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UNIVERSITE PARIS 7 – DENIS DIDEROT UFR Linguistique THÈSE pour l’obtention du grade de Docteur de l'Université en Sciences du Langage PERRIN Loïc-Michel Des représentations du temps en wolof Sous la direction de Stéphane ROBERT Soutenue le 17 mai 2005 JURY Denis Creissels (Professeur, Université Lumière / Lyon 2) Laurent Gosselin (Professeur, Université de Rouen) Jean Lowenstamm (Professeur, Université Denis Diderot / Paris 7) Konstantin Pozniakov (Professeur, INALCO - Paris) Stéphane Robert (Directeur de recherche, LLACAN - Villejuif) Bernard Victorri (Directeur de recherche, LATTICE - Montrouge) tel-00725093, version 1 - 23 Aug 2012

UNIVERSITE PARIS 7 DENIS DIDEROT UFR Linguistique …llacan.vjf.cnrs.fr/publications/Des_reprA_sentations_du_temps_en... · LES CONJONCTIONS BI , BA , BU et SU . . 365 2. 1. Présentation

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  • UNIVERSITE PARIS 7 DENIS DIDEROT

    UFR Linguistique

    THSE pour lobtention du grade de

    Docteur de l'Universit en Sciences du Langage

    PERRIN Loc-Michel

    Des reprsentations du temps en wolof

    Sous la direction de Stphane ROBERT

    Soutenue le 17 mai 2005

    JURY

    Denis Creissels (Professeur, Universit Lumire / Lyon 2)

    Laurent Gosselin (Professeur, Universit de Rouen)

    Jean Lowenstamm (Professeur, Universit Denis Diderot / Paris 7)

    Konstantin Pozniakov (Professeur, INALCO - Paris)

    Stphane Robert (Directeur de recherche, LLACAN - Villejuif)

    Bernard Victorri (Directeur de recherche, LATTICE - Montrouge)

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  • Table des matires

    Table des matires i Abrviations v

    INTRODUCTION... 1

    PRAMBULE.. 3 1. DES REPRSENTATIONS 5

    1. 1 Quest-ce quune reprsentation ?............................................... 5 1. 2. Thories linguistiques et reprsentations 7

    2. LE WOLOF, LANGUE DUNE ETHNIE ET DUN PAYS. 11 2. 1. Les Wolofs au Sngal : histoire et localisation. 11 2. 2. La langue wolof.. 13

    3. LES DIFFRENTS CADRES THORIQUES 29 3. 1. La T.O.P.E. dAntoine Culioli... 30 3. 2. Lapproche gomtrique et cognitive du temps. 37 3. 3. La grammaire cognitive amricaine 42 3. 3. Critiques des modles. 46

    4. LE DOMAINE CONCEPTUEL TUDI : LE TEMPS. 50 4. 1. Les reprsentations temporelles fondamentales.. 51 4. 2. Le temps linguistique.. 57

    Chapitre 1 : LE REPRAGE FONDAMENTAL : AKTIONSART, SYSTME VERBAL ET MARQUEURS ASPECTUELS SUPPLMENTAIRES.. 75

    1. LE REPERAGE FONDAMENTAL : INTRODUCTION.. 77

    1re partie : la problmatique de lAktionsart

    2. ASPECT VERBAL ET TYPOLOGIES DES PROCS.. 80 2. 1. Typologie des procs selon Vendler 81 2. 2. La typologie des procs selon Paillard. 87 2. 2. Analyse compare des deux classifications.. 94

    2me partie : tude des marques de la conjugaison

    3. PRSENTATION DU SYSTEME VERBAL. 101 4. LES PARADIGMES VERBAUX LMENTAIRES. 106

    4. 1. Le parfait 106 4. 2. Les modalits emphatiques. 116 4. 3. Les paradigmes du prsentatif et du narratif... 127 4. 4. Les modalits injonctives 144

    5. LES DEUX MARQUEURS DE LINACCOMPLI.. 149 5. 1. Le marqueur /-y/. 149 5. 2. Di : lautre marqueur de linaccompli ?................................... 155

    6. LES MARQUEURS DU PASS ET DE LIRREL... 162 6. 1. La translation dans le pass 163 6. 2. Lirrel et la translation dans le pass 173

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    7. CONCLUSION SUR LE SYSTME VERBAL... 181 7. 1. Rcapitulatif des valeurs explicites.. 181 8. 2. Essai de dcomposition du systme verbal.... 182

    3me partie : les marques aspectuelles supplmentaires

    8. LES TERMES ASPECTUELS NON FLEXIONNELS...... 186 8. 1. Onomasiologie des marqueurs aspectuels.. 187 8. 2. Approche smasiologique.. 193 8. 3. En guise de conclusion............................... 208

    Chapitre 2 : LE REPRAGE PAR UN LOCALISATEUR : CIRCONSTANCIELS ET CONNECTEURS DE TEMPS ET DASPECT... 210

    1. PRSENTATION GNRALE. 212 1. 1. Circonstanciels de temps et reprages. 216 1. 2. Relations entre circonstanciels de temps et procs.. 243 1. 3. Conclusion et modlisation. 255

    2. EXPRESSION DE LA DURE.. 257 2. 1. A partir du systme calendaire-chronomtrique.. 257 2. 2. A partir dvaluations subjectives 269

    3. EXPRESSION DE LA LOCALISATION TEMPORELLE. 274 3. 1. Les syntagmes nominaux circonstanciels 275 3. 2. Syntagmes adverbiaux circonstanciels et connecteurs 300 3. 3. Verbes oprateurs et circonstants de temps. 319 3. 4. Formes propositionnelles figes et / ou subordonnes 329

    4. NATURE DE LA RELATION CIRCONSTANCIELLE. 342 4. 1. Relation de recouvrement et de concidence 342 4. 2. La relation daccessibilit 345 4. 3. Les relations de concidences partielles.. 350 4. 4. Relations dantriorit et de postriorit. 355 4. 5. Le cas des connecteurs interphrastiques.. 357

    5. POUR RSUMER... 360

    Chapitre 3 : LES SUBORDONNES TEMPORELLES ET HYPOTHTIQUES. 361

    1. INTRODUCTION : SUBORDONNES TEMPORELLES DIRECTES ET INDIRECTES.. 365

    1re partie : les subordonnes temporelles et hypothtiques directes

    2. LES CONJONCTIONS BI, BA, BU et SU.. 365 2. 1. Prsentation gnrale... 366 2. 2. Les conjonctions bu et su... 386 2. 3. Les subordonnes introduites par bi et ba. 412 2. 4. ba : jusqu / jusqu ce que 430 2. 5. bi, ba, bu, su : points communs et diffrences.. 447

    3. BALAA, GINNAAW B- ET DIGGANTE B- AK B-. 455 3. 1. Le cas balaa 455 3. 2. Ginnaaw b- : aprs que.. 461 3. 3. La locution conjonctive : diggante b- ak b-.. 464

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    3. 4. Conclusion 467

    2re partie : les subordonnes temporelles indirectes

    4. LA SUBORDINATION TEMPORELLE INDIRECTE.................. 469 4. 1. Analyse morphosyntaxique et morphosmantique.. 469 4. 2. Nature de la relation circonstancielle.. 475 4. 3. Pour conclure sur les subordonnes indirectes.... 478

    Chapitre 4 : QUELQUES CAS DE POLYSMIE TEMPORELLE.. 480 AVANT-PROPOS...... 482

    1re partie : lexemple du marqueur ci

    1. PRESENTATION DU MORPHME POLYGRAMMATICAL CI. 484 2. LES USAGES PRPOSITIONNELS DE CI.. 487

    2. 1. La prposition incolore ci. 487 2. 2. Les locutions prpositionnelles en ci 507 2. 3. La prposition ci et le temps. 514 2. 4. Premires conclusions sur le morphme ci 521

    3. LE MARQUEUR CI ET LOPRATION DEXTRACTION.. 523 3. 1. Ci, dterminant partitif.. 523 3. 2. Ci comme pronom clitique 527

    4. CONCLUSION SUR LE MARQUEUR CI. 534

    2re partie : les termes fractals

    5. GRAMMAIRE FRACTALE : DFINITION 537 6. LES TERMES GINNAAW ET KANAM. 540

    6. 1. Les nominaux kanam et ginnaaw 541 6. 2. Emplois prpositionnels.. 548 6. 3. Ginnaaw comme connecteur temporel.. 561 6. 4. Emplois conjonctifs de ginnaaw 563 6. 5. Rcapitulatif des acceptions de kanam et ginnaaw 570

    7. LES MORPHMES FRACTALS DIGG ET DIGGANTE 572 7. 1. Le terme digg 573 7. 2. Le terme diggante. 578 7. 3. Conclusion 601

    CONCLUSION : TEMPS, INTELLIGENCES ET REPRSENTATIONS. 604 1. RAPPEL DE LA PROBLMATIQUE.. 605 2. TEMPS, SCHMATISATION ET INTELLIGENCES 608

    2. 1. Processus mentaux et reprsentations linguistiques 608 2. 2. A la qute des invariants. 617

    3. REPRSENTATIONS DU TEMPS ET ORIENTATION 626 3. 1. Le cas du wolof... 626 3. 2. Temps et espace vectoriel. 633

    4. VERS UNE LINGUISTIQUE CULTURELLE. 638

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    BIBLIOGRAPHIE.. 641

    ANNEXE 1 : ANALYSE DU LEXIQUE DU SYSTME CALENDAIRE-CHRONOMTRIQUE. 654

    1. LE LEXIQUE DU SYST. CALENDAIRE-CHRONOMTRIQUE. 655 1. 1. La mesure de la dure.......... 655 1. 2. Les cadres de rfrence temporelle...... 658

    2. OBSERVATIONS ET CONCLUSIONS 671 2. 1. Systme calendaire-chronomtrique et culture 671 2. 2. Systme calendaire-chronomtrique et cration lexicales... 672

    ANNEXE 2 : LE SYNTAGME NOMINAL CIRCONSTANCIEL COMPOS DUN

    CADRE DE RFRENCE EXTRINSQUEMENT REPR. 675

    1. MODIFICATION PAR UN DTERMINANT. 677 1. 1. Avec le dterminant zro. 679 1. 2. Avec un article indfini ou le numral benn. 684 1. 3. Avec un dterminant dfini. 685 1. 4. Avec un dterminant dmonstratif.. 687 1. 5. Rcapitulatif 691

