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UNIVERSIT PARIS IV SORBONNE
cole Doctorale V : Concepts et Langages EA : 3252 : Mtaphysique, histoires, transformations, actualit
Thse
Pour obtenir le grade de Docteur de lUniversit Paris Sorbonne (Paris IV)
En philosophie
Prsente et soutenue publiquement par Jean-Michel Blanchet Vendredi 26 Juin 2009
Bergson et Merleau-Ponty. La perception et le corps percevant. tude pour une philosophie du corps.
Directeur de thse : Monsieur Jean-Franois Courtine
Professeur luniversit Paris Sorbonne (Paris IV)
Membres du jury : Monsieur Renaud Barbaras, Professeur luniversit Panthon-Sorbonne (Paris I) Monsieur Frdric Worms, Professeur luniversit Charles de Gaulle (Lille III)
2
To Martine
3
Remerciements
Je veux exprimer, en premier lieu, toute ma gratitude Monsieur Jean-Franois Courtine qui, en acceptant de diriger mon projet doctoral, me donna la chance de mieux comprendre certains dveloppements de la pense philosophique et, finalement, de mieux me comprendre. Je souhaite galement le remercier pour le soutien, toujours efficace et perspicace, dont il a pu me tmoigner au cours de llaboration de mon travail.
Je souhaite remercier spcialement les membres du Jury, Monsieur Renaud Barbaras et Monsieur Frdric Worms, qui furent, travers leurs travaux respectifs, des interlocuteurs essentiels la structuration de mon travail et qui pour moi, ayant accept de se constituer comme les membres du Jury, rendent particulirement rjouissants les derniers moments de ce long parcourt doctoral.
Je souhaite galement remercier ma mre, mon pre et ma sur qui, pendant ces
annes doctorales, mont constamment soutenu. Ils furent l pour moi. Jespre seulement que je fus de la mme manire prsent pour eux.
Enfin, je veux remercier lensemble des relecteurs de ma thse qui, de manire
significative, ont contribu son intelligibilit. Merci donc Alain, Anase, Christian, Christophe, Florence, Frdrique, Herms, Isabella, Julien, Marie-Anne, Pierre et papa.
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Table des matires Remerciements 3 Introduction 5 A) Le corps au monde comme corps du monde. A.1) La question du corps propre en question : A.1.1) Lexprience du corps propre et ses formulations.
A.1.1.1) Le corps au monde comme principe du monde 20 A.1.1.2) Dualit et dualisme 42 A.1.1.3) Touchant et touch 67 A.1.2) Lexprience du corps propre, exprience dun paradoxe. A.1.2.1) Le paradoxe du corps propre 106 A.1.2.2) De la partie au Tout et du Tout la partie 119 A.1.3) Lintra-mondanit du percevant. A.1.3.1) Prsentation et re-prsentation 135 A.1.3.2) Premire caractrisation du relationnel 192 A.2) La structure de la phnomnalit: apparatre e(s)t co-apparatre. A.2.1) Considrations mthodologiques 204
A.2.2) La relation figure/fond comme condition de tout apparatre 230 A.2.3) La structure de la phnomnalit.
A.2.3.1) Le mode dapparatre du Tout comme Totalit 255 A.2.3.2) La centration structurelle de la phnomnalit 281
A.2.3.3) Perception et incompltude 310 B) Le corps du monde comme corps au monde. B.1) Se comporter 352 B.2) Deuxime caractrisation du relationnel 482
Conclusion 496
Bibliographie 517
5
Introduction
Ce travail tente de reprendre leffort, pour ainsi dire inaugural de la philosophie,
de saisir le sens dtre du rapport ce qui est, ltre. Il reprend leffort philosophique
de rendre compte de lexprience (perceptive), du fait mme que quelque chose est
l 1, en prenant pour seule perspective lexprience elle-mme. Autant dire que ce
travail sinscrit dans la perspective de la phnomnologie qui, comme les grandes
orientations de la philosophie, provient prcisment de leffort de rendre intelligible ce
qui, lexprience, est lvidence mme, savoir lexprience elle-mme. Lexprience
se prsente comme une vidence et, pourtant, la philosophie apparat devant le fait
irrductible de lexprience comme devant un problme. Lirrductibilit de lexprience
renvoyant lapparition mme du monde un sujet inhrent lapparition du monde pose
problme la philosophie qui, donnant leffort de dterminer lexprience pour elle-
mme des directions doctrinales diffrentes, mme lorsque la philosophie est
phnomnologie, fait dpendre, un moment ou un autre, lirrductibilit dont se
structure lexprience sur un sujet positif, cest--dire sur un sujet de lirrductibilit elle-
mme. Autrement dit, la dualit intrieure de lexprience (perceptive) qui se manifeste
mme lexprience est ultimement soumise au partage abstrait du dualisme. Ce constat de
limpasse dans laquelle se situe la philosophie, mme lorsquelle se dveloppe consciente
de linadquation de linterprtation de lexprience partir de son ddoublement, motive
ce travail qui, adoptant le principe phnomnologique du retour lexprience mme ,
reprend leffort de penser lexprience partir de lexprience, cest--dire partir de et
selon lirrductibilit mme de lexprience.
Lexprience que la philosophie ne parvient pas proprement penser, la pensant
partir de lexprience de soi du sujet de lexprience, est lexprience comme ouverture
quelque chose , louverture mme du monde. Lui apparat impensable sans le rduire
une signification transcendantale l il y a de lexprience perceptive, cest--dire le
plan de la phnomnalit lui-mme au sein duquel nous nous trouvons toujours dj
situs. Lexprience comme exprience du donn originaire de lexprience elle-mme,
de lextriorit irrductible du monde dont souvre lexprience perceptive ne se trouve
tre dterminable pour la philosophie subjectiviste que relativement un tre
1 Merleau-Ponty, Maurice, Le visible et linvisible, ditions Gallimard, Col. tel, 2001, p. 210.
6
conjoignant, en lui-mme, les termes intrieurs de lexprience, faisant ainsi du rapport
soi du sujet de lexprience le rapport irrductible de lexprience. La philosophie
apparat incapable en somme de penser la phnomnalit selon son autonomie propre,
incapacit qui se traduit symptomatiquement au niveau mme de la formulation de la
problmatique du corps propre qui sopre au nom du sujet de lexprience, et non au
mon de lexprience comme telle, de telle sorte que la philosophie se condamne penser
lexprience contradictoirement au moment o elle fait de lexprience comme rapport
lobjet de son tonnement. En dautres mots, lautonomie de lexprience qui satteste de
lappartenance phnomnale du sujet de lexprience lexprience elle-mme est
comme dplace vers un sujet qui, lui-mme de limmanence de son rapport lui-
mme, dtermine, depuis la dcouverte du Cogito, le sens mme de lautonomie. Cest
prcisment ce dplacement de lexprience vers le sujet dont elle se structure qui,
exprimant au fond le prsuppos de lautonomie dtre du sujet de lexprience, ressort
de la formulation mme de Husserl du problme que reprsente lexprience ou, plus
prcisment, le rapport dont lexprience est le rapport. Il crit ainsi que dun ct la
conscience doit tre labsolu au sein duquel se constitue tout tre transcendant et donc
finalement le monde psycho-physique dans sa totalit ; et dautre part la conscience doit
tre un vnement rel et subordonn lintrieur de ce monde 2. On le voit,
larticulation interne de lexprience est reprise par Husserl selon le mme terme, la
conscience . Au fond, la conscience est elle-mme le rapport de lexprience, ce
qui est contradictoire. Chez Merleau-Ponty, le corps, comme touchant et touch ou, plus
exactement, comme ne pouvant la fois tre touchant et touch, est le sujet de
lexprience. Ainsi, sujet de lexprience comme ne pouvant tre la fois sujet et objet, le
corps est la fois sujet et objet, ce qui est contradictoire. Notons que la contradiction
nest finalement pas relative lexprience mais bien la dtermination du sens dtre du
sujet de lexprience. Or, on ne peut tre que frapp par le fait que Bergson, qui dun
ct, entend supprimer les difficults thoriques que le dualisme a toujours
souleves 3 reprend cependant leffort de penser le rapport de lexprience en assumant,
2 Husserl, Edmund, Ides directrices pour une phnomnologie, trad. P. Ricoeur, ditions Gallimard, Paris, Col. tel, 1985, p. 178. 3 Bergson, Henri, Matire et mmoire, P.U.F., dition du Centenaire, 5me dition, Paris, 1991, p. 161.
7
de lautre, la ralit de lesprit et la ralit de la matire 4, propose, dans le premier
chapitre de Matire et mmoire, une description de lexprience fidle lexprience.
Alors que pour Bergson le problme de lexprience se pose comme le problme de la
relation de lesprit au corps 5, se situant ainsi dans une dmarche philosophique que la
phnomnologie reconnat, juste titre, comme nave , Bergson parvient une
formulation du problme de lexprience (du corps propre) qui rpond lambition de la
phnomnologie de prendre lexprience pour seule rfrence de la dtermination du sens
de lexprience, ambition laquelle, selon nous, la phnomnologie na pu elle-mme
satisfaire, mme lorsque Merleau-Ponty crit dans Le visible et linvisible que Le parti
pris de sen tenir lexprience de ce qui est, au sens originaire ou fondamental ou
inaugural, ne suppose rien dautre quune rencontre entre nous et ce qui est , ces
mots tant pris comme de simples indices dun sens prciser 6. Autant dire que ce qui
reste prciser prend appui sur une opposition implicite entre nous et ce qui
est . De manire significative, Merleau-Ponty crit plus loin : Nous interrogeons
notre exprience, prcisment pour savoir comment elle nous ouvre ce qui nest pas
nous 7. Lexprience est ainsi prise dans une tension antinomique entre nous et ce
qui nest pas nous , cest--dire que le rapport de lexprience est dcrit partir de
termes qui ne tmoignent pas, en eux-mmes, du rapport dont lexprience perceptive est
lexprience. Tandis que le rapport de lexprience est lobjet mme de la description de
Merleau-Ponty, les termes constituant le rapport nont, sur le plan de la description, rien
de commun, rien en rapport. De mme, en crivant que Notre premire vrit, celle
qui ne prjuge de rien et ne peut tre conteste , sera quil y a prsence, que quelque
chose est l et que quelquun est l 8, Merleau-Ponty adopte alors pour point de
dpart de la dfinition de lexprience comme rapport une diffrence dtre qui, sans tre
nomme comme telle, transparat de lusage mme de termes, quelque chose et
quelquun , qui, ne faisant pas rfrence lun lautre de la manire mme dont ils se
distinguent, tmoignent dun partage ontologique implicite de lexprience dont, comme
4 Bergson, Henri, Matire et mmoire, P.U.F., dition du Centenaire, 5me dition, Paris, 1991, p. 161. 5 Bergson, Henri, Matire et mmoire, P.U.F., dition du Centenaire, 5me dition, Paris, 1991, p. 163. 6 Merleau-Ponty, Maurice, Le visible et linvisible, dition Gallimard, Col. tel, 2001, p. 209. 7 Merleau-Ponty, Maurice, Le visible et linvisible, dition Gallimard, Col. tel, 2001, p. 209. 8 Merleau-Ponty, Maurice, Le visible et linvisible, dition Gallimard, Col. tel, 2001, p. 210.
