations ambiguës et peu opérationnelles.

Du point de vue de la distribution du pouvoir, la configuration professionnelle est celle où les opérateurs pèsent le plus sur les décisions, même lorsqu’elle se situe sur un plan stratégique. Le pouvoir est situé très largement au bas de la ligne hiérarchique (décentralisation verticale) et chez les opérateurs professionnels (décentralisation horizontale), le pouvoir est assez décentralisé. L’exercice du pouvoir est d’ailleurs relativement intense. Si le pouvoir est principalement dans les mains des professionnels, le sommet stratégique détient aussi une partie (Nizet et Pichault, 1995, pp. 229-231; Pichault et Nizet, 2000, p.52).

2. 1. 3.- La configuration adhocratique

Le terme «adhocratie» signifie que les travailleurs à la base de l’organisation travaillent dans le cadre de groupes de projet, en vue de répondre aux demandes spécifiques des clients.

La division du travail est faible tant sur le plan horizontal que vertical. Au plan horizontal, la polyvalence est nécessaire. En effet, lorsqu’un projet est mené à bien, l’opérateur est associé à un autre projet, qui va exiger de lui des tâches différentes, en partie au moins. A l’intérieur d’un même projet, une certaine polyvalence est d’ailleurs souvent nécessaire également. Au plan vertical, la réalisation des projets implique une autonomie importante des opérateurs.

La coordination se réalise principalement par la communication qui s’instaure entre les opérateurs, généralement très qualifiés, elle est appelée: ajustement mutuel. Cette communication se pratique non seulement à l’intérieur des petites unités de travail, mais également à d’autres niveaux de la structure; des mécanismes de liaison existent entre unités qui reposent soit sur l’action d’individus désignés à cet effet (cadres intégrateurs, postes de liaison, etc.), soit sur la mise en place des groupes, des comités réunissant des membres des différentes unités, ce sont des mécanismes fondés sur les relations interpersonnelles. C’est dans la configuration adhocratique également que se mettent en place les structures matricielles; cette configuration est aussi appelée la forme plane.

Les buts sont rarement très opérationnels, du fait des tâches complexes effectuées par les travailleurs qualifiés. Ils le sont quand même un peu plus que dans la configuration professionnelle dans la mesure où de puissants mécanismes de liaison assurent une certaine

Page 122: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

122

convergence entre les buts spécifiques des différentes unités. Les adhocraties poursuivent essentiellement des buts de mission. Parmi les buts de système, l’efficacité prend une importance accrue, elle est surtout prise en charge par le sommet stratégique.

Le pouvoir est localisé dans les équipes réunissant, selon le cas, des professionnels, des membres de la ligne hiérarchique, et/ou de la technostructure et/ou au support logistique. Cette décentralisation vaut surtout pour les décisions managériales et opératoires. Concernant les décisions stratégiques, c’est la centralisation qui compte (Nizet et Pichault, 1995, pp. 227-229; Pichault et Nizet, 2000, pp. 53-54) (tableau 6).

Tableau 6

Les configurations organisationnelles

Configuration

bureaucratique

Configuration

professionnelle

Configuration

adhocratique DIVISION/COORDINATION

DU TRAVAIL

Division du travail entre opérateurs

forte sur la dimension verticale

faible sur la dimension verticale, forte sur la dimension horizontale

faible tant sur la dimension verticale qu’horizontale

Coordination du travail entre opérateurs

par standardisation des procédés ou des résultats

par standardisation des qualifications

par ajustement mutuel

BUTS Mission et/ou système prédominance des buts

de système différents buts de mission correspondant aux préoccupations professionnelles des différents groupes d’opérateurs

principalement buts de mission, mais également but d’efficience

DISTRIBUTION DU POUVOIR

Localisation du pouvoir au sommet stratégique et

chez les analystes de la technostructure ; dans certains cas, chez le propriétaire

principalement chez les professionnels et dans le bas de la ligne hiérarchique; le sommet stratégique exerce également une influence en gérant les conflits

décentralisation des décisions moins importantes dans des équipes réunissant opérateurs et ligne hiérarchique; centralisation des décisions stratégiques

Source: Pichault et Nizet, 2000, pp.56-57. Adapté.

N.B. : Les traits dominants de chaque configuration sont indiqués en italique.

Les variables du contenu (GRH, DRH, M) et les configurations organisationnelles (contexte) une fois analysées, nous proposons notre première hypothèse :

H 1: Malgré les changements de structures organisationnelles réalisés, les deux entreprises restent encore principalement des configurations bureaucratiques, légèrement remaniées. Par conséquent, il existera une tendance vers des pratiques plutôt de GRH correspondantes au modèle objectivant, des rôles DRH de type agent administratif et un modèle de management classique, légèrement modifiés.

Page 123: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

123

2. 2.- LES STRATEGIES D’ENTREPRISE

Dans les propositions de Mintzberg et de Pichault et Nizet, la stratégie de l’entreprise, plus encore que la structure, a une forte influence sur les pratiques de GRH.

En suivant notamment Pichault et Nizet (2000) et Dyer et Holder (1988), nous pouvons compléter et résumer les stratégies et les pratiques de GRH corrélées17 de la façon suivante:

2. 2. 1.- La stratégie de diminution des coûts, liée à des structures organisationnelles centralisées avec une technologie simple, traditionnelle avec un changement évolutif lent, est corrélée avec le modèle de GRH objectivant. Cependant, il peut aussi appliquer une stratégie de prix bas et/ou de la qualité (Dyer et Holder, 1988). Il faut ajouter qu’actuellement elle peut conduire aussi à l’externalisation et donc, à la flexibilisation.

Une stratégie de leadership des coûts signifie produire au plus bas coût en cherchant les économies d’échelle, une des mesures clés est de diminuer les coûts en minimisant les dépenses du travail.

2. 2. 2.- La stratégie de la qualité tente d’accroître la fiabilité du produit ou du service et la satisfaction des clients par une amélioration des processus de production. Elle est reliée à des structures décentralisées, parfois à des structures matricielles et avec une technologie très avancée, de pointe. La GRH est liée au modèle individualisant (Youndt, Snell et Dean, 1996; Pichault et Nizet, 2000).

2. 2. 3.- La stratégie de différenciation, d’après Dyer et Holder (1988), est en rapport avec des structures organisationnelles centralisées, relativement grandes, avec une technologie moderne confrontée à des changements continuels, parfois rapides. D’après les dimensions que nous avons mentionnées auparavant, nous pouvons établir une liaison avec le modèle conventionnaliste.

La stratégie de différenciation (prospector chez Miles et Snow) vise à doter le produit ou le service d’un attrait particulier, soit en innovant de manière systématique, soit en travaillant son image de marque et sa présentation (Pichault et Nizet, 2000). La stratégie de différenciation peut être corrélée au modèle individualisant (Pichault et Nizet, 2000). De même, cette stratégie peut aussi encourager l’externalisation de la main-d’œuvre.

Des auteurs tels que Schuler, Galante et Jackson (1987), Dyer et Holder (1988) parlent, dans ce cas de stratégie d’innovation. Donc, nous pouvons utiliser la stratégie d’innovation comme synonyme de différenciation. Ces auteurs, ainsi que Delery et Doty (1996), Pichault et Nizet (2000), Jackson et Schuler (1995) lient ces stratégies (différenciation ou innovation) avec le modèle individualisant.

De l’étude de ces auteurs, nous constatons également que les structures organisationnelles hiérarchisées et centralisées, donc bureaucratiques, sont corrélées à des modèles de GRH soit objectivants ou conventionnalistes. Par contre, des structures décentralisées, matricielles, donc adhocratiques, seront liées plutôt au modèle individualisant de GRH.

Le tableau 7 résume ces propositions.

17 Nous voulons signifier qu’il y a une dépendance réciproque, un rapport théoriquement cohérent, qui font varier simultanément ces modèles.

Page 124: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

124

Tableau 7

Relation entre stratégies d’affaire, structures organisationnelles et modèles de GRH Stratégies Structures

organisationnelles

Modèles de GRH

Diminution des Coûts hiérarchisée, centralisée objectivant

Différenciation centralisée conventionnaliste,

individualisant

Différenciation

(=Innovation),

Qualité,

décentralisée,

business units,

parfois structure matri-

celle

individualisant

Source: Pichault et Nizet, 2000, et Dyer et Holder, 1988. Complété

La deuxième hypothèse que nous proposons est :

H 2: Les évolutions observées au niveau des stratégies tendent vers l’application simultanée des stratégies de diminution des coûts et d’amélioration de la qualité dans les deux cas. Par conséquent, ces changements encourageront des pratiques de GRH des modèles objectivant et individualisant, des rôles des DRH d’agent administratif et de partenaire stratégique et vers des modèles de management classique et instrumental, en même temps et contradictoirement.

En récapitulant les propositions faites en ce qui concerne l’environnement interne, nous pouvons établir un ensemble des interrelations, théoriquement cohérentes, entre les différents modèles prises en considération, de la façon suivante:

• Un modèle objectivant de GRH établira des relations théoriquement cohérentes notamment avec:

- une DRH avec un rôle d’agent administratif,

- un modèle de management classique,

- une configuration organisationnelle bureaucratique,

- une stratégie de diminution des coûts.

• Un modèle conventionnaliste de GRH est théoriquement corrélé avec:

- une DRH avec un rôle d’expert opérationnel,

- un modèle de management politique,

- une configuration organisationnelle professionnelle,

- une stratégie de différenciation.

• Un modèle de GRH individualisant établira un rapport théoriquement cohérent avec:

- une DRH avec un rôle de partenaire stratégique,

Page 125: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

125

- un modèle de management instrumental ou « californien »,

- une configuration organisationnelle adhocratique,

- une stratégie de la qualité, et/ou de différenciation (dans le sens d’innovation).

Cependant, il est évident que, dans la vie réelle des organisations, les choses ne se passent pas toujours suivant cette logique théorique cohérente relevée ci-avant.

3. CONTEXTE (EXTERNE)

Nous présentons, sous une approche contingente, les rapports entre les quatre variables du contexte externe et les pratiques de GRH, les rôles des DRH et les modèles de management.

Ces quatre variables sont : 1)- le marché de biens et services, 2)- le modèle de relations professionnelles et le système politique, 3)- le marché du travail et la législation sociale, et 4)- la culture nationale.

3. 1.- LE MARCHE DES BIENS ET SERVICES

Dans le marché de biens et services, nous prenons en considération: le déclin de la demande, la stabilité du marché, l’instabilité du marché et l’hostilité du marché.

3. 1. 1.- Le déclin de la demande. D’après Pichault et Nizet (2000), une grande partie de la littérature consacrée aux relations marché-GRH et concentrée sur l’état de la demande, indique que le déclin de la demande favorise, dans une certaine mesure, le modèle objectivant de GRH. Par extension, il peut encourager aussi le développement d’un modèle d’agent administratif de DRH et un modèle de management classique. Dans des périodes de dépression ou de forte incertitude les conflits augmentent, la syndicalisation aussi et les relations entre employeurs/employés tendent à s’institutionnaliser davantage, et tout ceci conduit à la prédominance de l’objectivation.

3. 1. 2.- La stabilité du marché. Ces auteurs précisent que « la stabilité du marché, définie comme la prévisibilité de ses évolutions, … favorise sans aucun doute, … les modèles les plus « routinisés » (objectivant et conventionnaliste), c’est-à-dire ceux dont le niveau de flexibilité est le plus faible parce qu’ils sont établis dans la durée.

3. 1. 3.- L’instabilité du marché. L’imprévisibilité et le caractère dynamique du marché conduiraient davantage aux modèles arbitraire et individualisant, réputés plus souples et aisément adaptables. « Il n’est dès lors pas étonnant de constater, dans les faits, certaines affinités entre modèles, le modèle conventionnaliste pouvant à tout moment tendre vers l’objectivant et le modèle individualisant vers l’arbitraire » (Pichault et Nizet, 2000, p.175).

3. 1. 4.- L’hostilité du marché. L’hostilité du marché ou l’intensité de la concurrence reflète le niveau d’exigence de la demande. Dans cette situation de pression concurrentielle, d’après Mintzberg (1982), la tendance est à la centralisation de la prise de décision et, par conséquent, l’utilisation de modèles de GRH instaurant plutôt un contrôle hiérarchique dans les relations de travail, à savoir: objectivant. Par conséquent, il est probable de voir apparaître des DRH de type agent administratif et un modèle de management classique. En revanche, dans un marché de non-hostilité, il est question des modèles où la contrainte de la soumission à l’autorité est moins nette, c’es-à-dire : individualisant et/ou conventionnaliste. Or, il existerait une tendance

Page 126: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

126

vers des rôles de DRH de type partenaire stratégique ou d’expert opérationnel, et des modèles de management instrumental ou politique.

Nous ajoutons, cependant, que les scénarios vus auparavant correspondent plutôt à ceux d’une société fordiste. Or, les pays d’Europe occidentale deviennent, de plus en plus, des sociétés dites de type post-fordiste ou sociétés de l’information, ce qui peut entraîner des phénomènes et des situations fort différentes. Ainsi, par exemple, d’une part, le déclin de la demande peut entraîner une dérégulation mais aussi la délocalisation des entreprises vers des autres régions ou pays; d’autre part, à travers une régulation du marché de la part des pouvoirs publics il peut être encouragée une forte concurrence, une instabilité et/ou hostilité du marché (c’est le cas de la Belgique et du Chili). Or, dans ces deux cas, il est possible aussi d’encourager une tendance vers des pratiques de GRH du modèle individualisant et, par conséquent, des rôles de DRH de partenaire stratégique et un modèle de management instrumental.

Nous postulons ici l’hypothèse suivante:

H 3 : Dans ces deux pays le marché des télécommunications tend vers une forte hostilité et instabilité, encouragé en plus par des régulations entamées par les pouvoirs publiques. Or, ce contexte tend à stimuler des changements vers des pratiques de GRH du modèle individualisant, des rôles de DRH de partenaire stratégique et un modèle de management instrumental.

3. 2.- LES MODELES DE RELATIONS PROFESSIONNELLES ET LE SYSTEME POLITIQUE

Les relations professionnelles ont une longue histoire et présence en Europe. Elles constituent, en tant que mécanisme de régulation sociale, la deuxième méthode plus importante de gestion des ressources humaines (après la formation et le développement) en Europe occidentale (Sparrow et Hiltrop, 1994). C’est une des raisons pour laquelle nous avons voulu l’incorporer et compléter le modèle proposé par Pichault et Nizet.

En nous basant sur la théorie de Crouch (1993, 1994) et sur les modèles de Donnadieu et Dubois (1995), nous proposons les trois modèles de relations professionnelles et de type de syndicalisme suivants : 1)- le modèle confrontationnel et « latin », 2)- le modèle pluraliste et « anglo-américain » et 3)- le modèle néo-corporatiste et « rhénan ».

Dans chacun de ces modèles, nous ferons attention notamment aux facteurs ou variables suivantes : a)- le type de concertation sociale entre employeurs et syndicats ; b)- la force et la logique sociale dominantes des organisations sociales ; c)- le degré d’institutionnalisation de la concertation sociale ; d)- le type de revendication syndicale et le style de négociations collectives entre acteurs sociaux ;e)- l’intervention de l’Etat et/ou du Gouvernement.

3. 2. 1.- Le modèle confrontationnel et « latin » : dans ce type de rapports, le capital et le travail sont distants, leur relation est faible ou en gestation, il manque encore de la confiance suffisante entre les partenaires, l’interrelation se produit principalement dans l’entreprise, la reconnaissance mutuelle est limitée ou absente, il y a une dispute de légitimité entre les parties et le style de négociation est, en général, à somme nulle ; les relations sont, en général, fortement conflictuelles. Elles peuvent requérir fréquemment l’intervention de l’Etat et/ou du gouvernement pour imposer une solution à leur impasse. Le rôle de l’Etat est plutôt interventionniste, et l’institutionnalisation d’organismes de concertation est faible ou

Page 127: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

127

pratiquement inexistante. On trouve habituellement un syndicalisme confrontationnel, de contestation et faible.

3. 2. 2.- Le modèle pluraliste et « anglo-américain »: le capital et le travail ont développé une relation plus fluide de négociation, les parties ont un système de valeurs qui les oppose mais cela ne les empêche pas d’arriver à établir des accords et à accepter la défaite, en sachant que le respect des règles établies est maintenu. Il y aura donc une diminution des conflits entre les partenaires. Les organisations qui défendent les intérêts sont fragmentées et elles préfèrent une coordination non centralisée et faible. L’Etat et/ou le gouvernement tend à s’abstenir des négociations et fait plutôt confiance au mécanisme auto-régulateur du marché pour la génération des contrats; il joue un rôle minimal ou abstentionniste ; l’institutionnalisation des instances de concertation peut être importante. Présence d’un syndicalisme à logique contractualiste utilitaire.

3. 2. 3.- Le modèle néo-corporatiste et « rhénan »: ici la négociation collective tend à être dirigée ou contrôlée par les organisations patronales et syndicales fortement organisées et coordonnées à tous les niveaux jusqu’à en arriver au niveau national. La tendance est à développer des négociations à somme positive ou gagnant-gagnant; ce sont des organisations qui ont un système de valeurs partiellement convergentes quant au besoin de négocier et de limiter les coûts, mais dont leurs intérêts respectifs restent opposés; les négociations collectives sont appuyées et développées par des institutions politiques nationales et reconnue au niveau de l’entreprise (conseils de travail ou d’entreprises, etc.). Cette négociation collective permet la participation des partenaires à la prise des décisions de problèmes et des politiques de niveau national. Le système de concertation sociale est hautement institutionnalisé, mais le rôle de l’Etat et/ou du gouvernement tend à stimuler et simplement faciliter cette pratique; il s’agit d’un Etat plutôt accompagnateur (Visser, 1996). Présence d’un syndicalisme coopératif et concerné par la gestion économique de l’entreprise et de la société ; syndicalisme fort. Cependant, Agro, Dieu et Schoenaers (2001) qualifient de néo-corporatisme hybride et affaibli la situation actuelle que vive ce système dans certains pays Européens, dont la Belgique.

Le type de relation professionnelle peut être déterminée en prenant aussi en considération, par exemple, le nombre de conflits (grèves, interruptions de négociations, etc.) pendant une période déterminée (mois, années, etc.) entre les deux partenaires sociaux ; le nombre, les niveaux et la qualité (contenu) des conventions collectives établies ; les institutions communes établies ; les lois, les normes ou autres dispositions existantes et qui régulent le système de concertation; le degré de participation de l’Etat et/ou du gouvernement, donc des partis politiques en exercice, etc.

Dans la mesure où, au niveau national, le modèle confrontationnel de relations industrielles est dominant il est fort probable que de telles relations se répètent au niveau de l’entreprise. Dans ce cas, la tendance serait à y instaurer plutôt un modèle objectivant de GRH et, par conséquent, un modèle de DRH d’agent administratif et un modèle de management classique. De la même façon, si au niveau national prévaut un modèle néo-corporatiste des relations professionnelles, cela encouragera le développement des relations similaires au niveau de l’entreprise, par conséquent, la tendance serait à développer plutôt des pratiques de GRH du modèle conventionnaliste, des rôles de DRH d’expert organisationnel et un modèle de management politique. Dans le cas de la primauté du modèle pluraliste, il peut être corrélé, au niveau de l’entreprise, à des pratiques de GRH du modèle individualisant, à des rôles de DRH de partenaire stratégique et au modèle de management instrumental.

L’hypothèse postulée est :

Page 128: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

128

H 4 : Le modèle de relations professionnelles et le système politique en Belgique, malgré des légers changements ces dernières années, tendent à rester essentiellement du type néo-corporatiste et « rhénan » ; ce contexte sociopolitique tend à encourager, au niveau de l’entreprise, des évolutions vers des pratiques de GRH du modèle conventionnaliste, des rôles de DRH d’expert opérationnel et un modèle de management politique, quoique aussi hybridés.

Par contre, le modèle de relations professionnelles et le système politique au Chili étant plutôt confrontationnel et « latin » tendra à stimuler, au niveau de l’entreprise, une évolution vers des pratiques de GRH du modèle objectivant, des rôles de DRH d’agent administratif et du modèle de management classique.

3. 3.- LE MARCHE DU TRAVAIL ET LA LEGISLATION SOCIALE

Suite à Pichault et Nizet (2000), nous nous intéresserons spécialement à la question des qualifications de la main-d’œuvre et à la législation sociale.

3. 3. 1.- Faible ou forte qualification. Un faible niveau de qualification permet le développement d’un modèle plus objectivant de GRH ainsi que des tendances à avoir de bas niveaux des salaires. «Il est vraisemblable que la faible qualification de la main-d’œuvre soit favorable au développement des modèles arbitraire et objectivant, où la mobilisation des compétences n’occupe guère de place centrale; en revanche, plus on est en présence d’une force de travail jeune et fortement qualifiée, plus les modèles valoriel mais surtout individualisant et conventionnaliste risquent d’être dominants» (Pichault et Nizet, 2000, p. 170). Du point de vue des perceptions des responsables de ressources humaines d’organismes publics, il y a des études qui tendent à montrer que « plus ces responsables craignent d’être confrontés à une faible disponibilité de main-d’œuvre qualifiée (skill shortages), plus ils sont enclins à développer des innovations » de GRH qui rejoignent le modèle individualisant (2000, p.170). Par conséquent, plus faible est le niveau de qualifications, plus il y aura tendance à évoluer vers un rôle de DRH d’agent administratif et d’un modèle de management classique. Par contre, un haut niveau de qualifications permet jouer des rôles de DRH de type partenaire stratégique et un modèle de management instrumental, et dans une situation intermédiaire, probablement des rôles de DRH de type expert opérationnel et un modèle de management politique.

3. 3. 2.- Législation sociale d’une forte ou faible prégnance. Il faut considérer le degré de régulation sociale via des lois sociales et de la réglementation du travail opérant dans un contexte local ou national concret. Les lois sociales peuvent être, par exemple, le Code du travail, des lois sur les normes du travail, des lois sur la santé et la sécurité du travail, des lois sur la fonction publique, etc.

Pichault et Nizet distinguent la législation sociale comme étant d’une forte ou d’une faible prégnance. Une forte intervention de la législation sociale, et normalement de la puissance publique, se traduira en normes et pratiques à suivre telles que des barèmes salariaux fixés par convention collective, gestion de départs soumis à des règles de négociation collective, le temps de travail clairement défini, des règles de licenciement à respecter, etc. Ceci donne lieu à l’installation d’un modèle objectivant de GRH avec beaucoup de travail administratif au niveau des DRH, modèle centralisé et bureaucratique. Par conséquent, la tendance vers un modèle de DRH d’agent administratif et un modèle de management classique.

Quand s’installe un processus de décentralisation ou il existe un cadre légal plus souple –faible prégnance-, comme c’est le cas dans certains secteurs en Europe ou en Amérique

Page 129: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

129

latine, le rôle des pouvoirs publics diminue et se limite à un aménagement réglé des processus de dérégulation. «Une telle décentralisation de la négociation a contribué à un certain dépérissement du modèle objectivant, taxé de rigidité et de centralisme, et a accéléré la mise en place des conditions nécessaires à l’individualisation». Là où il y a un modèle individualisant il est probable retrouver un modèle de DRH de partenaire stratégique et un modèle de management instrumental. Et là où le cadre législatif impose très peu de contraintes formelles à respecter «ce sont les modèles arbitraire ou conventionnaliste qui obtiennent la part belle. Le modèle arbitraire est ainsi plus probable dans un pays comme la Grèce, où les entreprises nationales se caractérisent par une faible systématisation des modes d’appréciation du personnel par rapport aux compagnies étrangères…; où le taux de syndicalisation est relativement faible, etc. Le modèle conventionnaliste risque de se rencontrer davantage dans des pays (Grand Bretagne, Etats-Unis) et les secteurs d’activité (à dominante professionnelle) où la tradition contractuelle est forte en matière de relation de travail…» (Pichault et Nizet, 2000, pp. 173-174).

L’hypothèse proposée est:

H 5 : L’évolution du marché du travail en Belgique confirme une tendance à une plus forte qualification de la main d’œuvre et au maintien d’une forte prégnance de la législation sociale, ce qui encouragerait des changements hybridés, d’une part, vers des pratiques de GRH du modèle individualisant, des rôles des DRH de partenaire stratégique et un modèle de management instrumental mais, de l’autre, vers des pratiques de GRH objectivant, des rôles de DRH d’agent administratif et d’un modèle de management classique.

L’évolution du marché du travail au Chili, par contre, tend vers une qualification encore moyenne ou insuffisante de la main-d’œuvre et à une faible prégnance de la législation sociale, ce qui encouragerait des évolutions aussi mélangées, d’une part, vers des pratiques de GRH du modèle conventionnaliste, des rôles de DRH d’expert opérationnel et du modèle de management politique mais, d’autre part, vers des pratiques de GRH individualisant, des rôles de DRH de partenaire stratégique et du modèle de management instrumental.

3. 4.- LA CULTURE NATIONALE

En suivant l’approche de la culture politique d’Iribarne (1985, 1989, 1998, 2000), nous préférons ici réaliser une analyse inductive des réalités qui recouvrent trois notions importantes de la culture politique de chaque pays.

Nous décrypterons ce que ces notions signifient pour les personnes dans les entreprises et, à travers elles, comprendre la logique et la cohérence interne de la culture nationale. Ces notions ont une signification concrète tant dans la vie quotidienne des entreprises que dans la société.

Pour notre propos, nous considérons notamment les notions suivantes:

3. 4. 1.- l’autorité et les rapports hiérarchiques,

3. 4. 2.- le pouvoir et

3. 4. 3.- la liberté.

Nous essayerons de délimiter ces notions pour des exigences purement analytiques et de clarté de notre étude. Cependant dans la vie réelle il est souvent difficile de les isoler d’autres

Page 130: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

130

notions (phénomènes) voisines directement imbriquées avec elles ; ainsi par exemple, la liberté, d’une part, et l’autonomie, d’autre part, très liées dans le cadre des entreprises.

En reliant la culture et le contexte de gestion, d’Iribarne signale: « Quand on aborde une entreprise d’un pays étranger, ce sont des pratiques qui commencent à frapper: des institutions et des procédures inattendues, une manière inattendue de donner vie à des institutions et des procédures familières. Pour évoquer ces pratiques, on parle volontiers de modèle de gestion. Mais il ne faut pas accorder à cette notion une portée plus grande qu’elle ne le mérite. D’un côté, il existe des figures de la communauté et de l’autorité qui peuvent être considérées comme typiques d’un certain contexte. Prenons la figure américaine du manager, attentif au profit et professeur de morale. Vu par un français, celui qui mêle ainsi les « prêches » vertueux à la défense d’intérêts est volontiers accusé d’hypocrisie » (d’Iribarne, 1998, p. 265).

En considérant les propositions d’Iribarne, complétées - quant à la notion du pouvoir- par les propositions de de Woot (1998) (voir Ch. II), nous pouvons décrire, quoique sommairement, un type de culture nationale. En considérant ces trois notions nous décoderons et analyserons ce que chaque notion signifie pour les personnes de chaque culture ( pays), quelle est sa portée et comment elle se reflète ou se traduit en pratique et, donc, quelles pourraient être les conséquences au niveau des pratiques de GRH, des rôles de DRH et du management.

Ainsi, nous pourrions concevoir un premier type de culture caractérisée par : une forte pratique de l’autorité et où les rapports de travail sont hautement hiérarchisés, où il est difficile ou même interdit de violer le statu quo hiérarchique établi, ce qui vraisemblablement stimulera des organisations hiérarchisées et bureaucratiques, avec un fort contrôle supérieur et où le management sera généralement autoritaire et directif. Une prédominance du pouvoir de domination ainsi qu’un manque notoire de liberté, par exemple dans une société donnée, auront tendance à retrouver des pratiques de GRH objectivant et/ou un management classique. Mais ce n’est qu’une possibilité.

De multiples autres interprétations et situations peuvent se retrouver comme caractéristiques d’une culture. Théoriquement, il pourrait y avoir autant de combinaisons possibles de ces notions donnant lieu, chaque fois, à une caractérisation différente d’une culture nationale. Voilà toute la complexité et la difficulté d’une classification des cultures.

En considérant notamment ces trois notions de la culture nationale, notre proposition est :

Proposition (6): La culture chilienne semble stimuler et être plus imbriquée avec des pratiques de GRH du modèle objectivant, des rôles de DRH d’agent administratif et d’un management classique. Par contre, la culture belge semblerait plus éloignée de ce type d’imbrication et faciliterait d’autres types de pratiques managériales et de GRH

Nous avons présenté jusqu’à présent les variables du contexte sous une approche contingente et donc potentiellement mobilisées autour des modèles de GRH, des rôles de DRH et des modèles de management.

4.- PROCESSUS

Page 131: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

131

t 1 t 2

Processus

Contenu 1 : GRH DRH M

Contexte externe 1 : • Marché de biens et services • Modèle de relations professionnelles et système politique • Marché du travail et législation sociale • Culture nationale

DRH

GRH

M

Configurations organisationnelles

Stratégies d’entreprise

Contexte externe 2 : • Marché de biens et services • Modèle de relations professionnelles et système politique • Marché du travail et législation sociale • Culture nationale

DRH

GRH

M

Configurations organisationnelles

Stratégies d’entreprise

Contenu 2 : GRH DRH M

Figure 4 Processus de changement dans l’entreprise

4. 1.- LES ACTEURS ET LES CHANGEMENTS.

L’autre approche de l’analyse vise l’action des acteurs des organisations. Quand nous parlons de processus -dans le sens de Pettigrew- nous faisons référence à des changements mobilisés par les acteurs concernés, dans un contexte et dans une période déterminée.

Les changements devront être compris comme le résultat non seulement des pressions du contexte (externe et interne) mais aussi, et principalement, encouragés et/ou provoqués par les acteurs (individus, organisations sociales ou politiques, institutions, etc.), en interprétant et mobilisant à sa façon les éléments du contexte et en prenant des décisions managériales et de GRH spécifiques. Ce seront des actions pouvant prendre un sens et une intensité particuliers, en fonction de l’interprétation et de la mobilisation des éléments du contexte, du rapport de forces et des jeux de pouvoirs des acteurs impliqués dans le processus de changement spécifique.

Encore une fois, ces sont les hommes qui sentent, qui pensent, qui choisissent, qui « filtrent » les informations du contexte, qui réagissent, qui donnent du sens aux changements.

Nous privilégions ici l’approche politique. L’approche politique met l’accent sur le(s) processus, et donc sur les acteurs. Elle présente le processus de changement comme irrémédiablement marqué par la divergence d’intérêts et d’objectifs entre les acteurs, par le rapport de forces et le jeu de pouvoirs entre eux. Les conflits sont, donc, inévitables et il s’agit de les gérer continuellement. Les solutions trouvées, spécifiques à chaque système d’action concrète, sont négociées, provisoires, toujours susceptibles d’être remises en question.

Page 132: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

132

En suivant Crozier et Friedberg (1977), Pfeffer (1981), Pichault (1993), Pichault et Nizet (2000), Bourgeois et Nizet (1995), Vandangeon-Derumez (1998), nous comprenons que le changement est un processus discontinu, avec de longues périodes de stabilité relative et d’autres périodes de rupture brutale qui indiquent le passage d’une situation ou système d’action à un autre. Dans une perspective politique les contenus du changement seront le résultat des rapports de forces qui s’établissent entre acteurs et qui se modifient au fur et à mesure de l’évolution de ces rapports. La dialectique nous apprend que les situations ou phénomènes contradictoires sont générés par l’action des pôles (acteurs, idées, forces, etc.) qui s’opposent, conflit pour lequel il y aura toujours une solution, une nouvelle situation, une nouvelle synthèse, (toujours transitoire) qui dépassera cette contradiction, pour engendrer, par la suite, le développement d’un nouveau processus contradictoire entre des forces nouvelles opposées et ainsi de suite, dans un processus itinérant infini qui explique la dynamique sociale.

Or, les mêmes variations du contexte ou des contraintes ne devraient pas être perçues nécessairement de la même façon par les individus ou les groupes ; donc des divergences d’avis et de pratiques peuvent apparaître. Il faudra donc négocier et arranger ces avis différents.

Processus et contenus sont étroitement liés, chaque nouvelle étape dans la définition des contenus est le résultat de jeux de pouvoir et donne lieu au déploiement de nouvelles stratégies politiques. La plupart du temps, quels que soient les contextes, ce sont les jeux, compromis et équilibres provisoires entre acteurs qui priment (processus), conduisant à des adaptations marginales des caractéristiques du système en vigueur (contenus) (Pichault et Nizet, 2000).

« La perspective politique associe de son côté les contenus aux processus. Les contenus initialement formulés par les promoteurs des projets de changement vont en effet entrer dans un jeu de rapports de pouvoir entre acteurs qui leur fera subir de sévères distorsions, et parfois l’échec pur et simple. L’accent est donc mis sur le caractère inéluctablement politique des projets de changement, qui obligent à prendre en compte la pluralité des acteurs concernés, les atouts dont ils disposent et l’évolution des équilibres de pouvoir s’établissent entre eux. Cette perspective permet de comprendre les altérations que subissent les projets en cours de route, à la suite de compromis, de coups de force, d’attitudes variées de radicalisation, de résistance ou de surinvestissement » (Pichault et Nizet, 2000, p. 276).

Chaque acteur ou groupe d’acteurs de l’entreprise (par exemple: les DRH, les syndicats, le conseil d’administration, le manager principal, les groupes professionnels, les cadres, etc.) perçoit et interprète les donnés du contexte externe aussi bien qu’interne d’une façon particulière –toujours plus ou moins biaisées par leurs propres intérêts, leurs conceptions idéologiques, leurs valeurs, etc.- pour faire triompher leur proposition, leur solution, leur stratégie; pour légitimer sa position et garder ou gagner du pouvoir par rapport aux autres.

Les changements des pratiques de GRH, des rôles de la DRH et des modèles de management dans les organisations ne résultent pas d’un ajustement mécanique et direct aux changements des variables contingentes (variables organisationnelles, variables stratégiques, variables environnementales). Ils reflètent d’abord et avant tout l’entrecroisement des stratégies d’acteurs et la prédominance provisoire de certaines d’entre elles. Il y aura toujours une dialectique du changement donnée par l’intervention dynamique de toutes ces variables et le jeu intentionné des acteurs. Dans le changement il n’y a pas non plus un évolutionnisme puisqu’il ne peut y avoir aucun chemin totalement prédéfini. C’est cette prédominance du jeu des acteurs qui fait le processus de changement indéfinissable a priori, quelque part imprévisible. Il n’y a pas une lecture absolument objective et rationnelle (ou dépourvue d’intention) de la réalité, par conséquent cette réalité environnementale ne pourra pas

Page 133: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

133

ordonner nos actions. L’action des acteurs devient apparemment « étonnante », à plusieurs égards; ces acteurs ne suivent pas toujours nécessairement ce que le calcul scientifique et la logique rationnelle indiquent parfois comme des évidences.

Le processus de changement doit être compris aussi dans sa temporalité, c’est-à-dire que la spécificité des contextes et les jeux des acteurs doivent se situer dans un espace de temps donné.

Pichault et Nizet affirment qu’il y a des tensions et enjeux propres aux différents modèles de GRH et suggèrent, à partir de plusieurs études empiriques, que « chacun des modèles dégagés précédemment est en fait sous-tendu par une tension entre deux pôles à la fois contradictoires et complémentaires, reflétant la dimension éminemment politique, et par conséquent instable, de ces modèles » (Pichault et Nizet, 2000, p. 293). Ainsi, le modèle objectivant serait partagé entre un pôle de transparence et un pôle de recherche de réappropriation; le modèle conventionnaliste, entre la défense de l’intérêt collectif et celle de l’intérêt individuel et le modèle individualisant, entre la pression du contrôle et l’exercice de l’autonomie. Ils identifient aussi, au cœur de ces tensions, un enjeu central dans chaque modèle; pour le modèle objectivant l’enjeu central est la neutralité; pour le modèle conventionnaliste, la maîtrise; pour le modèle individualisant, la responsabilisation des acteurs.

Les acteurs ne subissent pas donc passivement les influences de l’environnement, si contraignants soient-ils. Ils auront toujours une marge de manœuvre et enfin les décisions finales lui reviennent.

Dans notre cas, il faut s’attendre, à n’importe quel moment, à l’action et à l’influence des managers, des directeurs des DRH, des dirigeants syndicaux, etc., qui parfois sont déterminantes sur la nature et le sens que prennent les événements dans l’entreprise. De même, à l’influence des partis politiques, de l’Etat, des institutions nationales et internationales, des modèles économiques supportés par institutions internationales (exemple : FMI, Banque Mondiale ), etc.

Enfin, nous proposons une hypothèse principale, à visée constructiviste, qui reflète fondamentalement l’approche politique et qui est imbriquée à toutes les autres, à savoir :

H 7: Les changements de pratiques de GRH, de rôles de DRH et des modèles de management dans l’entreprise ne sont pas des processus mécaniques ni neutres, mais le résultat, principalement, de la manière dont les acteurs concernés (individuels ou collectifs) interprètent et mobilisent le contexte (externe et interne) et développent des jeux de pouvoirs entre eux pour donner du sens à ces changements et justifier leurs actions et leurs positions.

Page 134: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

134

CHAPITRE IV

LA METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

Page 135: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

135

Dans ce chapitre, nous présentons les considérations méthodologiques et le mode opérationnel au travers duquel nous avons utilisé les modèles théoriques et l’approche contextualiste dans les études de cas qui furent réalisées.

D’abord, nous précisons les paradigmes et la construction du cadre d’analyse de la recherche.

Deuxièmement, nous explicitons la méthodologie utilisée pour la récolte et le traitement des données.

Enfin, nous relevons les limites de notre cadre d’analyse et de recherche.

I.- LES PARADIGMES ET LA CONSTRUCTION DU CADRE D’ANALYSE DE LA RECHERCHE

Nous avons compris qu’il n’y a pas une seule approche pour analyser la réalité des organisations sociales. Cependant, l’approche managériale instrumentale devient dominante ; celle-ci cherche la fonctionnalité du système et donc les pratiques de GRH, les rôles des DRH et le management sont normalement considérés comme des réponses aux demandes de l’environnement. Cette approche vise à fournir aux dirigeants des organisations des réponses rationnelles qui puissent les aider à améliorer l’efficacité de leur gestion et, de ce fait, elle adopte une perspective normative. Cette perspective est abondamment montrée dans la littérature actuelle tels que, par exemple, « Le prix de l’excellence » de Peters et Waterman, parmi d’autres. Elle se veut avec une portée universaliste mais, malheureusement, elle ne prend en compte ni l’action de tous les acteurs, ni la dynamique de l’organisation.

Nous avons choisi une autre perspective de recherche qui nous semble plus pertinente: une approche contextualiste d’analyse qui fait appel à plusieurs sources théoriques différentes pour essayer de comprendre les changements de la réalité observée.

1.- Les paradigmes de la recherche

a)- Pou rappel, nous avons fait allusion à trois paradigmes principaux : le rationalisme, l’approche de la contingence et le paradigme politique, tout en privilégiant le paradigme politique, tel qu’il a été mis en valeur notamment par Crozier et Friedberg (1977), Pichault et Nizet (2000).

Cette perspective de recherche, privilégie la compréhension des mécanismes et des processus par lesquels les stratégies ont été élaborées par les acteurs et nous adoptons une perspective plutôt constructiviste.

Cependant, dans l’observation et l’analyse des deux cas d’étude, nous sommes obligés de considérer aussi les paradigmes rationaliste et contingent. Dans la mesure où les organisations sont indiscutablement sujettes à certaines contraintes du contexte (par exemple : le marché, le temps, les clients, etc.), il a semblé nécessaire de les considérer lors de l’analyse de l’interrelation des variables du contexte et le contenu. C’est-à-dire, que l’on analyse ces phénomènes toujours sous une double perspective, tout en privilégiant l’approche politique.

b)- Dans cette recherche nous avons utilisé la perspective temporelle pour découvrir et situer les changements dans un certain laps de temps (1996-2001…), pour savoir comment ils sont

Page 136: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

136

vus et expliqués. Théoriquement et empiriquement, le changement et la continuité s’inscrivent dans le temps.

Dans cette perspective, nous avons choisi d’analyser ces évolutions dans les entreprises comme une reconstruction a posteriori, comme un ensemble d’activités, des décisions qui se retrouvent liées entre elles dans le temps et dans l’histoire des organisations. Notre recherche a privilégié la récolte des données longitudinales qui nous ont permis de mieux comprendre le présent en relation avec le passé, ainsi qu’en relation avec le futur en formation.

Pour mieux cerner les événements nous avons mis en évidence, dans la dimension du contexte interne, des grandes périodes de transformations que l’entreprise a connues pendant la période comprise entre 1996-2001.

Comme le dit Gutierrez, en citant Whipp, « le temps est plus divers et nécessairement social et subjectif. Le temps n’est pas seulement ‘là dehors’ comme une chronologie neutre, il est ‘dedans, ici’, comme une construction sociale » (1993, p. 80). Par conséquent, les événements doivent être étudiés sous cette double dimension, en tant que chronologie mais aussi en tant que construction sociale de ces événements dans le contexte des cycles de temps choisis. Dans ce sens, c’est la compréhension de cette logique qui peut nous aider à mieux expliquer comment et pourquoi nous avons trouvé différents modèles de la GRH, des rôles des DRH et du management dans les séquences chronologiques au sein des organisations étudiées.

2.- La construction du cadre d’analyse

Nous avons mis au point une structure opérationnelle de recherche cohérente avec l’approche contextualiste et la problématique en question. Cette approche - rappelons-le -, est utilisée comme une méthode d’analyse et elle permet de faire appel simultanément à différentes théories et modèles explicatifs utiles à cette recherche.

L’approche contextualiste cherche à expliquer comment les variations du contexte dans le temps contribuent à forger des pratiques organisationnelles et à les faire changer. A différence de l’approche managériale instrumentale, inspirée par une approche rationnelle offrant une vision partielle du changement puisque pris isolément du contexte, l’approche contextualiste proposée par Pettigrew (1987, 1997) analyse le changement comme un processus continu, itératif; comme une suite d’événements comportant une dimension politique et d’apprentissage qui procède des caractéristiques même du contexte organisationnel.

Le changement, loin d’être appréhendé comme un événement unique, est étudié à la fois comme un phénomène contextuel, historique et processuel.

Selon Pettrigrew, l’analyse contextualiste requiert que les phénomènes puissent être appréhendés à un niveau d’analyse vertical et à un niveau d’analyse horizontal (Pettigrew, 1987, 1997; Brouwers, Cornet, Gutierrez et al., 1997; Gutierrez, 1993).

- Le niveau vertical comporte l’articulation de ce qui est externe à l’organisation (facteurs environnementaux, économiques, sociaux, politiques et culturels) et de ce qui est interne (la structure, la culture d’entreprise, la technologie et le mode de management). Ces deux aspects qualifiés de contexte interne et externe présentent à la fois une dimension objective captée par des données observables et une dimension subjective, construite par les perceptions, les actions et les interprétations de ces contextes par les acteurs de l’organisation.

- Le niveau horizontal se réfère à la séquence interconnectée des phénomènes dans le passé, présent et futur, ce qui correspond à la dimension processuelle.

Page 137: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

137

- « L’analyse contextualiste de tout processus organisationnel s’articule autour de deux piliers centraux et inséparables: tout d’abord, la nécessité d’inscrire ce processus dans le contexte qui l’environne et ce, à différents niveaux; ensuite, l’impératif d’étudier ce même processus dans son rapport au passé, au présent et au futur…A côté de cette inscription contextuelle, apparaît la nécessité de dégager les interconnexions temporelles. Il s’agit d’une tentative de capter la réalité « en vol » (Brouwers, Cornet, Gutierrez et al., 1997, p. 8).

Les trois concepts-clés de cette approche (contexte, contenu, processus) correspondent à trois dimensions en interaction réciproque.

Ces trois concepts correspondent aussi à trois types de groupes de variables composant notre cadre d’analyse.

Contexte

Les contextes désignent les facteurs susceptibles d’influencer les contenus et leur évolution. Pettigrew distingue ici le contexte interne et le contexte externe.

- Le contexte externe se réfère à l’environnement social, économique, politique et culturel dans lequel opère l’organisation.

- Le contexte interne se réfère aux caractéristiques d’identification de l’entreprise telles que : la structure, la culture organisationnelle, la technologie, le mode de direction, de prise de décision et donc de la stratégie de l’organisation.

Parmi les uns ou les autres, il y a des dimensions objectives et subjectives. La dimension objective peut être captée par des données observables, par exemple en ce qui concerne le contexte externe, on peut le voir par l’état de la réglementation sociale. Quant à la dimension subjective, elle se réfère à la manière dont les acteurs interprètent, soulignent, mettent en avant les éléments des divers contextes et ceci, par exemple, à travers les rapports qu’ils diffusent à l’intérieur, les discours, les commentaires, etc.

Contenu

Cette variable se réfère aux domaines précis d’analyse et concernés par les changements.

Dans notre cas, il s’agit des pratiques de GRH, des rôles des DRH et des modèles de management.

Processus

Le(s) processus désigne(nt) les initiatives des acteurs et les rapports de pouvoirs qui se développent entre eux. Cette approche considère que les jeux des acteurs sont contraints, dans une certaine mesure, par les contextes, mais en même temps ceux-ci les construisent et les transforment, donc le contexte n’est pas seulement une barrière mais aussi un produit de l’action des acteurs.

Le processus, c’est-à-dire l’interrelation des différents niveaux d’analyse (le contenu et le contexte, aussi bien interne qu’externe), porte la marque des jeux des acteurs qui, tantôt accélèrent le rythme du changement, tantôt le ralentissent en faisant perdurer la situation en vigueur; de plus, les acteurs peuvent changer et les interactions peuvent évoluer ou changer radicalement en conséquence.

Page 138: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

138

D’une façon synthétique, « on peut dire que le contenu se réfère au « quoi » (qu’est-ce qui change?), le contexte au « pourquoi » (quelles sont les variables qui influencent le processus de changement?) et le processus au « comment » (comment les acteurs se situent-ils et interagissent-ils sur le processus de changement?) » (Pichault, Warnotte et Wilkin, 1998, p.49).

Ce schéma d’analyse peut être représenté autour de ces trois pôles qui, chacun, constituent la pointe d’un triangle. Cette schématisation n’est pas sans signification dans la mesure où elle traduit l’importance d’une approche multidimensionnelle, historique et processuelle (voir Fig. 5).

CONTEXTE

CONTENU: Domaines soumis à changement

PROCESSUS: Actions, réactions et interactions entre les différentes parties concernées par le changement de l’entreprise

EXTERNE: Environnement social, politique, économique, culturel dans lequel l’entreprise opère

INTERNE: Structure, culture organisationnelle, configuration des pouvoirs, stratégie

Figure 5 Le schéma d’analyse contextualiste

Page 139: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

139

Source : Brouwers, Cornet, Gutierrez et al., 1997.

Un aspect crucial de l’analyse contextualiste est de pouvoir lier les variables contextuelles (analyse verticale) à celles du processus observé (analyse horizontale). Cette analyse reconnaît une étroite interrelation entre contexte et processus dans le sens où le processus est contraint par le contexte et le construit en même temps.

Selon cette conception, « la manière dont les acteurs forgent leur connaissance de l’organisation contribue à construire les réalités sociales sur base desquelles ils fondent leur action (Benson, 1977; Giddens, 1979). Les croyances et les perceptions des acteurs constituent alors un vecteur puissant du changement organisationnel dans la constitution et la transformation des pratiques sociales (Whitley, 1989). Le contexte organisationnel ne serait alors connu qu’à travers les perceptions qu’en ont les acteurs et dans ce sens pourrait être considéré comme un construit mental » (Brouwers, Cornet, Gutierrez et al., 1997, p. 32).

Considérer que les contextes dans lesquels les managers opèrent peuvent être mobilisés signifie qu’il ne s’agit pas là d’entités inertes ou objectives. Au contraire, ce sont les managers qui, en sélectionnant subjectivement leur propre version de l’environnement en accord avec leur vision personnelle perçoivent et construisent leur propre conception du contexte (Brouwers, Cornet, Gutierrez et al., 1997).

L’analyse contextualiste a pour vertu d’apprendre l’organisation comme un tout selon une approche multidimensionnelle. En articulant contexte, contenu et processus, cette approche vise à comprendre et à expliquer la dynamique d’évolution et de transformation de l’organisation.

Au niveau théorique, au moins deux apports peuvent être relevés de cette approche :

a)- une ouverture paradigmatique garantissant l’adéquation optimale entre le cadre théorique mobilisé et la situation de changement analysée.

Le contextualisme est bien un cadre d’analyse qui invite à situer le phénomène observé et étudié dans un contexte précis et à être attentif aux diverses temporalités qui animent le processus de changement. Ce cadre d’analyse est ouvert à différents modèles explicatifs. Par conséquent, nous pouvons accompagner dans ce cadre d’analyse les paradigmes rationaliste, contingent et politique ainsi que d’autres modèles théoriques qui aident à l’explication et à la compréhension de la réalité étudiée.

Ainsi, le modèle contingent consiste à mettre en rapport le contenu du changement soumis à l’analyse avec le contexte dans lequel ce changement se produit. Par ailleurs, le modèle politique tente d’expliquer les évolutions du contenu par les rapports de pouvoir qui s’établissent au fur et à mesure que le changement se déroule.

Un cadre d’analyse contextualiste constitue, en quelque sorte, un stade intermédiaire entre celui de la description des phénomènes observés et celui de l’explication proprement dite. « Si toute démarche scientifique débute par une tentative de description systématique, opérant des distinctions conceptuelles (que l’on qualifie de variables) afin d’aboutir à une appréhension plus fine du réel, l’explication consiste quant à elle à établir des relations, a priori douteuses, entre de telles variables. Elle suppose que l’on teste des hypothèses ou des modèles (ensemble d’hypothèses) susceptibles d’être infirmés par les faits. Le cadre d’analyse contextualiste constitue en quelque sorte une matrice explicative, à mi-chemin entre ces deux stades: il offre un certain ordonnancement de l’activité de description, mais ne ferme a priori aucune piste d’explication... il ouvre la voie à différents modèles explicatifs » (Brouwers, Cornet, Gutierrez et al., 1997, p. 116).

Page 140: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

140

Le recours au contexte, n’est pas suffisant pour rendre compte à lui seul des aspects humains du changement. Le modèle politique introduit la notion de processus, insistant sur le jeu de pouvoirs entre acteurs.

b)- une vision constructiviste de relations entre contraintes du contexte et stratégies des acteurs.

Le contextualisme tente de dépasser le clivage traditionnel entre, d’une part, l’individualisme et ses postulats d’exhaustivité, d’optimisation, d’invariabilité des objectifs et, à la limite, l’hyper-rationalisme dans lequel l’influence du contexte et des acteurs peut être complètement négligée, et d’autre part, le déterminisme et les poids absolus des facteurs externes qui finissent par interdire la moindre possibilité d’implication de la part de divers acteurs concernés. Entre l’individualisme et le déterminisme ou « si l’on veut, entre l’explication qui se rapporte aux évolutions du contenu (velléités de transformation émanant de l’équipe dirigeante) et celle qui se réfère aux évolutions du contexte (adaptation aux variations de contraintes), le contextualisme réintroduit les processus, c’est-à-dire les jeux et rapports de force entre acteurs. C’est désormais dans l’articulation des relations entre les trois pôles (contenu, contexte, processus) que l’explication du changement est recherchée. Pareille démarche s’inscrit résolument dans une perspective constructiviste, dans laquelle les contraintes du passé conditionnent, certes, les actions présentes des divers protagonistes, mais celles-ci deviennent à leur tour des contraintes ultérieures pour l’action. En d’autres termes, si le contexte construit l’action, cette dernière construit elle-même le contexte » (Brouwers, Cornet, Gutierrez et al., 1997, p.117).

Un processus de changement n’est pas du tout une série d’étapes linéaires dont le déroulement peut être totalement planifié et encadré, tel que le conçoit le rationnalisme. Malgré toute la rationalité de l’homme, le processus de changement exprime l’action des rationalités différentes, des contradictions, des conflits et des actions incohérentes et imprévues.

L’approche contextualiste n’est pas un paradigme en soi; il s’agit d’une démarche d’analyse. Cette méthode d’analyse permet d’élargir le champ d’interprétation des processus de changement et elle ne privilégie donc a priori aucun paradigme. De ce fait, nous pouvons justement enrichir notre analyse en utilisant simultanément des paradigmes et/ou théories multiples pour mieux saisir la problématique en question.

Les trois concept-clés ou types de variables de l’approche contextualiste vont permettre d’inclure, à la manière de poupées russes, les différents paradigmes, théories et modèles dont nous avons fait mention auparavant.

Dans la mesure où nous faisons intervenir plusieurs variables, nous avons utilisé des modèles théoriques multivariables pertinents avec le sujet. Evidemment, ces modèles « idéaux-types », dans le sens de Weber, simplifient la réalité pour nous permettre de mieux la comprendre par après. « Les théories configurationnelles sont guidées par un principe holistique de recherche, généralement elles sont basées sur des typologies d’« idéaux-types » et adoptent explicitement les systèmes de postulats d’"equifinality"18… En général, les théories configurationnelles concernent la manière dont de multiples variables indépendantes sont reliées à une variable dépendante plutôt que comment des variables individuelles indépendantes sont reliées à une variable dépendante » (Delery et Doty, 1996, pp. : 803-804) ( Notre traduction).

Dans le cadre de l’approche contextualiste, nous avons utilisé les modèles théoriques de Pichault et Nizet (2000) qui relient les pratiques de GRH, en tant que variable « dépendante », aux variables du contexte interne -configurations organisationelles, stratégies d’entreprise- et 18 Concept utilisé ici comme multi-finalité.

Page 141: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

141

aux variables du contexte externe –marché de biens et services, marché du travail et législation sociale.

De plus, nous avons inclu les modèles ou propositions théoriques d’auteurs tels que : Ulrich, Crouch, Messine, Peters et Waterman, d’Iribarne, parmi d’autres, pour compléter les variables du contenu - rôles des DRH, modèles de management-, ainsi que deux autres variables du contexte externe - modèles de relations professionnelles et système politique, culture nationale.

Notre démarche devient donc pluridimensionnelle et nous permet de décrypter et d’analyser, de façon plus complète, la complexité des changements et des acteurs concernés. Nous adoptons la démarche de la prise en compte de la diversité et de la prise en considération de l’action des acteurs. Nous nous écartons donc de la conception universaliste qui prône la « best » théorie ou les « best practices » de GRH applicables dans n’importe quel contexte ou situation. Nous choisissons plutôt une perspective constructiviste raisonnée, en évitant un déterminisme mécaniciste en même temps qu’un constructivisme absolument relativiste.

En résumant et en schématisant notre modélisation générale, celle-ci se présente ainsi:

a.- Le contexte :

a.1.- Externe:

L’environnement externe considère les groupes de variables suivantes :

- le marché de biens et services

- les modèles de relations professionnelles et le système politique

- le marché du travail et la législation sociale

- la culture nationale

a.2.- Interne:

L’environnement interne, par contre, se réfère aux groupes de variables suivants:

- les configurations organisationnelles

- les stratégies d’entreprise

b.- Le contenu :

Il est l’objet d’étude et il comporte les groupes de variables suivantes :

- les pratiques de GRH (d’après Pichault et Nizet)

- les rôles des DRH

- les modèles de Management

c.- Le processus :

Les variables du processus se réfèrent:

1.- aux acteurs impliqués dans les processus de changements de pratiques de GRH, de rôles des DRH et de modèles de management dans l’entreprise,

2.- aux stratégies d’action mises en œuvre,

3.- aux dimensions des contextes (externe et interne) mobilisés par ces acteurs pour justifier leurs stratégies d’action.

Page 142: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

142

Dans ce cadre contextualiste, cinq hypothèses et une proposition avancées prennent en compte, d’une part, les interrelations entre les variables du contexte et le contenu et sous une approche contingente considèrent les six variables du contexte comme des vecteurs de changements agissant sur le contenu. Ces six axes sont:

1.- le marché de biens et services ;

2.- le marché du travail et la législation sociale ;

3.- le modèle de relations professionelles et le système politique ;

4.- la culture nationale (proposition);

5.- les configurations organisationnelles ;

6.- les stratégies d’entreprise.

Mais, en même temps et sous une approche politique, nous considérons les éléments du contexte mobilisés par les acteurs et les actions de ceux-ci dans les changements du contenu (GRH, DRH et M). Par conséquent, nous proposons une dernière hypothèse (H7) qui, à des degrés divers, recouvre toutes les autres et donne une autre vision du phénomène analysé.

3.- La comparaison internationale et l’échantillon de la recherche

Dans cette étude nous relevons et analysons les différences des évolutions des variables du contenu (GRH, DRH et M), en interrelation et sous l’influence d’éléments de deux contextes sociaux différents, c’est-à-dire de deux pays différents tels que la Belgique et le Chili.

Dans cette comparaison nous essayons d’éviter les explications en terme de « valeurs » ou basées sur un principe de rationalité qui compare les phénomènes directement terme à terme entre des pays différents; logique fonctionnaliste qui marginalise les différences qui peuvent éventuellement apparaître d’un pays à l’autre (Maurice, 1989). Il ne s’agit donc pas d’un simple benchmarking19 qui compare directement des chiffres ou des résultats sans tenir compte des éléments du contexte et des acteurs spécifiques.

Nous avons choisi une méthode qui évite de dé-socialiser les objets d’analyse, de respecter le caractère « social » des phénomènes étudiés. La comparaison ne s’applique pas directement à des phénomènes particuliers comparés isolement de leur contexte, elle s’applique plutôt à des ensembles de phénomènes qui s’inscrivent dans un système d’interactions sociales et avec une cohérence sociale. « Le principe qui sous-tend l’analyse n’est pas la « rationalité », ni la « culture nationale » ; mais plutôt le postulat de la « construction des acteurs dans leur rapport à la société ». C’est là le principe de la généralisation qui sous-tend ce type d’approche, privilégiant le lien social qui s’établit entre acteurs et société » (Maurice, 1989, p. 182).

Il s’agit d’analyser les interdépendances macro/micro qui contribuent à la construction des acteurs et qui constituent chaque cohérence nationale, ces ensembles cohérents excluent toute comparaison variable à variable et chacun de leurs éléments constitutifs n’ayant de signification sociologique que rapporté à l’ensemble dont cet élément est partie prenante. Les acteurs formant ces ensembles cohérents excluent l’existence d’un principe de causalité linéaire, évoquant plutôt l’existence d’une causalité multiple interactive. « Dès lors « acteurs » et « espaces » sont saisis plutôt comme autant de « construits sociaux » dont l’approche sociétale révélera dans un premier temps la spécificité, c’est-à-dire la discontinuité d’un pays à l’autre » (Maurice, 1989, p. 184). Pour nous, il s’agit donc 19 Benchmarking : analyse comparative, en français

Page 143: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

143

d’identifier ces ensembles avec leurs cohérences et de les comparer en tant qu’ensembles sociaux en tenant compte de ces interactions particulières.

Dans les comparaisons classiques il est posé comme exigence de comparer seulement ce qui est comparable, mais dans l’approche sociétale la non-comparabilité n’est plus une limite ; elle devient plutôt objet d’analyse. En fait, les différences ne peuvent pas être analysées terme à terme mais repérées dans le cadre des systèmes d’interactions sociétales relativement cohérentes produisant ces différences. « Dans les comparaisons classiques, l’une des difficultés souvent rencontrée (et considérée parfois comme un obstacle irréductible) est celle d’obtenir des conditions opératoires, « toutes choses égales par ailleurs », selon la formule consacrée. Le renversement que provoque à cet égard l’approche sociétal réside précisément dans le déplacement du niveau d’analyse que l’on vient d’évoquer. Nous passons en effet « de la juxtaposition d’effets nationaux (comme dans la comparaison classique) au repérage et à l’explication de cohérences sociétales. En cela, ce type d’approche peut être interprété à la fois comme outil d’analyse empirique et comme orientation théorique » (Maurice, 1989, p. 185).

Nous utilisons cette approche -appelé analyse sociétale- comme un outil d’analyse empirique qui vient compléter l’approche contextualiste pour réaliser une comparaison internationale.

Donc, nous pouvons comparer de cette façon les évolutions de phénomènes sociaux qui se déroulent à l’intérieur et à l’extérieur des entreprises situées dans deux (voire trois) sociétés différentes, c’est-à-dire, au niveau micro (entreprise) mais en rapport avec le niveau macro (société).

Concrètement, notre « échantillon » a été défini de la façon la plus significative possible en tenant compte des critères communs suivants : le secteur d’activité, la taille de l’entreprise et un passé historique similaire.

Nous faisons deux études de cas proprement dit, dans deux entreprises du secteur des télécommunications, à savoir : Belgacom, situé à Bruxelles (Belgique) et Telefónica-CTC, situé à Santiago (Chili).

Mais, étant donné que Telefónica-CTC (Chili) était depuis longtemps déjà une entreprise privée et que Belgacom (Belgique) est aujourd’hui une S.A. de droit public, les différences de la comparaison pourraient apparaître a priori trop évidentes. Nous avons voulu donc vérifier si ce facteur était trop déterminant et jouait un rôle trop différenciateur au niveau des changements des variables du contenu (GRH, DRH et M), objet de notre étude. Notre propos a été de vérifier et justifier doublement la comparabilité de ces cas, question de donner plus de credibilité à notre analyse comparative.

Par conséquent, une troisième comparaison partielle a été faite chez France Télécom S.A. (non compris leurs filiales internationales), situé à Paris (France), dans la mesure où c’est une entreprise avec des caractéristiques semblable à Belgacom quant à ce facteur. Donc, l’étude aditionnelle chez France Télécom S.A., pour la même période, a pris en considération notamment l’évolution de 8 variables du contenu, à savoir : les départs, la formation, la rémunération, les relations professionnelles (quant aux pratiques de GRH) ; la taille, les profils des professionnels-DRH (quant aux rôles de la DRH) ; la conception d’entreprise et des travailleurs et le style de management (quant aux modèles de management). A travers cette étude partielle nous avons pu expliquer plus exactement certaines différences et enrichir nos conclusions.

a)- Le secteur des télécommunications a vécu partout ces dernières années des expansions et des changements spectaculaires tant du point de vue économique que technologique, déjà évoqués auparavant.

Page 144: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

144

b)- Ces sont des entreprises de grande taille, chacune étant parmi les plus grandes et importantes du pays ; par conséquent pratiquement obligées d’avoir d’importantes équipes de GRH et d’utiliser des techniques et méthodes de GRH modernes pour pouvoir gérer un nombre important de personnes.

c)- Elles ont été des monopoles dans leurs histoires récentes et ont eu (ou ont encore) une longue histoire d’entreprises publiques, avec une forte participation de l’Etat, mais devenues, soit une entreprise privée (Telefónica-CTC), soit des entreprises publiques autonomes et, maintenant, des S.A. de droit public (Belgacom, France Télécom S.A.). De plus, aujourd’hui soumises à un contrôle régulateur strict de la part des pouvoirs publics pour garantir une vraie concurrence avec de compagnies installées nouvellement et éviter la réapparition de monopoles.

Tous ces facteurs ont beaucoup bouleversé ces entreprises et ont déclenché des processus de changements importants et successifs qui touchent évidemment les pratiques de GRH, les rôles et positionnements des DRH et les pratiques de management.

Nous avons choisi l’analyse qualitative à travers des études de cas, au lieu d’études quantitatives plus larges, parce que ces dernières s’avéraient très difficiles et aléatoires à réaliser au Chili et parce que cette analyse était plus appropriée à la vérification des variables considérées.

La recherche qualitative à travers des études de cas permet l’usage de plusieurs modèles théoriques, une pluridisciplinarité et des propositions ouvertes qui indiquent plutôt une tendance que nécessairement une relation de cause à effet (Poupart, Deslauriers, Groulx et al., 1997 ; Pichault, Warnotte et Wilkin, 1998). En effet, notre cadre d’analyse comporte des hypothèses et une proposition ( dans le cas de la variable culture nationale), cela veut dire que dans ce dernier cas nous avons utilisé la méthode inductive. « En recherche qualitative on parle de propositions plutôt que de relations de cause à effet. Il est rare que les propositions initiales soient formulées aussi clairement qu’en recherche quantitative ; elles sont d’abord énoncées dans la perspective des questions de départ, voire des intuitions à vérifier… Les propositions en recherche qualitative ne sont pas des hypothèses du même ordre que celles qu’on émet dans une recherche de type hypothético-déductif. La théorie s’élabore progressivement, les questions se précisent à mesure que progresse le travail simultané de collecte d’informations et d’analyse, l’objet de recherche se précise » (Poupart, Deslauriers, Groulx et al., 1997, pp. 95-96)

II.- LA RECOLTE ET LE TRAITEMENT DES DONNEES

La récolte des données a voulu respecter trois critères globaux. D’abord qu’elle soit :

1)- contextuelle, c’est-à-dire d’étudier les relations réciproques entre les contextes et les processus, tant au niveau micro (intérieur de l’entreprise) que macro (au niveau de la société) ;

2)- comparative, deux études de cas (voir trois, pour certaines variables) dans deux contextes différents (Belgique et Chili) ;

3)- processuelle, au sens de prendre en compte la dynamique des acteurs sur une période de temps donné ( au moins six années). Nous considérons, pour certains faits, le premier semestre de l’année 2002. Dans une période comme celle-ci nous pouvions être sûr d’observer des changements importants ainsi que des changements des dirigeants au sein des entreprises.

Page 145: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

145

L’adoption de cette perspective de recherche a des répercussions en ce qui concerne le travail de terrain.

1.- La récolte des données

En pratique, nous avons procédé comme décrit ci-après :

a)- Entretiens exploratoires : d’abord, deux entretiens exploratoires furent fait pour avoir une première vision générale des entreprises et pour mieux cibler l’objet de recherche et les questions principales : un à Belgacom (1998) et un à la CTC (2000).

b)- Récolte des documents et des articles de la presse publique : une énorme masse d’information a été récoltée à travers les divers documents : - officiels des entreprises, tels que les rapports annuels, les rapports sociaux, les conférences de presse ; - autres documents internes, tels que des documents de politiques de GRH, de formation, les conventions collectives, etc. ; - des déclarations publiques des dirigeants, des revues des entreprises et des syndicats ; - des articles et des entretiens avec les dirigeants des entreprises publiés dans des différents journaux et revues.

Nous avons analysé et classé, chronologiquement et par thèmes, le contenu pertinent de cette documentation pour la période 1996-2001.

c)- Des interviews : c’est le recueil d’information le plus important pour notre propos. Ils ont été faits selon la méthode d’interviews semi-directives. Au total, 75 interviews ont été faites dans les entreprises; dont 36 à Telefónica-CTC, 34 à Belgacom et 5 à France Télécom S.A. Il faut ajouter 3 vidéo-conférences à Telefónica-CTC.

En règle générale, la majorité a été réalisée sur le lieu de travail, 4 ont été des interviews par téléphone, la majorité a été enregistrée sauf 2 qui ont fait l’objet de prise de note. En moyenne, elles ont duré plus ou moins 1 heure et demi.

De plus, dans un deuxième temps (début 2002), des courtes interviews téléphoniques et des demandes par courrier électronique ont été faites pour compléter et/ou vérifier des données. Au total : 8 à Belgacom, 10 à Telefónica-CTC et 1 à France Télécom.

Nous avons interviewé des personnes ayant joué un rôle important dans les changements et en rapport avec le contenu de la recherche, c’est-à-dire des personnes situées à tous les niveaux de l’entreprise, notamment le département de RH. En effet, à Belgacom: 1 membre du Conseil d’Administration ; 3 membres de la direction (GLT), parmi eux les deux directeurs de la DRH ; 9 personnes de la DRH ; 17 line-managers et cadres ; 1 ex-dirigeant de la DRH ; 3 présidents des trois syndicats représentatifs (FGTB, CSC, CGSLB) (voir Annexe II).

A Telefónica-CTC: le Président du « Directorio » ; 4 membres de la direction (Comité Directif) ; 2 ex-dirigeants (1 ex-Président et 1 ex-Vice-président de la DRH) ; 16 membres de la DRH ; 9 personnes du line-mangement et des experts ; 4 présidents de 4 syndicats parmi les plus importants ( SINATE, SINTELFI, SITP, Supervisores) (voir Annexe II).

A France Télécom : 2 dirigeants de la DRH, 1 ex-dirigeant de la DRH ; 2 dirigeants de deux syndicats représentatifs (FO, CFDT) (voir Annexe II).

Pour réaliser les entretiens, un « Guide d’entretien » a été élaboré en considérant les points suivants : les contextes (suivant les six axes choisis), le contenu (visant les pratiques de GRH, les rôles des DRH et les modèles de management) et le processus (le rôle des acteurs dominants).

Ce Guide d’entretien a été traduite dans les deux langues (français et espagnol), chacun corrigé et testé à travers une lecture faite par une personne liée au milieu de l’entreprise et

Page 146: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

146

dans sa langue maternelle, pour vérifier si les questions et les concepts étaient clairs et compréhensibles.

Dans les questions aux interviewés, il s’agissait faire ressortir tant les faits que les jugements des personnes.

d)- Des interviews à des spécialistes et experts : nous avons réalisé, au total, 13 interviews avec des spécialistes et experts sur différents aspects de notre sujet.

A Santiago : 2 spécialistes de GRH et de relations professionnelles (professeurs d’université), 1 expert en sociologie du travail, 1 expert de Deloitte & Touche, 1 expert du Ministère du Travail et 1 expert en régulation du marché de télécommunications de la SUBTEL (Sub-secrétariat des télécommunications).

A Bruxelles: 2 spécialistes de GRH et relations professionnelles (professeurs d’université), 1 expert du Ministère Fédéral de l’emploi et du travail, 1 expert de l’IBPT (Institut belge des services postaux et des télécommunications) et 2 spécialistes de la Cellule Télécoms de l’Institut E. Vandervelde.

A Paris : 1 expert d’HAY Groupe-France.

Ces interviews n’ont pas suivi un guide élaboré, mais ils ont abordé à chaque fois le sujet pour lequel les personnes étaient compétentes ; le but était d’avoir des informations et une vision plus détaillées sur des sujets dont ils étaient spécialistes; ainsi par exemple, les relations professionnelles, les caractéristiques du marché du travail et de la législation sociale, le marché des télécommunications et leur régulation, l’action du Gouvernement, parmi d’autres.

2.- Le traitement des données

Nous avons dépouillé et classé par variable les articles et les documents ; toutes les interviews ont été transcrit sur des « Fiches de synthèse d’entretiens », en suivant la méthodologie de Huberman et Miles (1991), selon le rapport avec les thèmes d’intérêt, à savoir : les six axes des contextes (marché des biens et services, modèles des relations professionnelles et système politique, marché du travail et législation sociale, culture nationale), le contenu (en précisant les trois groupes de variables, à savoir : les pratiques de GRH, les rôles des DRH et les modèles de management, et leurs respectives sous-variables) et le processus (précisant le rôle joué par les acteurs dominants).

Dans chaque thème nous avons codifié les « Fiches de synthèse d’entretiens » selon les variables considérées et selon chacune des trois entreprise (fiches de différentes couleurs selon l’entreprise).

Pour préciser l’analyse de données nous avons synthétisé les données de chacune des variables selon les indicateurs choisis à chaque variable, en soulignant sur chacune « Fiche de synthèse d’entretien » le texte pertinent. Tout ceci, en respectant l’ordre chronologique des faits et des actions.

En ayant les « Fiches… » dûment codifiées, nous avons pu intégrer, lors de la rédaction finale du texte, les données pertinentes et synthétisées auparavant.

3.- La validation des données

Dans toute recherche se pose le problème de l’objectivité et, par conséquent, celui de la validation des informations et données recueillies.

Page 147: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

147

En suivant Poupart, Deslauriers, Groulx et al. (1997) , nous pouvons affirmer que les approches qualitatives ont progressivement remis en cause plusieurs postulats du positivisme conventionnel, c’est-à-dire l’existence d’une réalité strictement objective et unique, une réalité pouvant être découpée en parties indépendantes les unes des autres, une séparation de l’observateur de son objet d’observation, la neutralité du chercheur, etc. La recherche conventionnelle tente d’évacuer la subjectivité en la neutralisant, elle doute de la neutralité du chercheur, de la suffisante distanciation du chercheur par rapport à ses valeurs et à son objet d’étude. La recherche qualitative prend en compte, dans sa démarche, la subjectivité et les interactions complexes entre les divers niveaux de la réalité sociale ; leur but n’est pas de les neutraliser mais de les « contrôler » en cernant leur effet sur l’action sociale ou en balisant les ressources de la subjectivité plutôt qu’en essayant de l’exclure des processus de recherche. Ce qui est important c’est que le chercheur s’assure de la justesse des interprétations qu’il recueille auprès des sujets étudiés. Une méthode pour le faire c’est la triangulation des diverses sources de données.

« La triangulation des diverses sources de données et des diverses perspectives, du côté tant des sujets étudiés que des chercheurs, constitue un autre moyen de s’assurer de l’objectivité, c’est-à-dire de la justesse des données. Dans tous les cas, on cherche non pas la correspondance entre les données ou les perspectives, mais leur concordance. En effet, les chercheurs qualitatifs admettent d’emblée la possibilité d’une distance entre les faits observés et leurs interprétations possibles et, conséquemment, entre ces interprétations elles-mêmes. Ce qui importe dès lors, c’est d’être en mesure d’expliquer les divergences constatées, le cas échéant, entre les observations et les interprétations, puis entre les diverses interprétations qui sont données d’un même événement » (Poupart, Deslauriers, Groulx et al., 1997, pp. 371-372). Le processus de triangulation des sources d’informations vise donc à établir une cohérence ou concordance des informations et les interprétations des phénomènes observés dans les entreprises. Si cette concordance est acquise, alors nous pouvons affirmer qu’il y a une validité interne des résultats de la recherche.

Par conséquent, nous avons utilisé la méthode de la triangulation pour vérifier les données récoltées à partir de quatre sources différentes, à savoir :

1)- la documentation interne de l’entreprise et de la presse publique ;

2)- les interviews des dirigeants, des cadres et des membres de la DRH des entreprises ;

3)- les interviews des dirigeants des organisations syndicales des entreprises. Cette source d’information a été particulièrement importante parce qu’elle apporte des données et des interprétations différentes, et parfois divergentes, sur les sujets ou variables abordées aussi par la direction. Elle est d’autant plus importante qu’il s’agit de l’avis de milliers de personnes, véhiculées par leurs représentants syndicaux.

4)- les interviews des spécialistes des différentes institutions sur des sujets et variables précises (professeurs d’universités, experts/conseilleurs des Ministères, experts en GRH).

Il est évident que la source privilégiée a été les entretiens aux personnes des entreprises.

La triangulation réalisée avec ces différentes sources d’information nous a permis trouver un degré de cohérence et de validité de la réalité observée.

Nous soulignons l’interaction dynamique qui s’établit entre les différentes phases du processus de récolte, de traitement et de validation des données qui sont plutôt une succession de cycles plus que des étapes indépendantes et séparées.

Page 148: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

148

t 1 t 2

Processus

Contenu 1 : GRH DRH M

Contexte externe 1 : • Marché de biens et services • Modèle de relations professionnelles et système politique • Marché du travail et législation sociale • Culture nationale

DRH

GRH

M

Configurations organisationnelles

Stratégies d’entreprise

Contexte externe 2 : • Marché de biens et services • Modèle de relations professionnelles et système politique • Marché du travail et législation sociale • Culture nationale

DRH

GRH

M

Configurations organisationnelles

Stratégies d’entreprise

Contenu 2 : GRH DRH M

Nous pouvons représenter schématiquement, tel que le montre la Fig. 4 b, les différents éléments relatifs aux contenus et contextes dans le processus de changement à l’œuvre dans chacune de ces études.

Figure 4 b Processus de changement dans l’entreprise

Page 149: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

149

4.- Les limites du cadre d’analyse et de la recherche

Nous observons deux limitations ou faiblesses principales dans cette recherche.

D’abord, nous considérons que, parmi les trois modèles des pratiques de GRH repris de Pichault et Nizet, le modèle conventionnaliste est le moins bien adapté à notre usage. Ce modèle semble plus approprié à des organisations très particulières, tels que les universités ou les hôpitaux, mais insuffisant pour une utilisation dans le cas des entreprises de télécommunications plus classiques mais en processus de modernisation comme c’est notre cas. Cependant, ce modèle étant le plus proche pour notre propos, nous avons essayé de le compléter et de l’adapter légèrement pour une utilisation plus appropriée (voir Ch. II et III).

Deuxièmement, notre recherche s’inscrit dans une perspective analytique et qualitative, basée sur des études de cas, par conséquent elle est relativement limitée pour ce qui concerne la généralisation des résultats obtenus ; limites d’ailleurs propres à toute recherche qualitative.

PARTIE II

Page 150: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

150

RECHERCHE EMPIRIQUE : LES ETUDES DE CAS

CHAPITRE V

UNE ANALYSE CONTEXTUALISEE:

PRESENTATION DES ETUDES DE CAS

Page 151: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

151

Dans ce chapitre, nous présentons les caractéristiques générales des entreprises qui ont vécu, chacune, de processus de changements très importants. De même, nous donnons un aperçu sommaire de chacun des pays où elles se situent, dans le but de mieux comprendre le contexte global et les enjeux auxquels elles ont fait face.

Même si notre étude n’est pas centrée sur cet objet en tant que tel, nous faisons cette description globale de chaque entreprise et de chaque pays, en relevant les faits historiques les plus importants présentés chronologiquement, parce qu’ils complètent la nécessaire contextualisation que nous voulons faire de notre objet de recherche pour mieux comprendre les changements des pratiques de GRH, des rôles de DRH et des modèles de management qui se sont déroulés.

Pour organiser cette description, d’abord, nous présentons quelques caractéristiques de chaque pays. Ensuite, la description des entreprises et les évolutions les plus importantes pendant une période d’environ six années.

Enfin, nous complétons cette description avec des données économiques et des indicateurs qui montrent les caractéristiques ainsi que certaines performances de chaque entreprise. Elles serviront comme points de repères importants pour enrichir et clarifier l’analyse, la compréhension et la comparaison qui s’en suit (Chapitres VI et VII).

I.- LE CAS DE BELGACOM (BELGIQUE)

1. - LA SITUATION NATIONALE

Il s’agit d’une société post-industrielle, de l’information ou informationnelle (Castells, 2001), avec un haut développement économique, mais qui depuis plus de 10 ans traverse une crise économique, avec un taux de croissance réduit et un taux de chômage encore élevé (taux moyen au-dessus du 10% pour la décennie) (voir tableau 8) ; une situation économique qui commence à s’améliorer depuis seulement ces trois dernières années. Une économie ouverte au marché mondial et un standard de vie élevé, elle a un PIB/habitant et un IDH élevés - leur indice de développement humain (IDH)20, en 2002, occupait le 4ème rang mondial, c’est-à-dire parmi le meilleurs du monde, - et malgré la longue crise économique, reste une société riche, socialement et politiquement stable. Parmi les premières à s’engager à la construction de l’Union Européenne et dans ce cadre doit assumer les accords et les directives émanant de la C.E., comme c’est le cas dans le secteur des télécommunications. Il s’agit d’un Etat fédéral de nature monarchique, trois régions (Wallonie, Flandre et Germanique), trois langues officielles 20 L’IDH, instauré par l’ONU, est un indicateur beaucoup plus complet et plus important pour une comparaison internationale que, par exemple, des simples PIB, des taux de croissance économique, etc. Voir explication au tableau 8.

Page 152: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

152

(français, néerlandaise et allemande) et un régime parlementaire; société moderne de longue tradition démocratique, une société civile relativement bien organisée, abondante présence des organisations sociales de tous genres (syndicales, associatives, écologiques, de défense des consommateurs, des droits de l’homme, etc.), une longue tradition de concertation sociale où les relations professionnelles sont relativement stables et institutionnalisées. Une institutionnalité et vie politique complexes. En juin 1999, une nouvelle coalition politique issue des élections parlementaires composée par les partis libéraux, socialistes et verts formait le nouveau Gouvernement « arc-en ciel », elle a remplacée l’ancienne coalition politique composée par les Démocrates chrétiens et les Socialistes. Société caractérisée, selon certains auteurs, par une culture latine (Hofstede et Bollinger, 1987), mais que nous appellerons, pour notre propos, plutôt de latine « hybride»21.

Tableau 8

Belgique : caractéristiques générales

Indicateur Unité 1996 1997 1998 1999 2000 2001

Population (1) millier 10.170 10.192 10.213 10.239 10263

Développement humain (2) (IDH) (3)

0,916 0,926 0,932 0,932 0,923 0,925

Croissance annuelle (2)

% 2,3 2,1 1,3 2,4 2,9 2,3

PIB/hab. (2) (PPA) (4)

dollars 20.449 20.852 21.446 22.921 22.750 23.223

Taux de chômage (1) (a)

% 13,6 13,1 12,4 11,8 10,9 10,7

Dépense de l’Etat en Education (2)

%PIB 5,2 5,1 5,6 5,7 3,2 3,1

(1) Source : INS (Institut Nationale de Statistique), http:// www.statbel.fgov.be

(a) par rapport à la population active totale (ONEM, VDAB, FOREM, ORBEM)

(2) Source : L’Etat du Monde, Ed. La Découverte, Paris, 1996, 1997, 1998, 1999, 2000, 2001.

(3) IDH = Indicateur de développement humain : nouvelle méthode de calcul reconnue par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en 1990 ; ce nouvel indicateur intègre, dans une subtile pondération, trois statistiques socio-économiques : l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’éducation (à partir de taux d’alphabétisation des adultes et du taux de scolarisation) et le niveau de vie (produit intérieur brut par tête corrigé en parité de pouvoir d’achat).

(4) PPA = méthode des « parité de pouvoir d’achat » : les PIB-PPA sont obtenus en utilisant un taux de change fictif qui rend équivalant au prix d’un panier de marchandise ; la méthode PPA permet ainsi une comparaison beaucoup plus rigoureuse du pouvoir d’achat dans les différents pays.

NOTE : les chiffres de l’Etat du monde ont, en général et pour chaque année, un décalage d'environ deux ans.

21 Hybride : nous utilisons ce mot simplement pour relever une différenciation spécifique de la culture belge par rapport à la culture chilienne, classées toutes les deux, d’après Hofstede, comme latines. On y reviendra.

Page 153: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

153

2. - BELGACOM

C’est la plus importante entreprise de télécommunications du pays.

En 1987 la Commission Européenne publie le Livre Vert sur les équipements et les télécommunications en Europe et prône la reforme des entreprises publiques de télécommunications. Le postulat de base est que « dans toute économie de marché, la concurrence conduit à l’efficacité dans la fourniture d’un large éventail de biens et services » 22

En 1991 est publiée la Loi sur les entreprises publiques autonomes (EPA), par conséquent l’ancienne RTT (Régie des télégraphes et des téléphones) devient une entreprise autonome au niveau de son management et change de nom : Belgacom. Cette loi contemple aussi l’instauration d’un organe de contrôle: l’IBPT (Institut belge des Postes et Télécommunications), chargé de la régulation du marché de télécommunications. Cependant, c’est seulement en 1993 que cette institution commencera à fonctionner véritablement.

Elle était, à peine il y a six ans, encore un monopole de la téléphonie fixe et une entreprise publique contrôlée totalement par l’Etat. Elle est une entreprise avec plusieurs filiales internationales. Elle est composée aussi par la mobilophonie, le transfert des données et les services internet. Dans le cadre de cette recherche nous tenons compte de la téléphonie fixe et, donc, de la maison mère.

Dès le début des années 90, l’entreprise prévoit des moments difficiles. Le développement spectaculaire des télécommunications et de l’informatique, la mondialisation de l’économie et l’ouverture du marché des télécommunications national et Européen à la concurrence la forcent à prendre des mesures drastiques et vont marquer radicalement le devenir de l’opérateur historique.

En 1994, l’entreprise publique autonome devient une société anonyme de droit public. En 1995, l’Etat entame une privatisation partielle de celle-ci ; il vend 49% des actions au Consortium privé ADSB Telecomunications composé par: Ameritech (USA), TeleDanmark et Singapore Telecom, mais restant l’actionnaire majoritaire avec un 51% des actions. D’autres opérateurs publics tel que British Telecom avaient déjà été privatisés en 1984.

Dans la période d’environ 6 années que nous analysons, nous pouvons distinguer chronologiquement deux périodes majeurs :

- la période de la « consolidation stratégique » et de préparation à l’ouverture totale du marché (1996-1999) ;

- la période de rude concurrence et de préparation de l'e-entreprise pour le e-business (1999-2001…).

2. 1.- Période de « consolidation stratégique » et de préparation à l’ouverture totale du marché (1996-1999)

En 1995, un nouveau Président-Administrateur Délégué23, venant du privé (ALCATEL), fut nommé par le Conseil de Ministres. Une des exigences qui avait été posée par les partis politiques, notamment de la gauche, au futur patron fut sa sensibilité sociale et sa disponibilité à travailler avec les organisations syndicales. Dans le cadre de la privatisation partielle et l’entrée d’un partenaire privé, deux hauts managers de nationalité nord-américaine,

22 C.E., 1992. Cité par Brouwers, I., Cornet, A. et Pichault, F., 1995, p.92. 23 En anglais, CEO : Chief Executive Officer (USA). En français, PDG : Président-Directeur Général (France).

Page 154: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

154

deviennent les plus importants managers de la compagnie, et ensemble avec le CEO, constituent la haute direction exécutive (EXCO, pour Executive Committee).

Le partenaire privé a contribué au savoir-faire technique et a apporté des nouvelles technologies. A l’époque l’entreprise était dans une position de faiblesse, il s’agissait de sa survie, sa gestion était critiquée et n’était qu’un faible opérateur dans un petit marché.

Jusqu’en 1995 Belgacom avait une structure hiérarchisée, héritée de l’ancienne RTT, composée de 13 circonscriptions au niveau national, chacune dirigé par un directeur de circonscription ayant le contrôle total de sa zone géographique. Ces directeurs étaient de véritables « barons »24 dans la mesure où ils géraient toutes les affaires sous leur territoire et ils étaient directement subordonnés à l’Administrateur Délégué. En ce qui concerne les R.H., chaque circonscription avait un département de R.H. autonome et responsable de la gestion de ses ressources humaines dans sa zone. Il y avait donc à la fois une grande autonomie des différentes circonscriptions et une forte centralisation des pouvoirs autours des directeurs de circonscription.

En janvier 1996 est mise en oeuvre le plan TURBO (Transforming, Upgrandind, Responsabilising, Belgacom’s Organisation)25 dont l’objectif est de restructurer l’entreprise et installer une nouvelle structure organisationnelle orientée vers les clients. Cette restructuration est marquée symboliquement par la présentation d’un nouvel organigramme en forme de pyramide inversée, plaçant à sa tête le client et à sa base l’Administrateur Délégué de l’entreprise. Trois divisions clients sont créees (Résidentiel-RES, Business-BUS, Corporate-COR) afin de proposer des services adaptés aux différents types de clients. Donc, les circonscriptions et leurs directeurs disparaissent et la haute direction concentre maintenant tout le pouvoir de décision. Les départements de RH des circonscriptions disparaissent et cette fonction R.H. est, grosso modo, aussi concentrée au siège central ( Bruxelles).

Le plan TURBO devait aussi provoquer un changement de la culture de l’entreprise. Il s’agissait de faire disparaître l’ancienne culture d’entreprise publique et de monopole, bureaucratique, où prévalait la logique des abonnés et une efficience mainte fois critiquée. Il s’agissait d’encourager la responsabilisation, le professionnalisme, la prise d’initiative dans les activités de chaque collaborateur et d’avoir une approche de la satisfaction des clients.

En 1997 le plan PTS (People, Teams and Skills) est mis en oeuvre. Ce plan, d’une part, a signifié la retraite anticipée sur base volontaire de 6.000 personnes et, d’autre part, la reconversion de 6.600 employés pour assumer d’autres fonctions.

Cette période a été marquée aussi par la continuation de la modernisation technologique, notamment par la numérisation du réseau de téléphonie fixe et l’optimisation du réseau de téléphonie mobile, par la poursuite de l’amélioration des services à la clientèle, de la croissance spectaculaire des activités de la téléphonie mobile, l’entré dans le monde de la sécurité, donc la création de la société Belgacom Security Holding et par la progression positive des résultats financiers.

La préparation à la libéralisation totale du marché de télécommunications en Belgique et en Europe était la préoccupation principale, ce qui allait advenir en 1998.

Les années 1997-1998 sont celles de la réalisation du plan PTS, un plan d’une envergure sans précédent en Belgique.

24 Baron : dans le langage commun, il s’agit d’une personne, souvent un dirigeant, très importante dans un domaine quelconque, notamment économique et/ou politique. 25 Nous utilisons parfois des noms en anglais dans la mesure où c’est la dénomination habituelle utilisée dans cette entreprise.

Page 155: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

155

Le 1er janvier 1998, le marché Européen de télécommunications est officiellement libéralisé. Or, même si quelques filiales des plus grandes entreprises de télécoms Européennes étaient déjà présentes en Belgique, c’est effectivement l’année d’une arrivée importante de nouveaux opérateurs de télécommunications; donc le paysage concurrentiel du marché commence à changer fortement.

En 1999, plus de 40 opérateurs sont actifs en Belgique et environ 300 sociétés sont en concurrence avec Belgacom si nous considérons tous les secteurs d’activités en télécommunications. La division Carrier Services, qui gère les relations entre Belgacom et les opérateurs nationaux et internationaux, fait partie du Top 5 Européen pour le transit du trafic international, de 12 clients en 1998, Belgacom est passée à 84 en 1999. La digitalisation du réseau est passée de 82,5% à 91,3% en 1999.26

Pour faire face aux défis posés par le marché de services data, Belgacom a crée, fin 1999, une nouvelle division: « Data Netwok & Applications » (DNA) pour améliorer les applications et le contenu de la transmission des données et rester leader de ce marché en Belgique.

Parmi les activités développées dans la perspective de devenir aussi une entreprise citoyenne et assumer ses responsabilités auprès la société, nous relevons notamment, l’emploi de qualité, l’environnement et la communication. Pour l’emploi de qualité, elle a eu une préoccupation prioritaire pour la formation de leurs employés. La communication est développée via des informations claires à travers intranet mais aussi à travers le journal de l’entreprise « Belgacom Ch@llenge » qui est envoyé tous les mois au domicile privé de chaque collaborateur. Quant à l’environnement, elle s’inscrit dans le grand mouvement appelé de « développement durable » en affirmant cette ambition à travers son adhésion à la « Environnemental Charter of European Telecommunication Network Operators » (ETNO), charte signée par 23 opérateurs Européens. En pratique Belgacom a opté, en 1999, pour l’obtention du système de gestion de l’environnement ISO 14001 pour l’année 2004, en développant des activités telles que la récupération des emballages, de l’assainissement des réservoirs à carburant, du démantèlement des transformateurs utilisant du PCB, etc.

En 1999, il y a des fortes pressions pour privatiser encore plus l’entreprise tant de la part d’Ameritech que de certains partis politiques belges. Durant la campagne des élections législatives de cette année, les libéraux (flamands et francophones), manifestent leur ferme intention de poursuivre la privatisation de Belgacom. Malgré la forte pression des libéraux arrivés au pouvoir, la privatisation totale piétine.

C’est l’année où Ameritech est racheté par SBC, qui représente le 14ème plus important employeur aux USA.

A la fin de cette même année, le programme BOOST (Belgacom’s Optimal Organizational & Strategic Transformation) est lancé avec l’idée de transformer la compagnie en une société « avec laquelle il est réellement facile de traiter ». Il s’articule en quatre axes : - les clients, la priorité n°1 de l’entreprise ; - la stratégie ; - l’organisation ; - les ressources humaines où l’accent est mis sur la valorisation du talent de chacun des employés. Une nouvelle vision stratégique est développée à travers une restructuration organisationnelle qui définit cinq grands pôles stratégiques d’activités correspondant aux besoins de leurs clients, à savoir Voice, Data, Mobile, Internet et Wholesale.27

2. 2.- Période de rude concurrence et de préparation de l'entreprise pour le e-business (1999-2001…)

26 Rapport annuel 1999, Belgacom. 27 Rapport annuel 2000, Belgacom

Page 156: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

156

Pendant l’année 2000, le programme BOOST a pris fin. Il faut ajouter que, cette fois, les processus de transformations de l’entreprise sont entamés avec les décisions, études et actions de leurs propres collaborateurs et sans participation des Consultants externes, ce qui est loué par les collaborateurs. Cette même année, rapidement un nouveau programme de changement est lancé : le programme BeST (Belgacom e-Business Strategic Transformation). Dans la mesure où le progrès technologique dans le domaine des télécommunications est permanent et rapide, l’entreprise a voulu anticiper ces évolutions irréversibles et se positionner définitivement dans l’ère de l’e-business.

Le programme BeST poursuit quatre objectifs : « - une passion encore plus grande du client,- l’adaptation plus rapide aux réalités du marché et aux évolutions technologiques, - des processus de décision plus simples et plus efficaces, -une meilleure coordination interne »28. Le BeST sera mis en œuvre à travers deux volets principaux : a)- le volet des restructurations organisationnelle et technologique et, b)- le volet de reconversion et de départ anticipé sur base volontaire du personnel.

a)- En ce qui concerne les changements organisationnels, des changements de la structure ont été fait début 2001, avec la création de 4 Business Unit : Wireline (voix et donnés), Wholesale et Carrier (vente de capacité de réseau, interconnexions et transit, à d’autres opérateurs), Mobile (Proximus) et Internet, accompagnées des nouvelles divisions et de nouveaux managers. Parallèlement, dans la mesure où on constate le glissement général des clients et du marché vers plus de transmissions de données, de l’IP (internet protocol), de l’utilisation de l’internet, au niveau technologique l’entreprise a évolué vers une plus grande automatisation de leurs processus ; il s’agit d’anticiper en faisant évoluer le personnel, en nombre et en compétences, vers plus de compétences en informatique, transmission de données, internet. En 2001, le nouveau réseau interne Exch@nge est complété et mise en route, il va permettre d’automatiser beaucoup des opérations administratives et de gestion des ressources humaines internes.

b)- En ce qui concerne le volet social, le programme BeST signifie la « mise en disponibilité active volontaire » de 4.148 personnes, étalée sur quatre ans (il termine en 2005), et le changement de fonction, donc la reconversion de 3.000 autres personnes. Nous y reviendrons.

Il est évident que le succès du précédent programme PTS a été une expérience et un point de repère important pour les acteurs.

Le programme BeST, en fait, est plus complexe et plus complet que le programme PTS, dans la mesure où on trouve toute une série de mesures innovantes pour réaliser un plan de changement structurel et social, dans un cadre socialement acceptable et futuriste.

Ces deux dernières années ont été marquées, encore une fois, par des résultats économiques positifs. Pour l’année 2000, trois grands objectifs ont été engagés et accomplis : une croissance continue (voir tableau 9), des prix plus avantageux et une amélioration constante de la qualité des services. Sur ce dernier sujet, un projet connu sous le nom de MACS (Maximizing Customers Satisfaction) a été lancé, au début de l’année 2000, afin de corriger les points faibles de l’attention aux clients. En 2001, le programme de formation EL@N est mise en œuvre, dont l’objectif est de faire connaître les métiers d’avenir chez Belgacom ; il offre la possibilité aux collaborateurs de suivre des formations pour être mieux armés dans leur fonction actuelle ou pour être mieux préparés à accéder à une nouvelle fonction.