    2. MODIFICATION PAR UNE SUBORDONNE RELATIVE CLASSIQUE. 693

    2. 1. Selon un reprage dictique 693 2. 2. Selon un reprage relatif.. 699 2. 3. Pour litratif 702

    3. LE SYNTAGME PRPOSITIONNEL.. 704 3. 1. Les prpositions simples. 704 3. 2. La locution prpositionnelle li-ko-dore 706

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    Abrviations et conventions utiliss pour le mot--mot + : indique un amalgame - : indique une affixation _ : relie plusieurs termes franais qui correspondent un seul terme wolof ... : indique un morphme discontinu (xxx) : morphme pouvant tre omis adv. : adverbe ar. : arabe br. : berbre circ. : circonstanciel emphC. : emphatique du complment emphS. : emphatique du sujet emphV. : emphatique du verbe fr. : franais litt. : littralement loc. : locution n. : nom nv. : nomino-verbal ng. : ngation v. / (vb.) : verbe pl.: pluriel prp. : prposition princ. : principale sg.: singulier sub. : subordonne : forme zro, forme non marque Sit0 : situation de lnonciation S0 : sujet-nonciateur S1 : locuteur S0 : cononciateur T0 : lieu et moment de lnonciation (repre-origine absolu) Sit2 : Situation de lnonc S2 : sujet du proces de lnonc T2 : lieu et moment du procs de lnonc T0 : repre-origine translat T01 : repre-origine fictif = : identification : diffrenciation : rupture * : toile

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    Excuse-moi, mais les concepts et les

    abstractions que, toi, tu prfres, ne sont-ils pas aussi des reprsentations, des images ? Ou bien les mots dont tu te sers en parlant ne permettent-ils vraiment de ne rien imaginer ? Peut-on penser sans se reprsenter en mme temps quelque chose ?

    Hermann HESSE, Narcisse et Goldmund

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    Introduction :

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    UNE LANGUE, QUELQUES THORIES LINGUISTIQUES ET UN DOMAINE CONCEPTUEL

    PRAMBULE ...................................................................................3

    1. DES REPRSENTATIONS ..........................................................5

    1. 1 QUEST-CE QUUNE REPRSENTATION ?......................................... 5 A. Les reprsentations physiques ou signes ........................................................... 5 B. Les reprsentations mentales ................................................................................ 6

    1. 2. THORIES LINGUISTIQUES ET REPRSENTATIONS................... 7 A. Linguistique et reprsentations ............................................................................ 7 B. Reprsentations spatiales et reprsentations spatialises................................... 8

    2. LE WOLOF, LANGUE DUNE ETHNIE ET DUN PAYS............11

    2. 1. LES WOLOF AU SNGAL : HISTOIRE ET LOCALISATION ........ 11 A. Quelques repres historiques .............................................................................. 12 B. Localisation gographique et recensement de lethnie wolof........................... 13

    2. 2. LA LANGUE WOLOF.............................................................................. 13 A. Le wolof dans le paysage linguistique du Sngal............................................. 14 B. Le wolof et les langues Ouest Atlantiques.......................................................... 14 C. Quelques caractristiques de la langue wolof.................................................... 17 D. Concernant le corpus tudi ............................................................................... 25 E. Les tudes antrieures sur la langue wolof ........................................................ 27

    3. LES DIFFRENTS CADRES THORIQUES.............................29

    3. 1. LA T.O.P.E. DANTOINE CULIOLI...................................................... 30 A. Les trois niveaux de construction dun nonc ................................................. 31 B. Le concept dopration de reprage ................................................................... 32 C. Notion et domaine notionnel ............................................................................... 33 D. Formes schmatiques et fonctionnement fractal............................................... 34

    3. 2. LAPPROCHE GOMTRIQUE ET COGNITIVE DU TEMPS ........ 37

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    A. Intervalles de temps et valeurs aspecto-temporelles......................................... 37 B. Temps, espace et cognition chez Gosselin .......................................................... 41

    3. 3. LA GRAMMAIRE COGNITIVE AMRICAINE.................................. 42 A. La thorie de la Mtaphore selon G. Lakoff...................................................... 43 B. La smantique cognitive et conceptuelle de R. W. Langacker......................... 44

    3. 3. CRITIQUE DES MODLES.................................................................... 46 A. Mais o est pass le moment de lnonciation ? ................................................ 46 B. Reprsentations iconiques ou reprsentations symboliques ............................ 47 C. Lusage des diffrents modles dans la prsente tude .................................... 48

    4. LE DOMAINE CONCEPTUEL TUDI : LE TEMPS.................50

    4. 1. LES RELATIONS TEMPORELLES FONDAMENTALES ................ 51 A. Le temps en socit............................................................................................... 51 B. Epistmologie gntique du temps selon Piaget ................................................ 54 C. Les schmes de temps fondamentaux................................................................. 55

    4. 2. LE TEMPS LINGUISTIQUE................................................................... 57 A. Relations aspectuelles .......................................................................................... 57 B. Repres-origine, relations temporelles et modo-temporelles ........................... 67 C. Reprage dun nonc par un fait : circonstanciels et connecteurs ................ 69 D. Synthse : localisation de la temporalit dans lnonc.................................... 70 E. Et la problmatique des modalits du procs ? ................................................. 72

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    PRAMBULE Lobjet de ce prsent travail porte sur les reprsentations du temps en wolof (langue

    africaine "Ouest-Atlantique" parle au Sngal). Elle a pour objectif non pas de dresser un catalogue de lensemble des termes et expressions impliquant de la temporalit en wolof mais dtudier les principaux procds linguistiques qua mis en place la langue wolof pour permettre de reprsenter une occurrence dvnement, laquelle rfre une assertion, dans le temps.

    Une telle entreprise ne pourrait aboutir si elle ne commenait pas par sinterroger sur la

    nature du concept de temps et sur la manire dont lhomme conceptualise les diffrentes relations temporelles1 ; et cela, afin de comprendre les divers processus cognitifs et/ou linguistiques mis en jeu pour quune telle entit de connaissance puisse tre exprime. Cest pourquoi cette thse sinscrit dans le courant de la smantique cognitive2 qui rapporte tous phnomnes linguistiques des oprations mentales.

    Le choix de cette orientation thorique se justifie galement par le matriau utilis, une langue exotique, le wolof3. En effet, la problmatique de la diversit des langues est au cur mme des questions souleves par la smantique cognitive (quil sagisse de la diversit inter-langues et intra-langues) qui postule pour une triple articulation entre langue, culture, et cognition. Cette analyse, dabord linguistique, doit donc galement apporter une contribution aux dbats portant sur les rapports quentretiennent les reprsentations et oprations linguistiques avec les autres processus cognitifs4, tout en sinquitant de la problmatique de la diversit des langues.

    Cette thse prsente donc un double intrt. Tout dabord, elle entend appliquer les

    diffrents outils dvelopps par quelques thories linguistiques sintressant aux relations entre linguistique et cognition, lexpression dun domaine conceptuel peu dcrit par ces mmes linguistiques : le temps. Car, rappelons-le, beaucoup dtudes linguistiques impliquant une dmarche cognitive ont concern le domaine conceptuel de lespace au travers de sa perception par lappareil cognitif, et par la mme aux relations entre langage et perception. Ce sont dailleurs ces tudes qui ont permis de poser les bases de la Grammaire Cognitive amricaine. Nanmoins, et ce phnomne est assez flagrant dans la linguistique franaise, beaucoup de linguistes5 ont mis quelques rserves quant ces prsupposs, et plus exactement sur la nature pistmologique des reprsentations linguistiques qui devraient impliquer un caractre spatial si de tels prsupposs savraient

    1 Pour cette raison, nous avons souhait nous appuyer sur les travaux de personnalits issues de diffrentes disciplines des sciences de lhomme comme Piaget pour la psychologie, Elias pour la sociologie, et bien entendu partir des dveloppements thoriques de diffrents linguistes comme Culioli ou Gosselin. Voir plus loin en en 3. et en 4. 2 Et plus particulirement la Thorie des Oprations Prdicatives et nonciatives de Culioli et la Grammaire Cognitive amricaine, dans la mouvance de linguistes comme Langacker ou Lakoff principalement. Voir plus loin dans lintroduction en 3. 3 Nous entendons par exotique le fait que le wolof fait partie de ces langues qui sont peu tudies par ces diffrents courants linguistiques ; et cela, essentiellement parce que ces mmes courants linguistiques se servent gnralement de la langue utilise comme mtalangue pour raliser leurs tudes. 4 C. Fuchs et S. Robert, 1996, p. 2. 5 B. Victorri (1997 et 1999), P. Cadiot & J.-M. Visetti (2001) ou C. Vandeloise (1999) pour ne citer queux.

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    justes. Ainsi donc, une tude des reprsentations du temps en wolof sera loccasion de nous interroger sur les diffrentes hypothses formules par les divers courants de la linguistique cognitive, sorte de mise lpreuve de ces diffrentes considrations lexpression du temps prsentant de nombreuses affinits avec le domaine conceptuel de lespace1.

    1 En wolof en tout cas !

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    1. DES REPRSENTATIONS Une langue dun groupe ethnique dAfrique de lOuest, le wolof, quelques thories

    linguistiques postulant lexistence de relations entre langage et cognition, et un domaine conceptuel universel, le temps. Les reprsentations constituent donc le support permettant dtablir une connexion entre langue, langage, linguistiques, cognition et temps. Mais quest-ce quune reprsentation ? Et quelle est la nature de ces connexions ?

    1. 1 QUEST-CE QUUNE REPRSENTATION ? Selon la dfinition donne par Jean-Franois Le Ny dans le dictionnaire des Sciences

    Cognitives1, une reprsentation cest :

    Une entit cognitive [c'est--dire une entit se rapportant la connaissance] qui entretient une relation de correspondance avec une entit extrieure elle, et qui peut se substituer elle comme objet de certains traitements. (J.-F. Le Ny, 2002 : 252)

    De telles entits, il en existe deux types. Ces deux types de reprsentations sont fonction

    du niveau auquel elles se ralisent. Ainsi, une reprsentation peut se construire (1) soit un niveau concret ou rel, on parlera en ce cas de reprsentation physique ; (2) soit un niveau cognitif (c'est--dire l o se ralise la connaissance), on parlera alors de reprsentation mentale.