8
le dit Merleau-Ponty lui-mme, on ne revient pas . En ce sens, la premire vrit
merleau-pontienne prjuge dj du sens dtre de lexprience, contient, comme cache,
la contradiction qui se reportera sur la dfinition du sujet de lexprience. Soulignons le
fait que dire seulement quil y a prsence pour dcrire lexprience elle-mme, cest
rendre compte de lirrductibilit de lexprience mais cest la dcrire qu moiti car
lirrductibilit de lexprience est lirrductibilit du rapport de lexprience, du rapport
constitutif qui la rapporte elle-mme. Or, cest prcisment lirrductibilit de
lexprience que Bergson, dans le cadre de lhypothse de la perception pure , parvient
formuler, formulant ainsi le rapport de lexprience elle-mme comme exprience de
quelque chose . En phrasant au plus prs lexprience perceptive de lexprience,
Bergson en vient formuler un paradoxe, non une contradiction. Bergson crit :
Voici un systme dimages que jappelle ma perception de lunivers, et qui se
bouleverse de fond en comble pour des variations lgres dune certaine image
privilgie, mon corps. Cette image occupe le centre ; sur elle se rglent toutes les autres ;
chacun de ses mouvements tout change, comme si lon avait tourn un kalidoscope.
Voici dautre part les mmes images, mais rapportes chacune elle-mme ; influant sans
doute les unes sur les autres, mais de manire que leffet reste toujours proportionn la
cause : cest ce que jappelle lunivers. Comment expliquer que ces deux systmes
coexistent, et que les mmes images soient relativement invariables dans lunivers,
infiniment variables dans la perception ? Le problme pendant entre le ralisme et
lidalisme, peut-tre mme entre le matrialisme et le spiritualisme, se pose donc, selon
nous, dans les termes suivants : Do vient que les mmes images peuvent entrer la fois
dans deux systmes diffrents, lun o chaque image varie pour elle-mme et dans la
mesure bien dfinie o elle subit laction relle des images environnantes, lautre o
toutes varient pour une seule, et dans la mesure variable o elles rflchissent laction
possible de cette image privilgie ? 9.
Sans porter notre attention, dans limmdiat, sur les consquences majeures de la vision
raliste que Bergson se fait du monde, sur la manire mme dont il apprhende, comme
par aprs lhypothse des images, le sujet de la perception10, notons lessentiel, savoir
9 Bergson, Henri, Matire et mmoire, P.U.F., dition du Centenaire, 5me dition, Paris, 1991, p. 176. 10 Cf. chapitre A.1.3.1) Prsentation et re-prsentation.
9
que, posant le problme de lexprience partir des images et seulement des
images , en ne prsupposant donc pas du sens dtre du sujet de lexprience, le
mettant comme entre parenthse, Bergson explicite alors le rapport situant le sujet de
lexprience du ct de lexprience comme le rapport entre une image et
lensemble des images , cest--dire comme le rapport paradoxal de la partie et de la
Totalit dont elle est une partie. Lexprience nest pas le rapport de quelquun et de
quelque chose mais le rapport entre les images elles-mmes. Le sujet est ainsi le
sujet de lexprience de lensemble des images comme image . Aussi, le rapport
que Bergson formule en suivant la ligne de partage de la phnomnalit elle-mme est
lautorfrence du rapport entre les images . Le problme de lexprience est, en
prenant les images pour la premire vrit , celui du rapport autorfrentiel de
lexprience elle-mme. Ainsi, traduisant le rapport de co-apparition dont lexprience
est lexprience partir des seules images , Bergson dplace la problmatique de
lexprience du sujet de lexprience lexprience comme telle et, de ce fait, au lieu de
formuler une contradiction formule le paradoxe de lautorfrence. Il y a dans
lalternative bergsonienne de la formulation de la problmatique de lexprience (du
corps propre), dans le paradoxe mme une vrit qui se formule du respect de ltre de
lexprience (perceptive) que ce travail sefforce de conduire, pour paraphraser Husserl,
lexpression de son sens propre . La vrit de la voie bergsonienne est la
suspension de la rfrence un sujet extrieur lordre de lexprience elle-mme. Le
sujet, chez Bergson, est une image parmi les images , sujet de lappartenance
lensemble des images . Bergson sinstalle demble dans le rapport irrductible de
lexprience comme rapport de co-apparition du sujet et de ce dont il est le sujet sans
prsumer du sens dtre du sujet de lensemble des images puisquil est lui-mme une
image . Bergson soulve ainsi le paradoxe de lexprience, lequel, contrairement la
contradiction qui est impensable, est lindice de quelque chose penser, ici, lautonomie
autorfrentielle de la phnomnalit.
La formulation du paradoxe du rapport de lexprience, se constituant, pour ainsi
dire, mme lexprience (perceptive), nest pas sans consquence sur la manire de
dterminer le sens dtre du rapport de lexprience puisque le paradoxe, renvoyant le
sujet de lexprience un moment de lexprience elle-mme, impose, en quelque sorte,
10
de se maintenir au niveau mme du rapport pour en rendre compte, de tenir lexprience
du rapport de lexprience comme la seule mesure possible de la dtermination du sens
de lexprience. Ds que la philosophie se libre de la rfrence une intriorit positive
pour juger du sens du rapport de lexprience, ds quelle fait tat de lintramondanit
du sujet, cest--dire de lappartenance ontologique du sujet ce dont il est le sujet, le
problme de lexprience lui apparat alors tre celui de lautorfrence de lexprience
elle-mme et, de ce fait mme, le seul critre de la dfinition du sens dtre des termes de
lirrductibilit de lexprience est lirrductibilit de lexprience (perceptive). Cest la
raison pour laquelle dfinir le sens dtre du sujet de lexprience revient dfinir ce qui
du sujet, cest--dire du corps puisque le sujet est un apparaissant, une image parmi
les images , le dtermine comme sujet et dtermine lexprience (perceptive) comme
rapport. La problmatisation de lexprience partir de lexprience (perceptive) impose
donc de rendre compte partir du mme dterminant le sens dtre du sujet et ce qui est
constitutif de lexprience comme rapport lensemble des images , de ressaisir le
sens dtre du sujet du rapport de lexprience conformment lexprience (perceptive)
du rapport de lexprience. Cest lexprience (perceptive) de lexprience que Bergson
se conforme lorsquil tient le mouvement pour la spcificit dtre du sujet percevant et
lensemble des images pour le champ dont le sujet de lexprience est le sujet. Ainsi,
ne prenant que les apparences pour spcifier le rapport dont elles sont lattestation,
Bergson situe de manire cohrente au centre de lensemble des images une image
privilgie , cest--dire, pour Bergson, une image capable de se mouvoir. Il nest
pas surprenant, au sens o cela se prsente comme une consquence de la ferme dcision
de sen remettre la phnomnalit elle-mme, quil renvoie le sujet moteur, comme
image , la totalit de lensemble des images , cest--dire la transcendance des
images . Bergson ne fait quaccorder sa description de lexprience au donn de
lexprience en constatant que le mouvement corporel est le sens dtre du sujet de
lexprience comme image et que lensemble des images est ce dont elle est le
sujet. La corrlation que reporte Bergson en soulignant limpact du mouvement moteur
de mon corps sur le systme dimages que jappelle ma perception de lunivers est
proprement le donn phnomnologique de lexprience. Aussi, le corollaire du point de
dpart de Bergson, la co-apparition structurant la phnomnalit quil exprime en termes
11
d images , est, pour peu que lon se garde de sortir de lordre mme de la co-
apparition, de se donner la possibilit de dfinir le sens dtre des termes en et par
lesquels lexprience (perceptive) est fondamentalement lexprience de quelque
chose partir de lexprience elle-mme, cest--dire partir delle-mme. La voie
que Bergson entrouvre pour rendre compte du sens du rapport de lexprience, cest--
dire la rsolution de rejoindre le sens de lexprience partir de et selon la co-apparition
dont lexprience est lexprience est prcisment la voie que nous empruntons pour
revenir la vrit indpassable de lexprience et, en premier lieu, pour accomplir
pleinement lpoch bergsonienne qui, dans la perspective de lentreprise philosophique
de Matire et mmoire, na pour finalit que lintroduction du sujet comme mmoire ,
rintroduisant ainsi au sein mme de lexprience une ralit extrieure lexprience
que la donation des images avait eu pour vertu de neutraliser. Aussi, reprendre, en
vue de raliser pleinement lpoch bergsonienne, la voie bergsonienne avant quelle
ne commande une dmarche contradictoire signifie tenir compte de lautonomie des
images , cest--dire de limpossibilit de transcender pour le sujet de lexprience le
rapport lensemble des images dont il est, comme image , un terme intrieur.
Comme image , le sujet de lexprience ne peut totaliser de la manire mme dont il
est le sujet de lensemble des images le rapport lensemble des images . Ds lors,
dans la mesure o lexprience (perceptive) est totalisante, nouvre que sur elle-mme, le
retour au sens de lexprience ne peut tre ni un retour un sujet de lirrductibilit du
rapport de lexprience ni mme un retour au peru entendu comme ensemble de choses.