Malgré une concurrence forte, Belgacom maintient et améliore même ses positions en Belgique ; certains segments clés voient même leurs parts de marché augmenter, c’est le cas de la téléphonie mobile, de la transmission des donnés et de l’ADSL (Asymetric Digital Subscriber Line). L’ASDL étant la technologie permettant la transmission numérique sur 28 Rapport annuel 2000, Belgacom

Page 157: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

157

ligne téléphonique à haut débit, autrement dit, c’est l’internet rapide sur une ligne téléphonique ordinaire jusqu’à 30 fois plus rapide. Si, à la fin 2000 il y avait 43.810 raccordements, au début 2002 sommait 312.000 raccordements. Belgacom a été le premier opérateur Européen à avoir offert l’ADSL au grand public l’année 2000. Aujourd’hui, elle est le pionnier en Europe avec le taux de pénétration le plus élevé.

A la fin 2001, les Business Unit Wholesale et Carrier peuvent être considérées parmi les 5 principaux opérateurs de vente de gros en Europe, avec une hausse de 18% de chiffre d’affaires par rapport à 2000, comptant 450 clients opérateurs internationaux, dont 56 clients opérateurs fixes en Belgique.29

La formation prend toujours beaucoup d’importance et le budget assigné est conséquent.

Au niveau des R.H., il y a eu toujours un staff important et composé de deux divisions, avec deux responsables DRH relativement du même niveau. L’équipe le plus important est au siège central à Bruxelles, plus quelques petites équipes distribuées dans les districts du pays.

En général, dans ces deux périodes, nous avons constaté l’exécution des plans successifs de changements en tout genre qui se sont remplacés l’un après l’autre dans l’entreprise, mais tous - sauf ceux strictement techniques - furent discutés avec les organisations syndicales.

3.- QUELQUES RESULTATS ECONOMIQUES ET INDICATEURS DE PERFORMANCE ET DE QUALITE

Certaines indicateurs financiers, de performance et de qualité les plus significatifs serviront comme simples points de repères permettant de compléter la connaissance du contexte organisationnel dans lequel s’inscrivent les transformations des pratiques de GRH, des rôles des DRH et des modèles de management.

Il ne s’agit pas donc d’analyser le rapport de cause à effet qui peut exister entre ces indicateurs de performance et les pratiques de GRH, les rôles des DRH et les types de managements pratiqués. Celui-ci n’est pas exactement le but de notre étude.

Nous voulons ainsi simplement enrichir l’analyse du contenu de la recherche et permettre d’ouvrir d’autres points d’interrogation et d’autres pistes de réflexion sur ce sujet.

29 Rapport annuel 2001, Belgacom

Page 158: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

158

Tableau 9

Données économiques, de performance et de qualité (1) D. FINANCIERES

(millions EUR)

1996 1997 1998 1999 2000 2001

Chiffre d’affaires 3.438 3.762 4.196 4.605 5.141 5.375

EBITDA 1.375 1.526 1.608 1.809 1.518 1.922

Bénéfice de l’exercice (par du groupe)

321 367 404 435 479 499

EFFICIENCE ET QUALITE :

Nombre total de lignes en service

4.814.015 4.964.471 5.056.434 5.142.127 5.060.879 4.879.307

Nombre total de clients mobilophonie

410.172 691.094 1.247.034 2.066.988 3.276.607 4.147.745

Nombre de lignes par 100 hab.

47,46 48,81 49,61 50,34 49,42 47,54

Temps moyen d’installation (en jours) (2)

9,5

Réparation dans les 24 heures (%

72

Page 159: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

159

moyen)

Lignes par employé

187,79 199,26 217,92 235,59 227,97 218,84

PERSONNEL :

Personnel total (équivalents temps plein)

25.634 24.915 23.203 21.827 22.200 22.296

(1) Source : Rapport annuel 2001; données de la Wireline Business Unit (téléphonie fixe)

(2) Il n’a pas été possible de trouver toutes ces données.

La vision qu’on peut en tirer c’est que, malgré la forte concurrence et l’ouverture complète du marché de télécommunications en 1998, l’entreprise a eu une croissance et des bénéfices soutenus (tableau 9) au cours de ces 6 dernières années et a gardé sa position de leader. Selon certains analystes ces bénéfices et cette situation de leader sont dus à des tarifs qui restent encore parmi les plus chers d’Europe ( Test Achats, 2001). Mais, d’autre part, il est indéniable qu’il y a eu un accroissement de l’efficacité et de la performance. Par exemple, les lignes par employé ont augmenté jusqu’à 1999 -quoique après cet indicateur ait un peu descendu- et l’amélioration permanente de la qualité des produits et services, toujours dans la logique d’améliorer le service au client.

Une évaluation qui a beaucoup d’importance, c’est l’évaluation de la satisfaction qu’ont les clients des services offerts par l’entreprise. Ces sont des évaluations faites tant par un consultant externe, à travers des enquêtes, que par l’entreprise elle-même, via des interviews téléphoniques réalisées tous les deux mois, en considérant tant la satisfaction du contact que la satisfaction du processus. Or, la satisfaction totale des clients quant aux services offerts par la Business Unit Wireline (téléphonie fixe et transfert des données), ces deux dernières années, peut être qualifiée comme positive, comme indiqué ci-dessous :

Satisfaction totale des clients B.U. Wireline (téléphonie fixe)30

2000 : 66%

2001 : 66% Source : Business Unit Wireline, Belgacom

L’objectif de satisfaction totale des clients à atteindre en 2002 est de 72 %.

Tout au long de ces années, nous avons constaté donc la mise en exécution des plans successifs de changement et/ou de restructuration, en tout genre, pour accroître toujours plus la performance de l’entreprise.

Enfin, il faut préciser que dans les entreprises belges et Européennes, il existe une catégorie spéciale de salariés appelée les cadres. Il s’agit d’une couche de professionnels hautement formés, capables d’assumer, pour quelques-uns, des responsabilités de direction (top management), pour d’autres, de prendre la direction de certains projets ou programmes spéciaux pour une certaine période, et pour certains, de rester simplement cadres ; en tout cas, c’est une catégorie de professionnels qui va au-delà des managers de la chaîne de direction 30 NOTE : Couleurs explicatives : Satisfaction du contact : < 73% : rouge Satisfaction du processus : < 68% : rouge 73%≤x < 75% : jaune 68% ≤x < 70% : jaune ≥ 75% : vert ≥70% : vert

Page 160: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

160

(lain management). Par contre, ni au Chili ni en Amérique latine, nous ne retrouvons pas cette catégorie de professionnels. Ce qu’on appelle ici les « ejecutivos » (managers) sont les professionnels investis de véritables responsabilités de direction (top management).

II.- LE CAS DE TELEFONICA-CTC (CHILI)

1.- LA SITUATION NATIONALE

Le Chili est une société en voie de développement rapide. Une société hétérogène où nous trouvons à côté de secteurs économiques et sociaux très en retard, des secteurs économiques et sociaux modernes, avec un développement rapide, avec la présence de nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Pays d’économie ouverte au marché mondiale, avec un développement économique en forte expansion depuis une quinzaine d’années (taux de croissance moyen de 7 % du PIB ces 10 dernières années, à l’exception des trois dernières), mais hétéroclite du point de vue social.

Qualifiée comme l’économie la plus solide d’Amérique latine, elle s’en sort bien même ces dernières années où la crise économique a frappé fortement dans la région latino-américaine. Le modèle économique qui prévaut est essentiellement néo-libéral et le partage des richesses très inégalitaire malgré la croissance économique et les efforts des nouveaux Gouvernements démocratiques. Il y a un PIB/hab. en croissance et un IDH que la situe au 38ème rang dans le ranking IDH (tableau 10), et parmi les deux premières de l’Amérique latine.31 Société qui a connu 17 années de dictature militaire forte et donc une polarisation sociale importante. Depuis 12 ans, la démocratie réapparaît mais lentement et difficilement. La société chilienne, à tous les niveaux, est encore aujourd’hui marquée par cette expérience historique ; elle a une forte stratification sociale et culturelle et les relations professionnelles sont difficiles et instables.

Il s’agit d’une République, avec un Président qui dispose de beaucoup de pouvoir, un Etat centralisé et un Parlement avec un fonctionnement démocratique « biaisé » dans la mesure où elle a un Sénat avec neuf sénateurs « désignés » (non élus). Il y a une coalition politique de centre-gauche, appelée « Concertation pour la démocratie», composée par la Démocratie Chrétienne (D.C.), le Parti Socialiste (P.S.), le Parti Pour la Démocratie (PPD) et le Parti Radical Socio-démocrate (PRSD), qui a dirigé la période post-dictatoriale avec trois Gouvernements successifs. Le dernier président de cette coalition, le socialiste R. Lagos, a été élu en janvier 2000, au moment où la droite politique avait obtenu un 47,5 % des voix. Malgré l’expérience dictatoriale et ses conséquences, nous constatons que la droite est restée une force politique très importante, et parmi laquelle la droite « pinochetiste » est la plus forte et la plus hégémonique. Il s’agit d’une société de culture latine.

Tableau 10

Chili : caractéristiques générales

Indicateur Unité 1996 1997 1998 1999 2000 2001

Population (1) millier 14.418 14.622 14.821 15.017 15.211 15.402

31 L’Etat du monde, Ed. La Découverte, 2002

Page 161: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

161

Développement humain (2) (IDH) (3)

0,848 0,880 0,891 0,891 0,844 0,826

Croissance annuelle (2)

% 4,5 8,5 7,2 6,6 3,3 -1,0

PIB/hab. (2) (PPA) (4)

dollars 8.380 9.060 9.520 11.700 12.730 8.787

Taux de chômage (1) (a)

% 6,5 6,1 6,1 9,7 9,2 9,2

Dépense de l’Etat en Education (2)

%PIB 2,9 2,7 2,9 2,9 3,1 3,6

(1) Source : INE (Instituto Nacional de Estadística), http:// www.ine.cl

(2) Source : L’Etat du Monde, Ed. La Découverte, Paris, 1996, 1997, 1998, 1999, 2000, 2001.

(a) Y compris la population de 15 ans et plus.

(3) IDH = Indicateur de développement humain: nouvelle méthode de calcul reconnue par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en 1990 ; ce nouvel indicateur intègre, dans une subtile pondération, trois statistiques socio-économiques : l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’éducation (à partir de taux d’alphabétisation des adultes et du taux de scolarisation) et le niveau de vie (produit intérieur brut par tête corrigé en parité de pouvoir d’achat).

(4) PPA = méthode des « parité de pouvoir d’achat » : les PIB-PPA sont obtenus en utilisant un taux de change fictif qui rend équivalent au prix d’un panier de marchandises; la méthode PPA permet ainsi une comparaison beaucoup plus rigoureuse du pouvoir d’achat dans les différents pays.

NOTE : les chiffres de l’Etat du monde ont, en général et pour chaque année, un décalage d'environ deux ans.

2.- TELEFONICA-CTC :

Nous présentons chronologiquement les faits les plus importants qui ont eu lieu dans un période d’environ 6 années. Nous distinguons 2 périodes, à savoir:

- la période de croissance et de changements en douceur (1996-1998)

- la période d’échecs, de conflits et de licenciements (1999-2001….)

2. 1.- Phase de croissance et de changements en douceur (1996-1998)

Il s’agit d’un ancien monopole qui est né comme entreprise privée et pendant longtemps est resté sous le contrôle de l’ITT (International Telephone & Telegraph Corporation). En 1971, lors du Gouvernement de l’Unité Populaire (de gauche), dirigé par S. Allende, cette entreprise avait été nationalisée et contrôlée par l’Etat à travers la CORFO (Corporación de Fomento de la Producción), une institution gouvernementale. Pendant la Dictature militaire, paradoxalement -pour des raisons de stratégie et de sécurité nationale- elle est restée sous le statut d’entreprise publique, toujours sous la tutelle de la CORFO, jusqu’à 1987, à cette date le Gouvernement militaire l’a privatisée encore une fois et c’est Bond Corporation (Australie) qui est devenu l’actionnaire majoritaire.

Page 162: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

162

Le Chili a été le premier pays de la région à privatiser ses services publics. Dans ce contexte de nouvelles lois ont été approuvées, de 1982 à 1987, pour privatiser d’abord les services de communications téléphoniques locales et de longue distance. « Pendant les années 70, le Royaume-Uni a joué un rôle de pionnier dans les privatisations des services publics. En Amérique latine, c’est le Chili qui a commencé, suivi dans les années 90, par l’Argentine et le Mexique » (Bitrán et Serra, 1996, p.144).

En 1990, Telefónica d’Espagne achète les actions à Bond et devient le principal actionnaire avec 42,8% des actions et à partir de cette année là, elle fait les transactions de leurs actions à la Bourse de New York (NYSE). Aujourd’hui, c’est une entreprise complètement privée. Le Groupe Telefónica d’Espagne est le neuvième groupe mondial de télécommunication et le cinquième groupe opérateur Européen dans le secteur.

Au cours de cette période, la propriété privée de l’entreprise n’a pratiquement pas changé. La distribution de la propriété parmi ses actionnaires les plus importants est la suivante:

Telefónica (Espagne) : 43,6%

AFPs (Associations de Fonds de Pensions) : 23,2%

Citibank N.A. : 22%

Autres : 8,1%

En 1994, le réseau de la CTC avait été 100% digitalisé, en étant parmi les premières au monde. La même année, la Loi générale des Télécommunications a été modifiée et, parmi les changements, le système multi-porteur (multi carrier) est instauré pour la téléphonie de la longue distance et internationale en stimulant déjà une forte concurrence dans ce secteur de la téléphonie.

En 1995, la CTC devient un opérateur universel des télécommunications, elle crée la société de téléphonie mobile Startel et développe la TV câble. Dans le cadre d’une réorganisation, allant de pair avec la décentralisation et l’approche plus ciblée vers le client, elle crée 10 Administrations Zonales (« Gerencias Zonales »).

En 1996, il y a 8 compagnies dans la téléphonie fixe de longue distance, mais seulement trois ont leurs propres réseaux. Cependant CTC était, de loin, leader de la téléphonie fixe. Cette année voit aussi la construction du réseau de fibre optique de CTC Mundo -filiale de CTC pour la longue distance -, la plus longue du pays, rejoignant le Nord jusqu’au Sud du pays avec des connexions vers l’Argentine et le Pérou. CTC Mundo participe dans le Consortium Panamericain qui veut installer un câble sous-marin unissant la côte du Pacifique de l’Amérique latine au Caraïbe (St. Thomas). La téléphonie mobile (« celular ») a fait, en 1996, une expansion extraordinaire au pays et CTC introduit au marché la première carte de pré-payement (« tarjeta de prepago ») Amistar.

1996 est l’année d’une négociation collective biannuelle réussie et le début d’une pratique de dialogue social sur base de l’Accord de Confiance (ABC) signé en 1995.

En 1997, un important processus de rationalisation de la GRH est réalisé, c’est le nouveau Système Corporatif de Poste (« sistema corporativo de cargo ») mis en œuvre et qui a reclassé tout le personnel ; 1500 postes furent réduits à 200 postes pour toute l’entreprise. Parallèlement, il fut créé, corrélé avec le nouveau système de postes, un nouveau système de rémunérations. Tout ceci a signifié un énorme travail de rationalisation et de modernisation du système de postes.

CTC élargit son travail à la dernière région du pays qui lui manquait et devient le seul opérateur avec une couverture nationale en télécommunications. La croissance en général,

Page 163: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

163

notamment de la téléphonie mobile, est en pleine expansion et les investissements sont énormes.

Dans le cadre d’un Projet de Changement de l’entreprise, deux programmes spécifiques ont été mis en route, à savoir : - le Programme de « Réaménagement de processus d’affaires » et – le Programme de la « Qualité Totale ». Pour le premier, le Cabinet-Conseil BDA (Business Dessign Associates)32 a été sollicité, et pour le deuxième le consultant « Ballester y Asociados », dont le siège est en France. Ces programmes se sont développés au cours de plus ou moins deux ans.

Ces deux programmes avaient pour objectifs de susciter un changement de mentalité des employés pour permettre une meilleure attention et une plus grande satisfaction des clients, un meilleur contrôle des investissements et une plus grande création de la valeur dans le processus du travail pour améliorer la qualité des produits et des services. Dans le programme de « Réaménagement de processus d’affaires » (appelé programme BDA), d’abord, 16 jeunes cadres (« ejecutivos ») ont été formés pour impulser le processus et, au total, 1.397 personnes ont participé aux ateliers spéciaux de formation réalisés à ce propos. Pour le programme de la qualité totale, plus de 200 comités ont été constitués pour identifier et résoudre les aspects qui, effectivement, ne permettaient pas d’apporter de la qualité. Tout ceci a impliqué la constitution d’une structure spéciale pour mener à bien ce processus, la gérance de la qualité totale (« gerencia de calidad») et le programme BDA était sous la responsabilité d’une Vice-présidence.

En 1996, commencent les Plans de retraite anticipée volontaire, proposés aux personnes qui avaient l’âge et l’ancienneté requises dans l’entreprise.

En 1998, d’autres faits vont caractériser encore cette période. Une nouvelle négociation collective a eu lieu et l’accord collectif a signifié une augmentation des rémunérations des travailleurs de 2,5% à partir de la même année et l’établissement d’un délai de 4 ans pour les négociations collectives futures de la compagnie.

D’autre part, une décentralisation et un réaménagement organisationnel se produit avec la création de 38 Centres d’Affaires dans tout le pays pour être plus près du client. Ce processus va entraîner la décentralisation du Département des Ressources Humaines puisqu’une partie de leur personnel - aux alentours de 70 personnes- sera décentralisée vers les Centres d'Affaires régionaux.

Enfin et pour la première fois depuis des années, l’entreprise accuse une chute importante des résultats par rapport à l’année précédente mais qui ne sont pas encore négatifs.

L’année 1998 marque la fin des bénéfices et de la paix sociale, la fin de « l’âge d’or » de l’entreprise.

2. 2.- Période d’échecs, de conflits et de licenciements (1999-2001…)

C’est une période très difficile et bouleversante pour l’entreprise. La crise économique asiatique a eu des répercussions en Amérique latine et a frappé de plein fouet l’économie chilienne. Le taux de croissance est descendu fortement (environ 4% en moyenne pour cette période dans une économie qui était habituée à une croissance de 7% en moyenne) et le chômage arrive presque à deux chiffres pour la première fois depuis plus d’une décennie. L’inversion dans la compagnie commence à décroître de façon significative, « cette compagnie investissait plus de 600 millions de dollars par an, et elle a investi maintenant 250 à 300 millions de dollars par an. Evidemment aucune entreprise qui baisse son inversion ne

32 Entreprise dirigé par F. Flores, expert chilien en management et communication, formé aux E.U.

Page 164: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

164

peut maintenir la quantité de professionnels qu’elle avait auparavant, c’est la raison principale de l’ajustement de cette année » (le président de l’entreprise).

Les lignes en service de la téléphonie fixe ont diminué de 2,2% pendant cette première année, par contre, la téléphonie mobile est à sa période de plus grande expansion.

L’année 1999 est la première année de pertes financières pour l’entreprise.

Cette même année, entrera en vigueur le nouveau « Décret tarifaire » (« decreto tarifario ») dicté par la SUBTEL (Sous-secrétariat des Télécommunications, branche du Ministère de Communications et de Transport) - décret renouvelé chaque 5 ans- qui fixe les prix et les mécanismes de la téléphonie nationale et qui, d’après le management de l’entreprise, était beaucoup plus contraignant et discriminatoire contre l’opérateur historique.

En 1999, le Gouvernement a instauré un nouveau système de paiement pour la téléphonie mobile nationale, appelé « Celui qui appelle doit payer » (« Quien llama paga »), qui favorisera encore plus l’expansion de celle-ci.

De même, Telefónica-CTC a mis en œuvre différentes initiatives avec le but de réaménager ses affaires dans le cadre du nouveau Décret tarifaire et de la forte concurrence à travers la diminution des coûts et l’amélioration de l’efficience. McKinsey Consultants est appelé pour faire une étude et proposer des solutions. Deux projets sont proposés : le projet d’Analyse de la Valeur des Activités (AVA) et le projet d’Analyse de Rationalisation des Postes Directifs (SPAN). Le projet de réingénierie AVA tenait à une révision exhaustive de tous les processus administratifs et d’appui de l’entreprise avec l’objectif d’éliminer toutes les activités à faible valeur ajoutée de façon à diminuer les coûts. Le projet SPAN avait pour but de rationaliser la quantité de managers (« ejecutivos ») et d’ajuster aux normes internationales le nombre d’employés subordonnés à un manager. Cette étude conseillait donc une restructuration organisationnelle et une diminution du personnel. Par la suite, à peu près 300 personnes seront concernées, ce qui constituera le premier licenciement important de l’époque.

La nouvelle structure organisationnelle comportera trois différentes aires, à savoir : le Centre de direction, les Unités d’affaires et les Unités de Services centraux ou d’appui, avec pour but de faciliter le processus de prise de décisions.

En 1999, l’entreprise change de nom par proposition de son actionnaire majoritaire espagnol : CTC devient Telefónica-CTC.

Entre août 1999 et février 2000, des Plans de retraite anticipés ont été mise en œuvre avec encore des avantages économiques.

Cette même année est achetée l’entreprise SONDA, spécialisée en informatique et multimédias, qui comptait 2.024 employés. D’autre part, c’est le début de l’étude et l’implantation partiel d’un système de gestion par compétences.

Dans cette période le rapport entre la direction et les syndicats s’est fortement détérioré, notamment à cause des plans de retraite. Dans ces départs (« desvinculaciones ») une partie du personnel du département des ressources humaines est aussi concerné. A la fin 1999, le Vice-président des Ressources Humaines de l’entreprise démissionne, personnalité qui a joué un rôle important pendant 6 ans.

En 2000, la pénétration de la téléphonie mobile a atteint 22,5%, dépassant la téléphonie fixe. Cette année, à nouveau CTC enregistre des pertes qui atteignent 199 millions de US$.

En 2001, deux faits majeurs caractérisent la première moitié de l’année. En avril la nomination d’un nouveau Président qui reçoit les pleins pouvoirs pour redresser la situation financière de l’entreprise. Deux mois plus tard (juin 2001) a lieu le plus grand licenciement de

Page 165: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

165

la compagnie (1.600 personnes), qui a provoqué le plus fort choc jamais ressenti auparavant par le personnel. Les rapports direction-syndicats sont à leur niveau le plus critique.

Après le dernier licenciement, l’heure est, autant qu’on peut le dire, à la réorganisation et à la difficile reprise d’un nouveau climat de confiance et de paix sociale interne. Parallèlement, il faut augmenter l’efficacité et améliorer les méthodes de travail pour garantir des résultats satisfaisants à la fin de l’année. Le mot d’ordre c’est revenir le plus vite aux « chiffres bleus », c’est-à-dire à avoir des bénéfices.

En août 2001, le Département des Ressources Humaines est divisé en deux parties. La division plus opérationnelle, a fusionné avec d’autres divisions pour constituer une nouvelle filiale autonome appelée Telefónica Gestion de Servicios Compartidos Chile S.A. ( « T-Gestiona »), c’est-à-dire, une entreprise de gestion des services partagés, spécialisée, qui peut offrir aux clients qui font partie du Groupe Telefónica au Chili des services professionnels dans les domaines de la comptabilité, de la logistique, de la sécurité, de l’administration de fonds, de la gestion immobilière, de la gestion des ressources humaines, notamment.

Cette opération de filialisation dont l’objectif est la recherche de synergies et des bénéfices d’échelle, c’est un autre pas vers une stratégie suivie par Telefónica Espagne dans toute la région. Ainsi, « ATENTO » est une nouvelle entreprise créée pour développer globalement les affaires des services des Call Centers en Amérique latine, c’est-à-dire au Chili, Argentine, Brésil, Colombie, Pérou, El Salvador, Guatemala et Puerto Rico ; elle a été créée au Chili en 1999. De même, en 1999 a été créé au Chili la filiale « TERRA Networks » (avant « Telefónica Interactiva »), entreprise d’Internet qui offre aussi des services sur le commerce électronique, la publicité, les contenus interactifs en espagnol et portugais. Elle appartient au réseau constitué par le Brésil, l’Argentine, le Mexique, le Pérou, le Guatemala et l’Espagne.

Au niveau du personnel, il y a eu une diminution de 17% par rapport à l’année 2000 et un nouveau Vice-président des R.H. est nommé. Arrivée de l’extérieur, c’est une personne amenée par le nouveau Président.

A la mi-2002, les négociations collectives n’ont abouti à rien et une forte grève nationale est déclenchée.

3.- QUELQUES RESULTATS ECONOMIQUES ET INDICATEURS DE PERFORMANCE ET DE QUALITE

Nous présentons quelques chiffres qui rendent compte de la santé économique et des indicateurs de performance et de qualité de l’entreprise, comme nous l’avons fait pour le cas antérieur. Ces données serviront de points de repères pour compléter des informations utiles pour une vision plus complète et plus riche de l’entreprise.

Tableau 11

Données économiques, de performance et qualité (1) D. FINANCIERES

(millions EUR)

1996 (2) 1997 1998 1999 2000 2001

Page 166: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

166

(*)

Chiffre d’affaires

1.069 1.208 1.389 1.521 1.447 1.481

EBITDA 601 718 745 576 512 639

Bénéfice de l’exercice (par le groupe)

297 318 239 (- 90) ( - 195) 7

EFFICIENCE ET QUALITE :

Nombre total de lignes en service

2.056.353 2.393.707 2.649.786 2.592.397 2.700.536 2.723.310

Nombre total de clients mobilophonie (3)

176.890 261.199 792.570 1.878.483 2.094.559 1.570.087

Nombre de lignes par 100 hab.

14,3 16,2 17,6 17,0 17,5 17,4

Temps moyen d’installation (en jours)

55,4 38,6 35,4 15,4 4,3 5,7

Réparation dans les 24 heures (% moyen)

71,39 61,16 71,87 75,16 72,45 62,43

Lignes par employé

291 347 383 459 582 845

PERSONNEL :

Personnel total (équivalents temps plein)

8.982 8.802 8.985 9.933 9.250 7.720

(1) Source : Rapport annuel 2001, Telefónica-CTC

(2) Source : Rapport annuel 2000, Telefónica-CTC (pour les données de 1996).

(3) Clients de la téléphonie mobile et mobile de pre-paiement

(*) Taux de change : 1 US$ = 654,79 $ chiliens, au 31/12/01 ; 1 US$ = 1,0854 EUR, au 23/05/01.

Dans cette période, nous constatons des pertes d’utilités en 1999 et 2000 et une baisse de l’EBITDA (tableau 11), ce qui signifie deux années de crise financière suivie d’une année 2001 marquée seulement d’une faible amélioration. La croissance de la téléphonie fixe tend à ralentir les dernières années, par contre, la téléphonie mobile continue sa percée. Quant aux indicateurs de performance et de qualité, tels que le nombre de lignes par 100 hab., le temps moyen d’installation et de lignes par employé, ils ont connu, en général, une amélioration extraordinaire de leurs performances. Par contre, nous constatons une chute ces deux dernières années pour les réparations dans les 24 heures (72,45%, en 2000, et 62,43% en 2001).

D’autre part, nous avons considéré l’évaluation de la satisfaction des clients, notamment face aux services offerts par l’entreprise, un indicateur très important parce qu’il reflète la perception des clients auprès de l’entreprise. Or, si nous considérons seulement ces deux

Page 167: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

167

dernières années, la satisfaction des clients a diminué en 2001 par rapport à l’année précédente, comme l’indique le tableau ci-dessous.

Satisfaction des clients en téléphonie fixe locale33

2000 : 60%

2001 : 58,7% Source : Unité d’affaires téléphonie fixe local, Telefónica-CTC

Ces évaluations sont faites par une entreprise spécialisée externe sur base des échantillons mensuels. L’objectif étant un 65% de satisfaction avec la cote 7.

Dans le cas de Telefónica-CTC, nous avons aussi observé des plans successifs de changements et de diminution de personnel- dont nous avons fait mention des plus importants- et un effort permanent pour améliorer chaque fois plus la productivité et la performance de l’entreprise.

En général, il s’agit de deux anciens monopoles, soumis chacun à une forte concurrence et à une régulation de la part de l’Etat pour éliminer la situation de monopole et permettre une concurrence plus équilibrée. Pour rester dans leur position de leadership dans leur secteur économique, ces entreprises ont dû mettre en oeuvre plusieurs plans de restructuration, elles ont perdu une partie du marché, elles ont été forcées à développer plusieurs plans de changements et à développer un management innovant pour rester compétitives et leaders dans leur secteur.

33 Ce système de méditions a une ponctuation entre 0 et 7 ; dont 0= mauvais et 7= excellent. Le pourcentage est calculé seulement en considérant la cote 7 et l’insatisfaction avec les cotes inférieures à 4. L’objectif étant un 65% de satisfaction avec la cote 7.

Page 168: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

168

CHAPITRE VI

LE CAS DE BELGACOM

Ce chapitre est consacré à l’étude du cas de l’entreprise de télécommunications belge. Les deux premières sections décrivent les éléments du contexte (externe et interne) susceptibles d’influencer le processus de changements observé au niveau de GRH, DRH et M au sein de l’entreprise. La troisième section décrit l’évolution des pratiques de GRH, des rôles des DRH et des modèles de management, eux-mêmes, au cours de la période observée (environ 6 années). La quatrième section analyse ces changements sur base des 6 axes de transformation proposés dans notre cadre d’analyse. Enfin, la dernière section est consacrée à l’explication des jeux des acteurs qui, sur base de leur interprétation et de la mobilisation qu’ils font du contexte, agissent sur les changements des pratiques de GRH, des rôles des DRH et du

Page 169: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

169

management. L’analyse de cette dernière section sera faite sur base de la dernière hypothèse énoncée dans notre cadre théorique d’analyse.

Dans un premier temps, nous privilégions une approche contingente d’analyse et, dans un deuxième temps, une approche politique.

Lorsque cela nous paraîtra utile, nous introduirons dans ce chapitre ( comme dans le suivant) des éléments de comparaison avec le cas français. Nous avons étudié -rappelons-le- partiellement le cas français pour vérifier si les changements que nous analysons y étaient si différents du cas belge dans la mesure où ces entreprises sont semblables du point de vue de leur statut et leur actionnaire principal.

Section I : CONTEXTE EXTERNE

L’entreprise de télécommunications étudiée fait partie de la catégorie d’ « entreprise universelle » : elle s’adresse à tous les segments de marché : particuliers, PME, grandes entreprises, multinationales travaillant en Belgique et ailleurs. Elle offre la téléphonie fixe, la téléphonie mobile, le transport des données, les connexions à internet, au niveau national et international.

Il s’agit ici de découvrir les évolutions qui se sont produites dans cet environnement.

Nous décrirons le contexte externe au travers des variables suivantes : le marché des biens et services (ou des télécommunications), les modèles de relations professionnelles et le système politique, le marché du travail et la législation sociale et, enfin, la culture nationale.

1.- Le marché des biens et services

Nous relevons deux processus importants qui se sont produits récemment: la régulation34 et l’ouverture du marché des télécommunications. Nous ajoutons, enfin, un bref aperçu du développement technologique.

1. 1.- La régulation du marché

Il s’agit d’un marché relativement jeune qui a passé brutalement, en à peu plus de dix années, d’une situation de monopole à une situation de partage concurrent tant en Belgique qu’en Europe occidentale en général.

Le monopole naturel avait été justifié auparavant par la nécessité d’atteindre des économies d’échelle pour financer la construction de l’infrastructure et développer l’industrie.

Tant l’Union Européenne que les Etats nationaux ont décidé de mettre fin à cette situation de monopole en ouvrant les marchés. Cette décision politique devait être accompagnée d’un dispositif réglementaire et régulateur de toute première importance. Il comprend, d’une part, les directives Européennes et, d’autre part, les lois, les arrêtés et les décrets cohérents au niveau national.

34 Régulation dans le sens où, tout en ouvrant le marché, on a instauré des institutions (IBPT, Commission antimonopole,…) dont le rôle est de contrôler et réguler le fonctionnement de ce marché. Il est vrai que, en général, nous pourrions parler aussi de dérégulation du marché, cependant il faut constater qu’il y reste une régulation.

Page 170: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

170

Les premiers jalons importants ont eu lieu déjà à la fin des années 1980 avec la publication du Livre Vert sur les équipements et services des télécommunications (1988), la publication du premier rapport sur la situation du secteur des services de télécommunications (1992), la directive sur l’ouverture du marché Européen et la libéralisation des services à valeur ajoutée (1993), des nouveaux Livres Verts sur l’utilisation des infrastructures publiques de télécommunications, de télévision par câble et les communications mobiles personnelles (1995), tout ceci au niveau Européen. Au niveau national, la loi sur la réforme des entreprises publiques donne lieu aux entreprises publiques autonomes (EPA) (1991), à la mise en place d’un organe institutionnel chargé de la régulation et du contrôle, l’Institut belge des services Postaux et des Télécommunications (IBPT) (1993), notamment.

Dans ce contexte de forte discussion politique sur la transformation des entreprises publiques, entre ceux qui voulaient privatiser purement et simplement et ceux qui défendaient leur caractère public tout en les modernisant, un type sui generis d’entreprise est créé: d’abord, l’entreprise publique autonome, la S.A. de droit public ensuite. A la différence de l’Angleterre, cela a été le cas en Belgique et en France, parmi d’autres pays.

L’année 1998 a été un jalon important parce que les marchés belges et Européens des télécommunications ont été entièrement ouvertes à la concurrence. Cette libéralisation poursuivait des objectifs tels que, au niveau économique, permettre un développement plus large du secteur par le biais d’une concurrence ouverte et à égalité des conditions ; au niveau social, offrir et garantir à tous les utilisateurs un meilleur service et permettre à tous d’accéder aux bénéfices et aux progrès de la société de l’information. Une libéralisation progressive est proposée, sans oublier le rôle social auprès des citoyens.

Au cours de l’année 2000, la Commission Européenne a adopté un cadre réglementaire concernant le fonctionnement du marché de télécommunications, parmi lesquels se trouvent : une directive relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et les services de communications électroniques ; une directive relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques ; une directive concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et des services de communications électroniques, etc. Par ailleurs, les Chefs d’Etat et de Gouvernement ont décidé (Lisbonne) un « Plan d’action d’Europe2002- Une société de l’information pour tous » dans lequel ils s’engagent à favoriser, avant la fin de l’année 2000, l’accès au réseau local de télécommunications et le dégroupage de la boucle locale ainsi que, avant la fin 2001, l’adoption d’un « paquet » réglementaire des communications électroniques.35

Au niveau national, les principales modifications apportées au cadre réglementaire se rapportent à : - la portabilité du numéro ; - un nouveau régime pour les équipements ; et - l’introduction du dégroupage de la boucle locale et de l’accès au débit binaire, ceci dans la ligne de la directive Européenne respective.

L’arrêté sur la portabilité du numéro oblige tous les opérateurs à offrir la portabilité du numéro à leurs abonnés, c’est-à-dire de conserver leur numéro géographique ou non géographique lorsqu’ils changent d’opérateur. L’arrêté sur le dégroupage de l’accès à la boucle locale stipule que tout opérateur puissant –par conséquent Belgacom- est tenu de publier une offre de référence permettant un accès totalement dégroupé ou un accès partagé à la boucle locale ; autrement dit, ceci oblige l’opérateur puissant à négocier l’utilisation, par les opérateurs concurrents qui le demandent, du dernier circuit physique qui relie les locaux du client aux dispositifs de Belgacom (les derniers mètres de câble de cuivre) pour que ces opérateurs concurrents puissent aussi offrir leurs services aux clients.

35 Rapport d’activités, IBPT, 2000.

Page 171: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

171

Toutes les nouvelles entreprises ont donc la possibilité de concurrencer dans tous les domaines l’ancien monopole.

1. 2.- La concurrence

L’ouverture du marché a entraîné l’arrivée de nombreux opérateurs nouveaux de télécommunications et l’introduction rapide de nouvelles technologies, à un coût de plus en plus accessible à une majorité de la population et avec une meilleure qualité dans le service offert aux utilisateurs.

Le secteur est donc marqué par la convergence de plusieurs facteurs tels que : l’émergence d’un environnement plus concurrentiel par l’affluence des entreprises nouvelles, l’évolution rapide des nouvelles technologies, la multiplication de formes nouvelles d’accès aux sources d’information et l’explosion des besoins de communication en même temps que les exigences de bons services des utilisateurs.

En tenant compte que les réseaux publics de télécommunications (opérateurs), nous observons que si en 1996 il y avait un seul opérateur (Belgacom, en étant encore monopole), pour l’année 2001, le pays compte 49 entreprises concurrentes. Ajoutant encore d’autres services liés aux télécommunications, le nombre augmenterait encore exponentiellement. Par ailleurs, au niveau seulement des entreprises de la téléphonie mobile, elles ont progressé de deux, en 1996, à trois, en 2001 (tableau 12).

Tableau 12

Nombre d’entreprises du secteur des télécommunications (*)

1996 1997 1998 1999 2000 2001

Entreprises tel. fixe

1 9 21 32 45 49

Entreprises tel. mobile

2 2 2 3 3 3

(*) Source : Rapports annuels, Comité Consultatif pour les télécommunications, 1996, 1997, 1998 1999, 2000, 2001, IBPT, Belgique

Dans la téléphonie fixe, face à quelques concurrents nationaux notamment Telenet Vlanderen en Flandres, la plupart des concurrents sont des opérateurs étrangers ou plutôt des filiales de certains opérateurs étrangers importants qui veulent être présents en Belgique, tels que : BT Worldwide, Worldcom, Codenet SA, Mobistar SA, etc. Les trois opérateurs de téléphonie mobile sont : Proximus (filiale de Belgacom, ( 75%) et Vodafone, (25%) ; Mobistar (filial de FranceTélécom) et BASE ( KPN Orange, jusqu’en janvier 2001). « Fin de l’année 2000, 39 opérateurs se sont vus accorder une licence de réseaux publics et 33 une licence de téléphonie vocale, 22 opérateurs détiennent à la fois une licence de réseaux publics et de téléphonie vocale. La Belgique compte en outre 31 réseaux non publics, 19 fournisseurs de lignes louées et de nombreux autres fournisseurs ou revendeurs de services de télécommunications » (IBPT, 2000, p.9).

Nous percevons aussi la croissance du marché de télécommunications à travers le taux de pénétration de la téléphonie. Nous observons, ces dernières années, une extraordinaire croissance du taux de pénétration notamment en téléphonie mobile qui est passé d’un 5% en 1996 à 75% en 2001, celle-ci a supplanté la téléphonie fixe ces dernières années. En ce qui concerne la téléphonie fixe, son taux de pénétration a augmenté jusqu’à l’année 2000. A partir de 2001, la densité par habitant a chuté, même s’il reste encore parmi le taux de pénétration les plus bas de l’U.E., suivi seulement par l’Espagne et le Portugal. En 1996, le nombre total

Page 172: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

172

de raccordements en Belgique était de 4.818.138 ; par contre, en 2001, le nombre de raccordements au réseau téléphonique (PSTN et RNIS)36 est de 5.133.128. Cependant le nombre total a baissé de 3% par rapport à l’année antérieure. Cela indique le plafonnement auquel est en train d’arriver la téléphonie fixe en Belgique.

Pour ce qui est des connexions Internet nous observons aussi une croissance importante. Tandis qu’au début 1996 il n’y avait que 164.889 connexions à Internet, à la fin de l’année 2001 nous arrivons à 1.424.516 connexions actives. Il faut préciser que ces chiffres sont encore approximatifs par la difficulté qui pose la saisie de ces données. Le chiffre de l’année 2000 considère un nombre important des connexions inactives tandis que celui de l’année 2001 comporte que des connexions actives. Il faut garder à l’esprit que le nombre de connexions ne correspond pas exactement au nombre d’utilisateurs ; une connexion peut être utilisée par plusieurs utilisateurs, tandis qu’un même utilisateur peut avoir accès à différentes connexions (tableau 13).

Tableau 13

Taux de pénétration de la téléphonie fixe, mobile et connexions Internet (*)

1996 1997 1998 1999 2000 2001

Taux de pénétration tel. fixe (%)

47,4 48,5 _ 51,1 51,7 49,9

Taux de pénétration tel. mobile (%)

5 9,6 17,2 31,2 55 74,8

Nombre de connexions Internet

164.889 200.000 207.277 735.303 2.326.268 1.424.516

(*) Source : Rapports annuels, Comité Consultatif pour les télécommunications, 1996, 1997, 1998, 1999, 2000, 2001, IBPT, Belgique

L’évolution du prix d’une conversation téléphonique au niveau national est à la baisse en Belgique. Ces tarifs ont baissé de 76% grâce à une reforme des prix entamée par Belgacom en octobre 2000 qui a créé une grande zone unique, dans l’U.E. la baisse a été de 46%. Après cette reforme la Belgique est passé de la 13ème place à la 5ème place dans le classement de l’U.E.

En tant que prestataire du service universel, Belgacom est obligé de maintenir au moins 10 postes téléphoniques publics en moyenne par 10.000 habitants dans chaque province et au moins 14 postes téléphoniques par 10.000 habitants dans le pays. Depuis l’année 2000, en plus, Belgacom est tenu de prévoir au moins une cabine publique dans chaque ancienne commune (Rapport Comité Consultatif, 2001).

36 PSTN = Public Switched Telephone Network. Il s’agit du réseau tépéhonique public commuté regroupant les lignes analogiques et les lignes numériques des utilisateurs. RNIS = Réseau Numérique à Integration de Services ; ISDN en anglais. Il s’agit de réseaux de télécommunications entièrement numérisés, capables de transporter simultanément des informations représentants des images, des sons et des textes. Rapport annuel 1998, Belgacom.

Page 173: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

173

Le retard qu’a eu la Belgique dans son taux de pénétration de la téléphonie en général, par rapport aux autres pays Européens (France, Allemagne, Pays Bas), a stimulé l’arrivée de nombreux opérateurs étrangers ; une autre raison qui explique la concurrence acharnée, surtout à partir de 1998.

Cette concurrence a provoqué ces dernières années une perte de part de marché pour Belgacom, notamment dans la téléphonie fixe nationale et internationale. Le monde résidentiel reste avec un peu plus de 90% du marché. « En 1999, Belgacom comptait 5.148.000 lignes fixes. Il gère encore 4.875.000 lignes aujourd’hui, soit une diminution de 6% environ » (Jennotte, 29/3/02). Au sein de l’Europe « c’est en Belgique que la concurrence est parmi les plus forte. Il y a en Belgique 4 full opérateurs par million d’habitants, 3,4 en Angleterre et 2 en France. Néanmoins, Belgacom est parmi les anciens opérateurs historiques Européens, un de ceux qui concèdent le moins de parts de marché à ses concurrents », affirmait un rapport de Stats platform telecom operators (Rapport annuel 2001, Belgacom, p.18).

Bien qu’il y ait déjà eu une concurrence au début des années 1990, notamment dans la transmission des données chez les « gros » clients professionnels, celle-ci est maintenant perçue, par les acteurs de l’entreprise comme beaucoup plus aiguë. « Au niveau du nombre d’opérateurs il y a une concurrence forte. Si vous voyez le nombre d’opérateurs sur le marché indiscutablement il y a une concurrence forte. Par exemple, ils sont ici tous les opérateurs des pays limitrophes…La concurrence en data communications est là depuis plus ou moins 1993 mais Belgacom se porte bien dans ce marché data…. Au niveau du trafic, je crois que nous avons perdu 25% du trafic international, que nous avons plus ou moins 85% du trafic national et 75% du trafic international. Nous avons 80% des clients qui font le trafic data. Grosso modo nous avons gardé 4/5 du marché pour le moment…Au niveau de la partie mobile (Proximus) où nous avons plus ou moins 75% du marché et chez Skynet, la partie Internet, 40% du marché » ( un directeur).

La concurrence a permis l’amélioration constante de la qualité des produits et des services offerts par les compagnies et la diminution relative des prix pour l’utilisateur de la téléphonie fixe et mobile.

Ces dernières années (2000, 2001, début 2002) compte tenu des bouleversements du marché international, le marché de télécommunications est devenu plus concurrent et instable. Il y a eu des pertes, des endettements énormes, des faillites; certains filiales ont disparu (SCOOT Belgique, etc.), d’autres ont eu des difficultés économiques (KPN Orange, etc.).

1.3.- L’évolution de la technologie

Ce secteur en étant au centre de la révolution des technologies de l’information et de la communication (TIC), est en perpétuelle évolution technologique et les investissements ont été importants. Il y a peu, une substitution rapide de la téléphonie fixe par la téléphonie mobile (GSM) était annoncée. L’apparition de l’ADSL, qui permet une connexion rapide à Internet, a conduit de nombreux internautes à conserver une ligne fixe. D’après Data News, si à la fin 1999 il y avait 1.000 raccordements ADSL en Belgique, en 2000 il y en avait déjà 43.810 et au début de 2002, 312.000 raccordements (Rapport annuel 2001, Belgacom, p. 20). Si les technologies WAP (Wireless Application Protocol), GPRS (General Packet Radio Service), UMTS (Universal Mobile Telecommunication Service)37 sont apparues il n’y a pas

37 WAP : nouveau protocole permettant de transformer la téléphonie mobile en terminal Internet et multimédia ; GPRS : norme de téléphonie mobile de 2ème. génération, elle permet d’accéder directement à Internet et d’échanger des données avec des débits 18 fois supérieures à ceux du GSM ;

Page 174: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

174

si longtemps et si leur utilisation n’est même pas encore complètement répandue, de nouvelles normes se profilent. La convergence fixe-mobile relie progressivement les uns aux autres - avec fil et/ou sans fil- tous les systèmes informatiques et de télécommunications ; à la longue, téléphone fixe, mobile, PC, télévision, Internet, chaîne Hi-Fi, webcam, appareil photo, etc. ne formeraient plus qu’un seul et même outil d’information et de communication. Ainsi, s’il y a encore 8 ans presque toute l’activité des opérateurs historiques était focalisée dans la téléphonie fixe vocale, c’est-à-dire dans le transport de la voix, aujourd’hui ces mêmes entreprises non seulement transportent mais aussi créent, traitent et stockent non seulement de la voix mais aussi des données, du texte et de l’image. C’est le passage de la voix à l’e-entreprise avec tout le changement du métier qui cela entraîne (Rapport annuel, Belgacom, 2001). Depuis quelques années, « les télécommunications sont passées d’un environnement orienté vers la technologie et tiré par l’offre à un environnement orienté vers les applications et tiré par les utilisateurs » (Brouwers, Cornet, Pichault et al., 1995, p. 103).

Sous la pression de la concurrence, les entreprises de télécommunications ont amélioré la qualité et la diversité de leurs produits et services offerts aux clients, à des prix abordables pour augmenter leurs ventes. Mais en même temps, c’est un processus qui demande beaucoup d’innovation et d’investissement financier.

« Quand nous introduisons de nouveaux produits comme ceux dont j’ai parlé [Wireless Lan, GPRS, UMTS, etc.] il y a des coûts d’investissements qui sont importants…Quand ils sont commercialisés ils génèrent une marge mais le produit n’est pas profitable du premier jour, probablement même pas de la première année, mais il faut le faire quand même parce que c’est une technologie qui va aider les utilisateurs à être plus efficaces, nous devons donc la mettre en œuvre, c’est donc de l’innovation…. En introduisant des nouveaux produits et des nouveaux services, en étant innovants, nous diminuons de facto nos marges bénéficiaires…Donc, tout en étant innovants nous devons faire des économies, parce qu’en particulier l’activité historique hautement bénéficiaire a atteint un degré de saturation et de nouveaux moyens de communications substituent la téléphonie fixe…Vous voyez le cercle où nous sommes, le « cercle infernal » où tout nouvelle technologie cannibalise l’ancienne et l’ancienne étant plus profitable que la nouvelle… » (un président d’une Business Unit).

Avec la libéralisation totale du marché de télécommunications la forte concurrence a forcé l’innovation technologique. Nous avons vécu, rappelons-le, l’effervescence pour la « nouvelle économie », les « gourous » de la « nouvelle économie » pronostiquaient une croissance rapide des achats sur internet. La prolifération des opérateurs et des services a eu lieu parce que ceux-ci espéraient des gains rapides sur les ventes et la publicité on-line. Nous avons vu le boom des télécommunications et, notamment, des technologies de l’information et de la communication (TIC). Cependant, ces derniers temps, la bulle de la nouvelle économie a explosé et l’évolution reste incertaine ; plusieurs entreprises de télécommunications et des TIC sont tombées en faillite et quelques autres ont de fortes dettes et de situations financières très préoccupantes.

Quoi qu’il en soit, suite à des décisions politiques des Etats et de la C.E., il y a dans ce secteur des changements spectaculaires. D’une situation de monopole, encore en 1996, le marché est passé aujourd’hui à une situation de concurrence acharnée (49 opérateurs), concurrence soumise à une stricte régulation de la part de l’Etat (IBPT), donnant donc à un type de marché très concurrent et hostile.

• Le marché des télécommunications en France

UMTS : système de télécommunication mobile de 3ème génération capable de fournir des services multimédias de très haut débit.

Page 175: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

175

Dans ce marché il a eu, en général, une évolution aussi spectaculaire. L’ouverture du marché des télécommunications, effective en France depuis janvier 1998, a permis l’apparition de nombreux nouveaux opérateurs ; en effet le marché français a crû de 10% par an depuis 1998 (UNETEL, 2001). L’année 2000 a connu une croissance globale de l’ordre de 20% reposant essentiellement sur les performances des services mobiles. Ces opérateurs, aux origines diverses, se positionnent de façon très contrastée sur le marché français : par secteurs, par produits, etc.

Le nombre d’entreprises dans la branche est difficile à chiffrer, cependant UNETEL, en citant ART, recense en 2001:

-10 opérateurs titulaires d’une licence de boucle locale radio

- 8 opérateurs mobiles et radio messagerie

- 6 sociétés de commercialisation de service

- 95 opérateurs titulaires d’une licence L-33 et/ou L-34-1

- +/- 300 ISP (Internet services Provider).

Seuls quelques opérateurs, comme 9 Télécom ou Cegetel ont décidé d’affronter France Télécom sur l’ensemble des segments du marché ; Bouygues Télécom étant une autre entreprise aussi très importante (UNETEL, 2001). L’investissement est aussi important.

Si la téléphonie mobile et les transferts des données ont connu une croissance extraordinaire ces dernières années, notamment depuis 1998, le marché de téléphonie fixe connaît une croissance très modérée (tableau 14).

Tableau 14

Taux de pénétration de la téléphonie fixe et mobile en France (*) 1996 1997 1998 1999 2000 2001

Taux de pénétration tel. fixe (%)

56,9 57,6 57,9 60,9 67,0 ?

Taux de pénétration tel. mobile (%)

4,2 9,9 18,8 35 49,3 54,5

(*) Source : Rapport annuel du Comité Consultatif, IBPT, Bruxelles, 2000, 2001.

Si France Télécom S.A. était pratiquement le monopole en télécommunications avant 1998, nous pouvons constater d’après ces chiffres que le marché français est devenu aussi très concurrent et instable.

2.- Le modèle de relations professionnelles et le système politique

2. 1.- Le type de concertation entre partenaires sociaux

En Belgique les relations professionnelles s’inscrivent et doivent être comprises dans le cadre de rapports sociaux plus complexes. Ceux-ci sont communément représentés suivant une approche à doubles dimensions, des clivages croisés par des piliers idéologiques (Stroobants, 1998 ; Delwit, De Waele et Magnette, 1999 ; Mabille, 1986). Trois clivages désignent respectivement l’opposition générale entre capital et travail, la distinction religieuse entre catholiques et non-catholiques et le clivage culturel entre le Sud wallon, francophone et le Nord flamand, néerlandophone. D’autre part, les piliers s’expriment en trois tendances

Page 176: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

176

idéologiques : socialistes (ou socio-démocrates), chrétiens-démocrates et libéraux, qui traversent toutes les activités culturelles, économiques et politiques du pays. Le croisement clivages/piliers se retrouve dans le pluralisme syndical, avec trois syndicats nationaux: la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB/ABVV) (voir Annexe II), de tendance socialiste et prédominante dans le sud, la Confédération des syndicats chrétiens (CSC), de tendance chrétien-démocrate, dominante au Nord et la Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (CGSLB), d’orientation libérale et très petite par rapport aux autres. Les deux premiers sont, à vrai dire, les deux forces syndicales largement dominantes du pays.

Les trois organisations syndicales sont unifiées du point de vue communautaire. Il y a donc, une imbrication profonde et complexe entre ces clivages et ces familles politiques dont les syndicats tiendront compte, même s’ils sont autonomes vis-à-vis des partis.

Les relations professionnelles ont une longue histoire et se caractérisent par un niveau d’organisation élevé. Elles ont établi leur fondement dans l’entre-deux-guerres et leur premier accord est ébauché en 1944, sous la Seconde Guerre mondiale, «… année où des responsables syndicaux et patronaux avaient signé, dans la clandestinité, un projet d’accord de solidarité sociale. Ce « pacte social » entreprend de réguler les conflits résultant du clivage entre patrons et travailleurs par la voie du compromis, donc du pilier social-démocrate. Il épouse exactement les principes du contrat fordien : les entreprises gardent la prérogative de moderniser les processus de production ; en contrepartie, les revendications collectives sont canalisées dans la voie « quantitative », c’est-à-dire converti en termes de salaires et de temps de travail » (Stroobants, 1998, p. 161).

Depuis de longue date, il y a eu une lutte d’intérêts différents et des compromis négociés entre patrons et travailleurs, quoique les solutions étaient recherchées plus dans le consensus que dans l’affrontement, ce qui a été théorisé a posteriori comme le « compromis social-démocrate ». Pendant presque trente ans, il y a eu une forte croissance, un modèle de production fordien qui permettait d’énormes gains de productivité, des hausses salariales et une forte consommation, ce que certains appellent période du capitalisme civilisé. Le modèle social belge a atteint donc un niveau de vie élevé et la satisfaction des besoins collectifs garantis par une stabilité de l’emploi, l’indexation généralisée et automatique de tous les salaires des secteurs public et privé, un système de sécurité sociale donnant l’accès à la santé et à l’enseignement aux plus larges couches de la population. Autrement dit, la particularité du système social belge, c’est que les régimes de sécurité sociale ne reposent ni sur l’épargne et des systèmes pré financés, ni sur l’impôt, mais sur une solidarité fondée sur le salaire, c’est-à-dire ceux qui travaillent cotisent pour financer les allocations sociales (Delwit, De Waele et Magnette, 1999).

Pour les syndicats, les partis sont un relais politique au niveau des institutions de pouvoir et de prises des décisions politiques (Parlement, Gouvernements, …), mais il n’y a pas une relation directe et automatique, les syndicats conservent une autonomie d’action. De ce fait les syndicats sont une redoutable force de pression aussi sur la classe politique, il vaut mieux que les partis politiques et les parlementaires tiennent compte de leurs avis dans la définition de leurs politiques.

Concernant la concertation sociale, la nouvelle présidente de la FGTB confirme : « Pour moi, la concertation sociale reste un instrument important pour faire progresser les choses auxquelles je crois, c’est-à-dire réaliser les étapes pour aboutir à un monde plus juste…Les négociations deviennent de plus en plus des négociations « win-win ». Aux côtés des exigences syndicales traditionnelles, les patrons ont également leurs propres revendications. La négociation est donc rendue plus complexe, plus ardue. Mais la Belgique reste un pays qui attache de l’importance à ce modèle de concertation social, il y fonctionne encore très bien »

Page 177: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

177

(L’Echo, 31-5-2002). Ces sont donc des relations professionnelles de dialogue et de concertation.

2. 2.- Les forces et logiques des organisations sociales

Les employeurs sont organisés dans la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB), la seule organisation patronale interprofessionnelle nationale qui représente tant les petites et moyennes que les grandes entreprises. Elle réunit aux alentours de 50 confédérations sectorielles, plus de 30.000 petites, moyennes et grandes entreprises, appartenant à différents secteurs, tant industriels que de services (Arcq, 1982). Elle représente 85% de la force de travail (Vilrokx et Van Leemput, 1998). Dans chaque région il y a des organisations patronales lié à la FEB, à savoir, en Wallonie, l’Union wallonne des Entreprises (UWE), en Flandre, le Vlaams Economisch Verbond (VEV) et à Bruxelles, l’Union des Entreprises de Bruxelles (UEB).

La FEB est l’interlocuteur représentatif de ses fédérations membres et des entreprises vis-à-vis des pouvoirs publics, des syndicats, des médias, du monde académique et des organisations non gouvernementales, elle représente et défend les intérêts des entreprises partout où cela s’avère nécessaire ; en outre, elle est présente dans de nombreuses organisations interprofessionnelles, tels que le Conseil central de l’économie (CCE) et le Conseil national du travail (CNT)38. La FEB affirme réaliser ses actions suivant un certain nombre des valeurs de base tels que l’économie de marché, le développement durable, la gestion éthique, une bonne gouvernance, la concertation et l’autorégulation (FEB, 2002).

Les organisations syndicales, d’autre part, participent depuis de longue date à la vie économique et sociale des entreprises et elles restent parmi les plus fortes en Europe. Dans le cadre de la crise économique des années 1980, à la fin du capitalisme civilisé et la domination du capitalisme financier, le mouvement syndical a souffert, presque partout en Europe, entraînant des dissensions et une forte diminution de ses forces. Cependant, le mouvement syndical belge n’a pas connu une crise comparable à celle des pays voisins tels que la France ou la Grand Bretagne; il a conservé une force importante et il reste un acteur social incontournable dans la vie socio-économique des entreprises et du pays.

D’après Arcq et Aussems (2002), à la deuxième moitié des années 1990, le taux de syndicalisation national belge s’est maintenu au-dessus de 76% par rapport à une population sociale globale qui n’est pas seulement composée par la population active (tableau 15), caractéristique typique du syndicalisme belge.

La méthodologie utilisée pour le calcul du taux de syndicalisation est basé sur la « notion de « syndicable », dénominateur du taux, qui correspond au total de la population salariée ayant effectivement un emploi ou en situation de chômage : sont compris les bénéficiaires de l’ONSS, le personnel définitif de la SNCB, les frontaliers, les chômeurs complets indemnisés (CCI) et les chômeurs âgés. Les pensionnés et prépensionnés n’y sont pas comptabilisés, bien qu’ils soient compris dans les effectifs syndicaux, au numérateur du taux » (Arcq et Aussems, 2002, p. 16). En effet, le mouvement syndical belge est composé, en plus des membres de la population active, par des prépensionnés, des pensionnés, des chômeurs et d’autres types de personnes qui ne sont plus dans la « vie active » mais qui restent membres des syndicats. Il s’agit donc d’un mouvement social, économique et culturel beaucoup plus large que celui composé seulement par des travailleurs militants ou adhérents; c’est un mouvement de masse qui a participé et participe de l’Etat de bien-être, d’où la force des ces syndicats.

38 Les syndicats sont également présents dans ces deux institutions nationales.

Page 178: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

178

Tableau 15

Taux de syndicalisation national 1996 1997 1998 1999 2000

77,24 76,65 76,15 76,12 76,16

Source : Arcq, E. et Aussems, M., CRISP, n° 1781, 2002.

D’après Vilrokx et Van Leemput (1998), ces dernières années, les organisations syndicales belges auraient même légèrement augmenté leurs effectifs, d’environ 35.000 membres par an, au total, et d’une augmentation d’un taux de 2% net par an. Une augmentation est aussi observée en France, en Allemagne, en Angleterre. D’autres estimations sur le taux de syndicalisation global belge font état de plus de 70% (Delwit, De Waele et Magnette, 1999). Dans les entreprises, cependant, ce taux de syndicalisation est en général plus bas, tout en restant important.

Cela dit, il demeure difficile de faire une simple comparaison chiffrée de cette variable dans la mesure où les méthodes de calcul du taux de syndicalisation sont différents d’un pays à l’autre.39 Sous cet angle, d’après une étude de Vandaele - cité par Arcq et Aussems- le taux de syndicalisation nette, en excluant les chômeurs et les passifs, est de 55,5% en moyenne (1996-2000). D’après Vilrokx, aujourd’hui le taux net de syndicalisation est d’environ 60%. Ce chiffre permettrait une comparaison internationale « directe ». Cependant cette donné ne reflète absolument pas la réalité du mouvement syndical belge.

En Belgique, à la différence des pays anglo-saxons, les syndicats se caractérisent par un syndicalisme d’industrie et non de métier, négociant d’abord au niveau national, puis au niveau des branches pour en arriver après aux négociations au niveau des entreprises. Les syndicats, à l’image du pays, sont un carrefour d’influences et depuis longtemps obligés et habitués à négocier tout sorte d’ « affaires ». Il s’agit d’un syndicalisme qui ne se limite pas seulement aux revendications sociales (salaires, conditions du travail, etc.), mais participe aussi à la gestion de l’organisation du travail des entreprises, tout en gardant toujours son indépendance et son attitude de lutte ; dans ce sens il n’arrive pas jusqu’à la pratique de la co-gestion des syndicats allemands.

Sa puissance s’appuie sur la masse d’adhérents actifs et en chômage, fidélisés par les importants services qui leur sont offerts, dont un des plus importants est la co-gestion -avec le patronat- des allocations de chômage et leur paiement fait par les syndicats dans tout le pays.

2. 3.- Les caractéristiques et degré d’institutionnalisation de la concertation sociale

Le modèle des relations professionnelles belge est « particulier » pour les trois aspects suivants. D’après Vilrokx, d’abord, il a été un modèle, dès 1960, des conventions intersectorielles bipartites qui comporte tout le secteur privé et traite des aspects tels que le salaire minimum, le temps de travail, les régulations des vacances, les politiques sur les chômeurs, les pensions, les bénéfices familiales, etc. Ensuite, le modèle belge est hautement centralisé et après un accord central général s’ensuit un processus de négociation au niveau intersectoriel, sectoriel et au niveau de l’entreprise. Tertio, il établit une liaison automatique des salaires aux prix des produits et services. Sous ce système d’indexation, par exemple, un 2% d’augmentation salariale se répercutera en 2% d’augmentation du coût de la vie (Vilrokx et Van Leemput, 1998).

39 Nous verrons qu’au Chili le taux de syndicalisation est calculé seulement par rapport à la population active.

Page 179: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

179

En ce qui concerne les relations collectives de travail, les négociations au sein du modèle des relations professionnelles s’effectuent à trois niveaux : le niveau intersectoriel, le niveau sectoriel et le niveau de l’entreprise. La négociation au niveau intersectoriel se réalise normalement tous les deux ans sur un accord interprofessionnel. Un tel accord n’est pas une convention collective de travail au sens du droit de travail, mais une sorte de plan en matière de politique sociale, établi par les partenaires sociaux. Ce niveau fixe une orientation aux négociateurs des autres niveaux. Au niveau national, il existe le Conseil national du travail (CNT), organe composé paritairement de représentants des employeurs et syndicats. Le CNT est l’organe consultatif et de négociation au niveau le plus élevé dans le domaine social, y sont conclu des conventions collectives de travail.

Les relations professionnelles au niveau sectoriel sont menées dans les commissions et sous-commissions paritaires (C.P.), instances très importantes. Enfin, les négociations au niveau de l’entreprise doivent tenir compte des accords globaux qui la concernent, établis au niveau sectoriel et parfois intersectoriel. Parfois l’autorité a imposé la Convention collective du travail (CCT), qui a force de loi, comme instrument juridique approprié pour la mise en œuvre de diverses mesures, notamment la politique d’emploi.

« Cette institutionnalisation a eu pour effet de diminuer le volume et le nombre de conflits du travail. En régularisant ainsi des rapports sociaux spontanés, on a institué des formes de contrôle des comportements au travail. Ces relations collectives se déroulent dans un cadre reconnu par la loi. Cela n’empêche pas, à certains moments, des affrontements sociaux de grande ampleur, qui marquent la mémoire collective» (Arcq, 1982, p. 5).

Les organes paritaires de négociation ont une compétence sociale et c’est le lieu des négociations des accords collectifs. Ces organes de négociation sont la Délégation syndicale, au niveau de l’entreprise, les Commissions paritaires, au niveau du secteur, et le Conseil Nationale du Travail (CNT), au niveau national. Les organes de consultation et de négociation ont une compétence sur l’organisation du travail; ces organes sont le Conseil d’entreprise (CE) et le Comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT), au niveau de l’entreprise. Le Conseil professionnel, au niveau du secteur, et le Conseil Central de l’Economie (CCE), au niveau national. Une autre pratique de consultation sont les élections sociales qui se réalisent toutes les quatre ans dans toutes les entreprises du pays. (Arcq, 1982 ; Blaise, 2000 ; Arcq, 2002). Donc, il y a une vaste institutionnalisation dans le pays, établie par la loi, pour entériner les relations professionnelles.

2. 4.- Le type de revendication syndicale et le style de négociation collective

Depuis 1976, aucun accord interprofessionnel global n’a été conclu (Blanpain, 1986). Le contenu des accords a changé beaucoup, petit à petit la primauté des accords est passée aux aspects économiques dans le sens d’une préoccupation accrue pour la productivité de l’économie et le gel des salaires, ceci avec une plus forte intervention des Gouvernements successifs. Affirme Alaluf : « Depuis 1989, la loi de sauvegarde de la compétitivité… forme l’élément essentiel de ce dispositif. Par la fixation d’une « norme salariale » déterminée à partir de trois pays de référence (France, Pays-Bas et Allemagne), la loi vise à éviter des « augmentations excessives » en introduisant une concurrence salariale systématique avec les pays voisins tout en rétrécissant considérablement les marges de la négociation collective » (Delwit, De Waele et Magnette, 1999, p.243). D’après Vilrokx, la norme salariale est instaurée véritablement en 1996, à travers un accord-cadre dit de reconstruction.

Dans les années 1990, de larges restructurations, des fermetures d’entreprises avec des licenciements presque partout ont eu lieu. Une politique économique libérale -initiée dans les années 1980- continue à se faire sentir et le chômage descend très faiblement. Cependant, le

Page 180: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

180

niveau de conflits n’a pas augmenté pour autant parce que, en général, ces restructurations ont été accompagnées par des compensations économiques favorables aux travailleurs affectés. Dans ce cadre, les organisations syndicales ont adopté une attitude défensive en acceptant les compensations économiques et en essayant de préserver au maximum l’emploi. Les revendications se limitent essentiellement à garder l’emploi et pas tellement à demander des augmentations salariales. En fait, depuis 1976 il existe soit un certain blocage des salaires et/ou une modération salariale.

Les relations sociales ont vécu des moments tendus, mais jamais il n’y a eu une rupture totale des relations ni de la pratique de négociation, même pendant les périodes où il n’y avait pas des accords interprofessionnels.

Dans les négociations collectives des partenaires sociaux belges la logique qui prévaut est celle du « donnant-donnant » ou « gagnant-gagnant », quoique cette formule soit devenue plus difficile à pratiquer.

Aujourd’hui encore une priorité patronale récurrente est de diminuer le coût salarial, de stimuler l’acte d’entreprendre et de refuser toute réduction linéaire du temps de travail, en particulier dans les PME. D’autre part, les syndicats insistent notamment sur l’augmentation du pouvoir d’achat (ils n’aiment pas l’application d’une norme salariale imposée par le Gouvernement), la semaine de quatre jours à côté de la semaine de 38 heures pour tous en 2003, le droit au crédit temps, le maintien de tous les systèmes de pré-pension, l’augmentation des possibilités d’emploi pour les travailleurs âgés et chômeurs âgés qui veulent travailleur.

Le dernier accord interprofessionnel (2001-2002), à côté d’autres points, comprend cinq dispositions plus importants, à savoir : 1)- augmentation du pouvoir d’achat : une norme de 6,4%, y compris l’augmentation due à l’index automatique des salaires, à ne pas dépasser ; 2)- réduction des cotisations patronales pour les allocations sociales : première réduction intervenue déjà en avril 2001 où les entreprises ont bénéficié d’une réduction de charges patronales de sécurité sociale de 793 EUR par travailleur et par an, 3)- la formation permanente. Lors de cette période de deux ans l’effort de formation des entreprises devra passer à 1,6% de la masse salariale, 4)- le fonctionnement du marché du travail, 5)- la mobilité. (Arcq, 2002).

2. 5.- L’intervention de l’Etat et le système politique

L’Etat belge n’a jamais été fort, ni n’a jamais eu un appareil administratif puissant. Comme l’affirme Nagels : « Il s’agissait au départ, quand la bourgeoisie n’aspirait qu’à un Etat minimal, d’un choix délibéré. Plus tard, au moment de l’Etat social, la puissance publique s’est ramifiée. Mais elle ne s’est pas substituée aux segments organisés. Ceux-ci étant fortement structurés, la vie politique centrale pouvait se réduire à un arbitrage entre eux, ne s’immisçant pas dans leurs organisations…Il n’y eut jamais en Belgique de nationalisations ou de planification forte de la vie économique, l’Etat se contentant d’arbitrer les négociations entre « partenaires sociaux » (Nagels, dans Alaluf, 1999, p. 7).

Dans les 30 années glorieuses d’après guerre, l’Etat n’intervenait pratiquement pas et se cantonnait à prévenir ou concilier les litiges, jouant plutôt un rôle de facilitateur ou d’arbitre. Cependant, ces deux dernières décennies cette « neutralité » du partenaire a changé. Pendant les décennies de crise socio-économique, nous avons entendu un discours contradictoire prônant moins d’Etat interventionniste mais, en même temps, nous avons vu l’intervention de l’Etat (via les Gouvernements successifs) pour imposer des mesures de blocage des salaires ou pour faire respecter les normes de productivité. Cette ingérence a dénaturé ou réorienté le fonctionnement institutionnel vers une concertation au détriment des activités de négociation globales ; la fréquence des conventions interprofessionnelles diminue, leur contenu

Page 181: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

181

s’appauvrit, devenant de plus en plus des « cadres » pour permettre après des conventions plus décentralisées, mais dans le contexte des accords cadres.

Les forces politiques présentes dans le Gouvernement jouent un rôle très actif et nous avons assisté de façon récurrente à des discussions et des confrontations de politiques non seulement pour essayer de résoudre la crise économique mais pour imposer un projet de société différente.

Les partis politiques constituent des relais politiques importants pour les syndicats au niveau de l’Etat et/ou Gouvernement et du Parlement.

Dans la période qui nous intéresse (1996-2001), il y a eu une coalition politique de centre-gauche au Gouvernement composé par les partis Socialistes (P.S. et S.P.A) et les partis socio-chrétiens (PSC et CD&V) des deux régions du pays. Puis, dans les dernières élections législatives (13/6/1999), une nouvelle coalition politique composée, cette fois, par les partis libéraux ( MR et VLD), les partis socialistes (P.S. et SP.A) et les partis écologistes (Ecolo et Agalev) des deux régions du pays, coalition appelé « arc-en-ciel » par leur composition politiquement composite.40 Cette coalition politique est représentée à la Chambre de Représentants par le nombre de sièges suivants : Libéraux : 41 ; Socialistes : 33 ; Socio-chrétiens : 32 ; Ecologistes : 20 ; Autres : 24 sièges.

Le modèle de relations professionnelles a évolué d’une relation bipartite entre partenaires sociaux vers une relation tripartite, avec une intervention plus forte du Gouvernement. Le traditionnel modèle de relation bipartite a été transformé et a perdu de sa cohérence (Vilrokx et Van Leemput, 1998). Le traditionnel Etat de bien-être, connu dès la période de la société fordiste et fortement attaqué par les partis libéraux, a eu une tendance à s’affaiblir avec quelques privatisations des institutions et des entreprises publiques. L’accent est mis sur la productivité économique, il y a une forte pression pour flexibiliser encore plus le facteur travail mais des solutions au problème du chômage tardent, le monde du travail pour l’instant s’accommode aux exigences économiques.

L’Etat, cependant, se modernise et n’a pas non plus abandonné son rôle de promoteur des politiques sociales et gardien d’une certaine équité sociale. Comme le montre le tableau 16 ci-dessous, les dépenses de l’administration publique belge représentent environ 47% du PIB pour l’année 2000 et elles sont encore supérieures à celles de la moyenne des pays de la zone EURO qui, pour la même année, étaient de 45%.

Tableau 16

Belgique : dépenses de l’Etat (en % du PIB)

1985 1990 1999 2000

Dépenses des administrations publiques

57.3 50.8 47.9 46.7

Source : Etudes économiques de l’OCDE : Belgique, OCDE, Paris, 2001

Le nouveau gouvernement, dirigé par le Premier Ministre libéral flamand G. Verhofstadt (VLD), introduit un concept que n’avaient pas encore utilisé ses prédécesseurs pour caractériser son approche de la question de l’emploi et du chômage : l’Etat social actif. Par

40 Nous verrons qu’une coalition politique de ce genre serait impensable aujourd’hui au Chili, non seulement parce que le système électoral binomial en place ne le permet pas, mais parce que les différences politiques et idéologiques sont telles qu’elle ne serait pas possible ou acceptée par la population.

Page 182: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

182

opposition à l’approche du passé où la paupérisation et l’insécurité sociale étaient surtout combattues par des allocations de chômage et des aides directes (CPAS), il veut mener une politique active de formation et d’emploi visant à augmenter le taux d’activité. Quant à la concertation sur l’emploi, ce Gouvernement se situe cependant dans la ligne des gouvernements précédents. « Au vu de ces interrelations de plus en plus étroites entre le gouvernement et les interlocuteurs sociaux, on peut se demander si l’on n’est pas entré aujourd’hui dans une période de tripartisme généralisé. Cette forme de concertation sociale, plus ou moins larvée durant les années 1986-1996, s’affermit et tend à se généraliser depuis lors, en accordant au gouvernement un rôle déterminant » (Arcq, 2002, p.46).

L’Etat a transformé donc l’entreprise publique de télécommunications en EPA. L’entreprise publique autonome (EPA), a signifié :- « la distinction entre fonctions d’exploitation (qui seront assurées par l’opérateur public) et les fonctions de réglementations (qui seront assurés par l’IBPT) ; - la distinction entre les tâches exercées dans le cadre des missions de service public (pour lesquelles l’opérateur garde le monopole) et celles exercées en concurrence, comme les services à valeur ajoutée ; - une nouvelle répartition de pouvoir entre l’Etat et les gestionnaires, ce qui donne lieu notamment à la création d’un Conseil d’administration et du Comité de direction (la mise en place de ces organes de gestion distincts de l’Etat et propres à l’entreprise publique est une transformation radicale pour l’opérateur) ; - la signature d’un contrat de gestion ; il s’agit d’un engagement de nature contractuelle à passer ente l’Etat et l’entreprise publique, au terme duquel cette dernière est censée exécuter, aux conditions décrites, des tâches de service public. Son contenu est exhaustivement déterminé par la loi avec fixation de clauses obligatoires et facultatives ; - l’élaboration d’un plan d’entreprise où le conseil d’administration définit ses objectifs et sa stratégie à moyen terme ; - des nouvelles règles de financement : la loi permet de limiter le financement public en faisant appel au secteur privé pour les activités en concurrence,…les autres activités doivent être financées par les moyens propres de l’entreprise ; - un nouveau statut pour le personnel qui le différenciera du régime général de la fonction publique ; la loi limite cependant les changements possibles dans le sens où elle énonce clairement que le statut reste la règle et que le contrat ne peut être que l’exception. En ce qui concerne la rémunération du personnel, la loi énonce que les entreprises publiques autonomes seront libres de procéder aux augmentations salariales qu’elles jugeront utiles mais ces augmentations ne seront plus à charge de l’Etat et devront être compensées par des gains supplémentaires de productivité… » (Brouwers, Cornet et Pichault, 1995, pp. : 94-95).

Cependant, le rôle de l’Etat belge doit être compris dans le contexte d’une société qui traditionnellement ne se caractérise pas du tout par un Etat fort, centralisé et qui détient tous les pouvoirs politiques.

2. 6.- L’interaction étroite avec le processus de construction de l’Union Européenne

Les relations professionnelles au niveau national sont, de plus en plus, en étroite interrelation avec les nouvelles dynamiques sociales, économiques et politiques qui sont mises en œuvre dans le processus de construction Européenne. Même si les aspects sociaux de la construction Européenne sont plus en retard que l’union économique, nous pouvons relever quelques aspects liés aux relations professionnelles tels que :

- Une stratégie Européenne de l’emploi (SEE) a été institutionnalisée par le traité d’Amsterdam (1977), ce qui permet, de donner aussi des orientations générales pour améliorer l’emploi (politique économique et monétaire).

- Les partenaires sociaux sont devenus acteurs depuis le Protocole social de Maastricht. Il existe aujourd’hui une UNICE patronale (Union des Confédérations de

Page 183: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

183

l’Industrie et des Employeurs d’Europe) et un CES syndical (Confédération Européenne des syndicats) au niveau Européen. Par conséquent un système germinal de concertation sociale commence à s’installer au niveau Européen, privilégiant un régime de régulation décentralisée à la régulation normalisée universaliste. La procédure du traité actuel ouvre non seulement la possibilité d’établir des normes par négociation, mais permet en outre aux partenaires sociaux de proposer un accord au Conseil pour qu’il lui donne une validation juridique.

- Il y a une directive de la Commission Européenne sur l’information et la consultation des travailleurs pour des affaires au niveau Européen, dans la limite du possible.

- Dans le Sommet de Nice (2000) un agenda social fut établi, en concertation avec les organisations représentatives de la société civile, les interlocuteurs sociaux, des experts et les députés Européens.

- A partir du Sommet de Nice (2000) un cadre juridique est établi pour une société Européenne (SE), valable à échelle de toute l’Union Européenne. Contrairement aux autres formes de sociétés n’opérant que dans un seul Etat, ici c’est la négociation qui doit primer, les prescriptions imposées à toutes les SE son minimales. Ce nouveau statut d’entreprise est encore très imparfait et ce n’est qu’en 2004 que ces SE naîtront officiellement et effectivement.

- La mise en place des Comités d’entreprise (CE) ; c’est un des aspects les plus marquants des relations industrielles Européennes dans le but d’organiser l’information et la communication des salariés. La directive respective concerne toutes les entreprises dont le nombre de salariés en Europe est supérieur à 1000 et dont deux pays Européens hormis le pays du siège social Européen comprennent chacun plus de 150 salariés. Jusqu’à l’année 2000, il y avait au total 516 CE concernant des entreprises des pays de l’Europe des 15 (Voynnet, 2000).

- Le Sommet de Laeken (Belgique, 2001) a proposé un système de médiation pour résoudre les conflits sociaux à dimension Européenne à travers la nomination de médiateurs-experts, appelés les « casques bleus sociaux ». Ce principe a été approuvé par le Conseil Européen des ministres de l’Emploi et des Affaires sociales et les 15 pays devront analyser et préciser encore leur valeur ajoutée et leur mécanisme de fonctionnement (Goetschy et Pochet, 2000 ; Duval, 2001).

Malgré le retard des aspects sociaux et les différences qui subsistent entre les pays, une esquisse de modèle social Européen se structure. Certains de leurs éléments communs sont le niveau relativement élevé de protection sociale, le rôle des partenaires sociaux dans la régulation du marché du travail et dans les entreprises, le niveau important des services publics et d’intérêt général et le bien-être social qui subsiste.

Nous constatons que l’institutionnalité de la concertation sociale reste ancré dans les mœurs, il y a des forces sociales et politiques qui veulent cela, il s’agit d’un capitalisme encore lié au modèle rhénan et social-démocrate. Cependant, l’Etat-providence, fortement critiqué par le néolibéralisme, dans certains pays a commencé à changer son rôle d’accompagnateur des relations professionnelles ; de régulateur de l’économie, du financement et de la sécurité sociale, etc.

Au niveau national, le type des relations professionnelles dominantes correspond encore, quoique avec un syndicalisme légèrement plus affaibli, au modèle néo-corporatiste et social-démocrate.

• Les relations professionnelles en France

Page 184: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

184

En France, il existe également la pratique de la concertation sociale à tous les niveaux, mais elle se distingue par certaines particularités.

a)- Le type de concertation sociale entre les partenaires sociaux français est plutôt conflictuel ; cela ne veut pas dire qu’ils n’arrivent pas à accorder des conventions collectives, mais le processus est plus difficile.

b)- La France présente un cas de pluralisme syndical extrême ; il y a des syndicats d’inspiration marxiste, anarchiste, catholique ou d’aucune inspiration morale, mais en général tous sont d’accord pour considérer que le travail n’est pas une marchandise. Le syndicalisme français se caractérise par un syndicalisme de lutte, revendicatif et pas tellement concerné avec la gestion socio-économique des entreprises. Il propose des plateformes différentes, voire opposées avec la nécessité de changer le régime économique ou de trouver des accords avec le patronat, de refus de tout pouvoir politique ou appel à l’Etat pour jouer le rôle social qui eux n’arrivent pas à jouer.

Les organisations syndicales laissent peu de place aux secours mutuels, aux assurances contre le chômage, aux services sociaux pour leurs adhérents, etc., comme dans le cas belge. Ces activités ne sont pas méprisées mais elles sont laissées aux mains de mutualités en dehors des syndicats. « Le syndicalisme français a été fortement marqué par l’anarcho-syndicalisme raison par laquelle, les syndicats de base sont extrêmement autonomes ; ce sont eux qui déclenchent les grèves en avisant le comité fédéral qui, s’il a le droit d’émettre des réserves, n’a pas le droit de s’y opposer ; les confédérations ne sont pas des organismes de direction mais de coordination, ce qui reflète une profonde démocratie » (ISE, 1987, p.78).

Les organisations syndicales représentatives sont la CGT (Confédération Générale du Travail), la CFDT (Condéfération française Démocratique du Travail), CGT-FO (Confédération Générale du Travail-Force Ouvrière), la CFE-CGC (Confédération française de l’Encadrement-Confédération Générale des Cadres), CFTC (Confédération française de Travailleurs Chrétiens), celles-ci en étant les traditionnelles, plus SUD, apparu ces dernières dix années. Les seuls syndicats qui ont eu une tendance plus marquée au dialogue social constructif et propositifs (appelés syndicalisme réformiste) ont été la CFDT et la FO.

Cependant, le taux de syndicalisation est très faible. En 1998, Adolfatto et Labbé (1998) affirmaient que « le taux de syndicalisation est compris entre 8 et 10%. Ce taux est, de très loin, le plus faible de tous les grands pays industrialisés et ne peut se comparer qu’à ceux de l’Espagne et des Etats-Unis (15% environ) ». En 2001 arrivait à environ 15% . A la différence du syndicalisme belge, il est constitué par des militants et loin d’être un syndicalisme de masse. Par rapport au syndicalisme chilien, il est mieux organisé et coordonné à tous les niveaux (national, par branche et au niveau des entreprises), il est institutionnalisé au niveau national et il a un dispositif légal beaucoup plus complet qui permet encadrer cette concertation sociale.

Du côté patronal, le MEDEF (Mouvement des Entreprises de France), créé en 1998 mais qui succède au Conseil National du Patronat français (CNPF), représente 700.000 entreprises de toutes tailles et de tous secteurs d’activités (industrie, commerce et services). Il comporte 85 fédérations professionnelles regroupant 600 syndicats professionnels et 154 MEDEF territoriaux (MEDEF, 2002). Le MEDEF est une redoutable force propositive et d’action du patronat français.

c)- Les conventions collectives sont définies dans le Code du travail comme des accords relatifs aux conditions de travail et aux garanties sociales, conclus entre employeurs et syndicats. Elles sont de deux types : les conventions simples et les conventions étendues. Il y a obligation, d’après la loi de 1982, de négocier au niveau de l’entreprise. La réunion d’une Commission Paritaire est obligatoire si deux organisations en font la demande.

Page 185: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

185

La logique des syndicats est beaucoup plus politisée et vise à jouer aussi un rôle politique au niveau de l’Etat, dans la mesure où le rôle de celui-ci est très important dans ce pays. Il s’agit d’un syndicalisme qui privilégie plus la lutte revendicative et la contestation que la participation propositive et le dialogue sur les affaires socio-économiques de l’entreprise.

Le Conseil économique et social (CES), c’est l’instance officielle de dialogue sociale et économique des partenaires sociaux au niveau national.

d)- L’Etat fort et centralisé. Il a joué et joue un rôle interventionniste dans la concertation sociale dans la mesure où il est sollicité par les partenaires sociaux à intervenir pour les difficultés qu’éprouvent souvent ceux-ci pour conclure des accords. Ces dernières années, notamment depuis 1997, le grand débat et de la dynamique sociale dans ce pays a été provoquée par la Loi de 35 heures (appelée Loi Aubry) proposé par le Gouvernement socialiste. Il s’agissait d’appliquer à toutes les entreprises, en 2000, une semaine de 35 heures de travail, sans diminution des salaires, pour assurer la création des emplois pour les jeunes, comme solution au chômage qui affecte le pays. Cette loi a fortement altéré les rapports entre les partenaires sociaux et entre le patronat et le Gouvernement.

D’autre part, le Gouvernement a fortement contribué à conclure, l’année 2000, une Convention Collective Nationale dans le secteur des télécommunications du pays, ce qui n’est pas le cas en Belgique. Cette Convention a une durée indéterminée. Par conséquent, il y a des rencontres périodiques des partenaires sociaux de la branche et la convention signale que : « Les partenaires sociaux, conscients que le dialogue social est un facteur clé d’efficacité économique et sociale, marquent leur volonté de se rencontrer périodiquement et régulièrement et en tout état de cause au moins une fois par an, au-delà de la mise en place de la convention collective. Les rencontres périodiques envisagées pourront alternativement prendre la forme soit d’échanges d’informations sur la conjoncture socio-économique du secteur et ses perspectives d’évolution, soit de concertation sur des questions d’ordre socio-économiques présentant un intérêt collectif pour la profession » (art. 3.1.2., Convention collective nationale).

Enfin, l’Etat reste l’actionnaire majoritaire de FranceTélécom avec un 55,5% (2001) des actions, après le processus de privatisation entamé en 1996. Ce processus a impliqué la transformation d’une entreprise publique (RTT) en Société Anonyme où le Président-Directeur Général (PDG) de la compagnie est nommé par le Président de la République sous proposition du Conseil de Ministres, avec pleins pouvoirs pour nommer son Comité Directeur composé des top managers et en ayant une autonomie totale de management comme dans les entreprises privées. Les employés (appelés fonctionnaires) gardent cependant leur statut de fonctionnaires et, par conséquent, conservent un contrat à durée indéterminée et des rémunérations barémiques. « La loi de 1996 garantit que les gens restent fonctionnaires de l’Etat dans une S. A. et ça, je crois, c’est unique au monde. Une société de droit privé, S. A., avec des fonctionnaires qui, donc, ne peut pas licencier » (un dirigeant syndical).

3.- Le marché du travail et la législation sociale

Cette variable du contexte externe doit être considérée étroitement liée au contexte Européen. Des aspects importants du marché du travail et de la législation sociale font aussi l’objet des recommandations de la part de l’Union Européenne. Cependant, en dernier ressort, ces domaines restent toujours de compétence nationale.

3. 1.- La qualification de la main d’œuvre

Page 186: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

186

Lors du Conseil Européen à Lisbonne, les chefs d’Etat et de gouvernement sont convenus de faire en sorte que le taux d’emploi en Europe soit porté à un niveau aussi proche que possible de 70% en 2010 (Ministère Fédéral de l’emploi et du travail, Rapport d’évaluation 2000). La préoccupation centrale de diminuer le chômage oblige le pays à mettre en œuvre différents types de programmes à cette fin. La formation des travailleurs en est en une.

Il existe des mesures visant à favoriser l’insertion professionnelle des jeunes en leur permettant l’acquisition d’une première expérience de travail (stage des jeunes et convention de premier emploi), du parcours d’insertion, des initiatives en faveur des groupes à risque, du congé-éducation payé, formation en alternance avec l’emploi tels que les conventions emploi-formation et l’apprentissage de professions des salariés.

L’investissement en éducation publique et la formation des travailleurs dans les entreprises aident à connaître le niveau de qualification de la main d’œuvre. Nous pouvons constater, comme indiqué dans le tableau 8 (Chapitre V), que le pourcentage du PIB consacré à l’éducation pendant la période considérée est important et fluctue aux alentours de 4,6 % PIB en moyenne, en ayant une décroissance seulement ces deux dernières années.

En ce qui concerne la formation permanente des travailleurs nous constatons que, toutes entreprises confondues, les efforts de formation sont passés de 1,13% du PIB en 1997 à 1,25% en 1999. En 2000, la part des personnes au travail participant à une formation professionnelle continue n’a plus progressé que très marginalement par comparaison à 1999. L’accord interprofessionnel 1999-2000 a pris l’engagement de faire passer en six ans le coût de l’effort de formation global des entreprises de 1,2% à 1,9% de la norme salariale. Lors de cette nouvelle période de deux ans (2001-2002), l’effort des entreprises sera de passer à 1,6% de la masse salariale, ce pourcentage étant une moyenne pour l’ensemble des entreprises. Il y a un rattrapage par rapport à des pays voisins. Cependant la Belgique est très fortement en retard en matière de formation des chômeurs et des inactifs (Arcq, 2002, pp. 25-29).

Le programme de congé-éducation payé qui concerne les travailleurs engagés dans le secteur privé vise à alléger les charges et fatigues supportées par les travailleurs qui, en plus de leur travail, font l’effort de suivre certaines formations. Certains travailleurs à temps partiel ont été aussi admis dans ce système. Les employeurs sont tenu d’accorder le congé-éducation payé et de le rémunérer normalement comme si les travailleurs étaient au travail, cependant ils obtiennent du Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail le remboursement des rémunérations ainsi que des cotisations sociales y afférentes.

Ce nouveau système de congé-éducation payé, qui a remplacé l’ancien système de crédits d’heures, a permis d’augmenter, il y a quelques années, le nombre de bénéficiaires. Cependant ces 6 dernières années le nombre a diminué pour arriver en 1998-1999 à 14.354 bénéficiaires. « L’impact du congé-éducation payé sur l’ensemble du marché du travail est modeste. En moyenne, il n’y a que 2% de l’ensemble des travailleurs du secteur privé qui font appel au système. Un rapport de l’OCDE comparant le degré de participation et le degré de formation des travailleurs dans les pays développés, révèle que la Belgique se situe derrière les pays scandinaves et le Royaume-Uni, devançant à peine la Hongrie et les pays d’Europe centrale et de la Méditerranée » (Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail, pp.93-94).

Mais, en général, en ce qui concerne l’entreprise étudiée, elle a pu obtenir les professionnels dont elle a eu besoin.

« Nous ne pouvons pas nous plaindre, en général, nous trouvons les gens dont on a besoin, et c’est fortement lié à la conjoncture économique. Nous avons eu un moment difficile, en 2001,... c’était difficile de trouver certaines ressources très qualifiées, mais tout à coup il y a eu des ressources…Pour nous, la difficulté concernant les ingénieurs ne se pose pas actuellement » (une directrice DRH).

Page 187: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

187

3. 2.- La législation sociale

La législation sociale belge est complexe et riche. Nous relevons les aspects plus directement liés à notre sujet.

Des aspects importants à considérer sont les niveaux des salaires, les conditions et et la durée du travail.

Une des préoccupations principales, à part celle du chômage, c’est le contrôle des coûts salariaux. Depuis des années, la modération salariale ainsi que la réduction des charges patronales sont pratiquées. La loi de juillet 1996 de promotion de l’emploi et de sauvegarde préventive de la compétitivité prévoit que les coûts salariaux belges ne peuvent croître plus rapidement que la norme salariale, qui est calculée sur base de l’augmentation moyenne pondérée des coûts salariaux en Allemagne, en France et aux Pays Bas (Ministère Fédéral de l’emploi et du travail, 2000). Ceci veut dire que depuis le début des années 1980, les blocages salariaux conventionnels sont de rigueur. Mais dans les années 1997 et suivantes, la pratique c’est la modération salariale (Ministère Fédéral de l’emploi et du travail, Rapport 2000).

Le salaire minimal ou revenu minimum mensuel moyen garanti (RMMMG), en 1999, était de 1.086 EUR. Il est fixé, pour le secteur privé, par une convention collective de travail, conclue au sein du Conseil national du travail.

La durée du travail chez Belgacom est déterminée par une convention collective ; actuellement il y a deux possibilités : soit 38 heures, soit 40 heures par semaine. La durée légale du travail en Belgique est maintenant de 38 heures.

La Belgique est un pays de liberté, de pluralisme syndical et de droit de grève sans aucune limitation légale préalable. Le droit d’association et, donc, de syndicalisation est inscrit dans la Constitution de l’Etat. « Les Belges ont le droit de s’associer. Ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive » (art. 27) (Vannes, 2002, p.20). Les négociations collectives sont une donnée fondamentale dans les relations professionnelles du pays et la loi sur les conventions collectives (1968) a donné une place très importante à cette institution juridique dans la hiérarchie juridique. Ainsi, la convention collective de travail domine le contrat individuel (Blanpain, 1986). De même, il existe une allocation de chômage permanente tant que la personne ne trouve pas un autre emploi.

Quant au licenciement, la loi prévoit le respect de la procédure de licenciement. La protection légale contre le licenciement vise « a)- le respect de la procédure judiciaire en vue d’obtenir une autorisation judiciaire de licencier pour motif grave et, b)- le respect de la procédure devant la commission paritaire en vue d’obtenir la reconnaissance des raisons d’ordre économique et technique justifiant le licenciement » (Vannes, 2002, p.306) . De même, les représentants des travailleurs au sein du conseil d’entreprise, du comité de sécurité et d’hygiène ainsi que les délégués syndicaux sont protégés contre le licenciement.

Dans le cas d’un licenciement collectif, l’employeur est tenu des respecter trois obligations particulières : informer préalablement les représentants des travailleurs de la mesure envisagée et le consulter à ce sujet, déclarer le projet de licenciement collectif au directeur du bureau régional de l’ONE (Office Nationale de l’Emploi) 41, octroyer aux victimes du licenciement collectif une indemnité complémentaire aux allocations de chômage (Guide de la réglementation sociale pour les entreprises, 2001).

41 Loi de 1998, appelé aussi « loi Renault », inspirée du licenciement massif de milliers de travailleurs produit à Renault-Vilvorde (Belgique) et qui avait choqué fortement l’opinion publique

Page 188: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

188

Un licenciement abusif est sanctionné par le paiement d’une indemnité forfaitaire correspondant à 6 mois de rémunération, sauf si une autre indemnité est prévue par une convention collective.

Si un employeur décide de licencier, il est obligé de respecter les dispositions légales relatives à la notification du préavis (écrit et individualisé), à sa durée ou au paiement de l’indemnité compensatoire. La durée du préavis est déterminée par différents critères et il est différent s’il s’agit d’un ouvrier ou d’un employé. Cependant, il y a un minimum légal. Ainsi, « lorsque la rémunération annuelle ne dépasse pas 650.000 FB [16.250 EURO], le délai de préavis à observer par l’employeur est d’au moins 3 mois pour les employés engagés depuis moins de 5 ans. Ce délai est augmenté de trois mois dès le commencement de chaque nouvelle période de cinq ans de service chez le même employeur. Si le congé est donné par l’employé, les délais de préavis … sont réduits de moitié sans qu’ils puissent excéder trois mois » (Vannes, 1996, p.700).

Face au chômage élevé de longue durée, les pouvoirs publics ont pris de nombreuses mesures en vue de favoriser l’emploi, de réduire le coût du travail. Ces dernières années, l’Etat intervient plus activement auprès des partenaires sociaux pour essayer d’influencer plus directement les accords sur des sujets socio-économiques clés du pays.