    A. Les reprsentations physiques ou signes Les reprsentations physiques renvoient ce que lon appelle couramment signe en

    linguistique. Elles se dfinissent par le sens quon leur attribue (gnralement collectivement2) ; ce sens dsigne ce quoi se rapporte le contenu conceptuel vhicul par la reprsentation3. On compte deux sortes de reprsentations physiques qui se distinguent par le rapport quelles entretiennent vis--vis de leur contenu smantique : soit les reprsentations physiques entretiennent un rapport analogique (iconique) et/ou motiv vis--vis de leur contenu smantique (1a), soit elles entretiennent un rapport conventionnel et immotiv (1b). De tels principes sont illustrs dans les exemples suivants :

    1 G. Tiberghien (Ed.), 2002. 2 En effet, une reprsentation physique est gnralement le consensus dun groupe dindividus qui dcide dattribuer une signification tel objet physique ; mais il est tout fait possible quun seul individu dcide dattribuer une signification particulire (affective par exemple) un objet, que cet objet compte dj une signification ou quil nen ait pas (daprs J.-F. Le Ny, 2002 : 252). 3 Le signifi donc.

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    Le concept de

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    Reprsentation analogique (1a)

    Reprsentations conventionnelles (1b) Toute forme de communication repose sur des reprsentations physiques ; et le langage,

    o plutt toute unit linguistique fonctionne sur un mode dune reprsentation conventionnelle et immotive.

    B. Les reprsentations mentales Quant aux reprsentations mentales, on peut les dcrire comme tant les processus par

    lesquels la connaissance a lieu. Les sciences cognitives1 postulent, classiquement, quil en existe deux sortes qui se distinguent par leur contenu (de manire analogue mais indpendamment des reprsentations physiques) : les reprsentations qui entretiennent un rapport analogique, iconique ou figuratif avec le contenu quelles impliquent, contenu renvoyant une image ; il sagit des reprsentations images (2a). Le second type de reprsentation mentale se diffrencie par un caractre plus propositionnel et sans relation iconique avec le contenu reprsent : il sagit des reprsentations que lon qualifiera dabstraites2 (2b).

    De cette faon, toute reprsentation physique, tout signe, dsigne un objet, un fait ou un

    concept et sous-tend une reprsentation mentale qui correspond au traitement mme de cet objet, de ce fait ou de ce concept, par lappareil cognitif. Mais les reprsentations mentales diffrent galement des reprsentations physiques en cela quelles nont pas besoin dtre actives par un stimulus pour fonctionner ; alors que, naturellement, il nen va pas de mme pour les reprsentations physiques.

    Une telle conception du fonctionnement de lappareil cognitif est qualifie de

    reprsentationaliste. Les reprsentationalistes mettent lhypothse que lappareil cognitif fonctionne en utilisant de telles reprsentations.

    1 Daprs J.F. Le Ny dans G. Tiberghien (Ed.). 2002, p. 255. 2 J.-F. Dortier (2002 : 418-419) rappelle que lexistence de ces deux types de reprsentations mentales a t confirme par des expriences menes grce aux techniques dimagerie crbrale fonctionnelle.

    Le concept de< gravillon >

    AMOUR NOBEEL (franais) (wolof)

    Le concept d< amour >

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    Enfin, un dernier point est signaler : pour un reprsentationaliste, toute reprsentation mentale suppose une certaine structure, structure qui peut faire lobjet dune schmatisation1. On a lhabitude de dire que les reprsentations images supposent une structure spatiale et que les reprsentations abstraites impliquent, quant elles, une structure syntaxique voire logico-mathmatique. Ces deux types de structures internes sont donc elles-mmes porteuses de sens ; et, de ce fait, elles sont galement susceptibles dtre lobjet dune reprsentation dite mtacognitive (par la topologie par exemple pour des relations logico-mathmatiques).

    1. 2. THORIES LINGUISTIQUES ET REPRSENTATIONS

    A. Linguistique et reprsentations Toute tude linguistique et cognitive doit oprer sur trois niveaux de reprsentations que

    Culioli2 dfinit de la faon suivante : - le niveau I (langage) : les reprsentations mentales [notions et oprations] - le niveau II (langue) : les reprsentations linguistiques [agencement de marqueurs] - le niveau III (linguistique) : les reprsentations mtalinguistiques

    On posera que les units de niveau II sont des marqueurs doprations de

    niveau I (niveau auquel nous navons pas accs, autrement que par ces traces que sont les marqueurs). Le travail mtalinguistique consistera reconstruire les oprations et les chanes doprations dont telle forme empirique est le marqueur3. (A. Culioli, 1990 : 129)

    La linguistique et plus particulirement les linguistiques cognitives font un grand usage

    de figures pour expliquer la signification et le comportement des units linguistiques ; il sagit donc de reprsentations physiques mtalinguistiques (et souvent de reprsentations spatiales). En effet, de telles reprsentations tiennent dun niveau mtacognitif puisquelles ont voir avec ce quun sujet connaissant le linguiste sait (ou croit savoir) du fonctionnement de son appareil cognitif. Toutefois, en optant pour une dmarche

    1 Daprs P. Livet dans G. Tiberghien (Ed.), 2002, p. 256. 2 Daprs Culioli, 1990, pp. 129-130 et pp. 178-179. 3 Une telle stratification des niveaux de reprsentations nest pas sans rappeler lopposition pose par Gustave Guillaume (1933 : 208-209) dans le cadre mme de la smantique de la temporalit entre lexpression du temps, fait momentan de discours, et reprsentation du temps, fait permanent de la langue de telle faon que : La langue est un systme de reprsentations. Le discours un emploi, aux fins d'expression, du systme de reprsentations qu'est en soi la langue . Ainsi donc, reprsentations linguistiques et reprsentations mtalinguistiques sont confondues chez Guillaume. Profitons de cette remarque pour prciser expressment que, dans la suite de ce prsent travail sur les reprsentations du temps, notre dmarche se diffrencie clairement de la thorie linguistique de Guillaume sur la temporalit ; et lusage des expressions reprsentations du temps et expressions du temps ne fait aucun moment rfrence la dichotomie prsente linstant. Mais nous souhaitons quand mme rendre hommage cet homme qui a su poser les bases de la smantique contemporaine de la temporalit.

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    phnomnologique, les linguistiques cognitives tentent de modliser leurs observations afin de proposer des hypothses concernant le fonctionnement de lappareil cognitif humain. Ainsi, pour Antoine Culioli, toute mtalangue doit tre vue comme une tentative de simulation de lactivit du langage1.

    B. Reprsentations spatiales et reprsentations spatialises2 Cependant, et cest une question qui a sous-tendu continuellement dans ce travail,

    certaines linguistiques optent pour de telles reprsentations spatiales parce quelles estiment que le langage sappuie en grande partie sur des reprsentations mentales images3 pour se construire (et donc sur des processus cognitifs lis la perception). Ainsi, pour ces thories linguistiques, ce phnomne est attest par le fait qunormment demplois polysmiques et mtaphoriques concernent de faon significative beaucoup de composants linguistiques relatifs la localisation spatiale ou au mouvement et, plus gnralement, des termes dont la notion a trait lorigine au domaine de lespace et son exprience quotidienne la plus commune par tout individu en action. Une telle perspective attribue donc un caractre iconique aux reprsentations mtalinguistiques parce quelle suppose que les processus mentaux fonctionnent en privilgiant les reprsentations images qui sont de ce fait considres comme des primitives cognitives4. Une telle hypothse constitue dailleurs un des prsupposs de base de la Grammaire Cognitive amricaine.

    Dautres linguistiques, comme la Thorie des Oprations Prdicatives et Enonciatives

    (T.O.P.E.), usent galement des reprsentations spatiales. Mais la diffrence des prcdentes, pour ces thories linguistiques, lespace est envisag comme un simple outil permettant une meilleure comprhension des processus linguistiques relevant du cognitif. Car pour ces dernires linguistiques, les processus linguistiques, comme les autres processus mentaux, relvent dun niveau dabstraction beaucoup plus lev que celui offert par le domaine de lespace qui suppose un ancrage sur le rel. Ainsi pour Gosselin, Victorri ou les tenants de la T.O.P.E., lespace (gomtrique ou topologique) nest pas un primitif cognitif mais un outil de reprsentation mtalinguistique, un moyen de faciliter lapprhension des processus linguistiques et cognitifs ; et cest ce niveau seulement quinterviennent les reprsentations spatiales, ou plutt spatialises.

    Cest autour de la validit de ces deux hypothses qui semblent sopposer lune lautre

    que la problmatique de ce prsent travail tente de se formuler. Celles-ci obligent poser deux questions simultanment si lon cherche nexclure aucune des deux propositions pour ne pas rentrer dans une opposition schmatique : est-ce que les processus

    1 Daprs C. Fuchs & P. Le Goffic, 1985, p. 124. 2 Daprs J.-P. Descls dans G. Tiberghien (Ed.), 2002, pp. 272-276. 3 Dailleurs, le linguiste Ronald W. Langacker (1991 : 104) emploie le terme dimage-schema pour qualifier de telles reprsentations. Voir plus loin en 3. 3. B. 4 Dailleurs, avant de sappeler Cognitive Grammar, cette thorie linguistique tait galement appele Space Grammar.

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    linguistiques (et donc mentaux) reposent sur des reprsentations abstraites ? Et est-ce que les processus linguistiques reposent sur des reprsentations spatiales ?

    Pour rpondre une telle question, nous proposons de partir de lexemple du concept de

    temps et des diffrentes relations temporelles qui sy rapportent et dobserver la manire dont ce super-concept est reprsent dans la langue wolof, afin dessayer de comprendre comment lappareil cognitif pense le temps ; autrement dit, partir de quelles sortes de reprsentations. Cette tude des reprsentations du temps en wolof sera donc pour nous un moyen de comprendre comment lappareil cognitif traite le temps linguistiquement, mais aussi, dans une moindre mesure, psychologiquement. Car, comme Melchuk, nous pensons que : le meilleur moyen daccs la comprhension de la pense, est la comprhension du fonctionnement du langage1 .