Aussi, le retour lexprience est le retour lirrductibilit dont lexprience perceptive
est lexprience, lirrductibilit dont se structure lexprience elle-mme. Pour le dire
autrement, achever lpoch, faire abstraction de lexprience de soi laquelle est
gnralement rduite lirrductibilit de la dualit de lexprience sans mettre entre
parenthse lexprience elle-mme, implique de remonter de lirrductibilit de la
phnomnalit la condition de lirrductibilit, cest--dire la structure conditionnant
tout apparatre : le rapport irrductible figure/fond. Si, en effet, comme le souligne en des
termes neufs Renaud Barbaras, le but de lpoch est denrayer cette captation par
lapparition, qui conduit toujours la reconstituer partir de ltant apparaissant, pour
mettre au jour la dimension propre de la phnomnalit, de lapparatre en son
12
autonomie 11, conduire lpoch son terme revient alors dgager le rapport dont
dpend lapparatre de quelque chose, savoir le rapport de la figure et du fond dont elle
est la figure. Apparatre, cest ncessairement apparatre sur fond de ce qui, comme fond,
ne peut apparatre comme une figure. Dire quil ny a dapparatre que sur fond du fond
revient dire que lirrductibilit de la phnomnalit est la phnomnalit elle-mme
comme rapport figure/fond. Lpoch comme retour la vrit de lexprience
(perceptive) est ainsi le retour au rapport dont lapparatre se structure, la co-apparition
de la figure et du fond. Ainsi, la co-apparition du sujet de lexprience ce dont il est le
sujet perceptivement, lensemble des images , neutralise la subjectivisation du rapport
de lexprience (perceptive) et cautionne le retour sur place la co-apparition figure/fond
comme condition de la phnomnalit. Lautonomie que lpoch met en valeur est la co-
apparition figure/fond, cest--dire le rapport de co-dpendance entre la figure et le fond,
entre la figure et ce qui ne peut apparatre comme une figure, cest--dire ce qui demeure
fond de toute figure.
Montrant dabord que les formulations de la problmatique de lexprience (du
corps propre) sont contradictoires parce quelles ne labordent pas partir de lexprience
quelle est, cest--dire une exprience perceptive, laquelle, situant le sujet du rapport de
perception du ct du rapport dont il est le sujet, appelle une redfinition de la manire
dont la philosophie approche la dualit dont lexprience (perceptive) se manifeste, puis,
analysant le sens du rapport paradoxal qui sexprime la formulation de la problmatique
de lexprience (du corps propre) lorsquelle se moule sur lexprience (perceptive) elle-
mme, la premire section de la premire partie (A.1) de ce travail, la suite de lexamen
de la structure autorfrentielle de lexprience, tirant les consquences de lautonomie
du champ de lapparatre, cest--dire de lextriorit radicale des images , en conclut
que lautonomie de la phnomnalit pose deux problmes interdpendants, celui du sens
de lauto-structuration de la Totalit des images comme rapport et celui du sens de
lautonomie du sujet de la Totalit des images . Autrement dit, penser le rapport dont
lexprience est lexprience revient penser deux autonomies interdpendantes :
lautonomie structurelle de la phnomnalit qui ne se structure comme autonomie que de
lautonomie dtre du sujet de la phnomnalit qui ne se structure elle-mme que de
11 Barbaras, Renaud, Le dsir et la distance, Librairie Philosophique J. Vrin, Paris, 1999, p. 46.
13
lautonomie structurelle de la phnomnalit, lune et lautre se structurant dans un
rapport circulaire que nous dnommons, dans la Premire caractrisation du relationnel,
rapport pronominal , lequel signifie que le sujet de lexprience, le percevant, en tant
que corps, est soumis aux contraintes structurelles quil conditionne lui-mme, que le
percevant et le peru se co-dfinissent, que le sujet est un moment de la structuration dont
il est le sujet. Aussi, le paradoxe de la problmatique de lexprience (perceptive) traduit
lautonomie du rapport dont le percevant est une dimension, lappartenance du sujet au
monde, au monde dont il est le sujet, traduit ainsi un rapport de co-dpendance dtre et
de sens. Mais le cheminement de la premire section de la premire partie (A.1), passant
notamment par la mise en vidence du refoul cartsien de lexprience et le constat de la
soumission, de part en part, de la philosophie de Merleau-Ponty la philosophie de la
conscience , na finalement pour ambition que de conduire au sens de lpoch comme
retour au rapport figure/fond, au rapport dont se structure la phnomnalit et partir
duquel le sens des termes dont lexprience est lexprience pourront tre proprement
penss. Autrement dit, le rsidu de lpoch, le rapport figure/fond, nous situant dans
linterdpendance du rapport de co-apparition lui-mme, constitue le rapport irrductible
partir duquel la dtermination du sens du rapport lui-mme trouvera un fondement,
cest--dire un point de dpart et lassurance de se maintenir au niveau mme des
phnomnes. Cest donc partir du rapport figure/fond lui-mme que nous entreprenons,
dans la seconde section de la premire partie (A.2), de dfinir dabord le sens dtre du
fond, de lensemble des images , puis de la figure, le corps percevant co-apparaissant
lui-mme, image parmi les images , comme une figure et, enfin, celui du rapport
figure/fond selon son effectivit propre tel quil se manifeste lexprience (perceptive).
Concernant le sens dtre du fond : une opration relativement simple qui consiste
substituer une figure par son fond, faisant du fond une figure, puis substituer de
nouveau la figure qui fut antrieurement un fond par son fond, fait apparatre ultimement,
lorsque le processus de substitution se rpte, un Fond et, par l mme, la signification
ontologico-phnomnale du rapport figure/fond (Fond). En effet, la substitution de la
figure par le fond dont elle est la figure prsuppose toujours et ncessairement un fond,
doit finalement sa possibilit lexistence/prsence de ce qui demeure comme fond. La
14
ngation par substitution fait ainsi toujours apparatre un fond plus pro-fond que celui qui
apparaissait prcdemment, et donc localement, comme fond. Elle rencontre un pla-fond,
une limite en ce quelle fait apparatre un Fond, cest--dire ce qui ne peut apparatre
comme une figure. En somme, la ngation par substitution est lattestation de la plnitude
du Fond, la ngation dun fond lattestation ontologico-phnomnale du Fond. Ainsi, la
possibilit mme de la ngation du fond comme fond, cest--dire comme figure en
rapport un fond plus pro-fond, met au jour la structure ontologico-structurale du rapport
figure/Fond dont dpend lapparition de toute figure. Il sensuit quil y a une ncessit
eidtique entre le fait dapparatre comme une figure/corps/apparaissant et le fait
dapparatre sur Fond de ce qui ne peut tre ni comme Fond. Une figure est donc
figure/corps/apparaissant en raison mme de son appartenance au Fond. Apparatre
comme une figure, cest apparatre sur fond du Fond et, en ce sens, toute apparition est,
par co-dfinition, co-apparition du Fond. Apparatre signifie co-apparatre sur fond du
Fond qui apparat lui-mme en tant que Fond de toute figure. La ngation par substitution
de la figure par le fond dont elle est la figure rend visible le sens dtre/apparatre du
Fond comme Fond et, par l mme, la ncessit de lappartenance ontologique de la
figure au Fond sur fond duquel elle co-apparat. Il apparat donc que lensemble des
images que Bergson renvoie ce dont le sujet est le sujet est le Fond comme condition
de lapparition de toute figure, y compris pour l image privilgie que constitue
mon corps . La condition de lapparition de mon corps est donc le Fond dont il est
une figure. Lautonomie du Fond comme Fond implique la dpendance ontologico-
phnomnale de la figure, de mon corps , au Fond12. Lappartenance de la figure au
12 Ce fond sur et par lequel co-apparat la figure est Fond parce quil ne co-apparat pas comme une figure ou, encore, comme un fond qui, dans lespace, serait dlimitable et, de ce fait, serait, selon le point de vue adopt, encore une figure. Par exemple, un point noir au milieu dune page blanche co-apparat sur le fond de cette page blanche qui, pour cette raison, peut tre tenu pour le fond de la figure que reprsente ce point noir. Or, pose sur une table, cette page blanche co-apparat sur cette table qui, pour cette raison, peut tre considre comme le fond o la page figure comme une figure, laquelle, lgard du point noir, est un fond. Selon le point de vue adopt, la page est donc soit une figure soit un fond. Comme fond, la page blanche est isolable perceptivement dans lespace. En revanche, il y a un fond dont on ne peut faire le tour, qui nest pas approchable perceptivement et qui, pourtant, est lhorizon constant de toute perception. ce fond, nous donnons le nom de Fond. Ce Fond nest pas part mais est constitutif de la prsence perceptive. Il est, en un mot, le Fond de toutes les figures/fonds. Nous lui donnons donc une majuscule pour le diffrencier de ce fond qui, selon notre position dans lespace et/ou la zone o se concentre notre regard, peut devenir une figure. Le rapport figure/fond est donc contingent, arbitraire. En revanche, le rapport figure/Fond est ncessaire, structurel. Ici, le Fond correspond, au fond, linvisibilit constitutive du visible telle quelle est thmatise par Merleau-Ponty dans Le visible et linvisible. Ce Fond est
15
Fond nest certainement pas sans consquence sur le sens dtre de la figure. Dans la
mesure mme o le sujet de lexprience est du ct de lexprience, cest--dire
corporel, la dtermination du sens dtre de la figure constitue comme telle une premire
dtermination du sens dtre du sujet de lexprience, laquelle appelle deux autres
dterminations, la seconde renvoyant, et ce conformment lexprience, le sujet de
lexprience, comme corps, la capacit de se mouvoir, la troisime rfrant le sens du
mouvement comme auto-mouvement au comportement, cest--dire au fait mme que le
sujet de lexprience est un tre vivant.