La Belgique reste un des pays avec un nombre élevé de chômeurs âgés de plus de 50 ans (très au-delà de la moyenne Européenne)42, ce qui posera de sérieux problèmes économiques à moyen terme pour financer les pensions et la sécurité sociale en général. Par conséquent, au lieu de les licencier, il est conseillé d’appliquer des politiques qui maintiennent ou plutôt incorporent ce type de population à la vie active. Dans ce cadre, le Gouvernement actuel vient d’approuver l’année 2001 une mesure d’outplacement favorisant les travailleurs de plus de 45 ans licenciables, en obligeant l’employeur à mettre en œuvre une procédure de reclassement et de replacement afin de faciliter l’obtention d’un autre travail.

Tout ce vaste cadre légal a permit d’établir clairement les droits des uns et des autres, de garantir d’une part, une unité et la paix sociale et, d’autre part, une productivité importante et constante pendant des décennies.

Le secteur des télécommunications est traversé par tout ce cadre légal et l’entreprise vit des situations contradictoires. D’une part, les salaires et les contrats de travail de la majorité des travailleurs sont réglés encore par le statut de fonctionnaire de l’administration publique à travers un accord de convention collective. Par conséquent, ce sont des contrats à durée indéterminés et les salaires soumis à un barème qui, en ce qui concerne surtout les fonctions administratives, sont au-dessus du marché. D’autre part, les nouveaux opérateurs qui s’installent dans le marché ont plus de flexibilité pour offrir des salaires plus bas, la liberté pour engager sous des contrats à durée déterminée, pour appliquer des horaires flexibles de travail, des semaines de plus de 39 heures, etc., ce qui affecte fortement la compétitivité et les offres de services de l’opérateur historique.

L’Etat, dans le cadre de la négociation du volet sociale du programme BeST, vient d’autoriser à cette entreprise l’application de la Convention Nationale du Travail (CNT) n° 77 (28-3-2001), ce qui permettra une flexibilisation de l’organisation du travail et le travail à temps partiel. En effet, cette convention rend possible l’instauration d’un système de crédit-temps, la diminution de carrières et la réduction des prestations de travail à mi-temps.

Le crédit-temps permet d’interrompre une carrière professionnelle, totalement ou partiellement. Pendant la période de suspension du contrat de travail ou de réduction des 42 Pour l’année 2003, le taux d’emploi des travailleurs de plus de 55 ans est de 28% en Belgique, alors que la moyenne européenne est de 41,5%. Bechet, G., « Quincas au boulot : changer de mentalités », Le Soir-Références, 25/26-9-2004.

Page 189: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

189

prestations de travail, le travailleur bénéficie d’une allocation payée par l’Office national de l’Emploi (ONEM). Grâce au crédit-temps, le travailleur peut disposer de plus de temps libre pour répondre à des obligations familiales et sociales ou pour réaliser des projets personnels (reprendre des études, etc.). Par conséquent, il existe trois possibilités : - la suspension complète du contrat de travail ou de la réduction des prestations à mi-temps ; - la diminution des prestations de travail d’1/5 temps ; - pour les travailleurs âgés d’au moins 50 ans, la réduction des prestations de travail à mi-temps ou leur diminution d’1/5 temps. (ONEM, 2002).

Les acteurs directs de l’entreprise voient ainsi ces contradictions: « Certainement l’aspect statutaire donne une garantie d’emploi, on ne peut pas licencier. Le statut d’une personne est attaché à une certaine résidence (localisation dans le pays), à une entité organisationnelle et à un code fonction (relatif à la nature de la fonction). Ces éléments ne peuvent pas être changés facilement et constituent des éléments de rigidité. A relever aussi que le personnel statutaire ayant exercé à Belgacom se distingue du personnel contractuel par la garantie d’une « bonne pension », pension publique qui prend le statut d’un salaire différé » (un directeur de vente).

Les employés avec des contrats à durée déterminée – « les contractuels »-, évidemment, ne sont pas soumis à ce régime. « Le système social belge est quand même assez équitable et tourne assez bien. Maintenant la question est : ce système statutaire est-ce que c’est vraiment encore un système qui correspond au besoin d’une entreprise qui n’est plus dans une situation de monopole et qui est exposée à une concurrence que j’oserais qualifier de féroce ; est-ce qu’elle offre encore suffisamment de flexibilité et de garantie pour l’avenir ?…» (un cadre).

« Nous sommes le pays où, je pense, la sécurité sociale est la meilleure, que ce soit en cas de maladie, que ce soit en cas de chômage, etc.…Nous avons encore une valeur sociale en Belgique et nous la défendrons jusqu’où nous pourrons la défendre…Ce n’est pas le marché qui doit décider du contexte social dans lequel le citoyen doit vivre… Et je pense que c’est un facteur qui influence la compétitivité de l’entreprise ; c’est clair... puisqu’il n’y a pas le licenciement» (un dirigeant syndical).

Cependant, il n’est pas facile de « recycler » les travailleurs qui ont appartenu ou appartiennent aux entreprises industrielles traditionnelles (sidérurgie, transport, télécommunications, etc.) et qui avaient, en général, un bas niveau de qualification et, d’autre part, des salaires relativement élevés. Les restructurations des ces entreprises ont signifié beaucoup de chômage, un effort énorme de formation et, au fond, une dualisation grandissante du marché de travail.

Il y a différentes approches pour chercher les solutions à ce problème. En Europe continentale, notamment sous l’influence de la social-démocratie, les mesures tendent, en général, vers la réduction du temps de travail, la formation continue, la création des emplois mixtes dont les coûts des salaires sont financés tant par l’Etat que par le privé ou bien par le système de détaxation des salaires des moins qualifiés. Dans les pays anglo-saxons (Angleterre, etc.), la stratégie privilégiée est la privatisation des entreprises publiques, la flexibilité des salaires et la régulation du marché du travail par les lois du marché.

Dans cette contradiction et dans la recherche de mécanismes de solution, de nouveaux discours politiques apparaissent prônant la transformation du traditionnel « Etat du bien-être », basé essentiellement sur la solidarité, vers un « Etat social actif », qui limite et conditionne plus les aides et prestations sociales, incorporant beaucoup plus la logique financière et en considérant le travailleur plutôt comme une marchandise (Sloover, 2002).

Page 190: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

190

Au niveau Européen, les politiques sociales communes sont très en retard par rapport aux politiques économiques. A ce propos, les négociations entre partenaires sociaux n’avancent pas tellement et se limitent, jusqu’à présent, aux sujets secondaires (conditions ou circonstances de travail) plutôt qu’aux matières fondamentales tels que les salaires, la durée du travail, etc.

4.- La culture nationale

La culture est étroitement liée à l’histoire et aux institutions du pays. Une première difficulté pour caractériser la culture belge c’est ce « mélange » culturel, cette faible « personnalité » ou reconnaissance comme culture nationale. Il s’agit d’une société traversée par des différences culturelles, linguistiques et communautaires et par les clivages politiques et philosophiques, dont nous avons déjà parlé. Ces différences culturelles et ces clivages politiques influencent et conditionnent fortement les comportements des citoyens. Le pays vit dans une relation d’éternelle dichotomie et dans une incertitude en tant qu’Etat unitaire. Il s’agit donc, de ce point de vue, d’une société complexe.

Les contradictions et tiraillements permanents entre communautés43 marquent les comportements dans toute la société. Les sensibilités concernant la nation, les communautés, l’Etat, le travail, la monarchie, pour ne citer que quelques exemples, sont différentes. Donc, pour n’importe quel problème, il faudra négocier pour ainsi satisfaire les intérêts des deux Communautés.

Quand il s’agit de caractériser un pays, en général les théoriciens se référent à l’idée jacobine d’unité, c’est-à-dire, un peuple, une langue, un Etat, une nation. Cependant, la Belgique rompt totalement avec cette notion, puisqu’il n’y a pas une nation, un peuple ni une langue et l’Etat a des tendances centrifuges parce que l’idée fédéraliste augmente.

Dans le cadre des discussions politiques communautaires permanentes, Perin commente : « Si les Flamands pensent être capables de constituer une nation, un Etat-nation, ce sentiment est totalement inexistant en Wallonie. Il n’y a pas de nationalisme wallon ; il y a eu un régionalisme wallon, …mais le nationalisme, l’identité nationale vécue de façon passionnelle, ça n’existe pas. Au contraire, cela provoque même un sentiment d’hostilité » (Perin, 2002, p. 9). D’après Lallement : « Si la Belgique existe de moins en moins comme nation, elle s’affirme aussi comme une réalité multiforme qui montre ses différences régionales ou communautaires et cache ses concordances de mœurs ou de culture…[un aspect révélateur ] l’humeur belge s’insinue souvent dans ce sous-entendu, dans cette ambiguïté : nous ne sommes pas ce que nous disons de nous… » (Pickels et Sojcher, 1998, p.232).

Cependant, nous constatons que cette dynamique d’exacerbation des différences culturelles et communautaires cache et « ignore » souvent l’énorme richesse et les avantages de cette cohabitation historique. C’est dans ce contexte que l’on essaiera d’éclairer les variables culturelles qui nous intéressent.

4. 1.- L’autorité et les rapports hiérarchiques

Dans l’entreprise, l’autorité existe et elle est respectée, c’est une réalité indiscutable. Il y a une certaine distance hiérarchique, d’autant plus que c’est au chef de définir les objectifs à atteindre dans son champ d’action, d’évaluer ses subordonnés, par conséquent, de conditionner la variation périodique des rémunérations (bonus et primes) et des promotions, 43 Notamment entre les deux communautés principales : la Wallonie et la Flandre.

Page 191: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

191

d’orienter fortement la carrière de ses collaborateurs. C’est une autorité qui a un pouvoir réel d’incidence dans le sort et la vie des subordonnés et de l’entreprise. Bien que cette autorité et les rapports varient selon les niveaux hiérarchiques, elle n’est pas perçue non plus comme détenant tous les pouvoirs. Il n’y a pas une soumission ni une obéissance aveugle à l’autorité. Le respect de l’autorité reste dans un cadre rationnel.

Au niveau de l’entreprise, il y a eu une évolution vers la réduction des niveaux hiérarchiques et, d’autre part, vers des nominations des chefs pour leurs compétences managériales et non seulement politiques ; « dans le temps, plus on montait dans la hiérarchie, plus on était coloré politiquement et, sur le coup, on était très respecté. Je crois cependant qu’il s’agissait bien plutôt de crainte que de respect. Je crois qu’aujourd’hui le chef est devenu plus abordable parce qu’il n’est plus là en fonction de sa couleur politique… il est là pour ses compétences » (un directeur DRH). Si nous considérons l’histoire de ce type d’entreprise ceci c’est une évolution extraordinaire, forcée aussi par le nouveau type de management.

Mais dans cette relation hiérarchique, il reste quand même une sorte de contradiction. En général, le contact des chefs est devenu plus facile, humainement plus accessible, plus ouvert, mais les gens restent encore avec une certaine retenue parce que le dialogue n’est pas d’égal à égal et donc parfois ils n’osent pas lui adresser la parole. « Globalement, il y a une sorte d’inhibition de la part du personnel qui n’a pas toujours le courage de dire ce qu’il pense ou qui ne juge pas utile de dire ce qu’il pense ; je crois que le débat contradictoire pour le moment est relativement absent » (un directeur DRH). Il est clair qu’il y a une hiérarchie mais, en même temps, nous constatons un trait culturel dans cette façon a priori prudente de s’opposer, de protester ou de contredire l’autorité. « Même s’il y a l’ouverture de dire au supérieur: « je ne suis pas d’accord », les travailleurs vont hésiter avant de le faire, ils vont peut être le faire à la fin ou en raccourci…et finalement ils vont pouvoir critiquer poliment et sans choquer personne » (un cadre).

En effet, il y a une certaine modestie dans la mentalité belge ; ceci est évident quand les Belges se réfèrent souvent, par exemple, à « notre petit pays », au « petit Belge » ou à « vous voyez, la complexité et la bureaucratie institutionnelle: c’est la Belgique », avec des sentiments et des connotations plutôt négatives, ironiques, voire péjoratives. Ceci se perçoit encore dans cette sorte de retenue ou manque de fierté qu’ont les Belges pour montrer ou présenter des succès, des grandeurs, des choses éminemment positives qui existent de fait : il s’agit quand même d’un pays qui possède un des niveaux de développement humain les plus hauts du monde et une démocratie stable et multiculturelle44.

Cette modestie, voire ce « complexe », des belges serait marquée, d’après plusieurs auteurs, par le sceau du passé historique de ce pays, qui a été envahi par toutes sortes de puissances (romains, français, espagnols, hollandais, etc.) à travers les siècles. Perin affirme que : « Le phénomène est culturel. Mais qu’est-ce qui est culturel ? Le terme couvre une réalité d’une complexité telle qu’il est vain de vouloir le définir. Il faut chercher dans l’histoire ce qui a pu conditionner les Belges. Sont-ils vraiment responsables de ce qu’ils sont ? Pour répondre positivement, il faudrait qu’il soit établi par les faits qu’ils se sont vraiment faits eux-mêmes, comme les Italiens par exemple (Italia fara da se). Force est de constater que les Belges ont été constamment bousculés par les rivalités et l’appétit de domination ou d’hégémonie des grandes puissances…., pour nous comprendre –entreprise téméraire- il faut au moins « avoir vécu » cinq siècles parmi nous !…Les Belges ont une identité confuse et indéterminée. C’est 44 La Belgique occupe le 4° rang mondial du ranking-IDH, avec un IDH (Indicateur de Développement Humain) de 0,939 (voir tableau 8). Au niveau européen, elle est devancée seulement par deux pays scandinaves, la Suède et la Norvège. (L’Etat du Monde, Ed. La Découverte, Paris, 2002). Société d’une grande mixité culturelle, capable de négocier démocratiquement un compromis communautaire et social salutaire ; compromis et « impuretés » sociale et culturelle où réside, justement, sa valeur intrinsèque. Il s’agit d’un modèle qui devrait inspirer plus profondément la construction de l’Europe multiculturelle, polyglotte et de régions en cours.

Page 192: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

192

la raison pour laquelle tout pouvoir, quel qu’il soit, est mis en perpétuelle dérision ou suspicion. La grogne est permanente. On déteste l’Etat et on l’assaille de revendications « toujours légitimes » (Pickels et Sojcher, 1998, pp. :195-198). Nous sommes très loin de trouver, par exemple, l’esprit plus nationaliste, voire parfois chauvin, des chiliens, des français, des nord-américains ou de tant d’autres nationalités.

Les relations de travail et les rapports hiérarchiques reposent, en général, sur une base solide de respect mutuel entre personnes, sans autoritarisme. Des attitudes autoritaires ont existé, bien entendu, et peuvent exister encore mais elles sont de plus en plus rares et critiquées, perçues comme nuisibles pour la motivation, l’empowerment et la productivité des travailleurs et de l’entreprise. « L’autorité d’un chef est basée sur le rapport qu’on a avec les personnes... ce n’est pas parce qu’on est autoritaire, un « commandant », qu’on peut avoir les résultats qu’on attend parce que la personne à qui on donne des ordres n’accepte pas cette méthode… jouer à l’armée n’est pas une solution, peut-être dans le passé mais à l’heure actuelle non… il doit y avoir des personnes qui restent sur des principes autoritaires, mais je crois que c’est quelque chose qui doit disparaître, ce sont des personnes d’ancienne génération, en tout cas ce n’est pas un courant dominant » (un chef de projet). « L’autoritarisme ça me dérange dans le sens où ce n’est pas motivant, je crois que quelqu’un est efficace quand il est motivé, quand il croit à ce qu’il fait…et ce n’est pas l’autorité qui convainc, il faut que quelqu'un soit satisfait, qu’il croie à ce qu’il fait ; il faut être plutôt convaincant qu’autoritaire » (un cadre).

Autre pratique très liée aux rapports hiérarchiques, c’est le paternalisme. Par rapport à l’entreprise chilienne, comme nous le verrons, il est plus faible, moins présent.

La reconnaissance de l’autorité est basée sur le poste formel et sur la compétence. La tendance à prend en compte la compétence, la façon de traiter les personnes, la façon de diriger et d’établir le rapport humain vis-à-vis des subordonnés gagne du terrain. « Les gens trouvent très important qu’on donne le bon exemple…ça c’est très important…Je crois que l’exemple, avoir des compétences et prendre des responsabilités sont des choses importantes » (un cadre).

4. 2.- La conception du pouvoir.

L’exercice du pouvoir dans l’entreprise est plus discret, moins ostentatoire qu’au Chili. Dans la résolution des affaires ou des conflits d’intérêts divergents, occasion où le pouvoir peut se mettre en valeur, la logique dominante est à la négociation et non à l’imposition pure et simple de ce pouvoir, même si on n'ignore pas la notion de corrélation des forces. Les syndicats exercent encore un certain contre-pouvoir quoique moins marquant que par le passé, conditionnés par les pressions du contexte (taux de chômage élevé, gel des salaires, etc.). En général, les négociations seront du style gagnant-gagnant (win-win), plutôt que celles basées sur une logique de somme nulle. Cela veut dire que dans ce type de négociations, les partenaires en question doivent nécessairement gagner, en même temps que perdre quelque chose. Dans le travail « pour moi, le pouvoir c’est le savoir ; donc, « je connais tel produit, j’ai une solution technique, je sais ce que fait mon concurrent ; si je sais comment ça va marcher, on va m’écouter! »…Je crois qu’il y a beaucoup de gens qui ont besoin d’avoir un titre : chef, manager, directeur… ça fait toujours bien, bien sûr, d’avoir quelque chose, ça fait partie aussi de la motivation…(Cependant) je dirais que c’est très discret… on exprime très peu son pouvoir en Belgique, on est très peu latin, de ce côté on est plutôt japonais» (un directeur adjoint de marketing).

Dans la résolution des conflits du travail, il s’agit de chercher les solutions de la contradiction d’intérêts en dialoguant, cela veut dire aussi que les chefs tendront à faciliter l’ouverture de ce

Page 193: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

193

dialogue. C’est dans un second temps que, s’il le faut, l’autorité prendra les choses en main et s’imposera. Quand il y a un conflit « Nous essayons d’écouter, de mettre les idées ensemble pour trouver la solution la plus juste, la plus équitable. Il faut un dialogue… je crois que souvent, en se parlant, on évite ce rapport de chef à subordonné …Nous nous parlons en ayant le respect de l’un pour l’autre, … à ce moment là, nous pouvons arriver à de meilleurs résultats que simplement imposer les décisions du chef… En général, nous ne laissons pas traîner les problèmes mais pour les résoudre, nous n’allons pas toujours utiliser les méthodes fortes ; on est pour trouver une solution « à la belge » : en dialoguant, en négociant, « un petit peu pour toi, un petit peu pour moi », donnant-donnant…C’est typique de la Belgique, je crois que la Belgique est réputée pour ce genre de choses » (un chef de projets). Il est vrai que la culture de la négociation est profonde, elle est imposée par la réalité complexe du pays et elle traverse toutes les activités et les institutions « C’est toujours manœuvrer d’un côté à l’autre, entre les intérêts des uns et des autres, c’est la politique partout…c’est typique ici, et c’est sur tous les plans, c’est tout le temps comme ça. C’est comme ça à l’entreprise, à l’école, dans la société…c’est typique en Belgique » (un cadre).

La conception du pouvoir est plutôt hybride. Le pouvoir n’est pas toujours concentré, il est aussi éparpillé entre plusieurs acteurs, il n’est pas nécessairement assimilé à une seule autorité ; cela dit, il est clair qu’il est plus concentré dans la haute direction. Au niveau de l’entreprise nous constatons une contradiction entre concentrer ou partager le pouvoir. « Il y a des forces en opposition : celui qui veut progresser dans sa carrière va tenter de concentrer des activités, des responsabilités, etc., quelque part il concentre le pouvoir. De l’autre côté, l’entreprise demande une participation, une gestion participative, une communication large... l’obligation de partager, ce qui va en direction contraire par rapport à cette tendance… Je crois cependant qu’il y a une tendance à l’équilibre entre ces deux directions » (un directeur DRH).

Au niveau national, nous observons que ni l’Etat, ni le Premier Ministre sont des figures ou des véritables détenteurs d’un pouvoir fort et unique et qui donnent un sens fort du pouvoir.45

Le pouvoir est hybride puisque, d’une part, il y a une personnalisation du pouvoir, des ambitions fortes, un sentiment de supériorité et de fierté personnelle mais, en même temps, il existe la confiance et la transparence, l’écoute, la promotion d’un travail collectif et une certaine humilité des personnes ayant du pouvoir. En suivant de Woot (1998), nous retrouvons ici, en pratique, des caractéristiques typiques tant du pouvoir de domination que du pouvoir de service.

4. 3.- La liberté et l’autonomie

La liberté dans le travail est parfois liée au problème de l’autonomie. Avoir plus de liberté et d’autonomie de travail, en principe, c’est un souhait de la plupart des employés. Mais cela va dépendre évidemment des niveaux hiérarchiques l’on se situe et du type de travail. En général, dans cette entreprise, il y aura plus de liberté dans les niveaux supérieurs que dans les niveaux inférieurs de la hiérarchie ; en bas, les tâches - planifiées et décidées en haut - sont plutôt exécutées. La liberté et l’autonomie « ça dépend des personnes et des services … Liberté d’action ne veut pas dire que tout est permis ; pour arriver à certains objectifs il y a des personnes que disposent, à juste titre, de plus de liberté. Il y a d’autres services où le travail est beaucoup plus défini, par exemple, dans un service de renseignement d’un Call Center, c’est un travail bien défini… et là on ne va pas parler de trop de liberté d’action…Mais en général, les gens aiment la liberté dans le travail » (un cadre DRH). Travailler avec plus de liberté et d’autonomie suppose une plus grande responsabilisation des

45 Par contre, comme nous le verrons, c’est le cas au Chili.

Page 194: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

194

travailleurs. Cette plus grande responsabilisation a été liée au travail en groupe ou collectif et, ces dernières années, c’est une pratique en forte progression.

La dynamique de l’autonomie, liée à la responsabilité et au travail en groupe, c’est une pratique qui prend de l’ampleur non seulement au niveau des cadres mais aussi, quoique plus lentement, aux niveaux d’employés (niveaux 2 à 4). Il semble que cela fonctionne beaucoup mieux dans cette culture latine « hybridée ».

Les techniques du management nord-américain sont appliquées à la manière belge, c’est-à-dire en considérant les conceptions et les positions différentes des acteurs, notamment de la direction et des organisations syndicales ; ceci est une tradition sociale en Belgique. « Je crois qu’au départ, c’était bien d’avoir des aspects du management américain, mais appliqué avec l’esprit belge ; Belgacom reste une entreprise où on considère le social quand même ; je crois que l’union de ces trois courants a été bonne, a donné de bons résultats, le côté américain qui a apporté quelque chose, plus le Nord et le Sud » (un chef de projet).

A partir des caractéristiques culturelles que nous avons relevées, c’est-à-dire, une autorité respectée mais pas à n’importe quel prix, un respect de l’autorité basée sur des compétences, très peu de paternalisme et moins encore d’autoritarisme, un pouvoir qui n’est pas concentré dans quelques personnalités ou enclaves symboliques mais plutôt partagé, une pratique du pouvoir dégagée d’une conception mélangée entre un pouvoir de domination et de service, une tendance à la négociation gagnant-gagnant entre partenaires sociaux, etc. Nous pouvons affirmer qu’il s’agit d’une culture latine « hybride » susceptible de stimuler plutôt une pratique de management politique qu’une pratique de management « californien ». On y reviendra.

Section II : CONTEXTE INTERNE

Nous entamons à présent l’analyse du contexte interne de l’entreprise. Dans ce cadre, nous considérons deux variables, à savoir : les configurations organisationnelles et les stratégies de l’entreprise.

1.- Les configurations organisationnelles

Rappelons que l’entité considérée se limite à la maison-mère du Groupe et, plus particulièrement, à la Business Unit Wireline (téléphonie fixe).

Au niveau de la structure organisationnelle, il existe encore une centralisation importante au siège à Bruxelles qui n’est pas bien perçue par les acteurs. Cette centralisation et l’importante distance hiérarchique qui restent -dont les 7 niveaux hiérarchiques sont qu’un aspect- perturbe et distord la communication entre la direction et la base ; « Ce qui a grandi, c’est le fossé entre ce bâtiment-ci, la pléthore de Directeurs qu’il y a ici, et les gens de terrain. C’est vrai que par rapport à Bruxelles, aux «Tours » -comme on appelle ce bâtiment- il y a même un certain mépris parce que ce sont des généraux qui n’ont jamais vu des soldats… Même dans « les Tours », il y a encore une grande distance entre le personnel et les General Managers ; il y a beaucoup de Général Managers qui ne parlent pas avec les gens… Le Directeur est considéré encore comme une personne accessible, par contre le Général Manager, est considéré plutôt comme une personne inaccessible, … il est perçu comme ça, c’est un cénacle un peu fermé » (un directeur DRH).

Page 195: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

195

1. 1.- La division du travail

- La division horizontale du travail entre les opérateurs peut être décrite, notamment à la base, comme étant encore forte, elle est essentiellement cantonnée à des spécialisations techniques spécifiques; autrement dit, la nature du travail, les outils, les procédures, les compétences retrouvées chez un jointeur, par exemple, ne sont pas du tout les mêmes que celles retrouvées chez un électricien ou chez un informaticien et ainsi de suite.

Au cours de cette période, il y a eu des efforts importants pour simplifier l’organisation et, donc, le processus du travail. En 1995, le programme TURBO46 est lancé avec le but de restructurer l’organisation, d’une organisation décentralisée en 13 circonscriptions géographiques, elle est passée à une organisation plus centralisée au siège central (Bruxelles), où toutes les décisions sont prises. Elle a été organisée par grands segments de marché (Résidentiel Clients, Business Clients, Corporate Clients, Special Business…) et orientée principalement vers le client, restructuration qui au préalable a été étudiée et proposée par McKinsey. Par après, un autre important programme a été réalisé, le PTS, mais il n’a pas modifié significativement les structures de la compagnie.

Presque simultanément au PTS (fin 1999), le programme BOOST démarre - conçu comme la continuation du TURBO- pour simplifier davantage et remettre de l’ordre dans les structures de l’entreprise. Une vingtaine de divisions sont réduites à quatre lignes d’affaires ou Business Units principales, à savoir : Wireline, Mobile, Carrier et Internet/Multimedia. En 2001, le programme BeST47, aujourd’hui en cours, viendra à nouveau « retoucher » un peu les structures de l’organisation dans le sens où il veut transformer le mode de fonctionnement en faisant appel aux nouvelles technologies pour, à court terme, effectuer 50% de ses achats via internet, diminuer les services administratifs, simplifier le fonctionnement avec un souci d’augmenter la performance.

Cependant, en général, la division du travail horizontal à la base n’a pas changé profondément et c’est seulement ces deux dernières années qu’un léger processus de polyvalence commence à se développer dans certains types de métiers, mais toujours à l’intérieur d’une même famille. « Au niveau de la division horizontale de l’organisation du travail, on a rencontré relativement peu de changements. A l’exception de la disparition de certains métiers qui n’étaient plus directement liés à notre « core-business ». Les métiers de base sont restés : un jointeur est resté un jointeur, un électricien est resté un électricien…Avec le projet TURBO, nous avons connu un mouvement de spécialisation au sein de chaque métier (jointeur « installations » ; jointeur « réparation » ; électricien « résidentiel » ; électricien « business » ; électricien « corporate »…). Ce mouvement de spécialisation a permis d’améliorer le niveau d’expertise. Suite au projet PTS et avec le projet en cours BeST, ayant notamment pour conséquence une réduction des effectifs, nous connaissons actuellement un mouvement de retour à un certain niveau de polyvalence, en particulier dans les régions plus rurales. Par ailleurs, l’évolution des technologies nécessite une plus grande polyvalence : un électricien qui n’installait autrefois que des lignes PSTN est passé à l’ISDN, et aujourd’hui à l’ADSL… « (un directeur de région). Mais il s’agit seulement d’un degré de polyvalence à l’intérieur d’une même famille, par exemple, de la « famille des électriciens » et ainsi de suite.

Il ne s’agit pas encore - loin de là- de la vraie polyvalence présente actuellement dans certaines nouvelles « logiques professionnelles » -notion utilisée par certains auteurs au lieu 46 TURBO : Transforming, Upgrandind, Responsabilising, Belgacom’s Organisation PTS : People, Teams and Skills BOOST : Belgacom’s Optimal Organizational & Strategic Transformation 47 BeST : Belgacom e-Business Strategic Transformation

Page 196: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

196

de « métiers »- tels que le bio-informaticien, le professionnel en charge de l’animation de sites Internet, le responsable de projets d’implantation de PGI (Progiciels de Gestion Intégrée), etc., où sont présentes des compétences variées mais convergentes, des disciplines différentes qui s’intègrent (Zune, Rorive et Pichault, 2002).

La division verticale du travail, elle, reste encore plus figée avec peu de changements au cours de ces années. Malgré un effort de diminution des niveaux, l’organisation reste une entreprise hiérarchique où il y a, à l’heure actuelle 7 niveaux hiérarchiques et, d’autre part, la conception et la planification du travail pour les opérateurs de base sont fait par les analystes de la technostructure, le corps d’ingénieurs. « A ce niveau- là, on a des systèmes tout à fait automatisés, chaque électricien dispose d’un PC portable raccordé au réseau GSM et au travers duquel il reçoit d’un serveur tous les ordres de travail, tout le travail de sa journée, il reçoit presque toutes les informations par moyen informatique et nous savons quand il commence, à quel moment il est chez le client, etc.» (un directeur de région).

1. 2.- La coordination du travail

Quant à la coordination du travail, il y a principalement deux types de coordination : la standardisation des résultats et la supervision directe. La standardisation des résultats est présent tout au long de la chaîne de direction (line management) dans la mesure où toutes les divisions, les départements, les unités, etc., tant au niveau collectif qu’individuel, ont des objectifs et des résultats précis à atteindre, prédéterminés a priori, pendant une période donnée. « Nous avons un processus de management de la performance qui commence en début d’année - plutôt à la fin de l’année antérieure- par la fixation des objectifs ; on fixe des objectifs en cascade sur tous les niveaux hiérarchiques de l’entreprise, y compris pour tous les techniciens, et nous avons un progress review à raison de 4 fois par an. En fin d’année, nous évaluons ces objectifs…Il y a donc une planification de nos ressources en fonction de nos objectifs, de la demande des clients, et ainsi jusqu’à une planification hebdomadaire, …et puis alors, il y a une planification quotidienne » (un directeur de région).

Une supervision directe est pratiquée dans les Call Centers (exemple : Call Center de Bruxelles), qui font partie de l’entreprise, où un superviseur contrôle le travail d’une équipe de 10-12 opérateurs.

1. 3.- Les buts

C’est une organisation qui considère les deux types de buts. Cependant, à notre avis, les buts de système prévalent sur les buts de mission. D’une part, des buts de mission telles qu’une permanente augmentation de la qualité des services vis-à-vis des clients, une diminution des prix des services offerts, attestent cette préoccupation ; d’autre part, une augmentation permanente de l’efficacité du travail et de la performance de l’entreprise, est la tendance dominante. Exemple, en 1996 : 187 lignes par employé, en 2001 : 218 lignes par employé (voir tableau 9). La diminution significative des coûts de production à travers d’importants programmes qui incluent la retraite anticipée de milliers d’employés (programmes PTS et BeST), des mesures d’économie dans des opérations de production quotidiennes, la location ou vente des bâtiments de leur propriété aux tiers, le maintien d’un Fonds de pension exclusif dont bénéficient leurs employés, etc. confirment la préoccupation dominante par leurs buts de système.

1. 4.- La localisation du pouvoir entre les acteurs

Page 197: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

197

Nous observons une distribution du pouvoir sur plusieurs acteurs ou endroits. Le plus important centre du pouvoir se situe au sommet stratégique, localisé notamment dans le Comité de Direction et dans la personne de l’Administrateur Délégué ou CEO (voir Annexe I). Ensuite -et dans cet ordre d’importance- chez les propriétaires ou actionnaires dans la mesure où l’actionnaire majoritaire est l’Etat avec un 51% des actions et, donc, avec un pouvoir de décision important dans les affaires stratégiques qui, par exemple, a été mis à l’épreuve lors du dernier programme BeST, mais aussi par le rôle actif de l’actionnaire privé dans le chef du Consortium ADSB Télécommunications, à dominante américaine.

Les syndicats, historiquement forts dans ce type d’entreprises et compte tenu du haut taux de syndicalisation dont ils jouissent, ont un pouvoir important ; ils participent donc aux négociations collectives sur une série d’affaires socio-économiques de l’entreprise. Enfin, un quota du pouvoir reste aussi pour la ligne hiérarchique et les analystes de la technostructure (corps d’ingénieurs, experts). Cependant, dans ce domaine, nous constatons que l’intérêt et une partie du pouvoir glissent vers les aires commerciales et du marketing «L’aspect commercial devient important, c’est le business…il faut vendre… L’aire de l’ingénierie, de la technologie, en masse est encore la plus importante, mais en pouvoir, je ne crois pas qu’elle ait encore cette importance puisque l’aspect financier et le marketing sont plus pris en compte » (un chef de projet).

En général et bien que certaines variables s’expriment de façon hybride, d’une entreprise hiérarchisée, pyramidale (1995-1996), elle a évolué vers une entreprise avec moins d’échelons hiérarchiques, plus simple, avec une légère polyvalence à l’intérieur des familles de métiers, mais elle reste une configuration essentiellement bureaucratique. Aujourd’hui elle se pose comme perspective devenir une « e-entreprise »48 mais elle n’est pas encore une entreprise en réseau, surtout vers l’extérieur.

2.- Les stratégies

Nous nous focaliserons notamment sur deux types de stratégies : la stratégie de diminution des coûts et la stratégie d’amélioration de la qualité.

2. 1.- La stratégie de diminution des coûts

En 1998, un des objectifs principaux du programme PTS est d’inciter à la retraite anticipée volontaire d’une partie du personnel comme les études prospectives le conseillaient (il était question d’un excédent net de 4.400 personnes). Dans le cadre de ce programme environ 6.000 personnes sont parties.

En 2001 le programme BeST a été lancé et son volet social comporte un départ, sous la formule d’une mise en « disponibilité active volontaire », d’un total de 4.500 personnes; la première vague de 1.500 personnes est déjà partie au début 2002. Donc, en général, il y a eu une réduction très importante du personnel aux cours de ces 6 dernières années.

Il faut ajouter que, dans le cadre du dernier programme (BeST), un volet de temps partiel du travail est aussi mis en place. Un blocage des augmentations de salaires opère depuis des années, pour les niveaux 2 à 449, et reflète l’application de ce type de stratégie, parfois non

48 Terme utilisé de manière récurrente au sein de l’entreprise pour désigner l’usage intensif des technologies de l’information et de la communication. 49 Chez le personnel de Belgacom il y a 4 niveaux : niveau 1 (les cadres): occupent une fonction du niveau de formation de l’enseignement supérieur de type long (universitaire ou enseignement supérieur non-universitaire);

Page 198: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

198

sans sursauts, comme par exemple, dans les négociations collectives de 2000-2001, occasion dans laquelle un des syndicats (CSC) avait proposé de discuter, dans le cadre de cette négociation, le thème des augmentations salariales, ce qui n’a pas été accepté par les autres interlocuteurs.50 « Nous sommes en train d’avoir une politique d’amélioration de nos résultats, nos earnings, et ça veut dire travailler, en même temps, sur les revenus et sur les coûts. Donc, nous avons une préoccupation sur la simplification des produits, simplification des procédures, standardisation des produits, parce qu’on doit réduire nos coûts. Cela est vraiment très marqué ces deux dernières années » (un vice-président exécutif).

Il faut relever, en général chez les cadres, la tendance à l’augmentation soutenue de la quantité de temps consacrée au travail. En effet, ceux-ci travaillaient, en 2001, environ 50 heures/semaine, sans considérer le temps consacré souvent le week-end ce qui augmente encore plus cette charge de travail, sans paiement supplémentaire. Ce volume de travail, au-delà de la rémunération, pose le problème de la qualité de vie pour les cadres. Le problème du manque d’équilibre entre le temps consacré au travail et à la vie privée ( famille, loisirs, etc.) et celui de l’efficacité de la personne par rapport au volume de travail rendu. Il n’est pas démontré, à notre avis, qu’une telle quantité de travail est toujours efficace.

D’autre part, la tendance ces dernières années à l’externalisation des travaux de gardiennage, de la cantine, la concentration de la flotte des camions (à Nivelles) ou la mise en location de nombreux bâtiments de la compagnie, reflètent aussi cette perspective prioritaire de diminution des coûts et d’augmentation de la productivité.

2. 2.- La stratégie de la qualité

Plusieurs initiatives ont été développées pour accroître la fiabilité des produits et des services offerts, pour augmenter la satisfaction et la fidélisation des clients.

En 1996, le programme de restructuration TURBO avait comme but principal de se rapprocher plus des clients avec l’intention de satisfaire mieux leurs besoins. De même, dans les programmes de formation interne l’attention aux clients devint un sujet d’étude de plus en plus important. En 1997, le Corporate Custormers Division s’est engagé dans un programme de qualité totale dans la perspective d’obtenir, en juin 1998, le certificat ISO 9002. Pour le client, le certificat ISO 9002 constitue la garantie que chaque phase d’un processus de recherche de la qualité sera exécutée conformément aux stricts critères retenus.

Pendant le processus de reconversion du programme PTS, en 1998, la formation sur ce sujet s’est encore approfondie.

En 2000, dans le programme BOOST, un des axes principaux était le service aux clients. L’entreprise trouvait qu’elle était encore une entreprise trop complexe qui ne permettait pas un contact facile avec les clients. C’est la raison pour laquelle, en plus, le projet MACS (Maximizing Customer Satisfaction) est mis en œuvre en ayant comme but d’intégrer, de stimuler et de suivre tous les efforts pour augmenter la satisfaction des clients ; il proposait d’offrir la meilleure qualité au meilleur prix, une volonté de se battre jusqu’au bout pour satisfaire les clients avec la consigne : « rien n’est impossible » ou bien mettre tout en œuvre pour « solutionner le problème du premier coup ». Quelques objectifs du MACS étaient une

niveau 2 : occupent une fonction de rang 2A, c’est-à-dire du niveau de formation de l’enseignement secondaire supérieur ou une fonction de rang 2B, c’est-à-dire du niveau de formation d’un graduat ; niveau 3 : occupent une fonction du niveau de formation de l’enseignement secondaire inférieur ; niveau 4 : occupent une fonction du niveau de formation de l’enseignement primaire. Les fonctions Ventes (Sales) ont un statut spécial et indépendant des autres niveaux (Rapport social, Belgacom, 2001). 50 Voir « Accord portant sur une convention collective pour les années 2000 et 2001 », approuvé par la CP du 03-04-2001.

Page 199: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

199

réponse dans les 20 secondes dans le Call centers, 80% des cas, 6 minutes d’attente maximum dans les Téléboutiques, 70% des cas, réduction de 25% du temps de résolution d’un problème, etc. (Rapport annuel 1999).

En 1999, Belgacom a opté pour l’obtention du système de gestion de l’environnement ISO 14001 qui vise l’excellence. Le projet « Introducting Environnemental Management systems at Belgacom » a été mis en œuvre avec l’aide d’une expertise externe et le but est de déboucher sur une certification ISO 14001 au plus tard en 2004.

Un autre type d’action qui témoigne de cette stratégie sont les enquêtes systématiques de satisfaction des clients réalisées tant par l’entreprise elle-même (au moins tous les trois mois) que par une entreprise externe (au moins une fois par an). L’entreprise a fait des efforts pour améliorer la qualité des produits et des services, et ceci à travers notamment des projets de qualité spécifiques. Cependant, elle n’a pas pu ou voulu développer une stratégie ou un management dit de la Qualité Totale qui concernerait, évidemment, les processus, l’organisation et les pratiques de gestion de l’organisation tout entière, et cela par une opposition des organisations syndicales.

La stratégie de la qualité est souvent étroitement liée à celle de l’innovation technologique ou de la flexibilité organisationnelle. Les changements des stratégies appliquées sont tellement fréquents qu’il est difficile parfois de les séparer.

Globalement, l’entreprise ne s’est pas limitée à appliquer ces deux types de stratégies. Mais celles-ci ont été les plus récurrentes et les plus importantes tout au long de la période, c’est la raison pour laquelle nous les avons privilégiées.

Dans la téléphonie fixe, pour améliorer la qualité, elle a innové avec l’ADSL, en le mettant au marché en 2000. L’ADSL vient ainsi redonner un nouveau souffle à la téléphonie fixe dans un moment où elle était arrivée à un stade de saturation. Des nouveaux services à valeur ajoutée sont apparus en nombre : Phone Manager 1919 (dernier appel), etc. ; des nouveaux terminaux Maestro 2002, 2030, etc. et Twist 307, etc. (Rapport annuel 2001).

Le programme BeST, qui débute véritablement au début 2001, a commencé à développer un naissant volet de travail à temps partiel. De même, il a été lancé au début 2001 le nouveau réseau interne de l’entreprise, appelé Exch@nge, qui permet une information plus large, une communication plus rapide et une gestion des ressources humaines plus efficace.

L’idée est de faire de l’entreprise une e-entreprise où non seulement elle s’intéresse aux employés (business to employee : B-to-E), mais de la même façon au marché (business to business : B-to-B) et aux clients (business to consumers : B-to-C). « Dans un environnement globalisé où la compétition fait rage, les ressources humaines deviennent un enjeu fondamental surtout dans un secteur comme le nôtre où les ressources sont rares ; dans ce contexte, la satisfaction des employés devient presque aussi importante que celles des clients. Leur faciliter la vie ne peut donc qu’avoir un impact positif sur le business de l’entreprise » (un directeur général DRH).

Les stratégies de flexibilité organisationnelle (TURBO, l’initiative avorté du broadbanding en 2001) et de l’innovation (maintenant une partie de BeST) ne se manifestent pas systématiquement chaque année comme les stratégies antérieures. « Il se passe que dans notre situation nous devons tout faire en même temps. L’évolution technologique est là, par exemple, ce n’est que récemment qu’on parle de Wireless Lan, qui est donc la nouvelle technologie sans fil d’accès à un réseau. Plutôt que d’avoir un câble qui relie votre PC au réseau maintenant c’est sans fil, ça n’existe que depuis quelques mois ; une technologie qui est une large bande passante. Donc, je pense que c’est une technologie qui va aider les utilisateurs à être plus efficaces ; nous devons donc la mettre en œuvre, c’est donc l’innovation… mais ici nous ne générons jamais les marges que nous obtenons avec nos

Page 200: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

200

produits traditionnels, la téléphonie fixe… Donc, tout en étant innovants nous devons faire des économies…ce n’est pas simple de dire société innovante rien qu’innovante ; nous sommes une société innovante, bien sûr, car c’est la meilleure façon de garder la loyauté de nos clients, mais d’autre part, nous devons gérer nos dépenses…Comment diminuer les coûts, c’est essentiellement dans les coûts du personnel, je crois que là on a fait bien les choses ; mais aussi en augmentant l’efficacité de tous nos processus, c’est donc une démarche qualité qui commence d’abord pour avoir des données de qualité sur chacun de nos clients, sur ses comportements d’appel si on parle de voix, sur ses comportement de Mbyte si on parle de data business, etc., etc., la qualité est à la base » (un président d’une Business Unit).

Nous constatons que les stratégies de diminution de coûts, d’amélioration de la qualité, de l’innovation ainsi que les pratiques d’externalisation mise en œuvre, ont eu pour objectif l’accroissement de la productivité, de l’efficacité et de la compétitivité de l’entreprise. Cette tendance s’est accentuée ces dernières années.

Section III : EVOLUTION DES PRATIQUES DE GRH, DES ROLES DE DRH ET DES MODELES DE MANAGEMENT.

1- Contenus spécifiques des pratiques de GRH et leur évolution

Cette section est consacrée à l’analyse de l’évolution des pratiques de la gestion des ressources humaines (GRH) au cours de ces 6 dernières années. Les pratiques de GRH seront déclinées et décrites au travers des variables suivantes : les entrées d’effectifs (recrutement, sélection), les départs d’effectifs (licenciements, plans de préretraite, …), la formation, l’évaluation, la promotion, la rémunération et les relations professionnelles.

1. 1.- Entrées d’effectifs

En 1999, 75% du personnel environ étaient encore sous le statut de la fonction publique -appelés « statutaires »- du au fait d’avoir été une ancienne entreprise publique. Par conséquent, les employés ne pouvaient pas être licenciés (contrat à vie), leur promotion et l’augmentation salariale étaient -et sont encore - basés fondamentalement sur l’ancienneté. Cependant, depuis déjà plus de 6 ans, le recrutement des employés des niveaux 2b jusqu’à 4, à l’exception du niveau 1 (les cadres) et des vendeurs, est pratiquement bloqué et la tendance est à la diminution des effectifs. Par contre, le recrutement sélectif du personnel de niveau 1 a continué et il a significativement évolué pendant cette période, ainsi par exemple si, en décembre 1996 ils étaient 1.944, en juin 2000, ils étaient 2.533 personnes (Rapport social), en 1997, et parallèlement au PTS, 1.500 nouveaux collaborateurs ont été engagés. En 1999, au niveau 1, il y avait 50% de « statutaires » et 50% de « contractuels ».

Mais le recrutement des personnes de niveau 1 a été fait notamment sous des contrats à durée déterminée (appelés les « contractuels »). Ces sont surtout des personnes spécialistes en hautes technologies, en data engineering, en marketing, en ventes, métiers qui correspondent aux besoins de plus en plus forts d’une entreprise orientée vers la transmission des données, la téléphonie mobile et l’internet.

Page 201: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

201

Ces recrutements se font à travers des campagnes périodiques dans la presse, les radios, le cinéma et, depuis 2001, à travers un portail internet (on-line recrutement). Avant le plan PTS, il y avait un budget-plan bien défini pour le recrutement, mais cette planification a été totalement bouleversée par les plans de retraite anticipée successifs et les promotions qui s’en sont suivies. De toute façon, pour chaque recrutement il faut toujours une autorisation financière.

Quant à la sélection, elle se réalise suivant une procédure et des techniques clairement établies. Si bien des tests de personnalité sont utilisés, notamment dans le processus on-line, la méthode principale de sélection est l’entretien, dans une première étape, fait par un spécialiste (psychologue du département des R.H.) et, ensuite, par le responsable du département ou de l’unité intéressée par la candidature. C’est à lui à prendre la décision finale tout en considérant les avis techniques du département de R.H.

1. 2.- Départs d’effectifs

En 1996-1997, le plan PTS a impliqué le départ de 6.300 employés (24% des effectifs de l’entreprise) et il a touché tous les niveaux; de même, une reconversion de 6.600 personnes a eu lieu.

En effet, il s’agissait d’une retraite volontaire anticipée; ce plan était volontaire et couvert par des conditions économiques et sociales avantageuses pour les personnes concernées, auparavant négociées et approuvées par les syndicats. Le plan concernait à tout le personnel (des niveaux 1 jusqu’à 4). Les conditions étaient : - avoir au moins l’âge de 50 ans et 20 ans d’ancienneté dans l’entreprise, - les préretraités percevaient 75% de leur salaire dans cette période jusqu’à atteindre l’âge de la pension, plus une prime. Enfin ce plan a été accepté à 98% et il s’agit d’un plan d’une envergure incomparable et inédite au pays.

D’autre part, le volet reconversion du plan PTS a impliqué un processus complexe de détection des besoins de formations pour les personnes, la constitution de Job Centers (5 Job Centers régionaux dans tout le pays) dont le but était l’analyse et l’évaluation des nouvelles compétences des personnes proposées à occuper des nouvelles fonctions. Cette instance fonctionnait avec la participation d’un responsable de la ligne hiérarchique, une personne des R.H. et un membre d’une organisation syndicale. Dans le cadre de ce programme il y a eu une mobilité énorme et une promotion de 49% du personnel. Le coût du seul programme PTS fut de 620 millions EURO, ce qui est un montant extraordinaire. Dans ce programme de reconversion il y a eu, au moins deux types de problèmes principaux : d’une part, pour aller trop vite, le départ d’un nombre considérable de spécialistes (ingénieurs, etc.) a été décidé qui par après se sont avérés nécessaires à l’entreprise par leur savoir-faire. Donc, il a fallu en rappeler à quelques-uns pour certains types de fonctions. D’autre part, la formation n’a pas été suffisante ou correctement donné pour une partie des personnes qui devaient assumer des nouvelles fonctions, ce qui a laissé certaines personnes avec une insuffisance de nouvelles compétences. C’est-à-dire que cette reconversion n’a pas été réussie pour 1% ou 2% du personnel, ces personnes n’ont pas retrouvé un travail en accord avec leurs compétences.

Le programme BeST a accordé le départ de 4.500 personnes entre 2002 et 2005, toujours sur une base volontaire et sous la formule de « mise en disponibilité ». 3.000 autres personnes changeront de fonction et suivront un processus de reconversion. Le taux d’acceptation, cette fois, a été de 92% et la première vague de 1.500 départs a débuté en mars, suivi d’autres 500 en juillet 2002. De même, grâce à ce programme, 500 personnes ont aussi pu commencer à travailler à temps partiel. Sur base de l’expérience du PTS, ce programme a été conçu de façon plus complète et sa mise en œuvre a été plus échelonnée. Il porte sur trois domaines : un

Page 202: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

202

départ volontaire, un programme de reconversion interne et la possibilité de travailler à temps partiel.

Le plan propose la mise en « disponibilité active volontaire » des personnes, une formule inédite et plus innovante que le PTS. En fait, tous les membres du personnel statutaire âgés de plus de 50 ans, avec minimum 20 ans d’ancienneté, peuvent bénéficier du programme, en contrepartie, ces personnes peuvent percevoir un montant équivalent d’environ 70% de leur dernier salaire barémique jusqu’à leur retraite, en les incitant à rester actives sur le marché de l’emploi avec des incitants comme une « prime d’encouragement » de 8.676 EUROS versée individuellement aux personnes qui retrouvent un emploi après leur sortie de Belgacom. Le montant est proportionnel au nombre de mois d’inactivité durant la première année après le départ. Les personnes ré-embauchés ailleurs touchent, ensuite, jusqu’à leur retraite, une « prime annuelle de persévérance » égale au même montant. Cette prime s’ajoute au salaire versé par leur nouvel employeur. Comme l’entreprise a intérêt à ce que la personne retrouve un emploi ailleurs, elle a mis en place un programme d’outplacement pour la recherche d’emploi.

La reconversion concerne 3.000 personnes statutaires ou contractuelles avec une panoplie large de changements, soit à caractère fonctionnel ou géographique. Un budget de 125 millions de EUROS pour la formation a été prévu.

Le volet travail à temps partiel comporte la possibilité de réduire la durée du travail de 80% ou de 50% par rapport au temps de travail normal. L’Etat compense partiellement la perte de revenu induite, conformément aux modalités de la Convention collective de travail n° 77 du CNT d’application pour les entreprises privées dont leur application vient d’être autorisée pour cette entreprise. « Il y a un part-time, avec des primes payées par l’Etat belge pour la partie non prestée….il y a un volet outplacement pour des gens qui arrêtent de travailler pour nous, c’est une guidance que nous faisons avec les gens que sont intéressés de retrouver un job ailleurs. Lorqu’ils retrouvent un job ailleurs, ils ont une prime de Belgacom de 8.750 EUROS. S’ils retrouvent un autre job ailleurs nous arrêtons de les payer… » (un vice-président exécutif).

Rappelons que l’autre aspect du programme BeST - qui a commencé début 2001- tient à la modernisation de l’entreprise avec l’utilisation des plate-formes électroniques, internet et intranet.

En considérant les deux plans de départs volontaires d’effectifs (PTS et BeST), il y aura, au cours d’environ 10 ans, un total d’environ 10.800 départs. Jusqu’au début l’année 2002, les départs somment environ 8.200 personnes, un nombre considérable. Les deux plans ont été conçus sur base volontaire, discutés et négociés avec les syndicats jusqu’aux moindres détails, ils ont participé aussi à l’exécution des programmes et, par conséquent, malgré l’envergure de ces programmes, il n’y a pas eu de graves conflits de dimension nationale (par exemple, une grève nationale, etc.). Jusqu’à présent nous pouvons parler d’un succès notable.

Soulignons, donc une tendance générale très importante au départ des employés moins bien formés (niveaux 2 à 4) et l’arrivé des employés et des cadres de mieux en mieux formés.

• Départs d’effectifs à France Télécom S.A. (France)

Dans ce cas, par contre, il n’y a pas eu des plans sociaux similaires. En étant une entreprise de droit public, elle a deux types d’employés : a)- les fonctionnaires, équivalant à +/- 80% du personnel en 2001, et, b)- les contractuels de droit privé ou de droit public, correspondant à +/- 20% du personnel total.

Page 203: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

203

Les fonctionnaires ont un contrat à durée indéterminée (CDI) et le droit de travailler jusqu’à 65 ans. Jusqu’en 1995, il y a eu globalement une stabilité du nombre de personnes dans l’entreprise. Cependant, l’accord collectif conclu et la Loi approuvée en juillet 1996, ont autorisé France Télécom à mettre en place pendant une période de 10 ans - de 1996 jusqu’à 2006- un mécanisme de retraite anticipée sous forme de congés de fin de carrière (CFC) volontaire pour les employés à partir de 55 ans et qui comptent au moins 25 ans de services valables pour la retraite. Ils perçoivent alors une rémunération égale à 70% de leur rémunération d’activité complète. La période passée en congés de fin de carrière sera prise en compte pour la constitution et la liquidation du droit de pension. Pour faire ce programme, l’entreprise a fait des provisions anticipées pour 85% de volontaires, cependant le programme a été accepté à 92%. Un ex-responsable de R.H. confirme que « même les dirigeants ont été convaincus de prendre leur retraite à 60 ans et ça a marché, … en général, ce mécanisme a eu beaucoup de succès ». En considérant cette disposition légale prise par le Gouvernement, les départs chez France Télécom SA ont évolué de façon significative et ce mécanisme a été une des causes, parmi les plus importantes, des départs anticipés.

Le total de départs pour cause de retraite légale et de « préretraite » CFC, a été, en 1997, de 7.089 personnes, en 1999, de 4.366 personnes et en 2001, de 5.043 personnes. Durant toutes ces années, ce système CFC a plus que doublé le nombre de retraites normales. De ce fait, le nombre total du personnel chez France Télécom a aussi diminué fortement durant ces années.

Tableau 17

Variation des effectifs de France Télécom S.A. (*) 1997 1998 1999 2000 2001

143.429 138.839 134.022 126.420 119.963

Source : Bilan Social, France Télécom, [enligne]. Disponible sur http://www.francetecom.fr (consulté le 15-03-2002).

(*) Effectifs équivalent temps plein.

D’après cette même loi de 1996, l’entreprise dispose alors du choix du mode de recrutement de ses agents jusqu’à cette année 2002. Mais à compter de cette année, France Télécom ne recrutera que des contractuels de droit privé.

La tendance est donc à la diminution du personnel et, à long terme, à une diminution du personnel avec un statut de fonctionnaire a durée indéterminée.

1. 3.- Formation

Depuis des années déjà, l’entreprise entend investir massivement dans la formation. Il s’agit essentiellement de formations de masse.

Différents types de formation sont mise en oeuvre, à savoir : formation à court et à long terme ; formation individuelle et collective ; formation générale et sur mesure ; formation interne mais aussi externe à l’entreprise, formation technique mais aussi managériale et comportementale, etc.

En 1996, un saut qualitatif a été donné, notamment avec le programme PTS, où il était question de former et reconvertir environ 6.600 personnes. Pour faire face à cet énorme défi il est né, cette année là, la Learning and Development Academy (LDA).

Page 204: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

204

De manière générale, le contenu de la formation est fortement orienté par le Modèle des Compétences (Competency Model) du Groupe Belgacom qui indique les valeurs et les compétences centrales sur lesquelles est basée la culture d’entreprise.

Le Modèle de Compétences s’organise autour des 6 valeurs principales, à savoir : attitude positive, esprit d’équipe, responsabilité, confiance, rapidité et audace (oser), toutes ces valeurs orientées vers les clients et privilégiant les compétences suivantes : leadership visionnaire, gestion avec des résultats, connaissance des affaires, compétences professionnelles, compétences managériales, interactions avec les autres, chacune de ces compétences se déclinant encore en compétences plus spécifiques. Ces valeurs et compétences traversent toutes les actions de l’entreprise, elles sont des points de référence et orientent la formation et l’évaluation du personnel.

La mission de la LDA (Learning and Development Academy) 51 est dès lors de créer et d’implémenter un environnement d’apprentissage dynamique qui soutient au maximum l’organisation et ses collaborateurs dans le développement de leurs compétences et dans la réalisation de leurs objectifs. Dans cette optique, la LDA doit :

- créer une culture d’apprentissage adaptée,

- définir des programmes et des actions de développement, les implémenter et en assurer le suivi,

- collaborer au développement d’une politique R.H.,

- responsabiliser le line manager en ce qui concerne la « responsabilité de développement »,

- développer des outils de développement adaptés et les proposer au line management,

- aider le line management à améliorer ses performances professionnelles,

- aider la chaîne de management et les participantes à intégrer ce qui a été appris.

Elle est composée de 102 personnes, parmi lesquelles 30 à temps plein. Elle est dirigée par une équipe de direction de 8 personnes où participe la représentation syndicale. En 1999, la LDA a obtenu la certification ISO 9001.

En 1999, par exemple, 106.852 journées de formation ont été organisées pour quelque 15.440 participants. Il s’agissait, d’une part, de formations fonctionnelles en rapport direct avec la fonction : technique, vente, efficacité. Formations offertes de manière standard ou à la carte par des formateurs internes ou externes, en donnant la priorité aux membres du personnel en reconversion. Ces formations fonctionnelles ont été suivies notamment par les employés âgés entre 40 et 50 ans tandis que les formations dispensées par un organisme externe et les fonctions en management ont été plus suivies par la tranche d’âge comprise entre 30 et 40 ans (40%), 70% des participants aux formations de management étaient des personnes de niveau 1.

En 2001, le pourcentage de formation par domaine a été le suivant : technique = 35% ; applications utilisateur final = 18% ; business management = 12% ; produits et services = 9% ; marketing et ventes = 9% ; langues = 6% ; management de personnel = 5% ; efficience individuelle = 3% ; communication = 2% ; autres = 1% (Dekocker, 2001).

Toute la formation du Groupe est donnée par la LDA, autrement dit, tout le personnel de l’entreprise avec des besoins de formation est pris en charge par cette institution, sauf les formations plus spécialisées et classiques de haut niveau (par exemple: MBA, post-grades,

51 Elle est devenue récemment l’Université de Belgacom.

Page 205: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

205

etc.) qui elles sont données à l’extérieur par des Universités et Instituts supérieurs de l’enseignement classique dans le pays ou à l’étranger.

A tous les niveaux, le personnel juge très positivement l’effort en formation fait par l’entreprise. « Je n’ai rien à reprocher à l’entreprise sur son plan de formation. Encore maintenant, dans le programme BeST, la direction a doublé les investissements de formation et elle vient de porter le budget 2001 et 2002 à 5 milliards FB… je pense que sur l’ensemble des autres opérateurs et en fonction de la masse salariale payée, Belgacom s’inscrit, en tous les cas, comme leader en matière de formation... c’est énorme » (un dirigeant syndical).

Il y a des politiques de formation et de développement spécial pour deux groupes de personnes : les « Top Group Resources » (TGR) et les « High Potential ».

Le Top Group Resources (TGR) est composé par 200 cadres sélectionnés et encadrés sous un programme de formation spéciale. Ils sont les cadres stratégiques qui exercent ou exerceront des responsabilités de direction de l’entreprise, formés en tenant compte des valeurs et des compétences établies par le Modèle de Compétences mentionné auparavant. Il s’agit de développer non seulement leurs compétences techniques mais surtout l’aspect relationnel, leurs compétences de leader, de travail en équipe, l’attitude positive, etc. De plus, les TGR développent ensemble quelques activités spécifiques telles que des activités pour développer l’esprit d’équipe, des conférences données par des professeurs, des managers prestigieux, des leaders de renommé mondiale chaque deux mois. Des réunions-conférences avec le CEO de l’entreprise deux fois par an. Ce programme a été réorienté et restructuré sur des nouvelles bases au début de l’année 2000.

Les jeunes « High Potential » forme un groupe de cadres plus jeunes qui, grâce à leur potentiel, peuvent devenir des managers. Par conséquent, un programme de formation spécial a été proposé à cette fin, il tient à développer les valeurs du Modèle des Compétences, leur capacité de leadership, une vision globale de l’entreprise, une vision stratégique, etc. Dans les deux groupes, ils sont aussi proposés des lignes d’auto-formation pour développer beaucoup plus leur employabilité. C’est un programme qui a commencé seulement en 2001. Pour l’instant, ces deux programmes concernent seulement des personnes du niveau 1 et, un peu, du niveau 2b.

Le budget consacré à la formation, en pourcentage de la masse salariale, pendant ces 6 dernières années est très important (tableau 18).

Tableau 18

Budget consacré à la formation

(en % de la masse salariale) 1996 1997 1998 1999 2000 2001

3,5% 4,3% 4,7% 4,0% 4,3% 4,8%

Source : Direction de la LDA (Learning & Development Academy)

En 2001, un budget de 123 millions EUROS (5 milliards FB) sur deux ans a été annoncé.

« Je ne pense pas qu’il y ait une tendance fort différente ces dernières années. Si vous prenez, d’une part, la formation sur le savoir-faire et, d’autre part, la formation sur le savoir-être, les pourcentages dédiés à ces groupes de compétences n’ont pas tellement changé parce que dans une entreprise comme Belgacom l’aspect savoir-faire - avoir la connaissance des évolutions technologiques- est assez important. Donc, nous ne pouvons pas nous permettre d’investir tout notre argent dans tout ce qui concerne le savoir-être, le comportement, parce

Page 206: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

206

qu’à ce moment là nous perdons la connaissance du terrain au niveau technologique ou au niveau des marchés et nous aurions un problème de fond. Mais dans ces groupes de compétences, par exemple sur le savoir-être, aujourd’hui nous consacrons quand même une plus grand partie d’investissements dans tout ce qui concerne le changement, tandis qu’il y a quelques années, l’action était beaucoup plus concentré sur l’efficacité personnelle et des choses similaires. D’autre part, dans la partie savoir-faire, dans le Know how, la tendance, ici à Belgacom, est consacrée au e-business, tout ce qui est lié à Internet et tout ce type de savoir-faire » (le directeur de la LDA).

Quant à la gestion des compétences, elle est appliquée seulement au niveau des cadres (niveau 1) et c’est une pratique qui a commencé en 2000.

• Formation à FranceTélécom S.A. (France)

Cette entreprise a aussi consacré un budget très important à la formation (tableau 19). Cependant, cette tendance est à la baisse ces dernières années. Si en 1999, un bilan affirmait que le 6,13% de la masse salariale était une proportion très largement supérieure à la moyenne des entreprises françaises (3,3%) (Bilan Social 1999), l’année 2001 l’UNETEL52 - en citant IDATE- signale que les entreprises de télécommunications en France sont particulièrement actives en matière de formation et qu’elles consacrent en moyenne 7% de leur masse salariale à cet effet (UNETEL, 2001), donc France Télécom resterait au-dessous de la moyenne nationale.

Tableau 19

Budget consacré à la formation chez FranceTélécom

(en % de la masse salariale) 1997 1998 1999 2000 2001

7,42 % 6,77 % 6,13 % 5,54 % 5 %

Source : Bilan Social, FranceTélécom. Disponible sur http://www.francetelecom.fr. (Consulté le 15-03-2002).

Depuis 1996, l’entreprise a mis en place un programme de formation très important, appelé CAPP Avenir « Demain commence aujourd’hui » (Congé en Alternance de Progression Professionnelle), dans le but d’adapter les compétences des collaborateurs aux nouveaux métiers de l’entreprise et favoriser ainsi la mobilité interne ; ce programme représente un volet important de la politique des ressources humaines du Groupe. Il comporte plusieurs étapes : 1°)- une phase d’orientation et de recrutement avec bilan professionnel et dépôt de candidature pour un métier d’avenir, par exemple multimédia, marketing, etc. 2°)- une phase de formation sur mesure avec un dispositif de formation en alternance, le soutien d’un tuteur tout au long de la période de formation et un outil de suivi d’acquisition des compétences, et 3°)- une phase de validation des acquis et de certification, avec une évaluation de progression professionnelle (Bailly, 2002). « Nous faisons une formation importante de l’ordre de 6 mois dans un système de formation que nous avons appelé CAPP Avenir et dans CAPP Avenir se sont des formations lourdes, des formations qualifiantes pour la plupart» (un conseilleur social DRH).

L’entreprise a créé aussi un sous-système RH de ce dispositif, appelé CAPP RH, qui offre des formations pour 6 mois et couvre l’ensemble de domaines de RH. Il y a un effort pour former

52 UNETEL : Union Nationale des Entreprises de Télécommunications, France.

Page 207: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

207

en alternance les managers dans les domaines de la GRH, c’est-à-dire formation en salle et des stages sur le terrain dans une entreprise externe. Ce programme qui vise la formation en GRH des managers comporte deux phases : une phase d’intégration qui mise sur une compréhension générale du contexte de l’entreprise ainsi qu’une meilleure connaissance de soi et, une phase de professionnalisation permettant au manager d’acquérir des savoir-faire sur divers aspects tels que l’enjeu du business, l’évaluation et le recrutement des compétences, la gestion de l’emploi et des compétences, la conduite des changements et la gestion d’une négociation sociale, etc.

De manière plus générale, la formation a évolué d’une formation principalement technique à une formation dont l’accent est mis maintenant sur le commercial, le marketing, les ventes, l’attention au client, l’aspect relationnel ; d’une formation en classe, plus ouverte et variée, à une formation qui utilise les nouvelles techniques de formation, donc, le e-learning sur plusieurs formes, CD-Room, formation en ligne. Dans le domaine des télécommunications il est évident que la formation technique restera très importante par le fort développement technique et les nouvelles connaissances qu’elle exige, mais elle sera beaucoup plus ciblée, notamment sur les nouveaux produits et services et leurs usages respectifs. « Ce qui est déplorable, c’est que la formation maintenant est une formation utilitaire, uniquement de la formation à l’emploi, à la tâche, c’est-à-dire, il y a quelques années avait une formation qui était plus ouverte sur une culture technique, une culture financière ou commerciale un peu plus élargie, tandis que maintenant c’est une formation plus utilitaire, juste pour la tâche à accomplir, … on fait beaucoup de la télé formation avec les ordinateurs, une formation sur le site et, donc, l’entreprise ferme les écoles qu’il avait partout dans le pays… L’entreprise diminue le volume de formation, mais pas la qualité. C’est la même chose dans la recherche ; de la recherche théorique nous avons passé à la recherche-développement, il faut des produits tout de suite, à court terme, plus de recherche à long terme, tout est plus à court terme, tout devient utilitaire » (un dirigeant syndical).

Pour des raisons économiques, plusieurs Centres de formation décentralisés ont été supprimés partout dans le pays et maintenant cette fonction se fait en utilisant plus les TIC. Cependant, reste l’Institut des Métiers, un important centre de discussion et de planification non seulement des politiques de formation mais surtout de l’évolution des métiers et la définition des futurs métiers qu’aura besoin l’entreprise. Ce repérage stratégique permet mieux cibler les types de formation et de recherche.

Dans cet Institut les organisations syndicales sont aussi représentées quoiqu’elles n’interviennent pas tellement sur le contenu de la formation donnée. La recherche et la formation évoluent dans la mesure où l’entreprise évolue d’une entreprise essentiellement technique, il y a quelques années, vers une entreprise de plus en plus de services, de vente de produits et des services. Aujourd’hui l’entreprise n’a pas tellement besoin de connaître le fonctionnement interne des machines ni des produits puisque c’est le fournisseur lui-même qui s’occupe d’expliquer leur fonctionnement et de dépanner les blocages techniques qui se produisent. « La formation diminue aussi parce que l’entreprise a de moins en moins de recherche, puisque de plus en plus c’est une entreprise de services, alors il y a de petites formations sur les services ; il n’y a plus des formations lourdes comme avant… Avant, le technicien faisait fonctionner les machines et il savait comment les machines fonctionnaient dedans, c’était la « génération tournevis », maintenant ce n’est plus comme ça, la machine elle est achetée et si elle tombe en panne c’est ALCATEL qui dépanne. Maintenant le technicien est là pour surveiller » (une dirigeante syndicale).

1. 4.- Evaluation

Page 208: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

208

Il y a deux systèmes d’évaluation séparés : un pour les cadres (y compris tous les managers) et un autre pour les employés (niveaux 2 à 4).

Le système d’évaluation pour les cadres est plus développé. Au début de l’année on fixe des objectifs et à la fin de l’année, suite à l’évaluation annuelle, il y a deux mentions d’évaluation ou deux scores. Le premier score porte sur la réalisation des objectifs, sur la performance, et elle a un impact sur le bonus octroyé par le(s) manager(s). Le deuxième score, appelé « Job Mastery », comporte un jugement sur la capacité « managériale » et la maîtrise de la fonction ; il est lié aux comportements, aux valeurs, aux attitudes, aux compétences, etc.

Pratiquement, chaque trimestre il y a des évaluations sur le travail et une évaluation plus approfondie au milieu de l’année (le middle-review).

L’évaluation sur les objectifs se décline en 5 scores. En fonction du score obtenu par le cadre, il a droit à un bonus. Par ailleurs, il y a une enveloppe budgétaire à distribuer dans chaque entité et cette répartition se fait en fonction du nombre de personnes et de leurs scores respectifs. La deuxième échelle, quant à elle, a un impact sur les mérites et, donc, sur l’augmentation salariale annuelle.

L’évaluation annuelle des cadres est réalisée par le seul manager direct (N+1) en suivant le Performance Management Process (PMP). Par contre, l’évaluation annuelle pour le Top Group Resources (TGR) est réalisée par le chef supérieur direct plus neuf de ses collègues, tous ensemble ; c’est une sorte d’évaluation à 180°. Dans ce dernier cas, il s’agit donc d’une évaluation beaucoup plus rigoureuse et approfondie et qui peut être étroitement liée à d’éventuelles promotions.

En général, les cadres ont une grande mobilité horizontale mais aussi verticale.

Le système d’évaluation pour les employés (niveaux 2 à 4) est plus simple. Il s’agit d’une évaluation globale de la performance; l’analyse comprend les activités, les priorités de la fonction et la maîtrise de la fonction par l’employé ; il a trait aux compétences et aux comportements ; c’est une évaluation à la fois individuelle et collective. Une échelle d’évaluation qui comprend 5 scores (A-B-C-D-E), utilisée dans l’évaluation annuelle, détermine la prime individuelle. Mais la variation de cette prime est plus faible en bas de l’échelon. Plus bas dans la hiérarchie plus est considéré l’attitude plutôt que la performance parce qu’il est plus difficile de juger la performance individuelle d’un opérateur sur le terrain.

Le système qui englobe ces deux types d’évaluation est appelé le PMP (Performant Management Process) ; celui-ci comporte les types d’objectifs, la procédure, le timing à suivre pour les évaluations et les indicateurs et scores établis.

L’évaluation pour les employés (niveaux 2 à 4) est faite par le manager responsable direct (le N+1) dans un entretien annuel, en considérant les objectifs, la performance et en utilisant l’échelle de notation établie a priori. Cette évaluation a une utilité relative quant à la promotion puisque l’ancienneté est encore un critère valide pour les employés statutaires. Il faut ajouter que le coaching se développe de plus en plus, à tous les niveaux. Il est considéré tant comme une méthode de formation que comme une pratique de management.

1. 5.- Promotion

Nous pouvons distinguer deux types de promotions selon le type de personnel. Il y a une promotion à l’ancienneté pour le personnel « statutaire » et une promotion liée plutôt au mérite pour le personnel « contractuel », c’est-à-dire, principalement les cadres.

La promotion pour les cadres dépend donc des résultats obtenus et des compétences propres à la personne. Ces compétences concernent globalement les aspects définis par le Modèle de

Page 209: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

209

compétences (Competency Model) de l’entreprise, c’est-à-dire, des valeurs (esprit d’équipe, responsabilité, audace etc.), des compétences concernant le savoir-faire (technique ou autre), le savoir-être (le relationnel, le comportement, etc.).

Chez les cadres, la promotion est combinée avec la mobilité horizontale ; les promotions sont donnée de façon privilégiée aux cadres appartenant aux TGR et aux jeunes cadres « High Potential » pour leurs qualités reconnues et qui, en général, détiennent les postes de responsabilités les plus importants et/ou gravitent beaucoup dans le management global. Les autres cadres bougent beaucoup de façon horizontale ce qui est aussi perçu comme une bonne chose.

« Je dois reconnaître que la façon dont Belgacom permet à ses employés de « voyager » au sein de l’entreprise d’une façon horizontale ou verticale est unique…nous avons un système de Job-Info qui permet - et c’est ouvert à tous les employés de l’entreprise- de postuler dans n’importe quelle fonction… je crois que c’est une très bonne chose pour les employés et pour Belgacom. Il y a une rotation qui est possible et ça c’est très sain. Donc, ça c’est la partie flexibilité que l’employeur donne aux employés pour gérer leur carrière à leur niveau. Maintenant, [en général] est-ce que l’entreprise gère convenablement la carrière de ses cadres ? ça c’est une autre chose… » (un directeur de région).

Pour la promotion des TGR il faut d’abord, un entretien avec son futur manager direct (N+1), être formé pour la fonction, un entretien avec le responsable du département R.H. pour ce groupe et finalement un entretien avec le CEO de l’entreprise.

La promotion est forcement liée à la carrière à plus long terme, donc à la gestion des carrières. Cependant, les promotions ne s’encadrent pas dans une perspective de carrière à long terme. L’aspect de la gestion des carrières fait défaut et c’est seulement en 2001 que la direction commence à définir une politique globale de gestion des carrières. C’est une des faiblesses de la GRH. « Jusqu’à maintenant il n’y avait pas vraiment une politique réelle de carrière. Il y avait de divisions où c’était mieux géré que d’autres, il y avait des responsables de carrières et de développement dans chaque division, mais ce qui manquait tout à fait, c’était la vision globale de toute la société. Quand le département au niveau du Groupe a été crée, il y a 4 mois, nous avons dû travailler pour mettre ensemble un programme et tous ces responsables des différentes divisions et pour créer une sorte de vision globale. J’espère que l’année prochaine [2002] avec les différentes initiatives que nous prenons maintenant, les gens vont commencer à voir une politique de carrière » (une directrice DRH). Donc, il n’y a pas un plan de carrière personnalisé. Un nouveau département a été créé et il apparaît un discours, chaque fois avec plus de force, sur la prise en charge individuelle de sa carrière sous une logique d’employabilité. L’employabilité est une notion qui a fait son apparition récemment dans l’entreprise.

Il y a ici une profonde contradiction, d’une part, entre la tendance à l’employabilité, à la recherche de plus de flexibilité, à l’usage privilégié des contrats à durée déterminée et, d’autre part, une politique de carrière à long terme pour fidéliser le personnel à l’entreprise. Dans ce contexte, une véritable politique de carrière devient impraticable et fausse, sauf peut-être pour un petit noyau de personnes.

La promotion pour les autres employés (niveaux 2 à 4) est principalement due à l’ancienneté, quoique leurs compétences soient des facteurs de plus en plus pris en considération. En temps normaux, la promotion et la mobilité sont très lentes. Normalement, chaque évaluation ne donne pas automatiquement lieu à une promotion ; d’après les normes internes il faut attendre au moins 15 mois avant une éventuelle nouvelle promotion et l’évaluation n’est pas le seul facteur pris en compte, une formation préalable nécessaire sera aussi un autre facteur à considérer. Cependant, pendant cette période, les départs grâce aux plans PTS et BeST ont provoqué un large bouleversement dans le sens où ils ont laissés de nombreuses fonctions à

Page 210: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

210

pourvoir. La mobilité et les promotions, par conséquent, ont été nombreuses grâce aux restructurations. Dans le processus de reconversion produit suite au programme PTS, 8.500 collaborateurs ont changé de fonction et pour 42% d’entre eux il y a eu une promotion (Rapport annuel 2000). Il faut considérer que des fonctions ont disparu et des nouvelles fonctions se sont créées. Dans le plan BeST, le même processus de mobilité et de promotion commence à se produire, mais il est trop tôt pour avoir un bilan exact.

1. 6.- Rémunération

Il y a un système de rémunérations qui combine plusieurs facteurs : l’ancienneté mais aussi la fonction qu’assume l’employé, liée et à la hiérarchie et aux compétences.

Il y a trois types de rémunérations : les statutaires avec une échelle barémique, les contractuels baremisés et les contractuels non-baremisés.

Historiquement, le personnel est rémunéré sur base d’un barème classique de la fonction publique qui tenait compte notamment de l’ancienneté et de la fonction. Les salaires étaient connus de tous à l’avance parce qu’ils étaient définis et publiés au journal officiel (Moniteur belge).

Fin 1994, la direction avait introduit le système HAY dans le système des rémunérations qui concerne notamment le niveau 1 (cadres et vendeurs). Pour les autres niveaux, le système barémique est resté d’application mais avec des modifications très particulières. Cette rémunération fixe sur base principalement de l’ancienneté, est complétée par un bonus distribué sur base des performances individuelles et collectives.

En pratique, tous les niveaux ont une partie fixe mais aussi une « partie variable » du salaire total, ce qui est quelque chose très sui generis dans cette entreprise. Dans la population des niveaux 2 à 4, cette partie variable est appelée : prime d’évaluation. Il y aura donc, pour tout le monde, une petite partie « variable » qui dépend de l’appréciation de la performance faite par la ligne hiérarchique ; ce qui diffère c’est la proportion de cette partie variable selon les niveaux.

Ainsi, pour le niveau 4, la partie variable fluctue entre 3%-4% de la rémunération totale; puis cette partie variable monte un petit peu selon les niveaux pour arriver à 7%-8% au niveau 2b, environ 10% pour le niveau 1 (cadres) et chez les vendeurs jusqu’à 20%. Dans cette partie variable, il y a une partie individuelle et une partie collective. La partie collective est, en fait, une répartition de bénéfices pour toute l’entreprise déterminée par la loi ; c’est le 5% du bénéfice annuel qui est reparti sur la population totale. Pour les niveaux 4, 3, 2a, 2b et une partie du niveau 1, ceci correspond environ à 3-4% de la rémunération. Pour le management intermédiaire (middle management) elle s’élève à environ 6% et pour le niveau de direction on arrive à 8% ; il s’agit d’un pourcentage par rapport au salaire de base. La partie individuelle de cette « rémunération variable », appelé prime d’évaluation (pour les niveaux 4, 3, 2a, 2b) ou bonus (pour les cadres) équivaut à 2-3% pour le niveau 4 et jusqu’à 6% pour le niveau 1.

La politique salariale pour l’entreprise est établie clairement en convention collective, même pour les cadres, à l’exception de la direction.

La population statutaire, c’est-à-dire les niveaux 2b jusqu’à 4, a un système barémique qui est établi par convention collective au niveau du salaire de base. Celle-ci établit aussi la façon dont est calculée la prime d’évaluation pour ces niveaux.

La population contractuelle baremisée (niveaux aussi 2b à 4) correspondant à une petite population, a aussi un barème, c’est-à-dire, des montants fixes et absolument prédéfinis.

Page 211: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

211

Une population encore plus petite, est celle des contractuels non-barèmisés. Ici, le montant des salaires est établi entre la direction et la personne en question et il n’y a rien de prévu pour l’évolution de ces salaires, tout est accordé sur base de la négociation individuelle.

En 1997, l’entreprise a établi une nouvelle politique salariale en modifiant le système existant. Ce système évolue sur base des fourchettes de rémunération classique, des fourchettes sur base d’ « e.points », « les gens sont mis dans des classes de fonctions, pour chaque classe il y a une fourchette de rémunération avec un midpoints maximum et minimum et les gens évoluent là-dedans sur base d’une grille de mérites au niveau annuel, dépendant du positionnement dans la fourchette salariale et de l’évaluation des performances qui a été fait, donc un système hyper-classique. C’est la partie révision annuelle des salaires, une première façon dont le salaire peut évoluer. La seconde façon dont le salaire peut évoluer, c’est la promotion, c’est quand quelqu’un passe d’une classe HAY à une autre classe HAY, il y a automatiquement 10% du salaire ; le management n’a rien à dire, donc c’est très rigide. A côté de ça, il y a un bonus individuel qui, lui, dépend de la performance de la personne. Selon l’évaluation de la performance par rapport aux objectifs, cette évaluation annuelle donne une cote, un score, qui est exprimé soit en A-B-C-D-E. Selon la lettre que la personne reçoit, elle obtient un pourcentage…par exemple, si elle a C, qui est la cote moyenne, elle a le 6% ; si elle a D, elle a 3%, etc. C’est aussi très rigide, les règles sont déterminées dans la convention collective, l’intervention du management se situe uniquement au niveau de l’évaluation de la performance et tout le reste fonctionne automatiquement. Le management fait l’évaluation donne la cote, tout le reste est prédéfini » (un directeur DRH).

En général, pendant toute cette période il y a un gel du salaire des employés. La dernière augmentation salariale date de 1994. En 2000, une des organisations syndicales avait demandé de discuter la possibilité d’une augmentation salariale mais n’a pas eu gain de cause. A l’égard du pays, la modération salariale est de mise. Cependant, la direction de l’entreprise, comme une façon de répondre à cette demande, a proposé une « opération PC » qui a consisté à offrir à tout le personnel l’achat d’un PC à des prix très bas.

Il faut ajouter que Belgacom, était la seule compagnie à avoir constitué son propre Fonds des pensions pour payer les pensions légales à leurs anciens employés ( statutaires) qui revient à environ 14.000 pensionnés53. Elle devait faire par conséquent, les contributions annuelles conséquentes pour répondre à ces obligations. De fait, l’entreprise possédait le Fonds de pensions le plus important du pays. Fin 1999, il s’élevait à 2.987 millions EUROS.

L’année 2001, la direction a eu l’intention de modifier la politique des rémunérations en modifiant un peu les différentes classes de rémunérations pour proposer trois familles de fonctions dans lesquelles les rémunérations pouvaient évoluer plus facilement, autrement dit, en flexibilisant un peu les salaires par familles de fonctions liées aux performances du travail. Ce projet de changement a trouvé l’opposition ferme des organisations syndicales et n’a pas vu le jour. Rappelons que c’est la période où a commencé la discussion finale du projet BeST où tant la direction que les syndicats ont privilégié ce dossier. La reconversion aux nouveaux métiers, suite au BeST, devra impliquer qu’au moins 50% des personnes reconverties soient promues avec des augmentations salariales correspondantes.

La gestion des rémunérations se fait, jusqu’à l’année 2001, à travers l’utilisation du logiciel SAP lié à un système interne appelé PER ; mais à partir de l’année 2002, une partie importante de la gestion des rémunérations (les calculs des salaires et le paiement) à été externalisée à un Secrétariat social indépendant.

En résumé, la majorité du personnel (niveaux 2b à 4) a un salaire fixe avec une faible partie « variable », à la manière de bonus ou de prime et cette pratique n’a pas souffert de 53 Tel était le cas au moment où nous avons mené nos enquêtes (2001).

Page 212: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

212

changements importants tout au long de cette période. La particularité chez les cadres (notamment les TGR) et les vendeurs, c’est qu’ils ont une partie variable plus importante qui peut aller jusqu’à 20% de la rémunération totale.

1. 7.- Relations professionnelles

Une des caractéristiques les plus évidentes, c’est que tout au long de cette période, il y a eu une relation professionnelle de dialogue et de bonne entente entre les trois organisations syndicales (FGTB, CSC, CGSLB) et la direction.

En 1995, dès son arrivée, l’actuel Administrateur Délégué a exprimé sa volonté de dialogue et d’entente avec les syndicats. Ainsi, au travers d’une pratique de concertation sociale constante, une confiance s’est installée petit à petit entre les partenaires sociaux. Un rôle important a aussi été mené par l’ancien responsable des R.H. (chargé des relations professionnelles) de l’entreprise, qui a contribué à nouer au fil des années, cette bonne relation.

En 1996, le taux de syndicalisation dans l’entreprise était d’environ 85%.

Le plan PTS a été une occasion indéniable de tester la qualité de cette relation. Tout ce plan - dont l’importance et l’envergure n’ont pas de comparaison dans le pays- a été négocié et conclu avec les trois organisations syndicales. Comme on l’a déjà dit, 6.300 employés sont partis et 6.600 personnes se sont reconverties à des nouvelles fonctions. De plus, les syndicats ont participé à la mise en œuvre du processus de reconversion. Effectivement, les syndicats ont accepté ce départ tout en veillant cependant à ce que les conditions soient humainement acceptables.

Pour exécuter le PTS, un dispositif complexe qui concerne plusieurs instances de l’entreprise a été mis en place, comme par exemple le LDA pour la formation, ainsi que d’autres instances comme le Job Center. En effet, le Job Center était la clé de voûte du programme PTS pour ce qui concerne les personnes des niveaux 2, 3, 4. Pendant toute la période d’exécution du PTS le Job Center a eu la responsabilité de combler par voie interne tous les emplois vacants de ces niveaux. Il y a eu un Job Center national et 5 Job Centers Régionaux dans tout le pays. Le Job Center national était chargé non seulement de la gestion des réaffectations, mais également des mutations pour convenance personnelle, des promotions et des changements de fonctions dans le même rang. Chaque mois il y avait des réunions entre le Directeur général des R. H. (Relations Professionnelles) et les dirigeants syndicaux représentatifs pour évaluer la manière dont les règles fixées avaient été respectées, pour informer les syndicats des prochaines actions, etc. Ces mêmes types de réunions périodiques se sont organisées au niveau régional.

Il y a eu aussi un Comité d’accompagnement dont le rôle a été d’analyser et de tenter de trouver une solution aux problèmes rencontrés dans la réaffectation des employés. Il était composé de trois hauts cadres et trois syndicalistes et « quand on regarde l’issue de tous ces problèmes-là, la réussite des stages de formation, les nominations, les régularisations, n’importe quoi… il n’y a eu que deux personnes sur l’ensemble de Belgacom qui ont entamé une procédure en recours » (un dirigeant syndical). Tout ce processus de reconversion du programme PTS a été clairement établi - et par la suite soigneusement exécuté- dans une Convention collective signées par la haute direction et les trois organisations syndicales représentatives (voir Convention collective du 24/04/97).

Page 213: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

213

Il y a tant une logique de défense des intérêts revendicatifs économiques et sociales pour les membres qu’une vision responsable par rapport à l’entreprise. « Nous avons la chance d’avoir face à nous des gens qui connaissent bien l’entreprise, ce sont des délégués [syndicaux] nationaux, ce sont des gens qui ont travaillé dans l’entreprise, ils ne sont pas des « apparatchiks » qui sont parachutés quelque part… des gens qui connaissent très bien l’organisation et qui, de fait, sont attachés à l’organisation. Ils veulent sa survie … ils comprennent, parce que s’informent - parce que ce sont des gens intelligents- que le monde des télécoms c’est un monde qui change et assez vite, et donc qu’il faut s’adapter. C’est s’adapter ou mourir » (un directeur général DRH).

Dans toute cette période il n’y a pas eu des conflits importants telle qu’une grève nationale, ce qui ne signifie pas l’absence des conflits mineurs et de dures négociations. En effet, il y a eu deux périodes de fortes tensions, qui correspondent à l’exécution du PTS (1997-1998) et du BeST (2001-2002), dues aux difficultés de réinsertions, à la mobilité et aux angoisses et stress provoqués par des changements énormes. En 1998, il y a eu des arrêts de travail à Charleroi qui ont impliqué environ 50 personnes. L’année 2002, il y a eu 2 ou 3 arrêts de travail et/ou grèves partielles à Verviers, Alost, etc., mais ce sont des actions partielles qui n’ont pas entaché le succès global des changements accomplis.

En général, c’est la logique de concertation sociale respectueuse et constructive qui l’emporte, grâce aux rapports transparents, de confiance mutuelle, que les partenaires sociaux ont pu établir tout au long de la période. « Les relations professionnelles sont positives ; il y a un respect mutuel, et ça c’est terriblement important. Notre rôle aussi, c’est de crédibiliser les syndicats…ça nous arrive de rectifier auprès du management en disant « la convention dit ça », elle a été négociée avec les organisations syndicales… Nous forçons donc les managers à respecter les règles… La culture de l’entreprise tient compte quand même de l’influence importante des syndicats ; toutes les couches de l’entreprise savent qu’il ne faut pas « bypasser » les syndicats … Les syndicats nous croient parce que nous avons prouvé depuis des années que ce modèle social, de concertation sociale, de dialogue, d’ouverture, de respect, marche!… depuis plus de 10 ans… ça marche pour le management parce que ça permet d’avancer sans conflit social. Du côté syndical ça marche aussi puisqu’on le fait dans le respect des règles négociées. C’est le prix que Belgacom a voulu payer pour garantir la paix sociale » (un directeur DRH.).

Chez Belgacom, fonctionne une Commission paritaire (CP) comme organe de concertation sociale. Cette CP fonctionne tant au niveau national (entreprise) qu’au niveau local. Ainsi par exemple, durant l’année 2000 il y a eu 11 réunions de la Commission paritaire nationale, environ 60 réunions des Commissions paritaires locales, plus au moins 60 réunions des Commissions paritaires locales pour la prévention et la protection au travail (CPPT) et 196 dossiers ont été traités par la CP nationale dans l’année.

En ce qui concerne les programmes de GRH mis en œuvre, il faut constater que tout n’a pas réussi. Il y a eu des initiatives qui ont dû être annulées par de forts désaccords et le danger de provoquer des conséquences plus graves dans la vie de l’entreprise ; c’est le cas du programme « HR for You » qui prévoyait des transformations radicales dans le fonctionnement des Ressources Humaines et qui n’a pas du tout été apprécié par les syndicats. A la fin, il a dû être annulé et les principaux managers responsables de leur pilotage ont démissionné et ont même quitté l’entreprise.

Le programme BeST est un autre exemple, jusqu’à aujourd’hui, de changement important réussi grâce à une concertation sociale sérieuse et à la participation active des organisations syndicales dans l’exécution du programme.

A l’instar du niveau national, il y a une institutionnalisation claire de la concertation sociale dans l’entreprise. La Commission paritaire nationale (CP) se réunit une fois par mois pour

Page 214: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

214

évaluer et approuver de nombreux dossiers. Il y a aussi 4 groupes de travail permanents de la Commission paritaire, 5 Commissions paritaires locales, 5 Commissions paritaires locales pour la prévention et la protection au travail, 15 Commissions locales de contact pour la prévention et la protection au travail. Environ mille membres du personnel exercent un mandat dans l’un ou plusieurs de ces organes. Dans la Commission paritaire (C.P.) nationale sont représentées les organisations syndicales et la haute direction, « donc, il y a 9 personnes du côté syndical et 9 personnes du côté Belgacom, et puis le Président et le CEO. Ce groupe se réunit une fois par mois et officialise une série de dossiers » (un directeur DRH). En général, des conventions collectives sont approuvées et signées tous les deux ans, mais simultanément, d’autres conventions collectives par thèmes spécifiques sont aussi fréquemment approuvées.

En 2001, le taux de syndicalisation estimé, selon les organisations syndicales, est d’environ 85%, c’est-à-dire qu’il n’a pas beaucoup varié par rapport à 1996 « parce que les affiliés passent dans le système d’affiliation-pensionnés, c’est-à-dire qu’en étant pensionné, ils restent affiliés à l’organisation syndicale » (un dirigeant syndical). Mais, si le calcule est fait par rapport au personnel effectif de l’entreprise, les estimations sont inférieures. « Aujourd’hui le taux est beaucoup plus bas qu’avant ; chaque jour il diminue dû aux départs à cause des programmes PTS et BeST. Maintenant je crois que quand même il est encore d’un 60%, …et chez les cadres peut-être 10% si nous parlons de participation passive et s’il s’agit de participation active, encore moins » (un cadre DRH).

A l’intérieur de l’entreprise, le taux de syndicalisation effectif a diminué. Cependant, la force syndicale reste encore très importante et, à notre avis, les syndicats sont des acteurs incontournables pour la vie de l’entreprise.

Le type de négociation pratiqué par ce syndicalisme, c’est une négociation de type gagnant-gagnant, donc chaque partenaire doit gagner quelque chose dans la négociation. Donc les rapports qui s’établissent entre les partenaires sociaux sont forcement d’une certaine autonomie d’intérêts mais, en même temps, de dialogue et de collaboration rationnelle négociée.

La plupart des acteurs de l’entreprise perçoivent cette expérience de concertation sociale comme un modèle social positif et un exemple en Belgique. Ce sont les caractéristiques du modèle social-démocrate de relations professionnelles. Cependant, d’autres se posent la question de l’avenir du modèle, s’il y a une privatisation ou une situation financière négative.

En résumé, si nous tenons compte des modèles de GRH proposés par Pichault et Nizet (Ch. II, III), nous observons que l’évolution des pratiques de gestion des ressources humaines (GRH) ne suivent pas une tendance ou modèle « pur » mais plutôt un mélange des pratiques, parfois juxtaposées. On y reviendra.

2.- Contenus spécifiques des rôles de la DRH et leur évolution

Dans cette partie, nous analyserons l’évolution des rôles de la DRH lors de la période analysée ; cette observation aura comme cadre de référence la typologie sur les rôles de DRH que nous avons proposé lors de notre cadre d’analyse. Nous étudierons les différentes variables des rôles de la DRH qui sont les missions principales, la taille de la DRH, les clients, le profil des professionnels qui la composent, son pouvoir et la position organisationnelle du responsable de la DRH.

Page 215: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

215

2. 1.- Missions principales

La DRH s’assigne comme une des missions principales d’appuyer la stratégie d’affaires de l’entreprise en déployant les moyens et les outils technologiques nécessaires et en s’organisant adéquatement. Leur stratégie R.H. n’a pas été explicitée globalement dans un document, mais plutôt éparpillée dans plusieurs documents, conventions collectives, discours et orientations des dirigeants. Cependant, elle ne participe pas véritablement à la co-définition de la stratégie de l’entreprise. « [Le Département] R.H. c’est plutôt l’appui, je ne pense pas que la DRH détermine ou aide à déterminer la stratégie de l’entreprise, la DRH vient en support de cette stratégie. Il se fait que notre patron R.H. fait partie du Comité de Direction et, donc, participe de cette façon-là probablement à l’élaboration de la stratégie de l’entreprise, mais je ne crois pas que ce qui est décidé au niveau stratégique de R.H. va influencer l’entreprise, je crois que c’est l’inverse. La DRH ne prend pas un rôle leader dans la décision de déterminer où va l’entreprise. Ce rôle-là, de la stratégie de l’entreprise, ce sont les divisions commerciales qui ont réellement la responsabilité…» (un cadre DRH).

Sous un autre angle, la DRH a joué une mission importante dans tous les processus de changements vécus, notamment dans TURBO, PTS, BeST. Elle a contribué à implémenter et à encadrer les changements et, en même temps, elle a contribué à garder un équilibre social, une sorte de « stabilité » pendant les processus de changements. La DRH « s’est adaptée et, en même temps, a été un agent de changement très important…Ce qui apparaît maintenant, c’est une organisation qui est un moteur de programmes de changements qui travaille essentiellement sur des questions comme des modèles de compétences, la gestion du changement, le développement de l’individu, le leadership, le PMS (Performant Management System). Au sens large, on va faire en sorte que les gens donnent le meilleur d’eux-mêmes et qu’ils aient la motivation adéquate pour réaliser les objectifs » (un directeur général DRH)

En tout cas, c’est une DRH qui travaille et conseille de manière permanente la haute direction.