    Nous esprons ainsi dmontrer quune troisime voie peut tre envisage, une approche

    qui consiste postuler que toute reprsentation mentale (quelle soit image ou abstraite) de la notion dun terme linguistique appelle des structurations de diffrentes dimensions qui tiennent de diffrentes intelligences (logique, spatiale, temporelle, etc.). Ces diffrents niveaux de structuration prsentent par endroits de fortes homologies homologies dexprience, de raisonnement qui autorisent des correspondances telles que le temps avec lespace ou lespace et le temps avec la logique.

    Nous commencerons, dans le premier temps de cette introduction, par prsenter la

    langue tudie le wolof en la situant gographiquement et historiquement au sein du Sngal et linguistiquement parmi les autres langues Ouest Atlantique.

    Ensuite, nous prsenterons les diffrentes thories linguistiques dont nous avons fait usage pour dcrire et par l mme comprendre les processus linguistiques relatifs au temps. Nous nous sommes appuys sur divers cadres thoriques tels que (i) la Thorie des Oprations Prdicatives et Enonciatives dAntoine Culioli (pour les questions lies au reprage et la notion de forme schmatique), (ii) le modle calculatoire et cognitif du temps labor par Laurent Gosselin pour le franais, que nous proposons dappliquer au wolof et (iii) la Grammaire Cognitive amricaine travers les perspectives ouvertes par George Lakoff (pour ses travaux sur la mtaphore et la mise en correspondance de domaines conceptuels diffrents) ou Ronald Langacker (pour ses recherches abordant la problmatique de la dimension configurationnelle du sens). Une place importante a t galement accorde au modle de la Grammaire Fractale labor par Stphane Robert qui permet dexpliquer le fonctionnement transcatgoriel de certains termes polysmiques.

    Enfin, pour conclure cette introduction, nous nous intresserons plus spcifiquement au temps et son expression linguistique. Il sagira donc de dfinir les diffrents lieux de lnonc qui sont concerns par la temporalit de manire mieux cerner les divers moyens linguistiques mis en uvre pour reprsenter le temps, tant un niveau grammatical que lexical, et plus gnralement la manire dont une occurrence dvnement est envisage et situe dans le temps.

    1 Citation extraite de sa leon inaugurale au Collge de France, mentionne par C. Fuchs (1997 : 14).

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    De tels processus linguistiques concernent principalement les relations temporelles (au sens large du terme) qui ont voir avec la situation dun procs par rapport un repre-origine (relations temporelles, au sens strictement linguistique) et avec son mode dinscription dans le temps (relations aspectuelles). De telles relations, que nous nous permettons de regrouper sous la dsignation de reprage fondamental du procs, sont principalement explicites (mais pas de faon exclusive) au sein du systme verbal1. De la sorte, nous proposons de distinguer le reprage fondamental du reprage par un localisateur, explicit par divers marqueurs et syntagmes (syntagmes nominaux ou adverbiaux et propositions subordonnes temporelles et hypothtiques en fonction de circonstanciel, connecteurs interphrastiques, etc.) qui permettent de situer une occurrence dvnement relative un procs par rapport une autre occurrence dvnement2. Ltude du reprage fondamental concernera le premier chapitre de cette thse et ltude du reprage localisateur, les chapitres deux et trois3. Une attention toute particulire a t porte aux phnomnes de polysmie et de transcatgorialit qui font intervenir de faon significative, en wolof tout au moins, des termes renvoyant une dimension spatiale pour exprimer une relation temporelle. Ces phnomnes feront lobjet du dernier chapitre de cette thse (chapitre quatre).

    On pourra reprocher ce travail de faon lgitime son manque douverture

    thorique en ce qui concerne les autres travaux linguistiques stant attachs dcrire les phnomnes lis la temporalit ; nous pensons tout particulirement aux importantes perspectives ouvertes par Gustave Guillaume. Nanmoins, face la complexit que reprsente lexpression de relations temporelles, nous avons estim quil tait prfrable de se limiter deux voire trois thories linguistiques celle de Culioli, celle de Gosselin et, plus occasionnellement, celles de Langacker et de Lakoff afin de ne pas alourdir lobservation et lanalyse. Cependant, lorsque les outils dploys par ces approches ntaient pas assez pratiques pour dcrire les phnomnes rencontrs, nous navons pas hsit nous rfrer, a et l, des approches thoriques diffrentes4 plus concernes par les problmes poss par la langue.

    Il va de soi que le choix des thories susmentionnes rpond bien videmment la problmatique pose dans ce prsent travail : la nature cognitive (spatiales versus figuratives) des reprsentations temporelles travers lexpression de ce domaine conceptuel ; les prises de position de ces trois linguistiques tant relativement explicites vis--vis de ce dbat.

    1 En effet, il existe des adverbes ou locutions adverbiales par exemple, comme ba noppi (littralement, jusqu' finir): dj, qui servent exprimer des valeurs aspectuelles. Voir en 8. dans le premier chapitre. 2 Et non par rapport un repre-origine. 3 Le troisime chapitre tant consacr aux subordonnes temporelles et hypothtiques. 4 Z. Vendler, 1967 ; F. Corblin, 1999 ; Van Valin & Lapolla, 1997 et T. Givon, 1984 pour ne citer queux.

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    2. LE WOLOF, LANGUE DUNE ETHNIE ET DUN PAYS Estims environ quatre millions dindividus1 vivant principalement au Sngal et en

    Gambie2, les Wolofs reprsentent le groupe ethnique dominant du Sngal ; mais ils sont aussi prsents en minorit dans tout louest de lAfrique et plus particulirement en Mauritanie, au Mali, en Guine, en Cte d'Ivoire et au Gabon suite des mouvements migratoires3.

    Le terme wolof dsigne la fois le groupe social, les membres de ce groupe et le nom de leur langue. Il serait driv du mot Dyolof qui est le nom dune rgion du Sngal.

    2. 1. LES WOLOF AU SNGAL : HISTOIRE ET LOCALISATION

    Carte gographique du Sngal

    1 Le Sngal comptant 9 421 000 habitants en 2000, daprs lOCDE (Organisation for Economic Co-operation and Development). 2 La Gambie forme une enclave lintrieur du Sngal. On a tendance nommer Sngambie lensemble de ces deux territoires ; dailleurs cest le nom qui a t donn lunion quont forme ces deux pays de 1982 1989. 3 A ce titre, il conviendrait galement dvoquer la prsence de Wolofs sur les continents nord-amricain et europen. Ainsi, on estime 400 000 le nombre de Sngalais rgulirement installs ltranger, et cest sans compter les irrguliers.

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    A. Quelques repres historiques Nous ne savons presque rien de lhistoire du Sngal et cela jusquau XIme sicle, si ce

    nest quelques indices archologiques attestant la prsence de quelques groupes sociaux depuis le palolithique infrieur jusqu lre protohistorique1. Si lon sen tient maintenant la tradition orale, les Soc seraient la plus ancienne ethnie prsente au Sngal. Mais cest surtout grce aux premires vagues dislamisation ainsi que par les rcits du gographe andalou du XIme sicle, Abu Ubayd Abd Allah al-Bakri2, que le territoire correspondant lactuelle Sngambie fait son entre de faon officielle dans lHistoire. En effet, ce chroniqueur, en narrant les diverses phases de la naissance de l'hgmonie almoravide, dresse un panorama complet de lAfrique septentrionale et du Sahel sngalo-nigrien de la moiti du XIme sicle, depuis le sud du Sahara et les rives du Sngal. Il y signale lexistence dun royaume, le Tekrour do seraient issus les Toucouleur3 situ sur les rives du fleuve Sngal et vraisemblablement prsent depuis le Xme sicle. Ce fut le principal royaume qui, malgr la suprmatie des empires du Ghana (Sonink) jusqu la fin du Xme sicle, des Almoravides et Manding4 du XIme au XVme sicle, prdominera au Sngal pendant presque cinq sicles.

    Selon les hypothses de lhistorien Jacques Maquet, au XIme sicle, la suite de remous

    provoqus par la chute de lempire du Ghana conscutifs la progression des Almoravides, les Serer5 prsents au cot des Toucouleur sur le fleuve Sngal sont obligs de quitter cette zone pour aller plus au sud, autour des fleuves Sine et Saloum en repoussant les Soc. Entre le XIIme et le XVme sicle, les Wolof peuple galement dorigine bafour venant du nord-est (plus exactement de la zone correspondant lactuel sud-est de la Mauritanie) stablissent dans la rgion du Dyolof. Au fil des sicles, ces Wolof russissent y tablir un royaume aux dpens des Toucouleur du Tekrour, mais toujours sous la domination de lempire Manding, et cela jusquau XVme. Cest dailleurs pendant ce XVme sicle que les Portugais entrent en contact avec les Wolof et en donnent une premire description6. On sait donc quil vivait dj cette poque au Sngal une population htrogne dj compose de Soc, de Toucouleur et de Peul, de Serer, de Wolof et de Sonink.

    Dans le courant du XVme sicle, la zone comprise entre les fleuves Sngal et Saloum passe entirement sous la domination de lempire Dyolof, mme si cet espace reste

    1 J. Maquet (http://www.arfe-cursus.com/wolof.htm). Il existe aussi au muse historique de lIFAN Gore une exposition retraant cette priode. 2 Dans le Livre des itinraires et des royaumes (Kitab al-masalik wa l-mamalik). 3 Les Toucouleur seraient en fait des Peul sdentariss par suite de limportance que prenait le royaume du Tekrour. Dailleurs, Peul et Toucouleur partagent la mme langue : le pulaar. Ces deux ethnies, de mme que les Wolof et les Serer, seraient toutes dorigine Bafour, peuple prhistorique vivant dans la zone qui correspondrait au sud-est de lactuelle Mauritanie (daprs Stphane Pradines, 1997). 4 Successivement le royaume animiste de Sosso aux XI et XIIme sicle qui succde lempire du Ghana et lempire musulman du Mali, depuis le XIIme sicle jusquau XVme sicle. 5 En fait, selon Stphane Pradines (1997), les Serer seraient des Toucouleur qui nont pas accept de se convertir lIslam. Dailleurs, le terme serer est un mot dorigine toucouleur qui signifie : " les spars ". Ceci expliquerait en partie pourquoi les Serer ont conserv cette forte relation de parent vis--vis des Peul et des Toucouleur, et pourquoi les langues pulaar et serer prsentent de forts liens de parent gntique (voir plus loin). 6 Par lintermdiaire du Portugais Da Mosto, dans le courant de la moiti du XVme sicle. Nanmoins, on note la prsence de tumulus sur le trritoire sngalais qui attestent la prsence des Wolofs ds le XIVme sicle (daprs D. P Gamble, 1957 :16).