Concernant le sens dtre de la figure : la figure est un co-dterminant structurel
de la structure dont se structure la phnomnalit puisque lapparatre est la co-apparition
de la figure au Fond dont elle est la figure. La figure est une dtermination intrieure du
Fond, de la transcendance mme du Fond. La figure co-apparat au Fond qui co-apparat
la figure. Par consquent, le point de vue dont se structure la phnomnalit est,
comme figure/corps, inhrent la structure de la phnomnalit. La phnomnalit est
telle quelle se rfre elle-mme, que la rfrence un sujet/figure est lui intrieur. Le
corps qui centralise le rapport dont se structure la phnomnalit est ainsi une
polarisation de la phnomnalit elle-mme. Le corps polarisant le rapport de
lexprience (perceptive) fait partie, en tant que corps/figure, de la structure de la
phnomnalit, est ainsi une dimension irrductible de lirrductibilit du rapport dont se
structure la phnomnalit. Le sujet de lexprience prend donc part corporellement
lapparition du Fond comme Fond dont il est une partie. Le sujet de lexprience, comme
corps, est un trait interne de la phnomnalit et, de ce fait mme, comme corps/figure, la
co-condition de lapparition du Fond. Le sujet percevant, en tant que corps/figure, et le
Fond se co-conditionnent. On le voit, lautonomie du Fond comme Fond se structure
Ouverture. Il lest parce quil na pas lui-mme de fond, cest--dire quil ne peut devenir une figure, ou un fond localis, la faveur du mouvement de mon corps, de mon regard. Je ne peux en faire le tour. De mme, je ne peux faire le tour de mon propre corps. Il y a l une impossibilit constitutive relative la perception comme interrelation. Le Fond est donc Ouverture parce quil demeure, devant le sondage de la perception, Fond. LOuverture prend une majuscule parce quelle souvre indfiniment la perception, recule constamment dans sa propre pro-fond-eur. Le Fond est Ouverture, cest--dire Totalit. La Totalit est transcendance mais transcendance immanente en ce que le Fond co-apparat, en ce que lOuverture est co-dpendante du mouvement du corps vers lOuverture. Fond, Totalit et Ouverture dsignent la mme ralit, la majuscule ne servant qu les diffrencier de la manire dont ils sont co-dpendants de la figure, de la partie et du corps-se-comportant, ce dernier, formant indistinctement, et relativement au Fond et la Totalit, une figure et une partie.
16
comme un rapport autorfrentiel, cest--dire comme un rapport de co-dpendance qui,
comme une premire dtermination, renvoie au rapport de la figure/corps au Fond dont
elle est la figure. Cela dit, si le sujet de lexprience est, en raison mme de la structure
de la phnomnalit, corporel, il ne suffit pas dtre corporel pour tre le sujet de la
transcendance du Fond, de lensemble des images . Ici, comme pour la premire
dtermination du sens dtre du sujet de lexprience, et ce en raison de lautonomie
autorfrentielle du rapport dont lexprience (perceptive) se structure, le seul moyen
daccder au sens dtre du sujet de lexprience (perceptive) est lexprience
(perceptive) elle-mme. Parce que le sujet de lexprience (perceptive) est de ce dont il
est le sujet, lexprience (perceptive) est lunique rfrence de la pense de lexprience
(perceptive). De ce point de vue, le mouvement moteur apparat immdiatement, mme
lexprience, comme ce qui spcifie en propre le sujet de lexprience.
Concernant le sens dtre du sujet comme tre capable de se mouvoir : comme
partie de la transcendance dont il est le sujet, cest--dire comme moment intrieur de la
structure dont se structure la phnomnalit, le sujet de la phnomnalit est, par co-
dfinition, sujet de lensemble des images comme image , corporellement. Le sujet
de la phnomnalit est ncessairement sujet de la manire dont il est une partie de ce
dont il est le sujet, est donc sujet corporellement. Cest le mme corps qui est apparaissant
et dtermine intrieurement le rapport la transcendance du Fond. Autrement dit, le sujet
de la phnomnalit co-dtermine la phnomnalit corporellement. Le sujet doit tre le
sujet de ce dont il est le sujet, savoir louverture du Fond. lexprience (perceptive) le
dterminant corporel co-dterminant lapparition du Fond est le mouvement. Comme
lobserve Bergson, qui, ici, sinspire de lexprience, chacun de ses mouvements (du
corps) tout change 13. La polarisation des images sur les mouvements du corps est
ltat de fait de lexprience (perceptive), est un fait immanent lexprience. Le constat
est le mme lanalyse. Seul le mouvement moteur peut (re)conduire le Fond sa propre
profondeur. Seul le mouvement du corps peut ouvrir le Fond lui-mme dans la mesure
mme o il est lui-mme du ct du Fond. Aussi, le mouvement co-conditionne la venue
du Fond lui-mme en souvrant lui-mme lOuverture dont il est le sujet. la rentre
du Fond en lui-mme ne peut correspondre que la sortie de soi du mouvement moteur.
13 Bergson, Henri, Matire et mmoire, P.U.F., dition du Centenaire, 5me dition, Paris, 1991, p. 176.
17
Autrement dit, le recul du Fond et lavance du mouvement vers le Fond dont il est une
partie sont en corrlation. Le mouvement souvrant la transcendance du Fond louvre
elle-mme et, en ce sens, le mouvement se ralise comme mouvement. En dautres mots,
le Fond co-conditionne le mouvement, le ralise comme mouvement. Le mouvement du
corps percevant nest ainsi lui-mme que comme mouvement vers lextriorit du Fond,
lequel nest lui-mme comme Fond que du mouvement qui le refoule dans son intriorit
absolue. Cest dire que le mouvement qui ouvre le Fond ouvre le Fond qui louvre lui-
mme. Ltre du mouvement phnomnalisant est insparable du mouvement de repli du
Fond vers lui-mme, ouvre comme mouvement le Fond qui, comme Fond, transcende de
manire fondamentale le mouvement qui louvre lui-mme. Limpossibilit mme pour
le mouvement de dpasser lextriorit du Fond quil porte lapparatre signifie quil est
lui-mme de ce qui lexcde en tant que mouvement. Le mouvement est, de ce fait, lui-
mme vers la transcendance du Fond, lui-mme hors de lui-mme. Se transcendant vers
ce qui le transcende totalement, le mouvement se tourne vers lui-mme en se tournant
vers la Transcendance puisquil en est. Pour paraphraser Merleau-Ponty, la transcendance
du Fond est ce qui manque au mouvement pour fermer son circuit. La ngativit
intrieure du mouvement est une ngativit par co-dfinition. Le non-tre qui travaille
intrieurement le mouvement implique le Fond que le mouvement ouvre comme Fond.
On le voit, lautonomie du Fond comme Fond est autorfrentielle : le mouvement se
constitue de ce dont il dpend, le Fond, et le Fond se constitue de ce dont il dpend, le
mouvement. Ainsi, lautonomie du Fond sautonomise de lautonomie du mouvement
moteur qui sautonomise de lautonomie du Fond. Le mouvement apparat bien comme
une dtermination constitutive du sujet de lexprience (perceptive) puisquil le spcifie
proprement comme le sujet de la transcendance du monde comme Fond dont il est une
partie. Cela dit, le mouvement en tant quautonomie interrelationnelle est une
caractrisation encore abstrait dans la mesure o elle prcise le sens dtre du corps en
tant quapparaissant/figure. De manire vidente, au sens o cela est un donn comme tel
de lexprience (perceptive), lapparaissant capable de se mouvoir est un tre vivant, un
tre dont le mouvement est orient, vivant. Le mouvement est ainsi un auto-mouvement.
Le mouvement qualifie un tre conduisant corporellement le rapport de co-apparition
lui-mme et, en ce sens, il spcifie une diffrence dtre fondamentale entre le sujet de la
18
phnomnalit et les autres intramondains. Le mouvement actualise la prsence du Fond.
Le mouvement renvoie un tre capable de se mouvoir. Lauto-mouvement manifeste un
mode dtre, une manire de vivre. Lauto-mouvement actualise une existence en prise
avec lenvironnement. Lauto-mouvement renvoie un tre capable de se comporter. Au
mme titre que la dtermination du sens dtre du sujet du rapport de perception comme
mouvement, la dtermination du sujet comme tre vivant , intgrative de lincarnation
et de la mobilit, est une dtermination de lexprience (perceptive) elle-mme. Le vivant
se manifeste comme vivant lexprience (perceptive). Le vivant se manifeste donc pour
un tre lui-mme vivant, pour un tre phnomnalisant son propre environnement. Nous
abordons ainsi, dans la seconde partie B), le sujet de lexprience comme vivant de la
manire dont nous sommes parvenus le spcifier comme un tre moteur, cest--dire
partir de lexprience (perceptive), au niveau mme o le vivant est, pour le vivant, un
phnomne exprimant un sens dtre. La structure mme de la phnomnalit ncessite
de revenir constamment au niveau du rapport dont elle se structure car les termes qui la
structurent sont ce dont elle est lexprience. Aussi, les dterminations successives du
sujet, comme figure/apparaissant, mouvement et vivant, qui spcifient le mme tre, le
sujet du rapport dont se structure la phnomnalit, sont des dterminations objectives de
lexprience (perceptive). Autrement dit, le sujet de lexprience apparaissant du ct de
lexprience (perceptive) de la manire dont il est sujet, la dtermination du sujet comme
vivant est une dtermination objective de lexprience elle-mme au sens o le vivant
est corporellement un terme intrieur de lexprience. La dtermination du sujet comme
vivant est une dtermination intrieure lexprience, dont lexprience se structure,
et donc objective lexprience (perceptive). Cest pourquoi ltre vivant se prsente
lexprience (perceptive) avec lvidence mme de lexprience (perceptive). Aussi, cest
certain de demeurer au niveau mme des phnomnes que la seconde et dernire partie de
ce travail considre le sujet de la phnomnalit comme vivant, comme une existence qui
manifestement vit intrieurement un rapport de sens lenvironnement. Lenjeu principal
est alors de montrer, en nous appuyant notamment sur la reprsentation que se fait du
vivant lcologie, que le rapport dont se structure la phnomnalit est le rapport dont se
structure la vie elle-mme, ce qui, videmment, dtermine une certaine dfinition de la
19
vie qui, seulement entrouverte ici, sans sopposer dailleurs une lecture utilitaire de la
vie, fait de lautonomie de la phnomnalit lorigine et le ressort de sa crativit.