Aujourd’hui, la DRH se propose comme mission de faire de l’entreprise, de par sa qualité des services et des gens qui la composent, une référence de prestige, privilégiée par tout le monde. « Our mission: To be the top class business partner, providing reliable value added HR-services and continuously improving employee satisfaction and motivation, which will result in Belgacom being employer of choice in a fast changing environment” (Belgacom, Document Leadership Through Human Resources, 2002, p.2).

Quant à l’organisation de la DRH, elle est aussi passée par différentes étapes de restructuration organisationnelle, mais elle n’a pas eu tellement de changements quant au nombre ni aux rôles. En 1996 lors du programme TURBO, une décentralisation de toutes les fonctions des staffs (légal, R.H., marketing, etc.) dans les Business Units a été faite, c’est-à-dire, toutes les Business Units et toutes les divisions (exemple: ANS, CDS, HBS, ...) ont eu un département de ressources humaines (DRH) autonome et dépendant directement de chaque direction respective. Ensuite, lors du programme PTS, la DRH pratiquement n’a pas été touchée.

En 2001, dans la première phase du programme BeST, l’entreprise a réorganisé et recentralisé plus ces staffs dispersés - donc la DRH- et a créé les Centres de compétences par spécialisation, tels que le FIN (Group Finances), le COM (Groupe Communications), le Légal (Legal Services), etc. et quant à la direction des ressources humaines (DRH), elle a été recentralisée et organisée en deux divisions. D’une part, le Group Humain Ressources (GHR), le plus grand, chargé de l’application opérationnelle des techniques de GRH, composé par : 4 Districts et 7 Centres de Compétences, à savoir : Compensation, Benefits & Payroll ; Selection, Planning & Resourcing ; Learning & Development Academy ; Shared Service Center, HR Strategy & Talent Management ; Internal Communication, e-HR Strategy. D’autre part, le Group Labor Relations (GLR), chargé exclusivement des relations

Page 216: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

216

professionnelles avec les organisations syndicales et responsabilisé d’assurer l’application correcte des conventions collectives et la bonne attention aux problèmes sociaux du personnel (exemple: Work Life Unit et de Social Assistances).

Maintenant tous ces Centres prêtent un appui direct aux divisions mais dépendent toujours de la direction centrale de la DRH. Nous dirions que les Centres de compétences de la DRH et les divisions de l’entreprise forment une configuration organisationnelle matricielle. De plus, il y a environ 80 professionnels de la DRH qui travaillent détachés directement dans les différents districts géographiques du pays (RH Domaine), près de la base, en établissant une interface avec la DRH centrale (Bruxelles).

Il s’agit maintenant d’une DRH centralisée mais avec une autonomie relative pour quelques structures, un mix organisationnel.

Autre mission clé, c’est la gestion des relations professionnelles, réalisée par la division-GLR avec un staff permanent de 7-8 personnes consacrées exclusivement à gérer les relations professionnelles et tous les dossiers inhérents à cette fonction. « Notre équipe coûte cher à l’entreprise, toute une structure de Commissions paritaires locales, beaucoup de réunions, etc. C’est le prix que Belgacom a voulu payer pour garantir la paix sociale jusqu’à présent » (un directeur DRH). Ajoute un vice-président exécutif : « Cette relation est très bonne, parfois prend du temps, mais jusqu’à présent il y a eu quand même 10.000 personnes qui ont quitté l’entreprise et elle a continué à fonctionner, on a pu se restructurer de façon significative, même plusieurs fois de suite. Je pense que jusqu’à présent, c’est un modèle, un exemple en Belgique ; c’est un modèle de relation sociale qui est vraiment basé sur la transparence ».

Nous constatons que les relations professionnelles ont été typiquement celles du modèle néo-corporatiste et rhénan.

Il faut ajouter que la DRH réalise, deux fois par an, des enquêtes de satisfaction auprès de leurs clients internes pour évaluer leur travail. Ces 3-4 dernières années, elle a dû développer un travail plus important et spécialisé pour s’occuper d’une population de cadres qui a augmenté rapidement et qui constitue une nouvelle donne à laquelle elle a dû s’adapter en proposant de nouvelles politiques et des nouveaux dispositifs de GRH. Traditionnellement, il s’agissait de gérer une grande population d’employés « statutaires ».

Bref, pendant cette période, la DRH a connu des changements organisationnels, mais qui n’ont pas encore concerné sa taille.

2. 2.- Taille

Pendant cette période, la taille du Département Ressources Humaines (DRH) est restée grande et celui-ci n’a pas véritablement changé. En 2001, le nombre de personnes travaillant dans la DRH s’élève à environ 681 personnes. Ce nombre est plus ou moins le même en 1996. Un nombre du personnel DRH qui, par rapport aux autres entreprises, reste malgré tout important.

Si nous comparons le nombre du personnel-DRH par rapport au total du personnel du Groupe Belgacom (y compris les filiales), nous relevons qu’en 1996 il y avait un total de 25.634 personnes (équivalents temps plein), avec un ratio de 1 : 38 (ou 2,7%); c’est-à-dire, 1 professionnel-DRH travaillant pour 38 employés. En 2001, le nombre total du personnel est de 22.296 personnes (équivalents temps plein) (Rapport Annuel 2000, 2001), par conséquent le ratio est de 1 : 33 (ou 3%). En général, cette proportion ne change pas d’une façon significative.

Page 217: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

217

Rapport professionnel DRH/effectif total

Rapport 1996 = 1 : 38 (ou 2,7%)

Rapport 2001 = 1 : 33 (ou 3%)

C’est seulement avec le programme BeST, dont la deuxième phase a démarré en 2002, que le personnel de la DRH va diminuer de l’ordre de 40% au total à la fin du processus. Cette diminution a doucement commencé cette année. Cette diminution est accompagnée par l’installation d’un système technologique complexe. En 2001, le nouveau réseau interne, complété en 2002, appelé « Exch@nge », a été lancé timidement. A travers celui-ci, il s’agit de faciliter le travail des employés et diminuer de 60% à 10% le travail administratif du département R.H. D’après le Directeur de l’ « e- HR Strategy » : « Notre objectif est le même : réduire la fonction « guichet » au strict minimum… d’ici deux à trois ans, 66% des opérations RH de base devront être entièrement automatisées grâce à l’intranet (un changement d’adresse, une inscription pour une formation, une demande d’information …); 28% devront s’effectuer via un call-center interne (pour des demandes plus complexes) ; enfin, seulement 5% des opérations pourront encore se faire via l’intervention d’un consultant en ressources humaines…D’autres études montrent que l’e-GRH doit, entre autres, permettre de baisser de 30% les coûts de gestion des ressources humaines, de réorienter 20% à 40% du personnel administratif vers des fonctions plus valorisantes, le tout avec un retour sur investissement de 100% dans les trois ans » (Sacré, Le Soir, 6-7/4/ 2002).

A travers ce système intranet, il y aura un gain de temps considérable, plus d’autonomie pour les individus et une amélioration de la GRH. A l’avenir, plus de 80% des informations pourront être mises à jour par l’employé lui-même. Le système intranet « Exch@nge » commence, de plus en plus, à offrir ces types de services indiqués, mais il faut reconnaître que jusqu’à l’année 2001, il y avait encore beaucoup d’opérations qui se faisaient à la main.

• Taille de la DRH à FranceTélécom S.A. (France)

A titre comparatif, FranceTélécom S.A. a commencé son processus de réingéniérie au niveau des R.H. dès l’année 1999. Avant cette date, il y a eu une diminution naturelle du personnel de la DRH, donc des évolutions pas tellement significatives. En avril 1999 commence la restructuration de la DRH ; à l’époque il y avait 5.710 personnes dans la DRH, pour un total de 134.022 personnes (équivalent à temps plein) au sein de FranceTélécom S.A.

En juillet-2002, le nombre du personnel-DRH est de 3.163 personnes, mais à la fin de l’année 2002, le plan est d’arriver à 2.800 personnes au département R.H. et ceci pour un total d’effectifs de 123.963 personnes (maison mère et Orange France).

Or, nous constatons que pendant cette période les effectifs globaux ont diminué de moitié.

Variation des effectifs chez France Télécom

1999 2002

AA 3.255 784

EO 1.428 1.316

Page 218: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

218PS 1.027 700

Totaux 5.710 2.800

Par conséquent, en 1999 il existait un rapport de 1 : 23 (ou 4,2%) de professionnels-RH par rapport au total du personnel de FranceTélécom S.A. Par contre, à la fin 2002, d’après les objectifs fixés, France Télécom espère atteindre un rapport de 1 : 44 (ou 2,2%).

Rapport professionnels-DRH/effectifs total

Rapport 1999 = 1 : 23 (ou 4,2%)

Rapport 2002 = 1 : 44 (ou 2,2%)

« Mon deuxième objectif était de réduire le coût de la fonction R.H. Nous sommes en concurrence avec des entreprises américaines, des multinationales. Quand vous avez un ratio RH de 4,1% [ ou 4,2%] et que vous êtes sur le marché mondial, vous êtes en concurrence avec les Américains qui ont de ratio de 0,5 % aux Etats-Unis, et quand ils sont installés en Europe, leur ratio double, donc arrive à 1%. Donc, vous avez une fonction RH qui coûte de 4 à 8 fois plus cher que vos concurrents. Or, quand vous êtes en compétition un peu hard et que vous avez tous vos marchés qui s’ouvrent à la concurrence, vous commencez à regarder vos prix de revient et en particulier les coûts de vos fonctions support» (un directeur délégué à la DRH).

En 1995, date à laquelle M. Bon, le nouveau PDG de France Télécom Groupe est nommé et à laquelle un gigantesque processus de transformation a commencé dans l’entreprise, le Directeur des Ressources Humaines Groupe n’était pas membre du Comité Exécutif du Groupe France Télécom, et ceci jusqu’à l’année 2000. D’autre part, c’est seulement en septembre 2001 que fut nommé un Directeur des R.H. spécifiquement au niveau de France Télécom S.A. pour bien faire la séparation entre la mise en place des politiques et leur application opérationnelle à la maison mère. Jusqu’à la mi 2000, la DRH était subordonnée au directeur financier. Ceci indique, à notre avis, le peu d’importance que la direction avait assigné à la fonction R.H. pendant une période de changements cruciaux à la compagnie.

2. 3.- Profils des professionnels-DRH

Le profil dominant des professionnels de la DRH jusqu’à aujourd’hui a été celui d’agent administratif. Plus de 60% du personnel DRH a été et reste, en 2001, encore consacré à des tâches administratives, à la gestion des dossiers légaux, à des affaires individuelles (absences, vacances, assistance sociale, changements de postes, changements d’adresse privée, etc.), gestion et paiements de salaires, de primes, etc. Ce type de personnel « c’est l’héritage du type d’activités de R.H. qui vient du passé, c’est-à-dire beaucoup de profil administratif, parce que l’environnement juridico-réglementaire des R.H. chez Belgacom, surtout de Belgacom S.A. est complexe -je ne parle pas tellement de Proximus, de Skynet qui sont des sociétés beaucoup plus jeunes. Ici, nous gérons un ensemble de règles, de procédures qui sont incroyables et donc ça demande beaucoup de workforce pour administrer tout ça, d’autant plus que jusqu’à il y a peu, il y avait relativement peu d’automatisation » (un directeur général DRH).

Ces dernières années, le recrutement de personnes plus spécialisées et mieux formées a été stimulé, des personnes avec des profils ressemblant plus à l’expert opérationnel, c’est-à-dire psychologues, licenciés en sciences économiques et autres diplômés universitaires.

Page 219: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

219

Cependant, ce nouveau changement n’a pas modifié la diminution des agents administratifs qui lui a été très marginale.

En 1996, d’après nos estimations, la distribution (en pourcentage) des trois profils, à savoir : d’agent administratif, d’expert opérationnel et de partenaire stratégique, était :

Profils personnel-DRH/1996 Agent Administratif : 68%

Expert Opérationnel : 27%

Partenaire Stratégique : 5%

En 2001, ces mêmes trois profils avaient évolué de la façon suivante :

Profils personnel-DRH/2001

Agent Administratif : 61%

Expert Opérationnel : 31%

Partenaire Stratégique : 8%

Nous constatons que le profil d’agent administratif, malgré une légère diminution, reste encore assez élevé et dominant. Le profil d’expert opérationnel montre une très légère évolution vers des gens plus spécialisés et, donc, nous retrouvons là des professionnels de haute expertise technique (capables de mettre en place et de gérer l’Intranet Exch@nge, des systèmes de gestion des paiements, etc.), des spécialistes dans tous les domaines de la GRH (psychologues participant à la sélection, etc.) y compris les spécialistes en relations professionnelles (donc, de bons négociateurs). Par contre, le profil de partenaire stratégique n’a pas eu une augmentation vraiment significative. En général, les professionnels de la DRH restent peu polyvalents. Globalement, nous pouvons affirmer qu’effectivement il n’y a pas eu de grands changements, ni au niveau du nombre, ni au niveau des profils des professionnels intégrant le département R.H. (DRH).

Précisons que notre estimation des profils est basée sur les estimations faites par les personnes interviewées. Ces pourcentages doivent être compris, donc, comme des profils potentiels estimés et peuvent être encore éloignés de la réalité quotidienne. Les pourcentages signalés indiquent une appréciation théorique ou une probabilité d’exercer des tâches de ces trois profils dans le DRH. Ils ne mesurent pas nécessairement le temps réel consacré à chacune des activités correspondants à chacun de ces trois profils, ce qui serait une donnée beaucoup plus exacte. Cela a été montré - pour des profils semblables- avec l’exemple d’Amocco, présenté lors de la discussion théorique (Ch. II). Néanmoins, ces estimations sont utiles dans la mesure où elles indiquent la perception - peut-être pas si erronée- qu’ont de ces profils, les personnes travaillant dans la DRH.

C’est seulement avec la mise en œuvre du programme BeST que le nombre des personnes avec un profil d’agent administratif a commencé à diminuer. En effet, un des objectifs de ce programme est de développer à terme la e-entreprise. Il faut donc automatiser (réseau intranet, internet, etc.) la DRH et simultanément réduire le nombre du personnel en même temps que changer leurs rôles.

Page 220: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

220

D’après la direction et s’inspirant des théories nord-américaines à ce sujet 54, elle distingue trois types de profil du personnel-DRH, à savoir : Strategic planning, Customer service et Administration. D’après la direction, la description de ces profils étant : avant : Strategic plannining : participation minime, problèmes de résultats, poste critique ; Customer service : reactif, lent à l’adaptation, entretien de données, dirigé par organisation hiérarchique, contrainte technologique ; Administration : travail manuel intensif, lourd, répétitif, beaucoup de données mais information pauvre. Maintenant : Strategic planning : analyse sophistiqué, solutions stratégiques, solution de problèmes ; Customer service : intégré, responsabilité, sensibilité coût/bénéfice, pertinent aux affaires, information riche ; Administration : automatisée, rationalisée.

En 2001, la répartition du temps par rapport à ces profils est : 10% du temps consacré aux tâches de Strategic planning, 30% à Customer service et 60% du temps à des tâches d’Administration. L’objectif est d’arriver, en 2004, à une distribution du temps du personnel DRH absolument différent, à savoir : 30% de Strategic planning, 60% de Customer service et 10% du temps consacré à des tâches d’Administration (Fig. 6), c’est-à-dire, évoluer d’un vieux paradigme vers un nouveau paradigme du rôle de la DRH.

Fig. 6

La DRH vers un nouveau paradigme ?

Ce discours managérial prône vivement la nécessité pour le personnel DRH de consacrer plus de temps à appuyer la stratégie d’affaires, de comprendre mieux les affaires, de servir mieux les clients et apporter plus de valeur ajoutée, ceci afin que l’entreprise devienne chaque fois plus efficace et plus productive.

• Profils des professionnels-DRH à FranceTélécom S.A. (France)

Chez FranceTélécom S.A. la restructuration de la DRH a commencé seulement en avril 1999. A cette époque la grande majorité du personnel de la DRH faisait des tâches administratives. La distribution des trois profils était, à peu près, comme celle-ci :

Profils du personnel DRH/1999

54 Document interne « Leadership Through e-Human Resources », inspiré de J. L. Heskett et al., “Putting the Service-Profit Chain to Work”, Harvard Business Review.

Administration

Strategic planning

Customer service

Administration

Strategic planning

Customer service

10%

30%

60%

10%

30%

60%

Vieux paradigme Nouveau paradigme

Page 221: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

221Agent Administratif : 57%

Expert Opérationnel : 25%

Partenaire Stratégique : 18%

A la fin de l’année 2002, la proportion de ces trois profils sera la suivante :

Profils du personnel DRH/2002

Agent Administratif : 28%

Expert Opérationnel : 47%

Partenaire Stratégique : 25%

L’estimation des profils EO et PS est ici moins exacte. Nous avons fait une estimation seulement approximative pour illustrer notre propos. En pratique, France Télécom SA ne fait pas tellement de différence entre ces deux profils et parle plutôt d’un profil de « Business Partner » qui travail sur le terrain en partenariat étroit avec la ligne hiérarchique. Ce Business Partner peut être un généraliste ou avoir aussi des compétences d’expert opérationnel. Par conséquent, certains EO peuvent être aussi PS ce qui augmenterait encore plus le nombre du profil PS. Ce qui est certain c’est que a diminué fortement - par un coefficient de plus de quatre - le nombre des professionnels avec un profil d’agent administratif et il est renforcé le nombre et la formation des professionnels ayant un profil EO, travaillant dans le terrain et près du manager. « Tout ce qui n’est pas administratif, je l’appelle « Business Partner», c’est-à-dire ce sont des gens à valeur ajoutée. Je ne fais pas la distinction entre ceux qui sont sur le terrain, dans les Unités Opérationnelles, donc décentralisées, au plus près des managers, et ceux qui peuvent être à l’Etat Major, qui vont pouvoir faire la définition de politiques, l’anticipation, le pilotage et aussi le contrôle de gestion, Je ne fais pas non plus la distinction avec les experts purs, …j’ai d’ailleurs un problème de gestion des experts. Pour quoi séparer les choses ? … C’est la raison pour laquelle je préfère que chacun ait une double casquette, à la fois d’expert d’un ou plusieurs domaines mais aussi de généraliste. C’est donc une approche matricielle de la fonction RH que nous essayons de mettre en place pour la partie non administrative. Pour la partie administrative, notre choix a été de la mutualiser et de l’industrialiser dans des CSRH (Centres de Services RH)» ( un directeur délégué à la DRH).

Ainsi, certaines des missions et des compétences demandées aux DRH « Business Partenaires » des Unités Opérationnelles sont :

a)- Missions : dans la logique d’une fonction RH en appui de la ligne managériale sur la prise en compte de la dimension R.H., le DRH doit : - assurer une contribution forte auprès des managers sur l’aide à la décision, la mise en œuvre sur le plan de la gestion des collaborateurs, la performance collective, l’adaptation des organisations et la transformation de leurs pratiques managériales induites ; - définir et mettre en oeuvre les objectifs RH de l’Unité, en accord avec les orientations stratégiques du groupe : en accompagnant les managers dans la préparation des décisions, en préparant l’avenir (métiers, compétences ...), en animant le dialogue social ;

b)- Compétences principales : la DRH doit avoir une certaine autorité pour être légitime auprès de tous les niveaux de l’organisation pour accompagner la conduite de l’évolution des pratiques managériales. Par conséquent, leurs compétences doivent être : - pratiquer le conseil individuel et personnalisé aux managers, être force de proposition ; - pratiquer l’animation de la réflexion collective ; - savoir impulser, piloter les changements attendus : être capable d’entendre et de décrypter les messages de l’environnement externe et interne de l’entreprise

Page 222: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

222

et d’en tirer parti pour proposer les voies et les moyens d’adaptation et d’anticipation ; - avoir la capacité à apporter des innovations ; - développer une vision stratégique du management ; - contribuer à la prise de décision ; - développer une vision globale de l’organisation ; - avoir le sens de la négociation et de la concertation ; - faire preuve de diplomatie et de pédagogie ; - maîtriser les analyses budgétaires ; - organiser des études comparatives avec l’interne et l’externe (benchmarking, …); - développer le dialogue social et savoir gérer les conflits ; avoir une appréhension minimum des pratiques de GRH ; - pouvoir « porter » un projet sur toutes ses composantes, en toute délégation ; etc. (France Télécom, Missions et activités cibles du DRH en Unité Opérationnelle, 2000).

Ces caractéristiques définies pour un DRH Business Partner sont similaires à notre profil partenaire stratégique, raison pour laquelle nous pouvons l’assimiler. Effectivement, ils sont chargés de participer à l’élaboration de la stratégie locale et de compléter les grandes politiques pour y intégrer les spécificités locales. Par ailleurs, pour faire nos estimations, nous avons assimilé le personnel assigné en Etat Major comme des professionnels ayant un profil d’expert opérationnel.

Quoiqu’il en soit, nous constatons une rapide diminution du profil d’agent administratif, aidé par l’implantation d’un système d’intranet. Cette diminution est provoquée par la mise en place d’un système d’automatisation informatique appelé Libre Service Salarié (LSS) doublé de possibilités de Work Flow (WF), qui permettent aux salariés de rentrer directement leurs informations, qui sont ensuite validées électroniquement par la hiérarchie, avant d’alimenter en direct la base de donnée du personnel. Aujourd’hui, France Télécom développe tous ces LSS et WF autour de son vieux système SIRH « Alliance », mais il est prévu de l’abandonner au profit d’un ERP bien connu du marché « People Soft ». Quand ce sera effectif début 2004, tous les éléments de la base de données seront accessibles sous intranet, ce qui permettra de rédéfinir les rôles et missions des différents acteurs, pour plus de réactivité et de productivité. Cela doit aller de pair avec plus de transparence sur les règles de gestion qu’il convient de simplifier et souvent de repenser.

Bref, une évolution du profil partenaire stratégique ou Business Partner est renforcé. Ce profil serait très proche du manager, transférant un pouvoir de décision important en matière de GRH aux mains des managers, non pas pour en faire des experts de la GRH, mais parce que dans les décisions quotidiennes que l’on prend pour favoriser l’activité (vendre, produire, acheter, …) il y a à chaque fois une composante RH. D’après la direction il est plus sain et plus efficace de mettre tous les données entre les mains du manager qui pourra décider en toute connaissance de cause. Cela permet également de repositionner les RH en partenaire du business, en facilitateur, en recherche permanente de solutions innovantes, et non plus comme « l’empêcheur de tourner en rond » que perçoivent beaucoup de managers.

2. 4.- Clients de la DRH

La notion de client dans le langage de l’entreprise est relativement neuve et faite partie des profonds changements culturels qui ont eu lieu pendant cette période. Dans les années 1995-1996, il était question encore d’abonnés pour se référer aux clients externes et la notion de « client interne » n’existait pratiquement pas. En 1996 - rappelons-le- le programme TURBO a mis au centre de l’attention de l’entreprise la notion du client, il a donné une nouvelle vision et a orienté toute la logique de travail vers le client et sa satisfaction maximale. Il s’agissait d’adopter une mentalité de service au client et éradiquer la « culture d’abonné ». De même, le travail interne a dû être vu sous cette nouvelle approche ; tous les services, instances ou personnes ayant un rapport de travail avec la DRH ont dû être traités comme des « clients internes », par conséquent, il a fallu satisfaire au maximum ses besoins et maximiser sa

Page 223: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

223

satisfaction. Indubitablement, c’est une nouvelle logique de travail qui, jusqu’à aujourd’hui, a fait son chemin.

En 1996, les clients de la DRH étaient principalement la haute direction, les cadres hiérarchiques (line management) et les cadres en général, les employés et partiellement, les organisations syndicales. Le client externe, par excellence, était l’Etat.

En 2001, des nouveaux changements se développent. La notion de client est élargie aux clients virtuels et potentiels. Des clients externes peuvent accéder directement (portails, internet, etc.) à l’entreprise, ce sont les chercheurs d’emploi, les acheteurs, etc. Aujourd’hui la DRH est en relation directe et de plus en plus ouverte vers le public externe, à travers les programmes de publicité pour des programmes de recrutement (ciné, radio, presse publique,...), via Internet sur d’autres sites (StepStone, Monster, etc.) ou sur le propre site Web de l’entreprise, un nouveau système de recrutement et de présélection : « On-line recrutement », a été créé tout récemment. L’Etat devient un client externe plus important dans la mesure où il est attentif au bon déroulement et à la bonne application légale de la Convention collective n° 77 qu’il a autorisée à l’occasion de l’application du programme BeST, c’est-à-dire à une flexibilisation du travail chez Belgacom.

D’autre part, avec l’installation de l’intranet Exch@nge tous les employés ont accès à un nombre de plus en plus élevé d’information et de services. Ces évolutions ont été possibles et basées sur le système technologique interactif mis en œuvre (internet, intranet, portails, solutions informatiques, etc.).

2. 5.- Pouvoir de la DRH

Le Département R.H. a toujours eu un pouvoir indéniable, mais il a changé un peu de forme.

Nous pouvons affirmer, grosso modo, que le pouvoir de la DRH s’exprime particulièrement à travers au moins trois domaines d’activités : primo, à travers la gestion opérationnelle des ressources humaines, c’est-à-dire, en implémentant les méthodes, les systèmes et les outils propres à une GRH moderne ; secundo, en étant un moteur ou, en tout cas, un co-gestionnaire des processus de changements réalisés à l’entreprise ; tertio, en gérant les relations professionnelles avec succès, c’est-à-dire, en co-pilotant avec les organisations syndicales une régulation sociale adéquate dans le cadre des changements importants.

Dans le passé, du fait de la prédominance du personnel statutaire et du contexte, une partie de la GRH opérationnelle était beaucoup plus liée au contrôle des règles établies et aux soins de ce nombreux personnel statutaire. Ces dernières années, la GRH a dû aussi gérer de processus de changements, maîtriser et mettre au service des moyens technologiques, dans un contexte humain différent : moins de personnel statutaire et beaucoup plus de cadres. La DRH a toujours eu un important pouvoir de régulation sociale.

Cela dit, son pouvoir n’a jamais été non plus illimité ou parmi les plus forts ; d’autres acteurs, tels que les divisions techniques et les divisions commerciales et de marketing deviennent aujourd’hui plus importantes. Cependant, le réseau technologique interactif installé confère maintenant un pouvoir redoutable à la DRH.

Il faut ajouter que la personnalité du chef de la DRH a joué aussi un rôle important dans le pouvoir de la DRH.

2. 6.- Position organisationnelle du chef de la DRH

La DRH est composée par deux divisions : a)- la Division Ressources Humaines (GHR : Group Humans Resources), à son tour formé par l’équipe de R.H. dans les districts et les

Page 224: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

224

différents Centres de compétences, responsable de la GRH opérationnelle, et b)- la Division Relations Professionnelles (GLR : Group Labor Relations), composé de l’équipe en charge de gérer les relations professionnelles et l’équipe chargée des aspects sociaux et du bien-être du personnel de l’entreprise.

En 1996, les deux responsables appartenaient au Group Leadership Team (GLT), le niveau le plus important de prise de décision de l’entreprise, seulement devancé par l’EXCO (Executive Committee), composé de trois personnes. La DRH bicéphale était représentée au plus haut niveau de direction. Cette situation s’est maintenue jusqu’à l’an 2000.

Cette structure organisationnelle bicéphale indique l’importance donnée par l'entreprise à la DRH et donc aux relations professionnelles.

En 2001, la DRH est toujours composée de deux divisions (GRH et GLR), mais celles-ci ne sont pas représentées au même niveau de direction de l’entreprise. Tandis que la division Group Human Resources, chargée de la gestion opérationnelle des ressources humaines, fait partie du BGC (Belgacom Group Council), en pratique le niveau supérieur de prise de décisions, la division Group Labor Relations (GLR), chargée des relations professionnelles, appartient au Group Leadership Team (GLT), le niveau immédiatement inférieur de la hiérarchie de direction. Quoique l’importance de la division GLR demeure, il y a une légère perte de pouvoir de cette division.

3.- Contenus spécifiques des modèles de Management et leur évolution

Dans cette partie, nous traitons l’évolution du modèle de management pratiqué à l’entreprise en tenant compte de la modélisation proposée dans le cadre d’analyse. Nous étudierons les différentes variables qui composent ces modèles de management, à savoir : la conception d’entreprise et des travailleurs, le style de management, l’importance donnée aux Ressources Humaines et l’importance donnée aux syndicats.

3. 1.- Conception d’entreprise et des travailleurs

L’entreprise essaie d’établir une sorte d’équilibre entre les actionnaires, les clients et les travailleurs. Rappelons qu’un premier changement important dans la conception de l’entreprise a été l’autonomie totale de la direction pour gérer (loi de 1991 sur l’EPA), même si l’Etat est resté l’actionnaire majoritaire. L’entreprise garantit le service téléphonique universel qui est stipulé dans un « Contrat de gestion » signé avec le Gouvernement. L’entreprise, en cohérence avec les types d’actionnaires et leur mission, a accompli clairement son rôle social. Un deuxième changement (en 1995) a été la privatisation partielle avec l’arrivée du consortium ADSB, avec hégémonie américaine. Elle a continué à garantir le service universel et à honorer aussi les investissements de son actionnaire privé en octroyant des bénéfices correspondants. Au niveau des travailleurs, il existe encore dans l’entreprise une forte tradition sociale, raison pour laquelle les conditions du travail et le bien-être des travailleurs sont bien considérées.

« De toute façon, c’est un équilibre des trois ; je pense que cet équilibre ne penche pas uniquement, ni du côté du client, ni du côté des shareholders, ni du côté des employés. Je pense que, dans notre cas, l’effort qu’on doit faire pour maintenir ses employés au bord, très motivés, c’est très important … je pense que c’est toujours une question d’équilibre. Le jour où effectivement le centre unique sera sur l’actionnaire, on ira vers un crash social, on aura

Page 225: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

225

de gros problèmes sociaux, où des abus … Vous avez vu ce qui s’est passé à ENRON, je crois que ça, c’est un exemple monstrueux de la manière dont cette obsession de l’actionnaire peut faire faire des choses complètement stupides » (un vice-président exécutif).

Les travailleurs sont perçus tant comme des coûts que comme des investissements. « Il faut qu’il y ait une situation win-win entre l’employeur et l’employé, que l’employé trouve sa satisfaction dans le travail et qu’il apporte à l’entreprise de la valeur… Je crois que c’est le cas chez Belgacom ; il y a une tradition sociale de respect du personnel. Par ailleurs, et ceci est nouveau, le respect de l’actionnaire a sensiblement augmenté par rapport au passé » (un directeur général).

Les dirigeants syndicaux, considérés comme porte-parole de la grande majorité de travailleurs, défendent leurs intérêts, parfois en contradiction farouche vis-à-vis du management mais ils assument, en même temps, une certaine responsabilité quant à l’avenir de l’entreprise. Les dirigeants syndicaux et, à travers eux, une partie importante des travailleurs, ont une conception de l’entreprise à double tranchant. D’une part, ils défendent les intérêts et le bien-être des travailleurs (des plans de préretraite sous de bonnes conditions et sur base volontaire, la formation comme un droit, la reconversion comme priorité, etc.), d’autre part, ils ont été prêts à faire des efforts conséquents pour augmenter la productivité, mieux rentabiliser le travail, voire défendre l’entreprise, le moment venu, parce que c’est une source de travail (accepter le gel des salaires, accepter un degré de flexibilité de travail et des horaires, accepter une flexibilité modérée de certains salaires, etc.). Or, jusqu’à présent, on a bien géré cette contradiction. « J’estime que les syndicats ont un rôle social à jouer, c’est clair ! Mais il faut quand même avoir aussi en tête que vous êtes au courant de l’évolution de l’entreprise, de ce qu’elle fait comme bénéficie, des moyens qu’elle a, parce que c’est « l’outil », donc si nous voulons défendre nos agents, il faut défendre aussi « l’outil». Il faut donc qu’il y ait des synergies entre les deux, un compromis entre les deux. Il faut conscientiser les gens qu'à un moment donné il faut aller dans cette voie là, sinon on risque de se retrouver dans une très mauvaise situation ou, tomber, comme la SABENA »55 (un dirigeant syndical).

Il s’agit d’une entreprise avec des finalités économiques et sociales. Elle a augmenté toujours plus la performance et le bénéfice, en même temps, elle a assuré le bien-être et le développement des travailleurs tout en garantissant le service universel.

Autrement dit, l’entreprise n’est pas seulement un système technico-économique mais, en même temps, un système socio-politique.

Cependant, ces dernières années, une exigence plus forte pour diminuer les coûts de production et pour accroître la productivité et les bénéfices se fait sentir.

3. 2.- Style de management

En 1995, un des premiers changements fort a été le renouvellement radical de la haute direction. Ce pas montrait déjà le style qui allait se poursuivre. « Ces 6 dernières années, même plus, ces 8 dernières années, Belgacom a été très fortement caractérisé par une succession des programmes de changements…En 1995 c’est TURBO, où nous avons complètement changé la structure organisationnelle…on a ouvert en candidature interne les 250 positions top, ce qui a créé un choc gigantesque, ça en tant que tel c’était déjà un changement important par rapport à une pratique précédente où on était là par ancienneté, par promotion automatique. TURBO, a été le premier « fait d’armes » du CEO… Un facteur

55 SABENA : entreprise aérienne nationale belge, tombée en faillite en novembre 2001.

Page 226: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

226

qui a été très important pour le changement, c’est la volonté de changer qui venait du top, du CEO » (un directeur général DRH).

Le style de management dominant pratiqué, c’est la direction par objectifs (DPO), c’est-à-dire, la définition d’objectifs à atteindre dans des délais préétablis, planifiés en cascade, jusqu’aux niveaux les plus bas. Par conséquent, chaque niveau organisationnel, chaque équipe de travail et chaque personne connaît le travail à faire. Il y a, par la suite, des évaluations chaque trimestre, à la moitié de l’année et une plus complète à la fin de l’année.

En pratique, la DPO est accompagnée aussi d’une ouverture à une participation la plus large possible. Il est évident que la participation est plus réelle au niveau des cadres que, par exemple, au niveau 4, niveau essentiellement d’exécution. Il est question de pratiquer un management participatif, de faire participer les gens pour permettre de cette façon un engagement plus profond, un style de management descendant en même temps qu’ascendant. Participent de ce management, les pratiques de l’empowerment et du coaching qui ont été développées ces dernières années de manière plus conséquente. Avec l’empowerment, il y a une responsabilisation chaque fois plus grande et une autonomie relative pour les équipes et les travailleurs. Quant au coaching, il s’agit d’exiger des chefs d’équipes, des managers de s’engager à motiver, accompagner et travailler d’égal à égal, en synergie, avec leurs collaborateurs, de créer un climat de collaboration, de dialogue et un esprit d’équipe pour mieux travailler et améliorer les performances.

Bien que, depuis quelques années, ces pratiques soient prônées c’est seulement depuis environ trois ans que ces pratiques deviennent un peu plus systématiques. « Ce n’est pas parce je connais mon métier que je suis un bon coach ; cette pratique fait appel à d’autres qualités et ça c’est quelque chose qui manque à l’heure actuelle encore chez Belgacom. Nous avons fait énormément de progrès les dernières années, mais nous devons encore en faire énormément pour, précisément, permettre au personnel de mieux se développer. En effet, si vous avez un bon coach vous travaillerez mieux, beaucoup plus facilement que s’il n’y a personne pour vous aider… Mais c’est oser dire à la personne [ ses points négatifs]. Et ça c’est encore très difficile, dans la culture belge… c’est très difficile, c’est ce coaching ouvert, transparent, honnête. Ce que j’appelle le coaching honnête » (un directeur général DRH).

Cependant, des pratiques telles que les Cercles de Qualité, n’ont pas vu le jour parce qu’il y a eu une opposition, parmi d’autres, des syndicats. L’entreprise a développé des objectifs similaires à ceux des cercles de qualité à travers la participation active des syndicats et d’autres mécanismes. La direction a mis en œuvre certains changements similaires à ceux prônés par le management « californien » en tenant compte du contexte, de la culture et des acteurs belges. « Les Cercles de Qualité … ça n’existe pas. Disons que nous sommes opposés à ce système de Cercles de Qualité, parce que, quelque part, un Cercle de Qualité peut directement devenir un miroir syndical, etc. Vous savez…nous sommes en train de terminer la « négociation BeST », qui va aboutir sur une convention que nous allons signer, en même temps, les prix dans l’entreprise et pas mal de choses …Par la convention, nous avons un tas de règles et nous avons un tas de choses à avoir collectivement, et c’est pour ça que les organisations syndicales à Belgacom sont fortes…. Mais voilà maintenant ce que [d’autre part] Belgacom est en train de faire … c’est de donner la possibilité à chacun de gérer sa carrière, sa propre carrière. Donc, si on parvient à mettre cette initiative en application, alors il n’y a plus besoin de convention, tout le monde aura sa convention personnelle, donc il n’y a plus besoin de syndicat…» (un dirigeant syndical).

Un dernier constat au niveau du style de management, c’est qu’au début de cette période que nous analysons, il y a eu un changement fort qui a impliqué l’élimination de plusieurs pratiques sociales des travailleurs, notamment des niveaux 2 à 4, telles que des célébrations de jubilés, des activités sportives, etc., d’après la direction comme conséquence d’une

Page 227: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

227

politique de restriction économique. Cependant, ces deux dernières années quelques-unes de ces activités sont à nouveau réapparues, ce qui suppose qu’il y a la volonté politique et le budget nécessaire pour les réaliser. L’avis des syndicats est cependant différent. « L’ensemble du personnel avait des habitudes, se rencontrait dans des activités pour fêter nos décorés, nos pensionnés. Dans un premier temps, ces activités, ce phénomène para-professionnel, ne rentrent pas dans la culture américaine puisque cela n’avait rien de professionnel, c’était quelque chose d’humain, de social … Alors, dans un premier temps, l’entreprise a tout supprimé. Donc, c’était uniquement le travail professionnel, « boulot », « boulot ». Maintenant, à la demande du personnel, nous constatons que l’entreprise est en train de revenir sur ses pas et de recommencer à faire des fêtes de jubilaires, des fêtes de pensionnés, à faire des fêtes où le personnel peut se voir en dehors du lieu professionnel. Cela c’est quelque chose qui est fréquent en Belgique, le personnel se rencontre dans des endroits où il ne travaille pas et il peut nouer des amitiés autres que des amitiés professionnelles, mais ça ne plaît pas toujours … Mais nous avons encore des cercles, des clubs de marche, des clubs de football, des clubs de tennis et tout cela existe. L’organisation générale est gérée par l’entreprise et par les organisations syndicales. Pour l’instant, la direction a fait marche arrière dans la culture ; on re-budgétise tous ces postes pour favoriser ces activités… » (un dirigeant syndical).

Tout en gardant une bonne relation avec les syndicats, il y a eu un changement spectaculaire dans le type de management. D’un style de management plus vertical, classique, il y a eu une évolution vers un management politique mais en utilisant un arsenal de techniques et méthodes propres du management « californien ».

3. 3.- Importance donnée aux Ressources Humaines

Nous constatons qu’il y a toujours eu une valorisation de la fonction ressources humaines et un souci important pour le personnel au niveau de l’entreprise. Nous le voyons dans les politiques réalisées pour la formation et le développement, le bien-être interne, dans les reconversions professionnelles, etc. « Dans tous ces processus de reconversion, l’entreprise est toujours prête à mettre énormément d’argent, énormément de moyens. Mon souhait le plus cher, c’est qu’on s’attache au développement de la personne en tant qu’individu… les ressources humaines, c’est le développement de la personne une fois qu’elle est dans l’entreprise …et l’entreprise doit se poser plus de questions pour identifier comment une personne est plus productive, sachant que pour être productive, elle doit être bien dans sa tête, dans son cœur, dans son corps…au moment où on arrive à construire cette alchimie, la personne va être productive à 100% » (un directeur général DRH).

3. 4.- Importance donnée aux relations professionnelles et aux syndicats

Concernant l’importance donnée aux relations professionnelles, nous l’avons dit auparavant, elles occupent un espace privilégié dans l’entreprise, soit en raison de la conception de la haute direction (au moins d’une partie importante de celle-ci), soit par la force et présence des organisations syndicales dans la vie de l’entreprise, soit par un mélange de ces deux causes –ce qui est très vraisemblable. Le fait est que ces relations sont bonnes, constructives et entretenues soigneusement comme une des clés du succès. La direction respecte les syndicats dans leur rôle de partenaire social qui est les leurs, et cette attitude de la part du management, jusqu’à présent, n’a pas changé. « Nous avons un modèle social, un modèle de concertation sociale dont nous sommes relativement fiers dans la mesure où toutes les programmes se sont passés jusqu’à présent - et nous entendons continuer ainsi-, sans drame social, sans grèves, sans manifestation quelconque, ce qui n’a pas été nécessairement mieux dans toutes les

Page 228: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

228

autres sociétés publiques en Belgique. Et pour quoi est-ce que c’est comme ça ? parce que dès son arrivé le CEO et l’équipe qui l’entoure, en 1995, ont fait le pari de faire des organisations syndicales des partenaires de confiance et pas des ennemis » (un directeur général DRH).

Nous avons synthétisé, dans le tableau 20, les variables correspondant au contexte externe, au contexte interne et au contenu, dans leurs dimensions temporelles.

Tableau 20

Synthèse des évolutions du contexte externe, du contexte interne et des contenus (GRH, DRH et M) 1ère PERIODE (1996-1997-1998) 2ème PERIODE (1999-2000-2001-…)

CONTEXTE EXTERNE

1.- Marché des biens et services :

• 1993 : directive européenne sur ouverture du marché européen, mise en œuvre de l’IBPT, etc. Préparation à l’ouverture du marché

• marché pratiquement sans concurrence : 1 entreprise téléphonie fixe ; 2 entreprises téléphonie mobile

• taux pénétration : tel. fixe : 47% ; tel. mobile : 5% ; connexions internet : 164 mille

• téléphonie fixe : dominante

• 1998 : marché européen totalement ouvert à la concurrence

• marché ouvert à la concurrence ; dégroupage de la boucle locale

• 2001 : marché avec forte concurrence : 49 entreprises tel. fixe ; 3 entreprises tel. mobile

• taux pénétration : tel . fixe : 49,9% ; tel. mobile : 74,8%, connexions internet : 1.424 millions

• téléphonie mobile dominante. Nouvelles technologies : ADSL, WAP, UMTS, etc.

2.- Modèle relations professionnelles et système politique :

• concertation sociale : rapport de dialogue et de négociation. Système politique complexe ; trois clivages croisés par des piliers idéologiques

• taux syndicalisation/pays : 77% (1996)

• institutionnalisation et respect du système de concertation sociale (CP, CE, CPPT, CNT, CCE)

• logique de négociation collective : « gagnant-gagnant »

• Etat/gouvernement : intervient dans la concertation sociale. Dépenses de l’administration publique : 50,8% du PIB (1990)

• UE : directives, influence politique et stratégique

• concertation sociale : rapport de dialogue et de négociation. Système politique complexe ; trois clivages croisés par des piliers idéologiques

• taux de syndicalisation/pays : 76% (2001)

• institutionnalisation et respect du système de concertation sociale (CP, CE, CPPT, CNT, CCE)

• logique de négociation collective : « gagnant-gagnant »

• Etat/gouvernement : intervient dans la concertation sociale. Dépenses de l’administration publique : 46,7% du PIB (2001)

• UE : directives, influence politique et stratégique

3.- Marché du travail et législation sociale :

3.1.- Qualification de la main d’œuvre :

• 1997 : 1,13% du PIB en formation

• bonne formation professionnelle ; pas de problèmes pour trouver les professionnels nécessaires

3.2.- Législation sociale :

• législation sociale complexe et prégnante (ex. : embauche, licenciement, etc.)

• droit de grève sans limitation légale, RMMMG, allocation de chômage

• durée légale du travail : 39 heures/semaine

3.1.- Qualification de la main d’oeuvre

• 1999 : 1,25 % du PIB en formation

• 1999→2001 : coût de l’effort de formation global des entreprises passe de 1,2% à 1,6% de la masse salariale

• bonne formation professionnelle : pas de problème pour trouver les professionnels nécessaires

3.2.- Législation sociale :

• législation sociale complexe et prégnante (ex. : embauche, licenciement, etc.)

• droit de grève sans limitation légale, RMMMG, allocation de chômage

• 2001 : application du CNT 77 : plus de flexibilité de l’organisation du travail, travail à temps partiel, outplacement, etc.

• 2003 : durée légale du travail : 38 heures/semaine

Page 229: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

2294.- Culture nationale :

• autorité est respectée par son pouvoir et par ses compétences, mais respect sans exagération

• paternalisme de moins en moins pratiqué. Autoritarisme en voie de disparition, très mal perçu et rejeté

• coexistence du pouvoir de domination et du pouvoir de service

• pouvoir pas totalement concentré mais plutôt partagé entre différents acteurs ; pratique de la négociation « à la belge »

• liberté et autonomie de plus en plus appréciées et demandées, mais difficilement pratiquées par l’entreprise

• autorité est respectée par son pouvoir et par ses compétences, mais respect sans exagération

• paternalisme de moins en moins pratiqué. Autoritarisme en voie de disparition, très mal perçu et rejeté

• coexistence du pouvoir de domination et du pouvoir de service

• pouvoir pas totalement concentré mais plutôt partagé entre différents acteurs ; pratique de la négociation « à la belge »

• liberté et autonomie de plus en plus appréciées et demandées, mais difficilement pratiquées par l’entreprise

CONTEXTE INTERNE 1.- Configuration organisationnelle:

• division horizontale encore forte : les métiers restent bien différenciés : jointeur ≠ électricien ≠ informaticien, etc.

• division verticale marquée : claire différence entre concepteurs/planificateurs et exécuteurs

• coordination : standardisation des résultats et supervision directe (ex. : Call Centers)

• but de système en équilibre relatif avec but de mission

Configuration bureaucratique

• division horizontale encore forte : jointeur ≠ électricien ≠ informaticien, etc. mais tendance à légère polyvalence à l’intérieur d’une même famille/métier

• division verticale marquée : claire différence entre concepteurs/planificateurs et exécuteurs

• coordination : standardisation des résultats et supervision directe (ex. : Call Centers ; 10-12 opérateurs par superviseur)

• but de système prévaut sur but de mission

Configuration bureaucratique

2.- Stratégies d’entreprise :

2.1.- Stratégie de diminution des coûts :

• 1998 : programme PTS : 6.000 employés en préretraite volontaire

• cadres : haut volume de travail : +/- 50 heures/semaine

2.2.- Stratégie d’augmentation de la qualité :

• 1996 : programme TURBO : rapprochement des clients, meilleur satisfaction des clients, etc.

2.1.- Stratégie de diminution des coûts :

• 2001 : programme BeST : 4.500 employés doivent partir ; en 2001 : 1.500 employés déjà partis

• cadres : haut volume de travail : +/- 50 heures/semaine

• externalisation des activités de gardiennage, de la cantine, du service des rémunérations, location des bâtiments de l’entreprise, etc.

2.2.- Stratégie d’augmentation de la qualité :

• 2000 : programme BOOST : service aux clients

• projet MAC : - augmenter satisfaction aux clients : réponse dans les 20 sec ; 80% des cas dans les Call Centers ; réduction de 25% du temps de résolution d’un problème, etc.

• enquêtes systématiques de satisfaction des clients (externes et internes)

• mise en œuvre d’un projet pour obtenir la certification ISO 14001 en 2004

CONTENUS (GRH, DRH, M) Pratiques de GRH

1.- Entrées d’effectifs :

• 1996 : 1.944 cadres (niveau 1)

• 1999 : cadres (niveau 1) : 50% « statutaires », 50% « contractuels »

• blocages à l’entrée, sauf pour le niveau 1

• 1999 : 75% du personnel « statutaire »

• 2000 : 2.533 cadres (niveau 1)

• blocage à l’entrée, sauf pour le niveau 1

• nouveaux contrats : seulement CDD, recrutement on-line, renforcement de la méthode de sélection

2.- Départs d’effectifs :

• 1996-1997 : plan PTS : départ de 6.300 employés en préretraite volontaire (24% de l’entreprise)

• reconversion : 6.600 personnes

• 2001 : début programme BeST : départ total de 4.500 employés (entre 2001 et 2005)

• reconversion : 3.000 personnes

• application CNT n° 77 : travail à temps partiel,

Page 230: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

230

outplacement, etc.

• en environ 10 ans : 10.800 départs 3.- Formation :

• 1996 : 3,5% de la masse salariale

• formation de reconversion, grand nombre d’employés formés

• formation sur le savoir-faire et le savoir-être, individuelle et collective, à CT et à LT

• 2001 : 4,8% de la masses salariale

• 1999 : 15.440 participants en formation

• attention importante à la formation, reconversion importante

• concerne le savoir-faire mais un accent plus marqué sur le savoir-être, sur le relationnel ; le coaching, l’empowerment

• forte importance donnée au changement et aux nouvelles technologies : e-business, internet, intranet, etc.

4.- Evaluation :

• employés (niv. 2 à 4) : évaluation globale de la performance, évaluation des activités et de la maîtrise de la fonction

• échelle de notation de 5 scores (A à E) établie a priori

• cadres (niv. 1) : évaluation plus approfondie, DPO et évaluations successives (trimestre, semestre, année)

• évaluation sur 2 mentions : réalisation des objectifs et capacité managériale

• employés (niv. 2 à 4) : évaluation globale de la performance, évaluation des activités et de la maîtrise de la fonction

• échelle de notation de 5 scores (A à E) établie a priori

• cadres (niv. 1) : évaluation plus approfondie, DPO et évaluations successives (trimestre, semestre, année)

• évaluation sur 2 mentions : réalisation des objectifs et capacité managériale ;

• évaluation plus poussée pour les TGR, une sorte de 180° 5.- Promotion :

• Personnel « statutaire » : promotion à l’ancienneté

• Personnel « contractuel », notamment les cadres : promotion plutôt au mérite. Chez le cadres grande mobilité horizontale et promotion surtout pour les TGR

• Normalement, promotion lente. Grâce au PTS : importante mobilité et promotion à tous les niveaux (8.500 employés ont changé de fonction, 42% promotion)

• Personnel « statutaire » : promotion à l’ancienneté

• Personnel « contractuel », notamment les cadres : promotion plutôt au mérite. Chez le cadres grande mobilité horizontale et promotion surtout pour les TGR

• Grâce au plan BeST : importante mobilité et promotion à tous les niveaux

• Promotion mais sans gestion de carrières à long terme ; la notion d’employabilité émerge

6.- Rémunération :

• 1997 : système rémunérations inspiré du système HAY

• niveaux 2 à 4 : liée à l’ancienneté ; salaire partie fixe suivant un barème défini et partie « variable » (prime) liée aux performances

• niveau 1 et vendeurs : une partie « variable » plus importante (jusqu’à 20% de la rémunération totale)

• niveaux 2 à 4 : liée à l’ancienneté ; salaire fixe suivant un barème défini et partie « variable » (prime) liée aux performances

• niveau 1 et vendeurs : une partie variable plus importante (jusqu’à 20% de la rémunération totale)

• 2001 : essai de modification du système : broadbanding, mais opposition syndical

7.- Relations professionnelles :

• 1995 : nouveau Administrateur-Délégué : volonté explicite de dialogue et d’entente avec les org. syndicales

• rapport de dialogue, de respect et de négociation entre partenaires sociaux

• concertation sociale à travers les Commissions Paritaires (CP)

• 3 organisations syndicales

• taux de syndicalisation/entreprise : +/- 85%

• pas de graves conflits (ex. : grève nationale, …)

• rapport de dialogue, de respect et de négociation entre partenaires sociales

• concertation sociale à travers les Commissions Paritaires (CP) (ex. : 2000 : 11 CP nationales, 60 CP locales, etc.)

• 3 oganisations syndicales

• taux de syndicalisation/entreprise : +/- 85% (système affiliation-pensionnés) ; taux syndicalisation « réel » : environ 60%

• pas de graves conflits (ex. : grève nationale, …), mais blocage du plan « HR for You »

Rôles de DRH

1.- Missions principales :

• DRH appuie la stratégie de l’entreprise

• Stratégie RH : éparpillée dans des documents, conventions collectives, discours, etc.

• DRH bicéphale : - GHR (techniques et méthodes GRH) ;

• DRH appuie la stratégie de l’entreprise

• Stratégie RH : éparpillée dans des documents, conventions collectives, discours, etc.

• DRH bicéphale : - GHR (techniques et méthodes GRH) ;

- GLR (relations professionnelles)

Page 231: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

231 - GLR (relations professionnelles)

• management des relations professionnelles typiques au modèle néo-corporatiste

• enquêtes de satisfaction auprès des « clients » internes : 2 fois par an

• management des relations professionnelles typiques au modèle néo-corporatiste

2.- Taille :

• 1996 : rapport DRH/effectif total : 1 : 38 (=2,7%)

• 2001 : rapport DRH/effectif total : 1 : 33 (=3%)

3.- Profils professionnels-DRH :

• 1996 : AA : 68%

EO : 27%

PS : 5%

• 2001 : AA : 61%

EO : 31%

PS : 8%

4.- Clients de la DRH :

• 1996 : haute direction, line management, cadres, employés, organisations syndicales, Etat

• 2001 : nombre des clients est élargi : haute direction, line management, cadres, employés, organisations syndicales, Etat, chercheurs d’emploi (portail, « On-line recrutement »), acheteurs, public en général

5.- Pouvoir de la DRH :

• pouvoir relativement important, mais pas illimité

• co-gestionnaire et/ou moteur des processus de changements et des nouvelles méthodes GRH

• gestion efficace des relations professionnelles et pouvoir de régulation sociale dans un contexte de changement

• pouvoir relativement important, mais pas illimité

• co-gestionnaire et/ou moteur des processus de changements et des nouvelles méthodes GRH

• gestion efficace des relations professionnelles et pouvoir de régulation sociale dans un contexte de changement

6.- Position du chef-DRH :

• 1996 : les 2 responsables (GRH et GLR) sont membres du

Group Leadership Team (GLT), le plus haut niveau collectif de direction

• 2001 : - le responsable GRH, membre du BGC (Belgacom Group Council), le plus haut niveau de direction

- le responsable GLR, membre du GLT (Group Leadership Team), niveau immédiatement inférieur ; donc légère perte de pouvoir

Modèles de Management

1.- Conception d’entreprise et des travailleurs :

• 1991 : loi sur l’EPA, autonomie du management des entreprises publiques

• 1995 : S.A. de droit public ; privatisation partielle : arrivée actionnaire privé (consortium ADSB), mais l’Etat reste actionnaire majoritaire (51%)

• entreprise essaie d’établir équilibre entre actionnaires, clients et employés ; équilibre entre l’économique et le social

• travailleurs : perçus tant comme des coûts que comme des investissements

• forte pression pour privatisation : actionnaire privé (consortium ADSB), mais Etat reste actionnaire majoritaire (51%)

• entreprise essaie d’établir équilibre entre actionnaires, clients et employés ; équilibre entre l’économique et le social

• travailleurs : perçus plutôt comme des coûts que comme des investissements

• plus forte exigence pour la diminution des coûts et pour l’augmentation de la productivité

2.- Style de management :

• 1995 : mise à disposition des 250 mandats de direction et renouvellement de la direction

• DPO : planification des objectifs en cascade du haut vers le bas ; style de direction plutôt vertical ; planification en haut, exécution en bas

• discours sur le changement

• suppression des activités sociales traditionnelles des employés (jubilés, activités sportives,…), phénomène paraprofessionnel éloigné du management « californien »

• DPO : planification des objectifs en cascade du haut vers le bas ; style de direction plutôt vertical ; planification en haut, exécution en bas ; début d’un management plus participatif

• discours plus marqué sur la responsabilisation (empowerment), l’esprit d’équipe, l’autonomie, l’initiative, la motivation

• les critères et les valeurs du PMP sont précisés et mis plus en valeur

• pratique du coaching est plus généralisé

• les activités sociales traditionnelles sont à nouveau

Page 232: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

232soutenues par la direction

• les Cercles de qualité n’ont jamais existé : opposition syndicale

3.- Importance donnée aux R. H. :

• valorisation de la fonction R.H. ; DRH bicéphale pour mieux assumer la fonction, responsables DRH sont membres de la haute direction, moyens conséquents

• valorisation de la fonction R.H. ; DRH bicéphale pour mieux assumer la fonction, responsables DRH sont membres de la haute direction, moyens conséquents

4.- Importance donnée aux relations professionnelles et aux syndicats :

• 1995 : attitude positive et déterminante du nouveau CEO pour bonne entente avec les partenaires sociaux

• fonctionnement régulier des Commissions Paritaires (CP) ; pratique de concertation sociale permanente

• relations professionnelles respectueuses et positives ; respect des 3 organisations syndicales

• fonctionnement régulier des Commissions Paritaires (CP) ; pratique de concertation sociale permanente

• relations professionnelles respectueuses et positives ; respect des 3 organisations syndicales

Nous avons également fait une synthèse des variables du contexte externe et du contenu pour le cas français (tableau 21).

Tableau 21

Synthèse des évolutions du contexte externe et des contenus (GRH, DRH, M) dans le cas de France Télécom S.A.

1er. PERIODE (1996-1997-1998) 2ème. PERIODE (1999-2000-2001…)

CONTEXTE EXTERNE

1.- Marché des biens et services :

• 1996 : FranceTélécom S.A. était presque un monopole

• taux pénétration : tel. fixe : 57% ; tel. mobile : 4%

• 1998 : ouverture totale du marché ; depuis lors le marché a crû de 10% par an

• 2000 : taux pénétration tel. fixe : 67%

• 2001 : taux pénétration tel. mobile : 55%

2.- Modèle de relations professionnelles et système politique :

• système de concertation sociale mais relations professionnelles plutôt conflictuelles

• pluralisme syndical extrême, syndicalisme militante et revendicatif, faiblement concerné par les affaires de l’entreprise

• taux de syndicalisation/pays : +/- 10% (1998)

• institutionnalisation du système de concertation sociale (CP, CES,…)

• forte interventionnisme de l’Etat

• système de concertation sociale mais relations professionnelles plutôt conflictuelles

• pluralisme syndical extrême, syndicalisme militante et revendicatif, faiblement concerné par les affaires de l’entreprise

• taux de syndicalisation/pays : +/- 15% (2001)

• institutionnalisation du système de concertation sociale (CP, CES,…)

• forte interventionnisme de l’Etat

CONTENUS (GRH, DRH, M)

Pratiques de GRH

2.- Départs d’effectifs :

• 1996 : loi de la mise en retraite anticipée sous forme de • 1999 : départ de 4.366 personnes

Page 233: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

233congés de fin de carrière (CFC) volontaire,

• 1997 : départ de 7.089 personnes

• 2001 : départ de 5.043 personnes

3.- Formation :

1996 : formation plus technique, formation en classe ;

CAPP Avenir,

1997 : 7,42% de la masse salariale

• 2001 : 5% de la masse salariale

• formation plus ciblé (instrumentale) sur la tâche et visant plus sur le commercial, le marketing, les ventes et le relationnel

• formation en utilisant plus les TIC : e-learning, CD-room, internet, etc.

Rôles de DRH

2.- Taille :

• 1999 : DRH = 5.710 personnes

• 1999 : rapport DRH/effectif total : 1 : 23 (= 4,2%)

• 2002 : DRH = 2.800 personnes

• 2002 : rapport DRH/effectif total : 1 : 44 (= 2,2%) 3.- Profils des professionnels-DRH :

1999 : AA : 57%

EO : 25%

PS : 18%

2001 : AA : 28%

EO : 47%

PS : 25% Section IV : ANALYSE DES CONTENUS (GRH, DRH, M) SELON LES SIX AXES EXPLICATIFS DE TRANSFORMATION

Cette section analyse l’évolution des pratiques de GRH, des rôles de la DRH et des modèles de management sur base des six premiers vecteurs explicatifs de changements énoncés dans le cadre d’analyse.

Nous expliquons ici, dans un premier temps et sous une approche plutôt contingente et rationaliste, en quoi le(s) processus de changements des variables du contexte externe ( le marché des télécommunications, le modèle de relations professionnelles et système politique, le marché du travail, la culture nationale) et du contexte interne (les configurations organisationnelles, les stratégies d’entreprise), ont pu modifier les pratiques de GRH, les rôles de DRH et les modèles de management lors d’une période d’environ six années. Dans un deuxième temps et sous une approche politique, nous analyserons (section V) comment les acteurs interprètent et mobilisent les éléments du contexte pour justifier ses intérêts et motivations, ses stratégies spécifiques.

Bien entendu, nous relevons les interactions et les changements les plus évidents.

1.- Configuration bureaucratique influençant plutôt des pratiques de GRH objectivantes, des rôles de DRH d’agent administratif et un management classique.

Nous relevons les liens des vecteurs de changement avec d’abord, 1. 1) les pratiques de GRH, ensuite 1.2) les rôles de la DRH et enfin, 1.3) le modèle de management.

1. 1.- Nous avions déjà constaté, quant aux pratiques de GRH, qu’au niveau 1 (cadres), la gestion pratiquée est fort différente par rapport aux autres niveaux (2, 3, et 4), par conséquent

Page 234: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

234

nous nous référons notamment aux niveaux 2, 3 et 4, qui représentent la majorité du personnel.

Une division verticale encore forte stimule l’existence d’une distance encore importante entre le niveau de direction et la base opérationnelle. Par conséquent, elle se reflète dans les systèmes d’évaluation et de promotions établies a priori, qui sont très précis et très réglementés. L’évaluation est faite sur base de fonctions clairement définies avec des échelles de notation préétablies (de A à E) et établie par le chef (N+1). Pour la promotion, le critère principal reste l’ancienneté puisque ce type de personnel est assujetti au statut de la fonction publique, même si d’autres critères, telle que la performance, sont aussi présents. La division horizontale du travail entre les opérateurs implique la présence des métiers ou professions avec des champs cantonnés et clairement définis (jointeurs, électriciens, informaticiens, etc.).

Cette situation va conditionner la formation, l’évaluation, la promotion et la rémunération. Les rémunérations, principalement fixes, sont déterminées a priori sur base des barèmes établis par type de métiers ; un jointeur ne gagne pas le même salaire qu’un informaticien et, à l’intérieur d’une même profession, une classe 1 se différenciera d’une classe 2. Or, nous sommes loin d’une véritable polyvalence et la rémunération variable a des difficultés à prendre de la place.

Au niveau de la formation, chaque métier aura besoin d’une formation spécifique, surtout quant aux techniques. Cependant, ces deux dernières années, nous constatons de légères évolutions dans la formation, notamment à propos des nouvelles technologies. Cette évolution va vers une certaine polyvalence mais dans le cadre d’une même famille professionnelle. Ainsi, en 2001, dans le cadre du rapport fonction/rémunération, une étude de broadbanding56 a été réalisée visant à réduire le nombre de fourchettes de salaires et cherchant plus de flexibilité, mais son application a été arrêtée en 2002 par une opposition syndicale.

La prédominance des buts de système, où la productivité prend une importance accrue, a posé comme exigence les départs d’une main-d’œuvre insuffisamment formée et ce sous forme de plans de préretraites négociés dans le cadre de conventions collectives, ce facteur a été d’une forte influence sur le GRH.

Or, en ce qui concerne les niveaux 2 à 4, les départs des effectifs, l’évaluation, la promotion et la rémunération sont restés, notamment au début, des pratiques de GRH avec un fort contenu du modèle objectivant.

1. 2.- La différenciation du travail entre la haute direction et la base (division vertical), plus marquée en 1996 que maintenant, une coordination exercée soit par supervision directe (Call Centers) ou par standardisation des procédés et des résultats (équipes opérationnelles), vont influencer sur la prédominance d’une DRH avec une mission d’accompagnement, de grand taille et de professionnels -DRH à profil d’agent administratif.

1. 3.- La division verticale, la supervision directe dans la coordination du travail de même que la concentration du pouvoir au sommet hiérarchique (surtout chez l’EX-CO et le BGC), stimulent un style de management directif et vertical ; cela a été le cas notamment au début. Cependant, un certain équilibre pratiqué entre les buts de système et de mission, la présence et le pouvoir de l’Etat comme actionnaire majoritaire, le pouvoir des organisations syndicales, ont contrecarré cette tendance et rendent possible la pratique d’un style de management ouvert et participatif, une concertation sociale et des relations professionnelles constructives, une attention particulière aux ressources humaines de l’entreprise (reconversion interne, etc.).

56 Broadbanding : pratique consistant à réduire le nombre de fourchettes de salaire, souvent utilisée par les entreprises en période de changement cherchant plus de flexibilité, in James, Ch., James, A. et Tirard, A. Dictionnaire des ressources humaines, Ed. Liaisons, 1999.

Page 235: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

235

2.- Stratégies de diminution des coûts et d’amélioration de la qualité corrélées avec de pratiques de GRH objectivantes et individualisantes, de rôles de DRH d’agent administratif et de partenaire stratégique et de modèles de management classique et instrumental.

2. 1.- Entre 1996 et 1998, l’application de la stratégie de diminution des coûts se voit reflétée, au niveau des pratiques de GRH, notamment par le départ massif d’effectifs à travers le programme PTS (6.300 personnes), surtout aux niveaux 2, 3 et 4, également par le gel d’augmentation des rémunérations, par un blocage d’entreés d’effectifs des niveaux 2 à 4.

Ces dernières années (1999-2002), l’application d’une stratégie de diminution des coûts a signifié une nouvelle vague de départs, qui est en train de s’exécuter dans le cadre du programme BeST. Au total, en additionnant les deux programmes (PTS et BeST), il y a eu un départ de plus de 10.800 personnes. De même, des modifications légales (CNT n° 77) ont eu lieu et, par conséquent, le travail à temps partiel, c’est-à-dire une certaine flexibilité dans l’organisation du travail. L’externalisation du calcul et du paiement des rémunérations, la vente de certaines propriétés immobilières sont les reflets de la même stratégie. D’autre part et dans ce même sens, nous constatons aussi que la durée hebdomadaire du travail des cadres est énorme (aux alentours de 50 heures/semaine).

La stratégie d’amélioration de la qualité, pour sa part, a stimulé fortement, à travers le programme TURBO (1996), la formation visant tant le savoir-faire que le savoir-être, avec un budget important consacré à celle-ci (moyenne de 4,26 % de la masse salariale pendant 6 ans). Il s’agissait de développer la conscience de l’importance de la satisfaction au client et du changement de mentalité des employés. Des répercussions il y aura sur l’évaluation qui devient plus complète, fondée tant sur les compétences que sur les comportements, au niveau individuel et collectif et qui se base sur le DPO, en incorporant la pratique du coaching. Au niveau de la promotion, une mobilité et une promotion importantes, tant chez les cadres que chez les employés, grâce notamment aux plans PTS et BeST existent. Chez les cadres, nous relevons aussi une grande mobilité horizontale ce qui aide à leur formation. Ces deux dernières années, des pratiques d’auto formation et d’employabilité commencent à s’installer lentement.

Les stratégies mentionnées, l’externalisation et/ou l’application du CNT n° 77, s’inscrivent dans le cadre de la recherche infatigable d’un accroissement de l’efficacité et de la productivité de l’entreprise.

2. 2.- Au niveau de la DRH, l’influence d’une stratégie de diminution des coûts, typique d’entreprises qui ont été ou sont encore fortement hiérarchisées, a permis la concentration d’un staff important de personnel-DRH et parmi celui-ci, spécialement un type de personnel de profil d’agent administratif qui est resté largement majoritaire (68% en 1996, 61% en 2001). Nous pouvons constater que, en général pendant cette période, leur nombre n’a pas diminué. Ce n’est qu’en 2002 (programme BeST), qu’un changement important commence à intervenir dans la DRH.

En 2001, la recherche de la satisfaction des clients, de la qualité des produits et services et de l’efficacité, vont expliquer la mise en œuvre d’une modernisation technologique de la DRH à travers le déploiement d’un important système technologique informatique, d’un réseau interactif comprenant l’intranet Exch@nge, l’internet, les portails et d’autres logiciels offrant des « solutions » technologiques au travail réalisé par les employés, ce qu’on appelle le B-to-E (business to employee). Ce complexe système d’automatisation sera suivi par le B-to-B (business to business) et le B-to-C (business to customer) dans toute l’entreprise. Ceci

Page 236: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

236

entraîne une plus grande efficacité du travail dans certaines domaines de la DRH, une plus grande spécialisation, un changement des rôles des professionnels-DRH et l’élimination des fonctions à caractère administratif.

2. 3.- Au niveau du modèle de management, nous observons un mélange sui generis de types de management en contradiction permanente. La stratégie de diminution des coûts au cours des années est devenue prioritaire en raison de la forte concurrence et des parts de marché perdus, spécialement dans la téléphonie fixe. Par conséquent, dans ce sens, le style de management devient plus exigeant et dirigiste, avec une augmentation de la productivité et du contrôle financier ; de même, reste une concentration d’une partie importante du pouvoir dans la haute direction. Mais, parallèlement, la stratégie d’amélioration de la qualité stimule un style managérial plus ouvert, plus participatif, plus autonome ; les pratiques d’empowerment, de coaching, deviennent des méthodes importantes de la reconversion organisée dans le cadre du programme BeST. Il est question de rendre plus flexible l’organisation du travail, de motiver et de donner une importance notoire aux R.H. dans le but de satisfaire beaucoup plus les clients externes et internes. De plus, les relations professionnelles sont constructives et elles expliquent le succès de plusieurs événements, en même temps que l’utilisation « limité » des techniques du management « californien ». Le management a évolué vers un management « californien » mais en contradiction permanente avec les pratiques du management politique.

3.- Marché hostile et instable stimulant des pratiques de GRH individualisantes, des rôles de DRH de partenaire stratégique et un management instrumental.

3. 1.- L’Union Européenne et les Gouvernements nationaux ont décidé (en 1998) l’ouverture totale du marché de télécommunications à la concurrence. La période qui a précédé 1998 fut donc une période préparatoire à cet événement.

Un marché devenu fortement concurrent est un puissant levier pour stimuler l’accroissement de l’efficacité et l’efficience et, donc, pour améliorer ou changer les pratiques de management et de GRH. De même, l’Etat ( à travers l’IBPT) commence doucement à contrôler et réguler ce marché aux dépens surtout de l’opérateur historique.

La confluence de ces facteurs du contexte (externe) va influencer, au niveau des pratiques de GRH, le développement d’une formation très importante et massive parce que les employés doivent devenir plus compétents. Le pourcentage de la masse salariale augmente de 3,5% en 1996 à 4,8% en 2001. La formation technique est accompagnée largement des aspects comportementaux (le savoir-être), surtout dans le cas du personnel travaillant directement en contact avec les clients (vendeurs, opérateurs, techniciens, etc.). Le système d’évaluation va s’améliorer en s’inscrivant dans le cadre du PMP et la DPO avec une promotion et une mobilité importantes. Nous constatons qu’un processus d’individualisation, dans la formation et l’évaluation, commence à se mettre en place.

Après 1998, ces pratiques de GRH deviendront, en général, plus courantes. La sélection des nouveaux cadres recrutés devient plus exigeante, dans la mesure où on a besoin d’un personnel de mieux en mieux formé mais engagé, en règle générale, avec un contrat à durée déterminée. La formation a même augmenté (augmentation du % de la masse salariale). La promotion continue (programme BeST) et la gestion de carrières du personnel propose, en 2001, un développement et une gestion individuelle de la carrière, dans une logique d’employabilité, exprimée dans la brochure explicative « Ma carrière est celle que je crée » éditée par la DRH (2001). Elle précise que c’est « un processus me permettant de réfléchir sur mes compétences et mon développement en fonction de mes besoins professionnels et personnels, une procédure me permettant d’établir mon plan de développement personnel,

Page 237: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

237

etc. ». La mobilité des cadres, plus horizontale que verticale, continue à être fortement développée.

3. 2.- Au niveau des rôles de la DRH, contrairement à ce qui s’est passé dans les pratiques de GRH, les changements du marché des télécommunications n’ont pas tellement stimulé des évolutions à ce niveau. Seulement à la fin 2001, l’évolution technologique arrive à la DRH (intranet « ExCh@nge », etc.), les professionnels spécialisés dans des réseaux informatiques commencent à augmenter, de nouveaux clients externes apparaissent dans les chefs des demandeurs d’emploi qui prennent contact direct à travers le portail de recrutement de l’entreprise.

3. 3.- Avant 1998, l’avènement de l’ouverture des marchés Européens stimule un discours et une pratique managériale de changements, prônant une conception d’entreprise plus engagée et mieux préparée à faire face aux changements. L’exigence d’une plus grande responsabilisation, motivation et du travail bien fait de la part du personnel. Au niveau du style de management, la distance existante entre les chefs et leurs subordonnés commence à s’effacer en adoptant des mesures telles que le tutoiement et l’usage des simples prénoms - même à l’égard des chefs bien évidemment-, le réaménagement des bureaux en espaces ouverts et conviviaux (landscape office) qui facilitent la communication. « Avant il n’était pas envisageable qu’un opérateur parle avec un directeur, par exemple. C’était presque hors de question. Maintenant c’est fait, cet esprit d’ouverture à tous les niveaux a commencé avec TURBO et PTS » (un line manager). Par la suite, ce discours a été plus accentué.

Cependant souvent la pratique ne suit pas toujours le discours. Il est prôné plus de flexibilité, mais celle-ci n’arrive pas à se mettre en pratique par manque d’accord entre les partenaires sociaux, preuve des contradictions présentes. Par contre, l’empowerment et le coaching sont des pratiques beaucoup plus suivies notamment ces deux dernières années (2000-2001…) à tous les niveaux. L’autocontrôle est conseillé mais c’est le contrôle qui prime de la part des chefs et de toute la ligne hiérarchique (les outils informatiques aidant). Le travail en équipe est fortement encouragé mais, en même temps, la planification de la carrière comme une affaire personnelle est conseillée. Une haute valorisation des R.H. avec le but d’avoir des ressources humaines performantes est encore une autre de ces caractéristiques du management.

La concurrence de ce marché globalisé, mais surtout la concurrence des entreprises nord-américaines avec leur productivité et gains, pèsent fortement dans la logique managériale et dans la fixation de ses propres objectifs. Evidement, la tendance est à « suivre » les performances et le style de management américains. Le type de course interminable au productivisme montre l’hégémonie installée de ce capitalisme néo-libéral globalisé. Ainsi, il est affirmé que « ce n’est pas le CEO qui définit la stratégie, mais les pressions de l’environnement externe, la concurrence, le marché ; nous devons faire face aux pressions du marché » (un directeur-DRH). Indiscutablement, le marché des télécommunications est une des variables perçue et fortement mobilisée dans le cadre de prises de décision et du management « californien » développé à Belgacom.

• Marché hostile et instable stimulant des pratiques de GRH individualisantes, des rôles de DRH de partenaire stratégique et un management instrumental chez FranceTélécom S.A.

Chez France Télécom S.A. (FTSA), nous observons un processus de changements assez similaire. L’ouverture du marché à une concurrence forte a grandement stimulé, au niveau des pratiques de GRH, la formation des employés et il a été consacré 7,4% de la masse salariale en 1997 et 5% en 2001. Un pourcentage conséquent malgré la diminution actuelle et une

Page 238: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

238

évaluation qui prend en considération non seulement l’ancienneté mais aussi, de plus en plus, le mérite.

Au niveau de la DRH, au début il n’existait pas un responsable de la DRH pour la FTSA, la taille de la DRH était grande et le profil dominant des professionnels de la DRH était l’agent administratif. A la fin de la période, un responsable de la DRH est nommé et le nombre ainsi que le profil d’agent administratif, qui caractérisaient cette DRH, diminuent fortement.

Au niveau du management, malgré la forte concurrence du marché, la présence de l’Etat comme actionnaire majoritaire établit une sorte d’équilibre entre les exigences économiques et sociales de l’entreprise. Le PDG est nommé par le Gouvernement et il est sensé établir une relation d’entente avec les organisations syndicales. Il n’est pas moins vrai que le PDG et le top management ont une autonomie totale pour gérer l’entreprise. Le style de management est caractérisé par les mêmes techniques qu’on a retrouvé dans les deux autres entreprises, à savoir, une plus forte responsabilisation des employés, une amélioration de la performance et de la productivité, une plus grande flexibilité, de l’autonomie, la pratique du coaching, toutes des techniques typiques du management instrumental.

4.- Modèle néo-corporatiste et social-démocrate de relations professionnelles stimulant des pratiques de GRH conventionnalistes, des rôles de DRH d’expert opérationnel et un modèle de management politique.

4. 1.- Le modèle néo-corporatiste de relations professionnelles, le type de syndicalisme et d’Etat présents dans la société belge ont certainement influencé et influencent les pratiques de GRH, particulièrement dans les départs (sous de bonnes conditions), la formation, la promotion, la rémunération et évidemment les relations professionnelles au sein de l’entreprise. Dans la période du plan PTS (1997-1999), le départ de 6.300 personnes a été possible grâce à une convention collective établie en accord avec les organisations syndicales car, sans cet accord, ce départ n’aurait pas été possible, d’autant plus qu’il s’agissait de contrats à durée indéterminée. De même, c’est à partir des négociations et accords avec les syndicats qu’il a été possible mettre en place des dispositifs pour la formation, l’évaluation, la reconversion et la promotion. Dans la formation, des membres de syndicats sont présents dans la direction de la LDA et une formation extensive (environ 6.600 personnes) a été développée. Pour l’évaluation et reconversion furent constitués des Job Centers et des Cellules d’accompagnement où il y avait une présence syndicale pour aider au contrôle et au bon déroulement du processus de changement apporté par le PTS.

Dans le cadre du PTS, de nombreuses promotions furent organisées en interne et ont suivi le processus de reconversion qui avait lieu. Quant aux rémunérations, dans la mesure où il y a une politique de blocage et/ou de modération salariale au niveau national, elle a forcement été respectée au niveau de l’entreprise ; logiquement donc il n’y a pas eu d’augmentation des rémunérations depuis 1994.

La convention collective concernant le programme BeST (2000-2001…) va également conditionner le départ, la formation, l’évaluation, la reconversion, la promotion mais d’une façon plus précise. Dans ce cadre, plus au moins les mêmes dispositifs du PTS sont répétés et le départ de 4.500 personnes (jusqu’à l’année 2005), la formation et la reconversion d’environ 3.000 autres et une promotion d’environ 42% accordées. Début 2002, les premiers départs ont commencé et les dispositifs de formation, reconversion et de mobilité sont en train de se mettre en place, non sans quelques sursauts puisque quelques petites grèves ou arrêts de travail sont apparus. Cependant, jusqu’à présent le processus avance comme prévu et sur une bonne entente. Un représentant des syndicats participe toujours à la direction de la LDA et,

Page 239: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

239

par conséquent, intervient sur le développement de la formation ainsi que dans les dispositifs de mise en œuvre. Durant l’année 2000, il y a eu un léger changement dans la grille d’évaluation pour les niveaux 2 à 4 - un système composé de 5 cotes (A-B-C-D-E) en vigueur - et un nouveau système a été instauré où la cote C (bonne) a été élargie à C+ et à C- pour pouvoir mieux évaluer ; bien entendu ceci avec l’approbation des syndicats. Concernant l’augmentation des rémunérations, le blocage reste de mise telle que la politique nationale le détermine.

Dans cette période, le Gouvernement développe une action politique plus active et innovante, dans le cadre de la négociation du programme BeST et à travers le Ministre de l’emploi et du travail (PS), le Gouvernement s’est engagé à appuyer le plan BeST en autorisant l’application de la convention collective n° 77, concernant les entreprises privées. Dans l’entreprise, cela va permettre donc le travail à temps partiel et une certaine flexibilité du travail. En effet, dans la « Note au Conseil des Ministres » soumise à leur approbation, les Ministres des Télécommunications et des Entreprises et Participations publiques (VLD) ainsi que de l’Emploi et du Travail (PS) ont proposé que « l’intervention directe du Gouvernement dans le cadre du plan BeST concerne l’introduction des mesures d’aménagement du temps de travail (conformément aux modalités de la Convention collective de travail n° 77 du Conseil National du Travail) [et que] cette mesure nécessite l’adoption de textes réglementaires qui seront à nouveau soumis aux délibérations du Conseil de Ministres » 57. Dans cette proposition apparaissent des incitants comme la « prime d’encouragement », la « prime annuelle de persévérance », il n’est plus question de retraite anticipée mais de mise en « disponibilité active volontaire » qui entre en vigueur en mars 2002. Or, en décembre 2001, la convention collective concernant le plan BeST était signée entre la direction et les syndicats.

Le type de relations professionnelles pratiquées au niveau national se reproduit au niveau de l’entreprise et s’exprime à travers des Commissions Paritaires (CP); les syndicats de l’entreprise sont en relation hebdomadaire avec leurs structures organisationnelles nationales respectives. Les relations entre la direction et les organisations syndicales ont été bonnes, de dialogue et de coopération tout au long de cette période. Ce rapport de confiance et de collaboration a permis les succès, notamment dans les programmes PTS et BeST. Les dirigeants syndicaux non seulement négocient les accords, mais ils participent à la mise en œuvre et au contrôle des programmes, par conséquent ils doivent développer aussi d’énormes efforts d’explication, de discussion et de concertation vis-à-vis de leurs adhérents à propos des enjeux et des perspectives; ils doivent veiller aussi à l’accomplissement de leurs engagements auprès de la direction.

4. 2.- L’importance du modèle de relations professionnelles et des organisations syndicales, au niveau national et dans l’entreprise, conduit l’Administrateur Délégué et son équipe de direction, à maintenir une DRH avec deux divisions, dont une consacrée exclusivement à la gestion des relations avec les organisations syndicales, dotée d’un staff spécialisé pour cette fonction ; une décision et une structure qui se sont avérées correctes et utiles au fil du temps. Par conséquent, l’importance et le pouvoir de la DRH ne sont pas seulement donnés par les méthodes et les outils techniques modernes de GRH que celle-ci déploie, mais aussi par leur capacité à gérer positivement cette relation sociale et garantir un certain équilibre et une paix sociales indispensables dans l’entreprise en temps de changements importants. Cela a été le cas lors du programme PTS (1997-1999) et c’est le cas maintenant avec le programme BeST (2000-…).

L’influence et le poids de ce modèle et ce type de syndicalisme ont conditionné fortement le maintien durant toute cette période, d’une DRH grande en nombre et la persistance du profil 57 « NOTE au Conseil de Ministres », 2001, Mr. Rik DAEMS et Mme. Laurette ONKELINX.

Page 240: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

240

d’agent administratif. Ceci n’est pas étrange dans la mesure où le personnel de la DRH est le plus syndicalisé et traditionnellement le plus politisé ; forcement, il y a eu aussi une opposition à un processus de réingéniérie trop rapide. C’est seulement maintenant, avec le programme BeST, qu’un changement important s’opérera dans la DRH.

4. 3.- Dans la perspective de l’ouverture totale du marché (1998), la coalition gouvernementale démocrate-chrétienne/socialiste a décidé de transformer le statut de monopole RTT en une entreprise publique autonome (EPA) (1991) ; en 1995, l’entreprise publique devient une société anonyme de droit public. Le Gouvernement décide de lancer une stratégie appelée « Consolidation stratégique » qui doit comporter une ouverture au capital privé et une demande d’un partenariat technologique. Cette semi-privatisation est compréhensible dans le cadre des fortes critiques et pressions politiques sur le rôle des entreprises publiques, notamment des monopoles ; des critiques sur leur manque d’efficacité et productivité, sur leur fonctionnement trop politisé, leur bureaucratie et leur lenteur. Il s’agit de mettre fin à la main mise des partis politiques sur le management et sur la « politisation » excessive des nominations de managers. Par conséquent, même si l’Etat est resté l’actionnaire majoritaire, les managers sont choisis d’abord pour leurs compétences professionnelles plus que pour leur simple militance politique. La haute direction possède donc maintenant une autonomie vis-à-vis des partis politiques pour diriger.

La nomination de l’actuel CEO et la réalisation du programme TURBO (1995-1996) se situent dans le cadre de ce souhait d’amélioration de leur performance et de leur « dépolitisation ». Ainsi le nouveau CEO a tout pouvoir pour changer son équipe. De ce fait, un profond renouvellement de l’équipe de direction s’est aussi produit.

Auparavant, la haute direction était composé par des dirigeants qui étaient d’abord de bons militants de partis politiques et, secondairement, de bons managers, ce qui a entraîné la primauté des critères politiques sur les critères managériaux ou économiques lors de la conduction de l’entreprise. « Parce qu’avant, il y avait des interventions politiques dans le fonctionnement journalier de l’entreprise et la nomination des postes clés » (un directeur).

Cependant, cette semi-privatisation et ce type d’entreprise reflètent clairement le rapport de forces politiques dans la coalition des partis de centre-gauche présente dans le Gouvernement (Etat) de l’époque. Par ailleurs, un des critères pris en compte pour choisir le CEO a été sa sensibilité et sa disposition à travailler en collaboration avec les organisations syndicales.

L’entreprise partage l’accomplissement d’une finalité économique et sociale et, pour ce faire, établit un « Contrat de gestion » avec le Gouvernement. De même, ce modèle conditionne l’attitude de respect et de considération de la haute direction vis-à-vis les ressources humaines (forte formation, reconversion massive, etc.), de respect et collaboration avec les organisations syndicales et de pratique de la concertation sociale.

L’actionnaire privé -notamment l’actionnaire nord-américain-, en effet, a injecté son savoir-faire technologique et a stimulé un style de management différent. Le top management déploie petit à petit des méthodes et des techniques modernes typiques du management nord-américain dont nous avons déjà fait allusion. Cependant, le contexte socio-politique et le modèle néo-corporatiste et social-démocrate national ont toujours valorisé positivement les relations professionnelles, pratiqué la concertation sociale et donné une énorme importance aux ressources humaines et cela pèse sur l’entreprise. Les organisations syndicales ont établi une relation constructive et ont pu jouer un rôle important dans les processus de changements. Par cette diversité d’influences, ce management devient efficace tant économiquement que socialement, comme une sorte de management humain moderne. Cependant, une contradiction permanente reste présente dans ce management. « Les managers sont contraints et forcés quelque part. Je crois que les deux facteurs interviennent [force syndicale et conception de management]…il y a les deux : de la bonne volonté et de la contrainte aussi »

Page 241: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

241

(un dirigeant syndical). Un autre avis qui complète la compréhension de cette expérience de concertation sociale affirme : « Disons que la direction a énormément peur des organisations syndicales ; tout simplement, elle a peur de l’image de marque de l’entreprise. Au moment où l’entreprise subit beaucoup des transformations… il est évident qu’elle ne peut pas accepter des conflits… parce qu’au moment d’aller chercher des opérateurs étrangers… il aurait été mal venu de découvrir qu’une « guerre » eût été possible à ce moment-là » (un dirigeant syndical).

Fin 1999, une nouvelle coalition politique « arc-en-ciel » (libéraux, socialistes et écologistes) s’est installée au Gouvernement ; les libéraux arrivent en force au pouvoir, l’idée d’une privatisation plus poussée de l’entreprise réapparaît avec force. Le Ministre de tutelle (Ministre des télécommunications et des entreprises publiques, libéral flamand) aura le pouvoir de réaliser, le moment venu, des opérations de vente des actions dans des opérations de fusions avec d’autres entreprises. Autrement dit, de privatiser davantage l’entreprise. Suite à ce scénario, les syndicats ont commencé à discuter officieusement un programme « Grandfathering» qui prévoit, d’ici quelques années, l’élimination du régime statutaire actuel, en instaurant un seul statut et en assurant, par la voie légale, les acquis sociaux actuels des employés statutaires.

Aujourd’hui, la notion de service public reste présent, mais la pression de la concurrence, le modèle capitaliste globalisé, « exigent » plus de productivité et de compétitivité ; les énormes changements (TURBO, PTS, BeST, etc.) ont été faits pour atteindre ces objectifs. Mais un certain équilibre a été toujours gardé pour ne pas délaisser cette préoccupation pour les ressources humaines ni la relation sociale respectueuse envers les syndicats. Les organisations syndicales apprécient aussi cette expérience et la qualité de cette relation. « Je pense que nous avons des relations honnêtes avec la direction de l’entreprise … Le fruit du dialogue social à l’intérieur de l’entreprise est bon, il est clair, il est honnête, il n’y a pas des tricheries…. Quand le CEO dit « je vous dis que c’est comme ça », il va faire le nécessaire pour que ce soit comme ça, mais c’est en descendant dans la hiérarchie de l’entreprise que les « petits caporaux », comme je les appelle, certains managers…interprètent le résultat à leur manière et font en sorte… » (un dirigeant syndical).

Malgré une diminution relative du taux de syndicalisation dans l’entreprise, la forte pression pour augmenter la productivité et les gains, le modèle néo-corporatiste et social-démocrate présent permet cette sorte d’équilibre relatif entre l’économique et le social, par la force des faits et des négociations pratique un management humain et moderne.

L’Etat participe aussi à cette recherche d’amélioration de l’efficacité et de flexibilité (EPA, S.A. de droit public, CNT n° 77, etc.). Cependant, la tendance sera encore à la diminution du personnel, à plus d’automatisation, à la recherche de flexibilité, etc., ce qui augure des probables tensions à l’avenir.

• Modèle néo-corporatiste et social-démocrate de relations professionnelles stimulant des pratiques de GRH conventionnalistes, des rôles de DRH d’expert opérationnel et un modèle de management politique chez FranceTélécom S.A.

Bien qu’il existe une pratique de concertation sociale et de conventions collectives, elles se réalisent sous des modalités différentes.

La présence de l’Etat comme actionnaire majoritaire et l’institutionnalisation de la concertation sociale, exercent une influence sur le rôle social et le service public que doit jouer l’entreprise ; elle devra respecter le statut particulier des employés (« fonctionnaires »). Elle donne une importance considérable aux R.H. En 2001, un nouveau Directeur de R.H. pour FTSA est désigné et les syndicats peuvent participer au Conseil d’Administration, des

Page 242: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

242

relations professionnelles respectueuses sont établies. Mais, au même moment cette ouverture aux capitaux privés et à leur cotation en bourse a renforcé un style de management plus exigeant vis-à-vis de la productivité en appliquant des techniques telles que la flexibilité, la DPO, le coaching, etc. La présence de la coalition politique de gauche ( PS, PC, Ecolo, MRSD) au Gouvernement a empêché une privatisation plus radicale.

Le fait d’avoir des relations professionnelles nationales plutôt conflictuelles -sauf dans le cas de deux syndicats- et un type de syndicalisme plus revendicatif et moins concertationiste, conditionne des relations plus difficiles pour l’entreprise. En 1996, il y a eu une grève au niveau national lors des changements de statut et, en 2001, par exemple, des grèves partielles, organisées par quelques syndicats, contre le plan de réingénierie de la DRH. Mais, la faiblesse, la division et la forte hétérogénéité des organisations syndicales ne leur permettent pas toujours de jouer un rôle plus décisif dans cette concertation sociale. C’est donc le Gouvernement qui souvent se substitue aux partenaires sociaux et qui occupe cet espace en jouant un rôle déterminant ; il s’agit donc d’un Etat interventionniste dans la concertation sociale. Avec certains syndicats, les relations professionnelles sont plus solides, tandis qu’avec d’autres, des rapports toujours plus instables et peuvent se rompre au moindre conflit.

Au niveau de la DRH, l’institutionnalisation des relations professionnelles ainsi que l’intervention de l’Etat, ont stimulé une sorte de mission dominante d’appui aux décisions stratégiques prises par le Comité Directif et un profil dominant d’agent administratif du personnel de la DRH, situation qui commence à changer ces deux dernières années.

5.- Un marché du travail de forte qualification et une législation sociale prégnante stimulant des changements contradictoires vers des pratiques de GRH individualisantes et objectivantes, des rôles de DRH de partenaire stratégique et d’agent administratif et de modèles de management instrumental et classique en même temps.

5. 1.- Les dépenses importantes de l’Etat en éducation (en 1996 = 5,2% du PIB et en 2001 = 3,1% du PIB) (tableau 8), le large réseau national d’institutions universitaires et de l’enseignement supérieur, y compris la formation continue à des horaires décalés, ont certainement contribué à la formation de professionnels de haut niveau dont peut aussi bénéficier l’entreprise. De plus, l’entreprise a développé ses propres programmes de formation interne, tels que les plans qui ont accompagné le PTS, le BeST, le plan El@an et formation externe, pour certains cadres professionnels, à travers des bourses d’étude, des formations hautement spécialisées dans des universités locales et étrangères.

Au niveau des pratiques de GRH, les processus de recrutement et de sélection sont devenus plus spécialisés, permettant l’entrée de nouveaux professionnels de mieux en mieux formés, possédant des méthodes et de techniques modernes utilisables rapidement dans leur fonction. Ces professionnels formés plutôt dans une logique managériale « californienne » et, en général, possédant une mentalité plus individualiste, stimuleront une gestion plus autonome et individualisante du personnel.

En 1996, 1.989 personnes, appartenant au niveau 1 (cadres), avaient une formation universitaire ou de l’enseignement supérieur, tandis qu’en 2001, ils étaient 2.867 personnes (Rapport social 2001). Plus exactement, en 1995, il y avait seulement 3% du personnel avec des diplômes universitaires tandis qu’en 2001, ce pourcentage arrivait à 25% des diplômés universitaires. D’autre part, en 1996, il y avait 4.827 personnes du niveau 4 tandis qu’en 2001, ce chiffre était de 1.497 personnes. Il se produit un changement considérable au niveau de la formation et des profils des professionnels de l’entreprise.

Page 243: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

243

Les départs, donc, affectent les personnes les moins bien formées avec formules spéciales, tels que les plans de pre-retraites volontaires (PTS) ou les plans de « mise en disponibilité » avec un mécanisme d’outplacement (BeST).

Des aspects de la législation sociale tels que le droit de grève, la liberté syndicale, la procédure de licenciement, le salaire minimum, les allocations de chômage, les blocages de salaires, etc. ont conditionné, directement et indirectement, les pratiques de GRH dans l’entreprise. De plus, par son ancien statut d’entreprise publique, l’entreprise est encore assujettie à la législation sociale pour certains aspects de la GRH. Ainsi, cette législation permet l’action de grève à n’importe quel moment ; une majorité du personnel est encore attachée à un régime statutaire impliquant un emploi à vie, et, par conséquent, bénéficiant d’une interdiction de licenciements. L’évaluation est réglementée à travers des critères objectifs via des échelles de notation. La promotion a comme critère essentiel l’ancienneté. La rémunération est déterminée exactement par un barème, qui augmentera au fur et à mesure de l’ancienneté - très faiblement liée aux résultats- et qui assurera une pension conséquente.

La législation sociale plutôt prégnante qui prévaut oblige à créer des critères objectifs de régulation et de GRH, ce qui tend à conditionner un modèle objectivant de GRH. Cependant, en même temps et contrairement à ce qu’on pourrait croire, le fait d’avoir une sécurité d’emploi rend également possible un engagement et une forte motivation d’une partie du personnel vis-à-vis de l’entreprise.

5. 2.- L’augmentation du nombre de professionnels (universitaires ou assimilés) a influencé aussi, au niveau de la DRH, la professionnalisation de ce département, notamment des professionnels ayant un profil d’expert opérationnel. D’autre part, du fait de la complexité de la législation sociale et de sa mise en œuvre, il y a un nombre important de professionnels de profils d’agent administratif, par exemple, expert en législation sociale.

Le progrès technologique et le processus d’automatisation informatique qui se développent dans la DRH et dans toute l’entreprise (programme BeST) et la formation plus approfondie du personnel, permettront un accroissement de l’efficacité, une meilleure attention aux clients internes et une diminution extraordinaire du personnel lié aux activités administratives (de l’ordre du 40%).