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    toujours caractris par cette relative htrognit ethnique. Cet empire, fond par Ndiadian Ndiaye, impose sur toute la rgion la suprmatie des Wolofs et de leurs souverains, les bourba. A ce propos, une lgende rapporte quau XIIme sicle, le premier souverain wolof, le premier bourba dyolof (littralement, le roi du Dyolof), issu dun pre Maure et dune mre Toucouleur, intrigua sa naissance un devin serer qui scria NDiadian NDiaye !. Cette exclamation devint le nom de ce personnage lgendaire, premier de la dynastie des Ndiaye. On suppose que cet empire a dur depuis le XIIme sicle jusquen 1549, date laquelle il se scinda en quatre royaumes autonomes qui correspondent aux actuelles rgions du Dyolof, du Walo, du Cayor et du Baol.

    B. Localisation gographique et recensement de lethnie wolof Actuellement, les Wolofs sont toujours localiss dans le nord-ouest du Sngal1,

    principalement entre le fleuve Sngal, la cte atlantique et le fleuve Saloum jusqu'au centre ouest du territoire, dans le Ferlo. On les retrouve donc autour des grandes villes comme Dakar, Louga, This ainsi que dans la rgion du triangle de l'arachide form par les villes de Diourbel, Kaolack et Lingure2.

    Selon un recensement de 19953, les Wolof reprsentent 42,6 % de la population

    sngalaise ct des Peul et Toucouleur (23,7 %), Serer (14,8 %) et Mandingues (4,3 %). Ainsi, sur 9 421 000 Sngalais, lethnie wolof compte 4 051 030 individus4.

    Nanmoins, il convient de prciser qu cause dun important brassagd interethnique perceptible principalement dans les zones urbaines et de lexpansion linguistique de la langue wolof comme principal idiome vhiculaire du Sngal5, on a tendance dsigner comme Wolof tout individu issu dun mariage interethnique6, du fait que la langue quil utilisera le plus sera le wolof.

    2. 2. LA LANGUE WOLOF Le Sngal compte, parmi les 36 langues vernaculaires7 qui y sont parles, six langues

    nationales dont le wolof, le serer ainsi que le pulaar (parl par les Peul et les Toucouleur) auxquelles il convient d'ajouter le franais, langue officielle et donc langue de ladministration et du tourisme. Le wolof, comme la plupart des langues africaines parles au Sngal, appartient la famille des langues dites Ouest Atlantique 8.

    1 Espace correspondant aux quatre rgions susmentionnes. 2 Voir plus haut la carte du Sngal. 3 Chiffres fournis par lOrganisation Internationale de la Francophonie. 4 Daprs les chiffres fournis par lOCDE. 5 Au ct du franais, langue de ladministration. 6 Mme si aucun des membres du couple nest wolof. 7 Et chaque langue correspond une ethnie, lexception des Toucouleur et des Peul qui parlent la mme langue, le pulaar. Les diffrentes langues parles au Sngal sont recenses sur le site http://www.ethnologue.com. La plupart appartiennent la famille des langues dites Ouest Atlantiques . 8 Les autres langues africaines parles au Sngal appartiennent au groupe mand.

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    Mais intressons-nous dun peu plus prs au paysage linguistique du Sngal et aux liens gntiques entre le wolof et les autres langues du groupe ouest atlantique.

    A. Le wolof dans le paysage linguistique du Sngal Mme si les Wolof reprsentent environ 43 % de la population sngalaise, la langue

    wolof, usite par plus de 80 % de la population1, est dornavant la langue la plus rpandue au Sngal. Deux faits importants ont contribu cette situation : D'abord l'ethnie wolof est lethnie dominante puisquelle reprsente elle seule prs de la moiti de la population sngalaise. Ensuite, de par leur prsence sur la cte ouest-atlantique, les Wolof furent les premiers entrer en contact avec les colons. Par la suite, les Wolof devinrent des interlocuteurs privilgis qui servaient d'intermdiaire entre les Franais et les autres ethnies. Lorsque les comptoirs devinrent plus tard des grandes villes de la cte et du bassin arachidier, ils y furent naturellement prsents. Cest pour cette raison que les grandes villes allant de Dakar Saint-Louis correspondent des zones fortement wolophones.

    La prdominance du wolof implique une contrainte sociolinguistique quant la

    diversit des langues en prsence : toute personne d'une ethnie autre que wolof est contrainte d'adopter le wolof comme langue vhiculaire si elle quitte sa rgion d'origine. A cause de l'expansion rapide du wolof, le paysage linguistique du Sngal va donc dans le sens du trilinguisme pour tout individu dune ethnie autre que wolof : avec une langue vernaculaire (pulaar, serer, bambara...), le franais (langue de ladministration et d'ouverture sur le monde) et le wolof, langue vhiculaire assurant la communication interethnique.

    En somme, le wolof est la langue vernaculaire de lethnie wolof et la langue vhiculaire du Sngal.

    B. Le wolof et les langues Ouest Atlantiques La carte qui suit reprsente la rpartition ethnolinguistique des langues parles au

    Sngal. Comme on peut le voir, la plupart de ces langues appartiennent au groupe Ouest Atlantique dont le wolof mais le Sngal compte aussi, de faon minoritaire, quelques langues du groupe mand telles que le bambara, le sonink et le malink.

    1 En chiffres, sur 9 421 000 Sngalais, 4 051 030 sont des Wolof mais la langue wolof est parle par 7 536 800 individus (daprs lOCDE).

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    Les langues du Sngal1

    Plus prcisment, selon la classification des langues africaines propose par J. H.

    Greenberg, le wolof appartient, comme la plupart des langues parles au Sngal2, au phylum Niger-Congo et plus prcisment la branche nord de la famille des langues Ouest Atlantiques3, aux cts du serer ou du pulaar. Dailleurs, les relations gntiques entre ces trois langues sont sujettes polmiques, mme si lunit de la branche nord est gnralement admise.

    En effet, selon la classification interne des langues Atlantiques par J. D. Sapir4 ralise

    sur le mode dtudes lexicostatistiques, le wolof serait apparent avec les langues pulaar et serer qui tmoigneraient, quant elles, de liens gntiques plus forts. Ces trois langues formeraient donc un sous-groupe le sous-groupe des langues dites sngambiennes au sein de la branche nord des langues Ouest Atlantiques. Alors que pour W. A. A. Wilson5, mme sil ne remet pas en question lexistence de ce sous-groupe, il suppose que ce sont les langues wolof et pulaar qui entretiennent des relations gntiques fortes, ct du serer comme le figure la classification suivante.

    1 Daprs J. E. Grimes & B. F. Grimes. Ethnologue, 2000. La carte qui figure ici est disponible sur Internet ladresse : http://www.ethnologue.com/show_map.asp?name=Senegal 2 A lexception de quelques langues comme le sonink et le manding qui appartiennent au groupe mand nord. 3 Appeles encore plus simplement langues Atlantiques . 4 1971. 5 1989. Hypothse reprise par K. Williamson et R. Blench (2004 : 32-33) dans louvrage Les langues africaines de B. Heine et D. Nurse.

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    Classification des langues ouest atlantiques par W. A. A. Wilson1

    Cependant, ces deux points de vue ont t et sont encore remis en question par des africanistes comparatistes spcialistes des langues Atlantiques tels que J. L. Doneux et plus rcemment Konstantin Pozdniakov. Tout dabord, Doneux2 rappelle de faon judicieuse que les prcdents essais de classification lexicostatistique des langues Ouest Atlantiques se heurtent au fait que les mots lexicaux en synchronie ne permettent pas deffectuer de manire immdiate des rapprochements fiables, notamment cause de processus dincorporation daffixes et de lexmes tout au long de lhistoire de ces langues, ce qui perturbe fortement ltablissement de correspondances rgulires. De telles manifestations sont dautant plus prendre en compte que ces ethnies partagent une histoire commune qui remonte plusieurs sicles. De plus, Doneux observe galement de

    1 1989, p. 92. 2 1978, p. 42.

    Bijogo

    Pulaar Wolof

    Serer

    Diola, etc. Papel

    Balanta

    Tanda, Bedik Konyagi

    Biafada, Pajade

    Banyun Kobiana, Kasanga

    Nalu

    Limba

    Gola Sherbro, etc

    Temne, etc..

    Sua

    Cangin

    Atlantique Nord

    Atlantique Sud

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    nombreuses similitudes entre le wolof et dautres langues du groupe Atlantique Nord1 telles que les langues buy (kobiana et kasanga) ou le uun (ou banyun), langues quil dfinit lintrieur du groupe atlantique nord comme un ensemble part entire.

    Konstantin Pozdniakov, en prolongeant le point de vue de Doneux et partir dobservations personnelles plus compltes2, en est arriv penser, linverse des deux hypothses de reconstruction nonces plus haut, que le wolof nentretient aucun lien particulier avec le pulaar, pas plus quavec le serer dailleurs, ni mme avec aucune autre langue du groupe Ouest Atlantique nord puisquil ne constate aucun indice saillant tmoignant de faon significative dune quelconque relation gntique forte avec lune de ces langues. Il en est parvenu la conclusion que le wolof doit tre class, certes toujours lintrieur de la branche nord du groupe Atlantique, mais de manire isole.

    Ces deux dernires hypothses linguistiques, beaucoup plus fines parce que sappuyant

    sur des donnes tant lexicales que grammaticales, semblent dailleurs en partie se superposer aux hypothses concernant lorigine historique mme de ces quatre ethnies3.