20
A) Le corps au monde comme corps du monde.
A.1) La question du corps propre en question.
A.1.1) Lexprience du corps propre et ses formulations.
A.1.1.1) Le corps au monde comme principe du monde.
Penser le fait perceptif partir du sujet de la perception revient surdterminer le
clivage perceptif lui-mme en le subjectivisant et, ainsi, le dfaire de sa phnomnalit.
Reprendre le pli perceptif partir de la dimension subjective et situe de la perception
revient, au mieux, rorganiser le champ perceptif en fonction dune dimension de la
perception, au pire, le rduire une exprience vcue. Tenir larticulation perceptive
comme articule et relative au sujet de la perception revient subordonner la perception
un principe dapparition et, de ce fait, rordonner la perception comme fait relationnel
en fonction du primat de ltant du sujet sur ltre. Ainsi, la perception ou, plus
prcisment, lexprience perceptive, toujours dj polarise, situe et situant le
percevant dans une relation originaire au monde est, en tant que phnomne et donn
relationnel, condamne par la philosophie lorsque celle-ci im-pose une prdominance
ontologique du percevant sur le peru. En dautres mots, rduire ltre un principe
dapparatre/dtre revient retirer le percevant de la relation perceptive elle-mme car la
perception nest plus pense pour elle-mme mais demble soumise une ontologie de
lobjet qui place le dbat sur une diffrence ontologique oppositionnelle.
Si la philosophie rgle et maintient lavnement du sens et de lapparatre partir
de la double polarit du sujet (transcendantal) et de lobjet, cest parce quelle ne parvient
pas comprendre le sens ultime de lappartenance ontologique du percevant au monde.
vrai dire, la philosophie senferme dans le point de vue du naturant, le sujet de la
perception reste aperception immdiate interne ou, au mieux, subjectivit incarne, quand
la philosophie sinstalle dans lexprience du corps propre, soit pour la tronquer delle-
mme en lassujettissant au solipsisme du sujet transcendantal soit pour la confondre avec
la vrit phnomnologique irrductible quelle manifeste. Si la pense contemporaine
formule la question du corps propre, elle en manque le sens en la ramenant soit
21
lintriorit dun en-soi constituant, renvoyant ainsi la transcendance perceptive un acte
de la pense, soit une exprience dont lirrductibilit serait typique de ltre,
maintenant ds lors la question de la transcendance, entendue comme la possibilit du
rapport , laquelle comporte par principe la contradiction de limmanence et de la
transcendance 14, dans le cadre contradictoire du dualisme. Si la question du corps
propre est ex-prime, se prsente pour la pense comme une question philosophique
essentielle, il nest toutefois pas certain que la philosophie ait adquatement valu le
sens dune question qui prcise la situation mondaine du percevant, qui rappelle que le
corps au monde est du monde.
Que la question du corps propre traduise lexprience dune ambigut dtre (de
ltre), le percevant tant en effet sujet et objet, ou quelle raconte la condition mondaine
du percevant, le percevant tant, dun point de vue phnomnologique, sur le mme plan
que le monde lui-mme, elle formule un mme fait fondamental : le percevant est une
dimension du champ perceptif, en fait partie. La problmatique de la question du corps
propre est alors de rendre compte dun renvoi circulaire des termes composant la relation
perceptive elle-mme, de spcifier lappartenance ontologique du percevant au monde
sans la doubler dune ontologie implicite qui tire la question hors delle-mme, hors de
son sens propre. Cela dit, faire tat de cette circularit ontologique qui place le percevant
et le peru sur une mme ligne dtre pour ensuite ltendre lchelle de ltre ne
revient pas dissoudre la difficult pose par la question du corps propre, savoir la
dtermination du sens dune appartenance qui ne se dcline pas par un lien dextriorit,
dun fait qui nest pas rductible son irrductibilit vcue. En tant quinterrelation, la
relation dappartenance du percevant au monde nest pas dfinissable autrement que par
elle-mme car le percevant est intramondain en sorte que la subjectivit perceptive est
indissociable de son incarnation, cest--dire du rapport qui la situe en rapport au monde.
Autrement dit, cest de lunit relationnelle perceptive elle-mme que les termes de la
relation du percevant au monde se dterminent comme termes/dimensions. Aussi, sil
fallait seulement, pour comprendre le problme du corps propre, comprendre comment
14 Merleau-Ponty, Maurice, Le primat de la perception et ses consquences philosophiques, ditions Verdier, 1996, p. 42.
22
lhomme est simultanment sujet et objet, premire personne et troisime personne 15, il
faudrait alors le comprendre comme un rapport dinhrence relatif linterrelation elle-
mme. Cest pourquoi, situer ce rapport au niveau du sujet de la perception, cest--dire
dune des dimensions du rapport perceptif, conduit demble laisser lexprience soit
un idalisme transcendantal soit un subjectivisme radical. Au rapport de totalit du sujet
de la perception au monde est substitu lexprience du corps propre o mon corps est
tour tour considr selon deux points de vue irrductibles. Il sagit donc plutt de partir
de lunit phnomnale de la relation perceptive pour viter la fois lalternative du
natur et du naturant, toujours expressive dune exprience, cest--dire comme tant
implicitement celle du sujet, et les cueils/impasses philosophiques qui, en quelque sorte,
sensuivent naturellement. Or, ce glissement de sens de la problmatique du corps propre
qui aboutit lire lexprience partir de lexprience vcue de lexprience apparat dj
dans sa formulation, glissement dont il nous faudra mettre en valeur les prsupposs.
Lorsque la problmatique du corps propre est formule partir de lexprience
perceptive elle-mme, elle se formule comme un paradoxe du fait mme que le percevant
est situ du ct de ce dont il est le sujet. En dautres mots, la problmatique du corps
propre, spcifiant lexprience perceptive comme lexprience du corps au/du monde, se
recueille en un paradoxe parce quelle adopte lexprience perceptive comme sa mesure
propre. Au contraire, les formulations de la problmatique du corps propre font tat dune
contradiction lorsquelles sinterrogent sur la rfrence (double) subjective et objective
du sujet de la perception lui-mme. Si elles soutiennent que le sujet est sujet et objet, au
monde et du monde et sinterrogent sur la possibilit dune ambigut qui, rfrant
un et disjonctif, se hisse une consistance ontologique, positionnant ainsi le sujet par
opposition lobjet, cest parce que la question du corps propre nest pas comprise
comme la question de la nature de lappartenance du percevant au monde. En prenant les
termes dune exprience comme une ambivalence ontologique, la problmatique du corps
propre devient nigmatique. En prenant les termes dune exprience pour eux-mmes, en
radicalisant ainsi les termes du problme, la philosophie dmontre quelle pense le sujet
et le monde dans un rapport dinclusion o le sujet positif est dans le monde au sens de la
15 Merleau-Ponty, Maurice, Parcours deux 1951-1961, ditions Verdier, 2000, p. 12.
23
spatialit objective. On passe ainsi dune position exprimant notre condition de fait un
idalisme transcendantal o le constitu nest jamais que pour le constituant 16. Cest
parce quelle laisse la question de lappartenance du percevant au monde en suspend que
la philosophie en vient subordonner le monde un principe dapparition, rduire le
corps un objet parmi les objets et concevoir le monde comme un Grand Objet . Si
en effet derrire la formulation de lexprience du corps propre se tient le paradoxe de
la subjectivit humaine : tre sujet pour le monde, et en mme temps tre objet dans le
monde 17, cest parce que le sujet est implicitement compris dans le monde, dans un
rapport de contenance au monde. Mal comprise, la prposition dans fait la division
ontologique que synthtise la problmatique du corps propre lorsquelle se formule
comme une contradiction qui renvoie le sujet lui-mme: la subjectivit en tant quobjet
du monde et la subjectivit en tant que conscience pour le monde, opposition sur laquelle
est prcisment fonde la relation de transcendance au monde qui devient, de ce fait,
incomprhensible. Dans Philosophie et Phnomnologie du corps, la problmatique du
corps propre est galement rgle par une diffrence ontologique absolue que doit
assumer le sujet. Cest pourquoi la question est de savoir pourquoi ltre de notre corps
se ddouble en un tre originairement subjectif et, dautre part, en un tre transcendant
qui se manifeste nous dans la vrit du monde 18. Michel Henry articule la question du
corps propre en fonction du sujet de la perception, ce qui lamne la formulation dune
contradiction quil tente de surmonter en fondant lunit du corps objectif sur lunit
subjective originaire de lego19. Mais lidentification de ltre du corps la vie solipsiste
16 Merleau-Ponty, Maurice, Phnomnologie de la perception, ditions Gallimard, Col. tel, 1997, p.51. 17 Husserl, Edmund, La crise des sciences europennes et la phnomnologie transcendantale, trad. G. Granel, ditions Gallimard, Col. nrf, Paris, 1989, p. 203. 18 Henry, Michel, Philosophie et phnomnologie du corps, P.U.F., Col. pimthe, 4me dition, 2001, p. 159. 19 Le traitement de la question de lunit du corps objectif se termine par le recours un lien de reprsentation entre le corps subjectif originaire et le corps objectif. Le corps objectif serait donc une reprsentation de la vie absolue de lego, lequel est pourtant qualifi par Michel Henry comme un mode dexister transparent lui-mme. Comment lego serait-il alors capable dune re-prsentation ? : Lunit du corps objectif transcendant est une unit transcendante, cest une unit fonde. Comme telle, elle ne doit pas tre confondue avec lunit du corps organique qui ntait rien dautre que lunit subjective originaire du corps absolu. Cest sur cette dernire unit prcisment que repose lunit du corps transcendant, en ce sens quelle en est la simple reprsentation, la projection dans la partie de ltendue quoccupe le corps objectif. Quant lappartenance de ce corps objectif lego, elle doit tre comprise de la mme manire que son unit. En dautres termes, la vie du corps objectif nest pas la vie absolue, mais une reprsentation de celle-ci et, par suite, nous devons reconnatre quil ny a pas une identit absolue entre notre corps objectif et notre corps originaire, mais quil existe entre eux une vritable dualit. Parce
24
de lego met mal la possibilit mme de penser les caractres phnomnologiques de
lexprience du corps propre. Au lieu de constater que le corps (percevant) est soumis
comme apparaissant des contraintes phnomnologiques, Michel Henry lassimile
ltre de lego et, de ce fait, il fait en sorte de penser lexprience sans lexprience elle-
mme qui dlivre, dans un mme mouvement, lpreuve de soi comme indissociable de
celle du monde. En sappuyant donc sur une subjectivit originaire donnant sens et
prsence au corps objectif, Michel Henry, ne peut dfinir leur rapport, ne peut rejoindre
lexprience : ltre du corps est rapport celui de lego et lego, du mme coup, se
trouve dsincarn. On le voit, la subjectivisation de lexprience du corps propre revient
son objectivisation qui, au fond, exprime le mme prjug : la vie subjective est
approche comme un phnomne absolu dans un univers en soi.