Cependant, dans la mesure où la législation sociale et les pratiques inhérentes aux relations professionnelles sont importantes, il faudra toujours des professionnels experts en ces matières au sein de la DRH.

5. 3.- Au niveau du management, le type de formation qu’acquièrent les cadres professionnels est fortement dominé par des méthodes propres au management « californien » ; donc, les notions de participation, de flexibilité, de coaching, d’empowerment, de gestion des compétences, d’employabilité, etc., seront déjà bien connues quand ils arriveront à l’entreprise.

L’Etat, comme actionnaire majoritaire, et la législation sociale existante, ont conditionné fortement l’entreprise à jouer un rôle économique et social de service public; les ressources humaines ont été considérées tant comme des coûts (plans de pre-retraites volontaires) que comme des investissements (formations, reconversions) avec le respect des conditions sociales des ressources humaines comme l’emploi à vie, l’interdiction des licenciements, la rémunération barémique, la promotion sur base de l’ancienneté, etc. ; pratiques typiques d’un management classique. De même, le respect et une attention particulière aux relations professionnelles sont maintenus ; un type de management politique a prévalu.

Grâce à l’action de l’Etat, le management peut maintenant appliquer le travail à temps partiel en utilisant légalement la Convention nationale du travail n° 77 destinée initialement aux seules entreprises privées.

Page 244: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

244

6.- Culture latine « hybride» imbriquée simultanément avec des pratiques de GRH conventionnalistes et individualisantes, des rôles de DRH d’expert opérationnel et de partenaire stratégique et des managements politique et instrumental.

Dans ce cas-ci, nous allons d’abord relever (6. 1) les liens entre les traits culturels et le type de management, ensuite (6. 2) les liens avec les pratiques de GRH et enfin (6. 3) avec les rôles de la DRH. Nos observations comparatives se font par rapport au cas chilien.

6. 1.- Les traits culturels tels qu’une autorité respectée mais sans excessive soumission, une distance hiérarchique sans exagération et une absence d’autoritarisme, ont stimulé le développement d’un style de management moins directif et plus participatif, avec plus d’autonomie, un travail en équipe, la possibilité d’une pratique de coaching et de l’empowerment plus réelle, notamment ces deux ou trois dernières années. De même, dans l’exercice du pouvoir, nous constatons la présence conjointe, d’un pouvoir de domination (forte personnalisation du pouvoir, manque d’écoute) et d’un pouvoir de service (participation et adhésion, confiance et transparence, respect et connaissance des hommes, certaine humilité) ; cela rend clairement possible un respect des subordonnés et une plus grande prédisposition des chefs à établir une relation plus égalitaire avec leur subordonné ; une confiance plus grande dans les relations de travail, le respect des organisations syndicales et une tendance plus marquée au dialogue et à la négociation sociale prévalent. Nous sommes donc en présence d’un management politique.

6. 2.- Ce rapport hiérarchique non exacerbé et la présence de cette double pratique du pouvoir (de domination et de service) ont influencé, au niveau de la GRH, le développement des relations professionnelles constructives, le développement de la concertation sociale. Par conséquent, la réalisation des plans massifs de départs anticipés dans de bonnes conditions et dans la paix sociale (PTS, BeST), une formation importante (moyenne de 4,2% de la masse salariale), tout au long de la période.

6. 3.- L’absence d’autoritarisme, la faiblesse du paternalisme, les rapports hiérarchiques devenus plus conviviaux, la liberté et l’autonomie souhaitées dans le travail, ont stimulé et conditionné, d’une certaine façon, l’exercice d’un pouvoir réparti en deux divisions et la constitution d’une DRH bicéphale. De même, une certaine impulsion pour le développement du rôle d’expert opérationnel de la DRH.

Les traits culturels relevés sont très liés à l’histoire et aux institutions belges. Un Etat fédéral, des administrations régionales et communautaires, une concertation sociale « institutionnalisée » dans le cadre du modèle néo-corporatiste et social-démocrate, ne sont pas absentes dans le modelage de cette culture.

Section V : ANALYSE PROCESSUELLE ET JEUX D’ACTEURS

Page 245: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

245

Cette section est consacrée aux repérages de l’action des acteurs (individuels et/ou collectifs) qui, en mobilisant les éléments du contexte, influencent et modifient (en amplifiant ou en limitant) les changements des pratiques de GRH, des rôles de DRH et des modèles de management, bref, les changements de l’entreprise en général.

Nous essayons ici de vérifier l’hypothèse qui affirme que les changements ne sont pas des processus neutres, mais le résultat de la façon dont les acteurs interprètent et mobilisent le contexte, développent des jeux de pouvoirs et donnent du sens à ces changements en justifiant leurs actions.

Dans la description des changements observés, nous explicitons les éléments des contextes interne et externe qui apparaissent comme les plus déterminants, mais sous l’angle des intérêts des acteurs et des jeux de pouvoir. Nous utilisons ici une approche plutôt politique en s’éloignant des simples déterminismes contextuels. Cette vision verticale complète l’analyse transversale que l’on a déjà évoquée.

Rappelons qu’il s’agit d’une entreprise de télécommunications, appartenant à un secteur économique situé au centre de ce qu’on appelle la « nouvelle économie », traversé par les progrès fulgurants des technologies de l’information et de la communication (TIC), révolution technologique dont le berceau fut la Silicon Valley de la Californie (E.U.) ; des technologies qu’aujourd’hui sont ancré et font partie indispensable de la société informationnelle. Cette entreprise a évolué, en à peu près 10 ans, d’un statut de monopole (RTT), en passant par une entreprise publique autonome (1991), jusqu’à une société anonyme de droit public (1995) et, aujourd’hui avec l’intention d’avancer vers une e-entreprise ou entreprise en réseau. Elle a développé une extraordinaire efficacité et productivité au cours de ces années (187,79 lignes par employé en 1996, 235,59 en 1999, pour décliner légèrement à 218,84 en 2001, etc. (voir tableau 9), par conséquent, une forte intensité de travail et qui, malgré certaines pertes de marché, a toujours eu des résultats financiers positifs. La logique managériale devenue dominante c’est la logique de productivité à court terme.

En simplifiant, les évolutions observées à l’intérieur peuvent se résumer ainsi : le modèle de management a évolué vers un management politique mais hybridé avec des pratiques du modèle « californien ». Les pratiques de GRH sont devenues beaucoup plus individualisantes. Jusqu’à 2001, le rôle de la DRH reste essentiellement d’agent administratif, mais à partir de 2002 évolue vers la disparition de ce rôle administratif (voir Ch. VI, tableau 25).

Des importants changements au niveau du management ont vu le jour. D’un management essentiellement classique, hiérarchique et où l’influence directe des partis politiques était forte, il est devenu plus autonome, professionnel et possédant une liberté pour nommer les membres de la direction et diriger.

En 1995, le nouveau Président-Administrateur Délégué58 fut nommé par le Conseil des Ministres avec pleins pouvoirs pour diriger ; une personnalité forte avec un leadership notable. Il s’agissait pour lui d’appliquer l’autonomie du management et d’effacer les anciennes pratiques de direction. A l’époque, il déclarait, « il n’y aura plus aucune nomination en fonction de considérations politiques ou linguistiques, mais seulement en fonction des capacités, je n’exclu pas la montée de certains cadres actuels de Belgacom ou l’arrivée de gens de l’extérieur ; simplement, parmi les directeurs belges, il faudra respecter un équilibre linguistique » (Maelschalck, 1995a). Donc, le nouvel Administrateur Délégué a procédé à remanier radicalement l’ancienne direction et à désigner une nouvelle. Par ailleurs, il a eu une attitude de reconnaissance et de confiance d’emblée vis-à-vis des organisations

58 Belge flamand ; la presse le voit rapproché au parti libéral. Il a réalisé un MBA à l’Université de Columbia, Etats-Unis

Page 246: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

246

syndicales en les invitant à travailler en concertation. Il est clair qu’il a favorisé la transparence.

Les pratiques de GRH ont évolué aussi en adoptant de façon plus poussée une formation varie tant pour le savoir-faire technique que pour le savoir-être relationnel, l’autoformation, le coaching, l’empowerment, l’employabilité, etc., toutes des techniques du modèle individualisant de GRH.

Quant aux rôles de la DRH, la diminution du profil d’agent administratif ainsi que l’installation des systèmes d’informatisation et d’automation de la DRH ont été retardé par manque d’accord entre les partenaires sociaux, mais finalement le changement commence à se produire en 2001 à travers le programme BeST (intranet Exch@nge, portails d’e-recrutement, etc.), pour se profiler vers la e-entreprise. Belgacom donc, rattrape son retard et suit la tendance générale constatée dans les autres entreprises quant au déploiement d’un système technologique interactif et à la diminution du personnel de la DRH, notamment celui occupé dans des tâches administratives.

Comment et pour quoi ces processus se produisent-ils ?

Il y a des facteurs ou variables contextuels qui ont été fortement mobilisés pour provoquer les changements dans le sens évoqué ci-dessus. Parmi eux, le marché de télécommunications, les configurations organisationnelles et les stratégies d’entreprise.

Le marché de télécommunications a été ouvert (1998) par décision politique de l’U.E. et des Gouvernements nationaux. Des institutions de contrôle et de régulation ont été installées partout (IBPT en Belgique) et, par conséquent, ce marché est devenu très concurrent par le nombre élevé d’entreprises étrangères installées en Belgique. Le discours managérial indique que les entreprises concurrentes, notamment les américaines, travaillent à coûts plus bas, avec plus de flexibilité et avec une productivité et compétitivité plus haute.

Les stratégies de diminution de coûts et d’amélioration de la qualité ont pour but de fidéliser les clients, vendre plus et augmenter le plus possible l’efficacité et la productivité, par conséquent, augmenter les bénéfices financiers à court terme. D’une part, la diminution des coûts devient une des conditions incontournables de la compétitivité et l’« apologie » du client le levier qui permet leur fidélisation pour gagner plus.

La configuration organisationnelle idéale est celle qui se rapproche et se met au service du client, par conséquent, qui s’aplatit, flexibilise sa structure et répond plus rapidement aux exigences de la production et des services. Des restructurations organisationnelles successives (TURBO, etc.) ont essayé d’aboutir à cet objectif.

Voilà les facteurs ou variables qui ont été le plus fortement mobilisées pour provoquer les changements relevés auparavant.

Cependant, pour mieux comprendre la portée de ces changements et ses conséquences, il faut élargir et approfondir l’analyse.

La globalisation du capitalisme, notamment du capitalisme financier, qui permet le flux de capitaux à une vitesse inouïe, le progrès extraordinaire et rapide des technologies de l’information et de la communication (TIC), qui ont permis l’automatisation du processus productif (intranet, internet, robots, solutions informatiques, etc.) et l’accroissement extraordinaire de la productivité, le système d’interconnexion en réseau des entreprises et la globalisation de l’économie, sont des facteurs qui effectivement interviennent fortement et décisivement à provoquer les changements mentionnés. De plus, une fois le modèle socialiste de l’Est échoué et disparu, le modèle capitaliste à l’américaine, donc néo-libéral, devient presque la seule référence hégémonique dans le monde, plus puissant qu’il ne l’a jamais été. Par conséquent, plus que jamais dans l’histoire, ce type de capitalisme est accompagné d’une

Page 247: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

247

forte composante idéologique et politique, aujourd’hui répandu avec plus de force dans le monde entier. Les performances et les normes de productivité des entreprises américaines sont imitées, les mêmes outils technologiques sont appliqués, le modèle de management « californien » est vu facilement et partout comme le one best way du management, etc. Ces facteurs « pèsent » lourdement sur les acteurs et sur les entreprises pour conditionner et mettre en œuvre les changements dans le sens mentionné ci-dessus.

En raison de la forte concurrence qui a suivi l’ouverture du marché en 1998, la perte des parts de marché et pratiquement le plafonnement de la téléphonie fixe, l’Administrateur Délégué et la haute direction proposent, durant l’année 2000, le plan BeST. La contradiction de fond reste pratiquement la même. La direction exprime le souci d’augmenter la rentabilité et/ou de diminuer les coûts de production à travers plusieurs initiatives, dont la principale est la diminution du nombre de personnel. De leur côté, les organisations syndicales défendent les acquis sociaux (niveau des rémunérations, temps de travail, horaires…) en rejetant des coûts sociaux inacceptables. Mais les syndicats ne peuvent pas arrêter le processus de substitution du capital au travail ; l’heure est à l’e-entreprise pour l’e-business.

D’autre part, le modèle de relations professionnelles et le système politique, le marché du travail et la législation sociale et une certaine culture politique latine « hybride », sont aussi des variables du contexte mobilisées par les acteurs pour modeler autrement ces changements, pour empêcher une application trop mécanique et brutale de cette logique financière et de ce management « californien ».

Le modèle de relations professionnelles et le système politique dans le capitalisme belge ont une longue histoire, ce modèle a été construit depuis la Seconde Guerre mondiale correspondant à une société industrielle fordienne, il a permis le succès du développement économique et le bien-être social qu’on a connu jusqu’à aujourd’hui. Ce modèle est le produit de la construction sociale de puissantes forces sociales et politiques existantes dans le pays ( et dans toute l’Europe d’ailleurs), c’est-à-dire, de l’action de puissantes organisations syndicales, patronales ainsi que politiques. Ce modèle est aujourd’hui bouleversé, critiqué notamment par la droite, et en processus de changement, les forces syndicales perdent de la force mais pas autant en Belgique, la performance économique des entreprises est parfois inférieure aux entreprises nord-américaines parce que le coût de la main d’œuvre est plus élevé, etc. Mais ici le contexte et les acteurs ont leurs spécificités (mentionnées auparavant) qui ont conditionné et vont certainement conditionner les aspects du modèle à changer ainsi que le modèle de société.

Le marché du travail et la législation sociale prégnante sont aussi le fruit de l’intervention des partis politiques à travers le Parlement, notamment et traditionnellement de la gauche. Cette législation sociale ainsi que la concertation sociale des partenaires sociaux protégent mieux les travailleurs et contribuent à réguler le fonctionnement de l’économie et des entreprises. La culture sociale et politique est modelée historiquement par ces expériences. Cette confluence de forces sociales et politiques a déterminé et détermine le rôle que l’Etat doit jouer vis-à-vis des entreprises.

Ce sont ces acteurs (partis politiques, syndicats, managers, Etat, etc.) qui ont abouti à provoquer certains changements particuliers dans cette entreprise (EPA, société anonyme de droit public, etc.). Ainsi, les travailleurs sont restés avec le statut de fonctionnaires et ce personnel statutaire ne pouvait pas être licencié. Or, pour exécuter les programmes successifs de préretraites (PTS, BeST), il a fallu nécessairement négocier et trouver un accord avec les syndicats. De longues négociations ont dû être entamées et ce fut une dure épreuve pour le nouvel Administrateur Délégué et la nouvelle direction.

A plusieurs occasions, la droite politique a fait pression pour privatiser totalement l’entreprise. Cependant, par l’opposition de la gauche et des syndicats, l’Etat est resté

Page 248: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

248

l’actionnaire majoritaire, les travailleurs gardent leur statut de fonctionnaires et l’entreprise garantit un service universel au pays.

Il a fallu gérer et résoudre aussi la contradiction posée entre un actionnaire privé et l’actionnaire majoritaire (Etat). Un « Contrat de gestion » signé entre la haute direction et le Gouvernement précise les engagements mutuels et le rôle de service public que doit garantir l’entreprise. A la fin de chaque année, l’actionnaire privé doit avoir bénéficié de ses gains. Donc, malgré les changements, elle reste une entreprise avec une finalité économique et sociale.

Si telle est la situation actuelle, c’est parce que ces décisions reflètent simplement la corrélation de forces politiques et sociales du pays. Ceci n’est pas le cas partout ; ainsi en Angleterre, British Télécom a été totalement privatisé dans les années 80.

Ce modèle néo-corporatiste et social-démocrate et du management politique belge fonctionne grâce à la concertation sociale des partenaires sociaux et à l’action « corrective » des organisations syndicales, elles jouent encore un rôle de contre-pouvoir, tant pour apporter ou exiger des solutions concrètes à l’organisation du travail qu’à l’équilibre social nécessaire à l’entreprise.

Si les relations professionnelles dans l’entreprise ont été bonnes c’est parce qu’elles se sont construites sur base du respect et de la franchise entre la direction et les trois organisations syndicales, en suivant la culture politique nationale. Un rôle important a été joué par l’ancien Directeur général de la DRH (HRM : Human Resources Management, auparavant ; GLR : Group Labor Relations, aujourd’hui) à travers un travail patient et de long terme. Celui-ci ( ancien dirigeant de l’ancien monopole RTT) a contribué de façon décisive à développer une confiance mutuelle dans cette relation. Pendant 9 ans, il a assuré une sorte de continuité et de stabilité dans ces relations jusqu’à début 2001 (15/2/2001)59. Le nouveau Directeur général des relations professionnelles a continué dans ce même esprit de dialogue constructif qui caractérisait déjà l’entreprise. Ces deux managers (CEO et Directeur GLR), à travers leur attitude vis-à-vis des organisations syndicales ont fortement contribué à cette bonne entente. Les syndicats, de leur part, ont apprécié ces attitudes et ont déployé ainsi une relation de dialogue constructif.

Ce processus n’est pas linéaire mais plein de contradictions. Au sein de l’entreprise, les acteurs sont certainement traversés par ces facteurs que nous avons relevés, par des attirances plus proches du management « californien », par différentes positions idéologiques et politiques, des visions différentes du rôle de l’Etat et de la société. Ainsi, en 1999, le programme « HR for You », qui visait à une transformation importante du département des ressources humaines (DRH), a été confronté à un blocage. Le projet, dirigé par le Directeur général des GRH lui-même, proposait une modernisation (informatisation) forte et élargie des fonctions de GRH et une réorganisation impliquant une diminution du nombre du personnel. Cette initiative de changement fut confrontée à l’opposition des syndicats et l’ensemble de la direction n’a pas véritablement soutenu ce projet, donc il a dû être totalement arrêté. Les raisons données par la suite furent : « - le concept, les objectifs et les réalisations du projet sont prometteurs mais les risques du blocage sont nombreux ; - les blocages peuvent compromettre l’ensemble de la gestion HR » (C.P., 11-05-1999).

La contradiction de fond qui était posée ici, c’était d’un côté, la volonté d’aller trop vite dans ce processus de restructuration et de réduire le nombre de personnel, notamment dans la DRH, sous une approche principalement économique et technique. De l’autre, la volonté de ne pas réaliser radicalement une diminution de personnel, surtout de la DRH, et de négocier autrement les aspects sociaux du changement avec les syndicats. Ceci était d’autant plus 59 D’après les syndicats, il serait proche du parti socialiste flamand (SPA).

Page 249: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

249

complexe dans la mesure où ce personnel était fortement syndicalisé et il fallait compter avec cette redoutable force d’opposition. Le programme « HR for You » arrêté, le DRH n’a pas souffert de modifications et, par la suite, le responsable du projet de restructuration et certains de ses collaborateurs ont quitté l’entreprise.

D’autre part, la direction a voulu, maintes fois, modifier et flexibiliser le système de rémunérations, mais les organisations syndicales ne l’ont pas accepté. En 2001, la DRH a entamé un grand projet-étude de broadbanding mais son application concrète n’a pas abouti par opposition syndicale. La contradiction de fond est donc posée entre une direction qui veut augmenter la productivité et la performance, tout en diminuant les coûts dans le but d’une plus grande rentabilité et, d’autre part, des syndicats qui, tout en étant d’accord, veulent que ceci ne signifie pas un coût social exacerbé pour les employés.

Au début de l’année 2001, la direction a proposé un premier volet social du plan BeST (BeST version I) qui prévoyait la possibilité de transférer le personnel statutaire âgé de plus de 50 ans vers l’Administration publique. Les trois syndicats et le Ministre de l’Emploi et du Travail (PS) -au nom du Gouvernement-, ont rejeté cette proposition en arguant de la difficulté de l’Administration publique de recevoir ces personnes et en critiquant le fait qu’une entreprise avec des bénéfices ne pouvait pas se permettre de « licencier ». Le Ministre a demandé de revoir d’autres solutions et a suggéré d’engager une formation conséquente du personnel concerné ; prise de position que les syndicats ont approuvée. Le Gouvernement ne peut pas, ni stimuler les licenciements, ni augmenter le nombre de personnes de plus de 50 ans hors du circuit du travail. L’aile gauche du Gouvernement a rejeté toute formule de départs massifs qui n'a pas été « socialement acceptable».

En juin 2001, une nouvelle version fortement améliorée et « socialement acceptable » a été proposée au Gouvernement. L’Etat autorise alors chez Belgacom l’application de la Convention collective n° 77 référée au système de « Crédit-temps » pour les entreprises privées. Celle-ci a permis une réduction du temps de travail, c’est-à-dire le droit à une interruption de carrière à mi-temps et à 4/5éme temps avec des indemnités complémentaires adaptées ; tout ceci a entraîné une flexibilité organisationnelle du travail aux niveaux 2 à 4.

Il y a une « mise en disponibilité » des employés qui le veulent, la recherche de travail chez un autre employeur avec l’aide de l’entreprise (outplacement) est stimulée. L’entreprise offre l’assurance d’un revenu socialement acceptable pour les travailleurs concernés par ces mesures de reclassement professionnel. L’accord sur le plan BeST est intervenu en décembre 2001.

Voilà trois exemples qui montrent les contradictions, les accords et les rôles joué par les acteurs, y compris l’actionnaire majoritaire (Etat), dans ces processus de changements. Un développement des innovations managériales est intervenu, par exemple, en assouplissant le cadre légal. Dans ce sens, l’entreprise ne se limite pas à copier tout simplement un management « californien ».

Cependant, les syndicats pensent que le processus de recherche de rentabilité arrive à la limite du socialement tolérable. « Je pense que pour l’instant, nous sommes arrivé à une charge de travail maximale acceptée au niveau syndical ; cela veut dire que si on pousse plus, il y aura des problèmes » (un dirigeant syndical).

De même, certains conflits imprévisibles ont eu lieu, surtout lors de l’application des programmes PTS et BeST. Quelques courtes grèves et/ou arrêts partiels de travail dans certaines divisions et/ou districts (Charleroi, Verviers, etc.) témoignent de la complexité du comportement humain lors des processus de changement. En général, les mécontentements tiennent aux angoisses et au stress provoqués par les changements, aux problèmes de

Page 250: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

250

réaffectation vers un nouveau travail et à la préoccupation de ne pas avoir ce nouveau travail trop éloigné du lieu de résidence.

Rappelons avec Perret (1998), la complexité des changements quant à l’ambivalence et l’imprévisibilité des acteurs, à l’importance d’un système d’entente et d’encadrement multiforme pour arriver aux objectifs souhaités.

En général, nous observons une tendance à un management essentiellement politique mais hybridé avec des méthodes du management « californien », à des pratiques de GRH plus individualisantes et à des rôles de la DRH qui cessent d’être agent administratif (en tout cas à partir de 2002). Ceci en présence d’un modèle de relations professionnelles néo-corporatiste et social-démocrate, où les forces syndicales sont encore fortes et les partis politiques socialiste, écolo et social-chrétien sont loin de disparaître de la scène politique, ce qui n’est pas du tout le cas aux Etats-Unis. Forcément ici il faudra compter avec ces acteurs et s’attendre toujours à des compromis sociaux et politiques d’une autre nature. « J’aimerais dire qu’il y a une synthèse ; quelque part, notre modèle social s’intègre assez bien à cet aspect. C’est clair que tout ce qui est management vient de l’Amérique du Nord…mais nous mettons tout ça à notre sauce…Certainement le syndicat sert à quelque chose, il participe à ce dialogue et l’encourage; on le voit dans le dossier BeST. Au départ, il y a beaucoup des préoccupations économiques du management, qui est en train de concocter son plan de l’organisation BeST. Mais beaucoup de ces aspects sont éclairés ou encouragés par une intervention immédiate des syndicats ou anticipativement par le manager ou directeur qui se dit : « je dois quand même tenir compte de l’aspect social » parce que sinon je vais avoir une opposition syndicale. Donc, je pense que le syndicat, de par sa présence, favorise cette réflexion et l’intégration de l’aspect social » (un cadre DRH).

Dans la foulée de l’arrivée des libéraux au nouveau Gouvernement (libéral, socialiste, écolo) le sujet récurrent de la privatisation de l’entreprise est réapparu avec force. Ceci repose le problème de fond relevé auparavant. Pour les libéraux, la privatisation permet une plus grande productivité et performance, dans la mesure où elle pourrait enlever des rigidités de fonctionnement telles que les normes sociales, les salaires barémiques, les contrats à durée indéterminée, etc. Pour les socialistes et écologistes, elle signifie non seulement l’abandon du service universel mais aussi l’imposition d’un management arbitraire, privilégiant une logique financière où le coût social pour les employés est élevé et humainement inacceptable. Dilemme et discussion importante, d’actualité, et essentiellement politique. Evidemment, tant le management que les pratiques de GRH ne sont pas les mêmes dans un cas comme dans l’autre.

Les acteurs se mobilisent dans ce vaste contexte. Quant à rendre compatibles privatisation et service public, le CEO disait : « L’un n’empêche pas l’autre. On a toujours cru que la privatisation est une sorte de monstre où tout à coup, la société change complètement, abandonne ses responsabilités de service universel. Je voudrais absolument changer cette perspective et notre première phase de privatisation en a été la plus belle preuve : nous avons par exemple 385.000 clients qui jouissent d’un tarif à 50 % de réduction, nous sommes toujours obligés –contrairement à nos concurrents- d’installer un téléphone n’importe où pour n’importe qui, quelle que soit la distance qui le sépare d’une route, et nous avons toujours 17.000 cabines téléphoniques. Autant je suis persuadé qu’il faut que quelqu’un comme nous assure aux moins favorisés la possibilité de communiquer à des tarifs réduits, autant ce serait peut-être bon que maintenant il y ait de la concurrence, chacun y participe selon ses parts de marché » ( Goossens, 16/12/2000).

Les trois organisations syndicales ne sont pas convaincues de ce nouveau scénario et s’opposent à la privatisation, notamment le syndicat socialiste. Les syndicats avaient commencé à discuter officieusement un programme « Grandfathering » et pensent faire usage

Page 251: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

251

du recours légal comme outil pour défendre leurs acquis sociaux, contrer les éventuels excès du management (licenciements abusifs, etc.), unifier les employés dans une seule organisation, se positionner plus efficacement au niveau Européen, etc. « Une mission de service public implique notamment l’obligation de garantir un service universel. Nous doutons que des opérateurs privés puissent satisfaire cette obligation. Des exemples étrangers montrent qu’ils préfèrent parfois payer une amende plutôt que de fournir concrètement ces services. C’est une logique que nous ne partageons pas, car elle est nuisible aux intérêts d’une partie de la population » (un dirigeant syndical).

Le problème de fond est, en fait, le rôle qui doit jouer l’Etat dans l’actuelle société informationnelle. Débat complexe et simplifié parfois entre une plus grande ou une plus petite participation de l’Etat. Certains pays, tels que la Finlande et le Japon, ont prouvé cependant que l’intervention de l’Etat a été très utile au développement technologique et/ou économique et des entreprises (Castells, 2001 ; Castells et Himanen, 2002).

Les changements relevés ne sont pas le produit seulement du marché, d’un modèle économique, d’une stratégie ou de la technologie. Les partis politiques, les syndicats, l’Etat, la législation sociale, les institutions, la culture, etc. sont autant de facteurs qui jouent un rôle aussi important et qui donnent un sens particulier aux changements de l’entreprise et de la société.

• Analyse processuelle et jeux d’acteurs dans le cas français

Dans le cas de FranceTélécom SA, pendant longtemps (environ 6 ans) le Directeur des R.H. n’appartenait pas au Comité Exécutif et la priorité avait clairement été donnée au monde financier. Seulement en 2001 il est devenu membre de la haute direction du Groupe France Télécom et, pour la première fois, un directeur des R.H. a été nommé à la DRH de FrancéTélécom SA. « Le PDG est plutôt préoccupé par les aspects financiers de l’entreprise que par les ressources humaines. Il a vendu tous les bâtiments. Son idée, c’était qu’en étant une société par actions, on pouvait augmenter son capital à des intervalles réguliers, ce qui n’a pas été le cas. Je suis sûr qu’il n’attache pas suffisamment d’importance à la GRH parce que pendant toutes ces années, depuis qu’il est là, le directeur des R.H. ne faisait pas partie du Comité Exécutif, ce qui pour moi est une hérésie ; c’est une stupidité même. Les R.H. sont une des clés de la réussite… Je crois que dans toutes les grosses boîtes, on donne une notoriété, une position très forte au Directeur des R.H. Maintenant il a changé et cette année 2001, il l’a fait venir à nouveau au Comité Exécutif… Je crois qu’il a fait une erreur, il a sous-estimé l’importance de la GRH » (un ex-manager de DRH).

Il est aussi important de relever le rôle actif de l’Etat dans les conventions collectives ; en effet, le Gouvernement (de gauche) a joué un rôle très dynamique pour convenir une nouvelle Convention Collective Nationale pour le secteur des télécommunications signée en avril 2000 et qui devient obligatoire et permanente pour toutes les entreprises du secteur. « Il y a une Convention Collective pour tout le secteur des télécommunications. En France, quand on fait une Convention Collective, elle est proposée à l’Etat, et si l’Etat est d’accord, il la déclare obligatoire pour toutes les entreprises qui font partie du secteur économique. Maintenant, nous avons encore 1 an et demi pour finir les négociations en France Télécom S.A. ; nous faisons une Convention Collective et après il faut l’adapter à notre entreprise. En France, une Convention Collective a une durée illimitée, elle n’est pas renégociable tous les ans ; une partie peut être renégociée si tout le monde est d’accord » (un conseiller social-DRH).

Nous avons synthétisé (tableau 22) les évolutions du contenu en considérant les différents facteurs explicatifs de transformation que nous avions défini auparavent.

Page 252: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

252

Tableau 22

Synthèse des contenus (GRH, DRH, M) selon les six facteurs explicatifs de transformation

Hypothèse ou facteur explicatif

Contenu 1ère période (1996-1997-1998) 2ème période (1999-2000-2001-..)

GRH M. objectivant M. objectivant

DRH Rôle AA Rôle AA

1.- Configuration organisationnelle

M M. classique + M. politique M. politique + M. classique (faible)

GRH M. objectivant M. objectivant + M. individualisant

DRH Rôle AA Rôle AA+ rôle EO (faible)

2.- Stratégie de diminution des coûts + stratégie d’amélioration de la qualité

M M. classique + M. politique M. politique + M. instrumental (faible)

GRH M. objectivant M. objectivant + M. individualisant

DRH Rôle AA Rôle AA

3.- Marché hostile et instable

M M. politique M. politique + M. instrumental (faible)

GRH M. conventionnaliste M. conventionnaliste

DRH Rôle AA Rôle AA

4.- Modèle néo-corporatiste et social-démocrate de relations professionnelles

M M. politique M. politique + M. instrumental (faible)

GRH M. objectivant M. objectivant + M. individualisant (faible)

DRH Rôle AA Rôle EO (faible) + Rôle AA

5.- Marché du travail de forte qualification et législation sociale prégnante

M M. classique+M. politique M. politique + M. instrumental (faible)

GRH M. objectivant + M. conventionnaliste

M. conventionnaliste

DRH Rôle AA Rôle AA+rôle EO (faible)

6.- Culture latine « hybride »

M M. politique M. politique + M. instrumental (faible)

Acteurs dominants Administrateur-Délégué, Directeur DRH (GRL), Directeur DRH (GRH), 3 syndicats, Etat et partis politiques, UE

Administrateur-Délégué, Directeur DRH (GRL), Directeur DRH (GRH), 3 syndicats, Etat et partis politiques, UE

De même, nous avons synthétisé les évolutions du contenu (tableau 23) en considérant deux facteurs explicatifs dans le cas français.

Tableau 23

Synthèse des contenus (GRH, DRH, M) selon deux facteurs explicatifs de transformation dans le cas français

Hypothèses ou facteurs explicatifs

Contenu 1er période (1996-1997-1998) 2ème période (1999-2000-2001..)

Page 253: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

253GRH M. objectivant M. objectivant + M.

individualisant

DRH Rôle AA Rôle EO + rôle PS (faible)

3.- Marché hostile et instable

M M. classique + M. politique M. politique + M. instrumental (faible)

GRH M. objectivant + M. conventionnaliste

M. conventionnaliste

DRH Rôle AA Rôle EO (faible)

4.- Modèle néo-corporatiste et social-démocrate et système politique

M M. classique + M. politique M. politique + M. instrumental (faible)

Page 254: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

254

CHAPITRE VII

LE CAS DE TELEFONICA- CTC Ce chapitre est consacré à l’étude du cas de l’entreprise chilienne.

Les deux premières sections décrivent les éléments du contexte externe et interne susceptibles d’influencer le processus de changements des pratiques de GRH, des rôles de la DRH et des modèles de management dans l’entreprise. Dans la troisième section, nous décrivons l’évolution des pratiques de GRH, des rôles des DRH et des modèles de management au cours de la période observé (+/-6 années). Dans la quatrième section, nous analysons ces changements sur base des six hypothèses ou axes de transformation proposés dans notre cadre d’analyse. Enfin, la dernière section est consacrée à l’explication des jeux des acteurs qui, sur base de leur interprétation et de la mobilisation qu’ils font du contexte, agissent sur les changements des pratiques de GRH, des rôles des DRH et des modèles de management.

Lorsque nous paraîtra nécessaire, nous introduirons aussi dans ce chapitre (comme nous l’avons fait dans le précedent) des éléments de comparaison du cas français.

Section I : CONTEXTE EXTERNE

L’entreprise étudiée fait également partie de la catégorie d’ « entreprise universelle », c’est-à-dire qu’elle s’adresse à tous les segments du marché : particuliers, PYME60, grandes entreprises, filiales des multinationales travaillant au Chili ; elle offre de la téléphonie fixe, la téléphonie mobile, le transport des données et les connexions à internet.

Par la suite, nous décrivons les évolutions du marché des biens et services des télécommunications, des relations professionnelles et le système politique, du marché du travail et leur législation sociale et de la culture nationale.

1.- Le marché des biens et services

1. 1.- La régulation du marché

Le marché des télécommunications chilien a été libéralisé dans la décennie des années 80 sous le Gouvernement militaire. Dans le cadre d’une économie ouverte au marché mondial et considérée comme le « laboratoire » d’une économie capitaliste néo-libérale, inspirée des 60 PYME : pequeña y mediana empresa ; en français, petite et moyenne entreprise (PME)

Page 255: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

255

politiques des Chicago’s Boys, il n’est pas étonnant de trouver déjà à l’époque une haute concurrence avec la présence dans ce marché spécifique de plusieurs entreprises étrangères.

En 1982, la nouvelle Loi de la téléphonie proposait d’ouvrir tout le marché à la libre concurrence et prônait la privatisation. Mais, en pratique CTC est resté sous contrôle du Gouvernement militaire parce qu’elle était stratégique pour le pays. Le marché a été dérégulé mais l’entreprise n’a pas changé fondamentalement.

En 1989, les entreprises de télécommunications sont privatisées; c’est l’année où apparaît la téléphonie mobile au Chili. En 1994, il y aura une autre dérégulation du marché qui facilite encore l’arrivée des nouveaux investisseurs étrangers.

Au niveau national il existait déjà une « Commission Antimonopole », autonome vis-à-vis du Gouvernement, valable pour tous les secteurs économiques, qui veillait à empêcher et contrôler les monopoles. D’autre part, la SUBTEL (« Subsecretaría de Telecomunicaciones »), branche spécialisée du Ministère des Travaux Publics, de Transport et des Télécommunications, est chargée d’un rôle régulateur du marché en proposant et en établissant un cadre légal qui régule la concurrence des entreprises de télécommunications pour éviter des monopoles.

La SUBTEL définit tous les 5 ans, en consultation avec les entreprises concernées, des « Décrets tarifaires » (« Decretos Tarifarios ») fixant les règles à respecter par les entreprises du secteur. Le dernier « Décret tarifaire » concernant la CTC, en vigueur jusqu’à mai-2004, a été défini en 1999. Il a fixé la structure, le niveau et le mécanisme d’indexation des services affectés à une fixation des prix qui doit respecter l’entreprise CTC. Il a défini 4 aires tarifaires des zones primaires, le prix maximal et les taxes (« cargo fijo ») à demander par l’utilisation du réseau de cette entreprise par un autre opérateur. Cette dernière disposition légale sera ressentie par la CTC comme une des causes principales des résultats négatifs survenus par la suite.

D’après la compagnie « ce nouveau Décret a signifié une diminution de 24,7% dans la recette annuelle par ligne, mesurée sur la variation des taxes du service de la ligne téléphonique et des taxes variables, en considérant une même base de trafic. Cette variation est le résultat de deux effets, la diminution de 17,1% dans les recettes qui proviennent des abonnés et de 72,9% dans les recettes par taxes d’accès des entreprises interconnectées » (Rapport annuel 1999, p.20). C’est-à-dire l’entreprise estime que ce Décret est trop contraignant et affecte directement ses bénéficies. On y reviendra.

Elle a décidé de porter plainte auprès de la Cour Suprême pour exiger un amendement du Décret parce qu’il contiendrait des erreurs techniques qui auraient contribué à provoquer les pertes financières de celle-ci. Jusqu’aujourd’hui, ce décret est l’objet d’une forte dispute judiciaire entre la CTC et le Ministère de Transport et des Télécommunications. L’Etat, à travers de la SUBTEL, conteste ces accusations.

Au début 1999 a débuté aussi le système « Celui qui appelle doit payer » (« Quién llama paga ») pour la téléphonie mobile et par lequel les usagers de téléphones mobiles ne paient plus les appels reçus comme c’était le cas auparavant, désormais celui qui appelle doit payer. L’application de ce nouveau système a stimulé fortement l’usage du téléphone portable et a contribué à son extraordinaire expansion.

1. 2.- La concurrence

En 1996, l’économie chilienne était une des plus dynamiques de l’Amérique latine avec un taux de croissance élevé et une politique de contrôle de l’inflation (Ch. V). Le secteur de télécommunications est marqué par une forte concurrence due à la présence, directe ou

Page 256: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

256

indirecte, de plusieurs opérateurs globaux étrangers à travers des entreprises chiliennes. La libéralisation et la dérégulation avaient augmenté l’attrait de ce marché. En 1995, le Chili avait instauré le système multiporteur (multicarrier) pour la téléphonie internationale et libéralisée toute la téléphonie longue distance ; le pays est devenu un des pionniers de la région de la dérégulation des trois segments importants de la téléphonie : mobile, locale et de la longue distance internationale. Pour la mise en fonctions du système multicarrier il n’a pas eu des exigences de paiements de licences ni d’inversion, ce qui a provoqué l’entrée en force des nouveaux concurrents.

La formule chilienne, à la différence d’autres pays latino-américains qui avaient choisi plutôt un scénario de monopole ou duopole (Argentine, Brésil, etc.), a impliqué l’application de façon brutale d’une ouverture totale du secteur, à travers un modèle agressif qui n’a pas discriminé l’arrivée de nouveaux concurrents. En 1996, le pays a déjà 8 opérateurs en téléphonie fixe et 3 en téléphonie mobile. En 2001, ils seront 13 et 5 respectivement, ce qui indique une croissance extraordinaire du nombre d’opérateurs (tableau 24).

Tableau 24

Nombre d’entreprises de télécommunications (*) 1996 1997 1998 1999 2000 2001

Entreprises tel. fixe

8 12 12 12 14 13

Entreprises tel. mobile

3 3 6 6 5 5

(*) Source : SUBTEL, Informes de estadísticas básicas del sector de telecomunicaciones n° 1, 2, 3, 2000, 2001, Santiago, Chile.

Il faut préciser qu’au Chili la téléphonie fixe est morcelée ; la téléphonie de longue distance (régionale et internationale) est complètement séparée de la téléphonie fixe locale et la présence des capitaux étrangers est également forte. Parmi les plus importants, nous pouvons citer des nord-américains, australiens, espagnols, italiens, canadiens, etc.

En 1996, la participation de la CTC dans le marché était de 92% des lignes en service pour la téléphonie fixe de base, de 32% dans le trafic de la téléphonie nationale longue distance et de 22% dans le trafic de la téléphonie de longue distance internationale. Cette entreprise reste pratiquement un monopole en ce qui concerne la téléphonie fixe, malgré les nouveaux concurrents.

Tableau 25

Taux de pénétration de la téléphonie fixe, mobile et connexions Internet (*) 1996 1997 1998 1999 2000 2001

Taux de pénétration tel. fixe (%)

15,59 18,29 20,42 20,6 22,1 23,1

Taux de pénétration tel.

2,2 2,78 6,46 15 22,2 34

Page 257: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

257mobile (%)

Nombre d’usagers Internet (1)

156.875 187.500 700.000 2.537.000 3.102.000

(*) Source : SUBTEL, Informes de estadísticas básicas del sector de las telecomunicaciones de Chile, n°1, 2, 3, 2000, 2001, Santiago, Chile.

(1) Nous utilisons le nombre d’usagers parce qu’il n’existe pas des données statistiques quant aux connexions. Bien que le nombre de connexions n’étant pas la même chose que le nombre d’usagers, il donne quand même une idée de cette évolution.

Il est important de constater également la croissance des taux de pénétration respectifs du marché des télécommunications chilien (tableau 25).

Les taux de pénétration du marché chilien sont parmi les plus hauts de l’Amérique latine. L’année 2001, par exemple, en téléphonie fixe l’Uruguay avait un taux de 28,3%, le Brésil de 21,7% ; tandis qu’en téléphonie mobile, par exemple, les pays qui les suivaient étaient le Venezuela avec un taux de 26,4%, le Mexique avec un taux de 20,1% (SUBTEL, 2001).

En 2001, il y a au Chili 3.500.000 de lignes fixes et plus de 5.200.000 téléphones GSM et PCS (« celulares »). Ces niveaux situent le Chili parmi les leaders en télécommunications en Amérique latine.

En 2001, l’entreprise Telefónica CTC 77,5% du marché pour ce qui est de la téléphonie fixe, 39,5% dans le trafic de la longue distance nationale et 33,2% dans le trafic de la longue distance internationale. Au cours de cette période, l’entreprise a eu des pertes significatives de marché.

En ce qui concerne la téléphonie fixe, deux entreprises dominent : CTC et ENTEL. Quant à la téléphonie mobile nous pouvons citer, Bellsouth Comunicaciones, Telfónica Movil (Startel), pour la bande 800 MHz, et Entel Telefonía Movil, Entel PCS, Smartcom, pour la bande 1900 MHz, etc.

La forte concurrence entre les opérateurs ainsi que le développement technologique ont provoqué une diminution des prix pour les clients surtout dans la téléphonie mobile, ceci est moins évident dans la téléphonie fixe. « Dans la téléphonie fixe, par contre, les prix ont descendu de 6,5% en termes réels dans les cinq années en question [1994-1998], ce qui est attribué fondamentalement aux progrès technologiques et au gain en efficacité…Entre mars 1997 et juillet 1998, le prix moyen par minute a chuté de 173 pesos à 110 pesos. Les prix de longue distance nationale ont diminué de 36% entre 1995 et 1998 et pour les appels internationaux la chute arrive à 50% pour la même période » ( El Diario, 5-8-1998). Par la suite, et surtout après le Décret tarifaire de 1999, la concurrence étant plus dure, les prix ont continué à diminuer.

Ces trois dernières années, nous observons une croissance importante de la téléphonie mobile et d’internet. La téléphonie mobile passe d’un taux de 15 %, en 1999, à 34%, en 2001, mais il y a un certain ralentissement de la téléphonie fixe. D’après les données fournies dans les tableaux 24 et 25, nous constatons l’extraordinaire croissance du nombre d’entreprises de télécommunications ainsi que les taux de pénétration de la téléphonie fixe, mobile et d’Internet. Il s’agit donc d’un marché très concurrentiel, notamment en téléphonie mobile et Internet ces dernières années. Ce marché n’a pas eu, en tout cas jusqu’à l’année 2001, les effets négatifs de la crise qui affecte aujourd’hui le marché mondial du secteur des télécommunications.

1. 3.- L’évolution technologique

Page 258: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

258

Le progrès technologique observé à travers les produits et services pendant cette période a été extraordinaire. Les changements de l’entreprise sont habituellement expliqués d’ailleurs par les exigences posées par les changements technologiques, logique déterministe qui n’est pas toujours vraie ni suffisante. N’empêche que cette évolution a été gigantesque et elle traverse toutes les entreprises du secteur. « En 10 ans nous avons eu un « boom » des téléphones. La nouvelle technologie apparaissait : du téléphone avec opératrice nous sommes passé au téléphone avec le numéro composé et après au numéro digital. L’année 1993, il y a déjà eu une grande reconversion dans le sens où d’un total de 1.000 opératrices sont restés environ 500 parce qu’il est apparu l’automatisation, le réseau digital est arrivé, par conséquent le carrier qui permettait de composer le numéro direct distant (« discado directo distante » : DDD), et il n’était pas nécessaire d’avoir l’opératrice ; des changements déjà énormes » (un sous-gérant DRH). Par après le progrès technologique continue. « Les techniciens aujourd’hui se trouvent avec un système technologique très différent de celui d’il y a 5 ans : avec un PC, la bande large, l’ADSL, la télématique… Aujourd’hui nous travaillons avec l’ADSL, la large bande, ceci nous permet de transmettre la voix, les données et l’image ; ceci est en concurrence avec la TV câble, en plus nous permet avancer dans la domotique. Au début 2001 nous avons commencé à vendre massivement l’ADSL » (un sous-gérant gestion résidentielle). Pour comparaison, l’ADSL avait apparu une année et demi plutôt en Belgique.

Les principales innovations ont lieu dans le domaine de la bande large et leurs applications (domotique), plus exactement un système de caméras de vigilance des maisons, des bureaux, de locaux commerciaux appelés VIGITEL (exemple: Camit One Ver 1760) ou VIGNET a été développé. Un autre domaine intéressant c’est la téléphonie de prépaiement en utilisant la carte de prépaiement TLP ("Tarjeta Línea Propia") qui permet de faire des appels à partir de n’importe quel téléphone fixe, de téléphones publics et de "celulares" (GSM), tout sorte d’appels peuvent être réalisés: local, large distance nationale et large distance internationale, en plus offrir le service de connexion à internet.

L’année 2001, deux opérateurs ont commencé à développer le service de téléphonie sans fil (Wireless Local Loop-WLL), en bande de 3.400 à 3.700 MHz.

2.- Le modèle des relations professionnelles et le système politique

2. 1.- Le type de concertation entre partenaires sociaux

Pour comprendre la situation actuelle il faut se référer, au moins, à l’histoire politique et institutionnelle récente. D’une part, une confrontation politique radicale et , d’autre part, un modèle des relations professionnelles actuel ancré sur un contexte légal et institutionnel hérité de la période de la Dictature militaire.

Au fond, il n’y a jamais eu des véritables relations professionnelles puisqu’il n’a jamais eu d’intérêt, notamment des patrons, d’encourager ce type de relation.

Ce type de relation professionnelle est fonctionnel à l’implantation du modèle économique néo-libéral. Modèle basé sur les investissements étrangers, les exportations et une forte incitation à la consommation interne (le consumérisme chilien) (Moulian, 1997).

Une nouvelle loi du travail (le "Plan Laboral") avait été imposée pour établir un nouvel ordre social, pour réduire les organisations syndicales à leur plus simple expression. La liberté syndicale et le droit de grève ont été bafoués et le mouvement syndical fortement réprimé, déstructuré et affaibli.

Pendant la période de la dictature, les relations professionnelles ont souffert d’un changement profond dans plusieurs dimensions: a)- un déplacement de l’espace macrosocial dans lequel

Page 259: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

259

les relations professionnelles opéraient, par exemple dans la décennie des années 70, vers le niveau micro (entreprise); b)- au niveau des logiques d’actions des acteurs, le type d’action collective a basculé vers une action au niveau individuel; c)- au niveau de la législation et des institutions il y a eu la tendance à la protection individuelle et à plus de flexibilité du travail en même temps.

La logique néo-libérale, au-delà du modèle économique, devient une sorte de culture globale qui imprègne la société.

Le discours dominant est celui qui montre un pays qui a cessé d’être un pays pauvre et sous-développé. Le discours est celui d’une « nation gagnante », d’un pays « différent et moderne » ; le « Chili tigre », le « Chili puma », le Chili « leader sud-américain ».

L’entrepreneur devient l’image de la réussite, du prestige social, le modèle identitaire pour une grande partie de la société (Moulian, 1997).

Ce discours reflète une logique qui privilégie les aspects économiques et technologiques et une vision réductionniste de la réalité actuelle.

Le passé historique conflictuel et le manque de confiance politique entre patrons et syndicats sont des caractéristiques centrales.

Le syndicalisme chilien est affaibli et sans projet socio syndical clair ni unique. Il est traversé par des positions contradictoires, d’une part, revendicative des intérêts économiques et sociaux globaux, de l’autre, plus focalisée sur l’entreprise pour négocier cas par cas les conditions de travail et la revendication salariale. Il a, de fait, un discours contradictoire entre rejet et acceptation des conditions établies par le modèle économique néo-libéral.

Le président de la CUT (Centrale Unitaire des Travailleurs) affirme : « Il y a une loi très mauvaise et encore des persécutions syndicales. Beaucoup d’employeurs pensent que le syndicat dérange le développement de l’entreprise et il faut l’éliminer…S’il n’y avait pas des syndicats, ceci serait encore plus la loi de la jungle. Le syndicat peut collaborer au développement de l’entreprise. Si on regarde les anciens syndicats, le syndicat synonyme de grèves et des « tomas » c’est hors de l’époque. Le Chili a changé, le monde a changé, nous avons changé…Il faut repenser la structure syndicale. Il ne nous suffit plus d’avoir un syndicat d’entreprise. La plupart des entreprises chiliennes sont petites et moyennes, alors des syndicats de 10, 15 ou 20 travailleurs n’ont aucun poids. Un syndicat de province, qui regroupe les travailleurs par secteurs, par services, par branches, est beaucoup plus efficace » ( Correa, 29-4-2001).

Dans la pratique, vu le processus historique, le syndicalisme d’entreprise a pris le dessus mais le dialogue est toujours difficile. « Le premier facteur à considérer pour expliquer le manque d’une plus grande extension d’expériences rénovatrices dans le domaine du travail c’est à caractère historique et culturel… Dans le cas chilien, il y a un consensus pour caractériser les relations professionnelles du passé comme confrontationnelles… L’histoire de confrontation est un des éléments les plus influents dans les difficultés existantes au moment d’essayer d’implanter un nouveau schéma des relations professionnelles. D’une part subsiste la peur de la part des entrepreneurs d’une nouvelle mise en question du droit à la propriété privé. Ceci entraîne une vision de la propriété très étroite où il n’y a pas de la place pour le concept de responsabilité sociale de l’entreprise (vers l’extérieur) ou un concept de communauté d’entreprise (vers l’intérieur)…[Suivant cette logique] Un bon management sera celui capable de maintenir l’ordre dans l’entreprise, réduire le rôle du syndicat et même tromper les travailleurs. Un bon dirigeant syndical sera celui qui pose les exigences les plus hautes, celui qui puisse maintenir les relations les plus âpres possibles avec leur contrepartie » (Alburquerque, 1999, p. 212).

Page 260: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

260

2. 2.- Les forces et logiques des organisations sociales

Le syndicalisme chilien a souffert des rigueurs d’une politique dictatoriale pendant de longues années, leurs dirigeants ont été persécutés et emprisonnés. Par la suite il a dû se plier à la législation contenue dans le "Plan Laboral" dicté par le Gouvernement militaire. Au terme de cette période la force des organisations syndicales avait beaucoup diminué. A partir des années 90, avec l’arrivée de la démocratie, un processus de recomposition de la société civile, des institutions démocratiques et par conséquent, des syndicats a commencé. Le premier Gouvernement de la Concertation (1990-1994), a introduit des modifications au Code du travail de 1981. Les réformes du travail approuvées entre 1990 et 1993, ont restitué le droit à créer des centrales syndicales, 43,9% des syndicats en vigueur jusqu’à présent ont été créés. La Centrale Unitaire des Travailleurs (CUT) fut reconnue, le droit de syndicalisation est amélioré.

Au début des années 90, la syndicalisation a augmenté, tant quant au nombre de syndicats qu’en nombre d’affiliés. Malgré ce fait le poids du syndicalisme, en général, continue à être faible. (Alburquerque et Oxman, 2000). Ces six dernières années le taux de syndicalisation par rapport à la population active a diminué légèrement d’un 17,8%, en 1996, à un 16,1%, en 2001. Seulement cette dernière année 2001 ce taux a monté à nouveau, comme le montre le tableau 26.

Tableau 26

Taux de syndicalisation national (%) 1996 1997 1998 1999 2000 2001

17,7 16,3 16,3 15,3 15,9 16,1

Source : Dirección del Trabajo, Estadísticas sindicales, Departamento de Relations Laborales, 2001, Santiago, Chile.

En 2001, ce taux de syndicalisation est calculé sur 605.363 travailleurs affiliés aux syndicats par rapport à un total de 3.763.980 correspondant à la force de travail salariée au pays.

Le type de syndicalisme est principalement un syndicalisme centré sur l’entreprise. Cette transformation est le produit des changements qui ont eu lieu dans la période du Gouvernement militaire. Cependant, aujourd’hui la CUT essaie d’élargir la coordination et l’action syndicale au niveau des branches ou entre entreprise, mais avec des difficultés à articuler un mouvement syndical plus puissant.

La Centrale Unitaire des Travailleurs (« Central Unitaria de Trabajadores », CUT) est l’unique organisation syndicale au niveau national, elle représente aujourd’hui environ 445.000 travailleurs, dont à peu près la moitié sont des employés des entreprises publiques. Le 40% des syndicats existants dans le pays ne sont pas affiliés à cette organisation (Correa, 29-4-2001). Malgré l’augmentation du taux de syndicalisation cette dernière année, le syndicalisme chilien n’est pas structuré solidement du haut jusqu’à la base ni au niveau national ; c’est une organisation avec un faible pouvoir de négociation et elle doit faire face à des blocages légaux et à des changements dans l’organisation du travail (droit de grève,…). C’est une organisation multi tendances politiques dans la mesure où, dans son sein, sont présents le Parti Socialiste, le Parti Démocrate Chrétien, le Parti Communiste, le Parti Radical Social-démocrate et l’Union Démocratique Indépendante (UDI), les deux premiers étant les plus importants. Tous ces partis sont représentés dans la direction nationale, le président actuel étant un membre du P.S. Dans ce syndicalisme, il y a plusieurs courants idéologiques, des courants d’inspiration marxiste, chrétienne, laïque, social-démocrate, gauchiste, etc. En

Page 261: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

261

1996, pour la première fois dans l’histoire du pays, un membre de la droite (UDI) est arrivé au niveau de la direction nationale.

Une partie importante de la gauche, anciennement d’inspiration marxiste et en ayant un projet de société alternative à la société capitaliste, est devenue social-démocrate (PS, PPD et PRSD). Cependant, il s’agit d’une social-démocratie « à la chilienne ». A la différence de la social-démocratie belge et Européenne, celle-ci n’a pas la vision ou la volonté de contribuer à construire et renforcer un mouvement social et syndical. Dans une société où la société civile est faible, divisée et désorganisée, la social-démocratie chilienne a ignoré cet aspect et a privilégié l’espace politique et le contrôle de l’Etat.

La principale organisation patronale au niveau national est la Confédération de la Production et du Commerce (CPC), qui regroupe plusieurs organisations sectorielles telles que : la Société Nationale d’Agriculture (« Sociedad Nacional de Agricultura », SNA), la Chambre Centrale du Commerce (« Cámara Central del Comercio », CCC), la Société Nationale des Mines (« Sociedad Nacional de Minería », SNM), la Société de développement manufacturière (« Sociedad de Fomento Fabril », SOFOFA), parmi les plus importantes (Relasur, 1994). Les organisations patronales ont un pouvoir d’influence et de négociation très grand au niveau national et font un lobby très puissant auprès du Gouvernement. Elles détiennent un pouvoir très important.

La force patronale ne provient pas seulement de son pouvoir économique et organisationnel mais aussi de l’hégémonie idéologique installée dans la société par un modèle néo-libéral depuis la période dictatoriale.

Critiquer l’entreprise privée ou l’entrepreneur devient plus difficile, à la différence des années 60 et début des années 70, où ils étaient facilement considérés comme sources d’injustices et d’exploitations. A la différence d’antan, le discours dominant actuel est très conciliant -même à la Concertation Démocratique- et on fait en sorte que certaines pratiques d’injustice sociale aient disparu de la réalité chilienne. Les organisations syndicales ont moins d’attrait et elles sont coincées dans leurs propositions sociales et revendicatives souvent contradictoires.

2. 3.- Les caractéristiques et degré d’institutionnalisation de la concertation sociale

Au Chili, il n’y a aucune institutionnalisation de la concertation sociale au niveau national ni régional. Les patrons, par conception idéologique, ne veulent accepter aucune institutionnalisation d’une concertation sociale ni au niveau national ni de la branche d’activité.

Les organisations syndicales, notamment la CUT, souhaiteraient une concertation sociale et des négociations collectives au niveau national ou des branches, mais ils n’ont pas la force suffisante pour « forcer » ce dialogue ou « imposer » cette concertation.

2. 4.- Le type de revendication syndicale et le style de négociation collective

La logique dominante des employeurs et des dirigeants des entreprises est de considérer le syndicalisme comme une entrave au libre jeu du marché économique et du travail, une source de rigidité et, en conséquence, ils voudraient ne pas travailler avec eux. En pratique, s’ils le font c’est parce que se sentent forcés à le faire. L’année 2001, le Président de la CPC a rejeté toutes les mesures qui tendent à renforcer les organisations syndicales et qui sont incluses dans le projet de réforme du travail qui se discutait au Parlement. « Il nous paraît bien qu’on améliore le pouvoir de négociation, cependant négocier à travers les libertés syndicales d’une certaine façon entraîne rigidité du travail et ceci finalement entraîne chômage…Ce

Page 262: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

262

sont les entreprises avec leurs propres travailleurs qui doivent entamer leur négociation et c’est comme ça que le fait la majorité des entreprises du pays » (La Tercera, 27-03-2001).

Le syndicalisme chilien est fondamentalement revendicatif et contestataire, il n’offre pas des services sociaux importants à leurs adhérents (caisse de sécurité sociale, de couverture médicale, etc.), il s’agit plutôt d’un syndicalisme de militants et d’adhérents, mais non de masse. Il ne s’implique pas dans les affaires sociales globales de l’entreprise et, dans ce sens, il n’est pas un syndicalisme de proposition. Corrélativement, la plupart des patrons et des managers ne permettent pas non plus cette pratique.

La CUT essaie de jouer un rôle de pression et de lobby politique auprès du Gouvernement dans un sens macro-économique, mais avec peu de force. Au niveau de l’entreprise, la relation qui prévaut est une relation plutôt conflictuelle, une négociation plutôt de somme nulle où chaque partenaire essaie de gagner le maximum aux dépens de l’autre.

« Je vois aujourd’hui deux grands modèles dans le monde. Un, c’est le modèle social-démocrate Européen et, l’autre, un modèle du libre marché et ils ont des traits très différents…Le modèle chilien c’est un modèle plus proche de la logique américaine que de l’Européenne ou la japonaise. C’est un modèle avec un Etat notablement réduit, avec environ un 20% du Produit au lieu du 50% [ en Europe] et, par conséquent, avec tout ce qui est le système de sécurité sociale beaucoup plus précaire que le système Européen. Habituellement si nous regardons l’histoire passée, le système « à l’américaine » est plus rapide mais plus cruel, le système Européen est plus lent…, mais cela est une discussion longue et difficile à résoudre… » (un ancien-président de la CTC).

2. 5.- L’intervention de l’Etat et le système politique.

Les Gouvernements successifs dirigés par la « Concertation pour la Démocratie », alliance politique de centre-gauche, ont stimulé un dialogue social et ont essayé d’instaurer une institutionnalisation de la concertation sociale. Jusqu’à présent ces efforts ont échoué.

Pendant le premier Gouvernement de la « Concertation » (1990-1994), la CPC et la CUT ont signé des Accords Cadres (« Acuerdos Marcos ») avec l’intention de créer un climat de concertation sociale. Ces accords ont permis une augmentation des rémunérations minimales de 30% entre 1990-1993, un contrôle de l’inflation, l’augmentation de la productivité et une légère augmentation des pensions. Cependant il s’agissait principalement des déclarations de bonnes intentions de collaboration, d’analyse de certains problèmes d’intérêt commun (commissions techniques) (Relasur, 1994). Ces accords exceptionnels avaient surtout pour intention politique de contribuer à la transition démocratique que vivait le pays mais, au fond, ils n’avaient pas véritablement l’intention d’instaurer une institutionnalisation d’une concertation sociale stable. Par la suite, ces accords cadres n’ont plus été possibles. Il faut cependant relever que le Chili n’a jamais eu une expérience de concertation sociale entre les organisations syndicales, les organisations patronales et le Gouvernement dans son histoire (Cortázar, 2002).

Le deuxième Gouvernement, sous pression de la CUT, a proposé un projet de Réforme du code du travail (« Ley de Reforma Laboral ») afin de changer significativement la loi en vigueur depuis le régime militaire. Ce projet de loi proposé en 1995, maintes fois modifié, a été rejeté trois fois par la droite au Parlement. Il a été soumis à un processus de discussion et de négociation pendant environ sept ans. Ceci reflète clairement toute la difficulté et le blocage politique pour arriver à un accord dans ce domaine. Ce n’est qu’en décembre 2001 qu’une nouvelle Loi de « Reforma Laboral » a été approuvée, mais pratiquement vidée de son contenu original. L’année 2000, sous l’impulsion de l’actuel Gouvernement récemment élu, les employeurs, les travailleurs et certaines institutions de l’Etat furent convoqués pour

Page 263: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

263

discuter et arriver à un accord sur des matières sociales dans le Conseil de Dialogue Social (« Consejo de Diálogo Social »), constitué transitoirement pour l’occasion. Il a été plus facile d’aborder des sujets sur le chômage mais pas tellement sur les relations professionnelles.

S’il est vrai que la nouvelle loi permet des changements sur des sujets secondaires qui, bien sûr, améliorent la situation des travailleurs (le temps de travail journalier, les heures supplémentaires, le quorum minimum pour constituer des syndicats, le rôle de fiscalisation plus exigeant de l’Inspection du Travail, etc.), elle ne change pas des aspects fondamentaux qui puissent conduire à instaurer une concertation sociale stable (le caractère plus extensif de la négociation collective, changement sur le droit de grève, etc.).

Pendant ces six années, le Gouvernement a joué un rôle actif pour stimuler cette concertation. Le rapport entre le Gouvernement et la CUT n’a pas été toujours bon. L’organisation syndicale a été à maintes reprises beaucoup plus revendicative et radicale quant à leurs demandes et plusieurs fois a critiqué le Gouvernement, même si les courants politiques qui y sont présents sont presque les mêmes que ceux du Gouvernement.

L’alliance politique gouvernementale, la Concertation pour la Démocratie (« Concertación por la Democracia »), est composée par le Parti Socialiste (PS), la Démocratie Chrétienne (DC), le Parti Pour la Démocratie (PPD) et le Parti Radical Social-démocrate (PRSD). Dans cette alliance, la DC a été la force politique la plus forte, cependant ces trois dernières années elle a chuté fortement. Par contre, l’opposition politique de droite, est composée par l’Union Démocrate Indépendante (UDI), le parti le plus puissant de la droite et composé majoritairement par les sympathisants de Pinochet, et Renovación Nacional (RN). Dès l’instauration de la démocratie, la lutte politique est entamée entre la Concertation (les quatre partis mentionnés) et la droite (UDI et RN). Dans la dernière élection présidentielle (2000) les résultats ont été très serrés; l’actuel Président de la République, R. Lagos (PS) avait obtenu 51,3% des suffrages et lors des élections communales (municipales), fin 2000, la Concertation a obtenu 52% et la droite 40%. La Chambre des Députés est composée de : 23 DC, 20 PPD, 10 PS et Indépendants liés à la Concertation, au total, 60 représentants de la Concertation tandis que la droite politique est représentée par 30 UDI et 17 RN, au total, 47 représentants. Le Sénat, par contre, a encore des « Sénateurs désignés » -non élus par votation populaire directe-, un héritage de la période dictatoriale, ce qui fait du Sénat une chambre avec une démocratie biaisée.

La droite politique et la force patronal ont instauré un néo-libéralisme orthodoxe et profondément conservateur au niveau social, démocratique et moral. Ce libéralisme s’oppose en fait avec le libéralisme de l’Europe occidentale à caractère plus rationnel et social. C’est un néo-libéralisme inspiré, entre autres, de Friedrich A. Hayek. « C’est cette doctrine qui permet à la plupart de la droite chilienne de douter de la démocratie quand elle croit que celle-ci induit à une maîtrise totalitaire de l’économie. Elle justifie aussi idéologiquement la dictature de Pinochet, dont on reconnaît son caractère autoritaire au niveau politique, mais dont le caractère libéral au niveau économique est plus important pour un problème de valeurs. Cette union d’autoritarisme et libéralisme est sans doute ménagé au Chili par la force qui a le catholicisme traditionnel » (Larraín, 2001, p. 219).

L’Etat manifeste une participation active dans la réglementation des relations collectives du travail. Même si le Gouvernement stimule une relation bipartite des acteurs sociaux plus autonome de l’Etat, en pratique il s’agit d’une relation tripartite parce que les acteurs sociaux, tant du côté patronal que syndical, cherchent à ce que l’Etat, via le Gouvernement, tranche toutes sortes de différends à ce sujet. Ces dernières décennies, l’Etat ne participe que très faiblement au financement de politiques sociales du pays. Comme le montre le tableau 27, les dépenses de l’Etat en matières sociales et culturels représentaient, en 1999, environ 26,4% du PIB.

Page 264: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

264

Tableau 27

Chili : Dépenses de l’Etat (Gouvernement Général) (*)

(% du PIB) 1996 1997 1998 1999

Dépense totale 23,5 23,7 25,1 26,4

Source : Estadísticas de las Finanzas Públicas 1991-2000, Ministerio de Hacienda, Chile. Disponible sur : http://www.dipres.cl//ASP/estadisticas_financieras (consulté le 17.04.01)

(*) Gouvernement général = Gouvernement central+communes (municipalidades)

Comparativement, ces pourcentages de dépenses publiques sont très faibles par rapport aux budgets belges et Européens, ce qui fait dire aujourd’hui à un ancien parlementaire socialiste de l’époque d’Allende : « Le discours de Chirac ne s’éloigne pas trop du discours de Lagos, mais Chirac accepte un système dans lequel les dépenses sociales sont d’environ 45% du PNB ; au Chili, elles n’arrivent même pas à 18%. La charge fiscale, en France, est de l’ordre du 40% ; ici elle n’arrive pas au 20%. L’ensemble des impôts au Chili n’arrive même pas à la moitié de ce qu’il est en Angleterre et…même Margaret Thatcher n’a pas proposé de réduire les impôts jusqu’aux niveaux chiliens ; la Margaret Thatcher qui [a été] le symbole du néo-libéralisme mondial. Ce pays, évidemment, est tout près d’être un paradis fiscal » ( Altamirano, 2-6-2002, pp. : 8-10).

A ce sujet, les partis de la droite voudraient restreindre plus encore le budget et le rôle de l’Etat, pousser plus la privatisation des entreprises publiques (eau, gaz, électricité, etc.), tandis que l’actuel Gouvernement s’oppose à la privatisation des entreprises publiques restantes et voudrait augmenter le rôle social de l’Etat.

Il s’agit d’un pays avec d’importants contrastes économiques et sociaux, très divisé encore socialement et politiquement, une société très stratifiée en classes et secteurs sociaux, avec un fossé social entre riches et pauvres encore plus grand qu’auparavant, par conséquent, avec une faible cohésion sociale et une paix sociale très incertaine. « L’autoritarisme existe, bien sûr, mais ce n’est pas seulement affaire des chefs. C’est toute la société chilienne qui est, quelque part, comme ça. La société chilienne est une société de contrastes, de tous les contrastes, cela ne se voit pas seulement dans l’entreprise, non. Cela se voit partout. Si tu habites la commune de Las Condes61 et si tu vas à l’Université Catholique, ce n’est pas la même chose que dans d’autres Universités, etc. C’est une société tellement polarisée économiquement et socialement, tu le vois tout le temps. Dans les entreprises, il y a des distances et des vides entre les extrêmes … Pour moi, le Chili c’est le pays des extrêmes » (un cadre62).

Nous parlons d’une société avec une société civile faiblement structurée.

3.- Le marché du travail et la législation sociale

3. 1.- La qualification de la main d’oeuvre

Au niveau de la société, les dépenses de l’Etat en éducation et dans la formation des travailleurs donnent un indice quant à la qualification de la main d’œuvre. Dans cette période, 61 Quartier riche situé à l’Est de Santiago. 62 Un cadre belgo-hollandais qui a travaillé 6 mois à la CTC (stage) en 1999 et a vécu au Chili un certain temps.

Page 265: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

265

il y a eu une significative augmentation des dépenses publiques à ce propos (tableau 10, Ch. V). En 1996 les dépenses arrivent à 2,9% du PIB tandis que l’année 2001, à 3,6%. Cependant nous sommes loin du pourcentage moyen consacré par la Belgique dans la période, même si en 2001 il y a un dépassement.

En ce qui concerne la formation professionnelle des travailleurs, un programme gouvernemental destiné à stimuler cette formation, mise en oeuvre par le Service Nationale de Capacitation et Emploi (SENCE), existe depuis longtemps. Il consiste à exempter d’impôts (« franquicia tributaria ») les entreprises qui développent des programmes de formation pour leurs travailleurs, jusqu’à un montant correspondant à un 1% de leur masse salariale. Cette exemption d’impôts favorise beaucoup plus les travailleurs ayant des salaires et des formations plus basses.

Ce programme a été fortement stimulé par les Gouvernements démocratiques successifs et il a eu un accroissement tant en budget qu’en nombre de travailleurs bénéficiaires. Si en 1996 le montant investi arrivait à 80.629.572 EURO 63(52.102.830.000 pesos), en 2000 il arrivait à 105.151.247 EURO (67.948.740.000 pesos chiliens). Si en 1996, 483.310 personnes avaient été formées grâce à ce programme, l’année 2000 il y en avait 652.724. Par conséquent, si en 1996 le pourcentage des travailleurs formés par rapport à la force de travail occupée était de 8,53%, il était de 11,53%, en 2000 ( SENCE, 2000, tableaux 1, 2, 3). Cependant, jusqu’à l’année 2001, les entreprises utilisaient en réalité seulement environ 40% de cette exemption fiscale équivalent à 1% de la masse salariale. Nous constatons encore une assez faible participation à la formation et le manque de volonté de la part des employeurs à former leurs travailleurs.

A ce sujet, le Président de la CPC patronale reconnaissait que : « un pourcentage élevé de la force de travail chilienne n’est pas formée et environ 40% n’a pas fini ses études primaires… Des programmes de formation de ce type sont très développés dans certains secteurs tel que la banque, où chaque année on forme presque un 50% des travailleurs, tandis que dans d’autres secteurs tel que l’agriculture, notamment dans les PME (PYMES), seulement 3% des employés sont formés par an » ( Primera Línea, 2002).

Quant au secteur des télécommunications et à la perception qu’ont les employés de l’entreprise, nous observons qu’il n’y a pas eu de problèmes pour trouver les professionnels dont elle a besoin. « En général, il n’y a pas de problème avec la main d’œuvre, dans ce pays il y a des travaux en partenariat entre Université-entreprise et avec les fournisseurs. Par exemple, CISCO, Telefónica-CTC et INACAP (Instituto Nacional de Capacitación), sont arrivés à développer ensemble des programmes de formation avec des conceptions communes. Nous sommes en train de stimuler l’incorporation des techniciens des niveaux différents de ceux que nous avions traditionnellement, aujourd’hui nous essayons d’incorporer les meilleurs techniciens, c’est un changement qualitatif. Nous n’avons pas de problèmes. En ce qui concerne les télécommunications il y a une bonne formation ici, pour les profils que nous exigeons il n’est pas difficile de les retrouver » (un conseilleur d’une sousgérance)64.

3. 2.- La législation sociale

D’après la nouvelle loi de « Réforme du travail» approuvée en décembre 2001, la durée légale du travail est de 48 heures/semaine et elle sera de 45 heures/semaine à partir du 1er janvier

63 1 dollar = 549,27 pesos chiliens, au 24-05-02 1 dollar = 0.85 EURO, au 24-05-02 64 Gérant, en espagnol gerente, c’est le mot habituellement employé pour designer la plus haute autorité de l’entreprise ou d’une région, au Chili et en Amérique latine.

Page 266: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

266

2005 ( Ministerio del Trabajo y Previsión Social, 2002). Mais, en pratique, la durée du travail, en moyenne, est de 49 heures/semaine ; dans certains secteurs, tel que le commerce, l’industrie minière, encore plus. Le Chili est un des pays au monde où la quantité d’heures de travail est la plus grande. D’après la même enquête, en 1999 48% de la grande entreprise et 28% de la moyenne entreprise travaillaient le dimanche, ceci équivaut à 34,5% des travailleurs et signifie une légère augmentation par rapport à l’année précédente (Dirección del Trabajo, 2002). La différence de la durée du travail légal par rapport aux pays Européens est importante.

Au niveau de l’entreprise, la durée hebdomadaire de travail, par contrat collectif, est de 47,5 heures/semaine pour le rôle général, c’est-à-dire pour la majorité des employés. Pour les managers (« ejecutivos »), la durée hebdomadaire moyenne de travail est d’environ 50 à 55 heures/semaine.

Le salaire minimal a augmenté légèrement ces dernières années pour arriver, en juin 2001, à 163,2 EURO/mois (=105.500 pesos/mois). En 2001 une modeste assurance de chômage est approuvée, valable pendant 6 mois et sur base d’une capitalisation individuelle (Cortázar, 2002). Cependant, cette assurance de chômage est inédite dans l’histoire chilienne et représente une conquête sociale importante.

Le droit de grève et les libertés syndicales sont limités parce qu’ils sont insérés dans des cadres légaux plutôt contraignants pour les travailleurs. « La grève est individuelle et son exercice est soumis à une procédure… ; la volonté de ceux-ci [travailleurs] décide de la destinée de la grève, dans la mesure où on permet l’incorporation individuelle au travail, ce qui met en danger l’efficacité et la continuation de l’action de grève…L’ordonnance juridique chilienne accepte la grève de façon très limitée. La Constitution Politique ne la consacre pas comme un droit et parle d’elle de façon tangentielle. Le droit du conflit, en général, est contenu dans la norme constitutionnelle dans un sens négatif » (RELASUR. 1994, p. 140). Par conséquent, la grève est permise seulement dans le cadre de la négociation collective, c’est-à-dire tous les deux ans, exceptionnellement tous les 4 ans. La législation donne au travailleur ou au groupe de travailleurs des facultés individuelles de négociation et de désaffection du groupe négociateur pendant la période de grève, celle-ci peut durer maximum 30 jours. Après 30 jours la grève devient automatiquement illégale et les travailleurs perdent tout leur engagement légal vis-à-vis de l’entreprise. Une autre procédure existant est l’arbitrage fait par un tiers, normalement un fonctionnaire de l’Inspection du Travail, quand il n’y a pas d’accord entre les parties en conflit.

La nouvelle loi du travail a approuvé des progrès sociaux ponctuels mais n’arrive pas à modifier les contraintes concernant la grève. L’article 381 du Code du Travail donne toutes les facultés à l’employeur pour remplacer les grévistes. « L’employeur pourra embaucher des travailleurs qu’il considère nécessaires pour occuper les fonctions des personnes concernées dans la grève, à partir du 15ème jour de grève effective, ... » (Código del Trabajo, 2001, p. 56). De même, à partir du 15ème jour, les travailleurs peuvent opter pour la réintégration individuelle au travail. Si plus de la moitié des travailleurs impliqués dans la négociation le font, la grève doit prendre fin automatiquement ce jour là.

La législation sociale avait été taillée à la mesure du modèle socio-économique néo-libéral en application. Les idées-forces de cette législation étaient cohérentes avec l’intention de permettre au maximum le gain de profit à court terme ainsi que donner toute la liberté et le pouvoir à l’employeur pour gérer l’entreprise. Walker ajoute que ce modèle chilien comporte aussi : « La privatisation des moyens de production et de change, c’est-à-dire, considérer l’entreprise privée comme le moteur principal du développement, de même que la transformation profonde de la Sécurité Sociale, avec l’instauration d’un régime privé de pensions à travers les Administrations de Fonds de Pensions (AFP) sur la base d’une

Page 267: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

267

capitalisation individuelle et, dans le domaine de la santé, avec la création des Institutions de Santé Prévisionnelles ( « Instituciones de Salud Previsional », ISAPRES), comme une alternative privée dans ce domaine » (Walker, 2000, p. 65).

Le degré de conflits entre patrons et travailleurs semble faible, si nous considérons le nombre de grèves par an. Ceci ne signifie pas une amélioration substantielle des relations professionnelles mais reflète plutôt à la peur qui règne encore chez les travailleurs pour exprimer clairement leurs mécontentements et leurs demandes. Le cadre légal et de protection sociale, même s’il a été légèrement amélioré, est encore faible et insuffisant. Le nombre de plaintes faites auprès de la Direction du Travail pour le non-respect des normes du travail des employeurs a augmenté de 17,7% au cours du premier semestre de l’année 2001 par rapport à l’année dernière (Rioseco, 27-07-01).

La CTC, en étant une entreprise déclarée stratégique sous le Gouvernement militaire, n’avait pas droit de grève. Or, plusieurs conflits ont été résolus par la voie de l’arbitrage judiciaire et, paradoxalement, les syndicats ont ainsi obtenu quelques avantages salariaux inscrits aujourd’hui dans leurs contrats collectifs.

La perception des acteurs de l’entreprise, à ce sujet, diffère fortement entre eux. Ceci confirme le fait qu’il s’agit des aspects qui ne sont pas seulement techniques, mais liés à des valeurs et à de visions politiques différentes. « Du point de vue de la législation du travail je pense qu’elle est très peu flexible, nous avons là des entraves importantes pour faire des changements, par exemple, en général quand nous voulons changer un travailleur, il faut modifier des journées, il faut faire des mouvements du point de vue légal qui sont importants, il faut modifier les contrats individuels de travail. Nous ne pouvons pas baisser les rémunérations s’il n’y a pas des accords massifs, s’il n’y a pas des accords des contrats collectifs, … Il existe peu de dynamisme, peu de fluidité…Nous avons pensée des systèmes pour appliquer des demi-journées et des horaires flexibles dont aujourd’hui cette entreprise a besoin. En général, nous avons de rigidités non seulement dans la compagnie, mais au Chili» (un gérant des Relations Professionnelles).

Un autre sous gérant ajoute : « Alors les gens ne vont pas partir en grève s’ils n’ont pas la certitude de gagner, par exemple, face aux licenciements, parce que toutes les conditions existent pour que les travailleurs échouent. La Loi du Travail continue à être, dans ce sens, défavorable aux travailleurs, elle offre peu de possibilités de manœuvre et, en deuxième lieu, s’il y a des syndicats faibles ils ne vont pas arriver à l’illégalité s’ils n’ont pas la certitude que leur syndicat va leur protéger… Au fond, le problème aujourd’hui est que, quand l’entreprise décide de faire quelque chose, elle peut le faire sans les syndicats, et ça c’est mauvais parce que cela provoque chez les travailleurs des sentiments d’abandon, de rancœur, de découragement, qui n’a rien à voir avec la motivation dont a besoin une entreprise comme celle-ci… ».

4.- La culture nationale

Nos observations comparatives se font toujours par rapport à la culture belge et celle-ci est analysée tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise.

4. 1.- L’autorité et rapports hiérarchiques

Au cours de ces dernières années l’entreprise a diminué ses niveaux hiérarchiques pour favoriser évidemment une prise de décision et une communication plus rapide tout au long de la ligne hiérarchique. Mais ceci ne signifie pas nécessairement qu’il y ait un rapprochement

Page 268: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

268

du rapport hiérarchique entre chef et subordonné parce que cela tient à des habitudes culturelles qui restent présentes. En général, il y a encore un énorme respect du chef, de l’autorité, des lois et des normes. La distance hiérarchique s’installe facilement entre chef et subordonné D’autre part, il y a une forte présence de l’autoritarisme et du paternalisme dans les relations hiérarchiques.

Tant l’expérience de monopole que de la période dictatoriale ont certainement influencé ces pratiques, mais elles tiennent à des racines culturelles plus lointaines. L’idée affirmant que l’autoritarisme provient de la période dictatoriale est fausse et réductrice. « Je crois qu’il y a encore une forte prédominance des pratiques autoritaires et paternalistes. Elles sont « les deux faces d’une même pièce». Les relations paternalistes sont des relations avec le « papa aimable » et bon homme, mais le papa, …et la relation autoritaire c’est celle avec le « papa fâché », qui dit : « moi je suis le papa et maintenant tu te tais»…Je suis convaincu que, malheureusement, nous vivons insérés dans une société profondément autoritaire et profondément paternaliste et il y a des gens qui ne savent pas vivre sans « père » ni sans une autorité qui lui donne la permission pour faire certaines choses » (un sous gérant).

En 1998, après un Bilan Social réalisé auprès de tout le personnel, la revue « Noticiero CTC » publiait les résultats et la perception du personnel sur leurs chefs qui était franchement négative. « Ils donnent seulement des ordres et des instructions, ils ne s’engagent pas avec leur équipe, ils sont inflexibles, autoritaires, incapables d’ouvrir des espaces de conversation, peu transparents, peu crédibles. C’est comme ça qu’on voit actuellement les chefs dans la CTC » (« Noticiero CTC », 1998, p. 2). Cette situation a changé quelque peu, bien sûr, compte tenu des successives campagnes de formation de leaders entamées par l’entreprise, il y a un discours managérial très explicite à ce sujet pour corriger ces aspects. Force est de constater que le discours n’est pas toujours suivi par une pratique conséquente, loin de là.

« Pour comprendre Telefónica-CTC il faut se référer au contexte historique, nous avons un héritage historique. Celle-ci a été une entreprise très paternaliste où les responsabilités sont partagées parce qu’autant les gens ont été habitué à ce que l’entreprise leur donne tout, autant l’administration dans sa façon d’agir a alimenté cela. Maintenant l’objectif est d’éliminer tout ce paternalisme. Nous avions une culture de monopole avec un très fort paternalisme, où l’entreprise « me donne », elle « m’envoie aux cours », elle « me donne une carrière », elle « m’indique où je dois aller », etc. Je crois que cela, dans les temps que nous vivons, c’est fini … D’autre part, je crois qu’il y a encore des chefs autoritaires, des chefs qui continuent à être peu respectueux vis-à-vis de leurs collaborateurs, non seulement au niveau opérationnel mais aussi au niveau professionnel. La façon dont les chefs traitent les personnes, parfois ça me choque … alors, ici on voit se refléter encore cette idée du chef qui ordonne et pas celle du chef qui collabore et oriente le travail de son personnel. Ceci je crois que c’est une culture enracinée aussi à la culture du pays » (une sous gérante DRH)).

Dès l’époque du monopole, l’entreprise s’occupait beaucoup du bien-être des travailleurs, même des problèmes sociaux de leur famille, en complétant les déficiences de l’Etat en ce qui concerne la sécurité sociale, ce qui objectivement a stimulé ce paternalisme. Le paternalisme est un héritage historique de l’entreprise mais il est aussi répandu dans toute la société. Au-delà du discours critique visant leur disparition, il est au fond alimenté encore par certains dirigeants.

De même, l’autoritarisme est un phénomène culturel très présent. Pendant la période dictatoriale la conception autoritaire a pénétré plus profondément tous les aspects de la vie sociale. Non seulement à travers la régulation imposée du marché aux comportements des individus mais aussi favorisée par le manque de démocratie, par la peur, par la logique d’individualisation et de privatisation, etc. Il y a eu un processus d’imposition de la discipline dans tous les domaines de la créativité et des institutions sociales. Dans le monde du travail et

Page 269: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

269

de la production, il y a eu une discipline de contrôle du travail avec le but d’un maximum d’utilité et d’obéissance de la part des travailleurs à travers des mécanismes tels que le fonctionnement du marché du travail dans des conditions de monopole et de haut chômage, la répression et l’atomisation des organisations syndicales et sociales, l’augmentation de la sélectivité éducationnelle, l’augmentation de la stratification de la force de travail, le fort endoctrinement idéologique (Brunner, 1981).

En général, la haute direction est consciente de l’autoritarisme et essaie de provoquer des changements culturels à travers des formations sur le leadership moderne. Même si tous les managers ne peuvent pas être qualifiés d’autoritaires, n’empêche qu’il s’agit encore d’une tendance dominante dans la vie de l’entreprise et de la société. « Ce que le chef dit, ça ne se discute pas, il existe une tendance à ne pas contredire le chef. Celui qui ose contredire le chef, très probablement il aura un quelconque « problème » après, peut-être une sanction ou un transfert à un autre endroit où il « dérange » moins, etc.… L’autoritarisme donc c’est un abus d’autorité. Le chef ordonne et point. Nous avons introduit les Cercles de qualité ici mais « à la manière Chilienne ». Ici, ce sont les chefs qui in fine prenaient les décisions ; il n’a pas eu une relation égalitaire de discussion et de participation, non, ça c’est très difficile. Nous avons essayé de le faire, avec beaucoup de succès au début, mais il résulte qu’à la fin les chefs ne prennent pas en compte le travail des gens, alors cela n’avait pas de sens. La cause ? cela tient au style de leadership, à la culture hiérarchisée, à prendre les gens comme des enfants et ne pas reconnaître leurs apports » (une ex-gérante DRH).

Des études réalisées par les Consultants Spencer Stuart et Hay Group confirment ce que nous venons de dire quant à que les chefs chiliens se font remarquer par leur autoritarisme et le manque d’initiative. « Leur relation avec leur subordonné est assez disciplinaire et autoritaire… il fait partie de la relation « avoir peur du chef » parce que ça fait partie du système disciplinaire. Il y a une relation de respect et de peur beaucoup plus forte que dans d’autres cultures » (Valeria, 2001).

Autre caractéristique liée à la relation hiérarchique c’est qu’on est très sensible à « ce qui disent ou pensent les gens », cela est accompagné d’une énorme peur du ridicule, de perdre la face, peur de prendre des risques. Il y a une préoccupation permanente de ce qui disent les autres, de ne pas faire de faux pas parce qu’on s’exposerait à la « rigolade de tout le monde ». Ceci entraîne souvent une attitude « plate », de mimétisation dans la foule, de ne pas se distinguer ni pour le bon ni pour le mauvais, on crée une attitude dominante à s’adapter aux faits.

De même, un certain blocage et pression, par des commentaires ironiques et démotivants, une sorte de « tiraillement vers le bas » (el « chaqueteo »), s’exerce contre les personnes qui montrent une certaine distinction et capacité à se détacher du groupe. « Le Chilien a encore trop peur du ridicule. Il s’adapte tout le temps, il veut être toujours bien, garder sa bonne image, il n’assume pas ses propres erreurs, il a du mal à dire « oui, j’ai commis une faute, réellement » («si, me caí realmente »), c’est la peur de la honte, la honte de reconnaître qu’il a commis une erreur ; c’est fou, il y a une peur trop grande de cela, mais ceci t’empêche de te développer, d’assumer ta peur, de prendre des risques. La culture chilienne est une culture réactive, réagir aux faits mais ne pas les prévoir… la réaction signifie attendre que celui qui est en face tombe pour seulement après réagir, signifie ne pas prendre en charge les choses … C’est pour cela qui n’existe pas tellement un vrai leadership ici » (un ingénieur).

Par conséquent, il y aura une tendance à un certain « attentisme », à ne pas anticiper les faits. Il est plus difficile de voir apparaître les leaders, de promouvoir un leadership moderne, ouvert et participatif.

Page 270: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

270

4. 2.- La conception du pouvoir

Le pouvoir est quelque chose qui a une importance considérable dans la vie sociale et au travail. Le pouvoir est fortement personnalisé, il est associé à une supériorité personnelle et donc à la reconnaissance sociale et au cortège des courtisans. Dans la possession et l’exercice du pouvoir, il n’y a pas tellement de la modestie mais plutôt de la vanité et le besoin de le montrer à travers des attitudes et des symboles exagérés; en même temps, il y a de la méfiance vis-à-vis des autres.

Dans l’entreprise, les chefs avec du pouvoir ont du mal à le partager, en conséquence, mettre en route des méthodes de gestion et des projets qu’impliquent une perte de pouvoir est quelque chose qui, au-delà du discours théoriquement correct, est difficile à accepter. « L’échec des Cercles de Qualité dans l’entreprise a un rapport avec la culture hiérarchisée… Le Cercle de Qualité signifiait une perte du pouvoir des managers. Si tu donnes aux gens le pouvoir d’aller au Cercle de qualité pour parler, pour dire comment il faut le faire, pour partager avec les autres et d’accepter qu’ils proposent une façon différente de faire les choses, alors cela signifie une perte de pouvoir pour les managers. Par conséquent, c’est non, jusqu’à là, non. Donc il n’y a pas une gestion participative… Les Chiliens sont habitués à l’autoritarisme et aiment avoir du pouvoir, cela fait partie de la culture chilienne. Par malheur, les gens adorent les gens qui commandent, qu’il existe d’autres qui prennent les décisions pour moi, c’est super commode ; c’est comme ça que nous sommes éduqués dès le jeune âge » (une ex-gérante du département gestion du personnel).

Dans le langage de de Woot (1998), nous constatons ici des traits typiques du pouvoir de domination.

4. 3.- La liberté et l’autonomie

La liberté et l’autonomie, deux pratiques très proches, dépendront du type de travail, du département, du leadership : « Je pense que la liberté et l’autonomie n’existent presque pas ou pas du tout, ça dépend des départements et des managers aussi…Cette entreprise a été et est encore très respectueuse de la hiérarchie, les personnes ont très peu de marge de liberté pour agir. Tout est normalisé, standardisé, il y a très peu d’aires qui peuvent avoir de marges de liberté, tels que les aires d’appui, tel que l’aire de marketing, de communications, R. H., les aires de développement, de gestion stratégique, etc. où il y a plus de liberté pour faire de propositions, etc. Mais ces aires sont rares, en plus il est mal vu être trop critique, parce que les gens n’ont pas l’habitude, ce n’est pas dans la culture, en général le gens obéissent, ils ne sont pas là pour penser, ce sont les chefs qui pensent » (une ex-gérante du département gestion du personnel).

Parfois, il arrive que, même si le manager ouvre la possibilité d’une plus grande liberté et d’autonomie, il y a des gens qui ne profitent pas de la possibilité de prendre cette autonomie : « Ils ne rentrent même pas « par la porte qui est ouverte ». Je pense que les gens s’adaptent à l’endroit où ils sont, restent tranquilles, ils pensent à l’argent, ils ont peur de perdre leur travail par conséquent s’adaptent …Il n’est pas évident que les gens aimeraient plus d’autonomie, ça dépend beaucoup du chef, ils ont peur du risque, donc ils délèguent au chef les décisions et obéissent » (un ingénieur).

Dans ce contexte et dans ce conditionnement culturelle des pratiques du travail, il est difficile de pratiquer, par exemple, l’empowerment ou le coaching.

Il serait erroné de dire qu’il n’y a pas eu de changements culturels dans l’entreprise mais aussi de dire qu’ils ont été extraordinaires. Les multiples plans de formation et l’application des nouvelles techniques de management avaient comme objectif de stimuler certains

Page 271: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

271

changements, les uns plus réussis que les autres. Malgré ces efforts, ces pratiques liées à de tels traits culturels restent très présentes parce que parfois il y a une application mécanique des techniques managériales et de GRH étrangères sans prendre souvent en compte les caractéristiques propres de la culture ni du contexte social nationaux. Quelques programmes ne suffisent pas pour effacer les traits d’une culture nationale.

Nous complétons nos observations empiriques avec d’autres sources et d’autres approches.

Le moule culturel chilien a ses racines historiques lointaines -malheureusement encore très peu étudiées- et il n’est pas un hasard historique.

Cette matrice culturelle ou identitaire explique, en grosse partie, les phénomènes de l’autoritarisme, du paternalisme, du pouvoir de domination, du légalisme, mais aussi du machisme, de la fascination avec l’étrangère ou du racisme caché (Larraín, 2001 ; Mella et Stoehrel, 1999 ; Godoy, 1976). Ces dernières caractéristiques ne étant pas analysées dans le cadre de ce travail.

En général, la culture chilienne a été construite par l’apport et la convergence, à l’époque coloniale, principalement, d’une part, de l’influence culturelle espagnole et de la religion catholique et, d’autre part, de l’influence culturelle indigène et sa religion ou cosmovision. Par la suite, cette culture a reçu également une forte influence culturelle et des courants de pensées venant de l’Europe, notamment d’Angleterre, d’Allemagne et de France, et au XX siècle, une influence des Etats-Unis également.65

De l’Espagne catholique, avec l’esprit de la chrétienté médiévale des premiers colonisateurs, on héritera un fort centralisme monarchique, une conception de vasselage de l’homme (vasselage vis-à-vis de la divinité et du Seigneur-patron) et une dévalorisation de l’activité économique et du travail productif. « Une primauté de la recherche de biens symboliques de la « seigneurie », de l’honneur, de la noblesse, du prestige social -avec lesquels glorifier sa propre personne- plutôt que l’aspiration d’augmenter les biens matériels ou les savoirs autour d’eux -valeurs objectivables, séparées des personnes qui les produisent- à travers les activités économiques, techniques ou discursives » ( Ramos, 1988, p. 157). Les colonisateurs espagnols catholiques ont eu une plus grande attirance pour le pouvoir politique que pour les affaires et la création d’entreprises. Ils ont construit des centres de pouvoir plutôt que des centres économiques, à la différence de la colonisation anglo-saxonne aux Etats Unis. Un autre auteur affirme : « Le travail, la passion pour l’argent ou l’accumulation au-delà de ce dont on a besoin pour la subsistance étaient moralement réprouvés. Les valeurs importantes étaient celles de l’esprit, de l’honneur ou de la gloire et pour longtemps les institutions les plus solides et influentes de la civilisation occidentale furent celles d’origine spirituelle, telle que l’Eglise Catholique, et les plus grandes constructions n’étaient pas des bâtiments de bureaux ni d’usines mais des cathédrales, des palais et des musées » ( Huneeus, 1984, p. 41).

D’autre part, l’héritage indigène du travail est fondé sur la réciprocité symbolique avec les cosmos. Dans les différentes cultures indigènes -aztèque, maya, inca, mapuche, etc.- prédominent comme principe qui guide l’action du travail la sacralisation du cosmos et la pleine intégration de l’individu à la communauté et de la communauté à la nature. Le travail a donc un sens communautaire et religieux, le travail n’est pas un fait individuel mais il se réalise à travers les liens communautaires. Il n’y a aucune pression à l’intensification ou à une plus grande productivité du travail puisque ce n’est pas nécessaire ; le travail et la récréation, l’activité du travail et l’activité festive ne sont pas séparées, mais étroitement mêlées au cours 65 Nous optons pour une approche hybride ou métissée de la culture et de l’identité chiliennes et latinoaméricaines. Nous sommes conscients que notre vision est incomplète et résumée. Nous sommes conscients aussi de l’existence de plusieurs interprétations à ce sujet telles que : l’hispaniste, l’indigeniste, la militaro-raciale, la religieuse, la psychosociale, etc., mais qui, à notre avis, sont trop réductionnistes et partielles. Voir à ce sujet J. Larraín (2001).