    C. Quelques caractristiques de la langue wolof Comme la majorit des langues Ouest Atlantique, la langue wolof comporte quelques

    traits linguistiques caractristiques du groupe Ouest Atlantique qui touchent la classification nominale, la drivation verbale, lordre des mots et la forme du constituant nominal4 :

    Le systme de la classification nominale5

    En wolof, lensemble du lexique nominal est rparti entre diffrentes classes auxquelles

    se rapporte un classificateur spcifique. Un classificateur est un morphme qui remplit gnralement un rle de dterminant nominal et qui est donc fonction de la classe laquelle appartient le nom modifi. Un classificateur peut donc tre vu comme un indice permettant dindiquer la classe laquelle appartient le nom dtermin.

    Normalement (comme cest le cas dans les langues bantou), chaque classe nominale renvoie un trait notionnel caractristique des noms qui composent la classe laquelle ils appartiennent. Ainsi, il est commun de rencontrer par exemple des classes relatives des noms dtre humain, des noms de chose, des noms de plantes

    En wolof, en ltat actuel du systme des classificateurs, il est difficile dtablir des rgles formelles dappartenance dun nom une classe donne ; on observe au plus

    1 J.-L. Doneux. 1989, p. 43 et 1991, pp. 142, 198 et 199-200. 2 Communication personnelle. 3 Les populations peul et wolof sont deux peuples dorigine bafour qui auraient immigr des sicles dintervalle en Sngambie. Les Toucouleur parlant peul seraient des Peul sdentariss la suite de la constitution de lempire du Tekrour ; les Serer seraient issus dun groupe de Toucouleur qui se serait dtach pour ne pas subir lislamisation ; enfin les Wolofs seraient issus dun groupe qui se serait tabli entre les Peul, Toucouleur et Serer (voir prcdemment pour toutes ces hypothses). 4 Selon K. Williamson & R. Blench, 2004, p. 32, daprs les travaux de Doneux (1975) et Wilson (1989). 5 Daprs A. Fal, 1999, pp. 48-54 et J.-L. Diouf, 2001a, pp. 130-140.

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    quelques rcurrences smantiques tendancielles1. Nanmoins il est possible de dgager quelques constantes. Ainsi, on distingue en wolof dix classificateurs :

    - huit pour le singulier : /-b-/, /-g-/, /-k-/, /-m-/, /-s-/, /-m-/ et /j-/ - deux pour le pluriel : /-y-/ et /-/

    De manire gnrale, parmi les quelques rgularits observes, on peut remarquer que

    le marqueur /m-/ renvoie des notions de personne, danimaux ou de liquide. La classe en /g-/ renferme en autres choses quelques noms de partie du corps, les noms darbre ainsi que les noms de localit. Quant au classificateur /j-/, il est utilis avec des termes relatifs aux liens de parent ainsi que les fruits et les lgumes pris collectivement, mais il sert galement pour modifier les noms emprunts larabe et au berbre.

    - /m-/ : noms de personne et de liquide :

    picc mi : loiseau, muus mi : le chat, ndox mi : leau, sng mi : le vin de palme

    - /g-/ : noms de partie du corps, darbre et de rgion : kanam gi : le visage, ginnaaw gi : le dos, guy gi : le baobab, mngo gi : le manguier, bawol gi : le Baol (rgion du Sngal)

    - /j-/ : noms de fruit et demprunt larabe et au berbre : cere ji : le couscous, ambi ji : le manioc, alxuraan ji (ar.) : le coran, jjuma ji (ar.) : le vendredi

    Quant au morphme /-/, il est exclusivement rserv la formation dun dterminant

    dfini pluriel servant modifier un nom au pluriel relatif un tre humain : nit i : les gens, jigen i : les femmes Nanmoins, comme le suggre la liste suivante, dans tous les cas, aucune de ces rgles

    nest respecte, il ne sagit que de tendances.

    sngara si : lalcool (alors quil sagit dun liquide) biir bi : le ventre (alors quil sagit dune partie du corps) saa si : linstant (alors que ce terme est emprunt au berbre) xale bi : lenfant (alors que ce terme renvoie un tre humain)

    De telles irrgularits peuvent en partie sexpliquer par le fait quun nominal puisse tre

    capt par une classe autre que celle laquelle on pouvait sattendre, cause de la prise en compte dune autre dimension peut-tre moins saillante dans notre culture de la notion laquelle il se rapporte. Ainsi, le terme sngara renvoie bel et bien un liquide (classe en /m-/) ; nanmoins sil figure dans la classe en /s-/, cest parce que celle-ci regroupe galement les nominaux dont la notion renvoie du non-comptable (comme safara s- : le feu).

    Certains marqueurs de classes fonctionnent en emploi absolu2 en ce sens quils

    peuvent galement servir la cration de pronoms, voire de conjonctions. Ils renvoient de

    1 Daprs les remarques et suggestions de Pascal Boyeldieu. 2 S. Nouguier-Voisin, 2003, p. 17.

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    faon systmatique aux notions de personne pour /k-/, de chose ou dvnement pour /l-/, de lieu pour /f-/, de manire avec /n-/ et de temps avec /b-/.

    /k-/ : < personne > /b-/ : < temps > nit ki : ltre humain bs bi : le jour kii la ! : cest lui ! booba (dem.) : ce moment-l kan la ? : cest qui ? bi, ba, bu (conj.) : quand

    Cependant, alors que ces rgles notionnelles sont systmatiquement respectes lorsque

    ces classificateurs servent la formation des pronoms, des conjonctions, il nen va pas de mme lorsquils servent la dtermination des nominaux. On aurait pu citer l encore des exemples de nominaux dont la notion renvoie lun de ces domaines mais qui noprent pas avec le classificateur qui sy rapporte normalement.

    Le fait que ce systme repose sur des critres smantiques permet la langue de

    lutiliser comme un procd de drivation smantique. Ainsi, titre dexemple, avec le classificateur /g-/, le terme mngo renvoie la notion de manguier ; alors quavec le classificateur /b-/, ce mme terme renvoie la notion de mangue.

    Enfin, pour en finir avec cette prsentation du systme des classificateurs du wolof, on

    prcisera que lexistence mme de ce systme est en rgression puisque dans le parler des jeunes Dakarois, on a tendance employer systmatiquement le classificateur /b-/.

    Les morphmes classificateurs servent donc la construction des dterminants. Ainsi,

    partir de ces dix morphmes-classificateurs mentionns plus haut, le wolof va former deux types darticles rpartis selon lopposition indfini (par prfixation du morphme /a-/ au classificateur) versus dfini (par suffixation des morphmes /-i/, /-a/ ou /-u/) :

    dterminants indfinis

    - Singulier (un / une) : ab, ag, ak, am, as et aw (selon la classe du nom) - Pluriel (des) : ay (quel que soit le nom)

    dterminants dfinis

    - Singulier (le / la) : bi/ba/bu, gi/ga/gu, ki/ka/ku, mi/ma/mu, si/sa/su, wi/wa/wu et ji/ja/ju (selon la classe du nom)

    - Pluriel (les) : i/a/u (pour la classe des noms de personne), yi/ya/yu (pour les autres classes)

    ab xale : un enfant ay xale : des enfants xale bi : lenfant xale yi : les enfants

    Les dterminants dfinis sont donc forms en suffixant aux classificateurs lun des trois

    morphmes /-i/, /-a/ et /-u/. Il sagit en fait dun systme dindexation spatio-temporel trois indices que lon retrouvera ailleurs, dans la formation de nombreux marqueurs de la langue wolof1. Ainsi, suffixs des classificateurs, lindice /-a/ indique que lentit

    1 Voir aussi un peu plus loin dans ce chapitre pour une description plus complte du systme dindexation dictique en /-i/, /-a/ et /-u/.

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    dtermine est loigne du lieu de lnonciation, lindice /-i/ indique lui une valeur de proximit et lindice /-u/ vaut pour stipuler une absence de dtermination spatiale (mais il y a obligatoirement dtermination partir du contexte linguistique : le marqueur ainsi form sert donc la construction des relatives).

    xale bi : lenfant (proche) / xale ba : lenfant (loign) xale bu rafet bi : le bel enfant (litt. enfant qui est-beau le)

    Un tel comportement ne prsente pas dquivalent avec les dterminants indfinis. Et

    daprs les observations de K. Pozdniakov1, cette formation ternaire en /-i/, /-a/ et /-u/ est rcurrente dans les langues Atlantiques.

    Ensuite, en plus de pouvoir participer la formation des dterminants dfinis et

    indfinis, les classificateurs peuvent servir marquer dautres oprations relatives la modification nominale. On les retrouve ainsi combins dautres morphmes tels que /-pp/ pour exprimer la totalit, /-enn/ pour la singularit, avec /-eneen/ laltrit, un dterminant interrogatif avec /-an/, un dictique spatial avec /-ii/ et /-ale/ ou un anaphorique avec /-oo-/ :

    guddi gi : la nuit / guddi gpp : toute la nuit xale bi : lenfant / benn xale : un (seul et unique) enfant bs bi : le jour / beneen bs : un autre jour bunt bi : la porte / bunt ban ? : quelle porte ? soxna si : la dame / soxna sii : cette dame (proche) / soxna sale : cette dame (loigne) gor gi : lhomme / gor googa : cet homme-l (en question)

    Enfin, signalons pour finir que ces diffrents marqueurs participent galement la

    construction des subordonnes relatives modifiant un nom puisque cest le classificateur qui servira de relateur entre le nom modifi et la subordonne relative2 :

    - xar m- : mouton / xar mi : le mouton

    Xar mu duuf mi Mouton qui tre_gras le Le mouton gras

    La forme du constituant nominal

    A la diffrence de la majorit des langues Ouest Atlantique3, un syntagme gnitif, quil

    soit explicit par un complment du nom ou par une subordonne relative, est systmatiquement postpos au nom dtermin. La relation entre le nom dtermin et son dterminant est assume en wolof soit par le connecteur /-u/ suffix au nom dtermin si le

    1 Communication personnelle. 2 Sur ce point, pour plus de prcisions, voir J.-L. Diouf, 2001a, pp. 144-146. 3 K. Williamson & R. Blench, 2003. Daprs les travaux de Doneux (1975) et Wilson (1989).