Lorsque la problmatique du corps propre porte lexpression la relation du sujet
de la perception au monde comme le rapport dun principe lui-mme ou quelle repose
sur lexprience du corps propre, la forme contradictoire de sa formulation dissimule une
ontologie de lobjet, une pense qui rapporte systmatiquement la transcendance une
certaine immanence. Cependant, lorsque la philosophie se dispense de la double
mdiation du sujet, la problmatique du corps propre narticule plus une contradiction
mais un paradoxe. Et le paradoxe auquel elle parvient exprime une vrit de ltre, de
lexprience. En identifiant le sujet de la perception une image et lunivers un
ensemble dimages 20, le premier chapitre de Matire et Mmoire exemplifie le
passage du contradictoire au paradoxal. Ainsi, sans sortir du plan des images, Bergson
soulve un pineux problme, cest--dire, proprement parler, le paradoxe de la
question du corps propre : comment une image , image parmi les images , peut-
que notre corps objectif nest quune reprsentation de notre corps originaire, les problmes que posent la dualit de ces deux corps et lunit de signification qui les unit, sont tout fait analogues aux problmes qui ont trait aux rapports de lego transcendant et de lego absolu. lidentit relle du corps originaire et de notre corps organique, ou plutt lidentit de la vie absolue qui est ltre du corps originaire et qui retient dans son unit le corps organique dont elle est aussi, pour cette raison, la vie, soppose ainsi lidentit reprsente de notre corps transcendant objectif avec notre corps absolu, identit qui repose naturellement sur lidentit originaire de ltre du corps subjectif, cest--dire de lego ; Henry, Michel, Philosophie et phnomnologie du corps, P.U.F., Col. pimthe, 4me dition, 2001, p. 185. 20 Tout se passe comme si, dans cet ensemble dimages que jappelle lunivers, rien ne se pouvait produire de rellement nouveau que par lintermdiaire de certaines images particulires, dont le type mest fourni par mon corps ; Bergson, Henri, Matire et mmoire, P.U.F., dition du Centenaire, 5me dition, 1991, p. 170.
25
elle tre le centre des images ? Comment une image peut-elle tre la fois
image et condition de lensemble des images ? Bergson crit :
Do vient que les mmes images peuvent entrer la fois dans deux systmes
diffrents, lun o chaque image varie pour elle-mme et dans la mesure bien dfinie o
elle subit laction relle des images environnantes, lautre o toutes varient pour une
seule, et dans la mesure variable o elles rflchissent laction possible de cette image
privilgie ? 21
Sur le seul plan ontologique des images, la formulation du corps propre se structure
comme un renvoi polaris dune image parmi les images lensemble des images et, pour
cette raison, la question du corps propre ne se trouve plus organise sur une diffrence
ontologique initiale/implicite que le sujet de la perception, dj sup-pos, reflterait et
synthtiserait. Si le paradoxe comme contradiction non contradictoire demeure, il nest
plus maintenant "localis" au niveau mme du sujet de la perception. Le paradoxe nest
plus celui du sujet mais concerne un rapport densemble du percevant au monde. La
question se dplace donc du sujet de la perception au rapport perceptif lui-mme et, de ce
fait, la problmatique se trouve re-formule, se re-centre sur le sens mme dun rapport
qui nest ni dopposition ni dinclusion. Ne portant plus sur le sujet mais sur un rapport
dtre entre les images, lhypothse de la perception pure met entre parenthse la relation
oppositive subjet-objet puisque derrire les images il ny a que des images et, de ce fait
mme, une discussion sur la diffrence dtre entre les images, diffrence qui nomme tout
autant leur unit ontologique, portera sur la dtermination dun mode dtre propre de
limage-corps, cest--dire conduira la reconnaissance du statut propre du corps
percevant. Toutefois, le contexte philosophique dans lequel cette re-formulation se forme
en limite considrablement la porte. Si, dun ct, lhypothse de la perception pure
libre le sens de la problmatique du corps propre en linscrivant sur un mme niveau
ontologique et appelle, titre de consquence, une redfinition du sens du rapport de
lintriorit et de lextriorit, dun autre ct, ce nouveau point de dpart rintroduit une
double dfinition de l image qui conduira la philosophie de Bergson, sur la question
du corps, dune dfinition impersonnelle du corps comme image une dfinition
21 Bergson, Henri, Matire et mmoire, P.U.F., dition du Centenaire, 5me dition, 1991, p. 176. Cest Bergson qui souligne.
26
dpersonnalise du corps comme symbole corporel de lesprit et une conception raliste
du monde. Parce que lhypothse de la perception pure vise re-penser les conditions
travers lesquelles la philosophie doit penser la relation du sujet lobjet22, elle ne revisite
pas le sens du rapport sujet-objet comme tel.
crire dans Le visible et linvisible que reconnu un rapport corps-monde, il y a
une ramification de mon corps et ramification du monde et correspondance de son dedans
et de mon dehors, de mon dedans et de son dehors 23, crire plus loin que
simultanment, comme tangible il (le corps) descend parmi elles (les choses), comme
touchant il les domine toutes et tire de lui-mme ce rapport, et mme ce double rapport,
par dhiscence ou fission de sa masse 24, cest exprimer un mme et unique tonnement
devant la situation mondaine du percevant, une mme problmatique ds lors mais aussi
un mme prjug consistant se reprsenter le rapport du percevant au monde comme un
Ineimander, un lun-dans-lautre qui ncessite de penser lun en fonction de lui-
mme et de lautre et, inversement, lautre en fonction de lui-mme et de lun ,
cest--dire de dfinir deux fois lun et lautre en fonction de lun et de
lautre de telle sorte que ce dont on parle nest pas le sujet de la perception en tant
quil est lui-mme sujet la perception ce qui impliquerait labandon du double renvoi
sujet-objet et donc dune ontologie o le corps est encore un objet mais le sujet de la
perception comme touchant et touch, cest--dire lexprience vcue du corps. En
dautres mots, le corps percevant est encore com-pris dans une tension dfinitionnelle de
lempirique et du transcendantal, dans un dualisme qui rfre le rapport au monde au
sujet du monde. Comme nous le verrons en dtail25, pris et instituant le rapport du visible
et de linvisible, le rapport du touchant et du touch qui caractrise ltre du corps
percevant fonde le rapport de transcendance qui compose la relation du sujet du monde
22 Ce livre affirme la ralit de lesprit, la ralit de la matire, et essaie de dterminer le rapport de lun lautre sur un exemple prcis, celui de la mmoire. Il est donc nettement dualiste. Mais, dautre part, il envisage corps et esprit de telle manire quil espre attnuer beaucoup, sinon supprimer, les difficults thoriques que le dualisme a toujours souleves () Bergson, Henri, Matire et mmoire, P.U.F., dition du Centenaire, 5me dition, Paris, 1991, p. 161. 23 Merleau-Ponty, Maurice, Le visible et linvisible, ditions Gallimard, Col. tel, 2001, p. 177. 24 Merleau-Ponty, Maurice, Le visible et linvisible, ditions Gallimard, Col. tel, 2001, p. 189. Cest Merleau-Ponty qui souligne. 25 Cf. chapitre A.1.1.3) Touchant et touch.
27
au monde. Puisque la structure de la formulation de la problmatique du corps propre est
inspire par le rapport du corps lui-mme et que ce mme rapport porte le monde la
manifestation, la problmatique du corps propre vient rvler un dualisme typique dune
philosophie qui interroge la relation perceptive partir du sujet de la perception. Le sujet
incarn de Le visible et linvisible est donc pens comme corps propre et nest ainsi
jamais proprement identifi avec la problmatique de lexprience (du corps propre) qui
se signifie comme un paradoxe qui nest pas celui du sujet de la perception mais du
rapport de perception. Aussi, si Merleau-Ponty a parfaitement raison de penser que le
sujet de la perception restera ignor tant que nous ne saurons pas viter lalternative du
natur et du naturant 26, on ne peut toutefois pas sortir de lalternative de len soi et du
pour soi en la re-formulant, en lui donnant de nouveaux pithtes. De ce point de vue, la
philosophie de la chair ne constitue pas une solution la problmatique du corps propre
mais bien plutt une re-formulation qui ne diffre pas radicalement de celle explicite
dans La structure du comportement lorsque Merleau-Ponty crit, en rappelant dabord
quil sagit l d une contradiction que toute thorie de la perception cherche
surmonter : la conscience apparat dun ct comme partie du monde et dun autre ct
comme coextensive au monde 27. Il y a l, en effet, une contradiction plutt quun
paradoxe car la problmatique du corps propre est ici prononce au nom du sujet de la
perception.
Lexprience du corps propre est un vcu/preuve au sens o elle est lexprience
de soi au sein mme du monde, est ainsi lexprience/preuve du monde. Lintrt
philosophique de la problmatique du corps propre tient prcisment dans le sens dtre
de cette relation pronominale qui se joue au niveau mme de lexprience, relation,
travers laquelle, encore une fois, je mprouve comme au/du monde. Je suis corps, mon
corps mest propre : cela veut dire que je suis moi-mme comme tre corporel, comme
tre du monde. Comme corps, je me situe toujours du mme ct du spectacle visible, je
suis toujours du mme ct de lquation perceptive. Mon corps nest donc pas,
proprement parler, de mon ct, je suis ce ct lui-mme qui se vit en tant que mondain.