Page 272: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

272

de la journée quotidienne. Il se développe une pensée analogique, une pensée à caractère symbolique dans laquelle il n’y a pas de conception abstraite du temps.

Pendant des siècles, tant la culture comme les nouvelles institutions ont fusionné les éléments socioculturels espagnols et indigènes. Donc, le développement socio-économique et la modernité ont acquis d’autres particularités.

Une interprétation religieuse qui a encore de l’influence (Larraín, 2001) affirme que dans la culture chilienne et latino-américaine existerait une opposition entre deux modèles culturels différents : « L’Européen rationnel éclairé et le latino-américain, baroque ou symbolique-dramatique. Le premier croit fermement à la raison instrumental, c’est-à-dire, à la raison comme un moyen pour maîtriser la nature et obtenir le progrès matériel. Le second suspecte de la raison instrumental et il a un rapprochement esthético-religieux à la réalité, ce qui pourrait s’appeler une « rationalité de la sagesse » (« racionalidad sapiencial »). Le modèle rationnel éclairé privilégie un discours abstrait et conceptuel et fait appel à la raison ; le modèle symbolique-dramatique privilégie les images, les représentations dramatiques et les rites et fait appel à la sensibilité » (Larraín, 2001, p. 69).

C’est encore une autre vision partielle mais qui apporte un autre éclairage.

Certaines institutions, telle que « l’hacienda »66, ont contribué à développer une relation sociale de servitude, d’obéissance, de vasselage du travailleur vis-à-vis du Seigneur, avec la bénédiction morale et religieuse de l’Eglise catholique, qui s’est perpétuée tout au long de l’histoire. D’abord, c’était le vasselage du paysan indigène, puis du « peón » agricole, après de l’ouvrier vis-à-vis de la domination du Seigneur, de l’« hacendado » et du patron, respectivement. Le Seigneur avait tant une domination sur les propriétés terriennes que sur les hommes, il donnait une protection sociale ( santé, logement, nourriture, etc.) en échange de la loyauté et de la servitude des personnes sous sa tutelle. C’est bien la sécurité économique et sociale du subordonné et sa famille en échange d’une loyauté et obéissance sans failles au patron. A partir de ces racines, il sera facile pour les patrons de consolider leurs habitudes de privilèges et leur puissance tant du point de vue économique que culturel et symbolique, cette élite n’épargnera pas son effort pour marquer son autorité, son pouvoir ainsi qu’une forte différenciation sociale présents jusqu’aujourd’hui ( Cantoni, 1972 ; Rivet, 1963).

Le fait que le colonisateur espagnol n’a jamais établi une relation d'égalité avec les peuples et cultures indigènes ; la formation du système du patriarcat et de l’image d’un père guerrier, violent, arbitraire, possédant tous les droits (image transmise par générations) ; l’existence d’un pôle culturel indo ibérique qui accentuait le monopole religieux et l’autoritarisme politique (autoritarisme politique légitimé par l’Inquisition pendant la période Coloniale), ont créé également les bases de cette culture et expliquent cette logique autoritaire, inégalitaire, du respect à l’autorité et machiste (Larraín, 2001 ; Cantoni, 1972 ; Rivet, 1963).

Quant au respect aux principes, aux lois et aux normes, il y a une façon très formelle et particulière de les respecter. Elles sont respectées formellement mais ne s’exécutent pas en pratique si elles nuissent les propres intérêts.

Au-delà des évolutions, ces racines socioculturelles sont encore fort ancrées dans la culture chilienne et elles ont contribué à construire cette forte relation dominant-dominé, cette forte distance hiérarchique, l’autoritarisme, le paternalisme, etc., dont nous avons parlé. Le manque de démocratie pendant de longues années a aussi contribué à la pérennisation de ces caractéristiques. Nous constatons donc que cette culture latine chilienne avec ces traits 66 Grande propriété foncière née autour de 1600 dans les colonies espagnoles à forte population indigène. L’hacienda employait une main-d’œuvre de péons théoriquement libres mais attachés à la terre par un endettement héréditaire. Elle a été la structure économique et sociale dominante jusqu’aux réformes agraires du milieu du XXème. siècle (Cantoni, 1972 ; Rivet, 1963).

Page 273: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

273

évoqués - traits différents à ceux de la culture belge ou nord-américaine-, s’imbrique de préférence avec un management plutôt classique et avec des pratiques de GRH objectivantes.

Section II : CONTEXTE INTERNE

Nous examinons à présent les variables du contexte interne, à savoir : les configurations organisationnelles et les stratégies d’entreprise.

1.- Les configurations organisationnelles

Comme nous l’avons fait pour l’autre entreprise, nous nous consacrons à étudier notamment la téléphonie fixe. L’entité considérée est la maison mère Telefónica-CTC S.A., dont le siège est à Santiago.

1. 1.- La division du travail

- La division horizontale du travail entre les opérateurs de la base est encore forte. Les métiers restent cantonnés dans leurs spécificités techniques. Ainsi la nature du travail, les procédures, les compétences qu’on retrouve chez un électricien ne sont pas les mêmes que celles retrouvées chez un jointeur ou chez un informaticien.

Au cours de la période qui nous intéresse, il y a eu des efforts importants pour simplifier l’organisation du travail et l’organisation en générale.

En 1995-1996, il y a eu une restructuration profonde des postes de travail et un nouveau système de postes a été instauré. Il a signifié la transformation de 1.500 postes (pour un total d’environ 10.000 personnes) en un nombre plus restreint de 200 postes. Avant, par exemple, dans la fonction commerciale il y avait 5 postes similaires mais avec des responsabilités et des rémunérations différentes, ce qui signifiait une importante dispersion. Le système a été simplifié et des fonctions génériques plus larges ont été créées en incluant plusieurs niveaux de compétences. C’est la période de transition d’une activité plus électromécanique à une activité plus digitale. « De ces 1.500 postes nous sommes passés à 200 postes et nous avons profité pour définir des postes d’une plus grande envergure. Dans chaque poste nous avons distingué au moins quatre ou cinq niveaux de compétences et nous avons mis dedans la gestion de compétences… Ils sont devenus des postes génériques et dans chaque poste, il y a toute une évolution de compétences, une précision des compétences et une évolution des rémunérations…Dans les différents postes, le gros des travailleurs ne passait pas du deuxième niveau de compétences parce que nous avons mis plus de poids dans chaque poste, nous avons commencé à privilégier un peu la multi-fonctionnalité… » (un ex-vice-président de R.H.). Ceci a été un bouleversement important pour la compagnie, un travail considérable de simplification, une sorte de rassemblement des fonctions à l’intérieur d’une même famille, mais des familles professionnelles de base ( les électriciens, les informaticiens, etc.) restant intactes.

Au milieu de 2001, une autre avancée a eu lieu dans ce processus d’élargissement des fonctions et de la polyvalence des travailleurs, mais dans le cadre limité des compétences d’un certain nombre de travailleurs. « Nous évoluons vers des travailleurs polyvalents, par exemple, dans le cas des techniciens qui doivent rentrer dans les maisons des clients pour des réparations. Aujourd’hui nous sommes en train de faire en sorte qu’ils soient capables aussi

Page 274: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

274

de vendre ; une expérience naissante au milieu de 2001…. Mais elle n’est pas tout à fait définitive. Autrement « vers le haut » la division continue d’être très spécifique, par fonction » (un sous gérant ).

Un assistant de direction ajoute: « Avant dans Telefónica-CTC existaient des spécialités par technologies. La personne qui voyait la technologie NEC ne voyait pas la technologie ALCATEL. Aujourd’hui nous sommes en train de décentraliser ces compétences de telle façon qu’un technicien puisse voir plusieurs technologies en même temps, ceci est un exemple concret … ça permet aussi aux travailleurs d’avoir une plus grande employabilité…. Mais les contrats de travail ne précisent pas ces détails, ils sont plus généraux, en tout cas dans l’aire technique ».

Malgré ces tendances, la division horizontale du travail est encore forte.

- La division verticale du travail peut induire en erreur si nous considérons la diminution des niveaux hiérarchiques de l’entreprise. Indiscutablement, au niveau de la structure elle a été aplatie. De 8 ou 9 échelons hiérarchiques existants il y a 5 à 6 années, restent 4 niveaux (5 si on considère le niveau de coordination). Cependant, la division entre ceux qui conçoivent et dirigent et ceux qui exécutent et obéissent reste nette et importante. « Je dirai que la division verticale n’est pas nécessairement trop nette, il n’est pas tellement marqué la ligne [hiérarchique] parce qu’aujourd’hui nous avons pratiquement 4 niveaux dans l’organisation. Cependant, le corps d’ingénieurs continue à avoir un degré d’expertise importante, bien sûr, notamment dans les domaines des réseaux (« redes ») … Les ingénieurs non seulement programment, mais ils se consacrent aussi à la planification tactique et stratégique, au développement des nouveaux modèles de gestion » (un sous gérant ). A la fin de l’année 2001 et au début de l’année 2002, on a intégré 2 techniciens de terrain, des techniciens formés dans des Instituts mais avec beaucoup d’expérience de terrain, à l’aire du développement de technologie pour travailler ensemble avec les ingénieurs, s’enrichir de ces expériences et explorer des innovations futures.

Une autre approche suggère l’idée que les restructurations ne questionnent pas les degrés de pouvoir que les managers veulent toujours garder : « Ce management continue à adapter à ses fins la structure de l’entreprise, elle est essentiellement organisée autour de fonctions et pas autour de processus et, par conséquent elle ne développe pas de processus qui d’une façon ou d’une autre mettraient en question la structure de pouvoir interne » (un dirigeant syndical ).

Il y a 5 ans tous ces processus d’élargissement de fonctions ou de flexibilisation n’étaient pas encore concevables.

Malgré les tendances et les expériences développées à titre exploratoire il y a encore une nette division verticale.

L’entreprise a vécu plusieurs restructurations, elle vit dans des restructurations permanentes. En 1998, un important changement de structure a eu lieu avec l’objectif de servir le mieux possible les clients, de rapprocher l’entreprise des clients et offrir un service plus performant. Plusieurs Vice-présidences ont été supprimées, l’entreprise a été décentralisée et 38 Centres d’affaires (« Centros de Negocios ») mis en fonction dans tout le pays, en leur donnant une autonomie relative pour gérer leurs affaires. L’entreprise est composée de 7 Unités d’affaires. En 2001, autre restructuration organisationnelle importante, voit la fusion d’une série d’unités d’appui donnant naissance à une filiale autonome : le Centre de Gestion de Services Partagés (« Centro de Gestión de Servicios Compartidos-GSC») afin de générer des économies d’échelle et plus d’efficacité et de qualité dans les services opérationnels offerts. Cependant, ces restructurations répétitives n’arrivent pas à modifier les divisions du travail dans le sens où nous l’analysons.

Page 275: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

275

1. 2.- La coordination du travail

Il y a principalement deux types de modes de coordination : la standardisation de résultats et la supervision directe.

Avant, la supervision directe était beaucoup plus présente et la standardisation de résultats en peu plus lâche.

Au début de l’année 2000, l’entreprise a commencé à appliquer la gestion par résultats dans les aires technique et commerciale, atteignant plus ou moins 50% des travailleurs. Le modèle voulait implanter une approche plutôt de processus qu’une gestion hiérarchique ou par unités. Pour offrir une meilleure attention aux clients, dans le cas de la téléphonie résidentielle, est mis en place un travail mieux coordonné et plus efficace dans les habitations des clients. Il y a deux fonctions clés : le manager de clients ( « Ejecutiva Gestión de Clientes- EGC ») et le Technicien d’attention aux Clients (« Técnico Atención de Clientes- TAC »), ils sont les responsables de tout ce qui concerne les clients. L’entreprise a défini 4 indicateurs transversaux communs aux deux fonctions et, en plus, des indicateurs spécifiques pour chaque fonction. Pour la EGC, par exemple, le nombre de plaintes par le nombre de clients, les recettes obtenues, etc. ; pour le TAC, le nombre de plaintes techniques, etc. : « Nous mesurons, évaluons et payons tous les trois mois. Il y a 4 indicateurs communs, après il y a des indicateurs plus spécifiques pour chacun. Alors, à travers les indicateurs, nous voulons attaquer des processus et mesurer des résultats finaux, mesurer des coordinations pour les processus et, en fin, récompenser s’il y a de bons résultats et cela serait la rémunération variable » (un sous gérant DRH).

La maison mère (pour la téléphonie fixe) vient de transformer, en bas de la structure, la supervision par une coordination. L’idée est de coordonner plusieurs types de techniciens dans un rôle plutôt de collaborateur que de chef hiérarchique, mais dans le Call Centers reste encore le superviseur. A Telefónica-CTC les Call Centers sont totalement séparés de la maison mère et font partie de la filiale ATENTO avec un management autonome, ce qui n’est pas du tout le cas à Belgacom.

Ainsi, dans le Call Center de Santiago-Centro, qui fait partie de l’entreprise ATENTO, il y a aujourd’hui 1 superviseur pour 20 téléopérateurs. Tous les Call Centers du pays sont réunis dans l’entreprise ATENTO, qui fait partie aussi de la multinationale régionale ATENTO (Espagne) présente dans plusieurs pays latino-américains. ATENTO vient de se créer il y a trois ans (1999), leur management est différent à plusieurs égards et seulement maintenant aura sa première négociation collective.

1.3.- Les buts

Tant les buts de système que les buts de mission sont pris en compte par l’entreprise.

L’amélioration permanente de la qualité des produits et des services offerts aux clients, la diminution des prix dans certains domaines, l’engagement auprès l’Etat de prêter un service public à toute la population, témoignent des buts de mission que l’entreprise a réalisés et poursuit. Cependant, les doutes commencent à envahir l’entreprise : « Aujourd’hui nous avons une discussion interne pour évaluer si nous devons avoir autant de responsabilité sociale auprès du pays. Ainsi par exemple, la téléphonie rurale que nous développons – où les autres n’arrivent pas- est une mauvaise affaire pour nous, l’Internet gratuit pour les écoles du pays à travers le Programme « Telefonía 2000 »… Nous doutons parce que nous n’avons pas de récompense, nous n’avons pas de reconnaissance. Jamais nous avions eu des taxes si élevées comme maintenant» (un vice-président de régulation).

Page 276: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

276

D’autre part, si nous considérons les buts de système on observe qu’il y a eu une augmentation permanente de l’efficience, par exemple, les lignes par employé ont monté de 291, en 1996, à 845, en 2001, une externalisation de certaines fonctions et, dans ce cadre, la constitution de la filiale Centre des Services Partagés, des plans de préretraites et des licenciements massifs en 2001 pour sortir des « chiffres rouges », etc., autant d’actions qui obéissent à cette préoccupation principale.

Au cours de cette période, notamment ces trois dernières années, les buts de système prévalent sur les buts de mission.

1.4.- La localisation du pouvoir des acteurs

Dans la « période de croissance et de changements en douceur » (1996-1998), le pouvoir était localisé surtout dans le chef du Gérant général et leur Comité Directif (haute direction), après l’actionnaire majoritaire (espagnol), le Président, Vice-président RH, la ligne hiérarchique et les organisations syndicales.

Par contre, dans la « période d’échecs, de conflits et de licenciements » (1999-2001…), les pôles de pouvoir ont changé un peu. En 2001, le centre de pouvoir plus important c’est le Président du Directoire (« Directorio ») qui a été nommé avec de pleins pouvoirs pour redresser la situation financière de l’entreprise, il participe aux réunions du « Comité Directivo » et il s’engage aussi dans les affaires courantes. Ensuite, le pouvoir se repartit, à peu près dans cet ordre, entre l’actionnaire majoritaire, le Gérant général et le Comité Directif, la ligne hiérarchique, le corps d’ingénieurs et, en fin, les organisations syndicales, dont le pouvoir d’influence a fortement diminué.

En général, il s’agit encore d’une organisation fondamentalement de configuration bureaucratique, avec une prédominance, ce dernier temps, des buts de système.

2.- Les stratégies

2. 1.- La stratégie de diminution des coûts

Elle a été toujours présente dans la préoccupation de l’entreprise, mais au début de la période, elle restait dans un certain équilibre avec la stratégie de la qualité.

En 1997, le Gérant général de la CTC impulsa un Projet pour le Changement (« Proyecto de Cambio ») dont l’objectif était de modifier la culture interne de l’entreprise pour que celle-ci soit davantage tournée vers la satisfaction du client. En fait, ce « Projet pour le Changement » regroupa trois projets distincts :

- le Programme de Qualité Totale, initié en 1995,

- le Projet de Réingénérie ou le BDA (Business Design Associates)

- le Programme de la Gestion des Ressources Humaines plus rationnel.

En 1996, le Gérant général adopta le « Projet de Réingéniérie » mis en place par le Consultant Business Design Associates (BDA),67 qui voulait changer profondément la culture et la gestion de l’entreprise pour l’adapter aux attentes de leurs clients.

67 Dirigé par F. Flores, expert chilien réputé en communication. Docteur de l’Université de Berkeley, USA.

Page 277: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

277

Ce programme BDA poursuivait les objectifs suivants : l’anticipation de la concurrence, la satisfaction des clients par le biais d’une offre de services transparents, économiques, rapides et efficaces, la préservation du bien-être et de la qualité de vie des employés, la création de la valeur pour les actionnaires, de la valeur pour l’entreprise (augmentation de la productivité) ainsi que de valeur symbolique (améliorer l’image de la CTC). Mais, en résumé, le programme de réingéniérie pouvait se résumer en deux grands objectifs : la création de la valeur (augmentation des bénéfices, diminution des coûts, etc.) et une meilleure satisfaction de la clientèle. C’est un programme qui a duré plus de 2 ans. En 1996, la haute direction avait demandé au Cabinet BDA de faire un premier audit des processus de base de la compagnie, elle avait installé un Comité de Direction du projet de Réingéniérie composé de 16 « cadres » supérieurs chargés de piloter le programme.

A l’époque la situation économique de la CTC est excellente. Elle utilisait déjà une technologie de pointe et, par conséquent, ce programme était motivé surtout par l’énorme croissance de la concurrence et la mauvaise attention aux clients. L’audit fait montrait un diagnostic accablant, « 685.000 réclamations avaient été faites en 1997, ce qui signifiait qu’un contact sur deux répondait au besoin de réclamer, le client devait parfois attendre jusqu’à 40 minutes au téléphone, avant qu’on ne lui propose une solution. La CTC est perçue comme l’entreprise de télécommunications la plus « inefficace » en terme de résolution de problèmes de l’usager, de proximité et d’attention à la clientèle. Au niveau financier, l’entreprise gaspillait 11 millions US$ dans les domaines des installations et des réparations, de plus, la CTC sur stockait des marchandises pour la coquette somme de 37 millions US$ et perdait 5 millions auprès de ses entreprises clientes suite aux retards occasionnés par sa filiale CTC Corp. Le personnel de contact avec la clientèle, enfin, faisait régulièrement des promesses non fondées et n’hésitait pas à mentir, …» (Hauss, 1998, p. 51). Le programme BDA prétendait donc corriger ces défauts, améliorer la gestion, ajouter de la valeur et rentabiliser la compagnie. Mais ce programme a été abandonné en 1998 sans avoir fait un bilan exhaustif des résultats ni avoir informé à toute l’entreprise.

Pendant les années 1996-1998, la stratégie de diminution des coûts n’est pas privilégiée. Les plans de préretraite appliqués concernaient un petit nombre de personnes qui réunissaient les conditions d’âge et d’ancienneté dans l’entreprise et n’ont pas provoqué des bouleversements dans l’entreprise.

En 1998, lors des négociations collectives, il y a eu même une augmentation réelle des rémunérations de 2,5% en juin de cette année et de 4% additionnel en juin de l’année 2000 (Memoria Anual, 1998 ). C’est encore la période des résultats positifs de l’entreprise.

Durant l’année 1999 entre en vigueur le nouveau Décret tarifaire (« Decreto tarifario ») dicté par le Sous-secrétariat de Télécommunications du Gouvernement (SUBTEL) et un basculement économique et social commence dans l’entreprise. Le deuxième semestre 1999, le Consultant McKinsey est appelé pour faire une étude d’« Analyse de la Valeur Ajoutée » (AVA) avec le but de rechercher une plus grande rationalisation du travail, d’indiquer les fonctions et les domaines où il y a un surplus de personnel et d’améliorer la productivité. McKinsey identifie 1.600 activités qui ne produisaient pas de la valeur parmi le personnel avec un contrat à durée indéterminée. Un plan de licenciement se dessine. Entre fin 1999 et début 2000, 1.545 personnes ont pris leur retraite anticipée. En juin 2001, 1600 personnes sont licenciées. Tous ces plans avaient comme but principal une diminution des coûts. Pendant cette période (1999-2001…) nous voyons bien que c’est la stratégie de diminution des coûts qui est privilégiée, c’est la vision à court terme par excellence. « En grandes lignes, ce qu’il faut faire à court terme, c’est faire passer cette compagnie des « chiffres rouges » aux « chiffres bleus », et cela signifie un contrôle des dépenses énorme et c’est cela qui nous sommes en train de faire » (Le président).

Page 278: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

278

2. 2.- La stratégie de la qualité

Le souci pour améliorer la qualité des produits et des services et satisfaire ainsi les clients a pris du temps à s’installer. La préoccupation de la fidélisation des clients s’est renforcée seulement ces dernières années.

En 1995, une « Gérance pour la Qualité » a été créée, en septembre 1996 un Comité corporatif de la Qualité est instauré, puis une Vice-présidence de la Qualité Totale restera l’instance chargée de l’amélioration continue de la qualité et de leur suivi. Le Consultant Ballester (franco-espagnol) est appelé à la co-réalisation de ce programme.

Le Plan de Qualité visait les objectifs suivants : a)- la satisfaction du client : l’organisation devait comprendre que la qualité est en rapport direct avec la satisfaction des clients ; b)- l’amélioration continue des processus ; c)- la gestion à travers les faits : l’utilisation de données quantitatives et précises permettait d’agir adéquatement à la racine des problèmes ; d)- la prévention ; e)- le respect des personnes : chacun devait contribuer avec ses critiques et ses propositions à l’amélioration de la qualité des services et des produits.

En 1997, 22 « Comités de la Qualité » sont mis en place, directement liés à la Vice-présidence de la Qualité. En 1998, 38 autres Comités de la Qualité sont formés et greffés sur les Centres d’affaires territoriaux dans tout le pays, au total cette année il y avait 64 Comités de Qualité. Au début 1997, la direction avait commencé à créer les « Equipes d’Amélioration » liés au travail des comités. En juin 1998, 309 Equipes d’Amélioration existaient ; à cela il faut ajouter 60 moniteurs en 1997 et 70 en 1998 (Hauss, 1998). En 1998, la Vice-présidence de la Qualité Totale et le BDA avaient défini douze procédés de base à améliorer pour être plus compétitif et pouvoir offrir un service de meilleure qualité, parmi eux, le numéro d’appel 103, c’est-à-dire l’assistance téléphonique, les numéros 104 et 107 qui englobent les réclamations (104) et l’attention commerciale (107), la gestion des réclamations suite à la facturation dans la mesure où les erreurs de ce type constituent de dangereuses sources d’insatisfaction pour le client externe, les réparations, les installations, etc. Un slogan exprimait cette politique : « Le plus important c’est vous » (« Lo más importante es Usted »).

Dans la mesure où le capital humain est clé pour le succès d’un programme de ce type, l’entreprise s’est fixé plusieurs objectifs, tels que : la responsabilisation des employés, la formation permanente, l’amélioration de la communication interne, donc des études du climat de travail de l’entreprise se réalisent (en 1995, 1997, etc.). « Les résultats bien qu’honorables de la Qualité Totale ne furent pas jugés spectaculaires à court terme, en ce qui avait trait à l’efficacité de la compagnie. En conséquence, la Haute Direction adopta des mesures plus radicales par le biais de la Réingéniérie et du BDA. Ainsi, la CTC vit sa conviction s’effriter, manqua de ténacité et se désintéressa vite du programme pour passer à autre chose … la politique de Qualité Totale se fit plus par ordre de la direction, dans le but de contrer la concurrence externe, que par le fait d’un engagement volontaire, … la Haute Direction chercha sans cesse des solutions miracles et rapides à ses problèmes. Elle manqua de cohérence et de persévérance dans tous les programmes qu’elle mit en place » (Hauss, 1998, p. 41). En 1998, dans la foulée des tensions sociales qui commençaient dans le cadre des négociations collectives, ce programme fut abandonné. L’année 2001 restait seulement une petite cellule (trois personnes) mais chargée d’affaires secondaires. Le bilan est mitigé et contradictoire, la plupart des personnes interviewées ont la perception qu’il n’a pas provoqué des changements en profondeur. Il n’y a pas un bilan officiel à ce sujet.

A partir de 1999, l’entreprise a commencé à faire des enquêtes de satisfaction de clients d’une façon systématique pour évaluer ce qui se passe avec les clients et pour détecter où il y a des problèmes à corriger, tous les mois dans les Call Centers et tous les 3 mois dans d’autres aires

Page 279: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

279

de l’entreprise : « Aujourd’hui notre principale différence compétitive n’est pas la technologie parce que cela nous l’achetons, mais c’est la capacité de donner des solutions efficaces aux clients et faire en sorte que les gens restent satisfaits. La différence, par conséquent, n’est pas dans la qualité du téléphone ni des connexions, elle est dans la qualité de l’attention et dans la capacité de donner des solutions. Par conséquent, cette problématique là est lente, … comme la différence n’est pas dans la technologie, la seule chose dans laquelle nous devons être capables de faire mieux que tous les autres c’est dans la qualité de la relation, … de créer et maintenir des rapports mutuellement satisfaisants» (un sous gérant).

Nous constatons que dans la « période de croissance… » (1996-1998), l’application des deux stratégies était plus évidente. Par contre, dans la « période d’échecs, … » (1999-2001), la stratégie de diminution des coûts est devenue brutalement et absolument prioritaire.

Nous observons que dans le processus de définition et d’application des stratégies la démarche rationaliste est présente. Une étude de McKinsey déterminant l’inutilité de 1.600 postes donnera lieu ensuite, avec des dates précises, à des plans de retraite et à des licenciements. En 2001, l’exigence de sortir du déficit financier connu déterminera le licenciement de juin-2001, mais avec des répercussions non planifiées.

Dans la recherche de l’amélioration de la qualité les avancés technologiques de l’entreprise ont suivi. En 1993, l’entreprise CTC arrivait à 100% de digitalisation de leur réseau et était parmi les premières entreprises du continent américain à le faire. En 1996, est lancée la téléphonie mobile avec la filiale Startel. Des appareils téléphoniques chaque fois plus performants apparaissent successivement tels que, par exemple en 1998, le « Superteléfono 2000 ». Au début 2001 la commercialisation de l’ADSL a commencé, plus récemment l’entreprise s’oriente vers la domotique et développe les appareils et les services de vigilance aux particuliers et aux entreprises, tel que le service VIGINET. De même, une carte TLP de prépaiement qui est multiservices (téléphonie fixe et connexion à Internet) a été développée.

Dans ces 10 dernières années, grosso modo, le nombre de connexions est passé de 380.000 à 2.800.000 lignes installées en 2001, auquel il faut ajouter le boom de la téléphonie mobile, la longue distance, la TV câble. Bref un développement technologique qui est extraordinaire.

• Les stratégies chez FranceTélécom S.A.

France Télécom S.A. a aussi appliqué au moins deux types de stratégies: la stratégie de diminution des coûts et de l’amélioration de la qualité simultanément.

En 2001, une des priorités était devenir « tous économes », ce qui signifiait réduire résolument les dépenses, créer de la valeur par l’amélioration des processus, le déploiement et le développement des compétences, sources de valeur ajoutée ; de même, il s’agissait de s’installer plus au cœur de la vie des clients. « D’un usage unique, téléphoner, nous allons passer à des usages multiples : acheter à distance, jouer, regarder, gérer, etc. Notre outil s’installera au cœur de nos clients. De notre capacité à bien intégrer tous ces usages chez eux, pour eux, dépendra notre avenir… Si nous savons pénétrer dans les écosystèmes de nos clients, c’est-à-dire dans leur vie quotidienne, si nous savons leur proposer non plus seulement des accès, mais des solutions, alors nous irons loin avec eux » (Bon, 14/12/00).

D’autre part, la politique d’amélioration de la qualité peut s’exprimer par le besoin d’être toujours l’entreprise de référence des services de télécommunications dans le pays. « Quand nous avons affiché cette ambition, à la fin de 96, c’était une façon de rappeler la tradition d’excellence de France Télécom et de s’orienter vers le client… Davantage de maîtrise des processus, plus de solidarité, plus de transversalité dans les réseaux, les techniques ou les

Page 280: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

280

SI : nous savons en gros ce qu’il faut faire pour conjuguer croissance et qualité. Mieux même, nous croyons collectivement que sans qualité, la croissance s’étouffe vite. Et bien mettons nos actes en accord avec cette ambition. Notre réputation d’excellence est au cœur de la puissance de notre marque » (Bon, 14/12/00). Ces deux types de stratégies ont été plus clairement présents à partir de 1998.

Section III: EVOLUTION DES PRATIQUES DE GRH, DES ROLES DE DRH ET DES MODELES DE MANAGEMENT.

1.- Contenus spécifiques des pratiques de GRH et leur évolution

Cette section analyse l’évolution des pratiques de la GRH au cours de cette période. Les variables prises en compte pour analyser le changement des pratiques de GRH sont : les entrées d’effectifs (recrutement, sélection), les départs d’effectifs (licenciements, plans de préretraite, …), la formation, l’évaluation, la promotion, les rémunérations et les relations professionnelles.

1. 1.- Entrées d’effectifs

Il y a une planification des provisions d’effectifs à l’entreprise, mais l’heure est plutôt aux départs. Au début de cette période, il y avait encore une forte identification à l’entreprise, il était question de la « famille CTC », mais la direction ne gardait pas nécessairement les meilleures personnes, beaucoup de celles-ci étaient recrutées parmi les fils ou les familiers des employés travaillant à l’entreprise. En 1995-1996, l’équipe responsable du recrutement et la sélection a été notablement étoffée. L’entreprise a commencé à participer aux « Foires Entreprise-Recrutement » pour détecter les « bons » étudiants, un changement a été fait dans les méthodes employées pour la sélection. Pendant quelques années, l’entreprise a travaillé avec les Instituts Professionnels de formation (techniciens) et le Ministère du Travail, pour permettre à des jeunes techniciens de réaliser des stages de formation dans l’entreprise (environ 900 jeunes techniciens et apprentis en ont bénéficié).

Page 281: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

281

Une fois le recrutement et la sélection faits, la personne est engagée avec un contrat de travail à durée indéterminée jusqu’à leur retraite. Peu à peu la notion de compétences fait son chemin et la sélection devient plus rigoureuse, il s’agit de prendre davantage en compte les compétences, les profils des personnes, en plus des diplômes.

En 1999, il y a un tournant dans la DRH et dans quelques pratiques de GRH avec le départ du Vice-Président de R.H. et une partie de son équipe. Durant cette période (1999-2001), les nouveaux sélectionnés sont soumis à une sélection beaucoup plus rigoureuse. Ils doivent à présent accomplir une période d’essai de trois mois au terme de laquelle ils peuvent être renvoyés. S’ils approuvent la sélection ils ne seront pas engagés avec un contrat à durée indéterminé comme auparavant, autrement dit, ils peuvent être renvoyés à n’importe quel moment. La sélection est basée sur les compétences, par conséquent, l’unité de recrutement fait un travail préalable d’identification des compétences les plus importante pour chaque poste à travers un travail de « focus-groups » sur la ou les personnes les plus performantes de chaque poste respectif. L’unité définit des « profils types » par poste. Ensuite, le processus suit plusieurs étapes : un entretien groupal pour faire une première sélection, après l’analyse des CV, des tests psychologiques, des entretiens individuels avec l’équipe de psychologues du département R.H. et finalement, un entretien avec le manager responsable concerné qui, in fine, prend la décision d’embauche. En fait, deux procédures sont essentielles : les tests psychologiques ( le BNB, le Raven I et II, le MBTI, le Lutcher) et l’entretien individuel.

A partir de juin 2001, il n’y a plus de recrutement à durée indéterminée dans l’entreprise et la possibilité d’être licencié est ouverte presque à tout le monde. Jusqu’au début 2001, au total environ 500 personnes avaient été recrutées; au deuxième semestre de cette même année le recrutement surtout des vendeuses continuait mais avec un profil très professionnel, même diplômées universitaires.

Il faut ajouter que, depuis des années, l’entreprise avait un certain nombre de travailleurs sous-traités, mais en rapide processus de diminution. En 2001 : « Pour tout ce qui est la téléphonie fixe nous avons 1.000 travailleurs sous-traités et d’autres 600 dans les filiales, au total, ce sont 1.600 personnes ou main d’œuvre directe des entreprises sous-traitées » (une sous gérante DRH).

Ces 500 personnes nouvellement recrutées perçoivent des salaires « équivalents aux salaires du marché national », c’est-à-dire inférieurs aux salaires des anciens collègues.

« Avant, nous ne licenciions pas. Mais aujourd’hui ça, c’est fini; il s’agit de casser cela, ceci c’est à partir de cette année 200. Il s’agit d’une cassure forte et ça nous coûte à tous de l’accepter. Personne aujourd’hui n'a son poste assuré. Pour une entreprise qui a été éternellement paternaliste c’est terrible, c’est très fort, mais c’est comme ça… D’une certaine façon, le fait de savoir que ton emploi n’est pas pour toujours, ça t’oblige à faire attention à lui et à faire plus de choses. D’autre part, si on est constamment avec l’incertitude de perdre l’emploi, cela ne permet pas être non plus motivé comme il devrait l’être parce qu’on est avec une peur permanente. Alors l’employé est en train de chercher d’autres endroits où il pourrait travailler, où il trouve de la stabilité. Ces sont alors de choses contradictoires que nous vivons » ( une sous gérante DRH).

Le recrutement et la sélection sont des pratiques de GRH qui sont réalisées au niveau central (Santiago), sauf dans des rares exceptions.

1. 2.- Départs d’effectifs

Un changement radical a eu lieu quant au nombre et aux conditions des départs des personnes.

Page 282: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

282

Dans la « période de croissance » (1996-1998), les programmes de départs anticipés furent rares et pratiquement insignifiants. En 1996, il a eu 72 départs. En 1997, on dénombre un total de 516 personnes, dont 164 retraites anticipées et 352 départs pour diverses autres raisons, mais très peu de licenciements secs (Hauss, 1998). Il est clair que le changement technologique et les difficultés de reconversion du personnel stimulent déjà ces départs anticipés.

Mais en 1999 la notion de stabilité du travail commence à être mise en question. Dans la « période d’échecs » (1999-2001) des plans de préretraites et des licenciements successifs beaucoup plus importants en nombre ont lieu.

Entre 1999 et le début de l’année 2000, deux importants plans de préretraites volontaires, négociés avec les syndicats, ont été mis en exécution concernant 1.545 personnes. En 1999 il faut inclure un licenciement de 350 personnes prescrit auparavant par le plan AVA (McKinsey).

Le premier plan de préretraite volontaire concernait les femmes proches de 60 ans et les hommes proches de 65 ans, d’autres cas pouvaient faire partie aussi du plan (les personnes atteintes de maladies graves, les personnes dont la reconversion était jugée extrêmement difficile, etc.). Ces personnes ont bénéficié des conditions économiques et sociales suivantes : une prime allant d’un à onze mois de rémunération additionnelle selon les cas, une indemnité d’ancienneté (de 40 jours par année sans limite). L’entreprise s’engagea à continuer à couvrir le risque de santé de ses employés en échange d’une modeste cotisation de leur part, de les conserver comme membres actifs du Super Club Senior, de cotiser en leur faveur une assurance vie, de continuer à payer des bourses d’études à leurs enfants finissant leur scolarité universitaire et de payer les cotisations manquantes à leur AFP (Fonds de pension privée). Ces conditions ont eu l’approbation de l’ensemble des organisations syndicales.

Le deuxième plan (janvier-février 2000), fut moins bénéfique mais toujours volontaire. Les personnes concernées bénéficiaient seulement d’un maximum de sept mois de rémunérations additionnelles, et cela concernait un personnel d’environ 51 ans, en moyenne, avec beaucoup plus de 20 années d’ancienneté. Les organisations syndicales ont manifesté une plus forte réticence.

Nous constatons qu’il n’a pas eu un effort véritable de reconversion du personnel et l’option fut plutôt le remplacement.

Pendant ces années le « Club Senior » est né dans le but de réunir et d’aider les personnes qui atteignaient l’âge de la retraite. Il s’agissait de préparer psychologiquement les personnes à faire face à cette situation, à gérer leur stress et à les aider à assumer leur préretraite. Ce « Club Senior » a, par la suite, développé des tâches d’outplacement et d’outsourcing en aidant, par exemple, à la création d’une coopérative intégrée par des ex-travailleurs de CTC.

En juin 2001, a eu lieu le licenciement sec de 1.600 employés, y compris 1/3 des managers (« ejecutivos »). Ce licenciement communiqué et réalisé dans une seule journée a été le coup le plus dur vécu par le personnel, tant par le nombre de personnes que par la forme, et les conséquences se font toujours sentir. Cette mesure prise par le nouveau Président, brise le mythe selon lequel dans l’entreprise Telefónica-CTC il n’y avait pas des licenciements. Ce licenciement a lieu lors de la troisième année de résultats négatifs de la compagnie et dans la mesure où il fallait résoudre absolument cette situation déficitaire ; des personnes compétentes ont été aussi licenciées.

Une équipe d’environ 10 professionnels a fait un suivi psychologique des personnes licenciées qui le voulaient. Il s’agissait d’une aide psychologique pour résister au choc, des conseils pour les aider à retrouver un autre travail et des aides surtout dans les domaines de l’éducation et de la santé : « Je crois que ce qui a le plus frappé cela a été le dernier

Page 283: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

283

licenciement, il a eu beaucoup d’impact, a frappé très fort la situation de tous. La vie des gens n’est pas la même. Maintenant la vie de l’entreprise se divise entre un avant et un après 6 juin, parce qu’ils ont été 1.600 personnes le même jour. Tout le monde l’a vécu d’une façon dramatique, aujourd’hui les gens ont cette blessure ouverte, parlent du fait comme si quelque chose d’eux même était mort, l’amour pour l’entreprise a changé et c’est cela la chose la plus compliquée. Quelque chose de très profond a changé, mais je ne sais pas encore ce que c’est, mais rien n’est comme avant, les gens travaillent et se taisent, ne parlent pas comme avant, comme si maintenant ils cachaient leurs sentiments, ils sont démoralisés, blessés, méfiants ; nous sommes en « deuil » encore … Je crois qu’il faut reconstruire la confiance et remotiver les gens… Les niveaux de productivité se sont maintenus, mais c’est plutôt par la peur, c’est parce que demain ça peut t’arriver aussi » (une sous gérante DRH).

Au lendemain du licenciement quelques organisations syndicales ont appelé à une grève de 24 heures, en signe de protestation. D’autres syndicats n’ont pas suivi cet appel et, dans le fait, l’action de grève a échoué de façon cuisante. Seulement quelques centaines de manifestants ont protesté quelques minutes.

De 1996 à 2001, au total il y a eu un départ de presque 4.000 personnes, y compris celle de la DRH.

A la fin de cette période, une logique prioritaire de diminution de coûts s’est imposée.

1. 3.- Formation

Dans la « période de croissance et de changements en douceur » (1996-1998), il y avait plutôt des activités classiques de formation et un budget plus important. A l’époque n’existait pas encore la logique de compétences et la formation se développait dans le cadre de la structure de postes ou fonctions.

Il s’agit d’une formation principalement technique parce que le savoir-faire technique est important, et la formation pour le changement, notamment le changement de culture d’entreprise. L’objectif était de changer la culture trop hiérarchisée et bureaucratique de l’entreprise, de consacrer des efforts à la formation de supérieurs hiérarchiques, des chefs avec une nouvelle logique moins autoritaire, moins paternaliste et plus disposée à travailler en équipe. Rappelons que le programme BDA et de la Qualité Totale visaient aussi à ce changement culturel et de leadership.

Le budget consacré à la formation, en pourcentage de la masse salariale, pendant ces 6 années a nettement diminué ces dernières années (notamment en 1999 et 2000) (tableau 28). La montée relative du pourcentage de la masse salariale en 2001 s’explique, en partie, par le licenciement important qui a eu lieu cette année.

Tableau 28

Budget consacré à la formation

(en % de la masse salariale) 1996 1997 1998 1999 2000 2001

> 2 2 2,5 1,5 1,2 2,2

Source : Informe de gestión 2000 del sistema de capacitación, Subgerencia de Formación y Entrenamiento, Telefónica-CTC, 2001.

Page 284: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

284

Vers les années 1994-1996 l’investissement est de l’ordre de 4.642.000 Euros (3.000 millions de pesos)68 en formation tandis qu’en 2001 de l’ordre de 2.785.000 Euros (1.800 millions de pesos). Cependant, malgré cette diminution budgétaire la direction croit utiliser mieux les ressources financières consacrées à la formation. Etant donnée la politique gouvernementale d’exemption de taxes jusqu’à un 1% de la masse salariale aux entreprises qui forment leurs travailleurs, l’entreprise CTC a utilisé cette exemption effectivement jusqu’à un 1% de leur masse salariale, ce qui est un montant important. Cette aide ainsi que leur contrôle sont réalisées à travers le SENCE (« Servicio Nacional de Capacitación para el Empleo »), branche gouvernementale spécialisée en formation pour les entreprises.

Sous une autre approche, nous observons que le volume d’heures/homme destiné à la formation a été réduit de 45% ces dernières 5 années. En 1996 un total de 282.974 heures/homme de formation sont données, en 1998 un total de 234.000, l’année 2000 un total de 154.915 heures/homme, ce qui montre clairement cette tendance à la baisse. Cependant il faut rappeler que dans cette période il y a eu aussi une forte réduction du personnel de la compagnie (Telefónica-CTC, 2001(a)). La formation dans le cadre d’une reconversion a été pratiquement inexistante et les investissements minimes. En 1998, la notion de gestion de compétences a commencé à s’introduire lentement.

Dans la « période d’échecs » (1999-2001), la formation adoptera de nouvelles méthodes et deviendra de plus en plus individualisée.

Au début 1999 une partie de la formation est consacrée à l’implantation du nouveau modèle de gestion par compétences qui commençait à se mettre en pratique. Par conséquent, cette formation concerne seulement une partie du personnel, les techniciens pour l’attention aux clients (TAC) : « Quant à la gestion par compétences, l’idée est de l’appliquer à 100% dans le rôle général -non directif-, aujourd’hui nous sommes environ à 60% de leur mise en œuvre. Nous avons couvert toute l’aire résidentielle, la longue distance, nous sommes en train de travailler fortement dans l’infrastructure et dans l’attention aux clients. Il nous reste l’aire corporative, c’est-à-dire toutes les unités d’appui… » (une sous gérante DRH ).

Il faut relever qu’il existe une autre voie véhiculée à travers les organisations syndicales qui permet la formation. Dans les contrats collectifs, les organisations syndicales obtiennent un budget pour financer des programmes de formation et le développement professionnel pour leurs affiliés. Dans ce cas, la tendance dominante a été de financer des carrières universitaires choisies par les propres membres associés. De cette façon, une partie de la formation et du développement professionnel est canalisée par les syndicats. Ainsi par exemple, le syndicat majoritaire, qui regroupe les techniciens spécialisés ou ingénieurs d’exécution (SINATE), a permis la formation, à travers des Conventions signées avec l’Université de Santiago de Chile (USACH), d’environ 250 professionnels lors de ces 9 dernières années.

En 2001, notamment, les notions d’auto-formation, de proactivité et d’employabilité ont été développées. L’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) est privilégiée (l’usage du réseau de video-conférence, l’utilisation des cours d’autoformation via Intranet et la formation via des moniteurs). Dans le cadre d’un programme proposé par Telefónica Espagne pour toute la région, des nouveaux cours de formation via Intranet sont préparés. La direction prône fortement l’idée de l’auto-formation, du développement personnel de la carrière. Le but est aussi d’éradiquer le paternalisme de l’entreprise en même temps que diminuer les coûts. Quant à la formation professionnelle classique et à plus long terme (Ingénierie, MBA, etc.), la personne -même si elle est soutenue économiquement par l’entreprise et/ou par les syndicats- suit un choix absolument individuel et indépendamment des orientations de l’entreprise. 68 1 dollar = 549,27 pesos chiliens, au 24-05-02 1 dollar = 0,854 EUROS, au 24-05-02.

Page 285: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

285

L’unité de formation a vécu des sursauts importants ces dernières années. Seulement la dernière année, elle a eu 4 responsables différents, ce qui montre un degré d’instabilité ou discontinuité de cette unité.

Le tout dernier responsable de l’unité de formation précise : « L’histoire de cette unité de formation c’est qu’elle a été efficiente pour donner des cours, mais elle ne s’est pas occupée de donner la formation et entraînement, encore moins de la gestion de connaissances. Nous avons changé l’axe, nous avons provoqué une cassure, ne pas faire trop d’effort à la formation classique, qui est l’histoire de cette compagnie, mais faire plus d’attention à l’entraînement opérationnel, étant entendu que la formation les gens la portent dès l’extérieur et ce n’est pas une responsabilité de l’entreprise…. Aujourd’hui, nous sommes en train de construire une autre vision, d’être plus liés au marché et cette vision utilise plus le e-learning et notre but c’est donner un 40% de la formation via ceci ; le but c’est que les gens prennent l’auto-responsabilité de leur développement… Le e-learning est un moyen mais a l’avantage de ce que la personne peut gérer son auto-développement, elle peut décider quand, comment et avec quelle intensité. Ce n’est pas la même chose qu’on ait une offre rigide, tous les jours à telle heure. Ici en plus de ces cours fixes, il y a d’autres activités et, d’ici décembre nous devrions avoir 136 cours. En plus nous sommes en train d’établir un projet latino-américain de formation avec Telefónica-Espagne. Alors comme ça on améliore l’employabilité … Maintenant nous avons de fortes pressions du marché et sans cesser de nous préoccuper de l’être, notre objectif aujourd’hui c’est l’entraînement concret dans le lieu du travail, nous n’avons pas le temps pour les deux choses… » (Sous gérant de la formation).

En réalité, au-delà des discours, il n’existe pas une gestion des connaissances et, d’autre part, nous sommes loin des pratiques conséquentes qui suivent ces discours.

La formation a pris en plus une tournure à caractère plus commercial. La notion de marché et la rentabilité, l’attention et la fidélisation des clients deviennent des préoccupations quotidiennes. Cependant, la formation n’a pas suivi toujours les points faibles détectés dans les évaluations du personnel. Il n’y a pas toujours eu les moyens financiers ni la volonté politique pour réaliser la formation relevée par ces évaluations. « Il n’y a pas eu un processus rigoureux pour résoudre tous les engagements de formation qui émanaient de ses processus d’évaluation, parce qu’on n’avait pas toujours les moyens financiers pour le faire, alors au moins les personnes demandantes doivent avoir eu une explication et une solution à cet engagement…, malheureusement il n’a pas eu une solution claire à ce problème » (un ex-responsable de la formation).

Nous avons parlé de la formation correspondant au « rôle général », c’est-à-dire à la majorité du personnel. Les gérants, par contre, suivent un parcours différent et plus individualisé.

Il y a deux programmes spéciaux qui concernent deux groupes-cibles de personnes : les Jeunes à Haut Potentiel (« Jóvenes de Alto Potencial-JAP ») et les Talents Directifs (« Talentos Directivos »).

Le programme des Jeunes à Haut Potentiel (« Jóvenes de Alto Potencial), dont la première promotion a débuté en 1998, implique de sélectionner des jeunes ne dépassant pas l’âge de 30 ans, qui ont démontré une bonne performance dans leur travail et présentant des potentialités de leadership, pour leur proposer une formation dans le but de les préparer à des responsabilités de direction. Chaque JAP a un mentor (manager) d’un autre niveau et d’une autre spécialisation. Ils doivent se réunir périodiquement pour échanger des avis et des expériences de façon à que ce contact puisse servir de formation au jeune JAP. Le problème est que les rencontres ne se sont pas réalisées périodiquement par manque de temps et de volonté des deux parties.

Page 286: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

286

La première promotion comptait 40 personnes, la deuxième, en 2000, 17 personnes et la troisième, en 2001, 9 personnes.

Le programme des « Talents Directifs » (« Talentos Directivos») a débuté l’année 2000 et il a continué en 2001. Les « Talentos Directivos » sont tous les managers (« ejecutivos ») jusqu’au niveau de gérant. A Telfónica-CTC somment environ 60 « ejecutivos ». Les activités de formation se réalisent à travers de programmes qui visent à améliorer les faiblesses de chacun, donc il s’agit des programmes plus généraux et/ou des activités spécifiques. Par exemple, un programme de formation a été proposé par Telefónica-Espagne à tout le Groupe Telefónica en Amérique latine et fait à l’Université de Navarra (Espagne). Un autre programme fut donné par l’Université de Barcelona (Espagne) pendant 2 semaines non consécutives; pour le reste elles sont toutes des activités individuelles.

L’année 2001, l’entreprise a proposé de participer à un programme (cycle de conférences) sur le « Leadership » donné par l’entreprise « Seminarium », à Santiago, avec la participation d’un professeur de l’Université de Harvard (E.U.) : « Les rencontres se sont réalisées mais pas à la fréquence qu’on aurait souhaitée et peut être avec une mauvaise qualité …Ces rencontres n’ont pas été si constructives, elles n’ont pas dépassé la limite de la formalité. Je crois que pendant toute l’année ces sont réunis 3 fois, ce qui est presque rien… Les deux programmes ont été proposés par Telefónica-Espagne. Avant ces programmes, il y avait très peu de formation pour les managers, c’était plutôt à la demande de chaque intégrant et il y avait très peu de choses ensemble, il était géré à la merci de la personne qui était responsable. Il n’y avait pas un programme structuré, avec des objectifs à atteindre à ce sujet mais cela dépendait plutôt de la volonté de chaque personne » (une sous gérante DRH).

Nous constatons que ces programmes spéciaux ont du mal à se structurer et à se développer durablement.

1. 4.- Evaluation

Dans l’entreprise il y a deux systèmes d’évaluation : un pour le « rôle général » (du sous gérant jusqu’au niveau le plus bas) et un autre pour les managers (« ejecutivos »), qui détiennent des responsabilités de direction.

En 1995, pour le « rôle général », il existait un système d’évaluation par résultats (« evaluación por desempeño ») qui consistait en une évaluation annuelle, décomposée en trois temps : une auto-évaluation, une évaluation du supérieur (N+1) et un moment de concertation (réunion), moment de dialogue et d’échange des avis concernant cette évaluation. Enfin, c’est le supérieur qui évalue sur base d’une échelle de notation préétablie. Si un différend avait lieu, le niveau supérieur (N+2) devait intervenir pour discuter et concilier les différends. C’est une évaluation sur les résultats de la personne et elle n’est pas liée aux rémunérations ; cette évaluation servait principalement au développement et à la promotion.

En 1998, le système devenait beaucoup plus perfectionné et appliqué dans toute l’entreprise après avoir subi des aménagements. L’évaluation prenait en compte des critères tels que : la productivité par personne, la responsabilité (dont la ponctualité) et l’absentéisme. L’aspect relationnel n’était pas encore un sujet prioritaire. Cette évaluation donnait lieu à des primes. Il y avait un budget à distribuer par départements ou unités parmi les employés présentant les meilleurs résultats. Cette prime devient ainsi une sorte de « salaire variable », mais au-dessus du salaire convenu par contrat collectif.

Au niveau des managers, il y avait aussi une évaluation annuelle appelée « Système de récompenses par résultats » (« Sistema de Recompensas por Desempeño-SRD ») où on

Page 287: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

287

évaluait deux aspects : l’obtention des résultats, donc l’atteinte des objectifs fixés auparavant par la direction, et les compétences de la personne. Selon les résultats obtenus, elle avait droit à un bonus qui fluctuait entre 1 à 3 rémunérations supplémentaires par an. Cependant le système ne fonctionnait pas de manière satisfaisante : « Ce système était un peu dénaturé parce que les personnes essayaient toujours de suppléer les déficits dans les résultats par les aspects des compétences pour obtenir, de ce cette façon un peu détournée, un meilleur bonus pour leurs gens. Par conséquent, l’information obtenue au niveau des compétences était inutile pour définir des plans de formation puisque tout le monde apparaissait comme performant et parfait. Tout le monde avait le maximum de 10 et ainsi de suite. Ce système a duré jusqu’à l’année 2000... » (une sous gérante DRH).

Cependant, une distinction doit être faite quant aux employés des Call Centers liés à la filiale ATENTO, soumis à un régime de travail fort différent. Ils ont une évaluation mixte qui comporte un aspect quantitatif (les résultats sur des objectifs précis) et un autre qualitatif (qualité du service, attitude, etc.). Cette évaluation est exprimée en une côte finale qui elle est liée au salaire, donc il y a ici une partie variable du salaire très importante, ce pourcentage variant entre 0 et 30%. L’évaluation des opérateurs, des superviseurs et du chef de service se fait ici tous les mois.

L’évaluation prend une autre caractéristique au niveau des managers. « Il y a une évaluation par les résultats, mais dans une culture autoritaire la caractéristique de la personne autoritaire c’est qu’elle est faible avec les puissants et puissante avec les faibles, c’est-à-dire que les chefs sont totalement différents avec leurs chefs qu’avec leurs employés » (un assistant d’une sous gérance). L’évaluation sera biaisée en fonction du pouvoir et l’importance de la personne à évaluer plus que par leurs véritables compétences.

Même si l’évaluation par résultats reste encore valable pour le rôle général, l’année 2000 a commencé une évaluation par compétences beaucoup plus complète et précise pour une partie du personnel.

En décembre 2001, un changement important a lieu dans l’évaluation des managers. Pour la première fois, la méthode de 360° est appliquée et avait comme objectif d’évaluer les compétences des « ejecutivos ». Il s’agit d’une évaluation beaucoup plus approfondie. Chaque manager, outre son évaluation, est évalué par son supérieur, ses collègues du même niveau et ses subordonnées ou ses clients. Concrètement ont participé à chaque fois environ 3 paires et environ 3 subordonnés. Cette évaluation a été réalisée par une entreprise externe. Elle a indiscutablement été un saut qualitatif au niveau de l’évaluation des managers et cela a permis l’obtention d’informations plus complètes pour les proposer après une formation plus adéquate.

Cependant, cette évaluation n’était pas liée aux rémunérations mais aux compétences et donc servait principalement au développement des personnes. La partie de l’évaluation concernant les résultats obtenus est restée identique et permet de faire les calculs pour octroyer les bonus variables annuels. Elle n’a pas atteint pleinement ses objectifs et peut encore être améliorée : « Les résultats sont trop bons par rapport à ce que nous constatons dans la réalité. Ils sont tous au-dessus de la moyenne … Dans un pays comme le nôtre, l’idiosyncrasie fait qu’il est très difficile pour les gens de faire des critiques ou de se dire les choses, face à face, surtout celles qui dérangent. Même si elle a été faite par un consultant externe… à un moment donné, surtout dans le cas de chef-subordonné ils vont se dire les choses, ils vont s’en parler…. Nous, les Chiliens, sommes habitués à nous dire les choses de façon détournée, en utilisant plutôt des blagues, etc.…C’est une pratique de « double standard » pour ne pas se dire les vérités » (une sous gérante DRH).

D’autre part, il y a un discours officiel qui encourage les pratiques d’empowerment et du coaching, cependant ces discours sont loin d’être suivis toujours des pratiques quotidiennes.

Page 288: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

288

1. 5.- Promotion

Il y a deux systèmes de promotion, un pour le « rôle général » et un autre pour les managers.

Pour le rôle général, en 1997, un système qui comportait deux notions a été défini : l’avancement (« ascenso ») et la promotion (« promoción »). Il suivait l’instauration du système de postes (« sistema de cargos ») implanté auparavant. C’était un processus annuel accordé avec les organisations syndicales dans une négociation collective. L’avancement se faisait à travers l’évaluation annuelle des variables telles que : la productivité de la personne, la responsabilité et l’absentéisme. En considérant ces variables et l’évaluation qui s’en suivait, un budget est attribué équivalant au 1% des rémunérations totales de chaque aire et qui s’octroyait aux employés tous les mois d’avril de chaque année. L’avancement signifiait donc une progression horizontale, en termes d’augmentation salariale, qui comprenait trois tronçons successifs d’augmentation salariale, mais il ne signifiait pas un changement de catégorie ; il pouvait donner une augmentation qui pouvait aller dans une tranche seulement de 5% jusqu’à 10% à chaque travailleur et tout travailleur avait droit à un avancement dans les 5 ans. Ce processus « d’avancement régulé » était très bien établi, régulé et public. Le responsable faisait un « ranking » d’après l’évaluation faite, les listes étaient publiées en suivant une logique de transparence et, par conséquent, il pouvait y avoir des contestations et des appellations si on n’était pas d’accord avec le ranking et les avancements proposés.

Par contre, la promotion se traduit par un changement de catégorie et de hiérarchie, une progression verticale dans la hiérarchie et comporte, au moins, une augmentation salariale de 7,5%. La promotion suit un autre processus ; soit il peut accéder par un concours interne auquel en se présentant volontairement, soit par une désignation de la hiérarchie. La promotion peut évoluer à l’intérieur de chacune des quatre classes, à savoir : exécution opérationnelle, exécution technique, exécution professionnelle et supervision directe et spécialisation.

En 1997, un grand changement est intervenu en supprimant l’augmentation salariale par l’ancienneté à tous les nouveaux employés engagés à Telefónica-CTC , cependant le personnel en vigueur jusqu’à cette date pouvait continuer à percevoir cette augmentation. Etant donné que le personnel de l’entreprise n’a pas beaucoup changé, presque tout le monde reçoit les augmentations par ancienneté.

La promotion est plutôt rare et dépend notamment des processus des restructurations qui ont lieu dans l’entreprise. D’autre part, comme il y a des difficultés financières, en pratique les promotions sont plutôt bloquées, notamment ces dernières années.

Ultérieurement, il y a eu un autre système de multifonction avec la logique de générer une sorte de polyvalence chez les employés et il apparaît le tableau d’avancement (« escalafón ») multiple.

Au début de l’année 2000, apparaît le modèle de gestion par compétences avec un modèle théorique de progression de carrières qui consiste à devenir un expert dans une fonction par le développement des compétences respectives. Mais, en même temps, ces compétences permettaient d’assumer d’autres fonctions ou responsabilités en validant certaines de ces compétences il est possible d’avoir une partie d’autres nouvelles compétences : si c’est le cas la fonction est assumée. C’est un système flexible qui permet d’acquérir les compétences nécessaires pour assumer des fonctions différentes plus ou moins semblables. En tout cas, il n’est pas une progression automatique et linéaire tel que le tableau d’avancement multiple. En pratique, ce modèle n’a pas encore une implantation formelle et généralisée ; il est très présent dans le discours et des initiatives partielles à titre d’expérimentation se développent.

Page 289: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

289

« En 1997, il y a eu un accord structurel qui établissait une méthode de bonus (« incentivos ») à travers l’avancement, la promotion, le comité de participation des travailleurs, tout était écrit clairement, mais tout cela n’a jamais été exécuté par la compagnie… il résulte qu’ici on a changé les normes accordées avec les syndicats… Au niveau théorique il y a ici un accord fantastique, mais au niveau pratique ce n’est pas le cas. Les accords n’ont pas été exécutés parce que, tout simplement, les managers n’ont pas été suffisamment conséquents avec les engagements qu’ils ont pris » (un dirigeant syndical).

Au niveau des « ejecutivos », il n’y a pas véritablement un système global cohérent de promotion. La promotion va dépendre des restructurations, des évaluations des résultats et des compétences, mais aussi des préférences et du jeu de pouvoir dans la haute direction.

En général, il n’y a pas une politique de carrière à l’entreprise. Il y a eu des difficultés pour développer un système de promotions et des plans de carrières cohérents et performants. Actuellement le discours et la volonté sont mis plutôt dans l’autogestion et dans l’employabilité des personnes, l’idée étant que chacun doit gérer son développement et son avenir professionnels : « Nous sommes en train de mettre en place un modèle de gestion par compétences, l’autogestion et l’employabilité des personnes… L’autogestion vise à finir l’entreprise paternaliste où il existe une carrière bien dessinée, où tout est bien clair et la seule chose que tu fais c’est d’avancer d’un poste à un autre… Nous pensons qu’aujourd’hui, le monde du travail ne bouge plus de cette façon là, il n’y a pas une entreprise qui puisse prédire une carrière ou une certaine permanence chez elle … D’autre part, nous pensons à l’employabilité des personnes, cette employabilité augmente dans la mesure où la personne accroît sa propre autogestion, élargit ses capacités et ses compétences, … et qu’elle apporte plus de valeur à l’entreprise » (une sous gérante DRH).

Nous constatons que la notion de stabilité du travail est remplacée par celle d’employabilité, en favorisant l’autoformation et l’autogestion de la carrière.

En 2001, cette tendance prend plus de force. Le développement, la formation, les rémunérations et les promotions des employés sont obtenus à deux conditions : le mérite personnel et le nivellement aux prix du marché. « Nous avons établi comme prémisse que pour le développement, la formation et les rémunérations nous allons appliquer strictement deux concepts : un, le mérite personnel et deux, le marché. Alors, nous voulons en revenir à rémunérer de façon compétitive par rapport au marché parce que aujourd’hui nous sommes au-dessus du marché. Quant au mérite, nous sommes en train d’implanter progressivement le concept d’employabilité » (un vice-président DRH).

1. 6.- Rémunération

En 1996 et les années antérieures, les rémunérations étaient structurées sur base de l’ancienneté. Au fur et à mesure que le temps passait la personne acquérait plus de spécialisation et, par conséquent, avait des meilleurs salaires. Il y avait des allocations d’ancienneté et des allocations de spécialisation, toutes les deux très importantes. Certaines spécialisations fonctionnaient sur base de l’ancienneté puisqu’on supposait plus d’expertise. Il y avait également toute une série d’allocations et de bonus, ce qui rendait le système de rémunérations très complexe, peu transparent et difficile à calculer.

En 1997, une simplification importante du système de rémunérations a eu lieu, à travers un contrat collectif. A partir de cette année, les allocations d’ancienneté et de spécialisation sont éliminées pour tous les nouveaux employés engagés, un nouveau système plus transparent concernant l’avancement et la promotion est instauré. Par contre, les anciens employés ne sont pas concernés par ce changement.

Page 290: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

290

Ce système a permis d’associer les rémunérations aux postes et d’établir une structure de rémunérations composée de trois aspects :

a)- le salaire de base,

b)- une assignation complémentaire,

c)- une assignation compensatoire.

Cela ne change en rien le système de rémunération fixe, clairement établi a priori par un barème négocié avec les syndicats.

Les négociations collectives de 1998 avaient conclu, parmi les accords principaux, une augmentation des rémunérations de 2,5% du salaire de base (en juin 1998) et de 4% du salaire de base (en juin 2000), une amélioration des indemnisations de 40 jours par année de travail et un bonus (« incentivo ») par objectif atteint, équivalent à 2 rémunérations de base ou, au moins, 450.000 pesos chiliens à la fin de l’année pour tout le monde, l’octroi de 1.440 bourses d’étude de 774 Euro (500.000 pesos) pendant 4 ans (Noticiero CTC, n° 266, 1998).

A partir des années 1999-2000, environ 20% des travailleurs de l’entreprise (notamment des techniciens et des vendeuses69) sont liés à un système de bonus (« incentivo ») variable, mais c’est un bonus au-dessus du salaire fixe puisqu’on n’a pas encore négocié avec les syndicats ce type de rémunérations.

En fait, à Telefónica-CTC il n’y a pas véritablement un système de rémunérations variable puisque environ 98% correspond à une rémunération fixe définie par contrat collectif avec les organisations syndicales : « Dans les rémunérations, environ 98% est une rémunération fixe, parce que si celle-ci était liée aux résultats il y aurait une proportion de rémunération variable beaucoup plus importante, … il y a peu de temps seulement que nous sommes en train d’analyser et d’appliquer la flexibilité des rémunérations, de lier les compétences aussi à la rémunération fixe. Le pourcentage variable ici est entre 2% et 5% seulement» (un sous gérant DRH ). La direction réalise actuellement une étude avec une partie des travailleurs (techniciens et vendeuses) pour voir la possibilité d’appliquer prochainement un pourcentage plus important de rémunération variable liée à la productivité. Cependant, elle devrait être accordée avec les syndicats, lors de la négociation collective de juin 2002.

Par contre, dans les Call Centers, la partie variable du salaire peut atteindre 30% et est liée directement aux résultats. En général, ici les rémunérations sont plus basses qu’à Telefónica-CTC et comparables aux rémunérations du marché national.

Ces deux dernières années la direction a accentué son intention d’augmenter la partie variable des rémunérations et d’aligner celles-ci au niveau des prix du marché, les rémunérations de l’entreprise étant au-dessus du marché, notamment dans les postes administratifs. La direction voudrait flexibiliser la rémunération fixe actuelle pour augmenter la productivité et stimuler le travail de qualité en pénalisant le travail mal fait. « Les commentaires que j’écoute parfois sont décourageants: ‘pour quoi tu te tracasses si quoi que tu fasses, que ce soit bien fait ou plus ou moins, de toute façon on va te payer’. … Alors, je crois que nous devrions avoir une partie de rémunération variable » (un responsable de programmes sociaux DRH)

Durant les années 2000 et 2001, l’entreprise, malgré son déficit budgétaire, a dû satisfaire son personnel avec tous les avantages acquis par contrat collectif. La direction a voulu négocier avec les syndicats le blocage de l’octroi des bénéfices de fin d’année. Cependant il n’a pas eu un accord à ce sujet, vu les mauvaises relations entre eux. Au total, le « rôle général » a eu comme bénéfice, à la fin de l’année, environ 14,5 ou 15 rémunérations/an par travailleur, plus

69 Nous utilisons le terme vendeuse parce que tout le monde parlai ainsi et parce que c’est un métier consacré notamment aux femmes dans l’entreprise.

Page 291: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

291

d’autres bénéfices (le bonus de fin d’année, le bonus de scolarité, le bonus de vacances, le bonus à l’occasion de la Fête nationale, etc.).

• Rémunération chez FranceTélécom S.A.

Dans cette entreprise, la pratique d’individualisation des rémunérations pour les fonctionnaires a évolué de façon importante pendant cette période. Les rémunérations du personnel contractuel ont une partie variable importante. Pour les fonctionnaires, le salaire se divise en deux parties : une partie fixe et une partie variable, fixées absolument par l’entreprise. La partie fixe suit évidemment une grille de salaires de la fonction publique, qui régule les carrières générales des fonctionnaires du pays, cette partie fixe est liée à un indice de la personne par rapport à son grade de la fonction publique. La partie « variable » est appelée Complément FranceTélécom (CFT), elle est définie et payée par l’entreprise. Les rémunérations globales sont discutées et négociées annuellement notamment au niveau des cadres et des vendeurs. La partie fixe est le salaire fonctionnaire, elle suit une grille préétablie et non modifiable, mais le CFT est totalement variable et c’est sur cette partie que réside l’augmentation salariale. Les augmentations sont négociées par rapport aux objectifs, aux activités, au comportement et il y a plusieurs variables de ce genre. Les « contractuels » et les fonctionnaires ont un salaire renégocié tous les ans et, en pratique, perçoivent des rémunérations semblables. Mais pour les fonctionnaires il ne peut pas y avoir de salaires bruts inférieurs aux salaires de la fonction publique. Chaque fois qu’il y a une augmentation pour l’ensemble des fonctionnaires, les fonctionnaires de France Télécom auront automatiquement aussi cette augmentation.

Cependant, pour les cadres supérieurs (fonctionnaires), le salaire de la fonction publique n’est pas augmenté automatiquement par cette voie mais à travers la partie variable CFT. Les salaires-fonctionnaires de l’entreprise respectent les augmentations de la fonction publique mais ils sont augmentés via la partie variable et cette partie variable est renégociée tous les ans par rapport aux résultats. En fait, l’entreprise veut avoir un contrôle total sur sa masse salariale et chaque fois qu’il y a augmentation de la fonction publique elle utilise le CFT, autrement dit, il n’y a pas une augmentation mécanique ni automatique mais méritée; on applique une gestion de type privé pour la partie CFT du salaire. « Cette partie variable peut aller à 5%, 9%, même jusqu’à 20% pour des cas exceptionnels » (un conseilleur social de la DRH). Globalement, en moyenne cette partie variable est d’environ 12% et elle touche notamment les fonctionnaires cadres et les vendeurs.

Ces dernières années, la direction est en train d’appliquer ce mécanisme aussi pour les agents (classes inférieures de la fonction publique), mais les syndicats en général n’apprécient pas cette démarche. Donc, la direction essaie de développer un processus de flexibilisation salariale.

A propos des rémunérations, il nous semble pertinent une réflexion supplémentaire pour montrer les différences qui existent entre les rémunérations les plus basses et les plus élevées dans chaque entreprise (pays), c’est-à-dire l’étendue des échelles salariales. Nous n’avons pas pu obtenir directement les données concernant les rémunérations des tops managers (sauf en France), mais nous avons utilisé des données publiées par des sources spécialisées que nous avons vérifiées sur place.

Au Chili, Telefónica-CTC peut être assimilée aux compagnies minières et pétrolières en ce qui concerne le niveau des rémunérations du top management. D’après une étude du Cabinet Deloitte & Touche (Que Pasa, 2001 ; Gestión, 2000), la rémunération brute moyenne d’un Gérant général dans des entreprises minières et des télécommunications-, est de 21.744

Page 292: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

292

Euros/mois (13.985.004 pesos chilenos/mois)70, celle d’un Gérant Commercial est de 12.610 Euros/mois. D’autre part, d’après le tableau d’avancement des rémunérations (« escalafón ») de Telefónica-CTC pour le rôle général, en juin 2001, la rémunération la plus basse d’un employé de la classe d’Exécution Opérationnelle, de la catégorie G10, est de 211,8 Euros/mois (136.369 pesos chiliens). Ceci donne une distance salariale maximale de 1 à 103. Les indemnisations générales et autres avantages sociaux dont jouissent les managers ne sont pas compris. Dans le cas d’un Gérant Général, peuvent signifier un montant additionnel de 19% de la rémunération. D’après des estimations faites par les syndicats de l’entreprise, la rémunération moyenne pour chaque manager serait de 26.431 Euros/mois (17 millions de pesos chiliens/mois) (Comunicado FUT, 13-08-01), ce qui rendrait cette distance salariale de 1 à 125.

Chez France Télécom S.A., la rémunération la plus basse, correspondant à 0,05% des employés et techniciens, est de 1.250 Euros/mois (Bilan Social 2001), tandis que la rémunération de base du PDG de l’entreprise est de 29.166 Euros/mois (350.000 Euro/an), sans prendre en compte d’autres indemnisations et avantages. Ceci donne un écart maximal des rémunérations de 1 à 23.71 Il faut préciser que celle-ci est une des rémunérations parmi les plus basses des PDG français de grosses entreprises (CAC40). Or, la tendance observée en France et dans certains pays Européens, ces dernières années, va vers l’augmentation des rémunérations des PDG en suivant l’habitude nord-américaine. D’après des études de HAY Group (2002)72, la rémunération moyenne de base des top managers français (CAC40) est d’environ 70.833 Euro/mois ( 850.000 Euro/an), non inclus les bonus, les stock options, etc., par conséquent, la distance salariale plus réelle dans les entreprises françaises est plutôt de 1 à 56. Si nous considérons les bonus, la rémunération arrive à 125.000 Euros/mois. Cependant, ces salaires équivalent à peine 1/10ème des salaires des top managers nord-américains.

Chez Belgacom, la rémunération brute la plus basse est celle de la classe S17 équivalente à 1.463 Euros/mois (58.532 anciens FB) (Belgacom, PMP, Les « midpoints » des différentes classes de fonction, index 01-07-01) tandis que la rémunération brute de l’Administrateur Délégué était de 62.500 Euro/mois, ce qui donne une distance salariale maximale de 1 à 42.73 Cependant, cette marge est plus petite si on considère maintenant l’ensemble des plus hauts managers.

Donc, la différence de l’échelle salariale est extraordinairement plus grande au Chili qu’en Europe, à l’image des habitudes des Etats-Unis dans ce domaine. Nous constatons que les pratiques salariales s’éloignent fortement des conseils managériaux prônés par un théoricien tel que P. Drucker concernant la différenciation exacerbée des rémunérations dans les entreprises. « Il y a quelques années, le gourou du management Peter Drucker estimait que l’écart tolérable des rémunérations devait se situer dans une échelle maximale de 1 à 20. Elle oscillerait plutôt de nos jours de 1 à 150 dans certaines entreprises, au risque, comme le disent les auteurs chrétiens, de rompre le sens de la communauté humaine et de voir le marché se détacher de sa base sociologique, les classes moyennes, qui redoutent de part et d’autre de l’Atlantique leur paupérisation et envisagent avec terreur le spectre de la dégringolade » (Bruckner, 2002, p. 23).

70 1 dollar = 549,27 pesos chiliens, au 24-05-02 1 dollar = 0,854 EUROS, au 24-05-02. 71 Le Nouvel Observateur, n° 1964, 27 juin-3 juillet 2002. En France, en vertu de la Loi sur les nouvelles régulations économiques votée en mai 2001, les rémunérations des PDG français doivent maintenant être publiées. Par contre, ni au Chili ni en Belgique, il n’y a d’obligation légale de publier cette information. 72 Entretien avec un expert d’HAY Group France, Paris, 2002. 73 Pascal Vrebos ; Journal RTL-TVI, 3-11-2002. Entretien à M. J. Goossens. Donnés publics non confirmés ni infirmés.

Page 293: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

293

1. 7.- Relations professionnelles

Pendant la « période de croissance» (1996-1998), a régné une relation de bonne entente entre la haute direction et les organisations syndicales. En décembre 1995, un « Accord de Confiance Elémentaire » (« Acuerdo Básico de Confianza », ABC ) a été signé entre la haute direction et les organisations syndicales. L’entreprise, sous l’initiative du Vice-président R.H. de l’époque, cherchait à établir des relations franches et respectueuses, un dialogue social constructif, entre la haute direction et les organisations syndicales afin de rendre l’entreprise capable d’affronter les changements, la modernisation des télécommunications (la libéralisation et la déréglementation ayant été achevées en 1994) et capable de contrer la concurrence. La mise en œuvre, en 1996, de l’ABC -pratique plutôt inhabituelle dans le contexte chilien-, impliquait des efforts de formation, la mise en place de systèmes de motivation, le respect de la stabilité du travail. Le plan ABC (« Acuerdo Básico de Confianza ») avait créé 6 Commissions Bipartites de travail (direction-syndicats) sur : l’interprétation et l’application des Contrats Collectifs, le développement et la motivation des niveaux internes, la reconversion du travail, la formation, le bien-être, la santé, la prévision et la communication interne (« Acuerdo Básico de Confianza », 1995). Ces commissions paritaires ouvraient un espace d’expression et avaient un rôle de consultation sur des problèmes d’intérêt commun dans le but d’arriver à des propositions que, par après, on essayait d’appliquer. Des propositions ont été faites dans les domaines de la santé, des promotions, des recrutements, sur le niveau et ampleur du « rôle général » (donc les personnes qui pouvaient participer à la négociation collective).

En 1996, il y avait 23 syndicats avec un taux global de syndicalisation dans l’entreprise d’environ 92%. En 1998 il y avait 24 syndicats et un taux d’environ 97%. Ce taux est exceptionnel et typique de ce type d’entreprise, ancien monopole, avec des privilèges sociaux et de vieille tradition syndicale, mais ne reflétant pas la situation du pays. Il y avait des syndicats qui représentaient des régions (7) et des métiers et/ou des professions (syndicats des opératrices, des techniciens, des jointeurs, des ingénieurs, etc.), mais le nombre tellement élevé de syndicats s’explique aussi par des intérêts corporatifs et même par des ambitions personnelles de certains dirigeants de garder leur statut de dirigeant dans l’entreprise. Environ une dizaine d’entre eux n’ont même pas le quorum des membres nécessaires et exigés par la loi, mais ils continuent à fonctionner. Ce sont des signes évidents d’un disfonctionnement, d’une dispersion et d’une crise du mouvement syndical. Avec un tel nombre de syndicats, les négociations ainsi que l’exécution postérieure des accords établis deviennent terriblement difficiles et complexes, chacun essayant de gagner une partie plus importante des revendications que leur concurrent.

L’expérience de l’ABC a duré presque 4 ans (1996-1999). Les commissions bipartites ont disparus, principalement parce qu’il y a eu des changements de dirigeants et de politiques de l’entreprise, notamment dans les relations professionnelles : « Je crois que ce qui a influencé le plus fut la perte de confiance entre les personnes puisque les dirigeants de l’entreprise qui avaient signé l’Accord partirent. Le Gérant Général a été changé, après un temps, le Vice-président des R.H. est parti et alors sont arrivés les licenciements ; ceci a fait perdre la crédibilité, parce que les nouveaux dirigeants n’ont pas respecté l’Accord de Confiance. En changeant les personnes le système a changé » (un dirigeant syndical).

Dans la période de l’ABC il y a eu des importantes restructurations et des plans de préretraites volontaires, mais ils ont été négociés et acceptés par les syndicats.

La courte vie du plan ABC est due à la méfiance réinstallée entre les partenaires sociaux, parfois un certain désordre des syndicats dans la mise en œuvre des accords et le manque de volonté des managers pour préserver ce dialogue social.

Page 294: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

294

Il faut rappeler que dans la mémoire collective de la plupart des organisations syndicales, il y a une lourde histoire de luttes revendicatives et politiques qui date de la période de la Dictature où ils ont été persécutés et réprimés violemment par celle-ci. De cette période ils sont sortis très affaibli et gardant une méfiance profonde. Lors de l’arrivée de la démocratie, les syndicats sont devenus doublement revendicatifs, à la mesure de leurs aspirations et des luttes qu’ils avaient contribué à livrer contre la dictature.

Même s’il s’agit d’un syndicalisme de métiers, les partis politiques, tels que le Parti Socialiste, la Démocratie Chrétienne, le Parti Communiste, y ont quand même une présence plutôt faible. Les syndicats gardent une autonomie vis-à-vis des partis.

En 1998, lors de la négociation collective, les organisations syndicales affichent clairement la volonté d’accorder une certaine flexibilité des horaires à condition d’obtenir des augmentations salariales substantielles ; la direction conditionnait la stabilité de l'emploi à des gains de productivité et à une meilleure attention aux clients. La haute direction propose un contrat collectif de quatre ans -jusqu’à alors de 2 ans-, pour assurer une paix sociale et pour encadrer et contrôler davantage le coût de la main d’œuvre pendant cette période (1998-2002). Cette année commence la détérioration des relations professionnelles. Lors des négociations collectives, trois syndicats - parmi lesquels le syndicat majoritaire SINATE- ont déclaré une grève de 9 jours, impliquant environ 2.500 personnes, les autres trouvèrent un accord pacifique satisfaisant; l’intérêt principal des organisations syndicales étant l’augmentation salariale et les avantages sociaux.

Dans la « période d’échecs» (1999-2001), les relations professionnelles se détériorent rapidement et profondément. A partir de l’année 1999 et suite au « Décret tarifaire », les plans de préretraites massifs et les licenciements se succèdent.

A l’intérieur de l’entreprise, il n’y a pas une institutionnalisation des relations professionnelles entre la haute direction et les organisations syndicales pour régulariser un dialogue social, par conséquent, elles se limitent à des rencontres sporadiques et irrégulières ou quand les faits, généralement graves, l’imposent. Les seules instances qui fonctionnent grâce à des dispositions légales sont les Comités Paritaires d’Hygiène et Sécurité (CHS) et les Comités de formation (« Capacitación »), c’est-à-dire, « parce que la loi l’autorise ». Aujourd’hui dans les CHS participent plus ou moins 500 personnes dans tout le pays.

Le licenciement massif de juin 2001 finit par provoquer une rupture totale entre les organisations syndicales et la direction. Quelques syndicats, tel que le SINATE (syndicat majoritaire), avaient déjà décidé de rompre tout sorte des rapports formels avec la direction à partir des négociations de 1998, les seuls contacts étaient épistolaires. L’échec de la grève convoquée au lendemain du licenciement a signifié un fait d’illégitimité important pour les syndicats qui avec un niveau de syndicalisation formelle élevé ne sont pas arrivés à mobiliser leurs adhérents face à un tel fait. Cependant, ce désaveu peut s’expliquer par la peur de perdre un travail et un statut privilégiés dans un contexte de ralentissement économique et d’augmentation du chômage.

Au début de l’année 2002, il restait 23 syndicats et le taux de syndicalisation était descendu à environ 86 %, restant toujours parmi les plus élevés du pays. Mais au-delà de ces chiffres, après ce licenciement, les syndicats apparaissaient moins crédibles et moins légitimes auprès des gens. Un manque de crédibilité se manifestait aussi vis-à-vis de la haute direction. La sensation de peur et de détresse était très grande dans tout le personnel.

Les dirigeants syndicaux sont perçus par les managers comme ayant des positions de revendications économiques, sans comprendre les affaires de l’entreprise ni du marché chilien actuel et en gardant une distance vis-à-vis du sort de l’entreprise : « Malheureusement les syndicats chiliens, en général, et ceux de la CTC en particulier, n’ont aucune vision des

Page 295: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

295

affaires. Ils ne s’engagent pas dans les affaires de l’entreprise, ce sont des syndicats strictement revendicatifs et confrontationnels. Il y a quelques années, nous avions essayé au moins d’être plus coopératifs, dans le sens de mettre en commun l’information, de discuter cette information et de faire de propositions en commun …A la moitié de l’année 1994, avait débuté un plan précieux, l’Accord de Confiance (ABC). Il s’agissait de normaliser certaines choses qui tenaient au développement des personnes, avec tous ces nouveaux systèmes, que les syndicats s’intègrent aux commissions et qu’ils puissent faire des apports, etc. … Nous avons travaillé ensemble un petit temps mais à la fin tout est tombé à l’eau. Cela n’a pas marché. La culture des syndicats-CTC est très enracinée dans l’histoire, c’est une culture revendicative et confrontationnelle… Ils n’ont pas compris que les gens des R.H. pouvaient avoir une attitude différente que celle qu’ils avaient connue historiquement et, par conséquent, ils ont toujours eu une attitude de méfiance » (une ancienne gérante du département gestion du personnel).

Pour sa part, les dirigeants syndicaux ne perçoivent chez les managers aucune volonté de partager des informations, de leur demander quelque chose concernant l’organisation du travail, au contraire : « Nous ne nous engageons pas plus dans la gestion non pas par manque de volonté mais parce que l’entreprise se cantonne dans la loi en disant que tous ces sujets ne peuvent pas être considérés dans la négociation collective. La négociation collective est pratiquement limitée aux conditions du travail et des salaires, sans plus … Il n’y a pas de la confiance entre nous et la direction. Aujourd’hui, il n’y a même pas un espace pour échanger des avis, eux fonctionnent toujours sous la logique : « moi, je décide », ce n’est pas « je consulte, j’arrive à un accord… », non, mais « je décide, j’ai le pouvoir et point» (un dirigeant syndical).

Les négociations collectives (juin-2002) se développent dans un climat de méfiance et de confrontation. La direction voudrait diminuer le bonus de fin d’année jugé trop élevé (de 40 à 30 jours par année d’ancienneté), adapter le bonus annuel égal pour tous (deux rémunérations ou une rente et demi par personne à la fin de l’année) en un véritable bonus répondant au mérite, faire un rajustement différencié des salaires et les niveler aux salaires du marché en améliorant la position compétitive de l’entreprise. Les organisations syndicales évidemment n’acceptent pas de modifier leurs avantages économiques établis dans le contrat collectif antérieur.

Une grève de 30 jours (maximum permis par la loi) a été déclenchée par les organisations syndicales, unifiées pour l’occasion dans le FUT (Front Uni de Travailleurs) solidement appuyées maintenant par les travailleurs, avec une adhésion du 92% du personnel, correspondant à environ 3.300 travailleurs. Cette grève a été accompagnée par plus de 160 sabotages dans le réseau de télécommunications de la compagnie dans tout le pays, en moyenne 5 coupures de fibre optique par nuit, plus de 20.000 téléphones/jour avec interruption du service et près de 50 millions de pesos [77.413 EURO] en réparations (El Mercurio, 2002). Il s’agit d’un des plus graves et durs conflits de l’histoire de l’entreprise. Evidemment, les relations professionnelles ne peuvent pas être pires, de même que le climat de travail. Enfin, il n’y a même pas eu de négociations.

Il s’agit d’un syndicalisme d’entreprise, de métiers, assez divisé, revendicatif et conflictuel, peu concerné par la gestion des affaires sociales globales de l’entreprise. Mais il maintient encore un taux de syndicalisation élevé qui s’explique principalement par un besoin de protection et de l’obtention de meilleurs avantages sociaux plus que par une volonté militante ou par un projet syndical. Prédomine donc la logique instrumentale du syndicat. Les syndicats n’ont pas voulu emprunter la voie consistant à offrir des services sociaux plus importants à leurs adhérents. Il y a quelques années, la direction leur avait proposé la co-gestion de l’ISAPRE-ISTEL de la compagnie, mais ils ont refusé parce qu’ils ne se sentaient pas capables de bien gérer cette affaire.

Page 296: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

296

L’ISAPRE-ISTEL est une caisse de santé privée et filiale exclusive de la CTC dont la mission est d’offrir des prestations médicales et de veiller aux bons soins des employés-affiliés, des retraités affiliés et de leurs familles.

D’autre part, les organisations syndicales ne sont pas liées à des structures nationales, telle que la CUT, et préfèrent rester autonomes et défendre leur situation socio-économique privilégiée par rapport au reste du pays : « Les dirigeants syndicaux de ces grandes entreprises n’ont aucun intérêt à s’incorporer à des organisations nationales parce qu’ils considèrent que c’est un milieu où ils ont beaucoup à perdre et très peu à gagner, même un syndicat inter-entreprises ne les intéresse pas parce qu’évidemment ils ont beaucoup à perdre par les niveaux de salaires et d’autres avantages sociaux qu’ils ont ici» (un ex-président du Directoire).

Un changement radical des relations professionnelles a eu lieu, d’une entente constructive au début jusqu’à une méfiance et rupture profonde aujourd’hui.

• Relations professionnelles chez FranceTélécom S.A.

Dans le cas, les relations professionnelles ont été et sont relativement conflictuelles, cependant la direction et les syndicats arrivent à établir une concertation sociale et à conclure des accords importants.

Il s’agit d’un syndicalisme plutôt militant et de combat, non homogène du point de vue des leurs conceptions politiques et leurs pratiques. En effet, il y a 6 organisations syndicales, dont 4 ont une démarche plutôt de dialogue coopératif avec la direction, elles sont : la CFDT, FO, CFTC, CGC (voir annexe II), et deux autres ont une position plutôt critique et d’opposition, ce sont : la CGT et SUD. La CFDT et aussi FO pratiquent un syndicalisme plus coopératif, tandis que la CGT (avec l’influence du PC) et SUD (avec la présence de différents courants de gauche, ultra-gauche, troskistes, des gens très proches des mouvements anti-mondialisation, comme ATTAC, Copernic, en son sein), pratiquent un syndicalisme plus contestataire, combatif et d’opposition. Ces deux syndicats ensemble ont fait un 55% des votes lors des dernières élections sociales, tandis que les quatre autres ont obtenu un 45% des votes. Quant à SUD c’est un phénomène syndical relativement nouveau de ces dix dernières années. En 2001, le taux de syndicalisation (estimé) de l’entreprise, tourne autour de 10 à 15%. Ce taux de syndicalisation, en tout cas, reste au-dessus de la moyenne nationale qui elle est d’environ 10%. Chaque organisation syndicale est organisée et coordonnée à tous les niveaux : local, régional et national. Les organisations syndicales, à travers leurs actions, expriment une position et participent aussi à la marche de la vie économique et politique nationale.

Leur caractère conflictuel a varié d’année en année. En 1996, au total, il y a eu 157.137 journées de travail perdues - journée par jour d’arrêt de travail et par personne- pour fait de grève (locales et nationales) dans l’entreprise France Télécom S.A. En 1999, 175.353 journées perdues, en 2001 sont comptabilisées 68.634 journées perdues pour fait de grève. En 1996, les grèves furent motivées par la restructuration de l’entreprise et la discussion sur le statut du fonctionnaire. En 2001, il y a eu deux grèves nationales directement liées à l’entreprise motivées par la réorganisation des services et les conflits catégoriels (Bilan Social 1999, 2001).

Quant aux instances de concertation sociale, France Télécom S.A. a dû inventer des instances très spécifiques puisque c’est une entreprise ni totalement publique ni totalement privée. La Loi de juillet 1996 a instauré un Comité Paritaire (CP), instance maximale d’approbation des accords, qui est composé par les représentants du personnel répartis en deux collèges représentant l’un les fonctionnaires, l’autre les contractuels de droit privé et de droit public ;

Page 297: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

297

les sièges sont répartis en proportion de chacune des deux catégories et attribués aux organisations syndicales en fonction des voix obtenues lors des élections professionnelles. Ce Comité Paritaire connaît des questions et des projets relatifs à l’organisation, à la gestion et à la marche générale de l’entreprise, notamment au contrat de plan, au recrutement, à la politique des rémunérations, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle, aux nouvelles technologies, parmi d’autres sujets. Il est présidé par le président de l’entreprise et se réunit au moins deux fois par an. En 2001, il s’est réuni, par exemple, 3 fois.

Il existe aussi une instance de dialogue et de concertation sociale appelée la Commission Nationale de Concertation et de Négociation. La loi impose au management l’obligation de consulter les organisations syndicales et d’arriver à des accords sur les sujets déjà mentionnés.

En France, la faiblesse du mouvement syndical -comparé au syndicalisme belge- est supplantée, en quelque sorte, par l’action sociale et politique du Gouvernement ; ici il existe une forte présence et intervention de l’Etat dans les relations professionnelles. Mais, ce n’est pas pour cela que ces rapports sont meilleurs puisqu’ils dépendent principalement de la volonté politique et de l’attitude des partenaires sociaux. A ce propos, il existe, d’une part, une certaine difficulté des managers à établir ce dialogue social et à gérer cette concertation, d’autre part, il est très révélateur le fait que seulement en septembre 2001, France Télécom Group, le holding international, ait décidé de nommer un Directeur de RH. chargé de France Télécom S.A. « Nous avons des relations avec la direction, mais c’est loin de ce que nous souhaitons, … Historiquement les personnes qui assument de grandes responsabilités à France Télécom ont connu ce qui était l’Administration de l’Etat, … donc là ils n’ont pas appris à négocier puisqu’ils mettaient en œuvre des directives qui tombaient, ils ont une forte méconnaissance des organisations syndicales puisqu’il y a différents syndicats, avec des valeurs différentes, etc., ça c’est dommage ; je trouve que maintenant commence à s’améliorer un petit peu, …L’actuel DRH de France Télécom SA a été nommé en septembre 2001, il souhaite travailler avec nous, alors nous avons des contacts assez réguliers. Par contre, pendant la première partie de l’année 2001 pratiquement il n’a pas eu de contact et cela dépend très fort aussi de la personnalité du responsable DRH. S’’il ne fait rien, nous n’allons pas non plus perdre notre temps. Maintenant, nous avons un contact régulier une fois toutes les 6 semaines, pendant 2 à 3 heures, sur différents points en dehors des négociations» (une dirigeante syndicale).

La concertation sociale en France est plus difficile, mais elle fonctionne. Cela est dû à la diversité des positions des organisations syndicales. Plusieurs organisations syndicales sont plutôt contestataires et conflictuelles et une minorité plus coopérative et proclive à dialoguer avec la direction (la CFDT et, dans une moindre mesure, la FO). Cela n’a pas empêché, par exemple, la signature de plusieurs accords de conventions collectives en 2001. Une chose à relever c’est qu’en France il y a une Convention Collective nationale pour tout le secteur des télécommunications. Cette Convention, une fois signée, est déclarée par l’Etat obligatoire pour tous. Pour sa part France Télécom S.A. a sa Convention Collective nationale qui, à son tour, se décline en accords par filiales. « En France une convention collective a une durée illimitée et elle n’est pas renégociable tous les ans, quoique nous pouvons renégocier une partie, … par exemple, pour le projet des 35 heures de travail il y a eu aussi une négociation nationale cadre, et puis il y a eu 330 négociations locales » (un Conseilleur social de la direction).

Ces deux dernières années, il y a une légère amélioration des relations professionnelles et du dialogue social à France Télécom SA.

Page 298: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

298

2.- Contenus spécifiques des rôles de la DRH et leur évolution

Dans cette partie nous analysons l’évolution des rôles de la DRH pendant cette période de six années à la lumière de la typologie proposée dans le cadre théorique. Par conséquent, nous verrons les différentes variables explicatives des rôles de la DRH, à savoir : les missions principales de la DRH, la taille, les clients (internes et externes), le profil des professionnels qui la composent, le pouvoir et la position organisationnelle du responsable.

2. 1.- Missions principales

Dans la « période de croissance » (1996-1998), les missions principales étaient d’appuyer la stratégie mise en œuvre par la direction et de développer une politique cohérente avec un modèle objectivant de GRH.

En 1996, le département R.H. est fortement professionnalisé et modernisé. Un processus de simplification des systèmes de GRH a été entamé et des pratiques visant à favoriser le bien-être des employés ont été développées, quoique avec certains traits paternalistes. Nous relevons des actions telles que le changement et simplification du système de postes, un système d’évaluation de l’accomplissement, l’instauration d’un système de rémunérations en corrélation avec le nouveau système d’évaluation, etc.

La DRH ou Vice-présidence de R.H. -étant membre du Comité directif- participe directement ou indirectement à la co-définition de la stratégie de l’entreprise.

Déjà en 1995, la CTC a voulu évaluer le climat organisationnel, le style de management des supérieurs hiérarchiques, les méthodes et la qualité du travail des employés, les dysfonctionnements du pouvoir et la satisfaction au travail. Elle a voulu relever les faiblesses dans la relation employé/entreprise. Une enquête anonyme et volontaire a été lancée à tous les employés tout au long du pays, visant les conditions du travail, la stabilité du travail, les rémunérations et les avantages sociaux (équité interne et externe), les chefs superviseurs et leurs styles de direction, les relations humaines et interpersonnelles, la communication, la motivation, etc. Il existe alors le Bilan Social et les résultats sont présentés sous forme d’actifs et de passifs sociaux, avec l’intention de chercher des solutions pour corriger les déficiences les plus importantes du passif social.

Cette expérience se réalisa tous les deux ans, la dernière datant de 1999. Elle fut ultérieurement abandonnée parce que les difficultés économiques et les tensions sociales sont apparues. « La pratique du climat social c’est une pratique qui s’est installée ici depuis pas mal d’années, … dans un moment on travaillait avec l’idée du Bilan Social. L’idée était de travailler avec les passifs … Les résultats faisaient partie de l’évaluation du superviseur, du supérieur, pour qu’il s’engage avec l’amélioration du climat social à leur niveau ; ça n’a pas été facile, mais ça a marché… Les critiques qui sont apparues la dernière fois se référaient au manque d’équité au niveau de salaires, sur la formation et des critiques aussi sur la supervision, surtout sur les plus hauts dirigeants …Il a été suspendu un certain temps, il n’avait pas de sens d’évaluer maintenant la période parce qu’il est très clair que nous traversons une mauvaise période » (un sous gérant).