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    dterminant est un complment du nom1, soit par le classificateur plac entre le nom dtermin et une subordination relative comme nous venons de lvoquer2 :

    Syntagme nominal - complment du nom le relateur est /-u/

    Fasu gej Cheval-de mer Cheval de mer (hippocampe)

    Syntagme propositionnel subordonne relative le relateur est le classificateur Ag kr gu mag Une maison qui tre_grand Une maison qui est grande / Une grande maison

    On signalera aussi quun dterminant dmonstratif3 peut tre plac soit aprs soit avant

    le nom dtermin (lantposition impliquant en plus une valeur demphase par rapport la postposition) et quun numral se place avant le nom quil modifie4 :

    Bs boobu Boobu bs ! Jour celui-l Celui-l jour Ce jour-l Ce jour-l !

    aar-i loxo : deux mains (littralement deux-de main)

    La drivation verbale

    La drivation verbale est un phnomne massif en wolof comme dans les autres langues

    Ouest Atlantique. Elle seffectue gnralement au moyen de suffixes. Ces marqueurs permettent la cration de nouveaux verbes que ce soit partir de bases nominales, de bases nomino-verbales ou de bases verbales en en modifiant la valence et/ou le sens.

    Modification de la valence /-e/ : < dtransitivant >

    jox : donner X Y joxe : donner X

    Modification du sens /-ante/ : < rciprocit > rey : tuer reyante : sentretuer

    Modification de la valence et du sens /-al/ : < associatif > set : tre propre setal : rendre propre

    La focalisation5 En wolof, le processus de focalisation qui permet de distinguer un constituant

    phrastique pour sa bonne valeur rhmatique6 est explicit au moyen de trois conjugaisons : le paradigme de lemphatique du sujet lorsquil sagit de porter la focalisation sur le

    1 J.-L. Diouf, 2001a, pp. 118-119. 2 Daprs J.-L. Diouf, 2001a, pp. 144-146. Il prcise galement que si le dtermin finit par une voyelle, le dterminant est introduit sans relateur. 3 Dterminant dmonstratif form partir du classificateur. Voir infra. 4 Signalons galement que le numral et le nom dtermin sont relis par le morphme /-i/ suffix au numral. 5 Daprs S. Robert, 1993, pp. 25-47. 6 S. Robert, 1991, p. 329.

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    syntagme nominal sujet, le paradigme de lemphatique du verbe pour le verbe et le paradigme de lemphatique du complment pour le complment1.

    Prcisons galement que le systme des conjugaisons du wolof repose sur des formes appeles IPAM Indice Personne Aspect-temps Mode qui, comme lindique lacronyme, sont des morphmes amalgamant les marqueurs de personne, daspect, de temps et de mode. Ainsi, en wolof, le pronom sujet nest pas seulement fonction de la personne quil reprend, mais des valeurs aspectuelles, temporelles et modales du procs.

    Les trois conjugaisons focalisantes

    Emphatique du sujet Emphatique du verbe Emphatique du complment singulier pluriel singulier Pluriel singulier pluriel

    1re pers 2me pers 3me pers

    maa jng yaa jng moo jng

    noo jng yena jng oo jng

    dama jngdanga jngdafa jng

    danu jng dangeen jng

    dau jng

    tere laa jng tere nga jng tere la jng

    tere lanu jng tere ngeen jngtere lau jng

    Avec jng : lire et tere : livre.

    - lemphatique du sujet Moo ma may xalam gii 3sg+emphS moi offrir guitare cette Cest lui qui ma offert cette guitare

    - lemphatique du verbe

    Damay laaxal wasin-wees bi 1sg+emphV-inaccompli prparer_une_bouillie-bnfcatif accouche la Cest que je prpare une bouillie de crale pour laccouche

    - lemphatique du complment

    llg lanuy xadd sa neg Demain 1pl+emphC-inacompli couvrir_le_toit ta case Cest demain que nous allons couvrir le toit de ta case

    Nous ne nous tendrons pas davantage sur la question de la focalisation, prfrant

    renvoyer le lecteur ltude de ces trois conjugaisons qui est propose au chapitre premier, consacr au systme verbal.

    Lordre des constituants de lnonc2

    Comme pour les autres langues Ouest Atlantique, lordre des constituants est en

    wolof3 :

    - S + V + Cd + Co Maudo may na Dusuba aw nag : Maoudo a donn Doussouba une vache

    1 Il faut entendre par complment tout syntagme ayant fonction de repre soit (i) dans une relation prdique sparment, autrement dit comme complment circonstanciel, soit (ii) au sein mme de la relation prdicative comme complment dobjet. Daprs S. Robert, 1991 et 2000. 2 Daprs A. Fal, 1999, pp. 25-28. 3 S pour Sujet, V pour Verbe, Cd pour Complment destinataire et Co pour Complment dobjet (accusatif).

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    Par contre, si un syntagme complment fait lobjet dune focalisation, opration marque en wolof laide dune conjugaison particulire lemphatique du complment1, alors ce syntagme complment sera systmatiquement plac en tte de proposition :

    - Cd + S + V + Co

    Dusuba la Maudo may aw nag : Cest Doussouba que Maudo a offert une vache

    - Co + S + V + Cd Aw nag la Maudo may Dusuba : Cest une vache que Maudo a offert Doussouba

    Il serait beaucoup plus difficile de dresser un rapide panorama de lordre des

    constituants de lnonc wolof lorsquau moins un des complments a fait lobjet dune pronominalisation puisque, dans ce cas, la place du pronom complment est fonction de la conjugaison employe.

    Les syntagmes complments peuvent tre introduits par des prpositions2 telles que les

    marqueurs ci : sur / / en pour un complment de lieu ou pour un circonstanciel3, ou ak : avec pour assigner des rles smantiques dinstrument ou de comitatif4 :

    Waxal ci wolof Parler-2sg+impratif prp. wolof Parle en wolof

    Soo saagaatee, ma boole la ak sa baay Si-2sg+narratif insulter-encore-antriorit, 1sg+narratif avertir le avec ton pre Si tu insultes encore, je le dirai ton pre

    Il existe galement en wolof huit locutions prpositionnelles5, formes partir du

    marqueur ci, qui permettent dexprimer une relation spatiale de proximit (sans contact entre le localisateur et le localis) :

    ci kanamu X : devant X ci ginnaaw X : derrire X ci biir X : lintrieur de X ci ron X : en dessous de X6 ci wetu X : cot de X ci kow X : au dessus de X ci digg X : au milieu de X ci diggante X ak Y : entre X et X

    Mawdo mu ngi dkk ci gannaaw jkka ji Maoudo 3sg...prsentatif habiter prp. derrire mosque la Maoudo habite derrire la mosque

    1 Voir un peu plus haut sur le paradigme de lemphatique du complment. La conjugaison de lemphatique du complment apparat en soulign dans les deux exemples suivants. 2 Daprs J.-L. Diouf, 2001a, pp. 174-175. 3 Se reporter ltude propose de ce marqueur en 1. dans le chapitre 4. 4 S. Nouguier-Voisin, 2001, p. 54. 5 Voir ltude propose de ces locutions en 2. 2. dans le chapitre 4. 6 Existe galement la locution ci suufu X : en dessous de X.

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    Le systme dindexation dictique spatio-temporel1 Une spcificit du wolof commune dautres langues Ouest Atlantique2 (voire

    beaucoup dautres langues naturelles, quelle que soit la famille laquelle elles appartiennent3), tient dans la prsence dun certain nombre dindices morphologiques entrant en distribution concurrente pour indiquer une valeur relative la situation spatio-temporelle dune occurrence dvnement ou dun objet par rapport au moment de lnonciation4 (T0).

    Ce systme se prsente en wolof sous la forme dun triplet dindices compos des

    marqueurs /-i/, /-a/ et /-u/ pour exprimer les valeurs suivantes :

    - Lindice /-i/ pour exprimer une valeur de proximit par rapport T0 - Lindice /-a/ pour exprimer une valeur dloignement par rapport T0 - Lindice /-u/ pour exprimer une absence de dtermination par rapport T0

    Mais ce qui fait la spcificit de la langue wolof, cest le fait que lon va pouvoir

    retrouver ces trois morphmes (ou au moins deux dentre eux) impliqus de faon transversale dans bon nombre de constructions telles que la formation des articles-dterminants5, de morphmes subordonnants temporels6 (bi : quand (pass proche), ba : quand (pass loign) et bu : quand (futur) / si (contrefactuel)), la prposition spatio-temporelle ci / ca7 : sur / dans / , ainsi que dans la conjugaison avec le paradigme du prsentatif8 en ngi : voici / nga : voil ou encore avec le futur en /di-/ pour un futur proche et en /da-/ pour un futur lointain ou indtermin9.

    Situation temporelle de la subordonne par rapport T0

    - /-i/ : pass proche, encore dactualit

    Bi ngay dem, sa xarit agsi Quand 2sg+narratif-inaccompli aller, ton ami arriver Au moment o tu es parti, ton ami est arriv

    - /-a/ : pass loign et/ou rcit

    Ba ngay dem, sa xarit agsi Quand 2sg+narratif-inaccompli aller, ton ami arriver Au moment o tu partais, ton ami arriva

    1 Daprs ltude propose par S. Robert (1998) de ce systme dindexation. 2 Dailleurs, pour toutes les langues Atlantique o ce systme existe, ce sont les mmes morphmes - /-i/, /-a/ et /-u/ - que lon retrouve. (Daprs les observations du comparatiste K. Pozdniakov, spcialiste des langues Atlantiques - communication personnelle). 3 En effet, on retrouve de tels systmes dans des langues comme le franais avec les dmonstratifs comme ceci / cela, ou encore comme en anglais avec lopposition this/that. 4 Daprs S. Robert, 1998. 5 Voir plus haut propos des classificateurs. 6 Voir en 2. 1. C. dans le chapitre 3 consacr aux subordonnes temporelles et hypothtiques. 7 Voir en 2. dans le chapitre 4. 8 Voir dans le chapitre 1 en 4. 3. C. pour une tude plus complte de prsentatif. 9 Voir dans le chapitre 1 en 5. 2. A. sur les marques /di-/ et /da-/ et le futur.