26 Merleau-Ponty, Maurice, Phnomnologie de la perception, ditions Gallimard, Col. tel, 1997, p. 241. 27 Merleau-Ponty, Maurice, La structure du comportement, P.U.F., Col. Quadrige, Paris, 1990, p. 232.
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Jai ainsi un point de vue en tant ce point de vue. La difficult de la question du corps
propre est prcisment ce rapport de ltre et de lavoir qui forme la possibilit mme du
rapport . Dire que jai un corps et que je suis corps, cest dsigner exactement la mme
ralit. Penser le contraire revient penser, dune manire ou dune autre, que la
condition de lexprience du corps propre est ltre mme du sujet entendu comme un
petit homme lintrieur de lhomme . La difficult de la question du corps propre est
donc finalement dassumer la mondanit du sujet, que le vcu comme exprience puisse
tre du monde. Assumer le phnomne du corps propre, cest assumer lunit mme de
son exprience par-del lalternative de ltre et de lavoir, du sujet et de lobjet. Une
unit qui signifie une identit des dimensions travers lesquelles je mprouve comme
moi-mme tant du monde, du ct de la transcendance du monde. Je suis cette unit
mme. Aussi, lirrductibilit de lexprience du corps propre ne peut fonder elle-mme
la distinction du sujet et de la nature sans tre, en retour, dnature, sans tre explicite en
des termes abstraits. Lexprience du corps propre est irrductible la terminologie de la
philosophie de la conscience en tant quexprience. Ds lors, sil y a une ambigut de la
question du corps propre, celle-ci ne nous rvle pas le mode dtre propre du sujet de la
perception mais correspond comme telle une expression tentant de rendre compte du
fait perceptif comme un rapport dinhrence entre lavoir et ltre intrieur et constitutif
du sujet lui-mme. Autrement dit, lambigut nest pas de fait lambigut de
lexprience du corps propre mais est relative la description de lexprience, nos
catgories. Loin de reflter lordre de lexprience mme, lambigut indique un
problme encore formuler. Aussi, en rester lambigut descriptive de lexprience,
cest au fond comprendre lexprience partir de termes que nous lui imposons28. Tenu
pour une ambigut, ltre du corps nest pas pens selon sa signification propre en ce que
lambigut en question est moins lexprience dune ambigut que lambigut de la
pense elle-mme lgard de lexprience. La philosophie expose ainsi
systmatiquement la question du corps propre une alternative thorique en adoptant soit 28 Dans la Phnomnologie de la perception, Merleau-Ponty, faisant du corps propre un cogito tacite ou un moi naturel , situant ainsi le percevant mi-chemin, comme interpos, entre la chose et lide de la chose, entre le monde et la conscience, est amen dcrire lexprience du corps propre comme un mode dexistence ambigu , cest--dire comme relative et propre au corps propre lui-mme : Il y a deux sens et deux sens seulement du mot exister : on existe comme chose ou on existe comme conscience. Lexprience du corps propre au contraire nous rvle un mode dexistence ambigu ; Merleau-Ponty, Maurice, Phnomnologie de la perception, ditions Gallimard, Col. tel, 1997, p. 231.
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le point de vue de la conscience, comme nous lavons dj brivement expos, soit le
point de vue du corps, qui est encore finalement celui de la conscience, au risque dancrer
dfinitivement la question du corps propre dans une antinomie spculative insoluble.
Autrement dit, au lieu dappeler une redfinition des termes de la question du corps
propre, lalternative de ltre et de lavoir figure les points darticulation ou de mdiation
de la problmatique du corps propre. Cest, par exemple, le point de vue du corps (du
point de vue du sujet) qui cadre la Phnomnologie de la perception lorsque le corps est
pens partir dune double rfrence : ni identifiable une chose ni identifiable un
sujet, la question revient alors diffrencier le corps percevant de lextriorit objective
sans pour autant lassimiler une conscience. Lintriorisation du corps signifierait le
retrait du corps du monde dont il fait pourtant partie comme corps. Mais, dun autre ct,
lobjectivisation du corps signifierait la ngation de sa subjectivit propre en tant que le
corps se comporte, ordonne lui-mme le monde dont il est le sujet. Il faudrait donc tenir
compte de la mondanit du corps sans compromettre son intriorit au sens o il ny a
pas de perception sans un sujet de la perception. partir de lalternative mme, nous ne
pouvons la penser sans toutefois ne pas retourner une alternative. La Phnomnologie
de la perception et Le visible et linvisible nous enseigne donc leur dpens quil y a une
vrit dans lalternative de la transcendance et de lempiricit, du mesurant et du mesur,
du sentant et du sensible, mais quelle ne peut se dcouvrir dans la formulation de
lalternative elle-mme. La vrit de lalternative du sujet et du corps, de lactivit et de
la passivit, rside plutt dans la formulation mme de lalternative, dans le sens de la
conjonction qui se dveloppe au niveau de lalternative. Une conjonction qui ne se forme
pas au niveau du sujet, mais dans un rapport de totalit, un rapport qui dpasse le sujet
lui-mme alors mme quil en est le sujet. Le type de conjonction que la philosophie
transcendantale et la philosophie de la chair associent celui du ddoublement du sujet
lui-mme force par exemple Merleau-Ponty recourir, dans Le visible et linvisible, afin
dviter les apories de la philosophie rflexive, la figure du chiasme pour recoller, en
quelque sorte, les morceaux, les parties du rel. La conjonction intrieure de lexprience
implique et enveloppe le sujet de la perception, elle se manifeste comme une conjonction
qui nest pas une union mais une unit duale indcomposable. Une conjonction qui ne
porte pas lalternative du double point de vue, qui ne souvre pas elle-mme sur deux
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plans ontiques et qui, ds lors, ne peut se manifester que comme une relation
dappartenance de totalit que figure la relation perceptive elle-mme. Il faut dire que
lirrductibilit assume de lexprience du corps propre ne dbouche pas sur une
alternative, mais sur la pleine reconnaissance de la mondanit du percevant.
Lenjeu de la problmatique du corps propre est de comprendre le sens de la
situation mondaine du percevant, de cesser de le penser comme une chose et mon point
de vue sur les choses. Il sagit, en dautres mots, de dterminer le sens ontologique du
corps propre, dassumer que lexprience du corps propre ne soit pas un thme pour la
phnomnologie mais son point de dpart que lopposition du corps-sujet et du corps-
objet, traduisant dj une stratification de lexprience, ne peut reprsenter. Le corps
propre, le corps vivant et vcu (non au sens dune prsence soi dans limmanence de
soi), mon corps , ne pouvant jamais sidentifier radicalement lobjet, nous ne
pouvons penser lexprience du corps propre hors delle-mme. Mme si mon corps a un
poids, occupe de lespace comme tout tant mondain, sil se situe bien du ct du monde,
du fait mme que son tre ne sera jamais rductible (phnomnalement) lextriorit
pure, lexprience du corps propre comme exprience du monde constitue le fondement
et le donn phnomnologique de la question du corps propre. La vritable problmatique
du corps propre nmergera ainsi que dune fidlit descriptive lordre de lexprience.
Que pouvons-nous donc dire de lexprience du corps propre sans que ni le corps ni le
sujet ne soient hypostasis ? Comment donc dcrire lexprience du corps propre sans
charger notre description de prsupposs ? Ce dont il faut rendre compte, cest de
lexprience dune unit et lunit dune exprience. Il ne sagit pas dun double rapport,
mais du rapport mme que mon exprience perceptive dlivre en tant quexprience. Loin
de se confondre avec lidentit du sujet lui-mme, lexprience du corps propre fait tat
dune certaine relation de mon corps au monde que Merleau-Ponty dcrit admirablement
au dbut de Le visible et linvisible :
() je dois constater que la table devant moi entretient un singulier rapport
avec mes yeux et mon corps : je ne la vois que si elle est dans leur rayon daction ; au-
dessus delle, il y a la masse sombre de mon front, au-dessous, le contour plus indcis de
mes joues ; lun et lautre visibles la limite, et capables de la cacher, comme si ma
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vision du monde mme se faisait dun certain point du monde. Bien plus : mes
mouvements et ceux de mes yeux font vibrer le monde, comme on fait bouger un dolmen
du doigt sans branler sa solidit fondamentale. chaque battement de mes cils, un
rideau sabaisse et se relve, sans que je pense linstant imputer aux choses mmes
cette clipse ; chaque mouvement de mes yeux qui balayent lespace devant moi, les
choses subissent une brve torsion que je mets aussi mon compte ; et quand je marche
dans la rue, les yeux fixs sur lhorizon des maisons, tout mon entourage proche,
chaque bruit du talon sur lasphalte, tressaille, puis se tasse en son lieu. Jexprimerais
bien mal ce qui se passe en disant quune composante subjective ou un apport
corporel vient ici recouvrir les choses elles-mmes : il ne sagit pas dune autre couche
ou dun voile qui viendrait se placer entre elles et moi 29.