La DRH était encore centralisée et elle avait une seule équipe à la maison mère. Même si au niveau national les relations professionnelles étaient typiquement confrontationnelles, la DRH de l’entreprise a voulu et a pu développer des relations de dialogue et de concertation avec les organisations syndicales. La première initiative a été la signature de l’ « Accord de

Page 299: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

299

Confiance » (ABC) entre la direction et les organisations syndicales et la constitution des Commissions Bipartites. Cette expérience de concertation sociale positive a duré plus de trois ans (1996-1998). A la fin 1998 et notamment en 1999 commence une détérioration de ces rapports sociaux. « Le changement le plus radical dans le staff de la DRH c’est le changement d’approche, de regard. Avant il y avait une plus grande préoccupation pour le bien-être des gens ; cette entreprise jusqu’il y a très peu de temps était trop paternaliste, absolument paternaliste, on protégeait les gens, ceux qui étaient endettés on les aidait auprès du marché à trouver des meilleurs crédits pour sortir des leurs dettes, il y avait le système médical, la protection de l’ISAPRE-ISTEL, etc.… Aujourd’hui, le regard de la DRH est plus un regard d’affaires, … il s’agit de voir comment aider principalement les affaires, même si cela implique un regard différent vis-à-vis des personnes » (un sous gérant DRH).

En effet, dans la « période d’échecs » (1999-2001…), des changements de missions se produisent.

L’orientation principale d’appui à la stratégie continue mais cette stratégie devient plus clairement une stratégie de diminution des coûts. La DRH perd de l’influence et elle ne participe pas à la co-décision de la stratégie. Elle commence à développer une politique aussi plus proche du modèle individualisant de GRH, elle vise à appuyer la stratégie plus efficacement et à améliorer l’attention aux clients (externes et internes).

En 1999, une décentralisation partielle de la DRH fut décidée 38 Centres d’affaires (« Centros de Negocios ») furent créés dans différentes zones du pays pour améliorer l’attention aux clients. Dans chaque Centre a été créé une petite équipe de R.H. qui, au total, comptent environ 70 personnes rattachées directement à la DRH centrale (siège central) (Memoria Anual, 1998),

Pendant les années 2000-2001 un processus d’automatisation plus profonde se développe et se met à disposition de la GRH (« Telefónica-Personas », internet, TIC, e-learning, etc.).

En août 2001, une division-restructuration profonde de la DRH a lieu. La partie plus opérationnelle de la DRH (rémunérations, recrutement et sélection, formation, mobilité, bien-être social et activités extra-professionnelles, "Telefónica-Personas") est détachée de la maison mère et fusionnée avec d’autres services opérationnels (logistique, comptabilité, immobilière, etc.) pour constituer une nouvelle filiale autonome du Groupe Telefónica-CTC au Chili appelé, « Telefónica Gestion Servicios Compartidos » (GSC). CTC centralise à nouveau un grand nombre de fonctions appartenant à la DRH. Aujourd’hui, il reste environ 30 personnes dans les Centres d’Affaires des régions du pays. Une autre partie, composée de 30 personnes, reste au siège central et rattachée au Vice-président de R.H. et regroupe les fonctions dites plus stratégiques, telles que la planification et le contrôle, la gestion par compétences ainsi que les relations professionnelles.

La vision que propose le nouveau Vice-président-DRH, appelé Vice-président des personnes, peut se résumer à : « Un plus fort accent dans l’esprit d’équipe, en essayant de créer un esprit de groupe plus corporatif …La vision c’est transformer la compagnie, à partir de l’aire des R.H., en une compagnie plus efficace et qui s’occupe mieux des clients » (un vice-président des personnes).

Une détérioration profonde des relations professionnelles aura lieu dans cette dernière phase. Un changement brutal se produit par rapport à la période de l’ABC, amenant à un blocage total lors des dernières négociations collectives et au déclenchement d’une violente grève.

2. 2.- Taille

Pendant ces années la taille de la DRH a diminué significativement.

Page 300: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

300

En 1996, le Département de R.H. compte environ 240 personnes. Si cette année le nombre total des personnes travaillant à l’entreprise Corporative CTC (y compris les filiales nationales) était de 8.982 personnes (Memoria anual 1996), il y a une proportion de 1 professionnel-DRH travaillant pour 37 personnes de l’entreprise.

A partir de 1999, les effectifs de la DRH commencent à diminuer au fur et à mesure que les plans de retraites anticipés ou les licenciements avaient lieu.

En septembre 2000, après une période d’étude, est mise en œuvre le programme « Telefónica-Personas », c’est-à-dire l’automatisation interne de l’entreprise ; un réseau intranet capable de rendre de services à environ 9.000 personnes et de réaliser 35 opérations en ligne. Cet outil télématique rend de services à tous les employés de l’entreprise et permet un management plus dynamique. Tout employé peut accéder à deux types de services : a)- au répertoire des personnes où il peut trouver toutes les données essentielles de n’importe quelle personne de l’entreprise ; b)- un autoservice sur des démarches administratives, c’est-à-dire demande des certificats, actualisation de leurs données personnelles, actualisation du CV, relevé des rémunérations, etc. D’autre part, il peut y trouver des rapports de gestion exclusivement pour les managers. Le projet « Telefónica-Personas » est opérationnel pour tout le pays en temps réel. Aujourd’hui, ce système fait partie de la filiale « Telefónica Gestión de Servicios Compartidos » (GSC).

En août de l’année 2001, avant la division de la DRH, le nombre total des professionels-DRH est d’environ 100 personnes. Si le nombre total du personnel de Telefónica-CTC est de 7.720 personnes (Memoria anual 2001), maintenant la proportion entre le personnel-DRH et l’effectif total est de 1 : 77.

Rapport professionnel DRH/effectif total

Rapport 1996 = 1 : 37 (2,67%)

Rapport 2001 = 1 : 77 (1,29%)

La scission du Département R.H. et le départ d’au moins 48 personnes vers la nouvelle filiale Gestion de Services Partagés (« Gestión de Servicios Compartidos-GSC »), fait partie d’une stratégie de recherche d’une plus grande rentabilité de ces services à travers une économie d’échelle. Maintenant la nouvelle filiale GSC prêtera ses services, dans un premier temps, à toutes les filiales du Groupe Telefónica CTC au Chili, mais aussi, dans un deuxième temps, à n’importe quelle entreprise du pays. « Avec le système des Services Partagés nous allons vendre toutes sortes de services, nous allons fonctionner avec une logique de marché, tout le monde devra payer nos services, justement nous sommes en train de fixer les prix, … avec cette opération nous libérons les autres entreprises d’avoir ces préoccupations et puisque nous donnerons ces services à plusieurs entreprises nous aurons ici –dans le CSC- des prix compétitifs parce que nous aurons un bon volume de travail. En plus nos services seront de qualité, puisque nous avons concentré nos spécialistes, voilà le pari » (une gérante DRH).

2. 3.- Profils des professionnels-DRH

En général, l’augmentation des professionnels universitaires dans la DRH a été très importante au cours de cette période.

Dans les années 1996-1997, la grande majorité des personnes travaillant dans ce département étaient fondamentalement des administratifs, des personnes avec une formation élémentaire, par exemple des anciennes opératrices de téléphone reconverties, etc. Ils réalisaient de

Page 301: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

301

travaux purement administratifs : « Il y avait beaucoup de gens de niveau technique-administratif, qui réalisaient beaucoup de tâches manuelles, qui réalisaient beaucoup de démarches administratives offertes au personnel, notamment dans le domaine des rémunérations, bien-être, bénéfices, … » (une sous gérante DRH).

En 1997, d’après nos estimations, la proportion (en pourcentage) des trois profils types, à savoir : agent administratif, expert opérationnel et partenaire stratégique, était la suivante:

Profils personnel-DRH/1997

Agent Administratif : 53%

Expert Opérationnel : 38%

Partenaire Stratégique : 9% Par contre, en août-2001 (avant la division de la DRH en deux parties) ces mêmes trois profils de la DRH avaient évolué vers les proportions suivantes :

Profils personnel-DRH/2001

Agent Administratif : 30%

Expert Opérationnel : 57%

Partenaire Stratégique : 13%

Les changements des profils-DRH ont été importants, surtout chez les agents administratifs et experts opérationnels.

Le profil d’agent administratif a diminué considérablement (23%) surtout ces dernières années. Les professionnels avec un profil d’expert opérationnel ont augmenté aussi de façon significative (19%). Le processus d’automatisation intensif impulsé par l’entreprise (SIPER, Telefónica-Personas, portail EMPLEO, e-learning, etc.) est une des explications principales des changements dans ces deux profils. Par contre, les personnes avec un profil de partenaire stratégique ont augmenté mais de façon très modérée.

Quant aux professionnels de la nouvelle DRH de la maison mère (après la division), ils sont au total 30 personnes, dont les profils sont les suivants : agent administratif : 17%, expert opérationnel : 60% et partenaire stratégique : 23%. Rappelons cependant que ce nouveau département a comme missions principales la définition de politiques de GRH, la planification des R.H., la responsabilité de gérer les relations professionnelles, parmi d’autres fonctions. Il est normal donc qu’il n’ait pas trop de professionnels de type agent administratif.

Il faut relever, quant aux rôles développés par la DRH, que l’ancienne DRH distinguait, au début de la période, quatre rôles, à savoir l’« Administrateur », l’« Agent de Services ou Promoteur », le « Partenaire Stratégique » et l’« Agent de Changements », mais conçus plutôt dans une logique processuelle-historique. Ces rôles avaient été inspirés des notions de W. Brockbank (Université de Michigan) (un ex-Vice-président de R.H. ; Hauss, 1998). En 1999, date à laquelle le Vice-président est parti, la DRH de l’entreprise, d’après lui, était dans une période de transition et en train d’évoluer du rôle de partenaire stratégique vers celui d’agent de changements. Evidement, ces rôles n’ont pas exactement la même signification que celle

Page 302: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

302

de nos trois profils définis auparavant et notre conception de multi-rôles se différencie à la conception processuelle-historique.

Les proportions estimées des profils doivent être comprises plutôt comme des profils potentiels estimés à partir des caractéristiques fonctionnelles du personnel-DRH. Cependant ils ne mesurent pas effectivement le temps réel consacré par les personnes de chaque profil aux activités spécifiques et journalières. Cela dit, de toute façon, ces estimations aident à percevoir une tendance potentielle : « Actuellement je dirais qu’un 70% des personnes sont des professionnels : des comptables auditeurs, des ingénieurs commerciaux, des techniciens en administration (qui étudient deux ans) ; nous avons pas mal de gens qui sont en train d’étudier en horaire décalé Auditorat, Ingénierie commerciale, Droit, Psychologie. Vraiment c’est une aire qui s’est professionnalisée beaucoup…» (une responsable de projets DRH ).

Ces changements, rapides et radicaux, ont provoqué une certaine déstabilisation chez les acteurs dans la mesure où ils sont confrontés à de nouvelles fonctions sans avoir eu le temps de la formation ni une maîtrise suffisante. Au niveau de la DRH, aujourd’hui se pose aussi le problème de la cohérence du travail et de la tendance à la multifonctionnalité de deux unités séparées récemment. « Nous avons vécu dans des structures tellement rigides pendant tellement de temps. Que dire : « aujourd’hui tu ne répares pas, mais tu installes ; demain tu ne vends pas, tu vas demander le paiement », etc., ça provoque chez les gens une certaine instabilité. La multifonction est installée dans le discours c’est vrai, mais il manque encore beaucoup pour bien la comprendre, ceci n’est pas évident, … en plus, avec 1.600 personnes aujourd’hui dehors, il est difficile de faire tout ce travail » (une sous gérante DRH )

2. 4.- Clients de la DRH

En 1996, la haute direction prônait déjà les discours d’un changement culturel interne et de privilégier et valoriser le service au client, précisément les programmes BDA et de la Qualité Totale visaient ces objectifs. Cependant, la réalité n’a pas changé aussi vite qu’on le voulait et aujourd’hui ce discours reste tout à fait d’application. Pendant les premières années, la majorité du personnel agissait comme si l’entreprise était encore un monopole.

Au début, les clients de la DRH étaient constitués de : la haute direction, l’actionnaire majoritaire, la ligne hiérarchique, les employés et les organisations syndicales.

En 2001, les clients principaux continuent à être la haute direction, les actionnaires, la ligne hiérarchique, les employés, les syndicats, mais deux changements importants se sont produits : a)- les organisations syndicales pratiquement cessent de l’être, et b)- les nouveaux clients externes chercheurs d’emploi ou de stages qui maintenant accèdent directement, à travers le site web « Empleo », aux informations de l’entreprise préparée par la DRH. Ce site web a été crée, à la mi-année 2001, par une entreprise externe « Bumeran.com ».

La DRH a crée une base de donnés de plus de 3.000 personnes (candidats), où les candidats (clients externes) peuvent, eux même, mettre à jour leur CV en utilisant le portail t-gestiona.

2. 5.- Pouvoir de la DRH

Dans les années 1996-1998 la DRH est arrivée à se positionner comme un des départements parmi les plus importants de l’entreprise. Quelques années auparavant il s’agissait d’un simple département à caractère administratif et sans grande importance. La DRH a été capable de piloter des processus de changements importants tels que, le nouveau système simplifié de postes, le système de rémunérations ; elle a établi des relations professionnelles constructives avec les organisations syndicales (projet ABC, etc.). De ce fait, elle intervenait,

Page 303: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

303

formellement ou informellement, dans un nombre important d’affaires à résoudre dans l’entreprise.

Vers l’année 1997, la Vice-présidence de R.H. faisait partie de la troika des dirigeants les plus importants de l’entreprise : « Il y a quelques années nous avions une Vice-présidence de R.H., dont le représentant était dans la table de décisions du Gérant général et participait aux décisions stratégiques de l’entreprise. Dans plusieurs occasions, même si parfois ne se voyait pas, elle a conduit quelques processus de changements importants dans l’entreprise qui, à la fin, apparaissent comme des initiatives d’aires d’affaires mais qui ont été impulsés par la DRH. Effectivement, ce Vice-président là a réalisé un travail super important ici … Il a pu positionner le thème des R.H. au niveau stratégique, c’est-à-dire qu’il a donné à ce sujet toute son importance…, ce qui n’était pas le cas auparavant » (une sous gérante DRH). La DRH, notamment son Vice-président, avait un pouvoir et une influence importants, l’importance qu’avaient prise, par exemple, certaines politiques sociales bénéficiant au personnel (augmentations salariales de 1998, aides sociales pour différentes affaires, Club Senior, etc.) en témoignent.

A partir de 1999, vu les difficultés économiques, le changement de stratégie et des politiques de GRH commence à s’amorcer. La logique dominante est de revenir aux bénéfices à court terme et, par conséquent, toutes les autres activités sont subordonnées à cette logique financière. Le pouvoir de la DRH commence à s’affaiblir significativement : « La GRH a été très focalisée dernièrement dans des sujets de conjoncture. Deuxièmement, en vertu de la crise que vit la compagnie, les privilèges sont notamment dans les camps commerciaux. Justement, le rôle qu’a joué la DRH tend à baisser dans ce moment, cela veut dire strictement que nous n’avons pas l’argent, nous n’avons pas les priorités, ni les préférences dans la chaîne de choses qu’est en train de développer l’entreprise … Alors, nous prévoyons une recomposition du rôle que nous allons jouer dans ce terrain, probablement nous allons vivre une période, courte peut-être, dans laquelle les programmes et les projets des R.H. ne sont pas les plus importants, parce que l’ambiance est très fortement dominée par les sujets commerciaux, l’urgence de revenir aux « nombres bleus », … nous sommes dans cette phase obscure de l’entreprise » (un vice-président DRH).

Dans les années 2000 et 2001, le pouvoir et l’influence du nouveau responsable de la DRH ont donc considérablement diminué.

2. 6.- Position organisationnelle du chef de la DRH

En 1996, il y avait déjà un Vice-président des R.H. -en fait, depuis 1995- qui appartenait au Comité Directif, instance supérieure de direction, composé au total de 7 personnes, y compris le Gérant Général. A l’époque, il y avait peu d’entreprises chiliennes dans lesquelles le responsable de la DRH faisait partie de la plus haute direction, moins encore où ce responsable était une des personnes les plus importantes de la haute direction : « Je connais seulement trois entreprises au Chili où le responsable des R.H. faisait partie de la troika ou bien des quatre ou cinq dirigeants les plus importants. Moi-même, le Vice-président de CODELCO (« Corporación del Cobre ») et le responsable des R.H. de Shell, une entreprise internationale et où il n’est pas rare voir cela puisque c’est une pratique habituelle chez eux. Dans le reste des entreprises chiliennes, normalement le responsable DRH n’arrive pas à ce niveau de direction, en tout cas à cette époque » (un ex-vice-président DRH).

Dans les années 2000 et 2001, il y a eu une période de flottement quant aux prérogatives du responsable des R.H. En 2001, une fois arrivé le nouveau Président de la compagnie, le Comité Directif fut réduit à 5 personnes et le responsable de la DRH fut exclu. Cet organe sera composé par les managers appartenant uniquement à des unités d’affaires et il se réunit

Page 304: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

304

une fois par semaine. Un Comité Directif élargi, composé de 12 personnes, se réunit une fois par mois. Le responsable de la DRH y participe au même titre que les responsables des autres unités d’appui.

A la fin 2001, un nouveau responsable -venu de l’extérieur- assume la DRH. Il a la pleine confiance du Président et du Gérant Général de l’entreprise. Au début de l’année 2002, il participe au Comité Directif qui se réunit une ou deux fois par mois et qui est composé de 14 personnes, c’est-à-dire les Gérants généraux des filiales ou unités d’affaires et les Gérants Corporatifs d’aires telles que Finances, Contrôle et Gestion, Auditorat, Planification et régulation, etc.

3.- Contenus spécifiques des modèles de management et leur évolution

En tenant compte de notre modélisation théorique, dans cette partie nous mettons en évidence les changements qui ont eu lieu au niveau du management de l’entreprise. Pour préciser le type de management observé nous prendrons en compte les variables suivantes : la conception de l’entreprise et des travailleurs, le style de management, l’importance donnée aux Ressources Humaines et l’importance accordée aux syndicats.

3. 1.- Conception d’entreprise et des travailleurs

Les années 1996-1998 ont été marquées, comme nous l’avons vu, par un accent social. Les finalités économiques et sociales établissaient une sorte d’équilibre. Les actionnaires gagnaient et investissaient beaucoup. Mais c’est aussi la période d’augmentation des salaires, des plans de préretraites volontaires sous de bonnes conditions économiques, des bénéfices sociaux encore considérables pour les employés. De nombreux programmes sociaux liés à la santé, au logement (prêts), au bien-être social (divers plans de sports, activités culturelles, de randonnées, etc.), le Club Senior, etc., sont développés.

Il est possible d’établir un compromis social (contrat collectif, plan ABC, etc.) entre la direction et les organisations syndicales. L’entreprise était un ensemble social et il restait encore une certaine idée de la « famille CTC ». L’entreprise assumait un rôle de service public à travers leur contrat avec le Gouvernement (SUBTEL), c’est la seule entreprise présente dans toutes les provinces du pays et qui offre services téléphoniques ou autres dans des endroits où aucun concurrent n’est présent et il est clair que l’entreprise ne gagne rien. « Cette entreprise, avec méthodes et modalités différentes, s’est toujours préoccupée des ressources humaines sous plusieurs aspects. Il faut se situer dans ce contexte pour le comprendre, contexte différent de celui de l’Europe, c’est que les entreprises assument aussi un rôle social que l’Etat ne peut pas couvrir, c’est comme ça… En plus, nous vivons dans une société où avoir et consommer est beaucoup plus apprécié que les valeurs, que la personne même, alors ceci a entraîné des problèmes importants au niveau social qui ont un impact sur la productivité. Nous avons eu des travailleurs extrêmement endettés à tel point qu’ils devaient quitter momentanément son poste pour aller négocier ses dettes… Le bien-être social, c’est quelque chose de liée aux affaires de l’entreprise. Nous postulons qu’un travailleur qui a une vie personnelle en harmonie avec son travail est un travailleur beaucoup plus productif ; donc il a fallu se préoccuper de cela aussi… » (une sous gérante DRH). Il s’agit d’une esquisse d’explication au phénomène paternaliste déjà soulevé et paradoxalement longtemps critiqué par la direction.

Un autre avis affirme : « Ce qui se passe c’est que cette entreprise résout tous les problèmes de la vie, elle s’engage à résoudre l’éducation des enfants, elle donne des aides financières, etc. Cette entreprise fait que les travailleurs n’ont pas conscience de ce qu’ils reçoivent, …

Page 305: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

305

parce qu’ici l’éducation est garantie, pour ne pas parler de la santé, etc. C’est incroyable mais ici les gens se sont habitués à ‘vivre la bonne vie’ et il y a des gens qui ne se rendent pas compte de cela, il y a des gens qui sont à Telefónica-CTC depuis déjà deux générations … Je crois que depuis trop d’années l’entreprise a eu une conception de donner tout, elle a été un monopole, elle a été paternaliste avec ses travailleurs » . Avant, dans la période de bonne santé économique, « L’entreprise ne se tracassait pas la vie pour partager ses bénéfices avec ses travailleurs» (une sous gérante DRH de zone).

Dans la phase 1999-2001, l’équilibre entre l’économique et le social est rompu, la primauté est à la finalité économique. Malgré le discours managérial, le travailleur devient un coût qu’il faut diminuer pour sortir du déficit économique et le jalon le plus traumatisant dans ce sens a été le licenciement sec de juin 2001. L’heure est maintenant à l’autonomie, au self-développement, à l’employabilité. La critique du paternalisme, autrefois stimulé, est maintenant plus forte et endossée par les travailleurs. La doute s’installe quant à la nécessité d’assumer encore une si grande responsabilité sociale publique (téléphonie rurale, internet gratuit aux écoles).

Mais différentes conceptions coexistent. Il y a ceux qui soutiennent que la seule possibilité de faire face à la concurrence c’est la cohésion sociale, l’esprit d’équipe, la motivation, le capital humain remotivé mais avec une certaine stabilité et tranquillité concernant les emplois. D’autres insistent sur la flexibilité numérique, l’employabilité, l’autodéveloppement, l’auto formation, le fait qu’il n’y aura plus jamais des emplois fixes, en même temps, qu’ils demandent plus d’engagement et motivation auprès de l’entreprise : « Celle-ci est une entreprise qui n’a pas une vision commune interne, plutôt il y a des départements assez indépendants, mais elle n’agit pas comme un team. Ici plutôt s’entremêlent hiérarchies, commandements, responsabilités et, dans ce sens, ce la rend relativement inefficiente et confuse. C’est une vision, un diagnostic partagé. Maintenant, c’est facile le diagnostic, ce qui est plus difficile c’est provoquer un changement de culture, de mentalité. Celle-ci est une entreprise typiquement publique qui a continué à maintenir un certain vice par la position de monopole qu’elle a eu pendant trop long temps. Par conséquent, elle n’est pas trop orientée vers le client. Quant au bien-être social acquis par les travailleurs, c’est bien … mais bon, c’est aux dépens des actionnaires et c’est juste le problème que nous avons aujourd’hui » ( le président de la compagnie).

Un autre avis précise encore plus les dilemmes qui traversent l’entreprise au niveau des conceptions : « Quant à la vision sur le travailleur, je dirais qu’il y a une opposition de conceptions. Pour les uns, c’est d’abord l’idée de gagner de l’argent et vite, … seulement après on verra le bien-être des travailleurs …. Pour les autres, c’est inconcevable de prendre les ressources humaines comme des « choses » et après de les utiliser, il faut les jeter à la poubelle et les remplacer, c’est une pensée que quelques-uns ont ici. Je ne sais pas quelle est la dominante. Je crois qu’il y a une lutte. Je dirais que pour l’instant, il y a une lutte sur la vision que nous devons avoir de l’entreprise, c’est une partie de la crise » (un coordinateur de programmes DRH).

Des éléments de l’une et de l’autre conception coexistent, mais la tendance dominante c’est la logique financière. Il y a une évolution, ces dernières années, vers non seulement une conception préoccupée principalement par les coûts, de flexibilité numérique mais aussi une rupture totale des relations professionnelles et, par conséquent, d’un pacte social.

• Conception d’entreprise et des travilleurs chez FranceTélécom S.A.

Par contre, France Télécom S.A. a évolué d’entreprise totalement publique et en situation de monopole, encore en 1995, vers une entreprise « semi-publique » ou société anonyme de droit

Page 306: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

306

public mais contrôlée majoritairement par l’Etat, côtée en bourse et en train de perdre lentement sa condition de monopole. Son rôle de service public et l’importance octroyée aux membres du personnel, par exemple, sont clairement définis et établis par la Loi de juillet 1996. Elle doit combiner sa finalité économique et sa finalité sociale puisqu’elle doit « assurer des services de télécommunications relevant du service public et, en particulier, fournir le service universel des télécommunications et les services obligatoires définis » par la loi (Décret n° 96, 1996). Même pour les activités sociales, la nouvelle loi prévoit un Conseil d’orientation et de gestion des activités sociales, chargé de définir la politique et d’assurer la gestion et le contrôle des activités sociales relevant de l’entreprise.

Le Président-Directeur Général (PDG) est nommé par le Président de la République, avec tous les pouvoirs, par conséquent il a la liberté de nommer, à son tour, son équipe de direction (Comité Directeur) et avec une autonomie complète du top management par rapport à l’Etat. Au niveau du Conseil d’Administration, la loi établi la participation de sept représentants du personnel, d’un total de 21 membres, qui représentent tant les fonctionnaires que le personnel du droit privé et du droit public. D’autre part, est établi aussi l’existence d’un Comité Paritaire, présidé par le PDG et composé des représentants syndicaux des travailleurs en nombre équivalents aux membres de l’entreprise et dont les attributions ont été déjà évoquées auparavant.

Actuellement, l’Etat détient 53% du capital de l’entreprise et le personnel 3,8% ; 92% du personnel est actionnaire mais l’entreprise ne pratique pas le système de stock options à la maison mère.

Malgré l’application d’un management moderne, comme dans une entreprise privée, le statut de fonctionnaire demeure. Actuellement plus ou moins 85% du personnel sont des fonctionnaires et 15 % des contractuels de droit privé ou public.

L’entreprise a dû affronter et s’adapter à la libéralisation du marché des télécommunications décrété en 1998, dans tous les pays de l’Union Européenne. Elle doit faire face à une concurrence forte, à une diminution des coûts et une amélioration de l’efficience, tout en pratiquant le dialogue social et le respect des instances sociales défini par la loi et évoqué auparavant. La possibilité d’une privatisation plus poussée est actuellement au centre de la discussion politique.

3. 2.- Style de management

Dans la « période de croissance» (1996-1998), nous observons déjà des pratiques typiques du management instrumental mais fortement teinté d’un style paternaliste, social et autoritaire

Le management par objectifs est pratiqué, appelé administration par les résultats (« gestión por resultados ») ce qui, au fond, est la même chose. Des objectifs sont fixés pour les unités d’affaires et ils sont déclinés aux différents niveaux inférieurs en essayant qu’ils soient le plus précis possible.

En règle générale, il existe un style de management dirigiste, hiérarchisé et encore autoritaire.

Il est frappant de constater que le diagnostic sur le style de management autoritaire et paternaliste - et tout ce que cela entraîne comme conséquences négatives- est depuis longtemps partagé par la majorité de l’entreprise.

Vers les années 1996-1997, compte tenu de ce diagnostic, des programmes de changements très importants, tels que le BDA, la Qualité Totale, avaient été développés pour changer la culture d’entreprise, améliorer la qualité des services et l’attention aux clients. Cette tendance à commander et plutôt qu’à dialoguer d’égal à égal, la distance imposée dans la relation

Page 307: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

307

sociale, la tendance à la centralisation du pouvoir dans le chef, une certaine arrogance, le manque d’autocritique vis-à-vis des erreurs et surtout la peur d’être critiqué en public, etc. sont toutes des caractéristiques déjà largement critiquées à l’époque : « Quand je suis arrivée, en 1995, les chefs lisaient les journaux, on ne les tutoyait pas, les vendredis ils ne portaient pas de jeans, ils ne mangeaient pas avec leurs collaborateurs, il y avait une distance avec leurs collaborateurs ; ceux-ci, étaient plutôt des subordonnées…. Avec tous les ateliers de formation que nous avons faits, je pense que les chefs - puisque je suis devenu chef aussi-, nous avons appris un peu seulement, nous sommes en peu plus près des gens, … mais il nous manque encore beaucoup » (une sous gérante DRH de zone).

Le programme BDA a crée la conscience de l’importance du client, le programme de Qualité Totale a aidé à améliorer certains processus organisationnels et de travail collectif, mais les changements ne sont pas si profonds et satisfaisants. « Les Cercles de qualité signifient, quelque part, une perte de pouvoir pour les managers … et alors, il n’est pas question ! Ici il n’y a pas une gestion participative, les chefs préfèrent commander et qu’on leur obéisse … Je crois que ne les intéresse pas que cela se passe autrement, ce n’est pas une question de compréhension intellectuelle de la théorie. Le leadership participatif, je crois, est en rapport avec un modèle beaucoup plus social, une vision différente des gens, de respect des gens et intervient aussi même une vision politique… En général, la participation ne rentre pas dans la tête des Chiliens, les Chiliens sont habitués à l’autoritarisme » ( une ex-responsable département gestion de personnel). Aujourd’hui les avis sur ces programmes sont mitigés et pas du tout homogènes. Sur le programme de Qualité Totale restent seulement trois personnes destinées à des affaires tout à fait ponctuelles.

Sous un autre angle, les résultats du dernier Bilan Social (1999) revelaient quelques difficultés de progrès sur certaines dimensions directement liées au style du management pratiqué. En effet, en prenant en considération les 4 dimensions suivantes : la capacité des managers à motiver et à diriger, l’appui et la reconnaissance de la part des managers, la crédibilité de l’autorité et le traitement interpersonnel de la part des managers, nous constatons que seulement la dimension « appui et reconnaissance » avait augmenté (d’environ de 51% à 58%) dans la perception des employés, tandis que dans les autres dimensions, soit elle avait maintenu leur niveau, c’est le cas de « la crédibilité de l’autorité » (environ 65%), soit elles avaient baissé comme dans « la capacité à motiver et à diriger » ( d’environ 56% à 52%) et « le traitement interpersonnel » (d’environ 78% à 75%) ( Noticiero CTC, n° 276, 1999).

La « période d’échecs » (1999-2001) rèvèle un autre panorama. Le paternalisme et l’autoritarisme sont plus fortement critiqués et les pratiques du management « californien » sont prônées avec plus de force.

Le management est beaucoup plus musclé autour de la productivité et les tensions sociales sont chaque fois plus aiguës. Le discours sur le changement, la flexibilité, l’empowerment, le travail en équipe, l’employabilité, etc. apparaît avec plus de force mais la pratique ne suit pas toujours : « Vous avez ici du leadership pour tous les goûts et nous avons changé très peu … en plus, aujourd’hui, après le licenciement, le climat de travail est à niveau zéro, les travailleurs ont un niveau de démotivation et de méfiance très, très élevé. Au niveau de leadership nous avons très, très peu avancé ; les styles de leadership ici ont beaucoup du mal à changer, je dirais qu’ici prévaut encore le style de leadership autoritaire. Pourquoi ? Je crois qu’il s’agit des insécurités personnelles de chaque chef… si on n’a pas la confiance dans ses propres compétences alors on va avoir la tendance à tout contrôler, que tout passe par moi, parce que sinon il va sentir qu’il perd du pouvoir, ceci est en rapport avec cela : le pouvoir, c’est clair. Vous savez, au début de cette année, il est venu un autre Consultant, … qui prône toute la théorie des Services et Bénéfices, qui parle de l’intelligence émotionnelle, etc. … Tout l’Etat Major et d’autres étaient là, ils ont trouvé l’idée géniale, ils se félicitent,

Page 308: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

308

mais le lendemain tout est oublié… parce qu’au fond ils ne pensent pas comme ça, parce qu’ils n’ont pas cette vision des choses et quand on parle de changement de mentalité, mon Dieu comment ça a coûté ici… Vous savez, qui n’a pas passé par ici : McKinsey est venu, puis a passé le BDA de Flores et le reengineering, la Qualité Totale, et j’en passe. Toutes les tendances, tous les modèles connus ou même pour connaître, … Et les changements ? …Ils sont très mitigés, … je crois que c’est trop ... Une autre chose, c’est que dans ce pays, en général, nous faisons beaucoup de choses par la mode plutôt que par conviction » (une sous gérante DRH).

C’est un style de management obnubilé par les changements –parfois pris comme un principe en soi- et par toutes les nouvelles méthodes de management et technologiques qui peuvent garantir le succès économique, un style managérial qui vise le court terme et des résultats rapides. Il est plus difficile de trouver un objectif et un fil conducteur à long terme, de ce fait il reste l’impression que l’entreprise recommence tout le temps une nouvelle « aventure » et ne valorise pas ce qui a été fait dans la période précédente.

Il y a une contradiction évidente entre le discours du management « californien » sur le coaching, l’empowerment, la flexibilité, le travail en équipe et les pratiques d’autoritarisme, de paternalisme, de manque de dialogue, d’une distance hiérarchique forte, etc. Les blocages et les contradictions produits ne sont pas la responsabilité seulement des employés de la base ou des syndicats, comme la plupart le disent, mais principalement des managers.

Le nouveau Président de l’entreprise l’explique : « [Il y a un leadership autoritaire] oui, c’est comme ça, je ne suis pas d’accord, je n’aime pas. Si j’ai accepté d’assumer cette responsabilité c’est parce que je crois qu’il faut faire ce changement. De la confiance et de l’engagement : ceci résumerait la chose. Le problème c’est que ça coûte tellement de construire cela. Je crois qu’ici l’administration n’a pas créé l’ambiance pour que cela se produise et évidemment cela a produit une confiance artificielle, en pensant que le problème allait se résoudre…. Je crois que, pour une bonne part, c’est la faute de l’administration supérieure, parce que normalement ce sont eux qui dictent les normes, les lignes, les règles. La dernière personne que je culpabiliserais est l’employé de la base, spécialement celui qui est en province » (le président).

Un dirigeant syndical ajoute : « Les travailleurs sont porteurs d’une culture qui n’est pas adéquate à notre temps ou aux défis de l’entreprise, mais les plus importants émetteurs et reproducteurs de cette culture sont précisément la classe managériale qui a l’entreprise. Dans le discours ils disent qu’il faut la changer, mais en pratique ils la reproduisent jour après jour. Ici, ce qui se passe c’est que les travailleurs avec de l’autonomie, avec une capacité de décision, etc. sont les premiers qui sont accusés de manque de discipline, d’être conflictuels, qui ne suivent pas les règles, qui ne sont pas en syntonie, etc., alors ils n’ont jamais été capables d’ouvrir des espaces aux travailleurs, … le leadership autoritaire n’a pas changé ».

Le travailleur vit dans la contradiction de vouloir plus de liberté, d’autonomie de travail mais, en même temps, d’accepter la soumission au paternalisme et à l’autoritarisme qui lui donne une certaine « sûreté ». Il n’assumera pas plus d’autonomie si la direction ne lui montre pas comment éliminer l’autoritarisme des chefs. Il n’aura pas plus d’audace et ne sera pas plus innovant si la menace du licenciement est très présente. L’imprécision de ses engagements est une sorte d’autodéfense à des critiques et sanctions postérieures, il acceptera difficilement être jugé en public surtout quand il s’agit de perdre la face et son honneur, comme cela a été le cas lors du programme BDA à inspiration « californienne ».

Trouver des solutions adéquates à ces types de contradictions est un des défis majeurs du management chilien. Il nous semble que la pratique récurrente a été d’appliquer rapidement

Page 309: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

309

d’innombrables méthodes et modèles managériaux étrangers, venant notamment des Etats-Unis.

Dans ce cadre de contradictions évoquées, cependant certaines évolutions peuvent être relevées. La distance entre chefs et subordonnés s’est rétrécie, favorisée aussi par la diminution des échelons hiérarchiques, on tutoie les chefs et il est possible de voir certains collaborateurs donner des avis différents de ceux des chefs, une certaine autonomie est acquise, favorisée aussi par la forte informatisation de l’entreprise.

• Style de management chez FranceTélécom S.A.

Cette entreprise a évolué d’une gestion administrative pure vers une gestion par objectifs ou par résultats. Aujourd’hui elle pratique une gestion plus tournée vers la performance individuelle et collective, en mettant au centre des préoccupations le client ; une gestion plus participative où, à un moment donné, les Cercles de Qualité ont été développés quoique sous une optique très directive. L’entreprise a voulu appliquer une approche globale, flexible et innovante, développer et insister sur la qualité des produits et des services, sur la réactivité en pratiquant aussi le travail en équipe et l’empowerment. Le but était pour l’année 2000 d’être le meilleur opérateur de Europe. Cependant, ce discours n’est pas totalement appliqué partout, une tendance hiérarchisante et directive reste présente.

« Nous avons passé d’une gestion administrative pure, avec des règles pareilles pour toutes catégories de fonctionnaires, à de nouvelles règles de gestion axées plus vers un management en fonction du profit, en fonction des compétences du parcours professionnel … Les managers sont jugés sur leurs résultats, chaque unité, chaque centre, chaque agence a des objectifs comme des petites PME, leurs directeurs doivent rendre des comptes, s’il y a des mauvais résultats ils sont « virés », mutés ailleurs, quoiqu’ils ne sont pas mis à la porte parce qu’ils sont des fonctionnaires ; France Télécom n’est pas une mauvaise entreprise, une entreprise esclavagiste, ce n’est que les gauchistes qui les disent … Ce que nous reprochons à France Télécom, par contre, c’est de ne pas respecter les accords que nous établissons au niveau national sur le terrain, les petits managers ne tiennent pas compte des accords, et ça embête les gens, les petits chefs sur le terrain font ce qu’ils veulent » (un dirigeant syndical).

En 1997, à la veille de l’ouverture du marché Européen à la concurrence, le top management définissait des priorités pour mettre le client au centre de l’attention de l’entreprise. En 1999 il insistait à travers ce mot d’ordre : « Tous vendeurs, tous économes, tous pour la net compagnie, tous porteurs de l’international, tous solidaires ». Dans le discours managérial de l’année 2000, les principes d’action qui reflètent le style de management, peuvent se résumer en ces phrases : « Chaque client est unique et perçoit France Télécom comme une seule entité » ou « Nous simplifions au maximum la vie à nos clients » ou encore « Nous concevons notre travail quotidien comme une chaîne de solidarité au service du client » ; la plupart de ces mêmes mots d’ordre restent valables l’année 2001.

Dans ce discours managérial il s’agit d’insister beaucoup sur le travail en équipe, le travail collectif, l’exemple et l’importance du service au client. « Jouer en équipe… Jouer en équipe ne veut pas dire tous jouer pareil…. Jouer en équipe veut dire jouer ensemble, préférer la passe au dribble solitaire et honorer la passe gagnante autant que l’essai marqué… De notre capacité à bien intégrer tous ces usages chez eux, pour eux, dépendra notre avenir. .. Le souvenir du plan câble est là pour nous montrer le risque qu’il y a à être cantonné au seul rôle de fournisseur de tuyaux. Si au contraire nous savons pénétrer dans les écosystèmes de nos clients, c’est à dire dans leur vie quotidienne si nous savons leur proposer non plus seulement des accès, mais des solutions, alors nous irons loin avec eux. Parce que c’est là qu’est la croissance » ( Bon, 2000).

Page 310: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

310

3. 3.- Importance donnée aux Ressources Humaines

Au début (1996-1998), il y a eu une attention plus importante et croissante aux ressources humaines. Une plus grande professionnalisation du département R.H., une amélioration du processus de sélection du personnel, une quantité heures/homme et un pourcentage plus importants de la masse salariale consacrée à la formation et la préoccupation pour le bien-être social, montrent cette importance.

Par contre, ces trois dernières années (1999-2001), il y a une diminution systématique du budget global de la DRH, une diminution du pourcentage de la masse salariale et le nombre d’heures/homme en formation en diminution constante, la suppression du budget pour des programmes sociaux (« actividades extra-laborales »), une diminution très significative du personnel de la DRH, une diminution de l’importance du responsable de la DRH auprès du Comité Directif. « Le budget pour cette ligne de Bien-être Social a diminué assez. Il est évident que nous avons eu une diminution du budget, surtout cette année, ce qui est compréhensible… Nous sommes maintenant avec un budget zéro, nous sommes en train de travailler seulement avec le budget obtenu du SENCE » (une sous gérante DRH). Quant aux changements constatés au niveau de la formation : « Le paradoxe de ces dernières années c’est que tout en sachant que la formation est vitale pour les affaires, il ne fut pas possible de l’augmenter principalement parce que la vitesse des changements ne donnait pas le temps pour l’exécuter et la consolider. Dans le cas de Telefónica CTC Chile S.A. nous voyons que le volume d’heures/homme destiné à la formation s’est réduit de 45% ces dernières cinq années … Le budget destiné à la formation est passé par son point le plus bas l’année 2000, conséquence des ajustements financiers de l’entreprise en 1999. Cette diminution du temps et des moyens financiers, ainsi que la massification des nouvelles technologies de l’apprentissage a suscité le besoin de créer des nouveaux modèles d’enseignement-apprentissage » (Telefónica-CTC, 2001a).

Enfin, il y a aussi chez les managers (« ejecutivos ») une tendance générale à consacrer une quantité énorme de temps au travail. En effet, ils travaillent, en moyenne environ 50-55 heures/semaine, sans inclure les heures supplémentaires qui occupent souvent aussi le week-end.

3. 4.- Importance donnée aux relations professionnelles et aux organisations syndicales

Dans les années 1996-1998, cette entreprise a vécu une courte « période d’or » quant aux rapports direction-syndicats, malgré la pratique dominante différente au niveau national. Les dirigeants de l’époque avaient pris l’initiative d’établir un nouveau type de rapport avec les organisations syndicales. En 1995 fut signé « l’Accord de Confiance » (ABC) qui établissait une nouvelle base de relation entre les partenaires sociaux et de Commissions bipartites de travail sur des sujets d’intérêt commun, les syndicats étaient consultés quant aux plans de retraite anticipée mis en exécution ces années là, un dialogue social et un début de confiance mutuelle se sont installés. Il s’agissait d’une expérience inédite. Mais il s’agissait d’un processus en construction qui avait aussi ses faiblesses dans la mesure où les organisations syndicales n’ont pas changé fondamentalement quant à leurs conceptions et elles sont restées toujours très revendicatives. D’autre part, les managers n’ont pas été totalement convaincus par cette expérience.

A partir de 1999, l’importance donnée aux relations professionnelles, dans les faits, a diminué et les rapports se sont sérieusement détériorés ; à la fin 2001 la rupture est totale.

Page 311: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

311

La perception que chaque acteur a de l’autre est très négative et empreinte de méfiance. Les syndicats sont vus, en général, comme des organisations faibles (quoique avec un taux de syndicalisation formellement élevé) et leurs dirigeants comme des personnages qui ne connaissent pas les affaires de l’entreprise, cantonnés dans la défense de leurs revendications économiques et sociales et sans aucune vision d’avenir, sans propositions positives quant aux affaires de l’entreprise : « Ici les dirigeants syndicaux sont restés figés dans un rôle revendicatif très rhétorique, dans une position du passé. Avant, celui qui voulait, rentrait à l’entreprise : les amis, des gens sans un enseignement complet, et alors nous avons les dirigeants syndicaux sortis de cette histoire. Ils ne sont pas préparés, ils sont des anciens dirigeants, de toute une vie, peut-être ils étaient des dirigeants qu’il fallait à un autre moment historique, mais aujourd’hui ils n’ont pas des réponses, ils n’ont pas une capacité d’analyse, en plus, ils ont une méfiance énorme, énorme vis-à-vis de la direction. Il n’est pas possible de travailler ensemble, ils ne poussent pas la charrette vers la même direction que la direction. Je sens que si existait plus de confiance, d’une façon ou d’une autre, on aurait évité le licenciement. Mais ils n’ont rien accepté » (une sous gérante DRH de zone).

De leur côté, les managers sont perçus par les dirigeants syndicaux comme des personnages autoritaires, dont la seule préoccupation est de produire des bénéfices coûte que coûte tout en gardant leur position de privilège, méfiants vis-à-vis des syndicats : « Avant les chefs se préoccupaient plus des gens, … aujourd’hui ils ne tiennent pas compte des gens, des problèmes qu’ils peuvent avoir, ce qui compte c’est le rendement et point ; et si vous n’êtes pas performant alors on vous licencie…. Je trouve que les ingénieurs qu’ils mettent comme des chefs ils ne sont pas des leaders. Les chefs actuels n’ont pas la confiance des gens, ce sont eux-mêmes qui ont fait les listes pour le licenciement des personnes, no ?… alors » (un dirigeant syndical).

Une synthèse de ces évolutions pour chaque variable considérée est proposée au tableau 29.

Tableau 29

Synthèse des évolutions du contexte externe, du contexte interne et du contenu (GRH, DRH, M)

1ère. Période (1996-1997-1998) 2ème. Période (1999-2000-2001-…) CONTEXTE EXTERNE

1.- Marché des biens et services :

• 1982 : loi d’ouverture totale du marché

• 1989 : privatisation des entreprises de télécoms , mais CTC reste sous contrôle du gouvernement militaire

• Commission anti-monopole : existence de longue date

• Commission anti-monopole et SUBTEL : rôle régulateur du marché

• 1996 : 8 entreprises téléphonie fixe ; 3 entreprises téléphonie mobile ; marché déjà concurrent

• 1996 : taux pénétration : t. fixe : 15,5% ; t. mobile : 2,2% ; usagers internet (1997) : 156 mille

• téléphonie fixe : dominante

• 2001 : 13 entreprises téléphonie fixe ; 5 entreprises téléphonie mobile

• 2001 : taux pénétration : t. fixe : 23% ; t. mobile : 34% ; usagers internet : 3 millions

• téléphonie mobile : dominante

• nouvelles technologies : ADSL, domotique (Vigitel), Wireless local

2.- Modèle de relations professionnelles

• système de concertation sociale : il n’y en a pas, il n’y en a jamais eu. ; relations professionnelles confrontationnelles et difficulté du dialogue. Le système politique marqué par le passé historique récent, société fort divisée politiquement et

• système de concertation sociale : il n’y a pas, il n’a jamais eu. ; relations professionnelles confrontationnelles et difficulté du dialogue. Le système politique marqué par le passé historique récent, société fort divisée politiquement et

Page 312: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

312socialement

• 23 organisations syndicales

• taux de syndicalisation/pays : 17,7% (1996)

• pas d’institutionnalisation de la concertation sociale ; dialogue et négociation sociales au niveau d’entreprise

• logique de négociation collective : somme nulle

• Etat/gouvernement : le gouvernement stimule le dialogue social et le système de concertation sociale (proposition de loi), essaie d’intervenir dans les négociations sans trop de succès. Dépenses de l’administration publique : 23,5% du PIB

socialement

• 23 organisations syndicales

• taux de syndicalisation/pays : 16% (2001)

• pas d’institutionnalisation de la concertation sociale ; dialogue et négociation sociales au niveau d’entreprise

• logique de négociation collective : somme nulle

• Etat/gouvernement : le gouvernement stimule le dialogue social et le système de concertation sociale (proposition de loi), essaie d’intervenir dans les négociations sans trop de succès. Dépenses de l’administration publique : 26,4% du PIB

3.- Marché du travail et législation sociale :

3.1.- Qualification de la main d’œuvre :

• 1996 : 2,9 % PIB en formation

• programme gouvernemental destiné à stimuler la formation professionnelle dans les entreprises (SENCE) : 1% de leur masse salariale ; CTC a bénéficié du programme SENCE

• pas de problème pour trouver les professionnels de haut niveau ; plus de difficulté avec la qualité de la formation des techniciens moyens

3.2.- Législation sociale :

• législation sociale faible et plus souple que la belge

• droit de grève et libertés syndicales limités, droit de grève seulement pendant la période de négociation collective (1 mois), les grévistes peuvent être remplacés après 15 jours de grève ; salaire minimum (1996) : environ 147 Euros, pas d’allocation de chômage

• 1996 : durée légale du travail : 49 heures/semaine

3.1.- Qualification de la main d’œuvre :

• 2001 : 3,6 % PIB en formation

• programme gouvernemental destiné à stimuler la formation professionnelle dans les entreprises (SENCE) : 1% de leur masse salariale ; CTC a bénéficié du programme SENCE

• pas de problème pour trouver les professionnels de haut niveau ; plus de difficulté avec la qualité de la formation des techniciens moyens

3.2.- Législation sociale :

• législation sociale faible et plus souple que la belge

• droit de grève et libertés syndicales limités, droit de grève seulement pendant la période de négociation collective (1 mois), les grévistes peuvent être remplacés après 15 jours de grève ; salaire minimum (2001) : 163 Euros, faible allocation de chômage (6 mois)

• 2001 : durée légale du travail : 48 heures/semaine, en pratique beaucoup plus

4.- Culture nationale :

• fort respect des chefs, de l’autorité et des normes ; forte distance hiérarchique

• forte présence de l’autoritarisme et du paternalisme

• prévalence du pouvoir de domination

• pouvoir difficilement partagé et donc très centralisé et personnalisé

• liberté et autonomie appréciées mais difficilement pratiquées

• fort respect des chefs, de l’autorité et des normes ; forte distance hiérarchique

• forte présence de l’autoritarisme et du paternalisme

• prévalence du pouvoir de domination

• pouvoir difficilement partagé et donc très centralisé et personnalisé

• liberté et autonomie appréciées mais difficilement pratiquées

CONTEXTE INTERNE

1.- Configurations organisationnelles :

• division horizontale encore forte : les métiers restent bien différenciés : jointeur ≠ électricien ≠ informaticien, etc.

• division verticale marquée : nette différence entre concepteurs/planificateurs et exécuteurs

• coordination : standardisation des résultats et supervision directe

• but de système en équilibre relatif avec but de mission

Configuration essentiellement bureaucratique

• division horizontale encore forte : jointeur ≠ électricien ≠ informaticien, etc. mais tendance à plus grande polyvalence, technicien de réparation qui est aussi vendeur (stade expérimentation)

• division verticale marquée : nette différence entre concepteurs/planificateurs et exécuteurs

• coordination : standardisation des résultats et supervision directe (ex. : Call Centers d’ATENTO (1999) : 20 opérateurs par superviseur)

• but de système prévaut largement sur but de mission

Configuration essentiellement bureaucratique

Page 313: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

3132.- Stratégies d’entreprise :

2.1.- Stratégie de diminution des coûts :

• 1996 : projet de réingénérie ou BDA

• plans réduits de préretraite

• managers : haut volume de travail : 50-55 heures/semaine

2.2.- Stratégie d’augmentation de la qualité :

• 1995 : programme de la Qualité Totale : création de la valeur et meilleure satisfaction des clients

• 1997 : 22 Comités de la Qualité

• 1998 : 309 Equipes d’amélioration

• études du climat de travail

• 1999 : étude de McKinsey : plan AVA, 1600 activités visées

• fin 1999-début 2000 : 1.545 personnes en préretraites

• 2001 : 1.600 personnes licenciées

• managers : haut volume de travail : 50-55 heures/semaine

• main d’oeuvre en sous-traitance, externalisation des activités de gardiennage, de la cantine, création du Centre de Services Partagés

2.2.- Stratégie d’augmentation de la qualité :

• 1999 : enquêtes systématiques de satisfaction des clients (externes et internes)

CONTENU (GRH, DRH, M)

Pratiques de GRH

1.- Entrées d’effectifs :

• planification des provisions d’effectifs

• 1995-1996 : une équipe de recrutement a été complété et amélioré

• recrutement encore avec un contrat à durée indéterminée

• processus de sélection plus rigoureux, essai de trois mois

• 2001 : engagement avec contrat à durée déterminée, mais l’heure est plutôt aux départs ; 1600 travailleurs sous-traités

• engagement surtout de jeunes diplômés avec salaires du marché

2.- Départs d’effectifs :

• programmes de départs anticipés ou de licenciements rares

• 1996 : 72 départs ; 1997 : 516 personnes

• 1999-2001... : diminution plus forte des effectifs

• fin 1999-début 2000 : 1.545 personnes sont parties (retraites, licenciements)

• 2001 : 1.600 licenciements secs

• 1996-2001 : presque 4.000 départs, pas de reconversions

3.- Formation :

• 1996 : plus du 2% de la masse salariale ; investissement de l’ordre de 4.642 Euro en formation ; utilisation du 1%% SENCE

• pratiquement pas de formation de reconversion

• formation classique, plutôt du savoir-faire technique et changement de la culture d’entreprise

• 1,2% (2000) et 2,2% (2001) de la masse salariale ; investissement de l’ordre de 2.785 Euro en formation ; utilisation du 1% SENCE

• pratiquement pas de formation de reconversion

• accent plutôt sur la formation plus instrumentale et opérationnelle sur place, accent mis aussi sur le savoir être

• développement de l’auto-formation, du e-learning et de la notion d’employabilité

4.- Evaluation :

• employés (rôle général) : sur base d’une échelle de notation préétablie

• critères d’évaluation : productivité par personne, responsabilité et niveau d’absentéisme.

• chez les managers : évaluation annuelle : a)- résultats, b)- compétences de la personne.

• employés (rôle général) : sur base d’une échelle de notation préétablie

• critères d’évaluation : productivité par personne, responsabilité et niveau d’absentéisme.

• évaluation n’est pas liée aux rémunérations

• 2000 : début d’évaluation par compétences pour une partie du personnel

• 2001 : managers : évaluation méthode 360°

5.- Promotion :

• Deux systèmes : employés (rôle général) et managers

• Employés : promotion principalement par l’ancienneté

• 1997 : système avec deux notions : avancement (horizontale) et promotion (verticale), avec des

• Employés : promotion principalement par l’ancienneté

• système avec deux notions : avancement (horizontale) et promotion (verticale), avec des augmentations de rémunérations. Promotion rare sauf si restructurations

Page 314: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

314augmentations de rémunérations. Promotion rare sauf si restructurations

• 1997 : suppression d’augmentation salariale par l’ancienneté pour les nouveaux engagés

• « Ejecutivos » : pas véritable système global de promotion. Promotion dépend de : restructurations, évaluations, compétences et du jeu de pouvoirs

• 2000 : début du système par compétences pour une partie du personnel

• « Ejecutivos » : pas véritable système global de promotion. Promotion dépend de : restructurations, évaluations, compétences et du jeu de pouvoirs

6.- Rémunérations :

• Système de rémunérations sur base de l’ancienneté

• 1997 : simplification importante du système de rémunérations

• 1998 : augmentations salariales (2% du salaire de base), amélioration des indemnisations, sur base d’un accord de négociation collective

• rémunération fixe à 98%, seulement une petite partie est variable, mais pratiquement au-dessus du salaire fixe

• Distance salariale-Belgacom : 1 à 42

• Distance salariale-Telefónica-CTC : 1 à 103

• Distance salariale-FranceTélécom : 1 à 23 (56)

• Système de rémunérations sur base de l’ancienneté

• rémunération fixe à 98%, seulement une petite partie est variable, mais pratiquement au-dessus du salaire fixe

• 2000 : environ 20% des travailleurs : bonus variable

• Call Centers (ATENTO) : partie variable jusqu’à 30%

• La direction veut flexibiliser le salaire fixe, mais pas d’accord à la dernière négociation collective

7.- Relations professionnelles :

• 1996 : exécution de l’accord ABC, dialogue social constructif,

• relation direction-syndicats respectueuse, début de concertation sociale constructive à contre-courant de la pratique nationale

• 1996 : 23 organisations syndicales,

• taux de syndicalisation/entreprise : 92% (1996)

• en général, la paix sociale ; les conflits sont évités en négociant

• 1999 : relations professionnelles détériorées ; le nouveau décret tarifaire est le bouc émissaire

• rupture du dialogue social et entente entre direction et syndicats, méfiance ; plans de préretraites et des licenciements se succèdent,

• 2001 : 23 syndicats,

• taux de syndicalisation/entreprise : 86% (2001)

• négociation collective bloquée, conflits graves, grève violente et sabotages, etc.

Rôles de la DRH

1.- Missions principales :

• DRH appuie la stratégie de l’entreprise

• Stratégie RH : éparpillée dans des documents, conventions collectives, discours, etc.

• DRH avec un certain pouvoir d’influence, plutôt centralisée

• management de relations professionnelles proches du modèle néo-corporatiste ; situation atypique

• DRH appuie la stratégie de l’entreprise

• Stratégie RH : éparpillée dans des documents, conventions collectives, discours, etc.

• DRH avec moins de pouvoir d’influence,

• 2001 : division de la DRH en deux départements

• management de relations professionnelles typiques au modèle confrontationnel

2.- Taille :

• 1996 : rapport DRH/effectif total : 1 : 37 (2,67%) • 2001 : rapport DRH/effectif total : 1 : 77 (1,29%)

3.- Profil professionnels-DRH :

• 1997 : AA : 53%

EO : 38%

PS : 9%

• 2001 : AA : 30%

EO : 57%

PS : 13%

4- - Clients de la DRH :

• 1996 : actionnaires, haute direction, ligne hiérarchique, • 2001 : actionnaires, haute direction, ligne hiérarchique, employés, syndicats, chercheurs d’emploi (portail « CTC

Page 315: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

315employés, syndicats Empleo »), acheteurs, public en général

5.- Pouvoir de la DRH :

• pouvoir relativement important ; vice-président DRH est un des dirigeants parmi les plus importants de la haute direction

• elle joue un rôle importante pour l’accord ABC et elle établit une relation direction-syndicats respectueuse et de dialogue

• pouvoir faible ou presque nul ; le responsable DRH reste hors de la haute direction ; changement de responsable

• incapacité d’établir une relation respectueuse et de dialogue entre direction et syndicats ; perte de légitimité et d’influence auprès des syndicats

6.- Position du chef-DRH :

• le Vice-président RH appartenait au Comité Directif, il est un des trois dirigeants parmi les plus influents

• le Comité Directif est réduit à 5 personnes, le responsable DRH est exclu ; moins d’influence

Modèles de management

1.- Conception d’entreprise et des travailleurs :

• équilibre certain entre l’économique et le social ; entreprise, en accord avec le Gouvernement, assume un rôle de service public,

• de nombreux programmes sociaux (santé, éducation, sport, Club Senior, …)

• accord collectif : augmentation salariale et bonus

• les travailleurs perçus tant comme des coûts que comme des investissements

• équilibre entre l’économique et le social est rompu, priorité absolue à l’économique, le profit à court terme coûte que coûte

• diminution de programmes sociaux

• les travailleurs perçus plutôt comme des coûts

• forte exigence pour la diminution des coûts

2.- Style de management :

• DPO, autoritaire, paternaliste et dirigiste

• management vertical, distance entre chefs et subordonnés

• DPO, style encore autoritaire, paternaliste quoique plus fortement critiqué, mais le paternalisme plus critiqué que l’autoritarisme

• fort discours prônant les méthodes du modèle « californien »

• management plus musclé autour de la productivité à court terme

3.- Importance donnée aux R.H. :

• attention plus importante aux ressources humaines

• modernisation et professionnalisation de la DRH

• diminution du budget global de la DRH

• diminution de la masse salariale consacrée à la formation

• diminution significative du personnel DRH

4.- Importance donnée aux relations professionnelles et aux syndicats :

• attention particulière aux syndicats et accord ABC

• relations professionnelles respectueuses et de dialogue (négociation collective réussi,..)

• 1999 : début de la détérioration des rapports direction-syndicats

• non respect des accords établis, méfiance entre direction et syndicats, delégitimisation mutuelle entre « partenaires sociaux », rupture totale des rapports entre direction et syndicats

Nous proposons également une synthèse, dans le tableau 30, des évolutions des variables choisies dans le cas français.

Page 316: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

316

Tableau 30

Synthèse des évolutions du contexte externe, du contexte interne et du contenu (GRH, DRH, M) dans le cas français

1ère Période (1996-1997-1998) 2ème Période (1999-2000-2001…) CONTENU (GRH, DRH, M)

Pratiques de GRH

6.- Rémunérations :

• Rémunération du fonctionnaire : partie fixe basée sur un barême préétabli, plus une partie « variable » (CFT) au-delà du salaire fixe

• Cadres supérieurs et vendeurs : la partie « variable » (CFT) peut arriver jusqu’à 12%

• Rémunération du fonctionnaire : partie fixe basée sur un barême préétabli, plus une partie « variable » (CFT) au-delà du salaire fixe

• Cadres supérieurs et vendeurs : la partie « variable » (CFT) peut arriver jusqu’à 12%

• Dernières années : début d’application de la partie « variable » (CFT) aussi pour les agents

7.- Relations professionnelles :

• 6 syndicats ; taux de syndicalisation/entreprise : 10-15 %

• pratique de concertation sociale ; relations professionnelles relativement bonnes surtout avec 4 syndicats

• grèves (partielles) misee en œuvre par certains syndicats

• 2001 : nomination du DRH chez FranceTélécom SA

• relations professionnelles respectueuses, réunions régulières direction-syndicats

• convention collective nationale du secteur imposé par la loi

Modèles de management

1.- Conception d’entreprise et des travailleurs :

• équilibre entre l’économique et le social ; Etat actionnaire majoritaire, situation monopole, rôle de service public

• les travailleurs : perçus tant comme des coûts que comme de investissements ; les travailleurs ont le statut de fonctionnaires ; la loi prévoit un Conseil d’orientation et de gestion des activités sociales

• société anonyme de droit public

• 1998 : ouverture du marché ; l’accent est mis sur l’économique quoique sans délaisser l’aspect social

• travailleurs perçus tant comme des coûts que comme des investissements, mais plus de pression pour diminution des coûts

• management indépendant de l’actionnaire majoritaire public

2.- Style de management :

• DPO, verticaliste, tendance hiérarchisante fort présente

• discours axé sur le changement

• DPO, discours prônant le travail en équipe, l’empowerment, la flexibilité

• accent mis sur la bonne attention aux clients ; les pratiques ne suivent par toujours le discours

Section IV : ANALYSE DES CONTENUS (GRH, DRH, M) SELON LES SIX AXES EXPLICATIFS DE TRANSFORMATION

Dans cette section, nous analysons l’évolution des pratiques de GRH, des rôles de la DRH et des modèles de management sur base des 6 axes explicatifs énoncés dans la partie théorique.

Page 317: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

317

Il s’agit d’expliquer en quoi les variables du contexte externe (le marché des télécommunications, le modèle de relations professionnelles et le système politique, le marché du travail, la culture nationale) et du contexte interne (la configuration organisationnelle et la stratégie d’entreprise) ont contribué à modifier le contenu, c’est-à-dire, les pratiques de GRH, les rôles de la DRH et les modèles de management.

1.- Configuration bureaucratique impliquant des pratiques de GRH objectivantes, des rôles de DRH d’agent administratif et un management classique.

1. 1.- Malgré des restructurations organisationnelles successives la structure dominante est restée bureaucratique. Il est vrai qu’au niveau de la hiérarchie il y a eu une diminution des échelons hiérarchiques (structure plus aplatie), mais cela a modifié, en partie, plus le processus décisionnel que la nature même du travail. Cette division verticale de travail influence la distance hiérarchique entre les niveaux supérieurs et inférieurs, par conséquent, elle se reflète dans le système d’évaluation et de promotion basé sur des critères précis et des échelles de notation définies a priori pour plus d’objectivité.

La division horizontale de travail implique l’existence de professions et métiers avec un savoir-faire technique très spécifique (électricien, informaticien, jointeurs, etc.), elle conditionne des pratiques de formation, d’évaluation, de promotion ou de rémunération bien précises et adaptées à ces professions techniquement bien délimitées. Cette situation va à l’encontre de la polyvalence et de la flexibilité qui caractérisent le modèle de GRH individualisant.

Cependant, l’entreprise a commencé un effort d’enrichissement et d’élargissement de certains types de métiers. L’entreprise tend vers plus de polyvalence chez le technicien d’attention aux clients (TAC) qui, en plus de réparer, devrait aussi vendre à domicile. Par conséquent, la formation donnée commence à incorporer aussi des aspects relationnels.

Le fait d’avoir évolué d’une situation où les buts de mission et de système étaient relativement équilibrés au début de la période vers une prédominance des buts de système a impliqué des départs anticipés et des licenciements plus nombreux à la fin de la période. Une formation à court terme et qui a souffert d’une diminution budgétaire importante (2% de la masse salariale en 1996, 1,2% en 2000, 2,2% en 2001); une proposition de la haute direction de baisser les avantages économiques des employés (indemnisations, bonus de 40 jours/année à 30 jours/année) dernièrement. Typiquement, il s’agit là des caractéristiques du modèle objectivant de GRH.

1. 2.- Quant aux rôles de la DRH, la division verticale hiérarchisée et la centralisation du pouvoir dans la haute direction sont corrélés, surtout dans la période initiale, avec une centralisation de la fonction des R.H., de même qu’une DRH avec un profil dominant d’agent administratif, préoccupé des démarches administratives et beaucoup de paperasserie. Même si, au début, le responsable de la DRH partage un pouvoir important (membre influent de la haute direction), par la suite, il subira un fort affaiblissement de son pouvoir et pendant plus d’un an le responsable de la DRH n’appartiendra plus au Comité Directif. C’est seulement à la fin de 2001 qu’il redevient membre.

1. 3.- Au niveau du management, la division verticale, une coordination du travail à travers la supervision directe (Call centers, etc.), une concentration du pouvoir dans la haute direction, ont contribué et contribuent à maintenir une distance considérable entre les chefs et les subordonnés, un style autoritaire de management, peu d’écoute envers les subordonnées, des difficultés pour établir des relations professionnelles de dialogue et stables. Ces deux dernières années, cette distribution du pouvoir concentré surtout sur deux pôles (actionnaire majoritaire espagnol et haute direction, surtout le Président) et cette prééminence des buts de

Page 318: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

318

système, vont conditionner une logique qui considère les travailleurs plutôt comme des coûts, provoquer une crise et des rapports conflictuels entre direction et organisations syndicales (rupture de dialogue, négociation bloquée, forte grève en 2002).

2.- Stratégies de diminution de coûts et d’amélioration de la qualité influençant des pratiques de GRH du modèle objectivant et individualisant, des rôles de DRH d’agent administratif et de partenaire stratégique et des modèles de management classique et instrumental en même temps.

2. 1.- Au début, la stratégie de diminution des coûts va déterminer quelques départs mais qui ne provoqueront pas des conflits. Il y a déjà eu, avant 1996, un départ d’un certain nombre d’opératrices lors du passage à la technologie digitale. En 1996-1998, les départs sont négociés avec les organisations syndicales dans le cadre de l’Accord de Confiance (ABC) et réalisés sous la forme de retraites anticipées et dans de bonnes conditions sociales. Il y a un certain nombre de personnes qui travaillent déjà sous contrat à durée déterminée. La direction réalise un processus de réingénierie à travers le programme BDA et, plus tard, via le projet AVA (McKinsey) pour une rationalisation des processus de travail et l’obtention de la valeur ajoutée nécessaire. La formation qui découle de cette stratégie visera surtout à un changement des habitudes paternalistes et bureaucratiques, au savoir-faire technique et à la performance du travail.

Dans cette même période, la stratégie de la qualité, exprimée par la forte préoccupation pour satisfaire les clients, a été développée à travers les programmes BDA et de Qualité Totale et, au niveau des pratiques de GRH, se traduira par une formation qui tiendra plus compte de l’attention au client, des aspects du savoir-être, des aspects relationnels, du respect aux subordonnés par les chefs et de diminuer cette distance hiérarchique entre ceux-ci, des formations sur un nouveau leadership, de la disponibilité aux changements. C’est une période où des relations professionnelles respectueuses et de dialogue social sont établies.

Dans la phase 1999-2001, nous percevons la prééminence de la stratégie de diminution des coûts et son influence. Les départs massifs se multiplient, à chaque fois sous de moins bonnes conditions sociales pour arriver, en juin 2001, à un licenciement massif sec. De même, on constate la volonté de la direction de baisser les indemnisations par année travaillée et de changer le bonus de fin d’année qui avait été accordé lors de la négociation collective de 1998. Quant aux entrées d’effectifs, les nouveaux recrutés sont choisis, de préférence, parmi les jeunes professionnels (moins chers) et sous des conditions d’embauche et des rémunérations différentes et nouvelles (contrat à durée déterminé, rémunérations égales à celles du marché, etc.). La formation diminue en importance (diminution budgétaire).

La stratégie d’amélioration de la qualité, à son tour, stimulera une formation qui visera tant au savoir-faire technique immédiat qu’au savoir-être, aux aspects relationnels. La direction prône fortement l’auto-formation, l’auto développement, l’empowerment, l’employabilité ; on commence à considérer le mérite et pas seulement l’ancienneté, comme un autre critère d’évaluation et de promotion. Pour la première fois l’évaluation de 360° est réalisée pour les managers.

A la fin de cette période, les relations professionnelles se sont totalement détériorées, elles deviennent confrontationnelles. Bref, nous constatons des pratiques de GRH typiques d’un modèle objectivant et, à la fin de la période, hybridées avec celles du modèle individualisant.

2. 2.- Au début, au niveau de la DRH, la stratégie de diminution des coûts se verra reflétée par la présence dominante d’un profil d’agent administratif des professionnels de la DRH. La

Page 319: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

319

stratégie de la qualité a impliqué une légère décentralisation de la DRH puisque 60 personnes furent détachées aux zones dans tout le pays, une diminution importante de la taille du Département des R.H., le rapport DRH/ effectif total change de 1 : 37 à 1 : 77, bien que ce changement pouvait aussi s’interpréter comme l’influence de la stratégie de diminution des coûts.

En 2001, a eu lieu la filialisation de la DRH et la constitution du « Centro de Gestión de Servicios Compartidos » réalisé dans la perspective de diminuer les coûts et d’obtenir du gain par un avantage d’échelle. A la fin de la période, la DRH a cessé d’être majoritairement composée du profil d’agent administratif (de 53% en 1997, à 30% en 2001) et a évolué plutôt vers un profil d’expert opérationnel (38% en 1997, à 57% en 2001).

2. 3.- Au début de la période, il y a deux stratégies en application. La stratégie de diminution des coûts se reflétait dans un style de management plus directif et vertical, dans le manque d’écoute vis-à-vis des subordonnés, la présence de l’autoritarisme et du paternalisme. Mais, en même temps, la stratégie d’amélioration de la qualité se voit reflétée dans la création de la Vice-présidence de la Qualité, la création des 64 Comités de Qualité et des 309 Equipes d’Amélioration vers 1998, par l’amélioration des rapports et diminution de la distance entre chefs et subordonnés, la valorisation des ressources humaines (plus grand pourcentage de la masse salariale consacré à la formation, augmentation des salaires, indemnisations et bonus avantageux, budget pour les activités extra-professionnelles), la bonne entente et le dialogue social établi avec les organisations syndicales.

Ensuite (1999-2001), la stratégie de diminution des coûts devenant dominante, le style de management tendra à être beaucoup plus directif et soucieux des contrôles, l’importance accordée aux ressources humaines diminue (moins de budget consacré à la formation), pas de reconversion et la direction privilégie plutôt les embauches externes. Les relations professionnelles avec les syndicats sont totalement détériorées. Comme influence de la stratégie d’amélioration de la qualité nous constatons l’accent mis sur la flexibilité, l’autonomie, l’auto développement, l’empowerment, le coaching, l’employabilité, l’adaptabilité au changement, une forte critique au paternalisme, etc. Cependant, est beaucoup plus évident la contradiction entre ce discours et la pratique, puisque certaines de ces notions (empowerment, coaching, …) ne sont pas vraiment pratiquées par la majorité.

Nous constatons donc une hybridation sui generis des pratiques managériales.

• Stratégies de diminution de coûts et d’amélioration de la qualité influençant des pratiques de GRH du modèle objectivant et individualisant, des rôles de DRH d’agent administratif et de partenaire stratégique et des modèles de management classique et instrumental en même temps, dans le cas de FranceTélécom S.A.

Dans le cas français, la stratégie d’amélioration de la qualité, exprimée par une amélioration de la fiabilité et par la qualité des services et des produits, par la satisfaction des clients (mesurée via des enquêtes périodiques de satisfaction des clients faites par des cabinets externes), va avoir comme conséquence une plus forte formation (augmentation du % de la masse salariale consacré à ceci) et concernera non seulement le savoir-faire, notamment technique, mais aussi le savoir-être, les aspects comportementaux, le relationnel, notamment pour l’attention aux clients. L’évaluation tiendra compte non seulement de l’ancienneté mais aussi du mérite et ceci sera pris en compte aussi lors des promotions. L’instauration du « Complément-FT » joue le rôle d’une sorte de partie variable du salaire parce qu’elle est proportionnelle aux bénéfices de l’entreprise et, donc, à l’efficacité de l’employé. Des pratiques de GRH plus individualisantes.

Page 320: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

320

Au niveau de la DRH, c’est l’évolution de la notion d’abonné à la notion de client, y compris celle de client interne.

Au niveau du management, l’évolution du style managérial tend plus à la DPO, au coaching, à la flexibilité, à l’empowerment ; méthodes et techniques similaires à celles pratiqués dans les autres entreprises. Un management incliné plus vers un modèle instrumental.

Par contre, la stratégie de diminution des coûts a influencé la mise en œuvre du programme CAPP Avenir (Congé en Alternance de Progression Professionnelle), politique de redéploiement des ressources dont de préretraites depuis 1996 jusqu’à 2006. Le projet « RH Demain, une ambition d’avance » -vaste programme de réingénierie de la fonction RH encore en exécution-, a permis, en général, une importante diminution du personnel et, en particulier, une diminution du personnel-DRH avec un profil d’agent administratif. De même, la vente de propriétés immobilières, du parc des camions, l’outsourcing d’une série de services, etc. s’inscrit dans le même sens.

3.- Marché très hostile et instable stimulant des pratiques de GRH individualisantes, des rôles de DRH de partenaire stratégique et un management instrumental.

3. 1.- Tant la forte concurrence du marché (12 opérateurs en téléphonie fixe en 1997 pour monter à 14 en 2000 ; 6 opérateurs de téléphonie mobile en 1998) que la régulation imposée par la SUBTEL (« Decreto Tarifario » de 1999), entraîneront des changements au niveau des pratiques de GRH. En effet, nous constatons successivement une amélioration du processus de sélection et plus de compétences exigées des nouveaux professionnels engagés, c’est le cas des « Managers d’attention aux clients ». La formation tend vers les aspects du savoir-faire, de l’autoformation en utilisant les outils informatiques et télématiques ainsi que l’autodéveloppement pour construire une carrière ; l’employabilité commence à se développer. La gestion par compétences est introduite chez une partie des travailleurs, l’évaluation tient compte aussi du critère du mérite pour les promotions. Tous ces changements tendent à la mise en œuvre d’une GRH individualisante.

3. 2.- En 1998, il y a une décentralisation partielle de la DRH. En 2001 une séparation totale des équipes plus opérationnelles pour former une nouvelle entreprise spécialisée en services de GRH qui travaillera sous une logique de service aux clients mais garantissant une rentabilité (Telefónica-Gestion de Services Partagés) ; au fond, Telefónica-CTC, maison mère, a opéré avec l’idée d’un outsourcing. Dans la logique d’un meilleur service aux clients, la DRH a élargi son attention vers les clients externes en installant leur portail « Empleo ». En général, tant la taille de la DRH (de 240, en 1996, à environ 100 personnes, en 2001) que les professionnels-DRH avec un profil AA (de 53%, en 1997, à 30%, en 2001) ont dû diminuer de façon importante.

3. 3.- C’est au niveau du modèle de management que les changements qui ont eu lieu sur le marché des télécommunications sont les plus évidents, notamment au niveau du discours managérial.

La préoccupation de compétitivité se reflète, en 1996-1997, par le développement des plans BDA et de la Qualité Totale, par la création de la Vice-présidence de la Qualité, par les nombreux Comités de Qualité et les Equipes d’Amélioration vers 1998, même si ces programmes n’ont pas abouti complètement. Le style de management mettra l’accent sur la flexibilité, le besoin du changement et d’un leadership pour le changement, l’auto développement, l’empowerment, un rapport plus fluide entre les chefs et leurs subordonnés.

Page 321: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

321

Au début (1996-1998) il y a eu une valorisation plus importante des ressources humaines, une meilleure professionnalisation du département R.H., une amélioration du processus de sélection du personnel, un % de la masse salariale plus important consacré à la formation et surtout un rapport positif avec les organisations syndicales. Par contre, les dernières années il y a un changement régressif, notamment dans ces trois derniers domaines. Le modèle de management « californien » a continué à se renforcer à la fin de la période.

Le marché de télécommunications est perçu et mobilisé intensément par les acteurs (notamment la direction) pour stimuler le développement d’un modèle de management « californien », des pratiques de GRH individualisantes et un rôle de la DRH de partenaire stratégique. Rappelons que le marché chilien des télécommunications ainsi que toute l’économie, ont été ouverts et insérés dans le cadre d’un modèle capitaliste néo-libéral, depuis longtemps dans ce pays, par choix politique du Gouvernement militaire.

4.- Modèle de relations professionnelles confrontationnel et latin corrélé à des pratiques de GRH du modèle objectivant, de rôles de DRH d’agent administratif et un modèle de management classique.

4. 1.- Les relations professionnelles sont les premières pratiques de GRH qui se voient bouleversées par le modèle confrontationnel et latin des relations professionnelles qui prévaut au niveau national. Dans la « période de croissance » (1996-1998), l’entreprise a développé des relations professionnelles plutôt de collaboration respectueuse, correspondant à un modèle néo-corporatiste, contrairement à la pratique dominante. C’est la période de l’Accord de Confiance (ABC), de la constitution des Commissions Bipartites, des départs anticipés mais négociés et exécutés sous des bonnes conditions et sans conflits sociaux, d’une négociation collective (1998) où les organisations syndicales ont obtenu presque tout ce qu’elles demandaient (une augmentation des rémunérations, des indemnisations avantageuses et un bonus).

Entre 1999 et aujourd’hui, cette relation a brutalement changé. Des changements de dirigeantes clés (gérant général, responsable de R.H., président) sont intervenus et les nouveaux managers de la haute direction reflètent plus exactement la mentalité managériale dominante du pays.

Par conséquent, la proposition de McKinsey (projet AVA) est mise à exécution, les départs augmentent à travers les plans de préretraites et de licenciements. La direction veut diminuer le bonus de fin d’année ce à quoi les syndicats s’opposent farouchement. Les relations professionnelles sont absolument détériorées ; en pratique, il n’y a pas eu de négociations collectives en 2002 et les syndicats déclenchent la plus violente grève (30 jours) de ces dernières décennies avec de lourdes conséquences économiques et sociales (160 sabotages dans le réseau de télécommunications et des pertes économiques).

Il n’y a pas une instance de concertation sociale nationale ni des organisations syndicales sectorielles qui puisse aider à rétablir un rapport social Il y a donc absence d’un dialogue inter-syndical dans le secteur des télécommunications.

Il faut remarquer le manque de vision nationale des syndicats de la CTC. Ceux-ci se limitent à défendre les intérêts « corporatistes » de leurs affiliés, en ignorant, consciemment ou inconscientement, la problématique sociale et du travail au niveau sectoriel et/ou national, par exemple les niveaux des salaires. Ils se cantonnent à une micro-réalité très limitative mais privilégiée.

Page 322: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

322

Les pratiques de GRH deviennent plus individualisantes et abandonnent les traits du modèle conventionnaliste.

4. 2.- Au niveau de la DRH, le pouvoir de la DRH a diminué sensiblement et la position du responsable de la DRH a changé. Le responsable de la DRH, de Vice-président devient un Gérant de R.H. et il n’appartient pas, en 2001, au Comité Directif restreint. La détérioration des relations professionnelles a contribué à diminuer le nombre de professionnels de type AA et à augmenter le nombre des professionnels EO dans le cadre du processus d’informatisation de ce service dernièrement (projet « Telefónica-Personas »).

4. 3.- Au niveau national, jamais il n’y a eu une concertation sociale stable entre employeurs et syndicats ni une institutionnalisation d’une quelconque concertation sociale. Il y a un patronat fort du point de vue économique, organisationnel et idéologique tandis que du côté syndical la faiblesse, le manque de projet et d’unité l’emportent. Le facteur qui a changé ces 10 dernières années c’est la présence d’un Gouvernement de la « Concertation Démocratique » qui a essayé, avec un rôle actif et interventionniste, de stimuler cette concertation sociale et de faire approuver une nouvelle Loi du travail (« Reforma Laboral »), mais leurs résultats ont été mitigés dû à une ferme opposition patronale et de la droite politique.

D’autre part, il s’agit ici d’une entreprise privée où le Gouvernement n’intervient pas dans les décisions stratégiques ni managériales, comme cela a été le cas lors des licenciements massifs (juin-2001).

Par conséquent, si l’entreprise, lors de la phase 1996-1998, a établi un équilibre entre les intérêts économiques et sociaux, a pratiqué exceptionnellement un management plutôt politique et a porté une attention particulière aux R.H. et aux syndicats, c’est dû à la confluence de plusieurs facteurs : la bonne conjoncture économique nationale, les résultats financiers encore positifs de l’entreprise, la volonté de certains hauts dirigeants clés et, indirectement, la volonté de la Présidence de Telefónica-Espagne de stimuler encore la « consolidation démocratique » au Chili en appuyant ses hauts dirigeants.

Par la suite, pendant la phase 1999-2001, d’autres changements peuvent être relevés : la conjoncture économique nationale change (effets de la crise asiatique), les résultats financiers de l’entreprise chutent, le départ de certains dirigeants, le changement du Président de Telefónica-Espagne et la mise en œuvre d’une politique de rigueur économique et d’offensive en Amérique latine. Or, l’équilibre entre l’économique et le social a changé au désavantage du social, le style de management privilégie les actionnaires avec la peur de perdre leurs investissements. Apparaît avec plus de force, un discours managérial de flexibilisation, d’adaptabilité au changement, d’employabilité, d’un contrôle plus strict avec un dirigisme vertical non dénué d’autoritarisme.

Ce management diminue l’importance consacrée aux R.H., les relations professionnelles se détériorent et finissent par se rompre.

Les managers ont une méfiance et souvent un manque de volonté de dialogue et de négociation avec les syndicats.

Les relations professionnelles de l’entreprise sont enfin ralliées au modèle de relations professionnelles national, c’est-à-dire, au modèle confrontationnel et latin. Le modèle de management évolue donc d’un modèle classique et légèrement politique, vers un modèle plus clairement « californien ».

5.- Qualification moyenne de la main-d’œuvre et faible prégnance de la législation sociale donnant lieu, en même temps, à des pratiques de GRH des modèles

Page 323: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

323

conventionnaliste et individualisant, des rôles de la DRH d’expert opérationnel et de partenaire stratégique et des modèles de management politique et « californien ».

5. 1.- L’abondant réseau d’Universités et d’Instituts professionnels, l’amélioration de l’enseignement public (3,6% du PIB en 2001), les conventions de l’entreprise et des syndicats avec des Universités et des Instituts professionnels (USACH, CISCO, INACAP74 ) et quelques fois avec des Universités espagnoles, permettent une formation de haut niveau d’une partie des professionnels (ingénieurs, MBA, etc.), mais des faiblesses subsistent au niveau des cadres moyens (techniciens, etc.). De plus, le programme SENCE aide à la formation dans l’entreprise. Tout ceci a permis à l’entreprise d’avoir et de former les professionnels (ingénieurs) dont elle a besoin. Or, la formation que ces professionnels acquièrent est, en général, celle du management d’origine nord-américain, ce qui les prépare et les conditionne déjà pour des pratiques d’une GRH individualisante.

Quant à la législation sociale nationale la situation est différente. En général, la charge de travail hebdomadaire de 48 heures, réduite à 47,5 heures à la CTC par le contrat collectif, ne pose pas un problème majeur dans la mesure où tout le pays travaille à ce rythme. Cependant, le droit limité de grève (seulement pendant la négociation collective et maximum pendant un mois), les dispositions faiblement contraignantes pour le licenciement (pas de préavis, …), aucune disposition légale sur la concertation sociale, donc aucune obligation de contrats collectifs par branches ou au niveau national, sont quelques-unes des dispositions légales qui favorisent largement le pouvoir discrétionnaire des managers ou, autrement dit, freinent ou affaiblissent fortement l’action syndicale.

La législation sociale ne crée pas l’espace suffisant d’expression aux organisations syndicales et limite leur pouvoir d’action (grève une fois tous les deux ans). Ce cadre légal alimente leur méfiance quant à l’utilité de la concertation sociale et stimule la tendance à la confrontation ; les licenciements deviennent plus faciles. Ce contexte a stimulé l’évolution des pratiques de GRH du modèle objectivant vers un modèle plus individualisant.

5. 2.- Au niveau de la DRH, une certaine qualité de formation au niveau national a permis la formation et l’arrivée de professionnels mieux formés et d’évoluer plus fortement vers un profil d’expert opérationnel. Le dispositif légal moins prégnant a permis aussi le départ du personnel, notamment du profil AA, et la diminution conséquente de la taille de la DRH.

5. 3.- Au début de cette période (1996-1998), même si la législation sociale nationale n’est pas prégnante et ne facilite pas l’établissement de bonnes relations professionnelles, l’entreprise a pu développer de bonnes relations professionnelles et pratiquer un management plutôt politique, grâce à la présence de dirigeants avec des conceptions managériales, sociales et politiques spéciales.

Après (1999-2001), ces dirigeants ayant disparu, le contexte sera réinterprété et l’entreprise gérée autrement. Le manque de lois contraignantes permet aux nouveaux managers de privilégier librement l’économique au détriment du social, les ressources humaines font l’objet de moins d’attention, les syndicats moins de reconnaissance et une rupture grave des relations professionnelles est consolidée.

Le management mettra en œuvre le type de formation acquise qui va dans le sens d’un modèle de management « californien ». Le discours prôné avec plus de force c’est la flexibilité, le changement permanent, l’auto-formation, l’employabilité, l’empowerment.

A un management classique laissant la place au modèle politique se substitue un management instrumental. 74 INACAP : Instituto Nacional de Capacitación

Page 324: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

324

6.- Culture latine imbriquée plutôt avec des pratiques de GRH du modèle objectivant, des rôles des DRH d’agent administratif et d’un modèle de management classique.

Nous allons tout d’abord relever (6.1) les liens entre les traits culturels et le modèle de management ; ensuite (6.2) nous mettons en évidence les liens avec les pratiques de GRH et enfin (6.3) les relations avec les rôles de la DRH. La comparaison se fait ici par rapport au cas belge.

6. 1.- Le respect trop marqué à l’autorité, la distance hiérarchique importante, l’autoritarisme et le paternalisme forts présents encore dans la culture chilienne stimulent, au niveau du management, une forte séparation entre ceux qui conçoivent et ceux qui exécutent, entre la haute direction et les employés, un style de management directif et vertical, peu sensible à l’écoute des subordonnés, voire autoritaire. L’autoritarisme et le paternalisme vont conditionner un style de management qui tend à demander une inconditionnalité sans critiques du subordonné, en même temps que le commandement et la punition rapide.

Des mesures importantes (programmes BDA et de la Qualité totale), parfois contradictoires, ont été prises pour corriger ce type de management mais avec des résultats mitigés. Les fortes critiques des employés contre la méthode parfois perçue comme choquante et provocante du programme BDA - trop « à l’Américaine »- pour amener le changement de la culture, reflètent bien l’existence des caractéristiques culturelles et sociales spécifiques.

Une conception dominante du pouvoir de domination dans la société (forte personnalisation du pouvoir, la méfiance, le sentiment de supériorité personnelle, une certaine vanité, etc.) influence aussi dans le sens d’un style de management vertical et autoritaire, un management où la participation, le partage du pouvoir ou le travail en équipe entre égaux sont difficiles à mettre en œuvre : « La distribution du pouvoir est suffisante par rapport à la « culture-pays », par rapport à ce que le pays accepte. Les gens ne veulent pas assumer plus de pouvoir parce qu’ils ne veulent pas courir des risques ; alors on ne peut pas octroyer plus de pouvoir que ce qui est possible en considérant la culture- pays. Il faut considérer que dans ce pays il y a une grande concentration du pouvoir politique ; les municipalités, les mairies, etc. sont fortement centralisées, où que ce soit, … alors nous ne pouvons pas aller plus loin » (un vice-président de régulation).

La liberté et l’autonomie souhaitées seront brouillées soit par le paternalisme, soit par la peur du licenciement. Les employés n’osent pas avoir plus d’autonomie, de responsabilités : « Il y a de la peur d’assumer, une peur de se tromper, d’être ridicule parce que les autres regardent. Dans ces périodes de crise se tromper peut avoir des coûts, on ne sait jamais, alors il faut pas courir des risques, il faut attendre et que les chefs décident » ( un ingénieur).

Ces traits de la culture chilienne s’imbriquent plus avec un modèle de management classique. Cette culture latine s’imbrique plus difficilement avec certains techniques du modèle instrumental (cercles de qualité, empowerment, etc.). Le modèle classique reste donc très présent.

6. 2.- Le respect très marqué à l’autorité, les rapports hiérarchiques distanciés, la conception du pouvoir de domination et leur concentration plutôt dans la haute direction conditionnent, au niveau de la GRH, la difficulté du dialogue, la présence des relations professionnelles difficiles et conflictuelles, d’une méfiance mutuelle entre direction et organisations

Page 325: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

325

syndicales, situation correspondant plutôt au modèle objectivant de GRH, notamment ces trois dernières années. Lors des trois premières années, la situation a été différente. L’entreprise pratiquait une politique des R.H. avec un important contenu social mais non dénué d’un certain paternalisme dans quelques actions (par exemple, intervention du département social de la DRH pour épurer ou négocier certaines dettes privées des employés auprès d’institutions créancières). Cette forte hiérarchisation du travail va de pair avec l’extraordinaire inégalité des rémunérations (distance salariale de 1 à 103), parmi les plus inégalitaires du monde. Bref, le modèle objectivant de GRH a toujours été présent.

6. 3.- Ces caractéristiques culturelles ont contribué, au début, à avoir une DRH centralisée et de grande taille, typique des entreprises fort hiérarchisées, avec une DRH de profil agent administratif. Par la suite, elle s’est décentralisée, mais pour revenir, encore une fois, à une centralisation importante en 2001 lors de la constitution de la filiale « Telefónica-Gestión de Servicios Compartidos ».

Section V : ANALYSE PROCESSUELLE ET JEUX D’ACTEURS

Cette section est consacrée aux repérages des jeux d’acteurs qui, en construisant le contexte dans lequel ils vivent, modifient (en amplifiant ou en limitant) les changements des pratiques de GRH, des rôles de la DRH et des modèles de management dans les 6 dimensions évoquées.

Nous essayons ici de vérifier la dernière hypothèse qui affirmait que les changements de pratiques de GRH, de rôles de DRH et de modèles de management dans l’entreprise ne sont pas des processus mécaniques ni neutres, mais le résultat de la manière dont les acteurs concernés interprètent et mobilisent le contexte (externe et interne) et développent des jeux de pouvoirs entre eux pour donner du sens à ces changements et justifier leurs actions et leurs positions.

Dans cette description des changements observés, nous privilégions les acteurs et leurs intérêts, nous utilisons l’approche politique et nous nous éloignons des simples déterminismes contextuels et du rationalisme. Cette vision verticale complète donc l’analyse transversale faite auparavant.

Rappelons que Telefónica-CTC est depuis longtemps (1982-1985) une entreprise privée mais qui est restée un monopole, malgré le modèle néo-libéral qui régnait sous le régime militaire. Début des années 1990, elle a bénéficié d’une croissance économique soutenue du pays, du boom économique du secteur des télécommunications ainsi que du progrès extraordinaire des TIC. Elle a bénéficié de fortes inversions financières et d’un progrès technologique poussé. Or, même si elle était depuis longtemps une entreprise privée, ce n’est que ces dernières années qu’elle a affronté véritablement une rude concurrence et des pertes de bénéfices. Contradictoirement, le processus de démonopolisation a été ici lent. De même, elle a développé une efficacité et une productivité extraordinaires au cours de ces années (291 lignes par employé en 1996, 845 en 2001, etc.), (voir tableau 11, Ch. V). En conséquence, on constate une forte intensité de travail et d’importantes pertes d’emploi. La logique managériale devenu dominante est la logique de la productivité et des gains financiers à court terme.

Rappelons-le en synthèse, dans l’entreprise les évolutions les plus relevantes ont été : un modèle de management qui a évolué fortement vers un modèle « californien ». Les pratiques de GRH sont devenues beaucoup plus individualisantes, et dans ces deux variables, le

Page 326: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

326

changement a été ici beaucoup plus marquant que dans le cas belge. Le rôle d’agent administratif de la DRH est devenu plutôt d’expert opérationnel.

En effet, au début (1996-1998) un modèle de management caractérisé par un mélange du modèle classique et politique, est devenu plus clairement un modèle « californien » ; la bonne conjoncture économique et la présence des dirigeants particuliers à ce moment là ont joué des rôles déterminants dans le cours des événements. Ce sont le Gérant général, le Vice-président de R.H. et le Président du Directoire.

Un nouveau Gérant général (espagnol) est arrivé (1995-1998). Un an auparavant est arrivé un Vice-président de R.H. (1994-1999) dont un des leit motiv était le dialogue social ainsi que le développement d’une politique de R.H. de bien-être social. Ce sont deux personnalités avec des conceptions philosophiques et politiques démocratiques, humanistes et de gauche. Ils deviennent deux hommes qui s’entendent bien et acquièrent beaucoup de pouvoir et d’influence dans le Comité Directif et dans l’entreprise. Le Président du Directoire en exercice (1993-1997), militant du PS, ancien dirigeant du Gouvernement d’Allende, est engagé aussi dans l’affirmation du rôle social de l’entreprise et contribue au développement d’une bonne relation avec les organisations syndicales. Tous les trois ont connu l’Europe et s’y sont formés.75 C’est la présence et la volonté politique de ces acteurs à la direction de l’entreprise qui ont permis la signature, en décembre 1995, de l’Accord de Confiance (ABC) entre la direction et les organisations syndicales et le début d’une concertation sociale relativement constructive, pendant environ 4 ans (y compris l’année 1995). La direction du Groupe Telefónica-Espagne (actionnaire majoritaire) de l’époque a aussi voulu jouer un rôle dans ce sens en nommant ses dirigeants dans le cadre d’un contexte politique national chilien en processus de démocratisation récent ; il apparaît politiquement justifiable d’appuyer cet avènement démocratique majeur dans tous les domaines.76

Rappelons que les pratiques de GRH ont évolué vers des pratiques typiques du modèle individualisant. D’autre part, le rôle de la DRH, au début, préoccupée des aspects sociaux, d’établir un bon rapport avec les organisations syndicales (projet ABC), etc., a changé vers un rôle d’expert opérationnel, avec une diminution du nombre de personnes travaillant à la DRH et avec le développement de la filiale Centre des Services Partagés (externalisation de fonctions GRH).