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    - /-u/ : futur Booy dem, sa xarit dina agsi Quand-2sg+narratif-inaccompli aller, ton ami arriver Au moment o tu partiras, ton ami arrivera

    (booy bu nga y)

    Situation spatiale du complment de lieu par rapport T0

    - /-i/ : localisation envisage depuis le Sngal Mu ngi ci bj-gnnaaru Senegaal Ilprsentatif prp. nord-de Sngal Cest au nord du Sngal

    - /-a/ : localisation envisage depuis la France par exemple

    Mu nga ca bj-gnnaaru Senegaal Ilprsentatif prp. nord-de Sngal Cest au nord du Sngal

    Les variations dialectales1

    Les variations dialectales ou locales sont nombreuses ; cependant, l'exception de

    quelques faits lexicaux, elles ont une amplitude qui ne dpasse pas les limites de l'intercomprhension et semblent autoriser considrer qu'il s'agit de parlers plutt que de dialectes. Ces variations dialectales affectent essentiellement la phontique, le lexique et dans une moindre mesure la morphologie et la syntaxe. En ralit, l'opposition fondamentale parat se faire entre wolof urbain et wolof rural, ce dernier reprsentant un tat de langue plus ancien et surtout moins affect par le phnomne de l'emprunt au franais de termes tant lexicaux que grammaticaux.

    D. Concernant le corpus tudi Le corpus ayant servi notre analyse se veut aussi divers que possible. Il se compose

    aussi bien de productions orales qucrites, spontanes ou licites, quel que soit le registre langagier et lorigine sociale des locuteurs. Ainsi, on pourra retrouver tout au long de cette tude des noncs issus de pices de thtre diffuses la tlvision sngalaise, de dbats radiophoniques portant sur des problmes de la vie quotidienne sngalaise2, ainsi que de contes traditionnels et contemporains3 ou de chansons populaires de Youssou Ndour. Beaucoup dautres sont issus de conversations spontanes entendues pendant les tudes de terrains qui mont men par trois fois au Sngal ou ont t obtenus grce mes informateurs "privilgis" pendant des sances de travail. Enfin, bon nombre dexemples ont galement t emprunts, dans une large mesure, aux dictionnaires bilingues wolof-

    1 Daprs S. Sauvageot, 1965. 2 Ce type de corpus ma t donn par Stphane Robert. 3 L. Kesteloot & Ch. Mbodj. Contes et mythes wolof, Dakar, N.E.A., 1983. M. Cisse. Contes wolof modernes, Lharmattan, Paris, 2000.

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    franais de Mamadou Cisse1, de Jean-Lopold Diouf2, de Aram Fal, Rosine Santos et Jean-Lonce Doneux3 ainsi quau premier dictionnaire unilingue wolof de Lamin Kebaa Sekk4.

    Enfin, signalons que nous avons tenu ce que lensemble des noncs qui figurent ici dans cette thse a galement fait lobjet dune relecture par plusieurs locuteurs ; dailleurs, trs peu ont eu subir une modification visant les rendre plus acceptables ou plus formelles.

    Un mot concernant mes informateurs "privilgis", ils sont au nombre de quatre Mall

    Papys Fofana, Mawdo et Amara Badji et Saliou Seck. Ils ont entre 25 et 37 ans. Trois sont originaires de Diourbel, dans le Baol, le quatrime est de Dakar (dans les deux cas, il sagit de rgions wolophones). Mall Fofana et Saliou Seck sont Wolof. Quant aux deux frres Badji, ils sont dorigine Bambara et Diola mais tous deux ont le wolof comme premire langue. Deux dentre eux ont suivi des tudes suprieures de troisime cycle5.

    Si nous avons souhait travailler avec eux de faon privilgie, cest parce chacun des quatre possdait une qualit particulire qui nous a permis de mieux comprendre les subtilits de la langue wolof : une bonne connaissance de la culture wolof ou des rgles grammaticales de la langue ou encore une aptitude au commentaire mtalinguistique.

    A propos de la transcription6

    La transcription utilise correspond lorthographe officielle dfinie par les dcrets

    gouvernementaux sngalais de 1971 et 1975, tant pour les sons que pour le dcoupage des mots. Lcriture de la langue wolof a t construite pour lessentiel partir de lalphabet franais avec les mmes valeurs phonmatiques. Il existe cependant quelques phonmes tels que le x : kh, qui nexistent pas en franais ; on a alors utilis des lettres du mme alphabet en lui attribuant une valeur phontique diffrente7.

    La langue wolof compte 35 phonmes rpartis en 18 consonnes, 2 semi-voyelles et 15 voyelles (dont 8 voyelles brves et 7 longues).

    Les consonnes et semi-voyelles

    labiale labio-dentale dentale palatale vlaire uvulaire

    occlusive sonore b d j g occlusive sourde p t c k q constructive f s x nasale m n latrale l vibrante r semi-voyelle w y

    1 1998. 2 2001. 3 1990. 4 1999. 5 Lun en droit, lautre en sciences du langage. 6 Daprs S. Robert, 1991, pp.10-13. 7 Daprs J.-L. Diouf, 2001a, p. 15.

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    Le wolof compte galement une corrlation de gmination consonantique1, celle-ci concerne les consonnes /b/ (/bb/), /c/ (/cc/), /d/ (/dd/), /g/ (/gg/), /j/ (/jj/), /k/ (/kk/), /l/ (/ll/), /m/ (/mm/), /n/ (/nn/), /p/ (/pp/), /r/ (/rr/), /t/ (/tt/), /w/ (/ww/) et // (//).

    En ce qui concerne les voyelles longues, nous avons galement ajout une convention

    actuellement en vigueur qui veut que la transcription dune voyelle longue ferme se fasse par un simple accent sur la premire des deux voyelles (exemple avec /e/ = , on a /ee/ = e).

    Les voyelles

    antrieure centrale postrieure brve longue brve longue brve longue

    ferme i ii u uu mi-ferme e o mi-ouverte e ee o oo ouverte a aa (2)

    E. Les tudes antrieures sur la langue wolof On trouve toute une littrature ayant trait la langue wolof ; nanmoins, dans le

    domaine qui nous intresse le temps les tudes se font plus rares ( lexception de l'tude du systme verbal de Church3 et de la comparaison entre lexpression du temps et de laspect en franais et en wolof, effectue par Momar Cisse4 dans sa thse de doctorat). En effet, parmi les travaux prsentant un caractre strictement linguistique5, beaucoup concernent la phontique, la lexicologie et la morphologie6 (principalement des tudes portant sur la drivation ou les classificateurs), dans une moindre mesure la syntaxe (principalement des tudes gnrativistes7), et plus rarement la smantique ( lexception de la production de Stphane Robert). On trouve quand mme quelques grammaires mais, lexception du travail abouti de Serge Sauvageot qui date de 1965, beaucoup8 se contentent parfois daffirmations certes valides sur un plan morphosyntaxique, mais sans justifications ni explications dun point de vue smantique (pour ne pas dire fonctionnaliste). Il nous faut quand mme signaler le trs intressant et trs complet travail

    1 Daprs S. Sauvageot, 1965, p. 17. 2 Le caractre correspond au aa qui se ralise avec une plus grande aperture lorsquil est prononc avant deux consonnes. Exemple : ttaaya ji : le th. 3 1981. 4 1987. 5 On trouve en effet normment douvrages anciens portant sur le wolof, uvres de missionnaires, administrateurs ou militaires, mais dpourvus de rigueur et de tout caractre scientifique. Il existe aussi beaucoup dtudes sociolinguistiques ou ethnolinguistiques sur les Wolof beaucoup plus pertinentes sur le plan scientifique. 6 A elles seules, ces trois disciplines des Sciences du Langage constituent prs de la moiti de la production sur la langue wolof depuis ces dix dernires annes. 7 Les deux principaux auteurs tant Alain Kihm et Harold Torrence. 8 A. Fal (1999), J.-L. Diouf (2001) ou F. Ngom (2003) pour ne citer queux.

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    de Sylvie Nouguier-Voisin1 sur les relations entre fonctions syntaxiques et fonctions smantiques en wolof explicites par les marqueurs de drivation verbale, qui offre un point de vue contemporain sur la langue wolof (selon une orientation fonctionnaliste) et qui a t, de nombreuses fois, source dinspiration pour ce prsent travail2.

    En ce qui concerne le systme verbal et les types de procs du wolof (dont lanalyse est propose au premier chapitre), toujours dans loptique dun travail sur les reprsentations du temps, on ne peut que citer lexcellent travail ralis par Stphane Robert3 ; car, sil existe dautres tudes menes sur ce sujet, celles-ci concernent principalement la reconstruction du systme verbal (A. Dialo, 1981a), dans le cadre dune analyse syntaxique (selon une approche gnrativiste). Il existe parmi les grammaires du wolof des ouvrages qui ont abord le systme verbal du wolof, mais l encore, en se contentant trop souvent daffirmations gratuites (A. Dialo, 1981b et 1983). Le travail de Robert est dautant plus prcieux que le wolof dispose de trs peu dadverbes permettant dapporter des valeurs aspectuelles et modales, et que beaucoup de ces informations passent par les marqueurs du systme verbal.

    Quant lanalyse des adverbes et circonstanciels de temps, des connecteurs temporels (chapitre 2), des subordonnes temporelles et hypothtiques (chapitre 3) et du marqueur polygrammatical ci prposition incolore ou pronom clitique (chapitre 4 1re partie), mme si nous avons pu bnficier de quelques remarques et observations faites ici et l, elle est indite.

    Ltude propose au chapitre 4 (2me partie) du comportement transcatgoriel du terme ginnaaw (dos / derrire / aprs / except / puisque, etc.) est reprise pour lessentiel Stphane Robert4. Cest dailleurs lanalyse de ce terme qui lui a permis de poser les bases de sa Grammaire Fractale. Les analyses des termes kanam (visage / devant, etc.), digg (tre moiti rempli / milieu, etc.) et diggante (relation / entre) qui suivent, elles aussi indites, emprunteront ce modle.

    1 2002. Il sagit en fait dune thse de doctorat. 2 Notamment dans lanalyse du marqueur ci et du terme diggante (voir le chapitre 4). 3 1991, 1995, 1996. 4 Ce terme a galement fait lobjet dune analyse dans la thse de Kevin Moore (2000) sur les mtaphores du temps en wolof.

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    3. LES DIFFRENTS CADRES THOR