Loccultation du sujet sopre au moment mme o la description de lexprience du
corps propre sen tient lexprience perceptive elle-mme, cest--dire au rapport dont
mon corps est le centre. La rfrence mon corps na pas besoin de se doubler du
sujet pour se manifester comme un rapport individuel la table. Ce qui se donne, sur le
plan de lexprience elle-mme, cest mon corps , une table sur fond de monde et le
recours une composante subjective nest pas ncessaire pour dcrire le rapport
perceptif au monde. La subjectivit qui se dgage de la description de Merleau-Ponty est
relative la polarisation de la perception ; mon corps ici nest pas le corps comme
ralit physico-chimique, lequel na pas de monde, mais le sujet de la perception dont la
vision se fait dun certain point du monde . Le point de vue au/sur le monde est un
certain point du monde. Il y a l en effet un singulier rapport , un rapport dinhrence
que mon corps dcline lui-mme en tant visible et dont la mobilit, dsignant la
description un caractre propre, achve de dterminer le rapport dinhrence comme un
rapport effectif. Cest de la possibilit de la mobilit, de lincidence dune image sur
lensemble des images auquel il appartient comme image que mon corps se
singularise et singularise le rapport lui-mme. La perception seffectue de quelque part
parce que mon corps participe la perception, parce quil en est. De ce fait, la
capacit motrice de mon corps vient qualifier le rapport lui-mme en tant que, encore
une fois, mon corps est du monde. Le mouvement de mon corps re-dfinit donc le
29 Merleau-Ponty, Maurice, Le visible et linvisible, ditions Gallimard, Col. tel, 2001, p. 21.
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rapport dans sa totalit : de fait, cest mon mouvement qui mloigne de la table, qui me
rapproche de la table ; mon mouvement mtamorphose donc mon rapport la table, ce
qui signifie que le rapport est sans mdiation, total et englobant. En dautres mots, le
mouvement de mon corps change la nature du rapport perceptif lui-mme dont mon
corps est une partie et, par consquent, le changement en question me concerne autant
que le monde lui-mme. Aux battements de mes cils, un rideau sabaisse et se relve :
aux mouvements des cils, de mon corps , le rapport perceptif au monde change mais
change comme rapport. Il y a une variabilit modale ou une relativit des termes du
rapport qui naffecte ni le sens du rapport ni mme sa solidit fondamentale . Merleau-
Ponty complte et termine sa description ainsi :
Ainsi le rapport des choses et de mon corps est dcidment singulier30 : cest lui
qui fait que, quelquefois, je reste dans lapparence et lui encore qui fait que, quelquefois,
je vais aux choses mmes ; cest lui qui fait le bourdonnement des apparences, lui encore
qui le fait taire et me jette en plein monde. Tout se passe comme si mon pouvoir
daccder au monde et celui de me retrancher dans les fantasmes nallait pas lun sans
lautre. Davantage : comme si laccs au monde ntait que lautre face dun retrait, et ce
retrait en marge du monde une servitude et une autre expression de mon pouvoir naturel
dy entrer. Le monde est cela que je perois, mais sa proximit absolue, ds quon
lexamine et lexprime, devient aussi, inexplicablement, distance irrmdiable. Lhomme
naturel tient les deux bouts de la chane, pense la fois que sa perception entre dans
les choses et quelle se fait en de de son corps. Mais autant, dans lusage de la vie, les
deux convictions coexistent sans peine, autant, rduites en thses et en noncs, elles
sentre-dtruisent et nous laissent dans la confusion 31.
Le rapport entendu comme relationnel nest pas autre chose que ce que Merleau-Ponty
dsigne parfois dans Le visible et linvisible comme il y a quelque chose . Du monde,
mon mouvement se fait donc au sein du monde, mouvre la vrit perceptive de la
chose et menlve lillusion perceptive. Que je me meuve, quil y ait un boug des
apparences, que les choses subissent une brve torsion , cela ni ne me trouble, ni ne
30 Notons simplement que maintenant le rapport est le substantif qualifi par des choses et de mon corps . Il y a sens ici ce que lon ne parle pas du rapport de mon corps aux choses ou du rapport des choses mon corps. 31 Merleau-Ponty, Maurice, Le visible et linvisible, ditions Gallimard, Col. tel, 2001, p. 23.
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trouble ma certitude dtre au monde mme et au mme monde parce que mon
mouvement, se faisant du monde, est un mouvement se formant ltre en totalit et par
rapport la totalit de ltre. Mon mouvement, mon champ perceptif qui, en quelque
sorte, sajoute de mon corps, se fait et se renouvelle au sein dun invariant qui semble se
tenir constamment distance, comme reculant devant la progression de mon exploration.
Ainsi, le percevant saperoit solidaire dun monde qui rpond son mouvement par un
retrait. Le percevant se mouvant se peroit au sein de ce quil peroit et, si le monde est
bien ce quil peroit, le percevant ne peut assister sa propre perception sans se percevoir
de sorte que la relation perceptive au monde renverra toujours la proximit une
certaine distance , et inversement. Il y a l une vrit phnomnologique indpassable
parfaitement explicite par Merleau-Ponty dans Le visible et linvisible partir du rapport
relationnel visible/invisible, des termes de dimensionnalit , de rayon du monde ou
encore de niveau . Pourtant, si la description de Merleau-Ponty de la perception est
convaincante et si Merleau-Ponty est proche de nous dire en quel sens nous sommes
corps, en tenant lexprience de la rversibilit du sensible pour une exprience ultime du
sens du rapport relationnel, le sujet de la perception reste compris dans une perspective
dualiste qui condamne dfinitivement la caractrisation du percevant des termes
irrconciliables, contradictoires. Pourtant, lorsque Merleau-Ponty relie le pouvoir
daccder au monde du corps au fait quil peut mempcher de percevoir 32,
Merleau-Ponty est sur le point de formuler la vritable problmatique du corps propre, de
rendre compte de lautonomie du rapport lui-mme, cest--dire de la phnomnalit, et
ainsi de proprement spcifier la nature ontologico-existentielle du corps. Cest, en tout
cas, le sentiment qui se dgage de la description de Merleau-Ponty du rapport perceptif
lorsque sur une mme page est crit que la perception nous fait assister ce miracle
dune totalit qui dpasse ce quon croit tre ses conditions ou ses parties, qui les tient de
loin en son pouvoir, comme si elles nexistaient que sur son seuil et taient destines se
perdre en elle 33 et que donc tout se passe () comme si laccs au monde ntait que
lautre face dun retrait, et ce retrait en marge du monde une servitude et une autre
32 Merleau-Ponty, Maurice, Le visible et linvisible, ditions Gallimard, Col. tel, 2001, p. 24. 33 Merleau-Ponty, Maurice, Le visible et linvisible, ditions Gallimard, Col. tel, 2001, p. 23.
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expression de mon pouvoir naturel dy entrer 34. Mais ce qui ne fait que transparatre au
niveau de la description de la perception se dissipe au niveau de la dtermination du sujet
de la perception comme touchant/touch. Aussi, si dun ct Merleau-Ponty est sur le
point de rendre compte du rapport au/du monde sans opposition, de renouveler le sens de
la philosophie de la perception en comprenant la perception elle-mme comme une
relation densemble qui se constitue de la corporit du percevant par quoi la relation
transcendantale est intrieure au rapport lui-mme, de lautre, ce rapport apparat comme
une unit du touchant et du touch, cest--dire finalement une unit de la conscience et
de son objet. Or si, comme le montre Merleau-Ponty en reconnaissant le sens de
lincarnation du percevant, la relation de transcendance se structure elle-mme, se
compose de mon corps comme corps du monde au sein du monde, la philosophie se
trouve alors libre de la constitution positive du rapport du corps au monde de sorte que
ce qui du percevant lamne tre en rapport au monde nest pas ce qui comme tel
ordonne la structure du rapport relationnel. Dans cette perspective, la profondeur de
lhypothse de la perception pure est de ddoubler la question de la relation du percevant
au monde, de faire dabord tat dun rapport entre les seules images respectant ainsi la
phnomnalit qui seule justifie le sens problmatique de la question du corps propre
pour reprendre la question partir du mode dtre propre une image, reprise qui ne vise
pas expliquer le rapport de transcendance comme tel puisquil se compose toujours dj
de mon corps , mais qui vise expliquer que le percevant, perceptible comme tout
tant du monde, se distingue des autres mondains en tant quimage. Or, en identifiant les
deux aspects de cette mme question, Merleau-Ponty en vient dfinir le percevant
comme un prototype de ltre , commettre au fond le travers de la philosophie de la
conscience qui pense le rapport comme un rapport bti par un sujet (incarn). Entendu
comme un sensible exemplaire pris dans lordre du sensible, le percevant nest pas
vritablement pens pour lui-mme comme si le percevant et le peru pouvaient lun et
lautre tre dit en leur vrit propre en les rapportant toujours ce qui leur est commun,
savoir le rapport de perception. Merleau-Ponty senfonce dans ce qui leur est commun
34 Merleau-Ponty, Maurice, Le visible et linvisible, ditions Gallimard, Col. tel, 2001, p. 23.
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pour penser leur diffrence et, de ce fait, cest en restant dans le cadre conceptuel dune
philosophie de la perception que le percevant est caractris35.
Lexprience du corps propre apparat comme un problme parce quelle se donne
comme un singulier rapport qui, abord partir du sujet de la perception lui-mme, se
prsente lesprit comme une ambigut , sexprime contradictoirement. En revanche,
vu partir du sujet de la perception, en tant que le percevant est lui-mme du monde, le
rapport de lexprience snonce comme un paradoxe dont la formulation philosophique,
problmatique, ouvre une investigation neuve propos de la structure de la relation
dappartenance du percevant au monde. On le sait, le sujet de la perception est lui-mme
inscrit au sein du champ perceptif dont il est le centre. Le percevant est du ct du monde
dont il est une partie. Or, en tant perceptible lui-mme comme lautre, le sujet de la
perception est lui-mme sujet la condition de lexprience perceptive (au sein de
laquelle le monde se dploie) quil polarise. Le sujet de la perception est envelopp par ce
quil centralise. Le dploiement du monde est ainsi aussi le sien et, de ce fait, la
polarisation de lexprience perceptive est dterminable comme une individuation du
monde lui-mme. Du ct de ce dont il est une partie, appartenant et polarisant ce qui le
dpasse, comment le percevant peut-il impliquer ce qui lenveloppe ? Comment une
relation dappartenance peut-elle tre constitutive delle-mme ? Comment une image
peut-elle tre en rapport lensemble des images ? Comment la partie peut-elle tre en
relation au Tout alors mme quelle est du Tout ? Comment un apparaissant , pour
reprendre la dnomination de Patoka, peut-il tre le sujet de lapparatre ? Comment
celui qui ne peut avoir une position de survol sur le monde peut-il en tre le sujet ? On le
voit, le paradoxe rfre au renvoi intrieur de lexprience elle-mme, au fait que le
sujet au monde est du monde. Autrement dit, la problmatique du corps propre se signifie
comme une relation paradoxale de la partie-sujet du Tout au Tout qui, premire vue,
remet totalement en cause la division de la conscience et de la nature. Un tel paradoxe
appelle en somme une redfinition de la question du corps propre en considrant le sens
dune appartenance o le percevant nest pas dans le monde puisque le percevant est
35 En traitant plus spcifiquement du phnomne de la rversibilit du sensible dans la partie A) 1.1.3, nous e