Au début, la DRH composée majoritairement par une équipe à l’image de leur responsable, acquière une envergure comme elle ne l’avait jamais eu auparavant. Le Vice-président de R.H. a un pouvoir important et participe au Comité Directif. « Le Président de la compagnie de l’époque m’a engagé parce que j’avais une réputation de bon négociateur … Je crois absolument au dialogue social avec les syndicats et j’ai essayé de le pratiquer et de convaincre le reste des membres du Comité Directif, mais avec incrédulité de leur part » (un ex-vice-président DRH). Des nouvelles conditions de dialogue social se sont crées, un accord ABC est mis en œuvre. Une grande restructuration des postes, des départs négociés sans conflits sociaux, une action de bien-être social importante (augmentation des rémunérations, négociation des dettes des employés, activités sociales diverses, Club Senior, etc.) ont été réalisées. Ce Vice-président de R.H. a joué un rôle-clé. « Il y a eu une période de dialogue avec l’ancien Vice-président des R.H. Il dialoguait avec les syndicats pour n’importe quel problème, et vous savez que ça, en général, dans ces pays américains ne se fait pas, ici c’est

75 Le Vice-président RH, post grade en Sociologie, Université Catholique de Louvain (UCL), Louvain-la-Neuve, Belgique. Le Président du Directoire, ancien refugié politique, a vécu en France. 76 Rappelons que à cette époque le Premier Ministre du Gouvernement espagnol était Mr. F. Gonzalez, d’orientation socialiste (PSOE). Bien qu’il faut exclure une action directe du gouvernement sur l’entreprise Telefónica, il est possible, par contre, une certaine influence du gouvernement sur l’entreprise à ce sujet.

Page 327: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

327

différent de l’Europe … Mais après son départ, c’est fini le dialogue avec les syndicats» (un dirigeant syndical).

Ces changements ont pris ces caractéristiques ou tendances dominantes par la mobilisation que les acteurs ont fait de certaines variables contextuelles. Parmi elles, le marché de télécommunications, les configurations organisationnelles et les stratégies.

Le marché de télécommunications est devenu très concurrent par le nombre important d’entreprises nationales et étrangères y présentes. Il est perçu comme une des variables les plus importantes et le discours managérial prône l’alignement des salaires à ce marché, plus de flexibilité et de productivité. La vision du marché est d’autant plus importante dans la mesure où l’entreprise est cotée en bourse (à Santiago et à New York).

Les stratégies de diminution de coûts et d’amélioration de la qualité ont été appliquées pour diminuer les coûts -devenu une des exigences incontournables-, augmenter l’efficacité et la compétitivité, fidéliser les clients, vendre plus et augmenter les bénéficies.

Les changements de la configuration organisationnelle sont considérés surtout dans le sens de la diminution des échelons hiérarchiques favorable à une prise de décision plus rapide, mais pas tellement quant à la flexibilité de sa structure et du processus productif. Des successives restructurations ont essayé d’arriver à ces objectifs, mais elle reste bureaucratique.

Ces variables du contexte ont été les plus fortement mobilisées pour provoquer les changements souhaités et relevés auparavant. Cependant, il faut inscrire ces variables dans un cadre plus large où interviennent aussi d’autres variables liées à celles-ci.

Le modèle économique néo-libéral chilien, l’hégémonie du capitalisme néo-libéral mondial, une pensée et une idéologie fortement imprégnées des valeurs individualistes et libérales (survalorisation de l’entreprise privée, l’image identitaire de l’entrepreneur gagnant, le discours sur « la réussite : ça dépend que de vous », la privatisation des entreprises publiques, la diminution du rôle de l’Etat, etc.), le progrès extraordinaire des technologies de l’information et de la communication, sont tous des facteurs qui conditionnent décisivement ce type de changements. Le modèle capitaliste néo-libéral, notamment nord-américain, est perçu comme le modèle à imiter et sa puissance est ici fortement ressentie.

D’autre part, le modèle de relations professionnelles et le système politique, le marché du travail et la législation sociale et une culture politique latine, sont aussi des variables du contexte qui ont été mobilisées par les acteurs. Cela a permis, parfois, une autre tournure aux événements.

Le système politique devient plus démocratique il y a 12 ans. Il s’agit là d’un des changements importants du contexte qui contre-carre le sens des événements analysés. Historiquement, le rapport entre les organisations syndicales et les employeurs a été conflictuel. Cela tient à l’expérience historique et à des conceptions idéologiques et politiques fort différentes des partenaires sociaux et des partis politiques ; il y a une droite forte et conservatrice qui a construit un modèle économique à l’image de ses convictions et du capitalisme néo-libéral nord-américain, or il n’est pas question aujourd’hui de le changer. Les partis de gauche et une partie du syndicalisme (influencé par la gauche) ont été d’inspiration marxiste et leur modèle de société était socialiste, donc frontalement opposé au capitalisme. La dictature a affaibli énormément le syndicalisme et il est encore affaibli et divisé. Aujourd’hui, ces acteurs (partis et syndicats) cherchent de nouveaux repères politiques et un modèle de société, donc à ce sujet n’ont pas encore une pensée cohérente. Quelques-uns ne sont pas encore résignés à accepter un simple réformisme social en considérant les inégalités sociales encore profondes de cette société (exemple : distance salariale de 1 à 103 à la CTC, etc.), d’où la contestation et les difficultés d’arriver à des accords stables.

Page 328: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

328

Le Gouvernement issu de la Concertation Démocratique, essaie d’intervenir pour équilibrer l’économique et le social, pour promouvoir une concertation sociale durable. Il a fait d’énormes efforts pour améliorer des conditions sociales des travailleurs, pour établir et institutionnaliser les relations professionnelles, mais sa proposition de loi sur un nouveau Code du travail (« Reforma laboral ») a été discutée 7 ans au Parlement et n’a pas abouti à des résultats satisfaisants.

Le marché du travail et la législation sociale sont l’expression de l’action de ces forces politiques. Il n’est pas surprenant donc d’avoir une législation sociale faible et souple et une absence de concertation sociale institutionnalisée.

Une culture politique latine stimulant l’autoritarisme, le paternalisme et la distance hiérarchique n’aident pas à une concertation sociale constructive.

Ainsi, au début les organisations syndicales de la CTC ont participé à cette expérience sui generis et plutôt atypique, mais en gardant au fond leur conception « corporatiste » et utilitariste à l’époque. Cette expérience sociale a freiné un peu et « hybridé » l’instauration d’un modèle typiquement « californien » de management dans l’entreprise.

Mais en 1998, une première dissension apparaît. La direction propose d’élargir à 4 ans le délai des négociations collectives, mais le syndicat majoritaire SINATE manifeste son désaccord parce qu’il trouvait que, vu le niveau de concurrence, la période était trop longue ; une grève de 9 jours a lieu. A partir de cette année, deux positions se dessinent dans le mouvement syndical, SINATE et deux autres alliés, avec une position plus radicale et conflictuelle, et les autres syndicats, dans une position encore de dialogue avec la direction. A contre-courant du contexte national, l’entreprise pratique un management plutôt politique.

Dans la période 1999-2001 un profond changement se produit par la confluence des variables et contradictions suivantes : la crise asiatique a une répercussion sur la situation économique du pays, donc le taux de croissance économique diminue fortement, l’entreprise commence à avoir des déficits (1999, 2000), le nouveau Décret tarifaire entre en application et il est perçu comme fort contraignant pour l’entreprise.

Un nouveau Gérant général (chilien)77 est nommé, ayant une sensibilité plus financière, et il applique prioritairement une stratégie de diminution des coûts. Le programme AVA (proposition de McKinsey) est utilisé pour proposer un licenciement pour les personnes qui « n’apportaient pas de la valeur » à l’entreprise. Le nouveau Gérant général annonce déjà le panorama auquel il faudra faire face : « Nous avons commencé une série de projets de réduction des coûts, d’améliorations opérationnelles pour compenser la chute de recettes de la compagnie, pour l’instant nous n’avons pas touché ni les effectifs ni les rémunérations, mais les nouveaux tarifs nous affectent fortement, ceci signifie endommager la rentabilité de la compagnie … Pour parler avec honnêteté, nous allons subir des pertes du personnel, il n’est pas possible autrement, … nous verrons quelles activités peuvent être simplifiées, réduites ou éliminées, mais ce processus est inéluctable » ( Muñoz, vidéoconférence, 1999). A l’époque, le nouveau Président de Telefónica-Espagne arborait aussi une politique fortement financière et conquérante vis-à-vis de l’Amérique latine (achats de plusieurs filiales latino-américaines).

Une forte contradiction s’établit donc entre le nouveau Gérant général et l’ancien Vice-président de R.H. qui avait réussi à établir un dialogue social : « Le nouveau Gérant général prend le pouvoir sous la promesse de respecter le projet que nous avions installé depuis des années et de continuer à le développer, mais deux semaines après son arrivée il a commencé avec une gestion clairement financière … Il s’appuie en McKinsey et le projet AVA, … nous 77 Diplômé à l’Université Catholique du Chili (ingénieur, MBA). Il est perçu comme une personnalité ayant une pensée politique plutôt de droite.

Page 329: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

329

avons eu pas mal de contradictions et des conflits, mais après je me suis rendu compte que McKinsey était en train d’étudier un plan complémentaire de 1.500 personnes de plus parce qu’ils avaient projeté l’impact du « Decreto Tarifario », … alors ça a été le point de non-retour et j’ai présenté ma démission … Je sentais que je ne pouvais rien faire parce que s’est installée cette ligne financière dans l’entreprise …le contrôle des coûts, la préoccupation pour les coûts serait désormais la préoccupation centrale. J’ai décidé de partir parce que je ne pouvais pas être co-responsable d’une politique qui allait coûter très cher … et tout ce qui s’est passé après a confirmé ma décision » (un ex-vice-président DRH). Ce Vice-président charismatique et influent est parti à la fin 1999. Commence la fin du dialogue social à la CTC.

A partir de cette période, le pouvoir du responsable de R.H. est affaibli et son profil diminué. Le nouveau responsable de R.H. ne porte plus le nom de Vice-président mais de Gérant Corporatif des R.H., occupe une position plus basse que son prédécesseur. Vers la fin 2001, un autre patron de la DRH est nommé -amené de l’extérieur par le Président- et participe au Comité Directif élargi. Il impulse une évaluation de 360° auprès des managers montrant ainsi une préoccupation particulière pour la qualité et la formation des managers. Cependant, dans la mesure où la direction insiste pour éliminer les avantages privilégiés des travailleurs (indemnisations de fin d’année de 40 jours à 30 jours/année) et les ramener au niveau du marché, il n’a pas pu améliorer les relations avec les syndicats. Au contraire, non seulement les négociations collectives en 2002 ont été un échec, mais l’entreprise a connu la grève la plus forte et massive de ces dernières décennies.

Une forte contradiction et une lutte s’installent entre la direction et les organisations syndicales dans cette phase. Les organisations syndicales critiquent le non-respect des accords collectifs, condamnent fortement les départs et les licenciements, adoptent désormais une seule position critique et d’opposition, développent une forte grève (2002) et les négociations collectives n’arrivent à rien. La direction, d’abord (2000) avait proposé aux syndicats de décaler l'octroi de leurs bénéfices (bonus de fin d’année) et de diminuer ainsi les pertes, mais sans accord possible ; par la suite, elle propose (2001) de carrément éliminer ces avantages sociaux.

Dans ce cadre, un nouveau Président du Directoire est nommé (2001). Il s’agit d’une personnalité forte, formée aux E.U.78, prestigieuse dans le monde managérial national et doté de pleins pouvoirs pour essayer de redresser la situation. Il est le nouvel homme fort. Il participe au Comité Directif et au management journalier de l’entreprise.

Dès son arrivée, il informe les syndicats de sa politique de forte et urgente restriction budgétaire pour redresser la situation, donc son intention n’était pas nécessairement d’arriver à un accord avec les syndicats et cela n’arrange pas le conflit social existant : « Quand je suis arrivé, j'ai débuté en me réunissant avec les syndicats … Je ne leur ai pas demandé leur avis, je ne les ai pas consultés, je les ai logiquement informés de ce que j’allais faire. Alors le Gérant général leur a fait un exposé en leur donnant les informations sur la situation de cette compagnie. C’est une compagnie qui a perdu 100 millions de US$ l’année 1999 et 200 millions de US$ l’année 2000, c’est-à-dire, que nous ne parlons pas de petites pertes … Maintenant nous sommes proches d’une négociation collective et moi je leur ai donné un avertissement : dans la prochaine négociation collective je veux diminuer drastiquement les bénéfices qu’il y a ici parce qu’ils ne sont pas réels. Je ne peux pas les offrir, ni maintenir toutes ces conditions parce que cette compagnie ne peut pas payer » (le président du Directoire).

78 Docteur de l’Université de Stanford, USA.

Page 330: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

330

Une des ses premières mesures importantes fut le licenciement de 1.600 personnes y compris 1/3 du top management, provoquant un choc très profond chez les employés et la rupture totale des relations, déjà fort détériorées, avec les syndicats.

Au niveau national, la CUT s’est limité à émettre une déclaration condamnant le fait et, pour sa part, le Gouvernement l’a regretté mais en expliquant qu’il ne pouvait rien faire dans la mesure où il s’agissait d’une entreprise privée.

Dans la mesure où le mouvement syndical est divisé et affaibli dans l’entreprise et au niveau national, les relations professionnelles sont confrontationnelles, une institutionnalisation des relations professionnelles n’existe pas ; autrement dit, le contre-pouvoir syndical est faible.

Il faut constater que pendant des années, l’entreprise a vécu dans une sorte de « bulle de cristal » (aisance économique et sociale) éloignée souvent de la réalité économique et sociale nationales, beaucoup moins avantageuse que la leur. Aujourd’hui, les employés et les syndicats vivent de façon dramatique et contradictoire le début de l’explosion de cette « bulle ».

Une autre contradiction naît entre la direction de l’entreprise et le Gouvernement (SUBTEL) à propos du Décret tarifaire (1999). La haute direction critique et conteste la légalité du décret, il contiendrait des erreurs techniques et, par conséquent, elle demande leur changement.

La SUBTEL déclare que la régulation et le contrôle établis par la loi ont été strictement respectés et, à l’époque, dûment discutées avec l’entreprise CTC, que le holding Telefónica-CTC a eu des pertes dues aux services de la téléphonie mobile et à la correction monétaire, qu’il est possible que les prévisions de la CTC aient été mauvaises dans la mesure où ils ont confondu l’action d’une entreprise efficiente, parfois idéale, par rapport à l’entreprise réelle. La SUBTEL explique : «l’entreprise efficiente est une entreprise qui a le personnel idoine et nécessaire pour produire ces services téléphoniques, avec des rémunérations justes, avec les installations et la dernière technologie, etc., mais l’entreprise réelle n’est pas nécessairement une entreprise efficiente, l’entreprise réelle normalement ne donne pas seulement des services téléphoniques mais fait aussi un tas d’autres choses …alors, à cette occasion il me semble qu’il y a plus de critères à respecter que la dernière fois. Ceci fait que l’entreprise réelle a des résultats plus bas » (un conseilleur sur régulation SUBTEL).

En accord avec la SUBTEL, les quatre principaux opérateurs concurrents de Telefónica-CTC s’opposent fermement à n’importe quelle modification du Décret tarifaire, affirmant que les conditions du marché n’ont pas changé, que Telefónica-CTC garde son caractère dominant avec une participation du marché de 83,6% des lignes fixes, parmi d’autres arguments.

Les dirigeants syndicaux affirment, pour leur part, qu’il s’agit simplement d’une mauvaise gestion : « Les pertes sont dues à une mauvaise gestion de la direction, les pertes de la filiale Mobile ont été transférées chez nous. Il y a pertes par des retards de paiements, aucune entreprise dans ce pays ne va au-delà du 3%-4%, mais ici on est arrivé jusqu’à presque 25% des pertes par retard de paiements (ou dettes), alors après le plus facile c’est de licencier !… » (un dirigeant syndical).

Voilà que face au même marché, au même Décret légal, les visions et les positions sont totalement opposées. Les intérêts particuliers l’emportent sur la « rationalité économique » du marché.

Un des rôles de l’Etat, celui de la régulation du marché de télécommunications, est aujourd’hui mis en question par la CTC parce c’est pratiquement le seul pouvoir qui contre-carre le libre jeu du marché de télécommunications et donc coince à l’entreprise. Le dilemme est si le Gouvernement ne finira pas par assouplir son rôle en cédant aux pressions.

Page 331: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

331

Comme dans le cas précédent, nous avons montré que les tendances dominantes des changements réalisés par les différents acteurs sont le reflet, non seulement des « dictats » du marché, des stratégies ou de l’utilisation de technologies particulières, mais aussi des modèles de relations professionnelles, des idéologies et des pensées politiques d’organisations politiques, sociales et des dirigeants, de la culture politique nationale, de l’histoire, de la législation sociale, etc., fortement déterminées par la corrélation de forces des acteurs en question. Une synthèse des évolutions des contenus (GRH, DRH, M) est montrée au tableau 31.

Tableau 31

Synthèse des contenus (GRH, DRH, M) selon les six facteurs explicatifs de transformation

Hypothèse ou facteur explicatif

Contenu 1er Période (1996-1997-1998) 2ème Période (1999-2000-2001…)

GRH M. objectivant M. objectivant

DRH Rôle AA Rôle AA

1.- Configuration organisationnelle bureaucratique

M M. classique M. classique

GRH M. objectivant M. objectivant + M. individualisant

DRH Rôle AA Rôle AA + rôle EO

2.- Stratégie de diminution des coûts + stratégie d’amélioration de la qualité

M M. classique + M. politique (faible)

M. instrumental + M. classique

GRH M. objectivant M. objectivant + M. individualisant (plus fort)

DRH Rôle AA Rôle EO

3.- Marché très hostile et instable

M M. classique + M. politique (faible)

M. instrumental (fort) + M. classique

GRH M. objectivant + M. conventionnaliste

M. individualisant + M. objectivant

DRH Rôle AA Rôle AA + rôle EO

4.- Modèle confrontationnel et latin de relations professionnelles

M M. classique + M. politique (faible)

M. classique

GRH M. objectivant M. objectivant + M. individualisant (fort)

DRH Rôle AA Rôle AA + rôle EO

5.- Marché du travail de qualification moyenne et faible prégnance de la législation sociale

M M. classique + M. politique (faible)

M. instrumental + M. classique

GRH M. objectivant M. objectivant

DRH Rôle AA Rôle AA

6.- Culture latine

M M. classique + M. politique (faible)

M. classique + M. instrumental (fort)

Acteurs dominants Gérant général, Actionnaire espagnol, Président, Vice-président RH, ligne hiérarchique, syndicats

Président, Actionnaire espagnol, Gérant général, ligne hiérarchique

Nous montrons également, au tableau 32, une synthèse de l’évolution des contenus (GRH, DRH, M) dans le cas français.

Page 332: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

332

Tableau 32

Synthèse des évolutions du contenu (GRH, DRH, M) selon un facteur explicatif de transformation dans le cas français

Hypothèses ou facteurs explicatifs

Contenu 1er période (1996-1997-1998) 2ème période (1999-2000-2001)

GRH M. objectivant M. objectivant + M. individualisant

DRH Rôle AA Rôle AA + Rôle EO

2.- Stratégie de diminution des coûts + stratégie d’amélioration de la qualité

M M. classique + M. politique (faible) M. politique + M. instrumental

Page 333: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

333

PARTIE III

SYNTHESE DES CAS ET CONCLUSIONS

SYNTHESE DES CAS

Dans cette synthèse, nous réaliserons l’analyse comparative des entreprises en deux temps :

- Dans un premier temps, nous synthétisons les changements observés dans (a) les pratiques de GRH, (b) les rôles des DRH et (c) les modèles de management (contenu) et les contextes (interne et externe) spécifiques à chaque entreprise dans le cadre des six axes de transformation proposés.

- Dans un deuxième temps, nous identifierons les éléments du contexte (externe et interne) mobilisés par les acteurs dans le cadre du jeu de pouvoirs pour servir leurs stratégies, tout en indiquant simultanément les éléments contextuels qui limitent ces jeux.

1.- Evolution du contenu (pratiques de GRH, rôles des DRH, modèles de M) et du contexte (analyse transversale).

Cette analyse transversale nous permet une comparaison notamment des deux entreprises étudiées principalement (Belgacom, Telefónica-CTC) par rapport aux six axes de transformation précisés dans l’approche théorique, à savoir : les configurations organisationnelles, les stratégies d’entreprise, le marché des biens et services, le modèle de relations professionnelles et le système politique, le marché du travail et la législation sociale ainsi que la culture nationale.

Page 334: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

334

Nous faisons aussi, comme nous l’avons fait auparavant, une comparaison avec la troisième entreprise observée (FranceTélécom S.A.) dans le cas des trois axes de transformation suivants : les stratégies d’entreprise, le marché de biens et services et le modèle de relations professionnelles et le système politique.

Nous nous intéressons à identifier les variables contextuelles « critiques », c’est-à-dire les éléments essentiels du contexte qui expliquent les nouvelles tendances les plus remarquables au sein des entreprises concernant les pratiques de GRH, les rôles des DRH et les modèles de management.

1.1.- Configurations organisationnelles

a)- Les structures organisationnelles, au fond, se ressemblent dans les deux cas (Belgacom et Telefónica-CTC). La division verticale et horizontale du travail conditionne les systèmes de formation, d’évaluation, de promotion, de rémunération des travailleurs dans le sens où ces systèmes doivent se référer et se circonscrire à des professions différentes et clairement définies. La formation pour un électricien, par exemple, n’est pas la même que pour un informaticien. La rémunération d’un informaticien est différente de celle d’un jointeur, en plus, elle est essentiellement fixe et clairement réglementée suivant un barème prédéfini. De même, l’évaluation et la promotion sont faites en suivant une description de fonctions, des échelles de notation et/ou sur base de l’ancienneté. Etant donné la priorité que prennent les buts de système (par exemple, les entreprises doivent devenir plus efficientes), les départs des personnes insuffisamment qualifiées deviennent aussi une priorité. En ce sens, au niveau des pratiques de GRH, dans les deux cas, il s’agit de la présence d’un modèle plutôt objectivant.

Cependant, dans le cas de Belgacom, il y a une différence à relever quant à la distribution du pouvoir entre les acteurs et le type de relations professionnelles. L’actionnaire majoritaire est l’Etat et tous les partis politiques présents au Gouvernement acceptent et soutiennent la concertation sociale. Ces facteurs ont fait en sorte que les buts de missions ont été bien présents et que les départs d’effectifs ont été négociés dans des conditions socialement acceptables, en préservant la paix sociale. Ces sont des traits du modèle conventionnaliste de GRH.

b)- Tant la division verticale que la concentration du pouvoir, notamment dans la haute direction, ont stimulé une centralisation de la DRH et la domination du profil d’agent administratif de la DRH. Cependant, chez Telefónica-CTC, l’évolution a conduit à adopter un profil plus d’expert opérationnel à la fin de la période.

c)- Au niveau du management, dans les deux cas, cette division verticale ainsi que la concentration du pouvoir au sommet hiérarchique, stimulent encore un style de management directif et vertical, ainsi que la concentration du commandement au niveau de la direction supérieure. Cependant, dans le cas de Belgacom, la présence de l’actionnaire majoritaire (Etat) et la force et l’action des organisations syndicales, ont permis d’abandonner un style de management directif pour adopter plutôt un style de management ouvert, plus participatif et de dialogue social.

Par contre, chez Telefónica-CTC, la localisation du pouvoir et le pouvoir des syndicats sont différents. L’Etat n’est pas présent dans l’entreprise et l’actionnaire majoritaire est privé (Telefónica-Espagne). D’autre part, les organisations syndicales sont loin de détenir le degré de pouvoir des organisations syndicales belges et la concertation sociale pratiquement n’existe pas. Le pôle de pouvoir dominant est donc beaucoup plus centré dans la haute direction et avec un contre-pouvoir affaibli des syndicats ; cette situation rend plus difficile la participation et les accords sociaux. Par conséquent, les buts de système, un style de management directif et les conflits sociaux sont stimulés plus facilement, ce qui a été le cas

Page 335: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

335

ces trois dernières années. Il prévaut donc un modèle de management classique (voir tableau 33).

1.2.- Stratégies d’entreprise

a)- Les trois entreprises observées -dans le cadre de ce facteur de transformation-, ont pratiqué principalement et simultanément les stratégies de diminution des coûts et d’amélioration de la qualité.

Dans la période initiale (1996-1998), la stratégie de diminution des coûts a entraîné dans les trois entreprises, au niveau des pratiques de GRH, un important départ d’effectifs (PTS chez Belgacom, un nombre moins important chez CTC mais des études ont été faites pour préparer des départs massifs). Cependant, dans la mesure où les relations professionnelles étaient constructives, ces plans ont été négociés avec les syndicats afin d’en assurer le bon déroulement et pour garantir la paix sociale. La formation est importante, surtout chez Belgacom et FranceTélécom où un pourcentage important de la masse salariale leur est consacré. Dans l’entreprise chilienne, la restructuration des postes se fait dans le cadre de l’Accord de Confiance (ABC) ; elle met en exécution le plan BDA qui vise à une rationalisation de postes et à une amélioration de l’attention aux clients. Pour la diminution des coûts de la formation, la subvention SENCE du Gouvernement est utilisée. Chez Belgacom il y a deux pratiques différentes à relever, des reconversions importantes et un gel de salaires, tandis que chez Telefónica-CTC il n’y a pas eu de reconversions ; par contre, il y a eu une augmentation salariale et de meilleures indemnisations.

La stratégie d’amélioration de la qualité mise en œuvre a entraîné une meilleure qualité des produits et des services offerts - le plan TURBO chez Belgacom, les plans de la Qualité Totale et du BDA chez Telefónica-CTC, CAPPAvenir chez FranceTélécom-, cette stratégie se reflète par une forte formation dont le contenu ne se limite pas seulement aux domaines techniques mais incorpore aussi les domaines du savoir-être, les aspects relationnels, de leadership, du changement.

Dans la deuxième période (1999-2001), la stratégie de diminution des coûts se fait sentir avec beaucoup plus de force, notamment chez Telefónica-CTC, et d’importants plans de départs d’effectifs continuent (le plan BeST chez Belgacom, des plans successifs de préretraite et de licenciements chez CTC, le plan CFC chez FranceTélécom), le nombre total de personnel a été notablement réduit dans les trois entreprises. Les relations professionnelles, cependant, ont un parcours différent. Chez Belgacom, elles continuent toujours à être constructives, ce qui permet un bon déroulement du programme BeST et d’autres évolutions (« mise en disponibilité », l’outplacement, le travail à temps partiel), tandis que chez Telefónica-CTC, elles se sont dégradées et ont été coupées. La formation reste très importante chez Belgacom et chez FranceTélécom, tandis que chez Telefónica-CTC, elle diminue fortement en importance et il n’y a pas eu non plus de reconversions. De même, la vente de certains bâtiments de l’entreprise, l’externalisation de certaines fonctions tels que le calcul des rémunérations chez Belgacom, l’externalisation ou la filialisation de certaines fonctions (filiales GSC, ATENTO, TERRA), la sous-traitance de la main d’œuvre chez Telefónica-CTC, sont des pratiques exprimant cette stratégie.

La stratégie de la qualité s’exprime par une formation importante (Belgacom), surtout par un contenu plus varié, une formation à court et long terme, du savoir-faire et du savoir-être, visant à une meilleure attention aux clients. Les enquêtes périodiques mesurant la satisfaction des clients deviennent des outils périodiques de management. Le discours sur la flexibilité, l’auto-formation plus individualisée en utilisant les moyens informatiques, le changement, le

Page 336: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

336

coaching, l’employabilité apparaissent avec plus de force, notamment chez Telefónica-CTC. Le discours de la dynamique et des avantages de la e-entreprise apparaît chez Belgacom.

Donc, les pratiques de GRH ont évolué, à quelques différences près, d’un modèle de GRH essentiellement objectivant vers un modèle objectivant qui incorpore, de plus en plus, des pratiques de GRH du modèle individualisant, particulièrement fortes chez Telefónica-CTC.

b)- Au niveau de la DRH, l’application d’une stratégie de diminution des coûts a impliqué des évolutions vers une diminution du personnel de la DRH avec un profil d’agent administratif, mais avec des rythmes différents. Dans l’entreprise chilienne, la diminution de la taille de la DRH (de 240 en 1996, pour un rapport de 1 :37 (2,67%) à 100 personnes en 2001, pour un rapport de 1 :77 (1,29%) et du personnel-DRH avec un profil AA (53% en 1997 à 30% en 2001) est intervenu plutôt et tout au long de la période analysée, ici la DRH a évolué vers un profil plutôt d’expert opérationnel. De plus, en 2001, s’est produit la filialisation du département R.H. et la constitution du Centre de « Gestion de Services Compartidos » avec le souci de la diminution des coûts et de gain de productivité. Par contre, dans l’entreprise belge, il n’a pas eu une véritable diminution de la taille de la DRH (rapport de 1 : 38 en 1996 (2,7%) et de 1 : 33 (3%) en 2001), ni des professionnels avec un profil d’agent administratif dans cette période (68% profil AA en 1996 et 61% en 2001). Ce n’est qu’en 2002 que commence doucement un processus de diminution (plan BeST).

De même, chez FranceTélécom la diminution de la taille intervient tardivement.

Par contre, il y a un changement de profils des professionnels de la DRH. Les professionnels AA diminuent de 57% (1999) à 28% (2002), les professionnels EO augmentent de 28% (1999) à 47% (2002) et les professionnels PS de 18% à 25% dans les mêmes dates.

La stratégie d’amélioration de la qualité est aussi intervenue dans la recherche permanente de la satisfaction des clients, y compris les clients internes, par le biais d’enquêtes et de bilans sociaux sur le travail des DRH. Mais surtout, ces dernières années, en mettant en place des dispositifs technologiques (intranets) dans les DRH (intranet ExCh@nge chez Belgacom, « Telefónica-Personas » chez CTC, LSS et WF chez FranceTélécom) lesquels aident à la GRH quotidienne. Nous constatons cependant la difficulté de développer le profil de partenaire stratégique des professionnels de la DRH dans les deux cas principaux.

c)- L’influence des deux stratégies a provoqué des effets parfois contradictoires au niveau du management. Au début, dans l’entreprise belge, la diminution des coûts a impliqué un style de management plus dirigiste et un contrôle plus strict (programme PTS, centralisation de la DRH) mais avec une conception d’entreprise qui essaie d’équilibrer l’économique et le social, doublé toujours d’une importance donnée aux ressources humaines et aux syndicats. Par après, ce style de management a continué mais parallèlement nous observons un style de management plus participatif, prônant avec plus de force la flexibilité, le travail en équipe, l’empowerment, le coaching. Dans le plan BeST, le coaching devient une exigence pour le processus de reconversion et il est beaucoup mieux programmé. Le recrutement en interne prévaut sur celui en externe. Un modèle de management classique est mélangé avec un management politique plus présent vers la fin de la période, mais aussi « brouillé » par la présence d’un management instrumental.

Dans l’entreprise chilienne, entre 1996 et 1998, ces deux types de stratégies se reflètent, au niveau du management, d’une part, par un style de management directif, vertical, la présence de l’autoritarisme et du paternalisme mais, d’autre part, la mise en œuvre du programme de la Qualité totale, des Comités de la qualité et un style plus ouvert. Un effort est entamé pour éliminer le paternalisme, la bureaucratie, la distance entre chef et subordonné, pour situer au centre des préoccupations la notion du client (programme BDA). L’importance donnée aux

Page 337: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

337

ressources humaines et aux syndicats est plus nette (bonne relations professionnelles, forte attention sociale, budget de formation plus important).

Par la suite (1999-2001), c’est plutôt la stratégie de diminution des coûts qui prend le devant. Il y aura moins d’attention aux ressources humaines et aux syndicats (moins de budget consacré à la formation, pas de budget aux activités « extra-laborales », etc.), un style de management plus dirigiste, pas de reconversion avec une préférence pour le renouvellement du personnel par des embauches externes. Le pouvoir reste concentré dans la haute direction et la filialisation de la DRH est faite. Au même moment, on essaie de donner plus d’autonomie aux équipes de travail, de diminuer la distance entre les chefs et leurs subordonnés ; le discours prône la flexibilité, l’empowerment et le coaching.

Ainsi, l’entreprise a évolué d’un management classique, avec des traits d’un modèle instrumental, vers un modèle classique et instrumental, ce dernier étant beaucoup plus présent.

1.3.- Marché de biens et services

Les trois marchés de biens et services se caractérisent par une forte concurrence ; ce sont des marchés hostiles et instables. Dans le marché belge, le nombre d’entreprises de téléphonie fixe, pour ne citer que celles-ci, a évolué de 1 (1996) à 49 (2001) et dans le marché chilien de 8 (1996) à 13 (2001) (tableaux 12, 13, 20 et 21). Le marché français a crû de 10% par an depuis 1998. Cette forte concurrence, doublée d’une régulation des marchés réalisés par des institutions spéciales (IBPT en Belgique, Commission antimonopole au Chili), a été perçue comme une des causes principales des changements successifs constatés au niveau des pratiques de GRH, des rôles des DRH et du type de management.

a)- Au niveau des pratiques de GRH, les trois entreprises ont évolué de pratiques plutôt objectivantes - quoique déjà avec des traits de pratiques individualisantes- vers des pratiques de GRH encore objectivantes mais avec des contenus à caractère beaucoup plus individualisantes à la fin de la période. Les départs massifs, l’évaluation par rapport à des postes par l’usage d’échelles de notation préétablies, la promotion sur base de l’ancienneté, les rémunérations fixes sur base d’une échelle barémique, etc. témoignent des pratiques objectivantes. Par contre, le processus d’individualisation de la GRH est observé notamment dans la formation (le savoir-être accentué, l’auto-formation via des outils informatiques et télématiques, etc.), la promotion (la prise en compte du mérite et pas seulement de l’ancienneté) et la gestion des carrières individuelles (l’auto-développement), l’introduction de la notion d’employabilité. Chez Telefónica-CTC, l’introduction aussi de la gestion par compétences chez les gestionnaires des clients (EAC) et les techniciens (TAC). Plusieurs initiatives pour flexibiliser les rémunérations ont eu lieu, mais ont été confrontées à une forte opposition de la part des organisations syndicales et, pratiquement, la structure des rémunérations n’a pas changé véritablement. Cependant, le modèle individualisant de la GRH a évolué beaucoup plus fortement à Telefónica-CTC.

b)- Les « pressions » du marché ont fait évoluer différemment les DRH. Chez Belgacom, il n’y a pas eu, ni diminution de la taille de la DRH, ni diminution du profil d’agent administratif des professionnels-DRH. Ici, le profil AA est resté dominant pendant toute cette période. Chez France Télécom S.A., la diminution de la taille de la DRH s’est produit lentement mais conséquement (1999 = 5.710 personnes ; fin 2002 = 2.800 personnes) ; le même phénomène peut être observé pour le profil d’agent administratif (1999 : profil AA : 3.255 tandis qu’en 2002 : 784 personnes). En 2002, ces changements étaient absolument plus évidents ici que chez Belgacom (rapport DRH/effectif total : 1 : 44 chez FranceTélécom S.A.).

Page 338: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

338

Par contre, chez Telefónica-CTC, tant la taille de la DRH que le profil d’agent administratif des professionnels-DRH ont plutôt diminué en nombre. Cependant, malgré les discours prônant le changement du rôle de la DRH vers un rôle plus proactif et stratégique, ce changement n’a pas été si important. Ainsi, par exemple, dans tous les cas l’augmentation du profil de partenaire stratégique des professionnels de la DRH a été très faible (de 5% (1996) à 8% (2001) chez Belgacom, de 9% (1997) à 13% (2001) chez Telefónica-CTC) et de 18% (1999) à 25%201)79 chez France Télécom S.A. reflétant la grande difficulté qu’il y a de développer effectivement ce type de rôle dans les DRH.

c)- Dans les trois entreprises, il y a eu une évolution vers une incorporation plus forte de méthodes typiques du modèle de management « californien », mais avec des intensités différentes. Dans l’entreprise belge, au début, il existait un modèle qui était une sorte de mélange d’un management classique et politique. Au cours de la période, un modèle de management politique particulier est consolidé (les relations professionnelles et la concertation sociale sont des pratiques déterminantes pour de nombreuses affaires clés de l’entreprise), mais des pratiques typiques du modèle de management « californien » sont incorporées, par exemple, la satisfaction du client, la productivité au maximum, la DPO, l’empowerment, le coaching, le tutoiement entre chefs et subordonnés, etc. Donc, le management a évolué vers un modèle clairement politique mais incorporant, de façon mesurée, quelques pratiques du modèle « californien ».

L’entreprise française suit une évolution assez similaire, si ce n’est que le management français est encore plus dominant et vertical étant donné le rôle de partenairat plus faible que jouent les syndicats français par rapport aux syndicats belges.

Par contre, chez Telefónica-CTC, le modèle de management classique dominant, accompagné des relations professionnelles constructives (projet ABC) et des pratiques telles que celles contenues dans les programmes de Qualité Totale et du BDA, a évolué, d’une part, vers une diminution notable de l’importance des R.H., le retour du dirigisme et du contrôle fort, de la centralisation, de la présence encore d’autoritarisme et du paternalisme et, d’autre part, vers un développement de la flexibilité, de l’autodéveloppement, de l’employabilité, de l’empowerment, donc, vers un modèle hybride de management classique et « californien », ce dernier étant plus fortement présent.

1.4.- Modèle des relations professionnelles et le système politique

Le modèle des relations professionnelles et le système politique est une des variables qui explique plus clairement et plus profondément la différence que nous trouvons entre les pratiques observées dans les trois entreprises.

a)- Dans l’entreprise belge, un grand nombre de pratiques de GRH sont influencées et contrôlées par les négociations et les conventions collectives signées avec les trois organisations syndicales. Au début, des pratiques telles que le départ de 6.000 personnes (PTS) ont été négociées et décidées en accord avec les organisations syndicales, de même que les reconversions internes, la formation massive et les promotions. Ceci grâce aux relations professionnelles de dialogue propres au modèle conventionnaliste. D’autre part, la promotion par l’ancienneté, les rémunérations fixes suivant un barème, les contrats à durée indéterminée, les évaluations sur base d’une échelle de notations préétablie sont des pratiques observées, typiques du modèle objectivant.

79 Nous rappelons cependant, que dans ce cas, nos calculs ont été approximatifs à cause de la différence de conception et de la difficulté de bien mesurer les catégories EO et PS chez FranceTélécom S.A.

Page 339: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

339

Par après, ces relations professionnelles permettant une concertation sociale constructive, le rôle du Gouvernement et des partis politiques présents, ont permis de continuer et de consolider les pratiques de GRH typiques d’un modèle conventionnaliste, mais accompagnées de pratiques plus individualisantes déjà mentionnées auparavant. Il faut ajouter que, en 2001, le programme BeST a impliqué aussi la mise en œuvre de nouvelles pratiques telles que la « mise en disponibilité » de personnes avec l’engagement d’aider ces employés à retrouver un autre travail ailleurs, une formation massive, une promotion d’au moins 50% des personnes en processus de reconversion, la possibilité d’un travail à temps partiel, sans conflits sociaux importants. Les pratiques de GRH ont évolué d’un modèle objectivant hybridé avec un conventionnaliste vers un modèle plutôt conventionnaliste et encore faiblement individualisant.

Dans l’entreprise française, également beaucoup de pratiques de GRH sont conditionnées par des conventions collectives établies avec les syndicats, par l’influence de l’Etat et, donc, par les lois. Des pratiques telles que : la promotion par l’ancienneté, les rémunérations fixes suivant un barème, les contrats à durée indéterminée, les évaluations sur base d’une échelle de notations préétablie, etc. sont des pratiques typiques du modèle objectivant, présentes notamment au début. Cependant, vers la fin de la période, une formation plus instrumentale, incorporant plus le savoir-être, utilisant plus les TIC, des départs importants (2001 = 5.043 employés), des rémunérations avec une augmentation de la partie CFT, etc. reflètent la présence du modèle individualisant. Le modèle objectivant hybridé avec un conventionnaliste a évolué vers un modèle plutôt conventionnaliste avec des pratiques individualisantes.

Par contre, dans l’entreprise chilienne, la promotion par l’ancienneté, les rémunérations fixes suivant un barème, les contrats à durée indéterminée, les évaluations sur base d’une échelle de notations préétablie, pratiques propres d’un modèle objectivant, sont accompagnées par l’Accord de Confiance (ABC), les Commissions bipartites de travail, l’augmentation des rémunérations, le bonus de fin d’année et les bonnes relations professionnelles, pratiques caractéristiques d’un modèle conventionnaliste. Cependant, par la suite, nous avons observé l’abandon de l’ABC, la disparition des Commissions bipartites, des programmes de préretraites, mais sous des conditions sociales en détérioration progressive, des licenciements massifs, une formation plus faible et plus individualisante, une intention de diminution des bénéfices économiques des travailleurs, des relations professionnelles complètement détériorées, une grève massive et violente en 2002. Les pratiques de GRH ont donc évolué vers un modèle proprement objectivant.

b)- Chez Belgacom, la DRH avec un profil dominant d’agent administratif n’a pas considérablement évolué lors de cette période. Une DRH, d’une taille importante au début, avec un nombre largement dominant de gens en charge de tâches administratives, va rester pratiquement en nombre identique avec la même physionomie (toujours au-dessus de 60% d’AA), le profil d’expert opérationnel aura une très légère augmentation, de 27% (1996) à 31% (2001), ce qui ne correspond pas exactement à notre hypothèse.

Chez FranceTélécom S.A., tant la taille de la DRH que le profil AA –comme montré auparavant- diminuent tardivement mais plus fortement que chez Belgacom.

Par contre, à Telefónica-CTC, d’un nombre important du personnel-DRH de profil d’agent administratif dominant, a évolué vers un nombre beaucoup plus réduit du personnel de profil d’agent administratif et à une augmentation du profil d’expert opérationnel (de 38% en 1997, à 57% en 2001), à une division de la DRH et à une spécialisation de l’équipe opérationnelle de la GRH. Donc la DRH a évolué d’un rôle d’agent administratif vers un rôle dominant d’expert opérationnel.

c)- Au niveau du management chez Belgacom, nous avons observé du début jusqu’à la fin un équilibre entre une finalité économique et sociale de l’entreprise, l’engagement de service

Page 340: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

340

public étant clairement établi dans le « Contrat de gestion » signé avec le Gouvernement, avec une haute considération des R.H. et des syndicats et une concertation sociale constructive. Par la suite, bien que l’entreprise ait adopté un style de management avec des techniques du management nord-américain (primauté du client, flexibilité, empowerment, coaching, auto-développement, etc.), la régulation sociale interne et les techniques utilisées ont toujours été négociées entre la direction et les organisations syndicales (plan BeST, etc.) ; une forte reconversion en interne et, notamment, une attention spéciale à garder les bonnes relations professionnelles établies entre la direction et les organisations syndicales. Par conséquent, le modèle de management politique est resté toujours fondamental et prioritaire tout au long de la période, un peu plus hybridé dernièrement avec des techniques du modèle « californien ».

Chez Telefónica-CTC, par contre, bien qu’elle ait commencé à développer des pratiques telles que l’Accord ABC, un dialogue social positif entre la direction et les syndicats, des avantages sociaux pour les employés, etc., elle a continué à développer des pratiques du modèle classique (management vertical, autoritarisme, paternalisme). Cependant, à la fin de la période, la finalité économique est fortement privilégiée, il y a une sous-valorisation des ressources humaines (licenciements massifs, baisse de l’importance de la formation, pas de reconversions, etc.), un style de management dirigiste, avec un contrôle fort et centralisé, des relations professionnelles conflictuelles et la rupture de dialogue avec les syndicats, une dernière négociation collective sans résultats positifs et une grève violente. Cette situation est accompagnée de l’introduction plus forte des techniques du management « californien ». Le management a évolué d’un modèle de management politique affaibli et transitoire vers un modèle de management plutôt classique mélangé avec un management « californien ».

D’autre part, nous constatons aussi que dans le cas de France Télécom S.A., le management a évolué d’un modèle qui était plutôt classique (style de management vertical, contrôle centralisé) et politique (relations professionnelles de dialogue et concertation sociale, convention sectorielle des télécommunications, etc.) vers un modèle politique toujours présent accompagné des pratiques du modèle « californien » (flexibilité, coaching, travail en équipe, auto-formation, etc.).

1.5.- Marché du travail et la législation sociale

a)- Dans le cas de l’entreprise belge, la bonne qualification des professionnels dans le marché du travail a permis une forte augmentation des professionnels, notamment universitaires, avec chaque fois une meilleure formation. Le processus de sélection est devenu plus exigeant et plus précis par rapport aux compétences dont l’entreprise a besoin; de même, les nouveaux professionnels sont fortement imprégnés des méthodes et des techniques venant notamment des Etats-Unis et ils ont une mentalité plus individualiste, ce qui facilite la tendance vers une individualisation de la GRH. D’autre part, la législation sociale abondante et prégnante règle et octroie le droit de grève à n’importe quel moment, le licenciement sous respect de certaines conditions (comme un préavis d’au moins 30 jours pour un travailleur ayant moins d’un an d’ancienneté et plus pour ceux qui ont plus d’un an), le paiement des indemnisations pertinentes, le respect du contrat à durée indéterminée, des promotions par l’ancienneté, le paiement des heures supplémentaires de travail, etc., toutes étant des pratiques plutôt objectivantes de GRH. Les pratiques de GRH ont évolué d’un modèle fortement objectivant vers un modèle objectivant dominant hybridé avec un modèle individualisant.

Dans l’entreprise chilienne, l’arrivée de personnes mieux formées avec une mentalité plus individualiste se répète et facilite un processus d’individualisation de la GRH. D’autre part, la prégnance de la législation sociale étant beaucoup plus faible (droit de grève seulement lors de la négociation collective, moins de contraintes légales pour le licenciement, moins d’exigences pour la sécurité sociale, etc.) stimule des pratiques de GRH plus

Page 341: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

341

individualisantes. Par conséquent, l’évolution tend vers un modèle de GRH beaucoup plus individualisant, mais mélangé encore avec un modèle objectivant (contrat à durée indéterminée, interdiction de licenciement de personnes avec ce type de contrat, rémunérations fixes suivant un barème prédéfini, etc.).

b)- Au niveau de la DRH, dans l’entreprise belge, la qualité de la main d’œuvre fournie par le marché du travail et formée par l’entreprise a permis une amélioration de la qualité des professionnels de la DRH, notamment au niveau technique. Mais, vu la législation sociale et le statut des employés, ceux-ci ne pouvaient pas être licenciés, donc il n’y a pas eu de diminution du nombre du personnel de la DRH, ni du personnel du profil dominant d’agent administratif de la DRH, sauf une légère augmentation des professionnels du profil expert opérationnel. Par contre, chez Telefónica-CTC la diminution de la taille de la DRH et du profil d’agent administratif a été plus forte et la DRH a évolué plus clairement vers un rôle d’expert opérationnel.

c)- Dans le cas belge, la formation des nouveaux professionnels qui arrivent beaucoup plus imprégnés des méthodes de management propres au modèle « californien » (les notions d’empowerment, de flexibilité, de coaching, d’employabilité, etc.) va stimuler davantage les pratiques du modèle « californien ». Mais, d’autre part, la législation sociale, prégnante et complexe, régule d’autres aspects de la vie du travail (respect du contrat à durée indéterminée et pas de licenciement, rémunérations barémiques, promotion à l’ancienneté, etc.). La concertation sociale institutionnalisée entre la direction et les organisations syndicales (les plans PTS, BeST, etc.) a permis des transformations sans conflits sociaux importants et offrant même une certaine flexibilisation du temps de travail (temps partiel) avec l’adoption d’une Convention collective (CCT n° 77). De ce fait, ce modèle de management a été et reste essentiellement un modèle de management politique.

Par contre, dans l’entreprise chilienne, la formation acquise par les nouveaux professionnels est imprégnée aussi des techniques du management « californien » ce qui va stimuler la pratique de ce type de management à l’entreprise. Ce management a été mélangé à des pratiques typiques du modèle classique (verticalité, autoritarisme, paternalisme, forte contrôle centralisé, etc.) et accompagnée, au début, d’une bonne relation professionnelle entre la direction et les syndicats. Par après, ces relations professionnelles se sont détériorées et rompues (négociation collective bloquée, grève massive, etc.). D’autre part, le droit de grève limité et circonscrit à la période de négociation collective, l’inexistence d’institutions de concertation sociale, un dispositif légal donnant une grande liberté à l’employeur pour gérer les affaires sociales, etc. vont faciliter une application plus approfondie d’un management « californien ». Dans ce cas, l’entreprise a évolué d’un modèle de management classique et politique (transitoire et faible) vers un modèle de management classique et « californien ».

1.6.- Culture nationale

Nous considérons ici d’abord a)- les modèles de management, ensuite b)- les pratiques de GRH, pour en finir avec c)- les rôles de DRH.

a)- Dans l’entreprise belge, il existe une distance hiérarchique moins grande, la confiance et le respect vis-à-vis des subordonnés, une culture de la négociation est toujours présente, un certain partage du pouvoir et surtout une pratique du dialogue et de la concertation sociale dans le cadre de bonnes relations professionnelles, toutes des caractéristiques stimulant la pratique d’un management politique. De même, ce rapport plus égalitaire entre chef et subordonnés, cette possibilité de plus d’autonomie et de moins de paternalisme, l’absence d’autoritarisme, permettent un management moins directif et plus participatif, un travail d’équipe, l’empowerment et le coaching, qui sont des pratiques propres au management

Page 342: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

342

instrumental. Cette culture latine « hybride » influence donc la permanence d’un management politique plus solide avec, ces dernières années, quelques pratiques propres au management instrumental.

Par contre, dans l’entreprise chilienne, la distance hiérarchique et le respect -voire la soumission- à l’autorité sont plus évidents ; le pouvoir et l’autorité du chef sont plus fort perçus ; l’autoritarisme et le paternalisme se maintiennent dans les relations sociales, la pratique d’un pouvoir essentiellement de domination, une marge de liberté et d’autonomie plus mince. Par conséquent, une pratique plus courante d’un management directif, vertical et moins participatif, un travail en équipe plus difficile, des relations professionnelles conflictuelles et un mode de négociation plus difficile, particulièrement ces dernières années. Forcément, des techniques telles que les cercles de qualité, l’empowerment, le coaching ont du mal à réussir. Bien que, dans le discours managérial, le style du management soit fondamentalement « californien », force est de constater des différences qui subsistent entre discours et pratique. La culture latine chilienne a plutôt « favorisé » le développement d’un management classique, notamment ces dernières années, bien qu’au début de la période ce modèle était mélangé à un management politique faible (plan ABC, etc.).

b)- Dans l’entreprise belge, à part des pratiques de GRH clairement établies (contrat à durée indéterminée, rémunérations fixes préétablies par un barème, promotions à l’ancienneté, etc.) et propres du modèle objectivant, il y a eu des relations professionnelles constructives, grâce auxquelles il fut possible de réaliser des pratiques de GRH propres au modèle conventionnaliste (départs massifs sous des accords négociés et sans conflits sociaux majeurs, formations massives, etc.). Par la suite, ces pratiques du modèle conventionnaliste se sont maintenues, mais incorporant des pratiques du modèle individualisant, comme nous l’avons montré auparavant.

Dans l’entreprise chilienne, les relations professionnelles positives et respectueuses, présentes au début, ont changé radicalement à la fin de la période pour devenir des relations professionnelles conflictuelles, avec un blocage des négociations, beaucoup de méfiance entre les partenaires sociaux, des licenciements massifs, une diminution de la formation, etc. Ces sont des pratiques de GRH plutôt propres au modèle objectivant, celles-ci ont été enrichies transitoirement, au début de la période, par des relations professionnelles constructives.

c)- En ce qui concerne le rôle de la DRH, dans l’entreprise belge, celle-ci paradoxalement n’a changé ni de taille (grande) ni de profil dominant (agent administratif) tout au long de la période, seulement un très léger développement du profil d’expert opérationnel. Il y a ici une incohérence par rapport à une culture qui présentait des conditions pour une évolution différente.

Dans l’entreprise chilienne, par contre, la DRH de grande taille avec un profil dominant d’agent administratif a évolué vers une DRH de moindre taille, avec un rôle plutôt d’expert opérationnel.

La comparaison des changements ou évolutions survenues dans les différentes variables du contenu que nous avons montré dans les trois entreprises est résumée, très schématiquement, dans le tableau 33.

Page 343: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

Tableau 33

Synthèse des évolutions des pratiques de GRH, des rôles des DRH et des modèles de management dans les entreprises

BELGACOM TELEFONICA-CTC FRANCE TELECOM S.A.

1.-Configurations Organisationnelles

GRH M. Objectivant => M. Objectivant M. Objectivant => M. Objectivant

DRH Rôle AA => Rôle AA Rôle AA => Rôle AA

M M. Classique + M. Politique => M. Politique + M. Classique (faible)

M. Classique => M. Classique

2.- Stratégies d’entreprise GRH M. Objectivant => M. Objectivant + M. Individualisant

M. Objectivant => M. Objectivant + M. Individualisant

M. Objectivant => M. Objectivant + M. Individualisant

DRH Rôle AA => Rôle AA + Rôle EO (faible)

Rôle AA => Rôle E.O + Rôle AA Rôle AA => Rôle EO + Rôle AA (faible)

M M. Classique + M. Politique => M. Politique + M. Instrumental

(faible)

M. Classique + M. Politique (faible) => M. Classique + M. Instrumental

M. Classique + M. Politique => M. Politique + M. Instrumental

3.-Marché de biens et services GRH M. Objectivant => M. Objectivant + M. Individualisant

M. Objectivant => M. Objectivant + M. Individualisant (plus fort)

M. Objectivant => M. Objectivant + M. Individualisant

DRH Rôle AA => Rôle AA Rôle AA => Rôle E.O Rôle AA => Rôle EO + Rôle PS (faible)

M M. Politique => M. Politique + M. Instrumental (faible)

M . Classique => M. Classique + M. Instrumental (plus fort)

M. Classique + M. Politique => M. Politique + M. Instrumental (faible)

4.- Modèle de relations professionnelles et système

politique

GRH M. Conventionnaliste => M. Conventionnaliste

M. Objectivant + M. Conventionnaliste => M. Objectivant

+ M. individualisant

M. Objectivant + M. Conventionnaliste => M.

Conventionnaliste

DRH Rôle AA => Rôle AA Rôle AA => Rôle AA + Rôle E.O. Rôle AA => Rôle EO (faible)

M M. Politique => M. Politique + M. Instrumental (faible)

M. Classique + M. Politique (affaibli) => M. Classique

M. Classique + M. Politique => M. Politique + M. Instrumental (faible)

5.- Marché du travail et législation sociale

GRH M. Objectivant => M. Objectivant + M. Individualisant (faible)

M. Objectivant => M. Individualisant (forte) + M. Objectivant

Page 344: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

344

DRH Rôle AA => Rôle E.O (faible) + Rôle AA

Rôle AA => Rôle AA + Rôle E.O

M M. Classique + M. Politique => M. Politique + M. Instrumental (faible)

M. Classique + M. Politique (faible) => M. Instrumental + M. Classique

6.- Culture nationale GRH M. Objectivant + M. Conventionnaliste => M. Conventionnaliste + M. Individualisant (faible)

M. Objectivant => M. Objectivant

DRH Rôle AA => Rôle AA + Rôle EO (faible)

Rôle AA => Rôle AA

M M. Politique => M. Politique + M Instrumental (faible)

M. Classique + M. Politique (faible) => M. Classique + M. Instrumental (fort)

Acteurs dominants 1er. et 2ème. phases :

Président&Administrateur Délégué

Directeur-DRH (GRH)

Directeur-DRH (R. Prof.)

Trois syndicats

Actionnaire majoritaire (Etat)

Partis politiques

U. E.

1er. phase :

Gérant Général

Vice-président R.H.

Actionnaire majoritaire (espagnol)

Président

Syndicats (plusieurs)

Paris politiques

Marché globalisé

2ème. phase :

Président

Comité Directif (restreint)

Actionnaire majoritaire (espagnol)

Gérant des R.H.

Syndicats (plusieurs)

Partis politiques

1er. et 2ème . phases :

PDG

Actionnaire majoritaire (Etat)

Comité Exécutif

6 syndicats

Partis politiques

2001 : Directeur RH

U.E.

Page 345: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

2.- Analyse processuelle et jeux d’acteurs (analyse comparée)

Cette partie est consacrée à découvrir le jeu des acteurs qui, en interprétant et en construisant les contextes, amplifient ou limitent les changements des pratiques de GRH, des différents rôles des DRH et/ou des modèles de management dans les dimensions considérées.

Dans cette comparaison, nous avons présenté les évolutions observées sous une approche contingente en analysant comment le contexte influençait et « conditionnait » les évolutions du contenu, c’est-à-dire des pratiques de GRH, du rôle des DRH et des modèles de management relevés dans les entreprises. Dans la définition des stratégies et des plans de changements (PTS, BeST, Qualité Totale, BDA, etc.), nous avons constaté aussi une logique rationaliste de planification de ces processus. Or, lors de notre discussion théorique, nous avons montré combien ce déterminisme et ce rationalisme sont relatifs et parfois faux. Une compréhension plus complète de la vie complexe des organisations exigeait une combinaison d’autres approches.

Notre approche ici s’inscrit dans la perspective du paradigme politique qui met l’accent sur les rôles et l’action des acteurs dans ces changements.

2.1.- L’entreprise belge

Il faut relever que dans la mesure où il s’agit d’une entreprise du secteur des télécommunications, elle a vécu un progrès technologique reflété tant au niveau des produits et services aux clients que dans l’automatisation du processus du travail lui même, de même qu’un développement fort de l’efficience, de l’efficacité et de la productivité.

Dans ce cadre, les changements des pratiques de GRH, des rôles de DRH et des modèles de management ont été aussi remarquables. En relevant les tendances les plus importantes, on peut dire que les pratiques de GRH ont évolué vers un modèle conventionnaliste mais fortement hybridé par le modèle individualisant. Le modèle de management reste essentiellement politique mais avec des pratiques du modèle instrumental de plus en plus présentes. Quant au rôle de la DRH, il est resté essentiellement celui d’agent administratif, mais finalement (2002) il a commencé à diminuer, en reprenant la tendance générale.

Dans ce secteur et dans ce type d’entreprise, le marché des télécommunications, les stratégies de diminution des coûts et d’augmentation de la qualité et les configurations organisationnelles, à notre avis, ont été les variables contextuelles les plus fortement mobilisées afin de provoquer les évolutions observées. Une décision économico-politique de l’U.E., telle que l’ouverture du marché Européen à la concurrence et l’élimination des monopoles, a été décisive. De même, l’extraordinaire progrès technologique des TIC ayant une incidence directe sur l’accroissement de l’efficacité et la productivité des entreprises. Evidemment cette révolution technologique fait aujourd’hui partie indissociable de la globalisation de l’économie et c’est un processus objectif inéluctable et incontournable. En ce sens, certains auteurs parlent d’un nouveau paradigme technologique qui vit la société informationnelle (Castells, 2001). Ajoutons que le fait que le monde soit devenu « unipolaire », dans la mesure où il n’existe pratiquement pas de modèle socio-économique alternatif valable, comme antan le fut le modèle socialiste-communiste de l’Est, et que le modèle capitaliste néo-libéral est devenu dominant, sont des phénomènes qui influencent aussi fortement les mentalités des acteurs sociaux et économiques.

Les stratégies d’entreprises et les restructurations organisationnelles déployées n’ont maintenant d’autre but que de suivre cette pensée chaque fois plus grande productivité et de

Page 346: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

346

profit pour rester dans ce marché concurrent. Donc, les managers des entreprises de télécommunications se sentent « obligées » de suivre ces pratiques managériales montrées-ci.

Cependant, dans les cas belge et français ce processus de changements a été contradictoire et il prend ici une autre allure. La mobilisation des autres variables contextuelles prises en considération explique ceci. En effet, la présence d’un modèle de relations professionnelles néo-corporatiste et social-démocrate, d’organisations syndicales et partis politiques progressistes -notamment socialistes- encore fortes, d’une législation sociale prégnante et d’une culture différente, liées à une histoire et à des institutions particulières, ont contribué à créer dans ce processus un certain équilibre entre l’économique et le social ; à exiger une certaine qualité de vie où l’aspect social ne soit pas délaissé.

La présence et les caractéristiques des forces sociales et politiques, notamment de gauche, écologistes et de centre démocrate-chrétien, ont empêché et empêchent dans ces pays le développement d’un modèle typiquement néo-libéral comme ailleurs.

Dès son arrivée en 1995, le nouveau Président-Administrateur Délégué a eu une attitude d’ouverture, de dialogue et de transparence avec tous les autres acteurs sociaux, notamment les organisations syndicales. Son attitude s’inscrit donc dans la culture politique « négociatrice » dominante belge. De même, les organisations syndicales adoptent une attitude de dialogue et de coopération. Conscientes de la corrélation de forces relativement défavorables, elles acceptent le gel de salaires et finissent par comprendre que doivent accepter, à contrecœur, les plans de préretraites afin de diminuer les coûts et d’augmenter la productivité.

C’est la présence et la mobilisation contradictoires des tous ces facteurs contextuels qui expliquent ce processus contradictoire et hybride entre un développement d’entreprise chaque fois plus efficace et plus productive et, en même temps, le respect de la concertation sociale, des contrats à durée indéterminée, etc., avec un équilibre instable entre un management politique et « californien ».

Les partis politiques et l’Etat ont participé aussi au changement de l’entreprise. D’abord, en octroyant une autonomie totale au top management, en privatisant une partie du capital, en assouplissant l’organisation du travail (CNT n° 77). Il s’agit d’une innovation pour permettre l’amélioration de sa performance. Il y a donc une recherche de plus grande productivité tout en essayant toujours de sauvegarder les aspects sociaux.

La direction de l’entreprise a dû gérer une première contradiction qui se posait entre un actionnaire majoritaire public (l’Etat) et un nouvel actionnaire privé -ADSB, dont l’hégémonie est nord-américaine. L’Etat voulait alors garantir son rôle de service public en veillant au respect du statut des travailleurs. L’actionnaire privé voulait un retour financier garanti de ses investissements en poussant l’application des méthodes et des techniques du management instrumental qui lui sont propres. Le nouveau patron, en tenant compte des intérêts et des pressions des uns et des autres, a réussi à garantir un équilibre -toujours relatif- entre les intérêts économiques et sociaux de l’entreprise.

Mais ce processus a été et est contradictoire et instable ; il ne dépend pas uniquement des variables économiques ou technologiques.

A l’arrivée de la nouvelle coalition politique au Gouvernement, avec les partis libéraux comme première force au pouvoir, une nouvelle offensive de privatisation s’est faite sentir.80 Le Ministre des télécommunications et des entreprises et participation publiques (libéral flamand) a des pouvoirs spéciaux pour décider, le moment venu, de la vente des actions de l’Etat, d’une privatisation plus approfondie, l’Etat devenant minoritaire si nécessaire. Sur ce

80 C’était la situation au moment de la réalisation de nos enquêtes (2001).

Page 347: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

347

point les syndicats sont sur la défensive et préfèrent discuter officieusement un programme appelé « Grandfathering » qui prétend garantir les acquis sociaux des travailleurs à l’avenir, face à l’éventuelle privatisation de l’entreprise. Cependant, à la suite de faits internationaux et nationaux (la faillite de la compagnie d’aviation SABENA, les mauvais résultats et les accidents du Chemin de fer anglais après leur privatisation il y a quelques années, les scandales d’ENRON, de WORLDCOM, etc.) les positions politiques des partis socialistes et écologistes se sont durcies et ces partis refusent fermement les privatisations à outrance des entreprises publiques. Par conséquent, le plan « Grandfathering » a été gelé et la direction ne parle plus de la privatisation, d’autant plus que celle-ci se porte beaucoup mieux que d’autres entreprises privées et publiques.

Dans tous les différents programmes de restructuration et de changement entamés par l’entreprise qui concernait l’aspect social, c’est le mécanisme de concertation sociale qui a été mise en œuvre. Dans ce cas, il est clair que le management de l’entreprise est différent, que le processus décisionnel peut être plus complexe, difficile et lent, mais il a prouvé aussi que la collaboration dialectique entre tous ces acteurs, notamment entre la direction et les trois syndicats, a permis la réussite de plans tels que PTS, TURBO et BeST, réalisés avec succès, sans conflits sociaux en garantissant l’efficacité et les bénéfices. Ce modèle n’exclut pas les conflits, mais ceux-ci sont traités essentiellement sur la base de la discussion et de la négociation. Dans ce cadre, les dirigeants contribuent, avec leur personnalité et leur savoir-faire, au succès des processus de changements.

Ainsi, le programme « HR for You » a voulu accélérer le processus de changement de l’entreprise vers plus de flexibilité, de productivité, d’individualisation dans la GRH. Mais ce programme n’a pas été accepté par les syndicats.

De même, la première version du plan BeST visait à transférer les personnes de plus de 50 ans vers l’administration publique de l’Etat. Les trois syndicats et le Ministre de l’emploi et du travail (PS) ont rejeté cette proposition. La direction a été invitée à revoir le plan et à faire une nouvelle proposition mais, en même temps, le Gouvernement s’est engagé aussi à chercher d’autres solutions. Les négociations triangulaires (direction de l’entreprise, ministère de l’emploi et du travail, syndicats) ont donné lieu finalement (juin 2001) à une solution améliorée du volet social du plan BeST. Au lieu de simples transferts ou de départs anticipés, il y a maintenant des « mises en disponibilité » des travailleurs, des modifications de la législation sociale (CNT n° 77) qui permettent une certaine flexibilité du travail (temps partiel, etc.) et de l’outplacement de la part de l’entreprise.

Tant durant le plan PTS que durant le plan BeST, il y a eu de courts arrêts de travail et des grèves partielles à quelques endroits (Charleroi, Verviers, etc.) motivés par des stress et des angoisses provoqués par les changements et par le problème de la mobilité du personnel réaffecté dans le cadre de cette restructuration. Une opposition syndicale a aussi eu lieu pour le projet de broadbanding et pour une flexibilité des rémunérations, etc.

L’évolution de la DRH a été moins spectaculaire ; la taille et le profil dominant d’agent administratif de la DRH n’ont pratiquement pas changé et le rôle plus conservateur ou plus prudent joué par les organisations syndicales y a été déterminant. Vraisemblablement, les organisations syndicales ont retardé le plus possible l’automatisation de la DRH pour éviter ici des départs importants de membres, d’autant plus que ceux-ci sont des fidèles et d’anciens adhérents des syndicats. Mais finalement, ils ont accepté ces départs pour assurer les performances de l’entreprise.

Une DRH bicéphale s’est avérée, au fond, une structure très utile pour développer ce modèle de GRH hybride et parfois contradictoire, mais qui a permis d’énormes changements tout en garantissant de bonnes relations professionnelles et la paix sociale. En considérant les critères de Delavallée (1999) sur le rôle de la DRH dans le changement présentés au début de ce

Page 348: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

348

travail (Ch. I), la DRH a aussi joué ici un rôle de pilotage et d’encadrement des processus de changements, notamment dans les programmes PTS et BeST.

Une des conséquences importante des changements observés est la diminution du taux de syndicalisation effectif dans l’entreprise dû aux plans de préretraites successifs et au processus d’automatisation du travail. Cela pourrait amener, à long terme, à un changement du type de management pratiqué, c’est-à-dire, un management plus enclin au modèle instrumental.

Dans la S.A. de droit public belge, l’Etat, comme actionnaire majoritaire, a joué non seulement un rôle de régulateur entre l’économique et le social mais aussi de garant du service universel et d’innovateur pour augmenter les performances (management autonome sous contrat de gestion, flexibilité du travail avec le CNT n° 77, préretraites, etc.). Mais, la question posée est : quel est le seuil ultime de performance à atteindre ? Il faut toujours suivre les indicateurs de performances des entreprises nord-américaines ?

Il s’agit ici du type de mission assigné à ce type d’entreprise. Or, une entreprise publique ou de droit public ne peut pas être assimilée à ou évaluée comme une entreprise privée, dans la mesure où sa mission n’est pas seulement de faire du profit mais aussi de prêter un service universel aux citoyens, même si ceci parfois n’est pas rentable. Donc, tant que sa mission est celle-là, elle ne pourra pas toujours concurrencer le niveau de performance financière d’une entreprise privée. Par conséquent, la discussion récurrente sur leur privatisation est en rapport direct avec leur productivité et leur mission publique.

Bien que l’entreprise publique ait aussi pour exigence l’amélioration de sa performance productive et de service, elle ne devrait pas adopter simplement la logique de privatisation privilégiant la performance financière aux dépens de son rôle social. Par conséquent, nous constatons que cette discussion n’est pas seulement à caractère technique ou managérial mais aussi politique.

2.2.- L’entreprise chilienne

Comme dans le cas précédent, cette entreprise a vécu un progrès technologique et elle a réussi une amélioration importante de son efficacité et de sa productivité. Ainsi, les lignes par employé ont augmenté de 291 à 845, etc. (tableau 11). Il y a eu également une forte intensité de travail et des pertes importantes d’emploi. Cependant, cette productivité commence à chuter en 2002 et la satisfaction des clients décline (de 60% à 58,7%). Au début de la période, sa réussite doit être comprise dans un contexte de forte croissance économique du pays, d’un extraordinaire progrès technologique des TIC, du boom économique de ce secteur et de la volonté politique de la direction.

En général, les changements les plus remarquables ont été un développement d’un modèle de management devenu plus « californien », des pratiques de GRH qui deviennent plus individualisantes - ces deux variables nettement plus marquées que dans le cas belge- et un rôle de DRH qui a évolué vers un rôle plutôt d’expert opérationnel.

Ces évolutions sont le reflet de la mobilisation faite par les acteurs des éléments contextuels tels qu’un marché des télécommunications très concurrent, des stratégies de diminution des coûts et d’amélioration de la qualité –surtout la première-, de la flexibilité organisationnelle, d’une législation sociale souple où il y a beaucoup de place pour la décision arbitraire et contingente, d’une culture latine chilienne dont des traits relevants sont une forte distance hiérarchique, l’autoritarisme et le paternalisme.

Ajoutons que la force et l’hégémonie idéologique et même culturelle du modèle néo-libéral chilien (aujourd’hui appelé par certains analystes chiliens « capitalisme social de marché »)

Page 349: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

349

en étroite interrelation avec le modèle néo-libéral mondialisé, à caractère nord-américain, a ici une très forte influence et exerce beaucoup d’attirance. Toutes ces variables mentionnées ici ont été fortement mobilisées par les managers et par les organisations politiques et sociales de droite (UDI, RN, organisations patronales) afin de donner un sens particulier à ces changements.

Dans la première période (1996-1998), l’entreprise a effectivement bénéficié de résultats financiers positifs et de fortes inversions.

Dans ce cadre d’aisance économique et grâce à la présence de dirigeants particuliers, il a été possible d’établir dans l’entreprise un processus de dialogue et de concertation sociale transitoire entre la direction et les organisations syndicales, en allant à l’encontre de la tendance dominante du pays dans ce domaine.

L’action de trois dirigeants clés (le Gérant général, le Vice-président de R.H. et le Président) a été déterminante pour développer un management plutôt politique, une GRH à caractère conventionnaliste qui se démarquaient complètement de la tendance dominante de la société. La haute direction a essayé de garder l’équilibre entre les finalités économiques et sociales de l’entreprise. Il s’agissait alors d’un style de management vertical, autoritaire, mêlé du dialogue avec les syndicats et exerçant une attention particulière aux ressources humaines.

En effet, ces dirigeants partageaient des sensibilités sociales et des conceptions politiques humanistes et de gauche, en ayant soit une formation et/ou des connaissances approfondies de l’Europe. C’est la période du plan ABC, du dialogue social, d’une importante restructuration des postes sans conflits sociaux, d’une formation plus large, de départs sous la forme de retraites anticipées et volontaires, d’une augmentation des rémunérations, etc.

Il s’agissait là plutôt du début d’une période post-dictatoriale où il était encore possible d’aider le processus de consolidation démocratique du pays. L’actionnaire majoritaire (espagnol) a voulu aussi jouer cette carte et nommer ce Président du Directoire avec une étiquette socialiste.81

Dans cette conjoncture, la DRH a eu un prestige important et ce Vice-président de R.H. a donné une grande importance aux ressources humaines, il a formé une DRH importante, influente, de grande taille et a acquis un pouvoir important ; ce fut possible grâce à la complicité et à l’accord du Gérant général.

Rappelons que, au niveau national, non seulement le modèle de relations professionnelles est confrontationnel, que ce pays n’a jamais connu une concertation sociale de type néo-corporatiste, mais en plus l’expérience historique du Gouvernement d’Allende et, par après, de la Dictature militaire, ont marqué la mémoire collective, renforcé la méfiance et divisé profondément la société chilienne, tant politiquement que socialement. Ce facteur traverse donc toute éventuelle relation de concertation sociale dans les entreprises jusqu’à aujourd’hui. La culture chilienne avec des traits de grande distance hiérarchique, de paternalisme et d’autoritarisme, n’arrange pas les choses dans le sens du dialogue, de la confiance et de la négociation.

Les dirigeants syndicaux de l’entreprise sont, en tout cas pour les syndicats les plus importants, d’anciens dirigeants qui ont connu et ont lutté contre la dictature. La méfiance et leurs positions contestataires sont restées latentes dans cette expérience de concertation sociale inhabituelle ; ils n’ont pas laissé pour autant leurs conceptions « corporatistes » et utilitaires relatives aux bénéfices économiques et sociaux.

Aujourd’hui, tant les syndicats de l’entreprise que le mouvement syndical national, ont des difficultés à proposer un projet syndical cohérent et unique ; ils sont traversés grosso modo 81 A l’époque, le PSOE était au pouvoir en Espagne.

Page 350: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

350

par deux positions syndicales : l’une, d’opposition traditionnelle, plus radicale contre l’entreprise et la société capitalistes -sources d’exploitation et de marginalisation des travailleurs-, prône un changement de ce système. L’autre, plus conciliatrice et incohérente, cherche à défendre plutôt les intérêts immédiats des travailleurs, mais sans critiquer de front ni l’entreprise ni la société capitalistes et sans chercher à les changer radicalement. Ces différences expliquent, en partie, la grève déclenchée (1998) par trois syndicats dirigés par des leaders arborant une position de gauche, plus radicale dans cette période.

Dans la deuxième période (1999-2001…) des bouleversements importants arrivent. La crise asiatique frappe fortement l’économie chilienne, le taux de croissance économique diminue fortement et le marché de télécommunications devient encore plus hostile. Un nouveau Décret tarifaire est promulgué et perçu comme plus contraignant et commence la chute financière de l’entreprise. A cela s’ajoute de nombreux changement de dirigeants de l’entreprise, ce qui apporte encore plus d’instabilité.

Le Gérant général (espagnol) a été remplacé par un nouveau Gérant général (chilien) avec une sensibilité plus financière. Le Président précédent avait déjà été remplacé. Fin 1999, le charismatique Vice-président des R.H. démissionne par de fortes contradictions avec le nouveau Gérant général de l’entreprise et leurs politiques. Il n’est pas d’accord, par exemple, de procéder à des licenciements dérivés du plan AVA. Un nouveau responsable des R.H. est nommé, mais celui-ci n’occupera pas le même statut (nommé Gérant Corporatif et pas Vice-président).

Le Groupe Telefónica-Espagne (actionnaire majoritaire), ayant changé de Président, change aussi d’orientation stratégique avec une stratégie plus agressive appliquée en Amérique latine par l’achat de plusieurs filiales latino-américaines et une demande de plus de productivité et de gains à court terme.

Le management va privilégier la stratégie de diminution des coûts, la restriction budgétaire, la recherche de plus d’efficacité et de productivité. Des pratiques de GRH plus cohérentes avec la stratégie de diminutions des coûts sont privilégiées : départs anticipés massifs négociés, licenciements secs, formation avec moins de budget assigné, utilisation des outils informatiques et auto-formation, des relations professionnelles rompues, etc. (tableau 25).

Le nouveau Président de l’entreprise (chilien, nommé en 2001) a comme mission urgente, après deux années de pertes, de redresser la situation économique. En étant « cohérent » avec la logique chilienne, il ne se propose pas de redresser la situation économique avec l’aide des syndicats parce qu’il n’y croit pas. Le rapport avec les syndicats est strictement informatif et il n’y a pas de place pour une relation coopérative. Un licenciement sec de 1.600 personnes a lieu, marquant un jalon important dans l’état d’esprit des travailleurs et une rupture totale avec les syndicats.

Le faible contre-pouvoir des syndicats est dévoilé par un échec lors d’une grève convoquée par eux. Il est vrai que le contre-pouvoir syndical est affaibli (quoique formellement encore très puissant), mais il est encore capable de négocier. Si ces négociations sont bloquées, c’est par la forte disparité des positions et le manque de volonté de la part des partenaires sociaux. Il n’y a pas non plus de collaboration ou de pression extérieure, puisqu’il n’y a pas un mouvement syndical bien structuré et coordonné au niveau national, ni une pratique de concertation sociale nationale. Forcément, la CUT n’intervient pas effectivement dans ces affaires. L’échec de la dernière négociation collective et la violente grève (2002) témoignent de cette relation sociale catastrophique.

L’Etat n’intervient pas directement sur l’entreprise, le Gouvernement démocratique de coalition centre-gauche essaye de contrecarrer cette tendance et de proposer d’autres politiques et d’autres solutions. Il tente de renforcer le contrôle du respect de la part des

Page 351: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

351

managers des entreprises à l’égard des lois sociales obligatoires. Le Gouvernement essaie d’assumer un rôle de régulation plus important. Pour sa part, les partis politiques non pas réussi jusqu’à présent à aider à l’unification du mouvement syndical, ni à établir une concertation sociale à travers un accord politique.

Nous avons montré comment l’interprétation et la mobilisation des éléments du contexte, les intérêts spécifiques et le rapport de forces entre les acteurs vont conditionner et/ou déterminer finalement le sens et le cours des événements.

CONCLUSIONS

L’objectif majeur de notre recherche a été de décrire, d’analyser et de comparer les évolutions des pratiques de GRH, des rôles des DRH et des modèles de management dans deux, voire trois, contextes spécifiques et différents au cours d’une période d’environ six années. En utilisant une approche contextualiste, des modèles théoriques pertinents et quelques hypothèses, nous avons montré comment et pourquoi ces changements ont eu lieu et nous avons relevé le rôle décisif des acteurs dans ces changements.

Les études de cas ont montré combien la vie organisationnelle est traversée par le jeu contradictoire des acteurs avec des intérêts, des rationalités et des pouvoirs différents et comment ces acteurs, en mobilisant les éléments du contexte, conditionnent l’évolution des pratiques de GRH, des rôles des DRH et des modèles de management.

Au terme de notre étude, il nous semble utile de relever, de façon plus synthétique, les similitudes et les différences les plus importantes des changements observés dans les pratiques de GRH, les rôles des DRH et les modèles de management ; de relever également de la mobilisation des variables contextuelles faites par les acteurs dans chaque contexte. Quelques réflexions sur les conséquences de ces changements complètent ces conclusions.

Les similitudes

1.- En général, ces entreprises ont développé une modernisation technologique intense en utilisant de façon privilégiée les nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC).

De même, elles ont développé une forte tendance à l’externalisation (outsourcing) de plusieurs activités -y compris la GRH- en se limitant, de plus en plus, à l’activité principale (core business). Ces entreprises traversent donc, lentement mais sûrement, une période de transition allant de l’ancien industrialisme vers le nouveau informationnalisme.

2.- Ces entreprises ont développé, grâce principalement à l’utilisation de ces nouvelles technologies (TIC), un accroissement extraordinaire de leur efficacité, de leur productivité et de leur gain financier. Cependant, en même temps, elles ont entraîné une perte significative du nombre d’emplois et une forte intensité du travail. Particulièrement les managers et les cadres subissent une très forte charge de travail (50 à 55 heures/semaine), une plus grande

Page 352: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

352

flexibilité du travail et une augmentation du stress. En général, il existe un processus de substitution du capital au travail ainsi que la primauté d’une logique productiviste.

3.- Grâce au processus de mondialisation, il n’y a pas une grande différence technologique, ni de connaissances de techniques managériales et/ou de GRH entre les trois entreprises. Ce qui change, c’est le contexte et la façon de travailler. Cependant, tandis que le capital et la technologie sont globaux, le travail lui reste local. Le travail se diversifie, se spécialise, se sous-traite, sa capacité collective se fragmente et la forte pression annule, en quelque sorte, ce qui a été gagné en autonomie ou en bien-être.

4.- Plus spécifiquement, les évolutions similaires les plus relevantes, dans les deux -voire trois- cas analysés, ont été :

4. 1.- l’accroissement important de l’usage des méthodes de management propres au modèle instrumental ou « californien » ;

4. 2.- l’utilisation plus extensive des pratiques de GRH individualisantes et,

4 .3.- la diminution importante de la taille de la DRH et, notamment, du profil d’agent administratif de la DRH,

Au niveau du management, il y a eu un développement –avec des résultats mitigés- d’un management participatif, de la flexibilité organisationnelle et numérique, des cercles de qualités, de l’empowerment, du coaching, etc.

Quant aux pratiques plus individualisantes de GRH, le développement d’une sélection plus rigoureuse, d’une formation qui vise aussi le savoir-être mais aussi l’autoformation, l’évaluation sur le mérite, la gestion par compétences, l’employabilité, etc., témoignent de ce processus.

Au niveau de la DRH, cette forte diminution de la taille de la DRH et notamment du profil d’agent administratif, s’expliquent principalement par des processus extensifs d’automatisation informatique (des intranets Exch@nge chez Belgacom, Telefónica-Personas chez Telefónica-CTC, LSS et WF chez France Télécom ; des portails, etc.), par les plans de pre-retraites et les licenciements et par l’externalisation de certaines fonctions de GRH.

Ces évolutions ont déjà été montrées plus en détail auparavant (tableau 33).

Les divergences

5.- Cependant, les évolutions mentionnées au niveau des modèles de management, des pratiques de GRH et des rôles des DRH, montrent aussi des différences importantes :

5. 1.- Bien qu’il y ait une progression des pratiques managériales du modèle « californien », dans les cas belge et français le modèle managérial dominant reste le management politique, même si aujourd’hui il est plus hybridé avec des pratiques du modèle « californien ». Par contre, dans le cas chilien, le modèle de management « californien » est devenu clairement dominant, même si subsistent encore avec des pratiques du modèle classique.

5. 2.- Les changements des pratiques de GRH chaque fois plus individualisantes ont été, dans le cas belge, mélangés à des pratiques de GRH liées au modèle conventionnaliste qui est dominant. Par contre, dans le cas chilien les pratiques dominantes de GRH sont celles du modèle individualisant, quoique mélangées contradictoirement aux pratiques du modèle objectivant.

Page 353: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

353

5.3.- L’évolution des rôles de la DRH, dans les cas belge et français, a été pratiquement nulle ou plus tardive puisque le rôle dominant, jusqu’à la fin de l’année 2001, est resté d’agent administratif (AA). Par contre, dans le cas chilien, le rôle dominant est devenu celui d’expert opérationnel (EO). Le rôle du partenaire stratégique (PS), tant prôné et souhaité par les managers, tarde lourdement à se développer.

Dans l’entreprise belge, les pratiques du management « californien » et politique ainsi que les pratiques des modèles de GRH individualisant et conventionnaliste coexistent en conflit permanent ou, autrement dit, en équilibre instable.

Ces différences s’expliquent par la présence d’acteurs sociaux et politiques différents dans des contextes différents. Autrement dit, elles sont le produit de la mobilisation que font ces acteurs spécifiques des variables telles que les relations professionnelles et le système politique, le marché du travail et la législation sociale ainsi que la culture nationale. Les acteurs étant non seulement les dirigeants, les organisations sociales ou les employés, mais aussi les partis politiques, le Gouvernement et/ou l’Etat. Des acteurs ayant des intérêts différents, une culture nationale spécifique, avec des histoires, des institutions, des religions et des traditions spécifiques, des forces et des faiblesses propres dans chaque entreprise et dans chaque société considérées.

En Belgique, le modèle de relations professionnelles est plutôt néo-corporatiste et social-démocrate, avec un mouvement syndical encore fort et coopératif, une forte présence des partis politiques de gauche (PS) et progressistes (Ecolos, CDH) et un Gouvernement ou Etat plus interventionniste. De fait, l’Etat joue un rôle public et social beaucoup plus important qu’au Chili. ( voir tableaux 16 et 23). Au Chili, par contre, il existe un modèle de relations professionnelles confrontationnel et latin, avec un mouvement syndical faible, confrontationnel et en crise, une présence des partis politiques de gauche (PS) et progressistes (PPD, PRSD, DC) plus faibles ou en lent processus de récupération –avec des projets politiques hétérogènes- et un Gouvernement ou Etat très peu interventionniste dans les affaires sociales.

Le modèle de relations professionnelles et le système politique, est un des facteurs parmi les plus important qui explique le plus clairement les différences constatées dans les deux cas principaux. En effet, en Belgique, le modèle de relations professionnelles au niveau national fonctionne comme un mécanisme de régulation socio-économique reflétant les forces et les accords entre les partenaires sociaux, tandis qu’au Chili, il n’existe ni de concertation sociale ni d’institutionnalisation équivalente au niveau national.

De même, tandis qu'en Belgique il existe une législation sociale plus complète régulant davantage le marché et protégeant les intérêts des personnes en offrant une sécurité sociale plus large, au Chili il y a une législation sociale plus incomplète et plus souple, favorisant davantage les décisions discrétionnaires des managers où la régulation se fait principalement par le libre jeu du marché du travail. Le droit de grève, l’assignation de chômage, les procédures de licenciement ou d’embauche, les différences d’échelles salariales, etc., témoignent de ces différences.

Les traits de la culture latine « hybride » belge que nous avons relevés influencent davantage, par exemple, le développement d’un modèle de management politique et des pratiques de GRH conventionnalistes, un travail en équipe ou le coaching, etc. Par contre, les traits de la culture latine chilienne que nous avons analysés, où le paternalisme, l’autoritarisme, la soumission à l’autorité sont encore fort présents, ces traits stimulent un modèle de management plutôt classique et des pratiques de GRH objectivantes.

La différence des évolutions est évidente ; les aspects sociaux (sécurité sociale, éducation, droits des travailleurs, etc.) sont mieux garantis dans le cas belge et la logique productiviste

Page 354: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

354

est plus forte et nuisible dans le cas chilien. Et tant que ces acteurs indiqués demeurent, avec leurs particularités idéologiques, politiques, culturelles et leurs forces spécifiques, ces modèles resteront différents. Dans ce sens, ce que nous pouvons appeler le « modèle » belge – compris comme une synthèse provisoire- est clairement différent du « modèle » chilien. Le « modèle » belge est effectivement plus complexe et plus contraignant, mais plus équitable et plus humain.

Des réflexions, des conséquences et des défis.

6.- Il n’y a donc pas un modèle universel porteur de solutions universelles, une pensée managériale ou une pratique de GRH unique applicable à n’importe quel contexte ou pays.

En plus, s’il s’agit d’évaluer les objectifs réalisés dans les entreprises, le problème se pose aussi des critères avec lesquels l’évaluation est faite. S’il ne s’agit d’évaluer que les gains de productivité et financiers, l’entreprise chilienne apparaît – à première vue- comme la plus performante. Le management instrumental pratiqué, notamment dans la deuxième période, a été cohérent avec cet objectif et ses indicateurs sont relativement supérieurs. Cependant, les aspects sociaux ont été délaissés et l’entreprise a subi de relations professionnelles fortement détériorées et un malaise social généralisé. De plus, les pertes subies pendant deux années (1999, 2000) et les chiffres partiels augurant une mauvaise année 2002, mettent en question cette relative supériorité de la performance financière dans cette entreprise.

Par contre, s’il s’agit d’évaluer la performance économique liée étroitement à un certain bien-être social, c’est-à-dire, l’amélioration des indicateurs de productivité et de bénéfices, en même temps que des conditions sociales de travail acceptables, alors c’est l’entreprise belge qui a été la plus performante.

En utilisant le principe de la satisfaction conjointe des intérêts divergents pratiqué par le management politique pour évaluer les changements, alors effectivement, c’est l’entreprise belge qui a atteint des résultats positifs pendant toute la période, en améliorant les indicateurs de productivité et en préservant aussi les bonnes relations professionnelles et la paix sociale.

7.- Le nouveau rôle exigé à la DRH –appelé par certains le nouveau paradigme- est celui d’être un véritable partenaire stratégique (PS) pour la direction et l’entreprise. Il s’agit donc de trouver ou construire un profil PS polyvalent, fin connaisseur des affaires, avec une vision stratégique, bon généraliste, bon négociateur, etc., c’est-à-dire, un acteur presque hors norme, avec des qualités extraordinaires mais qui, en pratique, prend encore du temps à émerger. Louable objectif mais, paradoxalement, en contradiction avec le type des études actuels qui évoluent vers une spécialisation chaque fois plus poussée.

Il est clair que dans la poursuite permanente de la maximalisation de la productivité et du profit, le rôle de la DRH ne peut pas se cantonner à exécuter des licenciements ou des plans de préretraites. Il existe aussi le danger d’une certaine « manipulation » des ressources humaines à travers un discours prônant l’épanouissement de l’homme au travail mais, finalement, avec le seul but de l’effort illimité de productivité. La DRH est confrontée alors à une claire exigence éthique. Elle doit contribuer à garantir un management humain et socialement acceptable. Il s’agit d’établir un équilibre entre l’économique et le social, l’équilibre entre les actionnaires, les employés et les clients, le choix d’un modèle managérial. Ces choix ne sont pas simplement économiques ou technologiques mais concernent aussi pleinement des critères sociaux, politiques, environnementaux, culturels, etc. Il se pose aussi le problème d’un nouveau pacte social entre partenaires sociaux ; bref, l’exigence d’un choix managérial construit socialement, puisque rien n’est naturel.

Page 355: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

355

Dans cette perspective, elle a besoin d’un système de GRH intégral qui peut gérer tant les pratiques mesurables que les démarches non quantifiables (puisque celles-ci contribuent aussi à une meilleure cohésion et satisfaction sociale), qui permet la convergence efficace des intérêts différents sans tomber dans le piège de s’intéresser seulement à ce qui est quantifiable, en croyant que ce qui ne l’est pas n’existe pas ou n’intéresse pas.

8.- La distance qu’il y a souvent entre les pratiques managériales et/ou de GRH et le discours prôné par les directions est une réalité frappante et contradictoire de la vie réelle des entreprises.

Ce phénomène est évident, par exemple, dans le modèle de management instrumental et les pratiques de GRH individualisantes très à la mode actuellement.

Les pratiques individualisantes de GRH tels que les départs ou licenciements massifs, les contrats à durée déterminée (CDD), l’autoformation, l’absence de plans de carrières, l’employabilité, l’intention d’appliquer des rémunérations variables, la flexibilité, etc., entrent en contradiction vis-à-vis des objectifs tels que la motivation au travail, l’esprit d’équipe et/ou la solidarité de groupe, l’autonomie de travail, l’identification à l’entreprise, le sens d’appartenance à une collectivité sociale, etc., qui sont des sources de dynamisme et de performance au travail dont les travailleurs ont justement le plus besoin.

Le fait de rémunérer par les compétences et non par le travail accompli, heurte le sens d’équité et installe la méfiance quant à la subjectivité illimitée qui peut s’établir dans l’évaluation/rémunération du travail. A notre avis, cette difficulté s’explique par deux facteurs : le manque d’une instrumentation adéquate du concept théorique et, d’autre part, une légitimité sociale faible. Si la logique de poste est si résistante au changement, c’est parce qu’elle a une légitimité plus forte par son postulat objectif qu’à « travail égal, salaire égal ».

D’autre part, il existe des contradictions évidentes, comme nous l’avons montré, entre ces modèles managériaux dominants aujourd’hui et la culture nationale, l’histoire et les traditions de chaque pays.

Ces contradictions sont, cependant, beaucoup plus frappantes dans le cas chilien.

9.- Dans le cas chilien, l’application du modèle managérial « californien » et du modèle de GRH individualisant, notamment inspirés des Etats-Unis, ne prennent pas suffisamment en considération les variables contextuelles telles que les relations professionnelles et le système politique, le marché du travail et la législation sociale et la culture nationale, parmi d’autres variables, avec les conséquences néfastes que cela entraîne. A notre avis, une des exigences majeures du management chilien est de construire et d’appliquer un modèle de management et des pratiques de GRH qui soient cohérents et adaptés aux conditions particulières du contexte national et/ou local dont quelques éléments ont été soulevés dans cette étude.

10.- Le rationalisme et l’approche contingente ont montré leurs limites pour l’analyse et pour la gestion de la dynamique sociale des organisations. Nous avons constaté que certains programmes décidés et planifiés soigneusement par les directions ne se sont pas réalisés exactement comme prévu (programme de la qualité totale chez CTC, plan BeST chez Belgacom, etc.). La dynamique des acteurs s’est montrée plus coriace. L’approche politique peut combler ces déficiences et devenir plus utile au management quant il s’agit de reconnaître les intérêts divergents et la pluralité de rationalités des acteurs sociaux dans les entreprises et dans la société en général.

Le modèle de relations professionnelles néo-corporatistes et social-démocrates dans l’entreprise belge, n’a pas empêché mais plutôt influencé positivement – quoique pas dans le sens direct de cause à effet- sur la productivité et la performance de l’entreprise. Dans ce sens,

Page 356: UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES

356

elle confirme les affirmations de Messine (1987), Coutrot (1998) et Aidt et Tzannatos (2002) à ce propos.

11.- Quant au rôle de l’entreprise publique ou S. A. de droit public et à son éventuel devenir (privatisation, semi-privatisation, incorporation en bourse, etc.) il ne s’agit pas seulement d’un choix technologique ou managérial. Il s’agit principalement d’un choix politique lié au rôle que l’Etat doit jouer aujourd’hui dans la société, notamment dans la société de l’information. A notre avis, il se pose aujourd’hui l’exigence de préciser quels pourraient être les nouveaux rôles de l’Etat dans la société informationnelle actuelle, comment pourrait-il utiliser les nouvelles technologies, parmi elles les TIC, pour contribuer à moderniser ces entreprises et l’Etat, à créer de l’emploi et à développer le bien-être de l’ensemble de la société.

12.- Nous avons vu que les modèles de management, les pratiques de GRH et les rôles des DRH sont multiples. Il n’y a pas, en tout cas en Europe, un seul modèle de management en action. Mais le problème se posera toujours d’un équilibre entre différents critères ; le problème de l’équilibre socialement acceptable entre l’humain et l’économique.

De même, nous constatons qu’un certain moule culturel spécifique perdure à travers le temps. La mondialisation ne peut pas homogénéiser tout pour faire apparaître une culture mondiale, ni un homme unidimensionnel, simplement parce que le capital, les techniques et les réseaux des télécommunications sont devenus mondiaux.

La complexité de la vie des organisations sociales ne peut se réduire à un modèle unique. Par conséquent, le management et la GRH doivent nécessairement en tenir compte et apprendre à gérer ces différences. Il s’agit toujours des objectifs voulus et des choix managériaux humains dans des contextes spécifiques.

13.- L’observation empirique des entreprises nous a montré qu’un modèle théorique pur et totalement cohérent n’existe pas en pratique, que les modèles managériaux, les pratiques de GRH et les rôles des DRH sont plus contradictoires et complexes dans la vie réelle, mais expriment toujours un choix.

Or, pour mieux comprendre les problèmes humains et appliquer un management plus approprié et efficace, il nous semble préférable l’utilisation d’une approche ouverte et la combinaison de diverses théories explicatives de la réalité sociale des organisations (Brouwers, Cornet, Gutierrez et al., 1997). Cette recherche s’est efforcée de suivre et de réaliser cette démarche.